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Saving Her

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À Crystal.

Il y a peu de femmes qui peuvent faire face à la vie


comme tu le fais. Tu es belle, forte, et jamais tu ne
seras un prix de consolation pour quiconque.
Je te souhaite de garder toujours ton éclat.
Prologue

Natalie

— Chloé, s’il te plaît, ma chérie, si tu veux voir le jour, attends au moins que
ton papa soit rentré.
Je pose la main sur mon ventre, alors qu’une nouvelle contraction survient.
Je m’agrippe à la commode et respire profondément. Ces contractions sont de
plus en plus fréquentes.
Une fois la douleur passée, j’essaye de terminer ce que je suis venue faire
ici : je veux que la chambre du bébé soit prête quand Aaron reviendra, pour que
nous puissions profiter ensemble des semaines à venir. Je déambule dans la
future chambre de notre fille, je continue de remplir ses tiroirs de petites robes
roses…
Roses comme la multitude d’objets éparpillés aux quatre coins de la maison.
Aaron et moi nous sommes beaucoup disputés à ce sujet : j’adore, il déteste.
Il souhaitait que nous peignions sa chambre façon tenue de camouflage…
Du marron, du vert et du noir pour une petite fille ? Hors de question ! J’ai bien
failli accoucher à cause de cette dispute. Lorsque je suis rentrée à la maison, ce
jour-là, Mark et lui étaient en train de dessiner les motifs sur les murs. J’ai jeté
Mark dehors en lui lançant tous les objets qui me tombaient sous la main, et
Aaron a découvert à quel point je pouvais être brutale… Je ne suis peut-être pas
dans les Forces spéciales, mais on ne m’impose pas n’importe quoi ! J’ai
finalement obtenu ce que je voulais : du mauve et des rideaux transparents
autour du berceau.
— Ton papa va adorer cette chambre, Chloé ! J’ai tellement hâte de voir la
tête qu’il fera en découvrant ces jolis papillons.
Une nouvelle contraction me prend, et je m’assois dans le fauteuil à bascule
pour faire une pause. C’est une telle joie de savoir qu’elle vit en moi ! J’aime
être enceinte. C’est un miracle que nous ayons réussi à concevoir cette enfant,
alors je la protège. Aaron est déjà prévenu : je veux en faire un deuxième dès
qu’elle sera née.
Je ferme les yeux, le monde disparaît, et je me mets à rêver… Je m’imagine
assise avec elle dans ce fauteuil, à la cajoler et l’embrasser. J’imagine Aaron,
notre fille endormie contre son cœur. Elle sera sa princesse, et il la protégera
comme son trésor le plus précieux.
Quelqu’un frappe soudain à la porte, mais il me faut quelques secondes pour
m’extraire du fauteuil.
Les coups redoublent d’intensité.
— J’arrive !
Bon sang, donnez-moi une minute !
Parvenir jusqu’à l’entrée demande un petit moment à la baleine que je suis.
J’ouvre. C’est Mark Dixon, le supérieur et grand ami d’Aaron, avec qui il
travaille depuis des années dans les Forces spéciales de Jackson Cole.
Il a la tête baissée. Lorsqu’il la relève, ses yeux remplis de tristesse
rencontrent les miens.
— Qu’y a-t-il ?
— Lee…
Il accroche sur ce diminutif qu’Aaron emploie affectueusement. Quelque
chose ne va pas, c’est évident. Je me mets à trembler.
— Que s’est-il passé ?
Les larmes lui viennent, et je sais. Je sais que ma vie ne sera plus jamais la
même. Je sais que mes pires craintes sont en train de devenir réalité. Parce que
Mark ne pleure jamais, d’habitude. Parce qu’il ne serait pas en ce moment même
devant ma porte, si quelque chose ne tournait vraiment, vraiment pas rond.
— C’est Aaron.
Mon cœur s’arrête de battre, et mon monde s’effondre.
— Non !
Les larmes me brouillent la vue, ma respiration s’accélère. Cela ne peut pas
m’arriver.
— Je t’en prie, Mark. Non. Pitié !
Je le supplie, parce qu’une fois qu’il l’aura dit… Mais le supplier est inutile.
Il ne peut pas m’éviter cette douleur. C’est trop tard.
— Natalie, je suis tellement désolé !
Les mots terribles que toute épouse de militaire redoute… J’étais censée ne
plus avoir à m’inquiéter. C’était fini, derrière nous, tout ça. Je n’avais plus rien à
craindre.
Par pitié, mon Dieu, ne me l’enlevez pas ! Je vous en prie !
Comme si ces mots pouvaient annuler la réalité… Je suffoque.
— Mais je… Je suis enceinte. Je vais avoir un bébé. Il a dit qu’il reviendrait.
Il a dit…
Je bute sur les mots, j’ai du mal à respirer. Je plaque la main sur ma bouche
pour étouffer le cri qui veut sortir. Tout devient sombre.
— C’est une bombe artisanale qui l’a tué, je suis navré.
Ses yeux brillent de larmes. Je m’affaisse.
Mark me rattrape et me serre dans ses bras.
— Putain, je suis tellement désolé !
— Non. Non. Non.
Il me soutient, alors que je pleure, les mains autour de mon abdomen.
Brusquement, je me dégage de son étreinte.
— Tu mens !
— Je voudrais pouvoir mentir, dit-il, alors que je lutte pour me redresser.
— C’est une erreur ! Il va avoir un bébé. Il a dit que c’était un simple aller-
retour !
Je frappe du poing sa poitrine.
— Tu mens !
Mais je sais qu’il ne ment pas.
— Je suis désolé.
— Arrête de répéter que tu es désolé !
Ma douleur se transforme en hostilité. Je le hais. Je hais le monde entier, à
cet instant. Je hais Aaron, cette maison et tout ce qu’elle contient. Je hais cet air
qu’il ne respire plus. La haine me consume et m’étouffe.
— Dégage ! je hurle en continuant à lui frapper la poitrine. Dégage de chez
moi ! Aaron va rentrer dans quelques jours, et nous serons prêts pour la
naissance de notre fille.
— S’il te plaît…, m’implore Mark.
Je refuse de le regarder. Rien de tout cela n’existe, parce que Aaron est
vivant. Il n’est pas mort ! Comment Mark peut-il oser me mentir ?
— Il va revenir. Jamais il ne m’abandonnerait. Il a promis.
Aaron ne m’aurait pas menti. Il ne ment jamais. Quand il partait en mission,
il me disait toujours au revoir comme si c’était la dernière fois. Mais cette fois-
ci, il m’a embrassée sur le bout du nez en me demandant de l’attendre pour
accueillir notre bébé.
— Est-ce que tu veux que j’appelle quelqu’un ? Ta mère ?
— Tu n’appelleras personne parce qu’il n’est pas mort ! Va le chercher,
Mark ! Va chercher Aaron et ramène-le-moi.
Je recule en pointant l’index vers lui.
— Vous aviez tous promis !
Une douleur intense me transperce soudain, et j’agrippe mon ventre, mais ce
n’est rien en comparaison de la souffrance qui pèse maintenant sur ma poitrine.
Mark me reprend dans ses bras. Les larmes coulent sans relâche, alors que je
lutte contre son étreinte.
— Il avait promis !
— Je sais.
Ma vie n’a plus de sens. Mon cœur est détruit.
J’ai vingt-sept ans et je suis veuve.
1

Trois mois plus tard


— Aaron Gilcher a quitté ce monde trop tôt. C’était un mari aimant, un ami
loyal et le père d’une enfant qu’il n’a pas vue naître.
La voix du prêtre continue de s’élever doucement :
— Nous sommes réunis aujourd’hui pour lui dire au revoir mais pas adieu. Il
vivra dans nos cœurs aussi longtemps que nous lui conserverons une place.
Un sanglot m’échappe, impossible à retenir. Je réalise avec désespoir
qu’Aaron est vraiment parti. Cette cérémonie est la dernière pièce du puzzle,
celle que je refusais de placer.
Je sens des mains chaleureuses sur mes épaules. Je n’ai pas besoin de
regarder pour savoir à qui elles appartiennent. Jackson et Mark sont derrière moi.
Ils me protègent maintenant que mon mari n’est plus là. Ma mère me tient la
main, et mon père porte Aarabelle dans ses bras. Après sa naissance, j’ai bataillé
pour changer le prénom que nous avions choisi et lui en donner un spécial. Dès
que je l’ai vue, j’ai su. Je voulais que, toute sa vie, elle porte en elle une part de
son père.
— Seigneur, éclaire nos cœurs en ces jours difficiles. Aide-nous à garder le
souvenir d’Aaron et donne-nous un sentiment de paix, car il est dans tes bras.
La prière s’achève, et c’est le moment que je redoute le plus.
— Lee, je suis là, chuchote Mark derrière moi.
Je lui réponds d’un hochement de tête, parce que, si je parle, je ne pourrai
pas contenir le désespoir qui menace de me submerger.
Sois forte, tout sera bientôt fini.
Je regarde ma robe noire, j’essaye de me concentrer sur n’importe quoi
d’autre. Je rassemble derrière mes oreilles les longues mèches blondes qui
encadrent mon visage et je commence à trembler. La main de Mark se resserre
sur mon épaule.
Les membres de la garde d’honneur viennent se placer devant moi. Tous les
quatre étaient ses amis, ses frères, et ils doivent me remettre la dernière chose
qu’une femme veuille tenir dans ses mains.
Les émotions sont profondément enfouies, mais je perçois toute la peine
qu’il y a dans les yeux de son meilleur ami. Liam, bouleversé par sa mort, a fait
le voyage depuis la Californie. Ils avaient tous deux validé l’entraînement des
Forces spéciales. Un lien indestructible s’était noué entre eux depuis qu’ils
avaient risqué leurs vies ensemble.
Liam et Jeff tendent le drapeau ; j’entends le claquement sec du tissu.
Incapable de garder les yeux ouverts, je respire profondément. Une douleur
terrible me broie la poitrine. Je suis déchirée.
Ma mère me presse la main, et je redresse la tête pour voir l’ancien chef
d’Aaron s’agenouiller devant moi.
— Natalie, au nom du président des États-Unis et du chef des Opérations
navales, acceptez ce drapeau en témoignage de notre reconnaissance pour les
services rendus par votre époux à ce pays et à la marine.
Mon cœur vacille, je ne peux surmonter le flot des larmes. Il me tend le
drapeau, et je sais qu’il me faut le prendre. Je le dois, mais… Je suis de glace. Je
finis par lever une main tremblante. Lorsqu’il pose le drapeau dans mon autre
main, qui repose sur mes genoux, je me remets à pleurer. Ce n’est pas vrai.
Aaron est mort depuis trois mois, mais ça, ce drapeau… C’est la preuve que tout
est vraiment terminé, et je le refuse.
Ma main retombe. Je le regarde dans les yeux, tandis qu’une nouvelle larme
roule sur ma joue.
— Toutes mes condoléances, Natalie. Aaron était quelqu’un de bien.
Je parviens tout juste à le remercier, je ferme les yeux, et ma tête retombe.
Comment se fait-il que ce soit ma vie ? Pourquoi ? Comment continuer ?
Toutes ces questions m’assaillent et me serrent le cœur.
J’entends des gens pleurer autour de moi, mais rien de tout cela ne
m’importe. Personne ne peut savoir ce que j’endure en ce moment. Perdre
l’amour de ma vie, le père de mon enfant… La souffrance m’engloutit. J’avais la
vie dont je rêvais. À présent, c’est un flot de désespoir qui emporte tout ce qu’il
y avait de bon sur son passage.
La révolte gronde en moi. J’emmerde la vie ! J’emmerde l’amour et tous
ceux qui ne savent dire que « désolé » !
Je regarde mon enfant endormie dans les bras de son grand-père. J’ai
Aarabelle. J’ai une belle petite fille qui a besoin de moi.
Les Forces spéciales commencent leur rituel. J’ai déjà assisté à des
cérémonies similaires, eu pitié des épouses qui devaient la subir. Je n’étais pas à
leur place, mais aujourd’hui c’est bien de moi qu’il s’agit.
Le major Wolfel s’avance et enlève le trident, l’insigne des Forces spéciales,
de sa poitrine. Il avance vers l’urne, derrière laquelle se trouve un coffre en bois
de la taille d’un cercueil. Le corps d’Aaron a volé en éclats, comme moi, alors il
n’y a presque rien à enterrer. Wolfel se tient là pendant un moment, avant de
poser son insigne sur le coffre et de le marteler avec son poing. Le son du métal
perçant le bois pénètre jusque dans mon âme, et c’est comme s’il entrait en moi.
Il se retourne vers l’urne et salue.
Un est tombé, vingt autres suivront.
— Mes sincères condoléances, Aaron était un homme bien, me dit un autre
membre de son équipe.
Je hoche la tête, incapable de parler, devinant que le bruit d’un autre insigne
s’enfonçant dans le bois fendra l’air dans un instant. Les hommes s’avancent
vers moi un à un, me présentent leurs condoléances et poursuivent le rituel du
trident.
Je n’en peux plus !
Je commence à m’impatienter, mais Mark me retient. Puis c’est Liam qui
s’avance vers moi, ses yeux d’un bleu cristallin rougis par le chagrin. Il essaye
de faire bonne figure, mais il est dévasté.
— Lee, je…
Je pose la main sur la sienne pour lui faire comprendre que je n’ai pas besoin
de ses mots. Je sais. Il tremble.
— Aaron était mon frère, me dit-il, et une nouvelle larme roule sur ma joue.
— Je… Je…
Rien d’autre ne parvient à franchir mes lèvres.
Liam prend une grande inspiration, se redresse et marche en direction du
coffre.
Au début, il a refusé d’admettre la mort d’Aaron. Il y avait si peu pour
l’identifier. Il voulait le croire encore vivant quelque part.
Je regarde ma fille. Elle gazouille tranquillement dans les bras de son grand-
père, ignorant qu’elle ne bénéficiera jamais de la présence sécurisante d’un père.
Moi, j’ai la chance que l’homme qui m’a prise dans ses bras et bercée quand
j’étais triste soit encore là pour la bercer, elle. Je voudrais pouvoir faire un bond
en arrière et lui demander de me prendre encore dans ses bras, de m’assurer que
tout ira bien. Aarabelle est parfaitement en sécurité, sereine, alors que je me sens
si inquiète et vulnérable !
À la vue du marin debout devant le mémorial, je ferme les yeux et j’essaye
de dissiper les pensées qui m’assaillent. J’ai perdu Aaron après tout ce temps.
J’ai enduré des années et des années d’angoisse, quand il était en service actif,
pour le perdre finalement au moment où il quittait la marine et où je me sentais
enfin en sécurité. À quoi bon ?
Enfin, la dernière broche entre dans le coffre. Je lève les yeux : Jackson se
tient près de l’urne, la tête baissée. Le poids de la culpabilité qu’il porte pour
avoir envoyé Aaron à la mort est insurmontable, mais je sais qu’Aaron n’aurait
pas voulu que cela se passe autrement. Il souhaitait mourir avec courage et
dignité. Il aurait été prêt à mourir pour Jackson ou Mark. Mais aujourd’hui, ma
fille et moi en payons le prix.
Je ne suis pas la seule à souffrir de sa mort. Je regarde autour de moi et je
vois les visages de sa famille et de ses amis. Sa mère pleure aux côtés de son
mari. Elle s’enterre vivante en enterrant son fils unique. D’anciens militaires qui
ont servi avec lui et des compagnons des Forces spéciales de Cole sont là aussi,
très affectés par sa disparition.
Quelques visages me sont inconnus. Une jolie blonde se tient debout, un peu
à l’écart, et s’essuie les yeux. Une jeune femme brune, que je suppose être
Catherine, pleure dans les bras de Jackson. Il y a tant de gens, tant d’uniformes !
Nous sommes une mer noire de deuil.
Aaron était aimé, alors je ne suis pas surprise, mais personne ne l’aimait plus
que moi.
Aujourd’hui, c’est la dernière fois que je m’autorise à ressentir du chagrin, le
dernier jour où je peux verser des larmes, parce que les larmes ne changent rien.
Je dois rassembler les forces qu’il me reste et m’y tenir fort. Je suis maman et
j’ai une petite fille qui aura besoin que je sois à la fois son père et sa mère.
Un jour, c’est ce qu’on dit, un jour cela ne fera plus mal.
C’est faux.
Cela fera toujours mal.
Je ne serai plus jamais la même. Celle que j’étais est morte à l’instant même
où Mark a frappé à la porte. Je ne suis plus qu’une coquille vide. La femme
aimante, ouverte et pleine d’espoir a disparu. L’espoir est un salaud qui nous
trompe et se fout de nos rêves. Alors, je compte désormais sur la foi. La foi dans
ma capacité à traverser cette épreuve et à retrouver mon cœur.
2

Le temps passe. Les heures sont devenues des jours, les jours des semaines.
Puis les mois défilent, et je continue à vivre. Mais suis-je bien vivante ? Je
respire, je me lève le matin, je m’habille, mais je suis engourdie. Bien sûr, je
souris, j’arbore une mine joyeuse, cependant c’est un masque. À l’intérieur, je
suis perdue dans les profondeurs du deuil.
Trois mois ont passé depuis l’enterrement d’Aaron, et toujours ces mêmes
conneries de jours qui me filent entre les doigts. Ma fille grandit, seulement, je
n’ai personne avec qui partager cela. Heureusement, elle fait ses nuits, je ne suis
donc pas totalement épuisée. Ces premiers mois m’ont rendue folle ; en même
temps, c’est elle qui m’a permis de tenir bon.
La solitude me ronge, mais je ne le dis à personne.
— Non, maman, je vais bien, je soupire en calant le téléphone sur mon
épaule, essayant de la rassurer pour la énième fois.
Si ce n’est pas elle qui appelle, c’est Mark.
— Lee, tu ne vas pas bien, déclare ma mère. Tu vis à peine ! Je prends un
avion.
C’est bien la dernière chose dont j’ai envie ! Elle est restée à la maison
pendant un mois, après la naissance d’Aarabelle, et j’ai cru devenir dingue. Son
insistance, ses incitations permanentes à me faire sortir de chez moi m’ont
conduite à douter du bien-fondé de sa présence à la maison.
— Bon sang, je vais bien ! Je suis vivante, et papa a besoin de toi. Aarabelle
et moi, on se porte à merveille !
Je fais en sorte que plus personne ne sache que ma vie n’a pas avancé depuis
six mois. Il paraît qu’il y a une période de latence, avant que les gens
commencent à exprimer leur douleur. Mes amis sont préoccupés parce que je
n’ai toujours rien entrepris. Je ne sors pas, j’ai refusé de retourner travailler
comme reporter. Je ne veux pas être à l’extérieur, ni parler à d’autres familles qui
vivent des tragédies. J’en traverse une.
Ma mère a un petit rire sarcastique au téléphone.
— Menteuse !
— Je ne mens pas.
J’attrape le babyphone et vais sur la terrasse. C’est ce que je préfère, dans
cette maison. J’en suis tombée amoureuse dès qu’Aaron et moi l’avons visitée.
Elle tourne le dos à la baie de Chesapeake, et je passe le plus clair de mon temps
sur cette terrasse. Ici, je me sens proche de lui. Je peux le sentir dans le vent.
Cela peut sembler fou mais, lorsque je ferme les yeux, j’ai l’impression que ses
mains me caressent, que son souffle glisse dans mon cou et dégage les cheveux
de mon visage. Le soleil me chauffe le dos, et je m’autorise à rêver qu’il est
seulement parti en mission et sera bientôt de retour. Je m’accroche à cette
sensation aussi longtemps que je le peux, parce que c’est tellement plus facile de
faire comme si, plutôt que d’affronter ce fait : mon mari est mort.
— D’accord, tu vas très bien. Tu ressembles à une espèce de zombie, mais tu
vas très bien, grogne-t-elle.
— J’ai du travail, maman.
J’espère que cette nouvelle la calmera.
— Ah, et qu’est-ce que tu fais ? me demande-t-elle, sceptique.
— Je vais travailler pour les Forces spéciales de Cole.
Je vois d’ici sa désapprobation. Tant pis, je me fiche de ce qu’elle pense.
— Oh ! mais quelle excellente idée, et quelle merveilleuse façon de te
changer les idées !
— Ravie que tu approuves, je lui réponds, sachant pertinemment que c’est
de l’ironie.
Elle ne peut pas comprendre. Mon père et elle forment un couple heureux
alors que, moi, j’ai perdu mon bonheur pour toujours. Je voudrais être près
d’Aaron, pouvoir ressentir quelque chose, avoir encore des choses à partager
avec lui. Les Forces spéciales de Cole sont le dernier endroit où il était en vie. Il
passait ses journées à travailler pour Jackson. Sa présence est toujours palpable
dans ce bureau, dans cette maison. Je ne peux pas passer à autre chose, je peux à
peine respirer… Pourtant je continue. Pour Aarabelle. Tous les jours je sors de
mon lit, je m’habille et je vis ma vie du mieux possible. La seule chose que je
désire, c’est garder avec moi un petit peu de ma vie avec lui, alors je vais partout
où je peux sentir sa présence. Ici, elle commence à s’effacer. Je n’arrive plus à le
visualiser en train de se raser dans la salle de bains, ni à me souvenir de son rire.
Je m’accroche à ces images… Mais, inévitablement, il m’échappe un peu
plus chaque jour. La douleur est toujours là, contrairement à mon souvenir
d’Aaron, qui me file entre les doigts.
— Natalie ? appelle ma mère, alors que je suis restée un moment silencieuse.
Je pense que tu devrais venir à la maison. Peut-être que, si tu changes d’air
quelque temps, cela t’aidera à aller de l’avant.
— Mais je vais de l’avant ! je réplique, énervée, avant de prendre une
profonde inspiration.
— Et comment ? As-tu pris rendez-vous avec les assurances ? Est-ce que tu
t’es occupée des papiers à remplir ?
Je suis persuadée qu’elle cherche le conflit pour me forcer à perdre
contenance.
— Je vais de l’avant… J’en ai assez de parler.
En vérité, je suis coincée ici. Dans une boucle sans fin. Rien ne change. Rien
ne se passe. Je refuse de vider les tiroirs ou la penderie d’Aaron, parce que alors
ça voudra dire qu’il ne rentrera jamais à la maison. Je ne peux le dire à personne.
J’ai besoin de lui. Je voudrais tellement qu’il soit là ! Mais, le jour où il est parti,
il m’a quittée pour toujours. Il m’a embrassée sur le nez, a embrassé mon ventre
et nous a dit qu’il serait de retour bientôt. Il a menti.
Je ferme les yeux et vois son visage. Son regard. Ses yeux bruns et profonds,
pailletés d’or, qui continuent d’étinceler dans mon esprit. Ses cheveux, avec sa
sempiternelle coupe militaire. Aaron. Mon univers.
— Natalie…
La voix douce de ma mère interrompt mon rêve éveillé.
— S’il te plaît, laisse-nous venir te chercher avec Aarabelle. On aimerait
beaucoup passer du temps avec vous deux.
— Non, je t’adore, maman, mais je m’en sors très bien.
La lumière du babyphone s’allume, et la petite voix d’Aara en sort.
— Elle se réveille, je dois y aller. Je t’aime.
— Bon, quand tu auras décidé que ça ne va pas, appelle-moi. Je t’aime aussi,
ma chérie.
Je raccroche et pose le téléphone. Je m’assois un instant pour reprendre mes
esprits avant d’aller chercher ma fille. Je l’aime plus que tout, mais elle
ressemble tellement à son père ! Chaque fois que je la regarde, j’ai besoin de tout
mon courage pour ne pas pleurer. Elle me fixe avec des yeux innocents et si
pleins d’amour que cela me brise le cœur de savoir qu’elle ne pourra jamais lui
tenir la main, lui dire combien elle l’aime ou simplement avoir l’amour d’un
père. Elle l’aurait mérité. Elle aurait dû avoir ses deux parents pour la guider. Au
lieu de cela, elle n’a que moi… Une femme brisée.
Chaque fois que ses parrains viennent à la maison, je les déteste un peu plus.
Je déteste qu’ils puissent la voir, la prendre dans leurs bras, alors que celui qui
lui a donné la vie ne le pourra jamais. La colère bouillonne en moi. C’est comme
un nuage noir qui occulte la lumière que j’ai tant besoin de voir. Il n’y a plus
d’espoir, parce que Aaron est mort et qu’il a emporté la lumière avec lui. Je veux
qu’il revienne, et pas seulement dans mes rêves ; je veux le sentir près de moi. Il
ne me reste que des draps froids et un lit vide.
Soudain, j’entends Aara qui m’appelle et je me ressaisis. Elle gazouille dans
son berceau alors que je suis là, à ressasser ma douleur.
J’étouffe les émotions qui me brûlent et puise dans les ressources dérisoires
qu’il me reste pour aller la chercher.
— Alors, mon cœur ? je murmure en entrant dans la chambre.
La voir remet soudain tout à sa place. C’est incroyable comme les enfants
ont le pouvoir de tout changer. Elle est couchée sur le dos et me regarde avec cet
amour auquel je m’accroche. Pour elle, le monde est parfait. Elle ne connaît pas
la souffrance et, d’une certaine façon, elle a de la chance. Au moins, elle n’a pas
connu et aimé son père… Elle n’aura jamais à craindre les choses qui me
préoccupent, parce qu’elle les ignore.
— Aaaaah !
Elle pousse un petit cri perçant alors que je l’observe, avec ses cheveux
sombres en bataille et ses yeux bruns qui brillent d’adoration. Pour elle, j’ai
envie de m’en sortir.
— Hé, ma chérie !
Elle donne de petits coups de pied et agite les bras, lorsque je me penche
pour la prendre.
Je suis en train de la bercer dans mes bras quand quelqu’un frappe à la porte.
Chaque fois, mon cœur se serre et mon estomac fait un tour. Cela fait six
mois que Mark est venu m’annoncer la nouvelle, pourtant je ressens toujours la
même chose. Pendant un instant, je prie pour que ce soit Aaron qui apparaisse et
me dise que tout n’était qu’un immense malentendu.
Je dépose Aara dans sa balancelle et soupire profondément.
Sans me presser, j’avance jusqu’à la porte d’entrée en essayant de réprimer
les espoirs qui m’assaillent. Je me dis que ce sera probablement Mark… Je
respire. Chaque fois, c’est l’angoisse qui me prend à la gorge.
J’ouvre. Un homme me tourne le dos. Il a des bras musclés et de larges
épaules. Son T-shirt serré fait ressortir sa carrure. Ses cheveux couleur noisette
sont coupés court. Je crois le reconnaître, mais il devrait être en Californie, alors
je ne comprends pas…
— Liam ?
Il se retourne lentement et me sourit. Son corps de géant fait barrage au
soleil derrière lui. C’est bien lui. Liam Dempsey. Il ravive tant de souvenirs que
je sens mon visage se décomposer.
Accueillir Mark et Jackson ici, c’est déjà une épreuve pour moi, mais Liam,
je vais en mourir… Il enlève ses lunettes, et j’aperçois une lueur dans ses yeux.
— Salut, Lee. J’étais dans le coin et j’ai eu envie de passer te dire bonjour.
Le soleil fait miroiter ses yeux bleus, et je m’efforce de rester impassible.
J’en aurai besoin, s’il vient pour me parler d’Aaron.
Je ne ressens rien… Je ne souffre pas.
— Je ne savais pas que la Californie et la Virginie étaient des États voisins.
Aux dernières nouvelles, tu étais toujours à l’Ouest…
Mon ton monocorde ne trompe personne, mais ça m’est égal. J’arrange mes
longs cheveux blonds sur le côté et m’accroche à la porte.
Je prends une seconde pour le regarder. Il a l’air plus grand, plus large que
dans mon souvenir, mais peut-être que je n’ai pas côtoyé assez de monde, ces
derniers temps. Quelque chose a changé en lui. Son torse remplit plus l’espace. Il
s’est un peu laissé pousser la barbe, et sa forte mâchoire n’en est que plus
manifeste. J’ai beau être en deuil, je ne peux m’empêcher de remarquer à quel
point il est beau.
— Je peux entrer ? me demande-t-il doucement.
C’est le meilleur ami d’Aaron, son partenaire de nage, son frère en toutes
circonstances. Liam a fait partie de notre vie pendant si longtemps que le revoir
me rend la perte d’Aaron plus prégnante encore.
J’ouvre la porte et lui fais signe d’entrer.
Respire, Natalie… Il partira bientôt.
— J’ai essayé d’appeler, me dit-il en jetant un coup d’œil autour de lui.
— Ah, je n’avais pas vu.
C’est un mensonge, mais le serment qu’il a fait à Aaron le conduit à
dépasser les bornes, et je n’en peux plus ! J’ai commencé à ignorer ses appels
parce qu’il veut évoquer le passé. Me parler de ses souvenirs d’eux sur le terrain
ou, pire encore, de mon mariage. Il a aussi cette troublante façon de voir juste. Il
sait comment lire à travers les gens en général et moi en particulier.
Il se promène dans la maison en souriant un peu ; ses yeux brillent
malicieusement.
— J’en suis sûr. On n’a pas beaucoup parlé, depuis que je suis rentré en
Californie.
Parce que je ne veux pas.
Mais je retiens les mots et j’opte pour une réponse plus douce :
— Rien n’a changé, tu sais.
Tant de choses ont changé, en réalité…
— Aarabelle a grandi, et tu as l’air d’aller mieux, dit-il en posant ses clés et
son téléphone sur la table.
— Merci.
Il sourit et me prend dans ses bras.
— Je n’ai plus peur que tu évites mes appels, déclare-t-il en me libérant.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que je vis ici, maintenant.
Quoi ?
Encore une mauvaise blague ?
3

— Cache ta joie ! J’étais dans le coin et j’avais envie de savoir comment tu


allais, puisque tu « manques » mes coups de fil…
Son regard se tourne vers le drapeau qui recouvre la cheminée. Il est à sa
place et me rappelle chaque jour que c’est l’unique chose qu’il me reste d’Aaron.
J’ai envie de le jeter par la fenêtre, de le déchirer, le brûler. Je le hais parce que
c’est Aaron que je veux auprès de moi, pas une marque symbolique des services
qu’il a rendus à la nation !
— Je suis heureuse de te voir, Liam. Simplement, je ne savais pas que tu
étais en permission, lui dis-je en prenant Aarabelle dans mes bras.
Ses yeux restent fixés sur le drapeau.
— Est-ce que c’est aussi dur que ça en a l’air, Lee ?
— Non, bien sûr que non…
J’aimerais détourner son attention et changer de sujet. Heureusement, il se
retourne, regarde Aarabelle et pose la main sur sa tête.
— Elle est très belle. J’ai quelque chose pour elle.
Je respire un grand coup en la serrant un peu plus fort contre moi.
— Ah oui ?
Il sourit et sort de sa poche un petit collier.
— Je l’ai acheté avant sa naissance, quand j’étais en mission. J’ai pensé que
ce serait bien pour une petite fille, mais bon… Comme moi, je n’en aurai
jamais…
Il affiche une moue amusée en faisant danser le collier devant mes yeux. Je
remarque la petite pierre verte suspendue à la chaîne. Elle est minuscule, toute
fine, mais magnifique, entourée de diamants.
— Liam, c’est beaucoup trop !
— Non, écoute, comme je te l’ai dit, ce n’est pas moi qui risque d’avoir un
jour des enfants. Pour ça, il faudrait d’abord que je trouve une fille qui puisse me
supporter.
Il laisse fuser un petit rire sarcastique et jette un coup d’œil par la fenêtre.
— Oui, je devine pourquoi ça risque d’être un peu compliqué pour toi…
Non, je plaisante ! Merci, en tout cas, c’est très beau.
— Elle aussi, elle est très belle.
— Je suis d’accord.
Il s’éclaircit la voix et poursuit :
— J’ai vu que sa voiture est toujours dans le garage. Est-ce que tu as déjà
pris contact avec le réseau des anciens combattants ?
Je hoche la tête en signe de dénégation, sans croiser son regard. J’ai remis à
plus tard toutes les formalités dont je devrais m’occuper. Clôturer les comptes
d’Aaron, son testament, vendre sa voiture, peut-être même cette maison. Mais je
ne veux pas.
— J’ai été occupée, dis-je.
Il se rapproche de moi et pose avec douceur la main sur mon épaule.
— Je peux t’aider, si tu as besoin.
Tout le monde offre son aide. C’est la chose la plus édifiante que m’a apprise
la mort. Les gens sortent de l’ombre pour vous tendre la main. Ils sont prêts à
venir faire la cuisine, le ménage, réparer le volet cassé, mais tout cela est
superflu. Personne ne sait trouver les mots, alors tout le monde essaye de faire
mais, au bout d’une semaine ou de quelques mois, l’envie d’aider s’évapore. Et
on n’a plus d’autre choix que d’affronter la vie.
Les gens oublient, ils vont de l’avant. Pas moi. Je reste plongée dans l’enfer,
jour après jour.
— Je vais bien, je lui assure en lui lançant un sourire artificiel. Mark et
Jackson sont là, si j’ai besoin d’eux. Et je suis sûre que tu as plein d’autres
choses à faire. Tu viens de déménager, et je sais que ça prend du temps de
s’installer.
— Je suis en congé et j’aime bien te tenir compagnie.
— Vraiment, Liam, je peux m’en sortir toute seule.
— Est-ce que j’ai dit que tu ne le pouvais pas ? J’ai dit que tu n’étais pas
obligée d’être seule. Tu peux compter sur le soutien des gens autour de toi.
Aaron était mon ami, toi aussi. Ne t’enferme pas dans ton orgueil, s’il te plaît.
Ses yeux plongent dans les miens. Qu’est-ce qu’ils ont tous à refuser de me
laisser faire comme je l’entends ?
— Bon, d’accord, dis-je à contrecœur.
— Ce n’est pas comme si tu avais le choix, je suis du genre tenace !
— Je m’en souviens…
Un silence étrange s’installe entre nous. Heureusement, Aarabelle se met à
remuer, et je reviens à elle.
— Tu as des nouvelles de Patti ? me demande Liam.
— Non, elle a disparu de la circulation depuis la mort d’Aaron.
Ma belle-mère n’a évidemment pas bien pris la nouvelle. Elle a coupé les
ponts avec nous tous, refuse de voir Aarabelle ou d’avoir une place dans ma vie.
Elle raconte que, si j’avais aimé Aaron, jamais je ne l’aurais laissé partir. Mais,
si elle avait bien connu son fils, elle aurait su qu’il n’y avait aucun moyen de le
garder à la maison.
Liam fait un pas vers la cheminée et pose la main sur le drapeau. Des photos
d’Aaron, en camp d’entraînement et lors de notre mariage, sont posées à côté du
drapeau et de sa broche trident. Liam s’appuie au mur de pierre et baisse la tête.
Il a les doigts serrés sur le rebord de la cheminée, et ses jointures deviennent
blanches. C’est comme si je n’existais plus. Les larmes menacent de me
submerger à nouveau, alors que je le regarde se recueillir en silence. Sa peine est
presque palpable.
— Je suppose que chacun gère sa souffrance à sa manière, murmure-t-il.
— Comment tu la gères, toi ?
Il détourne le regard et secoue la tête.
— Je l’ai appelé plusieurs fois. J’étais bourré et, je ne sais pas… C’était juste
naturel de l’appeler pour lui dire un truc stupide. La première fois, je suis tombé
sur son répondeur…
Brusquement, il se retourne vers moi et plante une fois encore son regard
dans le mien, comme s’il était pris au piège.
— Et toi ?
Mon masque d’indifférence tient bon, et je lui répète ce que je dis à tout le
monde :
— Je survis. C’est dur, mais je gère.
Il me connaît. Il est interrogateur pour la marine, et l’un des meilleurs. Je
viens d’oublier à qui je suis en train de débiter mes mensonges…
— Vraiment ? me demande-t-il, sans croire un mot de ce que je viens de lui
dire manifestement.
Il avance vers moi, carrant les épaules, et je sens qu’il teste mes réactions.
J’essaye de me souvenir de tout ce qu’Aaron m’a appris. Tenir mes positions, ne
pas bouger ou ciller, mais Liam est une autre paire de manches.
— Oui, dis-je fermement.
— Tu sais qui je suis, pas vrai ?
Sa main effleure mon poignet, et mon cœur bat plus vite. Je n’ai pas peur de
lui, mais il est le premier homme à me toucher avec cette douceur depuis la mort
d’Aaron. Nous ne sommes qu’amis, pourtant, mon cœur se serre.
— Arrête de mentir, Lee.
Il prononce ces mots d’une voix profonde. Je me retiens de trembler et ferme
les yeux. Je refuse qu’il voie ce que je m’efforce de cacher au plus profond de
moi-même. Mais il lit en moi, il a l’entraînement qu’il faut pour déceler la vérité
derrière mon baratin.
— Natalie…
Il me relève le menton, mais je garde les yeux fermés.
— Natalie, tu peux me le dire. Je ne peux pas imaginer qu’il irait bien si
c’était toi qu’il avait perdue… Il serait complètement paumé, devenu fou peut-
être, et il y aurait des meubles défoncés dans toute la maison. Tu as le droit
d’être triste, en colère, désespérée, tout ce que tu veux…
Ses mots glissent jusque dans mon cœur, et j’ouvre les yeux.
— Non, je ne peux pas. J’ai Aarabelle, je lui réponds en regardant mon bébé.
Je dois aller bien.
— Ce n’est pas vrai. Tu vas garder tout ça en toi et, un jour, tu vas exploser.
Je serre les dents et soupire profondément.
— Quel est ton calendrier de déploiement ? Tu vas rester dans la région ?
Il comprend que je cherche à faire diversion, bien sûr, mais je veux que cette
conversation cesse.
— Tu sais que je ne peux pas te le dire, mais je suis là pour toi. J’ai deux ou
trois choses à faire, et puis on pourra voir ensemble les affaires à régler.
— Je n’ai vraiment pas besoin d’aide.
En réalité, je ne sais même plus de quoi j’ai besoin. Aarabelle s’agite, et je la
berce doucement.
— OK… Moi, je dois préparer quelque chose pour mon prochain mois de
congé, alors tu vas m’aider.
— Et maintenant, c’est qui, le menteur ?
Il retrousse ses manches et me fait un clin d’œil.
— Je ne mens jamais.
Je me mets à rire, vraiment, sincèrement, pour la première fois. J’ai bien
envie de le contredire, mais Aarabelle commence à gigoter : elle a faim.
— Avec quelle équipe des Forces spéciales tu travailles, en ce moment ?
Je t’en prie ne me dis pas que c’est le numéro quatre !
Il soupire, hésite, et je devine.
— Quatre.
Il pose la main sur mon épaule et continue :
— Il devrait être avec moi.
— Non, c’est avec moi qu’il devrait être !
— Oui, c’est vrai.
Je peux voir la tristesse dans son regard. Cela nous fait souffrir tous les deux.
Aaron et lui étaient si proches que, si l’un des deux devait mourir, l’autre
mourrait immanquablement. Aaron m’avait parlé une fois de ce lien fraternel si
particulier. Contrairement à Mark et Jackson, Liam et lui étaient presque liés par
le sang. Ils s’étaient formés ensemble et, lorsque la sœur de Liam est morte,
Aaron a passé tout son temps à ses côtés.
— Je suis désolée, Liam.
— Pff, de quoi ? demande-t-il, comme si je venais de l’insulter.
— Vous étiez très proches. Je sais que c’est difficile pour toi.
Il se pince l’arête du nez.
— Est-ce que tu joues à ça ?
Je ne comprends pas où il veut en venir.
— Tu fais semblant, précise-t-il.
— Je ne sais pas ce que vous voulez, tous ! dis-je, exaspérée.
Il sourit, et j’ai envie de le gifler.
— Enfin, une émotion ! s’exclame-t-il, à deux doigts de m’applaudir. Je
reviens te voir bientôt. J’ai du travail.
— Crétin !
— Si tu le dis ! Prends bien soin d’Aarabelle.
Il m’embrasse sur la joue, dépose un baiser sur la tête d’Aarabelle et s’en va,
tandis que je reste plantée là.
Je ne vais pas réussir à me débarrasser de lui. Il est trop généreux, trop
honnête… Le jour où il a fait cette promesse à Aaron, il savait qu’il la tiendrait
coûte que coûte.
Il sera là pour moi, en toutes circonstances.
4

— Il y a quelqu’un ?
Reanell, ma meilleure amie, m’appelle depuis la cuisine.
— Par ici, Rea !
— Ah, tu es là. J’ai apporté quelques plats préparés par les amies, cette
semaine. Je les mets au frigo.
Sa générosité me réchauffe le cœur. Je me suis accrochée à elle, ces derniers
mois. Elle est venue ici, m’a apporté mes repas, a surveillé Aarabelle pour que je
puisse me reposer…
— Merci, mais je m’en sors, maintenant, tu sais.
C’était moi, auparavant, qui apportais mon soutien aux autres, moi qui aidais
les épouses de militaires morts au combat pour qu’elles continuent de voir du
monde. C’est amusant comme la vie abat ses cartes ! Aujourd’hui, je suis de
celles qui m’inspiraient de la compassion.
— Oh ! mais je n’ai jamais dit que tu ne t’en sortais pas. Maintenant, donne-
moi ce bébé.
Elle tend les bras et prend Aarabelle.
— Bonjour, princesse.
Elle la dorlote. Il est impossible de ne pas aimer Aarabelle…
— Alors ? me demande-t-elle.
— Alors quoi ?
— C’est qui, le gars, dehors, qui bidouille dans la voiture d’Aaron ?
— Quoi ?
J’ouvre grands les yeux et me rue à la fenêtre pour tirer le store.
— Qui pourrait trafiquer quelque chose avec la voiture ? Pourquoi tu n’as
pas appelé les flics ?
Je regarde l’allée, mais ne vois personne.
— Il m’a souri et saluée, alors je ne me suis pas inquiétée. En plus, il portait
un signe révélateur, alors j’ai supposé que tu acceptais finalement un peu d’aide.
— Comment ça, quel signe ?
Elle soupire, soulève Aara et la berce, tout en me répondant :
— Une montre G-Shock, des tatouages tribaux et puis ce truc : je-suis-un-
type-extraordinaire-demande-moi-ce-que-tu-veux… Le militaire par excellence !
— Je vais aller voir. Tu peux la surveiller ?
— Question stupide.
J’ouvre la porte et m’arrête aussitôt. Liam se tient devant moi, couvert
d’huile.
— Salut ! me lance-t-il.
— Salut, toi-même !
Je pose la main sur ma poitrine pour calmer mon cœur. Il essuie les siennes
avec un chiffon.
— Désolé, je ne voulais pas te faire peur. J’ai frappé, un peu plus tôt, mais tu
n’as pas répondu.
— J’étais avec Aara. Je peux savoir ce que tu fabriques ?
Il regarde ses vêtements, hausse les sourcils.
— J’ai réparé sa voiture.
— Je vois ça. Mais je veux dire, pourquoi tu travailles sur cette voiture ?
— Je t’aide.
Je pousse un long soupir en comptant jusqu’à dix.
Tu peux le faire, ma fille. Vendre ses affaires et mettre de l’ordre dans ta vie.
— D’accord. Bon. J’imaginais que j’aurais un peu de temps, mais…
— Il me reste encore quatre semaines de congé, et j’ai pensé qu’il vaudrait
mieux s’y mettre assez vite.
C’est le plus simple, mais je n’y suis pas du tout prête. Je sais que c’est la
meilleure chose à faire pour passer à autre chose, bien sûr, seulement, cela rend
cette nouvelle réalité si définitive… Mais la mort est définitive, alors pourquoi
lutter contre ?
— Tu as raison. C’est bien.
Il fait un pas en avant, et le regard qu’il me lance déclenche un frisson le
long de ma colonne vertébrale.
— Un jour, tu comprendras que me mentir n’a aucun sens, et ce mot ne fera
plus partie de ton vocabulaire.
Voilà pourquoi il est si bon dans ce qu’il fait.
— OK, si tu veux.
Je souris pour clore la conversation et ramène mes cheveux derrière mes
oreilles. Il se retourne sans un mot et se dirige vers l’allée.
— Eh ben, c’était intense !
Je sursaute en entendant Reanell derrière moi. J’avais oublié qu’elle était là,
à nous observer en silence. Je me tourne vers elle. Aarabelle est endormie dans
ses bras.
— C’est Liam, un ami d’Aaron. Il travaille avec l’équipe quatre des Forces
spéciales et il a décidé de m’aider, apparemment.
— Je veux bien qu’il vienne m’aider aussi, quand il aura terminé ici !
s’exclame Reanell en regardant par la fenêtre.
— Je doute que ton mari approuve, dis-je d’un ton réprobateur, avant de
m’affaler sur le canapé.
Elle rit et s’assoit dans le fauteuil à bascule.
— Mason n’est pas du genre jaloux…
Son mari est le commandant de l’équipe quatre. Elle peut toujours plaisanter,
jamais elle ne ferait quoi que ce soit en ce sens. Mais elle aime le taquiner et
l’embêter un peu.
— Tu as dit qu’il était dans quelle équipe ?
J’étends les jambes en ricanant.
— Quatre.
— Merde alors !
— Tu es vraiment conne, je lui réponds en riant.
C’est la deuxième fois de la journée que je ris.
— Eh bien, eh bien… On dirait qu’il y a quelqu’un qui t’aide, et pas
seulement pour les formalités !
— Pourquoi ?
— Parce que tu ris.
— Je riais avant aussi.
— Non, tu faisais semblant de rire. C’est la première fois que tu ris sans que
ça te fasse du mal. D’accord, tu as monté un super numéro de masque jusqu’à
présent, mais je pense que ce mec, Liam, est un vrai magicien, me susurre-t-elle
avant de quitter la pièce.
Peut-être l’est-il, après tout. Ou peut-être est-il simplement la première
personne à refuser que je lui mente.
5

— Avez-vous des questions, madame Gilcher ? me demande M. Popa,


l’agent envoyé par notre compagnie d’assurances qui doit me guider à travers le
dédale des formalités administratives.
— Je n’en suis pas sûre.
En toute franchise, je n’ai pas entendu un seul mot de ce qu’il vient de me
dire.
Liam, assis à côté de moi, intervient :
— Si, elle a une question : à quel numéro pourra-t-elle vous joindre ?
Il est là presque tous les jours, pour s’assurer que j’avance pas à pas dans ma
liste des démarches à effectuer. Cette liste, c’est même lui qui l’a dressée. Je ne
me préoccupe de rien de tout cela. Je me lève, m’assure que tout le monde
mange à sa faim, c’est tout. Je ne veux pas me soucier de ces autres choses, qui
n’ont aucune importance. Enfin, je suppose que ce rendez-vous en a tout de
même, puisque je ne travaille pas encore et n’ai plus de revenus. Je dois faire
attention à tout, alors que je suis à peine opérationnelle.
— Bien sûr, voici ma carte. Madame Gilcher, une fois les formulaires signés,
l’argent vous sera transféré au plus tôt. Mais il faut absolument que nous
entamions ces démarches, il y a déjà du retard.
— Merci, monsieur Popa. Nous restons en contact.
Liam lui serre la main et le raccompagne jusqu’à l’entrée. Puis il revient
s’asseoir près de moi et m’attire contre lui dans un geste protecteur. Je me laisse
faire.
— Les choses iront mieux, maintenant ? je lui demande.
Personne ne peut le savoir, en réalité. Même les autres épouses qui ont perdu
leurs maris et me disent que ça va mieux ne vont pas si bien que ça. Amy a
perdu le sien l’an dernier dans une fusillade et se demande encore chaque jour
comment elle fait pour se lever et respirer. Jillian m’a confié que la seule
solution pour se sentir à nouveau vivante avait été pour elle de se débarrasser de
toutes les affaires que Parker avait touchées. Je ne peux pas faire ça. Prétendre
qu’Aaron n’a pas existé ne fera pas disparaître mon chagrin.
Mais m’occuper de toutes les tracasseries administratives liées à son décès,
c’est douloureux.
— Je ne suis pas sûr, me répond Liam avec son honnêteté habituelle.
Dieu merci, il ne me ment jamais, ne me dit pas ce que j’ai envie d’entendre.
Il est toujours franc, sans jamais se montrer blessant. Ces dernières semaines, je
me suis mise à compter sur lui plus que je ne l’aurais cru possible. Son amitié est
tellement précieuse pour moi !
— Moi non plus, je ne suis pas sûre.
— Pourquoi est-ce qu’on ne sortirait pas faire quelque chose avec
Aarabelle ? suggère-t-il soudain.
Je vois une lueur d’excitation dans ses yeux bleus.
Il est là chaque jour depuis deux semaines ; il passe son temps à prendre soin
de moi d’une manière ou d’une autre.
Qui pourrait croire qu’un beau gosse célibataire mette sa vie entre
parenthèses pour s’occuper de la veuve de son meilleur ami ?
— Tu n’es pas obligé de jouer au baby-sitter, tu sais, ça va aller.
— Je te dérange ? demande-t-il avec une moue vexée.
— Non ! Mais tu es célibataire, tu devrais sortir, t’amuser, au lieu de passer
ton temps avec moi.
— Arrête ! J’ai beaucoup de plaisir à être avec toi. Je veux dire, pour une
fois que je suis avec une fille qui n’essaye pas de me mettre le grappin dessus…
J’éclate de rire.
— Ce qui t’arrive assez souvent, non ?
Il me lance un regard complice.
— Eh bien, ce n’est pas pour me vanter, mais je suis connu pour avoir brisé
quelques cœurs… et quelques lits aussi.
— Ah ah ! casser des lits parce que tu as un gros cul, ça ne compte pas.
Il me regarde, l’air vraiment vexé, cette fois. Mais je sais que, s’il enlève sa
chemise, je verrai des muscles saillants et un corps parfaitement dessiné. On se
connaît depuis des années, et je ne compte plus les fois où je l’ai vu en maillot de
bain. En ce moment, autre chose se joue, mais il n’en saura rien.
— Moi, gros ? Vas-y, teste ! me défie-t-il.
Je me redresse et lui donne un petit coup dans les côtes.
— Tu ne pouffes pas comme les autres, quand je te touche ?
Il rigole.
— Tu ne devrais pas plaisanter à propos d’attouchements, Lee.
Il sourit, l’air malicieux.
— Pourquoi est-ce que tu ramènes toujours tout à ça ?
— Parce que je suis un mec, me répond-il comme si c’était une évidence.
Mais je vais aller faire un footing et quelques centaines de pompes, si tu me
trouves gros.
— Oh ! mon pauvre… C’est ce qui arrive à tout le monde, à ton âge.
Je plaisante, et c’est comme si une autre partie de moi refaisait surface, celle
qui sourit.
Il se tourne vers moi et m’observe attentivement.
— Faisons comme si tu ne m’avais pas traité de vieux gros il y a une
seconde à peine.
C’est ça, fais comme si…
Et je m’échappe aussitôt en direction de la cuisine.
Juste avant de passer la porte, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule.
Il est bouche bée.
— Tu vas voir si je suis gros ! lâche-t-il entre ses dents, alors que la porte se
referme derrière moi.
J’esquisse un petit sourire, mais une douleur commence à poindre en moi. Il
est trop tôt pour que j’aille bien. Je devrais être triste… Cela ne fait que six mois.
Pourtant, une partie de moi me dit : cela fait déjà six mois, vis !
Aaron n’aurait pas voulu que je demeure seule et triste.
— Tu as du café ? me demande Liam en entrant dans la pièce.
— Tu as oublié chez qui tu es ? dis-je en riant et en remplissant sa tasse. Une
maman seule ne peut pas vivre sans café.
— Merci.
Il porte la tasse à ses lèvres et l’avale presque cul sec.
— Je retourne travailler sur la voiture. Il y a deux, trois choses à faire, avant
de la vendre.
Je l’observe un instant. Il a toujours ce petit quelque chose de pétillant et de
malicieux dans le regard. La barbe de trois jours qu’il entretient lui donne un air
rugueux. Bien sûr, son corps est incroyablement attirant, mais, même s’il sait
qu’il est beau, il ne cherche pas à en jouer. Il est détendu.
— OK, je vais aller marcher un peu sur la plage, pendant qu’Aarabelle est
encore au lit.
Je passe le comptoir, pose la main sur son épaule.
— Merci, Liam, j’apprécie beaucoup tout ce que tu fais pour moi.
Sa main recouvre la mienne.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que je suis là.
Il me tapote gentiment la main, et je m’écarte de lui en attrapant le
babyphone, un léger sourire aux lèvres. C’est bon qu’il soit là !
En ouvrant le placard, je tombe sur la tasse préférée d’Aaron. Celle que je lui
ai offerte pour notre dernier anniversaire. Il y a un petit mot écrit dessus :
Personne ne t’aime autant que moi.

Soudain, le passé me submerge.

* * *

— Aaron, arrête !
Je ris. Il m’attrape par la taille et me fait tomber avec lui dans le sable.
Il me chatouille, alors que je me débats. J’essaye d’échapper à son emprise,
même si je sais que c’est impossible.
— Si tu m’aimes, arrête.
Immédiatement, ses mains cessent leur manège, et il place ses paumes
derrière ma tête.
— Personne ne t’aimera jamais autant que je t’aime.
Ma main remonte le long de son bras, et je lui caresse la joue.
— Aucune femme ne t’aimera jamais comme je t’aime.
— Aucune femme ne s’approchera de moi.
— Il y a intérêt !
Il roule sur le côté et me serre contre sa poitrine. Je me repose et me détends
complètement entre ses bras.
— Est-ce que tu as déjà pensé à ce que tu ferais, si je mourais… ?
Sa question m’effraye.
— Parfois.
Cela fait trois ans qu’il part régulièrement en mission, et je mentirais si je
lui répondais que je n’y pense pas. Il est déployé presque tous les six mois et, à
chaque fois, c’est de plus en plus difficile. Je l’aime, je veux qu’il soit près de
moi, mais je comprends son devoir. C’est dur d’aimer quelqu’un et de savoir
qu’un jour il peut ne pas rentrer à la maison. Mais renoncer à lui est
impensable. Je suis née pour cette vie — toutes les femmes ne sont pas faites
pour être épouses de militaires, encore moins de Forces spéciales. Il faut
pouvoir aimer profondément, être solide et savoir qu’à tout moment la vie peut
basculer.
On se dispute parfois, comme tout le monde, mais Aaron et moi voulons cette
vie. Nous avons vu tant d’amis traverser des infidélités et des divorces ! Nous,
notre amour est toujours là. Dans trois jours il sera parti, et je profite autant que
je le peux du temps passé à ses côtés.
— Si ça arrivait, je voudrais que tu puisses aimer à nouveau, Lee, dit-il en
m’embrassant sur le front. Promets-moi que tu trouverais quelqu’un d’autre.
Je ne veux pas promettre. Je ne veux pas envisager cette possibilité, alors je
garde le silence.
Il s’impatiente, me force à plonger les yeux dans les siens. Son regard s’est
durci. Il ne lâchera pas le morceau.
— Promets-le-moi, Lee !
— Rien ne va t’arriver, alors je n’ai pas besoin de te faire de promesse. En
plus, est-ce que tu voudrais vraiment que quelqu’un d’autre partage mon lit ?
Pas moi.
— J’ai besoin de savoir que tu seras aimée. Que, si je meurs, tu auras
quelqu’un auprès de toi pour te protéger.
Ses mots me touchent autant qu’ils me révoltent.
— Je n’ai pas besoin qu’on me protège !
— Natalie, me dit-il tendrement. Je sais que tu es forte, ma chérie. Je sais
que tu n’as pas besoin de protection mais, moi, j’ai besoin de savoir que tu
trouveras quelqu’un pour prendre soin de toi.
— Je n’ai vraiment aucune envie de parler de ça !
Il me ramène contre sa poitrine.
— Je comprends, mais je ne veux pas partir sans cette certitude.
— Alors ne pars pas.
Un rire lui échappe et lui secoue la poitrine, parce que nous savons tous les
deux qu’il n’a pas le choix et que, pour rien au monde, il ne manquerait à son
devoir.
— Très bien, dis-je à contrecœur, je te le promets.
J’espère que c’est le genre de promesse que je pourrai rompre.

* * *
Une larme me tire de mes souvenirs. Je dois sortir de cette maison ! Je me
lève de ma chaise et me précipite sur la terrasse. Je voudrais pouvoir tout oublier.
Aaron me parlerait de dignité et de courage. Il me dirait qu’il a toujours espéré
mourir pour une noble cause. Moi, j’ai l’impression que sa mort ne sert à rien.
Je descends vers la plage. La marée monte, et les vagues déferlent jusqu’à
mes pieds. Le vent souffle fort et me gifle le visage. Je ferme les yeux. Je reste
là, dans le sillage des vagues, j’essaye de sentir sa présence.
— Aaron, tu me manques, je chuchote dans le vent. J’ai horreur de ton
absence. Je voudrais que tu puisses voir à quoi ressemblent les jours pour moi.
Notre fille grandit tellement vite ! J’ai besoin de toi. Elle a besoin de toi.
D’autres larmes coulent sur mes joues, alors que je lui parle.
— Et je ne peux pas tenir la promesse que je t’ai faite.
— Lee, tout va bien ?
Une voix profonde et douce interrompt mon recueillement. Je me retourne.
Liam approche.
— Oui, je vais bien, dis-je en essuyant mes larmes.
Il continue d’avancer vers moi.
— Je t’ai vue sortir en courant, et tu ne m’as pas répondu quand je t’ai
appelée.
J’ai baissé la garde, je suis vulnérable, et il le voit.
— Je vais bi…
— Ne dis pas « bien » ! Tu ne vas pas bien. Tu pleures. Et tu n’as jamais été
une menteuse, alors ne commence pas maintenant. Viens là.
Il m’ouvre les bras, je m’approche de lui et me laisse aller contre sa poitrine,
alors qu’il referme sur moi son étreinte. Toutes les émotions si longtemps
retenues se déchaînent dans mon cœur, et je pleure.
— Pourquoi est-il parti ? Pourquoi n’est-il pas resté avec moi ? Je hais cette
vie ! Je suis tellement seule ! Je voudrais qu’il soit là. J’ai tant besoin de lui ! Il
me manque au point que ça me fait mal de respirer ! Mon Dieu, ce n’est pas
juste !
Mes doigts s’agrippent à sa chemise.
— Non, ce n’est pas juste, dit-il en me caressant le dos.
— Mais il est parti, et maintenant je passe chaque jour de ma vie à regretter
qu’il ait pris cet avion. Il avait terminé son service, il n’aurait jamais dû mourir !
Mes jambes menacent de me lâcher, mais Liam me tient fermement.
— Tu es si forte, Lee.
Je lève les yeux, et son regard dit tellement de choses…
— Mais ne sous-estime pas à quel point c’est dur.
Ses mots m’enveloppent, et je sais qu’il dit la vérité. Je suis forte, mais une
part de moi reste vulnérable. Je ne veux plus jamais connaître une telle
souffrance, alors j’ai construit une forteresse pour nous protéger, ma fille et moi.
— Je ne sais plus où j’en suis. Pardon.
— Natalie, bon sang ! Arrête de demander pardon ! Est-ce que tu as pleuré
une seule fois depuis qu’Aaron est mort ? Est-ce que tu t’es seulement autorisée
à être triste ?
Je fais un pas en arrière, et il me retient par le poignet. Les yeux baissés,
j’essaye de rassembler les quelques forces qu’il me reste.
— J’ai souffert, dis-je en lui lançant un regard amer. Je souffre encore, mais
quel bien cela peut-il me faire de pleurer ? Il est mort, ça ne le fera pas revenir.
J’ai une fille, une maison, un emprunt à rembourser et une tonne d’autres choses
dans la tête !
Les mots jaillissent de moi sans retenue.
— Va-t’en ! Pars en mission ! Moi, je me bats avec la réalité qui me revient
en pleine figure tous les jours. Je suis seule, Liam. Tout ce qu’il me reste, c’est
ce putain de drapeau et ma douleur. Alors oui, je souffre, tu ne peux pas
imaginer à quel point.
Il lâche mon bras et fait un pas hors des vagues.
— Parce que tu penses que les missions me changent les idées ? On se
souvient toujours de ceux qu’on a perdus, quand on part. On se regarde et on sait
qu’au retour l’avion comptera peut-être une personne en moins. Je connais les
risques et je vis pour ça. Mais j’ai horreur qu’il y ait ce drapeau sur ta cheminée.
J’aurais fait n’importe quoi pour échanger ma place avec la sienne. Parce que,
moi, je ne laisse pas une famille derrière moi.
Je fais un pas vers lui et ferme les yeux. Je sais ce qu’ils ressentent les uns
pour les autres. Pour Aaron, c’était « à la vie à la mort » avec ses amis militaires.
Il a passé tant de nuits à me raconter qu’il était prêt à recevoir une balle plutôt
que de voir blessé l’un des siens ! Je me souviens de ma colère, de mon
incompréhension, et d’avoir pensé qu’il était stupide de préférer mourir à leur
place, en ignorant combien cela me ferait mal. Il m’embrassait et me disait que
c’était comme ça.
— C’est ce qu’Aaron voulait.
Liam lève les yeux, et nos regards se croisent. Je sais qu’il aurait tout donné
pour prendre sa place, mais les choses se sont passées autrement et il est là, pour
moi, chaque jour. Il m’aide, me fait rire et sourire, prend soin de nous.
— Il voulait quoi ? me demande-t-il, confus.
Ses mains se crispent, et je m’avance vers lui pour le prendre dans mes bras
comme il l’a fait pour moi un peu plus tôt.
— Mourir comme ça. Avec la certitude que c’était pour quelqu’un ou
quelque chose. Si Mark ou Jackson étaient morts, il se serait détesté d’être
encore en vie. Il a toujours voulu mourir en héros, auréolé de gloire. Mourir pour
une grande cause. Je ne sais pas pourquoi.
— Moi non plus, mais j’aurais volontiers échangé ma place avec la sienne. Il
avait deux bonnes raisons de vivre : Aarabelle et toi.
Il prend mes mains dans les siennes.
— Est-ce que ça va aller, Lee ?
J’ai ma fille et toute la vie devant moi. Je mérite d’être heureuse. Il est
d’ailleurs temps de commencer.
Je hoche légèrement la tête en levant les yeux vers lui.
— Je pense que oui.
— Je le pense aussi.
6

— Toc toc ?
Je reconnais la voix de Reanell, alors qu’elle pousse la porte.
— Oui, ma chérie, qu’y a-t-il ? je lui demande, avec un rire dans la voix.
Elle me toise de son regard inquisiteur.
— Oh ! mais, dis-moi, tu es particulièrement gaie, ce matin !
C’est que j’ai décidé de changer d’attitude. Je peux persévérer dans ma
tristesse et ma morosité ou me souvenir d’Aaron tel qu’il était : un militaire de la
marine, un héros et mon époux, pas le martyr que j’ai fait de lui. Je retourne
travailler dans quelques semaines, et il y a plein de gens autour de moi pour me
soutenir. Il est temps de recommencer à avancer.
— Qui ne sourirait pas en voyant une jolie fille comme toi ?
— Est-ce que ce ne serait pas plutôt l’effet du beau gosse torse nu, dehors,
en train de travailler dans le hangar ? me demande-t-elle en jetant un œil par la
fenêtre. Ce n’est pas possible, les hommes comme lui sont là uniquement pour
nous torturer !
Je regarde derrière elle et réprime un gémissement. Elle s’imagine des
choses… Cela dit, Liam a de quoi troubler. Les muscles de son dos se tendent et
ondulent, lorsqu’il soulève une planche pour la clouer. Idem pour ses biceps,
quand ses bras se plient. Son visage dégouline de sueur et, tandis qu’il s’essuie le
front, je lutte contre l’envie de continuer à le dévorer des yeux. Je tourne la tête,
mais le fixe encore du coin de l’œil.
Reanell s’éclaircit la gorge et hausse les sourcils, moqueuse.
— Ça alors ! Qu’est-ce qui t’arrive ?
— Rien du tout ! Comment ça ? je proteste, comme si je ne savais pas de
quoi elle voulait parler.
— Rien du tout ? Bon, d’accord.
— Non, absolument rien à signaler.
— Moi, je crois qu’il y a beaucoup à signaler, au contraire…, dit-elle en
reportant son regard vers la fenêtre.
Je dois détourner son attention.
— Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu es une femme au foyer surexcitée qui
aurait bien besoin d’un job ?
— Parfois. Mason apprécie que je fasse du lèche-vitrines sans rien acheter…
— Ah oui, ça, c’est bien la seule chose que tu n’achètes pas…
— Bien vu. Je n’achète pas non plus tes tentatives de faire diversion. Je t’ai
vue le bouffer des yeux.
— Non. Je ne suis pas du tout prête à penser à ça. On change de sujet,
d’accord ?
— Pas question ! Pas avant que tu admettes qu’il est sexy.
— Qu’est-ce que ça peut faire, si je pense qu’il est sexy ? je demande en
toussant.
Reanell sourit, les mains posées sur les hanches.
— Avoue !
— OK, il est sexy.
— Je le savais !
Je lève les yeux au ciel et me retiens de l’étrangler…
— De toute façon, si tu m’avais affirmé que tu ne lui trouvais rien, je me
serais inquiétée. Au fait, on peut peut-être travailler un peu, pendant
qu’Aarabelle fait sa sieste ?
Mon regard glisse vers la cheminée, et mon cœur vacille. Je sens la présence
d’Aaron partout dans la maison et je ne suis pas prête à le quitter. J’ai déjà tant
perdu ! Je ferme les yeux un instant et pense à lui, à sa voiture qui n’est plus
dans le garage, à notre bébé. Je continue d’être ravagée par la colère et la
tristesse, mais il faut bien aller de l’avant.
— D’accord.
Nous passons les heures qui suivent à ranger des papiers et des bricoles. Je
souffle et transpire à force de monter et descendre l’escalier, des cartons dans les
bras.
Quand la journée s’achève, je suis morte de fatigue, mais je me sens un peu
plus légère. Les choses s’organisent. J’en ai assez, pourtant, une partie de moi ne
veut pas arrêter. J’ai peur que l’énergie dont je dispose en ce moment ne soit plus
là demain.
Avant que je puisse en parler à Rea, elle consulte l’heure et fronce les
sourcils.
— Je dois y aller. Mason veut dîner tôt et, moi, je veux un nouveau sac à
main.
Elle est terrible.
— Comment vous conciliez les deux ?
— Il aime manger, et j’aime le style de Michael Kors. Il mourra de faim, si
je n’ai pas mon nouveau sac ! lance-t-elle en me faisant un clin d’œil.
— Ça me semble tout à fait raisonnable, dis-je avec un brin d’ironie. Je vais
continuer un peu. Merci beaucoup pour ton aide.
Elle m’embrasse sur la joue.
— Je suis fière de toi, Natalie. Je sais que c’est difficile, mais il était temps
de s’y mettre.
— Tu sais que ça fait déjà sept mois aujourd’hui…
— Qu’il est mort ?
— Oui, c’est fou, non ? Aarabelle est si petite que j’oublie le temps qui
passe.
Reanell s’assoit sur le canapé.
— Je pense que c’est pareil pour nous tous. Tu étais enceinte quand il est
mort, et Aara a décalé le temps en quelque sorte. Mais c’est une bonne chose,
elle t’a permis de t’accrocher.
— Peut-être.
— La présence de Liam t’aide aussi, non ?
Je réfléchis à ce qu’elle me dit et j’essaye de trouver de quoi la contredire,
mais elle a raison. Liam m’a forcée à assumer les choses à faire, ces derniers
temps. En quelques semaines, il s’est occupé d’une montagne de démarches qui
m’auraient demandé des mois…
— Il m’a énormément aidée, oui.
— Je ferais bien de filer, moi ! Je suis heureuse que tout se passe bien. Tu as
l’air d’aller mieux.
— Merci, je le pense aussi.
— Ne fais rien que je ne ferais pas ! me dit-elle, narquoise.
Je réponds d’un hochement de tête, et elle se sauve.
Aarabelle fait sa sieste dans le parc à bébé. Elle a mangé et joué un peu, et
j’ai environ une heure devant moi, avant qu’elle me réclame à nouveau. Je
décide de suspendre les rideaux du salon qui attendent dans l’armoire depuis des
mois.
Je sors les outils dont j’ai besoin et j’installe l’échelle pour marquer sur le
mur l’emplacement de la tringle. Les reines de la déco d’intérieur et du bricolage
n’ont qu’à bien se tenir !
Une fois que tout est en place, j’attrape une vis, qui refuse d’entrer dans le
trou. J’essaye encore, et la vis me tombe des mains au moment où je tente de
manier la perceuse…
— Bordel ! je jure, alors que l’outil m’échappe.
J’entends Liam rigoler derrière moi en la ramassant.
— Ça te fait rire, Dreamboat ? je lui demande, tout en essayant d’ajuster la
vis.
Je sais que ça l’énerve quand on l’appelle par son surnom des Forces
spéciales… et j’en profite. Aaron se mettait en rogne quand je l’appelais Papa
Smurf.
— Je pense que tu as décidé de m’assommer.
— Pas du tout ! J’essaye juste de…
Je me bagarre avec la vis qui refuse d’obéir.
— Et cette foutue perceuse est cassée !
— Tu l’as montée à l’envers, me dit-il en riant toujours et en grimpant
derrière moi sur l’échelle.
— Descends ! je lui crie, alors que son poids fait légèrement bouger mon
perchoir.
Son visage effleure ma nuque.
— Appuie sur ce bouton-là. Tu ne vas pas tomber, c’est moi qui vais me
casser le cou.
Je me retiens de frissonner quand il soulève ma main et appuie sur la
perceuse.
— D’accord, tu veux peut-être que je t’envoie un coup de coude…
J’essaye de plaisanter pour ne pas penser à son corps collé au mien, ce corps
que j’ai longuement observé, émerveillée.
Il ne fait que t’aider, Natalie !
— Je te ferai tomber avec moi, si tu me pousses. Maintenant, appuie fort et
enfonce-la dans le trou.
Mon emprise sur la perceuse mollit, et je m’exclame :
— C’était de très mauvais goût !
Nous éclatons de rire et, soudain, je deviens hystérique. J’ai mal au ventre
tellement je ris.
— Tu as l’esprit tordu !
— Pas du tout ! C’est toi qui m’as dit : « Appuie fort et enfonce-la dans le
trou. »
Je me mets à rire de nouveau. Liam s’appuie sur moi, alors que nous
essayons tous les deux de retrouver notre sérieux.
— OK, dit-il en soupirant à son tour. Maintenant, vérifie qu’elle est bien
placée dans le trou.
— Mais ce n’est pas vrai ! Descends ! Je n’en peux plus.
— Tu renifles !
Il m’aide à descendre de l’échelle.
— C’est ta faute.
— Bon, mais mets cette vis dans le trou.
— Arrête ! lui dis-je, hilare, en me tenant à l’échelle et en pleurant de rire.
Mais il continue sur sa lancée :
— Si tu ne sais pas comment la mettre, je peux t’aider…
Le fou rire ne nous lâche plus, et j’entends Aara qui commence à pleurer.
— Ah ! là, c’est ta faute !
Je lui donne la perceuse.
— Va chercher Aarabelle, moi, je m’assure que tu n’as pas besoin de refaire
le mur, propose-t-il.
Je pose la main sur ma poitrine pour me calmer et déclare d’un ton
dramatique :
— Oh ! mon héros…
Il imite une révérence de chevalier servant, la perceuse à bout de bras, et je
le laisse à ses puissants outils. Peut-être est-il vraiment un faiseur de miracles,
après tout.

* * *

Un peu plus tard, Liam a accroché tous les rideaux et s’attaque à quelques
photos que j’ai retrouvées dans les cartons. Aarabelle joue gaiement dans sa
balancelle.
— Un peu plus à gauche.
Il s’efforce de positionner les cadres comme je le lui indique.
— Ici ?
— Hum, peut-être un peu plus à droite, mais un chouïa, juste.
Je pouffe intérieurement en le voyant secouer la tête, exaspéré par mes
indications.
— Lee, je vais vraiment tout jeter par la fenêtre, si tu continues de changer
d’avis ! grogne-t-il en replaçant la photo où elle se trouvait l’instant d’avant.
Je fais un pas en arrière en essayant de ne pas rire, parce que je trouve ça
vraiment très drôle.
— Tu sais, lui dis-je pour l’embêter, je me demande si je ne devrais pas
plutôt la mettre dans l’entrée…
Et je me mords les lèvres pour ne pas éclater de rire.
Il râle et repose la photo. Je l’entends grommeler dans son coin et, quand il
se retourne vers moi, je le regarde innocemment en battant des cils.
— On fait une pause, d’accord ?
— Non, je veux l’accrocher maintenant, je lui réponds sournoisement.
Il explose de rire.
— Tu es une sacrée emmerdeuse, tu le sais, ça ?
— Oui, mais il faut bien que quelqu’un t’emmerde un peu… Où est-ce que
tu pourrais trouver quelqu’un pour le faire, sinon ?
— Au boulot !
— Ah oui, c’est vrai. Mais… Je veux dire… Il n’y a sans doute personne, là-
bas, qui te traite de vieux gros. Quoique, je n’en suis pas si sûre, en fait, j’ajoute
pour le provoquer et lui rappeler notre discussion de l’autre jour.
— Retire ça tout de suite !
— Jamais !
— Tu cherches vraiment la bagarre, hein ?
— Tu vas perdre, j’ai de l’entraînement !
Il se met à courir vers moi, et je pique un sprint jusqu’à la cuisine en riant et
en refermant la porte derrière moi. Je suis morte, mais je ne peux pas retirer ce
que j’ai dit.
Je m’appuie contre le battant en espérant que j’aurai assez de forces pour
l’empêcher d’entrer.
— Pourquoi tu t’enfuis en courant, si tu es si bien entraînée, dis ? je
l’entends me demander.
Merde. Je suis piégée.
7

— Liam, je te rappelle que j’ai plein d’objets coupants à disposition dans la


cuisine…
Il lance en ricanant :
— Tu oublies que je suis entraîné pour le combat au couteau ?
— Heu… OK. Est-ce que je peux dire « pouce », alors ?
— Peut-être…, répond-il, puis plus rien.
Après quelques secondes de silence, je demande encore :
— Liam ? Pouce ?
Pas de réponse. Où est-il parti ? J’entends Aarabelle dans le babyphone : je
ne peux pas rester là indéfiniment.
— Liam ?
Rien à nouveau. Deux options s’offrent à moi : rester bloquée ici ou avoir le
courage de lui faire face. Je peux le faire ! J’ai mis un enfant au monde, enterré
mon mari, et je suis toujours vivante. Je vais lui montrer.
Doucement, j’entrouvre la porte, mais ne le vois pas. Bon… Je fais un pas
dans le couloir et regarde autour de moi. Personne. Ces mecs savent être discrets.
Aaron adorait me faire des frayeurs au moment où je m’y attendais le moins.
Liam est probablement caché derrière une porte ou dans une armoire, et il va
surgir d’un coup pour me faire hurler.
— Liam ? dis-je en me dirigeant furtivement vers le salon.
Lorsque je me retourne, il est là, Aarabelle dans les bras, et me toise avec un
petit sourire narquois.
— Sauvée par le bébé.
— Je n’ai pas peur de toi.
— Menteuse ! Mais tu as gagné pour cette fois.
Je ris et tends les bras pour reprendre Aarabelle.
— J’aime entendre ça, Lee.
Je le regarde sans comprendre. Il s’avance alors vers moi et repousse mes
cheveux derrière mes épaules.
— Ton rire. Ça faisait longtemps…
J’ouvre la bouche mais je ne dis rien, le regarde dans les yeux. Il m’a
ramenée à la vie… Presque. Il m’a rendu le sourire, et je m’en suis à peine rendu
compte. Sa présence ici a aidé la femme que j’étais à refaire surface.
— Je…
J’ignore ce que je peux ajouter, en fait.
— Je vais devoir y aller, mais je voulais te donner ça… Je l’ai trouvée dans
la boîte à gants d’Aaron.
— Quoi ?
Il sort une enveloppe de sa poche, et je comprends à son air de quoi il s’agit.
La fameuse lettre qui commence par « Si tu lis ces mots… ». Je ne l’ai pas reçue
après sa mort. Je pensais qu’il l’avait jetée en apprenant qu’il quittait la marine,
que nous n’en aurions plus besoin. Dans le cas contraire, il aurait laissé à Mark
ou à Jackson le soin de me la transmettre. Mais elle est là. Je la prends.
— Est-ce qu’il y avait autre chose ?
J’espérais retrouver son alliance. Après l’explosion, aucun de ses effets
personnels ne m’a été envoyé. Peut-être l’avait-il laissée aussi ?
Il tient dans la main une autre lettre, et sa peine me laboure le cœur.
— Celle-ci est pour moi, m’indique-t-il.
— Je ne sais pas si je suis prête à lire ça, lui dis-je en toute franchise.
— Tu la liras quand tu voudras. J’ai des choses à faire de mon côté.
Il enfile son manteau et m’embrasse sur le front avant de partir.
Je reste un moment sans bouger. J’ai envie de lire la lettre d’Aaron, mais pas
maintenant, pas avec Aarabelle dans les bras. J’ignore comment je vais affronter
ça. Je la pose sur la table pour y revenir plus tard.

* * *

La soirée passe et je mets Aarabelle au lit. Je m’affale ensuite, épuisée, sur le


canapé, et me tourne vers la cheminée. Sa lettre est là, et je ne peux lutter contre
l’envie de lire ses mots. Il me manque tant, j’imagine que cela m’aidera à le
sentir à nouveau près de moi.
La gorge sèche, je déchire l’enveloppe. Mon cœur bat à toute vitesse dans
mes oreilles, et l’angoisse monte en moi. Suis-je prête à lire les mots d’adieu de
mon mari ?
J’inspire longuement, je compte jusqu’à trois. Mes mains tremblent. Je sens
un léger souffle de vent et je sais qu’il est là, avec moi.
Je me mords la lèvre en pensant à ce qu’il me dirait : « Allez, du cran,
Natalie ! Lis-la. » Je souris à cette évocation. Des larmes me brouillent la vue, je
m’essuie les yeux et commence à lire.
Lee,

Si tu lis ces mots, c’est que je ne suis plus de ce monde. Je n’ai pas tenu ma promesse
de revenir auprès de toi, même si cette promesse, je n’étais pas vraiment autorisé à la
faire. Sache que je ne suis pas parti de bon cœur. Je voulais partager ma vie avec toi
— pour toujours. J’aimerais de tout mon être que tu n’aies jamais à me lire. D’abord
parce que je ne suis pas doué pour ces choses-là, ensuite, parce que ça voudra dire
que j’ai échoué. Je suis un soldat des Forces spéciales — je suis même parmi les
meilleurs, les soldats d’élite, intouchables.
Si nous sommes formés comme nous le sommes, il y a une raison : nous faisons ce que
personne d’autre ne peut faire à notre place. Alors, d’une certaine façon, j’ai
déconné. Je me suis retrouvé dans une situation où j’ai échoué, malgré mon
entraînement. Je suis désolé.
Ma vie a changé le jour où nous nous sommes rencontrés au cours de Mme Cook. Tu
t’es assise à côté de moi, et j’ai su aussitôt que j’étais fichu. Et puis, je t’ai vue avant
le match de la fête annuelle. Tu portais une jupe qui m’a rendu fou, et j’ai presque
foutu le match en l’air à me demander comment t’inviter à sortir avec moi.
J’ai passé des semaines à te répéter que j’étais un type incroyable, et tu as fini par
accepter. J’étais aussi fou que si j’avais gagné au Loto ! Tu étais mon premier prix.
Qu’est-ce que je dis ? Tu ES mon premier prix. On est allés dans ce restaurant
horrible, mais tu n’as pas arrêté de sourire. Quand je t’ai raccompagnée chez toi et
que tu m’as embrassé avant que j’aie le temps de faire une blague idiote, j’ai su qu’un
jour je me marierais avec toi. J’ai su que tu serais la femme avec qui j’aurais envie de
passer toutes mes nuits. Parce que tu es tout pour moi, Lee. Tu es mon soleil, mes
étoiles, et tout ce qu’il y a au milieu.
Tout le monde dit que dans ces lettres d’adieu on fait de grands discours sur des trucs
qu’on ne connaît pas. J’ai dû recommencer celle-ci douze fois. Je veux seulement te
dire ça : je t’aime. Je t’aime depuis toujours et je t’aimerai même après ma mort.
Je ne peux pas te conseiller sur la suite parce que, bon, je suis mort, et puis, de toute
façon, tu n’en feras qu’à ta tête. Mais tu m’as fait des promesses. Tu mérites d’avoir
la vie que tu voulais… Une vie avec un homme qui t’aime plus que lui-même. Un
homme qui te donnera une famille et l’amour dont tu as besoin. Si nous avons des
enfants, j’espère que tu leur trouveras un père. Ils en auront besoin. Quelqu’un pour
leur montrer comment on shoote dans un ballon ou comment on invite une fille à
sortir, comment se méfier des mecs stupides qui ne veulent qu’une chose… Si nous
avons une fille, elle n’aura pas le droit de sortir avec des garçons… Jamais ! Assure-
toi qu’aucun ne tournera autour d’elle. Parle-leur de nous. Dis-leur combien je les
aurais aimés. S’ils demandent pourquoi je ne suis plus là, explique-leur que je les ai
protégés. Je ne suis pas un homme orgueilleux, mais je suis fier de la vie qu’on avait.
Tu étais près de moi, tu m’as encouragé et tu as fait de moi un homme meilleur.
J’ai commis des erreurs, mais tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. Tu m’as
aimé alors que, sans doute, je ne le méritais pas encore. Sache que lorsque je ferme
les yeux, le soir, c’est toujours ton visage que je vois. Et, quand je rendrai mon dernier
souffle, ce sera en prononçant ton nom. Sans toi, je n’existerais pas.
Aime-moi quand je ne serai plus là.

Aaron.

Les larmes coulent, et je serre la lettre contre ma poitrine.


— Je t’aimerai toujours, Aaron, je murmure en espérant que, d’une manière
ou d’une autre, il m’entende.
8

Liam

— Fait chier !
Je hurle en donnant un coup de poing dans l’arbre, et mes phalanges me font
crier de douleur. Puis je me remets à courir. Je dois reprendre l’entraînement,
être prêt pour rejoindre l’équipe. Je ne peux pas rester assis là et ne pas être au
meilleur de ma forme, mais je passe toutes mes journées chez elle. Je n’arrive
pas à m’éloigner, je ne peux pas m’empêcher de me demander comment elle va.
C’est comme une drogue. Alors, je cours, je cours pour cesser de penser à elle et
à Aarabelle. Mais son rire, son sourire qui illumine la pièce et dont j’aime tant
être responsable ne me quittent pas. Il faut que ça s’arrête !
J’ai la musique à fond dans les oreilles. Compter, respirer, se concentrer sur
la course. Uniquement sur cela. Ne plus penser à ses cheveux blonds. Ne pas se
demander si elle a lu la lettre, ni si elle a pensé à appeler la société hypothécaire.
Parce que je ne suis pas son… quoi que ce soit… Je suis l’imbécile qui ne la
laissera pas tomber, parce qu’il a fait une promesse à son meilleur ami. Du
moins, c’est ce que je me martèle. Je ne suis rien pour elle et ne pourrai jamais
être quoi que ce soit. Je ne devrais même pas y penser.
J’accélère, puis m’arrête brusquement pour faire des pompes. Elle va voir si
je suis vieux et gros !
À cet instant, mon téléphone sonne ; on m’appelle de Californie.
— Allô !
— Dreamboat ? C’est Jackson.
— Salut, Muffin, quoi de neuf ? dis-je en essayant de reprendre ma
respiration.
J’ai rencontré Jackson Cole un paquet de fois. Aaron travaillait pour lui
quand il a quitté la marine, et nos équipes étaient déployées en Afrique. Nous
n’étions pas vraiment proches, mais on a bu des coups plusieurs fois ensemble.
— Pas grand-chose. Je voulais savoir comment va Natalie et si elle a besoin
de quelque chose.
Je sais par elle que la mort d’Aaron l’a beaucoup touché. Il s’est senti
responsable. Il s’est fait tirer dessus, quand il est parti enquêter et chercher ce
qu’il restait d’Aaron. Mais ce n’est pas comme s’il y avait eu grand-chose à
rapporter.
— Elle se remet sur pied. Elle s’est longtemps entêtée, mais elle a fini par
accepter qu’on s’occupe de certaines choses.
Il soupire, et je me demande à quoi il s’attendait. Cela ne fait que sept mois.
Personne ne serait prêt à faire beaucoup plus que ce qu’elle fait.
— Elle commence à travailler pour moi cette semaine, et je voulais
m’assurer que tout était en ordre.
J’avais oublié ça. Merde.
— Oui, bien sûr. Je suis sûr qu’elle se débrouillera très bien. Mon congé se
termine dans quelques jours, et on ne sait pas encore à quoi ressemble le
calendrier de déploiement.
— Tu es dans l’équipe quatre maintenant, pas vrai ?
— Positif, chef.
Comme la conversation semble vouloir se prolonger, je m’adosse à l’arbre.
— Comment va Cathy ?
Il lâche un petit rire.
— Je m’adapte.
— Elle le mérite ?
— Tu n’imagines pas !
— Tant mieux.
Ce n’est pas une vie pour une femme. Des allers-retours incessants. Des
mois d’attente, puis l’appréhension de voir l’autre partir à nouveau. Je ne
comprendrai jamais comment ces types peuvent être assez fous pour épouser
quelqu’un. Ce n’est pas juste. Moi, je ne veux regretter personne, quand je suis
sur le terrain.
Jackson rit encore, comme s’il devinait quelque chose que j’ignore.
— Un jour tu oublieras tout ce que tu penses aujourd’hui, pour elle.
Mes pensées me ramènent spontanément vers Natalie et Aarabelle. J’en
souris presque sans m’en apercevoir. Bordel ! Je ne suis pas censé tomber
amoureux d’elle. Je n’en ai pas le droit !
— Ou pas, je réponds.
J’essaye de ne plus y songer, parce que je suis sûr que ce n’est rien.
— Un jour, répète Jackson.
Je passe tellement de temps chez elle, à l’aider à accrocher des photos au
mur, à tondre la pelouse, à m’occuper de choses et d’autres. Il n’y a rien de plus.
Je vais tout verrouiller avant que ça évolue, parce que Natalie est mon amie, et la
femme de mon meilleur ami.
— Un jour peut-être, je concède. Mais maintenant, je dois courir.
Littéralement.
Et me sortir tout ça de la tête !
— Fais attention à toi. Je serai bientôt à l’Est. Peut-être qu’on pourra prendre
un verre ensemble.
— Pourquoi pas, Muff.
Je raccroche et je mets un tube de Jay Z en espérant tout oublier dans les
solos de guitare électrique.
J’essaye de me concentrer sur les arbres qui défilent et sur mes muscles, qui
vont me détester après l’effort, et puis je pense à la lettre qui m’attend dans la
voiture. Qu’est-ce qu’Aaron a bien pu nous écrire ? Ma lettre à moi se trouve
dans l’étui de ma carabine et elle est adressée à ma mère. Je n’en ai pas écrit
pour les amis. Je recommence à penser à Natalie. Comment va-t-elle ? A-t-elle
lu la sienne ? Aaron a-t-il écrit quelque chose qui la replongera dans la tristesse
ou qui lui fera du bien ?
Je me retourne et m’élance sur la piste, plus vite qu’auparavant.
Une fois que j’ai atteint la voiture, je jette mon téléphone sur le tableau de
bord. Je ne peux pas retourner là-bas. Je ne suis pas son petit ami et ne le serai
jamais.
J’ai besoin de me détendre et décide de téléphoner à un pote qui habite près
d’ici.
— Quoi de neuf, mon salaud ? demande-t-il sans préambule en prenant
l’appel.
— Salut, couillon ! J’ai besoin de sortir, ce soir. T’es de la partie ?
— Le Hot Tuna ? C’est plein de jolies filles.
— C’est parfait, j’ai besoin de me sortir quelqu’un de la tête.
— On se retrouve là-bas vers 10 heures.
Je raccroche et me laisse aller en arrière sur mon siège. Mes jambes crient au
supplice après le parcours que je viens de faire. Je sais que chaque fois que
j’aurai une minute de répit je penserai à Lee et Aarabelle, je me demanderai ce
qu’elles font.
Tu ne peux pas aimer cette petite, mec !
Elle ressemble tellement à Aaron, en plus mignonne… Dans quoi je me suis
embarqué, bordel de merde ? À quel moment, au cours de ces dernières
semaines, est-ce que tout a basculé ? C’est Lee, nom de Dieu ! La fille aux
cheveux en bataille, qui porte des pantalons de sport et pas de soutif, que je
connais depuis huit ans. Je l’ai vue pratiquement nue et, même s’il fallait être
aveugle pour ne pas y regarder à deux fois, je n’ai jamais éprouvé autre chose
que de l’amitié pour elle. Alors qu’est-ce qui a changé ?

* * *

— Salut, mec ! Je n’étais pas sûr que tu viendrais.


Quinn se rassoit, une bière à la main.
— J’étais crevé après ma course.
Quinn et moi sommes amis depuis quelques années. Nous sommes restés en
contact après être allés dans le même camp d’entraînement, dans le Nevada.
Quand j’ai appris que j’allais être muté dans l’équipe quatre des Forces
spéciales, j’ai été content de savoir que je connaissais au moins quelques gars.
— Ça fait longtemps qu’on ne t’a pas vu, dis donc !
— J’étais occupé, dis-je en faisant signe au serveur de m’apporter une bière.
Il me regarde en souriant.
— Occupé, c’est ça…
— C’est bien ce que j’ai dit.
Il hoche la tête et regarde le jeu qui passe à l’écran. Je jette un coup d’œil
dans la salle. Il a raison. Cet endroit est plein de filles qui cherchent à attirer
l’attention. Et elles ne le font même pas avec subtilité. Tant mieux pour moi.
— Alors, qu’est-ce qui se passe ? On n’a pas eu de nouvelles.
— J’ai aidé Natalie à mettre de l’ordre dans la paperasse et d’autres trucs.
Etant donné qu’Aaron n’était plus en service, la marine ne l’aide pas beaucoup.
— Oui, j’ai entendu ça. Aaron était vraiment un type bien. Ça fait chier qu’il
soit mort comme ça.
Il trinque avec moi, et nous buvons tous les deux une gorgée.
— C’est tellement bizarre, toute cette affaire !
— Qu’est-ce que tu veux dire ? demande-t-il en me regardant comme si
j’étais né de la dernière pluie. Une bombe artisanale en Afghanistan ? Dis-moi
où c’est bizarre.
Mon instinct me souffle qu’il y a eu autre chose que cette explosion.
— Pourquoi est-ce qu’il était là, putain ? Pourquoi sa caravane a-t-elle été
touchée ? Je sais que ces connards n’en ont rien à foutre et tirent sur tout ce qui
bouge, mais les types qui bossent pour Jackson ne sont pas stupides. Ils
connaissent la région. Ensuite, Cole s’est fait tirer dessus, quand il y est allé. La
question c’est : qui prend son entreprise pour cible, et pourquoi ?
Le truc, avec lui, c’est qu’il est facile à décrypter. C’est pour ça qu’il est
sniper dans notre équipe, et pas stratège.
— Ne commence pas à chercher la merde là où il n’y en a pas ! Aaron a été
tué par une bombe, et tu l’as dit toi-même : ces connards s’en foutent. Ils l’ont
tué parce qu’ils pouvaient le faire. C’est simple et clair. Et pourquoi Jackson a
été touché ? Parce qu’il est Américain — tout est dit.
— Bien sûr, dis-je pour le calmer.
Mais je continue de penser que tout n’est pas aussi simple et clair. Quinn est
trop bête, ou trop centré sur lui-même, pour s’en préoccuper.
Il obéit aux ordres sans réfléchir. Moi, en revanche, je n’y arrive pas.
— Salut, vous deux, fait alors une voix derrière nous.
Les yeux de Quinn s’agrandissent quand il comprend que nous avons de la
compagnie. Je me retourne : deux femmes nous ont rejoints, l’une, brune aux
faux seins, l’autre, blonde aux cheveux longs ramenés sur le côté, qui a l’air
carrément chaude.
— Salut, les filles.
— La place est prise ? demande la blonde en se mordillant la lèvre.
— Qu’est-ce que tu me proposes ?
Elle s’assoit en souriant dans le fauteuil à côté de moi et se penche en avant.
J’ai une vue imprenable sur son décolleté, et ça commence à me démanger au
niveau de l’entrejambe.
— Comment tu t’appelles ? me demande-t-elle.
— Liam.
Je me rapproche d’elle.
— Alors, Liam… Moi, c’est Brit. Tu me payes un whisky, et on verra ce que
j’ai en magasin ?
En temps normal, ce genre de comédie m’énerve mais, ce soir, Brit semble
être juste ce qu’il me faut.
Les heures passent. Nous buvons et discutons avec sa copine Claire et elle.
Elles nous supplient presque de passer la nuit avec nous. Je ne comprendrai
jamais ce que ces filles ont dans la tête. Est-ce qu’un homme aurait envie de
présenter à sa mère une fille qu’il pourrait mettre dans son lit le premier soir ?
Ce n’est clairement pas le genre de fille avec qui je ferais ma vie… Je vais me la
faire et passer à autre chose.
— Je pense que je suis trop bourrée pour conduire, me chuchote Brit à
l’oreille.
— Tu veux que je t’emmène faire une promenade ?
Elle hoche la tête et s’humecte les lèvres avec la langue, d’un petit air
innocent. Elle m’excite.
— Allons-y, alors, dis-je en ouvrant mon bras.
Elle se colle contre mon torse.
— Oui.
9

Natalie

— Chut, tout va bien, Aarabelle.


Elle pleure depuis deux heures, rien ne l’apaise, et je commence à
m’inquiéter. Il est presque 2 heures du matin, et je ne sais pas ce qui lui arrive. Je
lui ai donné un médicament pour faire baisser la fièvre, un peu plus tôt, mais rien
à faire.
Elle hurle de plus en plus fort, et je n’arrive pas à la calmer. Comme la fièvre
n’a pas l’air de baisser, je reprends sa température, et mon cœur fait un bond
quand le résultat s’affiche : 40,6 °C ! Je jette ses affaires et mon téléphone dans
le sac bébé pour la conduire d’urgence à l’hôpital.
Quand je me retourne pour la lever, elle est prise de convulsions.
— Oh ! mon Dieu ! Non !
Je me précipite vers elle. Elle agite les bras, les yeux révulsés, et la panique
m’envahit. Je la serre contre moi, sens son petit corps qui tremble et je fonds en
larmes. Ça ne dure qu’une minute, mais c’est horrible !
— Aarabelle ! je crie, alors qu’elle se remet à pleurer.
Je retourne vers le sac pour prendre mon téléphone et je compose le numéro
d’urgence, tout en la gardant contre moi.
La voix calme de l’assistante se fait entendre :
— Services d’urgence, j’écoute.
— C’est ma fille, elle fait une crise. Je ne sais pas. Elle a… beaucoup de
fièvre… Je ne sais pas quoi faire !
Mes paroles sont hachées. J’essaye de garder la tête froide, mais je suis
épuisée et j’ai les nerfs à vif. Aarabelle pleure de plus belle. Je la couche dans
mes bras et la berce.
— Est-elle consciente, madame ?
— Oui, elle pleure et elle a une forte fièvre. Je l’ai posée pour me préparer à
l’amener à l’hôpital, et elle s’est mise à trembler, j’explique en pleurant.
Je n’ai plus de forces. Mon cœur bat à toute vitesse. Je regarde Aara en
priant pour que ça n’arrive pas de nouveau.
— D’accord… Quelle est votre adresse ? Je vous envoie une ambulance.
Je la lui donne, et elle reste en ligne, tandis que nous attendons les secours.
Quelques minutes plus tard, les ambulanciers sont là. Tout en examinant
Aara, ils me demandent de prendre son siège-auto. Je remets mon téléphone dans
le sac, attrape mes affaires et monte dans l’ambulance.
— OK, Aara, ça va aller. Maman est là, lui dis-je pour la rassurer en
l’installant dans son siège. On sera bientôt à l’hôpital, d’accord ?
Elle se remet à pleurer, et je lutte pour ne pas pleurer moi aussi. Je n’ai
jamais eu aussi peur de ma vie ! La voir prise de convulsions m’a terrifiée. Je
crois que je ne survivrais pas, s’il lui arrivait quelque chose.
Les gyrophares et la sirène de l’ambulance envoient leurs signaux dans la
nuit, tandis que nous roulons vers les urgences de l’hôpital pédiatrique.
— Sa fièvre est toujours élevée, mais on devrait arriver à l’hôpital de Kings’
Daughters dans quelques minutes, madame, me dit un jeune infirmier.
C’est à peine si je le regarde, je suis trop occupée à surveiller Aarabelle pour
faire attention à ce qui se passe autour de moi. Elle a arrêté de pleurer, mais je ne
sais pas si c’est bon signe. L’ambulance stoppe et on nous conduit dans une
salle, où deux femmes nous attendent. L’une d’elles s’avance vers moi.
— Bonjour, madame Gilcher. Je suis le Dr Hewat. Qu’est-ce qui lui arrive ?
Je lui raconte ce qui s’est passé et combien Aarabelle a été agitée toute la
soirée. Elle l’examine et m’explique que les infirmières vont lui faire une
intraveineuse pour calmer la fièvre au plus vite et procéder à quelques tests.
La seconde femme, une infirmière, installe l’intraveineuse, vérifie que le
dispositif de contrôle fonctionne et m’indique comment appeler en cas de
problème.
Aara finit par s’endormir d’épuisement, et j’ai un peu de temps pour
analyser la situation.
Plus tard, l’infirmière revient prendre sa température.
— Est-ce que ça a baissé ? je demande, inquiète.
— Pas encore, mais le médicament peut mettre un peu de temps à faire effet.
Elle me sourit avec compassion et quitte la chambre.
J’envoie un message à Reanell pour lui indiquer où nous sommes et pour lui
demander de me rappeler, dès son réveil. Il n’y a pas de raison de l’inquiéter.
— Monsieur…
Le rideau s’écarte soudain.
— Tu es là ! s’exclame Liam.
Il a l’air angoissé.
— Liam ?
Je me lève ; il regarde Aarabelle. Il a le visage très pâle. L’infirmière le
repousse.
— Madame, voulez-vous que j’appelle la sécurité ?
— Non, merci, tout va bien.
Je m’avance vers lui ; il observe Aara de nouveau.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Tu m’as appelé, tu ne te souviens pas ? Tu ne m’appelles jamais,
d’habitude, alors j’ai pensé que quelque chose n’allait pas. Tu m’as parlé de
l’hôpital, mais tu ne répondais pas à mes questions. J’ai dû déposer quelqu’un et
je suis venu dès que j’ai pu.
Il a du mal à parler, et j’en suis émue. Il a l’air si préoccupé !
— Je suis désolée. Je ne me suis pas rendu compte que je te téléphonais.
— Pourquoi tu ne m’as pas demandé de l’aide ? insiste-t-il, et je vois
combien il est blessé.
— J’aurais dû ? Je peux prendre soin de ma fille toute seule.
Il ferme les yeux et laisse échapper un long soupir.
— Je n’ai jamais dit que tu ne pouvais pas, mais, bordel, pourquoi faut-il que
tu fasses ça toute seule ? Je suis ton ami, non ? Je t’ai dit que je veux être là pour
toi. Je pensais…
— Tu pensais quoi ?
Je vois dans ses yeux qu’il retient ses paroles.
— Je pensais que tu m’appellerais en cas de problème.
— Je suis désolée, je ne voulais pas te déranger.
Je ne sais que lui dire de plus. Il m’a déjà tant aidée ! Je ne veux pas me
reposer sur lui indéfiniment.
— Qu’est-ce qu’elle a ?
Je regarde Aarabelle qui dort et je lui caresse doucement les cheveux.
— Je ne sais pas. Elle a eu une forte fièvre puis des convulsions. J’ai appelé
les urgences, et on nous a conduites ici. Des analyses sont en cours. On en saura
plus dans quelque temps.
Liam s’assoit près de moi et pose la main sur la mienne. Je me mets à
pleurer en silence, en priant pour qu’Aara n’ait rien de grave. Je n’en peux plus.
Entre la lettre d’Aaron et ma fille qui tombe malade, je sens que je vais perdre la
tête !
Le Dr Hewat revient dans la chambre, le regard fixé sur des feuilles de
papier.
— Bonjour… Monsieur Gilcher, je suppose ?
Je tourne le regard vers Liam, qui esquisse un léger sourire.
— Non, je suis juste un ami.
— Excusez-moi.
— Est-ce qu’elle va bien ? je demande, impatiente d’avoir des réponses.
Elle me regarde, puis regarde Aarabelle.
— Pour l’instant, j’ai quelques données qui me permettent d’écarter
certaines hypothèses, mais j’ai besoin de procéder à une analyse supplémentaire.
Sa fièvre ne retombe pas, alors je dois être sûre. Ses résultats indiquent qu’il
s’agit très probablement d’une infection. On viendra bientôt lui faire l’examen.
— Qu’est-ce que vous recherchez, exactement ?
— Attendons de voir les résultats, me répond-elle, avant de quitter la pièce.
— Tout ira bien, affirme Liam pour me rassurer.
— Oui, tout ira bien, et Aaron rentrera bientôt à la maison… C’est ça ?
— Lee…, dit-il d’une voix triste.
Je voudrais avoir la même confiance que lui. Ce doit être agréable d’être de
l’autre côté, de ne pas attendre, ni s’inquiéter. Ils s’en vont, ils sont dans l’action.
Ils se battent et ne donnent aucune nouvelle, tandis que leurs familles les
attendent et s’inquiètent pour eux… Personne ne sait s’ils vont bien. Tout le
monde en souffre, mais compose avec. Maintenant je suis à l’hôpital, plusieurs
mois après ce drame, et je me demande si ma fille va s’en sortir.
Je pose la tête sur l’épaule de Liam. Je suis épuisée, physiquement et
émotionnellement. Qu’est-ce que la vie va encore m’envoyer dans la figure ?
Une fois de plus, je dois être solide.
Aarabelle se repose, et je ferme les yeux. Liam m’entoure de ses bras, et
j’accepte la tendresse qu’il me donne. Je respire son odeur — il sent le musc et
le santal —, et cela m’apaise. J’aime respirer l’odeur d’un homme ; c’est l’une
des choses qui me manquent, particulièrement de ces hommes-là — dont il se
dégage une force, une confiance et une aura de domination. Ils sont maîtres de
l’espace qui les entoure.
Je me concentre sur l’instant présent et ce sentiment de sécurité retrouvé que
j’éprouvais lorsque Aaron me prenait dans ses bras. Je pense à sa lettre, dans
laquelle il m’engage à aimer à nouveau.
Pourrais-je donner à un autre le droit de me tenir dans ses bras ? Je ne sais
pas. Mais l’étreinte de Liam, en cet instant, me donne envie de rester ouverte à
cette possibilité.
Je sens soudain qu’on me secoue gentiment et j’ouvre les yeux. L’odeur de
l’hôpital me monte au nez, et je réalise que j’ai dû m’endormir.
Je me frotte les yeux, me redresse, et Liam s’étire. Son T-shirt remonte sur
ses abdos.
Regarde ailleurs, Natalie.
— Madame Gilcher ?
Je hoche la tête et fixe l’infirmière.
— Oui ?
— Nous allons emmener Aarabelle passer un scanner. Il y en a pour quarante
minutes environ. Vous pouvez nous accompagner et attendre à l’extérieur ou
rester ici.
— Je viens, dis-je sans hésiter une seconde.
Il est hors de question qu’on m’éloigne de ma fille !
Liam pose la main sur mon épaule.
— Je vais courir chercher du café, pendant ce temps. Tu as besoin de
quelque chose ?
Mon cœur vacille. Il est si attentionné !
— Non, tout va bien. Merci d’être là.
— Je serai toujours là pour toi, Lee.
— Je sais, tu le lui as promis.
Il me soulève le menton de son index et m’oblige à le regarder. Ses yeux
bleus brillent, sans que je puisse dire ce qui se passe dans son esprit. J’ai envie
de détourner le regard, de rompre ce lien, parce que je le sens devenir de plus en
plus fort. J’éprouve quelque chose pour lui et je le refuse. Je ne suis pas prête.
C’est trop tôt. Pourtant, ce sentiment est là, il fait son chemin en moi, et je suis
terrifiée à l’idée que Liam s’en rende compte. Je voudrais fermer les yeux, mais
je n’y arrive pas. Peut-être qu’au fond j’ai envie qu’il voie ce que je ressens pour
lui, mais, mon Dieu, je suis folle !
— Va avec Aarabelle, me dit-il en laissant retomber sa main.
Je me sens virer à l’écarlate et je ferme les yeux. Merde ! J’ai eu tort. Il ne
ressent probablement rien pour moi.
— Madame ?
L’infirmière m’appelle, tout en débloquant les roues du lit d’Aarabelle.
— Je suis prête.
J’éprouve des sentiments pour lui. Des sentiments qui n’auraient pu trouver
pire moment pour se révéler. C’est trop pour moi. Je dois penser avant tout à
mon bébé. Ensuite, peut-être, pourrai-je penser à moi et à ce qui se passe dans
mon cœur.
10

L’attente est terrible, mais il faut en passer par là.


— Tu devrais rentrer chez toi, dis-je à Liam, tout en me blottissant dans ses
bras.
Je voudrais qu’il ait envie de partir. Ce qui est stupide, dans la mesure où il
me sert d’oreiller en ce moment même. Mais, s’il voulait partir, peut-être que le
sentiment tenace qui m’obsède finirait par me quitter aussi.
Il s’affaisse dans le fauteuil, et moi contre lui. Il rit, et je sens les vibrations
de son rire dans sa poitrine. Il est 5 heures du matin, et personne ne dort, sauf
Aarabelle.
— Je peux partir tout de suite, si c’est ce que tu veux vraiment.
J’ai des papillons dans le ventre en entendant ces mots. Qu’est-ce que je
veux, au juste ? J’aimerais bien le savoir.
— Non…
La réponse m’échappe.
— J’ai besoin de mon oreiller, je vais continuer à t’utiliser un peu…
— Tu peux m’utiliser autant que tu veux, Lee.
Je peux répondre ou ne pas relever. Feindre de ne pas considérer ces paroles
comme autre chose qu’une réponse anodine.
Je choisis la seconde option, aidée en cela par l’équipe d’infirmiers qui
s’occupe de nous et qui a le meilleur ou le pire timing du monde, selon le point
de vue : une infirmière entre à cet instant pour voir comment va Aara, et je me
redresse pour être auprès d’elle.
— On contrôle seulement, m’explique-t-elle en prenant la température
d’Aarabelle.
Debout près de mon bébé, je sens la peur me ronger à petit feu. Je me
demande si la fièvre a baissé et, sinon, quelle est la prochaine étape.
Elle regarde le thermomètre et fait « non » de la tête. Aara est toujours aux
alentours de 38 °C, mais, au moins, elle est hors de danger.
— Est-ce que les résultats du scanner sont disponibles ?
— Je vais me renseigner, mais le docteur vous verra dès qu’on saura quelque
chose. La température n’augmente pas, c’est bon signe, dit-elle en souriant et en
me prenant la main.
Je hoche la tête. J’espère que c’est bon, en effet. J’aurais préféré qu’Aara ne
soit pas malade, mais Liam est ici, et sa présence me fait du bien.
Attendre seule aurait été un supplice sans nom. Liam somnole dans le siège
inclinable, et je réprime une envie de pouffer de rire en voyant ce grand type
baraqué de deux mètres de long, recroquevillé dans cette chaise minuscule. Ses
pieds touchent presque le berceau où Aarabelle est endormie, et ses mains
effleurent le sol.
Le spectacle est comique. Ses cheveux en bataille et sa barbe de trois jours
lui donnent l’air encore plus adorable. Il a toujours été très beau, mais plus je le
regarde, plus je remarque certains détails. Les petites rides au coin de ses yeux et
la cicatrice sur son avant-bras, qui le rendent encore plus attirant… Il rendra une
femme très heureuse, un jour, c’est sûr !
— Est-ce que tu as fini de me reluquer ? marmonne-t-il en ouvrant un œil.
Je suis foutue !
— Je ne te reluquais pas. Je me demandais si tu étais mort, vu que tu ne
bougeais plus, dis-je en détournant le visage pour qu’il ne me voie pas rougir.
— Mouais…, fait-il en riant dans sa barbe.
— Quoi qu’il en soit, tu es vieux et gros, je lance.
Il se redresse d’un bond, et je me retrouve soudain dans son ombre. Il fait un
pas vers moi, un petit sourire aux lèvres. Mes yeux restent rivés aux siens. Il se
trompe, s’il pense que je vais reculer. Il avance encore, et aucun de nous ne
détourne le regard. Je lis l’hésitation dans ses yeux. Il est aussi incertain que
moi, mais nous sommes tous les deux trop têtus pour lâcher prise.
— Aaaaah…
Aarabelle se met à pleurnicher, et je mets fin à notre petit jeu pour me
pencher vers elle.
— Hé, ma chérie !
Je la soulève délicatement. Elle est toujours chaude et commence à s’agiter.
Pourquoi est-ce que cette maudite fièvre ne veut pas tomber ?
Liam pose la main sur mon épaule pour me rassurer, comme s’il sentait mon
désarroi.
— J’appelle l’infirmière, dit-il en se retournant pour appuyer sur le bouton.
Mais, avant qu’il fasse un geste, le Dr Hewat entre dans la chambre.
— C’est bon, on a les résultats du scanner et des tests sanguins, annonce-t-
elle d’emblée en nous regardant, pleine d’empathie. Elle a une infection urinaire
qui affecte les reins, d’où la forte fièvre. Il faudra lui donner des antibiotiques et
vérifier que ses reins fonctionnent correctement. Je veux aussi surveiller la fièvre
parce qu’elle a eu des convulsions, mais ça devrait aller. Je vais vous faire une
ordonnance.
Je soupire, soulagée. Enfin. Elle va guérir, Dieu merci !
— Est-ce que la fièvre va diminuer ?
— Elle devrait, oui. Pouvez-vous la remettre dans son lit pour que je
l’ausculte ?
Je couche Aara, et le médecin s’approche, écoute son cœur et son abdomen.
— Elle va bien. Une fois que les antibiotiques feront effet, la fièvre
retombera et tout reviendra à la normale.
Elle me serre la main.
— En attendant, il faut qu’elle reste hydratée et sous surveillance.
— D’accord.
Je hoche la tête. Aarabelle tend les bras pour que je la reprenne. Je me
penche pour la récupérer et la serrer contre moi, en remerciant le ciel que ce ne
soit rien de grave. Elle est devenue tout pour moi, et je ne survivrais pas si je
devais enterrer dans la même année mon mari et ma fille. Je ne peux même pas
m’autoriser à y penser.
Liam caresse son petit visage, les yeux pleins de tendresse pour elle. Cet
homme est si incroyablement bon ! Il aurait pu choisir d’être n’importe où
ailleurs en ce moment, mais il est là, avec nous, et je lui en suis très
reconnaissante.
Je pose la main sur la sienne et je sens une décharge électrique me parcourir
le bras jusqu’à l’épaule. Nous nous regardons, et je me fige. Lui retient sa
respiration, comme s’il avait ressenti la même chose.
J’enlève précipitamment la main. J’ai besoin de quelques secondes pour que
mon cœur se calme et je fais le tour du berceau d’Aarabelle. Je dois garder mes
distances. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Liam est mon ami, l’ami
d’Aaron. Ce n’est pas correct.
— Lee ?
Sa voix me tire de mes pensées. Il s’apprête à faire le tour du lit également,
mais je lui fais signe de s’arrêter.
— Je vais bien. Je suis épuisée, mais je vais bien.
— Encore ce « bien » ! OK, j’ai compris.
Qu’est-ce qu’il y a ? Je vais bien…
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je suis fatigué, tu es fatiguée. Mais demain, si tu es en forme pour une
petite dispute, je serai partant, me lance-t-il en bâillant et en s’affalant sur la
chaise derrière lui.
Puis il enfonce son bonnet sur ses yeux et sourit malicieusement.
Enfoiré !
11

— Alors ça y est, Miss Aarabelle ? Prête à rentrer à la maison ?


L’infirmière qui s’est occupée d’Aara durant son hospitalisation joue avec
elle, tandis que je l’installe dans son siège. L’intraveineuse a finalement eu
raison de l’infection, et la fièvre est tombée. Je n’ai pas dormi depuis quarante-
huit heures et je suis plus qu’impatiente de rentrer chez moi.
— Je dirais que oui, hein, mon cœur ? je demande à Aara en souriant.
J’ai tellement hâte qu’elle dise ses premiers mots ! Je ne me sentirais plus
aussi idiote avec ces conversations à sens unique…
— C’est bien qu’un beau gosse soit venu vous tenir compagnie, non ? ajoute
l’infirmière avec un regard plein de sous-entendus.
J’essaye de cacher mon amusement et pouffe discrètement.
— Oui, c’est un très bon ami.
— Oh ! alors vous n’êtes pas ensemble ? demande-t-elle en ouvrant des yeux
étonnés et en se mordant la lèvre.
— Non…
Je comprends soudain qu’elle a flashé sur Liam. J’en éprouve aussitôt un
léger pincement au cœur. Il ne m’appartient pas, mais il n’est sûrement pas fait
pour elle.
— Disons, pas encore, je reprends pour la dissuader de toute tentative de
séduction, tout en m’en voulant d’affirmer ça.
Je n’ai aucune raison d’empêcher Liam de faire des conquêtes féminines,
mais quelque chose en moi refuse de l’envisager avec cette fille ou de lui laisser
une chance.
— En tout cas, accrochez-vous bien à ce type-là parce que, avec ce sourire,
il va en faire chavirer plus d’une ! s’exclame-t-elle, avant de se mettre la main
sur la bouche comme si elle venait de dire une bêtise. Je suis désolée, je ne sais
pas ce qui m’a pris.
Je réplique en rigolant :
— Pas de souci, c’est vrai qu’il est agréable à regarder…
— Ça, on peut le dire !
Liam entre à ce moment-là dans la chambre, avec le regard amusé de celui
qui n’en perd pas une. Ça promet !
— Alors, les filles ? Vous êtes prêtes à y aller ? lance-t-il avec un petit rire
sournois.
Je secoue la tête et me mords la langue.
— Je peux sortir, si vous voulez continuer à parler de mon sex-appeal,
pouffe-t-il, tout en s’affalant sur la chaise où il a passé deux nuits d’affilée, parce
qu’il refusait de quitter Aarabelle.
Je fonce sur lui et lui enlève son bonnet.
— Ça ne te va pas très bien de jouer au frimeur, Dempsey !
J’éclate de rire en voyant ses cheveux qui partent dans tous les sens.
— Voilà, maintenant tu n’es plus sexy du tout pour personne !
Il se lève et s’approche de moi doucement. Son souffle chaud m’effleure le
cou, alors qu’il me chuchote à l’oreille :
— On sait tous les deux que ce n’est pas vrai.
Ses doigts me caressent doucement le bras, et je frissonne.
— Mais on peut toujours faire semblant de le croire, ajoute-t-il en me
saisissant la main.
Mon cœur se met à battre plus vite. J’aime ce contact plus que je ne le
devrais. Je n’arrive pas à expliquer ce qui se passe. Jamais il n’y a eu une telle
tension entre nous.
Soudain, il recule et me retire des mains son couvre-chef.
J’essaye de me calmer. Lui-même tente de prendre un air détaché, mais je
vois bien le désir dans son regard, même s’il est entraîné à ne pas montrer ce
qu’il ressent.
Très bien, je peux jouer à ce jeu-là aussi !
Je ramène mes cheveux derrière mon épaule et je penche légèrement la tête,
offrant ma nuque à son regard.
— Mais ce n’est pas faire semblant quand l’un des deux ne ressent pas la
même chose…, dis-je en attrapant le sac de couches (ce n’est vraiment pas sexy,
ça, Natalie), tout en essayant d’avoir l’air aguicheur.
Il ne croit pas un mot de ce que je viens de dire et laisse éclater un grand
rire.
— Bien tenté, ma chérie. On y va, maintenant ?
Il m’ôte le sac des mains avec désinvolture et me passe devant pour sortir de
la chambre.
— On dirait que maman a raté son coup, je murmure à Aarabelle en
attrapant le siège bébé dans lequel elle est sanglée.
Et je sors derrière lui.

* * *

— Quoi ? Tu veux dire qu’il est resté tout le temps à l’hôpital avec toi ?
Reanell n’en revient pas.
— Oui, il ne voulait pas partir.
Je m’assois sur le sofa avec ma tasse de café. Cela fait quelques jours,
maintenant, que nous sommes de retour à la maison, et Liam n’arrête pas. Il m’a
envoyé un message hier pour me souhaiter bonne chance pour mon premier jour
de boulot. Je n’ai pas répondu.
— Hum, fait Reanell en se tapotant la lèvre de l’index.
Nous essayons d’analyser la situation et de savoir si je me fais ou non du
cinéma.
— C’était quand même le meilleur ami d’Aaron, ajoute-t-elle.
— Je sais. Je pense qu’il a le sentiment de tenir la promesse qu’il lui a faite,
ce qui expliquerait pourquoi il a disparu, en quelque sorte, après nous avoir
déposées ici.
Elle me dévisage.
— Est-ce que tu as envie qu’il arrête ?
— Rea, je t’en prie, ça ne fait même pas un an ! Il est hors de question que je
veuille d’un autre homme. J’aime mon mari.
Elle vient s’asseoir près de moi.
— Je le sais, Natalie, mais tu es une femme. Et Liam est quelqu’un de bien.
Et puis, il a l’air de beaucoup tenir à Aara et toi. Est-ce que ce serait une si
mauvaise chose ?
J’ai l’impression d’avoir basculé dans une autre dimension : mon amie, celle
qui m’a toujours dit qu’elle entrerait au couvent si son mari devait mourir, parce
que ce serait trop dur, est en train de m’encourager à vivre cette histoire ?
— Oui, c’en serait une. D’abord, Liam n’a jamais eu de relation sérieuse
avec une fille, et je ne parle même pas du fait qu’il aurait affaire à une veuve
avec un bébé… Ensuite, il est dans les Forces spéciales ! Putain, Rea, il est
militaire ! Il peut mourir en mission. Pas deux fois !
L’angoisse me prend à la gorge.
— Hé, calme-toi ! me dit-elle en me prenant la main. Je ne dis pas que c’est
bien ou mal, je pense que, parfois, le cœur a envie d’aller là où ton cerveau
t’interdit de t’aventurer. Je ne sais pas si ton cœur et ton cerveau veulent quelque
chose.
— Ils ont envie de dormir.
Elle rit et me lâche la main.
— C’est pour ça que je suis là. Va faire une sieste. On ne parle plus de mecs.
Je suis contente qu’il soit venu à l’hôpital pour veiller sur toi. Tu en avais besoin,
et il a été là.
— Oui. Bon, je vais me reposer. Merci d’être venue pour surveiller Aara, je
ne peux même plus garder les yeux ouverts !
Reanell est un vrai cadeau du ciel. Elle m’a appelée, j’ai commencé à lui
parler de l’hospitalisation et j’ai entendu qu’elle faisait démarrer sa voiture pour
venir me retrouver. Entre épouses de militaires, nous nous considérons presque
comme des sœurs. Et, maintenant qu’Aaron n’est plus là, elles sont comme une
famille protectrice, particulièrement dans les Forces spéciales.
— Tu sais que je suis là pour toi, ma belle. Maintenant, va te reposer.
Je l’embrasse sur la joue avant de monter dans ma chambre. Je me glisse
dans mon lit en sous-vêtements, m’allonge et fixe le plafond. Je prends la lettre
d’Aaron sur la table de chevet et la relis. Ses mots me donnent de l’espoir et me
font mal tout à la fois. Je voulais passer ma vie avec lui.
Je relis ce qu’il m’a écrit sur son ressenti, lorsque nous nous sommes
rencontrés. Si seulement il avait su…
— Tu n’étais pas obligé de faire tant d’efforts pour me plaire, dis-je tout haut
en espérant que, quelque part, il m’entend. Je t’ai aimé dès le premier instant et
j’avais décidé que je serais à toi avant même que tu dises un mot. Mon Dieu, tu
étais si beau !
Je soupire et ferme les yeux.
— Je me souviens de la première fois que je t’ai vu… Tu portais cette
casquette stupide à l’envers et ton maillot de foot. Tu as hoché la tête dans ma
direction comme si j’étais supposée tomber à tes pieds… Imbécile !
Je ris doucement. Il était si arrogant, si imbu de lui-même ! Il était hors de
question qu’il sache combien j’étais déjà amoureuse de lui.
— Et me voilà sans toi.
Les larmes coulent de mes yeux.
— Pourquoi, Aaron ?
Je me tourne sur le côté et fixe l’oreiller sur lequel il aurait posé la tête, s’il
avait été avec moi. Je le prends contre moi, et les larmes coulent de plus belle.
— Tu me dis d’aller de l’avant, mais comment ? Je ne peux pas aimer
quelqu’un d’autre. Je ne sais pas comment faire ! Tu étais mon premier, mon
seul amour. Le premier homme dans ma vie et dans mon corps. Tu as pris
tellement de place dans mon cœur… Si je te laisse partir, si je laisse quelqu’un
d’autre entrer, je te perdrai pour toujours.
Je continue à parler, priant pour qu’une réponse me vienne, parce que je ne
sais pas comment le laisser derrière moi.
— Montre-moi, envoie-moi un signe.
Je m’agrippe à son oreiller, pleurant sans relâche, et je m’endors à force
d’épuisement, en rêvant que je suis dans ses bras. Heureuse et en sécurité dans
les bras de mon mari.
12

Je donne les dernières instructions à la nounou que j’ai embauchée pour


s’occuper d’Aarabelle.
— J’ai étiqueté tous ses petits pots et noté les heures auxquelles elle doit
manger.
Paige fait sautiller sur ses genoux Aarabelle qui rigole.
— Tout se passera bien.
— OK. Bon, je pense que j’appellerai environ une centaine de fois…
Elle sourit pour me rassurer.
— Je n’en attends pas moins ! Les premiers jours sont toujours inquiétants,
mais Aarabelle et moi, on a plein de choses super à faire ensemble, pas vrai,
Miss ?
Je suis heureuse qu’elle fasse presque plus attention à Aarabelle qu’à ma
névrose. C’est mon premier jour de travail pour les Forces spéciales de Cole, et
je n’ai plus l’impression que ce soit une si bonne idée. Laisser ma fille et mettre
les pieds dans les locaux où Aaron a travaillé m’effraye, tout d’un coup. Je
pensais que cela m’aiderait à le sentir près de moi, mais je ne suis plus très sûre
que ce soit la meilleure chose à faire.
— J’aurai mon téléphone sur moi, et le numéro du bureau est sur le
frigidaire.
Je retarde le plus possible le moment de partir ; en vérité, je ne sais pas du
tout comment passer une journée entière loin d’Aarabelle.
— Tout ira bien. Si on a besoin de vous, je vous appellerai, c’est promis, me
dit Paige.
Je hoche la tête, inspire profondément, embrasse Aara et me dirige vers la
porte. OK. Je peux le faire.
En arrivant à ma voiture, je trouve une fleur sur le pare-brise avec un petit
mot. J’ouvre l’enveloppe.
Salut Lee,
Désolé de ne pas avoir donné de nouvelles, mais je suis de retour au boulot et mon
emploi du temps est surchargé. Je te souhaite un bon premier jour. Profites-en pour
bien embêter les gars, là-bas !
Liamw

Je m’installe au volant, incapable de retenir un sourire. C’est la chose la plus


douce et la plus attentionnée qu’on ait faite pour moi depuis des mois.
J’allume le moteur, le téléphone se connecte au Bluetooth, et je décide de
l’appeler. Il décroche à la première sonnerie.
— Salut.
— Salut, dis-je, souriant toujours. J’ai trouvé ton mot et ta fleur. Merci.
— Je faisais mon jogging et je voulais que tu saches que je ne t’oublie pas.
J’étais occupé à me faire inscrire et j’ai été pris par le temps, ces jours-ci.
Sa voix est pleine de retenue. Je n’arrive pas à le croire complètement.
— D’accord. Pas de souci. J’ai été occupée aussi.
Il pouffe.
— Au fait, j’ai eu un appel pour le quad d’Aaron, si tu veux toujours le
vendre.
Encore un bout de lui que je vais perdre…
— Oui, bien sûr.
— Lee ? reprend-il, hésitant.
— Oui ?
Il se tait un instant, puis s’éclaircit la gorge.
— Comment va Aara ?
Je ne m’attendais pas à ça. À rien d’autre, d’ailleurs… Mais Aarabelle est
loin d’être un sujet délicat.
— Bien. Elle est avec sa nounou, et je flippe grave, dis-je en riant. Je suis
sûre que ça va aller, mais c’est la première fois que je la quitte.
Je me gare sur le parking des FSC, et ma nervosité grimpe en flèche.
Ce ne sont que Mark et Jackson, mais tout de même. J’ai peur qu’être là ne
rende la mort d’Aaron plus évidente et palpable. Alors qu’en fait ça ne peut pas
être plus évident : il est mort, et je suis une maman célibataire.
— Ça va ? me demande Liam, alors que je suis restée silencieuse un
moment.
Est-ce que je vais bien ? Je ne sais plus quand je me suis sentie bien pour la
dernière fois.
— Oui, je vais bien.
J’entends presque sa désapprobation à l’autre bout du fil. Il déteste ce mot,
mais c’est la seule chose à laquelle je peux me raccrocher.
— Je vois. Et si j’apportais une pizza, ce soir ? On pourra remplir les papiers
pour la vente de la voiture et du quad.
— Bonne idée.
— 7 heures, ça te va ?
— OK pour 7 heures.
C’est très étrange. Je sens qu’il y a quelque chose qu’aucun de nous ne veut
dire, ou que nous ne savons pas comment nous y prendre.
— Bon, c’est parti pour ma journée de travail, dis-je pour clore la
conversation.
J’entends du bruit derrière lui, mais il doit couvrir le téléphone de sa main
parce que je ne distingue rien de précis.
— On se voit tout à l’heure, poursuit-il presque aussitôt. Bon courage pour
cette journée !
— Merci. À plus tard.
Je raccroche. Je vais avoir besoin de beaucoup de courage, c’est sûr. J’ai les
nerfs à vif en sortant de la voiture. Ces hommes ont fait partie de ma vie pendant
des années, pourtant, j’ai l’impression de les rencontrer pour la première fois.
Jackson et Mark continuent d’appeler pour prendre de mes nouvelles, mais notre
amitié a changé, au cours des derniers mois. Moi, surtout, j’ai changé. Mark
venait très souvent, au début, puis il a pris ses distances pour avancer. Liam,
cependant, a toujours été là. Mais ça n’a aucun sens de faire des comparaisons…
— Lee !
C’est Mark qui m’appelle et s’avance vers moi.
— Je t’ai vue arriver, alors je suis descendu. Je me suis dit que tu ne savais
peut-être pas où était l’entrée.
Il m’observe et baisse la voix :
— Ça va bien se passer.
Je hoche la tête en pinçant les lèvres.
— Il y a des formulaires que tu dois remplir, dans la salle de conférences.
Ensuite, je te montrerai ton bureau et le travail que tu auras à faire, ça te va ?
Je le regarde. C’est l’homme qui a porté Aaron sur plus d’un kilomètre,
quand il a été blessé au cours d’une mission, le parrain de ma fille, celui qui a
détruit ma vie, ce jour-là, et je vois la peine qu’il éprouve encore. Si difficile que
ce soit pour moi, ça ne l’est pas moins pour lui, pour Jackson, et tous ici étaient
ses amis. Alors, me voir arriver est sans doute une épreuve pour eux aussi.
Je pose la main sur son bras.
— Je suis heureuse de te voir.
En bon militaire, égal à lui-même, il me lance, narquois :
— J’imagine, Lee, je suis plutôt agréable à regarder, non ?
Ces mecs… Tous les mêmes ! Des imbéciles heureux.
— Oh oui, tu es probablement l’homme le plus beau que j’ai vu depuis des
semaines… À part mon facteur. Il est assez craquant, je dois dire.
— Je pense que je peux le mettre hors jeu.
— Je suis presque sûre que ce serait considéré comme un cas d’agression
envers un agent de la fonction publique.
— Mais il ne peut pas porter de flingues comme ceux-là, me rétorque-t-il.
Je lève les yeux au ciel.
— Je rêve !
Je le suis en riant jusqu’à la salle de conférences, faisant mine d’ignorer les
regards qui accompagnent ma progression. Mark se rend compte que je ne suis
pas très à l’aise.
— Je sais que ça va être un peu bizarre, au début, mais donne-toi quelques
jours… Tu feras bientôt partie des gars.
— Euh, est-ce que j’en ai vraiment envie ?
— Je peux te trouver un joli surnom, si tu veux… Voyons voir…
Il s’assoit, l’air profondément concentré.
— Attention, tu vas te brûler des neurones, si tu continues de réfléchir aussi
fort ! dis-je pour le taquiner.
Je suis toujours d’humeur à plaisanter quand je suis avec lui ; il a un côté
drôle et attendrissant. Mais il est aussi plein d’attentions, rassurant, et il possède
cette aura indéniable qui donne envie d’être près de lui.
— Continue comme ça et tu risques d’avoir un surnom qui ne te plaira pas
beaucoup ! me prévient-il en souriant malicieusement. Tu sais, il y a un rite de
passage, ici. Tu ne peux pas choisir, les indicatifs d’appel sont imposés, et tu
n’as rien à dire. Tu crois que j’avais envie de m’appeler Twilight ?
Je prends place dans un fauteuil en triturant mon stylo.
— Je ne sais pas… Maintenant que je te regarde, je me dis que tu pourrais
tout à fait avoir un penchant pour les vampires.
Il rit.
— Termine de remplir tout ça, et je reviens te voir, m’indique-t-il en posant
la main sur mon épaule. Je suis content que tu sois là. On a besoin d’aide, depuis
que Muffin est parti.
Je pose la main sur la sienne, affectueusement.
— Je sais que c’est difficile. Ils sont partis tous les deux, en quelque sorte.
En quelques mois, Mark a perdu Aaron, dont il était extrêmement proche —
son camarade de bricolage et de barbecue sur la plage —, et Jackson, qui a
déménagé en Californie. J’imagine que ça n’a pas été simple pour lui non plus.
— Bah, tu me connais.
Il ôte la main de mon épaule et me laisse à mes papiers. J’entends la porte se
refermer derrière moi. La mort d’Aaron a bouleversé tout le monde, et personne
ne s’y est encore habitué.
Une fois la tonne de formulaires remplis, je sors de la salle pour rejoindre
Mark. J’ouvre la porte de son bureau sans faire attention et je sursaute en
entendant une voix.
— Salut !
Je lâche les feuilles et lève les yeux. C’est Jackson. Je soupire, une main sur
la poitrine, et me mets à rire nerveusement.
— Tu m’as fait une de ces peurs !
Eh bien, pour une surprise…
Il a appelé, voici quelques jours, pour prendre des nouvelles et savoir si je
comptais toujours travailler pour lui. Il me regarde du haut de son mètre quatre-
vingt-dix. Je ne suis pourtant pas si petite que ça, mais il me donne l’impression
d’être minuscule. Il se baisse pour ramasser les feuillets que j’ai lâchés.
— Excuse-moi. Catherine me dit la même chose.
Je vois son regard qui s’illumine quand il prononce son nom.
— Comment va-t-elle ?
Nous avons parlé deux ou trois fois, depuis son déménagement, mais avec le
décalage horaire c’est difficile de rester en contact.
Son bonheur crève les yeux, il a le regard étincelant, et mon cœur se serre. Je
me souviens avoir été, moi aussi, amoureuse à ce point…
— Très bien, on va très bien.
Je ris pour masquer la douleur que je sens poindre en moi.
— Je n’ai pas demandé si tu allais bien, dis-je en lui donnant un petit coup
de coude moqueur.
— Oui, oui, je sais, tout le monde s’inquiète pour elle, et moi, je suis le
dernier de vos soucis…, gémit-il en me faisant un clin d’œil. Et toi ? Comment
vas-tu ?
Il se sent atrocement coupable de ce qui est arrivé et m’a proposé de
travailler pour lui quand je le souhaiterais, avec la possibilité d’aménager mes
horaires. Proposition plus qu’attrayante. Si j’avais continué en tant que
journaliste, jamais je n’aurais pu être à la maison tous les soirs pour coucher
Aarabelle.
Je laisse échapper un long soupir.
— Eh bien, je suis toujours vivante. Liam est venu régulièrement à la maison
pour m’aider avec la paperasse.
— Dempsey est vraiment un chic type. Je l’ai eu au téléphone, la semaine
dernière.
— Oh !
J’ignorais qu’ils étaient proches.
Jackson ricane en voyant ma tête.
— Je dois te faire surveiller régulièrement, puisque tu ne réponds pas à mes
appels.
— Mais je réponds ! je m’exclame, sur la défensive. Bon, parfois…
— Ça ne fait rien. Je sais que tu es occupée, et Dempsey dit que tu mens, de
toute façon.
Jackson est doué pour sonder les gens. Ils le sont tous, ici. Parfois, c’est
épuisant de n’avoir que des militaires d’élite pour amis. Certes, on se sent
protégé, mais il est impossible de leur cacher quoi que ce soit. Et, maintenant
qu’Aaron n’est plus là, j’ai perdu l’habitude, je ne sais plus trop à qui j’ai affaire.
Je me suis toujours reposée sur sa force. À présent, je ne peux compter que sur la
mienne, mais je pense que j’ai bien progressé.
— Je ne mens pas… Je suis juste fatiguée de répéter les mêmes choses.
— Oui, je connais ce sentiment.
Bien sûr. Comment ai-je pu oublier ? Il sait mieux que personne de quoi je
parle. Il s’est trouvé à ma place, quand il a perdu sa femme.
Soudain, je me sens idiote, insensible.
— Jackson…, dis-je en posant la main sur son bras, désolée. Je ne sais pas
comment j’ai pu être aussi bête.
Il rit doucement, un peu nerveux, et m’entraîne dans son bureau.
— Tiens, assieds-toi.
Je serai toujours étonnée de voir combien il peut être autoritaire alors que, de
tous les hommes que je connais, il est certainement celui qui a le plus grand
cœur. Il serait prêt à se couper un bras, si cela pouvait soulager les souffrances de
quelqu’un d’autre.
Aaron l’a toujours beaucoup admiré. Il disait que c’était un honneur de faire
son service avec lui. Il serait fier que je sois venue travailler pour lui, même s’il
est mort à cause de ce qu’il faisait ici.
Jackson s’assoit en face de moi et me regarde intensément.
— Je ne suis pas du genre à évoquer Maddy et tout ce qui s’est passé. Je vais
mieux depuis que Catherine est là, mais c’est encore une histoire que je dois
dépasser. Tu dis que tout va bien, d’accord, mais tu n’es pas obligée de faire
semblant avec moi. Ou avec Liam.
— Je ne sais pas ce qu’on attend de moi. Je veux dire… Est-ce que les gens
veulent que je rayonne ? Que je sois de nouveau amoureuse ? Remariée ? Ou
est-ce qu’ils préféreraient me voir ivre au fond d’un bar pour oublier ?
Il soupire.
— Ils n’attendent pas ça, Natalie. Et ne savent pas non plus s’il faut attendre
quelque chose. J’ai refusé de sortir avec qui que ce soit après la mort de Maddy.
Je ne voulais plus aucune femme près de moi…
Je souris parce que je comprends où il veut en venir.
— Oui, je sais, mais ne dis rien, s’il te plaît, fait-il, tandis que son sourire
s’élargit.
— Tu es mignon quand tu es amoureux !
Il croise les bras et s’enfonce, tout comme moi, au creux de son siège.
— Je suis toujours mignon, mais là n’est pas la question.
Je lève encore les yeux au ciel. Quelle arrogance ! Ils auraient tous besoin
d’une bonne thérapie.
— Entre Mark et toi, je me demande comment les gens arrivent à faire leur
boulot, ici.
— Pourquoi ça ? réplique-t-il sans comprendre.
— Oh ! parce que vous êtes tous les deux teeeeellement beaux… Je suis sûre
que tous vos collègues passent leur journée à vous dévorer des yeux…
Il éclate d’un grand rire qui résonne dans toute la pièce.
— Ah, tu t’habitueras vite !
Et il me fait un clin d’œil.
— Cat mérite une médaille pour s’être installée avec toi. Un jour, elle
découvrira la vérité.
— Je l’épouserai avant que ça arrive. Je dois juste la convaincre que je
mérite de partager sa vie pour toujours.
C’est un homme sincère, une qualité sur laquelle on peut compter chez lui.
Je pense que Catherine est faite pour lui, elle le tient debout, ils se complètent.
— Comment vous allez, tous les deux ?
— Bien. Elle s’occupe de sa carrière, et je suis heureux d’être rentré en
Californie. Je suis assez proche de San Diego, c’est pratique. Mais peu importe,
assez parlé de moi… On parlait de toi.
— Oui, mais on peut arrêter là.
Il lève les mains en l’air brusquement.
— OK, OK, je dis simplement que tu dois faire ce qui te semble juste pour
continuer à vivre mais, au bout d’un moment, ça ne suffit pas de survivre,
Natalie. Catherine m’a appris ça. J’aurais pu aller mieux beaucoup plus vite, si je
ne m’étais pas obstiné à ne plus voir personne pendant deux ans.
Je n’ai rien à ajouter à cela. Il est de bonne foi et comprend ce que je ressens,
alors que moi-même je n’en suis pas sûre, mais qu’importe.
— Merci, Jackson.
— Assez parlé de choses sérieuses. Comment va mon adorable filleule ?
Spontanément, je souris en pensant à Aarabelle.
— Heureusement, l’antibiotique a soigné son infection, et elle va beaucoup
mieux depuis. Tu devrais venir la voir.
— J’avais prévu de le faire, avec ou sans invitation. Mais je devais préparer
ton bureau avec Mark, la semaine dernière. Et je te répète que tout est flexible…
Si tu préfères travailler chez toi parce que Aarabelle est malade ou quelle que
soit la raison, c’est possible. Nous voulons que tu sois heureuse, ici, et si tu veux
quelque chose tu as le droit de rendre Mark fou jusqu’à ce que tu l’obtiennes.
— OK, alors je le ferai, mais juste pour le plaisir.
Il se lève en souriant et m’escorte jusqu’à mon bureau.
Quand il ouvre la porte, je m’arrête net. On dirait une salle de conférences.
— Waouh, Jackson, c’est quoi, ça ? Ce bureau est immense ! Et Mark bosse
dans une espèce de placard à balais, alors qu’il dirige presque les opérations !
C’est n’importe quoi.
Je suis sciée. C’est si inattendu. Je ne suis que la standardiste. Je ne partirai
pas en mission. Je ne vais rien faire, à part de la paperasse et tenir leur système
administratif en ordre. Franchement, c’est exagéré, surtout si l’on tient compte
du salaire que je vais toucher.
— Peut-être que tu auras besoin d’amener Aarabelle avec toi, de temps en
temps. On était tous d’accord pour que tu aies un bureau spacieux, m’affirme-t-il
sans ciller. J’ai posé des dossiers sur ton bureau, si tu veux commencer. Envoie-
moi un mail quand tu seras prête à partir.
— Heu, OK, dis-je en observant la pièce avec stupéfaction.
C’est fou, et complètement surdimensionné. J’aurais dû m’y attendre, cela
dit, puisque Jackson ne fait jamais les choses à moitié.
Et maintenant, au travail !
13

— Hello ?
— Je suis dans la cuisine, Liam !
Aarabelle est assise sur sa chaise, et je lui donne son repas. Elle grandit si
vite ! Elle mange déjà des céréales et des pots pour bébé. Je ne peux m’empêcher
d’être triste en pensant à tous ces moments si précieux, que son père ne verra
jamais…
— Tu devrais vraiment fermer la porte à clé, me dit Liam en jetant son
manteau sur le dossier de la chaise.
— Oui, mais alors je devrais me lever pour aller t’ouvrir, j’objecte avec
détachement.
Je continue de nourrir Aarabelle en essayant de mettre de côté mes craintes.
Le fait est que… c’est la réalité. Et je dois faire avec.
— Hé, bonjour, lapin…
C’est attendrissant d’entendre des hommes adultes parler aux bébés avec
cette voix douce et haut perchée. Elle lui sourit et lève les bras quand il
s’approche. Ça m’enchante qu’elle soit si heureuse de le voir.
Les yeux de Liam scintillent alors qu’il se penche pour l’embrasser sur le
front. Ça la fait rire.
— Ah, au moins une qui est contente de me voir ! plaisante-t-il.
— Je serais contente aussi, si tu m’apportais un cadeau, je rétorque, un peu
provocatrice.
Il rigole et va chercher quelque chose dans la poche de son manteau.
— Il se trouve que j’ai quelque chose, mais tu n’y auras droit que si tu es
gentille avec moi.
Je bondis presque de ma chaise et me rue sur lui.
— Qu’est-ce que c’est ? dis-je en lui tournant autour, tandis qu’il garde
l’objet mystère caché dans la main.
Il sourit malicieusement en voyant dans quel état ça me met. Je ne sais pas
ce qui m’arrive, c’est idiot.
— Nan, nan, on mange d’abord, ensuite, peut-être que je te le donnerai.
— Attends, je sais ! C’est un affreux distributeur de bonbons Pez ou une
connerie de ce genre ?
— Je crois que tu devras être gentille pour le savoir, répète-t-il en fourrant le
cadeau dans la poche arrière de son jean. Comment s’est passée ta première
journée ?
Nous en discutons durant le repas et nous évoquons également le retour de
Jackson. Liam ne m’a pas dit qu’ils se sont parlé, mais il est surpris d’apprendre
qu’il se trouve en Virginie.
Nous terminons la pizza, et il me propose de regarder un film.
Je vais mettre Aarabelle au lit et, lorsque je reviens au salon, je le trouve
affalé sur le canapé.
— Eh ben, tu te mets à l’aise !
Il replace son bonnet sur sa tête, me lance un regard rieur et allume la télé.
— J’ai choisi le film.
— Quoi ? C’est chez moi ici. Pourquoi c’est toi qui choisis ?
— Parce que je suis l’invité ! me répond-il comme si c’était une évidence.
Je me laisse tomber lourdement à côté de lui en grognant :
— Quel film débile vais-je subir ?
— Tu vas voir, c’est un grand classique, me dit-il en passant un bras autour
de mes épaules.
Je me love contre lui sans réfléchir. J’ai passé deux nuits à dormir sur lui à
l’hôpital, alors ce n’est plus un câlin qui me fait peur. Je n’ai pas de scrupules
avec les câlins. Et, s’il est l’un des rares hommes à aimer ça, je suis preneuse. Il
y a une part égoïste en moi qui aime qu’il me touche, même si je ne veux pas
l’admettre : je me sens coupable d’avoir envie des bras d’un homme autour de
moi.
Le film démarre, et je sens que je vais faire une crise.
— Ah, non ! Pas ça !
Je me redresse et cherche la télécommande.
— Friday After Next est digne d’un oscar ! me lance Liam en attrapant la
télécommande avant moi et en la fourrant dans son pantalon.
— Sérieux ? Tu viens de mettre ma télécommande dans ton pantalon ?
Il reste assis et me fixe, me mettant au défi de venir la chercher. Quel
enfoiré !
— Bon, maintenant, tu es prête à regarder le meilleur film de tous les
temps ?
— Je te déteste !
— J’y survivrai, commente-t-il en me rasseyant de force à côté de lui, alors
que je pense sérieusement à récupérer ma télécommande. Un jour tu réaliseras à
quel point tu m’adores !
— J’en doute.
Je me vengerai. Il aimera peut-être qu’on regarde Pitch Perfect à notre
prochain rencard…
Rencard ? J’ai vraiment pensé rencard ?
Bon, du calme, ma fille… Vous êtes juste deux copains qui regardent un film
après dîner.
Bon sang ! Entre l’hôpital, lui qui m’appelle, qui prend soin de moi et le
reste, je commence à dérailler. Liam est mon ami et il ne ressent rien pour moi.
Point.
D’ailleurs, je ne ressens rien pour lui non plus. Je veux dire, il est beau, c’est
entendu, mais rien n’est envisageable entre nous. C’est Liam. Le témoin
d’Aaron, le gars qui nous a aidés à emménager dans notre premier appart…
Il me semble pourtant que la frontière commence à s’effacer. Mon corps se
tend, et il s’en aperçoit.
— Si tu détestes, on n’est pas obligés de regarder.
Je lève les yeux vers lui et je me sens étrangement troublée.
— Non, c’est bien. On regarde.
— Bon, alors maintenant, installe-toi confortablement : tu vas apprendre les
techniques des plus grands agents de sécurité internationaux de tous les temps.
— Est-ce que je peux avoir mon cadeau ?
Il fouille dans sa poche et en sort un paquet de chewing-gums. Je lui lance
un regard outré, et il éclate de rire.
— Je ne t’ai jamais dit ce que c’était.
— Tu sais vraiment comment emmerder une fille, toi !
— Tu verras quand j’essayerai vraiment de t’emmerder…
Il m’attire à lui, et le film commence. Je prie pour qu’il ne remarque pas ce
qui a changé, ni la tension qui m’habite. Je tente de me détendre et de profiter de
ce moment.
14

Liam

Elle est assise tout contre moi et c’est comme une évidence, comme s’il en
avait toujours été ainsi. Je crois que j’aurais mieux fait de partir. Ne pas venir,
même. Mais je voulais voir Aarabelle… Non, je me raconte des craques, je suis
revenu parce que Lee me manquait.
Je suis un crétin fini.
— Ce film est tellement con ! je l’entends grommeler.
Certaines femmes devraient avoir un guide des films que les mecs adorent.
Celui-ci en fait partie, Top Gun en est un autre. Il y a des filles canon et de la
baston.
— Ce serait mieux si tu arrêtais de te plaindre, je lui réponds, ravi de cette
distraction.
— Connard, marmonne-t-elle.
Et puis, elle m’entoure la taille de ses bras.
J’aimerais bien lui servir un petit commentaire sarcastique, mais je n’ai pas
envie qu’elle bouge. Sentir son corps contre le mien me donne envie d’aller plus
loin, même si ce n’est pas correct pour un tas de raisons. Je suis en train de trahir
le code de conduite suprême, mais c’est plus fort que moi. Je ne peux qu’espérer
qu’Aaron aurait souhaité la voir avec un type comme moi. Putain ! Je ne sais
même pas pourquoi je pense à tout ça… Elle n’a probablement pas du tout envie
de moi ! Elle voudrait qu’Aaron soit là, et je suis juste le bon copain qui ne la
laissera pas tomber.
Son bras m’effleure chaque fois qu’elle bouge, et mon érection augmente.
Alors, je pense aux choses les plus connes qui me passent par la tête :

Nonnes.
Araignées.
Justin Bieber.
Mémé.

Je frémis légèrement, mais heureusement la tension redescend. Je n’aurais


jamais pu lui expliquer qu’un film aussi hilarant puisse me faire bander. Elle
comprendrait tout de suite ce qui se passe. Sa main est si proche…
Je me répète encore une fois ma liste.
Eh, concentre-toi, mec, arrête d’y penser !
Quand elle se met à rire, j’en profite :
— Tu vois, je te l’avais dit, la meilleure comédie de tous les temps.
Elle me regarde, je lui souris, et elle détourne rapidement les yeux, mais j’ai
le temps de remarquer qu’elle s’est légèrement attardée sur ma bouche. Puis elle
secoue la tête, me regarde à nouveau, prenant un air impassible.
— Quand je te forcerai à regarder Pitch Perfect ou N’oublie jamais, on verra
ce que tu penses des chefs-d’œuvre du cinéma…
— Ah ! pour ça, tu devras me ligoter et me bâillonner, ma chérie ! Le seul
film romantique que je veux bien regarder, c’est L’Arme fatale !
— L’Arme fatale n’est pas un film romantique, objecte-t-elle, et je la sens
agacée.
Elle se met facilement en colère. Et, quand elle s’énerve, je vois resurgir un
peu celle qu’elle était avant ; elle abandonne alors la fausse mine réjouie qu’elle
montre à tout le monde.
— Je ne suis pas du tout d’accord !
Ma main glisse de son épaule dans son dos.
— Tu devrais.
— C’est juste que tu ne comprends rien aux histoires d’amour épiques.
Elle fait semblant de s’étouffer.
— Tu le fais exprès ou quoi ? Ça n’a rien d’un film d’amour, c’est l’histoire
de deux flics qui essayent de garder leur boulot.
Je ris en la ramenant contre moi.
— Mel Gibson essaye d’attraper je-ne-sais-plus-qui pour sortir avec.
— C’est secondaire ! Ce n’est même pas l’intrigue principale !
— Mais c’est totalement romantique.
J’en rajoute pour l’embêter. Je sais pertinemment que je n’ai aucun argument
sérieux. C’est juste le premier film qui m’est passé par la tête, et je m’y accroche
pour me concentrer sur autre chose que son corps contre le mien.
Elle pousse un soupir exaspéré.
— Je laisse tomber. Qu’est-ce que je peux dire à un idiot ?
— Je passe sur l’injure pour cette fois.
Nous nous taisons pour continuer de regarder le film et je commence à lui
caresser le dos machinalement. Peu à peu, je sens son corps se tendre. Une gêne
s’installe entre nous. Elle retient sa respiration et s’assoit au bord du canapé.
C’est bien la preuve qu’elle ne veut pas de moi.
— Tu veux boire quelque chose ? Ou manger du pop-corn ? demande-t-elle.
À sa façon de ramener ses cheveux derrière ses oreilles, de regarder par terre
et de se mordre la lèvre, je comprends qu’elle a besoin de prendre un peu de
distance.
— Du pop-corn, merci.
Moi aussi, j’en ai besoin.
15

Natalie

— Qu’est-ce qui cloche chez moi, bon sang ? je râle tout haut en allant
chercher le pop-corn à la cuisine.
Je me raconte des histoires avec n’importe quoi. Je n’y comprends plus rien.
La tension n’arrête pas de monter entre nous et, plus je cherche à lutter contre,
plus je me sens désarmée. J’ai envie d’être près de lui. J’ai envie de sa présence
permanente et, quand il est là, je n’en veux plus… Honnêtement, la seule
explication, c’est que j’ai peur. Peur d’avoir des sentiments pour un autre
homme, un homme qui, comme mon mari, est prêt à risquer sa vie pour en
sauver une autre. C’est la même histoire qui recommence, et je ne pourrai pas
endurer un nouveau deuil. Je ne veux pas que ma fille connaisse un jour la
douleur de perdre un homme. Ce serait tellement pire, cette fois-ci, parce qu’elle
connaît Liam. Alors, je dois mettre un terme à ce qui est en train de se passer,
quoi que ce soit.
Je reviens dans le salon avec le bol. Liam se tient ridiculement droit : je
suppose que ma diversion n’est pas passée inaperçue.
— Tu en veux ? dis-je en lui tendant le bol.
Il sourit, plonge la main dedans et me jette quelques grains.
— Détends-toi, Lee !
Je ris, malgré ma gêne.
— Allez, viens, on termine ce film.
J’inspire profondément et me rassois près de lui.
Je trouve que l’intrigue traîne en longueur et je ne comprends pas comment
je peux rester assise devant. C’était l’un des films préférés d’Aaron aussi. Mark
et lui citaient des répliques entières dès qu’ils le pouvaient. Ce genre de petits
détails me manque. Mes yeux commencent à me piquer, et des pensées
contradictoires m’assaillent à nouveau. J’essaye de les chasser. Ça me semble
fou : ce moment est si banal et simple, au fond ! Je suis dans les bras de Liam, et
nous regardons la télé, après notre journée de travail. Nous avons dîné, j’ai
couché Aarabelle, et nous passons seulement un moment agréable ensemble.
Tout est devenu compliqué et bizarre parce que je l’ai rendu compliqué et
bizarre. En réalité, ça me semble naturel et juste. Je pourrais recommencer
comme ça tous les jours et en être heureuse.
Je ne devrais pas vouloir cette vie, pourtant.
Mais je la veux.
Je ne devrais pas me sentir bien dans ses bras.
Mais j’y suis bien.
Je devrais lui demander de partir et le tenir à distance.
Mais je ne peux pas.
J’entends soudain la réplique favorite d’Aaron : « Hold-up ! Attendez,
laissez-moi y mettre un peu de punch. » J’éclate de rire et Liam avec moi. Je
croise son regard en me rappelant de quelle manière Aaron le disait et à quoi il
ressemblait, à ce moment-là, la façon dont ses yeux se plissaient malicieusement
et dont il riait en me voyant lever les yeux au ciel. Je me souviens de tout ça et je
fonds en larmes. Ça fait si mal ! La douleur s’abat sur moi comme des vagues
sur le rivage, chacune me brisant un peu plus le cœur. Je voudrais que ça
s’arrête.
Liam ouvre grands les yeux quand il se rend compte que je ne ris plus. Il me
prend dans ses bras et me serre fort contre lui.
— Lee ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Oh ! mon Dieu ! Je ne… Je ne peux pas respirer !
Le flot de larmes ne s’arrête pas, et ma voix est entrecoupée d’inspirations
saccadées.
Je suis submergée de culpabilité pour avoir imaginé un instant une vie avec
Liam.
Il me prend le visage entre ses mains et essuie mes larmes.
— Dis-moi pourquoi tu pleures. Qu’est-ce qui t’arrive ? me demande-t-il,
confus.
Je dois ressembler à un petit animal blessé, à cet instant.
Il éteint la télévision et reprend mon visage entre ses mains.
— Je ne peux pas…
— Dis-moi ce que je dois faire. Je ne sais pas pourquoi tu pleures.
Sa voix tremble, et il regarde autour de lui, à la recherche de n’importe quoi.
— Natalie, calme-toi.
— Je… Ça fait mal. Je ne veux plus avoir mal !
L’angoisse s’empare de moi.
— Aide-moi !
Il baisse les yeux et rapproche lentement mon visage du sien. Alors que sa
bouche frôle la mienne, je m’échappe brusquement en arrière.
— Liam ! Qu’est-ce que tu fais ?
Il recule et s’agrippe la nuque.
— Tu pleurais, et j’ai pensé…, dit-il, embarrassé. Je ne sais pas, les larmes et
les filles…
Il se lève brusquement et se passe la main sur la figure.
— Les mecs ne savent pas quoi faire des filles qui pleurent ! dit-il avec
frustration.
Mon étonnement finit de tarir mes larmes. J’essaye de ne pas trop lui
montrer que la situation m’amuse, même. Il est ridicule mais si attendrissant !
Il se met à parler vite, comme s’il était pris au piège :
— Lee, je suis désolé. Tu me demandais de t’aider. J’ai… Je veux dire…
Bordel !
— Pourquoi tu as pensé que tu devais m’embrasser ? je lui demande en
essayant de ne pas sourire.
Il est troublé, hors de sa zone de confort, et il m’attendrit. Je pose la main sur
son bras pour qu’il arrête d’angoisser.
— Je ne sais pas. Je veux dire… Tu pleurais. Et je ne savais pas quoi faire !
Je suis un mec, je ne comprends pas les larmes.
Il lève les bras en l’air et marmonne à propos des femmes…
— Putains de larmes ! Je ne sais pas, j’ai pensé que si je t’embrassais peut-
être que tu arrêterais de pleurer…
Cette fois, j’éclate de rire et, à mon tour, je prends son visage entre mes
mains.
— Quel imbécile tu fais !
Je le vois qui se détend aussitôt.
— La prochaine fois que tu vois une fille qui pleure, prends-la seulement
dans tes bras, d’accord ?
— OK, mais ne pleure plus. Jamais. Je ne suis pas équipé pour affronter ça.
— Je ne peux pas te le promettre, je réponds en le regardant dans les yeux.
Il m’entoure à nouveau de ses bras, et je ressens une terrible envie de
l’embrasser.
— J’ai horreur de ça, murmure-t-il.
— De quoi ?
— De te voir pleurer. Je ne me suis jamais senti aussi démuni.
Il secoue la tête et baisse les yeux.
— Je suis désolé d’avoir essayé de t’embrasser.
Je rapproche son visage du mien.
— Liam… Je… C’était…
J’ai envie de savoir. J’ai envie d’apaiser son embarras, mais surtout je veux
l’embrasser. Je me détesterai peut-être plus tard, je ne suis plus sûre de rien. Il
m’inspire un fort sentiment de sécurité, et Aaron est mort. Nos regards sont
accrochés l’un à l’autre, et je ne supporte plus de lutter… Je veux me sentir
touchée, désirée, embrassée par lui.
Doucement, je me laisse aller. Mes yeux toujours dans les siens, j’approche
sa tête de la mienne. Il n’esquive pas, et je vois le désir briller dans ses prunelles,
malgré l’inquiétude. Je sais ce que je suis en train de faire.
— Natalie…, dit-il d’une voix grave.
La façon qu’il a de prononcer mon prénom me donne plus encore envie de
lui. Nos souffles se mêlent, et je sens la tension à son comble dans tout mon
corps, lorsque je presse enfin mes lèvres contre les siennes. J’essaye de ne pas
penser à ce qui le différencie d’Aaron. Ses lèvres sont fermes mais souples. Il ne
bouge pas, et je dois me hisser sur la pointe des pieds pour l’atteindre. Je glisse
les doigts sur sa nuque et dans ses cheveux. J’ai envie qu’il m’embrasse, mais il
s’est transformé en statue.
J’incline la tête pour l’inviter à me répondre. Dans mon dos, ses mains ont
agrippé mon T-shirt. Je m’écarte un peu. Il fouille alors mon regard et trouve
l’assurance dont il a besoin. Ses mains remontent le long de ma colonne
vertébrale, et il m’embrasse enfin véritablement. Il ne demande plus, il me prend
tout entière dans son baiser. Ses lèvres sont contre les miennes, volontaires. Je
gémis, et il y voit une permission. Sa langue vient caresser la mienne, et je me
cambre dans ses bras. Il me serre contre lui, m’étreint ; je m’oublie dans ses
caresses. Mes doigts glissent, s’accrochent à ses cheveux.
Je ne veux pas qu’il arrête. J’ai envie de lui.
J’ai envie de ça. J’ai besoin de ça. J’ai horreur de ça. Mon cœur est déchiré
lorsque je réalise ce qui se passe : j’embrasse Liam Dempsey et j’aime ça.
16

Mes doigts se détendent, son étreinte aussi. Il me relâche, et nous reprenons


notre souffle. Je vois son regard glisser vers le drapeau, sur la cheminée, et j’ai
un pincement au cœur.
— Natalie… Je… Putain…
— S’il te plaît, ne dis rien.
Je n’ai pas envie qu’il pense que c’était une erreur ou qu’il soit désolé. J’ai
horreur de ce mot et je ne veux pour rien au monde l’entendre sortir de sa
bouche. Je suis fatiguée des gens qui s’excusent. Ils ne sont pas désolés, en
réalité. Simplement, ils ne savent pas quoi dire, et j’en ai assez.
— Non ! me dit-il en m’attrapant brusquement le bras. Je veux que tu
m’écoutes. Je ne sais pas ce qui se passe, je veux dire, tu es… Toi ! s’exclame-t-
il en laissant retomber sa main. On se connaît depuis si longtemps ! Tu as
toujours été sa femme à mes yeux. Je ne sais pas si tout ça a du sens.
Cette situation me perturbe autant que lui. Une part de moi — une part
importante — s’étouffe dans la culpabilité. J’ai l’impression de tromper Aaron.
Je sais pourtant que ce n’est pas le cas. Il est mort et il m’a écrit dans sa lettre
d’aller de l’avant, alors merde ! Il n’empêche… Je me sens coupable. L’autre
part de moi-même n’oublie pas que je suis une femme qui a besoin de se sentir
touchée et désirée.
J’ai aimé la sensation de ses lèvres sur les miennes, sa façon de me prendre
dans ses bras ; j’ai aimé nos corps serrés l’un contre l’autre. C’était ce dont
j’avais besoin, même si j’aurais préféré ne pas en avoir besoin. C’est moi qui ai
fait le premier pas, et je le referais, si c’était à refaire.
— Je ne sais pas quoi dire. J’ai eu envie de t’embrasser, tout en m’en voulant
d’en avoir envie…, dis-je en riant un peu.
Il s’avance et me reprend contre lui.
— Je ne voulais pas avoir envie de toi, mais c’est plus fort que moi. Je ne
sais pas comment c’est arrivé, mais j’ai des sentiments pour toi. J’ignore si c’est
une bonne chose, j’ignore même si nous sommes prêts pour ça, Lee.
— Je l’ignore également. Peut-être qu’on pourrait simplement prendre les
choses comme elles arrivent, petit à petit. J’aimerais que tu continues de venir
ici, mais je ne sais pas ce que je veux vraiment. Ça ne fait même pas un an…
Les larmes se remettent à couler, alors que je me rends compte de la
situation. J’ai embrassé Liam, le meilleur ami d’Aaron. Est-ce que j’ai eu tort ?
— Tu ne pourras pas te débarrasser de moi, je te préviens, mais je ne veux
pas te brusquer. J’ai encore envie de t’embrasser, sauf si tu préfères que j’arrête.
Il attend une réponse. Ma respiration s’accélère. L’anticipation ne fait
qu’augmenter mon envie de l’embrasser à nouveau. Désir et culpabilité se
déchirent mon âme, mais mon cœur et mon corps n’attendent que ça. Je ferme
les yeux et je respire son parfum d’épices et de santal. Ses bras m’entourent plus
fermement. Je n’ai pas froid, mais je tremble.
— Est-ce que tu veux que j’arrête ? me demande Liam d’une voix rauque de
désir.
Ses mains remontent le long de mon dos, puis redescendent sur mes hanches.
Il me soulève du sol, et son souffle chaud me caresse le visage. Il est si proche…
— Dis-moi, mon cœur, murmure-t-il, alors que ses lèvres effleurent les
miennes.
— Non.
— Non, tu ne veux pas que j’arrête ou non, tu veux que j’arrête ?
— Je veux juste…
— Juste quoi ? Qu’est-ce que tu veux ?
Ce que je veux ? Tout. Je ne veux plus souffrir et, lorsqu’il est près de moi,
tout est simple. Il me fait rire et sourire, quand j’ai l’impression que je vais me
noyer dans mon chagrin. Mais le meilleur, c’est qu’il ne se rend même pas
compte du bien qu’il me fait. Sa seule présence me rend heureuse.
— Embrasse-moi.
Il presse sa bouche contre la mienne avec douceur, sans précipitation. Et j’ai
la sensation d’être la chose la plus précieuse et la plus délicate du monde. Je
m’offre à lui, vulnérable, et sens dans son baiser qu’il en a conscience.
Il a compris ce dont j’avais besoin et m’offre sa force et sa compréhension.
Nous restons un moment enlacés avant qu’il me déclare :
— Je vais devoir y aller, tu travailles demain.
— OK. Est-ce que tu pourras repasser à la maison, cette semaine ?
Cette question me semble tellement bizarre, à présent ! Je ne sais pas
comment m’y prendre. Est-ce que je dois l’inviter ou le laisser apparaître chez
moi à n’importe quel moment, comme il a pris l’habitude de le faire au cours des
six dernières semaines ?
— Et si on sortait, vendredi soir ?
Je lève les yeux vers lui. Je ne sais pas si je suis prête.
— Lee, on n’est pas obligés d’avoir un rencard. Je voulais simplement dire
qu’on pourrait sortir avec les amis, et en tant qu’amis.
Il me relâche, et je soupire :
— Je ne sais pas encore si je peux laisser Aarabelle.
— Bon. Mais penses-y. On pourrait prendre un verre tous ensemble et fêter
ton nouveau boulot. Tu as dit que Mark et Jackson étaient là, c’est l’occasion. Je
suis sûr que ça ferait plaisir à tout le monde.
— J’y penserai, je lui réponds en hochant la tête.
— OK, je t’appelle bientôt, alors.
Tout est devenu étrange, tout d’un coup.
Il rassemble ses affaires, marche vers la porte et, au moment d’en franchir le
seuil, se retourne vers moi.
— Quoi qu’il en soit, je veux que tu saches que ton amitié compte
énormément pour moi. Je serai toujours là pour toi, et on n’est pas obligés de
reparler de ce soir, si tu n’en as pas envie. On peut faire comme si rien ne s’était
passé. Mon seul souhait, c’est que tu sois heureuse, Lee, et si tu m’as embrassé
juste parce que tu en avais besoin je ne serai pas vexé.
— Liam, je…
Il pose un doigt sur sa bouche pour me dissuader d’ajouter quoi que ce soit
et me sourit gentiment.
— Je te laisse m’utiliser, si ça te fait du bien. Je ne sais pas quand les choses
ont changé entre nous mais, si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-le-moi. Si tu
veux oublier ce qui s’est passé ce soir et qu’on reste simplement amis, ou si tu
veux autre chose, je suis là pour toi. Je te laisse choisir.
Avant que j’aie pu lui répondre, il s’est éclipsé. Maintenant, je dois
apprendre comment mener une danse dont j’ignore les pas…
Je monte à l’étage en regardant les photos accrochées au mur, dans l’escalier.
Mon mariage, notre premier rendez-vous, ma grossesse… Je sens encore le
baiser de Liam sur mes lèvres, et l’événement prend soudainement toute sa
réalité. Je viens d’embrasser un autre homme qu’Aaron. Et pas n’importe qui.
Un homme qui était présent pour la plupart de ces moments avec lui.
Comment ai-je pu faire une chose pareille ? En avais-je le droit ?
Dans son cadre noir, le portrait d’Aaron m’arrête net sur l’avant-dernière
marche. Je caresse le verre froid du bout des doigts, je regarde ce visage que j’ai
tant aimé.
Je décroche la photo du mur et l’emporte avec moi dans mon lit. Je m’endors
en la serrant contre moi, en espérant que la culpabilité cesse de me ronger.

* * *

— Sparkle, tu peux m’apporter le contrat qui a été faxé il y a quelques


minutes et me rejoindre dans le bureau de Jackson ? me lance Mark en s’arrêtant
une seconde devant la porte ouverte de mon bureau, avant de disparaître.
Je prends avec moi les documents qu’il me demande et le suis.
Cela fait deux semaines que j’ai repris le travail et, pour l’instant, j’y suis
bien. Mark et Jackson ont très vite compris que j’étais surqualifiée pour les
tâches qu’ils m’avaient confiées, alors je m’occupe à présent de tout l’agenda et
de la préparation des missions.
— Bonjour, dis-je en arrivant.
Tous deux sont hilares à cause de je-ne-sais-quoi.
— Bonjour… Entre, me dit Jackson en tapant sur l’épaule de Mark. Je dois
voir combien de gars sont disponibles, si on va en Afrique.
Je hoche la tête et lui tends le contrat.
Je suis toujours aussi impressionnée par cette entreprise qu’il a montée et sa
capacité à assurer des missions aussi complexes. Ils reçoivent beaucoup de
demandes et ne peuvent pas répondre à toutes, faute de personnel. Aaron était
chargé du recrutement, et ils n’ont encore trouvé personne pour le remplacer.
— Je pense que vous devriez diffuser une offre d’emploi. Les clients vont
finir par se détourner, si vous ne pouvez pas répondre à la demande.
Jackson me regarde, pensif, et m’explique :
— Lee, je sais que tu es là depuis peu et que tu fais pour nous beaucoup plus
que ce pour quoi nous t’avons embauchée. J’ai besoin d’une personne
intelligente, qui sache lire dans les pensées et apporte un coup de jeune à cette
boîte. Je préférerais mettre la clé sous la porte plutôt que d’envoyer quelqu’un de
sous-qualifié ou de mal préparé.
— Oh ! est-ce que ça veut dire que tu m’offres une nouvelle promotion ?
— C’est de loin l’ascension professionnelle la plus rapide qu’on ait vue dans
une entreprise !
Il hoche la tête, et Mark se met à rire.
— Je suis sûr que tu meurs d’ennui, à répondre au téléphone à longueur de
journée. En plus, cet enfoiré s’en va dans quelques jours, et j’ai besoin de
quelqu’un qui a un cerveau.
Je regarde derrière la vitre du bureau ; nombre d’employés sont ici depuis
longtemps. Ils se tuent à la tâche, dévoués à l’entreprise depuis plus longtemps
que moi.
— Et les autres ? je demande.
Mark leur jette un coup d’œil et, pour la première fois, me regarde
sérieusement.
— Il y a beaucoup de choses que tu ignores sur la nature de leur travail. Ils
ne font pas exactement de l’administration.
— OK, dis-je, confuse. Mais alors, à quoi ça m’engage ? Je veux dire, j’ai
Aarabelle et je n’avais pas prévu ni envie de reprendre un emploi, alors…
Jackson se lève et me rassure :
— Je ne laisserai jamais ce boulot t’éloigner d’Aarabelle. Mark et moi nous
te le garantissons. La seule chose que tu as à faire, c’est d’être honnête avec nous
et de nous tenir au courant.
Il se passe la main sur le visage et ajoute :
— Si tu acceptes, tu devras t’occuper de certaines données sensibles et
confidentielles.
Mark étend les jambes sur le bureau de Jackson et m’envoie un regard
complice.
— Ne fais pas attendre Muffin trop longtemps, il a déjà les tempes qui
grisonnent…
— Ferme-la, toi ! réplique Jackson.
— Est-ce que je dois vous envoyer au coin, tous les deux ? je demande en
donnant un petit coup à Mark.
Il rit et repose les pieds par terre.
— Je gagne toujours.
Jackson toussote en nous contournant et donne de petites tapes à Mark, sur la
tête. Ces deux-là sont vraiment comme des gosses. Comme s’ils avaient tous un
gène bizarre en commun.
— D’accord, dis-je. Si tu penses que je conviens pour ce poste, Jackson,
j’accepte.
Je sens qu’ils redeviennent sérieux, soudain.
— Lee, reprend-il en se penchant vers moi et en adoptant le ton de la
confidence, tu auras accès à beaucoup d’informations et de dossiers. Des choses
qui sont verrouillées sur ton ordinateur pour l’instant à cause de ton statut. Tu
auras accès à tout, quand tu travailleras là-dessus.
— Hum, oui, et… ?
— Je n’ai aucun doute sur ta capacité à garder ces infos confidentielles, mais
je dois te parler d’une chose.
Mark pose la main sur mon épaule et m’annonce :
— C’est à propos d’Aaron.
17

— À propos d’Aaron…, je répète, un peu perdue.


Qu’est-ce qu’ils pourraient savoir ou avoir trouvé dans leurs fichiers que je
ne sache pas ? Si c’est une bombe artisanale qui a causé sa mort… Qu’est-ce
qu’on peut mettre dans un dossier top secret ?
Jackson prend un moment pour s’asseoir sur le rebord de son bureau, et la
gravité de son regard me fait peur, tout à coup.
— Nous avons enquêté sur l’attaque de son véhicule. Je pense qu’il était
visé.
— Visé, comment ça ? Je veux dire… Qui aurait pu le viser ?
— Pas lui personnellement. Je pense que c’est à moi qu’on en voulait. À ce
stade, nous n’avons pas beaucoup d’informations, mais il existe un dossier, et je
ne voulais pas que tu l’apprennes par quelqu’un d’autre ou par un autre circuit.
— Je ne comprends pas, dis-je, perturbée. On m’a dit que sa mort était
juste… une mort. Ça n’a pas de sens d’enquêter là-dessus.
— Natalie, déclare Mark de sa voix autoritaire, mais toujours bienveillant,
personne ne tue un membre de cette équipe sans que nous instruisions une
enquête. On avait des problèmes d’approvisionnement, Aaron est allé sur place
pour voir ce qui se passait, et il est mort. Nous nous y sommes rendus à notre
tour, et Muffin s’est fait tirer dessus. Ce n’est pas une coïncidence.
J’aurais dû me douter qu’ils ne laisseraient pas sa mort sans suite et,
honnêtement, j’en suis touchée. Ce sont des hommes loyaux, qui ne laissent
passer aucun accident sans avoir de réponses. Cela dit, je sens que ça ne va pas
être facile pour moi qui ai recommencé à vivre, avec ce qui se passe entre Liam
et moi, même si j’ignore ce qui se passe au juste entre nous.
— Ce que j’essaye de t’expliquer, Natalie, poursuit Jackson, c’est que,
lorsqu’un membre de cette équipe est tué, nous ne le prenons pas à la légère.
Quelqu’un va payer pour la mort d’Aaron et pour m’avoir tiré dessus. Je ne
voulais pas que tu l’ignores.
J’aimerais qu’ils arrêtent de me parler de ça, parce que en parler ne changera
rien. La fatalité m’a frappée une fois, et je ne suis pas certaine de pouvoir
supporter cela à nouveau.
— OK, merci pour les infos, dis-je en me demandant si j’ai envie d’en savoir
plus.
S’il y a un dossier, il y a des informations dedans, forcément. Et je ne suis
pas sûre d’avoir la force de ne pas regarder.
— Jackson ?
— Tu veux savoir ?
— Oui et non. Bon. Je veux juste savoir s’il y a quelque chose, là-dedans,
que je devrais savoir, parce que j’ignore ce que je peux encore supporter.
Mon cœur se met à battre plus vite, et j’ai la bouche sèche. Jackson et Mark
se regardent, mal à l’aise, puis Mark s’éclaircit la voix et se lance :
— Tout ce que nous savons, à ce stade, c’est que notre entreprise était visée.
Nous pensons qu’ils croyaient que Jackson serait dans le véhicule.
— Mais pourquoi ? je demande, portant la main à ma poitrine. Pourquoi
quelqu’un chercherait à te tuer ?
Tout cela me paraît invraisemblable. Mes amis, mon mari, ma famille, pris
dans la guerre…
— Aucune idée, mais nous trouverons. On ne laissera pas tomber.
Il se lève pour me prendre dans ses bras.
— Aaron était l’un des nôtres.
Je m’éloigne en hochant la tête. C’est lourd à entendre, et je ne sais pas s’il y
a un moyen de m’apaiser ou de rendre ces révélations supportables. Quoi qu’il
en soit, mon mari est mort. Et chercher qui l’a tué ou pourquoi ne me le
ramènera pas.
— Bon. C’est l’heure de la réunion. Il y a beaucoup de choses auxquelles je
dois penser, et je veux être opérationnelle. Je dois prendre ma journée, demain,
pour emmener Aarabelle chez le médecin.
Le rendez-vous est assez tard dans la journée, mais je veux passer du temps
avec elle. Depuis que j’ai repris le travail, j’ai l’impression d’avoir déserté la
maison. Et pas question de parler d’Aaron, pas aujourd’hui.
Je retourne à mon bureau, m’assois dans mon fauteuil en soupirant et jette un
coup d’œil par la fenêtre. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mon cœur
commençait à guérir. J’avais enfin trouvé un moyen de mettre un pied devant
l’autre, et voilà que je me trouve de nouveau prise dans les sables mouvants !
Le téléphone sonne, interrompant mon monologue intérieur.
— Bonjour, ici Natalie.
— Salut, Natalie.
Sa voix profonde fait bondir mon cœur, et je ne peux m’empêcher de sourire.
— Salut, Liam.
Je m’enfonce dans mon fauteuil en le faisant pivoter. J’ai l’impression de
redevenir une gamine de quinze ans, quand je l’entends !
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je travaille, dis-je, la voix sévère.
— Oh ! pardon, madame… Je t’appelle pour t’inviter à sortir avec moi.
Il a été absent toute la semaine. Il devait partir en entraînement en Floride
avec son équipe. Nous n’avons pas parlé énormément pendant qu’il était là-bas,
seulement échangé quelques messages, mais je me sens mieux à propos de ce qui
s’est passé entre nous. J’en ai discuté avec Reanell, qui m’a aidée à prendre les
choses avec sérénité.
Liam tient à moi, sinon, il ne me laisserait pas l’espace dont j’ai besoin. Il
me connaît, après toutes nos années d’amitié, et Aaron était son meilleur ami. Je
ne pense pas qu’il soit capable de trahir sa mémoire. Il n’y a pas une seule partie
de lui qui ait envie de m’enlever l’amour que j’ai partagé avec Aaron.
— Sérieux ? Un rencard ? dis-je en souriant, puis en me mordillant la lèvre.
Il éclate de rire.
— Très sérieux. Tu es dispo ?
— Je n’ai pas de baby-sitter. J’ai besoin d’être prévenue un peu à l’avance,
alors, peut-être demain ?
— Consulte tes messages.
— Hum, OK.
J’attrape mon portable, m’attendant à en trouver un de Rea.
Coucou, je m’occupe d’Aarabelle, ce soir. Amuse-toi. Fais l’amour… Ou pas. Mais tu
sais, tu pourrais.

— Alors ? demande Liam, qui connaît déjà la réponse.


— Heu, bon, qu’est-ce que tu sais, au juste ? Une amie me propose de garder
ma fille.
— Je viendrai te chercher à 7 heures.
Sa voix est si assurée que j’ai envie de lui coller une baffe. Mais j’ai tout
autant envie de l’embrasser.
— Oh ! Natalie ? fait-il de sa voix suave.
— Oui ?
— Mets une robe, me conseille-t-il gaiement, avant de raccrocher.
J’envoie aussitôt un court message à Reanell.
On dirait que tu t’es fait un nouvel ami…

Elle me répond aussitôt :


On dirait que tu t’es fait un petit ami…

Quel âge avons-nous ? Douze ans ? Je ne sais pas si on peut parler de petit
ami. Je veux dire, ce n’est pas une histoire de couple, ou peut-être que c’en est
déjà une et que je suis stupide — ce qui est tout à fait possible.
Je pense à tout ça et m’aperçois que mes paumes sont humides. Je ne suis
pas sûre d’être prête à avoir un petit ami.
Je réponds :
Non, on est amis. Il m’emmène juste faire un tour.

Elle m’envoie un nouveau texto dans la seconde :


OK, si tu le dis. Je passerai prendre Aarabelle chez la baby-sitter en rentrant chez moi.
Amuse-toi bien. Je t’aime.

Moi aussi, je l’aime. Elle est comme une sœur pour moi. Elle était là pour
me tenir la main quand j’ai accouché, elle a dormi avec moi pendant trois jours
quand j’ai appris qu’Aaron était mort. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans
elle.
Moi, je t’aime encore plus ! Je t’appelle ce soir.

Elle m’envoie pour rire :


Ou pas, ça pourrait être bizarre…

Elle est folle, si elle pense à ça. Est-ce ce que je suis censée faire ?
J’ai besoin d’un verre.
18

Liam

— Quoi ? Tu es fou ? Tu veux dire… Natalie Gilcher, comme la femme de


ton meilleur ami ?
— Ta gueule, Quinn, ce n’est pas ce que tu crois !
Il secoue la tête et me tape sur l’épaule.
— Tu vas sortir avec la femme d’Aaron ! Dis-moi où je me trompe, parce
que j’ai l’impression que c’est très clair, en fait.
Je le repousse. Il n’a pas de leçon à me donner, surtout pas lui, qui s’est tapé
la femme d’un de nos collègues, mais apparemment il a des problèmes de
mémoire.
— Peut-être qu’on devrait dire à Bueno où il s’est trompé. Tu avais l’air
affreusement désolé, après ce qui s’est passé chez lui.
— J’étais ivre, mec !
Il recule en secouant la tête. Je ne vais pas rester assis là sagement à
l’entendre me faire une leçon de morale. Je culpabilise suffisamment moi-même.
Je ne veux pas être le type qui se tape la femme d’un ami. Merde, il y a à peine
un mois, je ne regardais même pas Natalie de cette façon ! Ce n’est pas comme
si je lui avais couru après quand il était vivant. Nous sommes amis, mais quelque
chose est en train de changer.
— Quoi qu’il en soit, tu n’as rien à me dire. Je ne fais rien de mal. On est
amis, et je l’accompagne pour qu’elle s’offre une soirée, la première depuis neuf
mois qu’il est mort.
— Tu l’as baisée ?
Je fais un pas en arrière en serrant les poings tant il m’énerve.
— Fais attention à ce que tu dis ! En tout cas, si ça arrive, ça ne s’appellera
certainement pas « baiser ».
Primo, ce ne sont pas ses affaires, deuzio, je n’ai aucune intention de lui en
parler, le cas échéant.
Certains des gars dans l’équipe sont pires qu’une bande de filles. Je devrais
les écouter et suivre leurs conseils, alors que je ne leur ai rien demandé. Je me
fiche de savoir ce qu’ils pensent, ça ne les concerne pas. Le plus probable, c’est
que je lui avouerai mes sentiments ce soir et qu’elle me répondra d’aller me faire
voir.
Quinn secoue la tête en signe de désapprobation.
— Fais attention, mec. C’est tout c’que j’dis.
— Je fais toujours attention.
— Ouais, mais cette fois tu joues avec le feu. Ce n’est pas n’importe quelle
femme. C’est sa femme et sa gosse.
— Je vais enfoncer une porte ouverte là, mec : Aaron est mort. Et je ne fais
rien qui risque de salir sa mémoire ou la vie qu’il a eue. C’était mon meilleur
ami. J’aurais préféré être à sa place, quand la voiture a été touchée. Natalie et
moi sommes des amis, et il ne désapprouverait rien de nos actions.
Il hoche la tête pendant mes explications.
— Je sais que tu n’es pas comme ça, seulement, moi, je ne voudrais pas que
ma femme épouse un autre militaire.
— Tu devras déjà trouver une fille assez bête pour se marier avec toi avant
d’avoir à te poser la question.
J’imagine qu’il pense m’aider, mais il ne comprend rien, ou uniquement ce
qui l’arrange.
— C’est vrai, et je devrais arrêter les coups d’un soir. C’est bon, je renonce.
Je vais à la salle de sport. On se parle plus tard.
Il me serre la main en riant.
— À plus tard.

* * *

Ce soir, c’est la première fois que je la revois depuis que nous nous sommes
embrassés. J’ai essayé de lui laisser prendre les rênes, d’attendre qu’elle
m’envoie des messages. J’ai l’impression d’avoir perdu ma virilité, ces derniers
temps. Je dois être en train de me transformer en femme, partiellement. Je suis
cette règle débile des trois jours. Ridicule ! J’ai envie de me frapper la tête contre
les murs. C’est Natalie, bon sang, pas n’importe quelle fille ! Je la connais
depuis toujours. J’étais témoin à son mariage ! Je ne peux pas juste sortir le
matos et me la faire comme un bourrin. Elle doit se sentir bien, en confiance.
Je rentre chez moi prendre une douche et m’assurer que tout est en ordre.
Quand j’ai appelé Reanell pour lui demander de baby-sitter Aarabelle, elle m’a
donné des conseils pour ce soir. Comme je n’avais pas spécialement de plan, elle
m’a indiqué un restaurant et un endroit où aller après dîner.
Soixante secondes me semblent une éternité. La pendule doit être cassée,
parce que je jurerais qu’elle ne bouge pas. Putain, je deviens dingue ! Bon, je
vais aller l’embêter jusqu’à l’heure de notre réservation.
J’enfile mon manteau et sors de chez moi. La durée du trajet m’évitera de
me rendre ridicule. Même si on est amis depuis des années, même si je l’ai déjà
vue en robe — en maillot de bain également —, c’est autre chose qui se joue là.
Je me gare devant la maison et j’ouvre la boîte à gants pour prendre le
cadeau que je lui ai apporté. La lettre d’Aaron tombe par terre. Merde. Je l’avais
oubliée.
Je suis devant chez lui, pour sortir avec sa femme, et je n’ai pas lu ce qu’il
avait à me dire.
Je suis un salaud. Je fourre la lettre dans la boîte et la referme. Plus tard. Ce
soir, je veux être avec elle sans que son fantôme me hante. Je me lynche
suffisamment comme ça.
Je pense à ce que Quinn m’a dit : peut-être que je suis fou, en effet. Elle est
veuve, maman, et elle essaye de reconstruire sa vie. Mais c’est plus fort que moi.
Elle m’attire. Elle me donne envie d’être un homme meilleur.
Je n’ai rêvé que d’armes et de baston, jusqu’à présent. Maintenant, je pense à
la façon dont ses cheveux blonds retombent sur son visage quand elle est
fatiguée, à Aarabelle quand elle dort, et à quel point j’ai envie d’être auprès
d’elles pour voir ça. Je ne peux pas me l’expliquer. Je ne sais même pas s’il est
possible de mettre des mots sur ce que je ressens. Mais elle me fait quelque
chose, et je suis assis là, à me dire que je dois y aller, alors même que je ne suis
pas sûr que ce soit la meilleure chose. Si elle n’avait pas été la femme d’Aaron,
je serais déjà devant sa porte. Je l’aurais déjà mise dans mon lit, dans mes bras,
dans mon cœur, mais avec elle il y a un signal d’alarme, que j’ai choisi d’ignorer
parce que je ne peux pas. Je suis démuni devant elle et je ne sais pas pourquoi.
19

Natalie

Je sursaute toujours quand on frappe à la porte, et une tempête s’élève à


l’intérieur de moi. À tel point que je sens mon visage se figer ; tout devient froid,
et j’ai du mal à respirer. Mais nous sommes au printemps. Je sais que, cette fois-
ci, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Il n’empêche, je suis quand même
terrifiée.
C’est un rendez-vous.
Avec Liam.
Je jette un coup d’œil à ma robe et la réajuste légèrement. La douceur du
satin me calme un peu. Je me regarde une dernière fois dans le miroir,
m’ébouriffe les cheveux, me pince les joues. C’est ma robe rouge préférée.
J’avais peur de ne plus rentrer dedans après tout ce temps, mais elle me va mieux
que la dernière fois que je l’ai portée. Ma poitrine est plus généreuse depuis ma
grossesse, et j’aime ces nouvelles courbes. Mes boucles tombent derrière mes
épaules nues, jusqu’au milieu de mon dos.
C’est la première fois depuis des mois que j’ai pris mon temps pour me faire
belle. D’habitude, je suis en pull et queue-de-cheval. On n’a pas vraiment besoin
d’être sexy pour un bébé.
Tout va bien, me dis-je en ouvrant la porte.
Liam est là, la main posée sur l’encadrement, et ma bouche devient sèche
quand je le vois. Il est en pantalon noir et porte une chemise bleu marine. Le
tissu colle à son torse et fait ressortir ses muscles, et il a retroussé ses manches,
dévoilant ses avant-bras. Pourquoi les avant-bras découverts sont-ils si sexy chez
les hommes ?
Je parcours son corps du regard pour en absorber chaque détail. Ce n’est pas
normal qu’il soit si élégant. Ce n’est pas juste. Il rend impossible toute tentative
de résistance. Il arbore un grand sourire. Il mesure son effet et il est très content
de lui, visiblement.
Je n’ai jamais vraiment regardé un homme comme je le regarde. Je ne fais
pas attention, d’habitude, mais avec lui… Difficile de faire autrement. Il est
grand, musclé, une véritable allure de prince. Chaque partie de son corps est un
appel au plaisir, et pourtant je peux voir ce qu’il y a en lui. Un homme
bienveillant qui prend soin d’Aarabelle et moi, un homme qui a organisé une
soirée pour me sortir de chez moi, alors que nous ne nous sommes pas vus
pendant des jours. Je devine le cœur qu’il est prêt à m’offrir. Je voudrais qu’il me
pousse, mais il sait que j’ai besoin de temps, que c’est à moi d’aller vers lui.
— Hello ! me lance-t-il, séducteur.
Un seul mot suffit à faire s’emballer mon cœur.
— Salut, je réponds, légèrement émue, en baissant les yeux.
Il s’avance et m’attrape le menton, approchant son visage et plongeant ses
yeux dans les miens.
— Tu es sublime. Tu m’as manqué.
— Ah oui ? je demande, faussement naïve.
Il m’a envoyé des messages pendant tout le temps où il était là-bas pour me
dire qu’il pensait à Aara et moi. Ce qu’il y a, avec lui, c’est que je ne peux pas
m’empêcher de le faire tourner en bourrique. Il aime Aarabelle et s’inquiète pour
elle. Quand il a appris qu’elle était malade, il est venu à l’hôpital dès qu’il a pu.
Pas parce qu’il y était obligé, parce qu’il était vraiment préoccupé, ça se voyait
dans son regard. Sa présence, ce jour-là, a achevé de me conquérir.
Il rit et s’approche, jusqu’à ce que les pointes de nos chaussures se touchent.
— Oui. Et toi ? Je t’ai manqué ? me demande-t-il en me caressant le bras du
bout des doigts.
Je hausse les épaules et réponds, joueuse :
— J’avais besoin de quelqu’un pour m’aider à accrocher d’autres photos,
alors oui, on peut dire que tu m’as manqué…
— Quelle horreur ! Je suis l’homme à tout faire ! lâche-t-il en se cachant les
yeux.
Alors je me colle à lui, l’enlace et lui dis :
— Mais oui, tu m’as manqué.
Il me serre contre lui et pose un baiser sur mon front.
— On va être en retard.
Je regarde ses yeux bleus qui brillent dans la lumière du soir.
— Où est-ce qu’on va ?
— C’est une surprise.
— Waouh, tu me sors le grand jeu le premier soir ?
— Je ne sais pas à combien de rencards j’aurai droit, alors je veux que celui-
ci soit bien, me répond-il en souriant et en passant le bras autour de mes épaules
pour m’accompagner jusqu’à sa voiture.
— Continue comme ça, et il risque d’y en avoir beaucoup d’autres…
— On verra. Je ne suis pas le seul sur le banc d’essai, dit-il pour ne pas
perdre la face, alors que je lui envoie un petit coup de poing dans les côtes.
— OK, OK, c’est toi qui mènes !
Nous rions en avançant dans l’allée.
— J’adore ta voiture ! je m’exclame en ouvrant la portière.
C’est une Dodge Charger de 1968 qu’il a restaurée avec son père. La
carrosserie est rouge candy et l’intérieur, beige. Je trouve qu’elle lui correspond
parfaitement : sexy, mystérieuse et bruyante.
— Tu as raison, Robin est vraiment géniale, elle ne m’a jamais laissé
tomber, plaisante-t-il en posant les mains sur le volant. Nous avons passé un
accord.
— Quoi ? Tu as donné un prénom à ta voiture ?
— Et alors, ça t’étonne ? C’est mon bébé. Tu n’aurais pas laissé ton enfant
sans prénom ! Alors ? me dit-il avec le plus grand sérieux.
— C’est stupide.
— Pas du tout.
Je pouffe en attachant ma ceinture.
— Si, c’est complètement stupide, et puis pourquoi un prénom de fille ?
Pourquoi pas un de mec ?
Il fait marche arrière avec un petit sourire en coin. Il caresse des mains le
tableau de bord, tout en me parlant de sa voiture.
— Pour la même raison que les bateaux portent des noms de femmes. Ils ont
de la personnalité, du caractère. Ils nous protègent sur les mers et nous ramènent
à la maison. Ils reflètent ce qu’il y a de beau chez toutes les femmes. Elles sont
fortes, déterminées, loyales, protectrices, et Robin ne fait pas exception.
— Je crois que j’en ai assez entendu.
— Je pourrais dire aussi que c’est parce qu’elle n’est pas neuve, que c’est
une version restaurée, et qu’on court donc plus de risques en la conduisant…
Mais ça pourrait passer pour un commentaire sexiste.
Il sourit, et je lève les yeux au ciel.
— Ça pourrait, tu crois ?
J’essaye désespérément de ne pas sourire, mais je n’y arrive pas.
— Je vois que je t’amuse toujours autant.
— Tu mérites des claques.
Il se gare en riant sur le parking du Lynnhaven Fish House, l’un de mes
restaurants préférés à Virginia Beach.
— C’est un don que j’ai, d’agacer les gens. Du moins, c’est ce que ma mère
me dit.
— Elle est trop gentille.
— Natalie ?
Il me fixe soudain avec un peu d’appréhension.
— Je suis content que tu aies accepté de sortir avec moi ce soir.
Je pense que ce n’est pas comme si j’avais vraiment eu le choix, mais j’ai
accepté. J’aurais pu lui dire non et rentrer à la maison pour être avec Aarabelle.
Il y a un million d’autres choses que j’aurais pu faire, mais j’ai préféré enfiler
une robe et l’accompagner les yeux fermés.
— Moi aussi, je suis contente.
— Ne bouge pas.
Il se précipite hors de la voiture pour venir m’ouvrir la portière.
Très galant, il me tend la main et j’y pose la mienne. Je ne sais pas si j’ai
jamais eu un rendez-vous si troublant. Non. Ne pas comparer. Vivre le moment
présent.
— Merci, dis-je en lui collant un bisou sur la joue. Au fait, comment tu
savais que j’aimais le Fish House ?
— Coup de bol.
Mais je sens qu’il y a autre chose là-dessous.
Nous entrons, et on nous installe près de la fenêtre qui donne sur la baie. Ma
propre maison offre cette même vue, mais je ne m’en lasserai jamais. J’adore la
manière dont chaque vague vient déferler sur le sable, effaçant nos empreintes et
donnant une nouvelle chance à tout.
C’est revigorant.
Nous passons commande, et on vient nous servir du vin. Alors Liam me
prend la main et me demande :
— Tout va bien ?
— Oui…
— Tu es très silencieuse.
Son regard se perd un instant sur l’océan, puis revient se poser sur moi.
Je lui souris et place ma paume contre la sienne.
— Est-ce que c’est étrange pour toi ? Je veux dire « nous ».
Il soupire tout en me caressant le poignet du bout des doigts.
— Étrange ? Non. Inattendu.
Je trouve que c’est le mot adéquat pour décrire ce qui se passe. Aucun de
nous deux ne pensait qu’on sortirait ensemble ici un jour, et pourtant c’est
exactement ce que nous sommes en train de faire.
— C’est plutôt agréable comme inattendu, non ?
— Natalie, je ne voudrais pas être assis là avec quelqu’un d’autre que toi.
Je vois dans ses yeux qu’il est sincère. Je voudrais lui répondre « moi non
plus ». Je le voudrais, mais les mots ne franchissent pas mes lèvres. Le visage
d’Aaron m’apparaît soudain, et mon ventre se noue. La culpabilité recommence
à peser dans ma poitrine et m’écrase le cœur. J’ai un rendez-vous avec un autre
homme dans le restaurant où mon mari m’emmenait pour chacun de nos
anniversaires.
— Lee ? souffle Liam en voyant que des larmes commencent à briller dans
mes yeux. Qu’est-ce qui ne va pas ?
— C’est… cet endroit, dis-je en inspirant profondément pour me reprendre.
— Est-ce que j’ai mal fait de t’amener là ? me demande-t-il en faisant le tour
de la table et en s’agenouillant devant moi.
— Non, c’est juste que… Aaron…
Je me détourne, parce que dire ces mots me met en rage.
— Il t’emmenait ici ? s’enquiert-il, sans aucun agacement dans la voix.
— Oui.
Je lève vers lui mes yeux pleins de larmes.
— Je te demande pardon, Liam.
— Non, tu n’as pas à t’excuser. Tu n’as pas à faire semblant.
Il me prend la main et tourne ma chaise vers lui pour m’obliger à le regarder.
— C’était ton mari, le père de ton enfant et mon meilleur ami. Tu n’as pas à
faire comme s’il n’était pas toujours présent entre nous. Si tu crois que je ne
pense pas à lui, chaque fois que je te regarde, tu te trompes. Je lutte en pensant à
toi, en imaginant faire des choses avec toi pour lesquelles il m’aurait frappé, s’il
avait su.
À nouveau, une partie de mon cœur se brise, mais pour Liam. Ce qu’il y a
entre nous n’est pas facile à vivre, mais je n’aurais jamais cru que c’était aussi
difficile pour lui. Je me demande si nous ne serions pas condamnés dès le départ.
Avons-nous seulement une chance d’y arriver ? Nous ne sommes pas juste deux
cœurs effrayés. Il y a aussi un fantôme entre nous.
— Je ne sais pas comment faire, dis-je.
— Moi non plus. C’est pour ça que je recommande d’y aller doucement. S’il
te manque ou si tu veux me parler de lui, dis-le-moi. Il n’est pas un sujet tabou.
Pourquoi tu ne me parles jamais de lui ?
Nous sommes dans ce magnifique restaurant, et tout le monde nous regarde,
mais il ne me quitte pas des yeux. Il est agenouillé devant moi et me tient les
mains, alors que je suis encore en train de m’effondrer.
Je retire mes mains des siennes et prends en coupe son visage, que je caresse
doucement. Sa barbe me picote les paumes. Je me penche en avant et dépose un
baiser sur ses lèvres.
— Merci.
Il fronce les sourcils.
— Je ne vois pas pourquoi. Je t’ai encore fait pleurer, ce que je t’avais
suppliée de ne plus faire… En même temps…
Il s’arrête et laisse échapper un petit rire.
— … Tu as tendance à m’embrasser quand tu pleures. Je devrais peut-être
changer d’avis là-dessus. Mais tu ne m’as pas répondu.
— Je ne sais pas. J’ai l’impression que ce n’est pas correct de parler de lui
avec toi. Je l’ai tellement aimé et, maintenant, j’ai ces sentiments pour toi…
Je m’arrête, je ne sais pas très bien ce que je veux dire.
Liam ne me quitte pas des yeux, il attend que je finisse ma phrase,
m’encourage à poursuivre.
— Parle-moi, Lee, parce que je ne sais pas lire dans tes pensées. Je peux
essayer. Je peux déchiffrer ce que ton corps exprime. Je peux dire qu’à cet
instant précis tu es nerveuse, que ton cœur bat plus vite… Tu es agitée, et ta
façon de chercher tes mots en dit assez long. Mais je ne sais pas ce que tu penses
ou ce qu’il y a dans ton cœur.
— Je voudrais qu’il soit là. Et puis, je suis avec toi et je ne pense plus
tellement à lui. Alors, j’ai l’impression d’être une épouse horrible.
— Non, tu n’es pas horrible. Et ce qu’on est en train de faire n’est pas
horrible non plus. On ne l’a pas prémédité. Je suis simplement beaucoup trop
beau pour que tu puisses me résister, conclut-il pour détendre l’atmosphère.
J’éclate de rire et m’essuie les joues avec la serviette de table.
— Tu es terrible ! Bon, maintenant, lève-toi et assieds-toi, on va dîner.
Il reprend place sur son siège. Je lui tends la main. Il veut que je mène la
danse et, en ce moment, c’est le contact de sa peau qui me soulage. Je ne veux
pas savoir pourquoi, je veux seulement me laisser aller. C’est notre soirée, et je
veux vivre ce moment tant qu’il dure.
— OK, essayons juste d’en profiter, me dit-il en souriant, alors que la
serveuse s’approche de notre table.
Liam commande presque tout ce qu’il y a sur la carte. On croirait qu’il
nourrit l’homme invisible, parce qu’un homme normalement constitué ne peut
pas avaler autant en un seul repas.
On nous sert et je suis vite rassasiée, mais lui continue gaiement. Je me
moque gentiment de son appétit d’ogre, et il me fait rire avec ses anecdotes à
propos des entraînements. Certains des gars dont Aaron était proche sont
toujours dans l’équipe, je connais leurs familles, et ça me rappelle des souvenirs.
Ces histoires me manquaient.
— Et toi, comment ça va, au boulot ?
— Bien. J’ai eu une nouvelle promotion. Je suis sûre qu’il n’y a jamais eu
d’ascension professionnelle de standardiste à manager plus rapide que la mienne
dans toute l’histoire !
— Muffin est un type intelligent. Je suis sûr qu’il n’avait pas l’intention de
te laisser très longtemps à ton poste de standardiste. Qu’est-ce que tu vas faire,
maintenant ?
Je pose ma fourchette et prends une grande inspiration. Il a beau m’avoir dit
un peu plus tôt qu’Aaron n’était pas un sujet tabou, j’hésite quand même. D’un
autre côté, il a aussi le droit de savoir.
— Je vais m’occuper de la préparation des missions. Toute la partie
logistique, vérifier qu’il y a suffisamment de personnel sur chaque projet et
qu’ils auront tout le matériel nécessaire. C’était apparemment le problème pour
lequel Aaron a été envoyé en Afghanistan. Mais aujourd’hui, j’ai appris autre
chose…
— C’est-à-dire ? me demande-t-il en posant la main sur la mienne, comme
s’il devinait que j’en avais besoin pour continuer.
— Ils enquêtent sur sa mort. Je veux dire… Je ne sais pas ce qu’ils veulent
trouver. Une bombe artisanale, c’est plutôt clair, non ? Qu’est-ce qu’il y a à dire
de plus ?
Il détourne légèrement le regard, jetant le doute en moi.
— Liam ?
— Écoute, j’ai toujours pensé qu’il y avait autre chose… OK, c’était une
bombe. C’est fréquent mais, quand Jackson s’est aussi fait tirer dessus, ça m’a
mis la puce à l’oreille. Cette région ne faisait pas partie de notre zone de
vigilance, pourtant, deux de nos collègues ont été blessés ou tués. Je me pose des
questions.
— Est-ce que je dois m’inquiéter ?
— Je ne te laisserais pas travailler là-bas, si je pensais que ce n’était pas un
lieu sûr. J’aurais trouvé le moyen de saboter la proposition de Jackson. Jamais je
n’accepterais que tu te mettes en danger, Jackson et Mark non plus.
J’inspire profondément, soulagée. Il a raison. Personne ne me placerait dans
une situation à risques, mais les questions continuent de me tarauder.
20

— Tu es prête ?
Liam m’a bandé les yeux et a refusé de m’indiquer où il m’emmenait.
J’essaye de percevoir ce qui m’entoure ; j’ai l’impression de sentir l’odeur du
foin, mais peut-être n’est-ce que l’air pur et la nature alentour… Je n’arrive pas à
me situer. Il n’y a aucun bruit. Tout est si calme !
J’inspire profondément, et un parfum d’herbe et de fleurs me monte à la tête.
— Où sommes-nous ?
Il est derrière moi, et la chaleur de son corps m’enveloppe, bien qu’il ne me
tienne pas contre lui. Je trépigne d’impatience et me colle à lui ; il rit doucement.
Ses mains effleurent mes bras nus, il caresse ma peau du bout des doigts. Je
laisse tomber la tête en arrière sur son épaule, et ma respiration s’accélère tandis
que je sens son souffle dans mon cou.
— Quand j’ai été muté ici, je suis tombé sur cet endroit. C’est là que je suis
venu, la première fois qu’on s’est embrassés. J’y viens pour me rappeler que je
ne suis qu’un grain de poussière dans ce monde. Parfois, nos problèmes nous
envahissent tant qu’on en oublie d’être humble et conscient du présent.
Je sens ses mains remonter tendrement jusqu’à mes épaules. Il détache le
bandeau, et je cligne des yeux. Seules les étoiles et la lune brillent au-dessus de
nous et éclairent le paysage féerique qui nous entoure. Des arbres bordent un
champ, l’herbe est haute, la nature a partout repris ses droits, sauf dans le petit
espace où nous nous trouvons. Liam m’entoure de ses bras, et je me laisse porter.
— Waouh ! C’est tellement beau, et en même temps tellement désert.
— Tu n’es pas seule, me rappelle-t-il. Quoi qu’il arrive, je serai là pour toi,
en tant qu’ami ou quoi que ce soit d’autre.
— Ça me fait peur. Ça va si vite ! Aaron me manque encore, dis-je en
tournant mon regard vers lui. Je l’ai aimé toute ma vie, et l’idée que les choses
changent me terrifie. Je ne peux pas promettre que je n’aurai pas peur et que je
ne voudrai pas tout arrêter.
Il entoure mon visage de ses grandes paumes et me répond, en me regardant
dans les yeux :
— Je ne te forcerai jamais. Je sais qu’il était tout pour toi. J’ai vu combien
vous vous aimiez et je mentirais, si je disais que ça ne me fait pas peur. Tu es
censée être intouchable. Pourtant, aujourd’hui, tu es dans mes bras. Est-ce de la
chance ou bien suis-je juste un pauvre crétin ? Quand je suis avec toi, je me sens
bien ; j’ai l’impression que c’est comme s’il avait toujours dû en être ainsi.
Même dans l’obscurité, ses yeux sont brillants. Je sais qu’il ne me fera aucun
mal. Qu’il ne me trahira pas. Qu’il sera patient et doux, parce que c’est ce qu’il
est.
Je plonge les mains dans ses cheveux, et il colle son front au mien. Je ferme
les yeux pour profiter de cet instant paisible. Aucune douleur ne me trouble, il
n’y a que lui et moi.
Aaron, s’il te plaît, ne me juge pas, comprends-moi. Je t’aimerai toujours,
mais Liam m’aide à avancer et à sourire. Il me fait tellement de bien ! Alors
pardonne-moi.
Je relève la tête et presse mes lèvres contre les siennes. Sa main caresse ma
joue, il me serre fort contre lui. Je me sens libérée d’un poids. Enfin, je peux
lâcher prise.
Il m’embrasse avec tendresse, adoration, et je m’oublie dans son étreinte,
gémissant quand il appuie la main contre mes reins.
— Laisse-toi aller, murmure-t-il contre ma bouche, laisse-moi te guider.
Et, avant que je puisse répondre quoi que ce soit, sa bouche affamée reprend
possession de la mienne. Nos langues se caressent et se mêlent. Nos corps sont
collés l’un à l’autre. J’entends les battements de son cœur résonner dans sa
poitrine et j’en ai des frissons. Sans m’en rendre compte, j’ai soulevé sa chemise
et ma main parcourt son torse, avide de sentir sa peau.
Liam suspend le baiser.
— Natalie…
Mon prénom sonne comme un appel et une prière.
— Chut, lui dis-je en commençant à déboutonner sa chemise. Je veux sentir
ton cœur.
Je glisse les doigts contre sa peau, et il frissonne. Mes paumes sont posées
sur sa poitrine. Il est vivant. Il est là, avec moi. Les mains sur les hanches, il
attend de voir où je veux en venir.
— J’ai tellement envie de te toucher ! lâche-t-il enfin, levant les mains vers
moi avant de les laisser retomber, hésitant. Je lutte contre moi-même, à cet
instant.
— Arrête de lutter, Liam.
Alors il me saisit les poignets et m’embrasse à nouveau, avec autorité. Il
prend tout ce que je veux bien lui donner. Je ne sais pas jusqu’où je peux aller,
mais, à cette seconde, j’ai envie d’être à lui. Je ne veux rien voir, rien sentir, qui
ne soit pas lui. Cet instant m’appartient, je ne pense plus à rien. Ici, avec lui, je
ne risque rien. C’est comme s’il me donnait un nouveau souffle ; il me rend la
vie qui m’a quittée il y a des mois. Je suis vivante dans ses bras. Ses caresses
réveillent toutes les parties de mon être que j’avais condamnées.
— Liam…, je soupire, quand ses lèvres quittent les miennes pour
m’embrasser dans le cou.
— Dis-moi d’arrêter.
— Liam, je soupire encore, alors que sa langue caresse ma clavicule.
— Dis-moi que ce n’est pas mal, Lee…
Je prends son visage entre mes mains et le force à me regarder. J’ai besoin
qu’il le voie dans mes yeux. Je veux qu’il sache que je suis avec lui et seulement
lui.
— Non, ce n’est pas mal.
Il ferme les yeux et me serre contre sa poitrine. Nous restons dans les bras
l’un de l’autre jusqu’à ce que nos respirations reviennent à la normale. C’est
incroyable à quel point il me libère de mes inhibitions !
— Je pourrais rester ici pour toujours, me dit-il, rompant le silence.
— J’aimerais bien voir cet endroit pendant la journée.
— Un jour, mon cœur… Retournons à la voiture, maintenant, avant que je
fasse un truc stupide.
Il me relâche et me prend la main, puis nous suivons le petit chemin en pente
douce.
— J’y suis venu une fois pendant la journée, mais le soir c’est vraiment
paisible. Tu peux voir la lumière du ciel. La lune et les étoiles me rappellent que
la vie est courte et que je dois vivre chaque jour pleinement. Mon travail exige
que je respecte la mort.
— Que tu respectes la mort ? Comment peux-tu dire ça ?
Il s’arrête devant moi.
— Sans la mort, il n’y a pas de vie.
Il s’interrompt pour peser ses mots.
— Quand l’un des nôtres meurt, ce n’est pas en vain. On ne part pas en
mission à la légère et, si je ne respecte pas le sacrifice que quelqu’un a fait de sa
vie par honneur, alors quoi ?
— Pour moi, il n’y a pas à respecter la mort. Elle te prend tout. Elle rend la
vie triste et sombre parce qu’il n’y a pas de consolation pour ceux qui restent. Je
suis livrée à moi-même, essayant de recoller les morceaux de ma vie brisée, à
cause de la mort.
Je bute sur les mots et je sens la nervosité gagner Liam.
Il s’avance vers moi, et je regrette instantanément mes paroles.
— Ta vie n’est pas brisée. Elle a un peu dévié de son cours. Les choses ne se
sont pas passées comme tu l’avais prévu, mais tu as Aarabelle, tu as des amis qui
t’aiment et, avec un peu de chance, tu m’auras, moi aussi. Je ne pourrai jamais le
remplacer et je ne le veux pas. Il était mon meilleur ami. J’aurais donné
n’importe quoi pour prendre sa place, pour que tu n’aies pas à souffrir.
— Liam…
J’essaye de l’interrompre, mais il pose un doigt sur ma bouche.
— Si, Natalie, je l’aurais fait. J’ai horreur de te voir souffrir. J’ai horreur de
savoir qu’Aarabelle ne connaîtra jamais son père. Je me sens coupable de te
toucher, de t’embrasser, de te prendre dans mes bras. Mais je respecte le sacrifice
d’Aaron, parce qu’il a sauvé des vies. Il a donné la sienne pour s’assurer que son
équipe avait tout ce qu’il lui fallait. C’est un héros pour ceux qu’il a aidés. Un
patriote. Et pour ça, je respecte la mort.
Il pose une main sur mon épaule en ouvrant la portière.
Je ne dis rien, parce que je ne suis plus sûre de moi. Je monte dans la voiture
et laisse ses mots tourbillonner dans ma tête.
Aaron était mon héros aussi, et je l’ai perdu.
Le trajet de retour est calme, les émotions s’apaisent. Il y a tant de choses à
dire, mais pas ce soir. Ce soir, c’était notre premier rendez-vous, et je suis
consciente que j’ai passé une bonne partie de la soirée à pleurer ou me souvenir
d’Aaron. Si j’avais été avec n’importe qui d’autre que Liam, ce rendez-vous
aurait été un véritable enfer.
La voiture s’arrête devant mon allée, et nous restons assis un moment en
silence, un peu gênés.
— Liam ? Je sais qu’on pourrait croire le contraire, mais cette soirée a été
vraiment spéciale pour moi.
Il se penche légèrement vers moi en souriant.
— Mais tu es spéciale et tu méritais d’avoir une soirée à toi.
— J’ai juste besoin de temps pour y arriver. Je veux qu’on continue de se
voir. Je veux qu’on soit… ce qu’on est l’un pour l’autre…
Je ris et croise les mains nerveusement. Je me sens tellement mal à l’aise,
soudain, que j’en deviens ridicule.
— On est amis, Lee. Des amis qui s’embrassent beaucoup.
Je souris et tremble un peu.
— J’aime t’embrasser.
— Ça me fait très plaisir. Maintenant, approche et montre-moi à quel point
tu aimes ça ! m’ordonne-t-il, la voix pleine de désir.
Je me penche vers lui pour lui donner ce qu’il me demande.

* * *

— Salut, ma belle ! me lance joyeusement Reanell en courant vers moi. Tu


es resplendissante !
Je jette un coup d’œil sceptique à mon survêt.
— Arrête, j’ai l’air d’une plouc.
— Je disais ça simplement pour être gentille. En fait, tu es horrible. Tu es
prête pour la gym ?
C’est bien elle de me sortir des trucs pareils !
Nous avons décidé de nous bouger un peu, cet été. J’aimerais bien ne pas
avoir à faire de l’apnée pour me montrer dans un bikini. Quant à elle, on se
demande pourquoi, parce qu’il n’y a pas une once de graisse sur sa frêle
silhouette d’un mètre soixante. C’est le genre de fille que ses copines détestent
parce qu’elle ne prend pas un gramme, même si elle s’enfile un paquet de chips à
elle toute seule. Elle a de longs cheveux noirs qui donnent toujours l’impression
d’avoir été soignés et coiffés, même si elle vient de sortir du lit, et ses yeux sont
extraordinaires : de beaux yeux noisette entourés de longs cils. J’aimerais la
détester, mais il suffit qu’elle ouvre la bouche pour qu’on comprenne que c’est la
personne la plus gentille au monde.
— Est-ce qu’on pourra déjeuner ensemble, ensuite ? me demande-t-elle en
s’asseyant sur le canapé.
Je lui donne une petite claque sur la cuisse et me moque d’elle :
— Lève-toi, sinon, on ne va jamais partir d’ici ! Et non, on ne pourra pas
sortir déjeuner ensuite.
— Argh, tu gâches ma joie ! Bon, allons-y, alors, pour mater les beaux
gosses qui se font les abdos.
— Tu es terrible, tu sais ? lui dis-je en riant, tout en fermant la porte derrière
moi.
Paige est au parc avec Aarabelle. Je ne sais pas comment je survivrais, sans
elle. Elle est douce, responsable, et Aara l’adore. En plus, elle est disponible
chaque fois que je l’appelle. Je travaille un peu plus souvent depuis la maison,
ces derniers temps, puisque Jackson m’a dit que c’était possible. Avoir été
constamment avec Aarabelle pendant les huit premiers mois de sa vie et,
soudain, ne presque plus la voir a été trop brutal pour moi.
— Alors ? me demande Reanell en montant dans la voiture.
— Alors quoi ?
— Tu ne vas rien me dire à propos de ce qui se passe entre Liam et toi ?
J’éclate de rire et essaye de faire diversion. Il n’y a rien à expliquer, puisque
nous n’avons encore rien défini. Depuis notre rendez-vous, il a été occupé à se
préparer pour une nouvelle session d’entraînement, et je ne l’ai pas revu. Mais il
me manque, alors j’imagine que ça signifie quelque chose.
— Il n’y a pas grand-chose à dire, tu sais. On prend juste les choses comme
elles viennent, petit à petit.
Elle se tourne sur son siège et me regarde.
— Est-ce qu’il embrasse bien ? Est-ce qu’il t’a touché les seins ?
— Mais je rêve !
Je lève les yeux au ciel et détourne le regard.
— Oh ! allez, dis-moi !
Je finis par lui répondre à contrecœur :
— OK. Il m’a emmenée dîner, ensuite on est allés jusqu’à la clairière, à la
sortie de la ville. On s’est embrassés, il s’est conduit comme un vrai gentleman
et m’a raccompagnée chez moi.
On s’est beaucoup embrassés, en fait, mais je n’ai pas l’intention de lui
donner plus de détails. Elle était à moitié endormie quand je suis venue récupérer
Aarabelle chez elle et ne m’a pas harcelée, à ce moment-là. Mais aujourd’hui,
elle n’a pas l’air de vouloir lâcher le morceau.
— Et c’est tout ? demande-t-elle, un peu déçue. Je veux dire, c’est très
mignon tout ça, mais j’espérais quelque chose d’un peu plus… excitant.
— Désolée de te décevoir, lui dis-je avec un brin d’ironie en attrapant le
volant.
Nous arrivons à la salle de gym. Je suis un peu fatiguée qu’elle pense que je
doive oublier mon mari et passer à autre chose. Ce n’est pas simple, et je suis
sûre que si elle était à ma place elle refuserait carrément de parler à un autre
homme.
— Tu m’énerves, Rea.
Sa mâchoire en tombe.
— Moi ? Pourquoi ?
— Parce que tu as l’air de penser que c’est facile, alors que ça ne l’est pas.
— Je n’ai jamais dit que ça l’était ! Simplement, je te regarde et c’est dur.
Mais je…
Elle s’arrête, pose la main sur mon bras et se radoucit :
— Je n’aime pas te voir comme ça. Tu es ma meilleure amie, Natalie, et si
j’étais à ta place, si Mason était mort, je pense que tu m’encouragerais de la
même manière. Tu as d’immenses ressources, tu es tellement courageuse d’avoir
traversé ça, et avec tant de grâce, même si tu n’avais plus envie de rien.
Je regarde ailleurs. Il y a une seconde je voulais lui crier dessus, maintenant,
elle me fait mal au cœur.
— Regarde-moi, me demande-t-elle encore. Liam est revenu dans le coin, et
j’ai pensé qu’il pourrait t’aider à avancer un peu dans la maison et te présenter
quelqu’un. Je n’imaginais pas qu’il serait celui qui te permettrait d’aller mieux,
mais maintenant tu souris. Tu souris et tu ris, poursuit-elle, les yeux pleins de
larmes. Moi, je n’ai pas réussi à te faire rire. J’ai essayé des centaines de fois,
mais tu étais vide à l’intérieur.
— Rea…
— Non, il t’a sortie de ta prostration. Si Aarabelle avait été malade, avant, tu
m’aurais appelée et suppliée de venir. Mais la dernière fois, tu ne l’as pas fait,
parce que Liam était là pour toi. Tu ne comprends pas ? Tu revis et tu ne fais
même pas d’effort ! Je ne veux pas que tu le rejettes.
— J’ai peur.
S’il me faut faire un constat, c’est celui-là : je suis absolument terrifiée.
Parce que Liam représente tout ce que je devrais ne plus vouloir dans ma vie. Il
est l’exacte réplique de mon mari. Honorable, courageux, prêt à mourir pour une
grande cause. Si je le laisse entrer dans mon cœur, je ne pourrai pas supporter de
perdre un nouvel amour. Si je lui laisse prendre une place dans la vie de ma fille
et qu’il meurt trop tôt, je ne me le pardonnerai jamais.
Reanell me serre dans ses bras et me caresse le dos.
— Je le sais, mais tu ne peux pas garder tout ça pour toi, Lee. Parle-moi.
Tout le monde voudrait que je parle mais, quand j’exprime ne serait-ce
qu’une petite partie de ce que je ressens, j’ai l’impression que le flot va me
submerger et que je vais rester seule sur le rivage, assaillie par les vagues,
incapable de respirer. Parfois, il me semble que le courant va m’emporter. Ça fait
si mal ! C’est trop dur. Mais ensuite, Liam revient et illumine ma vie, il rend les
choses plus faciles.
— Quand j’ai appris la mort d’Aaron, l’idée de toucher quelqu’un d’autre
était au-delà de mes capacités. J’ai oublié ce que c’était de rire, parce que c’était
plus simple de cacher mes émotions. Je ne veux plus souffrir, dis-je en plongeant
le regard dans ses yeux pleins de compassion.
Elle me sourit tristement.
— Je sais que tu ne veux pas souffrir, mais vivre, c’est accepter ce qui peut
se produire. Tu ne peux pas connaître l’amour, le vrai, si tu n’as pas vraiment
souffert. Tu ne pourras pas faire tenir ta vie dans un coffre-fort. On est trop
grands pour entrer dans un coffre. Toi, moi, Aaron, Mason, et même Liam…
Personne ne peut dire exactement de quoi ta vie sera faite. Mais tu peux aimer à
travers la souffrance. Et tu es belle, même quand tu t’efforces de ne pas l’être.
Quand Aaron est mort et qu’Aarabelle est née, tu as continué à vivre, parce que
tu es plus grande que le coffre dans lequel tu voulais t’enfermer.
Je l’écoute. Ses mots font leur chemin en moi et me réconfortent. J’en
savoure chaque syllabe, parce que c’est elle qui a raison. Je le sais, mais parfois
je l’oublie. Il est si facile de se perdre dans la douleur et le chagrin ! Pour une
raison étrange, il est presque plus facile de se complaire dans le malheur, mais je
ne veux pas vivre comme ça. J’ai une magnifique petite fille et des amis
merveilleux, et j’ai Liam.
— Je ne veux pas vivre dans un coffre, dis-je, alors que des larmes se
mettent à couler sur mes joues.
— Je ne te laisserai pas vivre dans un coffre, mais ce n’est pas moi qui ai
réussi à ouvrir la porte. C’est pour ça que je pense que Liam te fait du bien,
déclare-t-elle en me faisant un câlin. Bon, on y va toujours ou tu préfères aller
manger une glace ?
Je ris malgré les larmes et je la serre dans mes bras.
— On va à la gym.
Elle gémit, comme si c’était une punition, et sa tête retombe sur le siège.
— Tu es cruelle !
— Non, je sors du coffre.
— Foutu coffre.
— Ouais, foutu coffre.
21

C’est horrible, je crois que je vais mourir. Il n’y a pas de mots pour décrire
l’état dans lequel je suis depuis notre séance de sport. J’ai mal partout. En plus
de ça, Aarabelle est tombée malade, et j’ai attrapé son rhume. J’ai des
courbatures et des bouffées de chaleur, et je voudrais pouvoir me terrer dans un
trou.
— Aara, s’il te plaît, reste tranquille, je lui demande, alors qu’elle se met à
gigoter pour aller à l’autre bout de la pièce.
Elle commence à ramper, maintenant, ce qui rend mon rhume encore plus
insupportable, et elle fait moins la sieste. Je n’ai même plus le temps de me
reposer. Je viens de passer trois nuits horribles sans dormir et je suis totalement
épuisée. Elle m’a fait cadeau de tous ses symptômes, c’est génial !
Liam rentre aujourd’hui d’une session d’entraînement. J’avais oublié à quel
point je détestais ces camps de formation. Ils partent tout le temps, ensuite, ils
sont déployés. J’ai plus d’une fois supplié Aaron de partir pour un mois, quitte à
faire du temps supplémentaire, pour qu’il ne soit plus une semaine ici, une
semaine là-bas. Ces absences à répétition me mettaient en rage.
Quand ils s’en vont pendant une longue période, on trouve un rythme, on
sait de quoi les journées seront faites, mais ces missions de courte durée fichent
tout en l’air. Même si Liam et moi n’avons rien fixé — du moins, pas encore. On
s’appelle chaque soir. Il me laisse aller à mon rythme et, pour l’instant, je suis
parfaitement heureuse avec ce que nous avons. Rien n’est vraiment défini. C’est
un échange très tendre, affectueux. Il aime ma présence et moi la sienne, il me
fait rire et prend soin de moi. Par-dessus tout, il prend soin d’Aarabelle, ce qui
m’importe plus que tout au monde.
— Lee, tu es là ?
Est-ce qu’on a frappé à la porte ? La fièvre a dû atteindre mon cerveau parce
que je commence à entendre des voix. Magnifique !
On toque à nouveau, et Aarabelle piaille.
— D’accord, d’accord, c’est bon, chut, dis-je en maugréant à la fois contre la
porte et contre Aara.
Ma tête me fait tellement mal que j’ai l’impression qu’elle va exploser.
La voix de Liam me parvient, assourdie, alors que je me traîne jusqu’à
l’entrée.
— Natalie, je te préviens, si tu n’ouvres pas, je vais utiliser mon double.
J’ouvre et appuie la tête au chambranle en gémissant ; la lumière du jour me
fait plisser les yeux.
— Oh la…
J’avais oublié que je nageais dans un vieux sweat gris et un jogging orange.
Je porte la main à mes cheveux et remarque que ma queue-de-cheval est à moitié
défaite. Bon, le ridicule ne me tuera pas cette fois-ci.
— Si tu es venu pour te moquer de moi, tu peux partir, dis-je, la voix
enrouée.
Puis je me mets à tousser.
— C’est à tes risques et périls, j’ajoute, tandis qu’il entre dans la maison. Je
vais mourir.
Il ricane et referme derrière lui.
— Mais non, tu ne vas pas mourir, me dit-il en m’embrassant sur le front. Il
n’empêche que tu devrais prendre tes médicaments et aller t’allonger, tu es
brûlante.
Dormir.
Dormir. Voilà une bonne idée !
Médicament et au lit.
— D’accord…
Je suis sur le point de monter dans ma chambre en traînant des pieds quand
me revient un détail.
— Attends ! Je dois surveiller Aarabelle…
Une nouvelle quinte de toux me prend.
— Quoi ? demande-t-il en examinant un body sale d’Aara, qu’il a ramassé
avec le bout d’un stylo.
— Aarabelle, je dois la surveiller.
Il me prend par les épaules en riant, alors que je suis en proie à une nouvelle
quinte de toux.
— Je m’occupe d’elle.
J’écarquille les yeux.
— Hein ?
Il me sourit.
— Je m’occupe d’Aarabelle, et toi tu vas au lit. Peut-être à la douche aussi,
plaisante-t-il.
Crétin.
— Au lit, d’accord. Tu es sûr ?
J’insiste pour la forme, parce que, s’il est vraiment disposé à s’occuper
d’Aara, je vais me doper et faire un séjour prolongé dans mon lit pour en finir
avec ce virus.
— J’ai survécu à des guerres, des missions d’entraînement pour tester mes
limites physiques et psychologiques, j’ai porté des corps en sang pendant des
fusillades, je pense que je peux survivre à quelques heures avec un bébé, dit-il en
redressant la tête, tout fier.
Son air assuré me fait rire et tousser en même temps. Il ne doute de rien
parce qu’il ne sait pas ce que c’est que de surveiller un bébé qui commence à se
déplacer.
Mais j’accepte. Je suis malade comme un chien et tellement épuisée que j’ai
peur de m’endormir à côté d’elle, alors il vaut sans doute mieux qu’il prenne la
relève.
— Elle vient de manger. Elle aura encore faim vers 5 heures. Elle s’est
réveillée de sa sieste il n’y a pas longtemps, alors tu peux jouer avec elle, lui dis-
je, tandis qu’il la prend dans ses bras et qu’elle babille gaiement.
Ils se sourient, et Aarabelle lui colle sa main toute baveuse sur le visage.
— Oh ! un bébé baveux ! s’exclame-t-il en s’essuyant la joue.
Et il m’ordonne, en pointant l’escalier du menton :
— Va te coucher, on va s’en sortir. Pas vrai, Aarabelle ? Tu vas regarder le
foot avec tonton Liam, pendant que maman va se reposer.
Je ne peux pas m’empêcher d’avoir le cœur qui chavire en le voyant faire.
Cet homme que je connais depuis des années, pour qui je n’aurais jamais pensé
éprouver autre chose que de l’amitié… Chaque fois que je me demande si ce
qu’il y a entre nous est juste, il fait, sans le vouloir, quelque chose qui efface mes
doutes.
Il ne me doit rien et pourtant il est là, parce qu’il tient à nous. Il est rentré et
il est venu directement ici.
Je m’appuie contre le mur en les regardant. J’ai envie de pleurer, mais de
joie et d’amour, cette fois.
— Les Packers jouent, et on veut qu’ils battent les Bears, OK ? Tu dis :
« Allez, les Pack, Allez ! »
Il joue avec elle et lui lève les bras vers le ciel, tandis que je monte vers ma
chambre sur la pointe des pieds. Je prends dans l’armoire à pharmacie la plus
forte dose d’antalgique que je trouve et vais me réfugier sous les couvertures.

* * *

Quand je me réveille, je me sens mieux, quoique légèrement désorientée. Il


fait nuit, ce qui signifie que j’ai dormi beaucoup plus longtemps que les deux
heures prévues. Je me hisse hors du lit, prends une douche et me brosse les
dents. Mes cheveux sont indomptables, alors je fais de mon mieux. Je ressemble
un peu moins à un monstre une fois ma toilette achevée, mais les cernes énormes
que j’ai sous les yeux ne me rassurent pas.
Je vais voir dans la chambre d’Aarabelle et n’y trouve personne. Un peu
inquiète, je descends au salon, et rien n’aurait pu me préparer à ce que je vois.
Liam est étendu sur le canapé, Aarabelle profondément endormie sur sa
poitrine, sa petite main accrochée à la sienne. Elle est bien, protégée par
l’immense corps et les bras qui la tiennent. Ça me brise et me réchauffe le cœur
en même temps. Je suis triste qu’il ne soit pas son père, et reconnaissante de sa
présence. Aarabelle bouge légèrement et, même dans son sommeil, il
l’accompagne pour qu’elle reste confortablement installée.
— Tu te sens mieux ? demande-t-il.
Je sursaute en entendant sa voix grave qui rompt le silence.
— Salut, je chuchote en m’agenouillant près de lui pour être à sa hauteur, je
ne voulais pas te réveiller.
Il plisse les yeux et fait non de la tête.
— Je crois que je ne dors jamais vraiment. Je pourrais même sentir ton
regard sur moi. Et puis… Elle bouge toutes les cinq secondes, dit-il en bâillant et
en soulevant Aara.
— Je peux la prendre.
— Non, ça va, elle est bien, là.
Le son de la télé a été coupé, et l’écran éclaire la pièce. Liam a les yeux
fatigués, mais il ne me laissera pas la prendre. Il est allongé là avec ma fille
endormie contre son cœur. Je pose la main sur le dos d’Aara, et lui la recouvre
de la sienne.
— Merci, je murmure en souriant.
— Je ne me remercierais pas tout de suite, si j’étais toi : j’ai fait des bêtises.
Je souris et je regarde autour de moi. C’est vrai. Il y a des biberons, des
petits pots et une dizaine de couches éparpillées aux quatre coins de la pièce. Je
remarque par ailleurs qu’Aara ne porte pas de vêtements ! J’éclate de rire.
— Oh ! mon Dieu ! je soupire, quand j’arrive enfin à reprendre mon souffle.
Pourquoi est-ce qu’elle porte deux couches ? Et qu’est-ce que c’est, ça ? Une
corde ?
Liam soulève Aara et la tient comme un ballon de foot.
— Mais qui a fabriqué ça ? Ces trucs se détachent tout le temps ! Et puis,
comment tu peux savoir dans quel sens tu dois les mettre ? Du coup, je les ai
attachées.
— Avec une corde ?
— J’en avais une dans mon sac, répond-il, réjoui, en embrassant Aara sur le
front. Ça marche, tu vois !
— Je ne sais pas quoi te dire.
— Pourquoi pas : « Oh ! Liam, tu es tellement extraordinaire, sexy, drôle ! Je
te dois un million de faveurs que tu pourras me réclamer quand tu en auras
envie ! »
— Certainement pas, gros malin ! dis-je en me retenant de rire et en
l’embrassant sur la joue. Donne-la-moi maintenant, je vais la coucher.
Il me tend Aarabelle, et je prends une couche propre, pendant qu’il se
redresse, les bras croisés.
— Tu sais combien de temps ça m’a pris, de lui mettre ça ?
J’examine mieux son ouvrage : il a fait au moins trois nœuds et a passé la
corde autour de la taille et entre les jambes d’Aara. Je me demande comment elle
a réussi à s’endormir avec ça sur elle…
— Eh bien, regarde combien de temps ça me prend de la mettre
correctement, dis-je pour le taquiner. Qu’est-ce que c’est que ces nœuds, au fait ?
— Besoin d’aide ?
— J’ai surtout besoin d’un couteau pour lui enlever ça !
Je râle sans cesser de chuchoter pour ne pas la réveiller.
Ce type est cinglé !
Je m’attaque au premier nœud, qui finit par céder, et menace Liam :
— Je te jure que si elle se réveille c’est toi que je vais attacher !
Il pouffe.
— Peut-être que j’aimerais ça.
— C’est ça, rêve, je réplique en éternuant, avec une envie folle de retourner
me mettre au lit.
Liam s’agenouille à côté de moi pour m’aider à défaire les nœuds.
— Tu aurais pu utiliser du scotch, tu sais ?
— Je l’aurais fait si j’avais su où il était rangé.
Les émotions se bousculent un peu en moi. Il aurait pu me réveiller, mais il a
préféré se débrouiller seul. Certes, il lui a attaché sa couche avec une corde, mais
je trouve ça tellement adorable ! Je crois que j’ai de la chance, une fois de plus.
Nous avons tous les deux peur d’aller plus loin, mais à cet instant je n’ai plus
envie de lutter. Il faudra qu’on parle de certaines choses, mais Liam m’a rendu
une partie de moi que j’avais oubliée. Il me regarde comme une femme, pas
comme une veuve.
— C’est très simple, lui dis-je, alors qu’il s’assoit près de moi pour me
regarder mettre sa couche à Aara.
L’opération me prend tout juste dix secondes.
— Je te jure qu’avec celles que j’ai utilisées ça ne marchait pas !
— D’accord, je te crois…
Je prends Aarabelle dans mes bras, et Liam m’accompagne jusqu’à sa
chambre. Je la pose dans son berceau ; il lui donne un baiser sur le front et lui
souhaite bonne nuit.
Chaque soir, en la couchant, je dis une prière pour elle et je demande à son
père de veiller sur elle. J’exprime ma gratitude pour la présence de Liam dans
nos vies et je lui demande de nous aider à guérir.
Quand je me retourne, Liam est debout dans l’embrasure de la porte.
J’avance vers lui, sans le lâcher des yeux. Nos regards sont lourds de sous-
entendus, même si nous ne disons rien. Mon cœur et mes yeux avouent tout.
Il se penche en avant, dégage une mèche de cheveux de mon visage et
s’attarde un peu, caressant mes lèvres avec son pouce.
— Liam…, je soupire.
— Je devrais sans doute partir, me dit-il, alors que ses doigts continuent de
me caresser le visage.
— Tu devrais, oui, je répète en fermant les yeux et en respirant son odeur.
J’ai envie qu’il reste, mais il faut qu’il quitte la maison parce que je me sens
totalement vulnérable. Je ne suis pas prête.
— D’accord. J’y vais. Tu es malade, tu as besoin de repos.
— C’est mieux…, je souffle en m’accrochant à sa chemise. Ou alors… On
pourrait juste se faire un câlin sur le canapé ?
Je n’ai aucune envie de le laisser partir, mais c’est pour moi la seule manière
acceptable d’être près de lui, pour l’instant. Je sais que les hommes n’aiment pas
beaucoup les câlins, mais j’ai besoin d’être contre lui, sans être pour autant prête
à l’inviter dans mon lit.
Il rit doucement et me prend dans ses bras.
— D’accord, je crois que c’est dans mes cordes…
22

— Sparkle, est-ce que tu as les candidatures pour la nouvelle équipe ? me


demande Mark en entrant dans mon bureau.
Nous avons pris la relève d’une société qui a échoué sur deux contrats pour
fournir de l’aide en Afrique. Maintenant que FSC a signé, il nous faut envoyer
du personnel. Ma nouvelle fonction au sein de l’entreprise me passionne. J’ai le
sentiment de permettre aux gens de rentrer chez eux sains et saufs. Les
problèmes rencontrés par la société qui nous a précédés étaient dus à une
mauvaise gestion. À présent, je m’assure que les équipes sur place ont tout
l’équipement nécessaire. J’ai aussi constaté que Jackson ne fait pas d’économies
pour leur sécurité. Chaque fois que je lui ai demandé des fonds supplémentaires
pour le matériel, il me les a accordés sans poser de questions. Il préférerait taper
dans nos salaires, plutôt que de lésiner sur le dos de ses soldats.
— Oui, elles sont là, dis-je en soulevant la pile de papiers et en continuant à
écrire. Au fait, tu mériterais que je t’en mette une pour ce surnom que tu m’as
donné !
À ma naissance, mon père était dans sa période hippie et il a absolument
voulu que je porte « Star » comme deuxième prénom. Mark l’a vu sur mon CV
et s’est dit que j’étincelais comme une étoile. D’où « Sparkle ».
— C’est un don que j’ai. Tu aurais dû voir la tête de Catherine, la première
fois que je l’ai appelée Kitty !
Il s’esclaffe.
— J’espère qu’elle t’a collé une baffe.
— Nan, elle m’adore.
— Comment tu fais pour garder les gens autour de toi, alors que tu les rends
fous ? je lui demande, les yeux toujours rivés sur le document que je suis en train
de corriger.
— Tu sais que tu peux faire une pause ? On a un super café.
Je ne peux m’empêcher de sourire en entendant son accent new-yorkais,
dont tout le monde se moque gentiment.
— Du cawfé ? dis-je en l’imitant pour rire, posant mon stylo.
— Je vois que tu es d’humeur à plaisanter…
— Seulement avec toi, Twilight.
— Hé, tu vois ? On fait une bonne équipe, toi et moi : je suis le crépuscule,
et tu es l’étincelle à la tombée du soir. C’est la combinaison parfaite !
— Je pense que vous êtes en train de me draguer, monsieur Dixon.
Je sais parfaitement que ce n’est pas le cas, mais j’aime bien l’embêter.
— Non, je plaisantais seulement. Je ne te manquerais pas de respect, Natalie,
se défend-il, feignant l’indignation.
— Pas de souci, t’inquiète, je sais que tu plaisantes. Aaron te botterait le cul,
autrement…, j’ajoute sans réfléchir.
Je me rends compte de ce que je viens de dire et je me plaque la main sur la
bouche.
— Je veux dire…
— Oui, il me botterait le cul, et Liam aussi, c’est sûr.
— Est-ce que quelqu’un vient de prononcer mon nom ?
La voix de Liam surgit de nulle part. Je sursaute en le voyant apparaître et
me lève pour l’accueillir.
— Salut.
— Salut, Dreamboat ! lance Mark joyeusement en lui serrant la main et en
lui tapant chaleureusement dans le dos.
— Comment tu vas ? Ça fait un bail.
Tous deux échangent quelques banalités, puis Mark sort de mon bureau. Je
ne sais pas si Liam a entendu notre conversation et, si oui, si ça l’a dérangé…
Cela mis à part, je suis surprise de le voir.
— Je ne t’attendais pas.
— Je sais. Je t’ai envoyé un texto, mais tu n’as pas répondu, alors j’ai pensé
que je ferais aussi bien de passer.
— OK, je suis contente de te voir.
Il referme la porte, fait un pas en avant ; j’en fais un en arrière en me
demandant pourquoi je recule devant lui.
— Tu es très belle.
— Et toi, tu es incroyablement sexy dans cet uniforme.
Il continue de s’approcher de moi dans sa combinaison de camouflage.
Ses manches roulées sur ses avant-bras donnent plus de volume à ses biceps,
le haut de son uniforme est plaqué contre sa poitrine, et je ne peux m’empêcher
d’imaginer ses fesses. Je ne sais pas pourquoi, leurs pantalons d’uniformes font
toujours aux soldats des fesses sublimes.
Peut-être que je pourrais le faire tourner sur lui-même pour voir…
Liam sourit, l’air amusé, comme s’il lisait dans mes pensées.
— À quoi tu penses ?
Tandis qu’il s’approche encore, je parcours son corps des yeux et lui rends
son sourire.
— À ton cul.
Il éclate de rire, et son regard s’assombrit. J’adore ce petit jeu, c’est amusant
et très sensuel. Si je continue de le pousser, il risque de perdre patience.
— Je serais très heureux de te le montrer…
— Oh ! j’en suis sûre, mais je suis dans mon bureau, et ce serait tout à fait
inapproprié.
Je pouffe, posant une main sur sa poitrine pour qu’il arrête d’avancer. Mais il
continue de me faire reculer, alors je lui demande :
— Que puis-je pour vous, soldat ?
— Les gars sortent dans un bar, ce soir, et ça fait longtemps que je ne suis
pas sorti avec eux.
Il fait un pas de plus pour me forcer de nouveau à reculer.
— Oui, et alors ?
Je ne comprends pas où il veut en venir.
Il plonge ses yeux dans les miens, et son regard me coupe le souffle.
J’inspire profondément, en espérant me calmer, mais ça ne m’aide pas beaucoup,
au contraire. Les effluves mêlés de son eau de toilette et de sa transpiration
m’envahissent tout entière et me font tourner la tête.
— Alors, j’ai envie que tu viennes avec nous. Avec moi.
— Je… Mais euh… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
Mais Liam ne semble pas près de lâcher prise. Il m’a fait reculer jusqu’à
mon bureau et m’emprisonne de ses bras.
— Je ne veux pas passer la soirée à décliner les avances de femmes sans
importance pour moi. Je veux que tu viennes avec moi. Je veux passer la soirée
avec toi, Natalie.
Ses lèvres effleurent mon cou, et je frissonne. Il dépose de légers baisers le
long de mon col et sur mon épaule, et je gémis.
— Je veux entrer dans ce bar et que tous ces couillons me regardent en
pensant : « Putain, quelle chance il a, celui-là ! » Ensuite, je te prendrai dans mes
bras…
Il m’embrasse encore une fois dans le cou et remonte jusqu’à mon oreille.
— Et je…
— Tu quoi ? je lui demande, curieuse, alors qu’il se redresse.
— Tu dois d’abord me dire si tu viens.
Il m’est impossible de lui refuser quoi que ce soit. Ses yeux bleus pleins
d’espoir brillent malicieusement. Ce n’est pas comme si c’était notre premier
rendez-vous… Mais cette fois-ci, c’est différent, si nous sortons avec des amis
communs. Des gens qui ont connu Aaron vont me voir avec Liam, et je dois
décider si je veux ou non que mon passé m’empêche d’aller de l’avant.
— Qui vient ?
— Est-ce que c’est important ?
— Oui. Qu’est-ce qu’on va dire ?
Ses yeux ne me quittent pas.
— Ne te pose pas trop de questions. C’est juste une sortie entre amis pour
aller boire une bière.
— Non, c’est toi et moi, et nos amis. Des amis qui ne sont pas au courant de
ce qui se passe entre nous. En plus, j’ai bien compris ce que tu avais l’intention
de faire, dis-je avec un regard malicieux.
— Lee, ce ne sera pas forcément bizarre. Je peux garder les mains dans mes
poches toute la soirée, tu sais.
Je le regarde en haussant les sourcils.
— Ah oui ? Après être venu me harceler dans mon bureau et avec les sous-
entendus que tu viens de me faire ?
— Hé ! je peux me maîtriser ! C’est toi qui me fais peur. Je suis un morceau
de premier choix, et tu vas avoir envie de marquer ton territoire. Au passage,
mon numéro de séduction a fonctionné ?
Je renverse la tête en arrière dans un grand éclat de rire, et Liam en profite
pour m’embrasser dans le cou. Je m’agrippe à ses épaules en soupirant.
— Ce n’est pas juste d’utiliser ton sex-appeal contre moi !
— C’est ça, la stratégie, mon cœur.
Je proteste un peu, puis je lui souris.
— D’accord, tu as gagné. J’appellerai Paige pour lui demander si elle peut
s’occuper d’Aarabelle, ce soir.
— Hum, gémit-il dans mon cou avant de relever la tête. Je garde les mains
dans les poches, alors ?
Je me mets sur la pointe des pieds pour déposer un baiser très chaste sur ses
lèvres.
— Ça n’arrivera pas ce soir.
— Non, non, pas ce soir, répète-t-il, pressant ses lèvres sur les miennes.
Il me colle contre mon bureau. Le bois est froid, mais je ne sens que la
chaleur qui émane de Liam tandis qu’il m’embrasse. Il serre mon visage entre
ses paumes, laisse glisser les doigts dans mes cheveux. Mon cœur se met à battre
comme un fou, et je m’agrippe à son dos pour le serrer plus fort contre moi.
J’ouvre la bouche pour laisser sa langue caresser la mienne.
Soudain, c’est comme si on avait appuyé sur un interrupteur. La passion avec
laquelle il me dévore emporte avec elle toutes les craintes qui me retenaient
encore. Je me sens si légère, son corps au-dessus de moi ! Il me protège de ma
culpabilité et de ma souffrance. La joie se dégage de lui. C’est incroyable, le
bonheur qu’on se donne l’un à l’autre ! C’est effrayant aussi, mais je trouve ça
beau. J’ai envie de lui donner plus. J’ai envie de lui donner ce qu’il me demande.
Seulement, une fois encore, je doute d’être prête.

* * *

Aarabelle est endormie quand Paige arrive à la maison. Cette fille me sauve
la vie, elle est disponible même quand on la prévient à la dernière minute. Je ne
sais pas quoi me mettre, puisque c’est la première fois que Liam et moi sortons
avec tout le monde. Je fouille dans ma garde-robe et change d’avis au moins dix
fois. Finalement, j’opte pour le compromis « jolie mais décontractée » : j’enfile
mon jean préféré et un top mauve qui tombe sur les épaules.
On sort juste avec des amis. Liam et toi ne faites rien de mal. On n’a même
pas couché ensemble. On s’embrasse juste, beaucoup. Vraiment beaucoup et
vraiment bien. Merveilleusement bien…
J’entends la voiture de Liam arriver. J’ouvre la porte avant même qu’il
frappe. Une fois de plus, il est beaucoup trop beau pour être honnête. Comment
ne l’avais-je jamais remarqué ?
— Bonsoir, mon cœur, dit-il de sa voix profonde et suave, en me regardant.
Je fonds littéralement à sa manière de prononcer « mon cœur ».
— Bonsoir, toi…
— Tu es prête ?
— Comme toujours.
J’attrape ma pochette, ferme la porte et me mets sur la pointe des pieds pour
l’embrasser, mais il recule et m’offre son bras à la place.
— Euh… C’est quoi, ça ?
L’indignation est perceptible dans ma voix.
— Ça, répond-il en me donnant une pichenette sur le nez, c’est ma manière
de tenir ma promesse. Tu veux que je me conduise en gentleman, alors pas
question que tu m’utilises pour ton plaisir.
— Tu plaisantes ?
Il se penche et ajoute à voix basse :
— Si je te touche maintenant, les règles ne tiennent plus, et j’aurai le droit de
poser les mains sur toi ce soir. Parce que si je commence, là, je risque de ne pas
pouvoir m’arrêter. Alors tu choisis. J’ai terriblement envie de toi, tu sais.
Il se redresse et attend.
Tu parles d’un choix !
J’ai envie de lui, il me rend heureuse, mais…
— Et si j’ai envie de t’embrasser maintenant ?
— Je t’embrasserai plus tard, quand j’en aurai envie.
— Et si je n’ai pas envie que tu m’embrasses plus tard ?
Il éclate de rire et s’approche de moi.
— Je pense que tu as très envie que je t’embrasse maintenant et je suis sûr
que tu aimeras, si je t’embrasse plus tard aussi.
— Bon… Puisque c’est comme ça…
Je le saisis par la chemise, le presse contre moi. Ses lèvres se collent aux
miennes. Il m’enlace, et je me perds dans ses bras. Ses mains me caressent,
descendent jusqu’à mes fesses… Soudain, il me prend par les cuisses, me
soulève et me plaque contre la porte. Accrochée à sa nuque, je le laisse faire.
L’embrasser ne ressemble à rien de ce que j’ai connu ou ressenti. Il y a de la
rudesse, mais aussi beaucoup de douceur, dans ses baisers. Sa langue danse avec
la mienne comme si nous avions fait ça toute notre vie. Il me donne et je lui
donne en retour, sans gêne, sans maladresse. Je pourrais passer ma vie à
l’embrasser et être tout à fait heureuse.
Je gémis contre sa bouche ; il presse plus fort ses hanches contre les
miennes. Oh. Mon. Dieu ! Tout mon corps se met à trembler. Il recommence,
tandis que je cherche mon souffle, haletante d’excitation.
— On devrait y aller, dit-il contre mon cou.
— Je vais avoir besoin de quelques bières après ça !
Je me laisse glisser contre son corps pour retrouver la terre ferme.
— Moi, j’ai besoin d’une douche froide !
Il me prend la main pour me conduire jusqu’à la voiture et ajoute, en ouvrant
la portière :
— Sérieusement, Lee, tu es très belle.
Je l’attrape par le cou et colle mes lèvres sur les siennes.
— Merci.
Il m’embrasse sur le front, et je monte dans la voiture en priant pour que
nous passions cette soirée sans que rien n’explose autour de nous.
23

Liam

C’est incroyable, cette femme est en train de bouleverser ma vie, et elle ne


s’en aperçoit même pas ! Je ne peux plus rester loin d’elle. Courir ne me sert
plus à rien. Je pense à elle chaque fois qu’une chanson débile passe à la radio.
Dans les salles de sport, je compare le corps de chaque blonde qui passe à celui
de Natalie, que je trouve bien plus beau.
Elle me regarde comme si j’étais son sauveur, alors que c’est elle qui me
sauve la vie ! J’ai toujours pris des risques, en mission, parce que ça m’était égal.
Personne ne m’attendait à la maison. J’aurais pu prendre une balle pour
n’importe qui. Maintenant, en entraînement, je me demande ce qu’elle
éprouverait, ce qui se passerait, pour elle, s’il m’arrivait quelque chose. Même si
elle ne m’aime pas… Pas encore. Mais je sais qu’elle tient à moi. Elle ne
m’embrasserait pas comme ça, sinon.
— Alors, dans quel endroit raffiné vous vous retrouvez entre mecs ? me
demande-t-elle avec une pointe d’ironie en se tournant vers moi.
Mes deux copines préférées sont avec moi en ce moment : Robin et elle.
— The Banque.
Je guette sa réaction. The Banque est un bar de danse country, avec une
assez mauvaise réputation, mais on y a nos entrées gratuites grâce au patron, et il
y a toujours des filles prêtes à nous tenir compagnie…
Natalie renverse la tête en arrière en grommelant.
— Un problème, mon cœur ?
Je sais qu’elle a horreur de cet endroit. Toutes les femmes mariées le
détestent.
— C’est presque aussi mal famé que le Hot Tuna ! Je ne comprends pas. Est-
ce que c’est juste un jeu, pour vous ? Est-ce que ça vous intéresse de rencontrer
des filles qui vous mettent leurs seins sous le nez ?
Elle est tellement adorable quand elle parle comme ça !
— Je n’entrerai pas dans ce débat.
— Quel débat ?
— J’aime beaucoup jouer, je n’ai jamais eu besoin de faire beaucoup
d’efforts.
Elle secoue la tête, exaspérée.
— Quel prétentieux !
— Ne t’inquiète pas, il n’y a que toi qui auras le droit de voir mon jeu.
Je passe le bras derrière son siège. Elle me tape sur la poitrine en souriant.
— Peut-être que tu devrais essayer une autre stratégie, parce que tu ne vas
pas aller très loin, si tu continues comme ça… mon cœur.
— Hé, c’est très méchant, ça !
— Tu survivras.
— Tu vas me le payer !
— J’en suis sûre. Mais tu ne me fais pas peur, Liam Dempsey. Moi, par
contre, je te fais peur.
— Ça, c’est clair, dis-je à voix basse, mais je suis presque sûr qu’elle
m’entend.
C’est vrai que j’ai peur d’elle. Elle représente tout ce dont je rêve, alors que
je n’ai aucun intérêt à vouloir être avec elle. Elle a une gosse, elle a perdu son
mari. Je joue à un jeu dangereux, mais j’aime ça et je ne laisserai pas tomber. Il y
a tellement plus à craindre que le fait qu’elle était la femme de mon meilleur
ami ! Elle a construit des barrières autour d’elle, elle a des appréhensions. Mais
je suis un sale égoïste, parce que je m’en moque. Si elle ne veut pas de moi, elle
me le dira, mais pour l’instant c’est elle que je veux, et ça n’a pas l’air de la
déranger.
Elle regarde par la fenêtre pendant que je conduis. Par moments, je ne sais
pas comment lui parler. C’est comme avec ses larmes… Je ne sais pas y faire.
Je me gare devant le bar et l’entends soupirer. Elle semble si profondément
enfermée dans ses propres craintes que c’est difficile de l’en sortir. Je déteste la
voir inquiète, moi qui ne m’inquiète jamais de ce que les autres pensent,
contrairement à elle. Franchement, je n’en ai rien à foutre. Les gens jugeront, de
toute façon, mais elle et moi sommes adultes.
— Lee ?
Elle penche la tête sur le côté.
— Tu es prêt à faire ta déclaration, Dreamboat ? me demande-t-elle en
souriant, et mon inquiétude s’évapore.
— Faire ma déclaration ?
— Tu sais… Dire à tout le monde qu’on sort ensemble.
— C’est ce que tu veux ?
— Bien sûr.
— Je suis sérieux, là. Si tu as besoin de temps, si tu ne veux pas qu’on aille
plus loin, on peut rester amis. Je le dis avant qu’on devienne encore plus
proches. Je te connais depuis longtemps, mais j’ai l’impression qu’une fois
qu’on aura franchi le cap je ne voudrai plus ralentir.
Je le lui avoue sans détour, parce que je sais qu’elle a besoin de l’entendre.
Elle a une année pourrie derrière elle, et je respecte son souhait de prendre du
temps, mais mes sentiments pour elle grandissent de jour en jour.
— C’est ce qui me fait peur. Je pense à toi constamment. J’ai peur que ce ne
soit pas normal, parce que ça me semble si naturel…
Elle fait une pause, jette un coup d’œil à travers le pare-brise et se tourne à
nouveau vers moi.
— Je tiens tellement à toi ! Tu me rends heureuse, et je veux juste…
— Juste ?
— Je ne veux pas aller trop vite et tout foutre en l’air. Je ne veux pas te
perdre. Mais je dois penser à Aarabelle, aussi, et j’ai peur de la suite, parce que
je ne pourrai pas protéger mon cœur contre toi.
Elle a les yeux grands ouverts, et je la sens plus vulnérable que jamais. Je
sais qu’elle lutte pour se laisser aller et qu’il sera impossible de faire comme si le
fantôme d’Aaron n’existait pas entre nous.
Quand je suis chez elle, je sens sa présence partout et je flippe, alors je ne
peux imaginer ce qu’elle doit ressentir de son côté.
— Je ne te ferai jamais de mal volontairement. Tu n’as pas besoin de
protéger ton cœur.
Ses yeux s’emplissent de larmes, et je recommence à paniquer.
— Tu vas me rendre totalement amoureuse de toi, pas vrai ?
— On s’est plus ou moins mis d’accord là-dessus, non ?
Elle ouvre la portière en riant.
— C’est ce qu’on va voir !
Elle fait le tour de la voiture pour me rejoindre, et je la prends contre moi.
— Oui, c’est ce qu’on va voir.

* * *

Cela fait des années que je n’ai pas mis les pieds dans ce bar, mais l’endroit
n’a pas beaucoup changé. Tout y est demeuré comme dans mon souvenir. La
piste de danse, entourée de tables. Le bar immense, au fond de la salle, et les
deux plus petits sur les côtés. Les tables de billard, toujours prises d’assaut, mais
je réussirai peut-être à convaincre Natalie de faire une ou deux parties. Peut-être
que je pourrais lui apprendre des trucs…
Je l’imagine sans mal la queue de billard entre les mains, penchée sur la
table, ses longs cheveux tombant autour de son visage et ses yeux cherchant les
miens… Alors, j’irais me placer derrière elle pour sentir ses fesses se presser
contre moi. Elle remuerait légèrement et… Putain !

Nonnes.
Caniches.
AK-47S.
Couches sales.

Heureusement, la tension redescend, et nous trouvons la table où quelques


gars sont déjà installés.
— Hé, salaud ! me lance Quinn en me voyant et en venant me coller une
claque amicale sur l’épaule, tout en me jetant un regard désapprobateur.
— Salut, où est… comment elle s’appelle, déjà ? je lui demande, sachant
qu’il passe d’une fille à une autre sans faire la différence.
Je ne suis pas sûr qu’il ait déjà couché avec la même fille deux fois de suite.
— Je cherche une nouvelle proie, ce soir.
Puis il s’approche de Natalie pour lui faire la bise.
— Salut, beauté !
Qu’il ne s’avise pas de l’emmerder ou je l’envoie chez lui se mettre de la
glace sur les couilles !
— Salut, Quinn. Ça fait longtemps.
J’entends à sa voix qu’elle n’est pas très à l’aise, un peu nerveuse, et j’essaye
de ne pas m’inquiéter pour elle. Je suis prêt à m’afficher avec elle devant tout le
monde ; j’aimerais qu’elle le soit aussi. Son veuvage date de moins de un an, et
je ne devrais pas le prendre personnellement. Mais savoir et accepter sont deux
choses différentes.
On est si bien ensemble ! Depuis neuf ans qu’on se connaît, jamais je
n’aurais imaginé être avec elle de cette façon. C’est comme si elle donnait vie à
une nouvelle partie de moi.
Je salue les gars de l’équipe et, quand nous arrivons au bout de la table,
Natalie s’écrie :
— Rea !
Elles se précipitent dans les bras l’une de l’autre.
— Je ne savais pas que tu serais là !
Alors c’est elle, la fameuse Reanell Hansen…
Elles gloussent comme des gamines.
Putain, ce n’est pas possible !
Le commandant Hansen est là. Il lève sa bière pour me saluer.
— Commandant, dis-je en lui serrant la main.
En mission, c’est une chose, mais prendre un verre avec son boss quand on
est de retour c’est… étrange.
— Demspey, ce soir, tu peux m’appeler Mason.
Reanell s’avance vers nous pour détendre l’atmosphère.
— Oh ! Mason, arrête de jouer au con.
Puis elle me serre la main.
— Bonjour, je suis Reanell. Contente de te rencontrer enfin pour de vrai.
— Ravi de vous rencontrer, madame.
— Attends, tu ne m’as pas appelée « madame » là !
J’éclate de rire, je l’apprécie tout de suite.
— Non. Jamais de la vie !
— Bon, je préfère ça. Maintenant, asseyez-vous. On va prendre un verre
pour que Natalie reprenne des couleurs et se remette à respirer.
— Bonne idée !
— Alors, dis-moi, tu peux faire combien de développés couchés à la suite ?
me demande-t-elle, très sérieuse, en m’inspectant de haut en bas, puis elle se
penche en calant son menton dans sa paume.
Natalie lui donne une petite tape sur le bras, qui la déséquilibre. Sa tête
plonge en avant, ce qui nous fait tous rire, sauf elle. Elle lance un regard noir à
Natalie.
— Arrête de faire l’idiote et bois ta bière, toi ! C’était une vraie question,
précise-t-elle en commandant une tournée pour tout le monde.
Natalie se détend un peu, et elles se mettent à parler du travail et
d’Aarabelle. Je me rapproche de Lee. Elle finit par poser la main sur ma jambe
avec un sourire timide, et je pose la main sur la sienne. Je sais que c’est un gros
effort pour elle et j’apprécie. Je m’appuie ensuite contre le dossier du fauteuil,
passe un bras derrière elle, et elle se laisse aller contre moi.
Soudain, les lumières diminuent. Ils vont passer un slow.
Je me penche et demande à Natalie à voix basse :
— Tu veux danser ?
J’ai chuchoté pour deux raisons : primo, si elle me répond non, sûr que cette
bande d’enfoirés va me vanner, et je n’y survivrai pas ; deuzio, je ne veux pas
qu’elle se sente obligée d’accepter juste parce que je le lui aurai demandé devant
tout le monde.
Avant qu’elle ait le temps de dire quoi que ce soit, une petite blonde vient
vers moi et passe les bras autour de mes épaules.
— Salut, Liam. Tu veux danser ?
Il me faut une seconde pour me souvenir d’elle.
Brittany. Merde !
La fille dont je me suis — presque — servi pour me sortir Natalie de la tête.
24

Natalie

Le visage de cette très jolie fille me dit quelque chose, mais je n’arrive pas à
me souvenir où je l’ai aperçue. De toute évidence, Liam et elle se connaissent.
— Merci, mais non, répond-il.
— Je ne t’ai pas revu, depuis la dernière fois, lui dit-elle en me regardant.
Liam se rapproche alors de moi et me prend la main : une façon de lui passer
le message.
— Ouais, c’est vrai.
— Je pensais que tu m’appellerais.
— Écoute, Brittany, c’est sympa à toi de venir dire bonjour, mais je suis avec
ma copine, là.
Elle se tourne vers moi et me tend la main.
— Salut, je suis Brittany Monaco.
Oui, vraiment, j’ai déjà vu cette fille quelque part, mais impossible de la
replacer dans un contexte.
— Natalie Gilcher, je me présente à mon tour en lui serrant la main.
Elle ouvre de grands yeux en entendant mon nom et détourne un instant le
regard.
Étrange.
— Je suis…
Mais Liam l’interrompt en se raclant la gorge, manifestement pressé de clore
la conversation.
— Viens, mon cœur, la piste nous attend.
Il ne me quitte pas des yeux en me parlant. Il a l’air anxieux, comme
impatient de m’éloigner d’elle, et je me demande pourquoi.
— OK, dis-je alors, un peu hésitante.
Je le suis vers la piste de danse, l’estomac noué. Je meurs d’envie de
découvrir ce qu’il y a entre eux, mais je ne sais pas si j’ai le droit de l’interroger.
Nous ne nous sommes pas juré fidélité — enfin, de mon côté, si —, mais je ne
lui ai jamais demandé un tel engagement.
Les pensées se bousculent dans ma tête, chacune apportant une nouvelle
inquiétude. S’il a couché avec elle… Est-ce que ça change quelque chose ?
D’ailleurs je ne vois pas quand il aurait pu, il est tout le temps avec moi.
— Demande-le-moi, Natalie, me dit-il en passant le bras dans mon dos et en
me serrant contre lui.
Je recule un peu pour croiser son regard. J’hésite, puis détourne la tête.
Il répète :
— Demande-le-moi, je sais que la question te brûle les lèvres.
J’en suis incapable et j’esquive.
— Pourquoi tu ne m’expliques pas, tout simplement ?
— Si tu veux avoir une réponse, tu dois me poser la question, me dit-il en
plongeant ses yeux bienveillants dans les miens.
Alors je prends une grande inspiration et me jette à l’eau :
— Est-ce que tu as couché avec elle ?
— Non. J’en ai eu envie, je ne vais pas te mentir, mais je ne l’ai pas fait.
— C’était quand ?
— Avant qu’on s’embrasse pour la première fois.
Il me serre un peu plus contre lui et me fait tanguer doucement au rythme de
la musique, alors que mon cœur se remet à battre comme un fou.
Il soupire et frotte doucement son nez contre le mien.
— Je pensais à toi tout le temps et je voulais que ça s’arrête, me confie-t-il
d’une voix où perce presque de la colère.
— Pourquoi tu ne l’as pas fait ?
Je n’ai aucune raison de me sentir menacée, pourtant c’est le cas. Il est
célibataire, terriblement sexy, et je me demande encore pourquoi il passe autant
de temps avec moi. J’ai un passé, un enfant et des réticences qui m’empêchent
de faire l’amour avec lui. Il a toutes les excuses du monde pour me fuir et,
pourtant, il revient toujours vers moi.
— Parce que ce n’était pas toi.
Je le regarde. Il a fermé les yeux, et j’ai l’impression qu’il a de la peine en
m’avouant ça. Je ne veux pas qu’il se sente coupable… Je relève doucement le
menton pour atteindre ses lèvres et je l’embrasse. Ici, dans ce bar où, sans doute,
tous nos amis nous observent. Ça m’est égal qu’on nous voie, parce que je tiens
à ce qu’il sache ce que ses mots signifient pour moi. Combien cela me touche
qu’avant même qu’il se soit passé la moindre chose entre nous il ait préféré être
avec moi.
Il appuie sa tête contre la mienne, tandis que nos corps ondulent sur le
morceau. Ses bras m’enlacent et me guident. Je sens dans mon dos les regards de
nos amis braqués sur nous. Tout le monde sait où j’en suis, à présent, où nous en
sommes…
— C’était le soir où Aarabelle a été hospitalisée, poursuit-il. Brittany était
dans ma voiture. Pendant tout le temps qu’elle a passé sur le siège, à côté de
moi, je n’ai pas arrêté de penser à la ramener chez elle et à venir te voir, pour
t’expliquer ce que je ressentais. Et puis, tu as appelé.
— Liam, tu n’es pas obligé de me le dire.
— Je sais, mon cœur. Mais j’ai envie que tu saches. Je ne veux rien te
cacher. Quand j’ai vu ton nom s’afficher sur l’écran de mon portable, j’ai su que
je n’arriverais pas à rester avec elle. J’ai fait demi-tour avant même d’entendre
d’où tu m’appelais. Et quand j’ai compris…
Il recule un peu, et je jette un coup d’œil à Brittany.
Elle se balance d’un pied sur l’autre et me regarde en se rongeant les ongles.
— … Je ne pouvais pas ne pas te rejoindre. Et si j’avais couché avec elle,
ajoute-t-il en me soulevant le menton pour que je le regarde dans les yeux,
j’aurais voulu que ce soit avec toi.
Ses mots me rassurent, et je lui souris.
— Tout est plus simple, avec toi. J’ai du mal à lutter parce que je me sens si
bien. Comment peux-tu savoir à ce point de quoi j’ai besoin ?
— Je te connais. Et c’est facile pour tous les deux, parce que c’est juste. Je
connais ton cœur et je ne penserai jamais qu’il m’est acquis.
— Je sais, Liam.
Les derniers accords résonnent et, cette fois, c’est lui qui m’embrasse.
Lorsque nous quittons la piste, main dans la main, Reanell nous regarde, les
yeux pétillants. Je crois que je vais avoir besoin d’une autre bière…
Nous nous asseyons, buvons avec les autres, retournons danser deux ou trois
fois. Je ne suis pas une grande danseuse, mais j’aime beaucoup ça. J’allais
souvent danser avec les amis, quand Aaron était en mission, et Liam danse avec
moi, même s’il ignore tous les pas. Il mérite une mention spéciale ; ça le rend
encore plus précieux à mes yeux.
Nous passons la soirée à parler et à rire, et je ne peux m’empêcher de
regarder Brittany de temps à autre. Quelque chose me perturbe. Elle aussi me
fixe parfois et détourne aussitôt les yeux quand je la surprends. Peut-être que ça
ne signifie rien, mais je suis mal à l’aise. Peut-être qu’elle a couché avec Liam et
qu’il m’a menti, même s’il avait l’air honnête et n’avait aucune raison de le faire.
Je vais faire un tour aux toilettes et, quand je reviens, Liam danse avec
Reanell. Je les regarde et finis par être prise d’un fou rire. Ce type qui sait à peu
près tout faire — à part mettre une couche — est incapable de suivre le rythme !
J’ai trouvé son point faible.
— Tu t’amuses bien ? me demande Quinn en s’affalant dans le fauteuil à
côté de moi.
Aaron et lui étaient amis, quand il était en service. Ils appartenaient à la
même section et travaillaient beaucoup ensemble. S’il y a une personne dont je
crains le jugement, à propos de Liam et moi, c’est lui.
— Oui, et toi ?
— Tu sais, là où il y a de la bière et des nanas, je suis un homme heureux.
— Tu n’as pas changé !
Il a toujours été un peu lourd. Il boit beaucoup, flirte beaucoup et possède
chez lui plus d’armes à feu qu’un homme ne peut en utiliser dans toute une vie.
Sa coupe militaire dévoile la cicatrice qu’il a derrière l’oreille, depuis qu’il a été
blessé en Irak.
— Bah, la vie est trop courte pour que je change. Je vis comme j’en ai envie,
et si ça te déplaît tu peux aller voir ailleurs.
— Quel charmeur !
— Écoute, Natalie, je sais que ça ne me regarde pas du tout mais…
Il s’arrête et se passe nerveusement la main sur le front.
— … Je suis heureux pour toi. Je ne l’étais pas, au début. Je veux dire, on a
des règles, à propos des femmes des autres. Mais je pense qu’Aaron aurait été
content que tu trouves quelqu’un comme Liam. Alors, si être avec lui te redonne
le sourire…
Je pose la main sur la sienne. Il n’a pas idée à quel point ses mots me font du
bien ou, du moins, à celle, en moi, qui a besoin de les entendre. Je crois
qu’Aaron serait d’accord. La seule question, c’est de savoir si, moi, je suis prête
à aller de l’avant. Si je peux à nouveau sortir avec un militaire en connaissant les
dangers, parce que mon pire cauchemar s’est déjà réalisé.
— Merci, Quinn.
— Allez, assez parlé de tout ça… Il te faut une autre bière ! s’exclame-t-il en
faisant signe à la serveuse.
— Natalie ?
Je me retourne : c’est Brittany.
Bon, peut-être que j’aurais plutôt besoin d’une drogue.
— Oui ?
— Je voulais juste te dire que je suis désolée pour Aaron…
Ma respiration se bloque aussitôt.
Liam s’est arrêté de danser et a les yeux rivés sur moi. Je suis confuse. Je
pensais qu’elle était en relation avec Liam, et maintenant elle me parle d’Aaron ?
— Tu le connaissais ?
Où est-ce que je l’ai vue, bon sang !
Je connais son visage, et ça me rend folle de ne pas me souvenir ! Et cette
façon qu’elle a de me regarder, comme si elle me connaissait aussi.
Soudain, ses yeux s’emplissent de larmes, et l’angoisse m’envahit.
— Oui. Enfin, je veux dire… Je l’ai rencontré et…
Elle s’interrompt, baisse la tête, et ses larmes coulent.
— Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui te rend aussi triste ?
Alors que je tente de tirer ça au clair, Liam pose la main sur mon épaule.
— Brittany, je ne sais pas ce que tu essayes de faire, mais tu devrais rentrer
chez toi, dit-il en s’interposant entre elle et moi.
Mais je veux savoir. J’écarte Liam et j’insiste :
— D’où tu connais Aaron ?
— Aaron ? répète-t-il, perplexe.
Brittany se balance nerveusement d’un pied sur l’autre.
— Disons que je ne le connaissais pas vraiment. Enfin si… Mais… Ce
n’était pas…
— Tu le connaissais ou non ? je lui jette, agacée.
— Je voulais te dire que je suis désolée. On était amis.
— Tu viens de me dire que tu ne le connaissais pas vraiment.
— Tu as une fille, pas vrai ?
Ça ne colle pas. Elle ment. Mon intuition sonne l’alarme dans ma tête. Son
visage…
— Je t’ai déjà vue quelque part.
Et tout d’un coup, ça me revient.
— Tu étais présente à son enterrement !
Je la revois, maintenant, simple silhouette blonde qui se tenait à l’écart,
pendant la cérémonie. Elle est partie avant que quiconque ait pu lui parler. Je l’ai
vue pleurer, ce jour-là, en Pennsylvanie. Mais pourquoi aurait-elle fait le
déplacement depuis la Virginie, s’ils s’étaient seulement croisés ?
— Je ne sais pas de quoi tu parles, me répond-elle d’une voix tremblante.
Puis elle commence à reculer.
— Je n’aurais pas dû venir ici.
— Lee, on s’en va, me dit Liam en essayant de reprendre la situation en
main.
L’incompréhension me donne le vertige, et je sens la colère monter en moi.
Reanell me tire par le poignet.
Je me mets à trembler et je crie :
— Tu étais à son enterrement, je t’ai vue ! Pourquoi ? J’ai vu une femme
pleurer. Je n’ai pas fait attention, sur le moment, mais maintenant j’en suis sûre :
c’était toi.
Liam m’attire contre lui, et Reanell essaye de me calmer :
— Natalie, il y avait beaucoup de monde ce jour-là…
— Je ne suis pas stupide, Rea. Elle était là !
— Ce n’était pas moi.
— Pourquoi tu ne t’en vas pas ? lui suggère Reanell.
Brittany se tourne alors pour s’éloigner, mais je dois savoir.
— Comment tu l’as connu ?
Il y a de la tristesse dans ses yeux.
— Ce n’est pas ce que tu penses.
— Ça t’amuse d’aborder une veuve pour lui parler de son mari ? Ça ne suffit
pas qu’il se soit fait tuer ? Liam te snobe, alors tu t’en prends à moi ?
Elle détourne le regard, puis me fixe à nouveau.
— Je connaissais très bien Aaron. Et je ne suis pas en train de m’amuser. Ça
fait longtemps que je voulais te rencontrer.
— Pourquoi ?
— Je voulais m’excuser et rencontrer sa femme.
J’ai l’impression qu’on m’a clouée au sol. Je suis figée.
— Est-ce que tu avais une liaison avec Aaron ?
La question m’échappe, et je ne suis pas sûre de vouloir entendre la réponse,
mais j’ai besoin de savoir. Chacun de mes muscles est tendu dans l’attente de sa
réponse.
— On s’aimait, lâche-t-elle, alors qu’une larme coule sur sa joue.
Moi, mon cœur se décroche.
25

— Oh ! mon Dieu !
Je me mets à pleurer aussi. Liam m’entoure de ses bras, mais je le repousse.
— Laisse-moi !
— Lee, arrête.
Il prend mon visage dans ses mains pour m’obliger à le regarder.
— Tu n’en sais rien. Si ça se trouve, elle dit n’importe quoi.
Je regarde Brittany et lui crache :
— Menteuse ! Mon mari ne m’aurait jamais trompée. J’étais enceinte, et on
était heureux. Nous, on s’aimait !
Elle s’avance, mais Reanell la repousse et s’interpose entre nous.
— Je suis désolée, mais je dis la vérité. Aaron et moi étions ensemble depuis
quelques mois, quand il a appris que tu étais enceinte.
— Tu n’as pas pu avoir mon petit ami, alors tu inventes un truc sur mon
mari, c’est ça ?
— J’aimerais bien inventer, mais je l’aimais vraiment.
— Tais-toi ! Tu mens, tu ne le connaissais pas !
Aaron n’aurait jamais fait ça.
Liam me tient serrée contre lui, mais j’essaye de me dégager.
— Tu te trompes de mec ! je lui crie, pleine de colère.
— Il avait un tatouage sur les côtes et grinçait des dents en dormant.
J’aimerais que ce soit un mensonge. À moi aussi, il a menti.
Mon corps se remet à trembler. J’aimerais tant qu’elle mente, mais je
commence à comprendre que c’est la vérité.
— C’est complètement ridicule ! s’exclame Liam en resserrant son étreinte
autour de moi.
Mais Brittany continue :
— J’ai souvent voulu te parler et, quand je t’ai vue, ce soir…
Je ferme les yeux. J’ai du mal à respirer. Ce n’est pas possible. C’est un
cauchemar. Ça ne s’arrêtera jamais.
— Natalie, me dit Liam d’une voix calme et mesurée, tu n’es pas obligée de
la croire.
— Elle était là, Liam ! Elle était à son putain d’enterrement ! Qui vient à
l’enterrement d’un type croisé par hasard ? Et à l’autre bout du pays ?
Je me retourne vers elle. Reanell la fait reculer jusqu’au mur. Je m’avance,
bien décidée à avoir des réponses. L’homme à cause de qui je souffre depuis des
mois m’a trompée !
— Je connaissais Aaron. Jamais il ne t’aurait touchée, lui dit Reanell en
pointant le doigt vers elle.
Brittany me jette un regard implorant et brouillé de larmes.
Enragée, dégoûtée, je lui demande :
— Depuis combien de temps et combien de fois ?
Elle se dégage de l’emprise de Reanell et baisse la tête.
— Ce n’était pas ce que tu imagines, je t’assure.
— Alors, c’était quoi ?
— Je l’ai rencontré, et c’est arrivé. Je suis tellement désolée ! Je… Je voulais
te voir. Je voulais te dire que je ne suis pas…
— Pas quoi ? je lui crie en pleurant des larmes de rage.
Cette soirée devait être un pas en avant vers ma nouvelle vie. C’était ma
soirée. Avec Liam. Et c’est en train de devenir un enfer. Chaque mot qu’elle
prononce brise un peu plus l’équilibre que j’ai péniblement réussi à retrouver.
— Je l’aimais. On était ensemble depuis des mois quand j’ai appris que… Je
ne voulais pas que tu le saches comme ça.
— Mais si, bien sûr que tu le voulais, salope !
Liam me retient alors que je me débats.
— Si tu avais un peu de compassion, tu ne serais pas venue me parler !
— Quand j’ai su qu’il était marié, j’ai rompu avec lui, mais ça ne veut pas
dire que j’ai cessé de l’aimer.
— Moi, je l’aimais ! Tu n’es qu’une égoïste, tu le sais ça ? Des mois que
vous étiez ensemble ? Et on a eu un bébé !
— Je l’ai vue, oui.
Elle détourne le regard avant d’ajouter :
— J’aurais voulu que les choses soient différentes.
— Regarde-moi ! Je veux que tu me regardes quand je te parle ! Tu aurais pu
fermer ta gueule et me laisser tranquille, mais non, il a fallu que tu me le dises !
Je suis prête à lui mettre mon poing dans la figure.
— Natalie, ça suffit.
Liam me tire en arrière. Je tremble de colère et de dégoût. Je la hais. Je hais
le monde entier. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai, je me répète, encore et
encore. Je commençais enfin à me sentir bien, et maintenant… Ce n’est pas vrai,
et pourtant si. C’est si cruel ! Je sens un vide immense se creuser en moi,
emportant toutes mes émotions. Je repense au jour où j’ai appris la mort
d’Aaron, combien j’ai lutté pour me blinder et surmonter ma douleur. Je cherche
de nouveau cette force en moi, mais je ne trouve plus rien. Seulement le vide.
— Laisse-moi partir ! dis-je à Liam.
— Viens, mon cœur.
Sa voix calme me met encore plus en colère.
— Lâche-moi !
Il n’en fait rien ; au contraire, il me porte presque à l’extérieur du bar. Puis il
me repose par terre et me prend la main.
— Tu savais, Liam ?
— Tu te fous de moi ? Non, je ne savais pas !
Je ne dis plus rien. Il tend le bras pour me reprendre contre lui, mais je ne
veux toucher personne. Les pensées se bousculent dans ma tête, et les questions
me submergent. Mon cœur est déchiré, une fois de plus, et ma vie ressemble à un
tissu de mensonges.
L’homme avec qui je voulais vivre le restant de mes jours était un menteur. Il
a couché avec une autre, alors que j’attendais un enfant de lui. J’ai pleuré
pendant des mois, me suis accrochée à son oreiller des nuits entières, désirant
plus que tout qu’il soit là, pour découvrir qu’il me trompait.
Reanell nous rejoint et pose une main compatissante sur mon épaule. Je la
regarde à travers mes larmes qui n’arrêtent pas de couler.
— Rea…, je soupire, épuisée.
Les émotions se succèdent, je ne maîtrise plus rien de ce qui se passe en moi.
— Liam va te ramener chez toi, OK ? Je t’y retrouve un peu plus tard.
Elle fait un signe de tête entendu à Liam, qui m’attrape par les épaules et me
serre contre lui.
— Rea…, je répète, comme si elle pouvait transformer cette soirée en un
mauvais rêve et le faire disparaître.
— Je vais tâcher d’en savoir plus. Rentre chez toi. Liam s’occupera de toi.
Nous marchons jusqu’à la voiture, et c’est une horreur. Je revois le visage de
Brittany et j’imagine Aaron l’embrasser, la toucher. J’ai la nausée.
Je m’appuie à la portière. Un haut-le-cœur me saisit. Mon estomac se
soulève — à cause de la trahison d’Aaron ou de l’alcool, je n’en sais rien —, et
je vomis.
Liam est derrière moi, il retient mes cheveux. Je voudrais mourir. J’ai
l’impression qu’on a brisé chacun de mes os, chacune de mes articulations.
Toutes mes blessures se sont rouvertes, et je suis plus démunie, plus vulnérable
que jamais.
— Je le hais ! je hurle en me redressant.
Liam m’aide à m’asseoir dans la voiture sans rien dire. Je me déteste d’être
venue dans ce bar. Je le déteste d’avoir touché cette fille, même s’il n’a fait que
lui prendre la main. Je déteste Aaron pour ce qu’il a fait et parce que je suis
livrée à moi-même, condamnée à imaginer des choses.
Aaron, qui m’a écrit des lettres. Qui m’a fait l’amour avec une telle douceur,
la première fois. Aaron m’a trompée. Je lui ai fait promettre fidélité jusqu’à la
mort et je découvre qu’il m’a menti. J’ai tellement pleuré pour lui ! J’aurais
voulu être enterrée vivante, juste pour être près de lui.
Est-ce qu’il l’a aimée ? Est-ce qu’elle était plus douce que moi ? Quand il
me prenait dans ses bras, la nuit, et parlait à mon ventre, est-ce qu’il imaginait
que c’était elle et qu’elle portait son bébé ? Je ne peux arrêter d’y penser. Les
questions me taraudent en permanence. Chaque souvenir est sali.
Liam m’aide à descendre de la voiture. Il a l’air aussi perdu que moi. Je
ferme les yeux et m’assois sur la terrasse. L’air chaud, qui me réconforte
d’habitude, me rend malade.
— Je vais dire à Paige qu’elle peut partir, déclare-t-il, avant d’entrer dans la
maison.
Je n’ai même pas la force de lui répondre. J’ai seulement envie d’oublier.
Paige me fait un signe de la main en s’en allant. Je fais de même, et Liam revient
près de moi.
— Je suis paumé, Lee. Je ne sais pas ce que je dois dire ou faire.
— Tu crois que je le sais ?
Je suis assise là, à pleurer devant lui, parce que j’ai découvert que mon mari,
mort il y a moins de un an, m’a trompée pendant des mois… Est-ce qu’on peut
faire en sorte que ce cauchemar s’arrête ?
— Est-ce que je dois te prendre dans mes bras ? Est-ce que je dois te dire
qu’Aaron était un gros connard ?
Je le regarde, prête à cracher toute ma rage à nouveau, mais il a l’air aussi
énervé que moi.
— Je n’ai pas de réponse. Est-ce que tu peux imaginer comment je me sens ?
— S’il était vivant, je le tuerais, là, tout de suite, Lee.
— Comment a-t-il pu me faire ça ?
Si Liam pouvait m’apporter des réponses, j’apprécierais.
Il s’assoit près de moi. Je le sens désemparé.
— Je l’ignore mais, ce qui est sûr, c’est que je ne pourrais jamais toucher
une autre femme après toi. Je préférerais me couper un bras. Pour Aaron, je ne
peux pas te répondre, parce que je ne comprends pas. Et je déteste te voir
souffrir.
Je le regarde et me sens encore plus mal. Liam, mon petit ami, est là à me
consoler, parce qu’un autre homme m’a blessée. Aaron a de la chance que je le
considère encore comme un homme !
— Je ne sais pas si je vais y arriver avec toi.
Liam croise les mains derrière la tête en regardant vers le ciel.
— Tu vas trouver ça terriblement stupide, mais ne laisse pas ce qu’il t’a fait
définir notre relation. Je ne suis pas lui. Je suis là, avec toi. Je ne l’ai pas touchée
et je n’étais pas marié avec toi. Merde alors ! On ne couche pas ensemble, toi et
moi, pourtant, je n’ai pas réussi à faire quoi que ce soit avec elle… Clairement,
Lee, je n’ai rien à voir avec lui.
Je me lève et marche jusqu’à la porte avec l’envie d’effacer toute cette soirée
de ma mémoire. Avant d’ouvrir, je me tourne vers lui.
— Je sais que tu n’es pas Aaron. Je sais aussi que tu es là, mais à cet instant
j’ai le cœur brisé. J’ai l’impression de sombrer dans le deuil comme il y a des
mois.
Il s’approche de moi, prend mon visage dans ses mains, alors que je le
supplie du regard de ne pas insister.
— Tu ne sombres pas dans le deuil, tu es seulement blessée, et je le
comprends. Mais si tu n’avais rien su, où est-ce qu’on serait, à cet instant ?
Ensemble, dans ton lit, et je passerais la nuit à te serrer dans mes bras, à te
caresser et à te montrer à quel point je t’aime.
— Fais-le-moi oublier, lui dis-je, désespérée.
— Lee…
Je ne devrais pas insister, mais c’est plus fort que moi.
— Je t’en prie, montre-moi combien tu me désires.
— Ne fais pas ça, me supplie-t-il en me regardant dans les yeux.
Mais je veux qu’il me fasse tout oublier.
— Fais-moi l’amour, Liam. S’il te plaît. J’ai besoin de sentir que je suis à
toi. Je ne veux plus penser à autre chose qu’à toi.
Je me penche pour l’embrasser, mais il recule, et son regard dit tout. Je me
cache le visage dans les mains tellement j’ai honte. Cette soirée se poursuit de
mal en pis.
Il écarte mes mains avec douceur.
— Le jour où on fera l’amour pour la première fois, ce ne sera pas parce que
tu auras envie d’oublier, mais parce que tu auras envie de moi. Tu es déjà à moi,
aujourd’hui.
Il m’attire contre lui pour m’embrasser. Je sens toutes ses émotions dans le
baiser qu’il me donne, la colère, la douleur, la peur, l’amour et le désir qu’il y a
en lui, et mon estomac se noue. C’est comme s’il les partageait avec moi.
Puis il recule sans me quitter du regard, et mes yeux se remplissent à
nouveau de larmes. Il pose un dernier baiser sur mes lèvres et s’en va, me
laissant seule et plus désespérée que jamais.

* * *

Je rentre à l’intérieur de la maison. Je ne veux plus rien éprouver ; j’ai besoin


d’une pause, de prendre du champ avec les émotions qui me bouleversent. Je
sors une bouteille de Jack Daniel’s dans le buffet et en bois une gorgée
directement au goulot.
— Va te faire foutre, Aaron ! Salaud !
L’alcool me brûle la gorge et me fait enrager plus encore.
— J’espère qu’elle était bonne, cette salope !
Je bois une autre gorgée et sens l’alcool qui descend dans mon ventre. Avec
la quantité que j’ai déjà absorbée au bar, mon corps commence à s’engourdir.
— Je dois vraiment être naïve.
À cet instant, Reanell ouvre la porte.
— Oh ! Lee… Tu n’es pas obligée d’avoir un rencard avec Jack, ce soir.
— Jack, Johnny, n’importe qui fera l’affaire. Sauf Liam… Il ne veut pas de
moi dans cet état…
Je porte à nouveau la bouteille à mes lèvres. Peu importe, après tout. C’est
une fois de plus la merde dans ma vie, de toute façon.
Reanell m’arrache la bouteille des mains. Avant que je puisse protester, elle
boit une longue gorgée.
— Je crois qu’on va toutes les deux détester la vie, demain.
Je lui reprends la bouteille, et elle me jette un regard noir.
— C’est la mienne, Rea. J’en ai besoin plus que toi.
— Avant que tu sois complètement allumée, je pense que tu devrais me
parler. Où est Liam ?
— Il est parti. Je me suis jetée sur lui, et il est parti ! Tu y crois ?
Je vois la désapprobation dans ses yeux. Super ! Comme ça, elle le détestera
aussi.
— Peut-être qu’il est allé retrouver Brittany au bar, j’ajoute méchamment.
— Là, tu te comportes vraiment comme une idiote ! Continue comme ça, et
je te confisque cette bouteille.
L’ivresse que j’espérais se transforme soudain en un afflux de désespoir, et
j’éclate en sanglots.
— Oh ! Rea… Comment a-t-il pu me faire ça ? J’étais enceinte et je croyais
qu’il m’aimait.
Je m’effondre dans ses bras.
— Je sais, je sais. Tu as le droit de pleurer.
Elle n’a rien de plus à me dire, me serre contre elle et me laisse inonder son
chemisier.
— Je lui ai t… tout donné. Je… Je… n’y comprends rien.
— Tu souffres et tu es ivre, alors vas-y, pleure, ma chérie.
J’ai posé la tête sur ses genoux, et elle s’amuse avec une mèche de mes
cheveux, tandis que je répète combien je le déteste et combien je voudrais le tuer
moi-même. Je maudis tout ce temps où j’ai cru être mariée avec un homme qui
m’aimait…
Et puis, je finis par me calmer, épuisée. Je n’ai plus de larmes à verser.
Elle m’aide alors à monter l’escalier jusqu’à ma chambre. Elle se met au lit
avec moi. Je n’ai plus qu’une envie : dormir pour ne plus avoir à affronter mes
pensées.
C’est déjà ce que Rea a fait après la mort d’Aaron. Mason était en mission,
et elle est venue dormir avec moi, pour que nous ne soyons pas seules.
— Tu sais, je voudrais remonter le temps.
Elle se retourne sur le côté.
— Ah oui ? À quand ?
— Je n’aurais pas dû lui demander de coucher avec moi.
Je ferme les yeux et je lutte pour ne pas m’endormir.
— Il n’avait même pas envie de moi !
Reanell me secoue les épaules pour me tenir éveillée.
— Liam a envie de toi, Natalie. Mais il t’aime, et c’est pour ça qu’il n’a pas
couché avec toi, ce soir. Vous méritez tous les deux bien mieux qu’une nuit
d’amour où tu es bourrée et malade parce que tu as découvert qu’Aaron te
trompait. Maintenant, tais-toi et dors. Moi, je vais devoir faire une pipe à Mason
demain pour avoir passé la nuit ici.
J’ai envie de sourire, mais je n’y arrive pas. Je ferme les yeux et je
m’enfonce dans le sommeil, où plus rien ne peut m’atteindre. Je prie pour avoir
un peu de répit et que Brittany et Aaron ne viennent pas me hanter dans mon
sommeil.
26

Liam

De retour chez moi, je trouve ma maison étrangement calme et je dois lutter


contre l’envie de repartir chez Natalie. Je suis resté assis dans ma voiture
pendant une heure, après l’arrivée de Reanell, me retenant d’aller frapper à la
porte. Au lieu de ça, je suis rentré. Égoïstement, je l’ai forcée à sortir, ce soir,
pour qu’on nous voie ensemble. Je m’en veux d’avoir tant insisté.
Je passe deux heures sur le canapé à fixer le mur en face de moi, puis le
besoin de la voir, de m’assurer qu’elle va bien est plus fort. Je n’avais pas
imaginé que la soirée se terminerait aussi mal.
J’aurais voulu répondre à sa demande, tout effacer de sa mémoire, lui
montrer à quel point elle mérite mieux que cet enfoiré qui n’arrête pas de la faire
souffrir. Mais je ne veux pas qu’on fasse l’amour à cause de lui. Je veux que la
première fois soit le bon moment pour elle.
Quelle situation bordélique, bon sang ! Aaron s’est vraiment comporté en
connard de première, pourtant, je n’arrive pas à lui en vouloir, parce qu’il était
mon meilleur ami. Je ne peux pas insister pour que Natalie se rapproche de moi,
ma culpabilité de sortir avec elle est déjà énorme, mais j’ai tellement envie d’elle
que j’ai l’impression de manquer d’air.
Je me décide enfin et j’arrive chez elle en pleine nuit. J’ouvre avec la clé qui
se trouve sous le pot de fleurs — il faut absolument qu’elle change cette
habitude, c’est à croire qu’elle cherche les emmerdes.
En entrant, je découvre une bouteille de Jack à moitié vide sur la table du
salon, et ma culpabilité redouble : je n’aurais pas dû la laisser seule. Je n’aurais
pas couché avec elle, même si j’y pense tous les soirs depuis un moment, parce
que c’est elle. Celle que je présenterai à ma mère, celle avec qui je veux passer le
restant de mes jours. Et certainement pas le genre de fille qu’on baise le soir où
elle découvre que son mari l’a trompée.
Non mais quel connard ! La colère bouillonne en moi. Je croyais connaître
Aaron et je n’arrive pas à comprendre. Lee est tellement belle, drôle, intelligente,
aimante ! Il aurait tout lâché pour cette peste de Brittany ? Heureusement que je
ne l’ai pas touchée, ce fameux soir.
Je vais jeter un coup d’œil dans la chambre d’Aarabelle ; elle dort
tranquillement dans son berceau. J’aime cette petite, elle est tellement adorable !
À part les couches… Si elle pouvait utiliser les toilettes comme tout le monde,
ce serait parfait.
Doucement, j’entrebâille la porte de la chambre de Natalie avec un peu
d’appréhension. J’ai besoin de la voir. Elle est étendue sur le côté, face à moi, et
dort. Ses cheveux lui tombent sur la figure, et je la trouve belle. J’ai envie de la
réveiller et de la prendre dans mes bras. Mes yeux s’habituent à l’obscurité, et je
constate alors que quelqu’un d’autre est allongé près d’elle. Mon cœur fait
immédiatement un bond, et je me retiens de donner un coup de pied dans la
porte.
C’est quoi, ce bordel ?
C’est alors que je reconnais les cheveux bruns de Reanell… Elle a dû rester.
Rassuré, je redescends au salon. Je fixe le drapeau, sur la cheminée. Je suis
en colère.
Pourquoi, mec ? Pourquoi tu lui as fait ça ? Après avoir craché sur tous ces
types qui vont voir ailleurs…
Je m’interroge calmement mais, au fond, j’ai envie de hurler. Et pourquoi
Brittany, putain ? J’ai compris tout de suite en la voyant qu’elle était prête à faire
n’importe quoi avec le premier venu. Elle m’aurait branlé sous une table du bar,
si je le lui avais demandé. Ça n’a pas de sens ! Tu as une situation respectable et
tu préfères tout plaquer pour une pute ?
Je m’affale sur le canapé et laisse tomber ma tête en arrière. Je suis vidé, j’en
ai marre, les sentiments se bousculent en moi, et je préfère ne pas y penser.
Je prends machinalement la bouteille de whisky posée devant moi et en
avale une gorgée. Je ferme les yeux en espérant qu’une idée de génie va surgir de
nulle part et éclaircir toute cette histoire. Je crains que Natalie ne veuille prendre
ses distances, maintenant. Je suis parti alors qu’elle était prête à passer la nuit
avec moi, mais je préfère qu’elle aille bien le jour où on le fera, parce que
ensuite… on ne reviendra pas en arrière.
Je me détends et j’arrête de penser. Soudain j’entends des pas dans l’escalier.
Je sursaute, un peu désorienté, et m’aperçois que je me suis endormi sur le
canapé.
C’est Reanell qui descend. Elle s’arrête en me voyant, portant la main à la
poitrine, avant de me reconnaître.
— Ah, tu es là ?
— Je suis revenu pour m’assurer qu’elle allait bien…
Je me sens stupide. J’aurais dû m’en aller, quand j’ai vu que Rea était restée.
— Tu tiens vraiment à elle, pas vrai ?
Je lâche un profond soupir.
— Je pense que c’est assez clair, non ?
— Est-ce que tu l’aimes ?
— Je tiens à elle depuis que nous sommes amis. Mais je suis en train de
tomber amoureux.
C’est la première fois que je l’avoue à quelqu’un, et à moi-même au passage.
Elle hoche la tête et regarde la bouteille de Jack.
— Elle va souffrir un moment. Mais ne laisse pas tomber. Tu l’as déjà aidée
à faire un grand pas en avant. Elle va guérir, mais tu devras peut-être supporter
quelques séquelles de cette histoire.
Elle s’assoit à côté de moi sur le canapé. Je jette un coup d’œil à l’horloge. Il
est 6 heures du matin : beaucoup trop tôt pour réfléchir à tout ça !
— Je devrais y aller.
Elle pose la main sur mon bras.
— Je pense que Natalie n’a pas envie de regarder en face les problèmes
qu’elle avait avec Aaron. Dans son esprit, leur vie était merveilleuse, et la
grossesse lui faisait tout voir en rose. Tu sais, quand tu es mariée à un militaire,
tu choisis de voir le bon côté des choses. C’est plus simple que de faire face à
vos sautes d’humeur et à vos revirements.
Son visage s’assombrit, et elle fixe le vide.
— Je ne peux pas rivaliser avec lui, Reanell.
Son regard s’adoucit.
— Je ne pense pas que tu doives rivaliser. C’est ce que je viens de te dire.
Donne-lui quelques jours, laisse-lui faire le deuil de son véritable mari. Elle a
pleuré jusque-là une image idéalisée de lui…
— Je ne veux pas avoir l’impression d’arriver en deuxième position.
— Je comprends ça. Dans un jour ou deux, elle ira mieux. Si tu l’aimes, tu
dois reconnaître qu’elle a l’impression de le perdre une seconde fois. Elle a
beaucoup souffert, et le passé revient remuer le couteau dans la plaie. Cela dit, je
ne pense pas que tu arrives en deuxième position. À partir de maintenant, tu es le
premier dans son cœur, même s’il y a eu quelqu’un d’autre avant toi.
— Ça n’a aucun sens, mais je suis épuisé. Il faut que je dorme. Et puis, je ne
veux pas qu’elle me trouve ici en se réveillant.
— Tu es quelqu’un de bien, Liam. Je t’aime bien, me dit-elle, alors que nous
nous levons tous les deux.
— Merci.
Je récupère mes clés et me dirige vers la porte sans faire de bruit. Je regarde
la fenêtre de sa chambre avant de partir et je me dis qu’il vaut mieux la laisser
revenir vers moi. Je ne peux pas continuer à insister et risquer de la faire fuir. Je
l’aime, et ça me fait flipper comme jamais. Mais Lee doit décider si c’est
vraiment moi qu’elle veut dans sa vie. Je refuse d’être un lot de consolation.
27

Natalie

Un terrible mal de tête me réveille. Entre les larmes et la dose de Jack


Daniel’s que j’ai avalée par-dessus les bières, j’ai de la chance de ne pas avoir la
nausée…
Je me retourne. Reanell me regarde avec un petit sourire triste.
— Bonjour, ma belle, dit-elle doucement. Je t’ai préparé de l’eau et un
cachet d’aspirine, tu devrais les avaler.
Je gémis en me prenant la tête dans les mains.
— Aarabelle ?
— Je lui ai donné à manger, et elle fait sa sieste en bas.
Je me lève comme une furie, et ma tête me le fait immédiatement regretter.
Le réveil affiche 11 heures, et j’ai l’impression d’être la pire maman du monde.
— Je ne l’ai même pas entendue !
— C’est parce que je me suis réveillée tôt et que j’ai emporté le babyphone.
Tu avais besoin de dormir plus que de jouer à la super maman.
Elle s’assoit sur le lit et me tend une bouteille d’eau. Les souvenirs de la
soirée me reviennent, et j’ai aussitôt envie de me rendormir. Je regarde autour de
moi et je sens la colère remonter.
— Je dois sortir de cette chambre, dis-je, énervée, en prenant le cachet.
— Tu veux en parler ?
Je sais qu’elle comprend ce que je ressens parce que, au début de son
mariage, Mason l’a trompée. Cette histoire a fait beaucoup de bruit ; elle a
montré aussi à tout le monde qu’il était possible d’en ressortir plus fort. Reanell
et Mason ont énormément travaillé sur leur relation ; il l’a payé très cher, mais
finalement leur amour a triomphé.
— Parler de quoi ? De ma stupidité ?
— Arrête, tu n’es pas stupide !
Je me lève et regarde la commode, où sont rangées les montres d’Aaron. Je
jette un coup d’œil de son côté du lit, où des vêtements sont encore là, pliés avec
soin. J’ouvre un tiroir et commence à fouiller, dans l’espoir d’un indice. Le mal
de tête revient de plus belle, mais je m’en fiche. Il y a forcément quelque chose,
une trace, et je vais la trouver.
— Natalie, qu’est-ce que tu fais ? me demande Rea, tandis que je jette ses
affaires.
— Je dois savoir ! Il y a forcément quelque chose ici. Quelque chose qui
prouverait que mon mari en baisait une autre.
Je lance une chemise.
— Je ne lui ai jamais acheté ce truc, peut-être que ça vient d’elle ?
Rea se précipite vers moi et me prend par les épaules, mais je continue,
comme si elle n’était pas là.
— Il n’était pas si intelligent que ça. Je vais trouver.
J’attrape le cadre avec la photo où il m’entoure de ses bras et m’embrasse
sur la joue, et je la jette contre le mur de toutes mes forces. Le verre se brise sous
le choc, et je hurle :
— Je le hais !
Le chagrin me submerge à nouveau.
Reanell se rassoit sur le lit en croisant les jambes.
J’ouvre le tiroir qui contient ses pantalons, les sors un par un et inspecte
chaque poche dans l’espoir de trouver je ne sais quoi…
— Espèce de gros connard !
Chaque fois que je me retrouve les mains vides, la colère monte d’un cran.
J’ouvre son armoire et je balance tout ce que j’y trouve. Un petit couteau
suisse tombe d’une poche et me fait enrager. Les émotions me brûlent de
l’intérieur, et je voudrais pouvoir tout évacuer, laver mon cœur qu’il réussit à
salir depuis sa tombe.
— J’espère qu’elle était bonne ! je crie, en larmes.
Je prends le couteau et lacère son pull préféré avec. Le tissu part en
lambeaux, comme une partie de moi-même.
— Tu as bientôt fini ? me demande Reanell, toujours assise au bord du lit.
— Non !
Et j’entreprends de déchirer son uniforme en morceaux.
— Je t’ai dédié ma vie entière, enfoiré !
Le couteau emporte un nouveau bout de tissu, qui tombe sur le plancher dans
un léger cliquetis métallique. Je suis debout devant l’armoire, j’inspire et,
soudain, je sens son odeur, qui me heurte comme un coup au cœur. Son odeur
pénétrante de musc et de clou de girofle. Mais, au lieu d’en ressentir de la
tristesse, j’ai envie de tout brûler.
— Bon, je crois que je vais aller nous faire du pop-corn, déclare Reanell.
— Je hais cette maison ! J’ai envie d’y foutre le feu !
Puis je me tourne vers Reanell, toujours assise sur mon lit, et je hurle :
— Mais dis quelque chose !
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Déchire tout, brûle la maison…
Fais n’importe quoi, si ça peut t’aider à guérir.
Dans l’armoire, ses chemises sont maintenant en lambeaux, comme si un
animal fou était passé par là et les avait déchiquetées.
— Tu es content, maintenant ?
J’attrape une chemise par un trou et tire dessus pour la déchirer un peu plus,
j’arrache la poche et continue de détruire tout ce que j’ai à portée de main. J’ai le
goût salé des larmes dans la bouche.
— Tu me vois, là ? Tu vois ce que tu m’as fait ? Je te déteste ! Tu as détruit
ma vie !
Reanell se lève, me prend par les épaules, et je lui tombe dans les bras.
— Non, Natalie, il n’a pas détruit ta vie. En fait, je pense qu’il t’a libérée.
Je m’essuie les yeux et pousse un profond soupir.
— J’ai besoin de prendre une douche.
— Oui, vas-y. Ensuite, on sortira prendre l’air et discuter.

* * *

Je commande un grand moka au chocolat blanc au comptoir et vais rejoindre


Reanell, qui s’est installée à une table en terrasse, au soleil.
— Elle t’a peut-être raconté des conneries, me dit-elle, essayant de me
convaincre pour la troisième fois aujourd’hui.
Je regarde ailleurs et m’efforce de trouver une réponse qui ne finisse pas par
« putain ».
— On sait toutes les deux que c’est vrai : elle était à son enterrement.
— Est-ce que tu es sûre qu’il s’agissait d’elle ? Tu n’étais pas dans ton état
normal, ce jour-là.
Aarabelle jette les jouets de sa poussette en riant.
— Je sais, mais je suis persuadée que c’était bien elle.
— Peut-être, dit-elle en secouant la tête. Aaron et toi n’étiez pas toujours un
couple parfait, tu devrais te rappeler ça. Je vais te dire une chose, Lee, et tu
pourras me traiter de tous les noms : il n’est plus là. Mais tu as Liam,
maintenant. Est-ce que tu veux vraiment le laisser partir ?
Elle soupire.
Moi, mon énervement redouble.
— Est-ce que tu réalises à quel point cette histoire est dingue ? C’est
tellement malsain que je n’arrive même pas à comprendre. J’ai épousé Aaron
après le lycée, je l’ai suivi partout, j’ai supporté les missions, les périodes
d’entraînement… Il finit par quitter la marine, va travailler pour Jackson et saute
quelqu’un d’autre, alors que je suis enceinte. Ah, mais attends, ce n’est pas fini !
Il part et trouve le moyen de se faire tuer. Trop cool ! Mais ça continue, parce
que ça ne serait pas drôle, sinon. Devine quoi ? Je tombe amoureuse de son
meilleur ami !
Quel cauchemar !
— Amoureuse, tu as dit ?
— Oui, amoureuse.
Reanell m’inspecte malicieusement, tout en prenant une gorgée de café.
— Je ne… Je ne voulais pas dire…, je bégaye, mais les mots se coincent
dans ma gorge.
— Papapapapa ! piaille Aarabelle en jetant sa sucette.
— Mamamamama, je lui réponds pour lui apprendre à m’appeler.
Elle rit et me tend les bras. Je la soulève et la prends contre moi.
— Tu vas vouloir me contredire, mais on sait toutes les deux que ça marche
entre Liam et toi, il y a quelque chose de fort.
— Je ne vois pas en quoi on peut dire que ça marche, on s’est juste
embrassés quelques fois…
Je fais danser Aara sur mes genoux ; elle me regarde en riant, et je sens
l’amour que j’ai pour elle me remplir et m’apaiser un peu.
— Peut-être que ça ne me regarde pas, mais je l’aime bien, Liam. Il est
différent d’Aaron. Tu te souviens de vous deux comme d’un couple heureux,
mais est-ce que tu te souviens de toutes les difficultés ? Les soirs où il se
comportait en con égoïste, où il s’énervait pour un rien ? Et quand il sortait dans
les bars avec Quinn et les autres, et ne rentrait pas ?
— Nous n’avons jamais été un couple parfait, mais les difficultés nous
rendaient plus unis, dis-je pour me défendre, tout en sachant que je n’ai pas
d’argument.
Rea a raison, Aaron n’était pas toujours gentil, et il y a eu de nombreuses
fois où j’ai douté de notre couple. La guerre change un homme. Elle peut
assombrir et rendre cynique un cœur autrefois léger. Il avait été légèrement
blessé pendant la fusillade qui avait décimé son équipe en Irak, et cette perte
l’avait durablement affecté. Après cette mission, il n’était plus le même. Je lui ai
laissé du temps, de l’espace, pour se reconstruire. Honnêtement ? Quand il a
décidé de quitter la marine, les choses n’allaient pas fort depuis un moment déjà.
Il était nerveux et, quand je suis tombée enceinte, une partie de lui m’a échappé
complètement. Il n’était pas heureux, mais faisait comme si. J’imagine que j’ai
beaucoup fait semblant aussi. Je pensais qu’en évitant d’évoquer les problèmes
ils finiraient par disparaître.
— Je sais que ce n’est pas facile, poursuit Reanell, mais donne-toi un peu de
temps.
— Liam est parti, hier soir, Rea ! Je me suis jetée sur lui, l’ai supplié de
coucher avec moi, mais il m’a dit non et il est parti.
Elle souffle et détourne le regard, clairement exaspérée.
— Tu voulais vraiment te le taper la nuit où tu as découvert que ton mari
avait une liaison ? C’est de ça que tu veux te souvenir ? Je pense que c’est un
sacré héros pour t’avoir dit non !
Elle ne hausse jamais la voix avec moi, d’habitude, mais là, je sens qu’elle a
envie de m’engueuler.
— Ne me juge pas, Rea.
Elle ouvre grands les yeux, et sa mâchoire en tombe.
— Tu es conne ou tu le fais exprès ? Je ne t’ai jamais jugée, Natalie. Jamais.
Tu n’as même pas idée ! Et tu es une sacrée connasse de me dire ça.
— Cool, merci.
Soudain, mon téléphone sonne. Le numéro de Liam s’affiche.
— Salut, dis-je en décrochant.
— Salut, je voulais savoir comment tu vas.
Il est toujours préoccupé à mon sujet, apparemment.
— Je suis… Je ne sais pas, en fait. Je suis au café avec Reanell.
— On devrait parler, Lee. Tu veux qu’on se voie ?
Je soupire.
— Je ne sais pas. Je ne peux pas supporter grand-chose, aujourd’hui.
Il ne répond pas.
— Liam ?
— Je suis là. Tu me diras quand tu auras décidé, alors.
— D’accord.
Je raccroche. Reanell me regarde avec un air entendu, mais ne dit rien.
— Ne me regarde pas comme ça. Je n’ai pas assez d’énergie pour tout le
monde dans une seule journée.
Aarabelle réclame beaucoup d’attention, et c’est elle que je choisis. Je suis
maman d’abord et par-dessus tout. Je dois décider si je suis prête à aimer
quelqu’un de nouveau et si c’est Liam. Ce ne serait pas juste pour tous les deux
d’aller trop loin tout de suite et de décider plus tard si ça marche ou pas.
— Tu sais qu’il était là, ce matin ? me dit Reanell en croisant les bras sur la
poitrine.
— Tu veux dire, à la maison ?
— Oui. Il dormait sur ton canapé. Il est revenu. Il est resté auprès de toi,
même si tu l’avais fait fuir.
— Je ne… Mais… Pourquoi ?
— Pourquoi ? s’exclame-t-elle en levant les bras et les yeux au ciel. Mais
parce qu’il t’aime ! Il était inquiet pour toi, alors il est revenu au milieu de la nuit
pour vérifier que tu allais bien. Et il s’est endormi sur ton canapé. Mais la raison
pour laquelle tu es une connasse…, ajoute-t-elle en faisant une pause pour me
jeter un regard sévère, c’est qu’il est parti avant que tu puisses le voir. Il aurait
pu rester et te forcer à lui parler, mais il a été généreux et il est parti. Il ne voulait
même pas que je te le dise. Alors ouais, t’es une connasse.
Dans ma tête un petit ouragan se déclenche : Liam est revenu, même après
que je me suis ridiculisée.
— Pourquoi est-ce que c’est si compliqué ?
J’interroge le ciel bleu au-dessus de moi, renversant la tête en arrière et
espérant une réponse divine.
Elle pouffe.
— Je pense que tu devrais réfléchir à ce que je t’ai dit : est-ce que tu as
l’intention de foutre cette histoire en l’air ?
C’est à moi de décider, en effet. Si Liam et moi ne pouvons rien faire à cause
de tous mes problèmes, soit. Mais il a toujours été présent, même de loin. Il a
pris soin de moi quand j’étais malade, quand Aara était à l’hôpital. Il m’a aidée à
me reconstruire, alors même que je ne voulais pas admettre que j’étais détruite.
Il a soigné mes fêlures.
— Tu pourrais surveiller Aarabelle ? Je dois réparer quelque chose.
Reanell étend le bras au-dessus de la table et me prend la main, comme si
elle savait d’avance ce que j’allais lui dire.
— Je pense que tu devrais y aller maintenant.
Elle me prend Aarabelle des bras et me fait un signe.
— Allez, file !
J’attrape mes clés et monte dans ma voiture. Il est temps de voir si nous
avons une chance.
28

Il est revenu.
Je ne cesse de me le répéter, parce que cela me paraît impossible. Chaque
fois que je pense l’avoir éloigné de moi, Liam fait quelque chose qui me
surprend. Je cherche ce que je vais bien pouvoir lui dire en arrivant chez lui. Je
me pose beaucoup de questions. Il est l’homme que je veux, mais j’ai besoin
qu’il me guide dans cette relation. Mon cœur est en miettes à nouveau, et j’ai
besoin qu’il me prouve qu’il peut en prendre soin.
Il ne vit qu’à quelques kilomètres de chez moi, mais j’aimerais qu’il habite
plus loin, parce que je n’ai toujours pas trouvé comment aborder la question avec
lui. Les mots s’entrechoquent dans ma tête : « Pardon, j’aurais voulu que les
choses se passent autrement, j’ai envie de toi, je suis nulle. »
Je ne sais pas ce qui est le plus vrai, tout peut-être. Car oui, je suis nulle, et
oui, j’ai envie de lui — tellement envie ! J’aimerais que cette situation n’ait
jamais existé, et je suis désolée que nous en soyons là.
Je me gare en essayant de reprendre mes esprits. Je sais deux choses. Primo,
je tiens énormément à lui. Deuzio, je vais devoir surmonter tout ça.
Les quelques mètres qui me séparent de sa porte d’entrée me semblent
infinis, mais peut-être que je marche plus lentement que d’habitude.
Je frappe. Il m’ouvre, vêtu d’un jean et d’un T-shirt bleu marine, son bonnet
marron sur la tête. Il s’appuie contre le chambranle.
— Salut.
— Salut, Liam… Je peux entrer ?
Il ouvre la porte et me laisse passer devant lui. Maintenant, il faut que je dise
quelque chose. Merde.
Je fais quelques pas en regardant autour de moi, et il me suit. Son
appartement est un grand espace moderne et quasiment vide. Un studio de
garçon classique, sans déco, mais avec le plus grand écran de télé que j’aie
jamais vu.
Je reste plantée au milieu de la pièce, tandis qu’il s’assoit sur le canapé.
— Je suis surpris de te voir ici.
— Si tu avais prévu autre chose, je…
— Ça n’a aucune importance.
Je rassemble mes cheveux derrière mes oreilles, tout en cherchant par où
commencer.
— Ça risque d’être un peu long, mais j’ai besoin de te parler.
Il hoche la tête et m’accorde toute son attention.
— Je suis désolée de m’être jetée sur toi de cette façon. Ce n’était pas
correct vis-à-vis de toi ni de ce qu’on a partagé jusqu’à présent. Je tiens trop à toi
pour être aussi futile… En même temps, toi seul pouvais me faire oublier cette
sale histoire. J’ai été égoïste et je m’en veux. Quand tu es parti, je me suis mise à
boire. Je ne cessais pas de revoir ton regard, au moment où je t’ai supplié. Je
comprendrai, si tu ne veux plus être avec moi ou si tu n’as plus envie de m…
— N’y pense même pas ! Ne me dis pas que je n’ai pas envie de toi. C’est
faux. J’ai envie de toi comme un fou. Tous les jours, j’ai envie de toi !
Sa voix est rauque et coupante comme une lame de rasoir.
Je me sens rougir, et mon cœur s’affole.
— OK, je veux juste dire que je n’aurais pas dû insister pour coucher avec
toi, hier soir.
— Écoute, s’il n’y avait pas eu toute cette merde et si tu avais eu envie
qu’on aille plus loin, tous les deux, je t’aurais suivie avec joie. Tu peux me
croire, il n’y a rien qui me fasse plus envie que de te toucher, mais pas parce que
tu veux te sortir Aaron de la tête. Je veux que ce soit parce que tu me désires,
parce que tu as envie d’être dans mes bras et nulle part ailleurs.
Il a raison, mais tellement tort aussi…
— Je veux être avec toi, Liam. Il y a quelque chose de beau entre nous, et je
ne veux pas le perdre. Même si tu avais dit oui, hier, ça n’aurait pas été
uniquement pour me changer les idées.
— Si, c’est exactement ce que ça aurait été. Soyons honnêtes, Lee, parce
que, si on commence à se mentir, on n’a aucune chance.
Il se lève du canapé et s’approche de moi.
La peur de le perdre commence à grandir en moi.
— Je ne sais plus comment avancer. J’ai même l’impression d’avoir fait un
bond en arrière. J’ai envie de te faire confiance, mais j’ai l’impression que cette
histoire a détruit ce que nous avions déjà construit. Comment peux-tu avoir
envie de moi en sachant ça ?
— Natalie, me dit-il doucement en caressant mon visage, je suis tombé
amoureux de toi et j’adore Aarabelle. Je ne te quitterai pas, à moins que tu me
dises que tu ne veux plus me voir. Je suis las de me battre contre moi-même et
contre les sentiments que j’éprouve pour toi. J’ai envie de toi. Les coucheries
d’Aaron n’ont rien à voir avec nous.
— Mais ça nous affecte.
— Seulement si tu le décides. Regarde, chaque parcelle de moi lutte pour ne
pas te toucher ! J’ai vraiment l’impression d’être le salaud de l’histoire. Tu étais
sa femme, bordel !
Il laisse retomber sa main.
— Oui, mais apparemment ça lui était égal…, dis-je en lui reprenant la main
et en entremêlant mes doigts aux siens. Je reste quand même en colère et blessée.
Aaron et moi n’étions pas un couple modèle, certes, mais je ne pensais pas qu’il
était capable de me tromper.
— Est-ce que tu t’étais doutée de quelque chose ?
— Non. Je veux dire… On se disputait, mais j’étais enfin tombée enceinte.
On essayait depuis plus de un an d’avoir un bébé et on ne pouvait passer la nuit
ensemble qu’à certaines périodes, alors, faire l’amour était presque devenu une
tâche pénible, mais je pensais qu’on agissait pour le mieux.
» La question de l’infertilité pesait très lourd entre nous. Aaron remettait en
cause sa virilité et, moi, je me demandais si j’étais vraiment faite pour être mère.
Malgré ça, on essayait de rester unis. Il n’était pas plus distant que d’habitude, et
je n’ai rien soupçonné.
— J’aimerais pouvoir tout effacer de ta mémoire, mais c’est impossible.
Vous étiez mariés.
Je hoche la tête en signe de compréhension. Liam ne connaissait de notre
mariage que ce que nous voulions bien en montrer : un couple heureux et uni
depuis le lycée. Mais beaucoup d’aspects de notre relation n’allaient pas de soi.
Bien sûr, je l’aimais et, s’il était vivant, nous serions toujours ensemble, ou du
moins en train d’avancer de notre mieux. Mais il n’est plus là, et j’ai Liam dans
ma vie.
— D’une certaine manière, ça m’a ouvert les yeux sur la vie que je menais
réellement.
— C’est-à-dire ?
— Tu veux vraiment que je te parle de ça ? Des bons et des mauvais côtés de
mon mariage avec ton meilleur ami ?
Je le lui demande, parce que ça me semble déplacé de l’évoquer avec lui. Je
suis sûre qu’Aaron lui confiait des choses à mon sujet et, maintenant, je me
mettrais à lui raconter ma vie de couple ?
— Je ne peux pas dire que ça m’enchante mais, si on refuse d’affronter les
difficultés, on n’arrivera à rien. C’est très dur pour moi parce que Aaron était
mon meilleur ami. J’étais prêt à mourir pour lui et j’ai vraiment eu l’impression
d’être un salaud, quand notre relation a commencé à évoluer.
Il joue avec mes doigts, et nous nous asseyons sur le canapé pour poursuivre
la conversation.
— Tu te trouves dans la zone interdite, Lee. On n’a pas le droit de toucher
aux femmes des autres, c’est la règle. Mais Aaron est mort, et je ne sais pas ce
qui s’est passé pour nous.
— Je ressens le même conflit intérieur. Je t’ai toujours vu comme son ami.
Je me souviens de l’époque où vous étiez en formation spéciale et que j’ai cousu
vos écussons et peint vos casques. J’ai essayé de résister, quand mes sentiments
ont commencé à changer. Tu veux savoir ce qui m’énerve le plus ?
— Quoi ?
— Tout ce temps…
Je m’arrête et détourne les yeux, mais Liam reprend mon menton et ramène
mon visage vers lui. Il me regarde tendrement, même si son air est grave.
— N’aie pas peur. Dis-moi.
Ma vue se brouille, et les mots me brûlent la langue.
— J’ai été tellement aveugle ! J’ai fait semblant de ne pas voir tout ce qui
n’allait pas et j’ai placé Aaron sur un piédestal. Partant de là, je ne pouvais rien
lui reprocher. Quand je lui ai dit que j’étais enceinte, il a haussé les épaules et il
est parti. J’avais oublié ça jusqu’à la nuit dernière. Je voulais tant le voir comme
un mari parfait et oublier que nous n’étions pas toujours heureux. Mais la vie
était agréable, alors… Je me sens tellement idiote !
Il me caresse la joue avec son pouce. Je ferme les yeux et pose les mains sur
sa poitrine. Je me laisse aller contre lui, et il me prend dans ses bras.
— Tu n’es pas une idiote.
Je laisse échapper un petit rire sarcastique.
— Ah non, tu crois ? Mon mari me trompait alors que j’étais enceinte. J’ai
passé des mois à pleurer la mort d’un mec qui prévoyait peut-être de me quitter !
Ma vie de couple était bâtie sur un mensonge.
— Une part de moi voudrait dire que c’était un connard de première et que
tu es bien mieux avec moi. Je ne te tromperai jamais et je voudrais que tu ne
perdes plus une minute à penser à lui.
Il soupire avant de poursuivre :
— Une autre part a envie de le défendre. Mais je ne lui pardonnerai pas ce
qu’il a fait… C’était une connerie monumentale.
— C’est bien ce qui m’inquiète… Est-ce que tu penses qu’Aaron sera
toujours entre nous ?
— Je ne sais pas. À toi de me le dire…
Il se penche doucement et m’embrasse. Il me caresse les lèvres de sa langue,
puis se recule légèrement. Il attend que j’ouvre les yeux, mais la tension que je
sens monter entre nous me coupe le souffle et m’en rend incapable.
— Est-ce que tu voudrais qu’il soit là, à ma place ? demande-t-il. Est-ce que
tu voudrais être dans ses bras à l’instant, sa bouche sur la tienne ?
Je l’entends me parler, mais j’ai du mal à me concentrer. Quand ses lèvres
me touchent, il n’y a plus que lui et moi. Il s’arrête, attend ma réponse… Je fais
« non » de la tête.
— C’est une réponse timide, ça.
— À l’instant, je ne pense à personne d’autre, dis-je en effleurant sa bouche
de mes lèvres.
Nous jouons un peu. Il tourne son visage à droite, à gauche, contre le mien,
effleurant mes lèvres à chaque fois.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé.
— Je ne sais pas comment te répondre autrement, Liam. Je suis avec toi, ici
et maintenant. Je suis dans tes bras et j’aime y être.
La tension est toujours palpable. Comme il ne se calme pas, j’ajoute :
— Il n’a pas à être entre nous, il n’y a que toi et moi.
— Je ne veux pas te perdre. Et j’ai peur.
Je sens sa sincérité dans chacun des mots qu’il prononce. Il se laisse aller en
arrière sur le canapé en m’attirant contre lui. Je suis étendue contre sa poitrine,
nos doigts entremêlés.
— Je suis amoureux de toi, Natalie.
Je sens que son cœur bat plus vite. Je me redresse pour le regarder, et il
ajoute :
— Si je ne suis pas encore aussi important pour toi, sache que tu n’es pas la
seule à avoir quelque chose à perdre. Je n’attends pas que tu me répondes. Je
veux seulement que tu le saches.
Je sens pourtant qu’il attend de moi une réaction. Aussi effrayée que je sois
d’être à nouveau blessée, je sais que je ne suis pas seule.
— Je suis amoureuse de toi aussi. Mais je ne sais pas si j’en ai le droit.
Je vois dans son regard qu’il comprend. Il me ramène tendrement contre lui
et me caresse le dos. Nous avons beaucoup d’obstacles à surmonter. Mais je me
sens en sécurité. Ses bras m’entourent et me protègent, et j’essaye de me
rappeler la dernière fois que j’ai éprouvé cela.
Aaron et moi nous sommes mariés si jeunes, mais nous avons eu un beau
mariage. Il était souvent parti, et c’était dur, mais ses absences rendaient nos
retrouvailles d’autant plus douces. Il avait un fort caractère, sans être violent ou
excessif. La plupart du temps, c’était moi qui envoyais les objets à travers la
pièce. Il m’a offert une vie confortable, et je m’en suis satisfaite. Et puis, il a
commencé à devenir plus distant, un peu agressif, dès que je lui posais des
questions sur ses missions sur le terrain. Ensuite, notre difficulté à avoir un
enfant, le syndrome de stress post-traumatique et son envie de quitter les Forces
spéciales ont fini par miner notre couple. Il passait des heures dans le garage à
bricoler sur sa voiture et sortait avec les gars ou allait directement se coucher. Je
me suis mis des œillères et j’ai pensé, en tombant enceinte, que notre bébé
aiderait à arranger les choses. Mais les seuls moments où Aaron se montrait
joyeux, c’était quand il y avait du monde autour de nous.
D’où mes questions à propos de Liam. Est-ce que je fais bien d’entreprendre
une relation avec lui, en étant consciente des risques potentiels. Mais je suis faite
pour ça. Je suis une femme de militaire. Je connais cette vie, avec ses joies et ses
difficultés. Je sais que je peux supporter les déploiements et tout ce qui va avec.
Seulement, pourrais-je supporter de le perdre, lui aussi ? Cet amour a un prix.
— À quoi tu penses ? Je sens que tu es tendue, me demande-t-il, brisant le
silence.
Ses yeux brillent, et je lui souris tristement.
— Je pense à tout ça. L’amour, la mort, la tromperie… Le plus dur, c’est de
ne pas avoir de réponses.
— Tu voudrais parler à Brittany ? Est-ce que ça t’aiderait ?
— Je ne sais pas. Je crois plutôt que j’ai envie de tout oublier et de
considérer qu’elle a raconté n’importe quoi. Est-ce que c’est vraiment
important ?
Liam m’embrasse sur le front et pousse un profond soupir.
— Et maintenant ?
Il m’attrape et me hisse au-dessus de lui, nos visages l’un en face de l’autre.
— À nous de décider. À toi. Parce que je suis ici avec toi, mais je veux être
certain que, toi, tu n’es pas avec lui…
Je caresse son torse, la tête posée sur son épaule.
— Je suis avec toi, Liam.
Alors il se redresse si rapidement que je n’ai pas le temps de comprendre ce
qui se passe. Il m’allonge sur le dos, et je me retrouve sous lui. Je sens tout mon
corps se réchauffer au contact du sien.
— Liam…
— Dis-moi quand tu voudras que j’arrête, Lee.
Je ne sais pas si j’en serai capable. J’espère qu’il a plus de retenue que moi.
29

Ses doigts effleurent mon ventre au-dessus de ma ceinture et je frissonne,


anticipant ses gestes. Son regard plonge dans le mien. Je ne parle pas, ne bouge
plus, mais tout en moi lui donne la permission. Il sait comment lire en moi. Peu
seraient capables de me comprendre aussi bien. C’est à la fois un don et une
malédiction.
Il frôle ma peau du bout des doigts, provoquant des vagues de désir, alors
qu’il remonte doucement sur mon corps. Il caresse mes côtes, le contour de mes
seins.
— Dis-moi si je vais trop loin, Lee.
— Pas assez loin.
Il gémit et caresse de sa langue le bord de mon oreille. Je me cambre de
plaisir quand il passe la main sous mon soutien-gorge et, lorsqu’il pince mon
téton, je manque de tomber du canapé.
— Tu es parfaite, me dit-il en continuant de me caresser, tandis que mes
seins durcissent sous ses doigts.
À mon tour, je glisse les mains sous son T-shirt que je repousse vers le haut.
Liam finit de l’enlever. Je colle aussitôt les paumes sur sa peau, suis du doigt son
tatouage : Dulce bellum inexpertis. J’en retrace les lettres, et il se cambre.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il m’embrasse dans le cou, puis me regarde, et ses yeux s’assombrissent.
— La guerre est douce pour ceux qui ne l’ont pas connue.
— Je suis désolée, je sais que tu as perdu beaucoup d’amis.
— J’ai gagné aussi. La guerre nous enlève, nous vole tant de choses ! Mais,
si on lui en laisse la possibilité, elle peut aussi nous sauver. Le fait que tu sois là,
dans mes bras, c’est la preuve que la victoire vaut parfois la peine d’avoir lutté.
Il se penche à nouveau sur moi. À chaque souffle qui passe entre nous, c’est
comme si nous nous redonnions la vie l’un à l’autre. La guerre nous a pris
beaucoup. Liam a perdu un nombre incalculable d’amis et a dû affronter ses
propres démons.
— Je ne devrais pas éprouver ça, dis-je, alors qu’il m’enlève les cheveux de
devant la figure.
— Qu’est-ce que tu éprouves ? Raconte-moi.
Je ferme les yeux et sens sa main redescendre sous mon chemisier. Je
m’abandonne à ses caresses et laisse mes sensations prendre le pas sur mes
pensées.
— Tu as des mains puissantes mais, quand tu me touches, tu es si tendre…
Ses pouces caressent mes tétons, et je soupire.
— Quand tu me caresses comme ça…
Il recommence.
— C’est agréable ?
— Trop, dis-je, tandis que sa main recouvre mon sein et qu’il le presse
doucement.
— Est-ce que tu veux que je continue de te caresser ?
— S’il te plaît…
Ma voix est emplie de désir.
Il s’écarte de moi pour m’enlever mon chemisier. Il a les yeux brillants en
regardant mon corps. Je me sens belle.
Il laisse échapper un murmure de satisfaction.
— Tu es parfaite.
Il descend les bretelles de mon soutien-gorge et attend. J’en défais l’attache,
mais le laisse en place.
Aaron a été mon premier et mon seul amant ; personne d’autre ne m’a
encore jamais vue dénudée. Liam semble comprendre mon hésitation. Il revient
se placer au-dessus de moi, colle sa bouche contre la mienne et m’embrasse avec
avidité. Je lui enlève son bonnet pour glisser les doigts dans ses cheveux. C’est si
fort que j’ai l’impression que toutes mes cellules sont en feu ! Je brûle de désir et
je m’oublie à nouveau. Il n’y a plus que lui et moi.
J’attrape ses fesses, et son corps vient écraser le mien. Je sens son érection
entre mes cuisses, et mon cœur commence à s’emballer. Il m’enlève mon
soutien-gorge et me couvre de son torse.
— Je vais te sucer les seins, Natalie. Est-ce que tu en as envie ?
Je fonds, je gémis… Il passe alors la main dans mon dos et se retourne, me
ramenant au-dessus de lui. Nos poitrines sont toujours collées l’une à l’autre. Je
sens le renflement de son pantalon contre mon sexe.
Il me regarde dans les yeux.
— Est-ce que tu veux que je m’arrête ?
Il n’y a pas d’hésitation ni de précipitation dans sa voix. Il a envie de moi,
mais ne veut pas me pousser trop loin.
— Ne t’arrête pas.
Ses mains parcourent mon dos avec une grande douceur. Je n’ai plus mal. Je
me sens vivante et désirée. Mon cœur bat comme un fou, et mon bas-ventre se
contracte à m’en faire mal.
Liam m’étend à nouveau délicatement sur le dos, ne me quittant pas des
yeux, et commence à tracer des petits cercles avec la langue autour de mes
tétons ; ses caresses sont si douces et généreuses. Sa bouche va ensuite chercher
l’autre sein, et je remue les hanches pour me frotter à lui.
— J’aime ta peau, Lee.
Il se redresse et me regarde, les yeux pétillants. Je devrais avoir le réflexe de
me couvrir, mais son regard me rassure. J’effleure son torse du bout des doigts, il
reprend ses baisers, ses caresses, et je bouge à nouveau contre lui. C’est si bon…
— Liam…
— Dis-moi d’arrêter ou je vais bientôt ne plus pouvoir me contrôler…
— Embrasse-moi.
J’ordonne, et il s’exécute. Je pose la main sur son cœur, alors que sa bouche
prend possession de la mienne. Je le sens vivant, réel et tellement bon… Ses
lèvres n’ont jamais touché celles de Brittany.
À cet instant, je ne veux être nulle part ailleurs que dans ses bras.
Nous interrompos notre baiser mais restons allongés l’un en face de l’autre.
— Je ne penserai jamais que tu m’es acquise, m’assure-t-il, interrompant
notre baiser. Je n’irai jamais avec une autre femme. Je ne suis qu’à toi.
Les larmes me montent aux yeux.
— Je ne suis pas prête à envisager l’avenir, mais en ce moment je suis à toi.
J’ai envie de me donner à toi tout entière, quand il n’y aura plus que nous.
— Hé ! mais qu’est-ce qui te fait penser que je m’offre à toi ? me dit-il avec
malice.
L’atmosphère passe soudain du désir au jeu.
— Oh ? Je pensais que si je voulais t’avoir j’y avais droit.
Il me serre contre lui, et je l’embrasse dans le cou.
— Parce que tu crois que je suis un mec facile ?
J’éclate de rire, et il couvre mon visage de baisers.
— Jamais. Rien n’est facile chez toi.
— Oui, bon, sauf mon corps de rêve… Je veux dire, c’est facile pour les
yeux.
— L’arrogance n’est pas sexy du tout, mon cher !
Je le taquine, et ses doigts dessinent des courbes dans mon dos.
— Moi, je te trouve très sexy, dit-il en ramenant les paumes sur mes seins.
Je l’embrasse dans le cou.
— Ah oui ?
— Tu veux que je te le montre avec ma bouche ?
Il effleure mon épaule, et ce simple geste suffit à rallumer le désir.
Hélas, mon téléphone se met à vibrer, brisant ce moment. J’étends le bras en
grommelant pour attraper mon sac. Liam se rassoit et me regarde avec un petit
sourire fier.
C’est un texto de Reanell.
— Merde ! Je dois y aller. Aarabelle s’impatiente, et Rea doit partir.
Je récupère mon soutien-gorge, mais Liam me l’ôte des mains.
— Hé, j’en ai besoin !
— Je ne crois pas que tu veuilles quitter la maison comme ça. Je n’ai aucune
envie de partir. Je veux rester ici avec lui. C’est la première fois que je me sens
vraiment heureuse et entière. Quand il me regarde, je me sens belle et désirée.
Mais il n’y a aucune concession dans ses yeux. Alors je me penche sur lui, je
l’embrasse et attrape son T-shirt que j’enfile rapidement.
— Garde le soutif, moi, je porterai tes vêtements.
Il se lève et fait un pas vers moi.
— Je file prendre la douche la plus froide de ma vie et je vais essayer de ne
pas penser que tu portes mes fringues, que tu te balades chez toi toute nue dans
mon T-shirt et que tu sens mon eau de toilette.
Je recule et récupère mon sac.
— Tu auras peut-être besoin de deux douches.
Je lui fais un clin d’œil, j’ouvre la porte, puis je le regarde par-dessus mon
épaule.
— Tu sais, je pourrais même dormir dedans…
Je l’entends gémir alors que je m’échappe en refermant la porte derrière moi.
Je réalise soudain que, durant tout le temps que j’ai passé dans ses bras, je
n’ai pas pensé une seconde à Aaron. Ou presque.
30

Liam

— Dempsey, dans mon bureau, tout de suite.


Le commandant Hansen m’appelle, et je me lève d’un bond. Qu’est-ce que
j’ai fait, cette fois ?
— Monsieur, dis-je en arrivant devant son bureau.
— Assieds-toi, me dit-il en m’indiquant le fauteuil.
C’est le genre d’officier sous le commandement duquel tout le monde
voudrait faire son service. Il est juste et ne se considère pas au-dessus des autres.
C’est un meneur d’hommes qu’on a envie de suivre.
— Ma femme est une véritable chieuse. Elle se mêle de tout et, la plupart du
temps, j’arrive à supporter ses histoires. Mais avec Natalie, c’est différent.
Gilcher a servi sous mes ordres pendant six ans. Je le connaissais très bien ; il
faisait partie de la famille. Si je t’appelle ici, ce n’est pas pour te parler de
supérieur à subordonné, mais d’homme à homme.
Je hoche la tête respectueusement et me retiens de répondre. Ce qui se passe
entre Natalie et moi ne regarde personne. La soirée au bar, qui devait représenter
un pas en avant dans notre histoire, a fini en désastre à cause d’une pétasse.
— Je suis sûr que tu te fous de ce que je vais te dire et, honnêtement, ça
m’est égal. Mais je tiens beaucoup à Lee et à Aarabelle. En plus de ça, Rea est
inquiète et elle me pourrit la vie, quand elle est comme ça. Alors, si tu as besoin
de prendre quelques jours pour passer du temps avec elles, vas-y.
Bon. Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais…
J’imaginais me faire sermonner et l’entendre m’ordonner : « Ne t’approche
pas d’elle ! » Auquel cas, j’aurais trouvé un moyen élégant et respectueux de lui
dire d’aller se faire foutre.
— Combien de temps ?
— Si tu veux poser un congé, je l’approuverai. Il n’y a rien d’urgent pendant
les deux prochaines semaines. Et la plupart d’entre vous vont partir avant l’heure
du déjeuner.
— Bien, monsieur, j’accepte. J’apprécie ce que vous faites.
Il regarde par la fenêtre en soupirant.
— Pendant des semaines, Natalie n’a pas ri, souri ou pleuré. Elle restait
assise toute la journée, prostrée. Reanell était avec elle pendant son
accouchement, et ce n’est qu’à la naissance d’Aarabelle qu’elle a pleuré. Elle est
ensuite redevenue morose pendant des semaines.
Il s’interrompt en se grattant le menton.
— Et puis, elle a recommencé à s’ouvrir, et je pense que cette ouverture
coïncide avec ton arrivée.
— Je ne croyais pas que j’avais quoi que ce soit à voir avec ça.
— Je ne sais pas non plus, mais c’est une intuition.
C’est la conversation la plus bizarre que j’aie jamais eue. Hansen se lève et
fait quelques pas.
— J’ai eu des doutes, en ce qui concerne Aaron, peu avant qu’il parte en
Afghanistan. Quant à Natalie, elle a préféré se souvenir d’une vie avec lui
différente de celle qu’elle menait.
Pour ma part, je n’ignorais pas qu’Aaron luttait pour aller de l’avant, avec
l’arrivée du bébé et tout ce que ça impliquait, mais jamais je n’aurais pensé qu’il
avait une maîtresse. On vivait chacun à un bout du pays et on ne se voyait plus
beaucoup, mais il ne m’avait jamais parlé d’une autre femme.
Je pense à Natalie, qui commence à se reconstruire, à la douceur et au goût
de sa peau, au temps que ça m’a pris de calmer mon érection, après son départ.
Je ne m’y attendais pas, mais elle s’est donnée à moi un peu plus que d’habitude.
J’ai dû me retenir à chaque instant de lui demander plus ; je n’étais même pas sûr
de pouvoir me contrôler, me rappeler que c’était à elle de décider. Elle mérite
que je sois patient.
— Je comprends, monsieur. Je vais avoir besoin de ces quelques jours.
— Je savais que je pouvais te faire confiance.
Il me tend la main.
— Commandant.
— On se voit à ton retour.
Je sors du bureau et commence à réfléchir à une stratégie, où Natalie ne
pourra plus se défiler. Je devrais peut-être utiliser une corde…

* * *

— Alors, vous êtes toujours ensemble ? me demande Quinn, tandis que nous
chargeons les poids sur les barres.
— Oui.
Je me mets en position pour les soulever. J’envisage de battre mon record, et
tout ce que cet idiot trouve à dire concerne Natalie. J’aligne les mains, mais
Quinn pousse vers le bas, de sorte que je ne peux plus bouger.
— Elle est d’accord ? Je veux dire… son mari, ton meilleur pote, se tapait
une autre fille, et elle accepte de sortir avec toi ?
— «Oui », c’est pourtant simple à comprendre ! On est ensemble. Aaron a
déconné, mais lui et moi sommes deux personnes différentes.
— Si tu le dis.
Il fait semblant de s’étrangler et retire sa main.
Il faut toujours qu’il commente. C’est agaçant, et je n’en peux plus de ses
conneries.
— Tu sais, tu n’as aucune leçon à me donner sur mes choix de vie. Si j’ai
envie d’être avec elle, si on est d’accord tous les deux là-dessus, qu’est-ce que ça
peut te foutre ?
Il recule en levant les mains au ciel.
— Je demande juste, mec.
Je me rassois, énervé.
— Quand tu vas baiser tout ce qui bouge, est-ce que je m’en mêle ? Tu as
baisé plus de filles que nous tous réunis, alors, ne commence pas à m’emmerder
au sujet de Lee !
Il s’approche de moi.
— Je ne dirai plus rien après ça : si tu lui fais du mal, je te détruis. Ce n’est
pas n’importe quelle nana, c’est la femme d’Aaron, putain, et elle a un enfant. Je
sais ce que c’est, une mère célibataire.
— Je ne suis pas stupide.
— Ah, le jury n’a pas encore pris sa décision là-dessus, me dit-il en me
tapant sur l’épaule, avant d’ajouter : je n’étais peut-être pas aussi proche
d’Aaron que toi, mais il était aussi mon ami. Je sais que tu n’es pas un bâtard. Je
veux juste être sûr que tu es bien conscient de ce que tu fais avant de t’engager
plus avant.
Il me regarde avec insistance et sérieux, puis reprend son air et ses bêtises
habituels :
— Et maintenant, essaye de soulever ça !
Je connais Quinn depuis longtemps, et c’est la première fois qu’il me parle
vraiment et si longtemps.
— Je n’ai pas l’intention de lui faire du mal, ne t’inquiète pas.
— C’est tout ce que je voulais savoir. Bon, on s’entraîne, là, ou tu veux un
massage dans le dos ?
— Crétin. On s’y met.
Je reprends position et me concentre sur l’exercice.
Après la séance, Quinn et moi décidons d’aller déjeuner. Il a assez de bon
sens pour ne pas évoquer à nouveau ma relation avec Lee. Nous parlons du
prochain déploiement. Nous allons travailler ensemble, mais chacun dirigera son
équipe.
— J’ai entendu dire que tu prenais tes congés ?
— Oui, je voudrais emmener Natalie et Aarabelle quelque part, mais je ne
sais pas encore où.
Je ris. J’ai retourné la question dans tous les sens pour trouver un endroit qui
lui plairait. Juste un espace pour respirer loin de toutes ces histoires et voir s’il y
a vraiment quelque chose entre nous ou si ce sont seulement les circonstances
qui nous ont poussés dans les bras l’un de l’autre.
— Pourquoi tu ne l’emmènerais pas dans ma maison au bord de l’océan ?
— Où ça ?
— Sur la côte, en Caroline du Nord. Je sais qu’elle vit près de la plage, mais
c’est une belle maison, et l’endroit est très dépaysant.
— Eh ben, mec !
Je me moque un peu de lui en reculant contre le dossier de ma chaise. Il est
la dernière personne à qui j’aurais pensé pour nous aider à changer d’air.
— Je t’ai expliqué, j’avais besoin d’être sûr. Mais, si tu tiens à elle et si tu
acceptes la gosse, tout est dit. Tiens…
Il détache une clé de son porte-clés.
— Prends-la. Allez-y ou pas, ça m’est égal. Je t’enverrai toutes les infos.
C’est à quelques heures de route, mais Corolla est vraiment super. J’ai vu des
chevaux sauvages une fois ou deux.
— Tu n’es pas si con que ça, finalement, dis-je en souriant et en mettant la
clé dans ma poche.
— Oui, mais c’est secret-défense.
— OK, le secret sera bien gardé avec moi… Jusqu’à ce que tu m’emmerdes.
Là, je le dirai à tout le monde.
— Ouais, c’est ça, et moi je dirai à tout le monde que tu n’as pas été foutu de
soulever la barre, aujourd’hui.
Maintenant, il ne me reste plus qu’à préparer mon sac et à convaincre
Natalie de partir avec moi.
Ça devrait être amusant.
31

Natalie

— Mamamamama…
Aarabelle babille encore et encore dans sa chaise. Elle grandit tellement
vite ! J’aimerais parfois mettre la vie sur pause pour capturer chaque instant avec
elle.
Elle se déplace toute seule, maintenant, et je dois lui courir après. En plus,
elle met tout à la bouche, et je suis prête à jurer qu’elle a un don pour choisir les
objets les plus petits qui soient.
— Mamamamama…
— Coucou, ma chérie.
Je lui souris en posant un autre Cheerio sur son plateau. J’ai tout minuté : le
temps qu’elle le mange, je peux laver un couvert. Avec un bébé, tout est une
histoire de timing.
Elle sourit à son tour en le prenant dans ses mains, et je retourne vite à
l’évier pour nettoyer mon assiette, avant qu’elle se remette à appeler.
Ce faisant, je vois Liam se garer dans l’allée et aussitôt j’ai des papillons
dans le ventre. Il me rend joyeuse. Cela ne fait que quelques jours qu’on ne s’est
pas vus, mais il m’a manqué.
Ce laps de temps m’a permis de faire le point sur ce que je ressentais. Je suis
toujours en colère, mais je ne laisserai pas les choix d’Aaron me pourrir la vie. Il
est mort. Il a fait des erreurs, et je dois composer avec. Mais il m’a donné
Aarabelle et, en un sens, il m’a aussi donné Liam. La vérité, c’est que je n’ai
aucun moyen de savoir s’il a eu ou non une liaison, je n’ai que la parole d’une
inconnue.
Il frappe, et Aarabelle recommence à s’agiter. On dirait que la minute du
Cheerio est passée.
— Entre, Liam !
— Ferme cette fichue porte, Lee, marmonne-t-il en entrant.
— Je vis dans le quartier le plus sûr et j’ai la voisine la plus bruyante du
monde qui campe sur sa terrasse. Je pense que Mme DeMatteo ne manquerait
pas de remarquer toute tentative d’intrusion et assommerait l’intrus avec un
bâton avant qu’il ait le temps d’entrer.
Liam pénètre dans la cuisine et se penche pour embrasser Aarabelle sur la
joue.
— Salut, beauté, dit-il avec un grand sourire auquel elle répond.
— Mamamama.
— Tu veux bien lui donner un Cheerio, s’il te plaît ?
Pendant qu’il lui donnera à manger, je pourrai finir toute ma vaisselle.
— Bien sûr, mais d’abord, embrasse-moi.
Aussitôt je me retourne, entoure sa nuque de mes bras et me suspends à son
cou.
— Hello, toi…
— Tu es très belle.
— Oh ! tu es très doux, aujourd’hui…
Je me hisse sur la pointe des pieds, alors qu’il se penche délicatement vers
mes lèvres.
La tension monte entre nous, et je savoure l’instant. Je n’ai pas ressenti ça
depuis si longtemps : un baiser qui me fasse tourner la tête et chavirer
complètement…
— J’aime être doux…
Il m’embrasse.
Je m’accroche à sa nuque, et il me serre contre lui en me faisant reculer
jusqu’au comptoir, où il se colle à moi avant d’interrompre notre baiser, me
laissant le souffle court.
— Mamamama, piaille Aarabelle depuis sa chaise, pour revenir au centre de
l’attention générale.
Je ris et repousse Liam pour donner un autre Cheerio à ma fille.
— Personne ne t’a oubliée, chipie…
Elle me fait son plus grand sourire, le nez légèrement froncé et les yeux
brillants. On ne peut pas s’empêcher de lui sourire en retour.
— J’ai eu une idée…, me dit Liam en passant les bras autour de ma taille.
— Ah oui ?
Il me fait pivoter vers lui.
— On est en période d’entraînement, ce qui signifie qu’on partira en mission
sous peu.
— J’avais compris.
Je sais comment ça fonctionne. Je pourrais faire semblant de ne pas savoir
mais, en tant qu’épouse d’un militaire des Forces spéciales, j’ai eu maintes fois
l’occasion de voir comment les choses s’organisent. Reste à voir comment je
vais supporter son départ. C’est l’une de mes plus grandes craintes ; je ne sais
pas si je pourrai m’y faire à nouveau.
— Hé, tu as confiance en moi ? me demande-t-il en me soulevant le menton.
Je le regarde dans les yeux. C’est bien la seule question que je n’ai pas à me
poser à son propos. Il n’a pas cessé de me prouver qu’il était digne de ma
confiance, au cours des derniers mois.
— Bien sûr que oui !
— OK, alors, monte dans ta chambre et prépare un sac de voyage pour
Aarabelle et toi.
— Quoi ?
Je m’écarte de lui et le regarde sans comprendre.
— Pour quelques jours, ajoute-t-il en me tournant joyeusement autour et en
m’embrassant sur le nez.
Puis il m’entraîne vers l’escalier.
— Liam, arrête !
— Arrh, je savais que tu allais faire des histoires.
— Mais évidemment que je vais faire des histoires ! Où est-ce que tu veux
nous emmener, d’abord ? J’ai du travail cette semaine, j’ai des choses à faire, je
te signale.
Tout se bouscule dans mon esprit, et je commence à sortir de mes gonds.
— Je ne peux pas partir comme ça en lâchant tout. J’ai des rendez-vous,
Aarabelle a une sortie avec d’autres enfants. Je veux dire, qu’est-ce que… ?
— Bon sang, femme, tu me fais confiance. Alors fais-moi confiance !
Il est debout contre le mur et je l’observe, les lèvres pincées.
— Allez ! Monte l’escalier !
— Ne m’appelle plus jamais « femme » et ne me donne pas d’ordres, c’est
clair ?
Il éclate de rire, et je ris avec lui. Puis il s’avance et m’attrape par les
hanches. Je me suspends à son cou, tandis qu’il m’enveloppe d’un regard plein
d’adoration.
— Arrête de me donner envie de toi à chaque seconde, Lee, et va faire ce
sac. Je veux qu’on parte loin d’ici, pour se libérer de toute cette merde et voir ce
qui se passe. Pas de fantômes. Pas de souvenirs. Seulement nous trois.
Mon cœur se dénoue un peu. Nous trois. Il n’était pas censé faire partie de ce
« nous trois », pourtant, nous en sommes là. Il ne pense pas qu’à moi, il pense
aussi à Aarabelle — même avec ses couches et ses bavoirs. Il ne demande pas à
m’emmener en week-end d’évasion pour mieux me séduire. Il est soucieux de
construire quelque chose de durable et inclut Aara dans ses projets.
— Tu sais vraiment comment gagner le cœur d’une fille, pas vrai,
Dempsey ? je le taquine, avant de me hisser sur la pointe des pieds pour
l’embrasser.
Il recule, me tenant toujours dans ses bras.
— Seulement le tien. C’est le seul qui m’intéresse.
Je pose la tête contre sa poitrine. J’aimerais m’y éterniser, les yeux fermés,
profitant de ces bras qui me protègent.
— Je prépare un sac pour quoi, exactement ?
— Quelques jours. Plutôt des vêtements de plage.
— De plage ? Sérieux ? Tu as vu ce qu’il y a juste derrière la maison ?
— Chut ! Va juste faire ce sac. Allez, dit-il en me donnant une claque sur les
fesses. Je m’occupe d’Aarabelle.
— Oh ! c’est très rassurant !
Je monte rapidement à l’étage, en espérant qu’il ne va pas me courir après,
ou peut-être que c’est ce que je souhaite, en fin de compte.
J’entre dans ma chambre légèrement étourdie.
Partir en vacances avec Liam…
C’est surréaliste — et complètement inattendu. Et merde, on va devoir
dormir ensemble ! Dormir… dans le même lit.
Je ne voudrais pas qu’il dorme sur le canapé, mais je ne sais pas si je suis
prête à dormir dans le même lit que lui. Nous avançons si lentement ! Mais
j’aimerais aller plus loin. J’ai envie de lui, lui de moi, et je suis sûre de mes
sentiments mais… Je n’ai jamais connu qu’Aaron et j’ai peur de ne pas être à la
hauteur.
La panique commence à me submerger et j’essaye de me concentrer.
J’anticipe beaucoup trop. Préparer le sac, c’est la seule chose à faire pour le
moment.
Je vais devoir me venger pour ça : les femmes ont besoin de plusieurs jours
pour préparer une valise, pas de quelques minutes. Et encore, quand elles savent
où elles vont ! J’essaye de dresser mentalement la liste des choses dont j’aurai
besoin pour Aarabelle et moi.
En faisant mes piles d’habits sur le lit, je me calme un peu. Des vêtements de
rechange au cas où, et le nécessaire de plage. Les sacs et valises sont dans
l’armoire d’Aaron, que j’ai laissée telle quelle depuis le jour où j’ai déchiré ses
vêtements. Je ne veux plus rien voir de tout ça, pourtant je dois l’ouvrir. Je
prends une grande inspiration et je tourne la poignée. Son odeur me prend au
nez, et je lutte pour ne pas pleurer.
— Pourquoi tu n’as rien dit, Aaron ? Je ne te laisserai pas me détruire. Mon
cœur était à toi, mais tu as décidé qu’il n’était pas assez bien pour toi, alors je le
reprends. Je t’aimerai toujours, mais je ne t’appartiens plus.
Je m’appuie contre le battant en espérant qu’il m’entend de là où il est. Je
laisse couler une larme et j’attrape la valise sur l’étagère du haut.
Quand je la pose par terre, je vois qu’un bout de papier est tombé sur le sol.
Hésitante, je me penche pour le prendre. Je le retourne, un peu effrayée de ce
que je vais trouver dessus, mais il n’y a que ces mots :
Je suis désolé.

De nouvelles questions surgissent.


— Désolé pour quoi, Aaron ? Ou pour qui ?
Je fais claquer la porte de l’armoire, et le bruit se répercute à travers la
chambre. Je m’adosse au battant, me laisse glisser au sol, jambes repliées, et me
mets à pleurer, la tête sur les genoux.
Un mariage qui disparaît, c’est toujours difficile. Devenir veuve et devoir
effacer ce mariage de ma vie, c’est la chose la plus dure qu’on puisse imaginer,
mais découvrir que ce mariage était un mensonge, c’est insurmontable.
— Natalie ? Est-ce que tout va bien ?
Liam me touche le bras, et je relève lentement la tête. Il porte Aarabelle dans
ses bras.
— Euh… Non. Oui. Je ne sais pas.
J’essaye de retenir mes larmes. Je ne veux pas qu’il me voie dans cet état. Il
est l’homme de ma vie, mais je suis encore en train de guérir d’Aaron, et ce n’est
pas juste pour nous deux.
— OK. Bon, faisons cette valise et on verra ça ensemble.
Il se redresse et me tend la main. J’y pose la mienne, et il m’aide à me
remettre debout.
Aarabelle commence à taper dans ses mains, et je ris.
— Tu veux partir en vacances, princesse ?
Elle crie comme si elle savait de quoi je lui parle, et je regarde Liam.
— Ensemble, dit-il en m’embrassant sur la tempe. Puis il change aussitôt de
ton pour ajouter :
— Ah, cette demoiselle a besoin qu’on lui change sa couche, et ce n’est pas
trop mon truc.
Je secoue la tête alors qu’il me tend Aarabelle.
— Pas question ! Tu as dit que tu t’occupais d’elle et, si on joue à être
« ensemble », tu vas aussi t’occuper des couches…
Je croise les bras et lui envoie mon plus beau sourire d’emmerdeuse.
— Tu devras me passer dessus, ma chérie.
Je lui tire la langue et j’observe comme il retient sa respiration, ses yeux qui
s’attardent sur ma langue et mes lèvres. Aarabelle sur un bras, il m’attire contre
lui.
Alors je lui chuchote à l’oreille :
— Pas de couches, pas de sexe.
Il râle un peu, puis sourit, résigné.
— Ah oui, et pas de corde, cette fois ! je lui lance, alors qu’il se dirige vers
la porte.
— Tu ne peux pas décider de tout !
Tandis qu’il s’éloigne, je l’entends dire à Aarabelle :
— Bon, alors où est le scotch de maman ?
32

— Et maintenant, tu veux bien me dire où on va ?


Je le lui demande pour la trentième fois. C’est si facile de le rendre fou.
— Si tu espères me contrarier, tu te fatigues pour rien, je suis très bien
entraîné.
Il place le bras derrière mon siège en ajoutant :
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je suis un homme supérieur.
Je le regarde et cherche sur son visage un petit sourire qui m’indiquerait
qu’il plaisante, mais il ne sourit pas.
— Supérieurement stupide alors !
— Jalouse !
— De quoi ?
J’attends une réponse qui ne vient pas.
J’attends dix secondes.
Et plus longtemps.
Il conduit sans faire attention à moi. Aarabelle gazouille et joue dans son
siège à l’arrière.
Ce type va me rendre dingue !
— Liam !
Je hurle, et ça le fait rire. Ce qui m’énerve évidemment plus encore. Très
bien. Je peux jouer aussi.
Je m’enfonce dans mon siège, mets les pieds sur le tableau de bord et ferme
les yeux. Je sens son regard sur moi.
Oui, bien joué, ça va être drôle.
— Mon cœur ? appelle-t-il tout doucement.
— Hum ?
Je ne bouge pas d’un iota, gardant un air impassible, alors que je meurs
d’envie de sourire.
— Aurais-tu la gentillesse de retirer tes pieds de là, s’il te plaît ?
La demande est faite d’un ton poli ; je sens poindre cependant l’agacement
dans sa voix.
J’ouvre un œil.
— Oh ! merci, mais je suis parfaitement à l’aise.
— Tu ne voudrais pas perdre un pied, si on avait un accident. Je dis ça pour
toi…
Je laisse tomber la tête lourdement sur le côté et je hausse les épaules.
— Tu me porteras. Mais merci de t’inquiéter pour moi.
Je me mords l’intérieur des joues pour ne pas éclater de rire. J’ai
l’impression de sentir la fumée qui lui sort des oreilles.
— Lee.
— Liam ?
Je lui jette un coup d’œil évasif.
— Si je te dis où on va, tu enlèves tes pieds de mon bébé ?
Ah, la joie de la victoire ! C’est dur de trouver le point faible de certains
mecs, mais pour Liam c’est très simple : c’est sa voiture. Robin, comme il
l’appelle. Son trésor.
— Tu utilises des cordes avec Robin ?
Il esquisse un sourire, mais plisse les yeux.
— Natalie, tes pieds.
Je soulève légèrement les pieds du tableau de bord.
— Où est-ce qu’on va ?
Il est hors de question que je cède. D’abord, c’est trop drôle. Ensuite, ça me
stresse de ne pas savoir où nous allons, pour combien de temps et si oui ou non
je vais dormir avec lui. J’essaye de me relaxer, de me laisser aller, mais ce n’est
pas dans mon ADN. Tout le monde sait que je suis plutôt du genre à prendre le
taureau par les cornes et à agir. Je n’ai pas eu trop le choix, avec Aaron toujours
en déplacement.
— Tu veux vraiment savoir ? me demande-t-il en me prenant la main et en
mêlant ses doigts aux miens.
— Pas vraiment. J’aime bien t’embêter.
— Ah, les femmes…
— Ah, les hommes…
J’ôte mes pieds.
— Aara s’est endormie, fait-il remarquer en regardant dans le rétroviseur.
Je me retourne et je vois combien elle dort paisiblement. Sans souci. J’envie
cette sérénité. Je mentirais si je disais que partir loin de chez moi ne me fait pas
du bien. On a la sensation de laisser ses inquiétudes derrière soi.
— Merci pour tout ça, dis-je en lui serrant la main.
Il porte la mienne à ses lèvres et l’embrasse.
— Je suis content de ne pas avoir eu à t’attacher ni à te pousser dehors.
Essayons seulement de nous détendre et de voir ce qui vient.
— Je peux le faire.
Il rit.
— Je te croirai quand je le verrai.
— Quoi qu’il en soit, combien de jours de congé est-ce que je dois
demander ?
— J’ai déjà parlé à Muffin et Twilight. Tout est OK.
— Tu as fait ça ?
Je ne sais pas si j’ai envie de le frapper ou de l’embrasser. Il pense même à
mon travail ! Mais, hé, c’est mon boulot, et c’est quand même à moi de décider,
non ?
Je ne travaille pour Jackson que depuis quelques mois, mais j’aime ça. Je ne
veux pas risquer de perdre mon poste. Même si je doute qu’il me vire. En
quelques semaines, j’ai augmenté leurs effectifs et réduit leurs coûts dans
certains secteurs. J’ai pu utiliser quelques-uns de mes anciens contacts de
journaliste. À l’époque, je faisais beaucoup de reportages de guerre et
connaissais des personnes qui travaillaient dans des entreprises similaires.
— J’ai appelé Muff et je lui ai parlé de mon plan. Il a dit, je cite :
« Emmène-la aussi longtemps que tu veux. »
Il fait une pause pour mesurer son effet et ajoute :
— Alors, je t’emmène.
Je laisse échapper un long soupir.
Relaxe, profite, relaxe, profite.
— Je ne peux pas te dire plus que merci.
— C’est un début.
— Pourquoi est-ce que c’est si facile entre nous ?
Notre relation me donne l’impression qu’on a appuyé sur l’accélérateur. Elle
a pris du temps pour démarrer, parce que j’ai lutté contre mon attirance pour lui,
mais quand j’ai accepté tout s’est fait si naturellement.
Il me jette un regard en coin, les sourcils légèrement froncés.
— Euh… Facile ? Je ne sais pas si j’en dirais autant.
— Je veux dire… Être avec toi. C’est simple et sans effort. Comme s’il en
avait toujours été ainsi.
— Je pense que c’est parce que notre relation est juste. Tu voudrais que je
devienne difficile ? Parce que je peux.
J’éclate de rire et secoue la tête.
— Je suis sûre que tu peux ! Tu es déjà difficile, d’ailleurs, mais je parlais de
nous en tant que couple. Je me demande si c’est normal.
Il pose une main sur ma cuisse.
— Je ne me suis jamais senti aussi bien avec personne d’autre. Je pense que
c’est parce que nous avons longtemps été amis. Je te connais, et tu me connais. Il
n’y a pas eu de période de tâtonnements. Je t’aimais déjà avant que ça aille plus
loin, d’un amour différent. Tu étais une amie très proche, mais tu étais avec
Aaron, alors la question ne se posait pas. Ça ne signifie pas que je ne t’aurais pas
aidée.
Il fixe la route en réfléchissant.
— Je t’aimais aussi. Cela dit, je n’ai jamais pensé qu’on passerait un jour
tout notre temps ensemble. C’est nouveau pour moi, et je ne sais pas si c’est
comme ça que les choses se font : passer du statut d’amis à celui d’amoureux et
sentir que c’est juste.
J’attrape sa main et entremêle nos doigts.
— J’ai arrêté de ressentir de la culpabilité vis-à-vis de nous. Peut-être que
c’est pour ça, parce que c’est juste. Nous ne sommes pas deux étrangers qui se
sont rencontrés dans un bar. Je connais ta famille, tes amis, et j’aurais continué à
faire partie de ta vie, même si Aaron n’était pas mort.
— Je ne t’ai jamais regardée comme je te regarde aujourd’hui et je ne peux
pas te dire quand, exactement, les choses ont changé, mais je sais quand j’ai
décidé que c’était correct. À l’hôpital, après notre flirt, je me suis accordé le
droit d’éprouver des sentiments pour toi. Tu es faite pour moi, Natalie.
— Tu le penses vraiment ?
— Oui.
— Et pourquoi tu le penses ?
J’aime qu’on puisse passer de la gravité au rire en un clin d’œil.
Liam toussote ; peut-être que lui n’est pas fan de ces revirements.
— Je n’en sais absolument rien. Peut-être es-tu amoureuse de moi depuis des
années, au fond.
— Non, mais je t’ai toujours trouvé sexy, cela dit.
Il a un petit sourire satisfait et hoche la tête.
— Eh oui, tu as tiré le gros lot !
— Avoue… Toi aussi, tu me regardais.
Il tourne légèrement la tête vers moi pour me faire un sourire de beau gosse
à tomber par terre.
— Bien sûr, tu as toujours été très belle. Mais maintenant, tu es à moi, et je
vais t’avoir pour moi tout seul…
— Pas si vite ! Si ça se trouve, je vais rencontrer un bel étranger pendant ce
voyage, et il va m’enlever sur son yacht et me faire découvrir tout ce que je rate
avec toi…
Sa mâchoire se contracte légèrement. Les hommes dominateurs sont
décidément tous les mêmes.
— Je ferai la peau au premier mec qui essaye !
— Ouh, j’ai peur.
— Continue comme ça, femme, tu vas voir ce qui t’arrive, me prévient-il
avant de sourire.
Il prend l’autoroute en direction des côtes de Caroline du Nord. Je n’avais
pas remarqué où nous allions jusqu’à maintenant. Je savais qu’on allait vers le
sud, mais ça ne m’était pas venu à l’esprit qu’on irait vers l’une de mes plages
préférées.
— Pourquoi tu souris ? me demande-t-il.
— Parce que je suis heureuse. J’adore ces côtes.
— Ah, tu vois ? Je suis un homme supérieur.
Je le fais taire d’une claque légère sur le torse.
Nous traversons toutes les petites villes qui longent les côtes. Je regarde
défiler la multitude de boutiques et de restaurants. J’adore ma ville, le vieux
cœur de Virginia Beach, mais ces endroits sont tellement chaleureux. Ils
possèdent un charme fou, et on y expérimente la vie paisible des bords de mer.
Il y a beaucoup de tourisme chez moi, mais ces villes-là sont carrément
prises d’assaut par les touristes, l’été ; malgré tout, elles ont réussi à garder leur
authenticité.
Nous arrivons à Corolla, et je ferme les yeux pour mieux respirer l’air du
large. L’odeur mêlée de l’océan, du soleil et du sable… Je me sens chez moi.
Soudain, Liam se gare dans l’allée d’une des maisons les plus magnifiques
que j’aie jamais vues.
— Waouh !
— C’est la maison de famille de Quinn.
Je me tourne vers lui ; il a l’air aussi étonné que moi.
— Qui l’eût cru ?
— Sacrée baraque, en tout cas. Aara dort encore. Tu veux la prendre avec
toi, pendant que je décharge les bagages ?
— D’accord.
Il s’apprête à descendre de la voiture, mais je le retiens, la main sur son bras.
Il s’immobilise et me regarde.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Je me penche vers lui.
— Merci…
Je pose un baiser sur ses lèvres.
En une seconde, tout bascule. Il glisse les doigts dans mes cheveux et
m’embrasse avec force et avidité. Nos langues se cherchent, et mon corps tout
entier s’embrase. L’euphorie monte en moi. Liam a saisi mon visage entre ses
mains et me mordille la lèvre.
Il est hors de question qu’il dorme sur le canapé !
Doucement, il se recule et la tension retombe.
— Tu peux me remercier autant de fois que tu veux, mon cœur.
J’éclate de rire.
— Je savais que ça te ferait plaisir…
— Et comment !
— Allez ! Occupe-toi des sacs, je m’occupe d’Aara, dis-je en ouvrant ma
portière.
Je la sors de son siège, sans qu’elle se réveille, et vais jeter un coup d’œil à
la maison.
C’est une belle villa de deux étages de style colonial, à la façade bleue et aux
volets blancs. Le porche sur pilotis occupe toute la partie gauche. C’est une
vieille maison, mais on voit qu’elle a été bien entretenue. Quels que soient les
ouragans qu’elle a dû affronter, elle tient toujours fièrement debout.
Je monte l’escalier jusqu’à la porte d’entrée. Liam est derrière moi, il
déverrouille et me laisse découvrir l’intérieur.
— C’est incroyable !
Je suis bluffée…
— Profites-en pour visiter, je monte les affaires.
Je hoche la tête et commence à explorer, en faisant attention de ne pas
réveiller Aara. Elle est endormie depuis une heure environ et devient terrible
quand elle ne se réveille pas d’elle-même. La cuisine a été refaite récemment et
présente de beaux comptoirs en granit noir et des meubles plus rustiques en bois
blanc.
J’avance vers la fenêtre et m’arrête net devant une vue sur les dunes et l’eau
à couper le souffle. Les rideaux en satin couleur crème font paraître l’océan plus
bleu encore. J’ai beau avoir vue sur l’océan à la maison, ici, j’ai l’impression de
le voir pour la première fois.
Aarabelle dort toujours profondément contre moi. J’entends Liam qui
descend l’escalier et s’approche de moi. Il m’entoure de ses bras, et nous
regardons la mer un moment ensemble.
— Quelle beauté ! murmure-t-il.
— Je trouve aussi.
— Je parlais de toi.
Alors mon cœur s’ouvre, et je sens la chaleur de Liam m’envahir. Je me
laisse aller contre sa poitrine et savoure cet instant. J’aimerais lui dire tant de
choses, mais ce moment est si parfait. Loin du quotidien et de tout, seule ici avec
Aarabelle et lui, je ne peux rien désirer de plus.

* * *

— Tu es prête ? me crie Liam depuis le rez-de-chaussée.


Il s’est occupé d’Aarabelle pendant que j’ai passé à peu près une heure à me
préparer pour aller dîner. Je suppose qu’elle n’a pas encore rempli sa couche,
parce que je ne l’ai pas entendue pleurer, ni Liam pester contre les bébés…
— Presque !
J’ai mis une robe blanche à dos nu et coiffé mes cheveux en un chignon
torsadé. Mais surtout, j’ai passé un temps considérable à me raser les jambes,
parce que je veux être parfaite, si nous terminons cette soirée comme je
l’espère…
Je me regarde dans le miroir et je souris à mon reflet. Cette escapade me fait
un bien fou. Je me sens vivante et neuve.
Après avoir rangé nos affaires, nous avons fait une balade sur la plage. Aara
riait et devenait carrément hilare quand Liam courait dans l’eau avec elle. Elle
criait, jusqu’à ce qu’il s’arrête et ressorte.
— Je vais manger des petits pots pour bébé, si tu n’arrives pas bientôt !
Les hommes…
J’attrape mon sac et descends l’escalier.
— Je suis prête.
Il m’attend dans le salon. Il a mis un pantalon kaki et une chemise bleu
marine qui lui colle au corps et fait ressortir ses biceps et ses pectoraux au point
qu’on pourrait croire que ses vêtements sont trop petits pour lui.
Ses yeux bleus sont plus sombres que d’habitude, mais toujours aussi
envoûtants. Il s’est rasé de près et n’a pas mis le bonnet que j’aime tant. Il est…
trop sexy !
— Je crois que je ne vais pas réussir à tenir tout le dîner, me dit-il.
— Quoi ?
— Tu ne veux pas mettre un jogging, plutôt ?
Je fais mine de m’étouffer.
— Pardon ? Non, je ne vais pas mettre un jogging pour aller dîner. J’ai envie
d’être élégante, alors tu vas devoir apprendre à maîtriser tes pulsions, Monsieur-
je-suis-supérieur.
Je me réjouis de voir que ma robe lui fait un tel effet. Je ne l’ai pas mise
pour le rendre fou, mais tant mieux si c’est le cas. J’avais oublié ce que ça faisait
d’être l’unique objet d’attention d’un homme, de se sentir désirée. Liam a
réveillé cela en moi. Il a ramené à la vie la femme que j’étais.
Je m’approche de lui et il reprend sa respiration, visiblement éprouvé. Mon
dos nu s’arrête juste au-dessus des reins.
— Putain, ce n’est pas possible ! souffle-t-il en le découvrant.
Puis il m’attrape gentiment par le bras et ajoute :
— Dis-moi que tu as un pull ou quelque chose à mettre par-dessus cette
robe.
Je fais un petit tour sur moi-même avec un léger sourire.
— Non, il fait chaud dehors…
— Bon. Laisse-moi une minute, alors…
Il pousse un profond soupir et me tend Aarabelle. Je la prends dans mes bras
en riant.
— Allez, Dreamboat, viens manger avant de péter les plombs.
Nous nous arrêtons pour faire le plein et prendre un plan de la ville, puis
nous partons en direction d’un petit restaurant de fruits de mer qui semble être
l’un des seuls endroits animés de la ville.
Demain, nous irons à la plage et explorerons le reste des environs.
On nous installe à une table près de la fenêtre, avec vue sur l’océan.
Aarabelle est entre nous, sur une chaise haute.
— Mamamamama, piaille-t-elle en regardant Liam.
— Je ne suis pas ta maman. Je suis le clown de service.
— Le clown ? Tu l’as attachée, je te signale.
— Et elle a survécu sans faire pipi partout.
Je secoue la tête, feignant la consternation.
— Tout va bien, ma chérie, c’est juste que Liam ne sait pas comment mettre
une couche.
Liam se laisse distraire par la vue un instant, et Aarabelle crie pour ramener
son attention à elle.
— Oh ! j’en connais une qui ressemble à sa maman ! Je t’ai vue, Miss.
Il lui tend la main, et elle lui donne de petites tapes sur la paume pour jouer.
On dit que pour atteindre le cœur d’un homme il faut passer par son
estomac, mais moi j’ai Aarabelle. Elle est mon univers. Rien ne compte plus
qu’elle à mes yeux. Un homme peut partir, mourir, aller voir ailleurs, mais elle
sera toujours mon enfant. L’aimer et l’accepter n’est pas seulement important
pour moi, c’est la seule condition. Sans cela, aucun homme ne peut espérer être
avec moi.
Nos plats arrivent, et nous les dégustons en parlant du travail, de choses et
d’autres. Liam me raconte son jeu du plus fort avec Quinn. J’ai l’impression que
ça lui fait du bien d’avoir un compagnon d’entraînement.
— L’anniversaire d’Aarabelle approche. Tu vas organiser quelque chose ?
me demande-t-il après le repas.
— J’aimerais, oui. Jackson et Catherine m’ont dit qu’ils viendraient. Mes
parents aussi. Je devrais commencer les préparatifs.
Il me reste du temps, mais Liam me connaît suffisamment pour savoir que
j’aime les fêtes grandioses. Je dépasse toujours mon budget, mais j’adore
organiser des événements extravagants, où rien n’est laissé au hasard. En
général, ça me prend environ un mois pour confectionner moi-même toutes les
décorations. Oui, je suis consciente que j’ai un sérieux problème.
— J’aimerais beaucoup t’aider mais… Si c’est comme d’habitude… Disons
que j’apporterai la bière.
— Non, non… Tu ne t’en sortiras pas comme ça ! Maintenant qu’on est en
couple, tu vas m’aider.
Il râle un peu, alors que la serveuse nous apporte l’addition. Il paye et prend
Aarabelle dans les bras.
Nous décidons de faire une autre promenade sur la plage avant que le soleil
se couche.
— Tu viens, mon cœur, me dit-il en me donnant la main.
Lorsque nous arrivons sur la plage, il prend Aarabelle sur un bras et passe
l’autre autour de mes épaules. Son grand corps me réchauffe et me protège du
vent du soir. Nous marchons pieds nus dans le sable sans parler.
Nous pouvons rester tous les deux un long moment silencieux, et c’est une
chose précieuse que j’aime dans notre relation. Ni lui ni moi n’éprouvons le
désir de remplir un vide.
Aarabelle a posé la tête sur son épaule et se repose contre lui. Je les regarde
et j’ai l’impression que mon cœur va déborder d’amour. Il aime Aara, et je
l’aime, lui, d’un amour plus profond que je n’aurais pu l’imaginer.
— Liam…, dis-je doucement.
Il s’arrête et se tourne vers moi.
— Ça ne va pas ?
— Si, tout va bien.
J’aimerais lui dire combien je tiens à lui, mais suis prise d’une sensation
étrange. Je baisse les yeux et joue avec le sable entre mes orteils.
— Hé, Lee…
Je prends une profonde inspiration : Liam n’est pas Aaron. Peut-être qu’il
mourra, lui aussi, mais il est différent. Notre relation l’est aussi. J’étais une jeune
fille, quand j’ai rencontré Aaron. Nous avons grandi ensemble, mais, d’une
certaine façon, nous avons grandi séparément. Les expériences de sa vie de
militaire l’ont éloigné de moi. Peut-être ne voulait-il plus souffrir, alors pourquoi
m’a-t-il fait souffrir ? Je ne saurai jamais le fin mot de cette histoire, mais je dois
avancer.
Je n’avais pas prévu de retomber amoureuse. Mais je ne peux pas renoncer à
Liam. Je ne veux pas.
— Je t’aime, dis-je enfin.
Immédiatement, je perçois la joie dans son regard. Je laisse cet amour me
remplir, grandir en moi, et mes larmes couler.
— Vraiment, je t’aime. Tu me rends heureuse, et je me sens en sécurité avec
toi.
Il se rapproche de moi et me caresse la joue.
— Je t’aime, Natalie, et je serai toujours là pour te protéger.
Il essuie une larme qui roule sur ma joue.
— Ne pleure pas, mon amour.
— Je ne suis pas triste. Seulement, parfois, être amoureuse de toi me fait
peur, pour plein de raisons.
— Comme quoi ?
Il doit bien se douter de mes appréhensions. Ou peut-être pas. Ils finissent
peut-être par se croire immortels dans cet univers où ils risquent leur vie et
côtoient la mort si souvent.
— Tu es dans les Forces spéciales, Aaron y était aussi, et je suis veuve.
Le lui dire rend ma crainte bien réelle.
— Je ne peux pas te faire de promesses. Je serais un connard et un menteur
si je te disais que jamais rien de grave ne m’arrivera. Tu étais consciente de ce
que ça impliquait, quand on a commencé à tomber amoureux l’un de l’autre. Des
déploiements, des entraînements, des missions dangereuses dont je ne pourrai
pas te parler. Je peux te raconter toutes les histoires que tu veux entendre. Mais
la vérité, c’est que je veux vivre ma vie avec toi, Lee. Je veux construire quelque
chose avec Aarabelle et toi. Je veux penser à toi tous les jours et avoir hâte de te
rejoindre. Je veux sentir ton corps contre le mien et te faire l’amour.
Je lève les yeux vers lui, et mon cœur se serre. Il me parle avec tendresse
mais fermement.
— Je t’aime et j’aime Aarabelle, mais notre histoire a un prix. Je savais que
ce serait un obstacle à surmonter. Il y aura toujours un risque que je ne rentre pas
à la maison.
À cette évocation, une nouvelle larme coule sur ma joue. Quelqu’un pourrait
une fois de plus frapper à ma porte pour m’annoncer qu’il est mort. Un autre
drapeau sur la cheminée. Tout ce qu’il me resterait des deux hommes de ma vie.
Je ne pense pas que j’en serais capable.
— Je ne veux pas te perdre comme ça.
— Je ne peux pas te garantir qu’il ne m’arrivera jamais rien, mais sois
certaine que je ferai tout mon possible pour rester en vie et pour que tu
n’éprouves plus jamais ça. C’est la seule promesse valable.
Aarabelle dort paisiblement la tête sur son épaule, et je vois avec plus de
clarté que jamais devant quel choix je me trouve. Je peux m’éloigner de lui
maintenant, pour me préserver et faire attention, dorénavant, à qui je laisse entrer
dans ma vie. Ou je peux tout lui donner. Courir le risque de me retrouver sans
rien, mais aussi de connaître avec lui le plus bel amour.
Aaron était facile à vivre et prévisible. J’avais une vie confortable et stable.
Je pense que, même avec sa liaison, il ne m’aurait pas quittée. Nous aurions
peut-être trouvé un moyen de nous pardonner. Rien n’aurait été facile, mais avec
un enfant, un mariage, une vie de couple derrière nous… Je n’en saurai jamais
rien, mais je l’aimais. Et, malgré le mal qu’il m’a fait, il conserve une place dans
mon cœur.
— Si nous décidons de continuer ensemble, tu feras très attention à toi ?
Question stupide… Cette demande est une aberration, quand on s’adresse à
un militaire. Ils ignorent ce qu’est la prudence. Le complexe du héros. Mais
Liam doit savoir que j’ai besoin de ça.
— Natalie, je ferai tout pour rentrer auprès de toi sain et sauf.
— OK, on peut retourner à la maison, je suis prête pour aller me coucher.
Je lui prends la main, et nous nous éloignons vers la voiture.
33

Je commence à perdre mon calme lorsque nous arrivons à la maison.


J’essaye de me dire que ce n’est que Liam, mais… C’est quand même Liam.
— Je vais coucher Aarabelle, dis-je, légèrement tremblante.
Calme-toi, Natalie.
— Je t’accompagne.
Je sens sa main dans mon dos et je panique. Génial…
Nous montons l’escalier jusqu’à la petite chambre où j’ai installé le berceau
de voyage. Aara dormira du côté de la maison qui tourne le dos au soleil pour ne
pas être réveillée dès la première heure du jour.
Je la berce un peu plus longuement que d’habitude et l’embrasse sur le front.
Je m’attarde.
Liam l’embrasse sur la joue, m’embrasse et quitte la pièce. Je pousse un
profond soupir de soulagement. J’ai besoin d’un verre.
Tout ira bien, me dis-je en l’allongeant dans son berceau.
— Dors bien et fais de beaux rêves toute la nuit, ma petite princesse.
Maman risque d’être occupée…
Bon, et maintenant ? Direction la chambre ? La salle de bains ? Est-ce que je
dois mettre un pyjama ?
Je me sens vraiment stupide.
J’ai vraiment besoin d’un verre ! Je descends à la cuisine. Liam est adossé au
comptoir et sirote une bière.
— Ah, on dirait qu’il n’y a pas que moi qui ai besoin d’un petit remontant…
Je lui pique sa bouteille ; il en profite pour me prendre par la taille et
m’attirer contre lui.
— Ne sois pas nerveuse. On n’est pas obligés de faire quoi que ce soit, si tu
n’en as pas envie, murmure-t-il dans mon cou.
Je pose la bouteille sur le comptoir derrière lui ; il effleure mon cou de son
nez et descend jusqu’à l’épaule. Doucement, ses doigts se perdent dans le tissu
de ma robe. Il s’attarde. Ses lèvres caressent ma peau, sa langue dessine une
courbe entre mon cou et mon oreille. Je frissonne de plaisir, et une immense
chaleur envahit mon bas-ventre.
— Je veux prendre mon temps. Je veux savourer chaque instant avec toi, te
toucher, te goûter, te sentir, et recommencer encore et encore, me murmure-t-il
de sa voix profonde et sensuelle.
Je me love dans ses bras.
— Liam, je…
Sa langue suit le contour de mon oreille.
— Tu quoi, mon cœur ?
Je laisse échapper un soupir tremblant.
— Je… Je n’ai été qu’avec Aaron…
Un tel aveu pourrait refroidir les ardeurs de certains. Je ne sais faire que ce
qu’Aaron aimait et peut-être que je ne le faisais pas bien, que c’est pour ça qu’il
est allé voir ailleurs.
— Et si…
Liam me prend par les épaules et plonge ses yeux dans les miens.
— Et si quoi ?
— Si je suis nulle ?
— Hum, alors je me réserve le droit de changer d’avis…, répond-il avec un
petit sourire moqueur.
Je lui fais face en attendant qu’il me réponde plus sérieusement.
— Natalie, arrête ! Tu es parfaite, et on peut parler. Si tu n’aimes pas
quelque chose, dis-le-moi, déclare-t-il sans ciller jusqu’à ce que je hoche la tête.
Alors il m’attrape dans ses bras, me soulève du sol.
— Repose-moi !
— Chut !
— Je peux march…
Mais il me fait taire en m’embrassant. Il me porte presque sans effort jusqu’à
la chambre, referme doucement la porte derrière nous avec le pied et m’allonge
sur le lit.
— Je t’aime.
— Je t’aime aussi.
— Je vais te montrer à quel point.
Il ne me quitte pas des yeux, tandis que ses mains me parcourent tout entière.
Puis il s’étend au-dessus de moi, et je sens le poids de son corps sur le mien.
De nouveau, j’ai chaud et j’ai envie qu’il continue de me toucher, de
m’embrasser. Je veux le sentir en moi. Ses doigts caressent mes jambes nues,
montent et redescendent sur ma peau, s’aventurant toujours plus haut.
— Embrasse-moi, Liam.
Il le fait. Nos langues jouent voluptueusement l’une avec l’autre. Je prends
son visage dans mes mains et l’embrasse de tout mon être. J’ai l’impression que
mon cœur va se décrocher, tant il s’emballe lorsque les doigts de Liam frôlent
mon string. Son baiser se fait plus intense et ses mains remontent sous ma robe
jusque sous mes seins, mais le tissu est trop serré et il continue ses caresses dans
mon dos.
Puis il s’assoit sur les talons, me relevant dans le même mouvement.
Habilement, il commence à défaire le nœud sur ma nuque et les bretelles
tombent, laissant ma poitrine nue. Il regarde mes seins avant de les prendre dans
ses paumes.
Puis il m’allonge à nouveau sous lui, me chuchotant :
— Je n’attends que ça depuis des jours ! Je rêve de te voir nue. J’espère que
tu es prête pour une nuit blanche, mon amour.
Il pince doucement mes tétons entre ses doigts, et je gémis.
— Enlève ton T-shirt, Liam.
Je veux sentir sa peau contre la mienne. Je l’aide à ôter son vêtement et, du
bout des doigts, je suis le tracé de son tatouage qui me rappelle toutes les
épreuves qu’il a traversées. Mais, avant que je puisse penser à autre chose, il a
saisi mon sein entre ses lèvres, et sa langue dessine de petits cercles autour de
mon téton qui durcit. Je prends sa tête dans mes mains pour le garder là.
— Oh !
Il me mordille un peu.
— Liam…
Il s’arrête.
— Dis-le encore.
Je le regarde, confuse.
— Dis mon prénom.
— Liam…
Il pousse un râle et suce mon autre sein. Ses mains glissent dans mon dos et
il m’enlève ma robe, qu’il jette au pied du lit avant de me rallonger. Ses lèvres
reviennent sur mes seins et commencent à descendre plus bas. Alors je sens la
panique me gagner à nouveau.
Liam perçoit tout de suite ma tension.
— Détends-toi, mon cœur, je veux seulement te faire du bien.
Je m’imprègne de ses mots et tente de me concentrer sur l’instant. Il fait
glisser délicatement mon string blanc le long de mes jambes. Je suis totalement
offerte à son regard, vulnérable aussi, mais je ne vois que l’émerveillement dans
ses yeux. J’ai l’impression d’être un cadeau du ciel.
Il se penche, embrasse mon ventre, dépose un autre baiser quelques
millimètres plus bas, un autre encore un peu plus bas, et se place enfin entre mes
cuisses. Je me redresse sur les coudes. Liam me regarde, puis replonge, et ma
tête en tombe en arrière. Sa langue tourne autour de mon clitoris, et c’est comme
si chaque parcelle de mon corps s’éveillait. Il me lèche, me pénètre. Je sursaute,
mais il me retient. Je m’agite, il ne s’arrête pas pour autant. Chaque mouvement
de sa langue fait monter le plaisir, et je sens que je vais atteindre l’orgasme.
— Presque, je gémis.
Ça fait si longtemps ! Et cela n’a jamais été aussi rapide. J’en suis là quand il
enlève la bouche de mon sexe. Je le regarde avec une moue frustrée.
— Pas tout de suite, dit-il avant d’y retourner. Doucement pour commencer.
Sa langue est légère, et je lutte contre l’envie irrépressible de le guider là où
j’ai le plus de plaisir.
— Liam… S’il te plaît…
Je sens son doigt à l’entrée de mon vagin ; lentement, il me pénètre. Tout se
mélange alors en moi. Je ne sais plus si je veux rire ou pleurer. Il se remet à
caresser de la langue mon clitoris. Je grimpe d’un cran de plus vers le plaisir et
je jure que s’il s’arrête, cette fois-ci, je le frappe ! C’est divin. Je suis au paradis.
Je brûle, le corps tendu, les muscles contractés dans l’attente.
Et j’explose enfin.
Je suis à bout de souffle et pourtant encore excitée, alors que Liam s’évertue
à donner à mon corps tout le plaisir qu’il peut prendre.
Puis il se redresse et me regarde.
— Tu es encore plus belle quand tu jouis.
— Maintenant, à ton tour, dis-je en me redressant pour l’escalader et
m’installer sur lui.
Je caresse ses lèvres, et mes mains descendent jusqu’à son sternum.
J’effleure des doigts chacune de ses côtes, dessine le contour de ses pectoraux.
Son corps, viril et parfait, me laisse sans voix et me donne envie de tout faire
pour qu’il se souvienne toute sa vie de cette nuit.
Le contact avec sa peau est une évidence ; nos deux corps nus l’un près de
l’autre me donnent le sentiment qu’il ne pouvait en être autrement.
Je défais sa ceinture et lui enlève son pantalon. Un sourire paresseux se
dessine sur son visage alors que je retire son boxer, en prenant tout mon temps
pour l’admirer. Son sexe en érection se dresse sous mes yeux, et je ressens une
envie folle de le prendre en moi. Mais, d’abord, on va jouer un peu.
— Natalie, si tu continues de me regarder comme ça, je ne vais pas tenir !
J’ai envie de me faire désirer, de tester ses limites. Je me sens puissante
comme jamais je n’aurais cru pouvoir l’être.
Je prends son sexe dans ma main en m’allongeant sur lui et je murmure :
— Tu n’es pas le seul à tester les limites… J’ai tellement envie que tu sois
en moi que j’en pleurerais. Prends-moi, je veux être à toi, Liam.
Il me retourne sur le dos et se place au-dessus de moi.
— Tu es déjà à moi.
Je ferme les yeux, mais il attend.
— Regarde-moi, Lee.
Je vois l’amour briller dans son regard.
— Je mets un préservatif ?
— Non, je réponds, sûre de moi.
Mes chances de concevoir sont proches de zéro. Je ne peux tomber enceinte
qu’en suivant un traitement contre l’infertilité.
— Je veux te sentir en moi. Et que tu me sentes aussi. Ne ferme pas les yeux.
Chaque inspiration que je prends semble durer une éternité, tandis que
j’attends. Très lentement il descend sur moi. Je le sens contre mon sexe.
— Je t’aime. J’aime chaque partie de toi sans exception. Je ne peux pas te
résister.
Tandis qu’il me chuchote ces mots, il me pénètre. Mes yeux restent fixés sur
lui, je lui abandonne mon cœur.
— Tu es à moi, je ne te perdrai jamais.
Il ferme les yeux et entre plus profondément en moi.
J’ai le souffle court. Il reste en moi sans bouger, pressant sa bouche contre la
mienne. Je me perds dans son baiser, et nous commençons à remuer ensemble. Il
gémit, je m’accroche à son dos alors qu’il va et vient à l’intérieur de moi. Je
m’enroule et me presse contre lui, il gémit plus fort.
Je prends tout ce qu’il me donne de lui. Je regarde sa mâchoire et ses
muscles tendus par le plaisir. Le bleu de ses yeux passe du clair à l’obscur quand
il les rouvre. Je retiens la sensation de ses fesses sous mes paumes. Chacun de
ses coups de reins me rend folle. Nos corps sont parfaitement accordés, comme
si nous faisions l’amour depuis toujours.
Il se tourne sur le dos pour me ramener sur lui. Mes mains caressent son
torse.
— Tu me fais tellement de bien, Liam. Je ne veux pas que ça s’arrête…
Je sens que je vais jouir.
— C’est si bon !
Il m’embrasse, passe une main entre mes cuisses pour atteindre mon clitoris.
La pression de son doigt et son sexe dur en moi, c’est juste…
— Je vais jouir, Lee. Tu es tellement bonne, ma chérie.
— Oh ! mon Dieu !
Je gémis, à deux doigts de l’orgasme. Je ferme les yeux et m’oublie
complètement dans la sensation de son corps.
Et c’est le feu d’artifice.
Liam se retourne sur moi, et nous jouissons ensemble.
Puis nous restons étendus, l’un dans l’autre, reprenant notre souffle.
Je me lève ensuite pour aller à la salle de bains. En sortant de la douche, je
scrute mon reflet dans le miroir à la recherche d’une différence. Mes cheveux
partent dans tous les sens. Extérieurement, je suis toujours la même, mais à
l’intérieur quelque chose a changé. Je ne suis plus uniquement la femme
d’Aaron. Je me suis donnée à un autre homme, un homme bon. Un homme qui,
je l’espère, restera près de moi longtemps.
Je le rejoins dans le lit, et il m’attire contre lui sous la couette. Je le regarde
avec adoration.
Son visage s’illumine.
— C’était…
— Bon ? je suggère.
— Non, mon cœur, meilleur que ça.
Je souris et ferme les yeux. Je repense sans le vouloir à ma première fois
avec Aaron. Ça n’avait rien à voir. Nous étions deux ados inexpérimentés,
cherchant à reproduire une scène de film. Mais je ne veux pas l’évoquer. Liam
mérite que je sois tout entière avec lui, non pas perdue dans le passé.
— Liam ?
— Hum ? fait-il en me prenant la main et en la posant sur sa poitrine.
Je ne sais pas combien de temps nous avons encore avant qu’il soit envoyé
en mission, à moins qu’il ne parte juste pour une session d’entraînement. Avant
que notre relation évolue, ses absences étaient déjà dures à supporter. Je ne sais
pas comment je vais m’y faire, maintenant. Il est dans les Forces spéciales, et je
suis de retour dans cette vie. Autrefois, je n’aurais pas fait attention, quand
Aaron était déployé, mais Liam et moi sommes si proches…
— Quel est ton agenda pour les prochaines semaines ?
Je voudrais savoir combien de temps il nous reste.
— Je dois partir dans quelques jours pour deux semaines environ. Ensuite, je
serai de retour pendant un petit moment. Je serai là pour l’anniversaire d’Aara et
je devrai sans doute repartir juste après.
— Tu vas me manquer.
Il se tourne vers moi et me ramène au-dessus de lui. Ses doigts me caressent
le visage. Mon menton tremble légèrement à la pensée qu’il sera absent six mois.
Tout est si nouveau entre nous ! Je ne veux pas qu’il parte.
— Tu seras avec moi tous les jours. Je verrai ton beau visage, tes cheveux
blonds et tes yeux bleus en fermant les yeux, le soir. Et puis, je ne pars pas pour
toujours.
Il s’arrête sur cette phrase.
— Pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire.
— Je sais.
Il passe un bras autour de moi, et je ferme les paupières. Je prie pour qu’il ne
connaisse pas le même destin que le dernier homme que j’ai aimé.

* * *

Le lendemain matin, je me réveille et tâtonne dans le lit à la recherche de


Liam, mais je ne trouve que des draps froids.
Non !
Je m’assois et regarde autour de moi.
Pitié, faites que ce ne soit pas un rêve !
Je ne suis pas dans ma chambre, mais en Caroline du Nord.
OK, c’est bon, respire un grand coup…
Je saute du lit et sens des courbatures dans tous les muscles que j’ai trop
longtemps laissés à l’abandon. J’ai mal partout, mais j’accueille ces douleurs
avec joie, parce qu’elles signifient que je n’ai pas rêvé cette nuit d’extase dans
les bras de Liam. Le soleil filtre à travers les rideaux, et je pars à sa recherche.
Je vais jusqu’à la chambre d’Aarabelle, elle n’y est plus. Je descends et
trouve Liam et ma fille sur le canapé. Elle a le visage tout barbouillé. Elle
regarde la télévision, souriante et enjouée. Je m’adosse au mur pour les observer.
Elle se met à gigoter, et il l’assoit sur ses genoux.
— Bon, ta maman fait dodo, et je suis sûr que tu vas bientôt avoir besoin
d’une nouvelle couche, après tout ce que tu as mangé. On garde ça entre nous,
d’accord ?
Elle sautille sur ses jambes.
— Tu m’écoutes ? Si tu pouvais ne pas faire caca, ce serait vraiment génial.
Je peux t’acheter une poupée ou tout ce qui te fera plaisir. Si tu veux un poney, il
paraît qu’il y en a des sauvages dans le coin. J’irai t’en capturer un, si tu arrives
à te retenir.
— Mamamama, fait Aarabelle, alors que Liam essaye de la distraire.
— Non, ta maman est beaucoup plus jolie que moi. Tu peux dire « Liam » ?
Bon, peut-être pas encore, mais tu peux toujours essayer.
Je me retiens de rire, tandis qu’Aara se bave sur la main en remuant. S’il
commence déjà à négocier en lui promettant un poney, il va falloir qu’on parle
sérieusement.
— Alors, comme ça, on parle de poney ? dis-je en m’approchant.
— Ah, tu me sauves la vie ! J’avais peur qu’elle fasse caca et de ne pas
trouver de cordes ou de scotch.
— Oh tu exagères !
Si ça doit être tous les matins comme ça, je vais être la plus heureuse des
femmes : il est torse nu, et je fais de mon mieux pour ne pas le dévorer des yeux,
maintenant que je sais ce que c’est d’être prisonnière de ses bras. En fait, je
voudrais bien qu’on remette ça tout de suite.
En me levant, j’ai enfilé son T-shirt, qui traînait par terre. J’ai pensé que ça
ne l’embêterait pas, puisqu’il avait beaucoup aimé me voir partir avec, la
dernière fois.
— Bonjour, au fait, me lance-t-il avec un grand sourire.
— Bonjour…
Je l’embrasse et embrasse Aara.
— Bonjour, ma princesse.
Je la prends dans mes bras et m’installe sur les genoux de Liam.
— Et voilà, mes deux préférées, dit-il en nous entourant de ses bras.
— Merci de t’être réveillé avec elle.
Aarabelle babille, nichée contre ma poitrine. Elle regarde Liam, et son
visage s’illumine. Il éteint la télé et écarte une mèche de cheveux de mon visage.
— Je suis sorti courir et, en rentrant, je l’ai entendue parler dans son
berceau. J’ai vraiment dû t’épuiser, cette nuit…
Son petit sourire plein de fierté me fait lever les yeux au ciel, mais je ne
m’en blottis pas moins contre lui.
— Quelle heure est-il ?
— 10 heures.
— Quoi ?
Je bondis.
— Tu m’as laissée dormir jusqu’à 10 heures ? Tu as donné son petit déjeuner
à Aara ?
— Oui, bien sûr. Je ne suis pas complètement débile.
— Qu’est-ce qu’elle a sur la figure ? dis-je en essuyant les taches marron qui
lui maculent les joues. Du chocolat ?
Liam se lève en ignorant ma question.
— Je vais prendre une douche.
— Liam ! Tu lui as donné du chocolat pour le petit déjeuner ?
— Viens me rejoindre, si tu veux, lance-t-il en montant l’escalier.
— Je te préviens, tu vas changer toutes ses couches sales !
— Moi aussi, je t’aime !
— Pff.
Je soupire. Aarabelle est toute joyeuse et insouciante. Je peux difficilement
en vouloir à Liam, qui m’a laissée dormir, mais quand même. Il a tellement de
choses à apprendre.
Heureusement, on a quelques jours devant nous. Il va pouvoir prendre des
leçons.
34

— Ne la laisse pas s’approcher trop près !


Je hurle depuis ma chaise longue. Liam a laissé Aarabelle jouer près de
l’eau, et je ne peux m’empêcher d’avoir peur.
— Calme-toi un peu, je sais nager ! me répond-il, un peu agacé.
Je réapprends à profiter de la plage depuis la naissance d’Aarabelle. Je ne
sais plus quoi faire de moi-même. En plus, je dois supporter de voir Liam en
maillot de bain. Quel que soit l’angle sous lequel on regarde la situation, je suis
vraiment une veinarde.
Mon téléphone sonne. Un numéro de Californie s’affiche.
— Allô ?
— Natalie ? C’est Catherine.
— Cat ! Salut !
Cela fait si longtemps qu’on ne s’est pas parlé. Entre ses heures de travail
complètement dingues et ma nouvelle vie, on se manque tout le temps. Mais
j’arrive à rester en contact avec elle grâce à Jackson, c’est déjà ça.
— J’avais un moment et je pensais à toi. J’accompagnerai Jackson, la
prochaine fois qu’il ira en Virginie. J’aimerais beaucoup te voir.
Je ris en voyant Aara qui jette du sable sur Liam.
— Oui ! Ce serait chouette.
— Tu as l’air en forme.
— Oui, c’est vrai. En fait, je suis en vacances jusqu’à demain. Liam et moi
sommes sur la côte, en Caroline du Nord.
Elle reste silencieuse une seconde, puis reprend :
— Tout va bien… avec lui ?
Je soupire et souris.
— Oui, tout va très bien. Je suis heureuse, Cat. Il est d’une gentillesse… Et
il aime Aarabelle, et moi aussi en passant. C’est un peu étrange. On apprend à se
connaître, mais je suis amoureuse de lui.
— C’est génial. Sérieusement ! Je suis vraiment contente pour toi, après tout
ça…
Je suppose que Jackson et Mark ont eu des échos de l’histoire d’Aaron, par
le biais de Liam ou de Quinn. Jackson m’a prise à part et m’a assuré qu’il ne
savait rien. L’attitude d’Aaron les a déçus, Mark et lui, mais en même temps, a-t-
il commenté, ils ont vu ça si souvent… L’adultère est presque une banalité dans
les Forces spéciales. Je ne suis pas la seule à avoir été trompée. Quelque part, ça
me rassure.
— C’était horrible, Cat.
— Je sais ce que c’est, crois-moi ! C’est vraiment nul, mais je t’assure
qu’avec le recul une liaison peut devenir une bénédiction. J’ai été dévastée,
quand j’ai appris que mon ex me trompait, je ne pensais pas pouvoir aimer de
nouveau, et puis j’ai rencontré Jackson. Peut-être que Liam est ton homard.
Nous éclatons de rire toutes les deux, lorsqu’elle évoque cette scène culte de
la série Friends.
— Peut-être. Je prends les choses au jour le jour avec Liam, tu sais. On verra
bien. Dans un mois, je fêterai le premier anniversaire de ma fille. Je sais que
c’est encore un peu tôt pour lancer les invitations, mais j’aimerais beaucoup que
vous veniez, Jackson et toi.
— Bien sûr ! Jackson ne voudra pas manquer l’événement. Bon, ma belle, je
dois y aller, mais je suis super contente de t’avoir parlé.
— Moi aussi ! J’ai hâte de te voir.
— Moi aussi. Embrasse Aara pour moi, et on se reparle bientôt. Bisous.
Nous raccrochons, et je repense à ce qu’elle m’a confié. Au moins, moi, je
n’ai pas surpris Aaron et Brittany au lit. La différence, c’est que Catherine n’était
pas mariée et n’avait pas d’enfant. Cela dit, vue sous n’importe quel angle,
l’infidélité ternit une partie de notre cœur pour toujours.
Liam revient vers moi avec Aarabelle, et j’admire sa démarche. Même sa
façon de bouger est souple et élégante. Je me lève pour les rejoindre.
— Papapa, babille Aarabelle en se frottant les yeux.
Liam et moi échangeons un regard surpris. Aara se tourne en direction de la
maison, et je me demande si c’est pour le plaisir de faire du bruit ou si elle l’a
vraiment appelé « papa » à sa manière. Ça aurait du sens. Il est le seul homme de
sa vie. Nous ne disons rien, attendant qu’elle le répète.
— Est-ce qu’elle a… ?
— On a sans doute mal compris.
Je hoche la tête et balaye cette idée. Elle a dit autre chose, et nous avons
rêvé. Nous restons cependant à l’observer. Au bout de quelques minutes, Liam
me prend la main et entremêle nos doigts. Nous nous asseyons sur les sièges de
plage. Le soleil me réchauffe le visage, et je ferme les yeux.
— Tu devrais vraiment porter autre chose, me dit Liam, réprobateur, en me
sortant de ma sieste.
J’ouvre un œil.
— Il y a un problème avec mon maillot de bain ?
Je sais que je n’ai plus le corps d’avant ma grossesse, mais je ne pense pas
non plus être grosse. Je porte un bikini rouge bordeaux qui met en valeur mes
nouvelles courbes, tout en cachant le petit bourrelet dont je n’arrive pas à me
débarrasser.
— Tout va bien. C’est juste que j’ai terriblement envie de te porter jusqu’à la
chambre et de te faire l’amour.
Je ne m’attendais pas à ça. J’en frissonne. Je sens l’excitation me gagner et
je respire profondément pour me calmer.
— OK, à quelle heure on décolle, demain ?
— Je dois préparer quelques trucs avant de partir en mission… Après le petit
déjeuner, ce serait bien. Et après avoir fait l’amour, bien sûr…
— Tu es sûr que je vais me laisser faire, hein ?
— Je pense avoir fait mes preuves.
— Hum, je n’en suis pas sûre…
En fait, il les a largement faites, mais ce n’est pas mon genre de le laisser se
vanter.
— Alors je vais me rattraper, dit-il. Aarabelle a sommeil, et je pense
justement à une activité sympa qu’on pourrait faire pendant sa sieste.
Je regarde ma fille et me demande si ce n’est pas trop tôt pour la remettre au
lit.
— Ah, mais c’est que j’avais prévu d’autres choses, comme visionner les
épisodes de séries télé que j’ai manqués. Alors peut-être une autre fois…
Il me tire de mon fauteuil, m’embrasse dans le cou, et son souffle chaud me
donne la chair de poule.
— Mon cœur, je vais te faire jouir, beaucoup, beaucoup, beaucoup.
J’essaye de contrôler ma respiration et de dominer mon excitation.
— Mais j’y compte bien !
Je sais que je vais souffrir, mais de la façon la plus délicieuse qui soit…

* * *

Une heure plus tard, nous rangeons nos affaires de plage et marchons vers la
maison. Je donne à manger à Aarabelle et lui mets son pyjama. Elle est épuisée
et, après son extraordinaire petit déjeuner, lui faire prendre son repas n’a pas été
simple.
Une fois que tout est rangé et qu’elle est au lit, j’hésite.
Dois-je aller chercher Liam ? J’ai une légère appréhension et l’impression
d’être une ado excitée avant sa première fois.
— Tu essayes de m’éviter ? murmure-t-il soudain derrière moi, et je bondis
de frayeur.
— Putain ! C’est quoi, votre problème ? Ils vous entraînent pour faire peur
aux gens ?
Je tente de calmer les battements effrénés de mon cœur ; ça fait presque un
an qu’Aaron est mort, et je n’ai plus l’habitude de ces blagues débiles…
En fait, ça fait pile un an. Aujourd’hui.
Je n’avais pas réalisé.
Voilà un an jour pour jour qu’Aaron est mort.
Les larmes commencent à me monter aux yeux. Je suis en vacances avec
Liam, je m’amuse, je fais l’amour, oubliant que c’est l’anniversaire de la mort de
mon mari.
— Je ne voulais pas te faire peur. Est-ce que ça va ? me demande-t-il,
inquiet.
— Liam, dis-je en posant la main sur son bras. Je… Ça fait un an,
aujourd’hui. Un an qu’il est mort.
Je lève les yeux, désespérée. Je suis un monstre ! Je ne m’en souvenais
même pas. Je n’ai même pas pensé à lui. Il m’a fait du mal, mais quand même.
Est-ce que je devrais être sur sa tombe en Pennsylvanie ? Soudain, j’ai envie
de vomir.
Liam ne dit rien. Me sentir coupable vis-à-vis de deux hommes, c’est trop. Je
pleure la mort de mon mari devant mon petit ami, après notre première nuit
d’amour. C’est l’horreur !
— Donne-moi une minute, dis-je en me précipitant en bas de l’escalier.
Rien ne peut m’apaiser. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. J’ai
fait la paix avec Aaron et choisi de vivre avec Liam, mais, à cet instant précis,
rien ne va plus et les deux mondes me heurtent de plein fouet.
Je franchis la porte qui donne sur la plage et tombe, les genoux dans le sable.
J’étais tellement en colère ces derniers temps que j’ai complètement oublié
l’anniversaire de sa disparition. N’aurais-je pas dû m’en souvenir ?
Je pense à ce petit mot que j’ai trouvé : « Je suis désolé. » Peut-être était-il
désolé de m’avoir trompée, ou de m’avoir épousée et d’avoir été malheureux
avec moi. Je ne crois pas trop à cette hypothèse car, même si nous avons eu des
moments difficiles, nous avons eu aussi beaucoup de joie, de rire, d’amour.
Je profite de cet instant, seule sur la plage, pour lui pardonner et me
pardonner à moi aussi. Je repense à sa lettre. Il voulait que je sois heureuse, que
j’aime à nouveau. Je le veux aussi. Et c’est à ma portée.
Trois chevaux sauvages s’ébrouent dans l’écume des vagues. Jamais je n’en
ai vu auparavant. Ils sont majestueux et bougent lentement, comme s’ils
dansaient. Un alezan avance entre les deux autres, aux robes plus sombres, dont
l’un semble mener le groupe.
Je ne peux pas m’empêcher de m’identifier au plus clair des trois, que
j’imagine être une femelle. Les deux autres sont des mâles qui tournent autour
d’elle et rivalisent pour la conquérir. Mais elle est libre et ne veut pas être
dominée. Elle veut aimer, mais se sent déchirée.
Alors que je termine de me raconter leur histoire, le cheval noir s’éloigne des
deux autres.
Je suis désolée, Aaron, mais c’est toi qui m’as quittée.
Les deux autres continuent de trotter dans les vagues, et j’ai l’impression
qu’il m’a répondu, en quelque sorte.
Je me redresse, essuie le sable qui me colle aux jambes et me décide à aller
retrouver Liam. Il mérite une explication. Quand je me retourne, je le découvre à
quelques mètres de moi, les mains dans les poches et le regard triste.
— Liam…
Il s’avance vers moi, se pinçant l’arête du nez.
— Je n’avais pas réalisé non plus. J’ai oublié ce putain d’anniversaire.
— Je suis désolée de m’être enfuie comme ça. Ce n’est pas ta faute, j’ai eu
l’impression d’être un monstre. Je suis là, heureuse, amoureuse. Je m’endors
dans tes bras et je n’ai qu’une envie c’est d’y retourner. Et puis, soudain, je me
souviens de quel jour nous sommes et je me sens coupable. Mais c’est toi que
j’ai choisi, je veux être avec toi, dans tes bras. Mon cœur est à toi.
Il me regarde et me serre contre lui. Nous ne disons plus rien. Je me
demande s’il a vu les chevaux.
La similitude entre leurs déplacements et ce qui se passe en ce moment dans
ma vie m’a frappée. L’un des trois devra rester seul. Ils ont dû choisir qui mène
la danse et qui suit. Moi je n’ai pas choisi : l’un des deux est parti et m’a ouvert
la voie.
Je me promets à cet instant de profiter du reste de notre séjour ici. De me
couper de la vie qui m’attend une fois que je serai de retour à la maison. Liam
est l’homme que j’aime.
Et si notre amitié de longue date était destinée depuis toujours à devenir une
histoire d’amour ?

* * *

— Bonjour, marmotte, me chuchote Liam à l’oreille.


Je me recroqueville sous les couvertures avec l’envie de retourner au pays
des rêves.
— Il fait encore nuit.
J’ouvre un œil, j’ai envie de le frapper pour m’avoir réveillée.
La veille, nous avons passé la soirée à l’intérieur. Nous avons joué avec
Aarabelle, puis nous sommes restés dans les bras l’un de l’autre pendant des
heures, sur le canapé, sans revenir sur ce qui s’était passé un peu plus tôt. Je
crois que nous avions tous les deux besoin de temps.
Cette année a changé ma vie ; j’ai énormément appris à propos de l’amour,
de la souffrance et du fait qu’il n’y a jamais vraiment de réponse à toutes ces
questions. L’amour peut blesser et guérir. Aaron m’a fait souffrir au-delà de
l’imaginable, mais Liam m’a montré que le pardon existe. La souffrance et la
culpabilité me rongeaient de l’intérieur, mais j’ai réussi à dépasser tout cela. Ces
sentiments font partie de moi, ils ne me définissent plus. Je peux choisir la vie
que je veux mener.
— Je vais aller courir un peu et je me disais qu’ensuite on pourrait… faire de
l’exercice ensemble…, déclare Liam de sa voix chaude et pénétrante.
— Ah… Tu penses à quoi ?
Ses lèvres effleurent mes oreilles et mon cou. Il me mordille gentiment, et je
gémis.
— Peut-être un peu de cardio ? Ou… des étirements ?
— Je…
J’ai des frissons partout lorsque ses mains passent sur ma poitrine.
— Je…
Les mots m’échappent.
— Tu quoi ? souffle-t-il en souriant, alors qu’il presse mon sein dans sa
paume, avant de m’embrasser à nouveau dans le cou.
Je colle mes fesses contre lui, j’ai tellement envie de lui que je suis trempée
alors qu’il m’a à peine touchée.
— J’ai envie de toi, Liam.
— À quel point ?
Je gémis alors que sa main recouvre mon autre sein. J’essaye de me
retourner, mais il m’emprisonne. Il peut faire de moi ce qu’il veut.
— Dis-moi à quel point tu as envie de moi, Natalie.
— Tu ne peux pas imaginer…
Sa main descend, il écarte mes cuisses, et ses doigts glissent sur mon clitoris.
Je pousse un cri de plaisir. Il me caresse, et je m’abandonne à ses gestes. D’une
main, je baisse son boxer pour saisir son sexe. Je commence à le caresser et le
sens durcir sous mes doigts.
— Je sais de quoi j’ai envie, dis-je, tandis qu’il glisse un doigt en moi.
— Fais tout ce que tu veux, me répond-il amoureusement.
Je me redresse et enlève mon haut. Ses yeux brillent dans la lumière du clair
de lune. Je lui enlève son short, et il s’étend sur le lit. Je me penche pour prendre
son sexe dans ma bouche. Il glisse les doigts dans mes cheveux en gémissant.
— Oh ! putain…
Je le suce avec gourmandise. J’écoute avec attention ses soupirs et ses
gémissements. Je le prends tout entier dans ma bouche et presse les lèvres. Je
devine qu’il aime ça à la façon dont il crispe les doigts autour de ma tête. Alors,
je recule un peu, puis le reprends jusqu’au fond de la gorge, et il gémit à
nouveau.
— Natalie, arrête.
Il m’attrape et m’allonge sur le dos.
— Je vais te rendre folle.
Je n’en doute pas une seconde.
Il passe mes jambes par-dessus ses épaules et, en moins de trois secondes, sa
bouche est entre mes cuisses. Il me lèche, me dévore avec passion, tout en me
pénétrant et me caressant avec les doigts.
— Je vais jouir !
Il ne ralentit pas ses mouvements, au contraire, un deuxième doigt me
pénètre. Il accorde le rythme de ses caresses avec celui de sa langue. Plus
j’approche de la jouissance, plus mon souffle est irrégulier. Liam presse la
bouche plus fort, et je hurle mon plaisir, tandis qu’il continue à me caresser sans
relâche.
— Tu es tellement belle, Lee !
Je m’agrippe à son cou et l’embrasse.
— Oh !
Une autre vague de plaisir m’envahit, alors que son sexe entre en moi
profondément.
— Continue, s’il te plaît !
Mais il reste immobile et garde les yeux fermés, comme pour capturer cette
sensation.
— Je veux passer le reste de ma vie en toi. Tu es faite pour moi.
Puis il commence à bouger, remplissant mon cœur et mon corps.
— J’ai envie de te faire l’amour tout le temps.
Je ferme les yeux pour mieux le sentir en moi, les mains autour de son
visage.
— Tu le fais déjà, dis-je doucement. Tu m’aimes tout le temps. Tu me fais
tellement de bien ! Tu m’as guérie, tu m’as donné la force de redevenir la femme
que j’étais. Tu m’as montré comment aimer à nouveau. C’est comme si tu me
faisais tout le temps l’amour, et moi aussi.
Des larmes d’amour et de bonheur me montent aux yeux, et toute cette joie
me submerge. Liam me serre plus fort contre lui, et nous jouissons ensemble. Je
n’oublierai jamais.
35

— Salut, Natalie. Tu peux nous retrouver dans la salle de conférences ? me


demande Mark.
C’est mon premier jour au boulot depuis notre retour de vacances. Une pile
de documents m’attendait sur mon bureau, et j’ai vu sur le calendrier que
Jackson doit revenir bientôt.
— Bien sûr.
— Merci, lance-t-il, déjà parti.
Je suppose qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel, parce que tout le
monde court dans tous les sens. J’attrape mon calepin et j’essaye de ne pas faire
attention aux regards étranges que les autres me lancent, mais je ne peux me
défaire de la désagréable impression que je vais me faire virer.
— Que se passe-t-il, Mark ?
— On a un problème sur une mission. Jackson est en route pour nous
rejoindre, et on s’en ira. Ça nous concerne tous les deux, ainsi que trois autres
gars, m’explique-t-il, sans lever les yeux du document qu’il tient dans la main.
— Où est-ce que vous allez ?
— À l’étranger.
— D’accord…
Est-ce que j’ai manqué un épisode ?
— Est-ce que j’ai fait une erreur ?
Mark secoue aussitôt la tête.
— Non, non, pas du tout. Nos missions à l’étranger sont toujours un peu
spéciales. Celle-ci concerne Dubaï. La marine veut que nous assurions la
protection de leurs ressources. Ils veulent qu’on vienne voir ce qui se passe sur
le terrain et qu’on leur donne une évaluation des possibilités d’actions. On part
dans un jour ou deux, et Muff veut s’assurer que tu pourras tout gérer en mon
absence.
— Bien sûr !
— Nous serons injoignables la plupart du temps, Natalie. C’est toi qui vas
devoir prendre la boîte en charge pendant qu’on sera sur place. Je voulais aussi
te donner ces dossiers avant de partir. Et voir deux ou trois choses sur la gestion
du budget.
Qu’ils veuillent que je gère le bureau pendant leur absence m’en dit long. Je
ne comprends pas pourquoi ils seront injoignables, mais loin de moi l’idée
d’appréhender tout ce qui se passe ici !
— Charlie en ligne pour toi, Twilight, annonce Mike, après avoir frappé à la
porte.
— Je dois prendre cet appel, Natalie. Je t’envoie un mail avec toutes les
infos dont tu auras besoin, si jamais les choses sont un peu trop mouvementées.
— D’accord.
Sur ce, je quitte la pièce.
Mark est quelqu’un d’assez calme, mais aujourd’hui il me semble qu’il
garde quelque chose pour lui. J’espère qu’il a été honnête avec moi et que je n’ai
rien fait de travers. Je me suis chargée de la mission sur Dubaï et j’ai fait en sorte
qu’il y ait tout le nécessaire.
De retour dans mon bureau, je m’aperçois que j’ai manqué un appel de la
mère d’Aaron. C’est la première fois que j’ai de ses nouvelles depuis un an. Elle
ne voulait plus entendre parler de moi ni d’Aara. J’ai pourtant essayé de rester en
contact.
J’ai envoyé les invitations pour l’anniversaire d’Aarabelle, l’autre jour. Peut-
être qu’elle a prévu de venir.
Je compose son numéro.
— Patti ?
— Lee, soupire-t-elle. Je suis désolée. Je me suis mal comportée avec toi.
J’aurais dû t’appeler. Mais c’était trop difficile…
J’entends sa respiration hachée et j’ai mal pour elle.
— Il n’y a pas de mode d’emploi du deuil. J’aurais aimé partager cette
souffrance avec toi, mais je comprends, dis-je pour lui faciliter les choses, parce
qu’il est impossible de juger les réactions des gens dans ces circonstances.
— J’ai reçu ton invitation avec la photo d’Aarabelle. Elle lui ressemble
beaucoup.
— C’est vrai.
— Comment ça va, toi ?
Nous parlons un moment, elle prend de mes nouvelles, me dit qu’elle
voudrait venir pour la fête et aimerait qu’on discute. Je prends conscience
qu’elle m’a manqué. Elle a été comme une seconde mère pour moi depuis que
j’ai seize ans.
— Tu es heureuse ?
Sa question m’interpelle un instant. J’ai envie d’être honnête avec elle, mais
j’ai peur qu’elle me déteste.
— Oui. Beaucoup de choses se sont passées depuis un an, et j’avance. Je
n’ai pas vraiment le choix, de toute façon.
Je décide cependant de ne rien lui dire de la liaison d’Aaron, pour préserver
sa mémoire.
— Je suis contente pour toi. Je pense qu’il serait heureux aussi.
Je l’entends renifler, mais elle tient bon.
— Bon, je te laisse travailler… On se voit bientôt.
Elle raccroche, et je réalise à cet instant à quel point je lui suis
reconnaissante.
Le reste de la journée se déroule sans incident. J’étudie les documents que
Mark m’a transmis par mail. Reanell m’envoie un message pour me proposer de
la retrouver pour déjeuner. Elle a été si occupée, ces derniers temps, que nous ne
nous sommes pas vues. Et, puisque tout le bureau est sens dessus dessous, je ne
manquerai à personne.

* * *

Je la retrouve dans notre restaurant préféré qui sert à n’importe quelle heure.
Il y a toujours de l’attente, mais nous connaissons bien la patronne, qui nous
trouve toujours une petite place au bar, même à la dernière minute.
— Hé, mais c’est ma maman préférée ! me lance Reanell.
Je la serre dans mes bras.
— Tu m’as manqué !
— On ne s’est pas vues depuis quinze jours, mais ça semble faire une
éternité.
— Comment ça va ? Les vacances te vont bien.
— Oui, c’était super.
Je souris en repensant au temps passé avec Liam. Je connais suffisamment
Rea pour savoir ce qu’elle a dans la tête. Je lui donne cinq secondes, avant
qu’elle me bombarde de questions.
— Sérieux ? C’est tout ce que tu me racontes ?
Peut-être moins de cinq secondes…
Je ris en buvant une gorgée de café pour la frustrer un peu plus.
— Je suis heureuse, Rea. Avec Liam, je me sens capable de tout.
— Alors, je suis heureuse aussi. Comment tu gères le fait qu’il va devoir
partir, et l’histoire d’Aaron ?
Elle est la seule personne à évoquer cela, mais elle est aussi la seule qui m’a
vue pleurer et encaisser ça. La vérité, c’est que je ne sais pas comment je vais
supporter les absences de Liam. Quant à Aaron, il n’est plus là, alors je ne
cherche plus de réponses.
— J’accepte, tout simplement.
— Menteuse ! Ce n’est que moi, tu sais, tu peux me dire la vérité.
— Eh bien, je suis toujours en colère qu’il ait couché avec une autre, alors
que j’étais enceinte. On essayait d’avoir Aara depuis si longtemps ! Et ça ne
s’est pas fait sans douleur…
Je m’arrête parce que les émotions affluent.
— Cela dit, je n’arrive toujours pas à comprendre quand ça aurait pu se
passer.
Je sens soudain mes cheveux se dresser sur ma nuque. Une sensation
étrange… Comme si quelqu’un m’observait. Je balaye la salle du regard.
— Qu’est-ce qu’il y a ? me demande Rea en regardant elle aussi à droite et à
gauche.
— Je ne sais pas, juste une impression…
Je n’ai reconnu personne.
Nous déjeunons, et je lui parle de l’anniversaire d’Aara. Elle rit quand je lui
explique ce que j’ai préparé, affirme que j’ai pété les plombs, mais ce n’est pas
ça qui va m’arrêter. Je veux également célébrer tout le chemin parcouru depuis
un an. Aarabelle ignore peut-être que sa première année n’a pas été rose, mais,
au moins, sa vie est déjà remplie d’amour.
— Je dois retourner bosser, dis-je en payant l’addition une fois mon assiette
terminée. Les gars s’en vont bientôt, et je dois m’assurer que tout est en ordre.
— Oh ! oh, oh, minute ! D’abord, tu me racontes tous les détails ! s’exclame
Rea.
Je pensais y avoir échappé, apparemment non.
— Je ne te dois aucun détail.
Mon sourire s’efface subitement lorsque j’aperçois Brittany assise au bout
du bar.
— Je m’en vais, dis-je en attrapant mon sac.
— Pourquoi ?
La colère bouillonne en moi. Je m’avance vers Brittany, qui détourne
aussitôt les yeux.
— Est-ce que tu me suis ? je lui demande, d’emblée.
— Te suivre ? Non !
Elle rassemble ses affaires.
— Je t’assure que je ne suis pas venue foutre la merde.
— Qu’est-ce que tu veux, alors ?
Son attitude est vraiment incompréhensible pour moi. Elle voulait que je
sache pour Aaron et elle. Elle aurait pu me laisser vivre dans l’ignorance, mais
elle a préféré parler.
— J’essaye d’avancer, de m’en sortir, mais j’ai l’impression qu’on va se
recroiser.
Elle s’appuie au tabouret et soupire.
— Je veux aller de l’avant, mais il y a plein de choses qui m’en empêchent.
— Je ressens la même chose.
— Écoute, je ne voulais pas te le dire, mais… Tu ne vois rien ? Nous
sommes pareilles. Nous souffrons toutes les deux.
Elle insiste sur ces derniers mots.
— J’aimerais pouvoir dire que je m’en soucie, mais je ne peux pas.
— Je sais que tu t’en fiches. J’aurais aimé ne pas être… l’autre femme,
sincèrement. Mais je ne sais pas comment faire…
Ses yeux commencent à se remplir de larmes.
Reanell arrive derrière moi et pose une main sur mon épaule.
— Est-ce que tu accepterais de répondre à quelques questions ?
J’ai du mal à croire que je lui parle si calmement, mais peut-être pouvons-
nous trouver ensemble un moyen de sortir de cette impasse.
— Je peux essayer.
— Quand est-ce que tu as commencé à voir Aaron ?
Elle baisse les yeux en essayant de se rappeler, puis me regarde à nouveau.
— On sortait ensemble depuis un an, quand il est mort. On s’est rencontrés
dans un bar et on s’est mis à discuter.
— Waouh…
C’est comme si elle m’avait donné un coup de poing dans le ventre. Alors, il
la voyait pendant qu’on essayait d’avoir un bébé ?
— Quand est-ce que tu as découvert qu’il était marié ?
— Quelques semaines avant sa mort, répond-elle en replaçant nerveusement
ses cheveux blonds derrière ses épaules. Quand j’ai découvert que j’étais
enceinte.
Je cligne des yeux et lutte contre la nausée qui s’empare de moi.
— Enceinte ?
— Oui, j’étais enceinte de huit semaines, quand j’ai perdu le bébé.
Il y a une infinie tristesse dans ses yeux. Je m’éclaircis la gorge et reprends
mon souffle.
— Je… Je ne… Tu l’as perdu quand ?
— Une semaine après sa mort.
La douleur revient me frapper en plein cœur. Elle aurait eu un enfant avec
mon mari. Incroyable ! Alors que, moi, j’ai fait face à des mois d’infertilité et
trois fausses couches. De pire en pire.
— Je crois que je vais vomir.
Je me tourne vers Reanell, et elle me prend dans ses bras.
— Je l’aimais. Je n’étais pas juste une nana qu’il se tapait comme ça.
Je me tourne vers elle.
— Si, c’est exactement ce que tu étais. Il ne t’a même pas dit qu’il était
marié ! Et il ne m’a jamais parlé de toi. L’homme que tu aimais n’existait pas. Je
l’ai connu quand on avait seize ans. J’étais à sa fête de promo, à sa remise de
diplôme, et je l’ai épousé. Toi, tu ne faisais pas partie de sa vie, dis-je en lui
crachant les mots à la figure.
— Toi non plus.
Je voudrais pouvoir me disputer avec elle. Je voudrais hurler, crier, mais elle
a raison. Je n’étais pas toute sa vie. J’étais sa femme, celle qui est tombée
enceinte et l’a retenu prisonnier.
Brittany s’essuie les yeux et se reprend.
— Je suis désolée. Je devrais y aller.
Reanell lui barre la route.
— Je sais que tu souffres, mais ça, lâche-t-elle en me pointant du doigt, ce
n’est pas la solution.
Tandis qu’elle commence à s’éloigner, je la retiens par le bras. Les mots me
brûlent la langue, et je me bats pour les prononcer, mais je sais ce que c’est. Je
connais cette souffrance.
— Je suis désolée que tu aies perdu un enfant, dis-je, tandis qu’une larme
roule sur ma joue.
Ses yeux, qui avaient séché, débordent à nouveau. Elle me regarde sans rien
dire, récupère son sac et s’en va.
— Un bébé…
Ce sont les seuls mots que je peux articuler. Elle allait avoir un bébé avec
lui !
36

Deux semaines s’écoulent, et je fais de mon mieux pour oublier Brittany et


sa confidence. Liam est parti, et j’ai eu du temps pour faire le point à ma façon.
Je suis en paix, à présent, même si je ne suis jamais totalement sereine. Je déteste
éprouver du soulagement à l’idée qu’elle a perdu ce bébé. Je n’en suis pas fière.
Mais Reanell m’a aidée à démêler mes sentiments.
La dernière session d’entraînement de Liam devait durer trois jours, mais
elle a été étendue à une semaine, il devait s’entraîner plus précisément au tir.
Décidément, ces périodes ne me manquaient pas du tout !
Il est rentré hier soir, mais avait encore des choses à régler, alors nous nous
retrouvons pour dîner, tard ce soir.
— Bonsoir, mon cœur, dit-il en entrant dans la cuisine avec des plats chinois
à emporter.
Ça sent délicieusement bon.
— Mon héros ! je m’exclame, théâtrale, une main sur le cœur. Tu m’as pris
un nem ?
— Est-ce que j’ai droit à une récompense, si j’y ai pensé ?
— Tu auras un bisou, et peut-être que je me mettrai toute nue devant toi…
— Peut-être ?
— Bon, d’accord, tu pourras faire l’amour avec moi.
Il plonge la main dans le sac, et la déception se lit sur son visage. Ils ont
oublié le nem. Il va le regretter…
— Un nem, Dreamboat, ou rien.
Il continue de fouiller le sac désespérément.
— Si je ne peux pas coucher avec toi à cause d’un putain de nem, je vais
faire un massacre !
Je pouffe.
Il cherche encore. Rien à faire, pas de nem. Ce qui va l’énerver un moment.
Ah, comme j’aime les repas sur le pouce…
— Est-ce que tu es venu me voir seulement pour baiser ? je demande pour
plaisanter.
Il lève les yeux et me fait une grimace.
Oh ! oh… On dirait que quelqu’un est contrarié.
— Je ne te répondrai même pas. Je reviens.
Il s’éloigne vers la porte, et je lui lance en riant :
— Arrête ! Reste ici, ne sois pas bête.
Alors, il revient vers moi et m’emprisonne dans ses bras.
— Je vais me rattraper, tu vas voir…
— J’en suis sûre.
— Tu m’as manqué, Lee.
— À moi aussi, je me manquerais, dis-je, taquine.
Il sourit.
— Et c’est moi qui suis arrogant ?
Je souris à mon tour et l’embrasse.
— Je sais juste à quel point tu es chanceux.
Nous dînons tranquillement, en discutant des derniers événements. J’aime
bien entendre ses histoires, ce qui se passe en entraînement et toutes les
vacheries qu’ils se font, notamment celles que Quinn a réservées aux deux
nouveaux arrivants, qui ont eu droit au bizutage habituel. Je ris beaucoup. Puis je
lui parle du boulot et, enfin, de ma conversation avec Brittany.
— Elle était enceinte ?
Sa mâchoire en tombe.
— Apparemment. Mais je ne sais plus ce que je dois croire. C’est ridicule.
Liam tire ma chaise vers lui.
— Est-ce que ça va ?
Je sais que c’est difficile pour lui d’avoir cette discussion. D’une certaine
manière, nous sommes encore en train de parler d’Aaron. Même moi, je
commence à en avoir marre. Le problème, c’est qu’il n’était pas qu’un ex pour
moi, ni un mec lambda pour lui. Nous avons vécu toute une vie avec lui.
— Ça m’a choquée, vraiment, dis-je, encore un peu émue.
— J’en suis sûr, mais ça ne répond pas à ma question.
— Je vais bien.
— Ah bon ? Tu vas « bien » de nouveau.
Il lève les mains au ciel, puis les laisse retomber sur ses cuisses en claquant.
Il s’éloigne de moi et commence à manger. Je le regarde, stupéfaite.
— Qu’est-ce qu’il y a encore, Liam ?
Il laisse tomber sa fourchette et souffle :
— Tu vas « bien » ? On en revient à ça ? Tu découvres que ton mari allait
avoir un bébé avec la femme qu’il baisait dans ton dos et tu vas « bien » ?
Qu’il aille se faire foutre ! J’ai le droit d’aller bien ou comme je veux.
— J’ai eu quelques jours pour y penser. Je n’ai pas envie de te déballer
toutes les horreurs qui me sont venues à l’esprit, ces derniers jours, mais à
présent je vais bien. Est-ce que c’est mieux comme ça ?
Je souris et secoue la tête.
— J’ai beaucoup de choses à l’esprit, en ce moment.
— Ce n’est pas une raison pour être méchant avec moi. Je n’étais pas
obligée de te parler de Brittany et du bébé. Mais j’essaye d’être honnête avec toi.
Tu as dit qu’on devait parler de tout ça.
— Je sais.
— Et maintenant, c’est le moment où tu t’excuses.
Il se tourne vers moi, rapproche à nouveau ma chaise et déclame d’un ton
théâtral :
— Ma chère Natalie, je suis désolé pour l’éternité d’avoir été méchant. Je
promets de me disputer avec toi seulement si c’est justifié, et si tu m’en donnes
l’autorisation. Me pardonnes-tu ?
— Je te déteste.
— Mais non.
— Oh si, j’en suis sûre !
— Tu survivras.
— Mais pas toi.
Il se retient de sourire.
— J’en prends le risque.
Nous mangeons en silence, et je me ressaisis après notre presque dispute. Je
me demande combien de temps on peut continuer comme ça.
Il semble ailleurs. Normalement, je parviens à le pousser dans ses
retranchements — il est toujours si sûr de lui —, mais aujourd’hui il est
différent, presque mal à l’aise.
— Est-ce que tu vas bien ? je lui demande après un long silence.
— Oui, je t’ai dit que j’avais beaucoup de choses à penser.
J’attends qu’il m’en dise plus.
Il renverse la tête en arrière et soupire :
— Nous avons reçu nos ordres de mission, aujourd’hui.
Je sais ce que ça signifie. Et son manque d’enthousiasme m’en dit long. Il
s’en va bientôt, et je vais devoir m’y préparer. J’essaye de puiser dans mes
souvenirs et mes vieilles habitudes.
Souris, tu y penseras plus tard.
Je dois verrouiller mes propres émotions et être là pour le soutenir. Il peut
voir ma peur et ma tristesse. Mais il doit entendre des mots qui le rassurent.
C’est le moment de redevenir celle qui a pris l’habitude de rester à l’arrière.
— Quand est-ce que tu pars ?
— Juste après l’anniversaire d’Aarabelle.
— Oh ! bientôt alors.
Je me réfugie derrière un rempart d’indifférence. Ça fait longtemps que je
n’ai pas été confrontée à un déploiement.
— Je suis désolé.
— Pourquoi ?
Je suis surprise de sa réaction. Il n’a rien fait de mal. C’est la vie. Et il est
temps que je reprenne mes habitudes, parce que Liam va rester un moment dans
ma vie.
Il se lève, et je le vois s’énerver.
— Je sais que ça ne te convient pas. Et je ne suis pas heureux de ça non plus.
— Tu me demandes si je suis heureuse ? Non. Mais c’est ta vie, et je
comprends.
— Je pense qu’on devrait partir une semaine. J’ai un congé juste avant le
déploiement. On pourrait retourner à Corolla et passer du temps ensemble.
Le tableau qu’il me peint me fait envie, mais je me suis déjà absentée du
travail il y a peu.
— Je ne sais pas, il y a beaucoup de choses à gérer au boulot, en ce moment.
J’aimerais passer du temps avec lui, mais j’essaye aussi d’avancer sur les
autres plans, y compris le travail.
— Lee, je pense que c’est important pour nous de le faire.
— Mais on vient juste de revenir !
— Je sais, mais j’aimerais vraiment qu’on passe une semaine ensemble tous
les trois. Je veux passer le plus de temps possible avec Aarabelle et toi.
La supplique est telle, dans son regard, qu’il est presque impossible de lui
résister.
Je me lève et passe les bras autour de sa taille.
— Liam, je n’irai nulle part. Je n’ai pas besoin d’un autre séjour pour
comprendre combien je t’aime. Et je ne sais pas si je peux m’absenter de
nouveau.
Il me caresse le dos. Je me pends à son cou et lui saute dans les bras.
— Alors je vais devoir t’enlever.
— Je ne suis pas « enlevable ».
— Erreur : je t’ai déjà enlevée.
Il m’embrasse sur le nez. C’est vrai, il le sait mieux que moi. Je ne veux pas
me battre, ce soir, et je pense qu’on pourra reparler de ce voyage plus tard. En
cet instant, je veux être avec lui, et seulement lui. Ne plus penser aux bébés ou
aux déploiements, juste à nous.
— Où est mon nem ? je demande, pour détendre l’atmosphère.
— Dans mon pantalon.
J’ouvre grands les yeux tout en essayant de ne pas rire.
— Il est grand ?
— Je dirais que oui.
— Je ferais mieux de vérifier moi-même.
— Ça peut se faire.
Je presse mes lèvres sur les siennes, et il me prend dans ses bras pour
m’emmener hors de la cuisine. Il monte l’escalier, et nous continuons à nous
embrasser. Je réalise en arrivant devant la porte de ma chambre que c’est la
première fois que Liam va dormir dans le lit que je partageais avec Aaron.
Il ralentit, me repose par terre avant d’entrer et déclare, comme s’il avait lu
dans mes pensées :
— Je ne suis pas obligé de rester.
— Ne dis pas n’importe quoi ! Je veux que tu restes.
J’accompagne son geste lorsqu’il ouvre la porte. Il garde ma main dans la
sienne, tandis que nous entrons dans la pièce.
Il y a trop de souvenirs, ici, et je veux en créer d’autres. Je mérite d’en avoir
d’autres. Le séjour à Corolla était merveilleux, mais notre vie est ici. Il faut que
nous puissions être un couple dans cette vie-là.
Je l’attire jusqu’au lit en jetant un coup d’œil tout autour de moi. J’ai jeté
toutes les photos d’Aaron dans ma colère, l’autre jour. Après avoir découvert sa
liaison avec Brittany, je ne pouvais plus le voir. Il n’y a plus que des photos
d’Aarabelle. Et je ne voudrais surtout pas avoir l’impression qu’Aaron
m’observe en ce moment.
Liam me caresse le visage et s’approche de moi lentement pour
m’embrasser. Je m’allonge sur le lit, et il se place contre moi. Je lui ôte son
bonnet pour passer les doigts dans ses cheveux. Sa barbe de trois jours me
chatouille lorsqu’il m’embrasse dans le cou. Je m’oublie si vite, quand je suis
dans ses bras ! Il m’inspire un sentiment de confort et de sécurité rare.
— Je déteste l’idée de te quitter, murmure-t-il contre ma peau.
— Moi aussi, mais ça va aller.
J’essaye de peser chacune des paroles qui me viennent avant de les
prononcer. Nous marchons sur un fil, et je dois préserver nos deux cœurs.
Bien sûr, rien ne me prouve que ça ira. Nos vies sont suspendues au-dessus
du vide, prêtes à tomber et à se briser. Il peut mourir à n’importe quel moment.
Je pourrais décider que c’est trop dur à envisager. Mais, si nous nous aimons
assez, nous avons quand même une chance d’être heureux.
Liam m’enlève ma chemise et me tient contre lui, comme s’il se retenait à la
vie et pas seulement à cet instant d’intimité. Je commence à me sentir mal à
l’aise et je me demande ce que nous sommes en train de faire. Avons-nous une
chance, s’il angoisse déjà à la perspective de ce départ ?
J’essaye de ne plus penser qu’à ses lèvres caressant ma peau et d’oublier
mes craintes.
Comme s’il lisait dans mes pensées, il m’ordonne de sa voix rauque :
— Reste avec moi.
Je ferme les yeux quand sa bouche s’empare de mon sein gauche. Il suce et
mordille mon téton, et je me cambre sous lui. Sa main parcourt mon ventre
jusqu’à mon entrejambe et glisse sous mon short de pyjama où il joue avec mon
désir, caresse mes hanches avant de revenir frôler mon sexe.
— Liam, embrasse-moi.
Je m’efforce de lui cacher mes doutes, mais je n’ignore pas qu’il sait voir en
moi, au-delà de mes facéties.
— Laisse-moi t’aimer, laisse-moi être avec toi.
Il sent ma peur, il me connaît trop bien.
Je ferme les yeux, et il me pénètre d’un doigt avant de me chuchoter :
— Je te tiens. Je ne te laisserai jamais tomber.
Il frotte son pouce contre mon clitoris, et je gémis.
— C’est si bon…
Soudain, il retire sa main, et je suis vide. J’ouvre les yeux en pleurnichant un
peu. Il commence à enlever ses vêtements, mais je me redresse sur les genoux,
lui écarte les mains.
— Laisse-moi faire.
Tendrement, lentement, savourant chaque seconde, je lui retire alors ses
vêtements un à un.
Puis je m’étends sur le dos, l’attire au-dessus de moi et lui griffe gentiment
la peau avec mes ongles.
— Aucun autre homme ne possède mon cœur, Liam. Aucun autre ne
possède mon corps. Et plus personne ne les aura jamais après toi.
Sans prévenir, il m’embrasse passionnément. Je me donne tout entière à ce
baiser. Nous sommes l’un à l’autre et, quoi qu’il arrive désormais, nous ne
retournerons pas en arrière. Je ne le peux pas et je ne le veux pas.
Liam m’ôte mon short, et je sens son grand corps rôder au-dessus du mien,
comme un prédateur.
— Je t’aime. Je suis à toi, dis-je d’une voix grave.
Son sexe entre en moi d’un coup, et la sensation me fait presque monter les
larmes aux yeux. Puis il commence à bouger en moi sans me lâcher des yeux.
— Oh ! Liam !
Le cri m’échappe, alors qu’un flot d’émotions et de sensations me submerge.
— Personne d’autre ne sera plus jamais en toi, Lee.
Je n’arrive pas à dire lequel de nous deux il veut convaincre.
— Personne d’autre… Il n’y a que toi.
— Jamais je n’ai donné mon cœur à une femme. Et jamais je ne le donnerai
à une autre que toi.
Il ferme les yeux et se colle à moi, tout en continuant ses va-et-vient. Puis il
me retourne sur le ventre et me pénètre par-derrière, alors que j’appuie les fesses
contre son ventre. J’ai envie de lui faire perdre le contrôle, qu’il bande au point
de ne plus pouvoir penser qu’au plaisir.
— Baise-moi ! je gémis en me collant contre lui pour qu’il vienne plus
profondément en moi.
Je sens qu’il est à deux doigts de jouir, alors qu’il m’agrippe la nuque et que
nos soupirs, nos gémissements et le claquement de nos peaux l’une contre l’autre
envahissent la chambre.
Il me tient serrée contre lui et me donne des coups de reins puissants et
sauvages. Est-ce le paradis ou l’enfer ? Je lutte pour ne pas jouir tout de suite. Je
veux qu’on le fasse ensemble.
— Vas-y. Jouis. Je veux t’entendre jouir, Lee.
Il remue les hanches, me caresse le clitoris, et je crie ma jouissance. Il
m’embrasse le dos et jouit en moi un instant plus tard. Je m’affale sur le lit,
épuisée.
— Tu es extraordinaire, Natalie !
Je roule sur le côté.
— Tu n’es pas mal non plus… Je reviens.
Je me lève et gagne la salle de bains en vitesse. Là, j’enfile mon peignoir et
m’aperçois que le vieux rasoir et la brosse à dents d’Aaron sont toujours sur le
bord du lavabo. Ils font partie du décor, et j’ai oublié de m’en débarrasser. Je les
prends machinalement. Ça ne me fait plus rien. Aucune tristesse, aucune colère,
seulement de la résignation.
Liam ouvre la porte à cet instant, fixe ma main, puis referme la porte.
— Liam !
Je sors précipitamment de la pièce.
— Je vais y aller, dit-il.
— Non ! S’il te plaît, ce n’est pas ce que tu penses. Je n’étais pas triste. J’ai
simplement vu son rasoir et je l’ai pris… Laisse-moi t’expliquer.
Mais il commence à s’habiller avec des gestes brusques, et je sens les larmes
me monter aux yeux.
— Je suis désolé, je dois y aller.
— Arrête, bon sang ! Je n’étais pas en train de pleurer sur son rasoir ! Je l’ai
vu et je ne sais pas… Ce n’était pas ce que tu crois.
— Et c’était quoi, alors ?
Il détourne la tête, exaspéré, mais je vois que je lui ai fait du mal.
— Je ne sais pas, je ne peux pas l’expliquer.
Il m’attrape la main, et je croise son regard.
— Essaye.
— J’ai vu qu’il était encore là, mais ça ne m’a rien fait du tout, justement.
Quoi qu’il en soit, tu ne peux pas me demander de ne plus rien ressentir. Tu es le
premier homme que j’accueille dans mon lit après lui. Est-ce que tu peux faire
preuve d’un peu de compréhension ?
Je le regarde et j’attends qu’il me réponde.
— Quoi ? Tu penses que je ne suis pas assez compréhensif vis-à-vis de ce
que tu ressens ? Tu te fous de ma gueule ! Je n’ai rien dit, rien fait, mais je dois
me battre continuellement contre un putain de fantôme !
Ses mots sont durs et sans appel.
— Si tu te bats tout seul contre je ne sais quoi, ça relève de ta responsabilité.
Je n’ai rien fait qui te pousse à éprouver ça.
Son regard croise le mien, puis il me tourne le dos.
— Peut-être pas. Mais te voir ce rasoir à la main… Je n’ai pas rêvé : tu le
tenais contre ta poitrine…
— Tu as deux options, dis-je alors, déterminée à en finir avec cette histoire
qui se transforme en un procès qui n’a pas lieu d’être. Tu peux me croire quand
je t’assure que tu n’as pas à t’inquiéter ou tu peux partir.
— C’est si simple que ça pour toi ?
— Ne commence pas à m’accuser. C’est toi qui…
Il se dirige vers la porte, et je panique. Il pose la main sur la poignée et se
retourne vers moi.
— Laisse-moi une minute, je reviens.
Je hoche la tête.
— Une minute, d’accord.
Il fait un pas vers moi, et je me précipite dans ses bras. Il me serre contre lui.
— Ce ne sera jamais plus long que ça, promet-il avant de s’éloigner.
Je me remets au lit en attendant que la minute s’écoule.
37

— Non, maman, je t’entends.


Je suis au téléphone avec ma mère, tout en préparant des provisions pour
notre semaine à Corolla.
— Est-ce que tu es sûre d’être de retour à temps pour son anniversaire ?
Elle veut absolument prendre un avion trois jours avant la fête pour m’aider
à tout préparer. Les vols depuis l’Arkansas ne sont pas donnés, et elle ne veut
rien entendre quand je lui certifie que je serai de retour une bonne semaine
avant.
— Maman, tout ira bien. Nous sommes à deux heures de route, et Liam doit
revenir pour le travail, de toute façon.
— Bon, en tout cas, je suis ravie que vous repartiez tous les deux.
Elle s’est montrée extrêmement enthousiaste, quand je lui ai parlé de ma
relation avec Liam. Elle le connaît depuis un moment, elle aussi, et elle est
rassurée qu’il prenne soin d’Aarabelle.
— Liam a tellement insisté. Je me sens mal d’abandonner mon poste à
nouveau, mais je travaillerai de là-bas. C’est important qu’on prenne du temps
ensemble.
Je suis impatiente de repartir. Après une semaine de disputes, pendant
laquelle je me suis évertuée à lui rappeler que je ne pouvais pas prendre de
nouveau congé, il a réussi à me convaincre. Je travaille dans une équipe
d’anciens membres des Forces spéciales. Tous ont connu les missions et les
entraînements, ils savent ce que c’est d’être loin de ceux qu’on aime et ils n’ont
pas osé m’enlever cette possibilité de passer du temps avec Liam.
Mark a accepté sans problème et n’en a même pas parlé à Jackson. Mais je
continue de me sentir coupable. J’aurais presque préféré qu’ils refusent.
— J’ai hâte de te revoir et de revoir ma petite-fille chérie.
— Nous aussi, on a hâte. Je t’appelle quand on sera rentrés de Corolla.
J’attrape des paquets de biscuits que je fourre dans le sac. Nous partons dans
trois jours et, cette fois-ci au moins, j’ai le temps de préparer les affaires.
— OK, amuse-toi bien. Je t’aime.
J’ai tout juste raccroché que j’entends une voiture dans l’allée. Au son du
moteur, je reconnais Robin sans hésiter. J’en reviens à peine de l’appeler par son
nom !
Je sors sur la terrasse, surprise de l’arrivée de Liam : il m’a dit qu’il serait
très pris par les entraînements jusqu’à son départ.
— Salut.
— Salut. Désolé, Lee, je n’ai que quelques minutes, mais j’ai pensé que tu
préférerais l’apprendre de moi.
Il a l’air énervé. Il baisse le bord de la casquette de son uniforme pour que je
ne voie pas ses yeux.
— OK, qu’est-ce qui se passe ?
Il donne un coup de pied agacé dans les graviers.
— Je pars ce soir.
— Quoi ?
— Des gars d’une mission en cours ont besoin de nous.
— Mais… Ton congé commence demain ! Et on doit partir à Corolla…
Il lève les yeux vers moi, résigné. Il n’a manifestement pas eu le choix.
— Je sais. Ils disent que c’est l’affaire d’un jour ou deux. Si on ne peut pas
partir vendredi comme prévu, on le fera dès que je serai rentré.
— Je ne demanderai pas un jour de congé de plus. J’ai déjà des scrupules à
m’absenter cinq jours…
Il s’approche de moi et pose les mains sur mes épaules.
— Je sais. Je ne suis pas heureux non plus, mais je dois y aller. C’est une
petite équipe.
— Tu ne peux pas déléguer ? je demande, tout en sachant que ce n’est pas
possible.
C’est la vie d’une compagne de militaire. Le travail d’abord, l’amour après.
— Natalie. C’est moi qui dois y aller.
— OK, mais ça m’énerve ! Je n’ai pas le choix et j’ai horreur de ça.
Il m’attire contre lui et m’embrasse. Je sens du désespoir dans ce baiser,
comme s’il voulait mémoriser le goût de mes lèvres. Ses mains emprisonnent
mes bras, et je ne peux m’empêcher de penser que cette étreinte a un goût d’au
revoir. Il m’embrasse comme si c’était la dernière fois. J’ai envie de pleurer et de
m’enfuir, mais ses bras me retiennent contre lui.
Finalement il desserre son étreinte et me relâche.
— Qu’est-ce que ça veut dire, Liam ?
— Je viens te voir dès que je le peux. J’essaye de rentrer avant notre départ
pour Corolla.
Il me caresse la joue avec douceur.
— Liam ! Attends !
Je lui cours après, et il s’arrête.
— Tu ne peux pas m’embrasser comme si c’était la dernière fois et t’en aller
comme ça.
Il se retourne.
— Je n’ai jamais laissé quelqu’un derrière moi jusque-là, Natalie, je ne sais
pas comment ça marche.
Je n’avais pas pensé à ça. Il a été célibataire pendant si longtemps ! Je
m’avance, enroule les bras autour de sa taille et lui dis doucement :
— Eh bien, tu peux me dire que tu m’aimes, qu’on se reverra bientôt, et tu
m’embrasses gentiment. Tu peux aussi me dire que chaque minute loin de moi
sera un supplice.
— Oh ! c’est tout ?
— Tous les compliments sont les bienvenus.
— Alors, qu’est-ce que tu dirais de… chaque seconde que je passerai loin de
toi, j’aurai l’impression que mon cœur m’a été enlevé.
— Hum, peut mieux faire…
Il regarde par-dessus mon épaule en quête d’inspiration et ajoute en
pouffant :
— Je penserai à toi chaque instant de chaque seconde.
— C’est mieux, mais il faudrait que je puisse m’évanouir.
— Oh ! Natalie, Amour de ma vie… Je retiendrai mon souffle jusqu’à ce
que je puisse respirer le même air que toi, mais à ce moment-là ce ne sera pas
suffisant, parce que mes poumons seront déjà morts…
Je le serre contre moi en riant.
— Là, tu es juste débile.
— Je t’aime.
— Je t’aime encore plus, dis-je en me hissant sur la pointe des pieds pour
l’embrasser. Reviens vite !
Je le regarde s’éloigner et monter dans sa voiture. Le moteur qui démarre me
fait sursauter, et je me retiens de pleurer. Il me fait un petit signe de la main, je le
lui renvoie, et il tourne à l’angle de la rue.
Je peux le faire. Il va revenir. Je peux surmonter ça.

* * *

Les jours passent, et je n’ai aucune nouvelle de lui. Nous devrions être à
Corolla, mais au lieu de ça je travaille à la maison, pendant qu’Aarabelle est
chez la baby-sitter. Sa voix me manque. Au moins, pendant les entraînements, il
pouvait m’appeler.
Depuis qu’il est parti, je ne peux que m’asseoir sur le canapé et m’interroger.
J’ai peur d’allumer la télé et de découvrir que quelque chose est arrivé.
Bon sang, non, vraiment, ça ne m’a pas manqué, tout ça !
Je vais profiter du soleil sur la terrasse en regardant l’océan. C’est étrange de
me dire que je me suis déjà habituée à cette vue. J’ai une belle maison dans un
endroit idyllique, une belle petite fille qui donne un sens à mes jours, un homme
que j’aime et qui m’aime, et un boulot génial.
Ma famille sera bientôt là, et ils pourront tous voir combien tout va mieux
depuis un an. Il y a un an, je n’aurais pas pu imaginer en arriver là. Je pensais
être destinée à la solitude et à la tristesse.
Je regarde l’océan, sereine.
Le bruit d’une voiture dans l’allée me sort de mes pensées. Je souris
instantanément. J’ai tellement hâte de lui sauter au cou et de l’embrasser !
Je me précipite, puis m’arrête brusquement : Mark et Jackson marchent
lentement vers moi, comme s’ils s’apprêtaient à m’annoncer le pire.
Non.
Non.
Pas encore.
Non.
Mon cœur fait des bonds incontrôlables dans ma poitrine, alors qu’ils
s’approchent sans me regarder.
— Non ! je crie en commençant à reculer. Non !
Je commence à trembler, mais Mark s’écarte, et j’aperçois Liam.
— Oh ! mon Dieu ! J’ai eu si peur !
Je hurle et me précipite vers lui en pleurant. Il lève la main pour m’arrêter. Je
stoppe net, mais il ne dit rien. Il y a tant de tristesse dans ses yeux que j’ai
l’impression qu’il va s’effondrer devant moi. Oh ! pitié, dites-moi qu’ils n’ont
perdu personne !
— Liam ?
Je prends son visage dans mes mains.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Je m’approche de lui pour l’embrasser, mais il me repousse doucement. Je
fouille son regard pour comprendre ce qui lui arrive.
— Hé !
Il ferme les yeux, retirant mes mains de son visage. Il fait un pas de côté et
alors, seulement, je le vois…
— Aaron ?
Ma voix tremble.
J’ai un haut-le-cœur en voyant ses yeux sombres et ses cheveux longs. Mon
mari… Mon Dieu !
Aaron s’avance vers moi, et j’ai l’impression que mon cœur s’arrête de
battre.
— Bonjour, ma chérie.

À suivre…
REMERCIEMENTS

On pourrait croire qu’après trois romans je suis rodée à cet exercice, mais
c’est toujours le plus difficile pour moi. Si je vous oublie, je suis sûre que j’en
entendrai parler, mais sachez malgré tout que vous êtes dans mon cœur.
À mes meilleures amies : Mandi, Jennifer, Melissa, Holly, Roxana, Megan et
Linda. Je vous adore et je n’aurais jamais pu y arriver sans vous toutes. Chaque
fois que je partage mes histoires avec vous, vous m’en demandez encore. J’aime
laisser planer le suspense et vous faire rire. Votre amitié est un vrai cadeau !
À Christy Peckham : Je ne serais pas arrivée au bout de ce livre sans toi.
Merci de composer avec mes idées folles et de faire tenir mes histoires debout.
C’est une bénédiction de t’avoir dans ma vie, et je ne tiendrai jamais cela pour
acquis. Tu me fais rire et sourire quand j’ai envie de pleurer, et quand je déborde
trop tu m’aides à me cadrer. Je t’aime !
À Melissa et Sharon : Melissa, merci de ne pas avoir voulu me tuer ou, du
moins, de ne pas être en train d’essayer de le faire. Je suis heureuse d’avoir une
attachée de presse comme toi. Chaque auteur devrait avoir cette chance. Sharon,
merci de me faire rire et de m’aider à garder les pieds sur terre.
À Claire Contreras : On dit que les gens n’arrivent jamais dans votre vie par
hasard… Je pense que tu es apparue dans la mienne pour me montrer l’exemple
et quelle femme j’ai envie d’être. Tu as une force incroyable, et je remercie le
ciel chaque jour pour ton amitié indéfectible et pour t’avoir rencontrée. Je t’aime
infiniment.
FYW : Vous êtes mon repaire, mon refuge. Je suis heureuse de connaître un
groupe de femmes aussi fantastiques que vous. Vous êtes toutes belles, drôles, et
je vous adore.
Aux blogueurs : Sans vous, nos livres ne seraient jamais diffusés. Merci pour
le temps que vous passez à lire, présenter et défendre nos textes sans relâche et
pour votre soutien.
Aux Stabby Birds : Les filles, je ne pourrais pas imaginer ma vie sans
chacune de vous.
Au Corinne Michaels Group Book : Merci pour votre humour. Vous me
faites sourire chaque fois que je me connecte. Merci d’apprécier ce que j’écris et
toutes mes idées folles. Vos mots d’amitié et d’encouragement me font chaud au
cœur.
À mes bêta lecteurs : Merci d’avoir cette gentillesse d’interrompre vos autres
lectures pour me dire ce que vous pensez de mes romans. J’apprécie tout ce que
vous faites.
Un immense merci à mes éditeurs, correcteurs et designers pour avoir fait de
ce livre ce qu’il est.
Merci aux Rockstars of Romance, pour avoir défendu Consolation.
À Lauren Perry : Merci d’avoir trouvé Ben et Hannah ! Tes photos m’ont
inspirée pour faire de cette histoire beaucoup plus que ce que j’avais imaginé au
départ. C’est grâce à toi que ce livre a une suite.
À Rinnie, Melanie et Krissy : Nous sommes amies depuis toujours. Nous
avons partagé nos premières histoires d’amour, nos mariages, nos amitiés, des
disputes et des réconciliations, des naissances. Notre amitié est toujours là et peu
importe le temps et la distance qu’il y a entre nous, je sais que si je vous appelais
demain vous seriez présentes. C’est une amitié comme peu de personnes ont la
chance d’en faire l’expérience. Je vous aime tant.
À Crystal : Même s’il nous arrive de nous pousser dans nos retranchements,
nous restons fidèles l’une à l’autre. Cette relation unique et spéciale nous permet
de trouver de la beauté, y compris au cœur du pire.
À Lucia Franco : Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans notre conversation.
Merci de m’avoir encouragée et accompagnée de ton enthousiasme.
À Tammi Ahmed : La reine du graphisme ! Merci d’avoir fait de mon livre
une œuvre d’art ! J’adore chacune de tes idées.
À mes enfants : Vous n’imaginez pas à quel point je vous aime. Merci pour
vos énormes câlins, vos papouilles, et pour me rappeler qu’il y a autre chose que
les livres dans la vie. Vous êtes toute ma vie !
À mon mari : Je t’ai rencontré avant de savoir qui j’étais vraiment. Tu m’as
aimée et aidée à devenir la femme que je suis aujourd’hui. J’ai parfois envie de
te mettre des claques, mais tu seras pour toujours mon partenaire de choix pour
faire les bonshommes de neige.
Traduction française : ISADORA MATZ
TITRE ORIGINAL : CONSOLATION
© 2015, Corinne Michaels.
© 2018, HarperCollins France pour la traduction française.
Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :
Couple : © SHUTTERSTOCK/ROYALTYFREE/WTAMAS
Fond matière : © SHUTTERSTOCK/ROYALTYFREE/KRASOVSKI DMITRI
Réalisation graphique : STUDIO PIAUDE
Tous droits réservés.
ISBN 978-2-2803-9169-6

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Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de
l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des
entreprises, des événements ou des lieux, serait une pure coïncidence.

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