Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
0% ont trouvé ce document utile (0 vote)
20 vues280 pages

EBOOK-Raine-Miller-The-Blackstone-Affair-Tome-3-Ne

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1/ 280

DU MÊME AUTEUR

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR


The Blackstone Affair, tome I, Ne résiste pas
The Blackstone Affair, tome II, Ne juge pas
Raine Miller
NE T’ENFUIS PAS
The Blackstone Affair III

Roman

Traduit de l’anglais
par Élodie Coello
À tous les soldats
qui se battent pour une juste cause.
« Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. »
e
Baruch SPINOZA, XVII siècle.
Prologue
Le 7 mai 1837,
Je suis allée voir J. aujourd’hui. Je lui ai parlé et je lui ai annoncé la
nouvelle. Plus que tout, j’aimerais qu’il comprenne que je puisse avoir des
regrets. Hélas, c’est impossible tant que je ne serai pas passée de vie à trépas.
Une fois là-haut seulement, j’aurai son avis sur la question.
Quel sera le prix de la culpabilité ? « Coupable. » Ce simple mot suffit à
m’enterrer de son poids écrasant. Je vis, certes, cependant je ne mérite pas ce
don. Les jours s’écoulent et installent leur routine, mais à quelle fin ? Quel
bien puis-je apporter aux êtres chers à mon cœur, et lesquels d’entre eux
m’aimeraient encore s’ils venaient à apprendre mon terrible secret ? Je n’ai
pas agi avec bienséance quand j’en ai eu la possibilité.
Je me suis murée dans le silence de crainte de froisser celui que j’aimais
plus que tout au monde. Mon regret ô combien amer doit à présent demeurer
enseveli dans le silence éternel qui a brisé le cœur de tous ceux que j’ai aimés.
Aujourd’hui encore, j’ai accepté la demande d’un homme qui dit ne pas
avoir de plus grand désir que mon bien et la permission de me chérir. Il me
regarde dans les yeux et accède à mon âme d’une façon qui, tout à la fois,
m’effraie et me pousse toujours plus à sonder ses raisons. Je crois qu’il a percé
un peu de mon secret. La preuve qu’il me comprend, ses paroles tranchent dans
le vif du problème qui me ronge, ne me laissant d’autre choix que de lui céder.
Ainsi, j’irai passer ma vie à ses côtés à Stonewell Court… mais l’avenir me
fait très peur. Comment pourrai-je jamais être à la hauteur de ce qu’on attend
de moi ? Pauvre fille que je suis. Je crains que mon cœur reclus ne tressaille si
fort qu’il défaille et cesse de battre dans mon sein. Darius Rourke ignore
encore que je ne mérite l’amour d’aucun homme. Je suis déchirée, et pourtant,
il s’évertue à m’assurer que tout ira bien, que je dois lui accorder ma
confiance.
Je me trouve incapable de repousser les avances de Darius, tout comme
j’étais incapable de repousser mon bien-aimé Jonathan…
M.G.
PREMIÈRE PARTIE

ÉTÉ
1

24 août, dans le Somerset


— J’entends l’océan, murmura-t-elle en me caressant doucement la nuque.
Son parfum fleuri m’enivrait.
— Mmh-mm.
Je m’arrêtai à l’endroit idéal pour lui dévoiler ma surprise.
— Voilà, madame Blackstone. Nous sommes arrivés à notre destination
nuptiale. Je te repose par terre pour que tu profites pleinement de la vue.
Je la positionnai face à la demeure, mes mains toujours sur ses yeux.
— Je veux voir, s’impatientait-elle. C’est ici que nous allons dormir ?
— Dormir est un bien grand mot, mais c’est bien là que nous passerons la
nuit.
Un baiser sur sa nuque, puis je retirai mes mains.
— Rien que pour toi, ma belle. Tu peux ouvrir les yeux, maintenant.
— Stonewell Court, souffla-t-elle comme elle découvrait la demeure
illuminée de pied en cap. Je m’en doutais un peu. J’ai reconnu l’odeur de la
mer et le bruit des graviers sous tes pas comme lorsque nous étions venus ce
jour-là. C’est magnifique. C’est… c’est incroyable. (Elle ouvrit grands ses
bras.) Ethan, qui a fait tout ça ?
Elle ne comprend toujours pas. Derrière elle, je posai les mains sur ses
épaules et l’embrassai dans le cou. J’avais besoin de presser mes lèvres contre
sa peau, c’était plus fort que moi.
— Hannah s’est occupée de tout, ou presque, murmurai-je. À distance, elle
a fait des pieds et des mains pour nous offrir ce miracle. Béni soit l’inventeur
des vidéoconférences et des signatures électroniques pour le bail.
— Quoi ? ! s’exclama-t-elle en tournant vers moi son beau visage stupéfait.
Lui faire des surprises, c’était ma passion, or sur ce coup-là, j’étais sûr de
faire mouche. Rendre Brynne heureuse me rendait heureux. C’était aussi
simple que ça. Ces derniers mois, nous avions parcouru tous les étages de
l’Hôtel Cœur Brisé, il était grand temps de tourner la page vers des jours
meilleurs. En tout cas, c’était ainsi que je voyais les choses.
— Ce soir, on a la maison rien que pour nous, murmurai-je en passant une
boucle rebelle derrière son oreille.
Son parfum était ma drogue. Je le respirais à pleins poumons. Il me
rappelait à chaque instant que nous avions réussi à franchir tous les obstacles
pour en arriver là.
Mari et femme. Un bébé en route. Propriétaires d’une putain de baraque à
la campagne. Il était difficile d’imaginer que tout cela avait un rapport avec
moi, cependant la preuve était bel et bien là, sous mes yeux.
Si j’avais une certitude, c’était que tout cela je le désirais. Il n’y avait pas
l’ombre d’un doute.
Ce bonheur est à moi.
Brynne mordilla sa lèvre inférieure de ses belles dents blanches. Je dus
étouffer un gémissement. Cette bouche voluptueuse… Je la voulais sur moi, et
vite. Tandis que défilaient dans ma tête les images pornographiques de ce qui
nous attendait pour les prochaines heures, Brynne murmura :
— Ta sœur a fait du beau boulot. J’en ai le souffle coupé. C’est l’endroit
idéal pour notre nuit de noces. À mes yeux, nous n’aurions pas pu trouver
mieux. La perfection.
— Non. La perfection, c’est toi.
J’encadrai son visage et me penchai pour recouvrir ses lèvres des miennes
et savourer leur douceur. Il n’y avait pas plus romantique que ce manoir
éclairé de mille torches, balayé d’une brise marine en cette douce soirée d’été.
Je n’avais pas à insister beaucoup pour qu’elle s’ouvre un peu plus à mon
baiser qui fut long et passionné. J’avais envie de la posséder, de hurler au
monde qu’elle était à moi, il en avait été ainsi dès le début de notre histoire. Ma
femme.
Sacrément sexy. Oh oui !
— Ça te plaît ? lui demandai-je, quand j’en eus fini avec ce long baiser.
La dernière fois que j’avais eu le droit de laisser ma libido s’exprimer
librement remontait à une éternité. À force, mes bijoux de famille viraient au
bleu. Brynne venait de passer deux semaines chez sa tante Marie pour les
derniers préparatifs de la cérémonie. Et moi, je m’étais demandé par quel
putain de miracle ceux qui avaient fait vœu de chasteté arrivaient à fonctionner
normalement. Bon, en fait j’en savais quelque chose. Ça faisait gravement
chier et j’en étais absolument incapable.
— Si ça me plaît ? Tu plaisantes, j’adore !
Elle se retourna vers la maison, logeant ses courbes parfaites au creux de
mon bassin. Oh, putain oui ! Une minute de plus et elle sentirait mon membre
dur comme l’acier se dresser contre son délicieux cul sous cette jolie robe de
mariée en dentelle. Mon cerveau s’enrayait. Deux semaines sans elle, un
véritable supplice… surtout que j’étais devenu totalement accro à sa présence
dans mon lit. Sans Brynne, je dormais mal maintenant. Ça n’allait pas si elle
n’était pas là, à mes côtés la nuit… J’avais besoin de respirer son odeur et de
l’envelopper de mon corps.
Et puis il y avait les nuits où ces satanés cauchemars refaisaient surface.
Je n’aimais pas l’encombrer avec mes histoires de détraqué, ça me tuait,
mais je n’avais pas le choix, le Ethan fragile tapi au fond de moi avait besoin
de Brynne pour s’en remettre et éloigner ces enfoirés de spectres. Elle était
mon unique remède, et cependant, j’étais rongé par la peur de la traumatiser
avec cet effroyable bordel. Je m’efforçais de faire tout mon possible pour
juguler mes terreurs nocturnes. Certains soirs, j’arrivais à y échapper. D’autres
soirs, non. Mais depuis la dernière fois, la veille de l’enlèvement de Brynne, ça
s’était calmé.
L’enlèvement de Brynne… Ce salaud de Karl Westman.
Son nom suffisait à me mettre hors de moi. Ce bouffon ne pourrait plus
jamais lui faire de mal, ni à elle ni à quiconque, mais quand je repensais au
kidnapping, je ressentais comme un coup de poing à l’estomac.
— Ethan ? Ça ne va pas ?
Je chassai ces mauvaises pensées et la serrai un peu plus fort dans mes
bras.
— Désolé, je… Tout va bien, ma chérie.
Je frottai mon nez derrière son oreille.
— Je disais que j’étais ravie de passer la soirée ici et tu n’as pas répondu…
Je la coupai avant qu’elle ne creuse dans cette direction. Son intuition lui
faisait rarement défaut. Elle saurait où j’en étais et s’inquiéterait. Personne ne
connaissait mieux qu’elle mes ténèbres, et en même temps, je ne pouvais pas
lui en dévoiler plus. C’était au-delà de mes forces, je n’allais pas imposer ce
calvaire à ma douce et innocente bien-aimée, mon adorable épouse, la mère de
mon enfant. Encore moins maintenant, à l’aube de notre lune de miel. J’allais
être heureux. De toutes mes forces. Ou j’en mourrais. D’une overdose de baise,
bien entendu.
Alors, tout en douceur, je détournai son attention.
— Me voilà rassuré, madame Blackstone, figure-toi qu’après ce moment
que nous avions passé ici, je n’arrivais plus à me sortir cet endroit de la tête. Je
voulais à tout prix t’y faire revenir. L’intérieur a besoin de quelques travaux
mais la structure tient bon et les fondations sont solides, perchées sur ces
rochers. Cette maison est là depuis longtemps et j’espère qu’elle y restera
encore un bon moment.
Je sortis l’enveloppe de ma poche et la tendis à Brynne.
— Qu’est-ce que c’est ?
Sa voix douce me donnait des palpitations.
— Ton cadeau de mariage. Ouvre-le.
Elle déchira le rabat et découvrit l’étrange trousseau. Une clé était récente,
et l’autre plus ancienne.
— Des clés ? ! s’exclama-t-elle en se retournant d’un bond, l’air
complètement ébahie, bouche bée. Tu as acheté la maison ? !
Je ne pouvais m’empêcher de sourire.
— Pas tout à fait.
Je la fis pivoter encore vers la demeure, mes bras autour d’elle, et reposai
mon menton sur le sommet de sa tête.
— Je nous ai acheté un foyer. Pour toi, moi, notre petite pêche et toutes les
myrtilles à venir. Ce ne sont pas les chambres qui manquent ici.
— Combien de myrtilles as-tu en tête, au juste ? Parce que cette maison est
vraiment immense.
— Combien ? Seul l’avenir nous le dira, madame Blackstone. Ce que je
peux t’assurer, c’est que je me donnerai à fond pour l’étape de la conception.
Pour ça, tu peux compter sur moi.
— Ah bon ? Alors qu’est-ce que tu attends ? Au travail !
J’adorais son côté coquin. Je la repris dans mes bras et me mis à courir.
Vite. Si madame était d’humeur à grimper aux rideaux nuptiaux, je n’allais pas
faire durer le suspense. J’étais galant, mais pas idiot.
Mes jambes dévalèrent rapidement le chemin jusqu’aux marches de notre
nouvelle résidence secondaire.
— La mariée franchit le seuil dans les bras de son époux, déclarai-je en
poussant la lourde porte en chêne avec mon épaule.
— Toujours plus de tradition, monsieur Blackstone, dit-elle avec un petit
rire.
— Oui, je sais. J’y prends goût.
— Oh, attends, mon cadeau ! J’en ai un pour toi, moi aussi, Ethan. Repose-
moi par terre. Ce hall offre la lumière parfaite pour te le montrer.
Elle me tendit la boîte noire fermée d’un ruban argenté, le visage
rayonnant de bonheur. Décidément, sa robe de dentelle lui allait à merveille,
sans compter ce joli pendentif en forme de cœur. Le souvenir de ce qu’elle
avait subi quand Westman l’avait enlevée ce soir-là me revint en un éclair. Elle
portait ce collier et rien d’autre lorsque je lui avais fait prendre une douche en
scrutant son corps sous toutes ses coutures pour m’assurer que ce salaud ne
l’avait pas brutalisée. Un cœur accroché à une chaîne pour ma sublime
Américaine. Je me bottai le cul mentalement et enfonçai les pensées négatives
bien loin dans les confins de mon esprit, fâché de m’être encore laissé envahir
de la sorte. Non, ce n’était pas le moment de penser à des choses sinistres.
Seules la joie et la beauté étaient au programme de la soirée. De notre soirée.
J’ouvris le couvercle et retirai le papier de soie noire. Mon cœur s’emballa
quand je découvris les photos. Brynne, dans des positions artistiques,
entièrement nue, posait avec son voile de mariée.
— Pour toi et toi seul, Ethan, murmura-t-elle. Je t’aime de tout mon cœur,
de toute mon âme et de tout mon corps. Désormais, je t’appartiens entièrement.
— Ces photos sont magnifiques, murmurai-je en les détaillant les unes
après les autres.
À cet instant précis, je crois que je compris enfin Brynne. Du moins
j’essayai de tout mon cœur de saisir sa motivation.
— Elles sont sublimes, finis-je par articuler. Et je… je vois enfin pourquoi
tu fais ça.
Brynne avait besoin de prendre de belles photos de son corps. C’était sa
réalité. La mienne, c’était ce besoin de la posséder, de prendre soin d’elle pour
rassasier quelque exigence majeure de ma conscience. Je savais que c’était plus
fort que moi. J’avais la certitude que je ne pouvais pas fonctionner autrement
avec elle. J’étais comme ça et qu’on ne me demande pas de changer pour me
ranger dans une case quelconque quand il s’agissait de Brynne.
— Je voulais t’offrir des photos que personne d’autre que toi ne verra
jamais, Ethan. C’est mon cadeau.
— Je ne sais pas quoi dire.
Je pris un long moment à contempler les clichés, je m’imprégnais de
chaque image, je savourais la pose.
— J’aime beaucoup celle-ci où tu regardes par-dessus ton épaule et où le
voile cascade dans ton dos. Tu as les yeux ouverts… et tu me regardes.
— C’est toi qui m’as ouvert les yeux, Ethan. Tu m’as tout donné. Grâce à
toi, je suis curieuse du monde qui m’entoure. Grâce à toi, j’ai envie… de vivre.
Mon plus beau cadeau c’est toi, Ethan James Blackstone.
Sa main délicate posée sur ma joue, elle me communiqua un torrent
d’émotions par la seule force de son regard.
Elle m’aime.
Je recouvris sa main de la mienne.
— Toi aussi, tu es mon plus beau cadeau, ma belle Américaine.
Là, dans le hall d’entrée de notre nouvelle et très vieille demeure en pierre,
j’embrassai longuement ma femme. Ni elle ni moi n’étions pressés par le
temps. Nous avions la chance d’avoir l’éternité devant nous, et nous comptions
bien la savourer.
Le moment venu, je la soulevai de nouveau pour gravir les marches,
électrisé par la douceur de son poids sur mes muscles tendus. En la portant,
c’est mon propre cœur que je soutiens. Ce principe avait de plus en plus de sens
à mes yeux. Je ne saurais l’expliquer, mais après tout, à quoi bon s’encombrer
d’explications ? Nous étions faits l’un pour l’autre, c’est tout ce qui comptait.
Brynne était la plus belle chose qui me soit arrivée. La première à voir qui
j’étais vraiment. Seuls ses yeux me voyaient. Seuls les yeux de ma Brynne.
2

Ethan me porta dans l’escalier, ses bras musclés m’entouraient telle une
forteresse. Son odeur épicée, la rigidité de ses muscles, toute sa virilité
m’enflammait, j’étais torturée de désir. Le soir de son mariage, on a forcément
les hormones en folie. Ajoutez à cela une pincée d’épuisement émotionnel et le
cocktail devient explosif. Deux semaines sans mon homme, je commençais à
trouver le temps long. Surtout sur le plan sexuel. Après tout, notre relation
s’était construite là-dessus dès le départ. Notre attirance avait d’abord été
physique, et je n’y voyais aucun mal.
Tandis qu’il grimpait les marches, je remarquai toutefois une expression
nouvelle dans son regard. Impossible de savoir ce qui se tramait derrière ce
beau visage ciselé. L’homme caché derrière le masque. Mon homme. Mon
mari.
En même temps, je ne m’inquiétais pas car je savais qu’il ne tarderait pas à
me dire de quoi il en retournait. Ethan n’avait aucun problème à me livrer le
fond de sa pensée. Sa franchise faisait partie de son charme. Je m’amusais
d’ailleurs à repenser aux choses les plus folles qu’il m’avait dites depuis le
début de notre histoire.
— Que me vaut ce sourire sexy ? me demanda-t-il, pas essoufflé pour un
sou alors qu’il me hissait en haut de l’impressionnant escalier de chêne sculpté.
L’intérieur de la demeure me sidérait, il me tardait d’en découvrir les
moindres recoins. Mon petit doigt me disait que j’allais commencer par la
chambre.
— Je pensais à votre atout séduction, monsieur Blackstone.
Le sourcil levé, il me décocha un sourire ravageur.
— Cet atout séduction a-t-il un rapport avec vous et moi nus le soir de
notre nuit de noces, madame Blackstone ? Car je dois avouer que je n’y tiens
plus.
Une plainte à peine déguisée pour dénoncer notre récente abstinence. J’eus
un petit rire. Moi aussi, je me languissais de retrouver son corps, mais ces
semaines de chasteté nous avaient mis à l’épreuve, c’était positif. Et puis,
s’abstenir avant le mariage promet forcément une nuit de noces d’anthologie.
J’avais l’intention de rattraper le temps perdu, il ne serait pas déçu.
— « Nus » et « nuit de noces » vont de pair, n’est-ce pas ?
— Mais encore, ma beauté ?
— Oh, rien de plus, si ce n’est que je m’émoustille au souvenir de mon
magnifique mari qui m’attendait au pied de l’autel pendant que je remontais
l’allée centrale. J’ai l’intention de le récompenser généreusement pour la
patience dont il a fait preuve ces quinze derniers jours, ajoutai-je après un
instant.
Grisé, il grimpa les dernières marches à la hâte.
Je portai une main à sa joue râpeuse et me souvins de lui avoir
formellement interdit le rasage de frais pour notre mariage. J’adorais la
sensation rugueuse de sa barbe naissante sur mon corps lorsqu’il me couvrait
de baisers. Là encore, il s’agissait d’un aspect chez lui qui me faisait
frissonner. Je l’aimais tel que je l’avais rencontré la première fois et souhaitais
que ce fût le même Ethan lors de l’échange de nos vœux.
À voir sa barbe de trois jours, il m’avait écoutée.
En haut des marches, il prit à gauche et remonta un long couloir jusqu’à
une porte. Sans doute notre suite nuptiale.
— Nous y sommes, my lady. Et putain, ce n’est pas trop tôt, ajouta-t-il à
voix basse.
Je réprimai un gloussement.
Ethan me reposa à terre sans s’éloigner d’un centimètre, promenant
délicatement ses doigts sur mon bras. Avec lui, le contact était constant. Il en
avait besoin, et moi, je me nourrissais de cette proximité pour m’épanouir.
C’était sûrement une des raisons pour lesquelles notre complicité avait été si
explosive dès le premier instant. Il faisait ce dont j’avais besoin pour me
reconstruire sur les ruines de mon passé. À présent, j’étais devenue une
nouvelle femme grâce à lui.
— C’est magnifique.
Dans la pièce, il devait y avoir une cinquantaine de bougies blanches dans
des pots en verre de toutes tailles. La lueur orangée vacillait sur les murs et les
meubles, créant une ambiance légèrement surnaturelle. Comme si nous
venions de glisser dans un lieu d’une autre époque. En contemplant cette pièce,
il me semblait que j’avançais dans un autre siècle, et ma longue robe
solennelle n’y était pas pour rien.
— Je n’arrive toujours pas à croire que tu as acheté cette maison. Je
l’adore, Ethan.
Je ne pouvais pas m’empêcher de penser non plus aux anciens occupants
de cette propriété et à ce qu’ils avaient pu faire dans cette chambre splendide, à
leur époque. Avait-elle connu des nuits de noces comme celle qui nous
attendait ?
Au plein centre de la pièce trônait un lit si grand que les autres meubles
paraissaient petits à côté. Ses quatre piliers massifs retenaient des voiles de
gaze blanche ondulant sous la brise marine qui nous venait de la fenêtre
ouverte. Le chêne majestueux et sculpté portait le savoir-faire d’artisans d’un
autre temps.
— C’est pourtant vrai. Si tu adores cette maison, moi, c’est toi que j’adore,
Brynne.
La voix profonde d’Ethan derrière moi me tira de mes rêveries.
Je ne bougeai plus, alerte.
Je sentis mon voile écarté de ma nuque, puis une mèche repoussée sur le
côté. Ses lèvres touchèrent délicatement le creux de mon cou, comme pour
marquer son territoire. Il y promena sa langue chaude, me provoquant un
tourbillon d’émotions. Je haletai et frissonnai tant l’excitation me submergeait.
La plus petite caresse d’Ethan me transformait en créature avide de sensualité.
Ethan en jouait bien sûr.
— Tu n’étais pas obligé de l’acheter, murmurai-je. Tu me suffis, Ethan. Je
n’ai besoin de rien d’autre que toi.
Il marqua une pause avant de reprendre ses baisers dans mon cou.
— Voilà pourquoi tu es pour moi la femme unique au monde. Ma fortune
n’a aucun effet sur toi. Tu ne vois que l’homme que je suis vraiment, je l’ai
compris dès le tout premier soir.
Ethan me fit pivoter vers lui et encadra mon visage en caressant mes
pommettes de ses pouces délicats. Son regard perçant était d’un bleu à m’y
noyer.
— J’ai besoin de toi autant que d’oxygène pour respirer. Tu es mon air,
Brynne.
Sur ces mots, sa bouche recouvrit la mienne et sa langue réclama ma
reddition totale. Une vague de chaleur envahit mon ventre d’un flot impétueux
quand je sentis à quel point Ethan avait besoin de moi.
Je refermai les doigts sur ses cheveux que je tirai par poignées, élevant
d’un cran l’intensité de notre étreinte. Je gémis comme il m’assaillait de
baisers toujours plus profonds, j’étais littéralement tremblante de désir. Si je
ne ralentissais pas la cadence tout de suite, nous serions incapables de nous
arrêter.
Mes mains quittèrent ses cheveux pour se poser sur son torse et, avec un
effort surhumain, je parvins à rompre notre étreinte. Ce n’était pas facile,
autant physiquement que sentimentalement. J’avais une envie folle de me blottir
dans ses bras jusqu’au bout de la nuit, mais d’abord, j’avais un plan d’attaque.
Face à face, le souffle haletant, nous nous regardions sans nous toucher.
Lui dans son costard et gilet de brocart violet, et moi dans ma robe vintage en
dentelle. Entre nous, la tension sexuelle était à son comble, prête à éclater
d’une rage nucléaire.
Je dis à Ethan ce que je désirais.
— Je… j’ai besoin de me préparer pour toi. S’il te plaît ? arrivai-je à
souffler, espérant qu’il comprenne que c’était important pour moi.
Sa pomme d’Adam trahit sa déglutition laborieuse.
— D’accord.
Avec ce simple mot, il s’empêchait volontairement de laisser paraître ce
qu’il en pensait vraiment. Ethan n’aimait pas attendre, encore moins sous la
contrainte, mais il accepta pour me faire plaisir. Cet homme était une perle.
— Dans ce cas, je vais en faire autant, madame Blackstone.
— Merci, Ethan. Tu ne le regretteras pas.
Dressée sur la pointe des pieds, je déposai un baiser dans son cou râpeux.
— Oh, mais je n’en doute pas. Tout ce qui te concerne en vaut la chandelle,
ma belle.
Son grognement me fit frémir. Je me tournai vers le rayon de lumière qui
m’indiquait où trouver la salle de bains attenante.
— Et toi, où vas-tu te préparer ?
Je m’en voulais de le chasser de la chambre, même pour un court instant.
— La chambre voisine est très agréable aussi, me rassura-t-il en indiquant
une porte sur la gauche du lit. Ces vieux manoirs ont toujours des chambres
jumelles pour que le noble et sa dame puissent se retrouver, et faire leurs
affaires de haute importance en privé, une fois la nuit tombée.
Son doigt courut sur le décolleté plongeant de mon corsage, puis ralentit
sur la rondeur de mon sein serré sous la couche de dentelle.
— Oh, vraiment ? Des affaires de haute importance ?
— Parfaitement, ma belle. La baise… c’est… très… très… très…
important.
Chaque mot était ponctué de tendres baisers lascifs.
— Dans quelle chambre sommes-nous ? Celle du noble ou de la dame ?
m’enquis-je, le souffle rapide comme si je manquais d’air tout à coup.
Il haussa les épaules.
— Aucune idée. On s’en fiche. Je m’envoie en l’air et je dors dans la
chambre de ma dame. Et ce pour le restant de ma vie. Choisissez celle que vous
voulez, madame Blackstone.
Sur ce, il me fit un baisemain plein de galanterie, dardant un regard si
ensorcelant sur ma personne qu’il ravit encore un peu plus mon cœur. Que dis-
je ! Ethan possédait déjà mon cœur tout entier… et pour toujours.
Je poussai un soupir frustré et reculai d’un pas, me forçant à imposer une
distance entre nos corps. En m’éloignant, mon bras se tendit, ma main encore
captive de la sienne, si imposante.
— OK. Rendez-vous ici dans quinze minutes, d’accord ?
Je reculai encore vers la porte de la salle de bains sans quitter du regard
ses yeux bleus qui scrutaient le moindre de mes mouvements.
Ses yeux qui brillaient du désir d’un homme qui ne tarderait pas à me
prendre comme bon lui semblerait. Quand il libéra finalement ma main, sa
chaleur me manquait déjà.
Il m’adressa son regard grave, comme il l’avait déjà fait tant de fois, un
regard qui m’était très familier à présent – celui du mâle en quête de prouesse
bestiale… et dont l’écrasant pouvoir de domination sexuelle me liquéfiait de
désir.
— Quinze minutes ? Putain, tu vas me tuer, ma belle.
Je dus retenir le gémissement que ses mots suscitaient. J’étais simple
mortelle et Ethan le Dieu grec, héros de tous mes fantasmes.
Après un dernier regard de braise riche de promesses torrides, il se
retourna et quitta la pièce, refermant doucement la porte derrière lui.
La chambre fut aussitôt plongée dans un silence presque affligeant. Je
restai là, enivrée. Je ne rêvais pas, je me prépare pour faire l’amour avec mon
mari. Cette idée fut comme une décharge électrique, je me mis aussitôt en
action.
Dans la salle de bains, je quittai ma belle robe. Une tâche heureusement
facilitée par la fermeture Éclair cousue sur le flanc. Puis je l’accrochai au
cintre rembourré, à mon avis spécialement placé là à cet effet. Je devais une
fière chandelle à Hannah. Elle avait pensé à tout.
Je repliai mon voile, me brossai les dents et bus un verre d’eau. Une fois
mes sous-vêtements retirés, je ne gardai que mes bas et mon porte-jarretelles
en soie couleur lavande. De profil, on voyait dans le miroir mon ventre
rebondi. C’était discret, mais bien là. Je caressai l’arrondi de notre petite
pêche, puis repris mon voile et le remis en place sur ma tête avant de retourner
dans la chambre. Je grimpai sur le lit. Mes genoux s’enfonçaient dans la
mollesse de l’édredon. Ma position consistait en une silhouette allongée, dos à
la porte par laquelle Ethan était sorti. À son retour, je voulais lui offrir une
image bien précise. J’étais prête. Mon cœur battait la chamade.
Je fermai les yeux.
Et attendis qu’Ethan vienne à moi.

Le grincement de la porte m’indiqua qu’il était de retour dans la chambre.


Je sentis qu’il me contemplait et j’eus envie de voir ce qu’il regardait.
Tournant doucement la tête, je croisai son regard.
— Attends, je profite encore un peu du spectacle, murmura-t-il à quelques
mètres de là.
J’avais touché juste : ses paupières étaient lourdes et sa mâchoire serrée.
De quoi m’enhardir.
— À condition que tu me laisses en faire autant.
Mon Ethan s’était lui aussi préparé pour moi. Son magnifique smoking et
son gilet de brocart avaient subi le même sort que ma robe. Il ne portait plus
qu’un vêtement : un pantalon de pyjama en soie noire tombant bas sur sa taille.
Le contraste entre ce noir profond et sa peau douce mettait en relief les
muscles dessinés de son torse et ses tablettes de chocolat. Tout ça pour moi. Le
V de son bassin sculpté me mettait l’eau à la bouche. Un des aspects les plus
sublimes de mon homme. J’avais hâte d’y poser mes lèvres.
Son corps était si splendide, si viril et puissant, que j’en étais littéralement
éblouie.
Je détournai le regard.
— Tourne-toi.
Cet ordre sourd m’enflamma aussitôt et m’assujettit à son implacable
pouvoir. En termes de sexe, Ethan tenait toujours la barre. Il me contrôlait.
J’étais plus enfiévrée que jamais.
En attendant que j’obéisse, il avança comme le prédateur s’approche de sa
proie, son corps irradiant le pouvoir et le désir.
J’opérai une rotation pour me retrouver face à lui, entièrement nue à
l’exception de mes bas et de mon voile. Je posai les mains à plat sur le lit, les
bras droits, un geste qui fit ressortir mes seins. Ils pointaient furieusement sous
le regard pénétrant d’Ethan, mes tétons si sensibles durcirent encore au point
de devenir presque douloureux. M’offrir ainsi à mon mari, moi sa femme, le
soir de nos noces, m’enivrait au plus haut point.
— Rien que pour toi, soufflai-je en levant les yeux vers lui.
Les muscles de son cou se tendirent, il fit un pas en avant.
— Tu es si belle et si sexy. Ne bouge pas. Je veux en profiter pour te
toucher.
Je connaissais les règles de ce jeu. Une généreuse récompense pour chaque
ordre respecté.
Le matelas s’enfonça sous le poids d’Ethan qui me rejoignit sur ce lit
immense, à genoux devant moi, si près que je sentais la chaleur émaner de son
corps.
Immobile, je me crispai d’impatience. Par quoi allait-il commencer ?
Visiblement, par se rincer l’œil encore un moment. Ethan avait toujours
apprécié une touche de voyeurisme dans nos rapports. Un peu de domination
par-ci, des jeux obscènes par-là, et il était aux anges. Je n’allais pas nous en
priver.
Après une éternité, il se pencha sur ma poitrine et respira profondément
mon odeur. Sa langue traça des cercles autour de mon sein avant qu’il ne
capture mon mamelon entre ses lèvres pour l’aspirer entièrement dans sa
bouche. Malgré les frissons qui me secouaient, je restai bien en place.
— C’est juste l’amuse-bouche, ma belle. Laisse-moi te sucer tes splendides
tétons. J’en ai été privé pendant trop longtemps.
Pour ce faire, Ethan prit tout son temps.
Les assauts de sa langue alternaient avec ses dents qui venaient mordiller la
tendre chair et me provoquaient des cascades de sensations.
Je tressaillais contre sa bouche, c’était trop peu, je n’en pouvais plus, mais
il me fallait pourtant être patiente et attendre son bon vouloir. C’était la règle
du jeu. J’étais une jeune femme bien sage et obéissante.
Quand même, ce fut plus fort que moi.
— Ethan…
— Quoi ? fit-il, occupé à ravir l’un de mes seins de baisers, et l’autre de
ses doigts qui pinçaient mon mamelon à me faire perdre la raison.
Par je ne sais quel miracle, Ethan avait compris dès nos premières nuits
ensemble la sensibilité de mes seins, et depuis, en jouait dès que l’occasion se
présentait. Avec mes remerciements, monsieur Blackstone.
La tête rejetée en arrière, je geignis et bombai le torse.
— Tu veux plus que ma bouche sur tes putains de beaux nibards, pas vrai ?
— Oui.
— Je m’en doutais, ricana-t-il sombrement. Ma belle, j’ai envie de toi
depuis des semaines, alors prépare-toi aux assauts d’une bête. La première fois
que je baise ma femme aux si parfaits tétons risque d’être épique.
Il ronronnait en promenant sa bouche dans mon cou.
— Oui, Ethan…
— Ça te plairait ? demanda-t-il taquin en lâchant un de mes seins et glissant
sa main sur mon ventre pour la caler entre mes cuisses.
Je relevai mes hanches à sa rencontre, mourant d’être soulagée de
l’extrême tension qui crispait mon intimité.
— Oui, j’adore quand tu es une bête, lâchai-je d’une voix rauque.
Avec un rire démoniaque, il glissa le bout du doigt entre mes petites lèvres
et toucha la terminaison nerveuse qui s’y cachait. Je fis un bond.
— Oh, Dieu… Qu’est-ce que ça m’a manqué.
Le sourcil arqué, il me jugeait d’un regard sévère, me réprimandant ainsi
pour mes réactions incontrôlables tandis que j’étais censée demeurer
immobile.
— Je te veux, Ethan.
Je cherchais à me faire pardonner mais ma respiration se fit plus difficile
sous l’assaut qui me galvanisait de l’intérieur. Je luttais pour me maîtriser
comme il l’avait exigé, or sa dextérité faisait de mon clitoris un feu d’artifice
sur le point d’éclater.
— Oh, moi aussi, je te veux… J’en ai tellement envie, et là, je veux voir
ma femme jouir pour la première fois. Encore une première à ajouter à notre
longue liste.
Sous sa maîtrise absolue du geste, je me sentis dériver vers l’abysse de
l’extase, je me tendis puis me convulsai par vagues de plaisir successives.
— Aaaahh… Ethan ! hurlai-je, lâchant prise.
Il étouffa mon cri par un baiser si impétueux que j’en eus presque mal,
mais toujours profondément sensuel et romantique, comme il savait si bien le
faire. C’était une sensation extraordinaire d’être ainsi emprisonnée au moment
du plaisir et ce, jusqu’aux derniers spasmes.
Alors que j’étais encore sous l’empire de l’orgasme et de ses ultimes
étincelles, il commença à parler.
— Je t’aime tant et je vais te le prouver car ce soir, je déballe toute la
panoplie. Aucune parcelle de ton joli corps ne sera épargnée. Je te prendrai
tout entière… par tous les côtés. Je vais te remplir jusqu’à plus soif.
En disant cela, il plongea ses yeux dans les miens, me demandant ma
permission, s’assurant ainsi que j’étais tout à fait partante avec ce qu’il me
demandait. Je l’étais. Absolument.
C’était dans ces moments-là que mon amour puisait sa flamme. J’en
perdais parfois le sens de la réalité. Quand bien même Ethan était un amant
exigeant, mon intérêt demeurait en tête de ses priorités. Il prenait soin de moi,
il m’aimait et me respectait. La domination au lit était un simple jeu et n’avait
aucun rapport avec notre relation en tant qu’individus. Ethan était un mâle,
mais pas un macho.
Un mâle pour moi seule.
Comme je ne disais rien, il susurra :
— Une journée de plus sans te posséder et je deviens fou, Brynne. (Il me
mordit l’épaule.) Je t’aime tellement fort que je brûle de l’intérieur. Laisse-moi
te le prouver. Tu es si belle à m’attendre là, on dirait une déesse.
Tout en parlant, Ethan faisait courir ses mains partout sur moi, mes seins,
mon ventre, mon porte-jarretelles, mes bas.
— Je… je veux… que tu me le prouves, dis-je à bout de souffle. Prends…
prends-moi comme tu le veux.
Un grognement se faufila entre ses lèvres. Il frotta sa barbe naissante
contre mon cou en me mordillant sans réserve, j’en tremblais d’excitation.
— Et tu sais pourquoi je vais te prendre ? gronda-t-il.
— Oui…
— Dis-le-moi. Je veux l’entendre dire de ta belle bouche.
— Parce que je t’appartiens, Ethan.
Ce fut le déclencheur. Je me retrouvai écrasée contre le matelas, son
regard océan me parcourant tout entière, voilé d’un désir sauvage et sombre.
Et tout cela était pour moi. Dans ses yeux, je voyais l’amour aussi. Et cela
encore, rien que pour moi.
— Oui, ma belle, tu m’appartiens, dit-il fièrement en s’asseyant sur ses
talons. Mais je dois d’abord m’assurer que tu es prête à m’accueillir. Écarte les
cuisses, laisse-moi voir cette merveilleuse chatte qui m’a tant manqué.
Mon voyeur était de retour.
Je levai les bras, libérai mon voile et le tendis au-dessus du sol où il tomba
délicatement en flaque de gaze.
Ethan me regardait les yeux grands ouverts, la soie de son pantalon tendu
par son érection massive. Je veux cette queue. Je la veux.
Lentement, j’écartai une jambe, puis l’autre, les pieds bien à plat sur le
drap et les genoux pliés. L’envie de gigoter était terrible, mais je la réprimai
pour réaliser le fantasme de mon homme, de m’avoir totalement ouverte
devant lui, prête à être prise selon son désir. De quoi nourrir ma propre
lubricité.
— Si belle. Si parfaite. Si… mienne, récita Ethan, le visage tout proche de
mon sexe.
L’anticipation grandissante devenait insupportable. Je brûlais d’un désir
fulgurant. S’il ne me libérait pas très vite, je craignais de mourir dans l’heure.
— Putain, oui !
Et il plongea la tête la première. Sa langue me pénétra d’un coup. Je hurlai
son prénom, incapable de me contrôler, et ravie que nous soyons seuls dans
cette immense demeure car après qu’il eut posé sa bouche sur moi, je ne
maîtrisai plus rien.
Il me dévora le sexe, sa langue me pénétrait fébrilement pendant que ses
doigts me menaient vers la frontière d’un nouvel orgasme qui me ferait hurler
bien plus que son prénom.
Au point que je fus effrayée de ne pouvoir être en mesure d’en supporter
davantage tant Ethan était insatiable. Il me conduisit sans relâche à la limite de
l’orgasme pour s’arrêter juste à temps et me forcer à patienter. Cet homme
savait ce qu’il voulait et c’est avec expertise qu’il s’adonnait à ce jeu.
Le lit ondula sous ses mouvements et la soie de son pyjama se retrouva
bien vite par terre. Je l’observai tandis qu’il se positionnait entre mes cuisses,
son arme à la main, cherchant mon entrée pour lubrifier son extrémité.
Une pause. Je sentais les pulsations de son gland contre le capuchon de
mon clitoris. La folie me guettait. J’étais folle de lui. Le Dieu du sexe et son
esclave s’accoupleraient pour un aller simple vers le septième ciel. La seule
vue de son corps viril dressé devant moi suffit presque à me faire jouir.
— Pas encore, ma belle. Il faut attendre.
— Je n’en peux plus d’attendre.
Je soulevai le bassin pour illustrer mon propos. Ses mains de chaque côté
de mon visage, Ethan saisit des poignées de mes cheveux et me força à le
regarder droit dans les yeux.
— Tu veux ma queue.
Ce n’était pas une question mais une affirmation.
— Je la veux, suppliai-je.
— Dans ce cas, ma belle, tu l’auras.
Sur ce, il s’enfonça brutalement jusqu’à la garde. Comme promis.
L’intensité du coït nous arracha un cri à tous les deux. Dans un silence, nos
regards se croisèrent. À ce moment précis, nos cœurs fusionnèrent. J’en
mettrais ma main à couper.
Sa langue vint pénétrer ma bouche, puis Ethan entama un mouvement lascif
pour posséder à la fois ces deux parties de mon corps. Nous dansions à
l’unisson dans une frénésie sensuelle où la chaleur envenimait nos pulsions, il
me susurra toutes les choses que j’aimais l’entendre dire.
Retenant mon visage entre ses mains, il murmurait qu’il m’aimait, qu’il me
trouvait sublime, qu’il adorait me voir rendre les armes pour lui, qu’il avait
l’intention de me baiser ainsi chaque jour de sa vie, qu’il trouvait délicieuse la
sensation de ma chatte serrée autour de son membre…
Toutes ces choses aussi belles qu’impudiques auxquelles j’avais droit à
chaque fois, et qu’il me resservirait à volonté pour l’éternité.
Ethan respecta sa promesse, comme je m’y attendais.
Mon mari était l’incarnation de la bête virile quand il s’agissait de baiser
sa femme pour la toute première fois.
3

Je me réveillai d’un bond, la sueur au front et le souffle haletant. Brynne. Il


y a mieux que se réveiller avec la crainte d’avoir dérapé dans mon sommeil.
Avais-je hurlé des paroles enragées qui auraient pu l’effrayer ? M’étais-je
débattu contre une menace invisible au risque de la déranger dans son
sommeil ? Avais-je tenté de la baiser comme un cinglé pour m’aider à chasser
mes démons ?
Mes craintes étaient de tout premier ordre. Je savais à quel point elles
étaient concrètes puisque j’avais déjà fait subir toutes ces choses à Brynne.
Le cœur lancé à vive allure, j’osai un regard vers elle. Brynne était
allongée sur le côté, divinement belle dans sa nudité, ses cheveux éparpillés sur
l’oreiller, son odeur me rendait fou, un mélange de son parfum fleuri, de sexe
et de foutre. Elle avait le menton tendu vers moi comme pour me respirer à
pleines narines. Paisiblement endormie.
Putain, merci !
Désastre évité. Une fois de plus. Je n’avais aucun souvenir de mon rêve,
mais je détestais autant ce réveil en sursaut, qui m’arrivait encore de temps à
autre, que les cauchemars eux-mêmes.
Je me tournai sur le côté, face à Brynne, et savourai le splendide spectacle.
J’adorais la regarder dormir après une session torride. Notre nuit de noces
avait été parfaite, aussi puissante qu’orgasmique, j’avais joui de chaque instant.
L’envie de me lever pour aller fumer une cigarette me titilla les neurones,
mais je me persuadai qu’il ne s’agissait que du manque de nicotine signalé par
mon cerveau. Mon corps, lui, n’en avait certainement pas besoin, et encore
moins ma femme et mon enfant.
Ma femme était sublime quand elle dormait. Elle était toujours très belle, et
n’en faisait pas étalage, contrairement à certaines femmes que j’avais pu
connaître. Brynne se distinguait du lot. Sa beauté était discrète, loin des canons
réclamant toute l’attention, et pourtant, elle l’attirait sans effort. Dès l’instant
où mes yeux s’étaient posés sur elle à la galerie Andersen, ce fameux soir où
j’avais acheté son portrait, j’avais compris qu’elle n’était pas comme les
autres. Mon esprit avait capté avant mon corps qu’elle était unique. La première
image que j’avais d’elle restait gravée dans ma mémoire. Cet instant avait fait
basculer ma vie. Quand mes tortionnaires démoniaques tapis dans mes tréfonds
venaient me tourmenter, je m’accrochais à cette image pour reprendre pied :
celle de nos regards se croisant pour la toute première fois à la galerie. C’était
un lieu sûr où je pouvais me réfugier en pensée.
Rien que de la contempler en cet instant suffisait à réveiller ma libido,
mais en fait, il n’y avait rien de plus excitant que de la savoir désormais
officiellement mienne, sur le plan émotionnel autant que légal.
Certains diraient qu’elle m’avait complètement assujetti au point de
l’épouser et de la mettre en cloque en un temps record. Mais les gens pouvaient
bien dire ce qu’ils voulaient. Moi, je me sentais enfin à ma place. Avant
Brynne, j’étais perdu, je ne savais pas où j’allais. Désormais, avec elle à mes
côtés, c’était comme si la vie m’offrait une seconde chance. Celle de devenir
un homme normal.

Quand je fus tiré de mon sommeil une seconde fois, c’était le matin. Je
sentis que je n’étais pas le seul réveillé. Un indice évident : une main caressait
mon manche, et une langue chaude jouait avec mon téton.
— Bonjour, soupirai-je avec délice.
Brynne releva la tête en souriant.
— Bonjour, mon époux.
— Ces mots me plaisent dans ta bouche. Ce qui me plaît surtout, c’est ce
premier réveil en tant que mari et femme.
Je soulevai le bassin pour une caresse plus vigoureuse.
— Ce n’est que le début. Cette nuit, tu étais maître de la situation. Ce matin,
c’est mon tour.
— Dans ce cas, je suis un putain de mec chanceux.
Je l’attirai au-dessus de mon corps pour la posséder d’un baiser
langoureux. Puis je m’écartai en gardant son visage dans mes mains.
— Tout va bien, ma beauté ?
Je tenais à m’assurer que nous n’avions dépassé aucune limite cette nuit. Je
m’inquiétais de savoir si je ne l’avais pas baisée un peu trop brutalement, je ne
devais pas oublier qu’elle était enceinte. Plus nous approcherions du terme,
plus il faudrait ralentir la cadence. Mais le Dr Burnsley m’avait assuré que,
pour l’instant, nous n’avions aucune restriction.
— Oui, plus que jamais, dit-elle, son beau regard brun-doré brillant de
malice.
— Cette nuit était magique. Tu m’as ébloui.
La légère teinte rosée qui colorait ses joues dès qu’elle songeait à nos
activités cochonnes m’excita de plus belle. Cette déesse m’autorisait à faire ce
que je voulais de son corps. Sa confiance aveugle en moi était comme un
trésor que je comptais chérir.
— Toi aussi.
Elle caressait mon bijou d’une poigne ferme puis vrilla légèrement autour
du gland. J’étais dur comme la pierre.
— … Putain, que c’est bon, sifflai-je, les dents serrées.
— Je sais, se félicita ma coquine avant de se pencher pour le prendre dans
sa bouche.
— Oh… putain, oui ! Oui, c’est ça…
Incapable de prononcer une parole intelligible, je me tus et me contentai de
prendre ce qu’elle m’offrait si généreusement.
Brynne savait sucer ma queue à la perfection. Elle avait un vrai savoir-
faire : les longues succions qui me glissaient au fond de sa gorge, les coups de
langue sur la veine irriguant mon érection, jusqu’au pincement de mes
testicules pile au moment où j’en avais besoin…
Je laissai œuvrer ma magicienne et basculai la tête en arrière, lui
permettant de prendre le contrôle de mon plaisir.
Pour l’instant.
Avant que la tentation ne soit trop forte et que je reprenne les manettes.
Avec une dextérité sans pareille, Brynne m’aspirait toujours plus
profondément de ses lèvres humides et chaudes quand je sentis ma queue
gonfler et mes couilles durcir. Non. Ce matin, je voulais jouir dans sa jolie
chatte, point barre.
Je l’arrêtai donc et la positionnai à cheval au-dessus de moi. Il me suffit de
la soulever pour trouver ma cible. Sans un mot, elle me comprit et m’accueillit
aussi loin qu’elle le put.
Magnifique. Putain. La perfection incarnée.
Mon invasion lui arracha un cri. Elle s’arc-bouta, les cheveux lui frôlant le
bas des reins, et m’offrit une vue imprenable sur ma queue martelant sa chatte
comme si nos vies en dépendaient.
Brynne savait. Elle savait exactement ce que j’aimais et comment me
satisfaire. Une parfaite déesse du sexe.
Tout en me chevauchant, elle fit des bruits qui servirent de carburant à ma
fougue. Je l’attrapai par les hanches en la faisant aller et venir avec frénésie
jusqu’à ce que ses cris s’épuisent et ne soient plus que plaintes, signe qu’elle
était près du but.
— Regarde-moi, ma belle. Je veux te regarder dans les yeux quand tu jouis
autour de mon manche. Laisse-moi sentir tes sucs se répandre sur moi. Je veux
lire l’extase dans tes yeux.
Il y eut un éclair passionnel entre nous qui resterait à jamais gravé dans ma
mémoire. Brynne me regarda dans cet instant de possession ultime, les joues
rougies de plaisir, les tétons durs comme des cailloux, frissonnante sous mes
doigts, la tignasse en cascade sur ses épaules, les yeux perçants d’une
satisfaction indescriptible. Un spectacle qui me laissa bouche bée.
Elle baissa le menton et m’observa longuement de son regard
charbonneux. Je sentis naître de premiers soubresauts, bien vite accompagnés
de la crispation de ses muscles intimes autour de mon sexe. Je me sentis plus
solide que jamais, prêt à lâcher une décharge puissante qui m’expédierait dans
le néant. Lors d’une telle chevauchée, mes pensées vagabondaient ailleurs, loin
du monde réel. Il n’y avait que ma verge en elle, ma bouche sur sa peau, mes
doigts dans ses cheveux… Ethan à l’intérieur de Brynne. Plus rien d’autre au
monde.
Le temps m’avait échappé, quand je pus refaire surface, Brynne, allongée
sur moi, respirait profondément, j’étais toujours en elle. J’avais les lèvres
scellées à son cou et suçotais paresseusement cette parcelle de peau avec la
pointe de ma langue.
Au bout d’un moment, je me ressaisis. Je venais de laisser une belle
marque rouge au creux de sa nuque. On aurait cru que je l’avais mordue, ce
qui m’était déjà arrivé, et arriverait sans doute encore. Parfois, je lui faisais
des choses discutables, quand je me laissais prendre dans l’instant.
Heureusement que Brynne ne se formalisait pas des suçons que je pouvais lui
laisser. Je me reprochais souvent de perdre le contrôle, cependant, cela ne
m’était jamais arrivé avant elle. Brynne était l’unique femme avec laquelle je
ne pouvais pas me maîtriser pendant l’amour. Jamais je n’avais vécu un tel
lâcher-prise, une telle mise à nu, corps et âme. Elle était aussi la seule personne
à laquelle j’accordais une confiance absolue.
— Je t’ai laissé un suçon de folie, ma belle. Je suis désolé…
— Je m’en fiche, tu le sais bien, m’interrompit Brynne.
— Cette fois, tu t’en ficheras moins lorsqu’il te faudra saluer tous les
convives qui restent passer le week-end chez Hannah et Freddy.
Frôlant avec mon pouce la zone rougie entre son oreille et la naissance de
son cou, je me demandai ce qu’elle en penserait vraiment en le voyant dans le
miroir.
— Je suis une bête, qu’est-ce que j’y peux ? soupirai-je.
— Tu es ma bête adorée, ton suçon me plaît déjà. Je n’aurai qu’à le
dissimuler sous mes cheveux.
Brynne se recroquevilla contre moi et poussa un bâillement sexy.
— J’en connais une qui a sommeil.
— Ben ouais, c’est ce qui arrive lorsqu’on a mieux à faire que dormir
pendant la nuit.
Elle se retourna aussitôt, la main sur mes côtes comme si elle allait me
chatouiller. Brynne repassait à l’attaque mais je m’empressai d’intercepter sa
main baladeuse, saisissant au passage une poignée de son petit cul rebondi. À
tous les coups, cette douceur sous mes doigts m’emportait au septième ciel.
— On ferait mieux de se préparer, ma belle.
À contrecœur. J’aurais préféré rester au lit toute la journée et ajouter
quelques heures de sommeil au compteur.
— Non mais je rêve ? Rappelle-moi qui a eu cette idée brillante d’une fête
somptueuse avec petit déjeuner commun le lendemain des noces ? Parce que ce
n’est certainement pas moi.
Elle marquait un point. Notre mariage avait pris une tournure
événementielle qu’aucun de nous deux ne désirait, mais à l’origine, une telle
extravagance se justifiait par le contexte menaçant d’un harceleur anonyme. En
exposant Brynne aux yeux de la société par un mariage ultra-médiatisé,
j’assurais sa protection. Nous ignorions à l’époque que cet inconnu était un fou
furieux du nom de Karl Westman, et je craignais alors que la menace ne
provienne de cellules bien plus haut placées… de celles qui éliminent
proprement. J’en étais convaincu. Westman avait été descendu par les services
secrets américains. Opération danger anéanti… menée par des experts capables
de faire disparaître qui bon leur semblait sans laisser de trace.
Westman rayé de la carte, les préparatifs du mariage étaient déjà lancés et
les communiqués diffusés dans toute la presse people. Il était trop tard pour se
raviser. Nous avions donc poursuivi sur notre lancée : de nombreux invités
prestigieux, un grand mariage de luxe, des convives priés de rester le week-
end entier et un départ en grande pompe pour notre lune de miel en Italie, le
tout destiné à informer le monde entier que Brynne était l’épouse d’un garde
du corps d’élite lié au gouvernement britannique.
Visiblement, la nouvelle tendance consistait à passer la nuit sur place pour
souhaiter aux jeunes mariés un heureux départ en lune de miel le lendemain
matin. Laissez-moi rire…
Il me tardait de partir, justement. Brynne et moi en Italie, seuls dans notre
bulle où tout ne serait que paix et sécurité, là où nous pourrions enfin respirer.
Je lui souris, déposant un baiser sur le bout de son nez.
— C’était mon idée, ma chérie. Tu as le droit de m’en vouloir.
Relevant la tête, Brynne n’ouvrit qu’un œil.
— T’en vouloir parce que je suis fatiguée après une nuit de noces sportive
ou à cause de cette folie de mariage qu’aucun de nous deux ne souhaitait ?
Je ris à son raisonnement.
— Les deux. Je suis coupable sur tous les plans, madame Blackstone.
— Très bien, j’ai trouvé ta punition. Tu devras faire couler l’eau dans la
douche et me porter jusqu’à la salle de bains. Je me sens incapable de marcher,
tu connais l’effet de tes orgasmes sur moi.
Oui, je les connaissais parfaitement. D’habitude, elle s’endormait.
— Je ne suis pas sûr d’en être encore capable après cette baise épique mais
je ferai de mon mieux.
Je la fis rouler vers moi avec précaution et m’assis au bord du lit.
— Je suis motivé à fond, ma jolie. J’ai la ferme intention de te kidnapper
pour t’avoir pour moi tout seul, déclarai-je, puis je vérifiai l’heure sur mon
téléphone posé sur la table de chevet. Pour ce faire, il me reste cinq heures
avant de t’emporter en avion direction la côte italienne. S’il faut d’abord
supporter un petit déjeuner avec une kyrielle de gens pour arriver à déguerpir
d’ici, soit, mais sache que si cela était en mon pouvoir, nous serions déjà loin
d’ici à l’heure qu’il est.
La seule réponse de Brynne, allongée dans le lit, fut de m’observer pendant
que je partais faire couler l’eau de la douche. À mon retour, elle n’avait pas
bougé, lascivement emmêlée dans les draps, le corps engourdi par ce que je
venais de lui faire subir. À mes yeux, il n’y avait rien de plus beau. Brynne était
la définition même de la beauté, surtout après que je l’avais baisée.
Son regard parcourait lentement mon corps, comme souvent lorsqu’elle
me voyait nu. Ma jolie ne manquait jamais une occasion de me lorgner. Si
nous n’avions pas baisé à en crever, j’aurais eu une trique d’enfer sous son
regard de braise. Brynne n’avait nul besoin de mots pour me faire passer un
message. Comment était-il possible qu’elle soit si putain de sexy en ne faisant
rien d’autre que me regarder ? Allez savoir. En tout cas, c’était moi le vrai
salopard chanceux qui remportait la mise coup sur coup.
Nous nous sommes ainsi regardés un long moment, puis l’infime sourire
dont elle avait le secret se dessina doucement sur ses lèvres. Ce sourire me
disait combien elle était heureuse à cet instant précis et à l’idée de ce que
l’avenir proche nous réservait.
— Vous êtes absolument craquant, vous savez, monsieur Blackstone.
Je secouai la tête.
— Je peux bien trouver quelques mots pour me décrire, ma belle, et
« craquant » ne fait définitivement pas partie du lot.
Affamé, fou amoureux, enivré, mais certainement pas « craquant ».
— Pourtant, moi, je te trouve craquant. De te voir ainsi frustré à l’idée de
te montrer sociable avec des « gens », comme tu dis, qui se révèlent être notre
famille et nos amis les plus proches, des « gens » qui veulent notre bien et nous
souhaiter une heureuse lune de miel. C’est craquant.
— Je sais, soupirai-je. Mais je n’ai pas envie de te partager, aujourd’hui.
Avec personne.
Au moins, j’étais honnête.
Comme Brynne tendait les bras vers moi, je la soulevai et positionnai ses
fesses sur mes bras croisés, elle serra alors ses jambes autour de ma taille. Je
me dirigeai vers la salle de bains, prolongeant le baiser jusqu’au bout, en
comptant les heures qui nous séparaient de la liberté.

Sans surprise, nous fûmes accueillis à Hallborough par des sifflements


enthousiastes pour le petit déjeuner de notre lendemain de noces. Ethan aurait
fait le mur s’il avait pu, mais j’étais parvenue à le convaincre que nous
n’avions pas vraiment le choix. Tout le monde serait tellement heureux de nous
voir ce matin, avais-je argumenté. En définitive, il était forcément d’accord
avec moi puisque j’usais de mon talent de persuasion. C’était un don, autant
s’en servir. Mais sur les lieux, les regards en coin en dirent long sur les
spéculations des uns et des autres concernant la manière dont mon mari et moi
venions d’occuper notre nuit. Trop indiscrets à mon goût. Je déteste sentir que
les gens fourrent leur nez dans mon intimité, même par la pensée. À cet instant,
c’était flagrant.
M’efforçant d’afficher un sourire radieux, je subodorais que chaque
personne présente m’imaginait dans toutes les positions avec Ethan. J’étais sur
la défensive. Finalement, j’avais bien envie de faire le mur, moi aussi. Ethan
dut sentir ma tension, car il me serra doucement le bras et me glissa à
l’oreille :
— Quatre petites heures, ma chérie. Courage.
Sur ce, il déposa un baiser sur ma tempe et nous nous jetâmes dans la
gueule du loup.
En saluant mes invités, je gardai en tête les efforts fournis par Hannah,
grâce à qui tout s’était déroulé sans accroc. Nous pouvions la remercier, ainsi
que notre organisatrice de mariage et Elaina, dont le coup de pouce était arrivé
à pic. J’en garderais un souvenir magique grâce à elles.
Une seule chose me manquait terriblement. Ou plutôt une seule personne.
Mais nul ne pouvait y changer quoi que ce soit.
Je t’aime, papa.
Dans la salle de réception de Hallborough étaient dressées de longues
tables recouvertes de nappes en lin couleur crème. Des fleurs violettes et des
couverts en vieil argent brossé agrémentaient le tout. Cette décoration avait dû
coûter une fortune. J’étais heureuse de me dire que nous serions bientôt les
voisins de Freddy, Hannah et leurs trois enfants. Pour moi, il n’y avait rien de
plus important que l’amour et le soutien d’une famille. Ils nous avaient déjà
beaucoup apporté. J’avais hâte de renforcer les liens entre nous et d’apprendre
à les connaître davantage.
Je me retrouvais donc dans cette pièce somptueuse, aux côtés de mon mari,
à saluer et remercier toutes les personnes qui étaient restées à Hallborough
pour célébrer avec nous cet événement. Comme toujours, Ethan était charmant
à tomber à la renverse et ce, sans le moindre effort. Ses cheveux humides
bouclaient sur le col de son pull crème, et il avait un jean délavé et des
mocassins camel en cuir souple. Ethan portait aussi bien le style décontracté
que les costards. Craquant.
Après la douche, nous avions dû nous dépêcher pour nous habiller et
prendre la voiture jusqu’à l’imposante demeure de sa sœur. Nous avions
insisté auprès de nos convives pour que personne ne soit tiré à quatre épingles.
C’était une fête décontractée. D’où le jean d’Ethan et, pour moi, ma petite robe
à œillets blanche et, mes chaussures compensées en cuir. Effectivement, le
suçon qu’Ethan m’avait laissé dans le cou imposait une coiffure lâche. Je
n’avais pas envie de partager avec mes invités la folie de ma nuit de noces.
Cela ne ferait que nourrir leur curiosité malsaine, or j’étais trop pudique pour
ce type d’indiscrétion. Ethan m’avait surprise par ses profonds remords vis-à-
vis de cette marque rouge sur ma peau. Pour un homme aussi dominateur
pendant l’acte, je le trouvais bien angoissé après coup. Pourtant, je lui avais
répété maintes fois que s’il allait trop loin, je n’hésiterais pas à le lui dire, mais
je n’étais pas persuadée qu’il me croie vraiment. Ah, Ethan, que vais-je faire de
toi ?
Pendant la réception, il ne me quitta pas d’une semelle. Nous passions de
table en table, et il avait toujours un bras autour de ma taille ou une main au
creux de mes reins. Un baiser atterrissait de temps à autre dans mes cheveux, et
il me caressait le bras à l’occasion. À croire qu’il en avait besoin. Cette idée
me permettait d’une certaine façon de mieux gérer mes émotions. Ce pouvoir
que je détenais sur Ethan me donnait la force de discuter avec nos proches d’un
air assuré.
Même ma mère se débrouilla pour paraître heureuse.
— Oh, ma chérie, quelle belle robe tu as choisie pour ton départ en lune de
miel. Le travail de l’ourlet est d’une finesse, c’est magnifique ! s’extasia-t-elle.
Le travail de l’ourlet ? C’est une plaisanterie ?
— Hum… Merci, maman. Tu me connais, j’aime les choses simples et
rudimentaires.
Sur ce, j’acceptai son étreinte. Ethan et ma mère s’adressaient à peine la
parole. Leur trêve ne m’avait pas échappé. Ils avaient l’intelligence de ne pas
polluer la fête avec leurs différends. Pauvre Ethan. Il avait hérité du célèbre
cliché de la belle-mère acariâtre et devrait la supporter pour l’éternité.
Ma réponse fit tout juste froncer les sourcils à ma mère – en tout cas autant
que possible pour sa peau lissée qui ne laissait rien voir de ses quarante-quatre
ans, mais d’après mes critères, le froncement était bien là.
— Tout de même, ma chérie, tu aurais pu choisir une robe plus
sophistiquée. Tu devrais en profiter tant que tu le peux encore.
Ma mère s’aperçut aussitôt de sa maladresse et se mit à tripoter mes
cheveux. Elle venait d’évoquer ma grossesse tout en évitant le sujet tel un
éléphant méticuleux dans un magasin de porcelaine. Bien joué, maman.
Pourquoi ne pouvait-elle pas ressembler ne serait-ce qu’un peu à ma tante
Marie ? Elle, au moins, ne me jugeait pas, ne me faisait pas passer pour une
traînée irresponsable tombée enceinte avant le mariage, et ne faisait pas non
plus semblant d’oublier qu’elle serait grand-mère dans six mois.
— Je ne comprends pas pourquoi tu n’attaches pas tes cheveux, ma chérie.
Un simple chignon et ton cou affiné révéleraient une élégance…
Les yeux de ma mère s’écarquillèrent. Elle relâcha la poignée de cheveux
comme s’il s’agissait d’un déchet radioactif, et quand les mèches recouvrirent
l’objet du délit, elle poussa Frank vers moi pour qu’il me présente ses vœux.
Mon suçon géant ne plut pas, mais alors pas du tout, à chère maman. J’eus une
envie folle de lui décrire combien il avait été jouissif de me faire ainsi
marquer par mon homme.
Si seulement je pouvais boire ne serait-ce qu’un verre du cocktail mimosa
dont profitaient tous nos convives.
Mon beau-père, Frank, m’embrassa sur la joue et me dit combien il me
trouvait belle. M’efforçant d’apprécier son compliment, je ne pus retenir un
haut-le-cœur à l’idée que mon père n’était pas des nôtres aujourd’hui. Et que je
ne le reverrais jamais.
L’instinct d’Ethan ne le trompait pas. Conscient de mon désarroi, il
remercia Frank et ma mère d’être venus et nous fit passer à la table suivante.
Quel soulagement de rejoindre Neil et Elaina.
— Tu marches encore, mon vieux ? le taquina Neil en lui assénant une
vigoureuse tape dans le dos.
— Comme tu le vois, confirma Ethan dans une semi-accolade, offrant lui-
même une tape amicale à son ami et collègue.
Mais Neil n’en avait pas terminé. Je les avais déjà vus en action, ces deux
zouaves, et ils étaient capables de se charrier pendant des heures.
— Alors, Brynne ? Comment s’est débrouillé notre athlète ? s’enquit Neil
avec un rire sonore. En tout cas, tu es resplendissante, ce matin.
Elaina lui donna un coup sur le bras en le sommant de se taire.
Dans un rire, je déclarai qu’une dame ne répondait pas à ce genre de
question. S’ensuivirent des embrassades avec notre cher couple d’amis. Neil
travaillait avec Ethan pour la Blackstone Security. Elaina et moi, nous étions
entendues dès le premier jour. Ils habitaient l’appartement d’en face, à
Londres, et nous sortions souvent tous les quatre.
— Dans six semaines, on remet le couvert. Mais cette fois, ce sera votre
tour de supporter les sous-entendus coquins de toute une assemblée de proches,
taquinai-je Neil pour qui la grande date approchait.
Celui-ci me décocha un grand sourire en serrant Elaina contre sa stature
imposante.
— Je sais, et crois-moi, je compte les jours. Vivement que je fasse d’elle
une femme honnête.
— N’échange pas les rôles, mon vieux, rétorqua Ethan en riant.
— Tu as raison. En tout cas, tu pourras enfin emmener Brynne en Écosse
pour qu’elle découvre l’arrière-pays.
— Si tu savais comme il me tarde d’y être, Neil. Tiens, je paierais cher
pour être déjà en Écosse, et m’attabler là, tout de suite, à votre petit déjeuner
post-nuptial.
Sur ce point, j’étais franche. J’échangeai un regard complice avec Ethan. À
l’origine, nous avions piqué à Neil et Elaina l’idée de garder les invités pour le
week-end. Neil était propriétaire d’un grand domaine en Écosse et, comme tout
le monde arriverait de loin pour leurs noces, ils avaient prévu d’accueillir
ceux qui voudraient passer la nuit sur place. Cela me semblait être une bonne
idée, à l’époque.
— Pourquoi ? demandèrent-ils en chœur.
— Vous verrez, leur avons-nous répondu l’air innocents.

— Où est passée Gaby ? J’aimerais lui dire au revoir.


J’avais examiné la grande salle plusieurs fois, ma meilleure amie n’était
nulle part en vue.
— Excellente question, admit Ethan. Et Ivan, où est-il ?
Je haussai les épaules.
— On dirait que nos témoins ont disparu vers d’autres horizons. Tu crois
qu’ils ont disparu ensemble ? Ce serait drôle, gloussai-je.
— Ça ne m’étonnerait pas d’Ivan. Gabrielle est tout à fait son genre.
— Hier soir, quand j’étais avec Ben et que nous espionnions Simon
pendant qu’il prenait ses photos délirantes, il m’a semblé sentir que le courant
passait bien entre eux. Tu crois qu’il y a un petit quelque chose entre ton cousin
et ma copine ?
— Si c’est le cas, Ivan cache bien son jeu. Mais le soir du gala de
Mallerton, c’était bizarre. Quand l’alarme a sonné, je les ai vus accourir depuis
le même endroit à quelques secondes d’intervalle. Je me demande s’ils étaient
ensemble…
— Tu ne me l’as jamais dit, Ethan ! m’indignai-je. Vous, les hommes, vous
ne savez pas entrer dans les détails.
— Ce soir-là, j’avais plus important à faire, figure-toi. Te retrouver, par
exemple.
Ethan m’attira contre lui pour un long baiser sensuel. J’en oubliais que
nous étions dans une salle bondée de gens dont les regards étaient rivés sur
nous quand justement, le tintement d’un couvert contre un verre de cristal nous
ramena à la réalité. Je me mis à rougir et entendis Ethan grommeler en me
lâchant et souffler tout bas :
— Encore quatre heures, putain.
— Les voilà. Monsieur et madame Blackstone nous font enfin l’honneur de
leur présence.
Le père d’Ethan, Jonathan, nous accueillit tous les deux dans ses bras.
— Voilà une bonne chose de faite, mes enfants. Et bien faite, ai-je envie de
dire.
Il m’embrassa la joue et donna une tape à l’épaule de son fils. Tous les
deux échangèrent un regard d’homme à homme, se comprenant
silencieusement, sans l’ombre d’un doute.
Je ne pouvais qu’imaginer de quoi il s’agissait, mais j’avais mon idée. La
mère d’Ethan était là avec eux pour cette étape si importante de la vie de son
fils. Jonathan leva les yeux vers le plafond un bref instant avant d’acquiescer
d’un signe de tête en direction de son fils. Ethan en fit autant puis me serra
doucement la main.
Cette main emprisonnée dans la sienne et qu’il n’avait pas lâchée depuis
notre arrivée.
Ainsi, notre union officielle naquit sous le soleil de cette fin du mois
d’août, à peine quatre mois après que nos regards s’étaient croisés pour la
toute première fois. C’était un soir de printemps, nous nous étions aperçus au
travers d’une foule, dans une galerie de photos d’une ruelle de Londres. Le
destin avait frappé et changé le cours de nos vies à jamais.
4

30 août, sur la Riviera italienne


Sous la chaleur du soleil méditerranéen, le petit village de Porto Santo
Stefano offrait une vue imprenable sur les îles rocheuses dans la crique. Mais
moi, je ne voulais pas ouvrir les yeux. Il faisait si bon et je sommeillais bercée
par ce calme bien mérité. Quelle différence de rythme en moins d’une semaine.
Ethan et moi avions découvert l’endroit idéal. Une bulle où il n’était pas
question de se protéger, d’anticiper une tragédie future, de ressasser une
tragédie passée, rien de tout ça.
Certes, ma vie avait radicalement changé en quatre mois, mais j’étais folle
amoureuse de mon mari. La grossesse n’était pas prévue, cela avait été un choc
pour nous deux, mais j’avais réussi à l’accepter. Nous allions être parents. Je
caressai tendrement mon ventre. Encore deux jours avec notre petite pêche.
Ensuite, elle ressemblerait plutôt à un citron. Notre prochain rendez-vous avec
le Dr Burnsley était dans un mois. À ce stade, nous pourrions avoir une
première idée du sexe de l’enfant sur l’échographie, mais moi, je voulais
garder la surprise. Là-dessus, personne ne me ferait changer d’avis. J’avais
prévenu Ethan qu’il pouvait le savoir s’il le souhaitait, mais qu’il n’avait pas
intérêt à me le dire. Sa réponse s’était limitée à un regard perplexe dans lequel
j’avais lu : « Je t’aime, mais là tu me fais très peur, ma chérie. » Puis il s’était
empressé de changer de sujet. Les hommes, je vous jure… En tout cas, c’était
mon homme à moi, et le reste n’avait pas d’importance. Ensemble, nous
ferions face à la terrifiante perspective de devenir parents.
En attendant, je me prélassais sur la plage italienne d’une villa privée et
patientais en attendant que mon homme veuille bien m’apporter une boisson
fraîche lorsqu’il aurait fini de nager. C’est pas mal… madame Blackstone. Je
ne me faisais toujours pas à ce nom, madame Blackstone, contrairement à
Ethan qui me le servait à toutes les sauces.
Je plissai les yeux et admirai l’alliance à mon doigt. Je suis mariée. À
Ethan. Nous allons avoir un bébé fin février. Arriverais-je un jour à y croire
vraiment ?
Je tournai la tête de l’autre côté, changeai de position, et refermai les yeux.
Ici, le soleil était généreux, bien plus qu’à Londres où l’automne allait bientôt
montrer le bout de son nez. Les longues journées d’hiver sonneraient alors à
notre porte. C’était le moment de profiter des dernières chaleurs.
Je laissai mon esprit vagabonder vers des pensées heureuses et apaisantes.
Tout ce qui relevait de la tristesse ou du malheur devait rester sagement rangé
dans sa boîte sur l’étagère de ce placard que je détestais ouvrir. Celui où je
fourrais mes idées sombres pour qu’elles prennent la poussière loin de moi :
les regrets, la tristesse du deuil, les mauvais choix, et les conséquences qui en
découlaient encore aujourd’hui.

Des gouttes glacées tombèrent sur mon épaule et me tirèrent de ma rêverie.


Ce devait être Ethan de retour avec une boisson. J’ouvris un œil vers sa
silhouette à contre-jour, appréciant moyennement d’être ainsi tirée de mon état
de torpeur et de lui voir arborer son air sévère. Dieu, que c’était un bel homme
avec ses muscles sculptés et sa peau dorée. Les années pouvaient bien passer, je
ne me lasserais jamais de contempler. Ethan. Quant à lui, il se fichait pas mal
de ce que les gens pouvaient penser, ce qui le rendait encore plus séduisant.
Pourtant, ce n’étaient pas les admirateurs qui manquaient. Et pas que des
femmes. Nombreux étaient les hommes qui lorgnaient mon mari. Tout cela le
laissait de marbre.
— Qu’est-ce que tu m’apportes ? murmurai-je.
Il me tendit une bouteille d’eau fraîche.
— Tu devrais remettre une couche de crème solaire, tu commences à rosir.
— C’est une excuse pour me peloter ? l’accusai-je.
Ethan s’agenouilla près de ma serviette et leva un sourcil :
— Et comment ! Toute excuse est bonne à prendre pour tripoter ma
gonzesse.
Je sirotai de l’eau et fermai les paupières pendant qu’il me badigeonnait les
bras et les épaules, savourant la sensation de ses mains sur mon corps. Ses
mains. Son contact. Oui, ses mains me faisaient toujours autant d’effet, alors
qu’on n’aille pas s’étonner que je n’avais jamais été capable de lui résister. Et
ce, depuis le tout début. Le premier soir, à la galerie Andersen, son regard
m’avait foudroyée à travers la foule. Ensuite, en pleine rue, ce parfait inconnu,
la main au creux de mes reins, m’avait sommée de monter dans sa Rover, puis
convaincue de manger et de boire ce qu’il m’avait acheté. Plus tard, il m’avait
passionnément embrassée dans le couloir d’une agence de photographie. Il
avait posé les mains sur moi comme si c’était son droit et qu’il le revendiquait
sans la moindre excuse, dépassant les limites de la bienséance alors qu’on se
connaissait à peine. Avec moi, Ethan avait toujours assumé ses envies, et il n’y
allait pas avec le dos de la cuillère.
Bizarrement, cela ne m’avait pas dérangée. Pour moi, tout s’était déroulé
naturellement entre nous, même si au début j’avais eu du mal à croire qu’un
homme comme lui puisse s’intéresser à moi. Cependant, je n’avais pas hésité
un seul instant à lier intimement mon destin à celui d’Ethan James Blackstone.
Dès qu’il posait les mains sur moi, il confirmait que j’étais en sa possession. Et
j’adorais ça.
— Ça fait tellement de bien.
— Je suis d’accord, dit-il en grinçant des dents. Retourne-toi.
Je m’exécutai, un bras en travers du visage pour me protéger du soleil.
Ethan prit soin de me recouvrir entièrement de crème. Arrivé au niveau de ma
poitrine, il glissa les doigts sous mon haut de maillot de bain et frôla mes
mamelons sensibles, encore et encore jusqu’à ce qu’ils pointent, j’en
frémissais.
— Tu ne vas quand même pas abuser de mon corps dans un lieu public ? le
charriai-je.
— Pas du tout, répliqua-t-il en se glissant sous ma serviette pour réclamer
un baiser. Je vais abuser de ton corps sur une plage privée où personne ne peut
nous surprendre. Nuance.
Ses mains s’affairaient sur les bretelles de mon soutien-gorge. Celles-ci
cédèrent rapidement pour laisser sa moustache exquise me taquiner les tétons.
Maintenant, dès le premier contact, je sursautais comme sous le coup d’une
décharge électrique avant de pouvoir savourer les caresses de sa bouche sur
mes tétons. C’était sans doute à cause de ma grossesse. Je glissai les doigts
dans ses cheveux comme il me dévorait les seins, j’aimais tant ses caresses.
— Je te préviens, Blackstone, il n’y aura pas de partie de jambes en l’air
sur cette plage, maintenant.
— Aaah, tu me déçois, ma belle. Et moi qui rêvais de te baiser sur le sable
chaud pendant notre lune de miel.
— Si tu y tiens tant, je te conseille d’attendre que le soleil soit couché.
C’est le début de l’après-midi, on pourrait nous voir. Je n’ai pas l’intention de
m’exhiber pour qui voudra bien se rincer l’œil. Tu n’as jamais entendu parler
des caméras cachées sur les plages pour filmer les couples qui baisent ?
Il leva les yeux au ciel.
— Mais il n’y a pas un chat sur des kilomètres à la ronde ! Autour de nous,
rien que le sable, la mer… et nos deux âmes amoureuses.
Aguicheur, Ethan agita les sourcils.
— Tu es fou à lier, soupirai-je en l’attrapant par le menton pour lui offrir
un baiser.
Ethan éclata de rire et me regarda remettre mon haut de maillot en place.
— Et toi ma beauté, tu es folle de porter un tel bikini. Ça devrait être
interdit. On dirait une sirène échouée sur la rive.
Un sourire se dessina sur mes lèvres. S’il était sincère, j’acceptais
volontiers le compliment.
— Bientôt, je ne pourrai plus porter de maillot, murmurai-je, une main
posée sur mon ventre qu’il recouvrit de sa main à lui.
— Ne t’inquiète pas, tu es magnifique avec ton petit bidou. Notre petite
pêche est d’accord avec moi. Pas vrai, Petite Pêche ? Tu m’entends ? C’est
papa. Dis à maman qu’elle est canon en bikini, tu veux ?
J’eus un petit rire. Décidément, Ethan me faisait chavirer. Je ne pensais pas
qu’il était possible de l’aimer toujours plus, et pourtant chaque jour me le
prouvait. Posant l’oreille sur mon nombril, il fit mine d’écouter, hochant
exagérément la tête à plusieurs reprises.
— D’accord. Petite Pêche confirme que tu es canon. Et je peux affirmer de
source sûre qu’il est totalement vain de remettre en question l’avis d’un bébé.
Surtout s’il n’est pas encore né.
J’esquissai un sourire comblé.
— Je t’aime, mon cher mari complètement cinglé.
— Je t’aime, ma splendide femme. Mais j’insiste, ajouta-t-il avec un rictus
diabolique, on devrait baiser sauvagement sur cette plage au moins une fois
avant la fin du séjour.
— Mon Dieu, quand tu as une idée dans la tête, tu ne l’as pas ailleurs ! On
va te trouver un hobby.
Rejetant la tête en arrière, Ethan éclata de rire.
— Ma chérie, mon hobby est tout trouvé : te baiser, au cas où tu ne l’aurais
pas remarqué.
Je lui chatouillai les côtes.
— Essaie plutôt la chasse aux lapins ou le jardinage, un truc dans le genre.
D’un geste maîtrisé, il captura ma main taquine qu’il couvrit de baisers.
— Je farfouille ton buisson quand tu veux, ma belle. Et je peux même
chasser ta lapine.
Je me recroquevillai contre lui, le nez enfoui dans son torse si odorant et
dont les poils me chatouillaient les narines.
— Tu me rends tellement heureuse, Ethan.
Mes paroles eurent un effet immédiat sur lui. Il réagit au quart de tour, se
leva d’un bond et me souleva dans ses bras.
— Referme les jambes autour de ma taille.
J’obéis docilement, scellant mes chevilles dans son dos.
Notre long baiser nourrit le trajet jusqu’à la villa comme si nos corps en
dépendaient. La force d’Ethan m’avait toujours subjuguée. Aujourd’hui plus
que jamais, elle m’excitait.
Nous avons passé les deux heures suivantes à nous enlacer sous les draps,
où Ethan me fit l’amour avec douceur, tendresse et lenteur. Nous avions la vie
devant nous.

— Qu’est-ce que tu veux pour dîner ? Je te prépare quelque chose ?


— Non, répondit Ethan.
— Ça ne me dérange pas, tu sais. Cette cuisine est très agréable et les
placards sont remplis.
Ethan jouait avec une mèche de mes cheveux. C’était son truc. Il le faisait
sans y penser, comme un réflexe, dès lors qu’on se retrouvait au lit ensemble.
Mais pour lui, ce geste était important. Le fait de me toucher, sans qu’il y ait
forcément de visée sexuelle, semblait apaiser son tempérament de feu. Avec
moi, Ethan cherchait sans arrêt le contact.
— Tu as faim ?
J’opinai contre sa main posée sur ma tête.
— Oui, j’ai retrouvé l’appétit. Notre petite création a besoin de calories
pour grandir. Surtout de desserts.
J’enfonçai mon doigt dans ses côtes pour le faire bouger.
— Doucement, madame l’impatiente ! s’indigna Ethan. C’est bon, j’ai
compris : ne jamais priver une femme enceinte de nourriture.
— Et n’oublie pas le dessert, insistai-je en tentant un nouvel assaut vers ses
côtes, mais il intercepta mon attaque sans mal.
— Ce soir, je t’invite au restaurant. Je ne veux pas que tu cuisines mais que
tu te reposes. Et puis, tu mérites un dessert de folie.
— Oooh, merci, mon chéri, tu es trop gentil.
Je lui offris mes lèvres mais, au lieu de les dévorer, Ethan préféra me
donner une tape sur les fesses, le regard animé d’une flamme malicieuse –
non, démoniaque.
— Dépêche-toi de mettre ce petit cul sous la douche avant que je n’en fasse
de nouveau mon affaire.
Je quittai tant bien que mal notre lit douillet, mais avant de m’éloigner, je
me penchai vers mon adorable mari aussi autoritaire que sexy dans sa tenue
d’Adam, et posai un doigt sur son torse pour l’empêcher de se redresser. Le
regard aguicheur, je saisis ensuite mes seins à pleines mains et taquinai la
pointe de mes mamelons avec langueur en les vrillant légèrement. Pour
couronner le tout, j’ourlai ma langue et la passai sur le bord de mes lèvres.
Ethan ne bougeait plus, subjugué. À croire qu’il s’était arrêté de respirer
en regardant mon numéro de femelle en chaleur. J’appuyai mon index sur l’un
de ses tétons puis, ongle pointé sur la chair, le fis glisser lentement en travers
de ses tablettes de chocolat, puis plus bas encore, suivant le V de son bassin qui
me conduisit tout droit à la base de sa verge.
Sa poitrine se soulevait par saccades tandis que je l’éraflais tout le long. Je
n’avais aucune pitié. Ethan était mon esclave sexuel et le savait aussi bien que
moi. Je ne pus résister à un dernier acte de torture : un clin d’œil.
— Je t’ai eu ! lançai-je avant de filer à toute vitesse vers la salle de bains.
Évidemment, Ethan me coursa, me chatouillant les côtes à m’en faire
hurler de rire. Nous nous sommes douchés pour partir dîner, mais d’abord, il a
pris soin de se venger.
Et j’en ai payé le prix fort.
Ça se comptait en orgasmes.

— J’en connais une qui se régale, observa Ethan, le sourire aux lèvres.
Mon succulent plat de pâtes m’arracha un soupir.
— Oh là là, ce sont les meilleures zitis que j’aie jamais mangées.
J’aimerais savoir les cuisiner aussi bien.
— Tu peux toujours essayer. Prends ton assiette en photo en guise
d’inspiration pour le jour où tu tenteras la recette.
— Excellente idée, pourquoi n’y ai-je pas pensé ! dis-je en attrapant mon
sac à main.
L’étincelle dans son regard se fit coquine.
— Peut-être parce que tu es trop occupée à les engloutir comme une
morfale.
Je lui donnai un coup de pied sous la table.
— Crétin, va.
— Je plaisante, grogna-t-il. Je suis rassuré de te voir enfin retrouver
l’appétit. Je me faisais du souci pour toi. C’est toujours un tracas de moins.
Je lui soufflai un baiser.
— J’ai deux bonnes raisons d’être affamée : primo, tu m’as littéralement
épuisée, et deuzio, je rattrape le temps perdu à rendre tout ce que j’ingurgitais
pendant des semaines. Si je me laissais mourir de faim, tu récupérerais une
ogresse grincheuse en guise de femme, appuyai-je d’une grimace. Crois-moi,
ce n’est pas ce que tu souhaites.
Mes zitis acceptèrent de rester sagement dans mon estomac. C’est un fait
que je pouvais maintenant prendre mes repas sans être malade après. Notre
bébé avait beau être encore tout petit, il ou elle se faisait bien remarquer et la
nourriture était essentielle à sa croissance.
Ethan reposa ses couverts et me contempla longuement.
— Tout d’abord, je tiens à préciser que j’ai adoré t’épuiser aujourd’hui et,
en second, te regarder manger avec appétit est un régal. Je ne suis pas idiot,
figure-toi. Quand ma femme dit qu’elle a faim, elle a intérêt à manger. Enfin,
je suis ravi d’avoir une splendide ogresse pour épouse, même si tu me fais
froid dans le dos, parfois.
Sur ces belles paroles, il remplit son verre à ras bord.
— Et ce soir, je te fais froid dans le dos, Ethan ? Sois franc avec moi.
Mes émotions faisaient les montagnes russes, chose qui l’effrayait autant
que moi. Qu’il n’aille pas croire qu’être enceinte était facile. Les changements
qui s’opéraient en moi me faisaient peur. C’était plus fort que moi, j’avais des
hauts et des bas. Et en même temps, je ne voulais pas incarner la femme soupe
au lait qui pousse son mari à regretter la belle période du célibat.
— Jamais.
Ses yeux remplis d’amour me souriaient, il souleva ma main gauche et
déposa un baiser sur la paume.
— Ce qui me ferait vraiment froid dans le dos, ce serait l’idée qu’on puisse
un jour me séparer de ma sublime ogresse et de notre petite pêche.
— Je t’aime, parvins-je à articuler sans pleurer.
Il ne m’en aurait pas fallu beaucoup plus. Ethan pouvait me faire fondre en
larmes d’un seul regard.
— Moi, je t’aime plus encore, dit-il tout bas avant d’avaler une respectable
gorgée de vin. La preuve, je t’ai laissée conduire pour venir au restaurant. (Il
finit son verre d’un trait avant d’ajouter :) Je me remets à peine de ce trajet
endiablé.
— Tu me nargues avec tes allusions et ton vin alors que tu sais
pertinemment que je n’y ai pas droit ! Tu me cherches des crosses, c’est ça ?
Hum… c’est bien comme ça que vous le dites, en Angleterre ? Des crosses ?
Sa surprise laissa vite place à son éblouissant sourire façon couverture de
magazine.
— Tu crois que je te nargue volontairement ?
Enfoncée dans mon siège, je ne dis rien et me contentai de le détailler. Sa
chemise bleue soulignait son beau regard et son pantalon de lin évoquait à
peine la puissance des muscles qui se cachaient là-dessous. Sa Rolex et son
alliance étaient sa seule parure. Ethan n’avait pas besoin d’artifices, son corps
et son visage étaient amplement suffisants. Mon mari était un sacré bel homme.
Je n’étais pas idiote, je me doutais que cette caractéristique pouvait poser
problème à l’avenir. Des femmes chercheraient à me le piquer et cela me
rendrait folle.
— Je me suis découvert une passion : te charrier, déclara-t-il.
À sa façon de me reluquer, je devinai que mes réactions épidermiques
attisaient sa libido.
— Qu’est-ce que ça t’apporte ? chuchotai-je, le corps en tension à l’idée de
ce qu’il pourrait me répondre.
— Quand je vois cette fougue dans ton regard, je bande à fond, susurra-t-il
d’une voix rauque. À partir de là, je ne pense plus qu’à une chose, Brynne. Tu
veux savoir ce que c’est ?
Son pouce caressa langoureusement le pourtour de mon alliance, un
frisson me parcourut le bras.
— Oui.
— Je pense à la prochaine fois que l’on baisera, quand tu te retrouveras
jambes écartées sous mon corps et sur le point de jouir.
Effectivement, sa libido était plus qu’attisée.
Je fermai les yeux pour réprimer le frémissement de volupté qui traversait
mon corps et inondait ma culotte. Le verre d’eau en cristal italien posé devant
moi fut vidé d’un trait. Désormais, le dessert n’avait plus aucun attrait à mes
yeux.
Pourquoi diable ai-je accepté de sortir dîner ce soir ?
Je m’éclaircis la voix, m’efforçant de dissiper la brume sensuelle dans
laquelle Ethan venait de me plonger, et cherchai à retrouver le fil de notre
conversation.
— Tu parlais de ma conduite…
Il prit délicatement ma main qu’il caressa tout en me faisant passer un
message clair : dès notre retour à la villa, il respecterait sa promesse.
— Oui, ma belle ?
— Je… je conduis si mal que ça ? marmonnai-je.
J’avais insisté un moment avant qu’il ne daigne me laisser le volant. En
Italie, on roule à droite. Je me sentais donc suffisamment à l’aise pour m’y
remettre. Après tout, mon permis californien était encore valable, je n’avais
pas envie de perdre mes acquis. Mais depuis mon arrivée à Londres, quatre ans
plus tôt, je n’avais plus touché à un volant à cause de cette drôle de manie de
rouler à gauche. Ça me faisait peur. Et puis, je n’allais pas m’embêter quand
Londres était si bien desservie par les transports. En Angleterre, je n’avais
jamais eu besoin de conduire. Alors que là, avec une BMW 650 décapotable
bleu nuit comme voiture de location, je n’allais pas me priver.
— Non, il n’y a rien que tu fasses mal, esquiva-t-il. C’est juste que la
conduite à droite n’est pas mon fort, je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce
soit. Je serais rassuré dans une voiture plus grosse et dotée de meilleurs
dispositifs de sécurité.
— Rassure-toi, je ne crois pas conduire un jour dans le centre-ville. Je te
jure, je ne serai jamais à l’aise derrière un volant dans les rues de Londres,
même si je devais y vivre pour le restant de mes jours.
Le sourire songeur, il me sonda de son regard bleu qui virait vers le
marine.
— Là où tu vivras pour le restant de tes jours, c’est près de moi. À Londres
ou ailleurs, on s’en fiche. L’essentiel, c’est d’être ensemble. Tu n’as pas à
t’inquiéter de prendre le volant à Londres, car c’est un total cauchemar et je ne
veux pas que tu le fasses. Le débat est clos. Moi, je suis là pour te conduire où
tu veux.
Après un silence, il porta ma main à ses lèvres et m’embrassa encore la
paume avec sensualité, puis il ajouta :
— Mais si tu tiens vraiment à conduire… on peut s’arranger.
Notre serveur coupa court à notre conversation en apportant une bouteille
de vin. Cadeau de la part d’un client à une autre table, disait-il. Il s’agissait d’un
Biondi Santi, un vin hors de prix et que je ne savourerais pas avant de longs
mois. Ethan et moi nous retournâmes dans la direction que nous indiquait le
serveur. L’homme me rappelait vaguement quelqu’un. Il était grand et
séduisant, le teint hâlé, et s’avançait vers notre table avec le pas élégant d’un
athlète, calculant le moindre de ses mouvements. L’assurance incarnée.
— Eh, bonsoir ! le salua Ethan en désignant la bouteille. Merci, c’est très
gentil.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse.
— Avec plaisir, répondit l’autre, amusé, d’un accent britannique ampoulé.
Ethan fit les présentations.
— Dillon, voici ma femme, Brynne. Ma chérie, je te présente Dillon
Carrington.
— Ravi de vous rencontrer en personne, Brynne. Jusqu’à présent, je ne
vous ai jamais vue que dans les magazines.
Il m’offrit sa main que je serrai poliment. C’était étrange. Ce Dillon
Carrington me disait quelque chose mais je n’arrivais pas à le remettre.
Pourtant, il avait l’air proche d’Ethan.
— Tout le plaisir est pour moi, Dillon. Merci pour le vin, je suis certaine
qu’il est divin. Mais dites-moi, j’ai l’impression de vous connaître. Nous
sommes-nous déjà rencontrés ?
Dillon secoua la tête en riant.
— Non, jamais. Croyez-moi, je m’en souviendrais, Brynne.
— Ethan ?
Je lui lançai un SOS du regard, mais il savourait de me voir ramer. Je dus
me contenter de son clin d’œil.
— C’est drôle que tu sois là, Dillon, car je parlais justement à Brynne de
lui apprendre à rouler à l’anglaise, comme elle est américaine, tu
comprends…
— Ooh, un grand moment en perspective, s’amusa Dillon. Une droitière
qui se met à gauche. Tu veux que je te prête ma combinaison de protection ?
Une combinaison ? Tiens donc… Où l’avais-je déjà vu ? Je savais bien que
j’étais censée le reconnaître. Lui, en tout cas, savait qui j’étais. À l’avenir, je
tâcherais de feuilleter les magazines people plus souvent. Ethan connaissait du
beau monde et notre mariage avait fait la une des torchons people.
— Tu es venu seul ? Tu peux te joindre à nous, si tu veux, offrit Ethan par
pure politesse.
— Non, non, c’est gentil, je ne vais pas m’imposer. Mais je vous ai vus en
arrivant et je tenais à vous saluer. Ainsi qu’à vous féliciter, bien évidemment.
Pour tout te dire, j’attends quelqu’un.
— Ah, bon. Je suis content de te voir, en tout cas. Tu nous as manqué au
mariage, mais je sais que tu étais très pris ce jour-là.
La remarque fit rire Dillon.
— Surtout le week-end de vos noces, dit-il. Ils m’ont fait tourner en rond
pendant deux jours. Quand je peux quitter le circuit, c’est ici que je viens me
ressourcer.
— Félicitations pour ta victoire. J’ai regardé les temps forts de la course,
tu les as écrasés. Quelle performance !
Visiblement, Ethan était sincèrement impressionné par le talent de Dillon
pour je ne sais quel type de course.
— Merci. Et pour ton sponsoring aussi. Je t’ai envoyé des produits dérivés
signés pour te remercier.
— C’était avec plaisir, mon vieux, de l’argent bien investi. De voir le
numéro quatre-vingt-un estampillé du logo Blackstone, c’était quelque chose.
À présent, j’avais suffisamment d’éléments pour tenter une question :
— Vous êtes coureur automobile, c’est bien ça ?
— Parfaitement. (Il inclina la tête.) Je peux vous apprendre à rouler à
gauche en un claquement de doigts, Brynne. N’hésitez pas à m’appeler pour
une petite leçon de conduite en privé.
Un sourire charmeur éclairait son regard, tandis qu’il me taquinait.
— Ne prends pas tes rêves pour des réalités, mon vieux. Si ma femme veut
apprendre à conduire, je m’en chargerai moi-même. Merci quand même.
— Ma foi, tu as jusqu’au mariage de Neil et Elaina en octobre pour faire
tes preuves. Brynne me montrera alors ce que tu lui auras appris, rétorqua
Dillon en m’adressant un clin d’œil.
— Oh, vous êtes invité ? demandai-je.
— Affirmatif. Je connais Neil depuis le lycée. Quant à Ian, le frère
d’Elaina, c’est aussi un vieux copain, expliqua-t-il avant de regarder par-dessus
son épaule. Mon invitée est arrivée, je vous laisse tranquille. C’est un plaisir de
faire enfin votre connaissance, Brynne. Et toi, Blackstone, je vois que tu te
débrouilles comme un chef, petit veinard.
Il secoua la tête avec un sourire diabolique.
— Il n’y a pas plus rusé que moi, Carrington. Merci encore pour le vin, on
se voit bientôt en Écosse.
Dillon nous fit un signe de la main et retourna à sa table. Tous les regards
étaient attirés par sa prestance imposante tandis qu’il saluait une jeune femme
brune, tout en jambes, une beauté exotique améliorée par quelques retouches
siliconées et qui nous lançait un regard agacé, sans doute parce que nous
avions accaparé son petit ami.
— Il a l’air gentil, observai-je. Il est très connu, non ?
— Oui, c’est le moins qu’on puisse dire. La personne qui vient de te
proposer des leçons de conduite n’est autre que le champion du monde de
Formule 1.
— Vraiment ? Mais c’est une légende ! Je savais bien que je l’avais vu
quelque part. Seulement, je n’avais pas imaginé que c’était à la télé. (Je me
tournai brièvement vers sa table.) Je ne pense pas que sa petite amie ait
apprécié qu’il soit venu nous parler, elle dégage de sacrées ondes toxiques.
— Je ne pense pas que ce soit sa petite amie.
L’ironie était palpable.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Son regard critique en disait long.
— Mon cœur… Je connais Dillon Carrington. Ce n’est pas un homme qui
a des « petites amies », il a des rencards, nuance. (Ethan fit un signe de tête vers
leur table :) Et elle, c’est juste un rencard.
— Comment peux-tu en être aussi sûr ? insistai-je.
— Parce qu’à une époque j’étais comme…
Il bougea sur sa chaise, avec l’air de quelqu’un qui aurait préféré se couper
la langue.
— Bref, oublie ça. Je n’ai vraiment pas envie de me pencher sur la vie
sociale de Carrington pendant ma lune de miel.
— Moi non plus, acquiesçai-je.
Ethan savait de quoi il parlait, c’était évident, puisque la raison venait tout
juste de lui échapper. Je n’avais pas besoin d’en savoir davantage.
Après tout, il avait mené la même vie que Dillon avant de me connaître.
5

— Je resterais volontiers nager avec toi, mais il faut aller nous préparer
pour la fête. En plus, je voudrais me faire un shampooing.
Je grommelai de frustration en espérant la convaincre de rester.
— Je n’ai pas envie d’y aller. S’il te plaît.
— Ethan, tu sais bien que nous n’avons pas le choix. Moi, en tout cas, je
dois absolument y être. Marco m’a dit que nous étions ses invités d’honneur. Il
a tout organisé en fonction de notre séjour ici. Ce serait très impoli de ne pas y
aller, non ?
J’attrapai ses jambes et les passai autour de ma taille comme je foulais
l’eau étincelante de notre petite crique privée. Le déni serait peut-être plus
efficace puisqu’elle ne prêtait aucune attention à l’objet de ma plainte.
— Je te garde ici avec moi dans cette mer magnifique et pour toujours.
Du bout de la langue, je goûtai sa peau et l’eau salée sur le lobe de son
oreille.
— Pour toujours ? susurra-t-elle, la tête penchée sur le côté pour me
laisser accéder à son cou.
— Pour toujours.
J’acceptai l’invitation et posai mes lèvres sur son cou splendide où le
suçon de notre nuit de noces se résumait à une légère trace rosée. Avec ses
mains agrippées à mes épaules et ses longues jambes autour de mon bassin,
elle était parfaitement bien positionnée. Il ne me restait plus qu’à lui faire
oublier ce foutu cocktail qu’elle s’était mis dans la tête, et ma vie serait
parfaite. Nous resterions là, à flotter dans l’eau et à profiter du soleil, moi et
ma belle entre les bras.
— Ouais, pour toujours ici, et pas au milieu d’une soirée à la con où se
bousculeront des tas de crétins.
Avec un long soupir, Brynne eut l’air lasse. Mais elle pressa son front
contre le mien avec tendresse.
— Que vais-je faire de toi, Blackstone ?
— Si tu es à court d’idées, je peux t’en donner.
Je serrai les deux globes de son cul ravissant et l’attirai contre ma verge.
— Si je comprends bien, on échange le sexe contre la promesse de
m’emmener à la soirée ?
Sous la surface de l’eau, elle donna quelques coups de hanches pour se
frotter à toute ma longueur. J’étais déjà raide comme la pierre et la portai en
direction de la rive.
Depuis le début de notre séjour, nous avions joué à ce petit jeu un bon
nombre de fois : je l’emmenais jusqu’à la villa sans qu’elle ne mette un pied au
sol et nous faisions l’amour comme des bêtes pendant des heures. Il n’y avait
pas de plus beau cadeau que de partager cette intimité avec la femme que
j’aimais, en nous envoyant tous deux au septième ciel. Je n’avais jamais
ressenti ça avant de la rencontrer.
En la gardant lovée contre mon torse en direction de notre villa, je
commençai à croire que j’avais presque gagné, cette satanée soirée passerait
aux oubliettes.

— Tu comptes porter ça ?
Ma question me valut un regard noir, elle me tourna le dos d’un
mouvement sec, ses cheveux de soie zébrant l’air.
Adieu nos heures de suprême baise post-baignade. J’avais perdu mon pari,
nous étions sur le départ pour cette putain de soirée chez Carvaletti.
— Pourquoi tu ne dis pas simplement que je ne suis pas belle dans cette
robe, Ethan ? dit-elle d’un ton cassant tout en appliquant une couche de
mascara sur ses cils, face au miroir de la salle de bains.
— Au contraire, tu es très belle dans cette robe, et c’est bien ce qui
m’inquiète.
Brynne était toujours ultra-sexy, mais dans cette petite – j’ai bien dit
« petite » – robe de cocktail, elle était carrément bandante. Je n’allais pas tenir
la soirée entière. Cette création jaune et bleu façon tunique en soie évoquait les
motifs du Parthénon. Jusque-là, tout allait bien. Mais ce qui me chiffonnait,
c’était à quel point elle était courte et laissait voir ses longues jambes bronzées.
En la voyant, un homme normalement constitué ne pouvait avoir qu’une seule
pensée : Comme ce serait bon d’avoir ces cuisses sexy autour de ma queue.
— Tu t’inquiètes pour un rien. C’est une jolie petite robe d’été style baby
doll, rien de plus. Je te rappelle que nous sommes en vacances au bord de la
mer, merde alors. C’est une tenue de circonstance.
Style baby doll, la petite robe d’été ? Putain d’enfer et damnation ! J’aurais
des cheveux blancs avant la fin de la soirée. Et ce, pour plusieurs motifs. Ma
femme était certes d’un naturel réservé mais cela ne l’empêchait pas d’être un
canon qui attirait les regards où que nous allions. Sans compter les invités et
autres membres de cette soirée auxquels il allait falloir nous mêler. Je ne
pouvais pas faire comme si ça m’enchantait. Mais dès qu’il était question de
son activité de modèle, je ne faisais pas le poids face à la détermination de
Brynne.
Assis au bord du lit et enfilant rudement mes chaussures, je me demandais
ce que j’allais bien pouvoir raconter à ces gens que je croiserais dans cette
maudite soirée. Salut, Ethan Blackstone, ravi de vous rencontrer. Ma femme est
modèle pour Carvaletti. À poil, c’est une déesse, vous ne trouvez pas ?
Pardon ? Des seins de rêve ? Je ne vous le fais pas dire. (Clin d’œil.) Quelle
photo préférez-vous ? Celle où l’on voit ses nichons en gros plan, ou celle-ci,
qui met en avant la courbe sensuelle de son cul ? De frustration, je tirai sur les
poils de ma barbe.
Rien que d’imaginer les conversations mondaines avec ces inconnus,
c’était déjà trop me demander. J’essayai un subterfuge en pensant à notre
baignade de l’après-midi. Pas d’une grande efficacité…
Carvaletti, l’un des photographes de Brynne, nous invitait chez lui, et il se
trouvait qu’il habitait justement à Porto Santo Stefano.
Hasard merveilleux. Putain.
Brynne était fermement décidée à y aller. J’étais donc voué à la chasteté
pendant une très longue soirée au lieu de profiter avec ma chérie d’une plage
sous un magnifique ciel étoilé.
Je fus tiré de mes ruminations par sa main fraîche qui vint toucher ma
joue. Je levai les yeux. Brynne semblait inquiète. Ne serait-ce pas
extraordinaire si je pouvais lui faire oublier cette fête par un long baiser
langoureux ?
— Je t’en prie, Ethan, ne laisse pas cette fête gâcher notre soirée. C’est
juste des retrouvailles de gens du milieu de la photo alors que nous sommes
dans la région.
Son regard suppliant me fit culpabiliser. Quel égoïste ! Je pourrais la
soutenir dans son travail, quand même.
— Excuse-moi, ma belle. J’aimerais être plus enthousiaste, mais c’est dur.
Je deviens fou à l’idée que des hommes bavent sur toi. Quand je vois le regard
lubrique d’un type sur toi, ça me donne des envies de meurtre. Et puis, tu as vu
ce que tu portes ? (Je secouai la tête, désolé devant sa petite robe baby doll…)
Je suis parti pour une soirée de torture.
— La plupart de mes photographes sont gays, Ethan.
Je l’entendais presque se retenir de me traiter de crétin de jaloux possessif,
même si elle n’en était pas encore à le penser. J’avais intérêt à ne pas
l’encourager sur cette voie.
— Oui, sauf ce Carvaletti. Il est hétéro, pas vrai ?
Avec un long soupir, elle pressa ses lèvres sur mon front. Je la fis
s’asseoir sur mes genoux pour enfouir mon visage dans son cou.
— Rien ne nous oblige à rester jusqu’au bout, Ethan. Juste le temps de
saluer tout le monde.
— Tu me le promets ?
Certes, je ne pensais qu’à moi sur ce coup-là, mais au moins, j’étais franc
avec elle.
— Je n’arrive pas à te partager, Brynne, et je n’ai pas à m’en justifier, lui
murmurai-je à l’oreille.
— D’accord, je te le promets, mon mari chéri, susurra-t-elle en m’offrant
un baiser. Tu n’as qu’à me donner un mot codé. Dès que tu le prononceras dans
la soirée, on rentrera à la villa.
— Tu vois ? Je passe pour un abruti égoïste, soupirai-je, chassant une
mèche derrière son oreille. Tu es tellement belle. Et ce n’est pas seulement
physique (je posai un doigt sur son cœur), tu es aussi belle à l’intérieur.
Ses traits s’adoucirent.
— Je t’aime, Ethan, même lorsque tu te comportes comme un abruti
égoïste.
Sa main glissée sous mon menton m’attira contre ses lèvres douces.
— Je sais. Tous les jours, je me dis que j’ai de la chance.
— Alors, quel est ton mot codé ?
J’y réfléchis un instant, puis la réponse me vint comme un flash.
— Simba.
Brynne éclata de rire.
— Va pour Simba.

— Bella, tu es sublime ! Ces pommettes roses, ce teint parfait, mon Dieu !


Marco m’embrassa les deux joues, comme à son habitude, puis tint
fermement mes épaules à bout de bras pour un examen plus en détail.
— Charmante robe. Le mariage et la grossesse te vont à merveille, ma
chérie.
Je sentis la main d’Ethan se détendre au creux de mes reins. Marco avait su
trouver les mots pour le calmer. Il allait peut-être enfin chasser cette obsession
quant à ce photographe qu’il croyait capable de me sauter dessus à chaque
séance. Ethan refusait de comprendre que ce n’était pas du tout le genre de
Marco. Son approche était purement professionnelle. Nos rapports se
limitaient à une amitié platonique propice au travail. Marco Carvaletti avait
toujours été adorable avec moi et j’aimais beaucoup travailler avec lui. Ce
soir, c’était l’occasion pour moi de faire comprendre ces choses-là à Ethan.
— Oui, tu as raison, Marco. Je suis la plus heureuse des femmes.
Je m’appuyai tendrement contre Ethan et lui donnai un petit coup de coude
pour l’encourager à parler.
— Merci de nous avoir invités, monsieur Carvaletti. Nous avons passé la
journée à nous languir de cette soirée, mentit poliment Ethan en lui offrant une
poignée de main.
Mon mari maîtrisait le protocole mondain comme personne. Ce soir, il
l’assumait par amour pour moi. Il n’aimait pas plus être ici qu’il n’appréciait
mon activité de modèle. Je lui glissai un « merci » silencieux, visible de lui
seul. En réponse, il murmura :
— N’oublie pas Simba, ma chérie.
Et il partit nous chercher des boissons.
Au cours de la visite de sa majestueuse villa du dix-septième siècle
rénovée avec élégance, Marco me fit découvrir une collection artistique
étourdissante. Une pièce entière était dédiée à l’exposition de ses photos.
J’avais posé pour deux d’entre elles. Sur la première, j’étais assise sur une
chaise rembourrée, un genou stratégiquement replié, l’air pensif. Sur l’autre, il
s’agissait d’une imitation des Folies Bergère où j’interprétais une danseuse de
profil, avec un boa en plumes et des escarpins satinés. C’était l’un de mes
premiers portraits en tant que modèle, je le trouvais merveilleusement
chorégraphié.
— Je suis très fier de celle-ci, ma bella. En faisant cette série, j’ai compris
que tu étais faite pour ce métier, me complimenta Marco, derrière moi.
— Je me rappelle avoir été particulièrement nerveuse, ce jour-là, mais tu
m’as mise à l’aise en me disant d’imaginer Iggy Pop habillé d’une robe. Ça a
brisé la glace, je me suis tout de suite sentie mieux.
— C’est mon arme secrète, elle marche à tous les coups.
— Bien vu, Marco. Iggy Pop en robe, c’est forcément drôle.
En riant de concert, nous rejoignîmes tous les convives dans la grande
salle.
Où était passé Ethan avec nos boissons ? Je balayai les alentours du regard,
sans trouver son imposante silhouette parmi la foule. Mince, j’avais soif.
— Il discute avec mes amis Carolina et Rogelio, m’informa Marco, dont
l’intuition tombait rarement à côté. Je crois qu’ils se connaissent.
Vraiment ? Ethan connaissait des gens à cette fête ? Finalement, il ne
passerait peut-être pas une si mauvaise soirée que ça. Je ne manquerais pas de
le narguer, après la scène qu’il m’avait faite pour ne pas venir.
— Super ! J’ai hâte de les rencontrer. Mais d’abord, j’aimerais boire un
verre d’eau. Après cette longue journée de baignade, j’ai la gorge sèche. Ce
doit être le sel.
— Viens avec moi, ma bella, je vais m’occuper de toi.

Une heure plus tard, je n’en pouvais plus. Malheureusement, j’étais bien la
seule de cet avis. Ethan et sa « vieille amie » Carolina assis l’un à côté de
l’autre sur un canapé riaient et bavardaient au sujet des élections italiennes, des
meilleures pistes de ski dans les Alpes, des chaussures Ferragamo et que sais-
je encore. Ils avaient l’air de s’amuser comme des fous. Moi, en revanche, je
me retrouvais à m’escrimer contre les regards libidineux d’un Rogelio bien
décidé à apercevoir ce qui se cachait sous ma robe. Contrairement à ce que
j’avais cru en début de soirée, il n’était pas en couple avec Carolina, mais avec
une autre femme qui s’était présentée sous le nom de Paola – un modèle italien
que j’avais déjà vu en photo. Elle aussi m’épiait sans discrétion, presque autant
que Rogelio, mais certainement pas pour les mêmes raisons. Si lui me dévorait
du regard comme un morceau de viande, elle me voyait plutôt comme une
menace. Qu’elle se rassure, je me fichais complètement de ce qu’elle
fabriquait, affalée sur Rogelio qui la pelotait ferme. Ils allaient peut-être baiser
devant tout le monde, tant qu’ils y étaient ? C’était ce ver lubrique et cette
garce exhibitionniste, mes interlocuteurs ? Quelle poisse.
Ethan n’y voyait que du feu.
Je remuai sur mon siège, tripotai l’ourlet de ma robe en regrettant qu’elle
ne recouvre pas plus mes jambes. Je n’avais qu’une envie : rentrer me coucher.
Mais Ethan ne comprenait pas le message quand je frôlais sa jambe ou serrais
doucement sa main, et continuait de cancaner comme si de rien n’était. À
croire qu’il pouvait rester là des heures. Quelle mouche l’avait piqué ?
D’habitude, il n’était jamais bavard, or, ce soir, on ne pouvait plus l’arrêter.
Quand je pense qu’il m’avait suppliée de ne pas venir.
Un détail ne m’avait pas échappé : Carolina était une très belle femme.
Élégante, mince, avec ce charme européen à côté duquel je me sentais
affreusement laide et boursouflée. Et plus la grossesse avancerait, moins ma
silhouette s’arrangerait.
Je tapotai le genou d’Ethan.
Il se retourna et me sourit, posant une main sur la mienne, avant de
reprendre sa conversation où il l’avait laissée, me chassant d’une subtile
caresse de son pouce sur le dos de ma main.
Un serveur nous apporta un plateau de gelati. Tout le monde refusa, sauf
moi. C’était bien trop tentant.
Cette crème glacée au chocolat avait un goût divin. Enfin une chose que je
pouvais apprécier ce soir.
Paola se moqua en gloussant.
— Tellement calorique… Je ne me le permets jamais.
Peut-être bien, mais tu te permets d’être une conne monumentale, Paola.
— Vraiment ? Moi, sans problème. D’ailleurs, mon médecin, à Londres,
m’a vivement conseillé de prendre autant de poids que possible. C’est mieux
pour mon bébé.
Avec un grand sourire, je replongeai une pleine cuillerée dans ma bouche.
Prends-toi ça dans les dents, grosse vache !
Elle plissa les yeux.
— Vous êtes enceinte ?
Je caressai mon petit ventre qui, sous cette robe, passait inaperçu.
— Ouais et mariée, ajoutai-je en remuant l’annulaire. J’ai tellement de
chance. Parfois, je me dis que j’ai gagné à la loterie.
Appuyée contre Ethan, je frottai tendrement ma joue à son bras. La
récompense tant attendue arriva enfin : Paola leva les yeux au ciel d’un air
écœuré et quitta les genoux de son Rogelio chéri pour aller se servir un verre.
Quant à lui, il se contenta de ricaner, l’œil torve, en s’efforçant de cacher sa
très visible érection.
Beurk. Qu’on foute le camp, par pitié !
Ethan complètement inconscient de la situation avait une expression vide,
je décidai alors de l’interrompre dans sa conversation :
— Simba vient d’appeler. C’est une urgence.
— Quoi ? fit-il en clignant des yeux.
Je fronçai les sourcils.
— Simba veut qu’on rentre à la maison.
— Ah bon ?
— Il a dit « tout de suite », Ethan.

Ethan conduisait, et moi, je boudais sur le siège passager.


— Tu n’as pas l’air bien, remarqua-t-il après plusieurs minutes de silence.
— Oh, vraiment ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Je tournai la tête vers le paysage féerique que nous offraient les bocaux
illuminés sur le seuil des maisons. Il s’agissait d’une coutume locale : ils
appelaient ça des boîtes à vœux. Le principe était simple, il suffisait d’écrire
ses vœux sur des petits bouts de papier que l’on faisait ensuite brûler dans le
bocal à la flamme d’une bougie. Les mots se consumaient pour ensuite partir
au royaume des esprits où le vœu serait éventuellement exaucé. Je souhaite
n’être jamais allée à cette fête.
— Finalement, tu n’étais pas vraiment d’humeur sociable, chez Marco.
— Alors que toi, tu l’étais, sociable.
Les bras croisés, je lui lançai un regard noir.
— Hein ? Je ne faisais que discuter avec une vieille copine. Heureusement
qu’elle était là, d’ailleurs. Sinon, je crois que je serais devenu fou. N’oublie
pas qu’au départ je t’ai suppliée pour ne pas y aller, Brynne. Finalement, c’était
plus agréable que je ne l’avais imaginé.
— Où as-tu rencontré Carolina ?
Je me haïssais de me sentir si vulnérable. Je ne voulais pas apprendre
qu’ils avaient été plus que de simples « copains », même si je devais me rendre
à l’évidence que la probabilité était très élevée.
— Je l’ai connue à l’époque où je travaillais pour le Premier ministre
italien, il y a quelques années. Elle est conseillère sociale et culturelle au sein
du gouvernement, répondit-il presque trop vite, comme s’il préparait cette
phrase depuis des heures.
Je le sentis sur la défensive. Cela me rappela le comportement qu’il avait
eu le soir du gala Mallerton quand « Blonde-Rousse », la rouquine avec
laquelle il n’était soi-disant sorti « qu’une seule fois », avait fait son possible
pour attirer son attention.
Mon cœur se serra, une jalousie folle s’empara de moi à la pensée
qu’Ethan et Carolina avaient pu être ensemble. Il l’avait baisée. J’en étais
convaincue.
— Oh…
Ce fut ma seule repartie pour le moment. Il me tardait d’aller au lit pour
chasser toutes ces vilaines pensées de mon esprit.
En arrivant devant la villa, je sortis de la voiture sans attendre qu’Ethan
vienne m’ouvrir la portière et me dirigeai vers les marches.
Je n’eus pas à aller bien loin que des bras musclés m’emprisonnèrent et me
pressèrent contre la surface rigide de son torse.
— Où crois-tu aller comme ça ?
Le nez enfoui dans mon cou, il caressa mes clavicules avec ses pouces.
Mon corps réagit aussitôt : mes seins pointèrent avec cette petite décharge
douloureuse qui m’était désormais familière.
— Je vais me coucher, Ethan.
Il savait que je boudais, mais tant pis. Je ne pouvais pas retenir le torrent
d’émotions qui me tourmentait : la jalousie, le doute… je n’étais pas qu’un peu
blessée.
— Pas tout de suite, ma belle, susurra-t-il, en me faisant un baiser derrière
l’oreille avec le grognement évident du désir sensuel. Je suis venu à ta fête
pour te faire plaisir, et maintenant, nous avons notre rendez-vous sur la plage
comme je le souhaitais tant pour notre soirée.
Ma mauvaise humeur ne faisait pas le poids. Je me retournai et m’enivrai
de son odeur épicée teintée d’une touche d’eau de Cologne. Un mélange qui
m’avait séduite dès le premier jour.
— J’ai détesté cette soirée, grommelai-je.
Il m’embrassa le front.
— Ça se voit. Ne t’inquiète pas, je vais tout arranger. Oublie ce prologue
mondain ridicule, nous allons passer au chapitre suivant.
— Alors tu n’avais pas envie de rester là-bas pour discuter plus longtemps
avec Carolina ? Pourtant, vous aviez tellement de choses à vous raconter entre
vieux « copains ».
La hargne s’échappa de mes paroles sans que j’y puisse plus rien.
Il eut de nouveau cet air vide et pencha la tête.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là, ma belle ?
Je haussai les épaules.
— J’ai eu l’impression qu’elle et toi, vous aviez… que tous les deux, vous
étiez…
Les yeux écarquillés, Ethan éclata de rire.
— Ah, je comprends mieux ! Tu veux savoir si je suis sorti avec
Carolina ? Non, ma belle. Nous étions copains et collègues de boulot, c’est
tout. En plus, elle a une bonne dizaine d’années de plus que moi.
— Ce qui ne l’empêche pas d’être belle à tomber. Je parie que son âge
n’est un frein pour aucun homme.
Il rit de plus belle.
— En revanche, son goût exclusif pour la gent féminine risque d’en
refroidir plus d’un.
— Ah ? Hum, tant mieux. Je veux dire… Je comprends mieux. Attends une
minute. Carolina est lesbienne ? Cette beauté n’aime pas les hommes ?
— Non. Elle joue dans ton équipe, mon cœur. D’ailleurs, pourquoi crois-tu
que je me suis assis entre elle et toi ? Je ne voulais pas qu’elle jette son dévolu
sur ma splendide femme.
Il m’embrassa délicatement et ajouta :
— Non pas que je m’inquiète de te voir un jour changer de bord, mais je
préfère ne pas prendre de risque.
— Mon Dieu, ce n’est pas demain la veille ! (Je repoussai son torse et
secouai la tête :) C’est la chose la plus insensée que j’aie jamais entendue.
— Brynne, quand comprendras-tu que je ne prendrai jamais le risque de te
perdre ? Jamais.
Son regard se fit grave et insistant.
— J’ai compris plusieurs choses, ce soir, Ethan…
Je me sentais ridicule. Il n’empêche que j’étais énormément rassurée
d’apprendre qu’il n’avait pas passé la soirée à m’ignorer, mais à me couver.
— La première, repris-je, c’est que j’ai mal choisi ma robe. Tu avais
raison, elle est trop courte, dis-je en levant les yeux vers lui, toute penaude, je
ne la porterai plus jamais en soirée.
Ethan eut un soupir de soulagement.
— Bon, il est vrai qu’elle te va à ravir mais tout bien réfléchi, j’accepte ta
décision, admit-il en posant la main sur mon cul d’un geste possessif. Parce
que lui, il est à moi et à personne d’autre.
Pour me prouver ce qu’il avançait, il me vola un long baiser passionné à
m’en faire flageoler les jambes.
J’étais à lui. Et à personne d’autre.
Lorsqu’il rompit notre baiser à contrecœur, je compris que son discours
n’était pas terminé.
— À un moment, j’ai cru que j’allais arracher les yeux de ce Rogelio. Ce
porc bavait sur toi, je n’en pouvais plus. Si je ne lui avais pas tourné le dos
pour l’oublier, il serait aveugle à l’heure qu’il est… et moi, enfermé dans une
prison italienne pour coups et blessures.
Nonchalant, il assumait parfaitement ses travers. Ethan était un homme
entier, c’était l’une des raisons pour lesquelles je l’admirais et l’aimais de tout
mon cœur. Je venais de prendre une précieuse leçon sur ce que signifiait la
confiance.
— Rogelio ? Il m’a écœurée. Je le déteste, ce type.
Il m’embrassa le bout du nez.
— On est d’accord. Maintenant, assez parlé de cette soirée de merde et
passons à l’étape tant attendue sur le sable fin. Pieds nus, madame Blackstone.
Tandis que nous retirions nos chaussures, je m’aperçus qu’Ethan était flatté
de m’avoir rendue jalouse. Je le lisais dans son regard pétillant. Certes,
l’orientation sexuelle de Carolina me rassurait, mais je devais me tenir prête à
rencontrer d’anciennes conquêtes d’Ethan dans un futur proche. Il me faudrait
alors faire face.
— Que comptes-tu faire sur la plage ? murmurai-je, me laissant guider en
savourant la sensation du sable frais sous mes pieds.
— Passer un moment en amoureux. Tu peux me faire confiance, j’ai tout
prévu.
— Je n’en doute pas. Je sais très bien que par « moment en amoureux » tu
entends « session torride »…
Je me tus lorsque le petit sentier marqua un virage avant d’aboutir sur la
plage déserte. Les vagues venaient s’échouer sur la rive en un rythme
lancinant. Le reflet de la lune argentée illuminait la surface de l’eau, mais le
plus beau spectacle nous était offert par une longue rangée de bocaux éclairés
par des bougies. Leur lueur vacillante entourait de poésie un campement de
fortune formé à partir de couvertures et de coussins. Sur le côté, il y avait un
seau à glace rempli de boissons fraîches et des petits gâteaux posés autour d’un
plateau de fruits.
Les mots me manquaient.
— C’est magnifique, Ethan. Comment… comment as-tu fait ?
Nous nous sommes assis sur les couvertures.
— J’ai eu l’idée, mais il me fallait un complice. Franco a tout organisé
pendant que nous étions chez Marco.
Je regardai autour de nous, au cas où le gardien de notre villa se serait tapi
dans le noir pour nous espionner.
— Je sais à quoi tu penses, s’amusa Ethan. Ne t’inquiète pas, Franco n’est
pas caché derrière un buisson.
J’eus un petit rire nerveux.
— Tant mieux, parce que s’il est quelque part dans le coin, il aura de quoi
se rincer l’œil.
— Ah, j’aime te l’entendre dire. J’en déduis que ma femme est partante
pour une partie de jambes en l’air sur la plage, susurra-t-il à mon oreille dont
il mordilla le lobe. Ma surprise te plaît ?
J’étais instantanément transie de désir. Ethan avait peu à faire pour
m’enflammer, un regard, une caresse… Avec dextérité, il libéra une épingle
qui retenait ma chevelure. Petit à petit, il apprenait à maîtriser ma tignasse. Je le
regardai retirer les épingles une à une, le sourire aux lèvres. D’avance, je
savais qu’il saisirait des poignées de cheveux pour me dominer quand nous
serions en pleine frénésie sexuelle.
— Tu souris, remarqua-t-il sans cesser d’arranger mes cheveux.
— J’aime t’observer faire ces choses toutes simples.
Mes cheveux cascadèrent sur mes épaules.
— Crois-moi, ce n’est pas juste une chose simple, murmura-t-il en
enfonçant ses mains dans les épaisseurs emmêlées. C’est tout ce qu’il y a de
plus essentiel.
Son regard s’assombrit en contemplant mes lèvres.
Il ne tarda pas à les recouvrir des siennes, guettant l’accès avec sa langue
qu’il glissa dans ma bouche avec délicatesse. Il souleva mes cheveux avant de
les tirer en arrière pour que je me cambre et m’offre à lui.
— Tu es essentielle, Brynne, ajouta-t-il, traçant un chemin de baisers dans
mon cou, puis plus bas, par-dessus la soie de ma robe.
Son attention se porta sur l’un de mes seins dont il taquina la pointe au
travers de deux couches de tissu.
— Oh… mon Dieu, m’extasiai-je.
Le plaisir m’enivrait à une vitesse vertigineuse. Ses caresses me suffirent à
retrouver ce monde parallèle où rien n’avait plus d’importance, à l’exception
du voyage sensuel vers lequel me porterait Ethan. Il savait si bien m’aimer. Il
était si doué pour tout ce qu’il entreprenait, en réalité.
— C’est toi qui m’es essentiel, Ethan.
Je manquais d’air. Il souleva ma robe et je sentis aussitôt la chaleur de la
brise me caresser la peau. En un mouvement, je me retrouvai nue.
— Tu es parfaite. Là, comme ça. Une véritable déesse.
Ethan me coucha sur les couvertures et, en appui sur ses mains, se pencha
au-dessus de moi, me dévorant des yeux.
— Par quoi commencer ?… Je pourrais ne faire qu’une bouchée de ton
corps.
Qu’il commence par ce qu’il voulait, ça n’avait jamais eu d’importance
pour moi. Quoi qu’il fasse, j’adorais. Il savait toujours quoi m’apporter et à
quel moment.
J’entrepris de déboutonner sa chemise.
Son sourire se fit lascif. Ethan adorait lorsque je le déshabillais. Il adorait
me voir le sucer. Il adorait regarder sa queue me pénétrer. De tous les côtés.
Je repoussai sa chemise sur ses épaules et abandonnai l’affaire quand je ne
pus aller plus loin à cause de ses mains posées sur la couverture. Quand je
m’attaquai à son pantalon, ma frustration grandit. Je n’arrivais pas à le lui
retirer au-delà de son cul étroit.
— Ma chérie s’impatiente ? s’amusa Ethan. Dis-moi ce que tu veux.
— Je te veux nu, je veux te voir.
Le souffle court, je plongeai les doigts dans son boxer et attrapai son
membre déjà solide, dur comme la pierre et doux comme le velours. Je voulais
cette parfaite queue dans ma bouche pour la caresser, la sucer, jusqu’à sentir
que j’avais le pouvoir de faire perdre tout contrôle à mon homme.
— Je veux ton sexe. Je te veux, toi.
— Oh, putain, oui, gémit-il.
Le regard embrasé, Ethan se redressa brutalement, arracha sa chemise, et
se débarrassa de son pantalon et de son boxer avec une pirouette qui le laissa
pantelant et comme enragé.
— Je t’aime tellement fort, souffla-t-il, sauvage.
Ethan repoussa mon soutien-gorge et agrippa mes seins qu’il se mit à
sucer ardemment, aiguisant chaque téton à m’en faire défaillir de plaisir et de
douleur. J’étais liquéfiée de chaleur et plus que prête à accueillir son manche,
mais je savais qu’il me faudrait attendre. J’aurais beau le supplier, Ethan
assouvirait mes désirs quand ça lui chanterait.
C’était lui qui décidait de notre rythme.
Me forçant à m’arquer en arrière, il dégrafa mon soutif sans mal et
l’envoya quelque part sur la plage. Lorsqu’il reporta son attention sur ma
poitrine, il grogna de plaisir. Sans relâche, il agaça mes mamelons des poils
drus de sa moustache et de sa langue qui savait si bien sucer, lécher et me
conduire à un état de désir effréné et désespéré.
Sa main s’enfonça dans le bas de mon maillot de bain blanc que j’avais
enfilé sous ma robe, et se posa sur mon buisson avec possessivité.
— À moi, insista-t-il en enfonçant le majeur dans mon intimité.
Je m’arc-boutai toujours plus et poussai un cri quand il crocheta son doigt
en quête de mon point sensible. L’apogée de mon plaisir ne tarderait plus,
maintenant.
Et tout cela en quelques secondes à peine.
— Ethan, je t’en supplie.
Pour toute réponse, il opéra un va-et-vient langoureux dans mon vagin tout
en caressant mon clitoris avec son pouce. L’orgasme grandit jusqu’à me faire
bouillonner, j’en tremblais de tout mon corps. Pendant un moment, je cherchai
à reprendre mon souffle, toujours prisonnière de la lourde stature d’Ethan.
— Regarde-moi, Brynne. Je veux lire la jouissance dans tes yeux. Je veux
les voir briller, je veux que tes jambes tremblent alors que je suis encore en
toi, je veux te faire hurler mon nom.
Ses doigts me caressaient plus lentement à présent, comme pour
m’accompagner sur la descente de ce plaisir torrentiel. J’étais plus que jamais
captive de son désir de me posséder.
— À mon tour de te faire jouir, haletai-je.
Joignant le geste à la parole, je pris sa queue dans ma main et la pressai en
allant et venant lentement. À peine l’avais-je touché qu’il émit un sifflement
aigu. J’adorais.
— Bientôt, promit mon démon.
Il tira ma culotte sur toute la longueur de mes jambes, puis déposa un
baiser plein de révérence sur ma toison. C’était généralement le dernier acte de
tendresse avant de passer aux choses salaces. Comme une sorte de promesse
amoureuse avant de lâcher la bête de sexe qui sommeillait en lui. Mais derrière
ses airs d’animal enragé, Ethan s’inquiétait pour moi. Son attention à mon
égard me faisait encore un peu plus fondre d’amour.
Qu’il se rassure. Tendre ou bestial, peu importait. Je le prenais comme il
était.
Ethan m’allongea sur le flanc, puis s’installa dans l’autre sens, mon visage
en face de sa verge et sa bouche entre mes cuisses qu’il couvrait de baisers. Il
releva ma jambe pour me savourer langoureusement comme le mets délicat
d’un chef étoilé.
De mon côté, je pris son membre dans ma main, le malaxai, tournant le
poignet en arrivant au niveau de son gland, consciente que ce geste le rendait
fou. Il grogna contre ma chatte lorsque je le pris dans ma bouche, scellant mes
lèvres fermement autour de lui. Connaissant le rythme qu’il préférait, celui qui
associait ma langue et mon poing, je me mis aussitôt à l’œuvre : sucer…
tourner… caresser… glisser.
Je le poussai à lâcher prise et me délectai de la crispation de ses cuisses et
de son ventre, des jurons qu’il étouffait contre mon sexe frémissant sous ses
assauts. Une tempête d’émotions grandissait en moi, je me sentis secouée d’une
folie indescriptible. L’extase nous emportait peu à peu.
— C’est trop bon… oh, putain… tu suces tellement bien…, murmurait
Ethan inlassablement.
Ses paroles me tirèrent de l’œil du cyclone juste assez longtemps pour me
faire changer de position.
J’adore sucer ta sublime verge. Je me retournai sur la couverture, me calai
entre ses cuisses, et engloutis son membre jusqu’au fond de ma gorge en le
suçant par longues aspirations. D’une main, je massai ses bourses et les sentis
prêtes à relâcher la pression.
— Putain… putain… je vais jouir dans ta bouche, Brynne…, s’étouffa
Ethan.
Ses hanches tressaillirent par à-coups tandis qu’il me fourrait la bouche
fébrilement. Ses mains agrippèrent mes cheveux, me maintenant prisonnière de
sa verge comme il libérait d’un coup sa chaude essence de mâle dans ma
gorge.
À cet instant fatidique, comme je m’y attendais, puisqu’il répétait cet ordre
à chaque fois, il cria mon nom pour m’ordonner de lever les yeux vers lui.
Le bleu profond de son regard tremblant d’extase exprimait… son amour
pour moi.
— Je… t’aime, soupira-t-il dans un grognement qu’on pourrait qualifier
d’agonie jouissive.
Je savais précisément ce qu’il ressentait : il savait m’apporter la même
chose.
Quelques heures et d’innombrables orgasmes plus tard, je me
recroquevillai dans les bras de mon homme, bercée par le ronflement des
vagues qui s’écrasaient sur la rive dans la lumière douce et vacillante de nos
chandelles de fortune. De ma vie entière, je n’avais jamais ressenti un tel
bonheur amoureux. C’était précieux, j’en étais consciente.
Maintenant que j’y avais goûté, je ne pourrais plus jamais m’en passer. Et
si je perdais un jour Ethan ? Est-ce que j’y survivrais ?
Ethan m’avait changée à jamais. Il n’y avait pas de retour en arrière
possible.
Je fermai les yeux et savourai l’instant présent, notre cocon improvisé sur
une plage italienne, le corps d’Ethan en cuillère derrière moi, et ses mains
posées sur mon ventre dans son sommeil.
Par ce geste, il nous tenait serrés contre son cœur, signifiant la possession,
la protection et l’amour.
C’était si beau.
J’avais presque peur d’y croire.
DEUXIÈME PARTIE

AUTOMNE
6

30 septembre, dans le Somerset


Tandis que sa mère gisait dans la rue, le petit garçon pleurait sur ce corps
abandonné dans la poussière. Les heures s’étiraient aussi lentement que le
soleil au-dessus de nos têtes. J’avais de plus en plus de mal à rester sourd à ses
cris. Cette plainte me transperçait les tympans et le cœur. Putain. Ce garçon,
c’était moi. J’avais été à la même place que lui. Je ne supportais plus de
l’entendre hurler. Alors je me suis élancé pour le prendre dans mes bras. Une
décision sur laquelle je ne peux pas revenir et qui signa son arrêt de mort. Il
n’avait aucune chance. Aucune. Ils s’étaient servis de lui pour m’appâter. Je ne
peux plus revenir en arrière. C’est trop tard.

Je me réveillai brutalement, l’air me manquait. Comme dans un film au


ralenti, puis accéléré au maximum, contre toute logique, ce qui accentuait le
sinistre de ce rêve affreux. J’étais enterré sous le poids écrasant du désespoir et
des ténèbres qui se refermaient sur moi, et l’instant d’après, en une fraction de
seconde, je ressortais la tête de l’eau et retrouvrais l’éblouissante lumière de
ma liberté.
Putain, je haïssais ça.
Ces rêves m’explosaient la tête.
Ils me rendaient fou.
Je repris mes esprits, allongé à côté de ma femme enceinte. C’était ce que
je redoutais le plus. Ce moment en suspens, où je n’osais pas tourner la tête
vers elle, de peur de savoir si elle dormait paisiblement ou si mes cris l’avaient
terrorisée. M’avait-elle entendu, cette fois-ci ? Ou étais-je encore une fois
parvenu à me glisser entre les mailles du filet ?
J’osai un regard, tournant tout doucement la tête vers elle de peur de faire
le moindre mouvement – chose idiote, puisque tout le monde bouge dans son
sommeil – et croisai les doigts pour qu’elle n’ait rien vu, rien entendu… rien
su.
Elle me tournait le dos, allongée sur le flanc, et dormait.
Doux Jésus, merci !
Ma tendre épouse avait le sommeil plus léger depuis le début de la
grossesse, et malheureusement, moi aussi. Je commençais à comprendre
pourquoi ces cauchemars enfouis depuis tant d’années avaient refait surface si
soudainement.
Brynne en était la cause. En tombant amoureux d’elle, j’avais rallumé ce
qu’il y avait d’animal en moi. Elle provoquait ma folie possessive. Certes,
j’avais tout fait pour la séduire, mais c’est parce qu’elle m’aimait en retour et
me rassurait que cela la rendait si différente des autres. Pour la première fois
de ma vie les rôles étaient inversés, quelqu’un s’inquiétait pour moi et
m’apportait son soutien.
Avant Brynne, il me suffisait de tout enfouir, de me couper des épisodes
tragiques de mon passé. Avant, je m’interdisais toute sensation, j’étais
engourdi, distant, froid. Plus maintenant.
Désormais, lorsque j’avais ces flashs, les événements ne respectaient plus
aucune chronologie. Le passé se mêlait au présent dans un fouillis inextricable
et plus rien n’avait de lien avec le monde réel. Ce qui m’était arrivé de pire se
mélangeait à ce qui aurait pu se passer, à cela venaient s’ajouter le putain de
futur et son lot de complications. Ce bâtard aurait ma peau, j’en étais
convaincu.
Le futur n’annonçait rien de radieux. Qu’un gros tas de merde.
Quand on aime, tout change. Évidemment, on ne l’apprend qu’après coup.
Une fois qu’une personne compte plus que tout à nos yeux, on s’aperçoit
qu’avant rien ne nous inquiétait. Alors qu’à présent, on pourrait perdre un être
cher.
Eh oui, enfoiré, c’est nouveau, ça vient de sortir. Ta femme et ton gamin,
tu peux les perdre. Et d’un tas de façons différentes. De quoi remplir tes
réserves d’angoisse. Par exemple, pourras-tu vivre comme si de rien n’était
alors qu’un fou à lier kidnappe la seule personne sans qui tu n’es rien ?
Cette personne, c’était Brynne. Elle était mon oxygène.
Et elle dormait, loin de soupçonner les accès de folie qui m’agitaient pour
la énième fois. Elle dormait, en sécurité près de moi.
Je pris une profonde inspiration et me persuadai d’en être capable. Je
faisais des progrès. Un jour, je réussirais à tirer un trait sur les craintes de mon
passé pour n’affronter que la peur de l’inconnu inhérente à l’avenir.
Je reportai mon attention sur son parfum réconfortant et me lovai derrière
elle, le visage dans ses cheveux sur l’oreiller où je pouvais m’intoxiquer à
loisir de cette odeur florale et citronnée qui lui était si personnelle.
Ma main se posa sur son ventre qui avait encore grossi depuis notre lune
de miel sans être toutefois énorme. À mes yeux, c’était une rondeur à l’endroit
où son ventre était plat, rien de plus. Dix-huit semaines. La taille d’une patate
douce, d’après fructification.com qui figurait désormais parmi mes favoris sur
tous mes appareils électroniques. J’aimais savoir à quoi m’attendre
Brynne ne voulait pas connaître le sexe du bébé. De toute façon, il était
encore trop tôt pour le savoir, mais elle m’impressionnait. Comment pouvait-
elle être aussi patiente pour une information que la plupart des gens
réclameraient dès lors qu’elle serait disponible ? Elle voulait garder la
surprise, je respecterais sa décision. En plus, si je l’apprenais, je risquais de
lâcher le morceau sans faire attention et Brynne ne me le pardonnerait jamais.
Il valait mieux qu’aucun de nous deux ne sache ce qui nous attendait, que ce
soit un Thomas ou une Laurel.
L’un ou l’autre, peu importait, ce serait parfait.
Je me sentis repartir vers le sommeil, apaisé par la douceur de sa peau
contre la mienne. Elle s’agita. Son souffle devint saccadé et son corps se tendit.
Elle toucha son ventre et trouva ma main.
— Ethan ?
Sa voix tourmentée montait dans les aigus, j’en déduisis qu’elle rêvait,
profondément endormie.
— Chut… je suis là, mon cœur.
Caressant en cercles lents la chemise de nuit sur son ventre arrondi, je
soufflai dans son cou et attendis qu’elle chasse ce mauvais rêve pour retrouver
la paix.
Mes paupières étaient lourdes. J’étais enfin prêt à dormir. Brynne se remit
à parler, mais cette fois, ses mots étaient clairs et distincts :
— Toujours là pour toi, Ethan.
Mes yeux s’ouvrirent brusquement.
J’étais stupéfié par cette révélation : même jusque dans son sommeil
profond où l’inconscient régnait en maître, Brynne était toujours là pour moi,
prête à me soutenir quoi qu’il advienne.
Le lien qui nous unissait n’avait aucune limite.
Qu’importe ce que l’avenir nous réservait. Jamais je ne la quitterais.

Cette maison était immense. Nous n’avions pas besoin de tout cet espace.
J’en eus la confirmation en garant ma voiture dans le gigantesque garage
modernisé. Seule la façade n’avait pas changé depuis sa construction deux
cents ans plus tôt, lorsqu’il s’agissait encore d’une remise pour les calèches.
D’immenses calèches avec des chevaux, des cochers et tout le toutim. Pour un
citadin pure souche dans mon genre, c’était un univers parallèle. Mais cette
maison nous avait séduits. Je sentais jusque dans mes tripes que nous faisions
le bon choix en créant notre cocon ici. Pour l’instant, nous ne pouvions pas y
passer la semaine entière mais trois ou quatre jours pour le week-end, c’était
déjà pas mal. Pour couper le cordon avec Londres, il nous faudrait être
patients. J’y avais mon travail, et Brynne ses études qu’elle comptait reprendre
dès que le bébé serait né.
L’agent immobilier nous avait raconté un bout de l’histoire de Stonewell
Court. Les fondations dataient de 1761 mais il avait fallu quelques années pour
terminer sa construction. Le premier occupant était un gentleman londonien
qui souhaitait passer ses étés à la campagne en bord de mer lorsque le
fourmillement de la ville le fatiguait. Et la puanteur des rues certainement
aussi.
Pendant les siècles passés, Londres n’avait rien de la capitale qui nous
séduisait aujourd’hui. Je comprenais l’engouement de l’époque pour les
grands manoirs de campagne. C’était amusant de se dire que nous faisions la
même chose que les précédents propriétaires plusieurs siècles en arrière. Vivre
à Londres puis s’échapper à la campagne pour une bouffée d’air pur. Nous
étions comme des enfants qui jouaient à changer de maison. Et c’était tout ce
qui m’importait.
Cela me faisait rire que certains aient qualifié cette énorme bâtisse de
cottage. Je secouai la tête en contournant la maison pour retrouver Brynne.
Robbie avait eu la mission de l’occuper pendant que je m’éclipsais pour lui
trouver son cadeau d’anniversaire. Vingt-cinq ans aujourd’hui. Une fête
l’attendait cet après-midi.
En passant sous l’arche qui menait au jardin, je balayai les environs d’un
regard. Et elle était là, jouant dans les fleurs. Elle-même n’utiliserait pas le
verbe « jouer », mais elle avait pourtant l’air de s’amuser avec ses gants pleins
de terre et son déplantoir qu’elle manipulait pour installer une vieille urne
remplie de vigne vierge.
Ce jardin avait conquis Brynne au premier coup d’œil. Étonnant de la part
d’une jeune femme qui revendiquait ne pas avoir la main verte. Elle disait
vouloir apprendre depuis qu’elle avait découvert le jardin de ma mère,
derrière la maison de mon père à Londres. C’est là que je lui avais demandé de
m’épouser.
Robbie James, le jardinier dont nous avions hérité en achetant Stonewell
Court, l’aidait à restaurer les parterres pour redonner vie à cette parcelle en
jachère depuis des années. J’étais ravi d’observer qu’une majorité de fleurs
violettes ressortait parmi son choix de variétés. C’était ses préférées. Je le
savais, évidemment. La toute première fois, je lui en avais offert un bouquet…
et Brynne m’avait laissé une seconde chance. Levant les yeux vers le ciel, je
remerciai en silence les anges des secondes chances.
Visiblement, Brynne prenait beaucoup de plaisir à cette nouvelle vie et j’en
étais ravi. Si elle voulait se distraire à jardiner, qu’elle le fasse. Mais elle
n’avait pas droit au dur labeur. J’avais pris soin de confier à Robbie une tâche
importante : empêcher Brynne de porter quoi que ce soit dont le poids
dépassait celui d’un tuyau d’arrosage. Si jamais elle se sentait pousser des
ailes, il devait m’en avertir pour que je mette le holà.
Je lui adressai un salut de l’autre côté de la pelouse, lui faisant ainsi
comprendre que j’étais revenu et qu’il n’avait plus à se préoccuper de Brynne.
Je levai les pouces vers le ciel et il me répondit de même. J’avais le cadeau
d’anniversaire, tout était en place. Je souris en pensant à ce qu’elle dirait en
découvrant ce que je lui avais réservé.
Je me glissai furtivement derrière elle et plaquai mes mains sur ses yeux.
— Devine qui c’est.
— Mince, tu es très en retard ! On n’aura plus le temps pour les galipettes,
mon mari va rentrer d’une minute à l’autre. Il deviendrait fou s’il te trouvait
ici.
Son sens de la repartie me surprendrait toujours.
— Je peux faire vite. Un petit aller et retour, j’aurai terminé avant qu’il
s’aperçoive de quoi que ce soit.
— Oh, mon Dieu ! s’écria-t-elle en faisant volte-face et en posant les mains
sur mon torse en riant. Un « aller et retour » ? Non mais je rêve !
— Je suis sérieux, ma belle. Si on veut finir avant le retour de ton mari, on
ferait bien de se dépêcher.
Riant toujours, elle recula d’un pas et retira ses gants d’un geste suave.
Notre petit jeu avait l’air de l’amuser. Ses cheveux étaient attachés en chignon
désordonné, ma coiffure préférée. Elle me permettait ainsi de lui retirer ses
épingles pour faire onduler ses cheveux sur ses épaules avant de lancer
l’assaut.
Le sourire espiègle qui se dessina sur ses lèvres laissait penser qu’elle était
prête à enclencher la vitesse supérieure de notre petit jeu de séduction.
J’attendis qu’elle fasse le premier pas. Elle aussi attendait. Nous étions dans les
starting-blocks, le sourire jusqu’aux oreilles. Finalement, Brynne fit tomber
les gants à mes pieds.
Mon sexe était à l’étroit dans mon caleçon.
Ses yeux balayèrent mon corps tout entier, puis elle tourna les talons… et
se mit à courir vers la maison comme si elle avait le diable aux trousses.
Yes ! Je lui laissai deux secondes avant de me lancer à sa poursuite.
La chasse promettait d’être fructueuse, putain.

Brynne me chevauchait avec la maîtrise d’une cavalière, le roulement de


ses hanches permettait la friction idéale contre les parois de son vagin. Je
n’allais pas résister bien longtemps.
— Oh, Ethan, tu es tellement… dur, haleta-t-elle. C’est trop bon !
— C’est toi qui me fais bander, ma belle. J’aime te voir quand on baise.
Et pour ce faire, je la saisis par les hanches et la penchai légèrement vers
l’arrière pour contempler nos corps en mouvement. Le meilleur des
aphrodisiaques.
Mais avant toute chose, je voulais la faire jouir.
— Malaxe tes seins.
L’amante parfaite : elle porta ses mains à ses nichons et les caressa comme
de beaux fruits exotiques. Putain, elle est excellente, la comparaison. Les seins
de Brynne évoluaient avec la grossesse de la meilleure des façons. Ils étaient
plus succulents que jamais.
En pinçant ses tétons sombres et pointus, elle poussa un cri. Cette douleur
lui procurait une ivresse que je reconnaîtrais entre mille : celle qui précédait
son orgasme. Je m’attaquai alors à son clitoris glissant en le tripotant du bout
des doigts tout en lui imposant les assauts répétés de ma verge vigoureuse.
L’explosion nucléaire était imminente. J’attendis les premiers frissons,
puis m’enfonçai jusqu’à la garde avec une puissance redoublée. À tous les
coups, son plaisir provoquait le mien. Elle détenait un tel pouvoir sur moi que
c’en était magnifique. Putain.
— Ooooh… j’y suis ! lâcha-t-elle, le souffle court.
Splendide dans sa nudité, elle atteignit l’ultime euphorie. Ses grands yeux
noisette étincelèrent de flammes ambrées en se posant sur les miens.
— Oh oui, oh oui !
Il me suffit de croiser son regard pour toucher à mon tour à l’orgasme, ses
parois intimes se convulsèrent autour de ma queue qui projeta tout son foutre
jusqu’à la dernière giclée. Je continuai de la baiser encore et encore. Je sais
que c’est grossier de ma part, mais j’adorais laisser mon sperme au fond de
son corps. C’était ma façon de rester là même quand je n’y étais plus.
Elle s’effondra sur mon torse et on reprit ensemble notre souffle. Je
raffolais de cet instant d’épuisement après l’amour. En caressant doucement
son dos, je fermai les yeux. Nous étions couverts de sueur et de fluides en tout
genre. C’était un putain de bordel divinement lubrique et sexy.
— C’était le plus beau cadeau d’anniversaire dont on puisse rêver, pantela
Brynne. Mais tu devrais te dépêcher de partir avant que mon mari ne te trouve.
Je ricanai en frottant mon nez à sa joue.
— On remet ça quand tu veux, ma belle. Ton mari ferait bien de te
surveiller d’un peu plus près.
— Non, il ferait bien de combler mes désirs. La grossesse me rend
insatiable.
— Je m’occupe de toi, poupée. Oublie ce naze.
— Ouais, tu as raison. Et puis, la tienne est bien plus grosse.
— Bordel, tu n’as aucune limite ! m’étonnai-je en riant avant de l’attaquer
d’irrésistibles chatouillis jusqu’à ce qu’elle crie en me suppliant d’arrêter.
On rit en retrouvant notre position, lovés l’un contre l’autre, savourant cet
instant de bonheur à deux. Pour moi, c’était un pur moment de joie. Il m’en
fallait peu pour être heureux, mais maintenant que j’avais connu l’amour de
Brynne, je ne pourrais plus jamais m’en passer. L’amour. Cette notion après
laquelle je n’avais jamais couru m’avait frappé sans prévenir pour ne plus
jamais me lâcher… C’était devenu vital.
Enivré par son parfum, je passai la main dans son dos, le geste paresseux.
J’eus soudain une étrange sensation humide sur le torse à l’endroit où elle
avait reposé sa joue. J’effleurai ma peau et sentis une petite flaque tiède.
Qu’est-ce que c’est ? J’avais du sang sur le bout des doigts.
Mon cœur manqua un battement.
— Oh, mon Dieu ! Brynne, tu saignes !

— Quoi ? ! Je saigne ?
Je me redressai d’un bond. Les traits tirés par la terreur, Ethan observait le
rouge qui coulait de son doigt. En me touchant le nez, je compris rapidement
d’où venait le problème.
— Ce n’est rien, Ethan, tout va bien, dis-je d’un ton apaisant en voyant
combien cela le faisait paniquer.
— Tu ne saignes pas, tu pisses le sang ! s’emporta-t-il. J’appelle Fred tout
de suite.
Il se jeta sur son portable posé sur la table de nuit.
La tête en arrière, je pinçai les ailes de mon nez.
— C’est juste un petit saignement. N’appelle pas Fred pour si peu.
Pour me lever du lit sans tacher les draps, ce ne fut pas une mince affaire.
Dans la salle de bains, je trouvai une serviette propre. Elle serait fichue,
mais tant pis, je n’avais pas vraiment le choix. Je la maintins contre mon visage
d’une main et tournai le robinet d’eau froide de l’autre.
Derrière moi, Ethan suivait chacun de mes gestes avec des yeux ronds
comme des soucoupes. Il s’approcha pour retirer la serviette.
— Attends, laisse-moi faire. Ça saigne encore.
Il était pâle comme un cachet d’aspirine. Je remis la serviette en place.
— Arrête de te faire du mouron, mon chou. C’est juste un saignement de
nez et ce n’est pas la première fois que cela m’arrive.
— Ah bon ? ! hurla-t-il. Quand ? Quand est-ce que tu as saigné ?
La colère lui plissait le front. Au revoir, mon bel amant de tout à l’heure.
— Du calme, toi. Tu n’as aucune raison de t’inquiéter comme ça. J’ai
saigné hier pendant que tu étais au travail.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Putain, Brynne !
Il se passa rageusement la main dans ses cheveux en tirant les mèches du
cou.
Bon, OK, s’il continuait comme ça, il allait finir par m’énerver.
— Inspire profondément et va voir l’article sur Internet au sujet de la dix-
huitième semaine de grossesse.
Le regard noir, il secoua la tête mais accepta toutefois de regarder son
téléphone. Les traces de sang sur ses doigts faisaient peur à voir. Il cliqua sur
« Symptômes Grossesse » et lut en silence. Son corps se détendit à vue d’œil, il
s’assit sur le lit. Après un moment, il me lut tout haut d’une voix monocorde :
— La pression artérielle est susceptible d’augmenter et de provoquer des
saignements de nez.
Visiblement, il était contrarié.
— Tu es vraiment certaine que je n’ai pas de raison de m’inquiéter ?
Lorsque Ethan leva les yeux vers moi, mon cœur ne fit qu’un tour. Je
voyais bien qu’il était à la fois triste, effrayé, frustré et inquiet. Le pauvre, il
aurait besoin d’une bonne dose de calmant le jour de mon accouchement.
— Je vais bien, je t’assure.
Je me tournai vers le miroir et retirai la serviette. Ça ne saignait plus. Ma
lèvre et mon menton étaient écarlates, mais au moins, j’avais le nez sec.
Ethan se précipita pour me nettoyer.
— Attends, je veux le faire, dit-il.
Ce n’était pas le moment de le contrarier. Je ne bougeai plus et le laissai
me passer la serviette sur le visage, nettoyant le linge sous l’eau froide
plusieurs fois pour ne plus laisser aucune trace. Je fermai les yeux pendant
qu’il s’activait et me sentis toute dorlotée et aimée en dépit du choc qui avait
secoué mon pauvre chou.
— Par quel miracle vais-je pouvoir tenir bon quand tu vas accoucher,
Brynne ?
Je pris son visage à deux mains et le regardai droit dans les yeux.
— Mais non. Tu peux le faire, mon chéri. Ne brûle pas les étapes. Fais
comme moi, chaque chose en son temps.
Je ne savais pas quoi lui dire d’autre. Moi aussi, j’étais terrifiée.
Il me prit dans ses bras et m’embrassa le haut de la tête tout en me
caressant doucement les cheveux. Plus tard, nous prendrions une douche pour
nous préparer à accueillir sa famille pour ma fête d’anniversaire. Mais pour
l’instant, nous avions besoin de ce câlin.
Alors, nous l’avons savouré.

— Le gâteau, c’est fait. Et il était délicieux, merci, Hannah, fit Ethan avec
un clin d’œil pour sa sœur. Les cadeaux, c’est fait aussi… Tiens, non, il en
manque un.
Son rire enfantin cachait quelque chose. Que me réservait-il, au juste ? Ça
ne me disait rien qui vaille. Un gros cadeau, me disait mon instinct. Je n’aimais
pas ça. J’ai toujours préféré la simplicité.
— Je veux voir le cadeau de tante Brynne, s’exclama Zara
Du haut de ses cinq ans, ma nièce n’avait aucun mal à donner son avis sur
tout. J’irai même jusqu’à dire que les gros cadeaux ne la gênaient pas outre
mesure. Ethan était gaga de cette petite et je dois avouer que je l’adorais, moi
aussi. Zara venait souvent nous voir. S’il faisait beau, l’un de ses grands frères
l’accompagnait et elle courait partout dans la maison en jouant avec ses Barbie.
Cette gamine était un sacré numéro.
— Bon, on y va, fit Ethan d’un air de petit garçon satisfait. Mais, Zara,
j’aurai besoin de ton aide. Ta mission, c’est de t’assurer que Brynne n’ouvre
pas les yeux tant que je ne lui en aurai pas donné la permission.
Zara le dévisagea et se mit au garde-à-vous.
— D’accord ! fit-elle en me prenant par la main. Tante Brynne, tu n’as pas
le droit de regarder.
— Ça marche, cédai-je. Quand tu dis « on y va », tu veux dire qu’on va où,
exactement ?
Ethan rit tandis que des sourires s’échangeaient, énigmatiques.
— C’est parti, direction l’entrée de la maison.
Comme il me tendait le bras, je le pris volontiers, flanquée de mes deux
gardes du corps.
Devant la porte d’entrée, je me cachai les yeux d’un grand geste
dramatique et les laissai me guider dehors. Je ne risquais pas de trébucher :
Ethan me retenait fermement contre son flanc et accompagnait chacun de mes
pas. Décidément, il n’avait pas choisi sa carrière au hasard, c’était une véritable
vocation. Mon homme était fait pour protéger et servir, deux traits de sa
personnalité qui animaient tout ce qu’il entreprenait.
Le gravier crissait sous les chaussures de toute la famille. Je n’avais
aucune idée de ce qui m’attendait.
Nous nous sommes arrêtés.
J’entendis des murmures, puis Zara s’écria de son adorable voix d’enfant :
— Ça y est, tu peux regarder la voiture blanche, tante Brynne !
Une voiture ? J’ouvris les yeux et découvris une splendide Range Rover
HSE Sport flambant neuve, avec le volant à droite et toutes les options. Le
délire total !
Je me tournai vers Ethan.
— Tu m’as acheté une voiture ? !
Son grand sourire valait toutes les leçons de conduite à gauche du monde.
— Parfaitement, ma belle. Ça te plaît ?
— La Rover ? Si elle me plaît ? Je l’adore !
Et en même temps, cela m’intimidait. Une Rover, c’est dingue. Je me jetai
au cou d’Ethan et chuchotai à son oreille de peur d’être entendue par notre
auditoire :
— Tu es fou, elle doit valoir une fortune ! Arrête de faire de telles folies
pour moi.
Avec un pas en arrière, Ethan secoua la tête.
— Je suis fou de toi, désolé… et, non, je n’arrêterai pas.
Point final, me disait son regard. Ce qui ne m’étonnait pas de lui.
J’avais envie de le gronder et de l’embrasser tout à la fois. Il dépensait
beaucoup trop d’argent à m’acheter des cadeaux. Ce n’était pas nécessaire.
Mais depuis le début de notre histoire, il s’était toujours montré d’une extrême
générosité. Je voyais bien qu’il adorait me gâter.
Me tournant vers ma nouvelle voiture, je déglutis. Je pouvais deviner son
prix : une fortune. Mon Dieu, et si je me prends un poteau ? Et puis, d’ailleurs,
allais-je seulement être capable de conduire un engin pareil ?
— Que vais-je faire de toi, Blackstone ?
— De moi, je ne sais pas, mais de ta voiture, j’ai ma petite idée.
Ethan avait l’air inquiet, comme si son cadeau ne me plaisait pas. Je ne
voulais pas le vexer, le pauvre. Sans compter qu’il était encore sous le choc de
l’épisode du saignement de nez de tout à l’heure. Visiblement, cela avait
déclenché quelque chose en lui. J’ignorais quoi exactement, mais j’avais le
sentiment que ma grossesse n’avait rien à voir dans l’affaire. Était-ce le
traumatisme de son passé qui refaisait surface ? Je soupirai intérieurement et
mis cela de côté. Ce n’était pas le moment d’y penser.
Je regardai longuement Ethan. Puis Freddy, Hannah, Colin et Jordan, qui
attendaient avec le sourire que je prenne possession de mon cadeau. Tombée
du ciel, la petite Zara brisa la glace en hurlant :
— Je veux faire un tour ! Emmène-moi, tante Brynne.
J’eus un petit rire nerveux, et finis par me dire : « Ma foi, pourquoi pas ? »
Après tout, j’étais mariée à Ethan. J’habitais en Angleterre, c’était chez moi, et
nous avions une maison à la campagne. Je ne pourrais pas prendre le train tous
les jours. Il me faudrait faire deux ou trois courses par-ci par-là, comme tout
le monde. Bientôt, je serais maman, et j’aurais un tas d’endroits où aller avec
mon bébé. Autant apprendre tout de suite à rouler à gauche.
Je décochai un sourire assuré à tout le monde et pris le taureau par les
cornes.
En route, mauvaise troupe !
— Bon, d’accord, mais on reste sur le petit chemin de gravier. Je suis un as
du volant, vous allez voir !
— Qui commence ? demanda Ethan.
Zara et Jordan, mes premiers volontaires, grimpèrent à l’arrière de la
voiture. J’ouvris la portière du côté conducteur. L’odeur de cuir neuf me
chatouilla les narines. J’avais du mal à croire que cet extraordinaire engin était
à moi. Ça et tout le reste.
Ethan, la maison, sa famille, le bébé… cela faisait beaucoup pour mon petit
cœur fragilisé par les hormones.
Je bouclai ma ceinture de sécurité. Jusque-là, tout allait bien. Mais ensuite,
ça se compliquait. Tous ces boutons me faisaient plus penser au cockpit d’un
bombardier qu’au tableau de bord d’une voiture. Je me tournai vers Ethan,
assis sur le siège passager, et lui tendis la main.
— Les clés ?
Il me sourit.
— Tu n’as qu’à appuyer là.
Il désignait un bouton rond.
— Tu te fous de moi, bordel ? !
Mon juron fit pouffer Jordan. Zara gloussait. Quant à Ethan, il se mordit
les lèvres comme pour se retenir de dire quelque chose qu’il risquerait de
regretter. Pas bête, le mari. J’appuyai sur le bouton.
Avec un « merde » et quelques « putain », je vécus ma première leçon de
conduite, volant à droite, voiture à gauche, avec pour moniteur un Ethan tout
en patience.
À l’arrière, les enfants trouvaient ça poilant et ne cessaient de me répéter
de « maintenir ma gauche ». Chose idiote sur un chemin de gravier à voie
unique.
En homme avisé qu’il était, Ethan eut le bon réflexe : il ne dit rien.
Dès que nous serions seuls, je le remercierais à ma façon pour son
merveilleux cadeau d’anniversaire.
7

4 octobre, à Londres
— Nous y voilà. Le bébé a beaucoup changé depuis la dernière fois, n’est-
ce pas ? Il fait la taille d’une banane. À vingt semaines, vous avez
officiellement passé le cap de la moitié de la grossesse. Les mensurations sont
tout à fait dans la norme d’une maternité saine. Le cordon ombilical est parfait.
Le pouls est régulier.
Le Dr Burnsley listait les détails que lui communiquait l’écran. On y voyait
notre bébé s’agiter comme un fou – ou une folle – en donnant des coups
partout avec une clarté époustouflante. Je n’arrivais pas à décrocher mes yeux
de l’écran pour répondre au médecin. Depuis la dernière fois, le réalisme de
l’image était devenu frappant. Je voyais un petit humain, ça ne faisait aucun
doute. Nous avions créé un humain.
Comme moi, Brynne était pantoise. Un pouce se glissa dans une petite
bouche, puis ressortit aussitôt.
— Tu as vu ce que je viens de voir ? ! m’exclamai-je.
— Oh, fit-elle avec un petit rire, le regard braqué sur le moniteur. Ethan, il
suce son pouce – ou elle suce son pouce.
Elle me serra doucement la main. Son excitation timide créait comme une
aura que je n’avais jamais perçue chez elle. L’aura d’une mère.
— Je sais.
C’était dans ces moments-là que je sentais à quel point Brynne ferait une
merveilleuse maman. Je n’avais aucun doute.
— Aah, je crois que je vais pouvoir vous donner le sexe du bébé…
— Non ! Je ne veux pas savoir, docteur. S’il vous plaît, ne le dites pas.
Brynne secouait frénétiquement la tête. Sa décision était définitive.
N’importe quel idiot l’aurait vu. Sans compter que le docteur n’était pas un
idiot.
Il me lança un regard en coin, puis inclina la tête comme pour me
demander si je voulais savoir. L’espace d’un instant, j’eus envie de dire oui.
Mais finalement, je fis signe que non.
— Tu peux le savoir, Ethan, si tu veux. Je regarde de l’autre côté pendant
ce temps-là.
J’étais sidéré par son assurance. Elle était magnifique. Et ne voulait
connaître le sexe de son enfant qu’au moment de l’accouchement. Alors que
moi, j’aurais facilement haussé les épaules en disant au médecin : « Oui, bien
sûr, dites-moi. » Je saurais alors si nous attendions un garçon ou une fille.
Thomas ou Laurel ? Voilà qui serait excitant.
— Non, je veux garder la surprise avec toi, rétorquai-je à Brynne, en
secouant la tête en direction du docteur.
Respect total pour ma femme. Je déposai un baiser sur sa main. Nos
regards se croisèrent sans un mot. Des mots… Pour quoi faire ?
Le docteur nous interrompit :
— Très bien, nous garderons donc la surprise.
Il imprima quelques photos, essuya le liquide laissé sur le ventre de
Brynne, puis éteignit cette machine extraordinaire capable de capturer des
images de notre futur enfant par les ultrasons. Bon sang, ce type était un héros.
On me donnerait une fortune que jamais je ne voudrais faire un tel boulot.
— En tout cas, je suis sûr d’une chose, déclara le Dr Burnsley d’un ton
pince-sans-rire. Votre enfant sera soit une fille, soit un garçon.

— On a passé le cap de la moitié, ma chérie.


Pendant notre déjeuner à Indigo, je dus admettre qu’à vouloir faire trop de
choses à la fois, on échoue forcément à tout. Lire mes messages sur mon
téléphone, suivre les grands moments du match de foot retransmis sur l’écran
de télévision du bar, à l’étage du dessous, et faire la conversation avec Brynne.
Autant dire que je passais pour un goujat.
Je reposai mon portable, arrêtai d’écouter ce que le présentateur avait à
dire des performances de Manchester United face à Newcastle, et offris à
Brynne toute mon attention. Elle me décochait ce petit sourire qu’elle maîtrisait
si bien et qui me laissait penser que mon manque de civilité l’amusait.
— À quoi tu penses ? lui demandai-je.
— Hum… À rien, je me rince l’œil, murmura-t-elle en portant son verre à
ses lèvres sans me quitter du regard. Je te regarde travailler, je pense à notre
Banane Blackstone et je me demande quand est-ce que tu t’apercevras que je ne
t’ai toujours pas répondu.
— Excuse-moi, j’avais la tête ailleurs. Bon, comment te sens-tu après ce
que nous a dit le docteur ?
— À propos de quoi ? Du fait que je doive arrêter de courir ?
Je hochai la tête. Parfois, Brynne intériorisait beaucoup ses réactions, or je
me demandais ce qu’elle pensait des instructions du médecin concernant ses
habitudes sportives.
Elle haussa les épaules.
— Je peux toujours faire de longues marches. Et puis, tu es là pour me
faire rattraper le soir l’exercice que je n’aurai pas fait dans la journée. Je m’y
ferai, ne t’inquiète pas.
Son sourire en coin grandit pour terminer sur la note d’un rire sexy.
Côté sexe, elle ne plaisantait pas. La grossesse embrasait la libido de
nombreuses futures mamans, et je m’estimais heureux que ma femme soit
concernée au plus haut point. Avec le feu vert du docteur, nous baisions
comme des sauvages. Un pur bonheur.
— Tout juste. Le Dr Burnsley est mon nouveau meilleur pote.
Brynne leva les yeux au ciel.
— Oh, vraiment ? Il m’a bien fait rire avec son discours style
protocolaire : « Tant que les deux partenaires sont volontaires, ils peuvent
tremper le biscuit à volonté », s’amusa-t-elle en imitant l’accent guindé du
docteur. C’est bien les hommes, tiens. Quelle preuve d’intelligence et
d’originalité de sa part. Je me demande combien de fois il dit ce type de
phrases dans la journée.
— Il peut le dire autant qu’il veut, je m’en fiche. L’essentiel, c’est le feu
vert, ma belle, dis-je en arquant un sourcil, parce que moi, je suis toujours
partant.
— Je n’en doute pas, gloussa-t-elle de son air de coquine.
Une légère rougeur envahit son si joli cou. J’avais envie de le croquer.
Ce regard qu’elle me lançait… Un regard aguicheur et sensuel, d’elle à
moi, par-dessus la table parfaitement dressée d’un restaurant. J’en venais à
regretter d’être dans un lieu public pour un déjeuner. Entre nous, il n’en fallait
pas plus pour nous attiser. Un regard, une caresse, un mot chuchoté, et la seule
question qui comptait, c’était de savoir où et quand.
Je m’efforçai donc de trouver un sujet plus adapté au contexte.
— En parlant du médecin, il m’a rassuré au sujet des saignements de nez.
Tu avais raison, c’est la grossesse. Excuse-moi de m’être emporté.
Elle baissa la tête et me souffla un baiser sur sa main délicate en
murmurant : « Ce n’est rien. » Brynne m’impressionnait par sa patience. Une
majeure partie du temps, je pouvais être usant avec mes accès d’inquiétude
maladive, ce n’était un secret ni pour elle ni pour moi. Mais elle gardait
toujours le sourire et n’hésitait pas à me le dire si je dépassais les bornes. Son
amour apaisait tous mes délires, un véritable miracle. Par exemple, j’arrivais
enfin à freiner la cigarette. Pour moi, c’était le signe que je faisais une croix
sur le passé et décidais de vivre une vie plus saine, de m’engager auprès d’au
moins deux personnes qui auraient besoin de moi dans les parages pour les
soixante prochaines années.
J’étais descendu à une clope par jour. Souvent le soir, avant de dormir.
Pour moi, cette habitude était symbolique, cependant j’espérais que cela ne
paraisse pas trop évident. Toute technique permettant d’éloigner les terreurs
nocturnes était bonne à prendre.
Profitant qu’elle quitte la table pour faire un tour aux toilettes, je repris le
fil des résultats de matchs qui défilaient à l’écran et lus les derniers messages
sur mon téléphone. Apparemment, un voyage en Suisse se profilait en janvier
pour la Compétition européenne de sports extrêmes. D’habitude, je me jetais
sur une occasion pareille, mais celle-ci présentait quelques risques. Le jeune
prince Christian de Lauenbourg était ravi de sa qualification dans la catégorie
snowboard, mais son grand-père, le roi de Lauenbourg, voyait ce sport d’un
mauvais œil. Dans les royautés, c’est toujours la pagaille. Dans celle-ci plus
qu’ailleurs. Le petit-fils était le seul héritier du royaume. Or, pour un roi,
l’héritier est la prunelle de ses yeux. Si ce gamin se blessait pendant la
compétition, ma réputation serait fichue. Sans oublier la menace terroriste qui
planait désormais au-dessus de toutes les compétitions internationales. Je
voyais déjà venir les menaces de mort à peine voilées que recevraient les
organisateurs et autres participants aux événements. Ces fous ne résistaient pas
à la tentation de faire des émules dans la presse.
Je devais me résoudre à m’investir dans cette mission, mais le cœur n’y
était pas. Mon objectif était de libérer mon planning pour tout le mois de
février. Le bébé n’était prévu que pour la fin du mois, mais je refusais de
prendre le risque d’être à l’étranger lorsque Brynne serait admise aux
urgences. J’avais l’estomac en vrac à cette idée. Pour être tout à fait honnête, la
perspective de l’accouchement me faisait péter de trouille. Les hôpitaux, les
blouses blanches, le sang, la douleur, Brynne en souffrance, le bébé en lutte…
Un tas de choses pouvaient potentiellement déraper.
Un texto de Neil réclama mon attention la plus totale. Nous avions des
sonneries spécifiques pour les alertes graves et les urgences. Je lus son
message.
Mon sang se figea.
À la télévision, la page sportive avait laissé place à l’actualité politique.
Non. Oh putain, non !
À mon retour des toilettes, je compris que quelque chose n’allait pas. Je
suivis le regard d’Ethan vers l’écran. En voyant son visage, je sentis mes
jambes se dérober. Le journaliste parlait de lui. Son nom était écrit en lettres
capitales.
Sept ans, ce n’était pas rien.
Sept ans depuis la dernière fois que j’avais vu ce visage. Un peu plus de
sept, pour être précise. Ce serait mentir que de dire que je n’avais jamais
repensé à lui pendant cette période. Évidemment que j’y avais repensé. Pour me
dire : « Comment as-tu pu me faire ça ? » ou « Me haïssais-tu à ce point ? » ou,
mon préféré : « As-tu conscience que j’ai voulu me tuer après ce que tu m’as
fait subir ? »
Le journaliste évoqua toute l’affaire avec une précision terminologique
qui m’était presque insoutenable.

Le sous-lieutenant, Lance Oakley, est à compter parmi les blessés graves


après l’attaque d’hier. Rappelons qu’une bombe a explosé devant les portes du
quartier général du ministère de l’Intérieur à Bagdad, faisant cinq morts et
huit blessés. Cette attaque prétendument terroriste a été perpétrée dans la
matinée alors que les employés venaient d’arriver dans les bâtiments du
gouvernement. Le sous-lieutenant y était en mission parmi les dernières troupes
américaines en service sur le sol irakien. Aucune organisation terroriste n’a
encore revendiqué l’attaque, mais cela ne saurait tarder compte tenu des liens
du sous-lieutenant Oakley avec certains membres très haut placés sur
l’échiquier de la politique américaine. Le sous-lieutenant est le fils unique du
sénateur Lucas Oakley, candidat vice-président aux côtés de Benjamin Colt
pour les prochaines élections qui se tiendront en novembre. Depuis le début de
sa course à la présidentielle, Colt affronte les pires obstacles. La mort de Peter
Woodson, membre du Congrès, en avril dernier lors d’un accident d’avion, a
propulsé Oakley en tête des favoris pour le remplacer. Le sénateur serait
actuellement en déplacement pour rejoindre l’hôpital Lord Guildford à Londres
où son fils a été admis. Le sous-lieutenant Oakley et les autres blessés ont été
transférés de Bagdad au Royaume-Uni par voie aérienne afin de recevoir les
meilleurs soins possible. Selon certaines sources, les blessures d’Oakley
auraient nécessité l’amputation d’une partie de sa jambe droite, juste sous le
genou. Les journalistes sont sur place à l’hôpital Lord Guildford et vous
tiendront informés de l’avancement de son état. Les analystes politiques
démarrent d’ores et déjà leurs pronostics quant à l’influence de cet événement
sur le résultat des prochaines élections présidentielles qui se tiendront le mois
prochain. En direct de Londres pour CNN…

Après notre déjeuner à Indigo, Ethan décida de rentrer directement à la


maison. Le trajet en voiture fut silencieux. Je me demandais ce qu’il pensait de
tout ça, mais je n’avais pas vraiment envie d’en discuter avec lui. Ethan me
connaissait par cœur, il ne me posa aucune question et se contenta de me
ramener chez nous en silence.
Pas de doute, le Dr Roswell en entendrait parler.
Ethan travaillait dans son bureau lorsque le téléphone se mit à sonner. Je
sus qui m’appelait avant même de décrocher.
— Bonjour, maman.
— Ma chérie, tu es au courant pour Lance ?
— Oui.
— Et comment te sens-tu ?
Je pris une profonde inspiration, soulagée de savoir ma mère à San
Francisco, de l’autre côté de l’océan, car je voyais d’avance où nous mènerait
cette conversation, et ça ne me plaisait pas du tout.
— Comme quelqu’un qui ne veut pas entendre parler de lui, voir sa photo
partout, écouter les infos au sujet de son père en lice pour les présidentielles,
ou savoir qu’il sera à la une de tous les journaux.
— Brynne, écoute-moi. Le sénateur Oakley souhaitera que tu ailles rendre
visite à Lance pour montrer ton soutien et renouer votre amitié et comme tu vis
à Londres, je me suis dit que…
— Ah, non ! C’est hors de question, maman ! Tu as perdu la tête ?
Un silence. J’imaginais sa moue frustrée à l’autre bout du fil.
— Non, Brynne, j’ai encore toute ma tête. Si j’estime que tu devrais rendre
visite à un vieil ami de la famille, c’est parce que je pense à ton intérêt, ma
fille, et que j’ai à cœur ton bonheur et ta tranquillité d’esprit.
— Comment oses-tu me demander une chose pareille ? Tu veux que j’aille
rendre visite à celui qui m’a brisée, qui a fait une vidéo qui m’a quasiment
conduite à la mort ? Tu veux vraiment que je le fasse ? Mais pourquoi ? Parce
que son père est en lice pour la vice-présidence et que c’est bon pour l’image
de notre famille ? C’est pour… ça ?
Cette question me faisait mal, mais j’avais besoin de savoir. J’espérais
qu’elle ose me le dire si c’était la vérité. Mais j’en doutais. Mes larmes
refusaient de couler. Au lieu de ça, mon cœur se ferma encore un peu plus à
celle qui m’avait donné la vie. Elle disait m’aimer, mais je n’arrivais plus à y
croire.
— Non, Brynne. Je dis ça pour toi. J’estime que ce n’est pas en rejetant
cette opportunité d’oublier le passé que tu arriveras à avancer.
— Oublier le passé ?
Le coup fut terrible. Je ne l’avais pas vu venir. Sous le choc, je mis un
moment à retrouver l’usage de ma voix.
— Comment veux-tu que j’oublie, maman ! Tu… tu crois que je devrais
aller le voir à l’hôpital et faire comme s’il ne m’avait pas violée et qu’il
n’avait pas laissé ses amis abuser de mon corps sur une table de billard ? C’est
ça que tu veux ? Moi, je… je devrais lui pardonner ? !
— Oui, ma chérie. Oublie le passé pour pouvoir aller de l’avant. En
ressassant cette histoire, tu te fais du mal.
Cette fois, les larmes jaillirent.
Ma mère ne pouvait pas prétendre m’aimer. C’était impossible, pas de cette
façon-là. Le pieu qui s’enfonçait dans mon cœur me coupait le souffle.
— Non, maman.
Ma voix se brisa mais mes paroles disaient vrai et elle comprendrait leur
sens.
— Je regrette que papa ne soit plus là pour m’aider. Lui, il m’aimait. Il
m’aimait vraiment. Tu sais comment je le sais, maman ? Parce que jamais papa
ne m’aurait demandé une chose pareille. Jamais !
Ne lui laissant pas le temps de répondre, je raccrochai et réprimai une
envie folle de jeter le téléphone contre le mur. Debout au milieu de notre
chambre, je m’efforçais de respirer à un rythme régulier. Bizarrement, je me
sentais à la fois engourdie et forte.
À cela près que les larmes ruisselaient sur mon visage.
Les bras musclés de mon mari m’encerclèrent pour m’attirer contre lui. Je
les serrai contre ma poitrine et… lâchai prise.
— Ethan… Elle… elle m’a dit d’aller voir L-Lance pour lui par-
pardonner. Elle c-croit que ça va m-m’aider à oublier…
— Chut, fit-il doucement en me retournant pour m’enlacer tendrement.
Les larmes coulaient en flot continu, je n’y voyais plus rien. L’odeur
rassurante d’Ethan enveloppa mes sens.
— Je sais, ronronna-t-il. J’ai entendu ce que tu lui as dit. Tu n’as pas à te
sentir obligée d’aller où que ce soit, ma chérie. Et personne ne peut te forcer
de voir qui que ce soit.
— Je… je n’arrive p-pas à croire qu’elle m-me demande ça. Mon p-père
me manque…
Ma voix mourut sous la force de mes sanglots. Ethan prit les choses en
main.
— Au lit ! Ce n’est pas bon pour le bébé. Tu dois t’allonger.
Il me fit m’asseoir sur le lit, retira mes chaussures en silence, et m’installa
sous les draps en un rien de temps. Penché au-dessus de moi, il approcha son
visage du mien.
— Tu peux tout me raconter si tu en as envie, mais je ne veux pas te voir
debout. Cette histoire t’a épuisée, et moi, ça me met en rage.
Autant ses gestes étaient doux, autant sa voix ne l’était pas. Son froncement
de sourcils me signalait à quel point cette situation l’avait mis hors de lui. Sans
parler de ma mère. Ces deux-là n’étaient pas près de s’entendre. J’en ricanai
intérieurement. Qu’est-ce que tu crois ? Toi non plus, tu ne t’entends pas avec
elle.
Après m’avoir apporté une serviette mouillée d’eau fraîche et un verre
d’eau, il me rejoignit sous les draps et me serra contre son corps rassurant en
me caressant les cheveux, à l’écoute de mon récit détaillé de cette conversation
avec ma mère.
Lorsque j’eus terminé, Ethan me posa une question. De douce et
consolatrice, sa voix se fit grave.
— Brynne, est-ce que ta mère est au courant de ce qui est arrivé à Karl
Westman ?
— Non, tu m’as dit de n’en parler à personne.
— Et tu ne lui as rien dit ?
— Non, Ethan, pas un mot. Pas même au Dr Roswell.
— Bien. Tant mieux, dit-il en continuant à me caresser la tête et à passer
ses doigts dans mes cheveux. Ma chérie, excuse-moi de reparler de ça, mais
personne ne doit jamais savoir ce qui s’est passé avec Westman le jour où il t’a
kidnappée. Personne. Tu dois classer cet épisode dans un coin de ta mémoire et
ne plus jamais y penser.
— J-je sais. C’est eux qui l’ont tué, pas vrai ? Les hommes du sénateur
Oakley ont tué Karl parce qu’il leur faisait du chantage avec la vidéo, c’est ça ?
Ses doigts continuaient de me masser la tête. La sensation était divine, à
l’inverse de cette conversation.
— Oui, je crois que tu n’es pas loin de la vérité, même si nous n’en aurons
jamais la preuve. Son corps ne sera jamais retrouvé. Westman a disparu de la
surface de la Terre.
J’opinai, incapable d’exprimer ce que je ressentais. Mais j’avais compris.
Ethan avait utilisé les mots justes pour m’atteindre droit au cœur. Disparu de la
surface de la Terre. La même chose était arrivée à mon père. Disparu. Il n’était
plus là pour moi. Je ne pouvais plus entendre son amour dans sa voix lorsque
nous discutions entre père et fille.
La raison de sa disparition remontait à cet événement et c’était ma faute. Ce
jour-là, je les avais laissés faire. C’était la conséquence de mes actions. Certes,
Lance avait sa part de tort, mais moi, j’avais permis au monstre caché en lui de
s’exprimer. J’étais allée à cette fête. J’avais trop bu. Je n’avais pas respecté
mon corps dont on avait abusé sans scrupule. J’avais laissé cette expérience me
détruire au point de vouloir attenter à ma propre vie. C’était pathétique. Et
finalement, c’était mon père qui en avait fait les frais au prix de sa vie.
— À quoi penses-tu ? demanda Ethan d’une voix douce pour la deuxième
fois de la journée.
— À mon père qui me manque, laissai-je échapper, si bouleversée qu’une
deuxième salve de sanglots menaça d’éclater.
— Mon amour.
Ethan posa une main sur mon ventre qu’il caressa doucement. Ce simple
geste était adorable mais amplifia ma douleur, mon père me manquait plus
cruellement encore.
Lorsque les mots commencèrent à sortir, je fus incapable de les arrêter.
— Aujourd’hui, nous avons vu les premières images de notre bébé. Si mon
père était encore là, je les lui aurais montrées. J’aurais raconté ce rendez-vous
chez le médecin et il aurait trépigné à l’idée d’être bientôt grand-père. Il aurait
regardé les photos en me demandant quelle sensation ça me fait… Oh, il me
manque tellement.
Je marquai une pause pour reprendre mon souffle.
— Je ne peux plus lui parler. Et je ne peux plus parler à ma mère non plus.
Je n’ai plus personne… Je suis orpheline.
Cette fois, je craquai en silence, mais c’était aussi douloureux que si
j’avais hurlé ma peine. Mon chagrin me ferait encore souffrir longtemps, très
longtemps.
Pour toute réponse, Ethan me serra plus fort contre lui en sentant mes
épaules secouées de sanglots. Il me rappelait ainsi que je l’avais, lui. Ses
caresses sur mon ventre avaient dû s’accentuer légèrement, parce que c’est à
cet instant que je l’ai senti.
Un mouvement à l’intérieur de mon ventre. Un frissonnement juste sous
mon nombril qui me rappelait le battement d’ailes d’un papillon. Je me figeai
et m’emparai vite de la main d’Ethan pour appuyer sur l’endroit en question.
— Quoi ? s’inquiéta-t-il. Tu as mal…
— Je l’ai senti. Notre bébé a bougé comme un petit papillon.
Comme un message envoyé par un ange.
Il laissa sa main en place en espérant sans doute ressentir la même chose
que moi, mais je doutais que ce soit déjà possible. En restant allongée là, émue
aux larmes par un passé qu’on ne pouvait pas changer, je pris conscience d’une
chose capitale. Je ne m’en serais jamais sortie sans Ethan. Sa force m’aidait à
traverser les pires épreuves.
Ethan ne me laisserait jamais tomber.
Les mots qu’il me susurra à l’oreille confirmèrent la chance que j’avais
eue, en dépit de mes chagrins, d’avoir rencontré un homme comme lui.
— Je t’aime et cette petite personne t’aime plus que tout au monde.
Il écarta les doigts sur mon ventre d’un geste affectueusement possessif et
ajouta :
— Il est là pour te surveiller. Ton père. Il t’aime depuis un ailleurs, mais
son amour est bien là, Brynne. Et il ne te quittera jamais.

Oakley ne perdit pas de temps. Je pensais qu’il attendrait quelques jours


avant de me formuler sa requête. Apparemment pas. Pour le sénateur, chaque
seconde comptait. Les élections se profilaient à l’horizon. Plus qu’un mois,
l’horloge tournait. J’avais retourné le scénario un millier de fois dans ma tête
depuis que j’avais vu le journal à la télévision du restaurant. Cet enfoiré allait
utiliser la blessure de son fils pour propulser son collègue à la Maison-
Blanche. Et le pire, c’est que cette stratégie allait fonctionner.
Je reçus l’appel sur mon portable tandis que je fumais ma clope du soir
avant d’aller me coucher.
— Blackstone.
— Ouais. Qu’est-ce que vous voulez ?
— L’assurance que le passé ne reviendra plus jamais nous hanter.
— Évidemment, c’est ce qu’on veut tous. Que comptez-vous faire pour y
arriver, sénateur ?
J’avais peur de ce qu’il allait me proposer. Sans doute parce que j’avais
déjà ma petite idée. L’appel de la mère de Brynne cet après-midi m’avait mis
sur la putain de piste.
— Une simple marque de soutien à un vieil ami de la famille, voilà qui
devrait suffire. Une visite à l’hôpital. Les médias se chargeront du reste.
Dans le mille. Je grinçai des dents.
— Ma femme n’acceptera jamais, répondis-je en la revoyant s’endormir
en larmes.
Elle était totalement épuisée. Sa conversation avec sa mère avait mis ses
nerfs à vif. Ma patience avait des limites, or cette salope au cœur de pierre les
avait toutes franchies aujourd’hui. C’était quoi cette peau de vache qui se
foutait éperdument de préserver la santé émotionnelle et physique de sa fille ?
Et maintenant, c’était le tour de cet enculé. J’écrasai mon mégot et allumai une
autre cigarette.
— Faites-la changer d’avis, Blackstone.
— Je suis conscient qu’il n’y a que votre campagne qui vous intéresse,
sénateur. Vous vous fichez d’ailleurs complètement de ce qui est arrivé à votre
fils. Mais sachez que je n’ai strictement rien à branler de vos histoires
politiques ou de votre violeur de fils.
J’admets qu’il eut alors le mérite de jouer cartes sur table. Il ne mâcha pas
ses mots. Avec son accent américain dénué de toute humanité, il alla droit au
but.
— Ne pensez-vous pas qu’il vaille mieux avoir été un couple d’adolescents
imprudents, coupables d’une erreur de jugement il y a quelques années, tirant
aujourd’hui un trait sur tout ça, plutôt que de craindre qu’on leur fasse du
chantage et de vivre sous la menace que tout soit dévoilé aux yeux du monde
entier ? S’ils sont encore amis aujourd’hui, alors aucun crime n’aura jamais
été commis. Je veux l’assurance que tout ne soit plus que de l’histoire
ancienne, Blackstone. Je pense que cela devrait retenir toute votre attention.
Ça m’écorchait de l’admettre, mais sa stratégie de l’« assurance » n’était
pas idiote. Pour autant, elle n’allait pas aider Brynne. Au contraire, elle lui
ferait encore plus de mal.
— Ce qui m’importe, c’est la santé de ma femme enceinte. Or, ce soir, elle
est très mal à cause de cette putain de pagaille qui a éclaté aux informations
aujourd’hui. Et cela, sénateur, ne va vous aider en rien pour votre campagne.
Je ne peux pas la forcer à aller lui rendre visite. Elle n’ira pas.
Il répondit par un simple :
— Que ce soit fait dans la semaine, merci.
Et il raccrocha. Putain de salaud ! Les yeux rivés sur mon portable, je
devinai que le numéro qu’il venait d’utiliser n’était déjà plus attribué. La peur
me fit frissonner. Je me grillai une troisième Djarum. Je ne trouvais aucun
moyen de régler ce problème qui prenait des proportions énormes au fil des
heures. Les élections présidentielles n’allaient rien arranger à l’affaire. Mais
putain de bordel, comment fait-on pour combattre un tel monstre ?
Je me levai et sortis de mon bureau pour m’asseoir sur le balcon où je
pouvais fumer tranquillement. Une clope après l’autre, je m’enivrai de cette
nicotine épicée qui nourrissait l’addiction que je ne pouvais renier en aucune
façon.
La fumée s’échappait en volutes dans la brise fraîche de la nuit. Si
seulement mes problèmes pouvaient en faire autant. On peut toujours rêver. La
réalité nous rattrape toujours. Le jeu d’Oakley me forçait la main. Mon
expérience du poker était parfois plus une malédiction qu’une véritable chance.
Par exemple, là, je savais d’avance l’issue de la partie. Parfois, il faut savoir se
coucher.
Je refusais de pousser Brynne à se rapprocher du cercle de Oakley, mais
malheureusement, il était déjà trop tard. Mon pauvre amour allait souffrir.
8

— L’autre soir, j’ai surpris Ethan à fumer sur le balcon. Plus tôt dans la
journée, j’avais été bouleversée par… l’histoire de Lance Oakley. Je me suis
réveillée au milieu de la nuit et Ethan n’était pas là, alors je me suis levée pour
aller aux toilettes, puis je l’ai cherché. En ce moment, il essaie d’arrêter de
fumer. Il n’est plus très loin du but, mais ce soir-là… J’ai bien vu qu’il faisait
un écart.
— Il est tout aussi difficile de se débarrasser d’une addiction à la nicotine
que d’une addiction à l’alcool ou aux drogues, observa le Dr Roswell de sa
façon impartiale.
— Dans son cas, ça va plus loin.
— Que voulez-vous dire par là, Brynne ?
— Hum… Un jour, il m’a raconté son expérience en Afghanistan où il a
été retenu prisonnier.
Je n’étais pas sûre de ce que je pouvais lui dire. Je ne voulais pas trahir
l’intimité d’Ethan sans sa permission. Mais j’avais besoin de cette information,
c’était plus important que le reste.
— On l’a enfermé et torturé pendant vingt-deux jours. Durant sa captivité,
il était tellement en manque de cigarette qu’il a frôlé la folie. Il m’a raconté que
la cigarette lui rappelle qu’il s’en est sorti vivant, qu’il a survécu à la torture et
qu’il pouvait de nouveau fumer. Cette expérience l’a traumatisé au point qu’il
en fait des cauchemars. Quand j’essaie de le soutenir, il se ferme comme une
huître. Je crois que s’il refuse d’en parler, c’est parce qu’il a honte. C’est
affreux. Je me fais beaucoup de souci pour lui.
— Ce doit être très difficile pour Ethan. Nombreux sont les soldats qui
souffrent d’un trouble post-traumatique.
Je remarquai qu’elle prenait des notes dans son carnet.
— Qu’est-ce que je peux faire pour lui, à votre avis ?
— Ce que vous devez comprendre à propos des victimes de traumatisme –
et d’après ce que vous me dites, Ethan a survécu à un choc extrême – c’est
qu’elles sont capables de tout, absolument tout, pour éviter de repenser à la
cause de leur traumatisme. C’est bien trop douloureux.
— Alors quand je lui demande de m’en parler, je lui rends la chose encore
plus difficile ? Je lui fais du mal ?
— Prenez-le sous l’angle de votre propre vécu, Brynne. Vous avez
souffert un traumatisme et cela a bouleversé votre vie. Vous venez de me dire
que l’annonce des blessures de Lance à la télévision vous a profondément
ébranlée. (Le Dr Roswell n’était pas du genre à arrondir les angles.) Ne faites-
vous pas tout ce qui est en votre pouvoir pour éviter que l’on vous rappelle ce
qui vous est arrivé ?
Putain, oui, docteur.

Len m’ouvrit la porte quand je sortis du cabinet du Dr Roswell.


— Je vous ramène chez vous, madame Blackstone ?
Je répondis en soupirant à mon chauffeur, un géant au cœur tendre :
— Len. Je ne vais pas vous le dire cent fois. Appelez-moi Brynne.
— Oui, madame Blackstone. Alors, je vous ramène ?
Avec un lent hochement de tête, je grommelai :
— C’est bon, j’abandonne.
Ce type était un pince-sans-rire, cependant j’étais convaincue qu’il faisait
exprès de me taquiner. Je m’installai sur la banquette arrière de la voiture et
réfléchis à ma conversation avec le Dr Roswell. De quoi m’occuper un
moment. Tout ce que je voulais, c’était soutenir Ethan quoi qu’il m’en coûte et
être une épouse exemplaire. Je voulais qu’il sache que j’étais là pour lui, que
ce n’était pas ses cris au plein cœur de la nuit qui allaient amoindrir mon
amour pour lui, ni ce qu’il réclamait de moi après un cauchemar. S’il avait
besoin de faire l’amour jusqu’à plus soif pour l’aider à se détendre, je n’allais
pas le lui refuser. Avec lui, le sexe était toujours mémorable, et comme mes
hormones bouillonnaient à cause de la grossesse…
Mon téléphone vibra et je plongeai la main dans mon sac pour l’en sortir.
C’était Benny.
Ça va, ma belle ?
J’eus aussitôt le sourire aux lèvres. Ce n’était pas parce que j’étais mariée à
Ethan que Ben cessait de s’inquiéter pour moi. Nous gardions contact coûte
que coûte. C’était un ami en or. Avec lui, j’étais moi-même. Ce n’était pas
comme avec Gaby. Ben et Gaby étaient très proches aussi, mais elle avait ses
démons à combattre. Toutes les deux, nous taquinions Ben sur le fait qu’il
s’attirait des amies dotées d’innombrables problèmes personnels. Ben disait
que ça lui rapportait des « points chatte » de savoir ce qui nous accrochait,
nous, les femmes. Même s’il n’était pas intéressé par le sexe opposé, il savait
que le monde tournait rond grâce aux deux catégories, ce qui lui suffisait pour
s’intéresser aux femmes.
Ben avait dû voir cette histoire au sujet de Lance. Il fallait vivre sur une île
déserte pour ne pas en avoir entendu parler. Il me faisait juste savoir qu’il était
là pour me soutenir.
Je lui répondis :
On fè aller :) Tu me mank. On fè bientôt les boutik de fringues pour fem
enceintes ?
Sa réponse ne se fit pas attendre, je souris.
Yes, sexy maman.
En termes de mode, il avait d’excellents goûts. Une véritable perle pour
m’aider à agrémenter ma garde-robe.
Les embouteillages décidèrent que mon retour à l’appartement prendrait
plus de temps que d’habitude. J’en profitai donc pour lire mes mails et y
répondre avant de vider ma boîte de réception. Len n’était pas bavard, je n’étais
donc pas forcée de lui faire la conversation pendant qu’il nous conduisait à
travers les rues bouchées de Londres et le crachin de saison.
Ma mère n’avait pas cherché à me rappeler depuis notre dernière
conversation. Je n’étais pas surprise. Je n’avais pas été tendre avec elle et lui
avais raccroché au nez. Nous n’allions pas nous reparler avant un petit
moment. Notre relation était tellement abîmée. J’avais du mal à l’admettre mais
la vérité était souvent laide, et entre ma mère et moi, la vérité avait pris la
forme d’une harpie affectée d’un syndrome prémenstruel carabiné.
Mon téléphone vibra encore une fois. Je le trouvai dans mon sac et lus le
message.
Il s’agissait d’une capture d’écran de ma page Facebook. En y regardant de
plus près, j’eus un haut-le-cœur. J’avais posté une image sur mon profil le jour
où Karl m’avait enlevée. Le GPS m’avait permis d’indiquer à Ethan où me
trouver. Et pour lui dire qui m’avait kidnappée, j’avais tagué le nom de Karl.
Sous mon post, quelqu’un avait commenté :
Karl Westman a disparu le 3 août dernier, et la dernière personne à l’avoir
vu, c’est vous.

Hystérique. Voilà dans quel état était Brynne en venant me retrouver au


bureau. Len l’avait accompagnée jusqu’au quarante-quatrième étage pour que
je la retrouve à la réception. De là, je la conduisis au petit salon adjacent à nos
bureaux.
Confuse, elle balaya le studio du regard, sans doute surprise de n’être
encore jamais venue ici et de n’en avoir jamais entendu parler. Il n’existe pas
de moment propice pour dire à sa compagne qu’on se servait de ce petit salon
pour baiser avant de la rencontrer. Aujourd’hui, c’était encore moins le putain
de moment.
Je me contentai de la prendre dans mes bras.
— Dis-moi que tu vas bien, mon cœur.
— Ethan, pourquoi s’acharnent-ils sur moi comme ça ? Ne me laisseront-
ils jamais tranquille ?
Ses questions me brisaient le cœur, dignes de l’acharnement d’un couperet,
me tailladant les os et la chair tout à la fois.
— Brynne, s’il te plaît, calme-toi et écoute-moi, dis-je en lui prenant le
visage pour la forcer à me regarder dans les yeux. Le sénateur Oakley m’a
appelé le soir où la nouvelle est parue aux informations. Il réclamait que tu
rendes visite à… son fils, à l’hôpital, pour montrer au monde que vous êtes de
très bons copains.
J’en étais malade de devoir lui tenir ce discours, mais j’avais compris cette
nuit-là que c’était le seul moyen de nous sortir de ce merdier.
— Il t’a appelé ? ! Tu lui as parlé et tu ne m’as rien dit ? hurla-t-elle.
Je secouai la tête.
— Je suis désolé. J’estimais qu’il valait mieux que tu ne saches pas.
— Mais pourquoi ? Je ne veux plus revoir Lance Oakley de ma vie
entière ! Ne t’avise pas de me forcer à y aller ! Tu ne vaux pas mieux que ma
mère !
Face à son regard enflammé par la rage, je me dis qu’il valait
effectivement mieux oublier cette idée tout de suite.
— Non, tu te trompes, insistai-je en la tenant toujours fermement par les
bras. J’ai refusé. Je lui ai dit qu’il était hors de question de te pousser à faire
une chose potentiellement traumatisante, mais ils viennent de t’envoyer cette
capture d’écran de ta page Facebook, dis-je en baissant d’un ton pour énoncer
une vérité brutale. Ils ne te lâcheront pas tant que tu ne passeras pas pour une
amie de la famille.
— Non…, souffla Brynne pitoyablement.
— Brynne, ma chérie… D’autres personnes sont au courant pour cette
vidéo. Tu l’as dit toi-même. En allant voir Oakley à l’hôpital, tu annulerais
l’intérêt pour eux de ressortir cette histoire. Je refuse de prendre encore le
risque de te perdre. S’il te plaît, écoute-moi. Je vais tout t’expliquer.
Le regard qu’elle me lança ! L’expression tragique qui déforma son
magnifique visage strié de larmes… Putain, que cela me faisait mal.
Après un instant, elle ferma les yeux et hocha la tête imperceptiblement.
Je lui offris un long baiser pour lui montrer que, avant tout le reste, je
l’aimais de tout mon cœur, puis je l’aidai à s’asseoir et lui racontai ma
conversation avec le sénateur. Je lui expliquai que l’essentiel était de tenir à
bonne distance toutes les personnes au courant de l’existence de cette vidéo et
qui seraient susceptibles de vouloir réitérer ce qu’avait tenté Karl Westman. Du
chantage, putain d’enfoiré ! J’embrayai sur l’intérêt d’annihiler tout intérêt
qu’aurait cette vidéo en mettant en scène l’amitié qui les liait, elle et Lance
Oakley. Ce violeur de chien galeux mérite de crever. Et si on voyait qu’ils
étaient toujours amis, ce crime aurait pu ne jamais exister. Si la vidéo venait
mettre des bâtons dans les roues du futur vice-président des États-Unis, il
pourrait toujours minimiser la chose en prétextant une simple aventure à hauts
risques entre deux gamins. Enfoiré de larve sans vergogne.
Brynne m’écouta jusqu’au bout sans m’interrompre ni poser de questions.
Ses yeux noisette sondaient les miens pendant qu’elle digérait chaque
information. Bon sang, j’admirais sa solidité. J’avais une femme courageuse et
intelligente, aucun doute là-dessus.
Mais je lui faisais du mal en lui racontant tout ça. Je savais l’effet que ça
faisait d’être confronté à sa pire terreur. Celle de Brynne, c’était d’affronter
Oakley.
Une putain d’épreuve pour moi aussi.
Elle semblait réfléchir à tout ce que je lui avais dit puis elle se leva et
marcha lentement jusqu’au miroir pour observer son reflet. Elle resta là,
plantée devant la glace, sans expression aucune. Elle n’avait plus rien de la
Brynne que j’avais rencontrée au mois de mai.
Au bout d’un moment, elle se retourna vers moi. Ses lèvres tremblaient et
ses yeux s’emplirent de larmes. Elle ouvrit la bouche, déglutit avec peine, puis
murmura d’une voix étranglée :
— Je… je n’ai pas le choix, il faut rendre visite à Lance… Pas vrai ?
J’en grinçais des dents. Il n’y avait qu’une seule réponse possible à cette
question. Putain d’impasse, putain de poisse !

Lorsqu’on dit que le gouvernement est long à la détente, on ne parle


certainement pas des employés du futur vice-président des États-Unis. À peine
donnai-je mon accord pour aller voir Lance Oakley que tout s’emballa à la
vitesse de la lumière.
Il faut le faire, tu n’as pas le choix. Debout dans le couloir, j’attendais de
pouvoir entrer. L’odeur d’antiseptique et de nourriture qui flottait dans l’air
stérilisé me donnait des haut-le-cœur. Le bouquet de fleurs qu’on m’avait
remis tremblotait entre mes mains. J’essayai de me ressaisir. Tu n’as pas le
choix. La main d’Ethan au creux de mes reins était crispée, mais je ne pouvais
pas l’aider à gérer ses émotions. Fais-le pour protéger ton enfant. Je savais
pourquoi il flippait, mais je ne pouvais rien pour lui.
Dès l’instant où Ethan avait communiqué mon accord par texto, une
véritable chorégraphie médiatique s’était mise en place : limousines, escorte
policière, passages par des portes de service, photographes, cadeaux pour le
patient, description du plan d’attaque, temps minuté à la seconde une fois dans
la chambre, discours à tenir à Lance. Tout était ultra-millimétré. Vas-y. Ethan
me caressa doucement le bas du dos. Lui aussi était forcé de participer à ce
cirque. Mon mari allait rencontrer mon passé. Tout ce que j’avais toujours
voulu oublier. Ce n’est qu’un soldat blessé dans l’exercice de ses fonctions.
— Monsieur Blackstone, vous resterez sur la gauche en entrant. Une fois
présenté au sous-lieutenant Oakley, vous vous éclipserez pour prendre un
appel et laisserez votre épouse terminer l’entretien avec le sous-lieutenant.
L’attachée de presse pâlit sous le regard qu’Ethan lui lança. Un regard que
je ne pouvais pas voir puisqu’il était derrière moi, mais dans lequel on devait
lire quelque chose comme : Va-te faire-foutre-sale-raclure-prétentieuse. Et
non, Ethan n’était pas du genre à se faire mener par le bout du nez, qu’est-ce
qu’elle croyait ? Surtout qu’elle venait de lui intimer l’ordre de me laisser
entre les mains d’un autre homme. Lance n’est pas exactement n’importe quel
homme. Je doutais même fortement qu’Ethan respecte la moindre de ses
directives. Madame l’attachée de presse le comprendrait assez vite.
— Tout le monde est prêt ? me demanda-t-elle, évitant soigneusement de
croiser le regard meurtrier de mon mari.
Non.
— Oui.
Ce n’est qu’un soldat blessé dans l’exercice de ses fonctions. Tu l’as connu
il y a bien longtemps. Tu peux y arriver.
Allez savoir comment mes jambes me portaient encore.
Pour dire la vérité, j’avais presque l’impression de quitter mon corps,
mais je réussis à avancer, un pas après l’autre, jusqu’à cette chambre d’hôpital.
Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Je savais que Lance avait été terriblement
blessé et amputé de sa jambe juste sous le genou, mais la personne allongée
dans ce lit était quasiment méconnaissable à mes yeux.
J’avais le souvenir d’un jeune Lance Oakley étudiant, fils de riche, propre
sur lui, ambitieux. Il préparait un diplôme de droit à Stanford à l’époque où
l’on s’était rencontrés.
Mais aujourd’hui, il n’avait plus rien d’un fringant étudiant en droit.
Ses bras étaient couverts de tatouages jusqu’au bout des phalanges. Ses
cheveux bruns coupés court façon militaire contrastaient avec sa barbe de trois
jours, il avait l’air à fleur de peau. Ce grand gaillard aux muscles tatoués était
allongé là, dans une chemise de nuit d’hôpital, les yeux fixés au plafond pour
ne pas avoir à me regarder. Il semblait démuni, bien loin du macho sans pitié
que j’avais gardé en tête toutes ces années.
J’avais dû m’arrêter brusquement parce que la main d’Ethan me poussa
fermement.
Je fis un pas de plus vers le lit. Ses yeux se tournèrent. D’une couleur
marron foncé comme dans mon souvenir. Envolée l’arrogante confiance en lui
qu’il manifestait alors.
Il y avait maintenant quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. Du
regret, des excuses mêlées à la honte d’être ainsi présenté à moi, affaibli dans
un lit d’hôpital avec une jambe en moins. Quelque part au cours de ces sept
longues années ou peut-être seulement récemment, depuis sa blessure, Lance
Oakley s’était finalement trouvé une conscience.

— Brynne.
— Lance.
Ses traits s’adoucirent.
— Merci d’être venue me voir, articula-t-il comme si lui aussi avait été
briefé par l’attachée de presse de son père.
— De rien.
Je m’approchai de son chevet pour y poser le bouquet et lui tendis la main.
Ses doigts tatoués se refermèrent sur les miens, et miraculeusement… le
ciel ne me tomba pas sur la tête. Lance porta ma main à sa joue et la garda ainsi
une seconde.
— Je suis si heureux de te revoir.
Le photographe mitrailla cet instant sans relâche et je compris que cette
photo ferait la une. J’y étais, c’était trop tard. Aucun de nous trois ne pouvait
faire machine arrière.
À côté de moi, je sentais Ethan tendu comme un arc. Il était sans doute
furieux de voir Lance me toucher la main. Mais bizarrement, à moi, ça ne me
faisait rien du tout. J’étais comme engourdie. Je me forçai à poursuivre ce
simulacre pour nous sortir au plus vite de cette torture.
Libérant ma main de sa prise, je lui dis :
— Lance, je te présente mon mari. Ethan Blackstone. Ethan, voici Lance
Oakley, un vieil… ami de San Francisco.
Lance porta toute son attention sur Ethan à qui il tendit la main.
— Enchanté, Ethan.
Il y eut un long silence pendant lequel je doutai que mon époux accepte la
poignée de main. Nous retenions tous notre souffle.
Finalement, Ethan accepta de le saluer d’une poigne ferme.
— Bonjour.
Tout se passait bien, mais je connaissais Ethan. À l’intérieur, il
bouillonnait, pressé d’en finir. Pressé de m’emmener loin d’ici et de ne plus
avoir à faire semblant.
Puis, comme envoyé par le réalisateur de ce film, un figurant entra dans la
chambre et tapota l’épaule d’Ethan en lui glissant à l’oreille qu’il était navré,
mais qu’on le demandait au téléphone, c’était important. Et Ethan quitta la
pièce, sa démarche rigide me signalant combien il lui était insupportable de
devoir me laisser seule ici. Courage.
— Tu veux t’asseoir ?
— Oui, bien sûr, répondis-je, étonnée que mon cerveau soit à ce point
fidèle au script de notre scène.
Une fois assise à son chevet, Lance me reprit la main et je le laissai faire,
uniquement parce que cet instant était capturé par les médias. Cet échange banal
entre deux amis qui discutent alors que l’un d’eux est soigné à l’hôpital. Tu
joues un rôle, c’est presque terminé. Va jusqu’au bout, quitte la pièce sans te
retourner, et ce sera fini.
— Tu es resplendissante, Brynne. Tu as l’air heureuse.
— Oui, je le suis.
Et comme pour me soutenir, mon petit papillon voleta dans mon ventre
pour me rappeler sa présence. Je fermai les yeux et savourai ce court instant de
bonheur où je sentais mon bébé grandir en sécurité en moi. La beauté de ce
miracle effaça le malaise de cet instant et m’aida à faire face jusqu’au bout.
— Brynne… Je suis désolé de… que tu aies eu à venir ici. Mais en même
temps, je te suis très reconnaissant de me permettre de te revoir enfin.
Sa voix avait changé. Il n’avait plus le même ton. Je le sentais sincère.
Je rouvris les yeux pour les poser sur lui. Les mots me manquaient. Je ne
savais pas quoi répondre. Enfin, si.
— J’espère que tu te remettras vite, Lance. Je… je dois te laisser.
C’était maintenant le coup de grâce, l’instant qui serait pour moi le
summum de la torture. Mais c’était ce qu’on attendait de moi. Je n’avais pas le
choix.
Je me levai de ma chaise et me penchai vers lui.
Ses traits se décomposèrent, il n’avait pas l’air d’apprécier de me voir
mettre fin à la visite. Je pris une profonde inspiration et posai ma joue contre
la sienne pour un simple au revoir. Je restai là le temps que le photographe
immortalise cet instant dans un acharnement de flashs aveuglants.
Lance passa le bras dans mon dos.
Je refermai les yeux et pensai très fort à Ethan, à notre petit papillon, pour
tenir le coup.
Ma mission était presque terminée, je touchais bientôt à la ligne d’arrivée,
quand Lance murmura à mon oreille. Les mots se précipitèrent perceptibles de
moi seule. Sa voix frôlait le désespoir.
— Brynne, je t’en prie, reviens me voir. J’ai besoin de te dire à quel point
je suis désolé pour ce que je t’ai fait subir.
9

Je compris qu’Ethan était dans tous ses états dès lors que je remis le pied
dans le couloir. Il avait les traits tirés et la mâchoire crispée. Dans sa colère, il
envoya paître le chauffeur qu’on nous avait envoyé et réclama que Len nous
ramène à la maison. Ethan ne voulait plus rien accepter de la part du sénateur.
C’était terminé.
À peine Len nous eut-il déposés devant notre immeuble qu’Ethan m’attira
dans le hall d’un pas vif. Il ne prit même pas une seconde pour saluer Claude,
notre concierge, comme nous le faisions habituellement, et me poussa
directement dans l’ascenseur sans dire un mot, avec un objectif unique en tête.
Dans un coin de la cabine, Ethan me pressa contre le mur et enfouit le
visage dans mon cou pour s’enivrer de mon odeur. Dans ce silence lourd de
tension sensuelle, je sentis grandir en lui le besoin de sexe primitif et sauvage.
Le besoin de s’accoupler.
— Ethan, dis-je en gémissant.
— Chut, pas un mot, grogna-t-il, un doigt sur mes lèvres.
Quand je sentis son érection appuyer contre mon bas-ventre, un long
frisson me parcourut. J’étais déjà mouillée alors qu’il n’avait encore rien fait
d’autre que m’écraser contre une paroi et m’interdire la parole. Tout était dans
son pouvoir de suggestion, sa façon d’entrer en contact avec moi par l’esprit et
par le corps pour m’exprimer ce qu’il voulait, c’était irrésistible.
Ethan voulait me baiser. Moi.
Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne laisse exploser le
torrent de désir qui le tourmentait, quand les portes de notre appartement se
seraient refermées sur nous.

Le clic du verrou de notre porte d’entrée me parut presque assourdissant


dans le silence qui pesait tout autour.
Les sens en alerte, je me préparai aux assauts d’Ethan. L’attente ne fut pas
longue. En une seconde à peine, un corps vigoureux et rigide s’approcha dans
mon dos avec un seul et unique but. Me pénétrer.
Je n’eus pas le temps de faire un pas de plus que déjà les mains d’Ethan se
glissaient sous ma jupe pour trouver mon clitoris. Son insistance eut raison de
mes dernières barrières. Derrière moi, j’avais une bête féroce dont l’excitation
m’inspirait des images érotiques qui suffirent à déclencher mes pulsions.
— Déjà si trempée, ronronna-t-il dans mes cheveux, frottant son bassin
contre mon cul tout en enfonçant les doigts dans ma chatte.
Je me laissai porter, ne pensant plus à rien au-delà de l’instant.
Il me poussa jusqu’à la table de notre entrée.
— Pose les mains là-dessus et accroche-toi, m’ordonna-t-il.
Tandis que je m’installais, je sentis qu’il retirait ma culotte et me soulevait
une jambe pour retirer le sous-vêtement. Puis aussitôt, ses doigts revinrent à
l’attaque de ma féminité. Merci. Un bras devant mon corps pour me caresser, il
se positionna derrière moi. Ses doigts allaient et venaient avec dextérité, étalant
mon miel sur toute la longueur de ma fente, massant mes petites lèvres et les
lubrifiant à m’en faire frôler l’orgasme. Ethan avait appris à lire mes envies
mieux que personne. Il ralentit le rythme et j’ondulai du bassin, chevauchant sa
main comme la dernière des vicieuses. Puis il se figea.
— Non ! protestai-je quand ses doigts me quittèrent.
— Ne t’inquiète pas, ma belle. Accroche-toi.
Il me claqua la fesse d’une main ferme, ce qui fit monter d’un cran encore
mon plaisir. Prise de frissons, je crispai les muscles de mon sexe, impatiente
de l’avoir en moi. Comment devine-t-il ?
Le bruit de sa braguette qui s’ouvrait fut le son le plus agréable de cette
journée. Je tremblais toujours et poussais des gémissements quand, enfin, il
appuya son gland contre mon entrée brûlante.
Les bras tendus sur la table, je baissai les yeux sur le magnifique sol de
marbre travertin. Le spectacle à nos pieds représentait la métaphore ultime de
l’acte sexuel. Des pierres aux lignes crème produites par mère Nature étaient
juxtaposées sous les couches de vêtements abandonnés à même le sol. Le
pantalon gris foncé d’Ethan et sa ceinture en cuir se retrouvaient froissés
autour de ses tibias. Ma culotte en dentelle rose était encore accrochée à ma
cheville gauche et les talons hauts de mes Gucci à bout ouvert offraient à mes
jambes un galbe de rêve. Une tierce personne aurait été scotchée par cette scène
de sexe impulsif et obscène entre deux amants trop pressés pour se déshabiller.
J’allais me faire prendre sauvagement.
Ethan s’enfonça d’un coup brusque, les mains sur mes hanches, il poussa
ce grognement rauque, ce signal de plaisir que j’adorais entendre quand il
forçait son membre en moi.
— Tu la sens, ma belle ? Tout entière rien que pour toi.
Retirant son sexe épais et dur, il souffla :
— C’est si bon de te baiser comme ça, c’est magnifique de te voir
accrochée à cette table…
Il plongea de plus belle.
— … pilonnée par ma queue !
Dieu que c’était bon, oui.
— Oh… oui !
J’étais incapable de la moindre parole cohérente ainsi livrée à ses assauts
érotiques. Je ne pouvais que subir.
— Tu m’appartiens ! aboya-t-il avec des à-coups de plus en plus violents.
Oui, je t’appartiens.
Mon homme reprenait ses droits après cet épisode à l’hôpital où il avait
perdu le contrôle de la situation. Il en avait besoin. Et moi aussi. Sans relâche,
son sexe brûlant me pénétrait avec vigueur, si bien que j’en eus le souffle
coupé.
— Dis-le, je veux t’entendre le dire ! grommela Ethan.
Je sentais l’orgasme me submerger peu à peu, j’arrivais à peine à
réfléchir. Alors parler, c’était beaucoup me demander. Mais avec moi, il
parvenait toujours à ses fins.
— Oh, mon Dieu… Oui, Ethan, je t’appartiens. À toi seul !
Je sentis monter les premiers soubresauts et me resserrai autour de son
membre autant que je le pouvais.
— Oh, putain, ouais ! Presse-moi de toutes tes forces !
Il attrapa une pleine poignée de mes cheveux et tira en arrière. Je compris
aussitôt ce qu’il réclamait. Outre nos sexes enfoncés l’un dans l’autre, Ethan
avait aussi besoin du contact de nos bouches et de celui de nos regards au
moment de l’extase. De son autre main, il me maintint fermement en place
pour me marteler puissamment tout en me dévorant la bouche en un long
baiser étourdissant. Il me mordillait et me suçait de ses lèvres impitoyables et
ce, sans ralentir la cadence. Il me prouvait ainsi que j’étais bien à lui.
Pour moi, il n’y avait rien de meilleur.
Quand le plaisir m’emporta dans son explosion, il enfonça sa langue dans
ma bouche, réclamant mon souffle, mon âme, mon être tout entier.
Je le sentis durcir et enfler en moi. Je hurlai alors son prénom, incapable
d’exprimer autre chose que ce mot : « Ethan ».
— Je t’aime, dit-il d’une voix rauque contre ma bouche comme il allait
jouir.

Brynne crispant les muscles de son sexe autour du mien en jouissant –


c’était si bon. Si-bon-putain. Cette sensation de convulsion autour de mon
membre me poussait vers l’orgasme à vitesse grand V. Je sentis mes couilles
se durcir comme j’allais décoller.
— Hein… hein… hein, haletai-je à chaque coup de boutoir en m’enfonçant
toujours plus dans sa petite chatte.
Je me délectais de voir ma splendide femme s’abandonner à moi si
voluptueusement.
— Putain, OUI ! m’exclamai-je, laissant jaillir mon foutre brûlant dans un
acte purement bestial.
Sans relâcher ses cheveux que je tenais fermement dans mon poing, je
profitai de chaque vague d’extase en continuant de la prendre. Putain. Ma
belle. Brynne. À moi… Des pensées décousues traversaient mon esprit comme
je fusionnais avec elle, mais l’une d’elles était plus prégnante que les autres.
Aussi loin que j’aille, je ne perdais pas de vue cette unique vérité :
j’appartenais à cette femme corps et âme.
Et pour toujours.
Je relâchai ses cheveux, massai son cou que j’avais étiré et y posai mon
visage. J’inhalai son parfum fleuri relevé des senteurs de sa chatte. Je traçai un
chemin de baisers dans son dos en lui chuchotant des mots d’amour. Certes,
j’étais plus apaisé à présent, mais j’avais pleinement conscience que je venais
de baiser ma femme comme un sauvage dans notre hall d’entrée.
— Ça va ?
— Mm-mm, ronronna-t-elle sensuelle.
À quoi pouvait-elle bien penser ? Je m’en voulais, mais je n’avais pas pu
faire autrement. Après l’épisode avec Lance à l’hôpital, j’étais retombé dans
cette zone d’ombre qui me hantait. Bien sûr, cette visite était nécessaire, mais
cela avait été un calvaire. Tout ce que je voulais, c’était protéger ma femme
d’un passé douloureux. Et aujourd’hui, j’en avais été incapable. On m’avait
forcé à rester en retrait et à regarder ce monstre poser la main sur elle…
encore une fois.
Arrête, ne pense pas à ce putain de bordel.
Je remontai mon pantalon juste assez pour pouvoir marcher. Dans deux
minutes, je le retirerais de toute façon.
Je passai la main sur l’une de ses sublimes fesses en évidence et la pinçai,
me rinçant l’œil au passage.
— Tu es sacrément splendide.
Et encore, les mots n’étaient pas à la hauteur de cette beauté que je ne me
lasserais jamais de contempler.
Brynne s’étira comme un chat, depuis le cou jusqu’aux bras. Elle avait l’air
agréablement repue, mais je n’en avais pas terminé avec elle. Cette baise
frénétique dans le vestibule n’était que le préambule de ce qui allait suivre.
— J’ai besoin de m’asseoir, soupira-t-elle, encore penchée sur la table, son
sexe rose et gonflé visible entre ses longues jambes écartées.
Des jambes de rêve jusqu’à ses pieds délicats chaussés de talons noirs à se
damner.
Je me sentis soudain coupable. Évidemment qu’elle avait besoin de
s’asseoir. Elle était enceinte. Tu n’es vraiment qu’un sale connard, parfois. Je
l’aidai à se redresser et la fis se retourner vers moi.
— Excuse-moi, ma belle. Attends, je vais me faire pardonner.
Je la soulevai dans mes bras en lui offrant un baiser, soulagé de voir se
dessiner un sourire sexy au coin de ses lèvres tandis que je la portais jusqu’à la
chambre.
— Je vais te masser les pieds.
— Oh, avec plaisir, susurra-t-elle contre mon torse.
Il n’en fallut pas plus pour que tout retrouve sa place en ce monde. J’avais
juste besoin qu’elle me donne un signe. Un sourire, un mot, une caresse,
quelque chose qui me prouve que mon accès de folie ne l’avait pas bouleversée
et qu’elle m’aimait toujours autant qu’avant. Et puis, une preuve qu’elle ne
dirait pas non à reprendre là où nous nous étions arrêtés dans le vestibule.
Brynne méritait l’orgasme du siècle, plus un massage des pieds.
— Du plaisir, tu en auras, lui promis-je en la reposant sur le lit.

Dans les forces spéciales, les capitaines menaient des groupes de cinq
hommes. Un effectif réduit qui leur permettait une discrétion totale pour les
opérations tactiques. Sous mes ordres, j’avais les meilleurs hommes du service.
Mike, Dutch, Leo, Chip et Jackie. Le jour où l’on a retrouvé le petit garçon et
sa mère morte au milieu de la rue, c’était le dernier jour où mes hommes et
moi-même étions tous vivants. Le jour où ces frères, maris, pères et fils
britanniques ont respiré ensemble pour la dernière fois. Vingt jours plus tard,
de six nous allions passer à… un.
Mike était le seul à s’en être sorti vivant après l’embuscade qu’ils nous
avaient tendue ce jour-là dans la rue. Cela aurait été tellement mieux s’il
n’avait pas…
Plongée dans l’eau brûlante de mon bain moussant, je me relaxais en
repensant aux événements de cette journée. Bon sang, pour tout comprendre, il
me faudrait plus qu’un simple bain chaud.
Ethan s’était écroulé de sommeil après notre deuxième round. Si bien qu’il
ne s’était pas réveillé lorsque j’avais quitté le lit à pas de loup. D’habitude, il
venait me voir dès qu’il entendait l’eau du bain couler, ou mieux encore, c’était
lui qui me le préparait. Mais pas ce soir.
Je pouvais comprendre qu’Ethan soit épuisé après ce simulacre à l’hôpital.
Il n’avait pas aimé devoir me convaincre d’y aller. Mais nous n’avions pas le
choix. Lucas Oakley allait assurer le poste de président à Benjamin Colt grâce
à un coup du destin qui avait frappé son fils pile au bon moment pour en faire
un héros de guerre. Un jeune officier de l’armée, bel homme, perd sa jambe
pendant la guerre, et se révèle être le fils du candidat à la vice-présidence des
États-Unis. Les sondages lui prédisaient une victoire haut la main, ce n’était un
secret pour personne.
Mais le plus effrayant, c’était qu’une fois au poste de vice-président, le
sénateur Oakley ne serait plus très loin du titre de président des États-Unis.
J’eus un pincement douloureux au cœur. Pour m’apaiser, je caressai
doucement mon ventre. C’était mon premier réflexe : protéger mon petit ange
papillon. Aujourd’hui, j’avais fait mon devoir. Je m’étais assuré que mon passé
sordide avec Lance n’entacherait ni l’avenir politique de son père ni ma vie
future. S’il fallait le refaire, je n’hésiterais pas une seconde. J’étais prête à tout
pour mon ange papillon.
Lance… En me réveillant ce matin, il était bien la dernière personne que
j’aurais pensé voir aujourd’hui. Je n’étais pas prête à l’affronter, mais de toute
évidence, Lance Oakley n’allait pas s’envoler. Surtout au vu de l’état dans
lequel il était.
Brynne, je t’en prie, reviens me voir. J’ai besoin de te dire à quel point je
suis désolé pour ce que je t’ai fait subir.
C’était le deuxième choc de ma journée. Lance était désolé ! Je ne savais
pas comment prendre sa demande. Je savais qu’il était sincère puisqu’il avait
pris soin de me le glisser à l’oreille pour que personne d’autre ne l’entende.
Mais ça n’avait aucune importance. Je refusais de retourner là-bas pour le
revoir. Je n’en avais pas besoin. Bizarrement, les choses m’allaient bien
comme elles étaient. Finalement, cette visite à l’hôpital n’avait pas été aussi
bouleversante que je me l’étais imaginé. J’avais gardé la tête haute et fait ce
qu’on m’avait dicté. Lance en avait fait autant.
Je ne m’étais pas attardée sur les conséquences de cette rencontre sur mon
état émotionnel, mais je n’avais ni le temps ni l’envie de le faire. Un avenir
radieux m’attendait aux côtés d’un mari aimant et d’un enfant qui avait besoin
de moi. Ce qui m’était arrivé avec Lance occuperait la banquette arrière du
bolide qu’était ma vie. Je ne voyais pas d’autre moyen d’avancer.
Or, j’étais déterminée à aller de l’avant. Reposant ma main sur mon ventre,
j’essayai de le sentir encore bouger, mais bébé n’était pas d’humeur,
j’imagine.
Je refusais de laisser Lance ou son père politicard et fin calculateur
m’empêcher de faire ce que j’avais à faire. Pourtant cette rencontre m’avait
sonnée. Comment Lance avait-il pu changer autant ? Ce n’était plus le même
homme que celui que j’avais connu. Les années semblaient l’avoir transformé.
Et certainement son corps n’était plus celui de l’époque, avec tous ces
tatouages…
— Nooooooon ! Mike, mon frère, je suis désolé, je ne le referai plus !
Aaaaah, non ! Putain ! MIKE !! Par pitié, non ! PUTAIN ! NON ! ARRÊTEZ !
NON… NON… NON !!
Ethan. En l’entendant crier je compris tout de suite ce qui lui arrivait.
Encore ses terreurs nocturnes. Je me levai de la baignoire, l’eau dégoulinant
sur ma peau luisante, et enfilai un peignoir à la hâte avant de rejoindre la
chambre. Ethan avait besoin de moi, je devais à tout prix l’aider. C’était aussi
simple que ça.

Je me redressai d’un bond, le souffle court, les mains autour de mon cou,
et haletai une minute en essayant de reprendre ma respiration.
Respire, connard. Inspire, expire…
De tous mes souvenirs, c’était le pire. L’ultime traumatisme dont je ne me
libérerais jamais et qui resterait enfoui en moi. Il est en paix, à présent. Une
phrase que je me répétais dès que la culpabilité s’immisçait en moi pour me
conduire à ce jour fatal. Ce n’était pas une recette miracle, mais je n’avais pas
trouvé mieux.
Inspire, expire…
— Ethan, mon chéri…
Cette fois, elle était réveillée.
J’étais terrifié, incapable de lever la tête pour regarder ma belle épouse en
face, de crainte de lui dévoiler ma honte et ma faiblesse. Putain, allez savoir
encore ce que j’avais hurlé dans mon sommeil. J’étais sur le point de gerber.
Mais Brynne n’eut pas le même réflexe que les fois précédentes. Elle ne se
troubla pas ni ne me pressa de lui parler. Elle ne me jugea pas non plus et ne
me posa aucune question. Elle se contenta de passer sa main douce sur ma
poitrine et se blottit contre moi, m’offrant son parfum à respirer et me faisant
ainsi comprendre que j’étais ici dans le présent et non pas perdu quelque part
dans le passé. Brynne me montrait qu’elle était là, en sécurité, contre moi.
— Je suis là, Ethan. Je t’aime, chantonna-t-elle à mon oreille. Est-ce que je
peux faire quelque chose pour t’aider ?
Mon soulagement était indescriptible. Je l’attirai à moi et m’accrochai à
elle comme si ma vie en dépendait. Il n’y avait pas de meilleure formule. Je
m’accrochais à ma bien-aimée comme si ma vie en dépendait.

Ses cheveux étaient humides dans sa nuque. Je pouvais passer des heures à
les tripoter. J’adorais leur douceur, leur matière, leur odeur, tout. À peine
Brynne m’avait-elle demandé ce qu’elle pouvait faire pour moi que je lui avais
clairement répondu.
Pour elle, ce n’était pas une surprise. Elle m’avait déjà « aidé » dans le
passé. Ce n’était qu’en me blottissant dans son corps douillet que je parvenais à
chasser mes vieux démons. Mais après le sexe venaient les excuses pour
l’avoir utilisée sans scrupule. Un moment gênant.
Allongés sur le côté, moi derrière elle, je respirais profondément son
parfum en caressant le polichinelle qui se cachait dans son tiroir. Il me tardait
de pouvoir enfin le sentir donner des coups de pied mais je n’avais pas encore
eu cette chance. Avec un soupir comblé, Brynne posa sa main sur la mienne. Je
me sentais déjà beaucoup mieux. Elle était heureuse, c’était l’essentiel.
— Je suis désolé, mon cœur, chuchotai-je dans son oreille. Pardonne-
moi…
— Tu n’as aucune raison de t’en vouloir, Ethan, jamais. Je veux que tu
comprennes que je suis là pour toi et que je t’aime. C’est tout ce qui compte.
(Elle bâilla et me tapota la main.) Endors-toi, maintenant.
Mes yeux s’ouvrirent grands. Avais-je bien entendu ? Aucun
interrogatoire au sujet de mon cauchemar ? Pas de discours sur l’intérêt
qu’aurait une visite chez le psy pour me soulager de ce putain de merdier
qu’était mon passé ? Sa réaction éveilla ma curiosité.
— Brynne ? dis-je en frottant mon nez contre son épaule.
— Mmh ?
— Pourquoi n’es-tu pas perturbée par… mon cauchemar ? demandai-je en
marchant sur des œufs, déposant un baiser sur son épaule dès que ma question
quitta mes lèvres.
— J’ai parlé au Dr Roswell de ton traumatisme.
Sur le coup, je me crispai avec la sensation d’avoir été trahi, puis me
forçai à me détendre. Elle n’avait pas terminé de m’expliquer. Brynne n’était
pas colérique comme moi, elle réfléchissait avant de parler. Enfin, en général.
À sa place, j’en aurais sans doute parlé à ma psy, moi aussi. Elle était
désormais au courant de ma « situation », alors pourquoi porter un masque
devant la seule personne en qui j’avais confiance ?
— Je ne lui ai pas dit grand-chose, me rassura-t-elle. J’ai seulement dit que
tu avais des souvenirs de l’époque où tu as été pris en otage pendant l’armée. Je
lui ai demandé comment faire pour t’aider. (Brynne se retourna pour me
regarder dans les yeux.) Parce que je t’aime Ethan, et je ferai tout ce qui est en
mon pouvoir pour t’aider à sortir de ces ténèbres.
— Tu y arrives déjà, lui murmurai-je. Dès notre première rencontre, tu
m’as fait du bien. Tu es la seule à en être capable.
Suivant la courbe de sa pommette avec mon doigt, je regrettai de ne
pouvoir lui promettre de ne plus jamais faire de cauchemars. J’aimerais ne
plus la réveiller au milieu de la nuit par mes hurlements primitifs.
Malheureusement, ça arriverait encore. Peut-être jusqu’à mon dernier souffle.
— Le Dr Roswell m’a expliqué un peu le fonctionnement des souvenirs
traumatisants, dit-elle d’une voix douce, comme si elle prenait des pincettes.
— Et donc ? parvins-je à articuler.
— Elle m’a dit que les personnes dans ton cas seraient prêtes à tout pour ne
pas avoir à se rappeler ce qui s’est passé. C’est bien trop douloureux et
effrayant.
Le Dr Roswell avait tout compris.
Elle secoua doucement la tête.
— C’est pourquoi je ne te poserai plus de questions. Je serai là pour toi,
c’est tout. Prête à tout pour te soulager. Par le sexe, par exemple, si ça peut
t’aider. Sans te forcer à parler si tu n’en as pas envie.
Brynne déglutit avec peine, puis elle posa sa main fraîche sur ma joue et
poursuivit :
— J’ai compris qu’en te forçant à parler, je ne faisais qu’empirer les
choses. Je suis désolée, Ethan, je croyais bien faire…
Je l’interrompis par un baiser. J’en avais assez entendu. Avec de
magnifiques mots, elle me signifiait qu’elle m’acceptait comme j’étais, et pour
moi, il n’y avait rien de mieux pour m’aider à cicatriser. Je savais que c’était
vrai. Ma princesse venait de m’aider à franchir un premier cap. Maintenant que
j’avais son soutien absolu, je pouvais peut-être chercher de l’aide auprès d’une
personne extérieure.
Brynne serra une poignée de mes cheveux. Par ce geste, elle me promettait
d’être toujours à mes côtés, coûte que coûte. Dieu, je l’aimais si fort qu’il n’y
avait pas de mots pour l’exprimer. C’était quelque chose que je garderais tapi
au fond de moi. Tant pis si j’étais le seul à mesurer la profondeur de cet
amour.
Quand je rompis enfin notre baiser, je ne la relâchai pas pour autant.
J’avais besoin de la garder contre moi. Hors de question de la laisser
m’échapper, putain non. Je restai ainsi jusqu’au petit matin.
10
19 octobre, en Écosse
Brynne et moi étions habillés pour un mariage, mais cette fois, ce n’était
pas le nôtre. Aujourd’hui, cet honneur revenait à Neil et Elaina. Enfin… si Neil
tenait le choc jusqu’à l’autel sans nous faire une crise cardiaque.
— Arrête de faire les cent pas comme ça, tu vas finir par creuser un trou
dans ce vieux dallage de pierres. Tu ne vas pas te recroqueviller dans un coin
et te balancer d’avant en arrière comme un aliéné, tant que tu y es ?
Je ne pouvais pas me retenir, la tentation de le descendre en flèche était
trop forte. Sans cesser de fouler le sol, Neil me foudroya du regard.
— Pour toi, c’est facile à dire, tu es déjà marié. Seulement, je me souviens
de l’état dans lequel tu étais à stresser comme un fou. Tu aurais fumé tes clopes
trois par trois si on n’avait pas planqué le paquet.
Je secouai la tête. C’était donc eux ! Les salauds.
— Écoute, mon vieux. Tout ira mieux dans quelques heures. Mais calme-
toi, tu commences à m’inquiéter.
Neil s’arrêta de marcher.
— Je crois que je suis malade, bredouilla-t-il. Tu n’aurais pas une bouteille
d’eau ?
— Non. C’est un putain de whisky qu’il te faut. Relaxe, mon vieux, tout ira
bien.
En prenant de longues bouffées d’air, Neil hocha faiblement la tête.
— Quelle heure est-il ?
— Deux minutes de plus que la dernière fois que tu me l’as demandé.
Le pauvre, il me faisait de la peine. Je m’approchai de lui et lui assénai une
vigoureuse tape dans le dos avant de lui offrir un pieux mensonge.
— Tout à l’heure, quand je suis allé voir Brynne dans la pièce d’à côté, j’ai
aperçu Elaina dans sa robe, prête à t’épouser.
Je ne l’avais pas vraiment aperçue, mais c’était un détail. En revanche,
j’avais bien vu Brynne dans sa jolie robe bleu clair. Délicieuse. J’avais eu
besoin d’être rassuré parce qu’elle s’était réveillée avec un mal de tête ce
matin.
Neil se mit à poser un tas de questions sans même attendre les réponses tant
il était fébrile. De toute façon, j’aurais tout inventé. Ma mission était de le faire
sortir de cette pièce vivant, apaisé et debout afin qu’il marche jusqu’à l’autel.
— Tu l’as vue ? Elle allait bien ? Elle avait l’air stressée ? Est-ce qu’elle
s’inquiétait de…
J’ai menti comme un chef. Ce n’était pas compliqué. Elaina était forcément
ravissante, comme toujours.
— Elle était sublime. On aurait dit qu’elle avait hâte de mettre la bague au
doigt de son gorille préféré. Ce qui me fait penser que je devrais peut-être
t’administrer un tranquillisant.
De quoi le réveiller d’un bond. Il rétorqua aussitôt :
— On en reparlera à l’accouchement de Brynne, quand tu ne seras plus
qu’un tas tremblotant à ramasser à la petite cuillère. T’inquiète, ce sera mon
tour de t’offrir un tranquillisant.
Merde, putain, il marquait un point. Pour l’instant, je préférais ne pas
penser à l’accouchement. Si je m’aventurais sur ce terrain, c’était un coup à
devenir aussi fou que Neil. Ma bouche devait être aussi béate que celle de
Simba quand il attend sa friandise. Je m’empressai de la refermer. Neil était
fier de sa repartie, ce crétin. Les yeux sur ma montre, je pris la décision de lui
dire toute la vérité sur ce qui l’attendait. Après tout, il était mon meilleur ami,
il méritait de savoir. Comme tout le monde, il survivrait.
— Bon, je vais être franc avec toi. Pendant la cérémonie, c’est une putain
d’angoisse à te tordre les boyaux jusqu’au bout. Pour ça, je ne peux pas t’aider.
La bonne nouvelle, c’est que dans cinq heures, tu as la nuit de noces rien que
pour toi. Et là, crois-moi, c’est le pied. Le septième ciel.
Je fis voler ma main comme un planeur.
Neil me regardait comme si j’étais un abruti fini. Je haussai les épaules et
on éclata de rire tous les deux à tel point que c’en était putain de ridicule. Cela
mit de la légèreté, Neil avait l’air beaucoup mieux. Mission accomplie. Il s’en
sortirait. Je ne connaissais aucun mec aussi solide et loyal que lui. Voilà
pourquoi il était mon collègue et confident. Après l’avoir attendue des années,
il allait enfin épouser sa chérie. Et moi, j’étais honoré d’être à ses côtés pour
ce moment unique.
On frappa à la porte, puis la mère d’Elaina passa la tête par l’embrasure.
— Je peux entrer ?
— Je te laisse, mon vieux, glissai-je à Neil, passant le relais à sa future
belle-mère.
De ce côté-là, Neil avait touché le gros lot. Caroline Morrison était une
femme adorable et une mère aimante. L’extrême opposé de ma belle-mère. Je
fis la grimace. Quelle chance ce doit être.
Dans le couloir, je regardai encore ma montre. En me dépêchant, j’avais
encore le temps de m’en griller une avant que les cloches nous appellent.
Le paysage époustouflant d’une nature sauvage offrait un environnement
merveilleux à la demeure de Neil. Au cœur de l’Écosse, elle avait l’envergure
d’une propriété de gentilhomme campagnard. Sous un arbre en fleur, j’allumai
une cigarette. Depuis ma décision de trouver une sorte de remède à mes
« problèmes », mes cauchemars s’étaient calmés. Tout ça, c’était uniquement
grâce à Brynne. Mais côté tabac, je rechutais. Une chose à la fois, me répétais-
je en pompant à fond.
J’écrasai mon mégot et cherchai un endroit où le jeter. Je ne voulais pas le
ranger dans ma poche, ce serait dommage pour mon costard.
Malheureusement, j’avais peu d’options.
— Ethan ?
Je me retournai pour me retrouver face à face avec une personne que
jamais je n’aurais imaginé revoir un jour. Mon cœur se serra, dur comme une
pierre lancée à toute allure dans l’espace. Mon passé refaisait surface.
— Sarah…
Ma voix s’érailla, je n’arrivais pas à en croire mes yeux, elle se tenait là,
juste devant moi, tant d’années après. Elle était toujours aussi belle, le temps
avait glissé sur elle sans laisser aucune trace. Son sourire fit remonter des
souvenirs que je refusais d’affronter. Putain, arrête de me sourire, Sarah. Je ne
le mérite pas.
Quand elle tendit les bras pour m’enlacer, je fermai les yeux, épouvanté à
l’idée de la sensation que ça me ferait – et à l’ironie du destin qui décidait
précisément maintenant de la remettre en travers de mon chemin.

— Tu es sûr que ça va ? me chuchota Brynne, inquiète.


Non, pas vraiment.
— Ouais, pourquoi ?
En haussant les épaules, elle promena sa fourchette dans son assiette sans
rien manger, l’air morose.
— Tu avais l’air soucieux pendant la cérémonie. Encore maintenant,
d’ailleurs.
Reprends-toi, mon vieux.
— Non, ma chérie, je t’assure que ça va, lui promis-je, un bras autour de
ses épaules pour l’attirer sous mon menton et déposer un baiser sur ses
cheveux. Tu as toujours mal à la tête ?
Elle opina lentement. D’un geste doux, je lui massai la nuque, insistant sur
les points noueux.
— Mmmh, ça fait du bien, susurra-t-elle en tendant le cou pour
m’encourager à continuer.
— Tant mieux. Je veux que tu fasses attention à…
— Ethan, tu ne m’as pas présenté ta femme, m’interrompit Sarah qui
s’approchait derrière nous, cachée derrière un masque de gentillesse.
Putain.

C’est parti !
Ainsi, Sarah avait décidé de se martyriser aujourd’hui. De se jeter devant le
train en marche. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle pouvait en tirer. Elle
voulait rencontrer Brynne… ma femme ? ! Elle voulait qu’on lui raconte notre
somptueux mariage et notre lune de miel en Italie ? Elle était ravie d’apprendre
pour la grossesse de Brynne et s’étonnait gaiement que nous ne souhaitions pas
connaître le sexe de l’enfant ? Elle insistait pour me féliciter quant à la réussite
de Blackstone Security ?
Mais pourquoi ? Comment pouvait-elle supporter tout ça ? Moi, je n’y
arrivais pas. J’avais besoin de foutre le camp.
Pour aller où ? Le seul endroit où me cacher, c’était au fond d’une pinte de
bière. Voire même de quatre pintes. Dans une situation pareille, je ne pouvais
pas trouver mieux.
Au mariage d’un ancien soldat avec ma femme enceinte à côté de moi…
En me bourrant la gueule, j’aurais une excuse pour laisser tomber la
façade polie et bien-pensante de mise pour une célébration de mariage. Ou
peut-être pas.
Et encore, je m’estimais heureux que Brynne ne soit pas plus d’humeur
festive. Comme ça, elle ne remarquerait pas à quel point son mari était
détraqué du cerveau.
J’estimai gérer plutôt bien cette rencontre inattendue avec Sarah alors que
je n’avais pas eu le temps de m’y préparer et qu’on me demandait, dans la
foulée, de faire un discours pour mon meilleur ami devant une foule d’invités.
Et à mes côtés, Brynne resplendissait, prête à donner la vie. Ce n’était pas juste,
putain.
Ne dis pas ça. C’est injuste pour tout le monde. Pour Sarah, et surtout pour
Mike.
Pendant la cérémonie, j’avais eu la tête ailleurs, incapable de cacher quoi
que ce soit à Brynne. Elle me connaissait si bien de toute façon. La pauvre, elle
avait déjà assez de motifs d’inquiétude en plus de se sentir malade. Pas la peine
d’en rajouter.
Je pensais m’en sortir et tenir toute la soirée quand Sarah parvint à
m’intercepter alors que je récupérais un verre d’eau fraîche pour Brynne. Elle
voulait me prévenir qu’elle devait partir. Elle avait… les larmes aux yeux. Elle
disait regretter de ne pas pouvoir rester plus longtemps pour Neil, mais que
vraiment, en nous voyant tous les deux, elle n’y arrivait pas. C’était simplement
trop dur. Trop douloureux. Elle devait partir.
Là, je me mis à picoler.

— Ça va mieux, ta migraine ? s’enquit Gaby.


— Non, elle m’écrase le cerveau, soupirai-je amèrement. Mais bon, ça fait
partie des inconvénients, quand on est enceinte. Le pire, c’est de ne pouvoir
prendre aucun médicament.
Je pressai le bord du verre d’eau glacée contre mon front.
— Si ça peut te rassurer, je te trouve resplendissante, m’assura-t-elle en
tripotant le bord de sa robe en mousseline de soie. En plus, je vois que tu as
une jolie robe à ajouter à ton impressionnante collection.
Elaina nous avait toutes les deux choisies pour être ses demoiselles
d’honneur. Gaby s’était donc vu proposer cette responsabilité deux fois en sept
semaines, puisqu’elle avait été mon témoin. À force de nager dans l’océan de
bonheur des autres, elle devait se languir de trouver une bouée de sauvetage.
— Avoue qu’il te tarde que tout soit terminé.
— Bien sûr que non, je suis ravie d’être ici, Brynne.
Dans son regard, je lisais bien plus que ces quelques mots. Elle était mon
amie, je connaissais donc certaines informations qui me permettaient de savoir
qu’elle mourait d’envie de prendre ses jambes à son cou.
— Tu mens divinement bien, ma chérie, la taquinai-je en lui tapotant
gentiment la main. Je sais qu’Elaina est ravie de t’avoir ici.
— Je ne mens pas, s’obstinait Gaby en sirotant une boisson alcoolisée que
j’étais bien déçue de ne pas pouvoir goûter. Je suis ravie d’être là pour Elaina
et n’échangerais ma place pour rien au monde.
Dans un rire, j’observai ce visage décidément sublime. Gabrielle
Hargreave était de ces femmes qui sont belles sans s’en apercevoir. Entre ses
cheveux acajou, ses yeux verts et son corps de rêve, elle n’était pas à plaindre,
mais refusait de l’admettre. Les hommes en avaient l’eau à la bouche. Au
moment même où nous discutions, les yeux de quelques-uns étaient rivés sur
elle. Dont Ivan, le cousin d’Ethan.
— Qu’est-ce qu’il y a entre Ivan et toi ?
Je lançai un regard en direction d’Ethan et Ivan accoudés au comptoir,
occupés à descendre des bières. Beaucoup de bières. Mon mari finirait ivre
avant la fin de la soirée. Après avoir invité Neil et Elaina à notre mariage,
Ethan devait profiter que nous soyons tous les deux conviés au leur pour
relâcher la pression des derniers mois. Il l’avait bien mérité. Pendant la
cérémonie, il m’avait paru tendu, je me demandais pourquoi. C’était pourtant
un jour heureux, son meilleur ami épousait enfin la femme qu’il aimait depuis
des années. Ethan avait beau être compliqué, je ne comprenais pas ce qui lui
arrivait.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
L’attention de Gaby était à présent tournée vers mon homme et son cousin.
Je ne manquai pas de remarquer la réaction d’Ivan dès lors que Gaby regarda
dans sa direction.
— On s’est rencontrés à ton mariage puisqu’on était tous les deux vos
témoins. Donc… nous étions plus ou moins forcés de nous parler.
— Forcés ? souris-je. Ivan est si gentil et si… sexy. Ce ne doit pas être
désagréable de rester en sa compagnie.
À la voir ainsi sur la défensive, je me doutais qu’il y avait anguille sous
roche. Après les soupçons dont Ethan m’avait fait part, j’avais envie de la
cuisiner pour en savoir plus. En effet, selon Ethan, le soir du gala de Mallerton
après que l’alarme eut sonné, Gaby et Ivan étaient apparus de nulle part, tout
débraillés, comme s’ils venaient de passer un moment ensemble. Ethan
connaissait a priori les goûts de son cousin en matière de femmes, et Gaby
semblait rassembler tous les critères.
— Eh bien, hum… Je trouve qu’Ivan est un homme très… intéressant.
Tout en bafouillant, elle triturait sa serviette en papier qu’elle enroulait sur
elle-même.
— Il m’a parlé de tous les Mallerton qu’il avait chez lui en Irlande et m’a
proposé de retourner les voir pour les lister en catalogue.
Ah, nous y voilà ! La destruction de serviette en papier, le bafouillage, les
joues rouges, tout portait à croire qu’Ethan ne s’était pas trompé.
— Y « retourner » ? répétai-je.
— Hein ? fit-elle d’un air innocent qui ne trompait personne.
— Si tu y « retournes », c’est que tu y es déjà allée. Là-bas, dans sa
résidence en Irlande. Gaby, tu n’as quand même pas osé partir chez Ivan sans
prévenir ta meilleure amie ?
— Hum… si. Paul Langley m’a envoyée en repérage pour voir les toiles
d’Ivan. Mais je n’ai pas pu m’attarder. Pour moi, ce n’était pas le bon…
moment.
Les yeux baissés pour fuir mon regard, Gaby sirota son cocktail.
— Tu pourras toujours y retourner en temps et en heure. Si les toiles sont
aussi belles que ma Lady Percival, elles doivent valoir le coup d’œil.
Pour l’instant, je lui épargnais ma curiosité. Je voyais bien qu’elle n’avait
pas envie d’en dire plus, or je ne voulais pas non plus faire remonter de
mauvais souvenirs.
— Ouais, je l’espère, admit-elle avant de demander avec franchise : Et toi,
comment vis-tu le statut de célébrité politique ?
Bien joué Gab, on passe à autre chose. À mon tour maintenant de
gentiment contourner le sujet.
— J’essaie de ne pas y penser, mentis-je. On était forcés de se marier en
grande pompe, alors on l’a fait. Maintenant, j’aimerais tourner la page, tu
comprends ?
— Oui, je te comprends tout à fait.
Elle me serra tendrement la main avant de s’éclipser pour retrouver Benny
qui était le photographe attitré de la cérémonie.

— Je peux ? glissa une voix suave à mon oreille.


Dillon Carrington était venu, comme il l’avait promis quand nous l’avions
rencontré en Italie. Il faisait parti des témoins de Neil et avait toutes les femmes
à ses pieds. Ce devait être habituel pour cette star de la course automobile. Il
faut avouer que c’était un beau ténébreux. Sublime, même. Le problème étant
qu’il le savait.
— Bien sûr, si vous pensez passer un bon moment avec une femme
enceinte à l’humeur grincheuse à cause de ces verres de vin qui lui passent
sous le nez, alors, je vous en prie, asseyez-vous.
Je lui adressai un clin d’œil. Avec un rire, il tira une chaise.
— Enceinte ou non, vous êtes exquise. Tant pis si le manque d’alcool vous
monte au cerveau. Je peux faire quelque chose pour vous ?
Le sourire aux lèvres, je fis signe que non.
— C’est gentil, mais ça va. J’adore rester assise et observer les gens. C’est
mon activité favorite.
— Vraiment ? C’est l’arroseur arrosé, parce que nombreux sont ceux qui
aiment vous observer… en photo, en tout cas.
Cherchait-il à me draguer ? Si oui, pourquoi moi alors qu’il avait le choix
parmi toutes les jeunes célibataires présentes ce soir ?
— Vous avez vu mes photos ?
Il fit la moue comme pour retenir un rire.
— Parfaitement, Brynne. Et j’approuve votre art du fond du cœur.
Un gloussement m’échappa.
— Ethan ne peut pas en dire autant.
La tête inclinée sur le côté, Dillon fit mine d’y réfléchir.
— Oui, ça ne m’étonne pas de lui. Ethan est du genre protecteur possessif.
Ce qui lui correspond bien, vu son métier. Et puis, il a attrapé un si joli poisson
que je comprends qu’il veuille garder la mainmise sur sa prise.
— Oui, je sais, soupirai-je.
En voyant les choses du point de vue d’Ethan, j’eus comme une révélation.
Et si c’était lui le modèle nu que les femmes regardaient en photo ? Ça ne me
plairait pas du tout. En fait, je ne le supporterais absolument pas. Il était temps
de changer de sujet, ça me déprimait trop.
— Où est votre charmante compagne, Dillon ? Pourquoi n’êtes-vous pas
sur la piste de danse avec elle, à l’heure qu’il est ?
— Oh, Gwen ? Ce n’est pas ma copine, seulement mon rencard du week-
end.
Son sourire diabolique en disait long. Trop long. Je n’avais pas forcément
envie d’en savoir plus sur la vie sexuelle de Dillon Carrington et sa facilité à
attirer les femmes dans ses filets. Il était écrit DANGER en lettres capitales sur
son front. Ethan ne s’était pas trompé, Dillon n’avait pas de copines, mais des
« rencards ».
— Et si je ne danse pas avec elle, c’est parce qu’elle est déjà prise sur la
piste… par votre mari.

Ma réaction le fit éclater de rire. Effectivement, Ethan était sur la piste avec
le rencard de Dillon, la belle Gwen aux jambes interminables, visiblement
ravie de tournoyer avec « mon » mari. Lui était saoul comme un cochon.
Toi, tu ne me plais pas du tout, Gwen. Mais alors, pas du tout.
— J’allais venir vous proposer la prochaine danse, mais en m’approchant,
j’ai cru comprendre que vous ne seriez pas emballée. J’ai donc préféré me
taire pour m’épargner un râteau.
Ses yeux couleur ambre brillaient d’une flamme coquine.
Ma décision prise, je lançai un regard en coin à Ethan, puis me levai en
remettant ma robe en place.
— Dillon, je serai ravie de danser avec vous.
Il était doué. Au point de me rendre presque gracieuse sur la piste. Je
m’amusais. Lorsqu’il me faisait tournoyer, ma robe ondulait autour de moi.
C’était divin. Je me sentais jolie et désirable pour la première fois de la
journée et oubliais la demoiselle d’honneur mal à l’aise qui regardait les
autres prendre du bon temps pendant qu’elle complexait d’avoir un fessier en
pleine expansion.
Aux premières notes de Bloodstream, du groupe Stateless, je remerciai
cordialement Dillon pour cet agréable moment et partis à la recherche d’Ethan.
J’adorais cette chanson qui me faisait tant penser à lui. Impossible de danser un
slow sur cette chanson avec un autre homme que lui. Il n’était même plus sur la
piste à danser avec Gwen. Où était-il passé, bon sang ? Mon mari devrait être
là, à danser avec moi et non pas avec une inconnue belle et mince comme un
fil. Alors que toi, tu grossis à vue d’œil.
Honnêtement, cela m’irritait. D’abord, il m’avait tout simplement
abandonnée pour aller picoler au bar avec ses copains, puis il dansait avec une
autre femme. Je n’aimais pas cette sensation. Pour la première fois depuis que
je connaissais Ethan, j’avais l’impression qu’il m’évitait. Mais pourquoi ? Ce
matin, il allait encore très bien, puis avant la cérémonie, lorsqu’il était venu me
voir, il se souciait de mon mal de tête et s’était montré aussi prévenant que
d’habitude. Mais depuis le début de la fête, je le trouvais distant. Il s’était isolé
avec Ivan et Ian, le frère d’Elaina, pour un moment entre mecs, j’imagine.
Était-ce l’ambiance propre à un mariage qui commençait à lui peser ?
Après tout, c’est lui qui avait insisté pour que nous nous mariions, me
rappelai-je. Je n’avais jamais réclamé d’alliance. Il était allé jusqu’au bout de
sa lubie, il fallait se marier à tout prix dans le mois qui arrivait. Du Ethan tout
craché. S’il commençait à regretter son choix, c’était un peu trop tard !
Ce soir, à jouer au salaud, il remportait un maximum de points bonus ! Sa
femme maussade et enceinte l’avait en travers de la gorge.
J’embrassai les mariés et saluai Gaby et Ben en m’excusant de devoir les
quitter mais, vraiment, mon mal de tête refusait de lâcher l’affaire. Pour ce qui
était de tous les autres, je les reverrais le lendemain au brunch. Pour l’instant,
j’avais surtout hâte de poser ma joue sur un oreiller. Faire grandir un mini-
humain dans mon ventre m’imposait des plages de sommeil bien plus
importantes que d’habitude. En me dirigeant vers l’escalier, je m’autorisai à
piquer une colère. Intérieurement, évidemment. Sur le plan amoureux, cette
soirée avait été désastreuse. J’étais refroidie.
Pour moi, entre chercher Ethan partout ou partir me coucher, le choix fut
vite fait. De toute façon, j’avais la sensation d’avoir passé la soirée toute seule.
En arrivant dans notre chambre, je quittai ma robe et enfilai une chemise de
nuit ample et douillette avant de me glisser dans ce lit solitaire. Je me sentais
démunie. Je savais qu’il finirait par me rejoindre, mais quand ?
D’une certaine façon, je pouvais m’estimer heureuse d’être certaine qu’il
me reviendrait. Même s’il se comportait comme un con, je savais que je
pouvais lui faire confiance. Ethan connaissait mes conditions : entre nous, de
l’honnêteté et de la confiance, sinon rien.
Le sexe ne suffit pas à nourrir une belle relation amoureuse.
Pour moi, l’amour était dans le dévouement et la fidélité.
Si Ethan me trompait, je quitterais cette chambre sans regarder en arrière.
Pour moi, ça ne faisait aucun doute.
Et pour Ethan non plus.
11

Je lui laissai une demi-heure avant de monter l’escalier à mon tour.


J’aurais préféré attendre plus longtemps, histoire de faire baisser mon
alcoolémie, et par la même occasion le danger potentiel que je pouvais
représenter. Mais je n’y tenais plus, j’avais besoin de la rejoindre. Elle était
mon tranquillisant. Neil avait raison. Ton remède, c’est Brynne. Lorsque j’étais
dans cet état, au fin fond de mon enfer, il n’y avait qu’elle pour m’en sortir.
Le seul fait de savoir qu’elle ne me demanderait aucune explication me
soulageait profondément. Sa nouvelle résolution de me laisser gérer mes
démons tout seul me faisait un bien fou. Brynne savait me soutenir comme
personne.
En arrivant dans la chambre sombre, elle dormait. Tant mieux. Je jetai mon
costard dans un coin de la pièce et la rejoignis sous les draps, lové derrière
elle. Il me suffit de respirer son parfum pour chasser toutes ces pensées
morbides de mon esprit. Pour la première fois de la soirée, je me sentais
apaisé, le visage enfoui dans son cou.
Brynne était si généreuse qu’elle n’hésitait pas à m’offrir son corps en
pleine nuit si j’en avais envie, même s’il me fallait la tirer du sommeil pour
baiser.
Or là, par exemple, j’avais besoin de cul.
Pour me débarrasser de ma culpabilité.

En me faufilant plus bas, entre ses jambes, je repoussai les couvertures et


la découvris enveloppée d’une sorte de chemise de nuit qui la recouvrait de la
tête aux pieds. Un truc affreux que ma grand-mère aurait facilement porté à
quatre-vingts ans passés, et qui finirait bientôt à la poubelle. Que les formes de
ma belle endormie me soient ainsi dissimulées me frustrait terriblement. Mon
état alcoolisé n’arrangeait pas les choses, mais ne m’arrêta pas pour autant. Je
trouvai les boutons et réussis à les ouvrir un par un puis, arrivé à la poitrine, je
tirai si bien sur la fermeture Éclair qu’elle s’ouvrit en deux et déchira ce
haillon jusqu’à la couture. Ses seins jaillirent, puis le reste de son corps s’offrit
à moi. Je me sentis beaucoup mieux tout à coup. Et j’avais une trique d’enfer.
Brynne se réveilla en sursaut et poussa un cri.
— Chut !
Je plaquai une main sur sa bouche, mes lèvres collées à sa joue. Il ne
manquait plus que des convives nous fassent le coup du « tout va comme vous
le voulez, là-dedans ? » de tradition en ce jour de fête, dans une demeure
pareille pleine comme un œuf. Les yeux ronds comme des billes, elle n’était
pas du tout contente de ma façon d’agir, mais sans me couper dans mon élan,
toutefois.
— C’est moi, ma belle. Je t’ai débarrassée de cette épouvantable chemise
de nuit. Je la déteste.
Je retirai ma main pour couvrir ses lèvres d’un baiser. Elle marmonna
agacée puis finit par se détendre et répondre positivement aux assauts de ma
langue.
— Je déteste ce chiffon, mais toi, je t’aime, lui susurrai-je.
Je couvris sa gorge de baisers et arrivai vite à sa poitrine que je léchai à
petits coups de langue. Brynne s’arc-bouta pour s’offrir à moi tout entière. Je
tourbillonnai autour de son téton tout raide jusqu’à la sentir se contorsionner
sous mon corps.
— Voilà qui est mieux. J’ai besoin de voir ma magnifique femme…
entièrement nue.
— Ethan ?
— Chut, ma belle, laisse-toi faire et savoure.
En partant pour le grand Sud, j’en profitai pour caresser brièvement son
ventre, puis lui écartai les cuisses d’une main ferme, le spectacle était
magnifique. Depuis toujours, cette femme me coupait le souffle. Il n’y avait pas
de mot pour décrire sa chatte au parfum envoûtant. Cette odeur lui était
particulière et me donnait à tous les coups envie de la prendre.
Je glissai ma langue sur l’intérieur d’une cuisse puis l’autre et, à bout de
patience, je m’attaquai directement à sa vulve exquise. Pointue comme un
minuscule pénis, ma langue écarta ses petites lèvres et forma des cercles
paresseux. Prise d’un rythme langoureux, Brynne ondula sous mon visage.
J’aurais pu continuer des heures.
Son souffle saccadé anéantissait mes angoisses une à une et me guidait
pour la mener tout droit vers le plaisir. J’enfonçai deux doigts dans le puits
chaud et ruisselant puis les repliai à cet endroit particulier où la magie opérait.
Elle se cambra violemment sous l’insistance de mon massage combiné à
quelques coups de langue bien placés. En deux minutes à peine, je la portai à
l’orgasme. Haletante, elle cria mon nom avec une voix rauque. Putain, la
perfection incarnée.
Après un deuxième orgasme ravageur, elle enfouit ses doigts dans mes
cheveux et serra fort. Je compris le message. Elle était prête à se faire prendre.
Je remontai le long de son corps et fis reposer ses jambes sur mes bras.
L’impatience se fit sentir lorsque je la soulevai et pris le temps de frotter ma
verge à son clitoris plusieurs fois.
— Maintenant, je vais te baiser, ma belle, murmurai-je.
Les sens à l’affût, je me sentis flotter dès l’instant où mon gland se glissa
dans son entrée inondée et brûlante. Tout n’était plus que désir lubrique et baise
infernale.
Ses muscles se crispaient autour de moi à mesure que je m’enfonçais.
Depuis le bout jusqu’à la garde, Brynne m’accueillit tout entier. Avec elle, je
n’arrivais pas à me retenir. C’était impossible. Elle était le seul endroit où je
me sentais en sécurité.
À mesure que la folie grandissait, je la sentis s’agripper à mon membre, de
plus en plus fébrile dans ses gestes amples. À chaque poussée, je m’enfonçais
plus loin qu’à la précédente. Dans ses yeux, il y avait cette flamme que je
reconnaissais à présent comme le premier signe du décollage. Victoire.
Mon sexe gonfla, prêt à exploser.
Ses yeux ardents ne me lâchaient pas. D’une main, je serrai son cou et de
l’autre, je promenai mon pouce dans sa bouche. Elle enroula sa langue autour
et le suça sensuellement. Mes couilles durcirent, ce fut le coup de grâce.
L’éjaculation fut si puissante que j’en eus des vertiges jusqu’à la dernière
salve.
Avant de m’effondrer, je déviai ma trajectoire vers la place libre à ses
côtés pour ne pas écraser le bébé. Brynne respirait fort et reprenait ses esprits
en silence, mon sexe encore coincé entre ses cuisses. Je retirai ma main de son
cou et la posai sur son sein pour sentir battre son cœur sous la douceur
onctueuse de sa peau.
Mon cœur.
— Qu’est-ce qui t’a pris ? finit-elle par demander.
Je ne reconnaissais pas cette expression sur son visage. La lumière dansait
dans ses yeux presque émeraude maintenant.
— J’avais envie de baiser ma femme comme un sauvage, la taquinai-je en
massant le sein que je tenais dans ma main et en bougeant le bassin.
— Je ne parle pas de sexe, Ethan. Pour ça, je n’ai pas eu besoin de
décodeur, j’ai compris le message quand tu m’as arraché ma chemise de nuit.
Je te parle de ce soir. Pourquoi m’as-tu abandonnée toute la soirée pour boire
comme un trou au mariage de ton meilleur ami ?
Mon sexe se rétracta, je reprenais peu à peu conscience du monde réel et
de ce que Brynne pouvait ressentir. Elle était blessée et triste, elle était même
au bord des larmes.
L’euphorie s’envola en un éclair quand je compris ce que je lui avais fait
subir.
Je ne la mérite pas. Je ne la mériterai jamais.

Son sourire fier s’évanouit, laissant place à un profond remords.


— Qu’est-ce qui s’est passé, Ethan ? Tu regrettes de m’avoir épousée, c’est
ça ? Tu n’es pas heureux… avec moi et le bébé ? Tu… tu es déçu de voir mon
corps changer ?
Je devais lui poser la question. Ethan me connaissait, il savait que la vérité
était mon carburant. Depuis le premier jour, c’était lui qui m’inspirait ce mode
de fonctionnement avec son franc-parler. C’était quelque chose chez lui que
j’adorais par-dessus tout. Il m’avait toujours dit ce qu’il avait sur le cœur et
quelles étaient ses envies du moment. Mais ce soir, il m’avait blessée par son
indifférence et sa bizarrerie.
— Oh, mon amour, non ! Putain, bien sûr que non ! s’exclama-t-il en
secouant frénétiquement la tête. T’épouser a été la plus belle chose qui me soit
jamais arrivée, Brynne. Comment peux-tu croire que je ne suis pas heureux
avec toi et le bébé ?
Sa main se referma sur ma poitrine, il se pencha au-dessus de moi, me
regardant droit dans les yeux comme pour trouver la réponse à un mystère qui
lui échapperait.
— Tu m’as blessée, Ethan. Tu m’as laissée seule à notre table et tu t’es mis
à boire au comptoir. Ce n’est pas ton genre. Et pourquoi avoir dansé avec
Gwen et pas avec moi ?
Mes questions ridicules m’humiliaient, et pourtant, j’étais incapable de les
arrêter. La faute aux hormones.
— Qui ?
— Gwen, la blonde maigrichonne.
Il était perdu.
— Le « rencard » de Dillon, précisai-je en articulant bien, curieuse de
savoir s’il était encore saoul.
— Aaah… Oui, je vois, grommela-t-il, presque dédaigneux. C’est elle qui
m’a attiré sur la piste, j’étais trop imbibé pour lutter.
— Ne te cherche pas d’excuses, tu as été odieux avec moi ce soir !
Je n’allais pas mâcher mes mots. Sinon, il ne comprendrait pas que ce
genre de comportement était désormais proscrit.
— Je suis désolé, tellement désolé, mon cœur.
Pour appuyer ses excuses, il m’embrassa doucement avec tout l’amour du
monde, retrouvant cette habitude de tendresse qui suivait toujours nos ébats. Un
langoureux ballet de lèvres et de langues qui n’avait d’autre but que de me
prouver combien il m’aimait fort. Je dois admettre que ça allait beaucoup
mieux, mais je ne comprenais toujours pas ce qui lui avait pris.
Lorsqu’il s’écarta enfin, je pressentis qu’il allait me révéler quelque chose
d’énorme.
— Je t’aime tellement fort, Brynne, et pour toujours. Je n’imagine pas
vivre sans toi. Notre bébé est un miracle et je ne cesserai jamais de t’aimer. Ni
toi ni nos enfants à venir. Tu es ma vie et tu es à moi. En plus, tu es la plus belle
femme du monde. De ce putain de monde ! Tu m’entends, Brynne ? Est-ce que
c’est bien clair ?
Derrière son ton âpre, je le sentais fragile.
— Ou-oui, murmurai-je, réprimant un sanglot, et malgré mon
soulagement, j’avais besoin de réponses. Mais qu-que s’est-il p-passé ce soir ?
Il ajusta sa position, allongé sur le côté, et posa une main sur ma hanche
comme si le contact l’aidait à parler.
— Il s’est passé quelque chose de grave.
Avant de poursuivre, il m’attira contre lui et respira longuement mes
cheveux.
— Tu te souviens de la femme qui est venue se présenter à notre table ?
Sarah ?
— Oui. Elle avait l’air très sympa. Où l’as-tu rencontrée ?
Sarah était une très belle femme et de bonne compagnie. Je me souvenais
qu’elle s’intéressait sincèrement à l’histoire de ma rencontre avec Ethan. Elle
m’avait demandé quand devait naître le bébé, ce genre de politesses. Bref, rien
d’étrange à mes yeux.
— Elle est venue présenter ses vœux aux mariés, mais elle n’a pas pu
rester car c’était trop dur. De voir Neil et Elaina, toi et moi, tous heureux d’être
avec la personne qu’on aime.
Sa main sur ma hanche se mit à me caresser lentement. Il reprit :
— Sarah Hastings était mariée à un homme qui a travaillé à l’armée avec
Neil et moi. Il n’est… hum. Il n’est jamais rentré d’Afghanistan.
— Oh, c’est affreux. J’imagine que Neil et toi étiez proches de lui…
— Oui. Il était sous mes ordres. Il faisait partie de mon régiment.
À l’extérieur, Ethan gardait son calme, mais je percevais en lui une
profonde affliction, voire même une certaine culpabilité vis-à-vis de cet
homme décédé pendant la guerre. J’imaginais que cette expérience avait dû
être atroce.
— Il comptait pour toi, devinai-je d’une petite voix sans vouloir lui poser
de questions qui pourraient lui faire du mal.
— Mike Hastings faisait partie de mes meilleurs éléments. Un soldat fort,
loyal, prêt à se battre jusqu’au bout. Le genre de combattant qu’on aime avoir
pour assurer nos arrières quand les choses tournent au vinaigre.
Sa voix lointaine résonnait d’un profond respect pour ce camarade
disparu.
— Je… je t’ai entendu crier son nom l’autre soir, pendant ton sommeil…
Je déposai un baiser sur son torse, tout près de son cœur, que j’écoutai
battre à mon oreille.
Mon cœur.
Ethan glissa les doigts dans mes cheveux et me malaxa doucement.
— Mike, oui. Ce… ce souvenir est le pire de tous.
— Tu n’es pas obligé d’en parler, Ethan. Ne te force pas pour moi si tu
n’en as pas envie.
— Si, tu as le droit de savoir. Tu es ma femme, tu dois comprendre
pourquoi je… je suis comme ça.
Je fermai les yeux et me préparai à entendre son récit, consciente que ce
serait violent.
— Je t’aime, Ethan, soufflai-je.
— Mike a été pris en otage avec moi. Il a souffert des mêmes tortures que
moi pendant vingt jours. C’est-à-dire deux jours de moins que moi. Ils l’ont…
Ils l’ont tué sous mes yeux. Pour se faire la main avant de s’en prendre à moi.
Je l’entendis déglutir, mais sa voix gardait le même timbre, calme et
lugubre. Je me contractai en imaginant à quel point la mort de Mike Hastings
avait dû être effroyable. Je n’avais pas oublié ce que m’avait raconté Ethan : les
Talibans avaient prévu de le décapiter et de filmer cet acte barbare pour
montrer la vidéo au monde entier.
— Ils avaient un énorme couteau de boucher… Ils m’ont forcé à regarder.
Si jamais je fermais les yeux ou détournais le regard, ils prolongeraient les
souffrances de Mike en lui coupant des membres tout en le gardant en vie pour
qu’il agonise. C’était la récréation pour nos ravisseurs dans cette putain de
guerre pieuse et insensée qu’ils mènent avec tant de fanatisme.
Des larmes silencieuses roulaient sur mes joues. Ne sachant quoi dire, je
me contentai de m’agripper à lui pour lui montrer que j’étais là, que je le
soutenais.
— Mais j’ai failli. Pourtant, j’ai essayé… Putain, j’ai tenu aussi longtemps
que j’ai pu, Brynne, je te jure, mais c’était plus fort que moi…
Il se tut. Ce silence m’assourdissait malgré le battement sourd de son cœur
contre mon oreille. Je mouillai son torse de larmes dédiées à lui, à son ami, et
aussi à la culpabilité et la rage impuissante qu’Ethan transportait partout avec
lui alors qu’il n’y pouvait rien.
— Je t’aime. Je t’aimerai toujours.
Que pouvais-je dire de plus ?
Respirant profondément mon parfum, le nez contre ma tempe, il parut
s’apaiser. Après un instant de calme, il posa une question. Des mots pour lui
extrêmement difficiles à dire. Sa peur était perceptible comme il luttait contre
lui-même.
— Est-ce que tu crois que quelqu’un, quelque part, un professionnel…
serait capable de m’aider ?
— Oui, Ethan. J’en suis sûre.
12
23 novembre, dans le Somerset
À Stonewell Court, la plus belle pièce de toute la demeure, c’était mon
bureau. J’en étais convaincue. Les murs de lambris en chêne brut encadraient
une fenêtre qui donnait sur l’océan. Cette vue magnifique me rappelait All
Along the Watchtower, une chanson de Dylan reprise par Hendrix. Autant
d’images qui me faisaient rêver.
La baie de Bristol s’étendait à perte de vue. Les jours sans nuages, on
pouvait apercevoir la côte du Pays de Galles au loin. La campagne du
Somerset renfermait de nombreux secrets. Par exemple, j’avais appris que la
région développait la culture de la lavande. Sur des kilomètres à la ronde, on
sentait ce doux parfum fleuri nous chatouiller les narines. Tout ce violet offrait
un si beau spectacle qu’on n’en croyait pas ses yeux. J’aimais venir passer de
longs week-ends ici. Ça faisait beaucoup de bien à Ethan. Ce calme le
ressourçait.
En parcourant les nombreuses pièces de notre nouvelle propriété, je
réfléchissais à ce à quoi chacune d’elles pourrait nous servir, et en découvrant
une en particulier, je sus d’emblée qu’elle serait pour moi. Ce serait mon
refuge. Un bureau imposant trônait déjà là. À croire que les anciens
propriétaires y avaient pensé bien avant moi : c’était le lieu idéal pour
travailler.
Non seulement la vue était splendide, mais en plus, ce meuble de style
anglais en chêne massif, à peine sculpté pour adoucir ses formes brutes,
appelait à la réflexion. Je m’y voyais déjà, le regard perdu dehors, vers
l’océan, à préparer un devoir pour mes études supérieures, ou profitant
simplement du calme pour passer un coup de téléphone ou surfer sur Internet.
La perfection absolue.
Sirotant mon thé à la grenade, je savourai cette vue imprenable où le bleu
profond de la mer contrastait avec celui du ciel. Je serais restée là des heures si
je n’avais pas eu un millier de choses à faire. Je pense que j’avais entamé un
petit peu plus tôt que prévu l’étape « nid douillet » de ma grossesse. À ce sujet,
Ethan aimait bien me charrier. Il avait lu un article là-dessus dans Votre
grossesse jour après jour, un bouquin qui ne quittait plus son chevet. Pourtant,
Ethan n’était pas un grand lecteur, contrairement à moi. Il se contentait
généralement des informations générales, sportives et celles concernant le
domaine de la finance mais jamais de romans. La lecture lui servait d’abord à
s’informer. Mais depuis récemment, il épluchait ce manuel sous toutes ses
coutures et se renseignait régulièrement sur les sites. C’était sa façon à lui de
suivre ma grossesse étape après étape. Adorable. Dès qu’il s’agissait de
prendre soin de moi, Ethan était sur le pied de guerre. Il avait une capacité
surprenante à tout anticiper longtemps à l’avance.
Après avoir rêvassé un moment, je poussai un soupir et me résignai à m’y
mettre. J’avais du pain sur la planche. Rien de bien intéressant, mais en même
temps, trifouiller les fils d’un ordinateur, ce n’est une passion pour personne.
À quatre pattes sous le bureau, je vérifiai si un trou n’aurait pas été creusé dans
le meuble pour y faire passer un cordon électrique. Quelqu’un l’avait
forcément utilisé au cours de ce siècle de modernité numérique… ou peut-être
pas, en fin de compte. Robbie pourrait m’aider. Je m’appuyai sur l’arrondi
concave, au coin du bureau, pour me remettre debout. Un clic mécanique
résonna, puis la plaque de bois poussiéreuse glissa sur le côté.

Des carnets. Trois journaux intimes empilés à l’intérieur du plateau du


bureau. Ils étaient reliés de cuir, dorés sur tranches et rassemblés par une
cordelette de soie. Toutes ces pages relataient les pensées intimes d’une jeune
femme qui avait vécu il y a bien longtemps ici même, dans cette maison.
Je déliai la cordelette raidie par le temps et ouvris le premier carnet. Dès la
première page, je fus captivée au point d’oublier tout le reste, plongée dans le
flot de ses mots…

Le 7 mai 1837,
Je suis allée voir J. aujourd’hui. Je lui ai annoncé la nouvelle. Plus
que tout, j’aimerais qu’il comprenne que je puisse avoir des regrets.
Hélas, c’est impossible tant que je ne serai pas passée de vie à trépas.
Une fois là-haut seulement, j’aurai son avis sur la question…
…Quel sera le prix de la culpabilité ? « Coupable. » Ce simple mot
suffit à m’enterrer de son poids écrasant.
…Mon regret ô combien amer doit à présent demeurer enseveli
dans le silence éternel, ce même silence qui aura brisé le cœur de tous
ceux que j’ai aimés.
…Aujourd’hui encore, j’ai accepté la demande d’un homme qui dit
ne pas avoir de plus grand désir que mon bien, et la permission de me
chérir.
…Ainsi, j’irai passer ma vie à ses côtés à Stonewell Court… mais
l’avenir me fait très peur. Comment pourrai-je jamais être à la hauteur
de ce qu’on attend de moi ?
…Darius Rourke ignore encore que je ne mérite l’amour d’aucun
homme. Je suis déchirée, mais hélas, je me trouve incapable de
repousser les avances de Darius, comme j’étais incapable de repousser
mon bien-aimé Jonathan…
M.G.

Marianne George deviendrait plus tard Mme Rourke en épousant


M. Darius Rourke au cours de l’été 1837.
J’eus des frissons dans la nuque en levant les yeux vers la vue pittoresque.
Cette coïncidence était incroyable.
Le recueil de Keats, cette première édition de ses poèmes, qu’Ethan
m’avait offert le soir de sa demande en mariage, avait appartenu à cette même
Marianne. Comment l’oublier jamais ? À ma chère Marianne, pour toujours,
ton Darius adoré. Juin 1837. De belles lettres courbes, dignes de l’époque,
pour signer le cadeau d’un jeune homme à sa promise. Ces mots de Darius
m’allaient droit au cœur. C’était si simple, si pur. Il aimait sincèrement
Marianne, et pourtant, pour des raisons qui m’échappaient, elle ne s’estimait
pas digne de cet amour. Le poids de la faute pesait sur ses épaules. Comme sur
les miennes. Et celles d’Ethan.
Et aujourd’hui, nous vivions sous ce même toit. J’arrivais à peine à le
croire. Marianne évoquait Jonathan, dont le nom était gravé sur la base de la
statue de l’ange sirène dans notre jardin, son visage si expressif tourné vers
l’océan. Je pris alors conscience que cette statue était érigée en mémoire de
son amour perdu, ce n’était pas une tombe. Il n’avait aucune tombe en fait.
Jonathan avait disparu dans cet océan magnifique et pourtant imprévisible. Elle
l’aimait… et il s’était noyé. Marianne avait vécu avec le sentiment d’avoir
causé sa perte.
Elle l’aimait… et il s’était noyé. Je comprenais le chagrin de Marianne
mieux que quiconque car, moi aussi, je cherchais l’absolution de mes péchés.
Mais je ne serais jamais en paix. Parfois, il faut accepter certaines choses
même s’il nous faut vivre avec leurs conséquences à jamais. Je comprenais ce
que cela voulait dire de se sentir coupable de la perte d’un être cher… et que
l’on ne reverra plus jamais dans ce monde.
Bien sûr, je le sentais toujours avec moi. Il me surveillait. Mais le chagrin
était toujours là. Sa mort avait creusé un trou béant dans mon cœur. Je me
battais chaque jour contre la culpabilité, contre cette sensation d’avoir
provoqué sa mort. Mon père me manquait terriblement. De son vivant, il
m’avait toujours préservée du monde par la force de son amour, et il avait
fallu qu’il meure pour que je m’en aperçoive. Sa présence me manquait. Son
amour aussi.
Papa, tu me manques tant…
Comme pour me tirer de ma tristesse, un petit coup de pied me ramena sur
terre. Le sourire aux lèvres, je caressai doucement mon ventre.
— Coucou, toi, mon ange papillon.
En guise de réponse, j’eus un petit coup dans les côtes. Quel timing ! Un
rire m’échappa. À tout de même vingt-six semaines, ses gestes n’avaient plus
rien du bruissement des ailes d’un papillon, mais ce surnom était resté.
— Tu me réclames à manger, pas vrai ? Bon, je vais voir ce que je peux
faire.
— Cet enfant est déjà très intelligent. Je suis bien d’accord avec lui, tu dois
manger, mon cœur, affirma Ethan derrière moi en posant ses grandes mains
sur mes épaules et en respirant mes cheveux.
Il m’embrassa à l’endroit qui me faisait frissonner, au creux de mon cou,
que sa barbe naissante chatouillait. Je m’appuyai contre lui et étirai mon cou en
inhalant son odeur. Qu’est-ce qu’il sentait bon ! C’était une passion qu’on
partageait : lui aussi avait le nez fouineur, et même aux endroits les plus
intimes. Un brin pervers, certes, mais cela me montrait à quel point il mettait à
nu ses envies avec moi. Il était franc. Dans notre relation, l’honnêteté était
primordiale.
— Zut, tu m’as encore surprise à parler toute seule.
— Tu ne parlais pas toute seule, tu parlais à notre petite laitue, ça n’a rien à
voir. Rassure-toi, on ne va pas t’interner pour si peu, plaisanta-t-il.
— C’est une laitue, cette semaine ?
Je secouai la tête tant je trouvais cela drôle qu’il arrive à se rappeler de
tous les fruits et légumes dont il était question sur ce site consacré à la
prénatalité, et qu’il consultait scrupuleusement. À chaque fois, il tombait juste.
J’en venais à me demander s’il n’avait pas une mémoire photographique. Ethan
se rappelait tout, tandis que moi, la grossesse commençant à brûler les
neurones de ma mémoire, j’oubliais tout. Je sentis un autre coup.
— Vite, pose ta main. Bébé donne des coups de pied.
Il fit rapidement tourner le fauteuil de bureau et s’agenouilla devant moi,
retroussant mon tee-shirt et abaissant l’élastique de mon legging pour dévoiler
mon ventre. Je lui désignai l’endroit précis et on l’observa en silence. Il nous
fallut attendre une minute, puis finalement, ce qui évoquait la forme d’un pied
minuscule poussa de l’intérieur avant de se retirer aussi vite qu’il était apparu.
— Ouaouh, tu as vu ça ? ! s’émerveilla Ethan.
— Oui, et je l’ai senti aussi.
Il déposa un baiser à cet endroit et murmura :
— Merci de prendre soin de ta maman et de veiller à bien la faire manger à
l’heure.
Puis il leva les yeux vers moi, son expression sérieuse et intense était
chargée d’émotions.
— Qu’est-ce qu’il y a ? m’étonnai-je.
— Tu sais que tu es absolument incroyable ?
Je posai une main sur sa joue.
— Pourquoi ?
— Pour toutes ces choses que tu m’as données. Pour tout ce que tu fais,
murmura-t-il en baissant les yeux sur ce ventre qu’il entourait de ses mains.
Pour créer la vie. Pour l’amour que tu me donnes en m’acceptant tel que je
suis.
Il releva les yeux pour croiser les miens. J’eus mal pour lui. Ethan n’en
avait pas fini avec l’effroyable histoire de son ami Mike torturé à mort quand
il était prisonnier. Le plus difficile pour Ethan, c’était les images atroces qu’il
en gardait. C’était horrible. Et encore, j’avais seulement écouté l’histoire. Lui,
il l’avait vécue. Impossible d’oublier. Son inconscient semblait déterminé à le
lui rappeler quand ça lui chantait. Avec l’aide du Dr Roswell, je lui cherchais
un professionnel. Quelqu’un avec lequel il se sentirait en confiance et qui
pourrait l’aider à amoindrir ses souffrances, au gré de méthodes
thérapeutiques adaptées. Pour moi, il n’y avait pas d’autre solution. J’étais
déterminée à ce qu’Ethan trouve enfin une forme d’apaisement.
— Bien sûr que je t’aime comme tu es, Ethan. Je ne veux pas que tu
changes.
Je voulus me pencher pour un baiser mais il le fit avant moi et ne s’écarta
que quand je fus à bout de souffle.
— Si notre laitue n’insistait pas pour manger, je te kidnapperais dans ma
tour et te ferais passer un agréable quart d’heure.
Levant les sourcils d’un air provocateur, il remit mon tee-shirt et mon
legging en place, le geste précis.
— Mais malheureusement, la laitue l’emporte, ajouta-t-il en m’aidant à me
relever, puis il me fit un baisemain. Après vous, ma chère.
— Quel gentleman, monsieur Blackstone. En quel honneur ?
Pour toute réponse, il me donna une tape sur la croupe.
— Eh, je rêve ! m’écriai-je. Tu oses me donner la fessée, Blackstone ?
Son rire sonore me caressa les oreilles tandis qu’il reculait derrière moi
pour échapper aux représailles.
— J’ai bien peur que oui, ma chérie. Maintenant, bouge ce cul splendide en
direction de la cuisine pour que je te nourrisse.
— La vengeance est un plat qui se mange froid, chantonnai-je, en me
tournant vers lui, aguicheuse.
— C’est une promesse ? glissa-t-il dans mon oreille. Et tu comptes me
faire quoi, au juste ?
— Oh, je ne sais pas Quelque chose… comme ça ?
Je fis volte-face pour attraper son service trois pièces à pleines mains et le
serrai légèrement.
— Un pincement aux couilles pour une fessée. C’est donnant donnant.
Sa mine valait son pesant d’or. Je l’avais visiblement pris au dépourvu.
— Je te tiens par les couilles, Blackstone, lui rappelai-je.
Il éclata de rire avant d’exiger un baiser.
— Pas vraiment un scoop, ma toute belle.

— Puisque je te dis que c’est une surprise ! Il faut me faire confiance,


insistai-je en la guidant tout en prenant soin de maintenir le foulard en soie sur
ses yeux. Je tiens à te le montrer avant que tout le monde ne s’affaire autour de
toi pour Thanksgiving.
Ma tendre épouse avait décidé d’organiser Thanksgiving chez nous et
d’inviter tout le monde pour cette fête que nous, les Anglais, n’avions pas
l’habitude de célébrer. Mais sous la pression de nos amis d’outre-Atlantique, le
Royaume-Uni ne pouvait que céder. Brynne voulait profiter de l’événement
pour pendre la crémaillère à Stonewell Court. Nous aurions donc du monde à
la maison pour les prochains jours. Mon père et Marie viendraient ensemble,
puis Neil et Elaina. Bien sûr, Hannah, Fred et les enfants seraient de la partie,
ainsi que Clarkson et Gabrielle. L’endroit grouillerait de gens avec lesquels je
devrais partager Brynne.
Mais moi, je ne voulais la partager avec personne.
Elle renifla l’air.
— Ça sent le clou de girofle, comme tes cigarettes. On ne doit pas être loin
de ton bureau.
Plus une seule cigarette dans la maison.
J’avais retrouvé mon rythme d’une clope par jour après mon écart le soir
où le sénateur – ce salopard de serpent – m’avait imposé son ultimatum.
Disons, ce vice-président des États-Unis d’Amérique. Enfin, bientôt, dès lors
que le nouveau président poserait ses valises à la Maison Blanche au mois de
janvier. En effet, le duo Colt-Oakley avait remporté les élections haut la main
au début du mois. Rien de tel qu’un fils estropié à la guerre dans d’atroces
circonstances pour attiser la compassion patriotique des électeurs. Et
bizarrement, si ce même fils violait des jeunes filles avec ses copains lors de
soirées trop arrosées et filmait sa barbarie, ça ne choquait personne.
Brynne s’était résignée pour de bon à laisser le passé derrière elle. Au
sujet de sa rencontre avec Oakley, elle était restée évasive, racontant avoir été
moins troublée qu’elle ne le pensait. En tout cas, j’espérais qu’elle en parlait au
moins avec le Dr Roswell, histoire de ne pas porter éternellement ce poids sur
ses épaules. Pour moi, cette visite à l’hôpital avait été un calvaire, alors pour
elle, j’osais à peine imaginer ce qu’elle avait ressenti à devoir le voir, lui
parler, le toucher… Je fermai les yeux pour faire passer aux oubliettes toute
pensée liée à Lance Oakley. Je me laissai intoxiquer par le parfum enivrant de
ma femme et me concentrai sur ce que je voulais lui montrer.
— Arrête d’essayer de deviner ! C’est fou, quand même, tu ne lâches rien !
Vraiment, Brynne était une bagarreuse. Elle ne craignait ni de prendre des
coups ni d’en donner. Une qualité qui, à mon sens, la rendait plus sexy que
jamais.
— Et j’adore ça, précisai-je.
Son petit rire m’excitant, je devins dur comme fer, un tas d’idées lubriques
me traversèrent l’esprit.
— Voilà, on est arrivés, déclarai-je en la positionnant pile à l’endroit où la
vue serait la plus frappante quand elle découvrirait la surprise. Sache que ça
fait six mois que j’attends ça. Six longs mois que j’y pense, fis-je sur un ton
théâtral.
— Pour moi aussi, ça a été long. J’ai l’impression d’avoir les yeux bandés
depuis six mois.
Je touchai ses lèvres du bout des doigts.
— Que de malice dans cette jolie bouche. Ça me donne envie d’y faire un
tas de choses. Mais pour l’instant, je veux te faire découvrir ma surprise.
L’heure de vérité a sonné.
Tout en dénouant le carré de soie, je remarquai son souffle saccadé. Mes
paroles l’avaient excitée.
— Au fait, ce foulard te va divinement bien. Tu devrais le mettre plus
souvent, murmurai-je dans son cou.
— Mmh, soupira Brynne.
Ce qui en disait long sur ce qu’elle pensait de ce bandeau. Je le notai dans
un coin de mon esprit.
— Surprise !
Je retirai la soie.
En silence, elle observa le portrait d’elle suspendu au mur. Avait-elle le
même regard que moi vis-à-vis de cette photo ? Ses longues jambes dressées
droit devant elle, les chevilles croisées, un bras en travers de la poitrine et les
doigts recouvrant stratégiquement son entrejambe, la tête inclinée sur le côté
pour que ses cheveux balaient gracieusement le sol.
C’était la photo que m’avait envoyée Tom Bennett en pièce jointe de son
email lorsqu’il avait fait appel à mes services pour protéger sa fille. Ce même
portrait exposé à la galerie le tout premier soir de notre rencontre et qui
m’avait captivé. Je l’avais acheté, spontanément, sans savoir qu’il fallait
attendre six mois d’exposition avant de récupérer mon dû. Le portrait de ma
belle Américaine, désormais à moi seul.
Totalement époustouflant.
— Ça y est, tu l’as enfin récupéré, dit Brynne d’une petite voix en étudiant
de près son image qui occupait le plus grand pan de mur de mon bureau à
Stonewell Court.
— Oui, ça y est.
— J’ai cru comprendre que ça représentait beaucoup pour toi, Ethan.
Elle s’appuya à moi et nous observâmes ensemble la photo.
— C’est le moins qu’on puisse dire.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est par cette image que mes yeux se sont posés sur toi la
toute première fois. J’ai tout de suite su qu’il me la fallait. C’était le genre
d’instant qui fait basculer une vie entière, je ne saurais pas te l’expliquer. Mais
pour moi, c’est limpide.
Je déposai un baiser dans son cou en lui caressant tendrement les bras.
J’adorais la goûter avec la pointe de ma langue lorsqu’elle m’offrait sa gorge
sans retenue. Toujours si généreuse de sa personne, elle ne cessait pas de me
sidérer.
— Avant ce fameux soir au vernissage, je n’avais encore jamais rencontré
un acheteur d’une de mes photos, se souvint-elle avec nostalgie. Pour moi
aussi, cela a été un moment charnière de ma vie : tu as acheté mon portrait, et
puis on s’est rencontrés. Ce soir-là, avec ton beau costume gris foncé, tu m’as
regardée d’une telle façon, depuis l’autre bout de la galerie, que ce moment
restera toujours gravé dans ma mémoire.
Ses paroles m’atteignirent au plus profond.
— Moi non plus, je n’oublierai jamais ce moment magique, Brynne.
Jamais.
— Pourquoi, Ethan ?
— Viens par là.
Je l’invitai à se retourner pour plonger dans son regard vert-gris-noisette
et lui caressai tendrement la joue.
— Je ne l’oublierai jamais parce que ce soir-là, quand je t’ai vue en
personne pour la première fois, j’ai repris goût à la vie.
Ses yeux se mouillèrent de larmes. Je la connaissais assez pour savoir que
ma déclaration la bouleversait. Mais c’était la pure vérité. Cette rencontre
m’avait ramené dans le monde des vivants. Ce n’était pas prévu. Mais c’était
arrivé comme ça.
— Je te jure, Brynne. Grâce à toi, j’ai retrouvé le goût à la vie et l’envie de
me construire un avenir meilleur, chose pour laquelle j’avais perdu tout
intérêt.
— Je t’aime, Ethan.
— Et moi, je t’aime encore plus, ma belle.
Sa tristesse s’effaça doucement pour laisser place à un sentiment
complètement différent et pas moins magique. Celui du désir : Je-te-veux.
— Tu parlais d’un tas de choses que tu avais envie de faire à ma bouche,
ronronna-t-elle, le regard assombri par un voile érotique.
— Me ferais-tu des avances ? arrivai-je encore à articuler d’une voix
cassée.
Ma femme se laissa tomber à genoux sur notre épais tapis oriental. La plus
belle réponse qui soit. Cette jolie bouche à ma disposition.

— Brynne, ma chérie, je tiens à te féliciter pour ce délicieux repas. À


Thanksgiving ! déclara mon père en trinquant avec enthousiasme, son verre de
vin à la main. Nous devrions faire de cette fête une tradition familiale à répéter
chaque année.
— Je suis de tout cœur avec toi, affirma Marie. Oui, ma chère Brynne,
c’était parfait. Je n’avais pas savouré de repas de Thanksgiving typiquement
américain depuis longtemps, avec les patates douces et la sauce aux airelles. Ça
me rappelle de bons souvenirs. C’était une excellente idée d’amener cette
tradition dans notre famille. Jonathan a raison, nous devrions le faire tous les
ans.
Sur ce, elle lança à mon père un regard tout attendri.
La grand-tante de Brynne était à moitié américaine, mais elle avait passé
toute sa vie d’adulte en Angleterre. Elle avait également tapé dans l’œil de mon
père. Je n’étais pas sûr de savoir exactement ce qui se passait entre eux, mais
j’avais ma petite idée. En tout cas, nous en aurions la confirmation ce soir en
fonction des chambres – ou de la chambre – qu’ils utiliseraient.
Chacun son tour, les convives présents ce soir portèrent un toast à ma
douce Brynne. Même Zara qui exprima toute sa gratitude pour la tarte au
potiron qui lui évoquait « comme une espèce d’éponge au pain d’épices ».
Les joues rougies par tant de compliments, Brynne remercia tout le monde
avec humilité. Elle était excellente cuisinière, ce n’était pas une première. Au
tout début de notre relation, elle commençait déjà à mijoter de bons petits plats.
Cette femme réussissait tout ce qu’elle entreprenait, j’avais beaucoup de chance
d’être son mari.
Dans la vie, j’avais été veinard dans deux domaines. Aux cartes, à l’époque
où je jouais encore, et en amour. Et sur ce point-là, ce serait pour toujours.
— Moi aussi, j’aimerais porter un toast, déclarai-je.
Levant mon verre, j’eus un sentiment de bien-être, entouré de tous nos
proches, famille et amis, venus célébrer l’occasion avec nous.
Thanksgiving me souriait.
— À ma belle Américaine. Merci de nous rappeler à tous la chance que
nous avons. (Puis je ne regardai plus qu’elle.) Et surtout, merci de m’avoir
ouvert les yeux sur le cadeau qu’est la vie. (J’élevai le ton afin que tout le
monde entende.) Tu es mon bonheur, Brynne.
TROISIÈME PARTIE

HIVER
13
13 décembre, à Londres
Dans la salle d’attente, j’envoyai un message à Ethan pour savoir s’il allait
arriver à temps pour notre rendez-vous avec le Dr Burnsley. Ce n’était pas son
genre d’arriver en retard pour l’échographie. D’habitude, ça l’intéressait
même presque plus que moi. Ou en tout cas, je ne passais pas des heures à
éplucher les sites Internet et les livres consacrés à la période prénatale. Chaque
jour, il avait de nouvelles anecdotes à me raconter sur le développement de
notre bébé et les différentes étapes de sa croissance. De mon côté, je
m’amusais à le traiter de geek écumant la Toile en quête de toutes les infos
bébé, mais en réalité, ça m’arrangeait bien. Comme ça, je n’avais pas à faire
les recherches, il les faisait pour moi.
Blague à part, je commençais à m’inquiéter de ne pas avoir de nouvelles.
J’envoyai encore un texto :
1 problème ? T où ?
Je me demandais si nous allions toujours déjeuner ensemble. Nous avions
pris cette habitude après chaque rendez-vous avec le Dr Burnsley de nous faire
un restaurant avant qu’il ne retourne au bureau l’après-midi. En ce moment, il
avait beaucoup de travail. Juste après le nouvel an, il serait en déplacement
pour la Compétition européenne de sports extrêmes, il avait une mission
d’importance auprès du roi de Lobourg ou Labourg, je ne sais plus
exactement. Ethan n’était pas emballé à l’idée de jouer les baby-sitters pour un
jeune prince couronné lors d’une compétition sportive mondiale, mais en
même temps, lorsqu’un roi s’en remet à vous personnellement, comment
refuser ? De mon côté, je n’allais pas pouvoir l’accompagner en Suisse.
Prendre l’avion au troisième trimestre de la grossesse, c’était proscrit. Je
resterais donc seule, mais ce ne serait que pour une semaine. J’avais l’intention
d’en profiter pour terminer la chambre de bébé. Ou plutôt les chambres.
J’avais deux maisons à équiper avant la fin du mois de février.
C’était décidé, j’irais faire quelques achats après l’échographie, avec ou
sans Ethan. Au départ, j’avais envisagé de m’avancer sur les cadeaux de Noël.
Il ne restait que douze jours et les paquets ne se feraient pas tout seuls.
— Brynne Blackstone, appela l’infirmière en cochant quelque chose sur
son dossier, puis elle m’ouvrit la porte. Allez faire un recueil d’urine. Ensuite,
nous passerons à la pesée.
Elle affichait un gentil sourire, habituée aux femmes enceintes impatientes
d’achever la première mission et angoissée à l’idée de faire la seconde.
Que du bonheur…

Ce n’était pas en me répétant les statistiques que je venais d’entendre de la


bouche du Dr Wilson que j’allais gagner en optimisme. Un pompier sur cinq,
un adolescent rescapé d’un accident de voiture sur trois, une victime de viol
sur deux et deux prisonniers de guerre sur trois. Ces deux dernières données
me faisaient particulièrement froid dans le dos. Putain, qu’est-ce que cela disait
de Brynne et moi ? Nous étions tout deux victimes du syndrome de stress post-
traumatique. Des âmes écorchées dont les chemins s’étaient croisés par un
coup du destin. Brynne admettait enfin être hantée par ses démons et travaillait
justement avec le Dr Roswell sur ce sujet. Son courage m’impressionnait. Dans
sa façon de faire face avec une minutie calculée, elle était presque britannique.
Un peu comme ce poster affiché au-dessus du bureau du docteur et qui datait de
la Seconde Guerre mondiale : KEEP CALM AND CARRY ON, gardez votre
calme et continuez. Ma belle courageuse. La vérité incarnée.
Et moi, avais-je aussi l’espoir de m’en sortir ? J’aimerais me dire que oui.
Je voulais par-dessus tout me débarrasser de ce putain de sort qui avait tissé sa
toile dans les fonds les plus obscurs de ma psyché. J’avais besoin d’être libéré.
Ensuite seulement, je pourrais être le mari dont Brynne avait besoin, et un
papa aimant pour cet enfant.
— Je vous écoute, accordai-je au docteur.
En même temps, je me demandais encore ce que je faisais dans ce cabinet
quelconque du comté de Surrey, à discuter des possibles bienfaits de la
thérapie comportementale et cognitive avec le Dr Gavin Wilson, psychiatre
spécialiste du SSPT.
— L’objectif n’est pas de vous forcer à vous étendre sur les événements
passés, mais à mieux comprendre votre état émotionnel d’aujourd’hui. Je ne
vais pas vous demander de vous allonger et de me raconter votre vie, ce n’est
pas comme ça que les choses fonctionnent ici, Ethan.
Putain, le soulagement ! Je pris une profonde inspiration. Je détestais
parler, c’était ce qui me terrifiait le plus. Un mot à ce sujet et je me figeais
pour retourner par la pensée dans cet endroit maudit, où j’entendais ces voix,
sentais l’urine, le vomi et les excréments, où il faisait froid, où le couteau
régnait en maître et où le sang… des rivières de sang… J’avais seulement
évoqué une petite partie de mes souvenirs avec Brynne parce qu’elle méritait
de comprendre, mais je ne pouvais pas partager toute l’horreur de mon passé
avec elle. C’était trop affreux, elle ne méritait pas un tel fardeau.
— Tant mieux, alors. Comment se déroule le programme pour un patient
dans mon genre ? m’enquis-je.
— La TCC se concentre sur le présent au prisme de ce qui vous est arrivé
pendant votre mission en Afghanistan et qui justifie votre présence ici.
— Hum, ma femme aussi a subi un traumatisme dans son passé. J’ai peur
qu’en revenant sur le… comment l’appeler, le pire flash-back qui me reste de
cette époque, ça m’empêche d’avoir ensuite la force d’être présent pour elle en
cas de besoin. Nous attendons un enfant pour le mois de février…
Ma voix faiblissait. J’espérais ne pas paraître trop pitoyable, mais je me
devais d’être honnête avec ce médecin.
— Félicitations à tous les deux, dit-il en griffonnant sur son calepin. Votre
femme suit-elle une thérapie ?
J’opinai.
— Depuis quatre ans. Elle dit ne plus pouvoir se passer de ses rendez-vous
chez la psy.
— Soutenez-vous votre femme dans toutes les étapes de son traitement ?
J’avais ma petite idée sur où le Dr Wilson voulait en venir avec ses
questions.
— Évidemment ! Ça l’aide, c’est le plus important.
Il esquissa un petit sourire.
— Je suis certain que votre épouse aimerait vous voir aussi soutenu qu’elle
dans cette épreuve, Ethan. Mais la décision vous appartient.
C’est ce que veut Brynne.
— En quoi consisteront nos séances ?
— La thérapie comportementale et cognitive admet que des événements
passés aient pu influer sur votre manière de penser et d’agir aujourd’hui.
D’après ce que vous me dites, vous seriez en particulier sujet au syndrome à
retardement. Nous allons chercher la cause de ces flash-back, non pas dans la
période qui a suivi votre choc, mais dans ce qui vous arrive aujourd’hui.
Je connais déjà la cause de mes flash-back.
— Encore une fois, la TCC ne s’attarde pas sur le passé. Nous chercherons
uniquement à trouver des solutions pour modifier vos pensées et
comportements actuels afin que vous puissiez fonctionner de manière plus
adaptée à partir d’aujourd’hui et pour les années à venir. Ce qui nous intéresse,
c’est plutôt le processus émotionnel de votre passé, et non pas le récit de ce qui
vous est arrivé.
Absorbé par ses explications, je hochai la tête. Je n’étais pas encore
convaincu, mais je n’étais fermé à rien. Ce médecin me plaisait. J’aimais sa
franchise. Il ne me promettait aucun miracle. Il n’y en aura plus. J’avais épuisé
tout mon capital-miracle, il y avait sept ans de cela. Le vingt-deuxième jour.
J’en étais conscient. J’acceptais ce cadeau. Le Dr Gavin Wilson avait servi dans
le même corps d’armée que moi. D’une certaine façon, c’était un camarade
d’armes. Si une personne pouvait m’aider, c’était quelqu’un comme lui.
Nous avons réglé les questions pratiques et à la fin de la séance, je me
sentais mieux, plus confiant quant à cette décision. Et puis, j’avais des devoirs à
faire à la maison.

Les yeux sur ma montre, je quittai le cabinet d’un pas rapide. J’avais une
heure de trajet avant de rejoindre Brynne chez le Dr Burnsley. J’avais peu de
chance d’arriver à l’heure. Je tâtai mes poches en quête de mon portable.
Mince, où était-il passé ? Ce premier rendez-vous au centre d’accueil des
victimes de SSPT m’avait tellement absorbé que j’avais laissé mon portable je
ne sais où. Putain de bordel de merde ! Comme si je n’avais pas assez de
soucis en tête. La distraction, voilà mon putain d’ennemi, le pire dans mon
domaine. Je ne pouvais pas me permettre d’être distrait, sinon, je risquais de
manquer à mon travail. Je ne pouvais pas, c’est tout. Ces vieux démons que je
déterrais me foutaient un bordel total dans mon quotidien. Là, par exemple, je
devrais avoir mon portable pour prévenir Brynne. Il fallait qu’elle sache que
j’aurais du retard pour ne pas l’inquiéter.
En sortant dans le couloir, je la vis pour la deuxième fois. Elle quittait un
autre cabinet que celui du Dr Wilson, mais de toute évidence, était là pour les
mêmes raisons que moi. Finalement, ce n’était pas surprenant. Ton premier
devoir de la semaine. Mon premier pas vers l’acceptation de mon problème me
menait droit vers elle.
— Sarah, attends ! criai-je.

Une fois sortie de chez le Dr Burnsley, je rejoignis l’ascenseur. Toujours


aucune nouvelle d’Ethan. Il n’allait pas apprécier d’avoir manqué
l’échographie. Ce serait bien fait pour lui, je le taquinerais en lui rappelant
toutes les remarques et blagues qu’il avait faites au bon docteur et toutes celles
à double sens qu’il venait de louper.
Sans prêter attention à la personne qui prenait l’ascenseur avec moi, je
vérifiai mes messages restés sans réponse et fis savoir à Len que j’avais
terminé. C’est alors qu’il dit mon prénom.
— Brynne.
Je reconnaîtrais cette voix entre mille. Je levai lentement les yeux et vis
d’abord ses jambes, l’une en chair et en os, l’autre en prothèse, puis les cuisses
musclées, le corps taillé en V, les larges épaules et, enfin des yeux très noirs
dans un beau visage qui m’apparaissait désormais sous un autre jour.
— Lance. Qu… qu’est-ce que tu fais là ?
Ma voix se brisa.
— Ne le prends pas mal, s’il te plaît. Je t’ai vue entrer dans le cabinet, alors
j’ai décidé d’attendre que tu sortes.
— Est-ce que… est-ce que tu me suis dans tout Londres ?
— Non.
Son regard vacilla un instant mais il secoua la tête.
— Moi aussi, j’avais rendez-vous chez mon médecin, on devait prendre
des mesures pour ma prothèse permanente.
— Oh.
Je ne savais pas quoi lui dire. Lance avait perdu une jambe. Malgré le
traumatisme passé, j’étais désolée de ce qui lui était arrivé. Comme si mon
cerveau refusait de supprimer l’empathie qui m’étreignait. Les souvenirs et les
émotions du passé se mélangeaient dans un cocktail déstabilisant. Lance Oakley
m’a suivie dans l’ascenseur. Il a attendu que je termine mon rendez-vous chez
le médecin. Un rendez-vous qui avait duré pas moins d’une heure et demie, le
temps de recevoir les résultats de l’échographie. Pourquoi avoir patienté tout
ce temps ? Je me lançai un vas-y putain et lui demandai :
— Lance, pourquoi m’as-tu attendue ?
— Je te l’ai dit à l’hôpital, mais tu n’es pas revenue, murmura-t-il en
baissant les yeux, puis il releva la tête. Je sais que c’est trop te demander,
Brynne, mais j’ai besoin de te parler. La question, c’est de savoir si tu es prête
à m’écouter.
— J’ai entendu ce que tu m’as dit à l’oreille sur ton lit d’hôpital, mais je ne
suis pas sûre de pouvoir le faire, Lance.
C’était la vérité. Quelque part, j’étais curieuse de savoir pourquoi il tenait
tant à s’excuser. Honnêtement, j’étais complètement perdue. Je n’avais jamais
envisagé que Lance puisse avoir envie de s’excuser. Jamais. C’est pourquoi, en
le voyant là, dans l’ascenseur, l’air tellement sincère, j’hésitai presque à
accepter. Par instinct, je posai une main sur mon ventre.
La sonnette de l’ascenseur tinta, les portes s’ouvrirent. Il me suivit dans le
hall du bâtiment. Il boitait, c’était flagrant. Je me sentais troublée, ne sachant
absolument pas quoi faire.
— Je comprends, opina-t-il tristement. Je sais que… tu attends un bébé. Je
ne veux pas te déranger, mais…
Il se tut et leva une main en signe de capitulation.
— Mais quoi, Lance ?
S’il croyait que j’allais lâcher l’affaire aussi facilement. Il s’approcha, je
compris qu’il allait parler.
— Tu ne me dois rien, Brynne. Je ne veux pas te blesser ni troubler ta vie,
mais ce qui me dérange vraiment, c’est que tu ne saches pas la vérité sur ce qui
m’est arrivé ce soir-là.
— Hum… peut-être, mais moi j’ai très bien compris ce qui m’est arrivé.
J’ai vu la vidéo.
Je baissai les yeux, j’étais incapable de le regarder en face en prononçant
ce dernier mot.
— Je sais, admit-il doucement. Je suis désolé de t’avoir fait du mal. Et
j’aimerais pouvoir m’expliquer. (Il prit une profonde inspiration avant de
poursuivre.) Je sais en partie ce que tu as traversé par la suite. Ta mère m’en a
un peu parlé quand j’ai essayé de te contacter. En revanche, ton père refusait de
me laisser te voir. Ensuite, tu es partie au Nouveau-Mexique. Je me suis fait une
raison, je t’ai laissée tranquille volontairement. De toute façon, j’étais en Irak,
précisa-t-il, amer. Je… J’ai appris pour la mort de ton père. Je me souviens
comme vous étiez proches l’un de l’autre. Je te présente mes sincères
condoléances.
Si je pleure, c’est fichu. Ne pas pleurer. Ne pas pleurer.
J’essuyai mes yeux et essayai de faire bonne figure au cas où Ethan me
retrouve devant l’immeuble. Je ne voulais pas qu’il sache que j’avais pleuré. Ni
Len, d’ailleurs.
En parlant du loup, Len s’approchait d’un bon pas, et je lisais sur son
visage que ma conversation avec Lance était terminée.
Lance le comprit aussi.
— Je… je suis désolée, je dois te laisser. Bonne chance, Lance, articulai-je
faiblement.
Je n’avais rien d’autre à lui offrir. Je me sentais vide, troublée. Où était
Ethan ? J’avais besoin de lui.
— D’accord, se résigna Lance avec un hochement de tête, puis il glissa une
carte dans ma main. Mais s’il te plaît, réfléchis-y.
Sur ce, il tourna les talons et s’éloigna de sa démarche irrégulière, la
preuve évidente du changement opéré en Lance Oakley depuis ces sept
dernières années.

Je demandai à Len de me déposer à Knightsbridge pour que j’y fasse mes


achats. Je n’étais pas en état de rentrer à la maison. D’abord, j’avais besoin de
me vider la tête. Et puis, il était hors de question de parler à Ethan de ma
rencontre avec Lance. Cela ne ferait qu’aggraver son côté surprotecteur, ce qui
n’était bon ni pour lui ni pour moi. En revanche, je devais appeler le
Dr Roswell pour avancer notre séance. J’avais besoin d’un avis neutre, or
Ethan était tout sauf objectif. À ce propos, j’ignorais toujours pourquoi il ne
donnait aucune nouvelle et ce qui l’avait retenu alors que nous avions
l’échographie aujourd’hui. Toutes ces pensées m’abattaient. J’étais si triste.
En cherchant des cadeaux pour tout le monde, je pourrais penser à autre
chose. Pourquoi pas une robe en soie pour ma mère. Jaune, la couleur des
traîtres. Elle était jolie, j’étais certaine qu’elle lui plairait. Si je la faisais livrer
dès aujourd’hui, elle pourrait même la recevoir pour le réveillon. Je ne savais
pas ce que je ressentais pour ma mère en ce moment, surtout après ce que
m’avait avoué Lance. Il avait parlé à ma mère de moi, il y avait des années de
cela. Je me demandais à quoi avait ressemblé cette conversation. Savait-elle
quelque chose que j’ignorais ? Le doute s’insinuait en moi pour me ronger de
l’intérieur. J’avais la carte de Lance dans mon sac. Avec son numéro de
téléphone. Je pouvais l’appeler et lui poser la question. Il me répondrait, c’est
sûr.
Ma mère et moi ne nous étions reparlé qu’une seule fois depuis notre
dispute au téléphone. Elle devait être déçue d’apprendre que le père de mon ex-
petit ami était à présent vice-président des États-Unis avec la possibilité d’être
un jour à la tête du pays. La pilule devait être difficile à avaler. Si j’avais
pardonné à Lance quelques années plus tôt, elle aurait espéré une
réconciliation pile dans les temps. Sans doute était-ce la raison pour laquelle
elle détestait tant Ethan. Ses espoirs d’assister aux grands galas à la Maison
Blanche étaient désormais fichus. Mon cœur avait été volé par un Anglais qui
n’en avait « strictement rien à branler » – pour reprendre les termes d’Ethan –
que le père de Lance Oakley devienne le maître de ce putain de monde. Alors
une figure politique américaine, n’en parlons même pas. J’étais désormais liée
à Ethan à vie, même ma mère pouvait comprendre que ses rêves de gloire
partaient en fumée. Maman et Ethan étaient l’huile et le feu, prêts à
s’enflammer dès lors que l’un approchait de l’autre. C’était triste pour moi. La
grand-mère de mon enfant ne pouvait pas encadrer mon mari.
Mon téléphone vibra. Il était temps. Un numéro inconnu ?
Amour, dsolé d’avoir manqué RV. Longue histoire. Pas mon portable sur
moi. C celui de Sarah Hastings. T où ? Bisous. Ethan
Sarah Hastings ? Je voyais très bien de qui il s’agissait. Que fichait-il avec
elle à l’heure où il devrait être avec moi ? Je me souvenais à quel point la
présence de cette femme au mariage avait bouleversé Ethan, d’où ma crainte
qu’elle ne cherche à mettre le grappin sur mon mari pour apaiser son chagrin.
Je pouvais comprendre qu’un soldat soit loyal envers son armée, mais de là à
souffrir encore davantage à cause du deuil de cette femme, c’était aller trop
loin. Si elle s’avisait de culpabiliser Ethan à propos de son défunt mari, j’allais
remettre les choses en place. En répondant à son texto, je fulminais, mais
comme ce n’était pas son portable à lui, je restai neutre. Cependant, avant de
répondre, je pris soin d’enregistrer le numéro de Sarah dans mes contacts.
Pas grave. Suis chez Harrod’s pour cado Noël. Len avec moi. Brynne
Il répondit tout de suite.
J’arrive. RV au Sea Grill ?

Si c’est vous qui le dites, monsieur Blackstone, pensai-je en répondant


d’un sobre « ok. » La rage laissa bientôt place à un autre sentiment, le manque
de confiance en moi revenait au pas de charge et m’emplissait de doute.
Je payai mes achats et les confiai à Len qui rapporterait le tout à la maison.
Je me rendis au service cadeaux du grand magasin et me déchargeai sur eux de
l’emballage et de la livraison des paquets à ma mère et Frank. Puis je pris la
direction du Sea Grill.
Dans le restaurant, je sirotai mon thé à la canneberge en me repassant le
scénario de cette étrange journée. Je repensai à la carte de visite de Lance et la
sortis de mon sac. Au recto étaient inscrits son numéro de téléphone et son
adresse email à côté de son nom avec le logo de l’armée américaine. Je
retournai la carte et remarquai un message griffonné au verso. « Je t’en
supplie, Brynne, laisse-moi m’expliquer. »
En relevant la tête, j’aperçus Ethan qui s’approchait de ma table, une
grosse gerbe de lavande dans les mains. Rangeant prestement la carte dans
mon sac, je me dis que mon mari devait se sentir bien coupable pour avoir
besoin de s’excuser avec un bouquet.
Cette petite attention devrait me faire plaisir, me réprimandai-je.
Oui, sauf que ce n’était pas le cas.

— Alors, qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? me demanda-t-elle, ne laissant rien


paraître de ses pensées.
Même si elle acceptait les fleurs qu’elle avait reniflées avec satisfaction,
nous étions en public, Brynne était réservée. Allez savoir, elle pouvait aussi
bien brûler d’envie de me les balancer à la tête. Tu t’es loupé, mon vieux.
Maintenant, il ne me restait plus qu’à espérer qu’elle finirait par me pardonner
d’avoir autant merdé.
— Ce matin, je suis parti sans mon téléphone. Je suis désolé.
— Ça ne te ressemble pas, Ethan, a-t-elle répondu sans lever les yeux de
son menu.
Ouais, t’es dans la panade.
— Non, c’est vrai. J’avais trop de choses en tête.
— Quelles choses ?
Brynne retournait le menu dans ses mains comme si elle examinait un
vieux grimoire.
Comme je regrettais de ne pas avoir eu le temps d’en griller une avant
d’arriver ici.
— En fait, je ne t’en ai pas parlé plus tôt parce que je n’étais pas sûr d’être
pris.
Ah, elle levait enfin les yeux vers moi. Je poursuivis :
— Ce matin, j’ai eu ma première séance avec un certain Dr Wilson au
centre d’accueil des victimes de SSPT.
Son regard noisette était rivé sur moi.
— C’est dans le Surrey, autant dire que ça fait une trotte. Je pensais te
rejoindre directement au cabinet du Dr Burnsley mais je suis tombé sur Sarah.
Elle aussi suit une thérapie. J’étais déjà très en retard et impossible de te
joindre sans mon portable alors j’ai emprunté celui de Sarah…
— Tu as trouvé un médecin ? me coupa Brynne, le regard à présent
pétillant d’espoir.
Je me sentis beaucoup mieux.
— Oui, ma belle. Je donne une chance à ce Dr Wilson.
Elle tendit la main sur la table pour prendre la mienne.
— Je suis tellement contente, Ethan ! C’est la meilleure nouvelle de la
journée ! s’exclama-t-elle en portant mes doigts à sa joue.
Il n’y avait pas que mon retard. Quelque chose inquiétait Brynne.
— Pourquoi ? L’échographie ne s’est pas bien passée ? Dis-moi ce qui se
passe, Brynne.
La moue boudeuse, elle secoua doucement la tête.
— Rassure-toi, rien à signaler de la part du Dr Burnsley. Vingt-neuf
semaines au compteur, une petite courge en pleine forme. Tout va bien.
Elle me fit un clin d’œil.
Toujours aussi sexy, ma coquine.
— J’en déduis que le Dr Burnsley reste mon meilleur pote ?
Elle eut un petit rire. Entre nous, la plaisanterie tournait autour de
l’abstinence qui s’imposerait en fin de parcours. D’un côté, c’était amusant, et
de l’autre, ça ne l’était pas. Il nous faudrait simplement faire marcher notre
imagination quand viendrait le moment d’arrêter le sexe. À partir du moment
où elle restait près de moi et où je pouvais respirer son parfum à volonté, je
tiendrais le temps qu’il faudrait. L’intimité était bien plus puissante qu’un
orgasme. J’avais vite compris cette leçon depuis ma rencontre avec Brynne.
— Oui, c’est toujours ton pote. Mais raconte-moi ce premier contact avec
le centre d’accueil, insista-t-elle en retrouvant ce sourire qui m’avait tant
manqué. Qui est ce Dr Wilson ? Dis-moi tout.
Comment veux-tu que je te dise tout, ma splendide chérie ? Comment ?
Comment pourrais-je jamais ?
J’aimerais pouvoir tout partager avec elle mais je doutais d’en être un jour
capable.
14
24 décembre, à Londres
— Magnifique, intelligente, sexy, et fine cuisinière.
Je m’approchai derrière elle et me collai à son corps pendant qu’elle
s’affairait sur le plan de travail.
— Je vois des sucreries partout, ajoutai-je en chipant un biscuit en forme
d’oiseau que j’engloutis goulûment. Des friandises… et toi !
Sur ces mots, je plaquai les mains sur ses fesses en savourant le beurre qui
fondait dans ma bouche.
— Voleur, m’accusa-t-elle.
— Cela ne t’empêche pas de m’aimer, dis-je, le nez enfoui dans son cou.
— Oui, c’est vrai. D’ailleurs, la première chose que tu m’aies volée, c’était
mon cœur. Et je refuse de le récupérer, ajouta-t-elle en se retournant pour
réclamer un doux baiser.
— Tant mieux, parce qu’il est à moi et que j’ai l’intention de le garder,
murmurai-je avant de glisser ma langue sur ses lèvres.
— Et tu me dis de si jolies choses.
— Elles sont vraies, précisai-je en la tournant vers moi, mes mains nouées
dans son dos. Tu es sublime. (Je l’embrassai.) Très intelligente. (Je fis courir
ma bouche le long de sa gorge.) Tellement sexy que j’en bouillonne.
(J’explorai son décolleté de plus en plus généreux.) Et une véritable reine des
fourneaux.
En frottant mon entrecuisse contre elle, je lui fis comprendre à quel point
j’appréciais ses nombreux talents.

— Aujourd’hui, ça fait pile un an qu’on s’est croisés à l’animalerie. On


était loin de se douter que la vie nous mènerait jusqu’ici, ensemble, observai-je
rêveusement tout en promenant mes doigts sur le bras d’Ethan tandis qu’on
admirait les lumières de la ville par la fenêtre, tous les deux allongés sur le
canapé. Tu t’en souviens ?
— Bien sûr. Je m’en souviens clairement depuis qu’on a réalisé ce hasard.
Désormais, j’y pense à chaque fois que je regarde Simba, dit-il d’une voix
suave en caressant tendrement mon ventre et toutes les parties de mon corps
auxquelles il avait facilement accès. Et tu as trouvé le cadeau d’anniversaire
parfait. Je suis sûr que Simba partage cet avis.
— Je suis contente qu’elle te plaise, mon chéri. Ce n’est pas facile de te
trouver un cadeau. Mais je suis sûre que Dory sera la compagne idéale pour
Simba. Il a besoin qu’une femme le remette dans le droit chemin.
Ethan pouffa.
— Comme moi.
— C’est vrai, mais bon, je ne t’arrive pas à la cheville après ce que tu m’as
offert pour mon anniversaire. J’ai droit à une voiture de luxe, et toi, à un
poisson.
— Mais je l’adore, mon poisson, s’indigna-t-il. Une petite chose ondulante,
c’est tout ce dont je rêvais pour mon anniversaire.

Sa plaisanterie me fit sourire. J’étais encore surprise que mon homme si


sérieux sache m’amuser si facilement. Malgré son passé houleux, Ethan n’avait
jamais perdu son sens de l’humour. J’aimais ce don qu’il avait autant pour me
faire rire que pour attiser mon désir. Il était unique.
— Finalement, quand on y pense, c’est un peu aussi l’anniversaire de notre
rencontre, aujourd’hui, fis-je remarquer.
— Oui, déjà un an, soupira-t-il dans mon cou. Je ne t’avais pas vraiment
regardée, mais je me souviens de ton écharpe et de ton bonnet violets, et de ta
fascination pour toute cette neige qui tombait le soir de Noël.
Nous étions au cœur de l’hiver, et pourtant nus sur le canapé, sans un seul
souffle de vent frais pour venir gâcher la douceur de l’air. Visiblement, il n’y
avait pas de meilleur remède contre le froid qu’une séance de sexe torride et
une bouillotte géante – en l’occurrence mon mari – plaquée contre mon dos.
— Pour ma décharge, la rue couverte de blanc était magnifique.
Comprends-moi, pour une fille de la Californie, la neige le soir de Noël relève
du miracle.
— Maintenant que tu habites ici, on ne sait jamais, tu pourrais fêter
d’autres réveillons sous la neige, dit Ethan d’un ton songeur en frôlant ma
nuque du bout des lèvres.
J’en eus des frissons.
— C’est possible… Tiens, je me souviens que, ce jour-là, j’étais jalouse de
la chanceuse qui pouvait respirer ton parfum tous les jours. C’est drôle, moi
non plus je ne t’ai pas vraiment regardé. Sinon, je t’aurais reconnu le soir du
vernissage de Benny.
Ethan ne s’arrêtait plus de m’embrasser le cou, puis le creux de l’épaule.
— Le vernissage de Benny, répéta-t-il. La plus belle soirée de ma vie.
— Pas pour moi, affirmai-je en me pelotonnant tout contre lui. La plus
belle soirée de ma vie, je crois que c’est ce soir.
— Mmmh… Ça ne te dérange pas qu’on ne sorte pas en ville pour célébrer
ce jour particulier ?
— Non, pas du tout. Au contraire, profitons du calme avant de faire la fête
toute la journée demain chez ton père.
— J’aurais préféré fêter Noël à Stonewell Court, admit-il en passant le
bras autour de moi pour saisir l’un de mes seins qu’il soupesa et dont il taquina
paresseusement la pointe. Quoique, tout bien réfléchi, on n’aurait pas pu faire
là-bas ce qu’on vient de faire ici.
Une logique implacable, m’amusai-je.
— C’est vrai, on n’aurait pas eu la place de baiser à notre aise au milieu
des pots de peinture et des outils.
Nous avions envisagé de passer les fêtes dans notre maison de campagne,
mais les travaux qui s’y déroulaient nous avaient vite convaincus de rester à
Londres. Ici, en dehors de la simple reconversion d’une chambre d’amis en
celle de bébé, c’était plus calme.
— J’aurais toujours trouvé un moyen de te sauter dessus, même au milieu
des travaux.
Accompagnant le geste à la parole, il pressa son sexe dur et brûlant contre
mes fesses.
Ethan ne se satisfaisait jamais d’un seul round et je ne m’en plaignais pas.
Pourvu que son désir ne se tarisse jamais. Parce que moi, je ne pouvais plus
m’en passer.

— J’ai envie d’entrer par là, grogna-t-il en pressant ses deux doigts à
l’issue de ma croupe.
J’en eus aussitôt des soubresauts, il avait mis le feu à mes zones érogènes.
— Oui… d’accord.
Deux mots, et je cessai de parler.
Aucune parole ne pourrait plus sortir de ma bouche tant que je serais dans
cet état d’anticipation et d’excitation sexuelles. Je n’avais jamais peur de ce
qu’il pourrait me faire. Quoi que ce soit, c’était forcément un instant
extraordinaire avec Ethan.
— Tu me coupes le souffle, ronronna-t-il derrière moi tout en préparant le
terrain.
J’étais consciente qu’il profitait du spectacle : moi à genoux, penchée en
avant. Armé d’une noisette de lubrifiant, il prépara davantage mon entrée. Bien
sûr, il était délicieusement épais et large, mais je n’étais pas contre l’idée
d’enduire le passage.
Il saisit mes fesses à pleines mains pour les écarter.
Je compris ce qui m’attendait une seconde avant de la sentir. Sa langue
magique.
Cet acte préliminaire me porta dans un état second, et quand je fus prise de
vertige, il cessa ses coups de langue pour retrouver sa position derrière moi.
— Je te jure, ma belle. J’en ai le souffle coupé à…
Son extrémité étira les parois de mon anus.
— … tous…
Il enfonça son gland.
— … les…
Je le sentais énorme, imposant, il forçait le passage avec le besoin viscéral
de me pénétrer et, intérieurement, je le suppliais de le faire.
— … COUPS ! hurla-t-il à l’instant où sa verge s’enfonçait en moi jusqu’à
la garde, frappant mon sexe de ses bourses.
— Oh ! haletai-je à cette délicieuse invasion.
Son membre dur profondément en moi, je me laissai aller à cette sensation
qui frôlait la douleur sans jamais vraiment l’atteindre. À peine eus-je le temps
de trouver mon équilibre qu’il se mit à aller et venir à une cadence lancinante.
Je commençais à trembler comme une feuille, je chavirais, j’arrivais à peine à
respirer.
— Prête, ma belle ? gronda-t-il à mon oreille, frottant sa barbe de trois
jours à mon épaule pour se stabiliser en attendant ma réponse.
Il guettait mon feu vert, ce moment où je le laissais me prendre, où
j’acceptais la domination physique qu’il m’imposait.
Cette approbation, je la lui donnerais toujours. J’en avais terriblement
envie.
— Ouiiiiiii !
La tête en arrière, je savourai cet instant sans un mot de plus, uniquement
focalisée sur le contrôle de mes sens avant le moment de lâcher prise.
— Oh, putain, ouais !
Empoignant fermement mes cheveux, il adopta le rythme, me pénétrant de
cette chair masculine et maîtrisée.
— C’est tellement bon, murmura-t-il encore, poussant des grognements à
chaque coup de boutoir qui me transportait toujours plus loin dans un rodéo de
sensations follement érotiques. Tu es sublime, et sexy à tomber, putain.
J’adorais comment il manœuvrait mon corps avec sa queue. Il me
possédait absolument, de tous les côtés.
Dans sa voix, j’entendis autre chose encore que le désir, une sorte de
désespoir, un besoin incontrôlable de fondre nos corps pour ne faire plus
qu’un, au point de ne plus savoir où finissait l’un et où commençait l’autre. Sa
queue, ses doigts, sa langue, son souffle, son sperme, tout de lui voulait se
confondre en moi.
C’est ainsi qu’Ethan me poussa jusqu’à l’orgasme et me soutins d’une
main comme j’étais pulvérisée de plaisir. Il se donna plus encore dans l’acte,
son membre gonflé au point d’être dur comme la pierre juste avant
l’explosion. Au moment d’éjaculer, il hurla des mots d’amour, d’adoration,
d’adulation, pour moi… moi seule, en m’emplissant totalement.
3 janvier, à Londres
L’instant maquillage me fascinait. Je n’arrivais pas à décrocher mon
regard de Brynne. Pourvu qu’elle ne me remarque pas, je ne voulais pas la
gêner. Je savais qu’elle s’inquiétait un peu ces derniers temps, car son corps
avait beaucoup changé avec la grossesse. Mais moi, je la trouvais toujours
aussi belle. Notre myrtille avait grandi avec elle pour devenir une petite
personne de trente-deux semaines qui donnait des coups de poing à tout-va
pour le plus grand plaisir de son papa.
— Dépêche-toi de te préparer, on va être en retard. Tante Marie n’aime pas
attendre…
Elle ne termina pas sa phrase, trop concentrée par son reflet dans le miroir
pendant qu’elle appliquait une sorte d’ombre autour de ses yeux. Sa petite tenue
noire me faisait loucher. Il faut dire qu’elle n’avait pas fini de s’habiller.
Je compris qu’il fallait que je me reprenne ou nous n’arriverions jamais à
temps pour le repas d’anniversaire de mon père. Pour me calmer, je redirigeai
mes pensées vers le travail. C’était diablement efficace. Il me suffit de songer à
ma mission auprès du jeune prince Christian de Lauenbourg, lors de la
Compétition européenne des sports extrêmes, pour me refroidir aussitôt. Je
partais dans deux jours, et je n’avais aucune envie de laisser Brynne toute
seule.
Putain de boulot.
— Mais moi, je préfère te regarder, insistai-je.
Elle poussa un charmant soupir.
— Avec mes fesses qui grossissent à vue d’œil pour entrer en concurrence
avec mon bide, tu parles d’un spectacle. En bout de course, moi je veux juste le
bébé, pas les kilos.
Son regard croisa le mien dans la glace. Que se passait-il dans cette jolie
tête ? Ma femme nourrissait le mystère. Ça ne me déplaisait pas. Au contraire,
ça me donnait encore plus envie de la comprendre, d’en découvrir davantage
sur elle. Depuis le début, elle me rendait toujours aussi curieux et je n’avais
aucun doute que cela ne changerait jamais.
— Ton cul est parfait. Et les poignées d’amour portent bien leur nom, tu ne
m’entendras jamais m’en plaindre, la rassurai-je avec un clin d’œil, puis je
m’approchai derrière elle et posai les mains sur son ventre. De derrière, on ne
dirait même pas que tu es enceinte. Il faut que je mette les mains là pour me
convaincre qu’il y a un truc là-dedans.
Du bout des doigts, je tâtai la surface dure de ce cocon où se renforçait
notre enfant. Brynne s’appuya contre moi.
— Ça, pour y avoir un truc, il y en a un. C’est toi qui l’y as mis, d’ailleurs.
— Une étape qui m’a beaucoup plu, ricanai-je.
— Oui, je me souviens, fit-elle sèchement.
— Ne prends pas cet air blasé, toi aussi tu as pris ton pied, rétorquai-je, et
je saisis ses seins à pleines paumes en les soupesant. Quant à ces deux-là, ils
ont « énormément » changé, et pour mon plus grand plaisir.
— J’avais remarqué.
Les yeux fermés, elle étira son cou en se laissant malaxer selon mon bon
vouloir, toujours prête à s’offrir à mes envies les plus libertines.
— Mmmh, vous êtes divine, madame Blackstone. Et vous le serez toujours.
— J’adore quand tu m’appelles madame Blackstone. Je te l’ai déjà dit ?
s’enquit-elle en braquant sur moi ses si jolis yeux.
— Oui, quelques fois. Je suis ravi que votre nouveau nom vous plaise,
affirmai-je, échangeant un sourire avec son reflet dans la glace. Moi aussi,
j’aime t’appeler comme ça. Je suis content que mon nom soit devenu le tien. Il
y a un tas de choses qui me plaisent aujourd’hui.
Sans quitter le miroir du regard, elle leva une main pour toucher ma joue.
— Pour toi aussi, ça va changer. La personne qui ne va pas tarder à nous
rejoindre t’appellera par un tout nouveau nom.
— Papa.
— Oui. Tu vas être papa, sourit-elle avec une pointe de tristesse, sans doute
à l’idée que son père à elle n’était plus parmi nous. Et tu seras le meilleur papa
du monde.
Sa générosité m’époustouflait. Malgré son deuil et son chagrin, elle était
prête à donner tout son amour. Ma belle courageuse. J’embrassai son épaule
avant d’y poser mon menton, admirant son visage dans la glace.
— J’aime entendre ce nom. Papa. Je suis un papa, et toi une maman.
— Oui.
Je reposai les mains sur son ventre.
— J’aime notre ananas.
Je la retournai dans mes bras pour encadrer son visage.
— Et je t’aime, madame Blackstone.
— Et moi, je t’aime encore plus.
15
4 janvier, à Londres
L’association caritative qu’avait soutenue mon père de son vivant envoyait
un message dès qu’un don était effectué à son nom. Cette fois-ci, le chiffre qui
me fut communiqué me fit loucher. Je vérifiai… oui, il y avait bien six zéros.
Le deuxième électrochoc fut provoqué par le message qui accompagnait ce
don en commentaire :
Je t’en supplie, Brynne, laisse-moi m’expliquer.
Lance.
Je n’en croyais pas mes yeux. C’était lui ? Il avait dépensé une somme
faramineuse au nom de mon père pour la bourse au mérite de l’université ? Il
aidait les plus démunis à avoir accès aux études supérieures ?
Mais pourquoi ?
Je n’arrivais pas à comprendre ce qui pouvait le motiver, mais il fallait que
je sache. M’emparant de mon sac à main, je fouillai les poches latérales
jusqu’à retrouver sa carte de visite. Au verso, il était bel et bien écrit à l’encre
bleue :
Je t’en supplie, Brynne, laisse-moi m’expliquer.
Les mains tremblantes, j’envoyai un texto à Lance. J’avais le cœur lancé à
cent à l’heure, j’étais effrayée de ce qu’il allait me dire mais je ne pouvais plus
reculer, je devais savoir.
Ethan était au bureau, occupé par l’organisation de son départ en Suisse
prévu pour le lendemain. Je ne lui avais toujours rien dit au sujet de ce que
Lance m’avait glissé à l’oreille sur son lit d’hôpital, ni de notre rencontre le
jour de ma dernière échographie. Plus le temps passait, et moins j’avais envie
d’en parler. À quoi bon de toute façon ? J’avais déjà trop à faire au quotidien,
je n’allais pas en plus me tracasser avec ce merdier qui avait eu lieu des années
plus tôt.
Je ne dis rien à Ethan, même si, au fond, je sentais que j’aurais dû le
prévenir. Mais il n’aimerait pas savoir que je m’apprêtais à rencontrer Lance.
Il risquait de piquer une telle crise de jalousie qu’il rendrait toute rencontre
impossible et sa présence n’arrangerait rien. Non, il fallait que je voie Lance
seule. C’était mon histoire. Mon passé. J’étais la seule à pouvoir affronter mes
démons une fois pour toutes.
Je laissai donc simplement un mot sur le comptoir de la cuisine. Si jamais
il rentrait avant moi, il serait prévenu que j’étais sortie me promener.

Comme j’avais besoin de me dégourdir les jambes, je me rendis à pied au


Hot Java, le café qui faisait l’angle, juste en bas de la rue.
Lance était déjà arrivé, il m’attendait à une table pour deux, près de la
fenêtre. Depuis notre dernière entrevue, il n’avait pas changé. Il était toujours
aussi différent du garçon que j’avais connu, dans une autre vie. En même
temps, de l’eau avait coulé sous les ponts. Il était à présent une figure du monde
politique, tatoué, héros de guerre et fils du nouveau vice-président. Il n’était
pas seul. Un agent des services secrets l’accompagnait, sans doute pour le
protéger en ces temps de menace terroriste. Pour quelqu’un de son envergure,
le risque était réel.
Assis en face de moi, il paraissait si pitoyable que je me demandai s’il
souffrait encore de sa blessure.
— Je rentre bientôt aux États-Unis pour la cérémonie d’investiture,
m’expliqua-t-il en posant un doigt tatoué sur sa jambe. Londres va me
manquer. Ici, on peut plus facilement se fondre dans la masse.
Tout juste.
— Pourquoi avoir fait une telle donation au nom de mon père ? Est-ce que
tu le fais vraiment pour la bonne cause, Lance ?
Tout en parlant, je créais un tourbillon dans ma tasse à force d’y remuer
mon sachet de thé à la framboise. J’avais beau retourner la situation dans tous
les sens, je ne voyais pas quel intérêt il avait à dépenser une telle somme
d’argent pour cette œuvre caritative. Il ne restait qu’une explication,
impensable celle-là : Lance était sincèrement désolé. Ben voyons ! Putain !
Il regarda par la fenêtre, fixant les embouteillages et le monde qui se
pressait sur le trottoir, bravant le froid hivernal pour vaquer à ses affaires.
— Merci d’avoir accepté de me voir, Brynne. Cette rencontre me tient à
cœur depuis très longtemps… mais j’ai longtemps craint de franchir le pas, tu
sais.
Il tourna la tête vers moi en finissant sa phrase.
— Tu disais… hum. Tu disais vouloir m’expliquer ce qui s’est réellement
passé le soir de la fête.
Mon cœur battait à tout rompre.
— Oui.
Lance remua sur son siège cherchant une contenance pour ce qu’il avait à
dire.
— Mais d’abord, je tiens à m’excuser du fond du cœur pour la façon dont
je t’ai traitée. Pour le mal terrible que je t’ai fait. C’était extrêmement grave, je
ne me cherche pas d’excuses. Il ne me reste que des regrets.
Dans son regard, je crus lire de la nostalgie – mais je n’étais sûre de rien.
Un sentiment de nostalgie envers moi ? Quant à ce qu’on serait devenus sans
cette histoire ?
— Voilà, je voulais que tu le saches avant de te dire le reste.
Une étrange sensation me frappa, comme une fissure qui s’étend sur un lac
gelé. J’étais incapable de parler, alors je me contentai d’un hochement de tête
lui faisant savoir que j’acceptais ses excuses.
— Brynne, est-ce que tu as vu la vidéo ?
J’opinai encore, les yeux braqués sur ma tasse de thé à la framboise.
— Une seule fois. Plus n’était pas possible…
Des images défilaient à toute allure dans mon esprit. Les autres types, mon
corps souillé, leur rire sonore, les paroles de la chanson, les objets dont ils
forçaient le passage en moi, la manière dont ils me parlaient, comme à une
pute qui aurait pris son pied à se faire ainsi torturer.
— Je suis désolé… Je ne pensais pas que ça irait si loin, murmura Lance.
— Alors pourquoi avoir tout filmé ? rétorquai-je en relevant brusquement
la tête. As-tu conscience de l’impact que cette vidéo a eu sur moi ? Comment
elle a changé ma vie ? J’ai tenté de me suicider, Lance ! Est-ce que tu en as
conscience ?
Paupières closes, il fit la grimace.
— Oui. Brynne, si je pouvais revenir en arrière et tout effacer, je… Je suis
tellement désolé.
Je l’observai en silence. Cette scène était irréelle. Toutes ces années, je
m’étais efforcée de donner un sens à cette zone obscure de mon passé : il
s’agissait d’un acte criminel perpétré par des traîtres sans pitié, sans remords,
dépourvus de toute humanité. Et voilà que Lance se ratatinait devant moi,
confondu en excuses. Il n’avait rien d’un criminel. Dans ma tête, c’était la
confusion la plus totale.
— Dans ce cas, explique-moi ce que tu avais vraiment prévu ce soir-là,
Lance. Puisque tu es résolu à « m’expliquer », je vais essayer de t’écouter.
— Merci, murmura-t-il.
Il tapotait la table d’un rythme soutenu. Sa main droite était couverte de
tatouages, les os d’un squelette entremêlés de toiles d’araignée qui
s’insinuaient entre les phalanges.
Papa Oakley ne devait pas se réjouir de cette encre gothique sur le corps de
son fiston.
Après un silence, il reprit la parole :
— J’ai été un vrai salaud avec toi. J’en suis conscient, je ne cherche pas à
me justifier, mais une fois à Stanford pour mes études, quand j’ai appris que tu
voyais d’autres types, ça m’a rendu fou de jalousie. Je voulais te punir parce
que mon cerveau de détraqué fonctionnait comme ça à l’époque.
Il marqua une pause en tripotant le bord de sa tasse avec son pouce.
— Le soir de la fête, je t’ai fait boire dans l’idée de nous filmer pendant
qu’on baisait pour ensuite t’envoyer la vidéo et te rappeler que tu étais ma
petite amie et que personne d’autre n’avait le droit de profiter que je sois loin
pour toucher à ce qui m’appartenait. (Il se racla la gorge.) Voilà ce que j’avais
prévu pour la vidéo, Brynne. Je ne l’aurais jamais mise en ligne ni montrée à
qui que ce soit. C’était seulement pour toi. Pour que tu te souviennes… de moi.
— Et les autres ? Justin Fielding et Éric Montrose, ils étaient là aussi.
Comme je n’arrivais pas à le regarder en face, je me contentai de tourner
la tête vers la fenêtre où les passants se bousculaient sous la pluie.
Mais je l’écoutais.
— Oui, fit-il tristement. Je t’ai fait boire, mais j’étais complètement saoul,
moi aussi. Si bien que j’ai perdu connaissance après avoir… terminé. Les deux
autres étaient venus passer le week-end chez moi et je leur avais parlé d’une
bonne leçon que je comptais donner à ma petite amie. Je leur ai parlé de la
sextape. Comme un crétin. J’étais tellement arrogant que je n’ai même pas
pensé qu’ils pourraient vouloir s’en mêler. Sur la vidéo, on voit clairement
qu’une fois que j’ai baisé… une fois que j’ai eu fini, je disparais du champ. La
vidéo se coupe, puis on voit Fielding et Montrose… et toi. Tu peux me croire,
je l’ai regardée en boucle. J’étais sous le choc.
Je détournai mon attention de la fenêtre pour la reporter sur lui. Il me
regardait droit dans les yeux sans chercher à cacher… sa honte et son remords.
— Brynne, je n’ai jamais voulu…
Je savais que Lance disait la vérité.
— Ils nous ont regardés faire, puis quand je suis tombé dans un coma
éthylique, ils ont pris le relais. Je ne me souviens même pas de t’avoir laissée
dans cette salle de billard, Brynne. Le lendemain, je me suis réveillé sur la
banquette arrière de ma voiture. La vidéo était déjà en ligne, c’était trop tard.
Les gens ont passé le week-end à la faire tourner, et la musique qu’ils ont mise
en fond sonore…
Il baissa la tête, la secoua lentement. J’essayai de me remémorer
l’enchaînement des scènes dans la vidéo, mais cet unique visionnage m’avait
tellement traumatisée que je ne me souvenais plus vraiment de l’implication de
Lance. Il était furieux que je fréquente Karl, ça, je m’en souvenais. Mais à dix-
sept ans et avec une réputation de traînée, je manquais de perspicacité quant à
mes fréquentations et mes actes. J’avais appris ma leçon au prix fort. Il
n’empêche que ce nouvel éclairage que m’apportait Lance changeait la donne.
— Alors tu ne l’as pas fait parce que tu me haïssais ?
La question à laquelle je cherchais une réponse depuis toutes ces années.
Car cela n’avait jamais eu de sens. Notre relation n’était pas toute rose, mais de
là à me haïr à ce point ? Je n’avais jamais ressenti ça de la part de Lance avant
ce soir-là. Pendant sept ans, j’avais souffert de ne pas comprendre.
— Non, Brynne. Je ne t’ai jamais haïe. Jamais. Je pensais même qu’on
finirait par se marier un jour.
Il clignait de ses grands yeux sombres, profondément tristes et désolés à la
fois. Que répondre ? Les mots me manquaient. Je restai donc plantée là, à
l’observer en silence.
Lance tendit lentement la main comme pour effleurer mes doigts, mais se
ravisa au dernier moment et la laissa posée là, tout près de la mienne. Mal à
l’aise, je m’emparai de ma tasse à pleines mains.
— J’ai essayé de te joindre mais ton père et le mien m’ont barré la route.
Mon père m’a clairement dit qu’il préférait me voir mourir que de me laisser
sabrer sa carrière politique. En deux jours, il m’a désinscrit de Stanford et m’a
fait engager par l’armée. On m’a expédié à Fort Benning pour l’entraînement
de base sans me demander mon avis. Je n’ai jamais pu te joindre pour
m’excuser, ni m’assurer que tu allais bien. (Il tourna sa paume vers le ciel
comme pour questionner.) Et maintenant, les ambitions politiques de mon père
m’emportent dans cette spirale sans fin dont je ne peux plus me sortir.
Maintenant qu’il est à la Maison Blanche, je suis définitivement coincé…
Il ne finit pas sa phrase, envahi par la tristesse.
Ouaouh. Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais imaginé un
dénouement pareil. Comme je ne savais pas que lui dire ni quoi lui répondre,
nous sommes restés silencieux. Lance n’avait aucune idée des conséquences
qui avaient découlé de cette vidéo. Les morts suspectes de Montrose et
Fielding, le chantage de Karl, le meurtre de mon père… Il ne savait rien de tout
ça. Et il ne l’apprendrait pas par moi. Ce qui est fait est fait. À présent, il était
temps de tirer un trait sur tout ça pour aller de l’avant. Plus rien ne pourrait me
rendre mon père.
Je posai les mains sur mon ventre en quête de réconfort de la part de cette
petite chose pure et innocente. Toutes ces horreurs qui avaient ponctué mes
vingt-cinq années d’existence étaient derrière moi. Désormais, l’avenir ne
pouvait me réserver que du beau et du calme. Comme un message tombé du
ciel, je fus gratifiée d’un petit coup de pied dans les côtes comme pour me
dire : « Je suis toujours là et je sais que tu es ma maman. » Oui, mon ange
papillon adoré, c’est moi ta maman.
— Si ta vie a basculé ce soir-là… sache que la mienne aussi, finis-je par
murmurer.
— Oui. Mais tout ça, c’est à cause de moi et de mes choix.

Nous nous sommes dit adieu sur le trottoir, au milieu d’une foule de
journalistes, de gardes du corps et de chauffeurs. J’en avais le vertige. Je
devais me dépêcher de rentrer à l’appartement afin de préparer le dîner pour
Ethan. Demain, il se lèverait tôt pour partir en Suisse une semaine.
Cet échange avec Lance me laissait un goût étrange, mais bon, je me
sentais plus légère. J’avais toujours honte de mon comportement de l’époque
qui m’avait menée sur cette table de billard sept ans plus tôt, mais désormais, la
fille que j’étais me répugnait moins. C’était comme une libération, un nouveau
sentiment qui, je l’espérais, ne me quitterait plus jamais.
— Merci, Lance.
Il me lança un drôle de regard.
— Pourquoi tu me remercies ?
— Parce que tu m’as donné ta version des faits. Quelque part, ça m’aide…
à me libérer.
Ma main posée sur le sommet de mon ventre, je ne sus trouver les mots
pour décrire un sentiment si intime, mais dans mon cœur c’était limpide.
— Je vais bientôt être mère, repris-je. Je veux que mon enfant ait une
maman capable de garder la tête haute. Une maman convaincue qu’elle n’a rien
fait de mal, qu’elle est quelqu’un de bien, et qu’elle a simplement fait une bêtise
parmi une longue liste d’autres bêtises.
— Tu es quelqu’un de bien, Brynne. On fait tous des bêtises,
malheureusement. Et, parfois, une tragédie s’abat sur nous sans qu’il y ait de
rapport avec les bêtises qu’on a pu commettre.
Lance baissa les yeux sur sa prothèse.
— Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ?
— Je vais rentrer chez moi et réfléchir à quoi je vais bien pouvoir
m’occuper maintenant que j’en ai fini avec l’armée. Je vais apprendre à vivre
avec une seule jambe. Pourquoi ne pas reprendre mes études et décrocher enfin
mon diplôme de droit ? Je ne sais pas.
— Bonne idée, fais-le si c’est ce que tu veux, lui dis-je en souriant. Les
profs guindés de la fac de Stanford vont raffoler de tes tatouages.
Il eut un rire.
— Ouais, autant que les politicards. Mais il faut les bousculer un peu, ça ne
leur fait pas de mal.
Son chauffeur lui ouvrit la portière, signe qu’il était temps d’y aller.
— Je crois qu’on t’attend, fis-je remarquer en désignant la voiture.
— Ouais, marmonna Lance avec un regard qui me disait qu’il n’avait pas
terminé. Hum, Brynne ?
— Oui, Lance ?
— Ça m’a fait du bien de vider mon sac. Plus que tu ne peux l’imaginer. Tu
aurais dû connaître la vérité il y a bien longtemps. Merci encore d’avoir
accepté de me voir.
Marquant une pause, il respira profondément comme pour reprendre
courage.
— Tu es plus belle aujourd’hui que tu ne l’étais à dix-sept ans. Et je suis
heureux de t’avoir vue enceinte. Tu feras une mère exceptionnelle. Rappelle-toi
que tu es belle, malgré l’image qu’on peut parfois se faire de nous-même. Moi,
je me souviendrai toujours de celle que tu es aujourd’hui.
Il termina sur un sourire, mais je voyais bien que ses aveux l’avaient
retourné. Cette conversation avait été lourde en émotions autant pour lui que
pour moi. À présent, il était temps de se dire adieu.
Je ne savais quoi répondre, mais venant de lui, ces compliments m’allaient
droit au cœur.
— Prends soin de toi, Lance, déclarai-je en lui tendant la main. J’espère
qu’à partir d’aujourd’hui tu pourras enfin réaliser tes rêves.
Lance accepta ma poignée de main, et m’attira brièvement contre lui pour
un semblant d’étreinte, joue contre joue. Et puis, il monta dans sa limousine et
referma la portière, disparaissant derrière les vitres teintées.
Et en un instant, Lance Oakley avait disparu.

La bruine avait quelque chose de réconfortant sur le chemin du retour. Elle


me rappelait les premiers jours de mon arrivée à Londres, quand j’avais
encore du mal à m’acclimater. Au début, le soleil californien me manquait.
Mais à mesure que je me fondais dans ce nouvel environnement et
m’immergeais dans mes études et toutes les nouvelles influences culturelles,
j’avais appris à aimer la pluie londonienne. C’est pourquoi les gouttes qui
tombaient sur mon écharpe et mon bonnet violets ne m’agaçaient pas. Au
contraire, la pluie était un moyen de se nettoyer de tout.
Je pressai le pas pour arriver à la maison avant qu’Ethan ne remarque mon
absence, histoire de m’épargner un interrogatoire. Je n’étais pas prête à lui
parler de Lance. Je connaissais enfin la vérité sur ce qui m’était arrivé sept ans
plus tôt, mais c’était encore trop tôt pour partager cette révélation, même avec
Ethan. Il devait me faire confiance, j’avais besoin de gérer ce chamboulement à
ma façon. Pour notre bien à tous les deux. Maintenant qu’il était lui aussi suivi
par un psy, il pouvait comprendre. Ce n’est pas aider une personne traumatisée
que de la forcer à revivre son traumatisme. Parfois, ça ne fait qu’empirer les
choses.
Je poussai la lourde porte en verre de notre immeuble et saluai Claude
avant de me diriger vers l’ascenseur. J’appuyai sur le bouton et attendis. La
bruine et la marche m’avaient fait un peu transpirer. En retirant mon bonnet, je
sentis que mes cheveux avaient pris une drôle de forme. Pourvu que je ne
croise personne jusqu’à l’appartement, histoire de leur épargner mon allure
débraillée.
Les portes de la cabine s’ouvrirent sur une grande blonde que j’avais déjà
vue quelque part. Sarah Hastings tamponnait le coin de ses yeux avec un
mouchoir fleuri comme pour sécher des larmes. Son geste se figea quand elle
s’aperçut que je l’avais surprise.
— Oh, Brynne, bonjour. Je suis Sarah, nous nous sommes croisées au
mariage de Neil.
— Oui bien entendu, je me souviens. Comment allez-vous ?
La véritable question qui me brûlait les lèvres, c’était : « Que venez-vous
faire dans mon immeuble ? Vous étiez chez moi ? Avec Ethan ? »
J’avais de bonnes raisons de me méfier de Sarah. D’une part, Ethan
m’avait agacé en utilisant le portable de cette femme pour m’envoyer un texto.
D’autre part, le même jour, elle l’avait ensuite appelé tard le soir. Mon radar à
méfiance s’était emballé. Et maintenant, elle venait le voir chez nous ? J’avais
la désagréable sensation qu’elle se servait de lui… ou pire encore. Ça ne me
plaisait pas du tout. Sans compter qu’il était difficile pour Ethan de revoir cette
femme. Ce qui était arrivé à Mike lorsqu’ils étaient prisonniers de guerre,
Ethan ne s’en était jamais remis. On l’avait forcé à regarder Mike se faire tuer,
une véritable torture psychologique. À chaque fois que Sarah l’appelait, elle
forçait Ethan à revivre cet épisode atroce de sa vie, à le partager ou je ne sais
quoi d’autre.
Le regard de Sarah se promena sur moi, sur mon ventre rond, et à mon
grand agacement, sur mes cheveux en bataille et ma peau humide. Je devais
être épouvantable.
— J’allais partir. Ça va, merci.
Tandis qu’elle baissait les yeux, je voyais bien qu’ils étaient rouges et
enflés. Elle avait pleuré, ça ne faisait aucun doute.
— Vous êtes sûre ? On dirait que ça ne va pas.
— Pour tout vous dire, j’étais avec votre mari. J’avais… besoin de lui
donner quelque chose.
— Puis-je me permettre de vous demander ce que c’est ? dis-je sans détour.
— Je crois que ce n’est pas à moi de vous le dire, Brynne, mais à Ethan.
À croire qu’elle souffrait physiquement d’avoir à me parler. Sarah
Hastings me reprochait quelque chose, allez savoir quoi. Si j’allais plus loin, je
pouvais même penser qu’elle s’en voulait pour ça. Peut-être enviait-elle ma vie
avec Ethan alors qu’il ne lui restait de Mike que des souvenirs.
C’était pile ce que je craignais. Je n’avais pas envie de ressentir cette
jalousie et cette impuissance. Comme je ne savais pas quoi lui dire, je me
contentai d’un hochement de tête avant d’entrer dans l’ascenseur. Quand les
portes se refermèrent, Sarah tournait déjà les talons.
En arrivant chez nous, je pensais qu’Ethan m’attendrait de pied ferme dans
l’entrée, mais non. C’était calme. Annabelle ne travaillait pas aujourd’hui,
Ethan savait que je prévoyais de cuisiner ce soir pour un dîner en tête à tête
avant son déplacement en Suisse.
Je rejoignis la chambre dans l’idée qu’il serait occupé à faire ses valises,
mais il n’était pas là non plus. De retour dans le salon, j’allai voir de l’autre
côté de l’appartement. C’est là que je sentis l’odeur de clou de girofle. La porte
de son bureau était fermée, mais je l’entrouvris sans frapper. La pièce était
plongée dans le noir avec uniquement deux sources de lumière : son aquarium
et le bout embrasé de sa Djarum Black.
— Tu es là.
Le temps de m’habituer à l’obscurité. Puis je distinguai ses traits dans le
noir. Il avait l’air morose, à fumer comme ça dans son bureau. Et puis, il
n’avait pas l’air heureux de me voir. Sinon, il aurait réagi.
— Tout va bien ? lui demandai-je en approchant au milieu de la pièce.
— Tu es rentrée, fit-il, perdu dans ses pensées.
Il ne bougeait pas de son siège, sa silhouette éclairée en contre-jour par
l’aquarium derrière lui, où nageaient tranquillement Simba et Dory parmi les
algues et le corail. Ethan ne répondait pas à ma question.
— Qu’est-ce que tu fais assis dans le noir ?
Allait-il me parler de la visite de Sarah ? Visiblement, ça l’avait choqué
parce qu’il fumait généralement après un cauchemar ou un violent flash-back.
Cette discussion avec Sarah semblait déclencher les mêmes réflexes de défense
chez lui. Mais d’habitude, il fumait uniquement sur le balcon. Alors le trouver
enfermé à griller des cigarettes dans son bureau me fit penser qu’il y avait un
problème. J’aurais voulu qu’il me raconte le contenu de cette conversation,
mais la dernière chose à faire, c’était de lui forcer la main. Je devais respecter
ma promesse. Mais en même temps, j’étais vexée qu’il aborde avec Sarah des
sujets dont il ne voulait pas parler avec moi. Elle pouvait l’aider et moi non,
c’est ça ? Je n’étais pas fière de ma réaction pseudo-jalouse. Le pire étant de ne
rien pouvoir dire à Ethan de ce que je ressentais. Ça ne ferait que rendre la
chose plus difficile pour lui. Il souffrait beaucoup, je ne voulais pas en
rajouter.
— Ta promenade s’est bien passée ? s’enquit-il en écrasant son mégot
avant de se lever de son fauteuil. Ne reste pas là à respirer cette merde.
— Alors pourquoi fumes-tu à l’intérieur ?
Il était si froid avec moi que ça me mettait mal à l’aise.
— Tu as raison, c’est ma faute.
Il marcha droit vers moi et me poussa vers le couloir avec sa main au
creux de mes reins. Pas de place pour la discussion. Sa poigne ferme en disait
long.
Une fois dans la cuisine, il s’écarta pour s’asseoir sur un tabouret au
comptoir. Souvent, c’était son coin pendant que je préparais le dîner. Soit il
travaillait sur son ordinateur, soit il me demandait de raconter ma journée.
Mais ce soir, il n’était pas d’humeur bavarde en reposant sèchement son
téléphone sur le comptoir de granit. Il leva les yeux vers moi, les mains
croisées. De toute évidence, il fulminait. Son beau regard bleu nuit lançait des
éclairs. Je déglutis.
— Ethan, qu’est-ce qui t’a mis dans cet état ?
Il leva le sourcil sans rien dire. Décidément, il ne répondait à aucune de
mes questions.
— Où est-ce que tu es allée te promener, ma belle ?
Ou s’il répondait, c’était par des questions.
— Au Hot Java, dis-je doucement avec le sentiment qu’il le savait déjà. Est-
ce que tu as quelque chose à me dire, Ethan ?
— Non, ma chérie. En revanche, je crois que toi, oui.
Il reprit son portable et tourna l’écran vers moi.
On y voyait une photo. Lance Oakley qui m’embrassait dans la rue.
16
9 janvier, en Suisse
Je compris vite que le jeune prince avait plus d’une corde à son arc. Sur les
pistes, il se débrouillait comme un chef, et avec la gent féminine, même chose.
Pas étonnant que son grand-père se fasse du mouron pour lui. En participant à
la compétition de sports extrêmes il risquait sa vie.
Une mort par excès de baise.
Une discipline à laquelle il se donnait à fond en ce moment même, juste de
l’autre côté du mur, où sa partenaire s’égosillait à m’en percer les tympans. Je
vivais un enfer, et pas seulement à cause de ce marathon du porno qu’on
tournait dans la chambre voisine. J’avais besoin de parler à Brynne, d’entendre
sa voix au bout du fil. C’était la seule chose qui m’aiderait à tenir les prochains
jours.
On s’était quittés sur une dispute qui avait pris des proportions
abominables au sujet de nos secrets respectifs. Dès que les photos d’elle et
Oakley avaient été twittées, j’avais immédiatement reçu une notification.
Évidemment, j’avais été choqué. Mais le pire, lorsqu’elle était rentrée, c’était
de comprendre qu’elle n’avait pas l’intention de m’en parler. Dans mon dos,
elle avait rencontré le type responsable de la pire tragédie de sa vie. Le type à
cause duquel elle avait failli se tuer – alors forcément, mon cerveau avait
vrillé.
J’étais perdu. Exactement ce que je ressens maintenant sans la femme que
j’aime.
Je remplis mon verre à ras bord de Van Gogh, ma boisson préférée pour
les coups durs, et bus une longue gorgée. Il me faudrait au moins ça si je
comptais trouver le sommeil entre deux « Oh, oui, oui ! Baise-moi ! ». S’il
continuait à ce rythme, Son Altesse Royale en ferait une crise cardiaque, et
avec un peu de chance, j’aurais la paix pour dormir. S’il vous plaît Seigneur, la
paix !
Brynne ne m’avait toujours rien dit de ce qui s’était passé avec Oakley, ni
pendant ni après notre dispute. Je ne savais toujours pas pourquoi elle avait
accepté de le voir. Je ne le saurais probablement jamais.
Tout ce qu’elle avait bien voulu me répéter encore et encore, c’était : « Je
ne peux rien te dire pour le moment, Ethan. Il va falloir te faire une raison,
jusqu’à ce que les choses changent pour moi. »
Quand j’avais insisté, elle s’était emportée en vociférant des accusations
sur Sarah et nos « rendez-vous secrets », en racontant que je la tenais à l’écart
pour pouvoir voir Sarah. Est-ce que c’était vrai ? Il me semblait que non, mais
quand Brynne m’avait ensuite demandé ce que Sarah était venue faire chez
nous ce soir-là, je n’avais pu lui répondre. C’était trop tôt.
J’avais lu dans ses yeux qu’elle était profondément blessée, et elle avait dû
lire la même chose dans les miens. Nous n’avions encore jamais connu une
telle situation, à nous murer ainsi dans notre silence à cause de nos problèmes
respectifs et qui avaient fait de nous ce que nous étions devenus. C’était
merdique.
Je pense que si nous avions eu un peu plus de temps, les choses se seraient
décantées.
Mais non, dès le lendemain, il m’avait fallu partir pour cette mission de
merde et la laisser derrière moi, enceinte, triste et seule. Enfin, pas
complètement seule. Neil et Elaina gardaient un œil sur elle pour moi.
Quand je reviendrais, nous devrions nous pencher sérieusement sur nos
problèmes. C’est ce que j’avais juré à Brynne avant de partir, très tôt le
lendemain matin.
Les yeux rouges, gonflés et encore pleins de larmes, elle avait acquiescé.
Quand je l’avais embrassée une dernière fois, ses lèvres avaient épousé les
miennes et ses bras m’avaient serré contre elle. Je respirais son parfum fleuri.
Il n’y avait rien de pire que de m’éloigner d’elle, et pourtant, il fallait que je
parte, et cela me faisait un putain de mal de chien. J’avais l’espoir qu’on
surmonterait nos différences et qu’on finirait par balayer ces doutes qu’on
nourrissait chacun dans notre coin. De toute façon, pour moi, il n’y avait pas
d’autre option.
Brynne avait pris mon visage dans ses mains et m’avait chuchoté :
— Reviens-moi.
Elle ne parlait pas que d’un simple retour physique. J’avais bien compris le
message.
— Rien ne peut m’empêcher de revenir, Brynne. Je vous retrouverai
bientôt, toi et notre petit bébé, murmurai-je en me baissant contre son ventre.
Et j’en étais convaincu.

On tambourinait à ma porte, ce n’était pas le plus agréable des réveils.


D’ailleurs, si la personne qui s’acharnait sur cette porte n’apprenait pas très
vite les bonnes manières, mon poing dans sa putain de tronche serait sa
première leçon.
— Ethan ! Lève-toi, mon vieux ! On va faire du hors-piste !
J’entrouvris les yeux pour regarder mon réveil. 3 h 12. Je me levai du lit
en titubant pour ouvrir la porte à mon jeune protégé. En tenue de combat, il
avait le sourire jusqu’aux oreilles.
— Quoi, maintenant ? aboyai-je. T’es sérieux, Christian ?
J’aurais aimé que ce soit un rêve. Malheureusement, non.
Il éclata de rire.
— Ouais, dépêche-toi de t’habiller, mon vieux, il ne faut pas perdre de
temps. Si on part tout de suite, on peut arriver au sommet avant le jour. J’ai
besoin d’évacuer mon trop-plein d’énergie avant demain.
— Tu n’en as pas assez évacué hier soir ? Ou est-ce que j’ai rêvé le boucan
que tu faisais avec ta gonzesse ?
Ma question était sincère. Quand avait-il trouvé le temps de dormir, ce
gosse ? Il avait le monde à ses pieds : de l’argent, une belle gueule, un titre
royal et la célébrité. La vie lui souriait. Je ne pouvais pas le lui reprocher, mais
en même temps, il trouvait le moyen de me faire royalement chier.
— Oh, elle ? C’était juste une petite histoire pour m’endormir.
Quelle nonchalance. Il se balançait sur la pointe des pieds, pressé de partir.
Il n’avait certainement rien pris car il n’allait pas risquer d’être contrôlé positif
lors d’un test antidopage qui mettrait un terme à sa carrière de champion de
snowboard. Non, il était d’un naturel exubérant, voilà tout. Et puis, il n’avait
que dix-neuf ans, ça aide. Bordel, si mon gosse est aussi agité, je suis foutu. Je
préférais encore mourir tout de suite et dans le calme.
Je levai les yeux au ciel.
— Bon, laisse-moi une minute pour me préparer, tu veux bien ?
— Ouais, je t’attends.
Il était tout sourire, et pour la première fois de ma vie, je me sentis vieux.

Christian et ses quatre compères avaient choisi une pente à l’épais manteau
de poudreuse, non loin des pistes balisées, mais ça ne me donnait pas pour
autant un sentiment de sécurité. J’étais parfaitement conscient des risques.
Avant de partir, je leur avais demandé de préparer leur sac à dos avec la sonde,
la pelle, et le signal de détresse. J’avais observé comme beaucoup de gens
deviennent euphoriques en pratiquant le hors-piste et oublient le danger.
L’épaisseur de la neige pouvait varier d’un mètre à l’autre. J’avais vu des
skieurs dévaler des pistes en même temps qu’une avalanche, comme s’il n’y
avait rien de plus normal. Certains en étaient morts. Étrange mentalité.
— Rappelez-vous de diriger votre planche vers un arbre ou vers la crête
de la montagne dès que vous entendez un grondement derrière vous, leur
avais-je fait la morale à chacun. Et ne ralentissez sous aucun prétexte.
— Oui, papa, s’était moqué Christian, les yeux rieurs.
Je remarquai alors qu’ils avaient la même particularité que ceux de
Brynne. Ils changeaient de couleur selon la lumière et les vêtements qu’il
portait. Elle me manquait tellement fort.
— Je suis sérieux, les gars. On ne rigole plus quand il s’agit d’avalanche.

Leur troisième hors-piste ne m’inspirait rien qui vaille. Je les prévins.


Trop fraîche, la poudreuse ne tenait pas. Le risque était énorme.
Ces crétins ne voulurent rien savoir et se lancèrent comme des fous. Lukas
et Tobias étaient déjà loin avant que j’aie eu le temps de les retenir. Jakob et
Felix les suivirent de près.
— Lâche l’affaire, me dit Christian joyeusement. Si on ne le fait pas
maintenant, on ne le fera jamais.
Sur ce, il s’élança à son tour, laissant son blouson vert fluo disparaître de
mon champ de vision.
Mon choix était fait. Je devais le suivre.
Je ne suis pas sûr de qui l’avait provoqué, mais j’ai entendu le grondement
avant de voir le nuage.
Mauvais signe
Je coupai à travers un bosquet et m’accrochai au plus gros arbre que je
trouvai. Une vague de neige m’emporta au-delà du ravin. Je ne vis plus rien ni
personne, et ne pus que prier pour que les garçons aient eu le temps de se
mettre à l’abri.
Fauché juste sous la taille, j’entendis un craquement. Aucune douleur,
seulement la conscience d’être suspendu à l’affleurement rocheux. Une
avancée qui me protégea de la seconde salve qui s’abattit sur moi une minute
plus tard.

Quand je rouvris les yeux, je voyais le ciel. C’était plutôt bon signe. Ça
voulait dire que je n’étais pas enseveli sous dix mètres de neige. Je respirais.
En baissant les yeux, je compris d’où venait le craquement de tout à l’heure.
Ma botte gauche pointait à 180 ° sur le côté. Ça sentait la fracture ouverte à
plein nez. Et merde. Je remuai pour m’asseoir et évaluer les environs.
J’avais été balayé si loin que je ne voyais rien d’autre que du blanc. Des
gouttes de sang rouge vif maculaient le sol. Je sentis comme un chatouillement
le long de mon visage, mais mes gants m’empêchaient de savoir d’où venait le
sang.
Dans mon métier, on connaît ses priorités : j’activai donc mon signal de
détresse. Ensuite, je vérifiai l’état de ma jambe. Putain. Elle était en piteux état.
Terminées les randonnées jusqu’à nouvel ordre. Dans ma culbute, ma planche
avait disparu au pied de la montagne.
Je pris une profonde inspiration. Attrapai mon mollet. Comptai jusqu’à
trois. Tournai brutalement ma jambe pour lui rendre sa position normale. Et
perdis connaissance.

Un froid de canard. Je me rendais compte de la température polaire, mais


pas du temps qui venait de passer. Des minutes. Ou des heures. Non, pas des
heures. Je serais déjà mort d’hypothermie. Est-ce que j’étais en train de
mourir ?
Non. Non ! Je refusais de mourir. Mon corps pouvait supporter pire que
ça, je l’avais déjà prouvé. J’étais balèze. Je n’allais pas mourir. Je devais
rejoindre Brynne… et notre bébé. Je ne pouvais pas les abandonner. Ils avaient
besoin de moi. Je lui avais promis de revenir. Je ne pouvais pas y rester, pas
ici.
Il me fallait de la chaleur. Juste un peu de chaleur. Brynne. Son corps
autour de moi pendant que je lui faisais l’amour, voilà qui tenait bien chaud.
Depuis le début, Brynne était ma chaleur, mon abri où je ne risquais rien.
Même si ma raison avait mis du temps à le comprendre, mon cœur le savait
depuis toujours.
Je me glissai vers cet endroit où je sentais sa chaleur…

… Je l’avais su dès qu’elle était entrée dans la pièce. En personne, Brynne


Bennett était bien plus fascinante qu’en portrait. Un portrait qui m’appartenait
enfin. Elle sirotait son champagne en étudiant minutieusement son image
suspendue au mur de la galerie. Comment se percevait-elle ? Était-elle sûre
d’elle ? Sans pitié ? Quelque part entre les deux ?
— Et voilà ma copine ! s’était exclamé Clarkson en approchant derrière
elle pour l’étreindre. C’est génial, non ? En plus, tu as le plus beau pied
féminin de toute la planète.
— Tu peux photographier n’importe quoi, Ben et ce sera toujours beau…
même mes pieds, avait-elle rétorqué en se retournant pour le regarder en face.
Alors ? T’en as déjà vendu ? Attends, laisse-moi formuler autrement, tu en as
vendu combien ?
J’entendais tout ce qu’ils se disaient.
— Trois jusqu’ici. Et je pense que celle-là ne va pas tarder à partir, avait
répondu Clarkson. Sois discrète, tu vois le grand type brun en costard gris qui
discute avec Carole Andersen ? Il se renseigne. Il a l’air assez emballé par la
nudité resplendissante de ton moi. Il va sûrement se taper une bonne branlette
dès qu’il aura le tableau pour lui tout seul. Quel effet ça te fait, mon cœur,
qu’un gros rupin se mette au garde-à-vous à la vue de ta beauté surnaturelle ?
Ben voyons ! J’avais attendu six mois pour l’avoir, ce portrait.
— Tais-toi. T’es trop débile. Continue à dire des trucs comme ça et j’arrête
de bosser pour toi, avait-elle protesté en secouant la tête comme s’il était
dingue. Tu as du bol que je t’aime autant, Benny Clarkson.
— Pourtant c’est la vérité, avait insisté l’autre. Et tu le sais très bien. Ce
type n’a pas arrêté de te reluquer depuis que tu roules des hanches dans les
parages. Et il n’est pas gay.
— Toi, tu finiras en enfer. Tu le sais, hein ? avait-elle lancé en balayant la
salle du regard pour me mater.
J’avais senti ses yeux sur moi, mais j’avais poursuivi ma conversation avec
la directrice pour me donner une contenance.
— Alors, je n’ai pas raison ? lui avait demandé Clarkson.
— Pour la branlette ? Enfin, Benny, c’est impossible ! Allons donc, il est
bien trop beau pour ne jouir que d’une main !
Oh, putain. À cet instant précis, je n’avais pas pu résister. Je l’avais
regardée. Je n’arrivais pas à regarder ailleurs après avoir entendu ces mots
dans sa bouche. Elle aime ce qu’elle voit. L’entendre parler de sexe, du mien
en particulier, bouleversait complètement mon programme. C’était décidé,
j’allais la rencontrer le soir même. Un point c’est tout.
Mais un truc l’avait énervée. Elle avait vidé sa flûte de champagne et dit au
revoir à son ami.
Attendez, ne partez pas.
Je l’avais observée hésiter entre attraper un taxi ou marcher. Ses jambes
de déesse devaient faire tourner la tête de tous les mecs sur son passage. Elle
s’était dirigée vers la station de métro, le pas assuré. Non, je ne pouvais pas la
laisser faire. Si quelqu’un lui voulait du mal, c’était l’occasion rêvée. Or
imaginer qu’on puisse toucher à un seul de ses cheveux me mettait le bide à
l’envers. Ça ne m’était jamais arrivé.
— C’est une très mauvaise idée, Brynne. Ne faites pas cette bêtise. Laissez-
moi vous raccompagner en voiture.
Elle s’était figée sur le trottoir et s’était retournée vers moi, droite comme
un i.
— Je ne vous connais pas, avait-elle dit.
Patience, ma belle Américaine. Ça viendrait.
Je lui avais décoché un sourire en lui montrant ma Rover, sans vraiment
savoir ce que je fabriquais. Je voulais me rapprocher d’elle, c’était tout.
Sur la défensive, elle avait dégluti et m’avait provoqué de front :
— Voilà que vous m’appelez déjà par mon prénom. Et vous croyez vraiment
que je vais monter dans votre voiture ? Vous êtes dingue ou quoi ?
Complètement dingue, oui. Je faisais un pas vers elle et lui tendais la
main.
— Ethan Blackstone.
— Comment se fait-il que vous sachiez mon nom ?
Dieu que j’aimais sa voix… putain de sexy.
— Il y a un quart d’heure à peine, j’ai acheté pour une coquette somme une
œuvre intitulée Brynne au repos, à la Galerie Andersen. Je ne crois pas être
déficient intellectuellement. Ça paraît plus politiquement correct que dingue,
vous ne trouvez pas ?
Hésitante, elle avait accepté ma poignée de main. J’avais refermé les
doigts sur les siens, et à l’instant où nos peaux s’étaient touchées, j’avais senti
quelque chose dans ma poitrine. Une sorte d’étincelle de chaleur. Ses yeux me
captivaient même si je n’arrivais pas à dire de quelle couleur ils étaient. En
même temps, quelle importance ? Je voulais juste les contempler indéfiniment.
— Brynne Bennett.
— Eh bien, voilà ! la glace est rompue. Brynne, Ethan, avais-je conclu en
lui désignant encore ma Rover d’un geste du menton. Vous voulez bien que je
vous raccompagne maintenant ?
Je regardais sa gorge onduler gracieusement tandis qu’elle déglutissait
encore.
— Pourquoi tant de prévenance ?
Facile.
— Parce que je n’ai pas envie qu’il vous arrive quelque chose ? Parce que
ces chaussures qui soulignent vos jambes merveilleuses doivent être un enfer
pour marcher ? Parce que c’est dangereux pour une femme d’être seule en
ville, la nuit ?
Je l’avais contemplée des pieds à la tête pour appuyer mon discours, c’était
plus fort que moi. Avait-elle seulement conscience de son sex-appeal ?
— Surtout une femme comme vous.
— Et si c’était dangereux aussi de monter avec vous ?
Si elle avait su pour quelles raisons j’étais là ce soir, je me demande bien
ce qu’elle m’aurait dit.
— Je ne sais pas qui vous êtes. Rien. Je ne sais même pas si vous vous
appelez vraiment Ethan Blackstone.
Mlle Brynne Bennett n’était pas née de la dernière pluie. Pas de doute,
c’était bien la fille de Tom Bennett pour me dire sans détour que monter en
voiture avec un parfait inconnu relevait de l’inconscience. Quelle audace !
— Ce n’est pas faux, ni difficile à réparer, avais-je affirmé en lui montrant
mon permis de conduire, puis je lui avais tendu ma carte de visite. Gardez-la.
Mon boulot m’accapare beaucoup, mademoiselle Bennett. Croyez-moi, je n’ai
pas de temps à perdre pour des hobbies du style tueur en série. Je vous donne
ma parole.
Elle avait eu un petit rire.
Le plus beau rire jamais entendu, putain.
— Bien joué, monsieur Blackstone.
Brynne avait rangé ma carte dans ses affaires, puis dit une chose qui
m’avait fait chaud au cœur.
— D’accord, vous pouvez me prendre dans votre voiture.
Oh, ouais. Te prendre dans ma voiture, bien sûr, poupée. Une pensée de ce
genre et je bandais comme un taureau. Un sourire s’était dessiné sur mes
lèvres. Mlle Bennett n’avait pas la moindre idée de ce que ses phrases
innocentes faisaient à ma libido. Si jamais l’occasion se présentait de la
prendre dans mon lit, ce serait un grand moment, parce qu’aucune femme n’y
avait jamais eu accès, or mon petit doigt me disait que Brynne pouvait bien être
l’exception qui confirmait la règle.
Ressaisis-toi, putain ! m’étais-je dit, glissant une main au bas du dos de
Brynne pour l’accompagner vers ma Rover. J’aimais sa façon de se laisser
faire. J’avais enfin pu respirer son odeur. Une fragrance délicatement
parfumée, féminine qui me montait à la tête, putain. Je m’étais demandé si
c’était son parfum ou un produit capillaire. Quoi que ce fût, elle m’avait donné
envie d’enfouir mon nez dans son cou et de m’en saouler jusqu’à plus soif. Elle
sentait si bon.
Une fois qu’elle avait été assise, je m’étais installé derrière le volant. Un
frisson m‘avait secoué quand j’avais refermé la portière. J’étais enfermé avec
une femme magnifique, dans ma voiture. Elle ne risquait plus rien maintenant
qu’elle n’était plus seule sur le trottoir en pleine nuit. Et puis, je pouvais lui
parler, écouter sa voix. Je pouvais la respirer, la regarder, admirer ses jambes
de rêve, croisées sur le siège d’à côté. Je les imaginais repliées autour de ma
taille pendant que je la prenais comme une bête.
Je lui avais demandé son adresse.
— Nelson Square, à Southwark.
Pas terrible, comme coin. Mais ça aurait pu être pire.
— Vous êtes américaine, avais-je observé faute de mieux.
— J’ai obtenu une bourse pour étudier à la fac à Londres au niveau
master.
Tout ça, je le savais déjà. Ce qui m’intéressait, c’était son « autre » boulot.
— Et vous posez en tant que mannequin ?
Ma question l’avait troublée. Je pouvais comprendre. Après tout, je l’avais
vue toute nue. Et elle était putain de canon !
— Heu… je… j’ai posé pour un ami, le photographe Benny Clarkson. C’est
lui qui me l’a demandé. Ça m’arrondit les fins de mois, vous voyez ?
— Non, pas vraiment. Mais j’adore ce portrait de vous,
mademoiselle Bennett.
Je gardais les yeux sur la route.
Mes questions ne lui avaient pas plu. Je la sentais sur la défensive. Elle
gigotait sur son siège et m’avait répondu du tac au tac :
— Eh bien, il faut croire que ma firme internationale n’a pas réussi aussi
bien que la vôtre, monsieur Blackstone. Il est vrai que j’aie eu recours à cet
expédient. J’aime bien dormir dans un lit plutôt que sur un banc et au chaud de
préférence. Les hivers ici, c’est fou comme ça vous pompe !
Oh, putain, cette fille était parfaite.
— Ça vous pompe… D’expérience, je pourrais dire ça de beaucoup de
choses.
Je lui avais lancé un regard en coin et surpris ses yeux qui brillaient à nos
sous-entendus. Mon regard s’était ensuite posé sur ses lèvres. Je les avais
imaginées se refermer sur ma queue. Elle voulait pomper ? Mais qu’elle s’en
donne à cœur joie.
— On est au moins d’accord là-dessus, avait-elle murmuré.
Les paupières closes, elle se massait les tempes.
— Mal à la tête ?
— Ouais. Comment vous le savez ?
Une excuse pour la mater à loisir.
— Laissez-moi deviner. Vous n’avez pas dîné, vous n’avez avalé que cette
coupe à la galerie or il est tard et votre corps proteste. Comment je sais ça ?
Elle m’avait regardé, interdite.
— Deux aspirines, un peu d’eau et tout ira bien.
Non, ça ne suffirait pas.
— Votre dernier repas, Brynne, c’était quand ?
— Ça y est, on recommence à s’appeler par nos prénoms alors ?
T’as tout compris, poupée.
Ça m’agaçait qu’elle ne prenne pas mieux soin de son corps. Elle avait
besoin de manger, comme tout le monde. Après un silence, elle avait bredouillé
une histoire de repas qu’elle se préparerait une fois rentrée chez elle. À cette
heure-ci ? Ben voyons. On ne me la fait pas, Brynne.
Je m’étais garé en double file devant un supermarché et lui avais sommé de
rester dans la voiture, je serais de retour tout de suite. Je lui avais pris une
bouteille d’eau, une boîte de Nurofen et une barre protéinée qui avait l’air
potable. J’espérais juste qu’elle accepterait de les prendre.
— Un achat urgent ?
Pas un mot de plus. À peine avait-elle vu la bouteille d’eau qu’elle en avait
bu une longue gorgée. J’avais sorti deux cachets de l’emballage et les lui avais
tendus dans ma paume. Elle les avait pris également et en avait profité pour
terminer l’eau. J’avais posé la barre protéinée sur son genou.
— Vous avalez ça maintenant. S’il vous plaît.
Elle avait poussé un long soupir frémissant, de quoi provoquer mon manche
à l’affût, et avait ouvert l’emballage. Mais quand elle avait mordu dedans,
quelque chose avait changé en elle. Je l’avais sentie mélancolique lorsqu’elle
avait incliné la tête vers moi pour murmurer :
— Merci.
— Le plaisir est pour moi. Tout le monde a droit au minimum, Brynne. De
la nourriture, de l’eau… un lit.
Elle n’avait rien répondu à mon subtil sermon.
— C’est quoi, votre adresse exacte ?
— 41, Franklin Crossing.
Je reportais mon attention sur la route. Au bout d’un moment, son
téléphone avait vibré. Elle avait répondu à un texto, puis avait paru se
détendre. Peu après, elle avait fermé les yeux et s’était endormie.
De la voir se sentir ainsi en sécurité avec moi avait déclenché un drôle
d’interrupteur dans ma tête. Je ne pouvais vraiment dire ce que c’était, jamais
je n’avais ressenti cela avant. Ce dont j’étais sûr, c’est que putain, ça me
plaisait. C’est alors que j’avais pris un risque. Je n’étais pas fier de moi, mais
ça ne m’avait pas empêché de le faire. J’avais pris délicatement son téléphone
posé sur ses genoux et avais composé mon numéro.
— Brynne, réveillez-vous.
Je m’étais penché et j’avais touché son épaule, murmurant doucement à son
oreille pour sentir encore ce parfum envoûtant. Ses paupières s’étaient agitées,
ses cils se pressaient contre sa peau crémeuse, teintée d’une légère touche
olive. Était-elle en plein rêve ? Ses lèvres pulpeuses, d’un rose sombre,
s’étaient à peine entrouvertes sous son souffle. Quelques-unes de ses longues
mèches brunes tombaient sur sa joue. J’avais eu envie de les approcher de mon
nez pour les sentir.
Ses yeux s’étaient ouverts en grand comme elle prenait conscience que
j’étais tout près.
— Merde ! Pardon, je… Je me suis endormie ?
Elle s’était agrippée à la poignée de la portière et avait tiré frénétiquement
sous le coup de la panique.
J’avais posé une main sur la sienne pour l’apaiser.
— Du calme. Il n’y a aucun danger. Tout va bien. Vous vous êtes assoupie,
c’est tout.
— D’accord… Désolée.
Le souffle court, Brynne avait regardé dehors, puis s’était retournée vers
moi avec circonspection.
— Pourquoi n’arrêtez-vous pas de vous excuser comme ça ?
Elle avait l’air secouée et me donnait envie de l’apaiser, mais en même
temps… une sensation étrange m’envahissait.
— Je ne sais pas, avait-elle murmuré.
— Vous allez bien ?
Je lui avais souri en espérant ne pas la faire flipper davantage. Je n’aimais
pas me dire que je lui faisais peur. Je voulais qu’elle se souvienne de moi.
Qu’elle me fasse confiance.
— Merci de m’avoir raccompagnée. Et pour l’eau aussi. Et pour le…
Je l’avais coupée, conscient que si je ne prenais pas les choses en main tout
de suite, je perdais l’occasion de la revoir.
— Prenez soin de vous, Brynne Bennett, lui avais-je dit en déverrouillant la
portière. Vous avez vos clés ? Je vais attendre jusqu’à ce que vous soyez chez
vous. C’est quel étage ?
Elle avait sorti son trousseau de son sac et récupéré son portable.
— Un studio sous les combles. Au cinquième.
— Il y a une coloc ?
— Euh… oui. Mais elle ne doit pas être là.
Qu’avait-elle en tête ? Je brûlais de savoir ce qu’elle pensait de moi. Avait-
elle envie d’en apprendre plus sur moi ?
— Alors, j’attendrai qu’il y ait de la lumière, avais-je décidé.
Brynne était sortie de la voiture.
— Bonne soirée, Ethan Blackstone, m’avait-elle dit avant de refermer la
portière.
Je ne l’avais pas quittée du regard pendant qu’elle se dirigeait vers la
porte, l’ouvrait et disparaissait à l’intérieur. Une fois que la lumière s’était
allumée au cinquième étage, j’avais enclenché la première et étais parti.
Je n’arrivais pas à poser de mots sur ce que je ressentais, et ignorais ce
que me réservait la suite, mais une chose était sûre : je reverrais Brynne
Bennett. Ce n’était pas négociable.

J’eus envie de sourire parce que je ne ressentais plus le froid. J’avais mal à
la jambe, mais ça n’avait plus d’importance. Je me sentais au chaud, tapi au
creux de mes souvenirs de Brynne, là où tout allait bien. Depuis le premier
jour, la toute première fois que nos regards s’étaient croisés, elle était ma
lumière. Elle m’avait aimé et aidé à reprendre le dessus à un moment où je n’y
croyais plus. Bientôt, nous aurions un bébé. D’y penser me rendait à la fois
heureux et triste. Là où j’allais, je ne verrais pas cet enfant. Il ou elle ne me
connaîtrait jamais. Mais Brynne lui parlerait de moi. Elle serait une excellente
mère. Elle l’était déjà. Brynne réussissait tout ce qu’elle entreprenait, et être
mère ne faisait pas exception à la règle. Il me restait peu de temps. Je ne
pourrais pas tenir ma promesse. C’était le pire de tout. Je lui avais promis de
revenir. Je lui avais dit que rien ne pourrait jamais m’empêcher de lui revenir.
J’avais absolument besoin de lui dire combien je l’aimais et combien elle
m’avait rendu heureux. Comment pouvais-je partir alors que j’étais aimé par la
femme la plus exceptionnelle au monde ? La seule à avoir su voir jusqu’au
fond des ténèbres de ma personnalité pour comprendre qui j’étais vraiment. La
seule à m’avoir donné le sentiment d’avoir gagné à la grande loterie du
bonheur, putain. Ce n’était pas si difficile à accepter que ma vie soit
brutalement interrompue. Le seul fait d’avoir connu Brynne m’emplissait de
joie.
Brynne était ma vie. La dernière pièce du puzzle qui avait complété mon
tout.
Il fallait que je trouve un moyen de le lui faire savoir afin qu’elle ne
s’inquiète pas pour moi. Je voulais qu’elle sache que j’avais été heureux les
derniers instants de ma vie grâce au plus rare des cadeaux, au plus précieux,
celui d’avoir pu l’aimer.
17
10 janvier, à Londres
Neil et Elaina ne voulaient rien entendre. Depuis le départ d’Ethan, ils
insistaient pour que je dîne chez eux ou qu’ils viennent chez nous tous les soirs
jusqu’à son retour. Sans doute une idée d’Ethan. Je pouvais comprendre. Après
tout, ils habitaient l’appartement d’en face, dans le couloir. Heureusement
qu’on s’adorait.
Mais tout de même, ils étaient jeunes mariés et avaient besoin d’intimité,
insistai-je. Ce n’était pas en passant leurs soirées avec moi que Neil et Elaina
allaient faire le bébé qu’ils essayaient de concevoir. À cet argument, ils avaient
éclaté de rire et fait des commentaires cryptés – à croire qu’ils avaient déjà
réussi et attendaient encore avant d’annoncer la nouvelle. Je le leur souhaitais.
Ils étaient faits l’un pour l’autre. À force de nous fréquenter, j’avais appris
qu’ils se connaissaient depuis l’enfance. Le destin les avait réunis dès le début.
J’étais ravie que l’amour les ait liés.
L’autorité d’Ethan m’agaçait, mais en même temps, c’était tout lui.
Protecteur, attentionné… et prudent. Je me demandais comment se passait sa
mission auprès du prince Christian, dans les Alpes suisses. Tous deux, nous
avions appréhendé ce départ. Le pire pour moi, c’était de l’avoir vu partir
alors que nous n’avions pas eu le temps de nous réconcilier.
Mon homme me manquait terriblement, je voulais qu’il rentre. Je voulais
lui vider mon sac concernant tout ce que Lance m’avait dit. Et en échange,
j’espérais qu’Ethan se confierait aussi. Nous reprendrions là où nous nous
étions arrêtés avant cette affreuse soirée de dispute sur des sujets qui ne
valaient pas le coup que l’on se fasse autant de mal. En tout cas, à mes yeux.
Ethan partageait cet avis, j’en étais sûre.

Les tacos de poulet au guacamole, ma nouvelle recette préférée pour


affronter la grossesse. J’avais essayé de dissuader Neil et Elaina de revenir
dîner en préparant deux fois les mêmes tacos cette semaine. L’échec. Ils
disaient adorer ma cuisine mexicaine. Des amours. En même temps, les
Britanniques maîtrisaient mal l’art mexicain, à mon goût. Si j’échouais dans
ma carrière de conservatrice, je pouvais toujours me reconvertir en vendeuse
de tacos. Je ferais un malheur à Londres. J’eus envie de rire en imaginant la
réaction d’Ethan si je lui soumettais un projet pareil. Je pourrais installer mon
stand à côté du kiosque à journaux de Muriel, dans la rue de Blackstone
Security. Ethan descendrait manger mes tacos à la pause déjeuner.
Neil adorait se mettre aux fourneaux, c’était donc lui qui m’aidait en
cuisine. Quant à Elaina, elle était dans la chambre de bébé pour travailler sur la
fresque murale que nous avions créée ensemble. Pour l’instant, c’était un arbre
avec des oiseaux et des papillons. Il restait à choisir les couleurs et le thème
général, une fois qu’on saurait si nous avions un garçon ou une fille. Un
Thomas, ou une Laurel.
— Tu sais que c’est le tout premier plat que j’ai préparé à Ethan quand on
s’est rencontrés ? racontai-je avant de plonger mon doigt dans le guacamole. Il
est venu avec un pack de Dos Equis et est reparti avec un faible pour la bière et
la nourriture mexicaine.
— Je sais, ricana Neil en ajoutant des épices à la poêlée d’émincés de
poulet. Il parlait de toi à longueur de journée. Il disait que ta cuisine était
succulente et recommandait à tout le monde d’ajouter une tranche de citron
vert dans leur Dos Equis.
— C’est vrai ?
— Ouais. C’est là que j’ai compris qu’il était fichu. Pas à cause de la
nourriture, vois-tu, mais de la bière. Il a laissé tomber la Guinness du jour au
lendemain, illustra-t-il avec un claquement de doigts, l’air désolé.
— Ça ne m’étonne pas de lui. Une fois qu’il a une idée en tête, impossible
de lui en faire démordre.
Je soupirai lamentablement en repensant à notre problème irrésolu.
Neil s’arrêta de couper les tomates pour me regarder.
— Il va bientôt rentrer, Brynne. Je suis sûr qu’il se languit de te retrouver
au plus vite.
— Je sais, mais quand il est parti, on venait de se disputer. Il t’en a parlé ?
lui demandai-je en prenant conscience que Neil était certainement au courant.
— Ouais, j’ai vu les photos de toi et Oakley dans le café. Désormais, on ne
maîtrise plus l’information avec Twitter et tous ces réseaux sociaux. Ça fuse.
— Je n’ai pas pensé aux journalistes. J’ai vu Lance parce qu’il le fallait.
Dès le retour d’Ethan, je lui expliquerai tout. Mais l’autre soir, je n’étais pas
encore prête, tu comprends ?
Les yeux marron de Neil me scrutaient d’un air compatissant.
— Tout s’arrangera entre vous, Brynne. Ne t’inquiète pas. Je connais
Ethan, il est prêt à tout pour toi, il irait te chercher dans un incendie, ou au fond
d’un gouffre s’il le fallait.
Réprimant un sanglot, je me concentrai sur le guacamole.
— Neil, qu’est-ce qui se passe avec Sarah Hastings ? Quand Ethan l’a
revue à ton mariage, il était bouleversé. Il m’a raconté en partie ce qui est
arrivé à Mike, le mari de Sarah, et les circonstances atroces dans lesquelles il
est mort sous ses yeux. Je comprends qu’il soit traumatisé. À chaque flash-
back, il revit cette horreur. Ce doit être effroyable.
— Sarah ? c’est une femme bien. J’imagine qu’elle a un rapport avec la
thérapie d’Ethan, mais il ne m’a rien dit. Et je ne lui pose pas de questions.
— Je comprends, répondis-je tristement.
J’allais devoir être patiente avec Ethan. À son rythme, il me dirait
l’incidence qu’avait vraiment Sarah sur son état émotionnel.
— Il t’a parlé de ses séances avec le Dr Wilson au centre d’accueil pour
combattre l’anxiété ? demandai-je à Neil.
— Oui, Brynne. Je suis tellement content qu’il ait décidé de se prendre en
main. Tout ça, c’est grâce à toi.
— Ce qui lui est arrivé, c’est si abominable…
Les mots me manquaient, tant cet épisode me touchait profondément.
Neil coupa court à sa cuisine.
— C’était ignoble Brynne, vraiment monstrueux.
— Il m’a dit qu’il se sentait coupable, mais je ne comprends pas pourquoi.
Ce n’est pas sa faute s’il a été capturé et torturé.
Il y eut un silence pendant lequel Neil ferma les yeux. Il resta là longtemps,
la tête baissée au-dessus du comptoir. Je crus qu’il ne dirait plus rien. Par
choix, ou pour respecter le secret professionnel qui a cours au sein de l’armée.
Finalement, il reprit son couteau, se remit à couper les légumes, et me parla.
— Je ne sais pas tout, mais j’en sais assez pour reconstituer le puzzle.
Ethan m’a dit ce qu’il pouvait, et puis j’ai appris le reste à travers les rapports.
Ce sont des communiqués que les équipes échangent avec la base lorsqu’elles
sont sur le terrain. J’étais chef de mon groupe, et Ethan chef du sien. Nous
n’étions pas missionnés au même endroit. Dans sa troupe, il avait cinq
hommes, dont Mike Hastings. Aucun n’est revenu vivant. Mike a survécu à
l’embuscade avec Ethan… tu connais la suite. À son retour, Ethan a débriefé
auprès de ses supérieurs. Il a expliqué que le jour de son exécution, le bâtiment
où il était retenu prisonnier a explosé sous les bombes. Personne ne sait
comment il s’en est sorti vivant. Pas même lui. Il n’a pas compris comment il
avait pu échapper à l’explosion. Cela tenait du pur miracle.
Je retenais mon souffle depuis le début de son récit. Tant de questions
auxquelles j’avais enfin des réponses. Celles qu’Ethan n’avait pas pu me
donner. Je comprenais à présent pourquoi. Ce qu’il avait vécu me brisait le
cœur.
— Pas étonnant qu’il ait des ailes d’ange tatouées dans son dos, murmurai-
je.
— Ouais, fit Neil, puis il remua sa poêlée avant de poursuivre l’histoire :
La torture de Mike a été violente jusqu’au bout. En plus de son deuil, Ethan
s’en veut beaucoup. Il estimait que parce que ses hommes étaient sous ses
ordres, il était responsable du danger qu’ils ont couru. Pour lui, cinq hommes
sont morts à cause des décisions qu’il a prises.
— Mais c’était la guerre ! Comment peut-il croire que c’est sa faute ?
J’étais plus mal que jamais. Ce que je n’aurais pas donné pour le prendre
dans mes bras et serrer son torse où se cachait son cœur, le serrer très fort
pour qu’il batte près du mien !
— La guerre, c’est forcément un putain de chaos. Ce qui est arrivé à leur
troupe, c’est indescriptible. On les a attirés en se servant d’une pauvre femme à
la gorge tranchée, laissée au milieu de la rue, avec son petit garçon qui hurlait
à la mort, agrippé à sa mère. Il n’avait pas plus de trois ans. Les heures
passaient, la base recevait des rapports régulièrement. Apparemment, Ethan
voulait aller récupérer le garçon. Finalement, après des heures à piétiner, il a
enfin reçu le feu vert. Mais c’était un guet-apens. Les Talibans se sont servis de
cette femme et de son enfant comme d’appâts pour éliminer toute une section
de soldats d’élite. De gentils Occidentaux compatissants qui ne supporteraient
pas de voir souffrir un petit garçon. Ça a fonctionné. Ethan s’est élancé, il a
attrapé le garçon qu’ils ont tué quelques secondes plus tard, dans ses bras. Les
coups de feu ont fusé dans tous les sens. Deux civils innocents ont été
massacrés. Quatre de nos hommes sont morts. Mike et Ethan ont été pris en
otages.
— Oh, mon Dieu…
Je ne savais pas quoi dire à Neil. Rien. Aucun mot ne pouvait alléger ce qui
s’était passé, peu importait le nombre des années. Je me caressai doucement le
ventre en pensant à Ethan et à l’amour immense que je lui portais. Lors de
notre rencontre, j’étais loin d’imaginer la place qu’il occuperait dans ma vie.
C’était un héros sur tous les plans. Il avait servi son pays et souffert pour lui.
— Merci de m’avoir raconté cela, Neil. Ça… ça m’aide à comprendre.
En effet, ça m’aidait. Mais en même temps, c’était atroce. J’avais l’estomac
noué. Le plat que je préparais avec Neil n’allait pas passer. Comment faisaient
tous ces soldats pour retrouver l’appétit, alors qu’ils avaient la mémoire
remplie des horreurs de la guerre ? Je savais comment fonctionnait Ethan, et il
ne devait y avoir rien de pire pour lui que le terrible poids de sa culpabilité
quant à ces soldats morts… ce sentiment hideux qu’il revivait scène après
scène dans ses cauchemars.
— Je l’aime tellement fort. Je ferais n’importe quoi pour l’aider, dis-je
enfin.
— Mais c’est le cas, Brynne. Ton amour l’a déjà grandement aidé, plus que
tout autre chose.

Quand tôt le lendemain matin, seule dans ce grand lit, je fus tirée de mon
profond sommeil, j’en fus effrayée. M’apercevant qu’Elaina s’était introduite
chez moi pour me réveiller, je compris que c’était grave. Neil était sur le seuil
de la porte et je me mis à pleurer, les mains sur ma poitrine. Dès qu’ils
laissèrent tomber la sentence, « il est arrivé quelque chose à Ethan », je poussai
un cri déchirant.
Je leur hurlai, par pitié, de ne rien me dire.
En Suisse
Du vert fluo me brûlait la rétine. C’était quoi, putain ? ! J’essayai de me
débarrasser de ce qui me couvrait la figure, en vain.
— Ethan… oh, bordel. On a mis du temps à te trouver.
— Quoi ?
J’essayai de reprendre mes esprits, mais le soleil brillait si fort que je n’y
voyais rien. Je ne voyais que ce vert électrique. Cette couleur me rappelait le
blouson de Christian quand il avait dévalé la piste devant moi, juste devant…
— C’est toi, Christian ? Tu vas bien, ouf, bafouillai-je.
J’étais tellement soulagé que je l’aurais embrassé, ce crétin. Enfin, si je
trouvais son visage. Le roi avait encore son héritier, tout allait bien, putain.
— Christian, murmurai-je. Je dois savoir… est-ce que les autres sont
vivants ?
— Oui ! On est là, mon vieux. Toi aussi, tu t’en es sorti.
Vraiment ? C’était difficile à croire.
— Mais je suis coincé sur cette montagne, je ne peux pas marcher… Ma
jambe est foutue.
J’étais rassuré que Christian et les autres soient saufs, mais je ne voyais pas
comment je sortirais de là en vie. Ce n’était plus qu’une question de temps.
J’étais conscient de mon piteux état. Je n’arrivais pas à distinguer le visage de
Christian. Tout était flou. Et j’étais tellement… tellement fatigué.
— Je sais, dit-il en posant un truc dur contre ma bouche. Bois, mon vieux.
Ça te fera du bien.
Je bus un liquide que je ne reconnus pas. Je ne ressentais rien d’autre que
l’épuisement. Et puis, je me souvins soudain de ce que je devais faire. C’était
plus important que tout. Je repoussai la bouteille.
— Christian, tu as ton téléphone ? J’ai perdu le mien. Je dois appeler… ma
femme. Il faut que je lui dise quelque chose…
— Accroche-toi, Ethan, ils arrivent pour te chercher. Ça va aller, mon
vieux.
— Non, je dois appeler Brynne. Tout de suite !
Il fallait qu’il comprenne, bon sang !
— Ça ne capte pas, Ethan. Elle ne pourra pas décrocher.
— Pas grave… elle le recevra quand tu capteras. Un texto… vocal… Je
t’en supplie !
J’essayai de l’attraper par le col.
— D’accord, d’accord, calme-toi, Ethan. Donne-moi son numéro.
Je lui dictai les chiffres en articulant bien pour ne pas me tromper. C’était
crucial.
— Vas-y, enclenche la saisie vocale… et laisse-moi parler.
Christian me tendit le téléphone que j’eus du mal à attraper avec mes gants.
Il m’aida à le tenir et me dit quand commencer à parler.
— Brynne, mon amour… N’aie pas peur, d’accord ? Ne sois pas triste. Je
t’aime et je suis heureux. Très, très heureux… parce que j’ai eu la chance
d’être avec toi… de t’aimer. Je serai toujours là, à vous aimer depuis ailleurs,
toi et notre Laurel-Thomas.
C’était la lutte pour ne pas craquer. Il n’y avait rien de plus dur que de dire
au revoir. Comment en étais-je arrivé là ? Bref, je devais lui dire. Rien ne
pouvait m’arrêter.
— … tu m’as redonné goût à la vie, mon amour. Je t’aime tellement fort, et
je t’aimerai toujours… pour l’éternité.
Voilà, j’y étais arrivé. Elle m’entendrait pour la dernière fois en sachant la
vérité. Ma vérité.
Maintenant, je pouvais tranquillement fermer les yeux. J’étais si fatigué…
Je me sentis flotter, en paix, dérivant je ne sais où. Une idée me vint, je
repensai à ma mère. J’allais la revoir, c’était tellement agréable comme
pensée. Je ne m’étais jamais senti aussi libre, comme si j’étais à peine retenu
par… quelque chose de léger.
Des ailes ?
Oui, c’était la même sensation que si j’avais des ailes qui me soutenaient,
dans le dos. Des ailes en soie déployées en deux arcs immenses. Douces et
pourtant puissantes. Je mis un long moment avant de comprendre à qui elles
appartenaient. C’étaient les ailes d’un ange.
Un ange me portait.
12 janvier, à Londres
Reviens-moi…
Je suis là, Ethan. Je serai toujours là. Reviens quand tu seras prêt. Je
t’attendrai avec Laurel-Thomas. On a besoin de toi. J’ai besoin de toi pour
continuer. Tu sais que je ne te laisserai jamais tomber. Jamais.
Je restai au chevet de mon mari dans son lit d’hôpital. Reviens-moi, mon
chéri. Cet hôpital où j’avais rendu visite à Lance. Mais j’étais reconnaissante. Il
était enfin à mes côtés. Je pouvais le toucher, le voir, et les médecins pouvaient
faire leur travail. Neil avait le bras long, il était parvenu à faire rapatrier Ethan
en avion jusqu’à Londres. Ivan aussi avait ajouté son grain de sel. Je ne sais pas
comment j’aurais fait sans eux. Si Ethan était resté en Suisse, où je n’aurais pas
pu le rejoindre, il aurait fallu me ligoter pour que je ne saute pas dans le
premier avion.
Je crois que Jonathan et Marie essayaient de me convaincre de rentrer à la
maison, mais ils pouvaient toujours rêver. Finalement, ils étaient partis
chercher à manger avec la promesse de revenir très vite. Qu’ils essaient toutes
les techniques, même par la force, je refuserais de bouger. Ma place était ici. Je
ne te quitte plus, mon chéri. Je reste là jusqu’à ton réveil.
Je ne pouvais pas faire grand-chose de plus. L’hôpital s’occupait de tout :
les points de suture, tout près de l’œil droit, au-dessus de sa pommette – il en
garderait la cicatrice ; la chirurgie pour soigner sa jambe gauche ; le tibia et le
péroné tous les deux cassés étaient à présent réparés. Grâce aux broches, il s’en
remettrait vite. Pour l’instant, mon mari « dormait ». Son corps avait besoin de
repos.
Je restais donc à ses côtés et le rappelais à moi. J’ai eu ton message, celui
du téléphone de Christian. Il a été adorable, il se faisait beaucoup de souci
pour toi. Il m’a appelée pour me rassurer parce que ton texto risquait de me
faire peur. Il m’a expliqué qu’ils voulaient aller skier hors piste. Et toi, tu as
insisté pour qu’ils prennent certaines mesures de sécurité. Christian m’a dit
qu’ils avaient tous fait comme tu leur avais dit, et grâce à toi, ils s’en étaient
tous sortis. Il s’en veut énormément que ce soit toi qui aies été blessé…
Une lourde main se posa sur mon épaule.
— Ils n’avaient que de la mûre, j’espère que tu aimes ça.
Ivan plaça la tasse de thé dans mes mains.
— Ah, et je t’ai pris ça, aussi, ajouta-t-il en me donnant une barre
protéinée. Avale ça maintenant, s’il te plaît.
Doucement, je relevai la tête vers lui, sous le choc. Il avait prononcé les
mêmes mots avec le même geste. Il me regardait, les sourcils froncés. Un
grand type aux yeux verts, avec les cheveux plus longs que ceux d’Ethan. Aussi
beau que son cousin, mais différemment. Ivan avait les traits plus fins, tandis
qu’Ethan avait ce côté rustre et viril. Cependant, la ressemblance était
frappante. Aucun doute, ils partageaient les mêmes gènes, le même sang, le
même esprit.
Cette barre protéinée qu’Ivan me tendait me rappelait le souvenir limpide
de ce tout premier soir, quand Ethan m’avait raccompagnée chez moi après le
vernissage de Benny. Tout me revint d’un bloc. Je retrouvai l’odeur d’Ethan et
la chaleur des sièges de sa Rover. Je me souvins clairement qu’il avait posé la
barre sur mon genou et avait attendu que je mange avant de reprendre la route.
Ce côté autoritaire du style « obéis et fais pas chier ». Cette domination à
laquelle je n’arrivais jamais à dire non. Reviens-moi, Ethan.
— D’accord, acquiesçai-je.
Mes yeux se mouillèrent, je m’efforçai de maintenir le cap, d’être forte
pour Ethan.
— C’est bien, dit doucement Ivan en s’asseyant sur la chaise voisine. Il
piquerait une colère s’il apprenait que tu ne t’occupes pas bien de toi.
— Je sais.
Je mordis dans la friandise et mâchai lentement. Tant pis pour cet affreux
goût de sciure. Une gorgée de thé pour faire descendre le tout. Si je n’avais pas
faim, mon petit ange papillon, lui, avait besoin de prendre des forces.
— Merci, me souffla-t-il avec un tendre sourire.
Au chevet d’Ethan, je découvrais une facette d’Ivan que je ne connaissais
pas. Ivan Everley incarnait d’habitude un subtil mélange de charme ravageur et
de repartie cinglante. Mais pas aujourd’hui. Il s’inquiétait pour Ethan, ça
crevait les yeux. J’avais toujours la sensation que ces deux-là étaient plus des
frères que des cousins. Dans leur cœur, en tout cas, ils étaient frangins.
— Le soir de notre première rencontre, Ethan m’a acheté une barre
protéinée et m’a forcée à la manger, lui racontai-je.
J’avais beau les chasser du revers de la main, mes larmes coulaient en
continu.
Ivan passa un bras autour de mes épaules et m’attira contre lui.
— Ethan est fou amoureux de toi. Je suis sûr qu’il se bat. Je le connais. Je
sais comment il fonctionne. Il lutte pour te retrouver, Brynne.
Je hochai la tête, incapable de lui répondre. Il ne me restait qu’une chose : y
croire. Les paroles d’Ivan étaient le seul lien qui me restait avec Ethan et je m’y
accrochais de toutes mes forces, ne laissant aucune place au doute.
Nous sommes restés assis là, tous les deux, laissant à Ethan le temps qu’il
lui était nécessaire pour revenir parmi nous.

Ce n’était pas trop tôt. Je respirais enfin son odeur. Je respirais des
bouffées de Brynne. Je m’en gargarisais. Comment était-ce possible ? Je lui
avais dit adieu là-haut, sur la montagne. Pourtant, je me sentais… différent.
C’était le jour et la nuit.
Je retrouvais possession de mes sens. Je sentais mes mains, mes orteils, ma
tête. Est-ce que ça veut dire que… je m’en suis sorti ? Oh, oui, oh putain !
C’était l’euphorie. J’étais vivant et Brynne était là, à mes côtés. C’était si bon…
cette caresse. On me massait les cheveux, encore et encore. Je connaissais ces
doigts. Ils appartenaient à la plus douce des mains, celle que j’avais sentie,
tenue, embrassée. Cette main me caressait doucement le crâne. La main de
Brynne me touchait. C’était la sensation la plus extraordinaire du monde,
putain ! Il me tardait de lui dire que je l’aimais, que j’allais bien, mais je
n’arrivais pas à parler. Je ne pouvais qu’inhaler son parfum et me délecter de
ses doigts sur ma peau. J’étais vivant. C’était un miracle. Je me souvenais des
ailes d’ange qui m’avaient soulevé haut dans le ciel tandis que je flottais entre
la vie et la mort. Ça me rappelait ce jour où j’avais déjà vécu cette même
expérience.
Merci, maman. Encore une fois.
Au comble du soulagement, je compris que je pouvais arrêter de me battre
et dormir encore un peu, avec ma femme à mes côtés.

Des petits coups de pied sous ma paume. J’adorais cette sensation. Chaque
fois, ça me faisait sourire. Laurel-Thomas parlait à son papa. Quelle force ! Tu
as grandi, dis-moi. Je caressai ce ventre doucement et m’imaginai quelle partie
du corps je touchais. Était-ce des petites fesses ou un crâne rond ? De nouveaux
coups de pied. Je me mis à rire. Quel putain de bonheur, le meilleur au monde !
C’était magique, un cadeau tombé du ciel au moment où je m’y attendais le
moins.
— Ethan a ri. Tu as entendu, Ivan ? Il a ri quand il a senti les coups de pied
du bébé.
Je reconnaissais cette voix. Ma chérie parlait à Ivan.
J’ouvris doucement les yeux.
— Ça a marché, lâcha Brynne dans un soupir. Tu m’es revenu.
Les traits de son visage étaient tirés par les pleurs. Elle était épuisée. Des
cernes lui soulignaient les yeux. Ses cheveux étaient emmêlés. Ses yeux voilés
de larmes. Mais de la voir là, tout près de moi, c’était la plus belle chose que
mes pauvres yeux aient jamais vue.
— Brynne… mon amour, articulai-je avec un sourire, en détaillant chaque
parcelle de ce magnifique visage. Quand j’étais en haut de la montagne, j’ai
rêvé de toi. Il faisait si froid… de penser à toi, ça m’a réchauffé… j’ai compris
que tout irait bien. J’étais heureux. Je n’avais pas peur.
— Oh, Ethan, Ethan, Ethan…, sanglota ma chérie, enfouie contre mon
torse, en balançant son front d’avant en arrière.
Balayant la pièce du regard, je compris qu’on était à l’hôpital. Tous les
deux allongés sur le flanc, face à face dans le lit. Brynne était venue me
rejoindre sous les draps pour que je la sente près de moi, puis elle avait posé
ma main sur son ventre où Laurel-Thomas tambourinait pour se faire entendre.
Tous les deux m’avaient rappelé à eux.
Je regardai mon cousin et lus sur ses lèvres : « C’est bon de te revoir. »
« Merci », mimai-je en retour. Je lui étais reconnaissant d’avoir pris soin
de Brynne en mon absence. Il me décocha un grand sourire et quitta
discrètement la pièce en agitant sa main à l’oreille manière de me dire
« appelle-moi ».
— Je t’aime tellement fort, chuchotai-je en m’efforçant de ne pas me
laisser emporter par l’émotion.
Je la pris par le menton pour lui faire croiser mon regard. J’avais besoin
de me plonger dans ses yeux. Ensuite, une fois noyé dans cet océan
multicolore, j’aurais besoin de l’embrasser pendant un très, très long moment.
Elle devait encore être sous le choc, parce qu’elle répétait les mêmes mots
en boucle.
— Tu m’es revenu.
— Oui, ma belle. C’est toi qui m’as ramené. Tu as réussi à me faire
revenir. Avec l’aide d’un ange.
15 janvier
Ethan était silencieux sur le chemin du retour de l’hôpital. Nous étions côte
à côte sur la banquette arrière, Len au volant. Ethan serra ma main très fort,
presque trop fort, mais je le laissai faire volontiers. Ethan avait ce besoin de
me toucher, ne serait-ce que ma main.
Son père avait appelé pour nous proposer un dîner de fête en l’honneur de
son rétablissement, mais j’avais trouvé une excuse pour repousser la soirée à
la semaine suivante. Ethan n’était pas d’humeur à voir du monde, et pour être
honnête, moi non plus. Son accident m’avait rendue parano. Dès que je
repensais à la mort qui l’avait frôlé de près, j’étais proche de l’attaque de
panique, et c’était mauvais pour le bébé. Je devais donc chasser ces pensées
négatives et me concentrer sur Ethan pour prendre soin de lui et l’aider à
guérir plus vite.
Il entra dans l’appartement sans mon aide, appuyé sur ses béquilles. Je
refermai la porte à clé derrière lui et le suivis dans le salon.
Il resta planté là, le regard assombri, presque bestial, maintenant que nous
nous retrouvions seuls.
— Viens pas là, m’ordonna-t-il, la voix éraillée.
Je lui obéis.
Dans l’élan, je me retrouvai pressée contre lui et poussai un cri de
surprise. Ses béquilles tombèrent bruyamment par terre lorsqu’il les lâcha
pour me serrer de toutes ses forces. Plus rien n’existait que ce besoin
désespéré de me sentir contre lui. Ethan avait encore une fois subi un
traumatisme. Celui d’une mort imminente. En haut sur cette montagne, il avait
pensé laisser sa peau, ne jamais me revoir, ne jamais rencontrer notre bébé, ne
pas pouvoir nous dire qu’il nous aimait, nous dire adieu. La seule chose qui lui
avait permis de tenir, c’était de penser à moi. Quand il était revenu à la vie, il
lui avait fallu comprendre qu’il était de retour dans la réalité, qu’il avait
survécu. Un putain de choc psychologique !
— Ethan. Je suis là, mon chéri.
— Je t’en supplie… reste avec moi, bredouilla-t-il.
Sa barbe râpeuse s’enfonçait dans la peau de mon cou.
Je m’écartai pour le regarder droit dans les yeux.
— Viens, on va se coucher. Oublions tout ça pour se concentrer sur
l’essentiel : toi et moi.
Comme l’expression d’Ethan s’obscurcissait, je poursuivis :
— On reprendra plus tard notre conversation de la veille de ton départ en
Suisse, d’accord ? On se dira ce qu’on a besoin de se dire. Mais pour l’instant,
on doit se retrouver.
Ethan ferma brièvement les yeux, visiblement soulagé.
— Oui… s’il te plaît.
Il baissa les yeux vers ses béquilles. Je me penchai pour les lui ramasser,
l’une après l’autre. Ses traits s’adoucirent.
— J’aimerais te dire à quel point je t’aime, mais putain, il n’y a pas assez
de mots pour pouvoir l’exprimer.
— Je sais.
Ethan me suivit jusqu’à la chambre et s’assit sur le lit. Cette fois, il prit
soin de disposer les béquilles de telle sorte qu’il puisse les attraper pour se
relever. Je m’approchai, debout entre ses jambes, et il m’attira aussitôt contre
lui, le visage enfoncé sous mes seins, ses mains au creux de mes reins, et il
respira profondément mon odeur.
À croire qu’il essayait d’entrer dans mon ventre, lui aussi, au chaud.
Ce qui lui aurait fait un bien fou, c’était une session de baise sauvage et
torride, mais il savait aussi bien que moi que nous en étions incapables, dans
l’immédiat. Il allait falloir trouver un autre moyen de nous rapprocher.
Je fis un pas en arrière, juste assez pour être hors de sa portée, et retirai
mes ballerines sans le quitter du regard.
— Souviens-toi de la première fois que je me suis glissée dans ce lit avec
toi. La première fois qu’on a été ensemble.
Je déboutonnai mon cardigan et le laissai tomber. Son regard suivit la
chute du vêtement, puis revint croiser le mien.
— Je me souviens.
— Je veux qu’on revive ce moment ensemble, murmurai-je. On était
méticuleux, on faisait attention à l’autre, sans savoir ce qu’on aimait, ce qui
faisait du bien à l’autre.
Ses yeux bleus s’assombrirent.
— J’avais du mal à croire que tu acceptais de venir chez moi. J’avais
tellement envie de toi, Brynne, que je n’en pouvais plus. Je n’ai jamais désiré
une femme à ce point.
Je déglutis avec peine et retrouvai ma place entre ses jambes pour attraper
sa chemise et la lui enlever. À son tour, il me débarrassa de ma robe grise, la
retroussant jusqu’à la taille, puis me la retira complètement quand je me
penchai pour l’aider. Je me redressai.
— Moi aussi, j’avais envie de toi ce soir-là, Ethan. Moi aussi.
Une fois dégrafé, mon soutien-gorge tomba au sol. Le bruit du froissement
de tissu fit grimper la tension d’un cran.
Une flamme dansait dans les yeux d’Ethan braqués sur ma poitrine
alourdie par la grossesse. Il tendit la main pour la toucher et me caressa tout
autour du sein en se rapprochant de plus en plus du mamelon.
Ses yeux se rivèrent soudain aux miens.
— Je me rappelle que par-dessus tout je voulais te faire plaisir. Je voulais
te faire jouir et entendre ta voix, ta respiration, tes cris.
Je m’accroupis pour défaire le lacet de sa chaussure droite. Ethan prit
appui sur ses coudes et souleva le bassin pour que je puisse retirer son
pantalon de jogging en faisant attention à sa jambe dans le plâtre.
Mon homme était sublime, ainsi allongé, nu, le sexe fièrement dressé. Je
savais ce que j’allais lui faire en premier.
À genoux devant lui, tout au bord du lit, entre ses cuisses, je lui demandai
dans un murmure :
— Tu te souviens de ce que je t’ai dit quand tu m’as fait jouir ?
Je pris son membre dans mon poing et commençai un mouvement de va-
et-vient de la base jusqu’au gland.
Un long soupir lui échappa, ses paupières papillonnaient, mais il parvint à
me répondre :
— Ethan… Tu as dit « Ethan ».
Je pris sa verge dans ma bouche et l’engloutis jusqu’à la garde.

Brynne sut me donner pile ce dont j’avais besoin. Allez savoir comment
elle le devinait, mais elle savait toujours exactement que faire et au bon
moment.
Lorsque j’eus décollé grâce à ses lèvres magnifiques, je lui renvoyai
l’ascenseur et dévorai avec gourmandise cet endroit si chaud qui tressaillait
délicieusement sous les assauts de ma langue. Je l’entendis crier mon nom plus
d’une fois avant d’en avoir terminé.
Plus tard, on s’est endormis ensemble, moi derrière elle, encore enfoncé
dans son intimité. Nous nous sommes accordé un long sommeil réparateur.
Il n’y avait pas de meilleur repos au monde.
Je mesurais la chance extraordinaire que j’avais.
18
24 janvier, dans le Somerset
Land Rover savait faire des voitures de luxe. J’étais bien placée pour le
constater. J’adorais ma voiture, et maintenant que j’étais à l’aise en roulant sur
la voie de gauche, je pouvais la sortir plus souvent. Ethan avait dû regretter
plus d’une fois son cadeau d’anniversaire. Trop tard, Blackstone, elle est à moi.
Il allait devoir se faire une raison. Pour l’instant, j’étais notre chauffeur. Son
plâtre lui permettait de marcher avec des béquilles, mais pas de conduire. Les
os de sa jambe gauche auraient besoin de quelques semaines encore avant de
pouvoir soutenir le poids de son corps. Pour l’accouchement, il aurait encore
ses béquilles, chose qui le contrariait profondément, mais il ne s’en plaignait
pas. Moi non plus. Nous préférions de loin qu’il soit encore là avec une jambe
dans le plâtre plutôt que là-haut, loin de moi. Vu comme ça, je l’embrasserais,
son plâtre !
Je devais abandonner Ethan aux griffes de Zara. Ce qui n’était pas pour lui
déplaire. C’était l’heure du goûter, et pour ça, Ethan avait sorti le grand jeu :
veste en velours et lavallière excentrique. Je le pris en photo avec son
accoutrement, histoire d’en rire d’ici quelques années. Ellen, la femme de
Robbie, avait préparé des cupcakes pour tous les goûts, accompagnés de
fraises et de thé, à prendre avec du lait ou du sucre. Je serais volontiers restée
avec eux, mais je ne pouvais pas me passer de mon massage bihebdomadaire.
Surtout lors de la dernière ligne droite de ma grossesse. J’avais mal partout :
au dos, au bassin, et même parfois à la tête. Les massages me faisaient le plus
grand bien.
J’avais eu des massages réguliers depuis Noël, c’était un cadeau d’Ethan
qui consistait en un forfait de séances bien-être à déguster sans modération.
Dieu qu’il avait le don pour me dégoter des cadeaux parfaits ! Mais comme
nous avions décidé de passer sa convalescence à Stonewell Court, il m’avait
fallu trouver une masseuse locale pour m’aider pendant les dernières semaines
de ma grossesse. C’est là qu’entrait en scène Diane, dont les talents
d’aromathérapeute et de réflexologue me faisaient un bien fou. Merci à Hannah
de me l’avoir recommandée.
Je me garai dans la rue, juste devant Bons Soins, le salon de Diane. Le
centre historique du petit village de Kilve n’était pas grand mais il y avait tout
ce qu’il faut : une auberge du dix-septième siècle appelée The Hood Arms,
l’église de Ste Marie dressée là depuis le treizième siècle, et sa célèbre plage
couverte de fossiles. Le tout digne d’une vieille carte postale. C’était calme et
apaisant. Je crois qu’Ethan et moi avions compris d’instinct que c’était
exactement ce dont nous avions besoin pour nous ressourcer : la paix de ce
lieu entouré d’une nature magnifique. Nous avions prévu de rester à Stonewell
jusqu’à la mi-février. Nous serions de retour à Londres où nous attendrait le
Dr Burnsley fort de son expérience médicale avant la date prévue pour
l’accouchement, le 28 février.
En marchant vers le salon de Diane, un magnifique jeune chien jaillit de
sous une table en terrasse et se précipita vers moi, remuant gaiement la queue
de cette manière typique qu’ont les chiens de vous faire comprendre qu’ils ne
sont pas méchants.
— Eh, coucou, toi ! Comme tu es beau !
Je me penchai pour le caresser. Sa fourrure était noire et épaisse jusqu’en
haut de sa tête, puis devenait ambrée sur le torse et le ventre. Ce n’était plus
vraiment un chiot, plutôt un jeune chien. Un mâle, de toute évidence. Je
reconnaissais la race des bergers allemands. Il était magnifique.
— Comment tu t’appelles, mon beau ? Tu attends ton maître ?
Je lui parlais tout en caressant sa fourrure soyeuse. J’adorais la couleur de
ses yeux dorés. Il me lécha la main et se laissa caresser volontiers. Bizarre, il
n’avait ni laisse ni collier. Pourtant, il appartenait forcément à quelqu’un.
Quand je me redressai pour entrer dans le salon, il me regarda gravement.
— Je dois y aller, lui dis-je.
Il aboya une seule fois, manière de me dire : « S’il te plaît, ne pars pas. »
Mon cœur se serra.

— Après ça, je vais pouvoir faire une longue sieste. Merci, Diane, tu as des
doigts de fée, la complimentai-je en m’étirant le cou.
Son salon sentait bon les herbes aromatiques. Au moment de lui tendre ma
carte de crédit, j’entendis encore l’aboiement. Il était là et me regardait à
travers la porte vitrée en agitant la queue comme un fou.
— On dirait que tu as un admirateur, Brynne, gloussa Diane. Je parie qu’il
te suivrait chez toi si tu le laissais t’accompagner.
Et son maître, alors ?
— Tu crois ? Mais à qui appartient-il ?
— À personne, c’est un chien errant. Il est dans le quartier depuis quelques
jours, à l’affût des poubelles des commerçants pour trouver à manger. Quand
je vois ce que les gens font subir aux animaux, ça me rend triste. Surtout ceux
qui, une fois adultes, atteignent une stature imposante. Les grands chiens sont
souvent abandonnés au bord de la route.
Diane marqua une pause avec une grimace de dégoût, puis regarda par la
fenêtre.
— Ce sont ces salauds sans cœur qu’on devrait abandonner dans la nature
sans eau ni nourriture. Ils verraient ce que ça fait. Mon voisin Lowell et moi,
on lui donne une gamelle de temps en temps pour qu’il ne meure pas de faim,
mais ce dont il a besoin c’est un foyer, une famille pour s’occuper de lui, un
grand jardin où se défouler. (Elle me décocha un clin d’œil couleur noisette.) Il
ferait un excellent chien de garde. Je suis sûre que l’idée plairait à ton mari.

— Tu me laisses parler, d’accord ?


Nous échangeâmes un regard et ses beaux yeux dorés me laissèrent penser
qu’il avait compris. Son nouveau collier en cuir et sa laisse assortie lui allaient
comme un gant. À présent, il était tout propre grâce à Diane qui m’avait
indiqué un salon de toilettage où, justement, son fils Clark travaillait. Clark me
fut d’une aide précieuse pour choisir des boîtes de pâtée, un panier et des
gamelles, ainsi que quelques jouets à mordiller pendant qu’il se faisait toiletter.
Clark m’aida ensuite à charger le tout dans le coffre de ma Rover et me salua
en me regardant rejoindre la route. Voilà, en un claquement de doigts, j’avais
pris ma décision.
Le trajet du retour m’amusa beaucoup. J’eus le sourire jusqu’à la maison.
Mon passager poilu était sagement assis sur le siège à côté de moi, avec sa
ceinture bouclée comme un humain. Mon chien. Je sentais qu’il m’aimait déjà.
Il ne me restait plus qu’à annoncer la nouvelle à mon mari.
— Je vais devoir te trouver un nom, observai-je tandis que nous partions à
la recherche d’Ethan et Zara dans notre grande demeure.
Ses griffes cliquetaient sur le parquet. Il marchait à côté de moi, sage
comme une image, comme s’il voulait me prouver quel bon chien il était. Je ne
me faisais pas de souci pour ça. Ce qui m’inquiétait, c’était la réaction d’Ethan
quand il me verrait avec un berger allemand et apprendrait que j’avais
l’intention de le garder.
Nous serions vite fixés.
Je les entendis avant d’entrer dans la pièce et devinai déjà ce qu’ils
faisaient. Ils jouaient à un jeu que Zara adorait, au grand dam d’Ethan. S’il
participait, c’était uniquement pour faire plaisir à la petite. Bijoux de princesse.
Moi aussi, j’adorais ce jeu… quand j’étais petite. J’avais des photos de mon
père avec une couronne sur la tête et des bijoux roses partout. Quand j’y
repense, il était patient. Tu étais le meilleur papa du monde.
Et voilà qu’Ethan se promenait avec un collier turquoise et de belles
boucles d’oreilles à clip, en concurrence avec Zara pour déterminer qui était la
plus belle princesse.
— Ah ah ! Tu n’as plus la bague noire ! se vanta-t-il au-dessus de la petite
table, assis en face de Zara qui portait une jolie robe bleu et jaune.
— Mais tu n’as pas la couronne, rétorqua-t-elle fièrement en enfonçant le
doigt dans son cupcake pour en déguster le glaçage.
— Je vais gagner, de toute manière, la nargua Ethan. Je pense qu’une
couronne m’irait très bien.
Le petit rire de Zara me faisait fondre. Je savais d’avance que mon mari
ferait un excellent papa. J’en avais la preuve sous les yeux. J’en étais tellement
heureuse que je me caressais le ventre pour m’assurer que tout cela n’était pas
un rêve. Oui, il y avait bel et bien une minuscule croupe sous mes doigts. En
m’imaginant la position qu’avait mon bébé, j’eus le sourire aux lèvres. Voyons
voir… Mon petit ange papillon avait les fesses en haut et la tête en bas. C’était
mon jeu préféré ces derniers temps.
Cela m’arrivait encore parfois d’avoir l’impression que ma vie était
irréelle. Elle avait changé si radicalement et en si peu de temps. Ma seule
option était aussi mon seul souhait : continuer à aller de l’avant. Et comment
pourrais-je désirer autre chose que ce qu’Ethan m’offrait déjà ? Tout son
amour, son dévouement et notre enfant ?
Mon fidèle compagnon poussa un petit gémissement à mes pieds. Ethan et
Zara levèrent les yeux vers nous. J’observai la réaction d’Ethan et décidai de
ne rien dire, me contentant de sourire. Patiente, je croisai les doigts et lui
laissai le temps de comprendre.

— Ton chien ressemble à Monsieur Farfouille, me lança Zara.


— Et c’est qui, ce Monsieur Farfouille ?
— Le chien peint sur un mur à la maison.
— Vraiment ?
Cette information m’intriguait. J’avais étudié presque toutes les œuvres
exposées à Hallborough, chez Hannah et Freddy, et ne gardais aucun souvenir
d’un portrait de chien.
— Je te le montrerai quand on rentrera à la maison. Il est très beau, tante
Brynne. On dirait vraiment que c’est lui.
Tout en parlant, Zara prenait un air sérieux et caressait la bête depuis la tête
jusqu’au bas du dos. Mon nouveau chien devait se croire au paradis des canins,
allongé aux pieds d’Ethan avec une petite fille qui cajolait sa fourrure
fraîchement nettoyée avec une tendresse méticuleuse. À cet instant précis, il
n’aurait quitté la maison pour rien au monde.
— Si je comprends bien, pendant que je me bats pour avoir la couronne, tu
récupères les chiens errants pour les ramener à la maison ? demanda Ethan, la
tête inclinée et le sourcil levé.
Je le trouvais tellement sexy que je l’aurais léché comme une glace.
— J’ai bien peur que oui, Blackstone, rétorquai-je sans l’ombre d’une
hésitation. C’est un bon chien.
— Je veux bien te croire, ma chérie. Il t’a choisie, c’est forcément un bon
chien, affirma Ethan en se baissant pour caresser la bête sous le menton. Et toi,
mon grand, est-ce que tu me promets de protéger ta maîtresse du danger ?
Hein ? C’est une mission très importante. Si tu te sens d’attaque, je te la confie.
C’était une conversation sérieuse, entre quatre yeux, d’homme à homme.
J’eus un petit rire. Mon chéri était vraiment aux petits soins. Il me laissait tout
passer. L’homme idéal. Unique en son genre.
— Alors tu acceptes de le garder comme chien de garde ici, à Stonewell ?
— Oui, ma belle. J’accepte.

— Qu’il est beau ! Oh, mon Dieu, on dirait Monsieur Farfouille, observa
Hannah en se baissant vers le chien pour l’examiner en détail. C’est peut-être
un descendant.
— C’est ce qu’on n’arrête pas de me dire. J’aimerais voir ce fameux
tableau.
— Je vais te le montrer, dit Zara en me prenant par la main.
Ethan resta avec sa sœur à la cuisine, découragé par tous les escaliers de
marbre de Hallborough.
— Prends soin de ta maîtresse, mon grand, missionna-t-il le chien d’un ton
grave, puis il se tourna vers moi, posa une main sur mon ventre et un baiser
sur mon front. Quant à toi, fais attention.
— Promis.
Ma main sur sa joue, je lui soufflai un silencieux « je t’aime ».
— Moi aussi, murmura Ethan.
C’était tout lui de vouloir tout contrôler et me protéger comme ça, même
avec des béquilles. Il s’était mis dans la tête qu’il s’en débarrasserait avant la
venue du bébé pour ne plus avoir que la botte de marche pour l’accouchement.
Ce devait être frustrant d’être bloqué à ne rien pouvoir faire, mais je ne l’avais
pas entendu se plaindre une seule fois. Les jambes cassées, ça se répare.
Zara me guida vers la partie de la propriété réservée aux clients du bed and
breakfast. Voilà pourquoi je n’avais jamais vu le portrait de Monsieur
Farfouille. En revanche, j’avais vu leur galerie, cette pièce élégante que l’on
trouve généralement dans les grandes demeures comme Hallborough où les
familles exposent leur collection privée nourrie au fil des années. Celle
d’Hannah et de Freddy comptait quelques sculptures de marbre et de belles
peintures, mais entre mon jardin de Stonewell à enrichir et ma décoration à
peaufiner, je n’avais pas pris le temps de toutes les étudier dans le détail.
On s’arrêta au bout du couloir dont toutes les portes donnaient sur les
chambres. Sur le mur du fond, au-dessus d’un guéridon sculpté, était suspendue
une grande toile d’un berger allemand. Le portrait était si fidèle qu’on aurait
cru à une photographie. L’artiste avait forcément utilisé une chambre noire
pour réaliser cette peinture. Effectivement, le modèle ressemblait à mon
nouveau chien, autant par la silhouette que par la couleur. Une plaquette était
fixée au bas du cadre ornemental avec l’inscription « Monsieur Farfouille »
gravée dans le cuivre.
— Eh bien, c’est quelque chose ! déclarai-je en souriant à Zara. C’est vrai
qu’ils se ressemblent beaucoup.
Elle pouffa.
— Je te l’avais dit, tante Brynne.
— J’aime beaucoup son nom. Et à toi, il te plaît, Zara ?
Elle opina d’un air très sérieux.
— Ce sera son nom. Monsieur Farfouille, déclara-t-elle solennellement
comme si c’était décidé depuis le départ. Il aura le droit de jouer avec Rags, ils
seront super copains.
— Qu’en penses-tu, Monsieur Farfouille ? demandai-je au chien.
La langue pendante, il pencha gaiement la tête sur le côté.
— Je t’appellerai Monsieur, c’est plus court, précisai-je en lui grattant le
menton.
À mon avis, sa nouvelle vie lui plaisait déjà, et son nom n’avait pas grande
importance pour lui. Mais beau comme il était, il méritait bien ce noble nom.
— Adjugé pour Monsieur Farfouille, tranchai-je.
À cet instant, je sentis un petit coup de pied dans mon ventre.
— Oh, le bébé est en train de bouger, prévins-je Zara. Tu veux le sentir ?
— Oh, oui !
Je lui fis glisser la main sous mon tee-shirt, bien à plat. Ses yeux
s’ouvrirent grands.
— Je la sens bouger ! s’exclama-t-elle tout excitée. Elle aime déjà
Monsieur Farfouille et elle veut jouer avec lui.
Ses suppositions me firent sourire.
— On ne sait pas encore si le bébé est une fille, Zara. Ça pourrait être un
garçon.
Une possibilité qui lui parut grotesque.
— Non, c’est une fille, tante Brynne.
— Pourquoi tu penses ça ?
Zara haussa les épaules.
— Ben, parce que moi, je veux un bébé fille.
Voilà, pour les enfants, c’est aussi simple que ça. Dès le premier jour,
j’avais compris que Zara avait un avis bien arrêté sur toutes les choses de la
vie. Absolument toutes. Et elle n’hésitait pas à le partager. C’était un petit être
adorable jusqu’au bout des doigts. Que l’on ait une fille ou un garçon, elle
serait la cousine parfaite. Une pensée qui me réchauffait le cœur.
Vint ensuite ma seconde surprise.
J’observai la peinture, Monsieur Farfouille, et crus reconnaître cette
patte… Celle de l’artiste, en tout cas. J’avais déjà travaillé sur ce coup de
pinceau. Quand on travaille dans la conservation des œuvres d’art, on passe de
longues heures silencieuses avec les tableaux, et on apprend à connaître le
peintre même s’il est mort depuis bien longtemps. On comprend sa façon de
procéder et on finit par le reconnaître sur d’autres toiles.
Était-ce possible ?
Je m’approchai et examinai le coin inférieur à la recherche d’une
signature. Le vernis s’était obscurci avec les années, j’avais du mal à discerner
les lettres. Mais c’était là. Plus petit que l’écriture à laquelle l’artiste m’avait
habituée. Je sentis comme un parfum de victoire en trouvant le T suivi de
MALLERT… Le reste disparaissait sous le cadre. Mon cœur battait la
chamade. J’avais sous les yeux une œuvre méconnue dont le sujet était un très
beau chien, Monsieur Farfouille, datant du début de la carrière d’un grand
artiste, Tristan Mallerton, peintre de Lady Percival et de centaines d’autres
monuments picturaux. Oh, bon sang ! Qu’est-ce qu’ils me cachent d’autre, dans
cette maison ?
Je devais appeler Gaby tout de suite pour lui raconter cette incroyable
trouvaille.
6 février
Brynne était sublime. Encore au lit, je l’admirais qui se recoiffait devant le
miroir. À mes yeux, elle avait toujours été magnifique, mais, depuis mon
accident, ce qui nous liait allait encore plus loin. À l’intérieur, j’avais changé.
Ce moment où j’ai cru lui dire adieu en haut d’une montagne suisse avait brisé
le rempart qui entourait ma zone d’ombre. Peu à peu, mes émotions
reprenaient sens. Les horreurs de mon passé étaient enfin reléguées au second
plan puisque ce qui comptait vraiment, c’était notre amour. Brynne avait fait de
moi l’homme que j’étais devenu à ce stade de ma vie. Ce n’est pas facile à
exprimer avec des mots, mais dans mon cœur, c’était clair : j’allais mieux.
J’étais désormais capable de dépasser ces événements qui, lors de la décennie
passée, avaient bouleversé ma vie et de les laisser à leur place.
Pour moi, ça incluait Sarah Hastings. Comme Lance Oakley pour Brynne.
Faute de trouver un meilleur terme, je dirais que nous avions « fait la paix »
avec ces personnes pour aller de l’avant. De mon côté, je m’étais excusé auprès
de Sarah pour mon implication dans la mort de Mike. Ça n’avait pas été facile,
mais cette étape avait été capitale : j’avais eu besoin de lui dire que j’étais
désolé. Le Dr Wilson maîtrisait son sujet ; les devoirs qu’il me donnait à faire
étaient redoutablement efficaces. Cette thérapie, je la prenais au sérieux en
espérant que ça marche.
Si Brynne avait accepté de voir Lance Oakley pour écouter sa version des
faits, elle devait avoir de bonnes raisons. Je doutais franchement qu’il lui ait dit
la vérité, mais je savais aussi que ce que moi je croyais n’avait aucune
importance. Cette vidéo, je ne l’avais jamais vue et ne la verrais jamais. Brynne
était responsable de son propre destin, c’était à elle de décider comment faire
cicatriser ses plaies. Si ce qu’il lui avait révélé aidait Brynne à se sentir mieux
dans sa peau, alors banco. Mais ça m’arrangeait bien, putain, qu’il ait foutu le
camp de Londres. Cet enfoiré n’aurait quand même pas eu le culot de chercher
à devenir le nouvel ami de Brynne ! Non, je ne l’aurais pas permis. Je voulais
bien être raisonnable, mais il y avait des limites, putain.
On en tirait tous les deux une leçon, Brynne et moi. Une leçon de respect
pour l’autre. Chacun avait le droit de cultiver son jardin secret. Nous devions
simplement être là pour le bonheur de l’autre. Brynne m’aimait et j’en étais
conscient, tout comme elle savait que j’étais fou d’elle. Toutes les occasions
étaient bonnes pour le lui prouver.
— À quoi tu penses ? me demanda-t-elle en sortant de la salle de bains
vêtue d’une petite nuisette transparente à souhait. Autrement plus sexy que le
truc que j’avais déchiré.
Elle gagnait en rondeur, mais sa silhouette était toujours mince. À mes
yeux, en dehors de ses seins et de son ventre, elle n’avait pas changé. Ma
sublime Américaine.
— À toi, au fait que tu es magnifique. Viens par là, ma belle.
Brynne sourit en me voyant lui tendre les bras et me rejoignit sous les
draps qu’elle repoussa délicatement pour découvrir mon corps nu. Mon
érection ne devait pas la surprendre. La machine fonctionnait toujours à
merveille même si je ne pouvais pas me lever, ni la porter quand la folie du
sexe nous prenait. Mais ma jambe finirait par guérir et je serais sur pied en un
rien de temps pour baiser ma femme comme je l’entendais.
— Je m’en doutais, ronronna-t-elle en retroussant sa nuisette pour me
chevaucher.
Elle s’assit sur ma verge dure, les jambes bien écartées pour embrasser
toute sa longueur de ses lèvres déjà humides, mais sans se laisser pénétrer.
Soulevant le bassin, je poussai un grognement de plaisir.
— Oh, putain, c’est trop bon, marmonnai-je en lui retirant sa nuisette pour
la jeter au pied du lit. Voilà, c’est mieux.
Mes yeux se gargarisaient de la vue. Enceinte ou non, je ne me lassais
jamais de la reluquer. Elle me fascinait. Au moment où elle entamait un
mouvement de va-et-vient, je me redressai juste assez pour prendre son sein
dans ma bouche.
Brynne se cambra, me laissant tout le loisir de lui malaxer la poitrine, de
lui taquiner les tétons jusqu’à les rendre bien durs. À force de se frotter à mon
sexe, elle approchait de l’orgasme à vitesse grand V.
— Tu veux jouir, ma belle ? Dis-moi ce que tu veux et tu l’auras.
La bouche entrouverte, elle se laissait complètement abandonner aux
sensations qui l’envahissaient.
— Oooh, je veux… Je veux ta bite en moi quand je jouirai. Je la veux là,
comme ça…
Sur ce, elle se frotta de plus en plus fort à mon membre. L’odeur de son
excitation me chatouillait les narines, je devenais fou. Sans prévenir, elle se
redressa sur un genou et m’empoigna sauvagement.
Oh, putain ouais !
Doucement, tout doucement, elle s’empala sur moi.
Putain, c’était trop bon, je poussais un tas de grognements à mesure que
ses parois étroites se refermaient sur les palpitations de ma queue. Je volai sa
bouche pour y enfoncer ma langue aussi loin que je pus. J’ai toujours adoré la
prendre de tous les côtés. C’était plus fort que moi, j’en avais besoin. En même
temps, Brynne n’avait pas l’air de s’en plaindre. Au contraire.
Je saisis ses fesses à pleines mains et nous nous lançâmes dans un rodéo
tumultueux. Je me soulevais à chaque poussée pour la prendre toujours plus
fort tandis qu’elle crispait ses muscles en tournant légèrement ses hanches.
Nous faisions durer le plaisir, ralentissant par moments pour reprendre de plus
belle. Brynne menait la danse. Je voulais qu’elle prenne son pied. Il n’y avait
rien de plus beau que ce moment où elle ne pensait à rien d’autre qu’à ma
queue et à se faire prendre. J’adorais la baiser comme ça, frénétiquement,
jusqu’au pic de l’extase.
Lorsqu’elle glissa une main derrière elle pour s’emparer de mes bourses,
il n’en fallut pas plus.
La vitesse maximale était enclenchée.
— T’es parfaite, ma belle. Putain, je rentre comme un gant ! Je te veux
comme ça pour toujours. Je n’arrêterai jamais… de… te… baiser !
— Oui, Ethan, n’arrête jamais. Je ne veux pas que tu arrêtes.
— Jamais, chérie… Je continuerai jusqu’à la fin de mes jours.
Je portai le bout de mes doigts à son clitoris trempé pour la caresser
pendant qu’elle se balançait furieusement sur moi. Ce soir, je voulais qu’on
jouisse ensemble. Au même moment. C’était important pour moi. Je voulais
sentir ses spasmes à l’instant même où j’éjaculerais en elle. Je voulais avaler
ses cris, ma langue dans sa bouche, pour la savourer jusqu’aux dernières
vagues.
Évidemment, il me fallut arrêter après l’orgasme, après l’avoir entendue
hurler mon nom et avoir déchargé en elle toutes mes réserves. Ce qui comptait,
ce n’était pas le sens littéral de notre promesse, mais bien le symbole qu’il y
avait derrière. Je ne cesserais jamais d’aimer Brynne, et la baiser comme un
sauvage de temps en temps faisait partie du contrat. Côté sexe, nous avions
toujours été sur la même longueur d’onde. On pouvait remercier le hasard, ou
les dieux, ou je ne sais quel coup du destin pour nous avoir gâtés dans ce
domaine. Il est rare de tomber sur une personne aussi compatible, je savourais
ma chance.
Je la soulevai doucement et l’aidai à s’allonger près de moi pour la
regarder dans les yeux et la couvrir de baisers. Après l’amour, j’en avais
besoin à chaque fois. Brynne avait les paupières lourdes, fatiguée par son
orgasme, et je m’inquiétai soudain d’en avoir trop fait compte tenu du stade
avancé de sa grossesse.
— Ça va, mon cœur, ce n’était pas trop violent ? On aurait peut-être dû y
aller plus doucement.
Du bout du doigt, je traçai le contour de ses lèvres qu’elle ouvrit avec
gourmandise pour prendre mon index dans sa bouche et y passer la langue
goulûment. Je me sentis durcir, prêt pour le deuxième round. Non, arrête ça,
putain de Cro-Magnon. Épargne-la.
— Mmmh, ne t’inquiète pas, je me sens très bien, murmura-t-elle, les yeux
à demi clos. J’avais besoin de cet orgasme comme tu n’as pas idée. Je t’aime
tellement fort.
— Je veux t’embrasser, Brynne, susurrai-je en inclinant la tête vers la
sienne.
Alors je le fis, lui chuchotant tout ce que j’avais besoin de lui dire, entre
deux baisers. Tout ce qu’elle avait besoin d’entendre, aussi. Jusqu’à nous
endormir, les jambes emmêlées, nos corps blottis l’un contre l’autre, au plus
près.
Je ressentis une étrange sensation. Celle de me trouver comblé, en paix
avec moi-même, et heureux. C’était la première fois que ça m’arrivait. Pourvu
que ce ne soit pas la dernière.
19
7 février, dans le Somerset
— C’est le dernier colis arrivé de Londres, madame Blackstone. Je
monterai le berceau ce soir, quand mon assistant aura un moment.
Robbie me fit un clin d’œil. Par « assistant », il entendait Ethan, qui tenait à
participer au montage du petit lit d’enfant.
— Oui, je suis au courant, Robbie. J’imagine que vous avez eu droit à la
même rengaine que moi. Ethan veut s’assurer que le lit sera bien monté pour
qu’il n’y ait aucun risque pour le bébé. La sécurité, c’est son obsession, et
même pour toutes les petites choses de la vie. Enfin, vous avez dû le
remarquer, ajoutai-je, ironique.
Robbie éclata de rire et ressortit de la pièce, mais s’arrêta sur le seuil pour
me demander :
— Vous voulez que je promène Monsieur Farfouille avant de partir ?
— Je ne sais pas, il a l’air bien, là.
Je me tournai vers Monsieur, étalé sur le nouveau tapis, et qui me regardait
avec ses yeux dorés.
— Tu veux sortir avec Robbie ?
Il ne bougea pas d’un pouce. Or j’étais certaine qu’il avait compris ma
question. Mon Monsieur en avait dans la caboche et c’est moi qu’il aimait le
plus. Parce que c’est moi la meilleure.
— Bon, pas maintenant, Robbie. Il me fera savoir s’il a envie de sortir. De
toute façon, j’aurai besoin de prendre l’air dans la journée.
— Très bien, madame Blackstone.
Après le départ de Robbie, je m’en retournai à mes peintures murales dans
la chambre d’enfant. Avec sa femme, Ellen, il prenait grand soin de Stonewell,
à la fois quand nous rentrions de Londres et en notre absence. À force, Robbie
s’attachait à Monsieur Farfouille. Et tant mieux, puisque le chien restait là à
plein temps. Hors de question d’enfermer cette pauvre créature dans un
appartement au centre de Londres. Ce serait cruel. Mais il me manquerait
beaucoup. En plus, nous avions prévu de rentrer à Londres dans une semaine
pour ne pas prendre le risque d’un accouchement prématuré. Ethan en faisait
toute une histoire et, comme d’habitude, je préférais le laisser faire comme il
l’entendait.
Cette fois, j’avais choisi une fresque représentant la mer, sans arbres,
finalement. Nous ne pouvions pas définir tous les éléments de la décoration
tant que nous ne savions pas s’il s’agirait d’une Laurel ou d’un Thomas. Le
sourire aux lèvres, je peaufinai les nuages blancs. Ce matin, Ethan avait voulu
savoir quel genre de peintures j’utilisais et si elles étaient bien à base d’eau,
sans produits toxiques. Il était tatillon, mais c’était pour mon bien.
D’ailleurs, notre session torride d’hier soir l’avait inquiété. Pourtant, je ne
voyais pas pourquoi. J’avais trouvé ça génial, et je me sentais très bien. Et puis,
d’après mes recherches sur le sujet, il n’y avait aucun risque à faire l’amour
pendant la grossesse à condition qu’il n’y ait aucune complication, et que l’on
se sente d’attaque. Hier soir, j’étais d’attaque. Quant à Ethan, la question ne se
posait même pas, il était toujours partant. Après son accident, nous avions tous
les deux terriblement besoin de nous retrouver de manière intime. Rien au
monde n’était plus important que la santé de l’être aimé.
Nous avions failli nous perdre. Une pensée qui me fit frissonner. Je repris
mon œuvre en ajoutant des nuances aux nuages d’un blanc cotonneux qui
donnaient sur un étincelant océan turquoise.

Monsieur se baissa en position d’attaque, prêt à bondir dès que je lui aurais
envoyé son jouet préféré – un os, évidemment.
— Va chercher !
Et je le lançai de toutes mes forces, mettant à profit mon expérience au
lancer de poids qui datait du lycée. Le chien s’élança vers les buissons qui
bordaient notre jardin pour aller le chercher. Il se régalait. Je m’assis sur l’un
des petits murets et attendis qu’il me ramène son os.
Dans la matinée, j’avais eu mal au dos et cette sortie avec le chien aurait pu
soulager la douleur, mais non. Elle était toujours bien là. J’avais envie d’une
boisson chaude. Je refermai mon chandail pour chasser mes frissons. Il ne
fallait pas oublier que c’était encore l’hiver. J’étais ravie de cette journée de
froid sec, mais à voir les nuages menaçants qui approchaient, il se mettrait à
pleuvoir dans moins de deux heures.
Je rappelai Monsieur et me levai pour rentrer dans la maison. J’eus une
drôle de sensation chaude à l’entrejambe. Deux secondes plus tard, ce n’était
plus si chaud. J’étais mouillée. Trempée, même. Comme si je m’étais fait pipi
dessus, or j’étais bien certaine que ce n’était pas le cas.
Je me mis à paniquer. Et si c’était du sang ? Je touchai la zone mouillée de
mon legging. C’était transparent. En portant mes doigts à mes narines, je sentis
que ce n’était pas non plus de l’urine. Juste de l’eau. De l’eau…
Merde !
Ma poche des eaux s’était rompue.
Putain de merde !

La gestion de Blackstone Security depuis mon bureau de Stonewell Court


se passait vraiment bien. Je fonctionnais avec le même système de
communication qu’à l’appartement de Londres et menais ma boîte comme je
l’avais toujours fait. Neil s’occupait de diriger les bureaux en mon absence. Il
faisait du très bon boulot, à tel point que je n’étais même pas sûr de leur
manquer. Il me faudrait réfléchir sérieusement à mon rôle au bureau. J’aimais
beaucoup l’idée de rester à Stonewell Court plus longtemps qu’un simple
week-end par-ci par-là. Brynne adorait la campagne. Elle avait même contacté
son directeur de l’Université de Londres pour lui proposer le projet d’une
étude évaluative des toiles exposées à Hallborough. Après sa découverte du
tableau de Monsieur Farfouille, un Mallerton original, elle s’était mise dans
l’idée de découvrir tous les secrets que renfermait encore cette vieille
demeure. D’après elle, il y avait assez à faire dans cette maison pour l’occuper
pendant quelques années, si son projet était accepté.
Des aboiements me tirèrent de mes pensées. Des aboiements incessants et
affolés. Ça ne ressemblait pas à Monsieur Farfouille. Lui qui était d’habitude si
calme – chose que j’appréciais chez lui. C’était un bon chien, or là, j’entendais
que quelque chose l’inquiétait. Quelqu’un essayait-il de s’introduire dans la
propriété ?
Je me levai de mon bureau et me hissai avec mes béquilles jusqu’à la
fenêtre. La vue donnait sur le jardin derrière la maison et sur les côtes
maritimes en arrière-plan.
Monsieur était en bas et aboyait comme un fou en direction de la maison,
le museau pointé vers le ciel.
Brynne était à côté de lui.
Assise sur le muret du jardin, elle s’agrippait entre les cuisses.
Des auréoles foncées teintaient l’intérieur de son legging…
Oh, putain ! NON ! NON ! NON !

— Fred, dis-moi ce qui se passe ! Allez, dis quelque chose !


Je tenais mon beau-frère par le col et collais son visage au mien. Mon
cœur était sur le point d’imploser.
— Relâche ton médecin si tu veux qu’il mette ton bébé au monde, répondit-
il calmement en se dégageant. Va rejoindre Mary Ellen pour qu’elle te récure
avant de passer au bloc. Tu vas être papa, mon vieux.
— Mais pourquoi une césarienne ? ! Fred ! croassai-je.
— Pas le choix, je suis désolé. Le bébé descend par le siège, on ne peut pas
prendre ce risque pour Brynne. Elle n’a pas la carrure, précisa-t-il en
m’assénant une tape vigoureuse sur l’épaule. Tout ira bien, alors arrête de
t’inquiéter et va te préparer.
Fred m’abandonna dans le couloir et disparut par une porte dont l’accès
était réservé au personnel. Je déglutis et m’en retournai suivre Mary Ellen en
espérant ne pas me sentir mal avant qu’elle ne m’ait conduit je ne sais où.
— Où ont-ils emmené ma femme ? voulus-je savoir.
— Elle est en salle de préparation avant le bloc opératoire pour la
péridurale. Le Dr Greymond vous expliquera tout au fur et à mesure. Vous
serez aux côtés de votre femme jusqu’au bout et pourrez lui parler, me dit-elle
en souriant gentiment. Félicitations, jeune papa.
— Vraiment ?
C’était ma voix, ça ? Je ne la reconnaissais pas. Qu’est-ce qui me prenait de
répéter « vraiment » comme un abruti ? Le choc devait être tel que ma
conscience refusait de filtrer les événements de ces deux dernières heures. Dès
que Monsieur m’avait prévenu de ce qui arrivait à Brynne dans le jardin,
j’avais appelé les secours. En attendant l’ambulance, j’avais téléphoné au
cabinet du Dr Burnsley, à Londres, puis à Fred. J’étais complètement paniqué,
ne sachant quoi faire. S’en était suivi un putain de trajet de l’horreur, avec
Brynne sur un brancard à l’arrière d’une ambulance, jusqu’à l’hôpital
Bridgewater. Cinquante kilomètres de routes escarpées. Et moi qui avais tout
prévu : la clinique privée à Londres, le médecin réputé, tout. Le pire avait été
de ne pas pouvoir porter Brynne à l’intérieur en attendant l’arrivée des
secours. Je clopinais autour d’elle comme un vieux boiteux, ignorant tout de ce
qui se passait tandis que les secouristes l’emportaient vite dans l’ambulance. Le
bébé ne devait pas arriver avant trois semaines…
— Monsieur Blackstone ?
— Quoi ?
Je me tournai vers la voix en clignant des yeux.
— Veuillez retirer vos vêtements et enfiler ceux-ci à la place, ainsi que le
bonnet. Vous vous laverez ensuite les bras et les avant-bras d’après les
indications affichées au-dessus des robinets, puis vous me rejoindrez derrière
cette porte, lista l’infirmière Mary Ellen en désignant la porte en question. Je
vous guiderai jusqu’au bloc où vous retrouverez votre femme et assisterez à la
naissance de votre enfant.
Elle avait l’air heureuse.
— Vraim… hum, OK.
Mais à qui était cette voix fluette ? Certainement pas à moi.
Le sourire de Mary Ellen s’agrandit.
— Prenez une profonde inspiration, monsieur Blackstone.
— Mais dites-moi, tout se passera bien ? C’est beaucoup trop tôt…
Patiente, elle répliqua d’un ton pragmatique :
— Les bébés décident du jour où ils veulent naître, on n’y peut rien. Votre
femme est entre de très bonnes mains. Le Dr Greymont participe à des
accouchements très souvent, vous êtes bien placé pour le savoir.
Elle insista bien en me regardant bizarrement comme s’il y avait quelque
chose de plus que ma jambe qui clochait, puis quitta la pièce pour me laisser
me changer.
J’entrai dans le bloc à reculons, tétanisé. Putain. Mais il fallait que je
prenne sur moi pour voir Brynne et m’assurer qu’elle allait bien. Il faisait
froid dans la pièce, et une odeur d’antiseptique planait dans l’air. Je
m’approchai de l’endroit où tout le monde était rassemblé, boitillant sans mes
béquilles. C’était une chose que j’avais décidée depuis longtemps : je serais sur
mes deux jambes, peu importe que l’une soit cassée, putain.
— Le voilà ! s’exclama Fred en levant le pouce.
— Ethan ? m’appela Brynne.
Soulagé d’entendre sa voix, j’arrivai à son chevet. Le haut de son corps
était dégagé jusqu’en dessous de la poitrine. Le reste m’était caché par un
grand drap bleu.
— Je suis là, mon amour, susurrai-je en lui embrassant le front. Comment
tu te sens ?
— Mieux maintenant que tu es là.
Je t’aime, mima-t-elle en silence.
C’est drôle, nous étions tous les deux dans le même état. Dès que nous
étions réunis, tout le stress s’évaporait comme par magie. Brynne était une
jeune femme si courageuse. Elle semblait prête à affronter ce qui l’attendait.
Elle était si belle. Si ma femme s’en sentait capable, la moindre des choses était
de l’accompagner sans tourner de l’œil. Comment avais-je fait pour croiser la
route d’une femme aussi exceptionnelle ? Comment était-il possible qu’elle
soit tombée amoureuse de moi ?
— Moi, je t’aime encore plus, répondis-je.
— Prêts à devenir parents ? nous demanda gaiement Fred.
Oui.

— C’est bon. Si tu as envie de regarder, Ethan, c’est le moment, m’indiqua


Fred d’une voix plate.
Tant mieux. C’était le signe qu’il était focalisé sur sa tâche. Pendant
l’incision, je n’avais pas détourné le regard du visage de Brynne, lui caressant
doucement la main avec mon pouce. Hors de question de regarder une lame
fendre la peau si parfaite de mon épouse. Elle était d’un calme à toute épreuve.
Sur son visage, pas le moindre signe de tracas. Elle était prête à aller jusqu’au
bout du processus. J’étais impressionné. Les femmes sur le point d’accoucher
sont l’incarnation même de la détermination et du stoïcisme. Brynne était
fascinante.
Tout autour, des moniteurs bipaient en chœur avec le cliquetis des outils
chirurgicaux que maniait l’équipe médicale pour se rapprocher du bébé.
— Je n’ai pas mal, Ethan. Je sens à peine qu’ils trifouillent mon ventre. Ça
fait bizarre, mais sinon, je ne sens rien du tout, me rassura ma belle en
souriant. Maintenant, tout ce que je veux c’est rencontrer notre bébé.
— Moi aussi, ma beauté. Moi aussi.
— Et c’est parti, déclara Fred avec autorité.
Je jetai un coup d’œil par-dessus le drap bleu et aperçus un rond de
cheveux noirs qui émergeait du ventre de Brynne. Puis un petit visage
renfrogné, outré d’avoir été ainsi tiré de son repos pour être exposé à la
lumière des néons et à tous ces bruits assourdissants. De petites épaules
apparurent ensuite, et des bras miniatures, puis le reste d’un petit corps tout
entier. Il fallut en tout dix secondes, pas plus.
En dix secondes, c’était fait… elle était parmi nous.

Laurel Thomasine Blackstone est née le 7 février à 15 h 44 précises. Elle


pesait 3,86 kg et mesurait 49 cm. Elle vint au monde en s’époumonant, signe
de santé, et avec de belles boucles brunes sur une petite tête parfaitement
formée. Deux détails hérités de son père, évidemment.
Mon ange papillon était une magnifique petite fille qui aurait besoin de
moi pour prendre soin d’elle, l’aider à grandir et pour l’aimer de tout mon
cœur. Son père aussi lui offrirait toutes ces choses, parce qu’Ethan Blackstone
était un homme merveilleux au grand cœur. Il avait énormément d’amour à
nous offrir, à moi et à notre fille.
Lorsqu’ils la déposèrent dans mes bras la toute première fois, des larmes
de joie roulèrent sur mes joues. Je n’arrivais pas à en décrocher mon regard,
malgré une fatigue fulgurante qui m’aurait permis de dormir une journée
entière. Mais au lieu de ça, je préférais regarder ses petites mains, ses petits
doigts et ses minuscules orteils. Ce que je fis. Pendant des heures. Son nez, ses
yeux, sa petite bouche en cœur et ses joues bien rondes n’étaient pas moins
captivants.
Ethan l’avait découverte avant moi à cause du drap qui me bloquait la vue.
Il avait tourné la tête vers moi et m’avait annoncé que nous avions une fille.
Et pour la première fois depuis notre rencontre, je vis des larmes dans ses
yeux.
14 février, dans le Somerset
— Patience, princesse, papa doit te changer avant de te ramener voir
maman. Sois gentille, arrête de gigoter… laisse-moi enfiler la manche… oh,
fait chier, je n’arrive pas à te mettre ce foutu machin. C’est débile, ce truc,
chantonnait Ethan pour apaiser sa fille. Tu sais quoi ? On va plutôt
t’envelopper dans une couverture. Oh, oui, c’est beaucoup mieux…
Ses mots chuchotés dans la nuit à notre précieuse Laurel me faisaient
retenir mon souffle pour ne rien manquer de ce qu’il lui disait, des gazouillis
qu’elle faisait en retour, des bruits de scratch sur les couches et de jurons qu’il
étouffait en bataillant avec le minuscule pyjama. Ethan remplissait volontiers
son rôle de papa. Il s’investissait autant que pour tout ce qui lui tenait à cœur,
avec toute la volonté du monde.
En peu de temps depuis sa naissance, j’avais déjà appris une chose
essentielle chez Laurel. C’était la fifille à son papa. Tout comme moi. La voix
d’Ethan la calmait dès qu’elle s’agitait et l’endormait dès qu’elle était fatiguée.
Il était l’homme qui murmurait à l’oreille de Laurel. Si seulement mon père
pouvait la voir de là où il était, je ne sais où dans l’univers.
— Aaah, tu es réveillée ! s’exclama Ethan en boitant jusqu’à moi, sa jambe
encore immobilisée et notre nouveau-né dans ses bras.
Il était la virilité incarnée avec ses cheveux ébouriffés par le sommeil, du
haut de son mètre quatre-vingt-dix, les muscles saillants et dessinés, qui tenait
ce tout petit être dans ses bras puissants comme s’il s’agissait du trésor le plus
précieux au monde. J’avais envie de les prendre en photo.
D’où l’utilité de toujours garder mon appareil photo sur la table de chevet.
Je m’empressai de les immortaliser.
— Celle-ci ira directement dans l’album, me félicitai-je tandis qu’il la
déposait dans mes bras. Merci de l’avoir changée.
— Avec plaisir, fit-il en s’installant près de nous sur le lit.
Depuis notre retour de l’hôpital, Ethan m’aidait pour tout. La cicatrice de
ma césarienne me faisait encore mal et les antalgiques avaient tendance à
m’endormir. Il avait donc pris l’habitude de se lever pour moi la nuit, d’aller
chercher Laurel et de me l’apporter pour la tétée. Une fois que c’était fini, il la
recouchait et lui faisait même parfois faire son rot. Petit à petit, il prenait ses
habitudes et manipulait le bébé comme un chef. À une exception près. Ses
grandes mains arrivaient difficilement à bout des minuscules boutons-pression
de body taille nouveau-né.
— Le pyjama t’a encore causé des misères ? lui demandai-je en ouvrant le
bonnet de mon soutien-gorge d’allaitement.
Je préférais encore porter ce truc toute la journée que me réveiller dans
une flaque de lait.
— Oui, j’ai du mal à lui enfiler ses manches.
— Je sais, je t’ai entendu.
Dès qu’elle sentit l’odeur du lait, Laurel chercha mon mamelon, et quand
elle l’eut trouvé, elle se mit à téter furieusement en ouvrant et refermant le
poing au-dessus de ma poitrine.
— J’ai aussi entendu les gros mots que tu lui as fredonnés à l’oreille,
ajoutai-je.
— Merde, grommela-t-il, et sa mine déconfite me fit éclater de rire. Je vais
devoir surveiller mon langage avec elle. Je suis désolé, je parle comme un
charretier.
— Je t’aime très fort, Ethan, mais effectivement, il va falloir éviter les
gros mots. Cette petite chose copiera chacun de tes mots et de tes actes. C’est
une fifille à son papa.
Tout heureux de ma dernière remarque, il eut un grand sourire.
— Tu crois ?
— Oui, j’en suis sûre.
— Je vous aime tellement, toutes les deux, soupira-t-il d’une voix emplie
d’une émotion sincère.
Il s’approcha pour m’offrir un long baiser, puis s’installa sur l’oreiller,
tout près de moi, pour veiller sur nous.

Je me réveillai au petit jour. Seule dans la chambre. En voyant le bouquet


de roses lavande, je me rappelai aussitôt quel jour on était et souris. C’était la
Saint-Valentin. Notre tout premier, d’ailleurs. Voyons ce que m’avait laissé
mon très romantique mari.
Sous le vase, il y avait une enveloppe tout près d’un écrin de velours noir.
Je commençai par l’écrin. Sans doute encore une pièce ancienne tirée de la
collection privée de sa famille. C’était sublime : un sautoir fait d’un papillon en
filigrane dont le corps était un beau rubis. Parfait pour moi. Je passai la tête
dans la chaîne et admirai le bijou. Ce collier me rappellerait pour toujours
notre ange papillon.
Je m’emparai de la lettre et la lus.

Ma beauté,

Depuis le tout premier jour, tu m’as redonné goût à la vie. Je me


réveille chaque matin en songeant à la chance que j’ai de t’avoir.
Grâce à toi, je revis. Tu m’as rendu la vie le jour où tu es entrée dans
cette galerie et où tu as levé les yeux vers moi. Tu es la seule au monde
à me voir tel que je suis vraiment. Je veux passer le restant de mes
jours à t’aimer. Je ne veux rien d’autre. Je n’ai besoin de rien d’autre.
À toi pour toujours,
Ethan
Chassant une larme au coin de mes yeux, je me levai pour vite rejoindre
mon mari et le remercier pour son précieux cadeau.
28 février, à Londres
— C’est un jour particulier, aujourd’hui. Tu sais pourquoi ? lui demandai-
je depuis le tapis où j’étais assis.
— Évidemment, j’ai la mémoire des dates, fit-elle avec un petit air fier.
— Très bien, madame, j’écoute. Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ?
— C’est aujourd’hui qu’aurait dû naître Laurel, monsieur.
Ce n’était pas surprenant de la part de Brynne. Elle se souvenait de toutes
les choses importantes. Notre petite chérie fêtait ses trois semaines aujourd’hui
et grandissait à vue d’œil. Elle avait presque pris 500 g et je n’en étais pas
mécontent. À sa naissance, je l’avais trouvée maigrichonne. Mais elle devenait
une battante, comme sa maman.
Là, nous faisions plaisir à maman qui nous positionnait comme elle voulait
pour sa photo. Ça devenait une passion. Brynne nous mitraillait constamment,
Laurel et moi. Elle avait repéré un cliché sur l’un de ses sites favoris et m’avait
demandé de recréer la scène une fois que le bébé serait né. Apparemment,
c’était le grand jour.
La première étape fut de donner la tétée à Laurel jusqu’à ce qu’elle tombe
dans un profond sommeil. Puis Brynne la déposa délicatement sur mon dos
pour que mes ailes tatouées laissent penser qu’elles appartenaient à Laurel.
Puisqu’elle était déjà notre petit ange, autant l’immortaliser comme tel.
— Alors, à quoi on ressemble ? lui demandai-je tandis qu’elle nous
photographiait.
— Au plus canon des papas avec un nouveau-né recroquevillé sur son dos,
me taquina-t-elle.
— J’en connais une qui ferait bien d’occuper ses lèvres à autre chose pour
arrêter de dire des bêtises.
Elle eut un rire sexy.
— Si c’est une promesse, j’espère que tu la tiendras.
— Ma queue t’entend, ma belle.
En échange, je m’attendis à être remis à ma place par une pique de
sarcasme. Avec Brynne, on ne savait jamais à quoi s’attendre. Côté repartie,
elle dégainait plus vite que son ombre. C’est pourquoi, généralement, lorsque
je croyais avoir l’avantage dans nos débats, elle savait mieux que personne
retourner la situation à son profit. Chaque fois, je me faisais avoir.
Pourtant, j’entendis que sa respiration se saccadait. Était-ce de penser à ma
queue ? Lui aurais-je donné des idées ? J’y pensais tout le temps, mais ma
raison venait sans arrêt me rappeler qu’elle se remettait à peine d’une
opération chirurgicale. Je devais attendre qu’elle me fasse elle-même
comprendre qu’elle était prête.
— Voilà, j’ai fini, déclara-t-elle brusquement en posant l’appareil sur la
table. Et j’en connais une qui est toute prête à rejoindre son berceau, endormie
comme elle l’est déjà.
On me retira le petit poids qui reposait sur moi, puis la porte claqua et j’en
conclus que je me retrouvais seul dans la pièce.
Je roulai sur le dos et fixai le plafond en pensant aux bouleversements de
ma vie depuis un an. L’homme que j’étais alors n’avait pas encore reçu le mail
de Tom Bennett. C’était quelqu’un que je ne reconnaissais même plus. Et Dieu
merci, car je n’éprouvais aucune envie de retourner jamais dans une vie aussi
vide de sens.
La porte s’ouvrit et Brynne interrompit le fil décousu de mes pensées.
Pour la bonne cause.
Elle se tenait devant moi, son regard virant au vert émeraude et voilé de
désir, elle commença à déboutonner lentement sa chemise.
L’air me manqua.
Elle retira le vêtement qu’elle laissa tomber par terre, puis elle se
trémoussa pour se débarrasser de son legging et le jeta sur son épaule pour se
retrouver presque nue, avec une petite culotte rose et un soutien-gorge assorti.
Elle avait quasiment retrouvé son corps d’avant la grossesse, à l’exception de
cette cicatrice et d’une paire de seins encore plus spectaculaire depuis
l’accouchement.
Je croisai les mains derrière ma nuque, un grand rire bêta scotché à mes
lèvres. N’ayant rien de bien malin à dire, je me tus. Ma gorge s’assécha encore
davantage lorsqu’elle passa la main dans son dos et dégrafa son soutien-gorge.
Ma belle Américaine me montrait encore une fois la chance que j’avais de
posséder un précieux trésor : son amour. Depuis le premier jour, je m’estimais
l’homme le plus chanceux du monde.
Un trésor rare.
L’amour de Brynne était comme un cadeau. Un trésor rare, offert par un
coup du destin. Depuis qu’on l’avait mise sur mon chemin, ma vie n’était plus
la même. Je ne voyais plus le monde sous le même angle, je n’avais plus les
mêmes rêves pour mon avenir, et je n’avais plus peur de tirer définitivement
un trait sur les ombres de mon passé.
L’amour de Brynne avait tout changé dans ma vie.
QUATRIÈME PARTIE

PRINTEMPS
20
26 avril, dans le Somerset
C’était un mariage modeste dans notre jardin qui surplombait la mer. Les
deux mariés avaient l’air très heureux, bien entendu. Je fis un clin d’œil à
Brynne, belle à croquer dans sa robe bleu pervenche. La même que celle
qu’elle portait le soir du gala de Mallerton et qui lui servait à présent de robe
de demoiselle d’honneur. Elle me rendit mon clin d’œil avec l’un de ces petits
sourires coquins dont elle avait le secret.
Quand je voyais Hannah, vêtue de rose, je repensais aux photos de ma
mère. Je me demandais souvent ce que ça faisait à mon père de voir en sa fille
le portrait craché de son épouse à l’âge où il l’avait perdue. Toutes ces années,
il avait gardé ses émotions enfouies en lui. Et ce n’était pas demain la veille
qu’il allait s’épancher.
Aujourd’hui, nous fêtions le changement. En ayant trouvé l’amour
véritable grâce à Brynne, je comprenais à présent ce que c’était qu’aimer
quelqu’un de toute son âme. Je comprenais le chagrin que mon père avait dû
ressentir en perdant cet être si cher, et pourquoi il avait mis trente ans avant de
tourner enfin la page pour ouvrir son cœur à une autre.
Aujourd’hui, nous fêtions ce grand jour. Celui où mon père allait de
l’avant… aux côtés de sa charmante Marie.

La plus grande surprise de la journée fut d’observer un changement


radical chez une personne que je n’aurais jamais crue capable d’un tel progrès.
Comme quoi, tout peut arriver. Ça ne changeait pas grand-chose pour moi,
mais pour Brynne, c’était vital. Et puis, pour être franc, c’était bon pour ma
fille aussi.
De voir ma belle-mère, parée d’un vêtement de haute couture, assise avec
Laurel sur ses genoux, c’était bien la preuve qu’elle avait un cœur finalement,
et qu’il n’était pas forcément de pierre, contrairement à ce que j’aurais juré.
Elle avait l’air… d’une vraie grand-mère.
Pendant la cérémonie, elle vint même me chercher, je crus rêver.
— Ethan ?
En me retournant, j’essayai d’afficher une expression aussi neutre que
possible.
— Laurel commence à s’agiter et Brynne m’a demandé de vous l’amener.
D’après elle, Laurel est une fifille à son papa.
Elle me tendit ma princesse turbulente.
— Oui, merci, Claire, répondis-je en positionnant Laurel comme elle
aimait, son dos contre mon torse tout en la berçant.
— Elle est sublime. Comme Brynne, dit doucement ma belle-mère.
Ne sachant quoi répondre, j’acquiesçai d’un simple hochement de tête.
— Merci, Ethan.
— Pourquoi en fait ?
— Merci de protéger ma fille, de l’aimer si fort et de la rendre aussi
heureuse.
Mes yeux étaient ronds comme des billes. Je n’en croyais pas mes oreilles.
— Ah, et merci pour cette petite merveille.
Claire prit l’une des petites mains de Laurel et l’embrassa avant de tourner
les talons et de rejoindre son mari. Je m’imaginais mal m’entendre un jour
avec Claire. Sans vouloir être rancunier, je ne pouvais quand même pas
oublier combien elle avait fait souffrir ma Brynne. J’aurais du mal à l’excuser.
Mais pour Brynne, et maintenant pour Laurel, j’allais devoir faire des efforts.

Ma petite princesse et moi, on partit explorer notre coin à nous. Je venais


de découvrir que lorsque la fatigue rendait Laurel ronchonne, on pouvait la
calmer en lui chuchotant à l’oreille et en lui montrant de belles choses. C’est
pourquoi, pendant que la fête battait son plein, je m’éclipsai avec ma petite
princesse dans la maison. En chemin, on s’arrêta pour admirer les toiles
accrochées aux murs, les fleurs dans les vases ou encore la vue sur la mer qui
scintillait derrière l’une des grandes fenêtres.
En passant la porte de mon bureau, Laurel agita les pieds comme pour me
sommer de me bouger les fesses.
Ses singeries de bébé m’amusaient déjà et elle n’avait que trois mois. Que
se passerait-il quand elle commencerait à parler ?
Je respirai l’odeur de mon bureau. Aucune trace de cigarette aux clous de
girofle. Parfait. J’étais déterminé à arrêter une bonne fois pour toutes. Je
n’avais plus fumé depuis la Suisse. Ça ne me manquait même pas. La thérapie
devait m’aider à dissocier la cigarette de mon sentiment d’être vivant. Je
n’avais plus besoin de ça. J’avais de vraies raisons, à présent.
— Et voilà, ma chérie. Ton préféré.
Laurel donna des coups de pied furieux et se mit à gazouiller devant le
portrait de Brynne suspendu au mur de mon bureau.
— Tu sais que c’est maman, pas vrai ?
Elle babilla en se mettant deux doigts dans la bouche.
— Je t’ai déjà raconté la première fois que je l’ai vue, à la galerie de
photo ?
Deux petits coups de pied secs dans mon ventre.
— Elle a traversé la pièce et s’est dirigée tout droit vers ce portrait que tu
vois là, et elle l’a contemplé. Maman ne le savait pas encore, mais je venais de
l’acheter pour l’accrocher chez moi. (Je ris doucement.) Il est malin, papa, je
sais. C’était plus fort que moi. Quand elle m’a regardé, au bout de la salle, ça
m’a fait quelque chose. Elle était tellement belle… sublime.
3 mai, dans le Somerset
— Maintenant que c’est mon tour de faire des photos, je comprends que tu
y prennes du plaisir, mon cœur, me dit Ethan en appuyant inlassablement sur le
déclencheur de l’appareil.
Il me tardait de voir le résultat. J’étais nue, dos à l’appareil, et je tenais
Laurel sur l’épaule qui, elle, regardait Ethan en face. Mais je n’allais pas tenir
la pose très longtemps avec un bébé de trois mois qui gigotait dans mes bras.
Entre deux prises, Ethan ricanait.
— Je te vois, princesse, dit-il à Laurel.
— Qu’est-ce qu’elle fait, à part chercher à s’échapper ?
— Elle ne fait que sourire ! On dirait qu’elle prend la pose, elle aussi.
— Je suis sûre qu’elle est parfaitement consciente de ce que tu fais. Elle a
un objectif braqué sur son visage depuis sa naissance.
— Je sais, mais elle est si joyeuse là tout de suite.
Il prit encore quelques clichés. C’était son idée. Il m’avait demandé s’il
pouvait prendre des photos, et j’avais accepté bien sûr. Décidément, je ne
pouvais pas lui refuser grand-chose. Et puis, il m’avait fait la demande de
façon solennelle, un cadeau rien que pour lui, peu de temps après avoir appris
que j’arrêtais définitivement de poser en tant que modèle. La nouvelle lui avait
fait plaisir. Jusqu’à présent, si Ethan avait accepté que je me consacre à cette
activité, c’était uniquement parce qu’on ne se connaissait pas à l’époque où
j’avais commencé. Mais maintenant que j’arrêtais, il était ravi. Décidément, en
un an, une chose n’avait pas changé : il était toujours aussi protecteur,
séduisant, dominateur et parfois irrationnel. Et savoir que plus aucun homme à
part lui ne me verrait nue devant l’objectif, c’était pour lui la nouvelle de
l’année.
Pourquoi avais-je décidé d’arrêter ?
C’est simple. Parce que je n’en avais plus besoin. Ce que j’étais au fond de
moi allait bien au-delà de l’apparence physique, c’était une chose que j’avais
apprise cette année. J’avais grandi. J’avais appris à aimer.
Mais surtout, je m’étais autorisée à être aimée.
Tout ce qui m’était arrivé de bon ces derniers mois, je le devais à Ethan.
J’en étais intimement persuadée. Personne n’aurait pu m’apporter autant. Seul
son amour avait pu se frayer un passage jusqu’à mon cœur dévasté. Seul son
amour m’avait apporté le soutien dont j’avais besoin pour pouvoir me faire
confiance et m’aimer de nouveau.
Seul l’amour d’Ethan.
— Bien sûr qu’elle est joyeuse, elle regarde son papa adoré.
Épilogue
28 mai 1838

Souvent, je suis venue me libérer sur ces pages du poids de la


culpabilité. En des moments de désespoir, j’en venais à croire que
l’avenir ne me réservait plus rien de bon. Ce poids, je l’ai porté des
années avant qu’une personne m’aide à m’en débarrasser. Bien sûr, il
restera des jours où la culpabilité reviendra me hanter, mais pour la
première fois, j’ai la présence d’esprit de me rappeler que mes démons
ne m’ont jamais rendu les êtres chers que j’ai perdus.
Darius m’a sauvée de moi-même. De cela, je suis intimement
convaincue. Sans son amour, je ne serais plus là aujourd’hui, mon cœur
ne palpiterait plus dans ma poitrine.
Il y a une grande beauté dans l’acte simple de s’offrir à l’autre en
toute confiance et de le laisser nous soutenir. Cette leçon, je l’ai
apprise de mon cher Darius. Dès le début, il a su voir celle que je suis
vraiment. Je suis convaincue qu’il est le seul être à avoir jamais percé
mon âme. Un cadeau rare qui m’a permis de reprendre goût… à la vie.
Il m’a offert notre cher Jonathan, ainsi que le cadeau de rester
sereine au moment de laisser J. partir. Je sais que J. est en paix
quelque part, et de ce royaume terrestre naît un grain de poussière
emporté par-delà l’océan du temps. À mes heures les plus sombres,
Darius a été ma lueur d’espoir, mon amour venu plonger dans les
tréfonds de mon âme écorchée pour, enfin, m’en libérer.
MR

Je reposai le journal sur mes genoux et levai les yeux vers cet ange sirène
qui observait l’océan. Brynne était tombée amoureuse de cette statue dès la
première fois qu’elle l’avait vue. Cette forme était surprenante au premier
abord, mais maintenant que nous connaissions toute l’histoire, c’était bien plus
qu’un bloc de roche sculpté pour décorer notre jardin.
J’avais lu ce passage du journal des dizaines de fois. Je pouvais presque le
réciter par cœur. Des pensées intimes d’une femme qui avait vécu dans cette
maison presque deux cents ans plus tôt, découvertes par Brynne dans le tiroir
secret d’un vieux bureau. Évidemment, lorsqu’elle me l’avait montré, je l’avais
lu pour m’amuser à découvrir le quotidien des anciens occupants de notre
maison. Mais cet extrait en particulier me restait en mémoire. Parce qu’il me
touchait.
Dès ma première lecture, j’avais compris qu’en remplaçant « Darius » par
« Brynne », ce texte devenait ma vérité.
À mes heures les plus sombres, Brynne a été ma lueur d’espoir, mon amour
venu plonger dans les tréfonds de mon âme écorchée pour, enfin, m’en libérer.

Fin
Note de l’auteur

Si vous saviez comme il m’a été difficile d’écrire le mot « Fin »…


D’ailleurs, je ne suis même pas certaine que l’aventure d’Ethan Blackstone et
sa belle Américaine s’arrête là. Je ne le sais pas à l’avance, mais je m’efforce
au mieux de ne pas mentir. C’est pourquoi, si je pense avoir des idées pour une
suite éventuelle, j’en informerai mes lecteurs. Pour le moment, j’accorde à
Ethan et Brynne leur fin heureuse. Ils l’ont bien méritée après toutes les
épreuves traversées. En revanche, j’ai d’autres histoires dans ma manche pour
certains personnages que vous aurez croisés dans cette série. (Clin d’œil.) Vous
voyez de qui je veux parler, n’est-ce pas ?
Un immense merci à tous mes lecteurs qui m’apportent l’inspiration
chaque jour par leurs encouragements. J’aime beaucoup lire vos petits mots où
vous précisez quels sont les passages que vous avez préférés dans mes romans.
Grâce à votre soutien, de nouvelles idées me viennent sans cesse, et croyez-
moi, nous avons matière à nous occuper pendant un bon moment. Je vous suis
à jamais reconnaissante.
À mes très chers NS et SC, je ne ferais rien sans votre amitié, votre amour
et votre appui au quotidien. Vraiment, sans vous je serais une fontaine de
larmes à ramasser à la petite cuillère. Je vous aime très fort.
À vous tous, je vous souhaite les plus belles histoires, et les mieux
racontées.
Raine
xxoo
Au sujet du syndrome de stress post-traumatique et des troubles
comportementaux de guerre…

La série The Blackstone Affair évoque le syndrome de stress post-


traumatique d’Ethan et son combat contre les terreurs nocturnes et les flash-
back suite à sa détention traumatisante par les talibans. De quoi marquer une
vie à l’encre indélébile. Nombreux sont les soldats qui continuent de mener ce
combat bien après leur mission, et souvent pour le restant de leurs jours.
D’après les statistiques, près de 20 % des personnes engagées dans l’armée
souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique, et c’est énorme. Des
cellules de soutien psychologique existent pour leur apporter une aide. Sachez-
le.
Titre original : Rare and Precious Things: The Blackstone Affair, book 4

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5,


2 e et 3e a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à
l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part,
que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration,
« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L.
122-4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait


donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété intellectuelle.

© Raine Miller Romance, 2014

© Presses de la Cité, 2017 pour la traduction française

Couverture : dpcom.fr Photos : © DaniloAndjus/E+/Getty Images

EAN 978-2-258-14 590-0

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

Vous aimerez peut-être aussi