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Vaca 077 0004

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Avant-propos

Dossier coordonné par William T. Bishop, Léna Burger, Juliette Farjat, Joëlle Griffe ,
Paul Guillibert, Memphis Krickeberg, Marius Loris, Isabelle Saint-Saëns, & Brigitte Tijou
Dans Vacarme 2016/4 (N° 77), pages 4 à 7
Éditions Association Vacarme
ISSN 1253-2479
ISBN 9782916278049
DOI 10.3917/vaca.077.0004
© Association Vacarme | Téléchargé le 30/04/2024 sur www.cairn.info par SANDRINE BONNEFONT (IP: 193.251.163.167)

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https://www.cairn.info/revue-vacarme-2016-4-page-4.htm

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avant-propos

L
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e printemps et l’été 2016 ont été marqués de la violence policière à partir de la rencontre
par les violences policières : la répression du entre des expériences subalternes multiples de la
mouvement contre la loi travail au printemps, la coercition et des discours théoriques sur le rôle
mort d’Adama Traoré le 19 juillet, les expulsions de cette violence dans la stabilisation de l’ordre
de camp de migrant.es dans le nord-est de Paris social existant.
pendant l’été et le début de l’automne. L’objet de
ce chantier est de s’interroger sur le déploiement et La question de la violence policière n’a jamais
les évolutions de ces violences sur certaines mino- été absente des débats au sein de la gauche.
rités de la population et la réalité de leur extension. Cependant, la manière dont elle est traitée et la
Comprendre ces phénomènes suppose d’abord place qu’on lui accorde varient en fonction de la
de clarifier quelques aspects terminologiques. façon dont les différents courants de la gauche
Contrairement à certains usages, nous refusons envisagent la pratique politique et les forces du
de parler de violence pour décrire les dégradations changement social. La gauche institutionnelle, de
matérielles commises par des manifestant.es. Par la sociale-démocratie au trotskysme, tend généra-
violence, nous entendons décrire l’usage à la fois lement à appréhender cette question comme un
légitime et illégitime, eu égard aux normes légales axe de mobilisation et de discussion secondaire
encadrant les pratiques policières, de la force qui et occasionnel, et lui privilégie les conflits liés au
porte atteinte tant aux libertés individuelles et travail. Prenant cette tendance à rebours, deux
politiques qu’à l’intégrité des personnes. Dans secteurs de la gauche lui ont traditionnellement
le contexte dont nous parlons, la violence est accordé une plus grande importance.
donc toujours celle des forces dites « de l’ordre ». Le mouvement autonome et libertaire tout
Le recours à la force de la part de manifestant. d’abord qui, par son attachement à une praxis
es contre la loi travail, de militant.es contre les politique souvent extra-légale, est régulièrement
violences policières ou de migrant.es nous semble confronté à la force policière. Mais, celle-ci reste
mieux cerné par la notion de résistance. Par résis- souvent appréhendée uniquement sous l’angle
tance, nous entendons l’effort pour lutter contre de la répression politique et de la temporalité
une limitation des droits qui exprime des rapports conjoncturelle des luttes et de l’anti-répression.
de domination et d’oppression. Les subalternes ne La violence policière quotidienne et « normale »
font pas que parler, ils se défendent aussi avec une ciblant les franges non-blanches des classes popu-
multiplicité de répertoires d’actions mobilisant laires tend à être négligée.
parfois un certain usage de la force. Nous parle- Cette forme banale de la violence policière,
rons de répression, policière ou judiciaire, lorsque véritable mode d’apprentissage de la condition
la violence coercitive s’exerce en réaction à ces de sujet post-colonial1, constitue au contraire
formes de résistance. L’enjeu de ce chantier est de un des enjeux politiques centraux de l’« anti-­
mener une réflexion sur l’étendue et les évolutions racisme » politique. Il se compose d’une m­ ultitude
5 Avant-propos

Politiser la question de la violence policière,


identifier et articuler les différents types
de résistances qu’elle engendre, nécessite
d’étudier ses modalités d’exercice concrètes.
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de collectifs et d’organisations qui, à l’instar du lycée Bergson à Paris le 24 mars 20162 illustre
d’Urgence-notre-police-assassine, ont mené de la rencontre de ces deux formes de violence poli-
nombreuses campagnes depuis les années 1990, cière. Cette réflexion critique sur la pluralité et
suite au décès de personnes non-blanches tuées l’articulation des formes et des expériences de la
par la police. La majorité des organisations de la violence doit s’inscrire dans un effort théorique
gauche blanche n’a pas soutenu en profondeur plus large considérant les différentes temporalités,
ces mobilisations, manquant ainsi une série d’oc- spatialités et expériences.
casions de nouer des alliances avec les franges Par ailleurs, si la répression du mouvement
racisées des classes populaires. contre la loi travail fournit l’opportunité de poli-
Avec l’intensification de la répression exer- tiser plus largement la question de la violence
cée à l’encontre de la mobilisation contre la loi policière, il convient cependant de replacer cette
El Khomry initiée en mars 2016 et l’extension de séquence au sein d’une histoire plus longue du
ses cibles par-delà les éléments les plus radicaux maintien de l’ordre. La létalité policière reste,
du mouvement, une plus large partie de la gauche pour le moment, quasiment exclusivement réser-
a commencé à s’intéresser à la violence policière vée aux classes populaires racisées (à l’exception
comme à un enjeu politique majeur. Mais politi- de quelques cas isolés tel Rémi Fraisse). Depuis
ser la question de la violence policière, identifier trente-cinq ans en France, il n’y a presque plus
et articuler les différents types de résistances eu de morts lors de manifestations alors que
qu’elle engendre, nécessite d’étudier ses modalités des centaines de personnes ont été tuées par la
d’exercice concrètes. Il importe d’appréhender police dans les quartiers populaires. Histori-
son fonctionnement différencié en fonction des ciser la violence policière permet d’éviter une
catégories qu’elle cible et le type d’expériences ­sur-dramatisation de l’expérience des manifestant.
et de temporalités de la violence qui en émerge : es qui conduirait à occulter les régimes spécifiques
répression conjoncturelle des luttes d’un côté, de violence dont font l’expérience d’autres franges
gestion normale des populations non blanches par subalternes de la population.
la brutalité policière de l’autre. La vidéo massi- Le développement du maintien de l’ordre
vement visionnée montrant un policier frappant moderne dans les démocraties capitalistes occi-
un lycéen non-blanc mobilisé au cours du blocus dentales à la fin du XIXe siècle se caractérise
ainsi par le passage d’une répression militaire
des manifestations, accompagnée de son lot de
1. Didier Fassin, La force de l’ordre. Une anthropologie
de la police des quartiers, Seuil, 2011, p.27. massacres, au modèle de la gestion des foules,
2. [https://youtu.be/CBuzy2-B-T4], consulté le 15/09/16. « système de gestion de l’ordre public » caractérisé
3. J. McCarthy, C. McPhail, « L’institutionnalisation de par : « 1) une négociation entre les parties, 2) une
la contestation aux États-Unis » in O. Fillieule, D. Della
Porta (dir.), Police et manifestants, Paris, Presses de prévision par les autorités, 3) un encouragement
Sciences Po, 2006, p. 71. des manifestants à planifier l’action envisagée »3.
Vacarme 77 Chantier 6
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La gestion et la mise en circulation des flux de des affrontements très violents avec les gendarmes
personnes dans l’espace urbain tendent alors et mai 1968 ne fait pas exception. Le Quartier
à remplacer, à partir de la seconde moitié du Latin se hérisse de barricades, on utilise tous
XXe siècle, la répression pure et la volonté de les moyens possibles pour lutter contre la police.
marquer et d’anéantir les corps. La persistance Un changement se dessine vers le milieu des
d’épisodes sanglants touche en premier lieu les années 1970, quand les organisations syndicales
subalternes racisés (massacre des Algériens du majoritaires décident de réévaluer à la baisse le
17 octobre 1961 à Paris). La répression de la loi déploiement de la force lors des manifestations,
travail avec l’usage massif des nasses et des jets pour privilégier des opérations de communica-
de grenade de désencerclement indiscriminés tion destinées à séduire l’opinion. Néanmoins, la
invite à s’interroger sur la nature et l’ampleur des violence reste une modalité d’action dans divers
changements en train de s’opérer dans l’exercice groupes gauchistes dans les années 1970 – en
de la violence policière. témoignent les attaques de commissariat parisien
par des Maos. Si elle tend à refluer dans les années
Du côté de l’action des manifestant.es, il y a 1980-1990 au sein des manifestations de la gauche
eu la médiatisation d’une figure nouvelle des traditionnelle, les révoltes explosent dans les quar-
« cortèges de tête » aux brutaux agissements. Il tiers populaires lors de révoltes comme celle de
y a eu la voiture de police brûlée sur le canal la cité des Minguettes à Vénissieux (1981) ou plus
Saint-Martin, le concessionnaire Jaguar brisé récemment en 2005 après la mort de Zied Benna
et la fameuse vitre cassée à l’hôpital Necker lors et Bouna Traoré. Du côté des mobilisations pour
de la grande manifestation du 14 juin. Tous ces l’emploi, les années 2000 voient réapparaître les
évènements médiatisés ont servi un discours modes d’actions plus virulents : menace d’incen-
politico-policier condamnant une « violence » des dier les usines ou de les faire sauter (salariés de
manifestant.es intolérablement élevée et justifiant la brasserie Heineken dans le Bas-Rhin en juillet
l’usage de la répression. Pourtant, si l’on s’en réfère 2000 ou de Forgeval dans le Nord), saccage de la
là encore à l’histoire récente, ce montage s’écroule. sous-préfecture de Compiègne par les employés
Le niveau de violence manifestante depuis la fin de de Continental en 2009. Ainsi, la résistance de
la Seconde Guerre mondiale ne s’est pas intensifié. 2016 lors du mouvement de la loi travail n’est
On peut rappeler d’abord les mineurs en grève pas marquée par une hausse spectaculaire de la
dans le Nord en 1947-1948 qui, ayant conservé « violence manifestante ». La sur-médiatisation
leurs armes de la Résistance résistèrent à l’armée, et l’instrumentalisation de celle-ci semble plus
notamment aux coloniaux menés par le sinistre déterminante que sa soi-disant intensification.
Jacques Massu qui commençait alors sa carrière On pourrait alors vouloir renverser la question :
d’assassin d’État. Dans les années 1950 et 1960, les pourquoi n’y a-t-il pas plus de violence résistante
grèves ouvrières à Billancourt sont marquées par contre la police dans un contexte où la police voit
7 Avant-propos

Depuis le printemps, le sentiment qui se


dégage est que la violence policière s’étend
dans la société tout en gagnant en intensité.
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ses droits d’action accrus et exerce des brutalités r­ acisées ? Comment organise-t-on un débat public
tous azimuts ? sur cette violence de la police ? L’opinion publique
Depuis le printemps, le sentiment qui se dégage est structurée par un imaginaire sécuritaire hégé-
est que la violence policière s’étend dans la société monique qui imprègne le sens commun, et se
tout en gagnant en intensité. Des franges de la diffuse à travers la société, dans toutes ses strates.
population sont désignées ou ciblées par la police. Faire le travail de déconstruction nécessaire des
Leur stigmatisation autant que la violence qui les récits sécuritaires et des cadres à travers lesquels les
vise permet d’en faire des catégories spécifiques, luttes et la violence sont perçues, et les catégories
isolées du reste de la société et de la norme. La d’individus sont produites, est particulièrement
violence serait donc non seulement extraordi- compliqué dans ce contexte. Mais, parce que la
naire puisqu’elle ne frapperait qu’elles, mais elle violence est multipliée et étendue, parce qu’elle
serait aussi le fait même de ces catégories qu’elle attaque différentes catégories de la population, il
touche. Une telle conception fait obstacle à toute devient en un sens plus facile de se rendre compte
problématisation de la question de la violence de son extension. La colonisation sécuritaire des
policière au sein de la société puisqu’elle attribue formes de vie peut produire une déconstruction
la violence à celles et ceux qui en sont les victimes. accélérée de l’imaginaire policier. Encore faut-
Les personnes qui pourraient souhaiter s’impli- il que les espaces d’exercice de la violence ne
quer, ne serait-ce que pour s’opposer lors de situa- deviennent pas des zones de non-droit invisibili-
tions qu’elles jugent inacceptables et injustes, sont sées qui se referment sur des poignées d’individus.
tenues à l’écart dans un double mouvement : celui Encore faut-il briser l’isolement des nasses, des
de la violence physique qu’elles peuvent raison- camps et des quartiers. ¶
nablement craindre et vouloir éviter, celui du jeu
de la catégorisation qui les tient à part. Blanc.he
et non militant.e, par exemple, restez hors de
cette violence qui ne vous concerne pas. Ainsi,
la violence qui, comme on l’a vu à l’occasion de
manifestations ou durant les rafles de migrant.es
dans le nord-est de Paris, organise l’espace public
et les comportements, est reléguée à n’être l’affaire
que de quelques-un.e.s.
Comment éviter ce rétrécissement de l’espace
public, faire en sorte que chacun.e puisse prendre Dossier coordonné par
part aux manifestations, à la défense de personnes William T. Bishop, Léna Burger, Juliette Farjat,
migrantes maltraitées, au refus de pratiques discri- Joëlle Griffe, Paul Guillibert, Memphis Krickeberg,
minatoires et violentes à l’égard de personnes Marius Loris, Isabelle Saint-Saëns & Brigitte Tijou.

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