EBOOK-Raine-Miller-The-Blackstone-Affair-Tome-3-Ne
EBOOK-Raine-Miller-The-Blackstone-Affair-Tome-3-Ne
EBOOK-Raine-Miller-The-Blackstone-Affair-Tome-3-Ne
Roman
Traduit de l’anglais
par Élodie Coello
À tous les soldats
qui se battent pour une juste cause.
« Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. »
e
Baruch SPINOZA, XVII siècle.
Prologue
Le 7 mai 1837,
Je suis allée voir J. aujourd’hui. Je lui ai parlé et je lui ai annoncé la
nouvelle. Plus que tout, j’aimerais qu’il comprenne que je puisse avoir des
regrets. Hélas, c’est impossible tant que je ne serai pas passée de vie à trépas.
Une fois là-haut seulement, j’aurai son avis sur la question.
Quel sera le prix de la culpabilité ? « Coupable. » Ce simple mot suffit à
m’enterrer de son poids écrasant. Je vis, certes, cependant je ne mérite pas ce
don. Les jours s’écoulent et installent leur routine, mais à quelle fin ? Quel
bien puis-je apporter aux êtres chers à mon cœur, et lesquels d’entre eux
m’aimeraient encore s’ils venaient à apprendre mon terrible secret ? Je n’ai
pas agi avec bienséance quand j’en ai eu la possibilité.
Je me suis murée dans le silence de crainte de froisser celui que j’aimais
plus que tout au monde. Mon regret ô combien amer doit à présent demeurer
enseveli dans le silence éternel qui a brisé le cœur de tous ceux que j’ai aimés.
Aujourd’hui encore, j’ai accepté la demande d’un homme qui dit ne pas
avoir de plus grand désir que mon bien et la permission de me chérir. Il me
regarde dans les yeux et accède à mon âme d’une façon qui, tout à la fois,
m’effraie et me pousse toujours plus à sonder ses raisons. Je crois qu’il a percé
un peu de mon secret. La preuve qu’il me comprend, ses paroles tranchent dans
le vif du problème qui me ronge, ne me laissant d’autre choix que de lui céder.
Ainsi, j’irai passer ma vie à ses côtés à Stonewell Court… mais l’avenir me
fait très peur. Comment pourrai-je jamais être à la hauteur de ce qu’on attend
de moi ? Pauvre fille que je suis. Je crains que mon cœur reclus ne tressaille si
fort qu’il défaille et cesse de battre dans mon sein. Darius Rourke ignore
encore que je ne mérite l’amour d’aucun homme. Je suis déchirée, et pourtant,
il s’évertue à m’assurer que tout ira bien, que je dois lui accorder ma
confiance.
Je me trouve incapable de repousser les avances de Darius, tout comme
j’étais incapable de repousser mon bien-aimé Jonathan…
M.G.
PREMIÈRE PARTIE
ÉTÉ
1
Ethan me porta dans l’escalier, ses bras musclés m’entouraient telle une
forteresse. Son odeur épicée, la rigidité de ses muscles, toute sa virilité
m’enflammait, j’étais torturée de désir. Le soir de son mariage, on a forcément
les hormones en folie. Ajoutez à cela une pincée d’épuisement émotionnel et le
cocktail devient explosif. Deux semaines sans mon homme, je commençais à
trouver le temps long. Surtout sur le plan sexuel. Après tout, notre relation
s’était construite là-dessus dès le départ. Notre attirance avait d’abord été
physique, et je n’y voyais aucun mal.
Tandis qu’il grimpait les marches, je remarquai toutefois une expression
nouvelle dans son regard. Impossible de savoir ce qui se tramait derrière ce
beau visage ciselé. L’homme caché derrière le masque. Mon homme. Mon
mari.
En même temps, je ne m’inquiétais pas car je savais qu’il ne tarderait pas à
me dire de quoi il en retournait. Ethan n’avait aucun problème à me livrer le
fond de sa pensée. Sa franchise faisait partie de son charme. Je m’amusais
d’ailleurs à repenser aux choses les plus folles qu’il m’avait dites depuis le
début de notre histoire.
— Que me vaut ce sourire sexy ? me demanda-t-il, pas essoufflé pour un
sou alors qu’il me hissait en haut de l’impressionnant escalier de chêne sculpté.
L’intérieur de la demeure me sidérait, il me tardait d’en découvrir les
moindres recoins. Mon petit doigt me disait que j’allais commencer par la
chambre.
— Je pensais à votre atout séduction, monsieur Blackstone.
Le sourcil levé, il me décocha un sourire ravageur.
— Cet atout séduction a-t-il un rapport avec vous et moi nus le soir de
notre nuit de noces, madame Blackstone ? Car je dois avouer que je n’y tiens
plus.
Une plainte à peine déguisée pour dénoncer notre récente abstinence. J’eus
un petit rire. Moi aussi, je me languissais de retrouver son corps, mais ces
semaines de chasteté nous avaient mis à l’épreuve, c’était positif. Et puis,
s’abstenir avant le mariage promet forcément une nuit de noces d’anthologie.
J’avais l’intention de rattraper le temps perdu, il ne serait pas déçu.
— « Nus » et « nuit de noces » vont de pair, n’est-ce pas ?
— Mais encore, ma beauté ?
— Oh, rien de plus, si ce n’est que je m’émoustille au souvenir de mon
magnifique mari qui m’attendait au pied de l’autel pendant que je remontais
l’allée centrale. J’ai l’intention de le récompenser généreusement pour la
patience dont il a fait preuve ces quinze derniers jours, ajoutai-je après un
instant.
Grisé, il grimpa les dernières marches à la hâte.
Je portai une main à sa joue râpeuse et me souvins de lui avoir
formellement interdit le rasage de frais pour notre mariage. J’adorais la
sensation rugueuse de sa barbe naissante sur mon corps lorsqu’il me couvrait
de baisers. Là encore, il s’agissait d’un aspect chez lui qui me faisait
frissonner. Je l’aimais tel que je l’avais rencontré la première fois et souhaitais
que ce fût le même Ethan lors de l’échange de nos vœux.
À voir sa barbe de trois jours, il m’avait écoutée.
En haut des marches, il prit à gauche et remonta un long couloir jusqu’à
une porte. Sans doute notre suite nuptiale.
— Nous y sommes, my lady. Et putain, ce n’est pas trop tôt, ajouta-t-il à
voix basse.
Je réprimai un gloussement.
Ethan me reposa à terre sans s’éloigner d’un centimètre, promenant
délicatement ses doigts sur mon bras. Avec lui, le contact était constant. Il en
avait besoin, et moi, je me nourrissais de cette proximité pour m’épanouir.
C’était sûrement une des raisons pour lesquelles notre complicité avait été si
explosive dès le premier instant. Il faisait ce dont j’avais besoin pour me
reconstruire sur les ruines de mon passé. À présent, j’étais devenue une
nouvelle femme grâce à lui.
— C’est magnifique.
Dans la pièce, il devait y avoir une cinquantaine de bougies blanches dans
des pots en verre de toutes tailles. La lueur orangée vacillait sur les murs et les
meubles, créant une ambiance légèrement surnaturelle. Comme si nous
venions de glisser dans un lieu d’une autre époque. En contemplant cette pièce,
il me semblait que j’avançais dans un autre siècle, et ma longue robe
solennelle n’y était pas pour rien.
— Je n’arrive toujours pas à croire que tu as acheté cette maison. Je
l’adore, Ethan.
Je ne pouvais pas m’empêcher de penser non plus aux anciens occupants
de cette propriété et à ce qu’ils avaient pu faire dans cette chambre splendide, à
leur époque. Avait-elle connu des nuits de noces comme celle qui nous
attendait ?
Au plein centre de la pièce trônait un lit si grand que les autres meubles
paraissaient petits à côté. Ses quatre piliers massifs retenaient des voiles de
gaze blanche ondulant sous la brise marine qui nous venait de la fenêtre
ouverte. Le chêne majestueux et sculpté portait le savoir-faire d’artisans d’un
autre temps.
— C’est pourtant vrai. Si tu adores cette maison, moi, c’est toi que j’adore,
Brynne.
La voix profonde d’Ethan derrière moi me tira de mes rêveries.
Je ne bougeai plus, alerte.
Je sentis mon voile écarté de ma nuque, puis une mèche repoussée sur le
côté. Ses lèvres touchèrent délicatement le creux de mon cou, comme pour
marquer son territoire. Il y promena sa langue chaude, me provoquant un
tourbillon d’émotions. Je haletai et frissonnai tant l’excitation me submergeait.
La plus petite caresse d’Ethan me transformait en créature avide de sensualité.
Ethan en jouait bien sûr.
— Tu n’étais pas obligé de l’acheter, murmurai-je. Tu me suffis, Ethan. Je
n’ai besoin de rien d’autre que toi.
Il marqua une pause avant de reprendre ses baisers dans mon cou.
— Voilà pourquoi tu es pour moi la femme unique au monde. Ma fortune
n’a aucun effet sur toi. Tu ne vois que l’homme que je suis vraiment, je l’ai
compris dès le tout premier soir.
Ethan me fit pivoter vers lui et encadra mon visage en caressant mes
pommettes de ses pouces délicats. Son regard perçant était d’un bleu à m’y
noyer.
— J’ai besoin de toi autant que d’oxygène pour respirer. Tu es mon air,
Brynne.
Sur ces mots, sa bouche recouvrit la mienne et sa langue réclama ma
reddition totale. Une vague de chaleur envahit mon ventre d’un flot impétueux
quand je sentis à quel point Ethan avait besoin de moi.
Je refermai les doigts sur ses cheveux que je tirai par poignées, élevant
d’un cran l’intensité de notre étreinte. Je gémis comme il m’assaillait de
baisers toujours plus profonds, j’étais littéralement tremblante de désir. Si je
ne ralentissais pas la cadence tout de suite, nous serions incapables de nous
arrêter.
Mes mains quittèrent ses cheveux pour se poser sur son torse et, avec un
effort surhumain, je parvins à rompre notre étreinte. Ce n’était pas facile,
autant physiquement que sentimentalement. J’avais une envie folle de me blottir
dans ses bras jusqu’au bout de la nuit, mais d’abord, j’avais un plan d’attaque.
Face à face, le souffle haletant, nous nous regardions sans nous toucher.
Lui dans son costard et gilet de brocart violet, et moi dans ma robe vintage en
dentelle. Entre nous, la tension sexuelle était à son comble, prête à éclater
d’une rage nucléaire.
Je dis à Ethan ce que je désirais.
— Je… j’ai besoin de me préparer pour toi. S’il te plaît ? arrivai-je à
souffler, espérant qu’il comprenne que c’était important pour moi.
Sa pomme d’Adam trahit sa déglutition laborieuse.
— D’accord.
Avec ce simple mot, il s’empêchait volontairement de laisser paraître ce
qu’il en pensait vraiment. Ethan n’aimait pas attendre, encore moins sous la
contrainte, mais il accepta pour me faire plaisir. Cet homme était une perle.
— Dans ce cas, je vais en faire autant, madame Blackstone.
— Merci, Ethan. Tu ne le regretteras pas.
Dressée sur la pointe des pieds, je déposai un baiser dans son cou râpeux.
— Oh, mais je n’en doute pas. Tout ce qui te concerne en vaut la chandelle,
ma belle.
Son grognement me fit frémir. Je me tournai vers le rayon de lumière qui
m’indiquait où trouver la salle de bains attenante.
— Et toi, où vas-tu te préparer ?
Je m’en voulais de le chasser de la chambre, même pour un court instant.
— La chambre voisine est très agréable aussi, me rassura-t-il en indiquant
une porte sur la gauche du lit. Ces vieux manoirs ont toujours des chambres
jumelles pour que le noble et sa dame puissent se retrouver, et faire leurs
affaires de haute importance en privé, une fois la nuit tombée.
Son doigt courut sur le décolleté plongeant de mon corsage, puis ralentit
sur la rondeur de mon sein serré sous la couche de dentelle.
— Oh, vraiment ? Des affaires de haute importance ?
— Parfaitement, ma belle. La baise… c’est… très… très… très…
important.
Chaque mot était ponctué de tendres baisers lascifs.
— Dans quelle chambre sommes-nous ? Celle du noble ou de la dame ?
m’enquis-je, le souffle rapide comme si je manquais d’air tout à coup.
Il haussa les épaules.
— Aucune idée. On s’en fiche. Je m’envoie en l’air et je dors dans la
chambre de ma dame. Et ce pour le restant de ma vie. Choisissez celle que vous
voulez, madame Blackstone.
Sur ce, il me fit un baisemain plein de galanterie, dardant un regard si
ensorcelant sur ma personne qu’il ravit encore un peu plus mon cœur. Que dis-
je ! Ethan possédait déjà mon cœur tout entier… et pour toujours.
Je poussai un soupir frustré et reculai d’un pas, me forçant à imposer une
distance entre nos corps. En m’éloignant, mon bras se tendit, ma main encore
captive de la sienne, si imposante.
— OK. Rendez-vous ici dans quinze minutes, d’accord ?
Je reculai encore vers la porte de la salle de bains sans quitter du regard
ses yeux bleus qui scrutaient le moindre de mes mouvements.
Ses yeux qui brillaient du désir d’un homme qui ne tarderait pas à me
prendre comme bon lui semblerait. Quand il libéra finalement ma main, sa
chaleur me manquait déjà.
Il m’adressa son regard grave, comme il l’avait déjà fait tant de fois, un
regard qui m’était très familier à présent – celui du mâle en quête de prouesse
bestiale… et dont l’écrasant pouvoir de domination sexuelle me liquéfiait de
désir.
— Quinze minutes ? Putain, tu vas me tuer, ma belle.
Je dus retenir le gémissement que ses mots suscitaient. J’étais simple
mortelle et Ethan le Dieu grec, héros de tous mes fantasmes.
Après un dernier regard de braise riche de promesses torrides, il se
retourna et quitta la pièce, refermant doucement la porte derrière lui.
La chambre fut aussitôt plongée dans un silence presque affligeant. Je
restai là, enivrée. Je ne rêvais pas, je me prépare pour faire l’amour avec mon
mari. Cette idée fut comme une décharge électrique, je me mis aussitôt en
action.
Dans la salle de bains, je quittai ma belle robe. Une tâche heureusement
facilitée par la fermeture Éclair cousue sur le flanc. Puis je l’accrochai au
cintre rembourré, à mon avis spécialement placé là à cet effet. Je devais une
fière chandelle à Hannah. Elle avait pensé à tout.
Je repliai mon voile, me brossai les dents et bus un verre d’eau. Une fois
mes sous-vêtements retirés, je ne gardai que mes bas et mon porte-jarretelles
en soie couleur lavande. De profil, on voyait dans le miroir mon ventre
rebondi. C’était discret, mais bien là. Je caressai l’arrondi de notre petite
pêche, puis repris mon voile et le remis en place sur ma tête avant de retourner
dans la chambre. Je grimpai sur le lit. Mes genoux s’enfonçaient dans la
mollesse de l’édredon. Ma position consistait en une silhouette allongée, dos à
la porte par laquelle Ethan était sorti. À son retour, je voulais lui offrir une
image bien précise. J’étais prête. Mon cœur battait la chamade.
Je fermai les yeux.
Et attendis qu’Ethan vienne à moi.
Quand je fus tiré de mon sommeil une seconde fois, c’était le matin. Je
sentis que je n’étais pas le seul réveillé. Un indice évident : une main caressait
mon manche, et une langue chaude jouait avec mon téton.
— Bonjour, soupirai-je avec délice.
Brynne releva la tête en souriant.
— Bonjour, mon époux.
— Ces mots me plaisent dans ta bouche. Ce qui me plaît surtout, c’est ce
premier réveil en tant que mari et femme.
Je soulevai le bassin pour une caresse plus vigoureuse.
— Ce n’est que le début. Cette nuit, tu étais maître de la situation. Ce matin,
c’est mon tour.
— Dans ce cas, je suis un putain de mec chanceux.
Je l’attirai au-dessus de mon corps pour la posséder d’un baiser
langoureux. Puis je m’écartai en gardant son visage dans mes mains.
— Tout va bien, ma beauté ?
Je tenais à m’assurer que nous n’avions dépassé aucune limite cette nuit. Je
m’inquiétais de savoir si je ne l’avais pas baisée un peu trop brutalement, je ne
devais pas oublier qu’elle était enceinte. Plus nous approcherions du terme,
plus il faudrait ralentir la cadence. Mais le Dr Burnsley m’avait assuré que,
pour l’instant, nous n’avions aucune restriction.
— Oui, plus que jamais, dit-elle, son beau regard brun-doré brillant de
malice.
— Cette nuit était magique. Tu m’as ébloui.
La légère teinte rosée qui colorait ses joues dès qu’elle songeait à nos
activités cochonnes m’excita de plus belle. Cette déesse m’autorisait à faire ce
que je voulais de son corps. Sa confiance aveugle en moi était comme un
trésor que je comptais chérir.
— Toi aussi.
Elle caressait mon bijou d’une poigne ferme puis vrilla légèrement autour
du gland. J’étais dur comme la pierre.
— … Putain, que c’est bon, sifflai-je, les dents serrées.
— Je sais, se félicita ma coquine avant de se pencher pour le prendre dans
sa bouche.
— Oh… putain, oui ! Oui, c’est ça…
Incapable de prononcer une parole intelligible, je me tus et me contentai de
prendre ce qu’elle m’offrait si généreusement.
Brynne savait sucer ma queue à la perfection. Elle avait un vrai savoir-
faire : les longues succions qui me glissaient au fond de sa gorge, les coups de
langue sur la veine irriguant mon érection, jusqu’au pincement de mes
testicules pile au moment où j’en avais besoin…
Je laissai œuvrer ma magicienne et basculai la tête en arrière, lui
permettant de prendre le contrôle de mon plaisir.
Pour l’instant.
Avant que la tentation ne soit trop forte et que je reprenne les manettes.
Avec une dextérité sans pareille, Brynne m’aspirait toujours plus
profondément de ses lèvres humides et chaudes quand je sentis ma queue
gonfler et mes couilles durcir. Non. Ce matin, je voulais jouir dans sa jolie
chatte, point barre.
Je l’arrêtai donc et la positionnai à cheval au-dessus de moi. Il me suffit de
la soulever pour trouver ma cible. Sans un mot, elle me comprit et m’accueillit
aussi loin qu’elle le put.
Magnifique. Putain. La perfection incarnée.
Mon invasion lui arracha un cri. Elle s’arc-bouta, les cheveux lui frôlant le
bas des reins, et m’offrit une vue imprenable sur ma queue martelant sa chatte
comme si nos vies en dépendaient.
Brynne savait. Elle savait exactement ce que j’aimais et comment me
satisfaire. Une parfaite déesse du sexe.
Tout en me chevauchant, elle fit des bruits qui servirent de carburant à ma
fougue. Je l’attrapai par les hanches en la faisant aller et venir avec frénésie
jusqu’à ce que ses cris s’épuisent et ne soient plus que plaintes, signe qu’elle
était près du but.
— Regarde-moi, ma belle. Je veux te regarder dans les yeux quand tu jouis
autour de mon manche. Laisse-moi sentir tes sucs se répandre sur moi. Je veux
lire l’extase dans tes yeux.
Il y eut un éclair passionnel entre nous qui resterait à jamais gravé dans ma
mémoire. Brynne me regarda dans cet instant de possession ultime, les joues
rougies de plaisir, les tétons durs comme des cailloux, frissonnante sous mes
doigts, la tignasse en cascade sur ses épaules, les yeux perçants d’une
satisfaction indescriptible. Un spectacle qui me laissa bouche bée.
Elle baissa le menton et m’observa longuement de son regard
charbonneux. Je sentis naître de premiers soubresauts, bien vite accompagnés
de la crispation de ses muscles intimes autour de mon sexe. Je me sentis plus
solide que jamais, prêt à lâcher une décharge puissante qui m’expédierait dans
le néant. Lors d’une telle chevauchée, mes pensées vagabondaient ailleurs, loin
du monde réel. Il n’y avait que ma verge en elle, ma bouche sur sa peau, mes
doigts dans ses cheveux… Ethan à l’intérieur de Brynne. Plus rien d’autre au
monde.
Le temps m’avait échappé, quand je pus refaire surface, Brynne, allongée
sur moi, respirait profondément, j’étais toujours en elle. J’avais les lèvres
scellées à son cou et suçotais paresseusement cette parcelle de peau avec la
pointe de ma langue.
Au bout d’un moment, je me ressaisis. Je venais de laisser une belle
marque rouge au creux de sa nuque. On aurait cru que je l’avais mordue, ce
qui m’était déjà arrivé, et arriverait sans doute encore. Parfois, je lui faisais
des choses discutables, quand je me laissais prendre dans l’instant.
Heureusement que Brynne ne se formalisait pas des suçons que je pouvais lui
laisser. Je me reprochais souvent de perdre le contrôle, cependant, cela ne
m’était jamais arrivé avant elle. Brynne était l’unique femme avec laquelle je
ne pouvais pas me maîtriser pendant l’amour. Jamais je n’avais vécu un tel
lâcher-prise, une telle mise à nu, corps et âme. Elle était aussi la seule personne
à laquelle j’accordais une confiance absolue.
— Je t’ai laissé un suçon de folie, ma belle. Je suis désolé…
— Je m’en fiche, tu le sais bien, m’interrompit Brynne.
— Cette fois, tu t’en ficheras moins lorsqu’il te faudra saluer tous les
convives qui restent passer le week-end chez Hannah et Freddy.
Frôlant avec mon pouce la zone rougie entre son oreille et la naissance de
son cou, je me demandai ce qu’elle en penserait vraiment en le voyant dans le
miroir.
— Je suis une bête, qu’est-ce que j’y peux ? soupirai-je.
— Tu es ma bête adorée, ton suçon me plaît déjà. Je n’aurai qu’à le
dissimuler sous mes cheveux.
Brynne se recroquevilla contre moi et poussa un bâillement sexy.
— J’en connais une qui a sommeil.
— Ben ouais, c’est ce qui arrive lorsqu’on a mieux à faire que dormir
pendant la nuit.
Elle se retourna aussitôt, la main sur mes côtes comme si elle allait me
chatouiller. Brynne repassait à l’attaque mais je m’empressai d’intercepter sa
main baladeuse, saisissant au passage une poignée de son petit cul rebondi. À
tous les coups, cette douceur sous mes doigts m’emportait au septième ciel.
— On ferait mieux de se préparer, ma belle.
À contrecœur. J’aurais préféré rester au lit toute la journée et ajouter
quelques heures de sommeil au compteur.
— Non mais je rêve ? Rappelle-moi qui a eu cette idée brillante d’une fête
somptueuse avec petit déjeuner commun le lendemain des noces ? Parce que ce
n’est certainement pas moi.
Elle marquait un point. Notre mariage avait pris une tournure
événementielle qu’aucun de nous deux ne désirait, mais à l’origine, une telle
extravagance se justifiait par le contexte menaçant d’un harceleur anonyme. En
exposant Brynne aux yeux de la société par un mariage ultra-médiatisé,
j’assurais sa protection. Nous ignorions à l’époque que cet inconnu était un fou
furieux du nom de Karl Westman, et je craignais alors que la menace ne
provienne de cellules bien plus haut placées… de celles qui éliminent
proprement. J’en étais convaincu. Westman avait été descendu par les services
secrets américains. Opération danger anéanti… menée par des experts capables
de faire disparaître qui bon leur semblait sans laisser de trace.
Westman rayé de la carte, les préparatifs du mariage étaient déjà lancés et
les communiqués diffusés dans toute la presse people. Il était trop tard pour se
raviser. Nous avions donc poursuivi sur notre lancée : de nombreux invités
prestigieux, un grand mariage de luxe, des convives priés de rester le week-
end entier et un départ en grande pompe pour notre lune de miel en Italie, le
tout destiné à informer le monde entier que Brynne était l’épouse d’un garde
du corps d’élite lié au gouvernement britannique.
Visiblement, la nouvelle tendance consistait à passer la nuit sur place pour
souhaiter aux jeunes mariés un heureux départ en lune de miel le lendemain
matin. Laissez-moi rire…
Il me tardait de partir, justement. Brynne et moi en Italie, seuls dans notre
bulle où tout ne serait que paix et sécurité, là où nous pourrions enfin respirer.
Je lui souris, déposant un baiser sur le bout de son nez.
— C’était mon idée, ma chérie. Tu as le droit de m’en vouloir.
Relevant la tête, Brynne n’ouvrit qu’un œil.
— T’en vouloir parce que je suis fatiguée après une nuit de noces sportive
ou à cause de cette folie de mariage qu’aucun de nous deux ne souhaitait ?
Je ris à son raisonnement.
— Les deux. Je suis coupable sur tous les plans, madame Blackstone.
— Très bien, j’ai trouvé ta punition. Tu devras faire couler l’eau dans la
douche et me porter jusqu’à la salle de bains. Je me sens incapable de marcher,
tu connais l’effet de tes orgasmes sur moi.
Oui, je les connaissais parfaitement. D’habitude, elle s’endormait.
— Je ne suis pas sûr d’en être encore capable après cette baise épique mais
je ferai de mon mieux.
Je la fis rouler vers moi avec précaution et m’assis au bord du lit.
— Je suis motivé à fond, ma jolie. J’ai la ferme intention de te kidnapper
pour t’avoir pour moi tout seul, déclarai-je, puis je vérifiai l’heure sur mon
téléphone posé sur la table de chevet. Pour ce faire, il me reste cinq heures
avant de t’emporter en avion direction la côte italienne. S’il faut d’abord
supporter un petit déjeuner avec une kyrielle de gens pour arriver à déguerpir
d’ici, soit, mais sache que si cela était en mon pouvoir, nous serions déjà loin
d’ici à l’heure qu’il est.
La seule réponse de Brynne, allongée dans le lit, fut de m’observer pendant
que je partais faire couler l’eau de la douche. À mon retour, elle n’avait pas
bougé, lascivement emmêlée dans les draps, le corps engourdi par ce que je
venais de lui faire subir. À mes yeux, il n’y avait rien de plus beau. Brynne était
la définition même de la beauté, surtout après que je l’avais baisée.
Son regard parcourait lentement mon corps, comme souvent lorsqu’elle
me voyait nu. Ma jolie ne manquait jamais une occasion de me lorgner. Si
nous n’avions pas baisé à en crever, j’aurais eu une trique d’enfer sous son
regard de braise. Brynne n’avait nul besoin de mots pour me faire passer un
message. Comment était-il possible qu’elle soit si putain de sexy en ne faisant
rien d’autre que me regarder ? Allez savoir. En tout cas, c’était moi le vrai
salopard chanceux qui remportait la mise coup sur coup.
Nous nous sommes ainsi regardés un long moment, puis l’infime sourire
dont elle avait le secret se dessina doucement sur ses lèvres. Ce sourire me
disait combien elle était heureuse à cet instant précis et à l’idée de ce que
l’avenir proche nous réservait.
— Vous êtes absolument craquant, vous savez, monsieur Blackstone.
Je secouai la tête.
— Je peux bien trouver quelques mots pour me décrire, ma belle, et
« craquant » ne fait définitivement pas partie du lot.
Affamé, fou amoureux, enivré, mais certainement pas « craquant ».
— Pourtant, moi, je te trouve craquant. De te voir ainsi frustré à l’idée de
te montrer sociable avec des « gens », comme tu dis, qui se révèlent être notre
famille et nos amis les plus proches, des « gens » qui veulent notre bien et nous
souhaiter une heureuse lune de miel. C’est craquant.
— Je sais, soupirai-je. Mais je n’ai pas envie de te partager, aujourd’hui.
Avec personne.
Au moins, j’étais honnête.
Comme Brynne tendait les bras vers moi, je la soulevai et positionnai ses
fesses sur mes bras croisés, elle serra alors ses jambes autour de ma taille. Je
me dirigeai vers la salle de bains, prolongeant le baiser jusqu’au bout, en
comptant les heures qui nous séparaient de la liberté.
— J’en connais une qui se régale, observa Ethan, le sourire aux lèvres.
Mon succulent plat de pâtes m’arracha un soupir.
— Oh là là, ce sont les meilleures zitis que j’aie jamais mangées.
J’aimerais savoir les cuisiner aussi bien.
— Tu peux toujours essayer. Prends ton assiette en photo en guise
d’inspiration pour le jour où tu tenteras la recette.
— Excellente idée, pourquoi n’y ai-je pas pensé ! dis-je en attrapant mon
sac à main.
L’étincelle dans son regard se fit coquine.
— Peut-être parce que tu es trop occupée à les engloutir comme une
morfale.
Je lui donnai un coup de pied sous la table.
— Crétin, va.
— Je plaisante, grogna-t-il. Je suis rassuré de te voir enfin retrouver
l’appétit. Je me faisais du souci pour toi. C’est toujours un tracas de moins.
Je lui soufflai un baiser.
— J’ai deux bonnes raisons d’être affamée : primo, tu m’as littéralement
épuisée, et deuzio, je rattrape le temps perdu à rendre tout ce que j’ingurgitais
pendant des semaines. Si je me laissais mourir de faim, tu récupérerais une
ogresse grincheuse en guise de femme, appuyai-je d’une grimace. Crois-moi,
ce n’est pas ce que tu souhaites.
Mes zitis acceptèrent de rester sagement dans mon estomac. C’est un fait
que je pouvais maintenant prendre mes repas sans être malade après. Notre
bébé avait beau être encore tout petit, il ou elle se faisait bien remarquer et la
nourriture était essentielle à sa croissance.
Ethan reposa ses couverts et me contempla longuement.
— Tout d’abord, je tiens à préciser que j’ai adoré t’épuiser aujourd’hui et,
en second, te regarder manger avec appétit est un régal. Je ne suis pas idiot,
figure-toi. Quand ma femme dit qu’elle a faim, elle a intérêt à manger. Enfin,
je suis ravi d’avoir une splendide ogresse pour épouse, même si tu me fais
froid dans le dos, parfois.
Sur ces belles paroles, il remplit son verre à ras bord.
— Et ce soir, je te fais froid dans le dos, Ethan ? Sois franc avec moi.
Mes émotions faisaient les montagnes russes, chose qui l’effrayait autant
que moi. Qu’il n’aille pas croire qu’être enceinte était facile. Les changements
qui s’opéraient en moi me faisaient peur. C’était plus fort que moi, j’avais des
hauts et des bas. Et en même temps, je ne voulais pas incarner la femme soupe
au lait qui pousse son mari à regretter la belle période du célibat.
— Jamais.
Ses yeux remplis d’amour me souriaient, il souleva ma main gauche et
déposa un baiser sur la paume.
— Ce qui me ferait vraiment froid dans le dos, ce serait l’idée qu’on puisse
un jour me séparer de ma sublime ogresse et de notre petite pêche.
— Je t’aime, parvins-je à articuler sans pleurer.
Il ne m’en aurait pas fallu beaucoup plus. Ethan pouvait me faire fondre en
larmes d’un seul regard.
— Moi, je t’aime plus encore, dit-il tout bas avant d’avaler une respectable
gorgée de vin. La preuve, je t’ai laissée conduire pour venir au restaurant. (Il
finit son verre d’un trait avant d’ajouter :) Je me remets à peine de ce trajet
endiablé.
— Tu me nargues avec tes allusions et ton vin alors que tu sais
pertinemment que je n’y ai pas droit ! Tu me cherches des crosses, c’est ça ?
Hum… c’est bien comme ça que vous le dites, en Angleterre ? Des crosses ?
Sa surprise laissa vite place à son éblouissant sourire façon couverture de
magazine.
— Tu crois que je te nargue volontairement ?
Enfoncée dans mon siège, je ne dis rien et me contentai de le détailler. Sa
chemise bleue soulignait son beau regard et son pantalon de lin évoquait à
peine la puissance des muscles qui se cachaient là-dessous. Sa Rolex et son
alliance étaient sa seule parure. Ethan n’avait pas besoin d’artifices, son corps
et son visage étaient amplement suffisants. Mon mari était un sacré bel homme.
Je n’étais pas idiote, je me doutais que cette caractéristique pouvait poser
problème à l’avenir. Des femmes chercheraient à me le piquer et cela me
rendrait folle.
— Je me suis découvert une passion : te charrier, déclara-t-il.
À sa façon de me reluquer, je devinai que mes réactions épidermiques
attisaient sa libido.
— Qu’est-ce que ça t’apporte ? chuchotai-je, le corps en tension à l’idée de
ce qu’il pourrait me répondre.
— Quand je vois cette fougue dans ton regard, je bande à fond, susurra-t-il
d’une voix rauque. À partir de là, je ne pense plus qu’à une chose, Brynne. Tu
veux savoir ce que c’est ?
Son pouce caressa langoureusement le pourtour de mon alliance, un
frisson me parcourut le bras.
— Oui.
— Je pense à la prochaine fois que l’on baisera, quand tu te retrouveras
jambes écartées sous mon corps et sur le point de jouir.
Effectivement, sa libido était plus qu’attisée.
Je fermai les yeux pour réprimer le frémissement de volupté qui traversait
mon corps et inondait ma culotte. Le verre d’eau en cristal italien posé devant
moi fut vidé d’un trait. Désormais, le dessert n’avait plus aucun attrait à mes
yeux.
Pourquoi diable ai-je accepté de sortir dîner ce soir ?
Je m’éclaircis la voix, m’efforçant de dissiper la brume sensuelle dans
laquelle Ethan venait de me plonger, et cherchai à retrouver le fil de notre
conversation.
— Tu parlais de ma conduite…
Il prit délicatement ma main qu’il caressa tout en me faisant passer un
message clair : dès notre retour à la villa, il respecterait sa promesse.
— Oui, ma belle ?
— Je… je conduis si mal que ça ? marmonnai-je.
J’avais insisté un moment avant qu’il ne daigne me laisser le volant. En
Italie, on roule à droite. Je me sentais donc suffisamment à l’aise pour m’y
remettre. Après tout, mon permis californien était encore valable, je n’avais
pas envie de perdre mes acquis. Mais depuis mon arrivée à Londres, quatre ans
plus tôt, je n’avais plus touché à un volant à cause de cette drôle de manie de
rouler à gauche. Ça me faisait peur. Et puis, je n’allais pas m’embêter quand
Londres était si bien desservie par les transports. En Angleterre, je n’avais
jamais eu besoin de conduire. Alors que là, avec une BMW 650 décapotable
bleu nuit comme voiture de location, je n’allais pas me priver.
— Non, il n’y a rien que tu fasses mal, esquiva-t-il. C’est juste que la
conduite à droite n’est pas mon fort, je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce
soit. Je serais rassuré dans une voiture plus grosse et dotée de meilleurs
dispositifs de sécurité.
— Rassure-toi, je ne crois pas conduire un jour dans le centre-ville. Je te
jure, je ne serai jamais à l’aise derrière un volant dans les rues de Londres,
même si je devais y vivre pour le restant de mes jours.
Le sourire songeur, il me sonda de son regard bleu qui virait vers le
marine.
— Là où tu vivras pour le restant de tes jours, c’est près de moi. À Londres
ou ailleurs, on s’en fiche. L’essentiel, c’est d’être ensemble. Tu n’as pas à
t’inquiéter de prendre le volant à Londres, car c’est un total cauchemar et je ne
veux pas que tu le fasses. Le débat est clos. Moi, je suis là pour te conduire où
tu veux.
Après un silence, il porta ma main à ses lèvres et m’embrassa encore la
paume avec sensualité, puis il ajouta :
— Mais si tu tiens vraiment à conduire… on peut s’arranger.
Notre serveur coupa court à notre conversation en apportant une bouteille
de vin. Cadeau de la part d’un client à une autre table, disait-il. Il s’agissait d’un
Biondi Santi, un vin hors de prix et que je ne savourerais pas avant de longs
mois. Ethan et moi nous retournâmes dans la direction que nous indiquait le
serveur. L’homme me rappelait vaguement quelqu’un. Il était grand et
séduisant, le teint hâlé, et s’avançait vers notre table avec le pas élégant d’un
athlète, calculant le moindre de ses mouvements. L’assurance incarnée.
— Eh, bonsoir ! le salua Ethan en désignant la bouteille. Merci, c’est très
gentil.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse.
— Avec plaisir, répondit l’autre, amusé, d’un accent britannique ampoulé.
Ethan fit les présentations.
— Dillon, voici ma femme, Brynne. Ma chérie, je te présente Dillon
Carrington.
— Ravi de vous rencontrer en personne, Brynne. Jusqu’à présent, je ne
vous ai jamais vue que dans les magazines.
Il m’offrit sa main que je serrai poliment. C’était étrange. Ce Dillon
Carrington me disait quelque chose mais je n’arrivais pas à le remettre.
Pourtant, il avait l’air proche d’Ethan.
— Tout le plaisir est pour moi, Dillon. Merci pour le vin, je suis certaine
qu’il est divin. Mais dites-moi, j’ai l’impression de vous connaître. Nous
sommes-nous déjà rencontrés ?
Dillon secoua la tête en riant.
— Non, jamais. Croyez-moi, je m’en souviendrais, Brynne.
— Ethan ?
Je lui lançai un SOS du regard, mais il savourait de me voir ramer. Je dus
me contenter de son clin d’œil.
— C’est drôle que tu sois là, Dillon, car je parlais justement à Brynne de
lui apprendre à rouler à l’anglaise, comme elle est américaine, tu
comprends…
— Ooh, un grand moment en perspective, s’amusa Dillon. Une droitière
qui se met à gauche. Tu veux que je te prête ma combinaison de protection ?
Une combinaison ? Tiens donc… Où l’avais-je déjà vu ? Je savais bien que
j’étais censée le reconnaître. Lui, en tout cas, savait qui j’étais. À l’avenir, je
tâcherais de feuilleter les magazines people plus souvent. Ethan connaissait du
beau monde et notre mariage avait fait la une des torchons people.
— Tu es venu seul ? Tu peux te joindre à nous, si tu veux, offrit Ethan par
pure politesse.
— Non, non, c’est gentil, je ne vais pas m’imposer. Mais je vous ai vus en
arrivant et je tenais à vous saluer. Ainsi qu’à vous féliciter, bien évidemment.
Pour tout te dire, j’attends quelqu’un.
— Ah, bon. Je suis content de te voir, en tout cas. Tu nous as manqué au
mariage, mais je sais que tu étais très pris ce jour-là.
La remarque fit rire Dillon.
— Surtout le week-end de vos noces, dit-il. Ils m’ont fait tourner en rond
pendant deux jours. Quand je peux quitter le circuit, c’est ici que je viens me
ressourcer.
— Félicitations pour ta victoire. J’ai regardé les temps forts de la course,
tu les as écrasés. Quelle performance !
Visiblement, Ethan était sincèrement impressionné par le talent de Dillon
pour je ne sais quel type de course.
— Merci. Et pour ton sponsoring aussi. Je t’ai envoyé des produits dérivés
signés pour te remercier.
— C’était avec plaisir, mon vieux, de l’argent bien investi. De voir le
numéro quatre-vingt-un estampillé du logo Blackstone, c’était quelque chose.
À présent, j’avais suffisamment d’éléments pour tenter une question :
— Vous êtes coureur automobile, c’est bien ça ?
— Parfaitement. (Il inclina la tête.) Je peux vous apprendre à rouler à
gauche en un claquement de doigts, Brynne. N’hésitez pas à m’appeler pour
une petite leçon de conduite en privé.
Un sourire charmeur éclairait son regard, tandis qu’il me taquinait.
— Ne prends pas tes rêves pour des réalités, mon vieux. Si ma femme veut
apprendre à conduire, je m’en chargerai moi-même. Merci quand même.
— Ma foi, tu as jusqu’au mariage de Neil et Elaina en octobre pour faire
tes preuves. Brynne me montrera alors ce que tu lui auras appris, rétorqua
Dillon en m’adressant un clin d’œil.
— Oh, vous êtes invité ? demandai-je.
— Affirmatif. Je connais Neil depuis le lycée. Quant à Ian, le frère
d’Elaina, c’est aussi un vieux copain, expliqua-t-il avant de regarder par-dessus
son épaule. Mon invitée est arrivée, je vous laisse tranquille. C’est un plaisir de
faire enfin votre connaissance, Brynne. Et toi, Blackstone, je vois que tu te
débrouilles comme un chef, petit veinard.
Il secoua la tête avec un sourire diabolique.
— Il n’y a pas plus rusé que moi, Carrington. Merci encore pour le vin, on
se voit bientôt en Écosse.
Dillon nous fit un signe de la main et retourna à sa table. Tous les regards
étaient attirés par sa prestance imposante tandis qu’il saluait une jeune femme
brune, tout en jambes, une beauté exotique améliorée par quelques retouches
siliconées et qui nous lançait un regard agacé, sans doute parce que nous
avions accaparé son petit ami.
— Il a l’air gentil, observai-je. Il est très connu, non ?
— Oui, c’est le moins qu’on puisse dire. La personne qui vient de te
proposer des leçons de conduite n’est autre que le champion du monde de
Formule 1.
— Vraiment ? Mais c’est une légende ! Je savais bien que je l’avais vu
quelque part. Seulement, je n’avais pas imaginé que c’était à la télé. (Je me
tournai brièvement vers sa table.) Je ne pense pas que sa petite amie ait
apprécié qu’il soit venu nous parler, elle dégage de sacrées ondes toxiques.
— Je ne pense pas que ce soit sa petite amie.
L’ironie était palpable.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Son regard critique en disait long.
— Mon cœur… Je connais Dillon Carrington. Ce n’est pas un homme qui
a des « petites amies », il a des rencards, nuance. (Ethan fit un signe de tête vers
leur table :) Et elle, c’est juste un rencard.
— Comment peux-tu en être aussi sûr ? insistai-je.
— Parce qu’à une époque j’étais comme…
Il bougea sur sa chaise, avec l’air de quelqu’un qui aurait préféré se couper
la langue.
— Bref, oublie ça. Je n’ai vraiment pas envie de me pencher sur la vie
sociale de Carrington pendant ma lune de miel.
— Moi non plus, acquiesçai-je.
Ethan savait de quoi il parlait, c’était évident, puisque la raison venait tout
juste de lui échapper. Je n’avais pas besoin d’en savoir davantage.
Après tout, il avait mené la même vie que Dillon avant de me connaître.
5
— Je resterais volontiers nager avec toi, mais il faut aller nous préparer
pour la fête. En plus, je voudrais me faire un shampooing.
Je grommelai de frustration en espérant la convaincre de rester.
— Je n’ai pas envie d’y aller. S’il te plaît.
— Ethan, tu sais bien que nous n’avons pas le choix. Moi, en tout cas, je
dois absolument y être. Marco m’a dit que nous étions ses invités d’honneur. Il
a tout organisé en fonction de notre séjour ici. Ce serait très impoli de ne pas y
aller, non ?
J’attrapai ses jambes et les passai autour de ma taille comme je foulais
l’eau étincelante de notre petite crique privée. Le déni serait peut-être plus
efficace puisqu’elle ne prêtait aucune attention à l’objet de ma plainte.
— Je te garde ici avec moi dans cette mer magnifique et pour toujours.
Du bout de la langue, je goûtai sa peau et l’eau salée sur le lobe de son
oreille.
— Pour toujours ? susurra-t-elle, la tête penchée sur le côté pour me
laisser accéder à son cou.
— Pour toujours.
J’acceptai l’invitation et posai mes lèvres sur son cou splendide où le
suçon de notre nuit de noces se résumait à une légère trace rosée. Avec ses
mains agrippées à mes épaules et ses longues jambes autour de mon bassin,
elle était parfaitement bien positionnée. Il ne me restait plus qu’à lui faire
oublier ce foutu cocktail qu’elle s’était mis dans la tête, et ma vie serait
parfaite. Nous resterions là, à flotter dans l’eau et à profiter du soleil, moi et
ma belle entre les bras.
— Ouais, pour toujours ici, et pas au milieu d’une soirée à la con où se
bousculeront des tas de crétins.
Avec un long soupir, Brynne eut l’air lasse. Mais elle pressa son front
contre le mien avec tendresse.
— Que vais-je faire de toi, Blackstone ?
— Si tu es à court d’idées, je peux t’en donner.
Je serrai les deux globes de son cul ravissant et l’attirai contre ma verge.
— Si je comprends bien, on échange le sexe contre la promesse de
m’emmener à la soirée ?
Sous la surface de l’eau, elle donna quelques coups de hanches pour se
frotter à toute ma longueur. J’étais déjà raide comme la pierre et la portai en
direction de la rive.
Depuis le début de notre séjour, nous avions joué à ce petit jeu un bon
nombre de fois : je l’emmenais jusqu’à la villa sans qu’elle ne mette un pied au
sol et nous faisions l’amour comme des bêtes pendant des heures. Il n’y avait
pas de plus beau cadeau que de partager cette intimité avec la femme que
j’aimais, en nous envoyant tous deux au septième ciel. Je n’avais jamais
ressenti ça avant de la rencontrer.
En la gardant lovée contre mon torse en direction de notre villa, je
commençai à croire que j’avais presque gagné, cette satanée soirée passerait
aux oubliettes.
— Tu comptes porter ça ?
Ma question me valut un regard noir, elle me tourna le dos d’un
mouvement sec, ses cheveux de soie zébrant l’air.
Adieu nos heures de suprême baise post-baignade. J’avais perdu mon pari,
nous étions sur le départ pour cette putain de soirée chez Carvaletti.
— Pourquoi tu ne dis pas simplement que je ne suis pas belle dans cette
robe, Ethan ? dit-elle d’un ton cassant tout en appliquant une couche de
mascara sur ses cils, face au miroir de la salle de bains.
— Au contraire, tu es très belle dans cette robe, et c’est bien ce qui
m’inquiète.
Brynne était toujours ultra-sexy, mais dans cette petite – j’ai bien dit
« petite » – robe de cocktail, elle était carrément bandante. Je n’allais pas tenir
la soirée entière. Cette création jaune et bleu façon tunique en soie évoquait les
motifs du Parthénon. Jusque-là, tout allait bien. Mais ce qui me chiffonnait,
c’était à quel point elle était courte et laissait voir ses longues jambes bronzées.
En la voyant, un homme normalement constitué ne pouvait avoir qu’une seule
pensée : Comme ce serait bon d’avoir ces cuisses sexy autour de ma queue.
— Tu t’inquiètes pour un rien. C’est une jolie petite robe d’été style baby
doll, rien de plus. Je te rappelle que nous sommes en vacances au bord de la
mer, merde alors. C’est une tenue de circonstance.
Style baby doll, la petite robe d’été ? Putain d’enfer et damnation ! J’aurais
des cheveux blancs avant la fin de la soirée. Et ce, pour plusieurs motifs. Ma
femme était certes d’un naturel réservé mais cela ne l’empêchait pas d’être un
canon qui attirait les regards où que nous allions. Sans compter les invités et
autres membres de cette soirée auxquels il allait falloir nous mêler. Je ne
pouvais pas faire comme si ça m’enchantait. Mais dès qu’il était question de
son activité de modèle, je ne faisais pas le poids face à la détermination de
Brynne.
Assis au bord du lit et enfilant rudement mes chaussures, je me demandais
ce que j’allais bien pouvoir raconter à ces gens que je croiserais dans cette
maudite soirée. Salut, Ethan Blackstone, ravi de vous rencontrer. Ma femme est
modèle pour Carvaletti. À poil, c’est une déesse, vous ne trouvez pas ?
Pardon ? Des seins de rêve ? Je ne vous le fais pas dire. (Clin d’œil.) Quelle
photo préférez-vous ? Celle où l’on voit ses nichons en gros plan, ou celle-ci,
qui met en avant la courbe sensuelle de son cul ? De frustration, je tirai sur les
poils de ma barbe.
Rien que d’imaginer les conversations mondaines avec ces inconnus,
c’était déjà trop me demander. J’essayai un subterfuge en pensant à notre
baignade de l’après-midi. Pas d’une grande efficacité…
Carvaletti, l’un des photographes de Brynne, nous invitait chez lui, et il se
trouvait qu’il habitait justement à Porto Santo Stefano.
Hasard merveilleux. Putain.
Brynne était fermement décidée à y aller. J’étais donc voué à la chasteté
pendant une très longue soirée au lieu de profiter avec ma chérie d’une plage
sous un magnifique ciel étoilé.
Je fus tiré de mes ruminations par sa main fraîche qui vint toucher ma
joue. Je levai les yeux. Brynne semblait inquiète. Ne serait-ce pas
extraordinaire si je pouvais lui faire oublier cette fête par un long baiser
langoureux ?
— Je t’en prie, Ethan, ne laisse pas cette fête gâcher notre soirée. C’est
juste des retrouvailles de gens du milieu de la photo alors que nous sommes
dans la région.
Son regard suppliant me fit culpabiliser. Quel égoïste ! Je pourrais la
soutenir dans son travail, quand même.
— Excuse-moi, ma belle. J’aimerais être plus enthousiaste, mais c’est dur.
Je deviens fou à l’idée que des hommes bavent sur toi. Quand je vois le regard
lubrique d’un type sur toi, ça me donne des envies de meurtre. Et puis, tu as vu
ce que tu portes ? (Je secouai la tête, désolé devant sa petite robe baby doll…)
Je suis parti pour une soirée de torture.
— La plupart de mes photographes sont gays, Ethan.
Je l’entendais presque se retenir de me traiter de crétin de jaloux possessif,
même si elle n’en était pas encore à le penser. J’avais intérêt à ne pas
l’encourager sur cette voie.
— Oui, sauf ce Carvaletti. Il est hétéro, pas vrai ?
Avec un long soupir, elle pressa ses lèvres sur mon front. Je la fis
s’asseoir sur mes genoux pour enfouir mon visage dans son cou.
— Rien ne nous oblige à rester jusqu’au bout, Ethan. Juste le temps de
saluer tout le monde.
— Tu me le promets ?
Certes, je ne pensais qu’à moi sur ce coup-là, mais au moins, j’étais franc
avec elle.
— Je n’arrive pas à te partager, Brynne, et je n’ai pas à m’en justifier, lui
murmurai-je à l’oreille.
— D’accord, je te le promets, mon mari chéri, susurra-t-elle en m’offrant
un baiser. Tu n’as qu’à me donner un mot codé. Dès que tu le prononceras dans
la soirée, on rentrera à la villa.
— Tu vois ? Je passe pour un abruti égoïste, soupirai-je, chassant une
mèche derrière son oreille. Tu es tellement belle. Et ce n’est pas seulement
physique (je posai un doigt sur son cœur), tu es aussi belle à l’intérieur.
Ses traits s’adoucirent.
— Je t’aime, Ethan, même lorsque tu te comportes comme un abruti
égoïste.
Sa main glissée sous mon menton m’attira contre ses lèvres douces.
— Je sais. Tous les jours, je me dis que j’ai de la chance.
— Alors, quel est ton mot codé ?
J’y réfléchis un instant, puis la réponse me vint comme un flash.
— Simba.
Brynne éclata de rire.
— Va pour Simba.
Une heure plus tard, je n’en pouvais plus. Malheureusement, j’étais bien la
seule de cet avis. Ethan et sa « vieille amie » Carolina assis l’un à côté de
l’autre sur un canapé riaient et bavardaient au sujet des élections italiennes, des
meilleures pistes de ski dans les Alpes, des chaussures Ferragamo et que sais-
je encore. Ils avaient l’air de s’amuser comme des fous. Moi, en revanche, je
me retrouvais à m’escrimer contre les regards libidineux d’un Rogelio bien
décidé à apercevoir ce qui se cachait sous ma robe. Contrairement à ce que
j’avais cru en début de soirée, il n’était pas en couple avec Carolina, mais avec
une autre femme qui s’était présentée sous le nom de Paola – un modèle italien
que j’avais déjà vu en photo. Elle aussi m’épiait sans discrétion, presque autant
que Rogelio, mais certainement pas pour les mêmes raisons. Si lui me dévorait
du regard comme un morceau de viande, elle me voyait plutôt comme une
menace. Qu’elle se rassure, je me fichais complètement de ce qu’elle
fabriquait, affalée sur Rogelio qui la pelotait ferme. Ils allaient peut-être baiser
devant tout le monde, tant qu’ils y étaient ? C’était ce ver lubrique et cette
garce exhibitionniste, mes interlocuteurs ? Quelle poisse.
Ethan n’y voyait que du feu.
Je remuai sur mon siège, tripotai l’ourlet de ma robe en regrettant qu’elle
ne recouvre pas plus mes jambes. Je n’avais qu’une envie : rentrer me coucher.
Mais Ethan ne comprenait pas le message quand je frôlais sa jambe ou serrais
doucement sa main, et continuait de cancaner comme si de rien n’était. À
croire qu’il pouvait rester là des heures. Quelle mouche l’avait piqué ?
D’habitude, il n’était jamais bavard, or, ce soir, on ne pouvait plus l’arrêter.
Quand je pense qu’il m’avait suppliée de ne pas venir.
Un détail ne m’avait pas échappé : Carolina était une très belle femme.
Élégante, mince, avec ce charme européen à côté duquel je me sentais
affreusement laide et boursouflée. Et plus la grossesse avancerait, moins ma
silhouette s’arrangerait.
Je tapotai le genou d’Ethan.
Il se retourna et me sourit, posant une main sur la mienne, avant de
reprendre sa conversation où il l’avait laissée, me chassant d’une subtile
caresse de son pouce sur le dos de ma main.
Un serveur nous apporta un plateau de gelati. Tout le monde refusa, sauf
moi. C’était bien trop tentant.
Cette crème glacée au chocolat avait un goût divin. Enfin une chose que je
pouvais apprécier ce soir.
Paola se moqua en gloussant.
— Tellement calorique… Je ne me le permets jamais.
Peut-être bien, mais tu te permets d’être une conne monumentale, Paola.
— Vraiment ? Moi, sans problème. D’ailleurs, mon médecin, à Londres,
m’a vivement conseillé de prendre autant de poids que possible. C’est mieux
pour mon bébé.
Avec un grand sourire, je replongeai une pleine cuillerée dans ma bouche.
Prends-toi ça dans les dents, grosse vache !
Elle plissa les yeux.
— Vous êtes enceinte ?
Je caressai mon petit ventre qui, sous cette robe, passait inaperçu.
— Ouais et mariée, ajoutai-je en remuant l’annulaire. J’ai tellement de
chance. Parfois, je me dis que j’ai gagné à la loterie.
Appuyée contre Ethan, je frottai tendrement ma joue à son bras. La
récompense tant attendue arriva enfin : Paola leva les yeux au ciel d’un air
écœuré et quitta les genoux de son Rogelio chéri pour aller se servir un verre.
Quant à lui, il se contenta de ricaner, l’œil torve, en s’efforçant de cacher sa
très visible érection.
Beurk. Qu’on foute le camp, par pitié !
Ethan complètement inconscient de la situation avait une expression vide,
je décidai alors de l’interrompre dans sa conversation :
— Simba vient d’appeler. C’est une urgence.
— Quoi ? fit-il en clignant des yeux.
Je fronçai les sourcils.
— Simba veut qu’on rentre à la maison.
— Ah bon ?
— Il a dit « tout de suite », Ethan.
AUTOMNE
6
Cette maison était immense. Nous n’avions pas besoin de tout cet espace.
J’en eus la confirmation en garant ma voiture dans le gigantesque garage
modernisé. Seule la façade n’avait pas changé depuis sa construction deux
cents ans plus tôt, lorsqu’il s’agissait encore d’une remise pour les calèches.
D’immenses calèches avec des chevaux, des cochers et tout le toutim. Pour un
citadin pure souche dans mon genre, c’était un univers parallèle. Mais cette
maison nous avait séduits. Je sentais jusque dans mes tripes que nous faisions
le bon choix en créant notre cocon ici. Pour l’instant, nous ne pouvions pas y
passer la semaine entière mais trois ou quatre jours pour le week-end, c’était
déjà pas mal. Pour couper le cordon avec Londres, il nous faudrait être
patients. J’y avais mon travail, et Brynne ses études qu’elle comptait reprendre
dès que le bébé serait né.
L’agent immobilier nous avait raconté un bout de l’histoire de Stonewell
Court. Les fondations dataient de 1761 mais il avait fallu quelques années pour
terminer sa construction. Le premier occupant était un gentleman londonien
qui souhaitait passer ses étés à la campagne en bord de mer lorsque le
fourmillement de la ville le fatiguait. Et la puanteur des rues certainement
aussi.
Pendant les siècles passés, Londres n’avait rien de la capitale qui nous
séduisait aujourd’hui. Je comprenais l’engouement de l’époque pour les
grands manoirs de campagne. C’était amusant de se dire que nous faisions la
même chose que les précédents propriétaires plusieurs siècles en arrière. Vivre
à Londres puis s’échapper à la campagne pour une bouffée d’air pur. Nous
étions comme des enfants qui jouaient à changer de maison. Et c’était tout ce
qui m’importait.
Cela me faisait rire que certains aient qualifié cette énorme bâtisse de
cottage. Je secouai la tête en contournant la maison pour retrouver Brynne.
Robbie avait eu la mission de l’occuper pendant que je m’éclipsais pour lui
trouver son cadeau d’anniversaire. Vingt-cinq ans aujourd’hui. Une fête
l’attendait cet après-midi.
En passant sous l’arche qui menait au jardin, je balayai les environs d’un
regard. Et elle était là, jouant dans les fleurs. Elle-même n’utiliserait pas le
verbe « jouer », mais elle avait pourtant l’air de s’amuser avec ses gants pleins
de terre et son déplantoir qu’elle manipulait pour installer une vieille urne
remplie de vigne vierge.
Ce jardin avait conquis Brynne au premier coup d’œil. Étonnant de la part
d’une jeune femme qui revendiquait ne pas avoir la main verte. Elle disait
vouloir apprendre depuis qu’elle avait découvert le jardin de ma mère,
derrière la maison de mon père à Londres. C’est là que je lui avais demandé de
m’épouser.
Robbie James, le jardinier dont nous avions hérité en achetant Stonewell
Court, l’aidait à restaurer les parterres pour redonner vie à cette parcelle en
jachère depuis des années. J’étais ravi d’observer qu’une majorité de fleurs
violettes ressortait parmi son choix de variétés. C’était ses préférées. Je le
savais, évidemment. La toute première fois, je lui en avais offert un bouquet…
et Brynne m’avait laissé une seconde chance. Levant les yeux vers le ciel, je
remerciai en silence les anges des secondes chances.
Visiblement, Brynne prenait beaucoup de plaisir à cette nouvelle vie et j’en
étais ravi. Si elle voulait se distraire à jardiner, qu’elle le fasse. Mais elle
n’avait pas droit au dur labeur. J’avais pris soin de confier à Robbie une tâche
importante : empêcher Brynne de porter quoi que ce soit dont le poids
dépassait celui d’un tuyau d’arrosage. Si jamais elle se sentait pousser des
ailes, il devait m’en avertir pour que je mette le holà.
Je lui adressai un salut de l’autre côté de la pelouse, lui faisant ainsi
comprendre que j’étais revenu et qu’il n’avait plus à se préoccuper de Brynne.
Je levai les pouces vers le ciel et il me répondit de même. J’avais le cadeau
d’anniversaire, tout était en place. Je souris en pensant à ce qu’elle dirait en
découvrant ce que je lui avais réservé.
Je me glissai furtivement derrière elle et plaquai mes mains sur ses yeux.
— Devine qui c’est.
— Mince, tu es très en retard ! On n’aura plus le temps pour les galipettes,
mon mari va rentrer d’une minute à l’autre. Il deviendrait fou s’il te trouvait
ici.
Son sens de la repartie me surprendrait toujours.
— Je peux faire vite. Un petit aller et retour, j’aurai terminé avant qu’il
s’aperçoive de quoi que ce soit.
— Oh, mon Dieu ! s’écria-t-elle en faisant volte-face et en posant les mains
sur mon torse en riant. Un « aller et retour » ? Non mais je rêve !
— Je suis sérieux, ma belle. Si on veut finir avant le retour de ton mari, on
ferait bien de se dépêcher.
Riant toujours, elle recula d’un pas et retira ses gants d’un geste suave.
Notre petit jeu avait l’air de l’amuser. Ses cheveux étaient attachés en chignon
désordonné, ma coiffure préférée. Elle me permettait ainsi de lui retirer ses
épingles pour faire onduler ses cheveux sur ses épaules avant de lancer
l’assaut.
Le sourire espiègle qui se dessina sur ses lèvres laissait penser qu’elle était
prête à enclencher la vitesse supérieure de notre petit jeu de séduction.
J’attendis qu’elle fasse le premier pas. Elle aussi attendait. Nous étions dans les
starting-blocks, le sourire jusqu’aux oreilles. Finalement, Brynne fit tomber
les gants à mes pieds.
Mon sexe était à l’étroit dans mon caleçon.
Ses yeux balayèrent mon corps tout entier, puis elle tourna les talons… et
se mit à courir vers la maison comme si elle avait le diable aux trousses.
Yes ! Je lui laissai deux secondes avant de me lancer à sa poursuite.
La chasse promettait d’être fructueuse, putain.
— Quoi ? ! Je saigne ?
Je me redressai d’un bond. Les traits tirés par la terreur, Ethan observait le
rouge qui coulait de son doigt. En me touchant le nez, je compris rapidement
d’où venait le problème.
— Ce n’est rien, Ethan, tout va bien, dis-je d’un ton apaisant en voyant
combien cela le faisait paniquer.
— Tu ne saignes pas, tu pisses le sang ! s’emporta-t-il. J’appelle Fred tout
de suite.
Il se jeta sur son portable posé sur la table de nuit.
La tête en arrière, je pinçai les ailes de mon nez.
— C’est juste un petit saignement. N’appelle pas Fred pour si peu.
Pour me lever du lit sans tacher les draps, ce ne fut pas une mince affaire.
Dans la salle de bains, je trouvai une serviette propre. Elle serait fichue,
mais tant pis, je n’avais pas vraiment le choix. Je la maintins contre mon visage
d’une main et tournai le robinet d’eau froide de l’autre.
Derrière moi, Ethan suivait chacun de mes gestes avec des yeux ronds
comme des soucoupes. Il s’approcha pour retirer la serviette.
— Attends, laisse-moi faire. Ça saigne encore.
Il était pâle comme un cachet d’aspirine. Je remis la serviette en place.
— Arrête de te faire du mouron, mon chou. C’est juste un saignement de
nez et ce n’est pas la première fois que cela m’arrive.
— Ah bon ? ! hurla-t-il. Quand ? Quand est-ce que tu as saigné ?
La colère lui plissait le front. Au revoir, mon bel amant de tout à l’heure.
— Du calme, toi. Tu n’as aucune raison de t’inquiéter comme ça. J’ai
saigné hier pendant que tu étais au travail.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Putain, Brynne !
Il se passa rageusement la main dans ses cheveux en tirant les mèches du
cou.
Bon, OK, s’il continuait comme ça, il allait finir par m’énerver.
— Inspire profondément et va voir l’article sur Internet au sujet de la dix-
huitième semaine de grossesse.
Le regard noir, il secoua la tête mais accepta toutefois de regarder son
téléphone. Les traces de sang sur ses doigts faisaient peur à voir. Il cliqua sur
« Symptômes Grossesse » et lut en silence. Son corps se détendit à vue d’œil, il
s’assit sur le lit. Après un moment, il me lut tout haut d’une voix monocorde :
— La pression artérielle est susceptible d’augmenter et de provoquer des
saignements de nez.
Visiblement, il était contrarié.
— Tu es vraiment certaine que je n’ai pas de raison de m’inquiéter ?
Lorsque Ethan leva les yeux vers moi, mon cœur ne fit qu’un tour. Je
voyais bien qu’il était à la fois triste, effrayé, frustré et inquiet. Le pauvre, il
aurait besoin d’une bonne dose de calmant le jour de mon accouchement.
— Je vais bien, je t’assure.
Je me tournai vers le miroir et retirai la serviette. Ça ne saignait plus. Ma
lèvre et mon menton étaient écarlates, mais au moins, j’avais le nez sec.
Ethan se précipita pour me nettoyer.
— Attends, je veux le faire, dit-il.
Ce n’était pas le moment de le contrarier. Je ne bougeai plus et le laissai
me passer la serviette sur le visage, nettoyant le linge sous l’eau froide
plusieurs fois pour ne plus laisser aucune trace. Je fermai les yeux pendant
qu’il s’activait et me sentis toute dorlotée et aimée en dépit du choc qui avait
secoué mon pauvre chou.
— Par quel miracle vais-je pouvoir tenir bon quand tu vas accoucher,
Brynne ?
Je pris son visage à deux mains et le regardai droit dans les yeux.
— Mais non. Tu peux le faire, mon chéri. Ne brûle pas les étapes. Fais
comme moi, chaque chose en son temps.
Je ne savais pas quoi lui dire d’autre. Moi aussi, j’étais terrifiée.
Il me prit dans ses bras et m’embrassa le haut de la tête tout en me
caressant doucement les cheveux. Plus tard, nous prendrions une douche pour
nous préparer à accueillir sa famille pour ma fête d’anniversaire. Mais pour
l’instant, nous avions besoin de ce câlin.
Alors, nous l’avons savouré.
— Le gâteau, c’est fait. Et il était délicieux, merci, Hannah, fit Ethan avec
un clin d’œil pour sa sœur. Les cadeaux, c’est fait aussi… Tiens, non, il en
manque un.
Son rire enfantin cachait quelque chose. Que me réservait-il, au juste ? Ça
ne me disait rien qui vaille. Un gros cadeau, me disait mon instinct. Je n’aimais
pas ça. J’ai toujours préféré la simplicité.
— Je veux voir le cadeau de tante Brynne, s’exclama Zara
Du haut de ses cinq ans, ma nièce n’avait aucun mal à donner son avis sur
tout. J’irai même jusqu’à dire que les gros cadeaux ne la gênaient pas outre
mesure. Ethan était gaga de cette petite et je dois avouer que je l’adorais, moi
aussi. Zara venait souvent nous voir. S’il faisait beau, l’un de ses grands frères
l’accompagnait et elle courait partout dans la maison en jouant avec ses Barbie.
Cette gamine était un sacré numéro.
— Bon, on y va, fit Ethan d’un air de petit garçon satisfait. Mais, Zara,
j’aurai besoin de ton aide. Ta mission, c’est de t’assurer que Brynne n’ouvre
pas les yeux tant que je ne lui en aurai pas donné la permission.
Zara le dévisagea et se mit au garde-à-vous.
— D’accord ! fit-elle en me prenant par la main. Tante Brynne, tu n’as pas
le droit de regarder.
— Ça marche, cédai-je. Quand tu dis « on y va », tu veux dire qu’on va où,
exactement ?
Ethan rit tandis que des sourires s’échangeaient, énigmatiques.
— C’est parti, direction l’entrée de la maison.
Comme il me tendait le bras, je le pris volontiers, flanquée de mes deux
gardes du corps.
Devant la porte d’entrée, je me cachai les yeux d’un grand geste
dramatique et les laissai me guider dehors. Je ne risquais pas de trébucher :
Ethan me retenait fermement contre son flanc et accompagnait chacun de mes
pas. Décidément, il n’avait pas choisi sa carrière au hasard, c’était une véritable
vocation. Mon homme était fait pour protéger et servir, deux traits de sa
personnalité qui animaient tout ce qu’il entreprenait.
Le gravier crissait sous les chaussures de toute la famille. Je n’avais
aucune idée de ce qui m’attendait.
Nous nous sommes arrêtés.
J’entendis des murmures, puis Zara s’écria de son adorable voix d’enfant :
— Ça y est, tu peux regarder la voiture blanche, tante Brynne !
Une voiture ? J’ouvris les yeux et découvris une splendide Range Rover
HSE Sport flambant neuve, avec le volant à droite et toutes les options. Le
délire total !
Je me tournai vers Ethan.
— Tu m’as acheté une voiture ? !
Son grand sourire valait toutes les leçons de conduite à gauche du monde.
— Parfaitement, ma belle. Ça te plaît ?
— La Rover ? Si elle me plaît ? Je l’adore !
Et en même temps, cela m’intimidait. Une Rover, c’est dingue. Je me jetai
au cou d’Ethan et chuchotai à son oreille de peur d’être entendue par notre
auditoire :
— Tu es fou, elle doit valoir une fortune ! Arrête de faire de telles folies
pour moi.
Avec un pas en arrière, Ethan secoua la tête.
— Je suis fou de toi, désolé… et, non, je n’arrêterai pas.
Point final, me disait son regard. Ce qui ne m’étonnait pas de lui.
J’avais envie de le gronder et de l’embrasser tout à la fois. Il dépensait
beaucoup trop d’argent à m’acheter des cadeaux. Ce n’était pas nécessaire.
Mais depuis le début de notre histoire, il s’était toujours montré d’une extrême
générosité. Je voyais bien qu’il adorait me gâter.
Me tournant vers ma nouvelle voiture, je déglutis. Je pouvais deviner son
prix : une fortune. Mon Dieu, et si je me prends un poteau ? Et puis, d’ailleurs,
allais-je seulement être capable de conduire un engin pareil ?
— Que vais-je faire de toi, Blackstone ?
— De moi, je ne sais pas, mais de ta voiture, j’ai ma petite idée.
Ethan avait l’air inquiet, comme si son cadeau ne me plaisait pas. Je ne
voulais pas le vexer, le pauvre. Sans compter qu’il était encore sous le choc de
l’épisode du saignement de nez de tout à l’heure. Visiblement, cela avait
déclenché quelque chose en lui. J’ignorais quoi exactement, mais j’avais le
sentiment que ma grossesse n’avait rien à voir dans l’affaire. Était-ce le
traumatisme de son passé qui refaisait surface ? Je soupirai intérieurement et
mis cela de côté. Ce n’était pas le moment d’y penser.
Je regardai longuement Ethan. Puis Freddy, Hannah, Colin et Jordan, qui
attendaient avec le sourire que je prenne possession de mon cadeau. Tombée
du ciel, la petite Zara brisa la glace en hurlant :
— Je veux faire un tour ! Emmène-moi, tante Brynne.
J’eus un petit rire nerveux, et finis par me dire : « Ma foi, pourquoi pas ? »
Après tout, j’étais mariée à Ethan. J’habitais en Angleterre, c’était chez moi, et
nous avions une maison à la campagne. Je ne pourrais pas prendre le train tous
les jours. Il me faudrait faire deux ou trois courses par-ci par-là, comme tout
le monde. Bientôt, je serais maman, et j’aurais un tas d’endroits où aller avec
mon bébé. Autant apprendre tout de suite à rouler à gauche.
Je décochai un sourire assuré à tout le monde et pris le taureau par les
cornes.
En route, mauvaise troupe !
— Bon, d’accord, mais on reste sur le petit chemin de gravier. Je suis un as
du volant, vous allez voir !
— Qui commence ? demanda Ethan.
Zara et Jordan, mes premiers volontaires, grimpèrent à l’arrière de la
voiture. J’ouvris la portière du côté conducteur. L’odeur de cuir neuf me
chatouilla les narines. J’avais du mal à croire que cet extraordinaire engin était
à moi. Ça et tout le reste.
Ethan, la maison, sa famille, le bébé… cela faisait beaucoup pour mon petit
cœur fragilisé par les hormones.
Je bouclai ma ceinture de sécurité. Jusque-là, tout allait bien. Mais ensuite,
ça se compliquait. Tous ces boutons me faisaient plus penser au cockpit d’un
bombardier qu’au tableau de bord d’une voiture. Je me tournai vers Ethan,
assis sur le siège passager, et lui tendis la main.
— Les clés ?
Il me sourit.
— Tu n’as qu’à appuyer là.
Il désignait un bouton rond.
— Tu te fous de moi, bordel ? !
Mon juron fit pouffer Jordan. Zara gloussait. Quant à Ethan, il se mordit
les lèvres comme pour se retenir de dire quelque chose qu’il risquerait de
regretter. Pas bête, le mari. J’appuyai sur le bouton.
Avec un « merde » et quelques « putain », je vécus ma première leçon de
conduite, volant à droite, voiture à gauche, avec pour moniteur un Ethan tout
en patience.
À l’arrière, les enfants trouvaient ça poilant et ne cessaient de me répéter
de « maintenir ma gauche ». Chose idiote sur un chemin de gravier à voie
unique.
En homme avisé qu’il était, Ethan eut le bon réflexe : il ne dit rien.
Dès que nous serions seuls, je le remercierais à ma façon pour son
merveilleux cadeau d’anniversaire.
7
4 octobre, à Londres
— Nous y voilà. Le bébé a beaucoup changé depuis la dernière fois, n’est-
ce pas ? Il fait la taille d’une banane. À vingt semaines, vous avez
officiellement passé le cap de la moitié de la grossesse. Les mensurations sont
tout à fait dans la norme d’une maternité saine. Le cordon ombilical est parfait.
Le pouls est régulier.
Le Dr Burnsley listait les détails que lui communiquait l’écran. On y voyait
notre bébé s’agiter comme un fou – ou une folle – en donnant des coups
partout avec une clarté époustouflante. Je n’arrivais pas à décrocher mes yeux
de l’écran pour répondre au médecin. Depuis la dernière fois, le réalisme de
l’image était devenu frappant. Je voyais un petit humain, ça ne faisait aucun
doute. Nous avions créé un humain.
Comme moi, Brynne était pantoise. Un pouce se glissa dans une petite
bouche, puis ressortit aussitôt.
— Tu as vu ce que je viens de voir ? ! m’exclamai-je.
— Oh, fit-elle avec un petit rire, le regard braqué sur le moniteur. Ethan, il
suce son pouce – ou elle suce son pouce.
Elle me serra doucement la main. Son excitation timide créait comme une
aura que je n’avais jamais perçue chez elle. L’aura d’une mère.
— Je sais.
C’était dans ces moments-là que je sentais à quel point Brynne ferait une
merveilleuse maman. Je n’avais aucun doute.
— Aah, je crois que je vais pouvoir vous donner le sexe du bébé…
— Non ! Je ne veux pas savoir, docteur. S’il vous plaît, ne le dites pas.
Brynne secouait frénétiquement la tête. Sa décision était définitive.
N’importe quel idiot l’aurait vu. Sans compter que le docteur n’était pas un
idiot.
Il me lança un regard en coin, puis inclina la tête comme pour me
demander si je voulais savoir. L’espace d’un instant, j’eus envie de dire oui.
Mais finalement, je fis signe que non.
— Tu peux le savoir, Ethan, si tu veux. Je regarde de l’autre côté pendant
ce temps-là.
J’étais sidéré par son assurance. Elle était magnifique. Et ne voulait
connaître le sexe de son enfant qu’au moment de l’accouchement. Alors que
moi, j’aurais facilement haussé les épaules en disant au médecin : « Oui, bien
sûr, dites-moi. » Je saurais alors si nous attendions un garçon ou une fille.
Thomas ou Laurel ? Voilà qui serait excitant.
— Non, je veux garder la surprise avec toi, rétorquai-je à Brynne, en
secouant la tête en direction du docteur.
Respect total pour ma femme. Je déposai un baiser sur sa main. Nos
regards se croisèrent sans un mot. Des mots… Pour quoi faire ?
Le docteur nous interrompit :
— Très bien, nous garderons donc la surprise.
Il imprima quelques photos, essuya le liquide laissé sur le ventre de
Brynne, puis éteignit cette machine extraordinaire capable de capturer des
images de notre futur enfant par les ultrasons. Bon sang, ce type était un héros.
On me donnerait une fortune que jamais je ne voudrais faire un tel boulot.
— En tout cas, je suis sûr d’une chose, déclara le Dr Burnsley d’un ton
pince-sans-rire. Votre enfant sera soit une fille, soit un garçon.
— L’autre soir, j’ai surpris Ethan à fumer sur le balcon. Plus tôt dans la
journée, j’avais été bouleversée par… l’histoire de Lance Oakley. Je me suis
réveillée au milieu de la nuit et Ethan n’était pas là, alors je me suis levée pour
aller aux toilettes, puis je l’ai cherché. En ce moment, il essaie d’arrêter de
fumer. Il n’est plus très loin du but, mais ce soir-là… J’ai bien vu qu’il faisait
un écart.
— Il est tout aussi difficile de se débarrasser d’une addiction à la nicotine
que d’une addiction à l’alcool ou aux drogues, observa le Dr Roswell de sa
façon impartiale.
— Dans son cas, ça va plus loin.
— Que voulez-vous dire par là, Brynne ?
— Hum… Un jour, il m’a raconté son expérience en Afghanistan où il a
été retenu prisonnier.
Je n’étais pas sûre de ce que je pouvais lui dire. Je ne voulais pas trahir
l’intimité d’Ethan sans sa permission. Mais j’avais besoin de cette information,
c’était plus important que le reste.
— On l’a enfermé et torturé pendant vingt-deux jours. Durant sa captivité,
il était tellement en manque de cigarette qu’il a frôlé la folie. Il m’a raconté que
la cigarette lui rappelle qu’il s’en est sorti vivant, qu’il a survécu à la torture et
qu’il pouvait de nouveau fumer. Cette expérience l’a traumatisé au point qu’il
en fait des cauchemars. Quand j’essaie de le soutenir, il se ferme comme une
huître. Je crois que s’il refuse d’en parler, c’est parce qu’il a honte. C’est
affreux. Je me fais beaucoup de souci pour lui.
— Ce doit être très difficile pour Ethan. Nombreux sont les soldats qui
souffrent d’un trouble post-traumatique.
Je remarquai qu’elle prenait des notes dans son carnet.
— Qu’est-ce que je peux faire pour lui, à votre avis ?
— Ce que vous devez comprendre à propos des victimes de traumatisme –
et d’après ce que vous me dites, Ethan a survécu à un choc extrême – c’est
qu’elles sont capables de tout, absolument tout, pour éviter de repenser à la
cause de leur traumatisme. C’est bien trop douloureux.
— Alors quand je lui demande de m’en parler, je lui rends la chose encore
plus difficile ? Je lui fais du mal ?
— Prenez-le sous l’angle de votre propre vécu, Brynne. Vous avez
souffert un traumatisme et cela a bouleversé votre vie. Vous venez de me dire
que l’annonce des blessures de Lance à la télévision vous a profondément
ébranlée. (Le Dr Roswell n’était pas du genre à arrondir les angles.) Ne faites-
vous pas tout ce qui est en votre pouvoir pour éviter que l’on vous rappelle ce
qui vous est arrivé ?
Putain, oui, docteur.
— Brynne.
— Lance.
Ses traits s’adoucirent.
— Merci d’être venue me voir, articula-t-il comme si lui aussi avait été
briefé par l’attachée de presse de son père.
— De rien.
Je m’approchai de son chevet pour y poser le bouquet et lui tendis la main.
Ses doigts tatoués se refermèrent sur les miens, et miraculeusement… le
ciel ne me tomba pas sur la tête. Lance porta ma main à sa joue et la garda ainsi
une seconde.
— Je suis si heureux de te revoir.
Le photographe mitrailla cet instant sans relâche et je compris que cette
photo ferait la une. J’y étais, c’était trop tard. Aucun de nous trois ne pouvait
faire machine arrière.
À côté de moi, je sentais Ethan tendu comme un arc. Il était sans doute
furieux de voir Lance me toucher la main. Mais bizarrement, à moi, ça ne me
faisait rien du tout. J’étais comme engourdie. Je me forçai à poursuivre ce
simulacre pour nous sortir au plus vite de cette torture.
Libérant ma main de sa prise, je lui dis :
— Lance, je te présente mon mari. Ethan Blackstone. Ethan, voici Lance
Oakley, un vieil… ami de San Francisco.
Lance porta toute son attention sur Ethan à qui il tendit la main.
— Enchanté, Ethan.
Il y eut un long silence pendant lequel je doutai que mon époux accepte la
poignée de main. Nous retenions tous notre souffle.
Finalement, Ethan accepta de le saluer d’une poigne ferme.
— Bonjour.
Tout se passait bien, mais je connaissais Ethan. À l’intérieur, il
bouillonnait, pressé d’en finir. Pressé de m’emmener loin d’ici et de ne plus
avoir à faire semblant.
Puis, comme envoyé par le réalisateur de ce film, un figurant entra dans la
chambre et tapota l’épaule d’Ethan en lui glissant à l’oreille qu’il était navré,
mais qu’on le demandait au téléphone, c’était important. Et Ethan quitta la
pièce, sa démarche rigide me signalant combien il lui était insupportable de
devoir me laisser seule ici. Courage.
— Tu veux t’asseoir ?
— Oui, bien sûr, répondis-je, étonnée que mon cerveau soit à ce point
fidèle au script de notre scène.
Une fois assise à son chevet, Lance me reprit la main et je le laissai faire,
uniquement parce que cet instant était capturé par les médias. Cet échange banal
entre deux amis qui discutent alors que l’un d’eux est soigné à l’hôpital. Tu
joues un rôle, c’est presque terminé. Va jusqu’au bout, quitte la pièce sans te
retourner, et ce sera fini.
— Tu es resplendissante, Brynne. Tu as l’air heureuse.
— Oui, je le suis.
Et comme pour me soutenir, mon petit papillon voleta dans mon ventre
pour me rappeler sa présence. Je fermai les yeux et savourai ce court instant de
bonheur où je sentais mon bébé grandir en sécurité en moi. La beauté de ce
miracle effaça le malaise de cet instant et m’aida à faire face jusqu’au bout.
— Brynne… Je suis désolé de… que tu aies eu à venir ici. Mais en même
temps, je te suis très reconnaissant de me permettre de te revoir enfin.
Sa voix avait changé. Il n’avait plus le même ton. Je le sentais sincère.
Je rouvris les yeux pour les poser sur lui. Les mots me manquaient. Je ne
savais pas quoi répondre. Enfin, si.
— J’espère que tu te remettras vite, Lance. Je… je dois te laisser.
C’était maintenant le coup de grâce, l’instant qui serait pour moi le
summum de la torture. Mais c’était ce qu’on attendait de moi. Je n’avais pas le
choix.
Je me levai de ma chaise et me penchai vers lui.
Ses traits se décomposèrent, il n’avait pas l’air d’apprécier de me voir
mettre fin à la visite. Je pris une profonde inspiration et posai ma joue contre
la sienne pour un simple au revoir. Je restai là le temps que le photographe
immortalise cet instant dans un acharnement de flashs aveuglants.
Lance passa le bras dans mon dos.
Je refermai les yeux et pensai très fort à Ethan, à notre petit papillon, pour
tenir le coup.
Ma mission était presque terminée, je touchais bientôt à la ligne d’arrivée,
quand Lance murmura à mon oreille. Les mots se précipitèrent perceptibles de
moi seule. Sa voix frôlait le désespoir.
— Brynne, je t’en prie, reviens me voir. J’ai besoin de te dire à quel point
je suis désolé pour ce que je t’ai fait subir.
9
Je compris qu’Ethan était dans tous ses états dès lors que je remis le pied
dans le couloir. Il avait les traits tirés et la mâchoire crispée. Dans sa colère, il
envoya paître le chauffeur qu’on nous avait envoyé et réclama que Len nous
ramène à la maison. Ethan ne voulait plus rien accepter de la part du sénateur.
C’était terminé.
À peine Len nous eut-il déposés devant notre immeuble qu’Ethan m’attira
dans le hall d’un pas vif. Il ne prit même pas une seconde pour saluer Claude,
notre concierge, comme nous le faisions habituellement, et me poussa
directement dans l’ascenseur sans dire un mot, avec un objectif unique en tête.
Dans un coin de la cabine, Ethan me pressa contre le mur et enfouit le
visage dans mon cou pour s’enivrer de mon odeur. Dans ce silence lourd de
tension sensuelle, je sentis grandir en lui le besoin de sexe primitif et sauvage.
Le besoin de s’accoupler.
— Ethan, dis-je en gémissant.
— Chut, pas un mot, grogna-t-il, un doigt sur mes lèvres.
Quand je sentis son érection appuyer contre mon bas-ventre, un long
frisson me parcourut. J’étais déjà mouillée alors qu’il n’avait encore rien fait
d’autre que m’écraser contre une paroi et m’interdire la parole. Tout était dans
son pouvoir de suggestion, sa façon d’entrer en contact avec moi par l’esprit et
par le corps pour m’exprimer ce qu’il voulait, c’était irrésistible.
Ethan voulait me baiser. Moi.
Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne laisse exploser le
torrent de désir qui le tourmentait, quand les portes de notre appartement se
seraient refermées sur nous.
Dans les forces spéciales, les capitaines menaient des groupes de cinq
hommes. Un effectif réduit qui leur permettait une discrétion totale pour les
opérations tactiques. Sous mes ordres, j’avais les meilleurs hommes du service.
Mike, Dutch, Leo, Chip et Jackie. Le jour où l’on a retrouvé le petit garçon et
sa mère morte au milieu de la rue, c’était le dernier jour où mes hommes et
moi-même étions tous vivants. Le jour où ces frères, maris, pères et fils
britanniques ont respiré ensemble pour la dernière fois. Vingt jours plus tard,
de six nous allions passer à… un.
Mike était le seul à s’en être sorti vivant après l’embuscade qu’ils nous
avaient tendue ce jour-là dans la rue. Cela aurait été tellement mieux s’il
n’avait pas…
Plongée dans l’eau brûlante de mon bain moussant, je me relaxais en
repensant aux événements de cette journée. Bon sang, pour tout comprendre, il
me faudrait plus qu’un simple bain chaud.
Ethan s’était écroulé de sommeil après notre deuxième round. Si bien qu’il
ne s’était pas réveillé lorsque j’avais quitté le lit à pas de loup. D’habitude, il
venait me voir dès qu’il entendait l’eau du bain couler, ou mieux encore, c’était
lui qui me le préparait. Mais pas ce soir.
Je pouvais comprendre qu’Ethan soit épuisé après ce simulacre à l’hôpital.
Il n’avait pas aimé devoir me convaincre d’y aller. Mais nous n’avions pas le
choix. Lucas Oakley allait assurer le poste de président à Benjamin Colt grâce
à un coup du destin qui avait frappé son fils pile au bon moment pour en faire
un héros de guerre. Un jeune officier de l’armée, bel homme, perd sa jambe
pendant la guerre, et se révèle être le fils du candidat à la vice-présidence des
États-Unis. Les sondages lui prédisaient une victoire haut la main, ce n’était un
secret pour personne.
Mais le plus effrayant, c’était qu’une fois au poste de vice-président, le
sénateur Oakley ne serait plus très loin du titre de président des États-Unis.
J’eus un pincement douloureux au cœur. Pour m’apaiser, je caressai
doucement mon ventre. C’était mon premier réflexe : protéger mon petit ange
papillon. Aujourd’hui, j’avais fait mon devoir. Je m’étais assuré que mon passé
sordide avec Lance n’entacherait ni l’avenir politique de son père ni ma vie
future. S’il fallait le refaire, je n’hésiterais pas une seconde. J’étais prête à tout
pour mon ange papillon.
Lance… En me réveillant ce matin, il était bien la dernière personne que
j’aurais pensé voir aujourd’hui. Je n’étais pas prête à l’affronter, mais de toute
évidence, Lance Oakley n’allait pas s’envoler. Surtout au vu de l’état dans
lequel il était.
Brynne, je t’en prie, reviens me voir. J’ai besoin de te dire à quel point je
suis désolé pour ce que je t’ai fait subir.
C’était le deuxième choc de ma journée. Lance était désolé ! Je ne savais
pas comment prendre sa demande. Je savais qu’il était sincère puisqu’il avait
pris soin de me le glisser à l’oreille pour que personne d’autre ne l’entende.
Mais ça n’avait aucune importance. Je refusais de retourner là-bas pour le
revoir. Je n’en avais pas besoin. Bizarrement, les choses m’allaient bien
comme elles étaient. Finalement, cette visite à l’hôpital n’avait pas été aussi
bouleversante que je me l’étais imaginé. J’avais gardé la tête haute et fait ce
qu’on m’avait dicté. Lance en avait fait autant.
Je ne m’étais pas attardée sur les conséquences de cette rencontre sur mon
état émotionnel, mais je n’avais ni le temps ni l’envie de le faire. Un avenir
radieux m’attendait aux côtés d’un mari aimant et d’un enfant qui avait besoin
de moi. Ce qui m’était arrivé avec Lance occuperait la banquette arrière du
bolide qu’était ma vie. Je ne voyais pas d’autre moyen d’avancer.
Or, j’étais déterminée à aller de l’avant. Reposant ma main sur mon ventre,
j’essayai de le sentir encore bouger, mais bébé n’était pas d’humeur,
j’imagine.
Je refusais de laisser Lance ou son père politicard et fin calculateur
m’empêcher de faire ce que j’avais à faire. Pourtant cette rencontre m’avait
sonnée. Comment Lance avait-il pu changer autant ? Ce n’était plus le même
homme que celui que j’avais connu. Les années semblaient l’avoir transformé.
Et certainement son corps n’était plus celui de l’époque, avec tous ces
tatouages…
— Nooooooon ! Mike, mon frère, je suis désolé, je ne le referai plus !
Aaaaah, non ! Putain ! MIKE !! Par pitié, non ! PUTAIN ! NON ! ARRÊTEZ !
NON… NON… NON !!
Ethan. En l’entendant crier je compris tout de suite ce qui lui arrivait.
Encore ses terreurs nocturnes. Je me levai de la baignoire, l’eau dégoulinant
sur ma peau luisante, et enfilai un peignoir à la hâte avant de rejoindre la
chambre. Ethan avait besoin de moi, je devais à tout prix l’aider. C’était aussi
simple que ça.
Je me redressai d’un bond, le souffle court, les mains autour de mon cou,
et haletai une minute en essayant de reprendre ma respiration.
Respire, connard. Inspire, expire…
De tous mes souvenirs, c’était le pire. L’ultime traumatisme dont je ne me
libérerais jamais et qui resterait enfoui en moi. Il est en paix, à présent. Une
phrase que je me répétais dès que la culpabilité s’immisçait en moi pour me
conduire à ce jour fatal. Ce n’était pas une recette miracle, mais je n’avais pas
trouvé mieux.
Inspire, expire…
— Ethan, mon chéri…
Cette fois, elle était réveillée.
J’étais terrifié, incapable de lever la tête pour regarder ma belle épouse en
face, de crainte de lui dévoiler ma honte et ma faiblesse. Putain, allez savoir
encore ce que j’avais hurlé dans mon sommeil. J’étais sur le point de gerber.
Mais Brynne n’eut pas le même réflexe que les fois précédentes. Elle ne se
troubla pas ni ne me pressa de lui parler. Elle ne me jugea pas non plus et ne
me posa aucune question. Elle se contenta de passer sa main douce sur ma
poitrine et se blottit contre moi, m’offrant son parfum à respirer et me faisant
ainsi comprendre que j’étais ici dans le présent et non pas perdu quelque part
dans le passé. Brynne me montrait qu’elle était là, en sécurité, contre moi.
— Je suis là, Ethan. Je t’aime, chantonna-t-elle à mon oreille. Est-ce que je
peux faire quelque chose pour t’aider ?
Mon soulagement était indescriptible. Je l’attirai à moi et m’accrochai à
elle comme si ma vie en dépendait. Il n’y avait pas de meilleure formule. Je
m’accrochais à ma bien-aimée comme si ma vie en dépendait.
Ses cheveux étaient humides dans sa nuque. Je pouvais passer des heures à
les tripoter. J’adorais leur douceur, leur matière, leur odeur, tout. À peine
Brynne m’avait-elle demandé ce qu’elle pouvait faire pour moi que je lui avais
clairement répondu.
Pour elle, ce n’était pas une surprise. Elle m’avait déjà « aidé » dans le
passé. Ce n’était qu’en me blottissant dans son corps douillet que je parvenais à
chasser mes vieux démons. Mais après le sexe venaient les excuses pour
l’avoir utilisée sans scrupule. Un moment gênant.
Allongés sur le côté, moi derrière elle, je respirais profondément son
parfum en caressant le polichinelle qui se cachait dans son tiroir. Il me tardait
de pouvoir enfin le sentir donner des coups de pied mais je n’avais pas encore
eu cette chance. Avec un soupir comblé, Brynne posa sa main sur la mienne. Je
me sentais déjà beaucoup mieux. Elle était heureuse, c’était l’essentiel.
— Je suis désolé, mon cœur, chuchotai-je dans son oreille. Pardonne-
moi…
— Tu n’as aucune raison de t’en vouloir, Ethan, jamais. Je veux que tu
comprennes que je suis là pour toi et que je t’aime. C’est tout ce qui compte.
(Elle bâilla et me tapota la main.) Endors-toi, maintenant.
Mes yeux s’ouvrirent grands. Avais-je bien entendu ? Aucun
interrogatoire au sujet de mon cauchemar ? Pas de discours sur l’intérêt
qu’aurait une visite chez le psy pour me soulager de ce putain de merdier
qu’était mon passé ? Sa réaction éveilla ma curiosité.
— Brynne ? dis-je en frottant mon nez contre son épaule.
— Mmh ?
— Pourquoi n’es-tu pas perturbée par… mon cauchemar ? demandai-je en
marchant sur des œufs, déposant un baiser sur son épaule dès que ma question
quitta mes lèvres.
— J’ai parlé au Dr Roswell de ton traumatisme.
Sur le coup, je me crispai avec la sensation d’avoir été trahi, puis me
forçai à me détendre. Elle n’avait pas terminé de m’expliquer. Brynne n’était
pas colérique comme moi, elle réfléchissait avant de parler. Enfin, en général.
À sa place, j’en aurais sans doute parlé à ma psy, moi aussi. Elle était
désormais au courant de ma « situation », alors pourquoi porter un masque
devant la seule personne en qui j’avais confiance ?
— Je ne lui ai pas dit grand-chose, me rassura-t-elle. J’ai seulement dit que
tu avais des souvenirs de l’époque où tu as été pris en otage pendant l’armée. Je
lui ai demandé comment faire pour t’aider. (Brynne se retourna pour me
regarder dans les yeux.) Parce que je t’aime Ethan, et je ferai tout ce qui est en
mon pouvoir pour t’aider à sortir de ces ténèbres.
— Tu y arrives déjà, lui murmurai-je. Dès notre première rencontre, tu
m’as fait du bien. Tu es la seule à en être capable.
Suivant la courbe de sa pommette avec mon doigt, je regrettai de ne
pouvoir lui promettre de ne plus jamais faire de cauchemars. J’aimerais ne
plus la réveiller au milieu de la nuit par mes hurlements primitifs.
Malheureusement, ça arriverait encore. Peut-être jusqu’à mon dernier souffle.
— Le Dr Roswell m’a expliqué un peu le fonctionnement des souvenirs
traumatisants, dit-elle d’une voix douce, comme si elle prenait des pincettes.
— Et donc ? parvins-je à articuler.
— Elle m’a dit que les personnes dans ton cas seraient prêtes à tout pour ne
pas avoir à se rappeler ce qui s’est passé. C’est bien trop douloureux et
effrayant.
Le Dr Roswell avait tout compris.
Elle secoua doucement la tête.
— C’est pourquoi je ne te poserai plus de questions. Je serai là pour toi,
c’est tout. Prête à tout pour te soulager. Par le sexe, par exemple, si ça peut
t’aider. Sans te forcer à parler si tu n’en as pas envie.
Brynne déglutit avec peine, puis elle posa sa main fraîche sur ma joue et
poursuivit :
— J’ai compris qu’en te forçant à parler, je ne faisais qu’empirer les
choses. Je suis désolée, Ethan, je croyais bien faire…
Je l’interrompis par un baiser. J’en avais assez entendu. Avec de
magnifiques mots, elle me signifiait qu’elle m’acceptait comme j’étais, et pour
moi, il n’y avait rien de mieux pour m’aider à cicatriser. Je savais que c’était
vrai. Ma princesse venait de m’aider à franchir un premier cap. Maintenant que
j’avais son soutien absolu, je pouvais peut-être chercher de l’aide auprès d’une
personne extérieure.
Brynne serra une poignée de mes cheveux. Par ce geste, elle me promettait
d’être toujours à mes côtés, coûte que coûte. Dieu, je l’aimais si fort qu’il n’y
avait pas de mots pour l’exprimer. C’était quelque chose que je garderais tapi
au fond de moi. Tant pis si j’étais le seul à mesurer la profondeur de cet
amour.
Quand je rompis enfin notre baiser, je ne la relâchai pas pour autant.
J’avais besoin de la garder contre moi. Hors de question de la laisser
m’échapper, putain non. Je restai ainsi jusqu’au petit matin.
10
19 octobre, en Écosse
Brynne et moi étions habillés pour un mariage, mais cette fois, ce n’était
pas le nôtre. Aujourd’hui, cet honneur revenait à Neil et Elaina. Enfin… si Neil
tenait le choc jusqu’à l’autel sans nous faire une crise cardiaque.
— Arrête de faire les cent pas comme ça, tu vas finir par creuser un trou
dans ce vieux dallage de pierres. Tu ne vas pas te recroqueviller dans un coin
et te balancer d’avant en arrière comme un aliéné, tant que tu y es ?
Je ne pouvais pas me retenir, la tentation de le descendre en flèche était
trop forte. Sans cesser de fouler le sol, Neil me foudroya du regard.
— Pour toi, c’est facile à dire, tu es déjà marié. Seulement, je me souviens
de l’état dans lequel tu étais à stresser comme un fou. Tu aurais fumé tes clopes
trois par trois si on n’avait pas planqué le paquet.
Je secouai la tête. C’était donc eux ! Les salauds.
— Écoute, mon vieux. Tout ira mieux dans quelques heures. Mais calme-
toi, tu commences à m’inquiéter.
Neil s’arrêta de marcher.
— Je crois que je suis malade, bredouilla-t-il. Tu n’aurais pas une bouteille
d’eau ?
— Non. C’est un putain de whisky qu’il te faut. Relaxe, mon vieux, tout ira
bien.
En prenant de longues bouffées d’air, Neil hocha faiblement la tête.
— Quelle heure est-il ?
— Deux minutes de plus que la dernière fois que tu me l’as demandé.
Le pauvre, il me faisait de la peine. Je m’approchai de lui et lui assénai une
vigoureuse tape dans le dos avant de lui offrir un pieux mensonge.
— Tout à l’heure, quand je suis allé voir Brynne dans la pièce d’à côté, j’ai
aperçu Elaina dans sa robe, prête à t’épouser.
Je ne l’avais pas vraiment aperçue, mais c’était un détail. En revanche,
j’avais bien vu Brynne dans sa jolie robe bleu clair. Délicieuse. J’avais eu
besoin d’être rassuré parce qu’elle s’était réveillée avec un mal de tête ce
matin.
Neil se mit à poser un tas de questions sans même attendre les réponses tant
il était fébrile. De toute façon, j’aurais tout inventé. Ma mission était de le faire
sortir de cette pièce vivant, apaisé et debout afin qu’il marche jusqu’à l’autel.
— Tu l’as vue ? Elle allait bien ? Elle avait l’air stressée ? Est-ce qu’elle
s’inquiétait de…
J’ai menti comme un chef. Ce n’était pas compliqué. Elaina était forcément
ravissante, comme toujours.
— Elle était sublime. On aurait dit qu’elle avait hâte de mettre la bague au
doigt de son gorille préféré. Ce qui me fait penser que je devrais peut-être
t’administrer un tranquillisant.
De quoi le réveiller d’un bond. Il rétorqua aussitôt :
— On en reparlera à l’accouchement de Brynne, quand tu ne seras plus
qu’un tas tremblotant à ramasser à la petite cuillère. T’inquiète, ce sera mon
tour de t’offrir un tranquillisant.
Merde, putain, il marquait un point. Pour l’instant, je préférais ne pas
penser à l’accouchement. Si je m’aventurais sur ce terrain, c’était un coup à
devenir aussi fou que Neil. Ma bouche devait être aussi béate que celle de
Simba quand il attend sa friandise. Je m’empressai de la refermer. Neil était
fier de sa repartie, ce crétin. Les yeux sur ma montre, je pris la décision de lui
dire toute la vérité sur ce qui l’attendait. Après tout, il était mon meilleur ami,
il méritait de savoir. Comme tout le monde, il survivrait.
— Bon, je vais être franc avec toi. Pendant la cérémonie, c’est une putain
d’angoisse à te tordre les boyaux jusqu’au bout. Pour ça, je ne peux pas t’aider.
La bonne nouvelle, c’est que dans cinq heures, tu as la nuit de noces rien que
pour toi. Et là, crois-moi, c’est le pied. Le septième ciel.
Je fis voler ma main comme un planeur.
Neil me regardait comme si j’étais un abruti fini. Je haussai les épaules et
on éclata de rire tous les deux à tel point que c’en était putain de ridicule. Cela
mit de la légèreté, Neil avait l’air beaucoup mieux. Mission accomplie. Il s’en
sortirait. Je ne connaissais aucun mec aussi solide et loyal que lui. Voilà
pourquoi il était mon collègue et confident. Après l’avoir attendue des années,
il allait enfin épouser sa chérie. Et moi, j’étais honoré d’être à ses côtés pour
ce moment unique.
On frappa à la porte, puis la mère d’Elaina passa la tête par l’embrasure.
— Je peux entrer ?
— Je te laisse, mon vieux, glissai-je à Neil, passant le relais à sa future
belle-mère.
De ce côté-là, Neil avait touché le gros lot. Caroline Morrison était une
femme adorable et une mère aimante. L’extrême opposé de ma belle-mère. Je
fis la grimace. Quelle chance ce doit être.
Dans le couloir, je regardai encore ma montre. En me dépêchant, j’avais
encore le temps de m’en griller une avant que les cloches nous appellent.
Le paysage époustouflant d’une nature sauvage offrait un environnement
merveilleux à la demeure de Neil. Au cœur de l’Écosse, elle avait l’envergure
d’une propriété de gentilhomme campagnard. Sous un arbre en fleur, j’allumai
une cigarette. Depuis ma décision de trouver une sorte de remède à mes
« problèmes », mes cauchemars s’étaient calmés. Tout ça, c’était uniquement
grâce à Brynne. Mais côté tabac, je rechutais. Une chose à la fois, me répétais-
je en pompant à fond.
J’écrasai mon mégot et cherchai un endroit où le jeter. Je ne voulais pas le
ranger dans ma poche, ce serait dommage pour mon costard.
Malheureusement, j’avais peu d’options.
— Ethan ?
Je me retournai pour me retrouver face à face avec une personne que
jamais je n’aurais imaginé revoir un jour. Mon cœur se serra, dur comme une
pierre lancée à toute allure dans l’espace. Mon passé refaisait surface.
— Sarah…
Ma voix s’érailla, je n’arrivais pas à en croire mes yeux, elle se tenait là,
juste devant moi, tant d’années après. Elle était toujours aussi belle, le temps
avait glissé sur elle sans laisser aucune trace. Son sourire fit remonter des
souvenirs que je refusais d’affronter. Putain, arrête de me sourire, Sarah. Je ne
le mérite pas.
Quand elle tendit les bras pour m’enlacer, je fermai les yeux, épouvanté à
l’idée de la sensation que ça me ferait – et à l’ironie du destin qui décidait
précisément maintenant de la remettre en travers de mon chemin.
C’est parti !
Ainsi, Sarah avait décidé de se martyriser aujourd’hui. De se jeter devant le
train en marche. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle pouvait en tirer. Elle
voulait rencontrer Brynne… ma femme ? ! Elle voulait qu’on lui raconte notre
somptueux mariage et notre lune de miel en Italie ? Elle était ravie d’apprendre
pour la grossesse de Brynne et s’étonnait gaiement que nous ne souhaitions pas
connaître le sexe de l’enfant ? Elle insistait pour me féliciter quant à la réussite
de Blackstone Security ?
Mais pourquoi ? Comment pouvait-elle supporter tout ça ? Moi, je n’y
arrivais pas. J’avais besoin de foutre le camp.
Pour aller où ? Le seul endroit où me cacher, c’était au fond d’une pinte de
bière. Voire même de quatre pintes. Dans une situation pareille, je ne pouvais
pas trouver mieux.
Au mariage d’un ancien soldat avec ma femme enceinte à côté de moi…
En me bourrant la gueule, j’aurais une excuse pour laisser tomber la
façade polie et bien-pensante de mise pour une célébration de mariage. Ou
peut-être pas.
Et encore, je m’estimais heureux que Brynne ne soit pas plus d’humeur
festive. Comme ça, elle ne remarquerait pas à quel point son mari était
détraqué du cerveau.
J’estimai gérer plutôt bien cette rencontre inattendue avec Sarah alors que
je n’avais pas eu le temps de m’y préparer et qu’on me demandait, dans la
foulée, de faire un discours pour mon meilleur ami devant une foule d’invités.
Et à mes côtés, Brynne resplendissait, prête à donner la vie. Ce n’était pas juste,
putain.
Ne dis pas ça. C’est injuste pour tout le monde. Pour Sarah, et surtout pour
Mike.
Pendant la cérémonie, j’avais eu la tête ailleurs, incapable de cacher quoi
que ce soit à Brynne. Elle me connaissait si bien de toute façon. La pauvre, elle
avait déjà assez de motifs d’inquiétude en plus de se sentir malade. Pas la peine
d’en rajouter.
Je pensais m’en sortir et tenir toute la soirée quand Sarah parvint à
m’intercepter alors que je récupérais un verre d’eau fraîche pour Brynne. Elle
voulait me prévenir qu’elle devait partir. Elle avait… les larmes aux yeux. Elle
disait regretter de ne pas pouvoir rester plus longtemps pour Neil, mais que
vraiment, en nous voyant tous les deux, elle n’y arrivait pas. C’était simplement
trop dur. Trop douloureux. Elle devait partir.
Là, je me mis à picoler.
Ma réaction le fit éclater de rire. Effectivement, Ethan était sur la piste avec
le rencard de Dillon, la belle Gwen aux jambes interminables, visiblement
ravie de tournoyer avec « mon » mari. Lui était saoul comme un cochon.
Toi, tu ne me plais pas du tout, Gwen. Mais alors, pas du tout.
— J’allais venir vous proposer la prochaine danse, mais en m’approchant,
j’ai cru comprendre que vous ne seriez pas emballée. J’ai donc préféré me
taire pour m’épargner un râteau.
Ses yeux couleur ambre brillaient d’une flamme coquine.
Ma décision prise, je lançai un regard en coin à Ethan, puis me levai en
remettant ma robe en place.
— Dillon, je serai ravie de danser avec vous.
Il était doué. Au point de me rendre presque gracieuse sur la piste. Je
m’amusais. Lorsqu’il me faisait tournoyer, ma robe ondulait autour de moi.
C’était divin. Je me sentais jolie et désirable pour la première fois de la
journée et oubliais la demoiselle d’honneur mal à l’aise qui regardait les
autres prendre du bon temps pendant qu’elle complexait d’avoir un fessier en
pleine expansion.
Aux premières notes de Bloodstream, du groupe Stateless, je remerciai
cordialement Dillon pour cet agréable moment et partis à la recherche d’Ethan.
J’adorais cette chanson qui me faisait tant penser à lui. Impossible de danser un
slow sur cette chanson avec un autre homme que lui. Il n’était même plus sur la
piste à danser avec Gwen. Où était-il passé, bon sang ? Mon mari devrait être
là, à danser avec moi et non pas avec une inconnue belle et mince comme un
fil. Alors que toi, tu grossis à vue d’œil.
Honnêtement, cela m’irritait. D’abord, il m’avait tout simplement
abandonnée pour aller picoler au bar avec ses copains, puis il dansait avec une
autre femme. Je n’aimais pas cette sensation. Pour la première fois depuis que
je connaissais Ethan, j’avais l’impression qu’il m’évitait. Mais pourquoi ? Ce
matin, il allait encore très bien, puis avant la cérémonie, lorsqu’il était venu me
voir, il se souciait de mon mal de tête et s’était montré aussi prévenant que
d’habitude. Mais depuis le début de la fête, je le trouvais distant. Il s’était isolé
avec Ivan et Ian, le frère d’Elaina, pour un moment entre mecs, j’imagine.
Était-ce l’ambiance propre à un mariage qui commençait à lui peser ?
Après tout, c’est lui qui avait insisté pour que nous nous mariions, me
rappelai-je. Je n’avais jamais réclamé d’alliance. Il était allé jusqu’au bout de
sa lubie, il fallait se marier à tout prix dans le mois qui arrivait. Du Ethan tout
craché. S’il commençait à regretter son choix, c’était un peu trop tard !
Ce soir, à jouer au salaud, il remportait un maximum de points bonus ! Sa
femme maussade et enceinte l’avait en travers de la gorge.
J’embrassai les mariés et saluai Gaby et Ben en m’excusant de devoir les
quitter mais, vraiment, mon mal de tête refusait de lâcher l’affaire. Pour ce qui
était de tous les autres, je les reverrais le lendemain au brunch. Pour l’instant,
j’avais surtout hâte de poser ma joue sur un oreiller. Faire grandir un mini-
humain dans mon ventre m’imposait des plages de sommeil bien plus
importantes que d’habitude. En me dirigeant vers l’escalier, je m’autorisai à
piquer une colère. Intérieurement, évidemment. Sur le plan amoureux, cette
soirée avait été désastreuse. J’étais refroidie.
Pour moi, entre chercher Ethan partout ou partir me coucher, le choix fut
vite fait. De toute façon, j’avais la sensation d’avoir passé la soirée toute seule.
En arrivant dans notre chambre, je quittai ma robe et enfilai une chemise de
nuit ample et douillette avant de me glisser dans ce lit solitaire. Je me sentais
démunie. Je savais qu’il finirait par me rejoindre, mais quand ?
D’une certaine façon, je pouvais m’estimer heureuse d’être certaine qu’il
me reviendrait. Même s’il se comportait comme un con, je savais que je
pouvais lui faire confiance. Ethan connaissait mes conditions : entre nous, de
l’honnêteté et de la confiance, sinon rien.
Le sexe ne suffit pas à nourrir une belle relation amoureuse.
Pour moi, l’amour était dans le dévouement et la fidélité.
Si Ethan me trompait, je quitterais cette chambre sans regarder en arrière.
Pour moi, ça ne faisait aucun doute.
Et pour Ethan non plus.
11
Le 7 mai 1837,
Je suis allée voir J. aujourd’hui. Je lui ai annoncé la nouvelle. Plus
que tout, j’aimerais qu’il comprenne que je puisse avoir des regrets.
Hélas, c’est impossible tant que je ne serai pas passée de vie à trépas.
Une fois là-haut seulement, j’aurai son avis sur la question…
…Quel sera le prix de la culpabilité ? « Coupable. » Ce simple mot
suffit à m’enterrer de son poids écrasant.
…Mon regret ô combien amer doit à présent demeurer enseveli
dans le silence éternel, ce même silence qui aura brisé le cœur de tous
ceux que j’ai aimés.
…Aujourd’hui encore, j’ai accepté la demande d’un homme qui dit
ne pas avoir de plus grand désir que mon bien, et la permission de me
chérir.
…Ainsi, j’irai passer ma vie à ses côtés à Stonewell Court… mais
l’avenir me fait très peur. Comment pourrai-je jamais être à la hauteur
de ce qu’on attend de moi ?
…Darius Rourke ignore encore que je ne mérite l’amour d’aucun
homme. Je suis déchirée, mais hélas, je me trouve incapable de
repousser les avances de Darius, comme j’étais incapable de repousser
mon bien-aimé Jonathan…
M.G.
HIVER
13
13 décembre, à Londres
Dans la salle d’attente, j’envoyai un message à Ethan pour savoir s’il allait
arriver à temps pour notre rendez-vous avec le Dr Burnsley. Ce n’était pas son
genre d’arriver en retard pour l’échographie. D’habitude, ça l’intéressait
même presque plus que moi. Ou en tout cas, je ne passais pas des heures à
éplucher les sites Internet et les livres consacrés à la période prénatale. Chaque
jour, il avait de nouvelles anecdotes à me raconter sur le développement de
notre bébé et les différentes étapes de sa croissance. De mon côté, je
m’amusais à le traiter de geek écumant la Toile en quête de toutes les infos
bébé, mais en réalité, ça m’arrangeait bien. Comme ça, je n’avais pas à faire
les recherches, il les faisait pour moi.
Blague à part, je commençais à m’inquiéter de ne pas avoir de nouvelles.
J’envoyai encore un texto :
1 problème ? T où ?
Je me demandais si nous allions toujours déjeuner ensemble. Nous avions
pris cette habitude après chaque rendez-vous avec le Dr Burnsley de nous faire
un restaurant avant qu’il ne retourne au bureau l’après-midi. En ce moment, il
avait beaucoup de travail. Juste après le nouvel an, il serait en déplacement
pour la Compétition européenne de sports extrêmes, il avait une mission
d’importance auprès du roi de Lobourg ou Labourg, je ne sais plus
exactement. Ethan n’était pas emballé à l’idée de jouer les baby-sitters pour un
jeune prince couronné lors d’une compétition sportive mondiale, mais en
même temps, lorsqu’un roi s’en remet à vous personnellement, comment
refuser ? De mon côté, je n’allais pas pouvoir l’accompagner en Suisse.
Prendre l’avion au troisième trimestre de la grossesse, c’était proscrit. Je
resterais donc seule, mais ce ne serait que pour une semaine. J’avais l’intention
d’en profiter pour terminer la chambre de bébé. Ou plutôt les chambres.
J’avais deux maisons à équiper avant la fin du mois de février.
C’était décidé, j’irais faire quelques achats après l’échographie, avec ou
sans Ethan. Au départ, j’avais envisagé de m’avancer sur les cadeaux de Noël.
Il ne restait que douze jours et les paquets ne se feraient pas tout seuls.
— Brynne Blackstone, appela l’infirmière en cochant quelque chose sur
son dossier, puis elle m’ouvrit la porte. Allez faire un recueil d’urine. Ensuite,
nous passerons à la pesée.
Elle affichait un gentil sourire, habituée aux femmes enceintes impatientes
d’achever la première mission et angoissée à l’idée de faire la seconde.
Que du bonheur…
Les yeux sur ma montre, je quittai le cabinet d’un pas rapide. J’avais une
heure de trajet avant de rejoindre Brynne chez le Dr Burnsley. J’avais peu de
chance d’arriver à l’heure. Je tâtai mes poches en quête de mon portable.
Mince, où était-il passé ? Ce premier rendez-vous au centre d’accueil des
victimes de SSPT m’avait tellement absorbé que j’avais laissé mon portable je
ne sais où. Putain de bordel de merde ! Comme si je n’avais pas assez de
soucis en tête. La distraction, voilà mon putain d’ennemi, le pire dans mon
domaine. Je ne pouvais pas me permettre d’être distrait, sinon, je risquais de
manquer à mon travail. Je ne pouvais pas, c’est tout. Ces vieux démons que je
déterrais me foutaient un bordel total dans mon quotidien. Là, par exemple, je
devrais avoir mon portable pour prévenir Brynne. Il fallait qu’elle sache que
j’aurais du retard pour ne pas l’inquiéter.
En sortant dans le couloir, je la vis pour la deuxième fois. Elle quittait un
autre cabinet que celui du Dr Wilson, mais de toute évidence, était là pour les
mêmes raisons que moi. Finalement, ce n’était pas surprenant. Ton premier
devoir de la semaine. Mon premier pas vers l’acceptation de mon problème me
menait droit vers elle.
— Sarah, attends ! criai-je.
— J’ai envie d’entrer par là, grogna-t-il en pressant ses deux doigts à
l’issue de ma croupe.
J’en eus aussitôt des soubresauts, il avait mis le feu à mes zones érogènes.
— Oui… d’accord.
Deux mots, et je cessai de parler.
Aucune parole ne pourrait plus sortir de ma bouche tant que je serais dans
cet état d’anticipation et d’excitation sexuelles. Je n’avais jamais peur de ce
qu’il pourrait me faire. Quoi que ce soit, c’était forcément un instant
extraordinaire avec Ethan.
— Tu me coupes le souffle, ronronna-t-il derrière moi tout en préparant le
terrain.
J’étais consciente qu’il profitait du spectacle : moi à genoux, penchée en
avant. Armé d’une noisette de lubrifiant, il prépara davantage mon entrée. Bien
sûr, il était délicieusement épais et large, mais je n’étais pas contre l’idée
d’enduire le passage.
Il saisit mes fesses à pleines mains pour les écarter.
Je compris ce qui m’attendait une seconde avant de la sentir. Sa langue
magique.
Cet acte préliminaire me porta dans un état second, et quand je fus prise de
vertige, il cessa ses coups de langue pour retrouver sa position derrière moi.
— Je te jure, ma belle. J’en ai le souffle coupé à…
Son extrémité étira les parois de mon anus.
— … tous…
Il enfonça son gland.
— … les…
Je le sentais énorme, imposant, il forçait le passage avec le besoin viscéral
de me pénétrer et, intérieurement, je le suppliais de le faire.
— … COUPS ! hurla-t-il à l’instant où sa verge s’enfonçait en moi jusqu’à
la garde, frappant mon sexe de ses bourses.
— Oh ! haletai-je à cette délicieuse invasion.
Son membre dur profondément en moi, je me laissai aller à cette sensation
qui frôlait la douleur sans jamais vraiment l’atteindre. À peine eus-je le temps
de trouver mon équilibre qu’il se mit à aller et venir à une cadence lancinante.
Je commençais à trembler comme une feuille, je chavirais, j’arrivais à peine à
respirer.
— Prête, ma belle ? gronda-t-il à mon oreille, frottant sa barbe de trois
jours à mon épaule pour se stabiliser en attendant ma réponse.
Il guettait mon feu vert, ce moment où je le laissais me prendre, où
j’acceptais la domination physique qu’il m’imposait.
Cette approbation, je la lui donnerais toujours. J’en avais terriblement
envie.
— Ouiiiiiii !
La tête en arrière, je savourai cet instant sans un mot de plus, uniquement
focalisée sur le contrôle de mes sens avant le moment de lâcher prise.
— Oh, putain, ouais !
Empoignant fermement mes cheveux, il adopta le rythme, me pénétrant de
cette chair masculine et maîtrisée.
— C’est tellement bon, murmura-t-il encore, poussant des grognements à
chaque coup de boutoir qui me transportait toujours plus loin dans un rodéo de
sensations follement érotiques. Tu es sublime, et sexy à tomber, putain.
J’adorais comment il manœuvrait mon corps avec sa queue. Il me
possédait absolument, de tous les côtés.
Dans sa voix, j’entendis autre chose encore que le désir, une sorte de
désespoir, un besoin incontrôlable de fondre nos corps pour ne faire plus
qu’un, au point de ne plus savoir où finissait l’un et où commençait l’autre. Sa
queue, ses doigts, sa langue, son souffle, son sperme, tout de lui voulait se
confondre en moi.
C’est ainsi qu’Ethan me poussa jusqu’à l’orgasme et me soutins d’une
main comme j’étais pulvérisée de plaisir. Il se donna plus encore dans l’acte,
son membre gonflé au point d’être dur comme la pierre juste avant
l’explosion. Au moment d’éjaculer, il hurla des mots d’amour, d’adoration,
d’adulation, pour moi… moi seule, en m’emplissant totalement.
3 janvier, à Londres
L’instant maquillage me fascinait. Je n’arrivais pas à décrocher mon
regard de Brynne. Pourvu qu’elle ne me remarque pas, je ne voulais pas la
gêner. Je savais qu’elle s’inquiétait un peu ces derniers temps, car son corps
avait beaucoup changé avec la grossesse. Mais moi, je la trouvais toujours
aussi belle. Notre myrtille avait grandi avec elle pour devenir une petite
personne de trente-deux semaines qui donnait des coups de poing à tout-va
pour le plus grand plaisir de son papa.
— Dépêche-toi de te préparer, on va être en retard. Tante Marie n’aime pas
attendre…
Elle ne termina pas sa phrase, trop concentrée par son reflet dans le miroir
pendant qu’elle appliquait une sorte d’ombre autour de ses yeux. Sa petite tenue
noire me faisait loucher. Il faut dire qu’elle n’avait pas fini de s’habiller.
Je compris qu’il fallait que je me reprenne ou nous n’arriverions jamais à
temps pour le repas d’anniversaire de mon père. Pour me calmer, je redirigeai
mes pensées vers le travail. C’était diablement efficace. Il me suffit de songer à
ma mission auprès du jeune prince Christian de Lauenbourg, lors de la
Compétition européenne des sports extrêmes, pour me refroidir aussitôt. Je
partais dans deux jours, et je n’avais aucune envie de laisser Brynne toute
seule.
Putain de boulot.
— Mais moi, je préfère te regarder, insistai-je.
Elle poussa un charmant soupir.
— Avec mes fesses qui grossissent à vue d’œil pour entrer en concurrence
avec mon bide, tu parles d’un spectacle. En bout de course, moi je veux juste le
bébé, pas les kilos.
Son regard croisa le mien dans la glace. Que se passait-il dans cette jolie
tête ? Ma femme nourrissait le mystère. Ça ne me déplaisait pas. Au contraire,
ça me donnait encore plus envie de la comprendre, d’en découvrir davantage
sur elle. Depuis le début, elle me rendait toujours aussi curieux et je n’avais
aucun doute que cela ne changerait jamais.
— Ton cul est parfait. Et les poignées d’amour portent bien leur nom, tu ne
m’entendras jamais m’en plaindre, la rassurai-je avec un clin d’œil, puis je
m’approchai derrière elle et posai les mains sur son ventre. De derrière, on ne
dirait même pas que tu es enceinte. Il faut que je mette les mains là pour me
convaincre qu’il y a un truc là-dedans.
Du bout des doigts, je tâtai la surface dure de ce cocon où se renforçait
notre enfant. Brynne s’appuya contre moi.
— Ça, pour y avoir un truc, il y en a un. C’est toi qui l’y as mis, d’ailleurs.
— Une étape qui m’a beaucoup plu, ricanai-je.
— Oui, je me souviens, fit-elle sèchement.
— Ne prends pas cet air blasé, toi aussi tu as pris ton pied, rétorquai-je, et
je saisis ses seins à pleines paumes en les soupesant. Quant à ces deux-là, ils
ont « énormément » changé, et pour mon plus grand plaisir.
— J’avais remarqué.
Les yeux fermés, elle étira son cou en se laissant malaxer selon mon bon
vouloir, toujours prête à s’offrir à mes envies les plus libertines.
— Mmmh, vous êtes divine, madame Blackstone. Et vous le serez toujours.
— J’adore quand tu m’appelles madame Blackstone. Je te l’ai déjà dit ?
s’enquit-elle en braquant sur moi ses si jolis yeux.
— Oui, quelques fois. Je suis ravi que votre nouveau nom vous plaise,
affirmai-je, échangeant un sourire avec son reflet dans la glace. Moi aussi,
j’aime t’appeler comme ça. Je suis content que mon nom soit devenu le tien. Il
y a un tas de choses qui me plaisent aujourd’hui.
Sans quitter le miroir du regard, elle leva une main pour toucher ma joue.
— Pour toi aussi, ça va changer. La personne qui ne va pas tarder à nous
rejoindre t’appellera par un tout nouveau nom.
— Papa.
— Oui. Tu vas être papa, sourit-elle avec une pointe de tristesse, sans doute
à l’idée que son père à elle n’était plus parmi nous. Et tu seras le meilleur papa
du monde.
Sa générosité m’époustouflait. Malgré son deuil et son chagrin, elle était
prête à donner tout son amour. Ma belle courageuse. J’embrassai son épaule
avant d’y poser mon menton, admirant son visage dans la glace.
— J’aime entendre ce nom. Papa. Je suis un papa, et toi une maman.
— Oui.
Je reposai les mains sur son ventre.
— J’aime notre ananas.
Je la retournai dans mes bras pour encadrer son visage.
— Et je t’aime, madame Blackstone.
— Et moi, je t’aime encore plus.
15
4 janvier, à Londres
L’association caritative qu’avait soutenue mon père de son vivant envoyait
un message dès qu’un don était effectué à son nom. Cette fois-ci, le chiffre qui
me fut communiqué me fit loucher. Je vérifiai… oui, il y avait bien six zéros.
Le deuxième électrochoc fut provoqué par le message qui accompagnait ce
don en commentaire :
Je t’en supplie, Brynne, laisse-moi m’expliquer.
Lance.
Je n’en croyais pas mes yeux. C’était lui ? Il avait dépensé une somme
faramineuse au nom de mon père pour la bourse au mérite de l’université ? Il
aidait les plus démunis à avoir accès aux études supérieures ?
Mais pourquoi ?
Je n’arrivais pas à comprendre ce qui pouvait le motiver, mais il fallait que
je sache. M’emparant de mon sac à main, je fouillai les poches latérales
jusqu’à retrouver sa carte de visite. Au verso, il était bel et bien écrit à l’encre
bleue :
Je t’en supplie, Brynne, laisse-moi m’expliquer.
Les mains tremblantes, j’envoyai un texto à Lance. J’avais le cœur lancé à
cent à l’heure, j’étais effrayée de ce qu’il allait me dire mais je ne pouvais plus
reculer, je devais savoir.
Ethan était au bureau, occupé par l’organisation de son départ en Suisse
prévu pour le lendemain. Je ne lui avais toujours rien dit au sujet de ce que
Lance m’avait glissé à l’oreille sur son lit d’hôpital, ni de notre rencontre le
jour de ma dernière échographie. Plus le temps passait, et moins j’avais envie
d’en parler. À quoi bon de toute façon ? J’avais déjà trop à faire au quotidien,
je n’allais pas en plus me tracasser avec ce merdier qui avait eu lieu des années
plus tôt.
Je ne dis rien à Ethan, même si, au fond, je sentais que j’aurais dû le
prévenir. Mais il n’aimerait pas savoir que je m’apprêtais à rencontrer Lance.
Il risquait de piquer une telle crise de jalousie qu’il rendrait toute rencontre
impossible et sa présence n’arrangerait rien. Non, il fallait que je voie Lance
seule. C’était mon histoire. Mon passé. J’étais la seule à pouvoir affronter mes
démons une fois pour toutes.
Je laissai donc simplement un mot sur le comptoir de la cuisine. Si jamais
il rentrait avant moi, il serait prévenu que j’étais sortie me promener.
Nous nous sommes dit adieu sur le trottoir, au milieu d’une foule de
journalistes, de gardes du corps et de chauffeurs. J’en avais le vertige. Je
devais me dépêcher de rentrer à l’appartement afin de préparer le dîner pour
Ethan. Demain, il se lèverait tôt pour partir en Suisse une semaine.
Cet échange avec Lance me laissait un goût étrange, mais bon, je me
sentais plus légère. J’avais toujours honte de mon comportement de l’époque
qui m’avait menée sur cette table de billard sept ans plus tôt, mais désormais, la
fille que j’étais me répugnait moins. C’était comme une libération, un nouveau
sentiment qui, je l’espérais, ne me quitterait plus jamais.
— Merci, Lance.
Il me lança un drôle de regard.
— Pourquoi tu me remercies ?
— Parce que tu m’as donné ta version des faits. Quelque part, ça m’aide…
à me libérer.
Ma main posée sur le sommet de mon ventre, je ne sus trouver les mots
pour décrire un sentiment si intime, mais dans mon cœur c’était limpide.
— Je vais bientôt être mère, repris-je. Je veux que mon enfant ait une
maman capable de garder la tête haute. Une maman convaincue qu’elle n’a rien
fait de mal, qu’elle est quelqu’un de bien, et qu’elle a simplement fait une bêtise
parmi une longue liste d’autres bêtises.
— Tu es quelqu’un de bien, Brynne. On fait tous des bêtises,
malheureusement. Et, parfois, une tragédie s’abat sur nous sans qu’il y ait de
rapport avec les bêtises qu’on a pu commettre.
Lance baissa les yeux sur sa prothèse.
— Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ?
— Je vais rentrer chez moi et réfléchir à quoi je vais bien pouvoir
m’occuper maintenant que j’en ai fini avec l’armée. Je vais apprendre à vivre
avec une seule jambe. Pourquoi ne pas reprendre mes études et décrocher enfin
mon diplôme de droit ? Je ne sais pas.
— Bonne idée, fais-le si c’est ce que tu veux, lui dis-je en souriant. Les
profs guindés de la fac de Stanford vont raffoler de tes tatouages.
Il eut un rire.
— Ouais, autant que les politicards. Mais il faut les bousculer un peu, ça ne
leur fait pas de mal.
Son chauffeur lui ouvrit la portière, signe qu’il était temps d’y aller.
— Je crois qu’on t’attend, fis-je remarquer en désignant la voiture.
— Ouais, marmonna Lance avec un regard qui me disait qu’il n’avait pas
terminé. Hum, Brynne ?
— Oui, Lance ?
— Ça m’a fait du bien de vider mon sac. Plus que tu ne peux l’imaginer. Tu
aurais dû connaître la vérité il y a bien longtemps. Merci encore d’avoir
accepté de me voir.
Marquant une pause, il respira profondément comme pour reprendre
courage.
— Tu es plus belle aujourd’hui que tu ne l’étais à dix-sept ans. Et je suis
heureux de t’avoir vue enceinte. Tu feras une mère exceptionnelle. Rappelle-toi
que tu es belle, malgré l’image qu’on peut parfois se faire de nous-même. Moi,
je me souviendrai toujours de celle que tu es aujourd’hui.
Il termina sur un sourire, mais je voyais bien que ses aveux l’avaient
retourné. Cette conversation avait été lourde en émotions autant pour lui que
pour moi. À présent, il était temps de se dire adieu.
Je ne savais quoi répondre, mais venant de lui, ces compliments m’allaient
droit au cœur.
— Prends soin de toi, Lance, déclarai-je en lui tendant la main. J’espère
qu’à partir d’aujourd’hui tu pourras enfin réaliser tes rêves.
Lance accepta ma poignée de main, et m’attira brièvement contre lui pour
un semblant d’étreinte, joue contre joue. Et puis, il monta dans sa limousine et
referma la portière, disparaissant derrière les vitres teintées.
Et en un instant, Lance Oakley avait disparu.
Christian et ses quatre compères avaient choisi une pente à l’épais manteau
de poudreuse, non loin des pistes balisées, mais ça ne me donnait pas pour
autant un sentiment de sécurité. J’étais parfaitement conscient des risques.
Avant de partir, je leur avais demandé de préparer leur sac à dos avec la sonde,
la pelle, et le signal de détresse. J’avais observé comme beaucoup de gens
deviennent euphoriques en pratiquant le hors-piste et oublient le danger.
L’épaisseur de la neige pouvait varier d’un mètre à l’autre. J’avais vu des
skieurs dévaler des pistes en même temps qu’une avalanche, comme s’il n’y
avait rien de plus normal. Certains en étaient morts. Étrange mentalité.
— Rappelez-vous de diriger votre planche vers un arbre ou vers la crête
de la montagne dès que vous entendez un grondement derrière vous, leur
avais-je fait la morale à chacun. Et ne ralentissez sous aucun prétexte.
— Oui, papa, s’était moqué Christian, les yeux rieurs.
Je remarquai alors qu’ils avaient la même particularité que ceux de
Brynne. Ils changeaient de couleur selon la lumière et les vêtements qu’il
portait. Elle me manquait tellement fort.
— Je suis sérieux, les gars. On ne rigole plus quand il s’agit d’avalanche.
Quand je rouvris les yeux, je voyais le ciel. C’était plutôt bon signe. Ça
voulait dire que je n’étais pas enseveli sous dix mètres de neige. Je respirais.
En baissant les yeux, je compris d’où venait le craquement de tout à l’heure.
Ma botte gauche pointait à 180 ° sur le côté. Ça sentait la fracture ouverte à
plein nez. Et merde. Je remuai pour m’asseoir et évaluer les environs.
J’avais été balayé si loin que je ne voyais rien d’autre que du blanc. Des
gouttes de sang rouge vif maculaient le sol. Je sentis comme un chatouillement
le long de mon visage, mais mes gants m’empêchaient de savoir d’où venait le
sang.
Dans mon métier, on connaît ses priorités : j’activai donc mon signal de
détresse. Ensuite, je vérifiai l’état de ma jambe. Putain. Elle était en piteux état.
Terminées les randonnées jusqu’à nouvel ordre. Dans ma culbute, ma planche
avait disparu au pied de la montagne.
Je pris une profonde inspiration. Attrapai mon mollet. Comptai jusqu’à
trois. Tournai brutalement ma jambe pour lui rendre sa position normale. Et
perdis connaissance.
J’eus envie de sourire parce que je ne ressentais plus le froid. J’avais mal à
la jambe, mais ça n’avait plus d’importance. Je me sentais au chaud, tapi au
creux de mes souvenirs de Brynne, là où tout allait bien. Depuis le premier
jour, la toute première fois que nos regards s’étaient croisés, elle était ma
lumière. Elle m’avait aimé et aidé à reprendre le dessus à un moment où je n’y
croyais plus. Bientôt, nous aurions un bébé. D’y penser me rendait à la fois
heureux et triste. Là où j’allais, je ne verrais pas cet enfant. Il ou elle ne me
connaîtrait jamais. Mais Brynne lui parlerait de moi. Elle serait une excellente
mère. Elle l’était déjà. Brynne réussissait tout ce qu’elle entreprenait, et être
mère ne faisait pas exception à la règle. Il me restait peu de temps. Je ne
pourrais pas tenir ma promesse. C’était le pire de tout. Je lui avais promis de
revenir. Je lui avais dit que rien ne pourrait jamais m’empêcher de lui revenir.
J’avais absolument besoin de lui dire combien je l’aimais et combien elle
m’avait rendu heureux. Comment pouvais-je partir alors que j’étais aimé par la
femme la plus exceptionnelle au monde ? La seule à avoir su voir jusqu’au
fond des ténèbres de ma personnalité pour comprendre qui j’étais vraiment. La
seule à m’avoir donné le sentiment d’avoir gagné à la grande loterie du
bonheur, putain. Ce n’était pas si difficile à accepter que ma vie soit
brutalement interrompue. Le seul fait d’avoir connu Brynne m’emplissait de
joie.
Brynne était ma vie. La dernière pièce du puzzle qui avait complété mon
tout.
Il fallait que je trouve un moyen de le lui faire savoir afin qu’elle ne
s’inquiète pas pour moi. Je voulais qu’elle sache que j’avais été heureux les
derniers instants de ma vie grâce au plus rare des cadeaux, au plus précieux,
celui d’avoir pu l’aimer.
17
10 janvier, à Londres
Neil et Elaina ne voulaient rien entendre. Depuis le départ d’Ethan, ils
insistaient pour que je dîne chez eux ou qu’ils viennent chez nous tous les soirs
jusqu’à son retour. Sans doute une idée d’Ethan. Je pouvais comprendre. Après
tout, ils habitaient l’appartement d’en face, dans le couloir. Heureusement
qu’on s’adorait.
Mais tout de même, ils étaient jeunes mariés et avaient besoin d’intimité,
insistai-je. Ce n’était pas en passant leurs soirées avec moi que Neil et Elaina
allaient faire le bébé qu’ils essayaient de concevoir. À cet argument, ils avaient
éclaté de rire et fait des commentaires cryptés – à croire qu’ils avaient déjà
réussi et attendaient encore avant d’annoncer la nouvelle. Je le leur souhaitais.
Ils étaient faits l’un pour l’autre. À force de nous fréquenter, j’avais appris
qu’ils se connaissaient depuis l’enfance. Le destin les avait réunis dès le début.
J’étais ravie que l’amour les ait liés.
L’autorité d’Ethan m’agaçait, mais en même temps, c’était tout lui.
Protecteur, attentionné… et prudent. Je me demandais comment se passait sa
mission auprès du prince Christian, dans les Alpes suisses. Tous deux, nous
avions appréhendé ce départ. Le pire pour moi, c’était de l’avoir vu partir
alors que nous n’avions pas eu le temps de nous réconcilier.
Mon homme me manquait terriblement, je voulais qu’il rentre. Je voulais
lui vider mon sac concernant tout ce que Lance m’avait dit. Et en échange,
j’espérais qu’Ethan se confierait aussi. Nous reprendrions là où nous nous
étions arrêtés avant cette affreuse soirée de dispute sur des sujets qui ne
valaient pas le coup que l’on se fasse autant de mal. En tout cas, à mes yeux.
Ethan partageait cet avis, j’en étais sûre.
Quand tôt le lendemain matin, seule dans ce grand lit, je fus tirée de mon
profond sommeil, j’en fus effrayée. M’apercevant qu’Elaina s’était introduite
chez moi pour me réveiller, je compris que c’était grave. Neil était sur le seuil
de la porte et je me mis à pleurer, les mains sur ma poitrine. Dès qu’ils
laissèrent tomber la sentence, « il est arrivé quelque chose à Ethan », je poussai
un cri déchirant.
Je leur hurlai, par pitié, de ne rien me dire.
En Suisse
Du vert fluo me brûlait la rétine. C’était quoi, putain ? ! J’essayai de me
débarrasser de ce qui me couvrait la figure, en vain.
— Ethan… oh, bordel. On a mis du temps à te trouver.
— Quoi ?
J’essayai de reprendre mes esprits, mais le soleil brillait si fort que je n’y
voyais rien. Je ne voyais que ce vert électrique. Cette couleur me rappelait le
blouson de Christian quand il avait dévalé la piste devant moi, juste devant…
— C’est toi, Christian ? Tu vas bien, ouf, bafouillai-je.
J’étais tellement soulagé que je l’aurais embrassé, ce crétin. Enfin, si je
trouvais son visage. Le roi avait encore son héritier, tout allait bien, putain.
— Christian, murmurai-je. Je dois savoir… est-ce que les autres sont
vivants ?
— Oui ! On est là, mon vieux. Toi aussi, tu t’en es sorti.
Vraiment ? C’était difficile à croire.
— Mais je suis coincé sur cette montagne, je ne peux pas marcher… Ma
jambe est foutue.
J’étais rassuré que Christian et les autres soient saufs, mais je ne voyais pas
comment je sortirais de là en vie. Ce n’était plus qu’une question de temps.
J’étais conscient de mon piteux état. Je n’arrivais pas à distinguer le visage de
Christian. Tout était flou. Et j’étais tellement… tellement fatigué.
— Je sais, dit-il en posant un truc dur contre ma bouche. Bois, mon vieux.
Ça te fera du bien.
Je bus un liquide que je ne reconnus pas. Je ne ressentais rien d’autre que
l’épuisement. Et puis, je me souvins soudain de ce que je devais faire. C’était
plus important que tout. Je repoussai la bouteille.
— Christian, tu as ton téléphone ? J’ai perdu le mien. Je dois appeler… ma
femme. Il faut que je lui dise quelque chose…
— Accroche-toi, Ethan, ils arrivent pour te chercher. Ça va aller, mon
vieux.
— Non, je dois appeler Brynne. Tout de suite !
Il fallait qu’il comprenne, bon sang !
— Ça ne capte pas, Ethan. Elle ne pourra pas décrocher.
— Pas grave… elle le recevra quand tu capteras. Un texto… vocal… Je
t’en supplie !
J’essayai de l’attraper par le col.
— D’accord, d’accord, calme-toi, Ethan. Donne-moi son numéro.
Je lui dictai les chiffres en articulant bien pour ne pas me tromper. C’était
crucial.
— Vas-y, enclenche la saisie vocale… et laisse-moi parler.
Christian me tendit le téléphone que j’eus du mal à attraper avec mes gants.
Il m’aida à le tenir et me dit quand commencer à parler.
— Brynne, mon amour… N’aie pas peur, d’accord ? Ne sois pas triste. Je
t’aime et je suis heureux. Très, très heureux… parce que j’ai eu la chance
d’être avec toi… de t’aimer. Je serai toujours là, à vous aimer depuis ailleurs,
toi et notre Laurel-Thomas.
C’était la lutte pour ne pas craquer. Il n’y avait rien de plus dur que de dire
au revoir. Comment en étais-je arrivé là ? Bref, je devais lui dire. Rien ne
pouvait m’arrêter.
— … tu m’as redonné goût à la vie, mon amour. Je t’aime tellement fort, et
je t’aimerai toujours… pour l’éternité.
Voilà, j’y étais arrivé. Elle m’entendrait pour la dernière fois en sachant la
vérité. Ma vérité.
Maintenant, je pouvais tranquillement fermer les yeux. J’étais si fatigué…
Je me sentis flotter, en paix, dérivant je ne sais où. Une idée me vint, je
repensai à ma mère. J’allais la revoir, c’était tellement agréable comme
pensée. Je ne m’étais jamais senti aussi libre, comme si j’étais à peine retenu
par… quelque chose de léger.
Des ailes ?
Oui, c’était la même sensation que si j’avais des ailes qui me soutenaient,
dans le dos. Des ailes en soie déployées en deux arcs immenses. Douces et
pourtant puissantes. Je mis un long moment avant de comprendre à qui elles
appartenaient. C’étaient les ailes d’un ange.
Un ange me portait.
12 janvier, à Londres
Reviens-moi…
Je suis là, Ethan. Je serai toujours là. Reviens quand tu seras prêt. Je
t’attendrai avec Laurel-Thomas. On a besoin de toi. J’ai besoin de toi pour
continuer. Tu sais que je ne te laisserai jamais tomber. Jamais.
Je restai au chevet de mon mari dans son lit d’hôpital. Reviens-moi, mon
chéri. Cet hôpital où j’avais rendu visite à Lance. Mais j’étais reconnaissante. Il
était enfin à mes côtés. Je pouvais le toucher, le voir, et les médecins pouvaient
faire leur travail. Neil avait le bras long, il était parvenu à faire rapatrier Ethan
en avion jusqu’à Londres. Ivan aussi avait ajouté son grain de sel. Je ne sais pas
comment j’aurais fait sans eux. Si Ethan était resté en Suisse, où je n’aurais pas
pu le rejoindre, il aurait fallu me ligoter pour que je ne saute pas dans le
premier avion.
Je crois que Jonathan et Marie essayaient de me convaincre de rentrer à la
maison, mais ils pouvaient toujours rêver. Finalement, ils étaient partis
chercher à manger avec la promesse de revenir très vite. Qu’ils essaient toutes
les techniques, même par la force, je refuserais de bouger. Ma place était ici. Je
ne te quitte plus, mon chéri. Je reste là jusqu’à ton réveil.
Je ne pouvais pas faire grand-chose de plus. L’hôpital s’occupait de tout :
les points de suture, tout près de l’œil droit, au-dessus de sa pommette – il en
garderait la cicatrice ; la chirurgie pour soigner sa jambe gauche ; le tibia et le
péroné tous les deux cassés étaient à présent réparés. Grâce aux broches, il s’en
remettrait vite. Pour l’instant, mon mari « dormait ». Son corps avait besoin de
repos.
Je restais donc à ses côtés et le rappelais à moi. J’ai eu ton message, celui
du téléphone de Christian. Il a été adorable, il se faisait beaucoup de souci
pour toi. Il m’a appelée pour me rassurer parce que ton texto risquait de me
faire peur. Il m’a expliqué qu’ils voulaient aller skier hors piste. Et toi, tu as
insisté pour qu’ils prennent certaines mesures de sécurité. Christian m’a dit
qu’ils avaient tous fait comme tu leur avais dit, et grâce à toi, ils s’en étaient
tous sortis. Il s’en veut énormément que ce soit toi qui aies été blessé…
Une lourde main se posa sur mon épaule.
— Ils n’avaient que de la mûre, j’espère que tu aimes ça.
Ivan plaça la tasse de thé dans mes mains.
— Ah, et je t’ai pris ça, aussi, ajouta-t-il en me donnant une barre
protéinée. Avale ça maintenant, s’il te plaît.
Doucement, je relevai la tête vers lui, sous le choc. Il avait prononcé les
mêmes mots avec le même geste. Il me regardait, les sourcils froncés. Un
grand type aux yeux verts, avec les cheveux plus longs que ceux d’Ethan. Aussi
beau que son cousin, mais différemment. Ivan avait les traits plus fins, tandis
qu’Ethan avait ce côté rustre et viril. Cependant, la ressemblance était
frappante. Aucun doute, ils partageaient les mêmes gènes, le même sang, le
même esprit.
Cette barre protéinée qu’Ivan me tendait me rappelait le souvenir limpide
de ce tout premier soir, quand Ethan m’avait raccompagnée chez moi après le
vernissage de Benny. Tout me revint d’un bloc. Je retrouvai l’odeur d’Ethan et
la chaleur des sièges de sa Rover. Je me souvins clairement qu’il avait posé la
barre sur mon genou et avait attendu que je mange avant de reprendre la route.
Ce côté autoritaire du style « obéis et fais pas chier ». Cette domination à
laquelle je n’arrivais jamais à dire non. Reviens-moi, Ethan.
— D’accord, acquiesçai-je.
Mes yeux se mouillèrent, je m’efforçai de maintenir le cap, d’être forte
pour Ethan.
— C’est bien, dit doucement Ivan en s’asseyant sur la chaise voisine. Il
piquerait une colère s’il apprenait que tu ne t’occupes pas bien de toi.
— Je sais.
Je mordis dans la friandise et mâchai lentement. Tant pis pour cet affreux
goût de sciure. Une gorgée de thé pour faire descendre le tout. Si je n’avais pas
faim, mon petit ange papillon, lui, avait besoin de prendre des forces.
— Merci, me souffla-t-il avec un tendre sourire.
Au chevet d’Ethan, je découvrais une facette d’Ivan que je ne connaissais
pas. Ivan Everley incarnait d’habitude un subtil mélange de charme ravageur et
de repartie cinglante. Mais pas aujourd’hui. Il s’inquiétait pour Ethan, ça
crevait les yeux. J’avais toujours la sensation que ces deux-là étaient plus des
frères que des cousins. Dans leur cœur, en tout cas, ils étaient frangins.
— Le soir de notre première rencontre, Ethan m’a acheté une barre
protéinée et m’a forcée à la manger, lui racontai-je.
J’avais beau les chasser du revers de la main, mes larmes coulaient en
continu.
Ivan passa un bras autour de mes épaules et m’attira contre lui.
— Ethan est fou amoureux de toi. Je suis sûr qu’il se bat. Je le connais. Je
sais comment il fonctionne. Il lutte pour te retrouver, Brynne.
Je hochai la tête, incapable de lui répondre. Il ne me restait qu’une chose : y
croire. Les paroles d’Ivan étaient le seul lien qui me restait avec Ethan et je m’y
accrochais de toutes mes forces, ne laissant aucune place au doute.
Nous sommes restés assis là, tous les deux, laissant à Ethan le temps qu’il
lui était nécessaire pour revenir parmi nous.
Ce n’était pas trop tôt. Je respirais enfin son odeur. Je respirais des
bouffées de Brynne. Je m’en gargarisais. Comment était-ce possible ? Je lui
avais dit adieu là-haut, sur la montagne. Pourtant, je me sentais… différent.
C’était le jour et la nuit.
Je retrouvais possession de mes sens. Je sentais mes mains, mes orteils, ma
tête. Est-ce que ça veut dire que… je m’en suis sorti ? Oh, oui, oh putain !
C’était l’euphorie. J’étais vivant et Brynne était là, à mes côtés. C’était si bon…
cette caresse. On me massait les cheveux, encore et encore. Je connaissais ces
doigts. Ils appartenaient à la plus douce des mains, celle que j’avais sentie,
tenue, embrassée. Cette main me caressait doucement le crâne. La main de
Brynne me touchait. C’était la sensation la plus extraordinaire du monde,
putain ! Il me tardait de lui dire que je l’aimais, que j’allais bien, mais je
n’arrivais pas à parler. Je ne pouvais qu’inhaler son parfum et me délecter de
ses doigts sur ma peau. J’étais vivant. C’était un miracle. Je me souvenais des
ailes d’ange qui m’avaient soulevé haut dans le ciel tandis que je flottais entre
la vie et la mort. Ça me rappelait ce jour où j’avais déjà vécu cette même
expérience.
Merci, maman. Encore une fois.
Au comble du soulagement, je compris que je pouvais arrêter de me battre
et dormir encore un peu, avec ma femme à mes côtés.
Des petits coups de pied sous ma paume. J’adorais cette sensation. Chaque
fois, ça me faisait sourire. Laurel-Thomas parlait à son papa. Quelle force ! Tu
as grandi, dis-moi. Je caressai ce ventre doucement et m’imaginai quelle partie
du corps je touchais. Était-ce des petites fesses ou un crâne rond ? De nouveaux
coups de pied. Je me mis à rire. Quel putain de bonheur, le meilleur au monde !
C’était magique, un cadeau tombé du ciel au moment où je m’y attendais le
moins.
— Ethan a ri. Tu as entendu, Ivan ? Il a ri quand il a senti les coups de pied
du bébé.
Je reconnaissais cette voix. Ma chérie parlait à Ivan.
J’ouvris doucement les yeux.
— Ça a marché, lâcha Brynne dans un soupir. Tu m’es revenu.
Les traits de son visage étaient tirés par les pleurs. Elle était épuisée. Des
cernes lui soulignaient les yeux. Ses cheveux étaient emmêlés. Ses yeux voilés
de larmes. Mais de la voir là, tout près de moi, c’était la plus belle chose que
mes pauvres yeux aient jamais vue.
— Brynne… mon amour, articulai-je avec un sourire, en détaillant chaque
parcelle de ce magnifique visage. Quand j’étais en haut de la montagne, j’ai
rêvé de toi. Il faisait si froid… de penser à toi, ça m’a réchauffé… j’ai compris
que tout irait bien. J’étais heureux. Je n’avais pas peur.
— Oh, Ethan, Ethan, Ethan…, sanglota ma chérie, enfouie contre mon
torse, en balançant son front d’avant en arrière.
Balayant la pièce du regard, je compris qu’on était à l’hôpital. Tous les
deux allongés sur le flanc, face à face dans le lit. Brynne était venue me
rejoindre sous les draps pour que je la sente près de moi, puis elle avait posé
ma main sur son ventre où Laurel-Thomas tambourinait pour se faire entendre.
Tous les deux m’avaient rappelé à eux.
Je regardai mon cousin et lus sur ses lèvres : « C’est bon de te revoir. »
« Merci », mimai-je en retour. Je lui étais reconnaissant d’avoir pris soin
de Brynne en mon absence. Il me décocha un grand sourire et quitta
discrètement la pièce en agitant sa main à l’oreille manière de me dire
« appelle-moi ».
— Je t’aime tellement fort, chuchotai-je en m’efforçant de ne pas me
laisser emporter par l’émotion.
Je la pris par le menton pour lui faire croiser mon regard. J’avais besoin
de me plonger dans ses yeux. Ensuite, une fois noyé dans cet océan
multicolore, j’aurais besoin de l’embrasser pendant un très, très long moment.
Elle devait encore être sous le choc, parce qu’elle répétait les mêmes mots
en boucle.
— Tu m’es revenu.
— Oui, ma belle. C’est toi qui m’as ramené. Tu as réussi à me faire
revenir. Avec l’aide d’un ange.
15 janvier
Ethan était silencieux sur le chemin du retour de l’hôpital. Nous étions côte
à côte sur la banquette arrière, Len au volant. Ethan serra ma main très fort,
presque trop fort, mais je le laissai faire volontiers. Ethan avait ce besoin de
me toucher, ne serait-ce que ma main.
Son père avait appelé pour nous proposer un dîner de fête en l’honneur de
son rétablissement, mais j’avais trouvé une excuse pour repousser la soirée à
la semaine suivante. Ethan n’était pas d’humeur à voir du monde, et pour être
honnête, moi non plus. Son accident m’avait rendue parano. Dès que je
repensais à la mort qui l’avait frôlé de près, j’étais proche de l’attaque de
panique, et c’était mauvais pour le bébé. Je devais donc chasser ces pensées
négatives et me concentrer sur Ethan pour prendre soin de lui et l’aider à
guérir plus vite.
Il entra dans l’appartement sans mon aide, appuyé sur ses béquilles. Je
refermai la porte à clé derrière lui et le suivis dans le salon.
Il resta planté là, le regard assombri, presque bestial, maintenant que nous
nous retrouvions seuls.
— Viens pas là, m’ordonna-t-il, la voix éraillée.
Je lui obéis.
Dans l’élan, je me retrouvai pressée contre lui et poussai un cri de
surprise. Ses béquilles tombèrent bruyamment par terre lorsqu’il les lâcha
pour me serrer de toutes ses forces. Plus rien n’existait que ce besoin
désespéré de me sentir contre lui. Ethan avait encore une fois subi un
traumatisme. Celui d’une mort imminente. En haut sur cette montagne, il avait
pensé laisser sa peau, ne jamais me revoir, ne jamais rencontrer notre bébé, ne
pas pouvoir nous dire qu’il nous aimait, nous dire adieu. La seule chose qui lui
avait permis de tenir, c’était de penser à moi. Quand il était revenu à la vie, il
lui avait fallu comprendre qu’il était de retour dans la réalité, qu’il avait
survécu. Un putain de choc psychologique !
— Ethan. Je suis là, mon chéri.
— Je t’en supplie… reste avec moi, bredouilla-t-il.
Sa barbe râpeuse s’enfonçait dans la peau de mon cou.
Je m’écartai pour le regarder droit dans les yeux.
— Viens, on va se coucher. Oublions tout ça pour se concentrer sur
l’essentiel : toi et moi.
Comme l’expression d’Ethan s’obscurcissait, je poursuivis :
— On reprendra plus tard notre conversation de la veille de ton départ en
Suisse, d’accord ? On se dira ce qu’on a besoin de se dire. Mais pour l’instant,
on doit se retrouver.
Ethan ferma brièvement les yeux, visiblement soulagé.
— Oui… s’il te plaît.
Il baissa les yeux vers ses béquilles. Je me penchai pour les lui ramasser,
l’une après l’autre. Ses traits s’adoucirent.
— J’aimerais te dire à quel point je t’aime, mais putain, il n’y a pas assez
de mots pour pouvoir l’exprimer.
— Je sais.
Ethan me suivit jusqu’à la chambre et s’assit sur le lit. Cette fois, il prit
soin de disposer les béquilles de telle sorte qu’il puisse les attraper pour se
relever. Je m’approchai, debout entre ses jambes, et il m’attira aussitôt contre
lui, le visage enfoncé sous mes seins, ses mains au creux de mes reins, et il
respira profondément mon odeur.
À croire qu’il essayait d’entrer dans mon ventre, lui aussi, au chaud.
Ce qui lui aurait fait un bien fou, c’était une session de baise sauvage et
torride, mais il savait aussi bien que moi que nous en étions incapables, dans
l’immédiat. Il allait falloir trouver un autre moyen de nous rapprocher.
Je fis un pas en arrière, juste assez pour être hors de sa portée, et retirai
mes ballerines sans le quitter du regard.
— Souviens-toi de la première fois que je me suis glissée dans ce lit avec
toi. La première fois qu’on a été ensemble.
Je déboutonnai mon cardigan et le laissai tomber. Son regard suivit la
chute du vêtement, puis revint croiser le mien.
— Je me souviens.
— Je veux qu’on revive ce moment ensemble, murmurai-je. On était
méticuleux, on faisait attention à l’autre, sans savoir ce qu’on aimait, ce qui
faisait du bien à l’autre.
Ses yeux bleus s’assombrirent.
— J’avais du mal à croire que tu acceptais de venir chez moi. J’avais
tellement envie de toi, Brynne, que je n’en pouvais plus. Je n’ai jamais désiré
une femme à ce point.
Je déglutis avec peine et retrouvai ma place entre ses jambes pour attraper
sa chemise et la lui enlever. À son tour, il me débarrassa de ma robe grise, la
retroussant jusqu’à la taille, puis me la retira complètement quand je me
penchai pour l’aider. Je me redressai.
— Moi aussi, j’avais envie de toi ce soir-là, Ethan. Moi aussi.
Une fois dégrafé, mon soutien-gorge tomba au sol. Le bruit du froissement
de tissu fit grimper la tension d’un cran.
Une flamme dansait dans les yeux d’Ethan braqués sur ma poitrine
alourdie par la grossesse. Il tendit la main pour la toucher et me caressa tout
autour du sein en se rapprochant de plus en plus du mamelon.
Ses yeux se rivèrent soudain aux miens.
— Je me rappelle que par-dessus tout je voulais te faire plaisir. Je voulais
te faire jouir et entendre ta voix, ta respiration, tes cris.
Je m’accroupis pour défaire le lacet de sa chaussure droite. Ethan prit
appui sur ses coudes et souleva le bassin pour que je puisse retirer son
pantalon de jogging en faisant attention à sa jambe dans le plâtre.
Mon homme était sublime, ainsi allongé, nu, le sexe fièrement dressé. Je
savais ce que j’allais lui faire en premier.
À genoux devant lui, tout au bord du lit, entre ses cuisses, je lui demandai
dans un murmure :
— Tu te souviens de ce que je t’ai dit quand tu m’as fait jouir ?
Je pris son membre dans mon poing et commençai un mouvement de va-
et-vient de la base jusqu’au gland.
Un long soupir lui échappa, ses paupières papillonnaient, mais il parvint à
me répondre :
— Ethan… Tu as dit « Ethan ».
Je pris sa verge dans ma bouche et l’engloutis jusqu’à la garde.
Brynne sut me donner pile ce dont j’avais besoin. Allez savoir comment
elle le devinait, mais elle savait toujours exactement que faire et au bon
moment.
Lorsque j’eus décollé grâce à ses lèvres magnifiques, je lui renvoyai
l’ascenseur et dévorai avec gourmandise cet endroit si chaud qui tressaillait
délicieusement sous les assauts de ma langue. Je l’entendis crier mon nom plus
d’une fois avant d’en avoir terminé.
Plus tard, on s’est endormis ensemble, moi derrière elle, encore enfoncé
dans son intimité. Nous nous sommes accordé un long sommeil réparateur.
Il n’y avait pas de meilleur repos au monde.
Je mesurais la chance extraordinaire que j’avais.
18
24 janvier, dans le Somerset
Land Rover savait faire des voitures de luxe. J’étais bien placée pour le
constater. J’adorais ma voiture, et maintenant que j’étais à l’aise en roulant sur
la voie de gauche, je pouvais la sortir plus souvent. Ethan avait dû regretter
plus d’une fois son cadeau d’anniversaire. Trop tard, Blackstone, elle est à moi.
Il allait devoir se faire une raison. Pour l’instant, j’étais notre chauffeur. Son
plâtre lui permettait de marcher avec des béquilles, mais pas de conduire. Les
os de sa jambe gauche auraient besoin de quelques semaines encore avant de
pouvoir soutenir le poids de son corps. Pour l’accouchement, il aurait encore
ses béquilles, chose qui le contrariait profondément, mais il ne s’en plaignait
pas. Moi non plus. Nous préférions de loin qu’il soit encore là avec une jambe
dans le plâtre plutôt que là-haut, loin de moi. Vu comme ça, je l’embrasserais,
son plâtre !
Je devais abandonner Ethan aux griffes de Zara. Ce qui n’était pas pour lui
déplaire. C’était l’heure du goûter, et pour ça, Ethan avait sorti le grand jeu :
veste en velours et lavallière excentrique. Je le pris en photo avec son
accoutrement, histoire d’en rire d’ici quelques années. Ellen, la femme de
Robbie, avait préparé des cupcakes pour tous les goûts, accompagnés de
fraises et de thé, à prendre avec du lait ou du sucre. Je serais volontiers restée
avec eux, mais je ne pouvais pas me passer de mon massage bihebdomadaire.
Surtout lors de la dernière ligne droite de ma grossesse. J’avais mal partout :
au dos, au bassin, et même parfois à la tête. Les massages me faisaient le plus
grand bien.
J’avais eu des massages réguliers depuis Noël, c’était un cadeau d’Ethan
qui consistait en un forfait de séances bien-être à déguster sans modération.
Dieu qu’il avait le don pour me dégoter des cadeaux parfaits ! Mais comme
nous avions décidé de passer sa convalescence à Stonewell Court, il m’avait
fallu trouver une masseuse locale pour m’aider pendant les dernières semaines
de ma grossesse. C’est là qu’entrait en scène Diane, dont les talents
d’aromathérapeute et de réflexologue me faisaient un bien fou. Merci à Hannah
de me l’avoir recommandée.
Je me garai dans la rue, juste devant Bons Soins, le salon de Diane. Le
centre historique du petit village de Kilve n’était pas grand mais il y avait tout
ce qu’il faut : une auberge du dix-septième siècle appelée The Hood Arms,
l’église de Ste Marie dressée là depuis le treizième siècle, et sa célèbre plage
couverte de fossiles. Le tout digne d’une vieille carte postale. C’était calme et
apaisant. Je crois qu’Ethan et moi avions compris d’instinct que c’était
exactement ce dont nous avions besoin pour nous ressourcer : la paix de ce
lieu entouré d’une nature magnifique. Nous avions prévu de rester à Stonewell
jusqu’à la mi-février. Nous serions de retour à Londres où nous attendrait le
Dr Burnsley fort de son expérience médicale avant la date prévue pour
l’accouchement, le 28 février.
En marchant vers le salon de Diane, un magnifique jeune chien jaillit de
sous une table en terrasse et se précipita vers moi, remuant gaiement la queue
de cette manière typique qu’ont les chiens de vous faire comprendre qu’ils ne
sont pas méchants.
— Eh, coucou, toi ! Comme tu es beau !
Je me penchai pour le caresser. Sa fourrure était noire et épaisse jusqu’en
haut de sa tête, puis devenait ambrée sur le torse et le ventre. Ce n’était plus
vraiment un chiot, plutôt un jeune chien. Un mâle, de toute évidence. Je
reconnaissais la race des bergers allemands. Il était magnifique.
— Comment tu t’appelles, mon beau ? Tu attends ton maître ?
Je lui parlais tout en caressant sa fourrure soyeuse. J’adorais la couleur de
ses yeux dorés. Il me lécha la main et se laissa caresser volontiers. Bizarre, il
n’avait ni laisse ni collier. Pourtant, il appartenait forcément à quelqu’un.
Quand je me redressai pour entrer dans le salon, il me regarda gravement.
— Je dois y aller, lui dis-je.
Il aboya une seule fois, manière de me dire : « S’il te plaît, ne pars pas. »
Mon cœur se serra.
— Après ça, je vais pouvoir faire une longue sieste. Merci, Diane, tu as des
doigts de fée, la complimentai-je en m’étirant le cou.
Son salon sentait bon les herbes aromatiques. Au moment de lui tendre ma
carte de crédit, j’entendis encore l’aboiement. Il était là et me regardait à
travers la porte vitrée en agitant la queue comme un fou.
— On dirait que tu as un admirateur, Brynne, gloussa Diane. Je parie qu’il
te suivrait chez toi si tu le laissais t’accompagner.
Et son maître, alors ?
— Tu crois ? Mais à qui appartient-il ?
— À personne, c’est un chien errant. Il est dans le quartier depuis quelques
jours, à l’affût des poubelles des commerçants pour trouver à manger. Quand
je vois ce que les gens font subir aux animaux, ça me rend triste. Surtout ceux
qui, une fois adultes, atteignent une stature imposante. Les grands chiens sont
souvent abandonnés au bord de la route.
Diane marqua une pause avec une grimace de dégoût, puis regarda par la
fenêtre.
— Ce sont ces salauds sans cœur qu’on devrait abandonner dans la nature
sans eau ni nourriture. Ils verraient ce que ça fait. Mon voisin Lowell et moi,
on lui donne une gamelle de temps en temps pour qu’il ne meure pas de faim,
mais ce dont il a besoin c’est un foyer, une famille pour s’occuper de lui, un
grand jardin où se défouler. (Elle me décocha un clin d’œil couleur noisette.) Il
ferait un excellent chien de garde. Je suis sûre que l’idée plairait à ton mari.
— Qu’il est beau ! Oh, mon Dieu, on dirait Monsieur Farfouille, observa
Hannah en se baissant vers le chien pour l’examiner en détail. C’est peut-être
un descendant.
— C’est ce qu’on n’arrête pas de me dire. J’aimerais voir ce fameux
tableau.
— Je vais te le montrer, dit Zara en me prenant par la main.
Ethan resta avec sa sœur à la cuisine, découragé par tous les escaliers de
marbre de Hallborough.
— Prends soin de ta maîtresse, mon grand, missionna-t-il le chien d’un ton
grave, puis il se tourna vers moi, posa une main sur mon ventre et un baiser
sur mon front. Quant à toi, fais attention.
— Promis.
Ma main sur sa joue, je lui soufflai un silencieux « je t’aime ».
— Moi aussi, murmura Ethan.
C’était tout lui de vouloir tout contrôler et me protéger comme ça, même
avec des béquilles. Il s’était mis dans la tête qu’il s’en débarrasserait avant la
venue du bébé pour ne plus avoir que la botte de marche pour l’accouchement.
Ce devait être frustrant d’être bloqué à ne rien pouvoir faire, mais je ne l’avais
pas entendu se plaindre une seule fois. Les jambes cassées, ça se répare.
Zara me guida vers la partie de la propriété réservée aux clients du bed and
breakfast. Voilà pourquoi je n’avais jamais vu le portrait de Monsieur
Farfouille. En revanche, j’avais vu leur galerie, cette pièce élégante que l’on
trouve généralement dans les grandes demeures comme Hallborough où les
familles exposent leur collection privée nourrie au fil des années. Celle
d’Hannah et de Freddy comptait quelques sculptures de marbre et de belles
peintures, mais entre mon jardin de Stonewell à enrichir et ma décoration à
peaufiner, je n’avais pas pris le temps de toutes les étudier dans le détail.
On s’arrêta au bout du couloir dont toutes les portes donnaient sur les
chambres. Sur le mur du fond, au-dessus d’un guéridon sculpté, était suspendue
une grande toile d’un berger allemand. Le portrait était si fidèle qu’on aurait
cru à une photographie. L’artiste avait forcément utilisé une chambre noire
pour réaliser cette peinture. Effectivement, le modèle ressemblait à mon
nouveau chien, autant par la silhouette que par la couleur. Une plaquette était
fixée au bas du cadre ornemental avec l’inscription « Monsieur Farfouille »
gravée dans le cuivre.
— Eh bien, c’est quelque chose ! déclarai-je en souriant à Zara. C’est vrai
qu’ils se ressemblent beaucoup.
Elle pouffa.
— Je te l’avais dit, tante Brynne.
— J’aime beaucoup son nom. Et à toi, il te plaît, Zara ?
Elle opina d’un air très sérieux.
— Ce sera son nom. Monsieur Farfouille, déclara-t-elle solennellement
comme si c’était décidé depuis le départ. Il aura le droit de jouer avec Rags, ils
seront super copains.
— Qu’en penses-tu, Monsieur Farfouille ? demandai-je au chien.
La langue pendante, il pencha gaiement la tête sur le côté.
— Je t’appellerai Monsieur, c’est plus court, précisai-je en lui grattant le
menton.
À mon avis, sa nouvelle vie lui plaisait déjà, et son nom n’avait pas grande
importance pour lui. Mais beau comme il était, il méritait bien ce noble nom.
— Adjugé pour Monsieur Farfouille, tranchai-je.
À cet instant, je sentis un petit coup de pied dans mon ventre.
— Oh, le bébé est en train de bouger, prévins-je Zara. Tu veux le sentir ?
— Oh, oui !
Je lui fis glisser la main sous mon tee-shirt, bien à plat. Ses yeux
s’ouvrirent grands.
— Je la sens bouger ! s’exclama-t-elle tout excitée. Elle aime déjà
Monsieur Farfouille et elle veut jouer avec lui.
Ses suppositions me firent sourire.
— On ne sait pas encore si le bébé est une fille, Zara. Ça pourrait être un
garçon.
Une possibilité qui lui parut grotesque.
— Non, c’est une fille, tante Brynne.
— Pourquoi tu penses ça ?
Zara haussa les épaules.
— Ben, parce que moi, je veux un bébé fille.
Voilà, pour les enfants, c’est aussi simple que ça. Dès le premier jour,
j’avais compris que Zara avait un avis bien arrêté sur toutes les choses de la
vie. Absolument toutes. Et elle n’hésitait pas à le partager. C’était un petit être
adorable jusqu’au bout des doigts. Que l’on ait une fille ou un garçon, elle
serait la cousine parfaite. Une pensée qui me réchauffait le cœur.
Vint ensuite ma seconde surprise.
J’observai la peinture, Monsieur Farfouille, et crus reconnaître cette
patte… Celle de l’artiste, en tout cas. J’avais déjà travaillé sur ce coup de
pinceau. Quand on travaille dans la conservation des œuvres d’art, on passe de
longues heures silencieuses avec les tableaux, et on apprend à connaître le
peintre même s’il est mort depuis bien longtemps. On comprend sa façon de
procéder et on finit par le reconnaître sur d’autres toiles.
Était-ce possible ?
Je m’approchai et examinai le coin inférieur à la recherche d’une
signature. Le vernis s’était obscurci avec les années, j’avais du mal à discerner
les lettres. Mais c’était là. Plus petit que l’écriture à laquelle l’artiste m’avait
habituée. Je sentis comme un parfum de victoire en trouvant le T suivi de
MALLERT… Le reste disparaissait sous le cadre. Mon cœur battait la
chamade. J’avais sous les yeux une œuvre méconnue dont le sujet était un très
beau chien, Monsieur Farfouille, datant du début de la carrière d’un grand
artiste, Tristan Mallerton, peintre de Lady Percival et de centaines d’autres
monuments picturaux. Oh, bon sang ! Qu’est-ce qu’ils me cachent d’autre, dans
cette maison ?
Je devais appeler Gaby tout de suite pour lui raconter cette incroyable
trouvaille.
6 février
Brynne était sublime. Encore au lit, je l’admirais qui se recoiffait devant le
miroir. À mes yeux, elle avait toujours été magnifique, mais, depuis mon
accident, ce qui nous liait allait encore plus loin. À l’intérieur, j’avais changé.
Ce moment où j’ai cru lui dire adieu en haut d’une montagne suisse avait brisé
le rempart qui entourait ma zone d’ombre. Peu à peu, mes émotions
reprenaient sens. Les horreurs de mon passé étaient enfin reléguées au second
plan puisque ce qui comptait vraiment, c’était notre amour. Brynne avait fait de
moi l’homme que j’étais devenu à ce stade de ma vie. Ce n’est pas facile à
exprimer avec des mots, mais dans mon cœur, c’était clair : j’allais mieux.
J’étais désormais capable de dépasser ces événements qui, lors de la décennie
passée, avaient bouleversé ma vie et de les laisser à leur place.
Pour moi, ça incluait Sarah Hastings. Comme Lance Oakley pour Brynne.
Faute de trouver un meilleur terme, je dirais que nous avions « fait la paix »
avec ces personnes pour aller de l’avant. De mon côté, je m’étais excusé auprès
de Sarah pour mon implication dans la mort de Mike. Ça n’avait pas été facile,
mais cette étape avait été capitale : j’avais eu besoin de lui dire que j’étais
désolé. Le Dr Wilson maîtrisait son sujet ; les devoirs qu’il me donnait à faire
étaient redoutablement efficaces. Cette thérapie, je la prenais au sérieux en
espérant que ça marche.
Si Brynne avait accepté de voir Lance Oakley pour écouter sa version des
faits, elle devait avoir de bonnes raisons. Je doutais franchement qu’il lui ait dit
la vérité, mais je savais aussi que ce que moi je croyais n’avait aucune
importance. Cette vidéo, je ne l’avais jamais vue et ne la verrais jamais. Brynne
était responsable de son propre destin, c’était à elle de décider comment faire
cicatriser ses plaies. Si ce qu’il lui avait révélé aidait Brynne à se sentir mieux
dans sa peau, alors banco. Mais ça m’arrangeait bien, putain, qu’il ait foutu le
camp de Londres. Cet enfoiré n’aurait quand même pas eu le culot de chercher
à devenir le nouvel ami de Brynne ! Non, je ne l’aurais pas permis. Je voulais
bien être raisonnable, mais il y avait des limites, putain.
On en tirait tous les deux une leçon, Brynne et moi. Une leçon de respect
pour l’autre. Chacun avait le droit de cultiver son jardin secret. Nous devions
simplement être là pour le bonheur de l’autre. Brynne m’aimait et j’en étais
conscient, tout comme elle savait que j’étais fou d’elle. Toutes les occasions
étaient bonnes pour le lui prouver.
— À quoi tu penses ? me demanda-t-elle en sortant de la salle de bains
vêtue d’une petite nuisette transparente à souhait. Autrement plus sexy que le
truc que j’avais déchiré.
Elle gagnait en rondeur, mais sa silhouette était toujours mince. À mes
yeux, en dehors de ses seins et de son ventre, elle n’avait pas changé. Ma
sublime Américaine.
— À toi, au fait que tu es magnifique. Viens par là, ma belle.
Brynne sourit en me voyant lui tendre les bras et me rejoignit sous les
draps qu’elle repoussa délicatement pour découvrir mon corps nu. Mon
érection ne devait pas la surprendre. La machine fonctionnait toujours à
merveille même si je ne pouvais pas me lever, ni la porter quand la folie du
sexe nous prenait. Mais ma jambe finirait par guérir et je serais sur pied en un
rien de temps pour baiser ma femme comme je l’entendais.
— Je m’en doutais, ronronna-t-elle en retroussant sa nuisette pour me
chevaucher.
Elle s’assit sur ma verge dure, les jambes bien écartées pour embrasser
toute sa longueur de ses lèvres déjà humides, mais sans se laisser pénétrer.
Soulevant le bassin, je poussai un grognement de plaisir.
— Oh, putain, c’est trop bon, marmonnai-je en lui retirant sa nuisette pour
la jeter au pied du lit. Voilà, c’est mieux.
Mes yeux se gargarisaient de la vue. Enceinte ou non, je ne me lassais
jamais de la reluquer. Elle me fascinait. Au moment où elle entamait un
mouvement de va-et-vient, je me redressai juste assez pour prendre son sein
dans ma bouche.
Brynne se cambra, me laissant tout le loisir de lui malaxer la poitrine, de
lui taquiner les tétons jusqu’à les rendre bien durs. À force de se frotter à mon
sexe, elle approchait de l’orgasme à vitesse grand V.
— Tu veux jouir, ma belle ? Dis-moi ce que tu veux et tu l’auras.
La bouche entrouverte, elle se laissait complètement abandonner aux
sensations qui l’envahissaient.
— Oooh, je veux… Je veux ta bite en moi quand je jouirai. Je la veux là,
comme ça…
Sur ce, elle se frotta de plus en plus fort à mon membre. L’odeur de son
excitation me chatouillait les narines, je devenais fou. Sans prévenir, elle se
redressa sur un genou et m’empoigna sauvagement.
Oh, putain ouais !
Doucement, tout doucement, elle s’empala sur moi.
Putain, c’était trop bon, je poussais un tas de grognements à mesure que
ses parois étroites se refermaient sur les palpitations de ma queue. Je volai sa
bouche pour y enfoncer ma langue aussi loin que je pus. J’ai toujours adoré la
prendre de tous les côtés. C’était plus fort que moi, j’en avais besoin. En même
temps, Brynne n’avait pas l’air de s’en plaindre. Au contraire.
Je saisis ses fesses à pleines mains et nous nous lançâmes dans un rodéo
tumultueux. Je me soulevais à chaque poussée pour la prendre toujours plus
fort tandis qu’elle crispait ses muscles en tournant légèrement ses hanches.
Nous faisions durer le plaisir, ralentissant par moments pour reprendre de plus
belle. Brynne menait la danse. Je voulais qu’elle prenne son pied. Il n’y avait
rien de plus beau que ce moment où elle ne pensait à rien d’autre qu’à ma
queue et à se faire prendre. J’adorais la baiser comme ça, frénétiquement,
jusqu’au pic de l’extase.
Lorsqu’elle glissa une main derrière elle pour s’emparer de mes bourses,
il n’en fallut pas plus.
La vitesse maximale était enclenchée.
— T’es parfaite, ma belle. Putain, je rentre comme un gant ! Je te veux
comme ça pour toujours. Je n’arrêterai jamais… de… te… baiser !
— Oui, Ethan, n’arrête jamais. Je ne veux pas que tu arrêtes.
— Jamais, chérie… Je continuerai jusqu’à la fin de mes jours.
Je portai le bout de mes doigts à son clitoris trempé pour la caresser
pendant qu’elle se balançait furieusement sur moi. Ce soir, je voulais qu’on
jouisse ensemble. Au même moment. C’était important pour moi. Je voulais
sentir ses spasmes à l’instant même où j’éjaculerais en elle. Je voulais avaler
ses cris, ma langue dans sa bouche, pour la savourer jusqu’aux dernières
vagues.
Évidemment, il me fallut arrêter après l’orgasme, après l’avoir entendue
hurler mon nom et avoir déchargé en elle toutes mes réserves. Ce qui comptait,
ce n’était pas le sens littéral de notre promesse, mais bien le symbole qu’il y
avait derrière. Je ne cesserais jamais d’aimer Brynne, et la baiser comme un
sauvage de temps en temps faisait partie du contrat. Côté sexe, nous avions
toujours été sur la même longueur d’onde. On pouvait remercier le hasard, ou
les dieux, ou je ne sais quel coup du destin pour nous avoir gâtés dans ce
domaine. Il est rare de tomber sur une personne aussi compatible, je savourais
ma chance.
Je la soulevai doucement et l’aidai à s’allonger près de moi pour la
regarder dans les yeux et la couvrir de baisers. Après l’amour, j’en avais
besoin à chaque fois. Brynne avait les paupières lourdes, fatiguée par son
orgasme, et je m’inquiétai soudain d’en avoir trop fait compte tenu du stade
avancé de sa grossesse.
— Ça va, mon cœur, ce n’était pas trop violent ? On aurait peut-être dû y
aller plus doucement.
Du bout du doigt, je traçai le contour de ses lèvres qu’elle ouvrit avec
gourmandise pour prendre mon index dans sa bouche et y passer la langue
goulûment. Je me sentis durcir, prêt pour le deuxième round. Non, arrête ça,
putain de Cro-Magnon. Épargne-la.
— Mmmh, ne t’inquiète pas, je me sens très bien, murmura-t-elle, les yeux
à demi clos. J’avais besoin de cet orgasme comme tu n’as pas idée. Je t’aime
tellement fort.
— Je veux t’embrasser, Brynne, susurrai-je en inclinant la tête vers la
sienne.
Alors je le fis, lui chuchotant tout ce que j’avais besoin de lui dire, entre
deux baisers. Tout ce qu’elle avait besoin d’entendre, aussi. Jusqu’à nous
endormir, les jambes emmêlées, nos corps blottis l’un contre l’autre, au plus
près.
Je ressentis une étrange sensation. Celle de me trouver comblé, en paix
avec moi-même, et heureux. C’était la première fois que ça m’arrivait. Pourvu
que ce ne soit pas la dernière.
19
7 février, dans le Somerset
— C’est le dernier colis arrivé de Londres, madame Blackstone. Je
monterai le berceau ce soir, quand mon assistant aura un moment.
Robbie me fit un clin d’œil. Par « assistant », il entendait Ethan, qui tenait à
participer au montage du petit lit d’enfant.
— Oui, je suis au courant, Robbie. J’imagine que vous avez eu droit à la
même rengaine que moi. Ethan veut s’assurer que le lit sera bien monté pour
qu’il n’y ait aucun risque pour le bébé. La sécurité, c’est son obsession, et
même pour toutes les petites choses de la vie. Enfin, vous avez dû le
remarquer, ajoutai-je, ironique.
Robbie éclata de rire et ressortit de la pièce, mais s’arrêta sur le seuil pour
me demander :
— Vous voulez que je promène Monsieur Farfouille avant de partir ?
— Je ne sais pas, il a l’air bien, là.
Je me tournai vers Monsieur, étalé sur le nouveau tapis, et qui me regardait
avec ses yeux dorés.
— Tu veux sortir avec Robbie ?
Il ne bougea pas d’un pouce. Or j’étais certaine qu’il avait compris ma
question. Mon Monsieur en avait dans la caboche et c’est moi qu’il aimait le
plus. Parce que c’est moi la meilleure.
— Bon, pas maintenant, Robbie. Il me fera savoir s’il a envie de sortir. De
toute façon, j’aurai besoin de prendre l’air dans la journée.
— Très bien, madame Blackstone.
Après le départ de Robbie, je m’en retournai à mes peintures murales dans
la chambre d’enfant. Avec sa femme, Ellen, il prenait grand soin de Stonewell,
à la fois quand nous rentrions de Londres et en notre absence. À force, Robbie
s’attachait à Monsieur Farfouille. Et tant mieux, puisque le chien restait là à
plein temps. Hors de question d’enfermer cette pauvre créature dans un
appartement au centre de Londres. Ce serait cruel. Mais il me manquerait
beaucoup. En plus, nous avions prévu de rentrer à Londres dans une semaine
pour ne pas prendre le risque d’un accouchement prématuré. Ethan en faisait
toute une histoire et, comme d’habitude, je préférais le laisser faire comme il
l’entendait.
Cette fois, j’avais choisi une fresque représentant la mer, sans arbres,
finalement. Nous ne pouvions pas définir tous les éléments de la décoration
tant que nous ne savions pas s’il s’agirait d’une Laurel ou d’un Thomas. Le
sourire aux lèvres, je peaufinai les nuages blancs. Ce matin, Ethan avait voulu
savoir quel genre de peintures j’utilisais et si elles étaient bien à base d’eau,
sans produits toxiques. Il était tatillon, mais c’était pour mon bien.
D’ailleurs, notre session torride d’hier soir l’avait inquiété. Pourtant, je ne
voyais pas pourquoi. J’avais trouvé ça génial, et je me sentais très bien. Et puis,
d’après mes recherches sur le sujet, il n’y avait aucun risque à faire l’amour
pendant la grossesse à condition qu’il n’y ait aucune complication, et que l’on
se sente d’attaque. Hier soir, j’étais d’attaque. Quant à Ethan, la question ne se
posait même pas, il était toujours partant. Après son accident, nous avions tous
les deux terriblement besoin de nous retrouver de manière intime. Rien au
monde n’était plus important que la santé de l’être aimé.
Nous avions failli nous perdre. Une pensée qui me fit frissonner. Je repris
mon œuvre en ajoutant des nuances aux nuages d’un blanc cotonneux qui
donnaient sur un étincelant océan turquoise.
Monsieur se baissa en position d’attaque, prêt à bondir dès que je lui aurais
envoyé son jouet préféré – un os, évidemment.
— Va chercher !
Et je le lançai de toutes mes forces, mettant à profit mon expérience au
lancer de poids qui datait du lycée. Le chien s’élança vers les buissons qui
bordaient notre jardin pour aller le chercher. Il se régalait. Je m’assis sur l’un
des petits murets et attendis qu’il me ramène son os.
Dans la matinée, j’avais eu mal au dos et cette sortie avec le chien aurait pu
soulager la douleur, mais non. Elle était toujours bien là. J’avais envie d’une
boisson chaude. Je refermai mon chandail pour chasser mes frissons. Il ne
fallait pas oublier que c’était encore l’hiver. J’étais ravie de cette journée de
froid sec, mais à voir les nuages menaçants qui approchaient, il se mettrait à
pleuvoir dans moins de deux heures.
Je rappelai Monsieur et me levai pour rentrer dans la maison. J’eus une
drôle de sensation chaude à l’entrejambe. Deux secondes plus tard, ce n’était
plus si chaud. J’étais mouillée. Trempée, même. Comme si je m’étais fait pipi
dessus, or j’étais bien certaine que ce n’était pas le cas.
Je me mis à paniquer. Et si c’était du sang ? Je touchai la zone mouillée de
mon legging. C’était transparent. En portant mes doigts à mes narines, je sentis
que ce n’était pas non plus de l’urine. Juste de l’eau. De l’eau…
Merde !
Ma poche des eaux s’était rompue.
Putain de merde !
Ma beauté,
PRINTEMPS
20
26 avril, dans le Somerset
C’était un mariage modeste dans notre jardin qui surplombait la mer. Les
deux mariés avaient l’air très heureux, bien entendu. Je fis un clin d’œil à
Brynne, belle à croquer dans sa robe bleu pervenche. La même que celle
qu’elle portait le soir du gala de Mallerton et qui lui servait à présent de robe
de demoiselle d’honneur. Elle me rendit mon clin d’œil avec l’un de ces petits
sourires coquins dont elle avait le secret.
Quand je voyais Hannah, vêtue de rose, je repensais aux photos de ma
mère. Je me demandais souvent ce que ça faisait à mon père de voir en sa fille
le portrait craché de son épouse à l’âge où il l’avait perdue. Toutes ces années,
il avait gardé ses émotions enfouies en lui. Et ce n’était pas demain la veille
qu’il allait s’épancher.
Aujourd’hui, nous fêtions le changement. En ayant trouvé l’amour
véritable grâce à Brynne, je comprenais à présent ce que c’était qu’aimer
quelqu’un de toute son âme. Je comprenais le chagrin que mon père avait dû
ressentir en perdant cet être si cher, et pourquoi il avait mis trente ans avant de
tourner enfin la page pour ouvrir son cœur à une autre.
Aujourd’hui, nous fêtions ce grand jour. Celui où mon père allait de
l’avant… aux côtés de sa charmante Marie.
Je reposai le journal sur mes genoux et levai les yeux vers cet ange sirène
qui observait l’océan. Brynne était tombée amoureuse de cette statue dès la
première fois qu’elle l’avait vue. Cette forme était surprenante au premier
abord, mais maintenant que nous connaissions toute l’histoire, c’était bien plus
qu’un bloc de roche sculpté pour décorer notre jardin.
J’avais lu ce passage du journal des dizaines de fois. Je pouvais presque le
réciter par cœur. Des pensées intimes d’une femme qui avait vécu dans cette
maison presque deux cents ans plus tôt, découvertes par Brynne dans le tiroir
secret d’un vieux bureau. Évidemment, lorsqu’elle me l’avait montré, je l’avais
lu pour m’amuser à découvrir le quotidien des anciens occupants de notre
maison. Mais cet extrait en particulier me restait en mémoire. Parce qu’il me
touchait.
Dès ma première lecture, j’avais compris qu’en remplaçant « Darius » par
« Brynne », ce texte devenait ma vérité.
À mes heures les plus sombres, Brynne a été ma lueur d’espoir, mon amour
venu plonger dans les tréfonds de mon âme écorchée pour, enfin, m’en libérer.
Fin
Note de l’auteur