Amazigh Et Arabe Dans Le Massif Des Babo
Amazigh Et Arabe Dans Le Massif Des Babo
Amazigh Et Arabe Dans Le Massif Des Babo
Composition du jury :
Soutenue par
Maarten KOSSMANN
Massinissa GARAOUN
PU, Université de Leyde Rapporteur
Le 8 janvier 2024
Catherine MILLER
DR émérite, IREMAM-CNRS Rapporteuse
Lameen SOUAG
CR, LACITO-CNRS Examinateur
Spécialité
Catherine TAINE-CHEIKH
Histoire, textes, documents DR émérite, LACITO-CNRS Examinatrice
Amina METTOUCHI
DE, EPHE-PSL Directrice de thèse
Martine VANHOVE
DR émérite, LLACAN-CNRS Directrice de thèse
Table des matières
Systèmes de transcription................................................................................................................ 32
Remerciements ................................................................................................................................ 42
Introduction .............................................................................................................................. 44
8. Autres contacts de langue historiques dans la Kabylie des Babors .................................... 212
3.1. Réflexes du *Ṣād dans les emprunts à l’arabe de la tasahlit ................................ 239
2.1. L’opposition de genre aux personnes du pluriel (pronoms clitiques) .................. 335
3.2. Les formules figées contenant des indices personnels arabes en tasahlit ............ 360
6.1. Les formules figées contenant des indices personnels amazighs en jijélien ........ 378
9. Pronoms associés aux noms de parenté dans les deux langues .......................................... 395
2.2. Les complexes à bases [JV] -iyyǝš ~ -ǝyyǝš ~ -iš, [AM] ǝš, [JV] & [AM] aš .... 459
4.2. Les régions clés pour la compréhension de l’histoire du contact en Afrique du Nord
méditerranéenne .............................................................................................................. 536
4.1.1. Aït Bouycef : la préparation d’igisi, le yaourt au ferment végétal, par Hicham Garaoun
650
4.1.2. Aït Bouycef : la préparation de ḥarḇiṭ, la purée d’herbes sauvages, par Nadia Garaoun
653
4.1.3. Aït Bouycef : la préparation de ṯiḵlilṯ, sorte de fromage de petit lait, par Tamazight
Oubellout...................................................................................................................... 657
4.2.1. Jijel-ville : la préparation d’arbiṭ, la purée d’herbes sauvages, par Mehdi Mimoune .. 742
4.2.2. Jijel-ville : la préparation du bḳul, couscous à la purée d’herbes sauvages, par Mehdi
Mimoune ...................................................................................................................... 747
4.2.3. Jijel-ville : récit sur le mois de Ramadan (ṛəmḍan) autrefois à Jijel, par Zahir Bouchmella
749
4.2.4. Jijel-ville : la recette d’əl-ʕṣida d ayərni à Jijel, par Madame Mimoune....................... 760
4.2.5. Jijel-ville : la recette de bwišša à Jijel, racontée par Madame Mimoune ..................... 770
1
Nous sommes l’auteur de toutes les photographies présentées le long de cette thèse et nous avons reçu les
autorisations de toutes les personnes identifiables sur ces photographies (ou de leurs descendants) d’apparaître
dans ce travail.
Planche 7 Pays des Aït Bouycef (ṯamurṯ n ayṯ ḇuysef) ..................................................... 122
• En haut : partie supérieure d’une maison abandonnée en pierre et recouverte de tuiles rouge à Ayṯ Ḥidus, cliché pris
au printemps 2020.
• Au centre à gauche : vallée de Asif Agerioune avec les jardins de Ṯaɣzuyṯ sur la droite, cliché pris au printemps 2020.
• Au centre à droite : route longeant le col au vent (Ṯizi wwaṭu) au-dessus du quartier de Aït Lâarch, cliché pris au
printemps 2020.
• En bas : gargoulette cassée découverte dans la cour d’une habitation abandonnée à Ayṯ Ḥidus, cliché pris au
printemps 2020.
Planche 8 Pays des Aït Segoual (tamurt n ayt segwal) ...................................................... 129
• En haut : plage rouge et presqu’île de Taâzibt, cliché pris au printemps 2023.
• Au centre à droite : étable chez les Aït Bouhafan, cliché pris au printemps 2020.
• Au centre à gauche : presqu’île d’Afaɣir, cliché pris au printemps 2020.
• En bas : paysage formé par la vallée de l’Asif Ziama, cliché pris au printemps 2023.
Planche 9 Pays des Aït Laâlam (ṯamurṯ n ayṯ leɛlam) ....................................................... 135
• En haut : vallée de l’Asif Boulzazen, cliché pris en été 2017.
• Au centre à gauche : bouc de race locale photographié chez les Aït Moussa, cliché pris au printemps 2020.
• Au centre à droite : vache brune de l’Atlas photographiée près du col de Laâlam, cliché pris au printemps 2020.
• En bas : assiette en terre cuite photographiée dans le village Zentout, cliché pris en été 2017.
Planche 11 Pays des Aït Mâad (lə-blad d ayəţ mʕad) ......................................................... 149
• En haut : presqu’île de la Mansouriah devant l’imposant Djbel Brek au crépuscule (Ziama-Mansouriah), cliché pris
depuis la route nationale au printemps 2020.
• En bas : extrémité de la presqu’île de la Mansouriah, cliché pris au printemps 2023.
Figure 2 Les mausolées des points d'enquête tasahlitophones dont il est dit que les saints sont
des frères de sang ................................................................................................... 100
Figure 3 Les niveaux d’organisation sociale dans les confédérations arabophones de Kabylie
orientale ................................................................................................................. 101
Figure 5 Légende des cartes des localités liées à chacun des parlers étudiés ...................... 118
Figure 7 Les sous-groupes de parlers tasahlits etleurs différentes situations de contact inter- et
intra-linguistiques .................................................................................................. 514
Figure 8 Les sous-groupes de parlers jijéliens et leurs différentes situations de contact inter-
et intra-linguistiques .............................................................................................. 518
2
Nous entendrons par arabe classique (ou arabe ancien) la variété archaïque codifiée par les grammairiens arabes
au début du neuvième siècle (Van Putten 2020).
3
Par convention, les verbes données à la seconde personne du singulier de l’impératif en amazigh et à la troisième
personne du singulier masculin de l’accompli/inaccompli en arabe maghrébin.
4
Nous ne donnerons le plus souvent que la langue d’origine par rapport à la situation de contact étudiée (arabe-
amazigh).
5
<Français sans goût
Les données collectées par nous (à partir d’enquêtes réalisées entre 2017 et 2023) correspondent
à toutes celles proposées pour l’arabe bougiote, l’arabe colliote, le chaoui des Amouchas et tous
les parlers tasahlits (sauf Aït Mhend et Aït Smaïl) et jijéliens (sauf les données de Marçais pour
Jijel-ville [1956] et El-Milia [1936]).
Le tableau 4 présente nos sources concernant les parlers de Kabylie orientale et le tableau 5
présente toutes les autres données linguistiques amazighes et arabes présentées dans cette thèse.
Tableau 4 Sources des données citées dans cette thèse concernant les parlers amazighs et
arabes de Kabylie orientale
Tableau 5 Sources des données citées dans cette thèse concernant les parlers amazighs et
arabes pratiqués hors de la Kabylie orientale
6
Taine-Cheikh (c. p.) nous a proposé de plutôt utilisé employé amazigh-Sud-Ouest pour l’amazigh occidentale et
amazigh-Sud-Est pour l’amazigh méridional
**Nous utiliserons dans cette thèse le glottonyme amazigh pour désigner la famille de langues
afro-asiatique autochtone de l’Afrique du Nord également appelée famille des langues berbères.
Si l’utilisation du mot « berbère » correspond à une tradition ancienne dans la sphère
académique francophone, son emploi tend à diminuer car il s’agit d’un exonyme et qu’il est
aujourd’hui de plus en plus perçu comme péjoratif dans la mesure où il s’agit d’un cognat de
« barbare ». Ce terme se voit plus en plus fréquemment remplacer dans la sphère universitaire
par l’endonyme tamazight/amazighe, attesté et utilisé dans de nombreuses aires
amazighophones : totalité du Maroc et de l’aire touarègue, Libye orientale, Tunisie méridionale
et en Algérie dans le Sud-Oranais et les oasis de l’axe Touat-Tidikelt-Gourara (Chaker
1995:127)7. Ajoutons que si le terme amazigh n’est plus porteur de sens dans les langues de
Kabylie orientale, celui-ci est bien attesté à travers plusieurs éléments d’onomastique, dont deux
toponymes situés sur le territoire d’un des parlers étudiés : Aït Bouycef ixeṛḇan n imaziɣen
« ruines des Amazighs », ṯaddarṯ n imaziɣen « cours des Amazighs ». On le retrouve en
plusieurs autres points de Kabylie orientale comme le saint colliote Sidi Mezghiche qui a donné
son nom à la commune dans laquelle se situe son mausolée (wilaïa de Skikda). Par ailleurs,
nous savons que le mot amaziɣ fut utilisé comme ethnonyme d’un groupe amazighophone
jusqu’au début du 20ème siècle dans le massif des Aurès (Brugnatelli 2021:666-668). Ce qui
tend à indiquer que le sème pour lequel amaziɣ était connu dans la Kabylie orientale voisine
n’en était probablement pas éloigné.
***Nous avons choisi d’utiliser certains glottonymes pour suivre la tradition des auteurs
amazighisants, mais nous pensons qu’il serait judicieux de réfléchir à la réfection de certains
d’entre eux, puisqu’ils englobent différentes langues amazighes dans les pratiques des locuteurs.
C’est le cas de « tachelhiyt », qui est utilisé pour des variétés allant du Maroc à la Tunisie, ou
de « kabyle » qui renvoie à différentes variétés du nord de l’Algérie.
7
Sur les termes utilisés pour désigner les langues amazighes et leurs différentes connotations voir Tilmatine (2007)
Mes remerciements infinis vont à toute l’équipe du Laboratoire des Langues et Cultures
d’Afrique. Son Directeur, Mark Van de Velde, sa Directrice adjointe Yvonne Treis et ses
formidables équipes administratives et informatique, Jeanne Zerner, Magali Sansonetti, Isabelle
Alanièce, Christian Chanard, Tahar Meddour et tous les chercheurs et doctorants qui ont
concouru à m’offrir le cadre scientifique et le soutien sur tous les plans qui m’ont permis de
mener à bien ce travail. Mes remerciements vont aussi à la direction et à l’équipe administrative
de l’École Pratique des Hautes Études, ainsi qu’à l’équipe de chercheurs qui m’ont accordé leur
confiance en m’octroyant un contrat doctoral. Merci également à la direction et au personnel
de la Maison Française d’Oxford qui m’ont accueilli pendant le printemps de l’année 2022.
Je suis tout particulièrement redevable aux enfants des Babors et à leurs familles, dont la mienne,
qui ont accepté de m’aider, pour certains depuis près de sept ans, à collecter des données sur
leurs langues : Amir, Hicham, Hocine, Mehdi, Oussama, Tamazight, Yudas et tant d’autres. Je
souhaite aussi remercier ma famille, mes amis et collègues, qui m’ont soutenu moralement
pendant toutes ces années, avec une pensée particulière pour Ahcen Raiah, Badis Boussouar,
Esma Larbi, Hamid Ouyachi, Hana El-Shazli, Jonas Sibony, Lameen Souag, Lora Litvinova,
Maarten Kossmann, Malek Cheikh, Marijn Van Putten, Morad khelwa et Nadia Comolli, qui
ont bien voulu accepter la lourde tâche de m’aider à relire et corriger des parties de cette thèse.
Je tiens tout particulièrement à saluer les Professeurs Salem Chaker et Kamal Naït-Zerrad, qui
m’ont initié à la linguistique amazighe, ma directrice de master Sylvie Voisin ainsi que toutes
les équipes des licences de berbère et d’arabe maghrébin de l’Institut National des Langues et
Civilisations Orientales et du Master de Sciences du langage de l’Université d’Aix-Marseille,
qui ont participé à aiguiser ma passion et mes connaissances pour l’étude des langues.
Ces remerciements ne peuvent s'achever, sans une pensée pour le personnel de la Bibliothèque
Universitaire des Langues et Civilisations Orientales et pour celui du campus de Villejuif.
Afin de comprendre l’histoire de ce contact millénaire, nous nous intéresserons aux faits
linguistiques. Nous nous pencherons sur le cas spécifique d’un massif montagneux, les Babors,
où le contact initié lors de la première vague d’invasions arabo-musulmanes du Maghreb
occidental (7ème-9ème siècles) n’a provoqué qu’une arabisation linguistique partielle. Ainsi, dans
cette région demeure un substrat amazigh important dans l’arabe local et une part du massif
amazighophone jusqu’à nos jours.
8
Nous proposerons tout le long de cette thèse une distinction géographique entre la Kabylie orientale, située à l’est
de l’Asif Soummam jusqu’aux montagnes de l’Edough, contre la Kabylie occidentale, qui commence à l’ouest de
l’Asif Soummam. Si ce découpage peut bien-sur être discuté (notamment du fait que celui-ci correspond
historiquement à un découpage de l’armée coloniale française), celui-ci nous paraît dans les cas plus opportun que
celui de Petite Kabylie (=Kabylie de la Soummam et orientale) vs. Grande Kabylie (=Kabylie du Djurdjura) ;
rejetée par beaucoup de Kabyles dans la mesure où elle suggère une hiérarchie (petite vs. grande) entre ces deux
blocs.
La colonisation française de l’Algérie eut de lourdes conséquences sur le massif, dont les
habitants n’eurent de cesse de se rebeller. Après la répression du 8 Mai 1945, qui suivit les
manifestations indépendantistes et anticolonialistes, les Babors deviennent une zone interdite
et beaucoup de ses habitants furent conduits dans des camps dits de regroupement9. À la suite
de l’indépendance de l'Algérie en 1962, la région reste sous-développée. Trois décennies plus
tard, les habitants des Babors payeront un lourd tribut à la guerre civile (1991-2002),
provoquant l’exode de confédérations entières. Le retour de certains de ces exilés et la
réouverture de la région sur l’extérieur peuvent être constatés seulement depuis une dizaine
d’années.
Aujourd’hui, l’absence de données historiques sur les Babors est ressentie comme un réel
manque par les chercheurs mais aussi par ses habitants. Les deux langues du massif sont restées
très faiblement étudiées. La principale langue amazighe pratiquée dans les Babors est appelée
ṯasaḥlit [AB] (lit. « (langue) littorale »). Cette variété a longtemps été confondue avec le kabyle
(Naït-Zerrad 2004, Garaoun 2019b) et n’a véritablement commencé à faire l’objet de
descriptions scientifiques que depuis quelques années, alors même que plusieurs de ses parlers
sont directement menacés par l’exode rural et l’influence grandissante de la koïné kabyle de
9
Camps créés durant la colonisation français de l’Algérie pour contrôler une partie de la population. Dans ces
camps, la population était privée de ses champs, vergers et de son bétail et était à la merci de mauvaises alimentaires
et sanitaires
Dans les Babors, l’arabe et les langues amazighes locales présentent donc les traces d'un contact
profond et ancien. Nous chercherons à caractériser linguistiquement l'interpénétration entre les
deux langues et à déterminer les scénarios pouvant en rendre compte. Notre thèse mobilise pour
cela les outils de la linguistique de contact appliqués aux faits de langage synchroniques de la
tasahlit et du jijélien. Nous associerons dans notre recherche la typologie du contact, la
linguistique historique, la sociolinguistique et la dialectologie, afin de comprendre les
différentes relations sociales, politiques et socio-économiques (pré)existant entre les
populations et leurs langues. Nos hypothèses s’appuient directement sur des faits de langage, et
prendront en compte à l’échelle micro-locale le facteur géographique, les niveaux de variation
et les différentes strates qui se sont succédées historiquement.
(1) à l’émergence des formes d’arabe nord-africain aux substrats amazighs les plus
apparents ;
10
Langue véhiculaire.
Cette thèse est composée d’un premier chapitre de contextualisation des langues et des terrains
d’enquête, à la fois sur les plans géographique, historique et sociologique. Il sera suivi d’un
chapitre introduisant notre cadre théorique concernant le contact de langue d’un point de vue
général, puis spécifiquement dans le domaine de la linguistique amazighe et arabe. Les
troisième, quatrième et cinquième chapitres seront réservés à l’analyse linguistique des
phénomènes de contact relevés respectivement aux niveaux phonético-phonologique, de la
personne et des interrogatifs. Enfin, un sixième chapitre sera consacré à la constitution de nos
propositions de scénarios sociolinguistiques historiques et à nos conclusions.
Ṯuṯlayin-i g snaṯ ḏid-sent mḵecment-eḏ. Snulfayent-eḏ sin n uḏmawen n ljens yiǧǧ, n lɛaqliya
ṯict, d wayen i g̱ellan d ag̱la-s s iman-is, ma iḇɣa ttwafṯint g emmag̱-nsen, sḵunṯayent-eḏ amaneḵ
ṯeddan medden n ḵra d luqṯ-nsen11.
ⵟⵓⵜⵍⴰⵢⵉⵏⵉ ⴳ ⵙⵏⴰⵜ ⴷⵉⴷⵙⴻⵏⵜ ⵎⴽⴻⵛⵎⴻⵏⵜ ⵙⵏⵓⵍⴼⴰⵢⴻⵏⵜⴻⴷ ⵙⵉⵏ ⵏ ⵓⴷⵎⴰⵡⴻⵏ ⵏ ⵍⵊⴻⵏⵙ ⵢⵉⴵⴵ ⵏ ⵍⵄⴰⵇⵍⵉⵢⴰ ⵜⵉⵛⵜ ⴷ ⵡⴰⵢⴻⵏ ⵉ
ⴳⴻⵍⵍⴰⵏ ⴷ ⴰⴳⵍⴰⵙ ⵙ ⵉⵎⴰⵏⵉⵙ ⵎⴰ ⵉⴱⵖⴰ ⵜⵜⵡⴰⴼⵜⵉⵏ ⴳ ⵓⵎⵎⴰⴳⵏⵙⴻⵏ ⵙⴽⵓⵏⵜⴰⵢⴻⵏⵜⴻⴷ ⴰⵎⴰⵏⴻⴽ ⵜⴻⴷⴷⴰⵏ ⵎⴻⴷⴷⴻⵏ ⵏ ⴽⵔⴰ ⴷ
ⵍⵓⵇⵜⵏⵙⴻⵏ
Hadu zuž hədṛaţ dəḫlu fi bʕəṭ-həm. Am d zuž užuh l ħ-əl-ʕaḳliya waħda, l ħ-əţ-ţaḳafa w əţ-ţuraţ
məţnəwwəʕ, bəṣṣəħ ķa ywəṛṛiw əṣ-ṣəħ, ķiš ţbəddəl abnadəm mʕa l-wəḳţ12.
صح كِش
ّ َيوريوا ال
ّ صح ك ّ هَدو زوج هدرات دخلوا في بعط ْهم أم دْزوج وجوه ْلحْ العقلية واحدة ْل ْحالتّقافة ْو ْحالتّرات
ّ متنوع ب
الوقت
ْ تبدّل ابنادم معا
11
Traduction personnelle en tasahlit (parler des Aït Bouycef)
12
Traduction personnelle en jijélien (parler de Jijel-ville)
Zone d étude
M. Garaoun
Les contours de la Kabylie orientale (également appelée Nord-Constantinois) telle que nous la
définirons correspondent à ceux des deux massifs de montagnes situés à l’est de la vallée de la
Soummam : celui des Babors et celui de Collo. Penser cette région est impossible sans prendre
en compte un élément frontalier situé à l’est de la Soummam : la ville de Béjaïa - véritable zone
tampon entre cette Kabylie orientale et son versant occidental. Nous devrions, en respectant les
contours géographiques de la Kabylie orientale, prolonger celle-ci jusqu’à la montagne de
l’Édough, groupe de montagnes telliennes situées directement à l’est du massif Collo et
surplombant la plaine et la ville d’Annaba. Néanmoins, cette région, et plus globalement l’axe
situé entre les cités portuaires de Skikda et d’Annaba, présente un profil linguistique très
différent de celui des massifs précédemment cités. L’arabe préhilalien qui y fut autrefois
pratiqué ne s’y est conservé qu’à l’état de traces observables parmi un type général hilalien
tirant vers les variétés du Maghreb oriental (Mangion 1931)16.
13
Il s’agit du découpage observé parmi les premières études géographiques et anthropologiques coloniales,
principalement au 19ème siècle (ex. Lapène 1839:118), celui-ci est abandonné à partir du début du 20ème.
14
L’usage est connu depuis le début 14ème siècle (cf. Rawḍ Al-qirṭas d'Al-Fasi, traduction de Beaumier, 1999).
C’est généralement le découpage adopté par les premières générations de berbérisants et d’arabisants depuis la fin
du 19ème siècle, jusqu’à la moitié du 20ème siècle (Basset 1890:1, Marçais 1954:24-27).
15
Aujourd’hui tout à fait majoritaire (cf. Dahmani 2004)
16
Le remplacement linguistique du préhilalien par de le hilalien dans cette région, a probablement suivi celui de
Constantine, des villes côtières et des plaines voisines. Il y a sans doute lieu de voir dans la langue du massif de
l’Édough un type mixte entre le préhilalien et le hilalien mais aussi entre les parlers du Maghreb occidental et
oriental, annonçant l’entrée dans l’aire linguistico-culturelle du nord tunisien.
La région connaît une activité sismique intense, dont les dernières victimes humaines datent de
2006 (Aït Laâlam). En 1856, un tremblement de terre provoqua un raz-de-marée qui détruit
l’ancienne ville de Jijel. Il est probable que de tels épisodes sismiques ont joué un rôle important
dans l’histoire des peuplements et repeuplements des cités de Kabylie orientale.
Ce pays est traversé par quelques profondes vallées, qui ont historiquement souvent servi de
frontières administratives ou dynastiques. Citons parmi celles-ci l’Asif Agerioun (TS:AB asif
ageryun), marquant une frontière culturelle de la Kabylie des Babors, à l’ouest de laquelle on
reconnaîtrait un mode de vie et un habitat très différents de ceux de la Kabylie occidentale, ainsi
que l’Oued El Kébir (AJ:JV wad lə-ķbir), dont les nombreux vallons laissent place à de petites
plaines sans doute plus favorables que partout ailleurs à l’habitat dense. La richesse
exceptionnelle en cavités rocheuses de la Kabylie orientale a permis la découverte d’artefacts
17
Parmi les aux montagnes d’attitude remarquable à signaler citons le mont Takoucht (TS:AB adrar n ṯakuct)
s’élevant à 1896 mètres, l’’adrar Amellal à 1773 mètres, le Djebel Megriss (TS:AB aḏrar mmegres) à 1737
mètres, le Takintoucht (TS:AB ṯaqinṭuct) à 1674 mètres, Djebel Es-serj à 1692 mètres (AJ:AM ǧbəl səṛǧ əl-ġul),
Djebel Chenigra à 1662 (AJ:AM ǧbəl šnigṛa), Ighil Ouadek (TS:AB iɣil wa ḏeḵ) à 1640 mètres et le Tamesguida
(AJ:AM ǧbəl ţaməsgyida) à 1620 mètres d’attitude.
18
Nous ne dirons pas pour autant qu’il s’agit d’une région isolée : celle-ci ayant été parcourue de routes
commerciales dès l’Antiquité, donnant sur la mer et des régions extrêmement peuplées (Kabylie du Djurdjura) et
convoitées pour leurs richesses (ressources agricoles des hauts-plateaux, ports commerciaux, etc.).
D’un point de vue climatique, la Kabylie orientale se caractérise par un climat tempéré et
subhumide : doux en été, particulièrement froid et humide durant la saison hivernale (cf. figure
1). Les chutes de neige et les températures négatives sont fréquentes en hiver aux différentes
attitudes. Il s’agit également de la région la plus arrosée d’Afrique du Nord, avec en moyenne
1000 à 1400 millimètres d’eau par an (Gharzouli 2018:15). Le brouillard est présent en toute
saison. Les versants exposés aux vents reçoivent l’essentiel des précipitations ainsi que la
condensation des nuages : ce qui permet à des réseaux forestiers exceptionnels de s’y
développer.
Le milieu forestier domine avec une flore méditerranéenne très abondante. Les forêts de la
Kabylie orientale sont l’habitat d’une faune et d’une flore exceptionnelles, riches en espèces
endémiques (cf. planche 1). C’est le cas de la sitelle kabyle (Sitella ledanti), seule espèce
d’oiseau endémique à l’Algérie, dont la répartition est limitée à quelques forêts d’altitude du
massif des Babors. C’est également le cas d’un conifère exceptionnel, legs de la dernière
période glaciaire, le sapin de Numidie (Abies Numidica). Lequel vient ponctuer avec le cèdre
de l’Atlas (Cedrus atlantica, TS:AB) et le chêne zen (Quercus canariensis) les pentes des monts
Babors et Tababort. Si beaucoup d’espèces animales ont disparu de ces massifs au cours des
siècles derniers, ceux-ci représentent encore des sanctuaires entre autres pour le singe magot
(Macaca sylvanus), l’hyène rayée (hyaena hyaena), la mangouste (Herpestes ichneumon), la
belette de Numidie (Mustela numidica), le serval (Leptailurus serval), les vautours fauve (Gyps
fulvus) et percnoptère (Neophron percnopterus). Les milieux humides et le littoral sont
également d’une importance capitale d’un point de vue faunistique, puisqu’ils abritent plusieurs
animaux rares comme la loutre d’Europe (Lutra lutra), la tortue caouanne (Caretta caretta), le
phoque moine de méditerranée (Monachus monachus) voire endémiques comme le crabe d’eau
douce algérien (Potamon algeriense) ou la salamandre algire (Salamandra algira19). La seule
19
Cf. Garaoun (2020) Taṭaṛett (documentaire : la Salamandre des Babors) Aït Bouycef, Bejaia, Tamazgha,
Amazigh Languages (documentaire disponible au lien suivant :
Les ressources naturelles sont rares : la mer ne nourrit que les cités portuaires 21, qui exercent
sans doute de ce fait un attrait ancien sur les populations montagnardes 22 , tandis que les
échanges avec les populations des hauts-plateaux et des piémonts permettent un
approvisionnement en céréales. L’agriculture est difficile et peu rentable aussi bien dans le
massif des Babors que dans celui de Collo. Son prototype est l’arboriculture et l’exploitation
du bois dont les Kabyles sont devenus des spécialistes par la force des choses. L’élevage est
https://www.youtube.com/watch?v=UlDVwSxHYJA&t=12s).
20
Signalons à titre d’exemple les étymons empruntés d’une langue à l’autre dans les noms de quelques espèces
animales de la région :
-Genette commune : tasahlit [AS] bucbeṛṛan, [AB] amcic aḇeṛṛani ; jijélien mušbəṛṛan ~ bušbəṛṛan, colliote
bəšbəṛṛan (lit. chat sauvage, <ama. MŠ + ar. BRʔ)
-Belette pygmée : tasahlit [AB] ɛaṛuselfiṛan (lit. « fiancé des rats » <ar ʕRS + FʔR), AS talɣaɣayt ; jijélien des
AM ţalġayţ (<ama.)
-Tortue aquatique : tasahlit [AB] aḇufeḵran n waman (lit. « tortue d’eau » <qualificatif ar. bu- + ama. (i)feḵran
« carapaces (?) » cf. FKR, forme semblable au jijélien bufəkran « tortue terrestre ») ; jijélien ţaġura ~ ţaġra,
colliote ţiġra (<ama ƔR).
21
L’exploitation des ressources halieutiques et le commerce maritime semblent avoir complètement été
abandonnés par les confédérations maritimes des Babors durant les siècles derniers. Lors de la conquête française,
ces confédérations ne peuplaient guère que les pentes et les sommets des premières rangées de montagnes
surplombant le littoral et avaient abandonné tous les ports historiques (Choba, Mansouria, etc.). Il est probable que
le danger permanent exercé par les intrusions maritimes des corsaires méditerranéens soit à l’origine de ce
comportement.
22
Cf. monographies militaires décrivant les tribus du cercle de Djidjelli (Mémoire de reconnaissance du territoire
effectué par l'armée française en 1845)
Nous ne savons pas grand-chose de l’ampleur des villes et des capitales anciennes de la Kabylie
orientale, et ne pouvons que faire des spéculations sur l’importance et la gloire passée de Choba,
d’Ikedjan et de Tamalous (cf. section 1.3). A l’heure actuelle, la ville la plus importante de la
région est Jijel, considérée par tous comme la capitale des Babors. Vient ensuite Béjaïa, capitale
économique de la Kabylie, située à mi-chemin entre ses différents massifs. À l’est, Collo,
capitale historique du massif du même nom, correspond aujourd’hui à un port de plaisance. Les
capitales des hauts-plateaux - Sétif et Constantine -, exercent une influence forte sur la Kabylie
orientale, et en particulier sur son versant méridional, dont les communautés sont fortement
sujettes à la migration et aux échanges vers ces centres. Le découpage administratif actuel de
la Kabylie orientale en cinq wilayas (provinces), ne facilite guère les échanges entre ses
différents versants montagneux, orientés vers leurs capitales régionales.
Les voies de passage historiques connues se situent dans les vallées séparant les différents
massifs, la voie sultane reliant les hauts-plateaux à Béjaïa, et la voie offerte par la vallée de
l’Oued EL Kébir reliant le golfe de Jijel à Constantine. Des voies romaines d’accès difficile
reliaient également les hauts-plateaux sétifiens aux ports commerciaux des Babors (Salama
1980). Aujourd’hui la région est traversée par trois routes nationales : la route 9 reliant Béjaïa
à Souk El Ténine par le littoral, puis en longeant la vallée de l’Asif Agerioun jusqu’à Sétif ; la
route 43 reliant Souk El Ténine à Jijel par la corniche, puis El Milia en longeant l’Oued El
Kébir, jusqu’à rejoindre Skikda en coupant à travers le massif colliote ; enfin la route 85 fait la
jonction entre Collo et Skikda à travers les monts colliotes.
23
En particulier de la vache Brune de l’Atlas (cf. planche 9), de la Chèvre Kabyle (cf. planche 9), des races ovines
Zoulaï et Tazegzawt
2.3.1.Préhistoire
La Kabylie orientale offre des reliefs riches en cavités qui ont déjà permis la découverte de
vestiges de cultures humaines préhistoriques. Au moins deux époques sont représentées de
manière certaine. La plus ancienne est l’épipaléolithique, qui a vu l’émergence sur le littoral de
l’Afrique du Nord de la culture ibéromaurusienne25 également appelés Hommes de Mechta-
Afalou 26 . La Kabylie orientale est un site privilégié d’études de cette culture depuis la
découverte des vestiges de l’Afalou bou Rhummel (TS:AS afalu buṛmel) en 1928 chez les Aït
Segoual, l’une des confédérations dont nous étudierons le parler dans cette thèse. Cet abri sous
roche a permis la découverte d’une véritable nécropole humaine contenant les ossements de
plusieurs centaines d’individus, des industries lithiques, des outils divers, les vestiges de
nombreuses espèces animaux souvent disparues dont ils se nourrissaient, et surtout une
collection de figurines d’argile dont la confection est estimée entre 11000 et 18000 ans (Hachi
1989). Deux autres grottes voisines ont révélé une présence ibéromaurusienne, la grotte de
Tamarhat (afalu n tameṛɛaṭṭ ~ afalu buεḵran) également située chez les Aït Segoual (cf.
planche 3), ainsi que celle de Taza chez les Bni Aïssa (Arambourg & al. 1934, Hachi 1996,
Hachi 2003). Les sépultures et les d’objets d’art figuratifs ibéromaurusiens découverts dans les
24
Periode allant du 8ème siècle au 13ème siècle, marquée par un fort développement intellectuel, économique et
scientifique dans les sociétés musulmanes.
25
Terme inventé par Pallary en 1909 (cf. Camps 2000), parfois remis en question du fait de l’inexistence de cette
population dans la péninsule ibérique.
26
En référence au célèbre abri d’Afalou bou Rhummel où furent découverts une centaine de squelettes
ibéromaurusiens.
Le néolithique est représenté quant à lui par la grotte de Geldaman, située sur les piémonts
occidentaux des Babors, et donnant sur la vallée de la Soummam. Cette cavité a permis la
découverte de vestiges humains, de céramiques, de figurines et d’éléments de parure datés de -
5200 ans avant l’ère commune (Saidani & al. 2016). Nous savons grâce à ces artefacts que les
occupants de cette grotte pratiquaient l’élevage caprin et la poterie, mais il n’a pas encore été
possible de les rattacher à une civilisation connue. Enfin dans le massif de Collo, plusieurs
grottes de la région de Tizeghbal sont connues pour contenir des vestiges humains et des outils
(entre autres des silex) encore non étudiés et possiblement de facture préhistorique.
Notons également que plusieurs mégalithes ont été signalés en Kabylie orientale, bien que
pratiquement aucune fouille archéologique n’y ait encore été faite. Hadji (2009) signale, pour
l’arrière-pays jijélien le mégalithe d’El Aroussa chez les Bni Ftah , et la possible nécropole de
Hadjar El Meurakeb chez les Bni Yadjis. Le pays colliote est riche en nécropole mégalithiques,
celle de Souk El Youdi contenant 26 dolmens, et peut-être jusqu’à trente à Aïn Sour di El
Maalem. Dans les Babors orientales amazighophones, de nombreux mégalithes (TS lemẓaraṯ,
AJ mẓuraţ ~ mẓaraţ) font l’objet de pratiques mystico-magiques vivantes. Parmi celles-ci, il
faut signaler la redondance du culte des « pierres à trou » (TS:AB aḇlaṭ i gfellan) dont il existe
des exemplaires dans pratiquement chaque confédération (Galand-Pernet 1976). Ces pratiques
concernent également de vieux arbres, des cavités et des sources, dont l’aménagement ancien
par l’homme peut parfois être soupçonné27.
27
Le potentiel archéologique des grottes de Kabylie orientale est sans doute énorme. Les populations
ibéromaurusiennes ont nécessairement laissé des vestiges qu’il nous reste à découvrir. L’élargissement des
connaissances concernant les cultures préhistoriques est le seul moyen d’accéder à l’identification de ce qui
pourrait avoir été hérité de celles-ci dans les cultures nord-africaines contemporaines (substrats linguistiques et
culturels pré-amazighs).
28
Dans une déclaration publique, Fawzi Maallem (2023) a proposé de renommer la culture romaine d’Afrique du
Nord en culture « numido-romaine » ou « lybico-romaine » en raison du fait que la plupart des sites présentés
comme romains en Afrique du Nord présentent des traces d’occupation plus ancienne (numide) et devraient être
considérés comme le fruit d’une culture mixe et non pas du seul fait d’une civilisation romaine exogène.
29
Nous ne connaissons que la date de la fondation de leur capitale, Carthage en 814 AEC.
30
Rétout (1927:15) propose qu’un village amazigh ait précédé l’installation d’un port punico-phénicien à Jijel.
Concernant ce toponyme, les formes Jijel et Djidjel ne sont attestées qu’à partir du 18 ème siècle notamment à travers
les manuscrits des corsaires méditerranéen (cf. Capitaine de La fortunée 1791). À l’Âge d’or islamique le nom de
la ville est transcrit en Zizeri, Zigeri, Gigeri, Gigerry, Gigel et Djidjelly (Féraud 1870:3), tandis que les inscriptions
punico-romaine parle de Igilgili. Féraud (1870) propose une origine amazighe à ce toponyme, à partir du kabyle
iɣil iɣil qu’il traduit dans « succession de colline » (plutôt « le long de la colline » et iɣil est réalisé aɣil ~ aɣel
dans la toponymie locale). Rétout (1927:14) peu convaincu par la dernière étymologie signale également que «
Certains auteurs ont proposé Galgala (aujourd’hui Gilgal), petite ville de Palestine où les Juifs s’arrêtèrent après
avoir traversé le Jourdain à leur sortie d’Égypte [...] ». Cette hypothèse sied peu à la ville de Jijel qui correspond
historiquement à une presqu’île entourée d’une plaine. De même rien ne permet ici d’expliquer par la permutation
d’un /ɣ/ de l’amazigh en /g/ ou /ʒ/ en punique ou en latin. Lipinski (2004) identifie dans Igilgili un toponyme
punique composé de i = île (plutôt que plage), comme dans Iomnium et Icosium et de gilgili d’origine moins
évidente, Lipinski signale que la suite GLGL renvoie à la forme arrondie en cananéen. Notre proposition
concernant ce toponyme serait plutôt une origine amazighe. Nous proposons d’y voir la racine GL « suspendre »
qui, redoublée, est à l’origine du mot igelgel ~ agelgel en tasahlit, signifiant « pièce d’eau stagnante » (verbe gelgel
« stagner »). Cette proposition est nourrie par le caractère marécageux de la plaine entourant la presqu’île de Jijel
(Citadelle). Plusieurs noms de plusieurs de ses quartiers y font d’ailleurs référence comme məṛža « prairie »,
buġdiṛ « terrain marécageux (Marçais 1954:12) », ulža « zone plane dans la boucle d’un cours d’eau (Marçais
1954:12) », ayəmmam « bassin, lac, étendue d’eau permanente » (<ama GL + M), bəṛķuķa « mare », ou mḳəṣṣəb
« roselière ». Notre proposition s’appuie également sur la composition phonétique de ce toponyme, qui est
composé dans sa variante punico-romaine d’une suite GLGL identique au amazigh igelgel. L’altération de cette
suite GLGL en ŽLŽ semble avoir lieu durant l’Âge d’or islamique et pourrait être causée par l’arabisation. En effet
l’arabe transmis lors des conquêtes préhilaliennes ne semblait pas connaître le son [g]. Par ailleurs, l’évolution [g]
➔ [ʒ] dans un vieux toponyme nord-africain lors de son passage en arabe pourrait être similaire à l’évolution du
Sous domination romaine, nous savons grâce aux documents épigraphiques des IIIe, IVe et Ve
siècles que la Kabylie orientale est peuplée par les Banioures33 et les Bavares ~ Babares34. Les
deux derniers gentilés donnés à ce peuple sont à mettre en relation avec les oronymes Babor et
Tababort. Ils se conservent localement jusqu’à nos jours pour désigner les habitants de la
Kabylie des Babors : TS:AB ayṯ waḇur ~ iwaḇuren 35 . Ces populations, en partie restées
cantonnées dans leurs montagnes ne sont pas toutes soumises aux Romains, et menacèrent sans
cesse leur établissement dans les hauts-plateaux sétifiens et les colonies romaines. Dans ces
nom de la ville voisine de Béjaïa, réalisé ḇgayeṯ en kabyle contre bǧaya en arabe. Il est enfin possible d’imaginer
qu’Igilgili puisse correspondre à une forme mixte punico-amazigh du punique i « île » et de l’amazigh GLGL «
marais ».
31
Signalons la possibilité que plusieurs de ces ports aient correspondu à des agglomérations habitées, voire
aménagées pour la navigation et le commerce avant l’arrivée des navigateurs phéniciens (Carayon 2008:183-184).
Pour ces raisons, il serait peut-être plus approprié de parler de sites lybico-puniques.
32
Rétout (1927:17) insiste sur le fait que l’Oued El Kébir a presque constamment servi de frontière étatique dans
la région.
33
Féraud (1869:224)
34
Camps (1991:1394-1399)
35
Il existe également une fontaine ṯala waḇur au sud-est de la commune actuelle d’Aokas (confédération des Aït
Mhend).
Les histoires romaines des ports commerciaux de Saldae, d’Igilgili, et de Chobae sont moins
connues (Salama 1980). Dans les Maurétanies Sitifienne et Césarienne, de puissants royaumes
amazighs se développent en dépit de la présence romaine restée relativement faible en dehors
des côtes et du Maghreb oriental. Le cas le plus documenté est celui du Royaume d’Altava36.
Au 5ème siècle, les Vandales déferlent sur les colonies romaines d’Afrique du Nord en passant
par l’Espagne : ils détruisent Igilgili en 429 et font de Saldae leur capitale jusqu’à la prise de
Carthage en 43937. Après la conquête du Royaume Vandale par les Byzantins, le prosélytisme
chrétien est renforcé jusqu’à la défaite byzantine en 674. Des ruines de cités romaines se sont
conservées à travers toute la Kabylie orientale, en particulier sur le littoral et les piémonts
septentrionaux des massifs, même si des voies traversant ces derniers permettaient les échanges
entre les cités littorales et celles des Hauts-Plateaux (Salama 1980).
Les premières mentions des Koutamas pourraient nous provenir de Ptolémée en 100-110. Celui-
ci décrit les Koidamousii comme la communauté tribale régnant alors dans la vallée de l’Oued
El Kébir, entre les massifs des Babors et colliote. Les Byzantins les désignent au moyen du
gentilé Ukutamanorum (Laporte 2005). Une inscription latine trouvée entre Jijel et Mila (Col
36
Courtot (2012)
37
Le dernier roi Vandale, Gélimer, aurait disparu en Kabylie orientale, au mont Pappua correspondant
possiblement à une montagne de l’Édough ou des Babors (Rétout 1927:28).
38
Signalons que nous avons peu mobilisé pour cette présentation les sources primaires pour la constitution de cette
partie en raison de la difficulté d’accès à celles-ci et dont la réunion demanderait un travail dédiée d’historien que
nous esperons voir effectué dans le futur (des travaux non-réédités et scientifiquement exploités de géographes
Amazighs et Arabes médiévaux et contemporains sont éparpillés dans des bibliothèques situées un peu partout en
Afrique du Nord, en Occident, jusqu’en Turquie).
Les premiers envahisseurs arabo-musulmans font leur apparition à la fin du 7ème siècle dans la
Kabylie orientale. Ses cités portuaires sont dès lors intégrées à l’empire omeyyade. Après sa
chute en 750, celles-ci passent sous contrôle abbasside. La région sera gouvernée jusqu’en 882
par les Aghlabides de Kairouan non sans que cette domination ne soit contestée par de violentes
révoltes.
La première mention connue des Koutamas dans les chroniques des auteurs du monde arabe
médiéval date de 767 (Kitouni 2013:48). D’après les différents chroniqueurs, le berceau initial
de cette nation se situe dans la Kabylie orientale entre la vallée de la Soummam et celle de
l’Oued El Kébir (Talbi 1966:589-598). Les Koutamas se convertissent d’abord à la doctrine
musulmane Ibadite/Kharidjite : au milieu du 8ème siècle, ceux-ci figurent parmi les troupes
Ibadites qui conquirent Kairouan. Au début du 9ème siècle, les Aghlabides, dynastie arabo-
musulmane sunnite, sont installés par les Abbassides pour contrôler le Maghreb occidental 41
(Ifriqiya), et établissent leur capitale à Kairouan. Les Koutamas se contentent d’abord de les
ignorer et d’accueillir les prisonniers et les rebelles dans leurs montagnes. Cette situation
bascule au 9ème siècle. En 893-894, le missionnaire chiite Abû Abd Allâh Al-Chî’i rencontre une
cohorte de Koutamas en pèlerinage à la Mecque et leur présente l’Obeïd Abû Abd Allâh Al-
Chî’i, chiite syrien présenté comme Mahdî. Le missionnaire, renseigné sur leur situation
politique, leur fait part de son projet de renversement du pouvoir sunnite de Bagdad. Escorté
par les Koutamas, celui-ci se rend dans leur pays, où il prêche la doctrine chiite qu’ils adoptent
dès le début du 10ème siècle.
Les tribus Koutamas établissent leur capitale à Ikajân42, dans l’actuelle commune de Béni-Aziz,
au sud-est du mont Babor. La propagande religieuse officiée par Abû Abd Allâh Al-Chî’i
39
Terme à décomposer en u « indice de filiation amazigh masculin, fils de » + *kutuman (Layachi c. p.).
40
Une autre inscription contenant la date 484 nous apprend que Cedamusensis désignait un évêché en Maurétanie
sitifienne (Gsell 1907).
41
À propos de l’histoire des conversions d’amazighs à l’ibadisme/kharijisme parfois sous le régime de lutte contre
le pouvoir central, voir Prévost (2012).
42
Al-Idrîssî donne au 12ème siècle comme interprétation du nom de cette ville Kharbat Al-Kilâb (lit. « ruines des
chiens »). Il s’agit sans doute par réinterprétation du toponyme Ikǧan dans l’amazigh *ikjan (kabyle iqjan) «
chiens » associé au mépris des Koutamas, alors alliées vaincus des chiites Fatimides. Concernant l’origine du
toponyme Ikǧan, il faudrait y voir selon nous la racine amazighe GJD « colonne, pilier » (cf. tasahlit agju, pl.
Le prédicateur et sa cause « vit son prestige s’accroître et s’étendre à tout le pays amazigh de
la petite Kabylie et de l’Aurès » (Dachraoui 1961). Ceux-ci ne furent pas accueillis également
par tous les chefs de tribu dont certains se liguèrent en vain avec les gouverneurs de Mila, Sétif
et Billizma afin de combattre le chiisme.
igejdan « poutre maîtresse »), et le toponyme du fameux parc naturel Tikjda (ṯikeǧda) situé dans le Djurdjura.
Signalons aussi l’existence dans la vallée de la Soummam d’un groupement de villages portant le nom de Ikǧan
(commune de Tifra, province de Béjaïa).
43
Abû Abd Allâh Al-Chî’i fait dériver le gentilé Koutama de l’arabe kitmān « secret » dans un hadith (Virani
2007:62). Al-Athir (1231, traduction de Richards 2020:225) différencie les Koutamas des Amazighs. C’est aussi
le cas d’Al-Kalbî, historien des 8ème et 9ème siècles (traduit par Najî 1988:548) : « des Ḥimyar s’installèrent parmi
les Berbères Ṣanhağa et Kutama, les deux descendants d’al Sur b. al Saʻid b. Ğabir b. al Saʻid b. Qays b. Ṣayfi, et
ils y restèrent jusqu’à ce jour ».
Lorsque les Hammadites succèdent aux Zirides, plusieurs palais sont fondés dans les cités
portuaires de la Kabylie orientale : à Ayouf (Jijel), sur la presqu’île de la Mansouriah (Ziama-
Mansouriah), tandis que Béjaïa devient la nouvelle capitale Hammadite en 1067. À partir de la
deuxième moitié du 11ème siècle les Fatimides envoient les Banou Hilal - confédération de tribus
bédouines originaires d’Arabie -, en Ifriqiya, afin de punir les Zirides qui avaient rompu leurs
liens de vassalité. Ces tribus guerrières déferlent en nombre important sur l’Afrique du Nord.
Elles auront un impact majeur reconnu notamment sur l’arabisation de l’Afrique du Nord et la
propagation du nomadisme.
Au 12ème siècle, Al-Idrîssî dira des Koutamas : « à l’époque où nous écrivons, il ne reste plus
des Koutamas, qui étaient jadis très nombreux et constituaient groupes et peuples, qu’environ
quatre mille individus. » Ces rescapés sont identifiés par celui-ci dans quelques tribus
belliqueuses des Babors, hostiles aux gouvernements qui succédèrent aux Fatimides44. Al-bakrî
indique dans son Kitab al masalik wa al mamalik que les montagnes autour et à l’est de Bougie
sont peuplées par les Koutamas chiites. Au 14ème siècle, Ibn Khaldoun les décrit comme un
peuple brisé, dont les diverses fractions se sont inventées des origines et des noms factices pour
rejeter l’opprobre qui pèse sur leur peuple45. Ibn Khaldoun ajoute que leurs descendants dans
les montagnes de Jijel échappent totalement au contrôle des Almohades (12ème siècle - 13ème
siècle) puis des Hafsides (13ème siècle - 16ème siècle) et jouissent donc d’une certaine
autonomie46.
44
Al-Idrîssî cite les Beni Zoundaï (Beni Zeldouy d’Ibn Khaldoun, descendants de la branche des Imalousen et
membres de la nation koutama) ; petite confédération appartenant au cercle de Jijel dont le territoire contemporain
est situé directement à l’est du mont Babor. Il sont également cités dans le Kitâb al-‘Istibçâr (traduction de Fagnan
1900:31) « La ville (Jijel) est dominée par la montagne des Ktâma appelée Djebel Benou Zeldawi, où il y a de
nombreux pâturages et qu’habitent quantité de tribus amazighes. C’est là que le missionnaire Abou Abdallah
prêcha sa doctrine ».
45
Kitouni (2013:70) insiste sur la contemporanéité du fait, puisque que de nombreuses tribus de la Kabylie
orientale se donnent jusqu’à aujourd’hui des origines exogènes. Le phénomène n’est pas localisée : Sajini
(2007:130) décrit la manière dont historiquement, de nombreuses tribus amazighes ont adopté des généalogies
arabes afin de se prévenir de la discrimination et d’obtenir un certain prestige culturel à la suite des conquêtes
arabo-musulmanes de l’Afrique du Nord.
46
Plusieurs des tribus descendant des Koutamas citées par Ibn Khaldoun ont gardé les noms sous lesquelles elles
Du 13ème au 16ème siècle, Béjaïa connaît un développement très important, au point que sa
gouvernance hafside devient indépendante de celle de Tunis 50 . Sa population se diversifie
puisqu’elle accueille désormais des corsaires européens, des andalous et des élites politiques et
religieuses parfois originaires du Moyen-Orient. Béjaïa devient une véritable capitale
scientifique qui formera des savants qui bouleverseront les techniques et les savoirs des mondes
méditerranéens. Elle gagne également le statut de pôle religieux, visité par de nombreux
pèlerins originaires de tout le Maghreb, au point qu’Ibn Khaldoun vient à la surnommer
« la petite Mecque ».
Jijel est quant à elle assez instable politiquement, elle subit plusieurs brèves attaques, tandis
que des opérations commerciales sont florissantes avec les royaumes du nord de la
Méditerranée. Nous savons que les Normands la détruisent en 1143, et qu'elle passera sous
contrôle Almohade dix ans plus tard. Au treizième siècle, les Pisans pratiquent un commerce
important à Jijel et à Djimla. Ils sont remplacés par les Génois à partir de fin du 13ème siècle.
étaient connues à l’époque médiévale. Parmi celles-ci citons les Bni Sergawel, que nous pensons avoir identifié
comme les ancêtres des Aït Segoual étudiés dans cette thèse (cf. section 2.2.2), les Bni Zeldouy (Bni Zounday
actuels), les Bni Tlilen, les Bni Guecha, les Bni Talha et les Bni Silin (Siliana actuels).
47
D’après Kitouni (2013:57) et Féraud (1864:29), les termes katmi et ktim désignent à Constantine un homme
méprisable, un renégat. Nous avons enquêté sur ces termes dans le parler de Constantine, la seule forme
ressemblante trouvée est gəṭṭim « personne lente d’esprit, simplet » dont le lien avec le gentilé koutama est très
hasardeux. Dans le sud du pays jijélien et la région de Ferdjioua, des informateurs nous ont indiqué que des dérivés
du nom Koutamas étaient utilisés comme insultes, mais n’avons récolté aucun témoignage linguistique confirmant
ce fait.
48
Cet unique toponyme est ktoumen (kţumən), localité située au sein du territoire des Oulad Attia, dans le massif
de Collo (commune d’Oulad Attua, province de Skikda).
49
C’est le cas par exemple en Égypte du quartier cairote El-Hai Kotamiyine et au Maroc de la tribu des Kétamas
du Rif central (tribu bilingue arabe-amazigh), du Ksar Kutama (actuel Ksar El Kébir) ancienne capitale régionale
du Rif occidental (région arabophone) et de la subdivision voisine des Kétama (confédération arabophone des Ahl
Srif, c. p. Layachi). Dans le Moyen-Atlas, il existe également un lieu-dit Tikutamine (nom féminin pluriel) situé
dans les environs de Missour (confédération amazighophone des Oulad Khaoua).
50
Durant cette époque, l’épanouissement économique et intellectuel de Bejaïa entrait en compétition avec celui
des capitales levantines comme Damas ou Bagdad (Féraud 1852:43).
La première tentative de conquête française en Kabylie Orientale date de 1664. L’objectif était
alors de se débarrasser de la présence des corsaires turcs à Jijel52. Les armées de Louis XIV
tentèrent d’occuper Jijel, ils y débarquèrent en juillet pour être repoussés trois mois plus tard.
Peu de temps après la prise d’Alger en 1830, la ville de Béjaïa est conquise en 1833, puis celle
de Jijel en 1839. La conquête de Collo sera plus longue : en 1830, les Turcs abandonnent la
ville, une colonne expéditionnaire française est envoyée en 1847, mais les Français sont chassés
l’année suivante. La ville n’est véritablement occupée qu’à partir de 1859. La soumission des
montagnes de Kabylie oriental commence en 1851 et se conclut en 1853. Précédant la
soumission de la Kabylie occidentale, beaucoup plus densément peuplée.
51
Nous savons toutefois à partir des écrits du Capitaine de La fortunée (1791) que les tribus de l’arrière-pays
jijélien entraînent des liaisons commerciales (en l’occurrence la vente de prisonniers européens) avec les cités
littorales (Jijel, Collo) ainsi qu’avec Constantine.
52
La pratique de la piraterie dans la région concernait cependant toute la côte comme nous l’indique le témoignage
du Capitaine de La Fortunée (1791) échoué sur le littoral des Babors.
Pendant la première moitié du 20ème siècle, les villes du littoral se développent et redeviennent
des pôles commerciaux et économiques. Ils accueillent une population européenne parfois
importante. Dans l’arrière-pays, les montagnards fortement paupérisés ont construit les routes
qui serviront le contrôle et l’exploitation principalement minière de leur pays. Dans quelques
régions favorables, des lots de terres sont offerts aux colons, mais les montagnes de la Kabylie
orientale offrent peu de ressources pour l’agriculture, et seront très peu investies en
comparaison avec les hauts-plateaux au sud.
Un important épisode de violence se déroula en Kabylie orientale après le 8 Mai 1945, à partir
duquel des dizaines de milliers de personnes furent tuées, d’autres déportées, et l’ensemble des
tribus de la vallée de l’Asif Agrioun dépossédées de leurs biens. Au milieu du 20ème siècle, la
Kabylie orientale est ponctuée de camps de regroupement. Ces camps créés en zones rurales
sont destinés à placer sous surveillance militaire des populations arrachées à leur terre, afin de
priver les résistants de leur soutien dans les maquis. La participation des montagnards de la
Kabylie orientale à l’effort de guerre pour la libération de l’Algérie fut très importante et
provoqua beaucoup de pertes humaines.
53
Le 22 Mai 1851, le Maréchal Bosquet décrit la soumission des Babors dans les lettres destinées à sa mère ainsi :
« Il y a bien, par-dessus tout cela, un grand sentiment de dignité, d'orgueil national, qui guérit le cœur ; car les
enfants de la France font ici ce que les conquérants antérieurs n'ont pas osé accomplir ».
L’essor des villes portuaires de la Kabyle orientale est inégal : Béjaïa est devenue une
importante ville industrielle, considérée comme la capitale économique de la Kabylie. Tandis
que Jijel et Collo se sont plutôt tournées vers l’industrie halieutique et le tourisme. Depuis un
peu moins d’une décennie, des projets de valorisation prometteurs de l’arrière-pays des Babors
voient le jour, tel que le projet de parc national Babor-Tababort initié en 2014. Localement, des
associations locales et des festivals tentent de valoriser les patrimoines locaux et le tourisme.
L’histoire ancienne et contemporaine de la Kabylie orientale a très peu été étudiée depuis la
libération de l’Algérie. Il convient cependant de souligner que de nombreuses personnes
originaires de cette région témoignent d’une ascendance Bavare ou Koutamie, valorisant ainsi
leurs appartenances au socle civilisationnel de la Kabylie orientale. Nous espérons que ces
dynamiques encore individuelles et isolées permettront une revalorisation de ce territoire aussi
bien sur le plan économique, politique, qu’intellectuel.
Dans les Babors, l’urbanité s’est principalement développée dans les régions de plaines côtières,
d’anses et de presqu’île de la frange littorale. Celles-ci virent l’établissement de cités
commerciales portuaires souvent temporaires, car régulièrement abandonnées par leurs
habitants en raison de leurs expositions aux attaques maritimes. Plusieurs vallées (Oued El
Kébir ex-Amsaga, Asif Agrioun, etc.) ont servi de voie commerciale entre ces cités portuaires
et les plaines céréalières plus au sud. Dans toute la Kabylie orientale, la démographie est très
changeante d’une vallée à une autre pour des raisons principalement géologiques. Cela peut
être vérifié jusqu’à nos jours en comparant la démographie entre les tribus situées sur la rive
orientale et occidentale de l’Asif Agrioun 55 . Ce rôle de muraille naturelle entre les hauts-
plateaux et le littoral a fait du massif des Babors une zone périphérique conservatrice, où les
passages et les échanges bien qu’existants sont laborieux.
Ces éléments ont pu jouer un rôle décisif dans le dessin du paysage linguistique actuel de cette
région. En effet, les travaux de typologie sociolinguistique suggèrent l’existence de relations
entre les traits linguistiques, le contact, les tailles des populations et la topographie (consulter
54
Le fait mérite d’être noté. En effet les théories sur le lien entre changement linguistique et nomadismes indiquent
que les groupes nomades seraient plus facilement amenés à acquérir de nouvelles langues et à s’assimiler
graduellement à l’arrivée de nouveaux arrivants en particulier ceux partageant avec eux des pâturages et des voies
de migration saisonnière (Marçais 1913). Selon Holes (2018), cette opposition reste importante pour la
dialectologie arabe malgré les controverses (insistant sur la faiblesse et l’irrégularité des éléments considérés
comme propres aux parlers bédouins/sédentaires) dans la mesure où le nomadisme favorisait la diffusion
géographique des traits des parlers bédouins.
55
Les tribus situées à l’ouest de l’Asif Agrioun (Aït Mhend, Aït Smaïl, etc.) sont fortement peuplées et présentent
un habitat regroupé, tandis que celles situées à l’est de l’Agrioun (Aït Bouycef, Aït Felkaï, etc.) présentent une
faible démographie et un habitat clairsemé (= maisons ou groupes de maisons éloignées entre elles).
56
Un exemple bien connu est celui des îles océaniques, extrêmement riches, diversifiés linguistiquement (au moins
jusqu’aux colonisations européennes) et intéressantes du point de vue des contacts en dépit de leur isolement des
continents.
57
Contrairement selon cet auteur aux zones nomades ou semi-nomades avec une faible population. La
conservation de l’aire amazighophone saharienne touarègue vient toutefois questionner cette affirmation. Encore
une fois cette remarque semble surtout fonctionner dans le cas de l’arabisation liée à la seconde vague d’arabisation
de l’Afrique du Nord.
58
Prévenons toutefois le lecteur que la complexité linguistique est une notion très controversée.
Les communautés pratiquant ces différentes langues peuvent être monolingues ou bilingues
avec différents types de dominances et des situations sociolinguistiques plus ou moins
équilibrées. Par exemple, les locuteurs d’arabe bougiote pratiquent tous la koinè kabyle locale
au même titre que leur langue maternelle, tout en continuant de transmettre leur arabe. Les
locuteurs de chaoui des Amouchas pratiquent un arabe se rapprochant du sétifien et ne
transmettent aujourd’hui plus leur amazigh dans la majorité des localités.
Les langues de la Kabylie orientale sont toutes principalement orales. Seules les
communications interpersonnelles sont aujourd’hui parfois rédigées dans les vernaculaires
(communications par messages électroniques, médias sociaux, etc.). Les seules écritures
anciennes connues correspondent à quatre panneaux/stèles inscrits de caractères libyques
découverts en 2006 à Boukhlifa, en 2022 à Kherrata et en 2023 à Draâ El Gaïd59.
Nous tenterons dans la section qui suit de présenter l’ensemble des langues parlées en Kabylie
orientale, leur répartition ainsi qu’un état de la documentation à leur sujet. La question des
autres langues possiblement pratiquées par le passé dans la région et constituant des substrats
ou adstrats des langues actuelles sera discutée à la section 7 de cette introduction.
59
D’après la carte en ligne des inscriptions libyques du site internet Amezruy N Imazighen
(https://amezruyimazighen.wixsite.com/histoitredesberberes/carte-
libyque?fbclid=IwAR1hxVkWD5s_IiOjdZxqSJc3Hhc00LDKPs7jrptJIZchi7dg0fgVB2vgLMI)
60
Il s’agit du kabyle des familles citadines bougiotes dont la langue maternelle est l’arabe. Nous ne disposons
encore que de trop peu de données sur cette variété de bilingues qui pourrait apporter beaucoup d’éclaircissement
pour la compréhension du contact arabe-amazigh à Béjaïa.
61
La koinè urbaine kabyle de Béjaïa pourrait représenter en effet la variété haute de l’amazigh dans la région.
Dans les parlers des confédérations de la banlieue Béjaïa, la maîtrise de cette koinè en cours d’émergence concerne
un pourcentage élevé de la population, au point que celle-ci pourrait venir remplacer les parlers locaux. Nous ne
traiterons pas de cette variété pour laquelle nous disposons de trop peu d’informations.
La dernière langue amazighe pratiquée dans les Babors est celle que nous étudierons dans cette
thèse - la tasahlit64 -. Cette variété est entourée à l’ouest par le kabyle oriental, au sud par la
taâmmoucht, et à l’est par l’arabe dit jijélien. L’aire tasahlitophone connaît une variation
dialectale interne importante (Garaoun 2019b, 2021). C’est la raison pour laquelle nous la
divisons en trois groupes de parlers distincts :
62
Rabdi (2004) est à notre connaissance le premier auteur à avoir donné un nom à cette variété restée tout à fait
non décrite. Le qualiticatif de chaoui (ṯacawiṯ) est utilisé par certains de ses locuteurs, mais nos premières
observations suggèrent qui s’agisse plutôt d’une langue amazighe à part, qui n’est d’ailleurs pas immédiatement
reconnue par les chaouiphones comme une variété de chaoui.
63
Cette estimation rendue particulièrement difficile dans la mesure où toutes les communes dans lesquelles se
pratique cette variété de chaoui sont bilingues, et contiennent des localités/fractions entièrement arabophones
(Amouchas, Aïn El Kebira, Aïn El Abessa, etc.). Vient se poser également la question de la transmission, qui diffère
énormément de village en village et même de famille en famille : dans les villages situés en dessous du centre de
la commune d’Amoucha, la langue ne semble être connue que des anciens, tandis que dans ceux des environs de
Tizi N’Béchar, elle est encore transmise aux plus jeunes.
64
Nous n’utilisons pas le terme kabyle à cause de son caractère ambigüe. Tasahlit est le terme utilisé par les kabyles
isaḥliyen pour différencier leur variété des autres parlers amazighs pratiqués en Kabylie. Ajoutons que terme est
attesté sous la forme saħliya (morphologie arabe) depuis le 19ème siècle. Le Sénatus-consulte (1870-1960) indique
que celui-ci désignait les tribus de la commune mixte d’Oued Marsa (Aït Mhend, Aït Ouaret Ou Ali, Aït Bouycef,
Aït Hassaïn et Aït Segoual).
Plusieurs parlers tasahlits sont aujourd’hui menacés, en particulier les parlers des tribus 65
entièrement ou partiellement chassées de leurs terres durant la guerre civile (Aït Bezzaz, Aït
Jebroun, etc.). Les cas les plus fragrants de rétrécissement de l’aire tasahlitophone concernent
d’une part, dans la wilaya de Jijel, les parlers des localités amazighophones situées au sein des
communes de Ziama-Mansouriah et Erraguène-Souici (tasahlit-Est), et d’autre part ceux situés
au nord de la wilaya de Sétif (tasahlit-Sud). La plupart des études dédiées aux parlers tasahlits
concernent ces parlers occidentaux66, tandis que le reste de la région est beaucoup moins connu67.
Nous estimons aux alentours de 200 000 le nombre de locuteurs de la tasahlit.
Une illustration de la variation entre ces langues est proposée à travers le tableau 6, lequel
présente des unités lexicales, et quelques éléments grammaticaux. Les différences d’ordre
phonético-phonologiques sont peu importantes :
65
Comme la plupart des auteurs amazighisants et arabisants contemporains, nous avons fait le choix de continuer
d’utiliser la notion de tribu, en essayant de rapprocher ce mot de son équivalent ʕəṛš dans les deux langues des
Babors, puisque celle-ci correspond jusqu’aujourd’hui à une réalité sociale et culturelle très importante voire
structurelle dans l’organisation des régions rurales d’Afrique du Nord. Nous tenons cependant à préciser et
prévenir le lecteur que nous sommes conscient que cette étiquette fut imposée par les régimes coloniaux et qu’elle
peut être perçue voire associée à des idées péjoratives dont vision réductrice des modèles d’organisation sociale
auxquels celle-ci renvoi (modèle archaïque, arriéré, etc.).
66
Les principaux travaux publiés sont : Berkaï (2011 & 2014), Hassani (2008), Kireche (2010), Rabhi (1994),
Rahmani (1935), Yaker Rahmani (1976).
67
Cf. travaux suivants : Genevoix (1955), Garaoun (2019 & 2020), Nahali (2015) et Aïssou (2021)
Il est intéressant de constater que, malgré le fait que ces différentes langues amazighes soient
parlées dans une aire sans discontinuité géographique, des cassures dialectales peuvent
s’observer. C’est le cas entre le kabyle oriental et la tasahlit, mais aussi à l’intérieur même de
l’aire tasahlit. Le groupe tasahlit-Est est fortement différencié du reste de son aire, alors que la
tasahlit méridionale accuse un haut degré d’interpénétration avec le chaoui des Amouchas, au
point que certains parlers de transitions entre les deux aires sont difficiles à classer dans un
groupe ou dans l’autre. Dans quelques cas, l’emprunt lexical à l’arabe est venu renforcer une
fracture existante69. Néanmoins le plus souvent, l’emprunt lexical à l’arabe n’est pas un facteur
68
Le terme zénète est employé en linguistique amazighe sans que l’on soit certain que les parlers dits zénètes
soient liés au peuple zénète décrit par les auteurs médiévaux. Il s’agit d’un terme conventionnel pour un certain
groupe de variétés plutôt qu’un lien historique assuré.
69
Certains mots largement empruntés par l’amazigh à l’arabe présentent selon les variétés des formes ou étymons
différents :
- Parfois du fait que la source de l’emprunt corresponde à différents parlers arabes, comme dans
l’exemple du kabyle ḵan vs. tasahlit beṛḵ « seulement ». Le premier fut emprunté à l’arabe bougiote qui est le
seul parler arabe algérien a utiliser de terme, tandis que le second est largement attesté en Algérie et est sûrement
passé en tasahlit via l’arabe jijélien.
- D’autres fois en raison du fait que le mot emprunté ait changé de forme ou de sens. Par exemple l’emprunt
aɛenṭuṣ est une métathèse de l’arabe ṢNṬḤ « être dégarni » et porteur du sème spécialisé de « front proéminent »
dans la tasahlit des Aït Bouycef, tandis que le parler tasahlit des Ijermounen lui préfère le sens de « front ». C’est
aussi le cas de l’emprunt afṛux (<ar FRH̱), « oiseau » en kabyle mais « coq » en tasahlit.
2.4.1.2. L’arabe
L’arabe est aujourd’hui la langue majoritaire en Kabylie orientale. Il s’agit de la seule langue
pratiquée dans le massif de Collo, que nous nommerons colliote, et de la langue recouvrant la
moitié occidentale du massif des Babors, où l’arabe parlé sera dénommée jijélien. A l’extrémité
occidentale de cette région, cette langue n’est pratiquée que dans l’enceinte de la vieille-ville
de Béjaïa, où nous parlerons d’arabe bougiote.
Les parlers arabes de la Kabylie orientale n’ont fait l’objet que d’une poignée d’études 70. Le
premier français à s’y être intéressé est Féraud qui indiquera à propos de la langue du versant
oriental des Babors (= jijélien) qu’il s’agit d’un « arabe très corrompu ». Il publiera des
chansons et un texte de loi coutumier dans ces parlers arabes de la Kabylie orientale (Féraud
1862 & 1878). Plus tard de très importantes et précieuses études furent menées par Marçais à
travers son recueil de textes (1954) puis sa grammaire du parler de Jijel-ville (1956) : les
70
Cantineau (1937:3) appelle l’ensemble de ces parlers « dialecte des sédentaires des villes de la petite Kabylie ».
Cantineau considère qu’il s’agit de la masse de parlers sédentaires la plus importante d’Algérie (1937:5) et insiste
beaucoup sur la diversité et l’intérêt de cette région pour la linguistique.
L’arabe de Béjaïa connaît sans doute moins d’une dizaine de milliers de locuteurs. Par
conséquent, cette variété pourrait être considérée comme menacée. Néanmoins d’après nos
observations, la langue est toujours transmise aux plus jeunes, pratiquement tous trilingues
amazigh-arabe-français. Cette variété est d’un grand intérêt pour la linguistique et
sociolinguistique de contact puisqu’il s’agit d’un îlot d’arabophonie ancien et peut-être en voie
de disparition au cœur de la Kabylie amazighophone. Elle présente des traits linguistiques
originaux et notamment phénomènes de contact avec l’amazigh uniques résultant d’un
bilinguisme amazigh-arabe qui n’a jamais cessé depuis l’émergence de cette variété jusqu’à nos
jours (cf. Garaoun 2023b).
Le colliote correspond à la variété d’arabe pratiquée dans le massif de Collo. Cette aire réunit
des variétés hétérogènes incluant celle de la petite cité portuaire de Collo, et les variétés d’une
demi-douzaine de confédérations montagnardes. Celles-ci pratiquent à la fois des parlers
fortement conservateurs au cœur et sur le littoral de la péninsule, mais aussi des variétés de
transition avec le jijélien le long de l’Oued El Kébir, ou avec l’arabe des plaines constantinoises
au sud-est du massif. Il n’existe que quelques notes linguistiques sur l’arabe colliote dans
Luciani (1889:296-311) et Doutté (1897:231) ainsi qu’une courte monographie comparant
notamment l’arabe de la ville de Collo avec les parlers l’entourant dans Ostoya-Delmas (1938).
Le colliote est décrit dans ces travaux comme un parler de montagnards sédentaires original,
particulièrement riche en phénomènes de contact avec l’amazigh.
Les frontières entre le colliote et le jijélien sont difficiles à établir d’un point de vue strictement
linguistique. La séparation géologique entre les massifs de Collo et des Babors formée par
l’Oued El Kébir est souvent évoquée d’après nos observations comme une frontière naturelle
71
Il existe également une koinè kabyle citadine ayant émergé auprès de ces mêmes néo-citadins, et un parler kabyle
de bilingues propre aux citadins arabophones dominants de la haute-ville.
Enfin, le jijélien (əl-žižliya) correspond à l’aire que nous étudierons dans le présent travail, ainsi
qu’à la variété d’arabe majoritaire en Kabylie orientale. Celui-ci est pratiqué dans les Babors
occidentales, dans le voisinage direct de la tasahlit. Dans le Nord-Est algérien, ses locuteurs
sont qualifiés de « kabyles citadins » (AJ:JV ḳbayəl ħadṛa), en opposition aux kabyles
amazighophones appelés « kabyles dis-lui » (AJ:JV ḳbayəl nniġas)72, dont le second élément
correspond au figement du kabyle « je lui ai dit ».
72
Ces désignations sont signalées par Baron Aucapitaine (1865:92) puis par Kitouni (2013:13), qui date cette
opposition du début du XIIIe siècle avec l’opposition entre amazighophonie et arabophonie et à l’opposition entre
le monde rural et citadin. Il faut noter que dans la forme utilisée pour désigner les amazighophones, l’énoncé figé
nniġas, de l’amazigh nni-ɣ=as « je lui ai dit (dire\ACC-1SG=OD3SG) », ne correspond pas à la forme utilisée dans
les parlers tasahlits pratiqués dans le voisinage direct de l’arabe jijélien. En effet, en tasahlit orientale « je lui ai
dit » est réalisé nna-ɣ=as (dire\ACC-1SG=OD3SG). Il faut également signaler que l’utilisation de l’arabe dans la
région n’est pas un gage de « citadinité » contrairement à ce que pourrait laisser à penser l’expression ḳbayəl
ħadṛa : les habitants des hameaux des montagnes de Jijel sont très éloignés d’un mode de vie citadin bien qu’ils
soient majoritairement ou uniquement arabophones. À Jijel-ville, les familles néo-citadine et originaire de
l’arrière-pays sont encore aujourd’hui désignés (parfois péjorative) par le terme ḳbayəl, par les familles se
proclamant d’origine proprement citadines. Ici le terme ne renvoie pas à la pratique d’une langue ou de l’autre,
mais à l’appartenance au monde rural. Cette appellation de ḳbayəl n’est pas toujours acceptée par les jijéliens
arabophones. Ces derniers s’auto-dénomment plutôt au moyen de leur de confédération d’origine, ou plus
globalement žbayliya « montagnards » en opposition aux jijéliens citadins (appelés žwažla). D’après Vignet-Zunz
(2017:18) l’emploi de ce terme est caractéristique des populations arabisées linguistiquement après la première
vague d’invasion arabo-musulmanes de l’Afrique du Nord, des populations essentiellement citadines, «
garnisaires, fonctionnaires, commerçants », qui se différenciaient des ruraux souvent encore majoritairement
amazighophones, ayant conservé un mode de vie tribale. Ce n’est qu’à partir de la seconde vague d’invasions
arabo-musulmanes que des arabophones adoptant un mode de vie essentiellement rural (nomadisme ou semi-
nomadisme), participent à l’arabisation des campagnes tout en conservant eux aussi un système politique centré
sur la tribu. Marçais (1954:24) signale par rapport à l’ethnonyme kabyle dans l’arrière-pays jijélien : « Les
intéressés n’acceptent pas de bonne grâce cette dénomination. Chacune de leurs unités tribales incline à la rejeter
pour elle, tout en en estimant bien fondée l’application à tels ou tels de ses voisins. » Signalons que les mêmes
Nous ne nous sommes intéressés jusqu’à présent qu’aux parlers jijéliens les plus conservateurs
du type préhilalien villageois, lesquels sont situés approximativement le long d’une ligne allant
de la banlieue75 nord d’El-Milia76 à l’Est jusqu’au barrage d’Erraguène-Souci à l’Ouest. Les
données récoltées lors de notre mémoire de master (Garaoun 2019a) et la monographie
dialectale réalisée sur le parler des Aït Mâad (Garaoun 2022, 2023) nous ont permis de procéder
au découpage de cet ensemble en au moins trois groupes :
tendances et comportements s’observent auprès des citadins bougiotes (bilingues arabe dominant), qui appellent
qbayəl les habitants de l’arrière-pays amazighophone. À l’exception notoire que ces kabyles kabylophones se sont
tous appropriés cette dénomminations d’origine exogène (leqḇayel ~ iqḇayliyen) puisque d’étymon arabe (cf. AC
qabaʔil).
73
Dans leur monographie sur l’arabe de Takrûna, Marçais et Guîga (1925) disent que l’un d’entre eux a examiné
des dialectes de Kabylie orientale (Taher, Silana, Gragem, Sidi-Merouan) sans pousser l’investigation.
74
Ce recueil présente des éléments de littérature orale recueillis auprès d’informateurs originaires des Bni Caïd,
les Bni Foughal et de Jijel-ville. Il est précédé d’une monographie riche en information sur les Bni Caïd (et les
Oulad Taffer que l’auteur annexe à ces derniers).
75
Nous utilisons le terme de banlieue dans le sens d’étendue de pays entourant une ville et qui entretient souvent
avec celle-ci des liens d’interdépendance.
76
Le parler d’El-Milia nous paraît plutôt appartenir à un autre groupe de parlers situé entre le jijélien, le colliote
et les parlers de transition entre la Kabylie orientale et le bassin de Constantine.
Le nombre de locuteurs de l’arabe jijélien de l’ensemble des variétés citées doit être estimé
entre 800 000 et 1 000 000 de locuteurs77.
Le tableau 7 présente des éléments de variation lexicale entre ces différents parlers arabes de
Kabylie orientale. Ces exemples permettent d’observer quelques points de variation sur le plan
des systèmes phonético-phonologiques et du lexique :
- Certains mots d’entre eux actualisent les divisions classiques observées par la
dialectologie arabe que nous traiterons dans le chapitre dédié à la phonologie :
traitement du *Qāf (cf. section 7.5 du chapitre 3), traitement du * Ǧīm (cf. section 3.2
du chapitre 3), diphtongaison (cf. section 7.1 du chapitre 3), etc.
- Le lexique comparé correspond essentiellement à des éléments hérités du substrat
amazigh, celui-ci permet à la fois de constater le partage d’éléments (ex. même suite
amazighe ZRY pour « sentier » employée presque partout), et certaines fractures (ex.
nom de la louche dérivé de deux racines amazighes différentes selon les parlers)
77
Le recensement de 2008 donne 636 948 habitants pour la wilaïa de Jijel, il faut tantôt lui retirer les très nombreux
militaires originaires de toute l’Algérie, dont les bases sillonnent le massif des Babors, tantôt lui ajouter ses
locuteurs situés au nord-est de la wilaïa de Sétif et au nord de celle de Mila. Les migrations de jijéliens vers Alger,
Constantine et à l’étranger sont plus difficiles à mesurer.
On constatera comme indiqué plus haut, qu’à l’intérieur du jijélien, les sous-groupes de parlers
présentent des liens plus ou moins importants avec les variétés contigües. Le continuum avec
le colliote se fait très naturellement au nord-est des Babors, à travers plusieurs variétés de
transition le long de l’Oued El Kébir. À l’ouest, les parlers jijéliens occidentaux présentent des
points communs avec le vieux parler béjaoui, et ce malgré la coupure physique entre ces
variétés : ces caractéristiques partagées pourraient indiquer un contact voire une histoire
commune entre ces groupes. Nous n’avons pas inclus dans le tableau 7 les données dans les
parlers jijéliens pratiqués au sud de la ligne imaginaire allant d’El-Milia au barrage d’Erraguène
qui présentent des types mixtes que nous n’avons pas encore étudié ; ainsi que les variétés
colliotes situées au sud de la péninsule, plus ou moins marquées par la transition avec les parlers
des plaines constantinoises.
Plus de la moitié des unités lexicales sélectionnées ici correspondent à des emprunts à l’amazigh.
La variation observées concernant ces emprunts témoigne de l’hétérogénéité du ou des
substrat(s) amazigh(s) de ces parlers arabes. Laquelle a sans doute participé à renforcer la
diversification de l’arabe de Kabylie orientale.
78
Les parlers des communautés citadines maghrébines connaissent souvent un lexique réduit concernant le monde
rural. Néanmoins nous avons observé à Jijel-ville que ce fait pouvait être très relatif et correspondre finalement à
une variation individuelle ou familiale : certains citadins possédant un lexique très riche pour nommer les réalités
rurales et montagnardes, pour peu qu’ils entretiennent des relations avec celui-ci (cf. sections 4.2.1, 4.2.4 et 4.1.8
de la documentation).
79
À l’exception de quelques parlers colliote comme celui de Collo-ville
80
Données issues de trois parlers colliotes montagnards : Oulad Attia, Bni Toufout et Cheraïa. Les variétés de
Collo-ville et de transitions avec les aires hilaliennes voisines n’ont pas été considérées.
81
Souag (c. p.) suggère plutôt un étymon arabe pour fəṛṭas : faṭasa « marteler, aplatir ».
Notre thèse portant sur l’arabe et l’amazigh des Babors, nous avons dû sélectionner plusieurs
points d’enquêtes dans ces deux groupes linguistiques à travers le massif. Nous présenterons à
travers les sections ci-après la manière dont nous avons opéré le choix de ces points d’enquêtes,
les principales caractéristiques de chacun d’entre eux, ainsi que les locuteurs qui ont bien voulu
nous renseigner sur leurs langues.
Figure 2 Les mausolées des points d'enquête tasahlitophones dont il est dit que les saints
sont des frères de sang
Les figures 3 et 4 présentent les différents niveaux d’organisation en unités politiques et sociales
respectivement dans proche-banlieue arabophones de Jijel-ville et en pays tasahlitophone83 :
82
Voir les travaux d’Assam (2014, 2019, 2022 entre autres) pour la Kabylie occidentale.
83
La figure 3 correspond aux données attestées chez la majorité des arabophones ruraux de l’arrière-pays jijélien,
mais elles ne fonctionnent pas :
- Pour les vieilles familles d’extraction citadines de Jijel qui ne prennent pas un compte de réseau supérieur
à la famille étendue ;
- Pour les Aït Mâad et plusieurs confédérations de l’ouest de Jijel, où les mots pour famille étendue et cercle
ne sont pas attestés et où l’on rencontre donc plutôt un système ternaire (confédération / fraction / famille) comme
celui observé par les tasahlitophones.
Abrous (2004) signale que « ces tribus pouvaient elles-mêmes être confédérées dans des
ensembles plus vastes (taqbilt) ». Il ne nous est pas possible de dire si les kabyles des Babors
ont connu pareille unité sociale : si le mot taqbilt est bien attesté en tasahlit, nos consultants
nous l’ont donné comme synonyme de lɛeṛc. Marçais (1954:11) signale également l’utilisation
de qbila « confédération, tribu », dans l’arrière-pays jijélien 85 . Pour cette raison, nous
84
Lapène (1839:132) : « La tribu (Arch) porte le nom d’un individu qui en est regardé comme la souche, le père
[...], soit d’une montagne [...]. »
85
Nous l’avons entendu utilisé par beaucoup de ruraux jijéliens de la banlieue de Jijel, mais il ne paraît pas utilisé
chez les Aït Mâad.
Certaines familles appartenant au vieux fond citadin des capitales régionales s’identifient non
pas à une confédération mais à un clan ou famille étendue dénommé aṛif87. Cette unité s’observe
dans les différentes villes historiques de la Kabylie orientale, où l’on différencie les populations
citadines regroupées autour de clans et dénommés [JV] ħadṛa88, des ruraux évoluant dans un
système où prime la confédération et qui sont appelés [JV] ḳbayəl.
Il est a noté que beaucoup de kabyles arabophones des Babors et de Collo s’autodénomment
aujourd’hui ḳbayəl ħadṛa. Cette appelation, aux premiers abords antinomique, renvoie à une
identité conciliant le fait d’habiter la Kabylie géographique et d’observer les mœurs et
l’organisation sociale kabyle, tout en ayant des rapports rapprochés avec les villes et en étant
arabophone.
La fraction (TS:AB ṯaxeṛṛuḇṯ, TS:AS taxdijt, AJ:JV fərḳa) ou « lignage » (Abrous 2004)
correspond à un second niveau de découpage tribal plus ou moins dépendant de la
confédération 89, donc la construction dans l’imaginaire collectif est parfois liée aux mythes
d’origine de la confédération. Une fraction regroupe généralement plusieurs localités dont au
moins une localité de peuplement historique. Par rapport aux mythes locaux sur l’histoire de la
constitution des différentes confédérations, nous avons souvent remarqué l’opposition entre des
86
Abrous (2004) signale que la confédération « était le niveau de fédération le plus large mais aussi le plus lâche :
les tribus confédérées (car certaines ne l’étaient pas) gardaient entière leur autonomie et le conseil des notables
de la confédération, au sein duquel était représentée chacune des tribus confédérées, ne se réunissait qu’en des
circonstances exceptionnelles, en particulier en cas de guerre. Ce niveau confédéral fut le premier à être détruit
après la conquête française ; à la veille de cette conquête, et probablement depuis le XVIe siècle. » Cela pourrait
en partie expliquer la disparition totale de cette unité dans les Babors, qui n’a gardé que son nom, du reste mal
défini. Il faut ajouter à cela la possibilité d’une véritable différence du découpage social dans les Babors en
comparaison à la Kabylie occidentale, ce qui mériterait la production d’une étude anthropo-historique comparée.
87
Réalisé ṛif (sans la voyelle initiale de la morphologie amazighisée) à Jijel-ville, dans les familles d’extraction
citadine ancienne ou parmi certaines familles originaires de la proche banlieue. Marçais (1956) ne donne que la
forme à voyelle initiale pour ce sème de « famille étendue, clan ».
88
~ AC ħadara « civilisation, urbanité, sédentarité ». Les kabylophones de la Soummam désignent les anciennes
familles citadines bougiotes au moyen de la forme à morphologie amazighe iḥaḏṛiyen.
89
Féraud (1875:29) : « […] dans cet état d‘indépendance entre elles , les diverses branches d’une tribu se
réunissaient avec un parfait accord, lorsque l’une d’elles était menacée par une autre tribu. »
Le cercle ou la « ligue » (Abrous 2004) tribale (AJ ṣəff) est une unité dont la définition nous a
parru très vague dans l’esprit des contemporains de la Kabylie orientale. Il s’agirait d’une aire
d’influence régionale formée par l’existence d’une capitale, de marchés intertribaux et d’axes
de communication et d’échanges entre différentes confédérations. Le cercle ne correspond pas
à une entité politique, et ses confédérations constituantes peuvent être en conflit. Deux cercles
tribaux ont été relevé dans la région :
90
Il faut ajouter qu’avec l’effondrement du système tribal en cours et les importants changements de la distribution
démographiques en milieu rural, les mots même employés pour désigner la fraction en Kabylie orientale, tendent
à disparaître ou à perdre leur sémantisme. Nous avons également pu constater la disparition en cours de cette unité
lorsque d’anciennes fractions sont devenues très importantes démographiquement, ce qui a entraîné leur
requalification comme des confédérations à part entière. Dans le cas contraire, les confédérations ayant observé
une réduction démographique voire un abandon complet, sont aujourd’hui souvent présentées comme des familles
étendues.
91
Au nombre de 32 d’après Féraud (1869:36)
92
Il ne reste très peu de souvenirs concrêt de cette unité sociale, dont nous n’avons pas encore retrouvé le nom en
tasahlit.
93
Pour certains de nos consultants tasahlitophones, le glottonyme tasahlit renvoie spécifiquement aux parlers des
tribus du cercle des Sahlias/Isahliyen. Nous avons pris le parti de regrouper l’ensemble des parlers tasahlits à partir
de ce glottonyme local, accepté et largement connu des amazighophones des régions voisines (kabyles de la région
de Béjaïa et chaouis des Amouchas).
À cet habitat traditionnel dispersé, s’opposent les zones de peuplement dense observables de
nos jours. Celles-ci résultent de l’explosion démographique en cours et de l’urbanisme français
puis post-colonial algérien. Ces nouveaux villages, villes et cités correspondent soit à la
transformation des centres de colonisation (port de la Mansouriah), industriels (ex. Garage de
Melbou devenu la ville éponyme), des postes militaires (ex. poste militaire des Aït Bouycef à
94
Termes synonymes de maison. Les jeunes locuteurs emploient également dans les deux langues de plus en plus
l’emprunt roman AJ famila ~ familya, [TS:AS] tafamilt, l’arabe classique [TS:AL] lɛaʔila, ou encore un emprunt
à la koinè kabyle de Béjaïa [TS:AS] tawacult correspondant lui-même à un vieil emprunt à l’arabe (<WŠN).
95
La répartition des deux termes n’est pas claire et varie d’un village à un autre d’une manière qui mériterait d’être
investigée (ex. les Bni Foughal utilisent seulement məšţa, les Aït Segoual uniquement ddecṛa, etc.). Le terme
dewwaṛ (~ adewwaṛ) ne s’emploi que dans le sud des Babors, à travers la zone de transition avec les hauts-
plateaux. Enfin, le nom de fond amazigh taddart ne s’emploi pas tradtionnellement en tasahlit pour le sens de
« village », mais le contact avec la koinè kabyle de Béjaïa et le kabyle standard ont diffusé ce nouveau sème qui
est d’usage fréquent chez les jeunes locuteurs les plus exposés à ces variétés.
96
Cf. Marçais (1954:11)
97
Des exceptions doivent être notées le long des vallées frontalières de ce pays, comme les Bni Hbibi sur la rive
ouest de l’Oued El Kébir et les Aït Smaïl sur la rive ouest de l’Asif Agrioun. Ces âarchs présentent en effet des
agglomérations villageoises serrées à maisons couvertes de tuiles de facture ancienne.
La carte 6 présente la plupart des confédérations ainsi que les deux cercles d’alliance
contemporains de la Kabylie des Babors.
D’après les témoignages recueillis et nos observations personnelles, l’endogamie était la norme
partout jusqu’aux dernières décennies. Les rares mariages contractés avec les confédérations
voisines l’étaient surtout avec les confédérations avec lesquelles ils tissaient des relations
politiques et économiques parfois anciennes. Jusqu’à aujourd’hui, le mariage entre certaines
confédérations est resté assez exceptionnel, sorte de survivance d’anciens conflits politiques99
(cf. section 1.8 du chapitre 6).
« Les récits généalogiques, sous la forme de traditions aussi bien orales qu’écrites, sont
employés, en Kabylie comme dans le reste de l’Afrique du Nord » (Assam 2018:1), et la question
d’un ancêtre ou d’une origine commune est parfois évoquée. Dans certaines confédérations
kabyles, un mythe d’origine commun est connu et partagé de tous ou de la majorité. Parmi les
confédérations étudiées c’est uniquement le cas des Aït Segoual, lesquels correspondent
également à la seule confédération pour laquelle nous disposons d’une attestation de leur
existence depuis l’Âge d’or musulman. Dans les autres confédérations étudiées, pratiquement
chaque fraction, voire chaque famille, s’identifie à un ancêtre différent ; et il semble au premier
abord que le regroupement de leurs différentes fractions en une confédération ne soit que le fait
d’accords politiques. Chez les Aït Bouycef, pour lesquels nous avons collecté le plus de récits
concernant cette question de l’origine, chaque famille se prévaut d’une origine différente :
l’existence d’un ancêtre commun y est tout sauf assurée, bien qu’il soit envisageable que son
souvenir ait été perdu ou que des conflits internes aient précipité son effacement.
Lorsque les membres d’un groupe s’attribuent un mythe d’origine , celui-ci donne généralement
pour ancêtre un individu d’origine exogène, guerrier, noble ou religieux. C’est le cas des Aït
Segoual ainsi que des fractions centrales des Aït Laâlam, qui décrivent leur ancêtre comme
98
La seule région de Kabylie orientale pour laquelle nous disposons aujourd’hui d’un code de lois tribales complet
est la confédération des Aït Mhend d’Aokas (Rahmani 1933). Ajoutons qu’à Jijel, la population citadine suivait la
loi turque avant la colonisation française.
99
Cette remarque s’observe entre les AB et les AL, puisqu’alors même que les deux confédérations se situent au
sein d'une seule et même commune, les mariages contractés entre leurs membres sont très rares.
De toute évidence, ces récits ont joué un rôle d’une grande importance dans la cohésion des
confédérations des Babors, et pourraient sans doute suggérer des éléments concernant les
histoires de leurs développements. Ils sont peut-être à mettre en lien avec la patronymie dans
les Babors, où la plupart des noms de confédérations et fractions sont arabes103.
100
Région historique située sur la côte Atlantique du Sahara occidental sous contrôle du Maroc.
101
Les mythes faisant provenir des ancêtres saints et illustres de cette région sont extrêmement courants un peu
partout en Afrique du Nord (Berque 1953:270, Doutté 1900).
102
Pour une méthodologie de l’utilisation des sources orales pour la compréhension de faits historiques ou
anthropo-sociologiques voir Vansina (1985).
103
Signalons qu’il existe néanmoins un certain nombre de noms de tribus amazighs parmi les confédérations
arabophones des Babors (Bni Foughal, Bni Yedder, Bni Tlilen, Silyana, Bni Sekfal, Bni Zounday, etc.).
Assam (2018) remarque qu’en Kabylie du Djurdjura, « les différentes » fractions » [...] ayant
une origine différente et un récit propre qui ne montre pas toujours de lien avec celui des autres
fractions. » Il semblerait qu’une agrégation autour de noyaux correspondant à des
confédérations militairement puissantes ait souvent provoqué la dilution de plus petits groupes.
Dans ce cas, les confédération assimilées ont souvent perdu le souvenir de leur indépendance
d’origine mais les récits sur l’origine des confédérations/fractions peuvent parfois encore nous
permettre de déterminer ces histoires locales.
Ceci pourrait indiquer la possible recomposition récente de plusieurs confédérations des Babors,
voire leur caractère naturellement instable. La question de l’origine des fractions dites d’origine
exogène reste souvent incertaine, mais nous pouvons imaginer que leur agrégation s’explique
souvent par des guerres imposant des fragmentations puis des recompositions tribales, par des
migrations, par le bannissement, par le manque de terre, etc.
Enfin nous invitons à la prudence concernant les découpages tribaux proposés (ou envisagés ?)
par les administrateurs français. En effet, il n’existe à ce jour aucun document nous permettant
de connaître le découpage tribal précolonial de la Kabylie orientale. L’administration coloniale
à procéder à plusieurs remaniements de ses regroupements administratifs destinés à regrouper
les communautés tribales afin de diminuer les systèmes de cohésion socio-économique et de
solidarité traditionnelle. L’armée française créa un nouveau système politique en élisant des
Caïds de fractions/confédérations qu’ils avaient eux-mêmes nommés selon leurs intérêts pour
le contrôle des populations. Ce qui a pu avoir pour conséquence l’effacement de l’existence
même de certaines confédérations et fractions et un oubli des frontières historiques des
territoires de chaque confédération.
La caractéristique principale des confédérations des Babors est l’étroitesse de leurs territoires.
Les cartes présentant le découpage tribal de l’Algérie permettent de se rendre compte de cette
particularité104, plus importante encore chez les amazighophones que chez les arabophones des
Babors. A quoi ce trait particulier est-il dû ? En 1875, Féraud remarquait déjà l’autonomie des
104
Par exemple Carette et Warnier (1846) ou Bahdjadja (1863-1881)
105
Féraud (1875:29) : « Lors de notre conquête, cette population se montrait, sur tous les points, divisée par tribus
indépendantes entre elles. Chaque tribu elle-même se divisait en un nombre très varié de fractions chez lesquelles
il était très difficile de dire exactement où se trouvait le pouvoir ou l’influence qui régissait les intérêts généraux.
Cela variait extrêmement, suivant les positions particulières des notables dans chaque fraction. »
106
Féraud (1875:29-29) : « Chaque branche de famille se prétend égale aux autres, et ne reconnaît pas un branche
supérieure. Il n’y avait donc pas de chef de tribu proprement dit. L’esprit d’indépendance, qui les séparait entre
elles, agissait dans les subdivisions qui se formaient naturellement avec le temps, et en produisait très fréquemment
de nouvelles. C’est ainsi que, lorsque le chef d’une nombreuse famille se trouvait en désaccord avec le chef de sa
fraction, il s’en séparait avec tous les siens et fondait une nouvelle fraction qui prenait son nom. »
107
Lapène (1839:140) note qu’en Kabylie « Les familles de Marabouts les plus vénérées vivent dans des espèces
de villages dits Zaouïa (chapelle, retraite), tombeau d’un Marabout primitif ou d’un de ses descendants. »
Le choix des différents points d’enquête s’est fait en fonction des nécessités et des limites de
cette thèse doctorale. Notre étude portant sur deux langues l’arabe jijélien et la tasahlit, il était
bien entendu nécessaire de disposer de points d’enquêtes dans chacune des deux langues.
Toutefois, nous avons souhaité, en nous inspirant de notre mémoire de master 109, additionner
aux données des deux langues, celles de la variation interne à celles-ci, en ciblant des situations
de bilinguisme et donc de contact historique et contemporain variées. Nous avons sélectionné
pour cela plusieurs parlers dans chacune des deux langues, en tentant de représenter à travers
ces échantillons des variétés présentant des types et possiblement des histoires de bilinguismes
différentes. A cette volonté de travailler sur une pluralité des systèmes, se sont néanmoins
confrontées les limites en termes de temps et de taille de ce travail, raisons pour lesquelles nous
nous sommes limité à l’étude de cinq parlers.
Pour ce qui est du jijélien, les deux points d’enquêtes sélectionnés concernent des régions
précédemment étudiées dans le cadre de notre mémoire de master 110 . L’un de ces points
d’enquête, Jijel-ville, est la seule variété d’arabe jijélienne à être dotée d’une grammaire et d’un
travail de documentation (Marçais 1954, Marçais 1956), ce qui a facilité notre approche de
celle-ci. Ce n’est pas le cas du parler des Bni Mâad, variété tout à fait dépourvue d’études
108
Les localisations GPS des points d’enquêtes de cette thèse sont données en section de l’annexe.
109
Notre mémoire de master intitulé « Contacts linguistiques entre l'arabe et l’amazigh : Le cas du massif des
Babors (Algérie) » (Garaoun 2019a), il s’agissait une enquête portant sur les phénomènes de contact
principalement lexicaux et syntaxiques concernant six parlers jijélien et tasahlit des Babors analysés au moyen de
l’outil typologique. Contrairement à cette thèse, notre mémoire ne s’intéressait pas à la constitution de scénarios
sociolinguistiques historiques permettant d’expliquer cette situation de contact.
110
Dans le cadre de notre mémoire de master, nous avions sélectionné les cinq points d’enquêtes repris dans cette
thèse, de même qu’un sixième représentant le groupe dialectal jijélien oriental (Bni Hbibi).
Nous verrons dans la suite de ce travail que ces divergences, bien connues et largement
exploitées par la sociolinguistique et la dialectologie arabisantes ne sont pas toujours si
tranchées. En particulier un territoire aujourd’hui rural peut avoir connu un passé citadin, et une
capitale régionale peut avoir reçu continuellement des apports ruraux et en avoir été
profondément marquée.
Un autre intérêt du choix de ces deux points d’enquête, est la relative distance qui sépare les
deux régions : la description de traits appartenant à ces deux parlers permet finalement
d’identifier le degré de variation diatopique de l’arabe jijélien, et de questionner l’unité
linguistique présumée de cette aire.
Pour ce qui est du choix des points d’enquête en tasahlit, nous avons travaillé sur trois parlers,
dont nous avions commencé l’étude durant notre mémoire de master. Les seuls travaux publiés
à ce jour sur ces parlers proviennent de nos propres recherches (Garaoun 2019b, 2021) et de
Aïssou (2021). Comme pour l’arabe jijélien, nous avons veillé à représenter à travers cet
échantillon différentes situations de contacts. Les trois parlers tasahlits sélectionnés sont
associés à de petites confédérations rurales montagnardes voisines. Parmi ces trois
communautés, deux partagent un statut de bilingues tasahlitophones dominants contre une
confédération majoritairement monolingue. Grâce à l’étude que nous avons mené pour la
réalisation de notre mémoire de master, nous avons pu constater que le degré et les modalités
du bilinguisme tasahlit-jijélien étaient sensiblement différents entre ces trois communautés.
En somme, nos choix de points d’enquêtes s’articulent sur l’opposition entre deux langues -
l’arabe jijélien et la tasahlit - et deux situations de contacts contemporains, le bilinguisme et le
monolinguisme.
111
À l’exception de nos travaux publiés avant et durant notre thèse : Garaoun (2018, 2022 & 2023)
Aït Mâad (Aït Akhiam) : l’arabe est la langue principale et la plupart des membres sont
monolingues arabophone. Il existe toutefois un certain nombre de familles bilingues, en raison
d’intermariages avec des femmes tasahlitophones ainsi que d’hommes acquérant la tasahlit pour
leurs échanges économiques avec les confédérations voisines.
Aït Bouycef (Aït Lâarch) : la langue maternelle est la tasahlit et la majorité des membres sont
monolingues tasahlitophones, seuls les hommes exerçant en territoire arabophones sont
bilingues, l’arabe n’est presque jamais utilisé au sein de toute la confédération.
Aït Segoual (Taâzibt) : la langue maternelle est la tasahlit, mais tous les membres sont
aujourd’hui bilingues en raison de la situation géographique du village, situé le long de la route
nationale, à quelques kilomètres seulement de la frontière linguistique avec l’arabe. Les enfants
acquièrent l’arabe dès l’entrée à l’école primaire, dans laquelle sont scolarisés beaucoup
d’enfants originaires de villages arabophones. La tasahlit est l’unique véhiculaire utilisé entre
les membres du groupe.
Aït Laâlam (Aït Moussa) : environ la moitié des membres sont monolingues tasahlitophones.
Un certain nombre de familles sont bilingues en raison d’intermariages avec des femmes
originaires de confédérations arabophones transmettant leur langue dans leurs belles-familles.
La tasahlit reste l’unique véhiculaire utilisé entre les membres natifs du groupe.
Si le choix des points d’enquêtes mobilisés dans le cadre de cette thèse est motivé par des
éléments géolinguistiques, dialectologiques et sociolinguistiques, nous pensons que la région
tout entière aurait été digne d’être analysée sur le plan du contact amazigh-arabe. Il est possible
que des études futures nous permettent de cibler d’autres variétés qui pourraient contenir des
éléments fondamentaux pour la compréhension de l’histoire linguistique de la région. Nous
nous arrêterons dans cette thèse à l’étude de ces cinq parlers, en tentant, à chaque fois que cela
nous a paru pertinent et rendu possible grâce à nos enquêtes et à nos consultants, de donner des
formes relevées dans d’autres variétés de la région.
Taourirt
Oued-Ghir
Adekar ghil
El-Kseur
Tala-
1 : Souk Oufella Fenia el- Hamza
2 : Tibane Tifra Mathen
Amizour Boukhlifa Tichy
3 : Leflaye Akfadou Aokas Souk
4 : Tinbdar 4 Tizi
Temezrit El-Tenin
5 : Sidi-Aich 1 2 3 5 6 Semaoun N Berber
Chemini
6 : Sidi-Ayed Barbacha
Beni
M cisna Djellil Feraoun Kendira Ait
Darguina
Ouzellagen Smail Taskriout
Seddouk
Chellata Kherrata
Beni-Maouche
Amalou
ghram Akbou
Beni
Bouhamza
Mellikeche
Draa-el Kald
Tazmalt Tamokra
Ait-Rzine
Boudjellil
ghil-Ali
Le parler des Aït Bouycef est dénommé Tabuyseft (ṯaḇuysefṯ112). La tribu faisait partie de la
commune mixte d’Oued Marsa durant l’époque coloniale et nous ne disposons d’aucune
information antérieure sur celle-ci. Nous avons classé ce parler dans le sous-groupe des parlers
tasahlit-Ouest (cf. Garaoun 2019b).
Une légende locale raconte que les premiers habitants du pays actuel des Aït Bouycef sont les
membres de la fraction actuelle dites Aït Bougham (ayṯ bugham), lesquels auraient découvert
l’origine des principales sources du pays. À ce premier peuplement se serait superposé par la
suite celui de différentes familles originaires d’autres régions en particulier de la Kabylie du
Djurdjura et du pays chaoui des Amouchas. Il est par ailleurs dit que le patronyme de la
confédération aurait été hérité de celui d’une famille originaire de la Kabylie du Djurdjura, et
plus exactement de la confédération éponyme des At Bouyousef (commune de Abi Youcef,
112
Ces noms de parlers sont très utilisés dans la région d’Isahliyen, sans doute en raison du degré de variation
assez important en les variétés de chaque âarch. D’après nos observation ceci n’est pas le cas en pays arabophone
jijélien, où les parlers des différents âarchs sont désignés par des combinaisons du type variété (hədṛa) + nom de
l’âarch, lesquels sont beaucoup moins utilisés qu’en tasahlit.
Lors de la conquête française, les Aït Bouycef sont séparés en seulement deux fractions : Aït
Ali Ou Jemaâ et Aït Saâda. Aujourd’hui les villages désignés les plus importants de cette
confédération sont, d’Ouest en Est :
La localité la plus densément peuplée des Aït Bouycef est celle de Tamridjet (à l’origine du
nom administratif de la commune). Celle-ci accueille le siège administratif de la commune
depuis la destruction de l’ancien centre116 durant la guerre civile. Il existe également un certain
nombre d’anciennes localités ou fraction aujourd’hui très peu peuplées ou abandonnées,
113
Signalons également l’existence d’une confédération éponyme dans le pays chleuh (Maroc) et d’une rivière
dénommée Oued Bou Youssef dans l’est des Babors (territoire des Bni Salah).
114
Le territoire de cette fraction isolée et mal desservie est aujourd’hui pratiquement déserté, ses membres ayant
pour la plupart rejoint la cité de Tizi El Oued.
115
À l’exception du mythe évoqué plus tôt d’une présence plus ancienne des Aït Bougham. Les Aït Bouycef ne
revendiquant ni fondateur ni migration, pourrait-il s’agir d’une revendication d’autochtonie (cf. Assam 2018) ?
116
L’ancien centre administratif se situait au nord de Zentout, à la frontière entre les deux confédérations (Aït
Bouycef et Aït Laâlam).
au nord, la frontière avec les Aït Felkaï est marquée par le mont d’Ighzer Ouftis (aḏrar
n iɣzer ufṭis) ;
au sud, La rivière Boulzazen (asif n buleẓẓaẓen) marque la frontière avec les Aït
Segoual ;
à l’ouest, la rivière Agrioun (asif ageryun) les sépare des Aït Hassaïn.
Les Aït Bouycef habitent un pays accidenté et difficile à exploiter sur le plan agricole. Il est
aujourd’hui assez densément peuplé. Si cette confédération n’a pas connu une émigration
massive, signalons qu’un nombre important de familles se sont établies en France, d’autres ont
rejoint les nouvelles cités urbaines situées en contrebas du pays des Aït Bouycef (Melbou, Souk
El Ténine, Kherrata, etc.). Contrairement à plusieurs confédérations voisines, les Aït Bouycef
ont été plutôt épargnés durant la guerre civile algérienne ainsi que par les épisodes sismiques
touchant les Babors.
D’un point de vue sociolinguistique, cette confédération se démarque des autres points
d’enquêtes par son degré important de monolinguisme tasahlit. En effet, la majorité des femmes
âgées de plus de 40 ans sont tout à fait monolingues. C’est également le cas de beaucoup
d’hommes âgés (>60 ans), bien que parmi eux, la plupart aient une connaissance au moins
partielle d’un parler arabe algérien et/ou du français. Les femmes âgées de moins de 40 ans ont
le plus souvent été scolarisées, et ont acquis ainsi un certain niveau en arabe scolaire. Enfin, le
117
Ce toponyme nous a été présenté comme une création récente de l’administration à partir du toponyme tizi war,
situé à proximité du village de tizi lwad.
118
Celui-ci est habité par des membres des confédérations correspondant aux trois points d’enquêtes.
Les hommes, toutes tranches d’âges confondues sont plus rarement monolingues et ont souvent
une maîtrise même superficielle de parlers arabes algériens, acquis dans différents contextes :
expériences de travail à l’extérieur de la confédération, service militaire, relations avec des
membres de la famille installés en pays arabophone, etc. Il est également assez remarquable
que les variétés d’arabe algérien acquises par les membres de cette confédération plus ou moins
bilingues soient très diverses (algérois, oranais, sétifien, etc.), et complètement liées à la région
dans laquelle ces derniers ont acquis l’arabe algérien. Contrairement aux autres confédérations
tasahlitophones étudiées, nous n’avons jamais rencontré de membre des Aït Bouycef locuteur
d’arabe jijélien. Les Aït Bouycef ne furent pas, à notre connaissance, membres du cercle tribal
de Jijel.
Nous utiliserons dans le présent travail les données linguistiques prélevées auprès de locuteurs
originaires de la fraction de Aït Lâarch. Le choix de ce parler a été motivé par la position
géographique de cette fraction, tout à fait au cœur du pays des Aït Bouycef. La variation
diatopique est existante chez les Aït Bouycef, mais elle nous a parue peu marquée. Cette
variation témoigne souvent du contact intra-tasahlit entre les parlers situés aux extrémités du
territoire des Aït Bouycef avec ceux des confédérations voisines. Par exemple les parlers des
fractions des Aït Ali Ou Jemaâ et des Aït Bougham situées à l’extrême-est du territoire des Aït
Bouycef présentent des traits communs (possibles emprunts) avec le parler de la confédération
voisine des Aït Laâlam.
119
Sauf quelques cas exceptionnels d’enfants de mères originaires de régions arabophones
120
Marché du lundi (leṯnayen) situé dans la commune de Souk El Ténine (cf. carte 7).
121
Ibn Khaldoun (14ème siècle) cite le nom des Sergawel, fraction des Sedouikech. Cette information historique est
particulièrement précieuse, dans la mesure où l’on ne dispose pas d’informations généalogiques anciennes que sur
très peu de tribus nord-africaines actuelles, d’autant plus dans les Babors, où la majorité écrasante des
confédérations même amazighophones portent des patronymes arabes et donc postérieurs aux conquêtes.
122
Il existe des branches des Aït Segoual des Babors dans les environs de Sétif (Sagwal), ainsi à Guelma (Bni
Segwal) où se trouve une communauté descendant d’individus déplacés par suite de la révolte de Cheikh El
Haddad (1871).
Les récits donnés sur l’origine de cette confédération mentionnent un ancêtre originaire du
Maroc. Cet ancêtre ayant été le premier dans la région à porter un pantalon (TS:AS aserwal),
le nom du vêtement lui aurait été donné comme sobriquet puis retenu comme nom de la
confédération123. Cet ancêtre aurait eu six descendants mâles à l’origine des six fractions (TS:AS
tixdijan) actuelles que contient cette confédération124 :
- Aït Khelifa (ayt xlifa) : villages de lejnan et tirgan (communes de Melbou et de Ziama-
Mansouriah)
- Aït Karam (ayt keṛṛem) : villages de buleẓẓaẓen, agemmun et tala ɛebbas (commune
de Melbou)
Une possible septième fraction pourrait être constituée par les Ait Brahem (ayt bṛahem)
descendant des Aït Khlifa ou des Aït Bourebaa. Dans le village de Boulzazen, puisque celui-ci
123
Il ne fait aucun doute que les mots aserwal et segwal ne sont pas étymologiquement liés. Nous pensons que
seule la ressemblance (lointaine) entre ces formes est à l’origine de cette étymologie populaire nourrissant ce
mythe « classique pour la région » de généalogie exogène (cf. section 2.1).
124
Correspondant aux six premières fractions citées dans la liste donnée.
En plus de ces territoires historiques situées dans l’arrière-pays, le littoral des Aït Segoual
accueille depuis plus d’un siècle deux nouvelles zones urbanisées : Taâzibt et Melbou. Ces
villages sont situés respectivement aux extrémités orientale et occidentale du territoire de la
confédération. Ils sont peuplés par des familles originaires de différentes fractions des Aït
Segoual, ainsi que d’individus originaires de plusieurs confédérations voisines (surtout des Aït
Bouycef à Melbou, des Aït Laâlam et des Aït Nabet à Taâzibt).
Le départ des Aït Segoual de l’arrière-pays vers le littoral aurait débuté dès la seconde moitié
du 20ème siècle, en particulier vers l’ancien garage de Melbou, aménagé à partir de l’an 1909
pour acheminer le minerai126 extrait des Babors vers le Vieux-Port de Melbou. Aujourd’hui, si
la plupart des fractions de l’arrière-pays des Aït Segoual sont restées habitées, leur dynamisme
est relativement faible. Seul le village de Boulzazen et les localités situées sur les hauteurs de
la baie de la Plage Rouge sont restés densément peuplés. La majorité des membres de la
confédération est concentrée dans la cité portuaire de Melbou, pôle économique orienté vers le
tourisme balnéaire, et dans le village de Taâzibt, le long de la route nationale entre la Plage
Rouge et la presqu’île de Bouiblaten du côté de Ziama-Mansouriah. Les délimitations
traditionnelles de cette confédération sont :
la méditerranée au nord,
125
Il nous a été dit que ces familles appartenaient au clan des Aït Bousfa (ayt buṣeffa) mais cette information
réfutée par d’autres informateurs est à vérifier.
126
Fer, zinc et cuivre extraits du territoire des Aït Segoual et de confédérations voisines
127
L’embouchure occidentale de cette rivière, et donc la base de la presqu’île de Bouiblaten, correspond au port
punique de Choba (Pousset 1909:181). Ptolémée la cite sous le nom de Chotbath au début du 1 er siècle. Ce port
fortifié fut sans doute florissant durant l’Antiquité. L’empereur romain Hadrien (76-138) y fonda l’Aellium
Municipium de Chobae, citée portuaire à partir de laquelle les céréales des Hauts-plateaux sétifiens étaient exportés
vers Rome. On y pratiquait le culte du Dieu Jupiter. Des bains publics y ont été construits, dédiés à l’empereur
Dans la monographie de 1845, les Aït Segoual sont donnés comme une confédération « très
pauvre 128 » ayant l’habitude de « s’expatrier en ville ou dans d’autres tribus » : données
particulièrement intéressantes sur le plan de l’histoire linguistique de cette communauté. Nous
y apprenons que les Aït Segoual sont des arboriculteurs spécialisés dans l’oranger et l’olivier,
et qu’ils pratiquent également le commerce des sangsues récoltés dans la rivière Ziama. La baie
de Ziama accueille une importante colonie de corail rouge qui a sans doute été longtemps été
exploitée129. Au début du 20ème, une ferme française est établie par un ancien officier français
au milieu des ruines romaines de Choba. Les ressources halieutiques furent également
exploitées par les Français qui construisirent le Vieux-Port de Melbou. Il est également possible
que l’environnement marin ait été mis à profit par les Aït Segoual à travers les petits ports de
Sahel et de Taâzibt (Plage Rouge)130. Le territoire des Aït Segoual est traversé et donc desservi
par une route commerciale ancienne reliant Béjaïa à Jijel par la côte (cf. carte 10).
Pertinax à l’occasion de son accession au trône en l’an 193. A l’époque byzantine, Chobae est une cité fortifiée,
quelques vestiges archéologiques de ce passé glorieux (colonnes et mosaïques) ont été conservées jusqu’à nos
jours. D’après Féraud (1867:403-404) l’embouchure occidentale de l’oued Ziama était toujours appelée Achoba
(*acuba ?) au 19ème siècle par les kabyles, qui en extrayaient parfois des artéfacts (médaillons) qu’ils
commercialisaient.
128
Il convient évidemment de prendre ces informations avec circonspection, en prenant en compte les enjeux de
ces monographies réalisées avec le biais d’un projet militaire colonial.
129
D’après Féraud (1867:401) la pêche du corail à Ziama constituait « la tâche des Chrétiens » pendant les siècles
précédant la colonisation. Nous ne savons pas précisément à quelle(s) communauté(s) l’auteur fait référence, sans
doute de pécheurs européens, espagnols, italiens, etc. Si tel fut le cas il convient de se demander ce qu’il advint de
ceux-ci et qu’elles furent les relations de ces derniers avec les Aït Segoual.
130
Il existait sans doute également autrefois un port au lieu-dit lmerṣa à Melbou bien que ses habitants n’en ont
plus le souvenir. Nous n’avons trouvé aucune information concernant la connaissance de la mer des Aït Segoual à
travers les monographies françaises. Pourtant les Aït Segoual habitants les localités littorales pratiquent
abondamment la pêche au moyen de techniques traditionnelles et disposent d’éléments de lexique maritime natifs
que nous présenterons dans un travail à venir.
Historiquement, le contact des Aït Segoual avec les arabophones de la région de Jijel est sans
doute ancien. En effet cette confédération appartenait au cercle tribal de Jijel, et donc à un
réseau d’échanges et de relations privilégiés avec de nombreuses confédérations locutrices
131
Correspondant à une variété de kabyle, sa morphosyntaxe suivant les règles du précis de grammaire kabyle de
Mammeri (1987)
132
Les relations avec les Aït Laâlam semblent avoir été importantes bien qu’elles aient littéralement été coupées
pendant près de 30 ans après la coupure de la route reliant les Aït Laâlam à Ziama via le pays des Aït Nabet. Depuis
les travaux réfection de cette route en 2021, il se peut que le contact entre ces communautés se rétablisse.
133
Une autre particularité de ces fractions, non des moindres, est le rapport à la mer, qui n’est pas très loin en
termes de distances de leurs localités historiques. Beaucoup des familles des Aït Ayyed, Aït Khlifa et Aït Bourebaâ
comptent des pêcheurs. La pratique de la pêche pourrait y être ancienne contrairement à d’autres localités littorales
où celles-ci semblent avoir été ignorée (ou abandonnée) pour le moins au cours des siècles derniers.
Nous avons choisi dans le présent travail d’étudier le parler du village de Taâzibt (taɛzibt ~
leɛzib134). Historiquement, cette localité littorale n’était pas un lieu d’habitation, mais de culture
et d’élevage135. Son développement comme lieu de résidence par les Aït Segoual n’a commencé
qu’au départ des Français dans les années 60. Ses premiers habitants étaient originaires de la
fraction des Aït Ayyad, rapidement rejoints par ceux des Aït Khlifa et des Aït Bourebaâ ainsi
que par quelques familles des Aït Nabet (tasahlitophones et/ou arabophones) originaires des
montagnes de l’arrière-pays ziamite. Cette localité nous a paru particulièrement intéressante
dans le sens où elle représente la situation d’une des rares communautés tasahlitophones
inscrites dans les frontières administratives de la wilaya de Jijel, et par conséquent en situation
d’échanges permanents avec les locuteurs d’arabe jijélien sans doute depuis une période reculée.
Par ailleurs, l’isolement relatif des locuteurs de Taâzibt par rapport aux confédérations
locutrices de parlers tasahlits occidentaux et au kabyle est un vecteur de conservation de leur
parler136.
134
Termes désignant les espaces dédiés au pastoralisme inhabités de manière pérenne
135
D’après les informateurs âgés originaires de cette localité
136
À l’inverse de la localité de Melbou, où le contact avec le kabyle et la tasahlit occidentale est permanent.
137
En particulier à Alger, parfois depuis plusieurs générations. Ainsi que dans les cités Azirou de Ziama
Mansouriah (ex-camps de regroupement Sulause) et de Tizi El Oued au nord-ouest de Tamridjet à la suite de
l’exode provoqué par la guerre civile et les activités sismiques qui ont fait des dégâts matériels et humains chez
les Aït Laâlam au cours de la dernière décennie.
Concernant la généalogie de la tribu, les récits oraux racontent qu’un homme saint, Moulaï Ali,
serait venu du sud du Maroc à l’Âge d’or musulman dans la région marquant la naissance de la
confédération. Son nom a été donné à la plus grande montagne du pays des Aït Laâlam, où son
mausolée situé à son sommet fait encore l’objet d’importantes processions. Parmi sa
descendance, on compte trois frères, lesquels seraient à l’origine de la majorité des fractions
actuelles, auxquelles se sont greffées avec le temps d’autres fractions en provenance d’autres
régions. Ces trois frères auraient porté les noms de Ameur, Bouheza, et Moussa :
la descendance de Moussa (ayṯ musa) : village des Aït Moussa (ayṯ musa) au sud,
la descendance d’Ameur (ayṯ ɛmeṛ) : villages de Zentout (zentut) et des Aït Abider (ayṯ
ɛbideṛ) à l’ouest.
à l’est, les Aït Jara (ayṯ jaṛa) nous ont été donnés comme un apport d’origine exogène,
Les cartes et monographies anciennes ne mentionnent pas toujours cette tribu. La monographie
militaire de 1945, assimile les Aït Laâlam aux Aït Nabet ou Tabet de Ziama-Mansouriah.
138
Commune mixte de regroupant plusieurs petites confédérations dont l’organisation est jusqu’aujourd’hui restée
assez confuse (cf. carte 18) : Aït Laâlam et Aït Jebroun (amazighophones), Aït Nabet (bilingues), Aït Larbaâ et Aït
Mermi (arabophones).
139
Toutes ces localités ont été entièrement désertées durant la guerre civile. Jusqu’à aujourd’hui, leurs anciens
habitants n’y retournent que pour entretenir leurs cultures et bétail. Ceux qui sont restés dans la région habitent
pour la plupart aujourd’hui dans les villages de Melbou et de Tizi El Oued.
140
Peut-être une ancienne confédération assimilée
Toujours selon le découpage proposé par cette carte, les Aït Bouycef étaient confondus avec les
Aït Laâlam et les Ait Nabet avec les Aït Melloul. Si aujourd’hui les Aït Bouycef partagent la
même commune que les Aït Laâlam, les relations entre les deux tribus ne sont pas toujours
cordiales, les échanges matrimoniaux (mariages) plutôt rares, et il est même dit qu’elles furent
autrefois en guerre. Cela ne semble pas être le cas avec les Aït Nabet, avec lesquels les Aït
Laâlam ne présentent aucune inimitié et les échanges matrimoniaux sont fréquents.
La confédération comporte deux petits centres : celui de Zentout (zentut) à l’ouest, ancien siège
de la mairie de Tamridjet, et Umaden (également dénommé lfiḷaj) où se concentre désormais
les activités économiques de la confédération142. Les frontières naturelles des Aït Laâlam avec
les confédérations voisines sont :
la rivière Tinechabine (ṯineccaḇin) marque la frontière à l’ouest avec les Aït Bouycef.
Le pays des Aït Laâlam fut un véritable fer de lance durant la guerre de libération. En effet, leur
montagne principale, Adrar Laâlam, servait de trait d’union entre les différents sommets des
Babors, et l’abondance de forêts épaisses et de grottes dans leur pays a permis à de nombreux
moudjahidines de s’y réfugier. L’économie des Aït Laâlam est entièrement tournée vers
l’arboriculture. Au début du 20ème siècle, la région est connue pour ses orangeraies. Aujourd’hui,
la commune est célèbre pour ses productions de prunes faisant l’objet d’un festival annuel.
141
Littéralement « montagne des Aït Melloul »
142
Ces petits centres sont également habités par les membres des petites confédérations voisines aujourd’hui
inhabitées (Aït Jebroun, Aït Larbaâ, etc.).
La situation sociolinguistique des Aït Laâlam est assez complexe. Comme l’ensemble des
confédérations appartenant au groupe linguistique dit tasahlit-Est, les Aït Laâlam ont appartenu
par le passé au cercle tribal de Jijel, lequel assurait dans une certaine mesure des échanges entre
les tribus, notamment militaires et commerciaux. Ces liens historiques perdurent toujours,
notamment du point de vue des alliances matrimoniales, qui sont fréquemment contractées avec
les membres des tribus appartenant au cercle de Jijel (Aït Nabet, Aït Aïssa, Aït Khzeur, Aït
Mermi, etc.). Ces liens ont marqué la langue des Aït Laâlam, qui, malgré leur enclavement, sont
en partie bilingues tasahlit-jijélien. C’est surtout le cas dans les foyers comportant une ou
plusieurs femmes originaires des confédérations arabophones voisines, qui continuent souvent
de parler arabe après leur mariage chez les Aït Laâlam, transmettant leur langue à leurs enfants
et l’enseignant parfois à d’autres membres de la famille. Le monolinguisme (signalé par Doutté
et Gauthier 1913:24) reste non négligeable chez les Aït Laâlam, puisqu’il concerne les enfants
des foyers ne comportant pas de femmes arabophones, et beaucoup de femmes âgées de plus
de 40 ans. Chez les hommes de tout âge, le monolinguisme est exceptionnel.
Beaucoup de membres de cette confédération ont été amenés à la quitter durant les dernières
décennies pour rejoindre la capitale, des familles rentrées après cet exode ont également parfois
apporté avec elles la koïné arabe algéroise. Toutefois, la tasahlit locale reste le seul véhiculaire
utilisé dans l’espace publique au sein de la confédération. Les Aït Laâlam sont assez éloignés
des marchés régionaux actuels, et ils emploient aujourd’hui plutôt la tasahlit dans le marché de
143
Le territoire des Aït Laâlam a servi pendant plus d’une décennie d’abri à des groupes armés, ce qui a généré
des exactions contre la population et l’exil de nombreux habitants.
Nous nous baserons dans cette thèse sur des données prélevées dans le parler de la fraction des
Aït Moussa. Cette fraction couvre la partie méridionale de la confédération. Elle fait partie du
sous-groupe « Aït Laâlam du dessus » (ayṯ leɛlam n injuya) en opposition à ceux « d’en-
dessous » (ayṯ leɛlam n inedduya)145 dont le parler se rapproche plus de la tasahlit occidentale.
Le tableau 102 en annexe présente la comparaison de quelques éléments lexicaux entre le parler
des Aït Moussa et celui des Aït Toughas, qui constituent la fraction les plus occidentale des Aït
Laâlam.
144
Marchés devenus inaccessibles depuis la destruction de la route du col de Laâlam menant à la commune de
Ziama-Mansouriah durant la guerre civile. Cette route est en cours de réouverture depuis 2020.
145
Parlers des localités situées dans l’axe entre le village de Zentout et M’Jounès (Aït Abider, Aït Melloul, Aït
Ihiya, etc.).
146 Ces formes affriquées trouvent leur origine dans la réalisation ǧiǧəl de ce toponyme, sans doute tirée de la
koinè algéroise.
La casbah antique de Jijel correspond à la Citadelle, implantée sur une presqu’île. Celle-ci fut
détruite lors du tremblement de terre de 1856, puis remaniée pour être remplacée par un quartier
militaire (1859) et sert aujourd’hui de base navale. Ce remaniement emporta avec lui toutes
traces du passé plurimillénaire de la ville. Notons cependant que Jijel ne fut pas toujours
confinée à la citadelle, comme en témoignent les fûts de colonnes romaines découverts pendant
les travaux d’aménagement de la ville actuelle148.
- la méditerranée au nord
- le Mont Mezghitane (žbəl lalla məzġiţan) au sud avec les Bni Caïd
- les rivières El Kantara (wad əḳ-ḳənṭra) et Mencha (wad mənša) à l’est avec les
Bni Ahmed et les Bni Amran
- l’Oued Kissir (wad kisir) à l’ouest, frontière avec les Oulad Taffer
147
Il faut noter qu’une partie des territoires de ces tribus leur fut retirée durant les siècles derniers pour la création
de nouveaux quartiers. C’est par exemple le cas de Rabta, quartier qui a appartenu aux Bni Caïd.
148
Rétout (1927:22-23) : « Elle étendait sa banlieue sur l’emplacement de la ville moderne, surtout dans la partie
qui borde la mer ».
Jijel est un port commercial au moins depuis l’Antiquité. Elle accueille également d’importants
marchés régionaux, alimentés par les ressources maritimes et les produits agricoles des tribus
environnantes. Des routes commerciales terrestres la relient, depuis une époque sans doute
lointaine, aux marchés des montagnes qui la bordent, ainsi qu’aux plaines céréalières des hauts-
plateaux. À partir de la colonisation française, la ville se tourne également vers le tourisme de
plaisance. Après l’indépendance, cette nouvelle activité économique s’est conservée. Elle est à
l’origine du développement de nombreuses infrastructures. Au début des années 70, un grand
port en eau profonde fut construit à 10 kilomètres à l’est de celui de Jijel : le Djen Djen. Celui-
ci a offert des opportunités de travail et provoqué un agrandissement de la ville. La ville s’est
également constituée comme un centre militaire important, du fait de sa base navale et des bases
d'entraînement qui ponctuent son arrière-pays. Depuis les années 2000, Jijel a vu naître un
complexe universitaire, situé dans la localité de Tassoust entre Jijel et Tahir, ainsi qu’un aéroport
international (2010).
Le caractère souvent groupé des départs de montagnards a d’abord provoqué des concentrations
de néo-citadins, parfois originaires d’une même confédération, et installés dans un même
quartier149. D’après nos consultants, ce phénomène se serait estompé au cours des dernières
décennies, et les différents quartiers de Jijel brassent aujourd’hui des familles de différentes
origines sans qu’il soit encore possible d’associer telle rue ou quartier à telle famille ou
149
Il nous a été donné comme exemple que le Village Moustapha était autrefois surtout habité par les Bni Khettab,
le Village Moussa par les Bni Ahmed, etc.
Les quartiers jouxtant la citadelle 152 sont les plus anciens. Leurs habitants appartiennent
principalement aux familles admises comme appartenant au vieux noyau citadin 153 . Leur
nombre et leur composition sont régulièrement disputés (Marçais 1954154). Certaines de ces
familles revendiquent ou sont associées à une origine kouloughli155, andalouse ou juive156, dont
150
Le phénomène n’est pas nouveau, puisque Marçais (1954:5) notait déjà qu’à Jijel « nul quartier n’a d’affection
spéciale ».
151
Il s’agit pour l’essentiel de mots relatifs à la nature et à l’environnement, qui dans un contexte citadin ne sont
pas régulièrement employés et conservent ainsi des formes anciennes, sans doute porteuses d’information sur
l’origine ancienne précise des vieilles familles citadines.
152
Anciens quartiers français
153
Ces citadins sont traditionnellement appelés žwažla, mais le terme tend aujourd’hui à désigner tous les habitants
de la province de Jijel.
154
La tradition orale donne le nombre de 40 familles citadines, Marçais (1954:4) n’a pu en recueillir que 25 dont
il n’est pas certain qu’elles soient toutes proprement citadines puisque habitant de la ville « tendent à s’attribuer
une origine citadine propre, le cas échéant, à cacher une ascendance rurale réelle qui leur semble moins
reluisante ». Marçais (1954:4) questionne l’origine de ce chiffre de 40 qui pourrait être légendaire. Ces citadins
représentaient trois ou quatre cents habitants en 1839 (ministère de la Guerre, 1837). Ajoutons que d’après nos
informateurs, plus de la moitié de cette vingtaine de clans citadins peuvent être associés à deux tribus de la banlieue
direct de Jijel (Bni Kaïd et Bni Yahmed) dont ils auraient émigré aux cours des siècles derniers.
155
Parmi les 25 familles d’extraction citadine recensées par Marçais (1954), seules trois ont un nom d’origine
turque : Dernali, Kazan et Kisserli (Marçais 1954:4), auxquelles on pourra adjoindre les Ben Turki.
156
D’après nos informateurs, il existerait aujourd’hui quatre familles d’origine juive converties à l’Islam habitant
Jijel. Selon Marçais (1954:6), un trait particulier à Jijel et à la Kabylie orientale serait justement l’absence de
familles juives autochtones : « nul élément israélite, nul mzabite n’a jamais pu s’y installer ni y demeurer ». Selon
le même auteur, les statistiques démographiques ne donnaient à Jijel pour présent, soit aucun juif, soit uniquement
« des fonctionnaires ou des agents nommés ». La déficience de cette communauté y serait également confirmée
par l’inexistence de cimetière ou de synagogue juive à Jijel, comme dans les autres villes de Kabylie orientale à
l’exception de Béjaïa. Signalons toutefois que, d’après un texte italien rédigé à Malte par Lanfreducci et Othon
Bosio en 1587 et traduit par Granchamp (1925:66) , il y aurait eu beaucoup de commerçants Juifs à Jijel à la fin
du 16ème siècle.
Jijel est également intimement liée aux tribus rurales situées dans ses environs directs (devenus
sa banlieue étendue), dont les membres sont d’ailleurs aujourd’hui généralement considérés
comme appartenant au fond citadin158, dans la mesure où leur présence et leur influence sur la
ville sont sans doute très anciennes. Ces tribus adjacentes à Jijel sont les Bni Caïd, Oulad Taffer,
Bni Yahmed et Bni Amran159. Si nous ne savons pas au territoire de quelle tribu Jijel appartenait
précisément par le passé, il est généralement entendu que les Bni Yahmed et les Bni Caïd
entretiennent depuis longtemps une relation privilégiée et des liens de parenté avec la plupart
des familles du vieux noyau citadin.
Localement, l’arabe des quartiers du centre de Jijel est sans doute le parler jijélien le plus
prestigieux. D’après nos consultants, les individus appartenant aux familles d’extraction rurale
immigrées à Jijel tentent de l’acquérir au mieux, ce qui est un témoignage de sa vitalité. Par
ailleurs, ce parler dispose d’un grand nombre de locuteurs (± 100 000), vivant à Jijel-ville, mais
aussi émigrés dans d’autres villes algériennes 160 ou dans d’autres pays. Contrairement à
beaucoup d’autres parlers préhilaliens, celui de Jijel-ville semble bien conservé. Il est
relativement peu influencé par les koinès hilaliennes de l’est et du centre du pays. Cette
préservation est sans doute due au caractère semi-citadin de Jijel, véritable capitale régionale à
l’identité propre et à la culture conservatrice. Il s’agit d’un des seuls parlers arabes algériens
pour lequel on trouve sur les réseaux sociaux des tentatives de valorisation et de conservation
157
Notons le cas particulier de la famille Bourboun, qui se donne jusqu'à aujourd'hui pour ascendant le duc de
Beaufort François de Bourbon, lors de l'expédition qu'il conduisit en 1664 (Doutté 1900). Plusieurs familles
citadines pourraient également être d’origine européenne chrétienne. Sur ce point, il y aurait peut-être une relation
à faire avec l’exemple donné par Marçais (1956:1) d’un « jeu de guerre » anciennement pratiqué à Jijel par les
enfants. Celui-ci met en compétition une équipe constituée parmi les quartiers où vivent les anciens citadins et un
autre parmi ceux où vivent les familles originaires de la proche banlieue. À travers le chant entonné par ces
derniers, les premiers sont qualifiés de Juifs et de Chrétiens.
158
Marçais (1954:7) indique : « il y a quelques années encore, le jugement populaire établissait une distinction,
parmi les immigrés et les descendants d’immigrés, entre le Nazli provenant d’un douar éloigné et le Caïdi issu des
Beni Caïd qu’unissaient aux citadins les liens d’une manière de cousinage ».
159
Marçais (1954:7) donne les Bni Caïd (parmi lesquels il inclut les Oulad Taffer) comme la tribu rurale dont le
plus de membres vivent en ville à la moitié du 20 ème siècle, et après eux les Bni Yahmed puis les Bni Foughal.
160
Il existe une forte et ancienne tradition d’émigration des jijéliens vers Alger où le stéréotype populaire les
associe à la profession de boulanger.
La variété de Jijel-ville est l’un des rares parlers arabes maghrébins à avoir fait l’objet d’une
importante entreprise de description à travers la grammaire de Marçais (1956) et sa collection
de textes oraux (1954). La grammaire du parler de Jijel-ville (Marçais 1956) sera
particulièrement mobilisée tout le long de notre thèse, pour comparer les données récoltées
durant la première moitié du 20ème siècle avec nos éléments plus contemporains. Si la qualité
du travail de Marçais est indiscutable, il faut cependant lui constater un biais : l’auteur a souvent
mêlé des données issues de différents parlers jijéliens sans en préciser l’origine. Ainsi, il arrive
par exemple que des données phonétiques, lexicales ou morphosyntaxiques présentées dans
cette thèse soient inconnues de la variété de Jijel-ville162. Nous avons repéré certaines de ces
confusions liées à certains des niveaux étudiés et nous les signaleront.
161
Nous définirons le multilinguisme pour décrire la cohabitation de plusieurs langues dans un même groupe social
et/ou espace géographique dans lequel plusieurs langues cohabitent.
162
Un cas particulièrement problématique que nous avons repéré lors de l’écriture de notre mémoire de master est
la syntaxe de la copule non-verbale d empruntée à l’amazigh par l’ensemble des parlers arabes de la Kabylie
orientale. Cet élément fonctionne de manière très différente d’un parler à un autre (et notamment entre les deux
parlers jijéliens étudiés dans le cadre de notre thèse). La grammaire de Marçais donne de nombreux exemples de
son utilisation qui s’avèrent tout à fait agrammaticaux dans le parler de Jijel-ville, ce qui indique qu’ils sont tirés
d’autres variétés. Marçais (1956:317), signale qu’il a donné le long de sa thèse des mots ruraux plus ou moins
couramment utilisés dans la banlieue rurale de Jijel-ville.
163
Les deux patronymes (à marqueur amazigh pour le premier, arabe pour le second) sont attestés.
164
Les familles mâadies exilées en ville, généralement dans la région d’Alger, depuis parfois plusieurs générations,
ont parfois gardé le souvenir de leur appartenance tribale ainsi que des éléments linguistiques et culturels. Notons
également que quelques localités des Aït Mâad connaissent un retour timide depuis moins de cinq ans à partir des
familles parties s’installer à la Mansouriah à la suite de la réfection de certaines routes.
165
El-Mansouriah (lit. « la victorieuse ») fut nommé en honneur du Sultan El Mansour par les princes hammadites
qui en firent un lieu de villégiature. La presqu’île fut dénommée, durant l’Âge d’or islamique, Marsa Malosa,
soulignant son caractère portuaire, et son appartenance à une confédération amazighe koutama signalée par Ibn
Khaldoun : les Imalousen (fraction Koutama d’après Ibn Khaldoun traduit par le Baron de Slane 1852:142).
S’agissait-il d’un port Koutama à l’époque médiévale ? Les fouilles archéologiques menées à la Mansouriah
indiquent que celle-ci a pu servir de port de fortune à une période indéterminée (Laporte 1990). D’après Shaw
(1757), la presqu’île est l’un des ports antiques signalés par Ptolémée dans la région (l’Audus ou le Jasath).
Les écrits médiévaux donnent les Aït Mâad comme une tribu koutama (Ernest 1830:183-184).
En effet, pour Ibn Khaldoun (1852:292), Mâad est le nom d’un descendant des Koutamas. Dans
la tradition orale familiale de nos consultants, il est dit que les Aït Mâad correspondent
anciennement à une famille chassée du village de Béjaïa en raison de conflits de cour parmi les
Hammadites. Un consultant originaire des Aït Segoual nous a quant à lui affirmé que les Aït
Mâad étaient des Bougiotes chassés par les Espagnols de Béjaïa, lors de la prise de la ville en
1510.
166
Comparer par exemple les données de cette thèse avec celles du parler des Aït Aïssa voisins directs des Aït
Mâad (cf. Garaoun 2021)
167
Centres et fermes habitées par des colons
168
D’après Féraud (1867:402) les premiers habitants européens de la Mansouriah furent des pêcheurs italiens,
nous ne connaissons pas les modalités de leur arrivée sur place et de leur possibles échanges avec les Aït Mâad.
La monographie française de 1845 donne un découpage des Aït Mâad en six fractions :
D’après nos consultants, ces fractions historiques paraissent correspondre respectivement aux
fractions contemporaines suivantes :
Tizraren (ţiẓraran),
Tizeghwan (ţizəġwan),
Rouaouna (ṛwawna),
169
Féraud n’en indique pas la source
170
Signalons l’existence dans la région de M’sila d’une montagne dénommée Maadid (qui a donné son nom actuel
à la commune où elle se trouve) sur le versant de laquelle fut fondée la Qalaâ des Bni Hammad en 1007,
abandonnée par les Al-Mansour en 1090 sous la menace hilalienne.
171
Cf. Garaoun XXX
172
Le palais hammadite de la Mansouriah, construit par le monarque Yahia Ibn El Aziz est détruit dans la seconde
moitié du 11ème siècle. Un développement citadin ou portuaire de cette région n’est pas signalé jusqu’à la conquête
française.
La mer au Nord ;
la rivière Glili (glili) au nord-est avec les Aït/Bni Aïssa ;
la rivière Timesrane173 (ţimeṣran) au nord-ouest avec les Aït/Bni Khzeur ;
la montagne Tloudène (ţludan) au sud avec les Aït/Bni Mermi ;
l’oued Ziama (wad ẓyama) au sud-ouest avec les Aït Nabet ;
la montagne Hdid (ǧbəl ħdid) à l’est avec les Aït Ourzedine ;
l’oued Ziama (wad ẓyama) à l’ouest avec les Aït Segoual.
La monographie de 1845 indique que « la plus grande partie du bois de charpente employé
dans les chantiers d’Alger provient des forêts qu’arrose le Mansouriah ». Elle signale
également que les AM étaient la seconde confédération militaire la plus puissante avec les Bni
Foughal du pays jijélien174, qu’y abondaient les oliviers et les vignes. Toutes ces cultures ont
disparu à la suite de deux décennies d’abandon total des montagnes des Aït Mâad. Aujourd’hui,
la principale activité des Aït Mâad habitant la presqu’île est la pêche à la sardine175.
173
Oued Boubrahem de la monographie française de 1945
174
Nous ne savons pas comment interpréter ici ce qualificatif de militaire. Shaw (1757) signale les relations
difficiles entre les Aït Mâad et une tribu voisine (Aït Saâdellah) qui a par la suite été absorbée par les premiers
puisqu’ils en sont aujourd’hui considérés comme une fraction : cet exemple illustre peut être le fait que les AM
étaient en guerre avec leurs voisins au point de venir à en conquérir certains. Nous devons également souligner
que l’importance des Bni Mâad aux cours des siècles précédents est clairement indiquée par le fait qu’aucune
cartes ancienne de l’Algérie présentant des noms de tribus en Kabylie Orientale ne manque jamais de mentionner
les Aït/Bni Mâad qui sont souvent l’une des seules tribus mentionnées dans l’arrière-pays jijélien avec les Bni
Foughal.
175
La pêche au corail, suspendue en Algérie de 2000 à 2020, fut auparavant une industrie importante pour les
habitants de la Mansouriah.
D’après nos enquêtes de terrains, certains villages ou fractions des Aït Mâad pourraient avoir
été plus fortement bilingues 179 . Ces données s’opposent à celles de Doutté et Gauthier qui
176
Le témoignage comporte six termes probablement relevés dans la langue utilisée par les ravisseurs du Capitaine :
Cabaille « kabyle », raïs « capitaine », couscoussou « couscous », chechia « chèche », burnous « burnous »,
Matamores « silos ». Les trois premiers sont communs à l’arabe et au amazigh des Babors, les deux termes suivants
sont également utilisés dans les deux langues mais ils présentent une morphologie arabe, uniquement en usage en
jijélien (AJ šašiya, bəṛnus), enfin le dernier mot n’est employé dans la région à notre connaissance que dans les
variétés d’arabe (AJ məṭmuṛa ~ aməṭmuṛ vs. TS tasraft ~ tameṭmuṛt). Souag (c. p.) nous signale que « les
termes rappelés par ce Capitaine sont des mots probablement connus par tous les voyageurs à l'Afrique du Nord,
je soupçonne qu'ils étaient tous attesté en français avant son voyage. Rien ne garantit dans ce contexte qu'il les
aurait appris sur place plutôt qu'à Alger ou même avant de partir ».
D’après ce témoignage, seuls quelques individus pratiquaient la langue franque. Il faut noter que des femmes
avaient des notions de ce sabir, puisque toujours d’après ce témoignage, l’épouse de l’un des ravisseurs s’exclame
dans les termes de « pauvro mesquino » à la mort d’un des compagnons du Capitaine.
177
D’après ce témoignage, seuls quelques individus pratiquaient la langue franche. Il faut noter que des femmes
avaient des notions de ce sabir, puisque toujours d’après ce témoignage, l’épouse de l’un des ravisseurs s’exclame
dans les termes de « pauvro mesquino » à la mort d’un des compagnons du Capitaine.
178
Pour une présentation de la lingua franca ou langue franque, voir Miller (2007).
179
C’est ce que nos enquêtes auprès des fractions majoritairement arabophones des Aït Nabet (Aït Achour, Aït
Issad, etc.), semblent également montrer. A partir des données de Shaw (1757), Joleaud (1931) fait l’hypothèse les
Aït Saadalleh étaient moins « arabisés et islamisés » que leurs voisins Aït Mâad. D’après Doutté et Gautier
(1913:24), les Aït Mâad ne parlent qu’arabe et « les vieillards ne se rappellent pas avoir entendu parler kabyle par
leur grands-pères, et ces derniers n’ont jamais dit que leurs ancêtres avaient parlé kabyle ».
À la Mansouriah, l’utilisation de la tasahlit est rare. Nous y avons interrogé plusieurs jeunes
hommes d’une vingtaine d’année originaires des AM. Ces derniers n’avaient aucune
connaissance de cette langue181. Nous avons remarqué cependant qu’un arabe d’un type proche
de la koinè algéroise y était de plus en plus utilisé par les jeunes individus. Cette variété a sans
doute été importée par des familles des AM en partie exilées à Alger, avec lesquelles les liaisons
sont encore importantes (des mariages entre les AM habitants Alger et la Mansouriah se font
encore régulièrement). Dans cette mesure, il est probable que la koinè algéroise exerce
aujourd’hui une pression importante sur le parler des AM restés dans la région. Dans ces
conditions, nous avons privilégié pour l’étude de ce parler des données issues de locuteurs âgés,
récoltées par l’intermédiaire de jeunes locuteurs habitants en France, à Alger et à la Mansouriah.
Ces locuteurs sont tous originaires de la fraction de Akhiam (ayţ axyam), tous montrent des
degrés de bilinguisme plus ou moins important avec la tasahlit.
180
Celles-ci ne se conserveraient à l’est de l’Oued Ziama que dans la cité d’Azirou Amer, habitées par des familles
originaires des différents villages, amazighophones comme arabophones de l’arrière-pays ziamite.
181
Ou ne souhaitaient pas le montrer
Nos consultants principaux ont des profils très homogènes. Il s’agit généralement de jeunes
hommes, plurilingues182, âgés de 20 à 30 ans. Ce sont à chaque fois des locuteurs natifs des
variétés étudiées habitant dans leurs localités d’origine au début de l’enquête, bien que plusieurs
d’entre eux aient migré en France dans les années suivantes afin d’y poursuivre leurs études.
Tous ces consultants partagent avec nous un intérêt certain pour leurs langues et pour l’histoire
de leurs régions d’origine. En plus de leurs langues maternelles respectives, ces locuteurs
maîtrisent tous, à différents niveaux, l’arabe scolaire, le français standard, quelquefois
également l’anglais scolaire. Parmi eux, ceux de langue maternelle amazighe pratiquent pour
la plupart également un parler arabe algérien. Plusieurs consultants de langue maternelle arabe
ont également des notions de langue amazighe. Le tableau 8 recense ces principaux consultants.
182
Nous définirons le plurilinguisme comme définition la pratique de plusieurs langues au niveau individuel.
En plus de ces locuteurs principaux, des consultants secondaires, principalement des hommes
et des femmes âgés ont, dans la plupart des localités, également pu être interrogés. Il s’agit
également de locuteurs natifs, souvent monolingues183. Nous avons essayé lorsque cela était
possible de comparer les données récoltées auprès de ces jeunes locuteurs plurilingues, avec
celles de locuteurs plus âgés et monolingues. Comme dit plus tôt, il nous a été très difficile
d’accéder à ces locuteurs en raison de la situation de pandémie de Covid-19. Les quelques
locuteurs âgés interrogés nous ont néanmoins permis de vérifier nos données et de mettre
parfois en lumière certaines variations184. Ces consultants ont été pour la plupart contactés et
interrogés durant nos visites. Beaucoup appartiennent aux familles de nos consultants
principaux ; c’est le cas de pratiquement toutes les femmes interrogées dans le cadre de cette
thèse185. Dans le cas des Aït Bouycef, dont nous sommes originaires et pratiquons le parler, nous
183
Avec des exceptions : notre seule locutrice âgée des Aït Mâad était dans une certaine mesure bilingue arabe-
amazigh, de même que notre locutrice âgée des Aït Segoual. Chez les Aït Mâad le bilinguisme ne concerne plus
que les personnes âgées. Chez les Aït Segoual de Taâzibt, celui-ci est ancien et très largement développé, même
auprès des personnes âgées et des femmes.
184
Nous savons en effet que la variation intergénérationnelle est très importante dans la région. À titre d’exemple,
sur une liste de termes expressifs récoltés auprès d’informateurs originaires des Aït Segoual âgés de 40 à 50 ans et
analysés par des informateurs âgés de 20 à 25, le groupe des plus jeunes ne reconnaissaient et n’étaient en mesure
de comprendre qu’un tiers des mots. Il est très courant pour nous-même, en tant que locuteur du parler des Aït
Bouycef, de découvrir de nouvelles formes dans notre propre parler, tant la transmission de ces langues est
aujourd’hui mise à mal par le multilinguisme généralisé, et l’effet d’une scolarisation excluant les langues
maternelles.
185
Il était en effet difficile pour nous en tant qu’homme d’interroger des femmes étrangères à notre groupe familial,
et donc locutrices d’autres variétés que celles des AB. Les données issues de parlers de femmes sont par conséquent
malheureusement beaucoup moins importantes que celles issues de parlers d’hommes. Nous avons néanmoins
essayé autant que possible de vérifier si certains usages étaient marqués par ce type de variation (ce qui s’est avéré
dans quelques cas), et espérons que d’autres travaux, peut-être dirigés essentiellement vers les parlers féminins des
La comparaison de nos données avec celles d’autres auteurs n’a été possible que pour le parler
de Jijel-ville, pour lequel nous disposons des riches données fournies par la grammaire de
Marçais (1956). Ses consultants étaient des hommes, étudiants à la médersa de Constantine,
interrogés entre les années 1930 et 1940.
Pour pallier ce manque, nous avons transmis à nos consultants les méthodes de l’auto-
documentation, c’est-à-dire l’entreprise de documentation d’une langue par ses propres
locuteurs non-linguistes. Cela a notamment été rendu possible grace à un enseignement en ligne
des techniques d’auto-documentation, dispensé durant les premiers semestres des années 2021
et 2022 à travers l’Institut des Langues Rares (ILARA) de l’ École Pratique des Hautes Études
(EPHE). Nous donnerons dans la partie documentation de cette thèse (sections 1, 2 et 3), les
liens de corpora audiovisuels réalisés par nous-même ainsi que par nos consultants.
Par ailleurs, nous avons enregistré plusieurs textes oraux relatifs à des pratiques culinaires
traditionnelles sont disponible en annexe (cf. documentation). Certains d’entre eux ont été
publiés sur la base des corpora oraux en ligne Pangloss et Corporan (cf. documentation). Nous
avons parfois procédé à l’élicitation de listes de mots ou d’énoncées élaborées par nous-même
selon les besoins de l’enquête, ou tirées du questionnaire de dialectologie du Maghreb (Caubet,
2000) pour le jijélien, ainsi que des listes swadesh (1950) pour les deux langues.
Dans ce premier chapitre, nous présenterons les différents champs d’études théoriques à
l’origine de notre démarche scientifique et expliquerons leurs pertinences pour notre
problématique. Nous ferons ensuite un état de l’art des travaux réalisées dans ces domaines sur
l’aire géolinguistique nord-africaine, avant de présenter les points précis qui seront étudiés dans
notre thèse.
Jusqu’à la fin des années 80, des auteurs considèrent que le contact ne peut avoir d’influence
profonde sur la structure d’une langue (Danchev 1988:38). Le contraire a été prouvé, et nous
savons aujourd’hui que toutes les structures d’une langue peuvent être transférées ou
empruntées à une autre langue (Thomason & Kaufman 1988:14, Harris & Campbell 1995:149-
150, Aikhenvald 2002:11-13).
À partir du début du 21ème siècle, certains travaux se proposent d’étudier ensemble le contact et
le transfert : c’est par exemple le cas des études sur les interlangues de Clyne (2003). La
linguistique de contact commence à réconcilier l’étude du contact aux niveaux individuels et
collectifs. Backus (2005) propose l’hypothèse d’un continuum entre les phénomènes attestés au
niveau individuel, comme le bilinguisme ou l’alternance codique, et les phénomènes touchant
l’ensemble de la communauté, comme l’emprunt et le transfert.
Léglise (2022) propose de se défaire des méthodologies d’étude du contact cherchant à placer
des frontières entre les variétés de langues des communautés multilingues et de développer une
méthodologie « to reveal the heterogeneity of language practices through the annotation of
plurilingual corpora ». Certains auteurs ont également proposé de nouvelles démarches
pluridisciplinaires associant l’étude du contact à la sociolinguistique, la linguistique historique,
l’écolinguistique ou encore la psycholinguistique (Matras 2000, Matras & Sakel 2007),
élargissant ainsi les méthodologies, les approches et les perspectives de cette discipline.
Le contact entre les langues et les variétés de langues est sans doute aussi ancien que
l’émergence de la diversité linguistique : celui-ci peut donc être considéré comme un élément
majeur de l’histoire et du développement des langues. La compréhension du contact est
également essentielle pour la linguistique synchronique, dans la mesure où l’on estime que les
deux tiers de la population mondiale sont plurilingues (Baker & Prys Jones 1998).
Les situations de contact sont très diverses. Chacune d’entre elles est liée à des configurations
sociolinguistiques particulières, qui vont déterminer la directionnalité et l’intensité du transfert
intralinguistique (Thomason et Kaufman 1988 et Aikhenvald 2002:3) : qui apprend quelle
langue, comment, pourquoi ? L’apprentissage est-il individuel ou collectif ? Dans quels
contextes sociologiques (statuts sociaux des groupes), démographiques (nombres de locuteurs),
sociolinguistiques (prestige relatif des langues) et géo-historiques se produit-il ?
Nagy (1996:41) liste trois causes de l’intensité du contact, largement reprises par les travaux
plus contemporains : la quantité du contact, l’identité culturelle et les éléments proprement
linguistiques. Pour Thomason et Kaufman (1988:35), le contexte sociolinguistique historique
est l’élément le plus déterminant dans le dénouement d’une situation de contact. Notre cadre
théorique rejoint cette dernière hypothèse, bien que nous donnions de l’importance à tous les
éléments linguistiques et extralinguistiques potentiels ayant pu interférer dans la situation de
contact.
Les facteurs pouvant amener à une situation de contact sont nombreux et peuvent être
combinés entre eux : sociaux, économiques, culturels, historiques, géographiques, écologiques,
etc. L’étude particulière des relations entre les langues en contact en fonction de ces agents est
appelée écologie linguistique (Ausin & Sallabank 2011:30).
Le plurilinguisme a très tôt été décrit comme la situation prototypique à l’origine du contact de
langues. Pour Weinreich (1953), le locus du contact est l’esprit du bilingue. À partir du moment
où le plurilinguisme a été considéré comme à l’origine externe du changement linguistique, la
question de la définition et de l’identification du plurilinguisme et de ses différents degrés a été
Les situations de contact ont souvent été représentées comme indubitablement marquées par
l’inégalité et l’asymétrie. C’est le cas développé par le modèle économique des situations de
contact de langue proposé par Bourdieu (1997, 2014). Pour Austin et Sallabank (2011:40), la
disparition des langues est régulièrement due à des perturbations économiques, entraînant des
changements dans les équilibres des situations de contact, ce qui peut amener les communautés
linguistiques à reconsidérer la valeur de leurs langues. Cependant, d’autres travaux ont mis en
lumière l’existence de situations de multilinguisme, sans que l’une des langues en présence ne
domine les autres (cf. notion de bilinguisme égalitaire de Haudricourt 1961, développé par
François 2012). Morozova, Rusakov et Yu (2018) ont démontré que dans les situations de
contact équilibrées, une écologie langagière locale attribuait aux différentes langues en usage
des rôles et des fonctions différentes, de telle manière que l’une n’empiète pas l’aire
écolinguistique de l’autre.
c. la vérification que les irrégularités ne s’expliquent pas par des traits typologiques ou
génétiques communs, des développements internes, ou le hasard.
Au cours des dernières décennies, les phénomènes de contact ont été l’objet de nombreuses
descriptions, accompagnés de l’émergence d’une riche terminologie spécialisée. Nous
proposerons ici un résumé des grandes idées ayant émergé à partir de ces études, en soulignant
certains éléments particulièrement pertinents pour notre thèse.
187
Bien que que le contact ne crée pas toujours des irrégularités dans le système.
L’étude des types de bilinguisme a également fait surgir la problématique de la distinction entre
ce qui relevait proprement de l’emprunt/transfert ou de l’alternance de code. L’alternance
codique correspond à « la juxtaposition, à l’intérieur d’un même échange verbal de passage,
où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents »
(Gumperz 1989:64)189. Ce phénomène est souvent caractéristique des parlers bilingues et, dans
188
Nous en verrons quelques exemples dans le corps de cette thèse
189
Nous avons essayé d’appliquer cette distinction dans notre travail de thèse, bien qu’il soit souvent difficile, et
Gumperz (1971) propose d'abandonner l’idée que les langues en contact à travers des
communautés bilingues fonctionneraient cognitivement comme des systèmes distincts, pour les
penser plutôt comme des systèmes uniques (« unified linguistic repertoire »). Selon ce point de
vue, les différents phénomènes de contact comme l’emprunt, le transfert et l’alternance codique
se situeraient sur un continuum de pratiques des codes bilingues, dont il ne serait pas toujours
possible de tracer les frontières (Backus 2005, Myers-Scotton 1993).
Signalons enfin, parmi les découvertes du 20ème siècle, la reconnaissance du caractère diffus
des phénomènes de contact partagés par différentes langues géographiquement contiguës : les
« sprachbunds » ou phénomènes de contact aréaux (Trubetzkoy 1928). L’étude de ces derniers
a permis de mettre en exergue l’existence d’aires linguistiques parmi lesquelles différentes
langues partagent des traits communs non hérités.
L’emprunt est le premier phénomène de contact observé et étudié dans le cadre des études sur
le contact de langues. Haugen (1950:212) définit l’emprunt ainsi : « a general and traditional
word used to describe the adoption into language of a linguistic feature previously used in
peut-être parfois impossible, de l’appliquer dans le cas des lectes de bilingues. Dans le cas des langues étudiées,
ce problème d’identification se pose uniquement en tasahlit, chez les locuteurs hommes bilingues ayant l’habitude
de pratiquer l’aternance codique tasahlit-arabe entre eux. Comme nous n’avons pas récolté d’enregistrements
parmi les groupes d’hommes bilingues, nous n’avons pas eu à chercher à distinguer les emprunts des alternances
codiques tasahlit-arabe.
Un lexème est emprunté d’une langue à une autre pour de nombreuses raisons, soit qu’il renvoie
à une réalité inexistante dans la langue receveuse, soit qu’il apporte une nuance sémantique,
stylistique, expressive, ou bien encore qu’il s’impose par l’usage plus fréquent de la langue
source pour renvoyer au champ de son usage. Ce phénomène est extrêmement fréquent dans
les langues du monde, et peut se produire assez facilement et rapidement même dans des
situations de contact peu soutenues (cf. Thomason et Kaufman 2001).
Très tôt, l’emprunt sera opposé au phénomène de transfert ou de calque de structures, décrit
comme un calque de mots ou de structures, transféré d’une langue à une autre sans intégration
de matériel morphophonologique non-natif (Heath 1984:367, Thomason 2001:260). On
distingue, d’un côté, le calque/transfert global des unités morphémiques accompagné des
séquences morphémiques du modèle calqué comme un ensemble et, de l’autre, le transfert
sélectif de propriétés individuelles du modèle calqué séparément.
Les deux phénomènes présenteraient donc à la fois des rapprochements et des différences
fondamentales. D’après Kahane (1986:503), les emprunts de patterns sont « the product of
Il arrive enfin que les deux phénomènes soient combinés. L’emprunt de matters associé au
calque de patterns a d’abord été classé comme une conséquence de la fusion des deux
phénomènes (et donc d’une certaine manière un sous-type de ces derniers), promouvant
l’emprunt phonétique comme l’élément qui détermine par la suite le calque de structure (cf.
Sakel 2007:15). D’autres auteurs comme Gardani (2020), le décrivent comme un processus à
part entière bien distinct de l’emprunt phonétique seul ou du calque de structure seul. Ce même
auteur (Gardani 2020) propose une classification typologique englobante des trois types
(emprunt de pattern, de matter ,ou de matter + pattern), mais il souligne le manque de données
pour fournir des conclusions fiables sur leurs conditionnements.
La distinction entre ces trois phénomènes est l’une des bases théoriques de l’étude du contact.
Nous l’appliquerons systématiquement tout le long de notre travail afin de pouvoir à la fois
comparer et alimenter les données typologiques.
190
La linguistique coloniale a longtemps étiqueté les langues de simples ou de complexes dans un objectif de
classification racistes des degrés de développement et de civilisation des communautés humaines. À partir de la
moitié du 20ème siècle, des linguistes ont supporté l’idée de l’égalité des langues en termes de complexité en
opposition à ces allégations (cf. Hockett 1958:180-181, Cipollone & al. 1998:2). Toutefois, les travaux comparatifs
réalisés durant la dernière décennie (Shosted 2006, Kusters 2008, Parkvall 2008, etc.) ont permis de remettre en
question cela, tout en proposant de définir la complexité linguistique.
191
Les fonctionnalistes parlent de simplification par « optimisation formelle et cognitive de la théorie » (Moeschler
& Auchlin 2000).
192
Trudgill est à l’origine de trois hypothèses (dont la seconde est la moins controversée) sur les conséquences de
1.6. La convergence
Les phénomènes de convergence correspondent à une interférence mutuelle des propriétés de
langues en contact, et s’observent lorsque des langues en contact deviennent graduellement de
La convergence structurelle est surtout observée dans des situations multilingues plus ou moins
équilibrées d’un point de vue sociolinguistique, parmi lesquelles aucune communauté
linguistique en contact ne domine centralement les autres. Elle est fréquemment observée dans
des situations de contact caractérisées par une certaine résistance, un tabou, à l’emprunt
d’éléments phonétiques, favorisant plutôt le calque de constructions syntaxiques (Matras
2009:60).
Dans des contextes moins équilibrés, différents types de « convergences extrêmes » (Heine
2010:18) peuvent être observés. Parmi ceux-ci, le type le mieux décrit est celui de la métatypie
(Ross 1997, Ross 2007) : un processus de changement linguistique résultant du contact
prolongé des langues, dans lequel le vernaculaire d’un groupe de locuteurs est restructuré sur
le modèle du véhiculaire qu’ils utilisent pour communiquer avec les locuteurs n’appartenant
pas à leur groupe. Cette transformation non-symétrique est généralement marquée par
l’emprunt de patterns sémantico-syntaxiques. Elle suppose une tendance chez le bilingue à
réduire la complexité entre les différents lectes qu’il utilise, en unifiant leurs organisations,
restructurant ainsi le lexique et la syntaxe.
Nous distinguerons systématiquement dans l’analyse conclusive de cette thèse les interférences
de substrats des autres phénomènes de contact, comme le conseillent Thomason et Kaufman
(1988:348) et Van Coetsem (1990). En effet, les emprunts/transferts dont l’origine n’est pas la
rétention substratique sont le résultat de procédés différents en termes de dynamiques de contact
193
Le premier auteur à utiliser ce terme est Graziadio Isaia Ascoli (en italien sostrato), cf. De Felice (1957).
Van Coetsem (1988) propose de distinguer les phénomènes de transferts langagiers d’éléments
substratiques vers une langue cible, qu’il dénomme « imposition » et distingue de l’emprunt
(borrowing) à partir d’autres types d’adstrats. L’auteur définit une langue source (source
language) et une langue destinataire (recipient language) en se focalisant sur la direction du
transfert. Selon Winford (2007), l’emprunt correspond à l’introduction d’éléments de la langue
source vers la langue destinataire par les locuteurs de cette dernière, tandis que l’imposition se
réfère à l’introduction d’éléments de la source vers la langue destinataire par les locuteurs de la
langue source.
Haspelmath et Tadmor (2009:50-51) ont également appliqué cette distinction afin de distinguer
le vocabulaire acquis (ou adopté) et hérité (ou imposé). Ils ont également affirmé qu’en situation
de changement linguistique, les locuteurs retenaient intentionnellement le vocabulaire de leur
langue d’origine (agentivité).
Dans cette thèse nous ne reprendrons par le cadre proposé par Winford et Van Coetsem, qui
propose une focalisation sur l’individu bilingue. Nous distinguerons toutefois les phénomènes
généraux d’emprunts et de transferts résultant d’une influence du substrat de celles des autres
types d’adstrats.
194
Pour une présentation des théories majeures proposées au cours du 20 ème siècle sur le bilinguisme, consulter
l’ouvrage de Hamer et Blanc (2000).
Les études sur le contact de langue, sur l’acquisition et la sociolinguistique ont développé de
nombreuses théories sur le fonctionnement du bilinguisme à différents niveaux (cognitif,
psychologique etc.). Nous ne nous attarderons ici que sur le débat suivant : les enfants bilingues
usent-ils d’un système, ou de deux ?
Lanza (1997) démontre que les caractéristiques du bilinguisme et du mélange de codes chez
l’enfant et l’adulte ne sont pas différentes en soi, mais que les conditions et les types de
bilinguisme et de mélange de codes sont différents. Le même auteur affirme que dans les
situations de bilinguisme familial, les stratégies parentales sont décisives pour établir un
bilinguisme actif (maîtrise concrète des différents codes) et en particulier les stratégies du parent
locuteur de la langue minoritaire.
Ces théories nous permettent de chercher à identifier des types de bilinguisme pouvant être
accordés à des tranches d’âge d’acquisition des variétés secondes, ainsi qu’au statut
sociolinguistique des différents codes pratiqués par les bilingues. En cela, ces théories
appliquées à la description des phénomènes de contact peuvent être utilisées afin de procéder à
la tentative de restitution d’une situation sociolinguistique historique. Nous allons maintenant
aborder le second pan disciplinaire de ce travail : l’histoire, les avancées et les principales
théories élaborées sur le bilinguisme.
La sociolinguistique historique s’appuie sur une étude linguistique interne accompagnée d’une
approche sociolinguistique à partir des outils de l’analyse sociolinguistique comme la
caractérisation de la situation politico-économique, des types de domination sociale, des
prestiges relatifs, de la prise en compte de l’agentivité des locuteurs, etc. L’objectif de cette
méthode est de modéliser des situations de contact associant à l’étude des facteurs internes celle
des facteurs externes ou sociolinguistiques. En effet, nous savons aujourd’hui que la nature du
contact et ses circonstances déterminent en grande partie les processus en jeu, les phénomènes
dominants et les résultats linguistiques (Winford 2003).
Ces auteurs et d’autres ont proposé des méthodologies permettant parfois de dépasser les
modèles de la linguistique comparée. L’association des perspectives historiques et
sociolinguistiques permet d’abord de repérer puis d’associer le développement de phénomènes
linguistiques à des contextes sociohistoriques particuliers.
Ross (1996, 1997, 2005) propose un modèle voisin de la linguistique comparative, dont la
fonction première est la recherche des éléments hétérogènes qui pourraient constituer des
innovations, les « particular events ». Un intérêt particulier est accordé aux changements
structurels, appelés « speech community event », dont les origines et conséquences doivent être
recherchées à différents niveaux. En repérant ces innovations et en cherchant leurs origines,
Lorsque les irrégularités sont directement ou indirectement liées au contact, l’association entre
phénomènes de contact et dynamismes sociohistoriques se fait en établissant des scénarios de
contact.
Ce domaine fut introduit en 1963, à la suite de la fameuse étude de Labov sur le parler anglais
de l’île américaine de Martha’s Vineyard. La sociolinguistique variationniste s’oppose
traditionnellement à la linguistique interactionnelle qui se concentre sur les structures
linguistiques et leurs variations à travers l’interaction. Plus globalement, le variationnisme s’est
rapidement construit en opposition à une linguistique fondamentalement fonctionnaliste. Plus
récemment, Labov (2007) a proposé d’employer le cadre sociolinguistique variationniste afin
de problématiser le contact de langues et les types de bilinguismes en revenant sur la
classification des différents types de transmission/diffusion195 par des enfants et des adultes.
Devant la difficulté à étudier ensemble tous les facteurs de variation avec une approche
qualitative, les recherches de sociolinguistique variationniste se concentrent généralement sur
un, deux ou (plus rarement) trois facteurs.
195
Labov définit d’un côté la transmission, dans laquelle les structures sont acquises nativement par les enfants à
partir de locuteurs adultes au sein de leur propre communauté de parole, et d’un autre côté la diffusion, dans
laquelle les structures sont transférées entre communautés linguistiques.
En synchronie, les scénarios de contact peuvent être établis au moyen de différents modèles,
comme celui de la « vitalité ethnolinguistique » (Johnson, Giles & Bourhis 1983), qui prend en
compte trois facteurs : statuts, démographie et supports institutionnels. L’épaisseur temporelle
du contact et/ou sa réitération sont également pris en compte lorsqu’ils sont mesurables, et sont
également importants puisque ceux-ci entraînent des conséquences sur le degré d’enracinement
de l’emprunt et sur l'effacement de la mémoire de son origine.
L’intérêt d’un tel modèle est la prise en compte de changements contemporains importants.
Ceux-ci sont apparus avec l’émergence d’États-nations à l’origine de certaines politiques
linguistiques étatiques.
Les scénarios de contact historique doivent être dessinés avec plus de prudence, puisque ceux-
ci relèvent de la reconstruction de situations parfois peu (voire pas du tout) documentées par
des sources textuelles (comme c’est le cas pour la Kabylie orientale). Dans ces cas précis, la
détermination des scénarios ne peut se faire qu’en évaluant les développements découlant
directement ou indirectement du contact attesté par les langues contemporaines. Ce travail doit
prendre en compte la diversité des options de scénarios possibles et, dans le cas de longues
histoires de contact, l’éventualité d’une superposition de scénarios différents. Voici trois des
principaux types de scénarios consensuels de contact historique fréquemment observés :
3.1. Désastres
Les conflits entre les populations (guerres offensives, défensives, révoltes, génocides, etc.) et
les catastrophes naturelles (épidémies, séismes, inondations, etc.) peuvent provoquer la
disparition d’une partie ou de l’ensemble d’une communauté linguistique. Les survivants d’un
196
Et au-delà par différents domaines de linguistique appliquée comme la revitalisation, la documentation de
langues en danger, etc.
3.2. Déplacements
Ils peuvent être forcés et systématiques à la suite d’un désastre ou du commerce d’êtres humains,
mais aussi diffus et longs, typiquement dans les contextes d’exodes économiques (immigration).
Un déplacement géographique provoque souvent un changement de mode de vie et donc une
transformation socioculturelle profonde. L’issue d’un déplacement peut aussi bien se
matérialiser dans un changement que dans une maintenance ou une création de langue.
Selon Winford (2003), ces scénarios de contact historique peuvent se trouver à l’origine de trois
types de situations de contact :
Ces différentes situations et scénarios de contact peuvent enfin être associés à des
(re)constructions culturelles et identitaires des communautés en contact (Crowley & Bowern
2010). Par exemple, la naissance d’une nouvelle langue ou d’une nouvelle variété de langue est
souvent liée à l’identification d’un nouveau groupe ou sous-groupe (Thomason 1997:465,
Vakhtin 1998). Ce qui implique dès lors aussi bien la linguistique, la psycholinguistique, que
l’anthropologie, l’archéologie, etc.
Les scénarios se combinent souvent de manière inégale au sein d’une communauté linguistique,
pour des raisons qui pourront souvent être expliquées par la sociolinguistique variationniste
(variation en termes historiques, géographiques ou sociaux) ou par la théorie du « social
network ». Ajoutons à cela que les situations de contact dans le monde varient également en
fonction de l’agentivité d’autorités, élites, politiques dont l’impact historique est encore plus
difficile à déterminer en l’absence de textes.
197
Selinker (1987) parle de fossilisation et de sous-systèmes issus des interlangues des bilingues conservés par les
générations ayant acquis la langue cible et perdu la langue d’origine du groupe.
De Pietro (1988:69) propose des principes classificatoires pour faire émerger une typologie des
contacts de langue plutôt centrée sur les phénomènes attenants au domaine conversationnel.
Greenberg a promu le concept de typologie diachronique prenant en compte divers éléments
dont les contacts, laquelle est reprise et décrite en détail par Croft (1990).
Nous mobiliserons dans notre thèse cette perspective de classification des différents types de
contact, à la fois avec l’objectif d’utiliser comparativement les données typologiques existantes
dans d’autres situations de contact, et avec celui de fournir au domaine naissant des données et
analyses mobilisables pour l’étude des langues du monde en situation de contact.
Toutefois, la plupart des auteurs s’accordent également sur le fait qu’il existe un risque à émettre
trop rapidement des généralisations sur la détermination du passé ou du futur d’une situation de
contact, en raison de la nature souvent imprévisible des facteurs de changements linguistiques
externes (Sankoff 2001, Thomason 2001, Winford 2001).
Dans les situations de changements linguistiques anciens et/ou de langues disparues à la suite
d’un changement de langue - des situations en somme fréquentes dans l’histoire des langues du
monde - il convient d’adopter une méthodologie stricte sur l’étude des phénomènes de contact
et de rétention substratique, afin de tenter de déterminer l’histoire du contact et du changement
linguistique. Il faut être capable d’identifier un ou plusieurs substrats linguistiques, l’époque du
changement linguistique et des éléments sur ce contexte historique. Pour cela, il nous est
nécessaire de connaître ou de distinguer les structures de la langue substratique de celles de la
langue vers laquelle s’est dirigé le changement linguistique.
Le rapport dominant-dominé entre des langues partageant un même territoire peut être lu en
termes socio-politiques de rapport entre dominants et dominés. Analysant les effets de ce
rapport asymétrique, Thomason et Kaufman (1988) opposent les situations de multilinguisme
L’acculturation progressive peut mener à l’assimilation sans qu’il y ait de violence exercée par
un groupe sur un autre. En général, il y a cependant dans ce cas une asymétrie (numérique,
sociale, symbolique...) des groupes en présence.
Dans les rapports de prestige et de pouvoir, l’emprunt semble avoir une fonctionnalité
spécifique. On remarque parfois une fonction symbolique de l’élément emprunté qui présente
une expressivité accrue ; il est reconnaissable, il appelle l’attention, il a un marquage
symbolique particulier « exogène » parmi tous les autres éléments culturels.
La répétition de situations de contact semblables n’entraîne pas les mêmes résultats parce que
l’épaisseur diachronique est différente d’une situation à une autre. Le positionnement du
phénomène de contact dans le temps fait partie de la réflexion dans la plupart des études.
Plusieurs auteurs ont proposé différents modèles de hiérarchie d’empruntabilité pour les
différents éléments langagiers. Parmi ceux-ci, citons la « utilitarian hierarchy » proposée par
Matras (2009, 161:2) en rapport avec la fréquence et l'utilité des formes dans des contextes
particuliers. Thomason et Kaufman (1988) ainsi que Winford (2003:30) proposent des modèles
associant ces hiérarchies avec différents scénarios ou types de contact. Hakimov et Backus
(2021) proposent d’aborder l’empruntabilité par le prisme de l’étude cognitive du contact.
Différents modèles de hiérarchies d’empruntabilité des différents niveaux linguistiques ont été
proposés (Whitney 1881, Muysken 1981, Haugen 1950, Fields 2002, etc.). Plusieurs d’entre
eux ont été remis en question : par exemple, Heine et Kuteva (2005, 2006) ont démontré que la
198
Ross (1996, 2001) a par exemple décrit une situation de contact dans lequel le nombre d’interférences
grammaticales était plus important que les emprunts lexicaux (Ross 1996, 2001).
199
Le degré d’empruntabilité des verbes pourrait en être un exemple, en effet celui-ci a longtemps été réputé plus
faible que celui des noms. Aujourd’hui, nous savons que l’inverse est vrai dans plusieurs langues (Matras 2007).
200
Un exemple de l’intérêt mais aussi de la complexité de l’association de ces différents variants peut être donné
à partir du contact entre le Nguni (langue bantou) et des langues Khoisan. Nous savons en effet que dans les
interférences dues à un changement de langue, la présence d’interférences phonologiques est généralement attestée
à côté d’interférences syntaxiques et vice-versa. Toutefois en Nguni (Lickey 1985), il existe un phénomène
remarquable d’emprunt phonétique (clics des langues khoisanes) et lexical, mais pas d’interférences syntaxiques.
Lickey (1985) suggère que cela est dû au fait que le contact entre le Nguni et le khoisan correspond à la fois à une
interférence due à un changement de langue et à l’emprunt, soit deux couches historiques de contact.
La tradition de classification des langues amazighes 201 est à l’origine du classement plutôt
consensuel depuis la fin du 20ème siècle des variétés contemporaines en quatre sous-familles :
l’amazigh occidental (ou amazigh-Ouest), oriental (amazigh-Est), méridional (amazigh-Sud) et
septentrional (amazigh-Nord). Ces familles actualisent différents niveaux de rupture avec un
état de langue ancien présumé : le proto-amazigh ou amazigh commun202.
Les situations linguistiques et sociolinguistiques des sous-familles sont très diverses. En ce qui
concerne l’amazigh occidental, deux langues, éloignées l’une de l’autre géographiquement
(Mauritanie et Niger) et linguistiquement sont en voie d’extinction 203 . Pour ce qui est de
201
Des auteurs du début du 20ème siècle, Basset (1952:1) s’opposaient à l’idée de classer les langues amazighes
présentées comme un continuum de parlers qu’il n’était pas possible de ranger en groupes dialectaux.
202
Kossmann (2020:14) : « The term Proto-Berber will be used in the sense of the relatively unitary stage from
which the modern dialectal diversity of Berber developed ». À propos des datations proposées pour celui-ci, voir
Blench (2001:184), qui propose 4500 AEC, Louali et Philippson (2004) 680 AEC. Signalons également la théorie
selon laquelle l’amazigh fut unifié à travers une koinè (Sànchez 2011, vol. 2:350).
203
Le zénaga de Mauritanie (Taine-Cheikh 1999) et le tetserret au Niger (Lux 2011:54) ; les deux langues ne sont
Nous ne connaissons pas encore bien l’origine des divisions dialectales de l’amazigh moderne.
L’association entre les tribus antiques ou médiévales et les langues modernes a beaucoup été
mobilisée par les amazighisants afin d’expliquer les découpages dialectaux modernes. Nous
pensons en particulier aux théories associant les Zénètes (ama. iznaten/ ar. znata) de l’Âge d’or
musulman à des traits linguistiques particuliers (zénatismes), et à un grand nombre des parlers
contemporains dispersés à travers les différentes sous-familles. Ces tentatives d’associations
entre les groupes amazighophones actuels et les peuples/confédérations anciens restent
hasardeuses, bien que l’on puisse espérer que le développement des recherches archéologiques
et génétiques nous apporte de nouvelles données dans le futur.
La variation linguistique de l’amazigh contemporain pourrait, dans certains cas, indiquer des
différences en termes de substrats. L’une des rares études à ce sujet concerne l’amazigh des
oasis de la région du Gourara (Algérie), qui pourrait être marqué par un substrat ou un adstrat
songhaï (Kossmann 2004). Il est vraisemblable que d’autres substrats (ou superstrats) pré-
amazighs restent à identifier ailleurs204, et que ceux-ci nous permettent dans le futur d’expliquer
les caractéristiques de certaines langues amazighes.
S’il ne fait pas de doute que la variation intra-amazighe préexistait largement au contact
amazigh-arabe205, près de 13 siècles de contact entre les deux langues ont participé à renforcer
l’individuation dialectale, en réduisant le contact entre les différents groupes
plus transmises aux enfants et ne comptent plus que quelques centaines de locuteurs pour la première, quelques
milliers pour la seconde.
204
Tawfiq (1983:55) donne une origine pré-amazighe à certains toponymes et ethnonymes nord-africains.
205
La glottochronologie est encore assez peu appliquée à la famille amazighe, nous ne présenterons pas ses
enquêtes et leurs résultats encore très variables selon les études : toutes postulent une séparation du proto-amazigh
antérieure aux conquêtes arabo-musulmanes et même aux conquêtes romaines. Il s’avère néanmoins que des
processus de nivellement dialectaux ont eu lieu à travers l’histoire, rapprochant les variétés ou langues
différenciées depuis la séparation du proto-amazigh, et qu’ils sont sans doute responsables de la relative similarité
de l’amazigh moderne (Blench 2012).
L’un des écueils à la compréhension du développement des sous-familles amazighes est la faible
densité des documents écrits. Si les premières traces écrites en amazigh remontent à l’Antiquité
(stèles libyques), la plupart des inscriptions contiennent des textes trop peu importants en
quantité (inscriptions onomastiques ou toponymiques) souvent illisibles ou intraduisibles. Les
textes médiévaux écrits en caractères arabes ne concernent que deux régions du monde
amazighophone : le pays chleuh (Maroc) et les groupes amazighophones ibadites (Mzab-
Ouargla, Djerba et Infoussen). Ces textes, pour la plupart non étudiés, devraient être utiles pour
l’approfondissement de notre connaissance de l’Âge d’or musulman amazigh. En dehors de ces
régions, les traces écrites historiques sont extrêmement parcellaires. Celles-ci correspondent
206
Le contact entre des langues appartenant à différentes sous-familles amazighe est attesté dans certaines régions.
Au Niger, le tetserret (amazigh occidental) est en situation de contact intense avec le touareg tawellemmet
(amazigh méridional) sans doute depuis une période reculée (Lux 2011:52) ; tous les locuteurs sont bilingues et ne
transmettent plus aujourd’hui le tetserret à leurs enfants (Lux 2011:54). Dans certaines oasis algériennes des parlers
amazighs zénètes septentrionaux (Tit, Touat, etc.) sont en contact avec le touareg de l’Ahaggar (amazigh
méridional).
207
Cette isolation varie beaucoup d’une aire amazighophone à une autre. Au Maroc, la tamazight du Moyen-Atlas
et la tachelhiyt ne sont pas séparées par l’arabophonie et sont toutes deux pratiquées par des millions de locuteurs.
La situation est autrement différente pour les tous petits îlots d’amazighophonie comme celui d’Awjila en Libye,
ou des At Mezret en Tunisie, pratiqués aujourd’hui par quelques centaines de locuteurs, éloignés
géographiquement d’autres parlers amazighs et entourés par l’arabophonie.
208
Le contact avec l’arabe a quelquefois participé à la diffusion de traits communs (lexique emprunté commun à
de nombreuses variétés), évolutions typologiques communes, mais ces éléments restent selon nous mineurs face à
l’éloignement provoqué par les phénomènes cités.
209
Les langues canariennes, aujourd’hui éteintes, constituaient les seules langues amazighes à ne pas être entrées
historiquement en contact avec l’arabe.
L’histoire linguistique amazighe peut donc être étudiée diachroniquement au moyen des rares
sources écrites disponibles ou de la comparaison des données dialectologiques. Nous ne
mobiliserons que le second outil dans notre thèse, qui se penche sur une région pour laquelle
nous ne disposons d’aucune donnée écrite à l’exception de trois stèles gravées d’inscriptions
libyco-amazighes dans les Babors dont les découvertes et les textes n’ont jamais été publiés (cf.
section 1.4.1).
5.1.1.L’amazigh-Nord
Cette sous-famille amazighe est la plus importante, à la fois en termes de nombre de parlers et
de nombre de locuteurs210. Géographiquement, ses parlers se répartissent de la rive atlantique
marocaine à l’ouest, aux monts des Infoussen à l’est (nord-ouest libyen), et de la rive
méditerranéenne au nord, aux oasis présahariens au sud. L’aire de répartition de cette sous-
famille correspond à celles des populations préhistoriques d’Afrique du Nord (ibéromaurusiens
et capsiens), et donc à une zone de peuplement très ancienne, sur laquelle il est possible que les
Amazighs se soient greffés à une période non identifiée.
Les parlers amazighs-Nord sont souvent représentés dans la littérature comme un linkage (Ross
1988) plutôt que comme des langues individualisées, c’est-à-dire un réseau de langues
apparentées ou de dialectes formé à partir de la diffusion et de la différenciation progressive
d'une proto-langue. Plusieurs parlers amazigh-Nord sont pratiqués dans des aires adjacentes,
c’est par exemple le cas au Maroc de la tamazight du Moyen-Atlas, de la tachelhiyt, ou du
complexe des Kétamas-Senhajas de Sraïr et du rifain. Cela donne naissance à du contact intra-
amazigh et à l’émergence de variétés de transition. Ces phénomènes tendent à complexifier la
classification interne de l’amazigh-Nord et le consensus à son sujet. Seule l’existence d’un sous-
groupe dit zénète (également dénommé amazigh-central) est généralement admise (Chaker
210
De quelques centaines de locuteurs dans ses plus petits îlots à plusieurs millions dans les cinq groupes les plus
importants (tachelhiyt, tamazight du Moyen-Atlas, rifain, kabyle et chaoui). Avec ses quelques centaines de
milliers de locuteurs, la tasahlit occupe donc une place intermédiaire en termes de nombre de locuteurs.
La tasahlit correspond à une variété non-zénète, mais en raison du contact avec le chaoui, variété
zénète voisine, les parlers tasahlits présentent quelques emprunts au zénète (cf. section 1.4.1.1
du chapitre 1). Elle est également en situation de contact direct et ancien avec une autre langue
non-zénète, le kabyle211 dont la tasahlit a longtemps été perçue comme un sous-groupe dialectal
(cf. Garaoun 2021). Dans les zones marquant le continuum entre la tasahlit et le chaoui au sud
ou le kabyle oriental à l’est, des parlers de transition entre ces différentes variétés sont pratiqués
(cf. Garaoun 2019b).
L’amazigh-Nord est une sous-famille très fortement et anciennement influencée par l’arabe.
Dans certaines régions, ce contact se fait plus ressentir dans certaines variétés que dans d’autres.
Selon Chaker (1984), la variété d’amazigh-Nord la moins touchée par le contact avec l’arabe
(au moins au niveau de l’emprunt lexical) est la tachelhiyt de la plaine du Souss et de l’Anti-
Atlas, qui correspond également à la langue amazighe connaissant le plus grand nombre de
locuteurs. En revanche, l’une des langues parmi les plus touchées par le contact avec l’arabe
est celle des Ghomaras, pratiquée par quelques milliers d’individus aujourd’hui tous bilingues
dans le Rif occidental (El Hannouche 2008, Mourigh 2015).
Les variétés de l’amazigh-Nord attestent un contact plus ou moins important avec d’autres
langues : le latin et le punique ont laissé leurs traces partout (Blench 2012). L’identification des
autres substrats pré-amazighs est encore aujourd’hui partout mystérieuse. Les différentes
langues romanes ayant connu une expansion le long du littoral méditerranéen ou en Afrique du
Nord ont aussi laissé d’importantes traces et continuent d’être des sources de contact pour
beaucoup de langues amazighes (cf. Kossmann 2009 pour le rifain). Dans les variétés oasiennes,
on rencontre des emprunts à différentes langues sahariennes et subsahariennes comme les
langues songhaïs, le haoussa et le bambara (Souag 2013). Enfin, les diasporas amazighophones
européennes apportent, depuis près d’un siècle, de nouvelles situations de contact avec des
langues germaniques, par exemple entre le rifain et le néerlandais (Kossmann 2009). Nous nous
211
Il est assez malencontreux d’employer ici le glottonyme « kabyle » en excluant la tasahlit alors que ses locuteurs
se considèrent tous comme kabyles et kabylophones. Il conviendrait mieux selon nous de désigner l’amazigh
pratiqué dans les massifs du Djurjura, des Bibans, et de la vallée d’Asif Ou Sidi Saïd à celle de la Soummam, au
moyen d’un terme plus spécifique, étant donné que « kabyle » est utilisé comme glottonyme et ethnonyme, en
français ou dans ses équivalents arabe et amazigh, par une population occupant une aire beaucoup plus importante.
Nous opposerons ici les variétés vernaculaires modernes aux formes anciennes et standardisées
(arabe moderne standard, classique, coranique, etc.). Rappelons dès à présent que les parlers
néo-arabes ne descendent pas des variétés standardisés (arabe coranique, standard moderne,
etc.), mais bien des parlers vernaculaires pratiqués initialement en Arabie avant leur diffusion
dans tout le monde arabophone moderne.
Ces variétés contemporaines peuvent être divisées en trois zones principales. D’abord, la
péninsule arabique, qui correspond à la zone d’émergence de l’arabe. L’Orient (Machrek) et
l’Occident arabophone (Maghreb et Sahara), constituent les deux aires de progression majeures
de l’arabe suite aux invasions arabo-musulmanes des quinze derniers siècles. Enfin, nous
dénommerons arabes périphériques (Magidow 2021) les variétés plus ou moins isolées,
pratiquées en dehors de ces zones majeures d’expansion.
212
Nous utiliserons cette étiquette en opposotion par rapport à l’arabe ancien, bien qu’il reste à définir exactement
par rapport à quels traits exactement la disctinction entre les deux types puisse être véritablement tracée (perte du
système de cas ?).
Parmi les théories proposées afin d’expliquer ces « simplifications », Ferguson (1959) a suggéré
qu’une koinè214 militaire née durant les conquêtes arabo-musulmanes aurait effacé certains traits
et amoindri la complexité des dialectes anciens. Fück (1980) suggère quant à lui une
conséquence de l’influence des parlers des nourrices, esclaves et concubines d’origine non-
arabe sur les parlers des enfants des conquérants arabes. Versteegh (1984) a voulu montrer la
théorie selon laquelle un processus de pidginisation de l’arabe, suivi d’un second mouvement
de décréolisation, serait à l’origine de l’émergence des dialectes modernes. Plus récemment,
Al-Sharkawi (2010) a défendu (dans le cas précis de l’arabe égyptien) la thèse d’une
conventionnalisation du parler des non-natifs. Le même auteur (Al-Sharkawi 2010:229) insiste
sur les conséquences des stratégies de simplification de l’arabe par les conquérants arabophones
natifs en situation de communication avec les groupes conquis non arabophones. Ces derniers
auraient ainsi acquis puis transmis un « arabe simplifié », finissant par s’imposer auprès des
descendants des conquérants arabes, générant à la fois l’émergence des parlers arabes modernes
et la disparition des langues natives des communautés linguistiques conquises.
213
La simplification est un concept linguistique controversé qu’il faut prendre avec réserve. Nous paleront plutôt
pour notre part de neutralisation d’opposition.
214
Pour une définition du concept de koinè dialectale en arabologie, ainsi que des exemples de celles-ci, voir Miller
(2006).
Les arabisants s’accordent sur l’importance des tendances communes à la plupart des parlers
modernes, puisque celles-ci pourraient indiquer soit des liens génétiques, soit des évolutions
parallèles générées par des contextes socio-historiques similaires. La linguistique de contact
nous permet d’affirmer qu’il existe des caractéristiques d’une variété de langue qui sont
transmises directement par des natifs à leur descendance, par opposition à une variété transmise
par des natifs à des adultes locuteurs natifs d’autres langues (Goebl & al. 2008). Ces différences
ont participé, dès l’époque des premières générations d’arabisants, à la division modélisée entre
des parlers dits bédouins - décrits comme conservateurs car résultant du premier modèle de
transmission -, et ceux de sédentaires, qualifiés d’innovants, car correspondant au changement
de langue de populations conquises.
Bien sûr, ces schémas, s’ils peuvent fonctionner dans certaines situations216, ne peuvent pas être
généralisés à toutes, puisqu’ils s’opposent parfois complètement aux données sociohistoriques
et aux études naissantes sur la génétique des populations217. Il convient de souligner que malgré
215
Signalons l’existence de pidgins et de créoles à base lexicale arabe. Pour une présentations des différents pidgins
et créoles à base lexicale arabe et une discussion concernant leur importance pour les études linguistiques et
sociolinguistiques arabes, ainsi que pour l’étude du contact de langue voir Miller (2002).
216
Ils fonctionnent souvent dans les imaginaires partagés par les populations arabophones. Il n’est par ailleurs pas
impossible que ces imaginaires aient influé sur les pratiques linguistiques mêmes des communautés arabophones,
notamment via des pratiques de purisme linguistique ou, inversement, de valorisation des innovations locales.
217
Bosh & al. (2000) ont démontré que les différences culturelles et linguistiques des populations amazighophones
et arabophones du Mzab (Algérie) ne se reflétaient pas dans leurs profils génétiques, qui seraient très homogènes
et caractéristiques des profils génétiques nord-africains ; là même où les arabophones du Mzab (Chaâmbas)
pratiquent un arabe typiquement bédouin et se prétendent d’origine arabe. Cela a permis de rendre compte du fait
que certaines communautés arabophones bédouines d’Afrique du Nord pouvaient aussi correspondre à des groupes
À l’histoire de l’émergence des dialectes modernes il faut ajouter celle de leur développement
jusqu’à nos jours. L’effet des différentes couches de substrats et d’adstrats, mais également les
phénomènes de nivellement, associés parfois aussi à la pression contemporaine du standard, ont
participé ensemble à l’évolution des parlers néo-arabes. En somme, les caractéristiques de
chaque parler moderne doivent être regardées en réfléchissant à la fois aux conditions de leur
émergence, aux héritages anciens, et à leurs développements (marqués par d’autres conditions
et types de contacts).
En Afrique du Nord, les sources écrites sur le déroulement des invasions arabo-musulmanes et
de l’arabisation linguistique sont peu nombreuses, voire inexistantes dans le cas de la Kabylie
orientale. L’étude de l’émergence et du développement de l’arabe maghrébin au moyen de la
comparaison avec les variétés anciennes et de la linguistique de contact sont donc
indispensables pour tenter de comprendre l’histoire des derniers 1300 ans de l’Afrique du Nord.
5.2.2.L’arabe maghrébin
L’arabe maghrébin correspond aux variétés d’arabes pratiquées depuis la côte Atlantique
jusqu’en Égypte, en passant par l’archipel maltais au Nord219 et les frontières saharo-sahéliennes
au Sud. Un trait grammatical particulier a été établi pour distinguer ces variétés de celles du
reste du monde arabophone : la désinence verbale de la 1er du singulier de l’inaccompli n- [v]
et du pluriel n-[v]-u220.
Amazighs arabisés et pas systématiquement aux descendants de conquérants Arabes originaires du Levant ou
d’Arabie.
218
Nous savons par exemple que la variété d’arabe pratiquée à Jouba (Sud Soudan), correspond à un créole à base
lexicale arabe (cf. Miller 1993). Ce créole serait né au 19ème siècle, auprès de soldats esclaves originaires entre
autres du Sud-Soudan. Un pidgin ou lingua franca à base arabe émergea dans ces armées, puis devint la langue
des descendants de ces soldats évoluant ainsi en créole (Miller 1993, Manfredi 2017). Depuis les années 1970, ses
locuteurs sont entrés plus fortement en contact avec l’arabe soudanais et l’arabe standard moderne ((Miller
2006:1). Par conséquent, le créole de Juba présente aujourd’hui une situation de continuum entre des formes
basilectales, les plus éloignées de la langue lexificatrice, des formes acrolectales se rapprochant beaucoup plus de
cette dernière et des formes mésolectales situées entre ces deux pôles (Versteegh 1993, Manfredi 2017).
219
Rappelons qu’encore plus au nord, des parlers arabes furent pratiqués en Sicile et en Andalousie.
220
Dans le delta du Nil, , les isoglosses séparant la zone où les indices personnels du verbe 1SG n- et 1PL n-[v]-u
L’hétérogénéité linguistique de l’arabe maghrébin a très tôt poussé les auteurs à proposer des
classifications basées sur un croisement de faits anthropologiques, géo-historiques et
linguistiques : « on est en droit de conclure que la langue arabe est venue aux autochtones de
l’Afrique du Nord par plusieurs voies, et, ajoutons-nous, à des époques différentes de leur
histoire » (Marçais & Guiga 1925:25). Les dialectes arabes sont traditionnellement divisés en
parlers bédouins et parlers sédentaires 224 . À ce critère est associée, en Afrique du Nord,
sont utilisés sont complexes et ne permettent pas vraiment d’identifier clairement une frontière entre l’arabe
maghrébin et égyptien. Cela amène Woidich (1993) à parler, concernant cette région de « champ gradient de
maghrébinité ».
221
Des sources historiques européennes sont également disponibles concernant les dialectes arabes maghrébins,
mais toutes furent rédigées après le 16ème siècle et ne nous renseignent donc pas sur les processus d’arabisation de
l’Âge d’or islamique qui nous intéressent ici.
222
Voir Benkato (2019) pour une critique des commentaires linguistiques des historiens arabes médiévaux, en
particulier d’Ibn Khaldoun, et de leur mobilisation sans remise en question par les premières générations
d’orientalistes arabisants.
223
Shaw (1757) et le Capitaine de la Fortunée (1791)
224
L’opposition est très ancienne et déjà employée au 14 ème siècle par Ibn Khaldoun (1377:2ème partie, 24) qui
oppose déjà au Maghreb un « arabe haderite employé par les habitants des hadera (demeures fixes) et des
villes », à l’arabe bédouin qui aurait « mieux conservé la pureté de la langue arabe ». D’après Watson (2011:869)
la division traditionnelle entre parlers arabes bédouins et sédentaires serait « both an oversimplification and of
diminishing sociological appropriacy ». Elle continue cependant à être utilisée par les arabisants, bien que
plusieurs travaux récents se soient justement penchés sur les phénomènes d’émergences de koinès mixtes
Dans le Maghreb occidental, les parlers préhilaliens sont marqués par des siècles de bilinguisme
avec l’amazigh qui était encore la langue majoritaire en Afrique du Nord lors des premières
conquêtes arabo-musulmanes et plusieurs siècles après celles-ci. Les parlers arabes maghrébins
présentant des traits traditionnellement classés à la fois comme bédouins et comme sédentaires. Selon Holes
(2018), l’opposition linguistique entre parlers bédouins et sédentaires reste utile - malgré les controverses liées au
nombre très réduit de traits « pan-bédouins » -, pour traiter spécifiquement des phénomènes de diffusion des dits
traits des parlers bédouins, en raison du caractère nomade des locuteurs de ces parlers. Nous n’utiliserons pas pour
notre part le qualificatif de « bédouin » pour désigner les parlers hilaliens dans la mesure où nous savons
aujourd’hui qu’il existait aussi des arabophones préhilaliens nomades et donc également « bédouins » (Benhima
2009).
225
D’après Benkato (2019: 3-4), il n’existe pas de preuves (« linguistic argument or detailed linguistic evidence »)
permettant de prouver l’existence d’une véritable division entre un arabe de type hilalien et préhilalien. Cette
déclaration s’appuie notamment sur l’importante variation entre les parlers préhilaliens occidentaux et orientaux,
mais aussi sur l’existence de nombreux parlers mixtes. Dans l’attente d’une tentative de classification moderne
des parlers maghrébins, nous continuerons de mobiliser cette opposition qui a du sens lorsque l’on se penche sur
les variétés présentant un type préhilalien marqué comme le jijélien, et dans le cadre d’un travail sur la
compréhension de l’histoire du contact arabe-amazigh.
226
Adjectif formé sur l’arabe ħaḍarī « civilisé, urbain, sédentaire ».
227
Marçais (1959:219), voit dans le parler ancien de Kairouan la source historique de tous les parlers préhilaliens
représentant donc possiblement le proto-préhilalien.
Les premiers locuteurs de l’arabe en Afrique du Nord sont des conquérants venus de diverses
régions d’Orient. Cette élite militaire d’origine exogène s’implante dans plusieurs centres
urbains antiques ou nouvellement fondés, y installant les premières capitales arabo-musulmanes
au Maghreb. Elle assimilera linguistiquement, sans doute superficiellement dans un premier
temps, les populations autochtones des villes anciennes et nouvellement fondées investies par
ces élites. Dans un second temps, elle atteindra les campagnes situées dans leurs zones
d’influence (d’après Lévy 1998:12228, Holes 2004:33-34). Il faut ajouter à cela que, par suite de
l’islamisation des Amazighs, l’arabe, langue du Coran, fut attachée à un prestige religieux
résultant dans son enseignement aux élites religieuses et politiques (Chaker 1989). L’arabe était
le véhiculaire utilisé dans les armées du Jihad qui permirent, à partir de l’Afrique du Nord, les
conquêtes/invasions, mais aussi l’arabisation et l’islamisation de l’Andalousie et des archipels
siculo-maltais. La progression de cette première couche d’arabe dans les campagnes a toutefois
été freinée par les nombreuses révoltes amazighes qui marqueront l’Âge d’or musulman en
Afrique du Nord, au point que la majeure partie des populations nord-africaines ignorent
largement l’arabe jusqu’au 12ème siècle (Ghouirgate 2015:581). Par ailleurs, le processus
d’arabisation vers des parlers de type préhilalien a duré plusieurs siècles 229, dès les raids des
conquérants au 7ème siècle, au moins jusqu’à la seconde vague de conquête arabo-musulmane,
au 11ème siècle. Dans certaines régions, la progression du préhilalien aurait même été active
après les conquêtes dites hilaliennes, comme le démontre Souag (2005) pour la cité côtière de
Dellys - dont l’arabisation n’aurait pas pu commencer avant le 12ème siècle -, ou Lévy pour le
Rif central, qui la situe entre le 11ème et le 14ème siècle.
D’après Cantineau (1937:6), cet arabe né à la suite de la première vague se caractérise par trois
tendances :
228
Selon Lévy, le développement de cette première couche d’arabe se serait produit « à partir de noyaux limités
de populations arabes ou arabisées diffusant leur langue, à partir de villes, bourgs, marchés, le long des voies
commerciales. »
229
Chetrit (2016) propose plus de trois siècles pour le Maghreb oriental.
La conservation d'archaïsmes est liée à l’ancienneté de ce type d’arabe, qui n’a pas toujours
procédé à certains changements généralisés ailleurs au Maghreb et en néo-arabe. L’abondance
des innovations en préhilalien (les « altérations » de Cantineau) fut souvent décrite par les
dialectologues arabes concernant les parlers citadins ou sédentaires en opposition aux parlers
bédouins. Les parlers préhilaliens ont en effet connu des évolutions internes au fil des siècles,
à partir de leur émergence dans les armées des contingents ayant conquis l’Afrique du Nord,
jusqu’aux parlers contemporains, amorçant de nombreuses évolutions linguistiques partagées
ou non avec les autres dialectes arabes modernes (cf. Tilmatine 1999, Tilmatine 2011). Pour ce
qui est de l’influence du substrat amazigh, signalons dès ici que celle-ci caractérise beaucoup
plus franchement les variétés du Maghreb occidental. Marçais et Guîga (1925:24-25) signalent
en effet qu’à Takrouna, parler préhilalien villageois tunisien typique, que l’élément amazigh est
très faible en comparaison des données des parlers préhilaliens algériens et marocains.
Aux éléments fournis par Cantineau, nous ajouterons la diversité des profils linguistiques des
parlers préhilaliens230. Marçais (1913), selon les sources des chroniqueurs arabes, propose une
estimation de 150 000 conquérants préhilaliens (dont une partie a rejoint l’Andalousie et
l’archipel siculo-maltais, et une autre a fui le Maghreb à la suite des révoltes amazighes). Camps
(1983) estime leur nombre à 80 000 soldats en deux siècles. Leur origine géographique n’est
pas connue, d’après Cantineau (1938:854), celle-ci serait plutôt à rechercher parmi les
populations sédentaires du Levant231. L’origine hétéroclite de ces conquérants pourrait en partie
expliquer l’hétérogénéité des parlers préhilaliens modernes. D’après Ghouirgate (2015:581)
« la faible diffusion de la langue arabe, tant à l’oral qu’à l’écrit, caractérise donc dans un
230
Un exemple stéréotypique de l’hétérogénéité des parlers préhilaliens peut être donné à travers les réalisations
du *Qāf ancien, tantôt réalisé [q] (Alger, Cherchell, Béjaïa, Collo, Bizerte, Tunis, Sousse, Monastir, Sfax, Mahdia,
etc.), [ʔ] (Fès, Tétouan, Chaouen, Salé, Sefrou, Tlemcen), [kˁ] (Jijélien central), [k] (arrière-pays jijélien oriental).
Tandis que les parlers hilaliens lui préfèrent la variante [g] (Doutté & Gautier 1913:141-142). Ces réalisations
correspondent aux réflexes généralisés du *Qāf dans ces parlers mais, dans les faits, il existe souvent une variation
de la réalisation du *Qāf, jusque dans les parlers les plus franchement hilaliens, qui l’échangent souvent pour une
variante sourde [q], par exemple dans les classicismes. De la même manière, les parlers préhilaliens les plus
conservateurs connaissent presque tous des réalisations du Qāf sonore ([g]) à travers des termes empruntés aux
parlers hilaliens.
231
Signalons que l’islamisation de l’Afrique du Nord s’est faite par des annexions aux Empires Omeyyade et
Abbasside, respectivement basés à Damas et Bagdad. Toutefois, nous ne savons pas dans quelle mesure
l’appartenance à ces empires fut effective.
Un autre élément explicatif pourrait être la diversité des substrats et des superstrats amazighs.
En effet, le substrat de l’arabe pratiqué dans les îlots préhilaliens villageois correspondait à
différentes langues amazighes dont l’identification est indispensable pour reconstruire l’histoire
de ces régions.
Depuis plusieurs siècles, l’arabe hilalien correspond au type d’arabe véhiculaire majoritaire en
Afrique du Nord, tandis que le préhilalien s’est conservé sous la forme d’îlots de taille plus ou
moins importante, partout plus ou moins contaminés par son successeur. Un grand nombre de
variétés présentent un statut mixte, combinant des traits hérités des parlers des deux couches de
variétés (Marçais & Guîga 1925:24). C’est notamment le cas des koinès urbaines
contemporaines qui, généralement, présentent des traits à la fois préhilaliens et hilaliens232 en
raison de leur développement et de l’exode rural233. Beaucoup d’anciens parlers préhilaliens
sont menacés, quand ils n’ont pas déjà disparu. Par suite de leur disparition, certains traits
232
Les exceptions sont très rares, citons par exemple celle du parler de Béjaïa préservé de l’influence hilalienne
par sa situation géographique exceptionnelle d’îlot arabophone au sein de la Kabylie amazighophone (cf. Garaoun,
XXX).
233
Une seule variété préhilalienne se serait conservée en grande partie préservée du contact avec le type hilalienn :
l’arabe maltais (Vanhove 1998).
En somme, l’arabe préhilalien s’est conservé avec plus ou moins de succès dans deux types
d’espace :
- Des capitales régionales dotées d’un certain prestige culturel et n’ayant pas connu un
développement démographique trop important. Dans ces variétés citadines, il est fréquent
que le parler d’un vieux quartier de la ville (bəldiya), un sociolecte féminin ou qu’un parler
judéo-arabe conserve mieux les traits préhilaliens que la koinè235 ; c’est le cas au Maroc :
Fès, Rabat, Salé, Sefrou, etc. ; en Algérie : Tlemcen, Alger, Médéa, Cherchell, Dellys, etc. ;
en Tunisie : Bizerte, Tunis, Sfax, Kairouan, etc.
- Certaines régions rurales, souvent montagnardes ou littorales, compactes et isolées,
comprenant de petites cités anciennes entourées de campagnes arabisées à différentes
époques à partir de centres urbains préhilaliens ; nous décrirons plus en détail ces dernières
en dessous.
Ces aires sont toutes situées en bord de mer et comportent des chefs-lieux régionaux et des cités,
portuaires maritimes (Caubet 2004). Citons parmi les capitales régionales actuelles236 :
234
C’est par exemple le cas du parler musulman de Tripoli (Pereira 2009), dont l’ancienne variété ou caractère
préhilalien citadin n’a laissé que quelques traces dans la koinè contemporaine franchement hilalienne.
235
En effet, dans beaucoup de ces cités maghrébines, les dialectologues ont tôt fait de signaler que les femmes
avaient mieux conservé que les hommes les parlers/traits préhilaliens ; il en est de même des Juifs par rapport aux
Musulmans (Marçais 1977).
236
Signalons l’existence d’anciennes capitales régionales et cités maritimes qui ont probablement joué un rôle
majeure dans l’histoire de ces régions à l’Antiquité ou à l’Âge d’or de l’Islam telles que Tamuda, Badis/Basra,
D’après l’étude comparative des différents groupes de parlers préhilaliens proposée par
Guerreiro (2018), il conviendrait de distinguer les parlers tunisiens (que nous appellerons
préhilaliens villageois du Maghreb oriental), des variétés marocaines et algériennes qui
présentent d’importantes similarités entre elles (préhilalien villageois du Maghreb occidental237).
Marçais et Guîga notaient en effet déjà en 1925 que le préhilalien villageois tunisois ne
partageait pas beaucoup de traits avec ses correspondants algériens et marocains ; et plus
précisément les nombreux phénomènes de contact avec l’amazigh observés à tous les niveaux
linguistiques par le préhilalien villageois au Maroc et en Algérie.
Dans chacune de ces régions, les auteurs s’accordent pour proposer que l’arabe fut introduit dès
les premiers siècles suivant les conquêtes dites préhilaliennes. Cette pénétration linguistique
pourrait trouver localement son origine dans différents phénomènes, comme les conséquences
des importantes défaites subies par les Koumias dans les Traras-M’sirdas, les Koutamas en
Kabylie orientale, etc. ; ou encore l’établissement d’importantes cités et ports commerciaux ou
militaires, comme Mahdia (Sahel tunisien) d’où partiront les contingents de soldats qui
conquièrent la Sicile et Malte, et bien sûr les routes et ports du Rif occidental à partir desquels
l’Andalousie fut conquise. En Algérie et en Tunisie, nous ne disposons d’aucune information
sur la progression de l’arabisation durant les siècles ayant suivi les conquêtes préhilaliennes ;
en revanche, pour le Maroc, nous savons, grâce à des manuscrits, que l’arabe a continué
lentement à s’étendre entre le 11ème et le 14ème siècle dans les aires contiguës du pays des
Ghomaras, jusque dans le Rif central (Lévy 1998:12), depuis le couloir situé entre Fès et son
port commercial de Badis (Colin 1929:43-58).
- Au nord-ouest du Maroc, l’amazigh est toujours pratiqué par deux tribus Ghomaras (Bni
Bouzra et Bni Mansour) dans le Rif occidental, et par plusieurs tribus du complexe des
Kétamas-Senhajas de Sraïr dans le Rif central.
- En Algérie, dans les massifs des Traras-M’Sirdas, l’amazigh n’est plus parlé mais il s’est
conservé un peu plus au sud dans les monts de Tlemcen, chez les Aït Snous et les Aït Bou
Saïd et, directement à l’ouest, dans le Rif oriental, chez les Aït Iznassen (des régions dont
les familles pratiquent avec les Traras-M’Sirdas des alliances, des unions matrimoniales et
du commerce).
- Dans la Kabylie orientale, l’amazigh est toujours pratiqué dans le tiers oriental du massif
des Babors, où il se décline en trois variétés, la tasahlit, le chaoui et le kabyle. Dans la ville
de Béjaïa (encerclée par l’aire kabylophone), un bilinguisme kabyle / préhilalien a été
préservé de manière discontinue depuis le Moyen-Âge238.
La conservation de l’amazigh en ces différents points indique que, plus de mille ans après son
introduction, le changement de langue amazigh ➔ arabe dans ces aires n’a pas été achevé. Ceci
nous permet de suggérer que :
- Les parlers préhilaliens ne sont pas tous nés directement à la suite des premières conquêtes
(au moins au Maghreb occidental), et que l’émergence de beaucoup de variétés dites
préhilaliennes est probablement beaucoup plus tardive.
- Le développement de l’arabe s'est localement vu opposer une certaine résistance (au moins
au nord-ouest du Maroc et dans la Kabylie orientale), de telle sorte que, malgré les très
nombreux facteurs sociohistoriques le favorisant, l’arabisation n’a pas été complétée plus
d’un millénaire après l’introduction de l’arabe.
238
L’arabe local n’y est aujourd’hui pratiqué que dans la haute-ville (où il pourrait être menacé), au-delà de laquelle
le kabyle domine complètement (Garaoun XXX).
Les aires amazighophones contemporaines sont toutes242 concernées à différents degrés par le
contact et le bilinguisme avec l’arabe. Dans un cas extrême, aujourd’hui assez répandu 243, ces
239239239239
On pensera aux possibles langues des Canaries préhispaniques, qui connaissaient peut-être des
représentants sur le continent. Il n’est aussi pas inconcevable que des îlots latinophones, romanophones ou
punicophones aient survécu en Afrique du Nord jusqu’aux conquêtes arabes (cf. Gsell 1903). Enfin il existe et
persiste toujours aujourd’hui, dans le Sahara, une plus grande diversité linguistique, représentée par le haoussa,
les langues songhaïs septentrionales, les langues de la famille saharienne et l’azer de Mauritanie (langue
aujourd’hui disparue, apparentée au soninké d’après Taine-chaikh [c. p.]).
240
Moins de 0,5 % de la population tunisienne serait amazighophone (Gabsi 2011). En Égypte, l’amazighophoie
ne concerne que deux oasis voisines (Siwa et El Qara). L’amazigh pourrait mieux se porter en Libye, mais les
données actuelles sont presque inexistantes : il est encore vivant dans l’axe Ghat-Ghadamès, la région côtière de
Zouara et les montagnes des Infoussen, tandis que plusieurs variétés oasiennes sont en cours de disparition
(Awjila), voire se sont éteintes durant les dernières décennies (Sokna, Foqaha).
241
L’amazigh est reconnu langue officielle au Maroc, langue régionale en Libye, nationale au Mali et au Niger,
officielle et nationale en Algérie. Concernant la matérialisation de ces changements administratifs et la persistance
du faible statut de l’amazigh sur le marché des langues contemporaines en Afrique du Nord, nous renvoyons le
lecteur aux articles de l’ouvrage collectif de Di Tolla et Beguinot (2016-2017).
242
Bien que quelques aires amazighophones d’expansion méridionale puissent être faiblement concernées par le
bilinguisme avec l’arabe, nous pensons aux communautés touarègues du Nigéria et du Burkina-Faso.
243
Ce changement de langue amazigh ➔ arabe a en effet pris une nouvelle dimension depuis les colonisations
européennes et l’émergence des États-nations, entraînant un bouleversement des structures sociales. Le
changement linguistique de l’amazigh vers l’arabe est aujourd’hui exacerbé, et plusieurs langues amazighes ont
disparu au cours du siècle dernier.
Le changement de langue arabe ➔ amazigh est beaucoup moins connu et n’a pas encore fait
l’objet d’études spécifiques. Celui-ci a encore lieu aujourd’hui aux frontières d’importantes
aires amazighophones 244
, dans des enclaves arabophones situées à l’intérieur d’aires
amazighophones anciennes245 ainsi qu’à la suite de mouvements migratoires246.
244
Cf. Caubet (2018) pour le cas des Msek et des Bni Itteft du Rif. La situation concerne également la zone
frontalière entre la tasahlit et l’arabe jijélien dans les Babors. Bien que nous ne nous soyons pas attelé à cette
question dans cette thèse, signalons que parmi les confédérations de langue maternelle arabe, un amazigh
véhiculaire est parfois acquis comme seconde langue.
245
C’est par exemple le cas à Béjaïa, cité kabyle bilingue où l’arabe était autrefois la langue maternelle des
habitants appartenant au vieux fond citadin, et l’amazigh pratiqué avec les ruraux : l’arrivée massive, durant la
seconde moitié du 20ème siècle, d’amazighophones originaires de l’arrière-pays, a provoqué un changement de
langue en faveur de l’amazigh, devenue aujourd’hui la principale langue pratiquée dans l’espace publique, jusque
dans la haute-ville. Il existe également des situations ou un bilinguisme en faveur de l’amazigh a duré une certaine
période avant de s’éteindre. Kahlouche (2001:28) signale également un cas des Amraoua de la vallée du Sébaou
dans la Kabylie du Djurdjura.
246
Un exemple contemporain du phénomène est attesté dans la région étudiée dans cette thèse. En effet, des
groupes nomades arabophones, les Beni Hadjres de M’sila, furent relocalisés dans plusieurs confédérations de
Kabylie amazighophones dans les années 1970, et notamment dans les Babors sur le territoire historique des Aït
Hassaïn (commune de Souk El Ténine). A Souk El Ténine, dans la localité de Lota (plaine agricole), les enfants
Beni Hadjres nés et ayant grandi dans un environnement complètement amazighophone ont acquis l’amazigh
comme langue maternelle souvent à côté de l’arabe toujours pratiqué à la maison tandis que leurs parents et parfois
grands-parents ont acquis l’amazigh comme langue seconde.
L’arabisation provoquée par le contact avec les arabophones de la vague des conquêtes
préhilaliennes sera le fait des armées du Jihad, à travers les garnisons militaires dans un premier
temps, puis celui d’une élite citadine qui se développera au cour des siècles à venir. Les casernes
militaires pourraient avoir localement été un facteur important d’arabisation par exemple au
Nord du Maroc ou dans le Sahel tunisien, respectivement lors des conquêtes de l’Andalousie et
de l’archipel siculo-maltais. Partout en Afrique du Nord, l’arabisation paraît avoir d’abord pris
lieu dans les capitales médiévales et dans les ports qui leur étaient associés. Des foyers de
diffusion de la culture arabo-musulmanes qui faciliteront la diffusion de l’arabe dans leurs
banlieues rurales et le long des couloirs de communication qui les relient entre elles.
Le changement de langue consécutif à la seconde vague a été décrit par plusieurs historiens
médiévaux (en particulier Ibn Khaldoun). Ils insisteront sur le profil de ces conquérants de
tradition nomade et rurale (bédouins). Les tribus hilaliennes exilées en Afrique du Nord
comportaient d’importants contingents d’hommes qui s’installèrent dans les régions conquises.
Lévy (1998:20) caractérise cette seconde vague d’arabisation comme une conquête de
« peuplement ». Nous savons par ailleurs que plusieurs dynasties amazighes (zianides,
mérinides, etc.) ont utilisé les Banou Hilal comme mercenaires247 en leur attribuant des terres
dans différentes régions d’Afrique du Nord (Shatzmiller 1983). Dans ces régions, les Banu Hilal
s’érigèrent en élites féodales, acculturant les groupes amazighophones locaux.
Les Arabes « ethniques » n’ont jamais été démographiquement supérieurs aux amazighs en
Afrique du Nord, par conséquent la seule explication à l’arabisation linguistique, culturelle et
identitaire de très nombreuses communautés tribales d’Afrique du Nord est interne. Des
Amazighs s’arabisent par suite du contact avec une minorité d’Arabes « ethniques » avant
d’arabiser leur voisinage et ainsi de suite248. C’est la théorie de l’historien Sánchez, citée par
247
De manière similaire aux califats arabes orientaux qui expulsèrent les mercenaires Banou Hilal en Afrique du
Nord, à cause du danger qu’ils représentaient pour leurs pouvoirs locaux.
248
D’après Aguadé (2018:37), les structures tribales arabes et amazighes ont pu jouer un rôle, selon les
circonstances, aussi bien dans le changement de langue que dans sa maintenance : « social structures also played
an important role. This influence worked in both directions, that is, for and against Arabization: Berbers
(particularly in rural areas) as well as Arabs both belonged to segmentary societies based on lineage which are
characterized by strong internal cohesion. In this respect, tribal alliances between Berber and Arab tribes made
linguistic assimilation easier. »
Nous reviendrons sur les rôles des différents facteurs ayant pu participer au changement
linguistique après la conquête militaire au chapitre 6, sections 1.1 et 1.5.
De ce fait, l’ensemble des parlers amazighs et arabes maghrébins contiennent aujourd’hui des
éléments issus du contact avec l’autre langue. L’importance de ces éléments ainsi que la manière
dont ils se présentent aux différents niveaux linguistiques cristallisent l’histoire de la rencontre
des populations et de leur coexistence depuis près de quatorze siècles.
249
Cette situation prévaut jusqu’à nos jours dans la ville de Béjaïa, cité portuaire située en plein pays
Concernant le pays Jbala, les relations avec l’Andalousie voisine sont souvent évoquées : la
région possédait plusieurs ports commerciaux, des casernes militaires, et toutes les voies de
passage entre le monde andalou et les capitales de l’extrême orient musulman (Lévy 1998).
Colin (1986:1203) suggère également que les importants contingents de tribus amazighes Jbalas
participèrent à la guerre sainte contre les Chrétiens Andalous, ceux-ci acquirent l’arabe au
contact des Andalous, apportant cette langue dans leurs régions d’origine à leur retour.
Les facteurs de l’arabisation hâtive du Sahel tunisien semblent être liés à celle de la conquête
de l’archipel siculo-maltais : les cités maritimes locales servirent dès lors de casernes contenant
des contingents de soldats venus d’Orient (Marçais et Guîga 1925:27-28). Les échanges
commerciaux entre la Sicile, Malte, la région du Sahel et Kairouan (l’une des plus importantes
capitales maghrébines à l’Âge d’or musulman) ont sans doute joué un rôle dans la progression
de l’arabe dans des campagnes relativement faciles d’accès (Marçais et Guîga 1925:27-28).
amazighophone, où un parler préhilalien est pratiqué par une minorité arabophone dans les quartiers de la haute-
ville. Les arabophones de Béjaïa pratiquent tous également le kabyle, acquis dès l’enfance. Ce bilinguisme résulte
dans des phénomènes de contact très importants du kabyle sur le bougiote, qui est généralement pratiqué avec des
phénomènes d’alternance codique arabe-kabyle.
250
Tout porte à croire que ces régions étaient dans les premiers siècles encore largement amazighophones. Al-
Bakri (v. 1075) mentionne par exemple le large emploi de l’amazigh chez les Jbalas au 10 ème siècle puisqu’il
affirme que Ha-Mim (décédé en 927) avait rédigé un Coran en cette langue.
251
Lévy (1998:20) parle d’un développement des parlers arabes de première couche par « tâche d’huile ».
252
Gauthier suggère qu’il peut exister un lien entre l’arabisation des Traras (massif de montagnes littorales situé
au nord de Tlemcen) et l’association des Koumias (confédération amazighe antique habitant les Traras) aux
Les facteurs de la progression ancienne de l’arabe à travers ces communautés villageoises sont
à situer entre les exodes et les migrations internes. Le commerce, les guerres, les alliances
tribales, les alliances exogames, les relations avec les centres urbains, le maraboutisme, les
conversions religieuses, la domination politique, culturelle et religieuse qu’exerce l’arabe sont
tout autant de raisons. Dans une tentative de reconstruction de ces changements de langue, il
convient de prendre en compte les différents événements historiques dont l’importance
n’apparaît pas forcément directement au moyen d’un prisme contemporain256. D’après Lévy
(1998:13), dans tous les cas relevés, « chaque facteur réduit à lui seul est insuffisant pour aboutir
à la substitution d’une langue par une autre » : « il faut la conjonction de plusieurs facteurs
pour créer un bain linguistique aboutissant à l’arabisation complète ».
Almodades.
253
Doutté & Gautier (1913:142) « Il saute aux yeux que la province arabophone de la Petite Kabylie représente
l’arabisation des Kétama à l’époque Fatimide. L’identification de ce territoire avec celui des Kétama est établi
par des textes classiques anciens, par une inscription latine et par les textes des historiens arabes. » Marçais et
Guîga (1925:29) ajoutent : « E. Gautier a exprimé, à plusieurs reprises, la même opinion relativement à la petite
Kabylie. Considérant que cette région correspond à une partie de l’ancien territoire des Ktâma, partisans et
soldats des Fatimites, il en tient l’arabisation pour l’œuvre de cette dynastie ».
254
Tlemcen pour les Traras-M’sirdas et un triangle composé par Djidjel, Collo, Mila et Constantine pour la Kabylie
orientale, selon Marçais (1956:626), qui suggère que : « La substitution de l’arabe à l’amazigh s’y serait opérée
par un grignotement continu de ce dernier, procédant des cités et gagnant de proche en proche les campagnes ».
255
Lévy (1998:20) insiste sur l’existence au Maghreb de l’Âge d’or islamique de voies de passages anciennes qui
ont perdu leur importance, ou ont été abandonnées, comme le Triq Sultân reliant Fès à la région du Tafilalt (région
où cohabitent l’amazigh et un arabe de type préhilalien).
256
Parmi ces événements, l’un des plus considérables est sans doute l’épisode musulman de l’Andalousie qui, à la
fois lors de sa conquête, puis à cause de sa longévité, et enfin comme conséquence de la reconquête chrétienne, a
dû générer d’importants flux migratoires d’arabophones.
Plusieurs variétés d’amazigh-Nord sont connues pour le degré d’influence très élevé de l’arabe
sur leur lexique et leurs structures. L’exemple le plus remarquable est l’îlot représenté par les
deux dernières fractions amazighophones Ghomaras du Rif central. Le degré de fusion avec
l’arabe dans cette variété est si élevé, qu’El Hannouche (2008) a proposé de la classer comme
une langue mixte (amazigh-arabe)258.
Beaucoup de variétés d’amazigh-Nord présentent des emprunts anciens à l’arabe, lesquels ont
parfois disparu des variétés d’arabe adjacentes contemporaines (Cantineau 1938:852).
Fréquemment, là où un parler arabe archaïque a disparu, le plus souvent remplacé par une autre
strate d’arabe, il arrive que les parlers amazighs modernes apportent des indications sur sa
présence ancienne. C’est par exemple le cas dans l’amazigh de Djerba, où des emprunts à un
superstrat préhilalien ont été conservés par l’amazigh, tandis que le parler arabe des musulmans
257
Il s’agit essentiellement de termes tirés du champ lexical religieux.
258
Les conclusions de de Mourigh (2015) ne vont pas dans le sens de cette proposition de classification.
259
Les emprunts à l’arabe de l’amazigh de Djerba présentant des traits préhilaliens indiquent que, par le passé, les
habitants (alors sans doute majoritairement voire totalement) amazighophones de l’île, furent en contact avec une
variété préhilalienne soit, autrefois pratiquée dans l’île même, soit connue par des bilingues ayant acquis un arabe
de type préhilalien (par le commerce dans les régions arabophones environnantes ?).
L’arabe (famille sémitique) et les langues amazighes (famille amazigh) sont apparentés
génétiquement. Il est largement admis par la communauté scientifique que ces langues
appartiennent au phylum afro-asiatique, anciennement dénommé Chamito-Sémitique (Cohen
1947:1-42). Cet apparentement représente néanmoins une donnée relative, dans la mesure où
les familles amazighe et sémitique paraissent avoir été séparés à une époque très éloignée260, et
que certains de leurs sous-systèmes, comme la phonologie, présentent des profils divergents
(Chaker 1990:28-57). L’arabe et l’amazigh présentent également des caractéristiques
typologiques communes, sans doute d’origine génétique. Au niveau morphologique, elles
260
La datation du proto-afro-asiatique se situerait dans une fourchette entre 15 000 ans (Ehret 1979) à 8000-10
000 ans (Diakonoff 1965). La séparation entre les différentes familles du phylum afro-asiatique semble s’être
opérée très tôt dans des conditions encore non déterminées (Ben Hamed & Darlu 2003). Les traits communs aux
différentes langues du phylum sont encore peu nombreux à avoir été identifiés, en particulier dans le domaine de
la morphosyntaxe, où l’on commence seulement à bien connaître les marques de genre, l’opposition entre deux
types de conjugaison et le système verbal (Diakonoff 1965, Cohen 1984, Cohen 1989), bien que ce système ne
soit plus très productif dans certaines langues amazighes (Chaker 1990:28-57).
Ostler (2005) postule que le succès de l’arabisation par suite des conquêtes arabo-musulmanes
en Afrique du Nord et au Levant pouvait être dû à l’apparentement génétique des langues
autrefois parlées par les populations aujourd’hui arabisées. Cette théorie expliquerait également
le changement de langue observé dans les régions où l’arabe, contrairement aux langues
appartenant à d’autres phylums comme les langues turciques, le farsi, etc., remplaça avec plus
ou moins de rapidité et de succès des langues afro-asiatiques comme le copte, l’araméen, des
langues sud-arabiques, etc.
Dans le cas de l’Afrique du Nord cependant, il faudrait selon nous parler de succès relatif dans
la mesure où plus de 1300 ans après les premières conquêtes, l’amazigh a survécu parfois à
travers des régions de plusieurs millions de locuteurs comportant des pourcentages conséquents
d’individus non arabophones. Par ailleurs, l’héritage linguistique amazigh est resté important à
travers les rétentions substratiques attestées en plus ou moins grand nombre à travers les parlers
arabes d’Afrique du Nord262. Il convient enfin de rappeler que l’arabe maghrébin s’est aussi
largement implanté dans des régions parmi lesquelles le substrat linguistique n’est pas toujours
afro-asiatique (Andalousie, Sicile, Tchad, etc.).
Les similarités constatables entre les formes et les structures de langues différentes peuvent être
dues à des principes universaux, des développements parallèles, des relations génétiques, ou au
hasard (Heine & Kuteva 2005:2). Aussi, l’étude du contact entre langues apparentées pose
l’épineuse difficulté de la différenciation entre les éléments partagés en raison du contact, et
ceux dont le partage résulte d’un apparentement génétique ou typologique. Nous emploierons
dans ces cas les notions de pan-amazigh263 et de pan-sémitique, c’est-à-dire d’identification des
éléments linguistiques les plus généraux dans les familles étudiées, afin de tenter de séparer les
cognats des emprunts. Dans certains cas, il ne sera pas possible, avec les données actuelles,
261
Bien que ce système ne soit plus très productif dans certaines langues amazighes (Chaker 1990:28-57). Voir
aussi Cohen (1993:161-75) sur la structure en racines et schèmes de l’amazigh.
262
Ghouirgate (2015:605) : « Si l’on ne prend pas en compte cette spécificité liée au maintien d’un substrat
amazigh extrêmement prégnant, on risque de ne pas appréhender correctement les caractéristiques syntaxiques et
phonétiques du maghrébin par rapport aux autres langues arabes (égyptien, syro-libanais, irakien, etc.). »
263
Terme emprunté à Chaker (1985), qui définit comme « pan-amazigh » les éléments retrouvés dans au moins
deux sous-familles amazighs différentes.
264
La catégorie de para-amazigh est souvent utilisée dans les recherches portant sur les langues disparues des Îles
Canariennes, présentant à la fois un apparentement clair avec l’amazigh (racines et éléments de morphosyntaxe
communs) mais aussi une distance considérable. Le type para-amazigh correspondrait à des langues affiliées à la
famille amazighe.
265
Discuté dans Chaker (2013)
266
Mots attestés à travers une importante aire de diffusion, souvent culturelle et dans des langues non-apparentées
génétiquement, dont l’origine précise est difficile à retracer.
267
Chaker (2013) : « Des noms de plantes spontanées se retrouvent également en latin, en grec... Par ex. : ifilku,
“fougère” / latin filix, filica ; ikiker, “pois-chiche” / latin cicer ; aliw, “olivier sauvage” / latin olea < grec ;
tabuda, “massette, typha” / latin buda ; tayda, “pin” / latin taeda... L’origine de beaucoup de ces mots dans les
langues indo-européenne est considérée par les spécialistes comme “inconnue”, i.e. comme non indo-
européenne ».
268
D’après Chaker (2008:4415) : « il existe une désignation lexicalisée spécifique du lapin (domestique), il s’agit
de formes de type : agnun, ag°nin, aqnin/taqnint (kabyle, rifain…), qui sont certainement à relier au latin
cuniculus, et plus précisément à la forme première dont ce diminutif latin est issu (*cuni- ; cf. Ernout & Meillet,
p. 157). Le terme latin, qui n’est pas indo-européen, a été rapproché du basque unchi ; on aurait donc là une de
ces nombreuses connexions lexicales périméditerranéennes, « mot voyageur », ou mot appartenant à une strate
linguistique très ancienne commune à l’ensemble de la région ».
269
D’après Kossmann (2020:17), ce nom pan-amazigh du pigeon serait un emprunt ancien à une langue non-
En somme, ces données sont très similaires à celles des autres aires amazighophones et
arabophones du littoral méditerranéen et ne permettent pas de concéder un statut particulier à
la Kabylie des Babors en termes de contact de populations extra-nord-africaines.
Nous ne savons rien des substrats pré-amazighs et finalement bien peu de choses concernant
les communautés autres que amazighophones et arabophones ayant transité par la région. Seuls
les phénico-puniques et les romains laissèrent d’importants vestiges historiques en Kabylie
orientale : toponymes 271 , stèles épigraphiques, nécropoles puniques 272 , ruines de cités 273 , de
villas et de routes commerciales romaines274, savoir-faire agricoles.
271
À côté de la possibilité de l’origine punique du nom de Jijel (Lipiński 2004). Les toponymes latins sont plus
représentés, comme dans l’exemple de la cascade de Kéfrida (<aqua frigida) située chez les It Smaïl (Babors
occidentales).
272
Exemple de la vingtaine d’inscriptions épigraphiques romaines retrouvées sur le site de Ziama ex. Chobae (cf.
Hadji : https://jijel-archeo.123.fr/archeology/index.php?folder=epigraphie&page=epigraphie_latine)
273
Cf. exemple des ruines de la cité romaine de Djemila
274
Voir exemples des ruines de villas romaines des sites de Ziama ex. Chobae et des routes commerciales marquées
Nous ne connaissons pas l’histoire de la présence juive dans les Babors, mais plusieurs familles
citadines et rurales sont aujourd’hui encore présentées comme d’extraction juive278. Nous ne
disposons que d’un seul témoignage concernant les communautés victimes de
l’esclavage décrivant le sort réservé à des marins européens saisis par les pirates sur les côtes
jijéliennes au 18ème siècle (Capitaine de la Fortunée, 1771).
La présence ottomane fut sans doute importante à Jijel, Béjaïa et Collo, avec des garnisons
permanentes de janissaires Kouloughlis. Certaines tribus de l’arrière-pays pratiquaient le
commerce avec eux (bois, charbon, liège, etc.) 279 . Ce commerce pourrait-être en partie à
l’origine de l’importance des Bni Foughal, qui est la plus importante confédération du cercle
de Jijel (géographiquement et démographiquement), puisque l’autorité turque leur concéda la
par des bornes romaines la reliant au site de Bida (cf. Hadji : https://jijel-
archeo.123.fr/archeology/index.php?folder=ad_basilicam&page=ad_basilicam).
275
Il est important de citer ici Marçais (1954:6) à propos de la « petite société des pêcheurs djidjelliens » déjà en
voie de disparition à la moitié du 20ème siècle : « ils s’exprimaient dans un arabe curieux, très mêlé d’italien,
langue dont toute une vie d’équipage avec des gens de mer génois leur avait appris l’usage ».
276
Ces origines sont appuyées par des récits de transmission familiale.
277
Parmi les confédérations étudiées citons aẓekka n ṯṛumit la « tombe de l’européenne », site situé chez les Aït
Laâlam non loin du mausolée de Moulaï Ali. La grotte axxam uṛumi « maison de l’européen », située au sommet
de la montage Amejjot chez les Aït Bouycef, ou encore la légende entourant la sainte Imma Mmelbu des Aït
Segoual, dont le mausolée est situé devant une grotte (afalu n imma mmelbu), à laquelle la tradition orale attribue
une origine andalouse.
278
Marçais (1954:6) dénie la présence de communautés juives dans les régions de Jijel et de Collo. Aucune enquête
n’a, à notre connaissance, été menée concernant ces familles, la véracité des dires concernant leurs histoires, leurs
croyances religieuses et leurs pratiques langagières.
279
Nous n’avons consulté que les archives militaires françaises au sujet du rapport entre les Ottomans et les
territoires de Kabylie orientale, il s’agira par la suite de consulter directement les sources ottomanes conservées
dans les bibliothèques maghrébines et turques afin de mieux connaître ces relations.
L’arabe et l’amazigh de Kabylie orientale présentent quelques turcismes, un peu plus nombreux
dans les parlers arabes des capitales portuaires, bien qu’ils ne nous aient pas paru plus nombreux
que dans les parlers d’autres cités algériennes littorales anciennement sous domination
ottomane282.
Des enquêtes ciblées sur les lectes des corporations de métiers souvent exercées en Afrique du
Nord par les communautés d’origine exogène 283, ainsi que l’étude des traditions orales des
familles revendiquant une origine étrangère, pourraient nous apporter d’autres éléments sur les
histoires de ces contacts.
280
Les Aït Mâad attribuent une origine kouloughlie à leurs voisins Aït Mermi.
281
Ce fait historique est relaté par la tradition orale des Aït Segoual.
282
Cf. Ben Cheneb (1922)
283
Bouchers, bijoutiers, forgerons, pêcheurs, devins/sorciers, etc
La partie analytique de cette thèse se penche sur le système phonético-phonologique (1ère partie),
la personne (2ème partie) et les interrogatifs (3ème partie). Le choix d’étudier précisément ces
quatre points est motivé :
- par l’intérêt préalable porté par des travaux en typologie du contact sur les domaines en
question ;
- par la variation de hiérarchie d’empruntabilité reconnue entre ces différents sous-systèmes ;
- par le fait que les deux langues y présentent des phénomènes de contact284 ;
- par ce que nous avons déjà récolté et étudié au préalable dans le cadre de notre mémoire de
master285 (Garaoun 2019a).
La raison première pour laquelle nous avons décidé de traiter des systèmes phonético-
phonologiques était qu’à l’exception de celui de Jijel-ville, ceux-ci n’avaient pas encore été
décrits, et nécessitaient par conséquent d’être a minima introduits. Nous nous sommes ensuite
aperçu que certaines des évolutions particulières de ces systèmes étaient la conséquence du
contact et présentaient des développements nous permettant de tirer des conclusions tout à fait
intéressantes pour notre thèse.
284
Il existe des points extrêmement intéressants du point de vue du contact et des conclusions sociohistoriques que
nous pouvons en tirer. Nous avons préféré ne pas les inclure dans cette thèse (comme l’emprunt de la copule non-
verbale amazighe d par le jijélien), puisque ceux-ci ne permettent pas d’obtenir des informations sur l’histoire du
contact dans les deux langues, mais seulement dans l’une d’entre elles. Or, l’objectif de cette thèse est de traiter
du contact à la fois en arabe jijélien et en tasahlit, en se penchant sur un nombre forcément limité de sous-systèmes.
Ce type d’éléments fera l’objet, nous l’espérons, de travaux dans le futur.
285
Et ce, en partie en raison de la crise internationale du coronavirus, qui nous a fermé les portes au terrain durant
les trois premières années de notre thèse, raison pour laquelle nous avons fermé notre analyse à des domaines pour
lesquels nous ne disposions pas encore de données.
Nous avons à chaque fois fourni une étude plus détaillée de la morphologie que de la syntaxe
de ces différents éléments. La principale raison en est que la syntaxe des langues amazighes est
restée peu étudiée, ce qui rend difficile la comparaison. Pour autant, nous avons essayé de
communiquer des informations sur les lois syntaxiques des éléments présentés, afin de pouvoir
comparer les calques syntaxique aux emprunts phonétiques.
Nous n’avons pas intégré d’étude lexicale, bien que celle-ci présente des données extrêmement
importantes et intéressantes dans les deux langues étudiées. En effet, notre thèse se concentre
plutôt sur des phénomènes de contact, donc sur des niveaux linguistiques connus pour être plus
difficilement empruntables que le lexique. Des données concernant l’emprunt lexical parmi les
deux langues étudiées sont néanmoins consultables dans les données relevées, à l’intérieur du
chapitre 3 sur la phonétique-phonologie, également à travers les listes Swadesh données en
annexe 3.1 et 3.2, et enfin dans les articles que nous avons publiés durant les années de rédaction
de notre mémoire de master, puis de cette thèse doctorale : lexique général (Garaoun 2018),
flore (Garaoun 2020), faune (Garaoun 2021)286.
286
La thèse de Marçais (1956) présente également un certain nombre de termes signalés comme d’origine
amazighe. Toutefois, beaucoup des amazighismes donnés comme relevant notamment du monde rural soit en fait
des termes issus de parlers des différentes confédérations de l’arrière-pays jijélien, plutôt que du parler proprement
citadin.
Pour chaque langue, nous commencerons par présenter le consonantisme du vocabulaire natif
(sous-chapitre 1 pour la tasahlit, sous-chapitre 4 pour le jijélien), en comparant les évolutions
de chaque parler étudié par rapport aux propositions de reconstruction du système ancien de
chaque langue. Dans un second lieu, nous ferons l’inventaire des consonnes et voyelles
empruntées (sous-chapitre 2 pour la tasahlit, sous-chapitre 5 pour le jijélien), avant de décrire
le consonantisme du lexique emprunté par chaque langue à sa voisine (sous-chapitre 3 pour la
tasahlit, sous-chapitre 6 pour le jijélien).
Labiales Dentales Alvéolaires Palato- Palatales Vélaires Labio- Uvulaires Pharyngales Glottales
alvéolaires vélarisées
Nasales /m/ [mˤ] /n/ [nˤ] /ŋ/
Occlusives Sourde /p/288 [t̪ ] /t/ [t͡s] /tˤ/ /k/ [kˤ] [kw] /q/
Sonore /b/ [bˤ] /d/ /ʒ/ [d͡ʒ] [ʒˤ] /g/ [bw]
Fricatives Sourde /f/ [θ] /s/ /sˤ/ /ʃ/ [t͡ʃ] /ç/289 /x/ /ħ/ /h/
Sonore [v] /z/ /zˤ/ [ʝ] /ɣ/ /ʕ/
Spirantes [β̞] /l/ [lˤ] /j/ /w/
Vibrantes /r/ /rˤ/
287
Rappellons que les notations entre barres obliques (//) indiquent les phonèmes, tandis que les crochets ([]) indiquent les sons.
288
Phonème marginal, ne se trouve que chez les Aït Bouycef (cf. sous-chapitre 2)
289
Phonème marginal, ne se trouve que chez les Aït Segoual (cf. section 1.2)
Labiales Dentales Alvéolaires Palato- Palatales Vélaires Labio- Uvulaire Pharyngales Glottale
alvéolaires vélarisée
Nasales /m/, [mˤ] /n/, [nˤ] /ŋ/
Occlusives Sourde [p] [t̪ ] /t/, [t͡s], /tˤ/ [c͡ç], [ɟ͡ʝ] /k/, /kˤ/290 /q/291 /ʔ/
Sonore /b/, [bˤ] /d/, [d͡z], /ʒ/, [d͡ʒ] /g/
[dˤ]
Fricatives Sourde /f/ /s/, /sˤ/ /ʃ/ ~ [t͡ʃ] /fw/ /x/ /ħ/ /h/
Sonore [v] /z/ ~ /zˤ/ /ɣ/ /ʕ/
Spirantes /l/ ~ /lˤ/ /j/ /w/
Vibrantes /r/ ~ /rˤ/
290
Phonème attesté uniquement à Jijel-ville
291
Phonème attesté uniquement chez les Aït Mâad
292
Rappellons que les notations entre barres obliques (//) indiquent les phonèmes, tandis que les crochets ([]) indiquent les sons.
Nous avons fait le choix de travailler en proposant des suggestions de racines des mots
amazighs présentés et avons procédé aux choix suivants dans l’établissement de ces racines :
-Nous opterons pour la restitution du proto-phonème /β/ uniquement dans les parties
dédiées à la comparaison pan-amazighe, ailleurs nous donnerons ses correspondants
dans la plupart des parlers modernes (/w/, /b/, /f/ et /h/).
-Nous restituerons parfois /ʃ/, bien qu’il ne puisse pas être reconstruit dans le proto-
système mais parce que son origine dans certaines racines n’a pas encore été déterminée.
293
Cf. Kossmann (1999:94)
294
Cf. Kossmann (1999:92)
295
Cf. Kossmann (1999:73)
296
Cf. Kossmann (1999:120-122)
297
Cf. Kossmann (1999:93)
298
Cf. Kossmann (1999:125-126)
a) La spirantisation des occlusives est attestée dans la plupart des parlers amazighs-Nord
(Chaker 2004). Le phénomène est particulièrement bien représenté dans les aires
méditerranéennes du Rif et des Kabylies (Galand 2010)299. En tasahlit, la spirantisation
est à l’origine de variantes phonétiques dont l’apparition est conditionnée ou facultative.
Il faut remarquer l’existence de plusieurs géminées spirantisées, des sons rares parmi
les langues amazighes. Le conditionnement et l’inventaire des spirantisées varient d’un
parler à un autre comme le présente le tableau 11.
299
Kossmann (2013:179) remarque la corrélation entre l’aire d’extension de ce trait en amazigh et celle de
l’Empire Romain en Afrique du Nord : « as the weakening of stops (esp. voiced stops) is a well-known feature of
Vulgar Latin, this may not be coincidental ».
Signalons l’absence de la spirantisée [β̞] et la rareté de [θ] chez les AS 301 (ex. tibbucan n
temcict « orpin, sédum », tajelbatt n uzrem « vesce »), lesquelles sont pourtant appliquées
partout ailleurs en tasahlit et généralement attestées dans les parlers amazighs méditerranéens.
Toujours chez les AS, /ç/ a la particularité d’être un phonème distinct de son correspondant
occlusif /k/ :
300
/ç/ est un phonème marginal chez les Aït Segoual.
301
Dans le parler de cette confédération [β̞] ne s’entend que dans le parler de certains locuteurs originaires de
fractions occidentale où il est rare. [θ] est rare dans les fractions orientales mais plus commun dans les fractions
occidentales, il est possible de comparer ces occurrences à travers notre corpus contenant des textes dits dans le
parler de la localité orientale de Taâzibt (ex section 41.9 de la documentation), et dans celui de la fraction
occidentale des Aït Bouhafan (ex. section 41.10 de la documentation).
Dans certains mots empruntés à l’arabe (ou via l’arabe), la spirantisation n’est pas appliquée.
Dans les trois parlers, ce phénomène concerne surtout le *Kāf, normalement spirantisé en [ç]
(ex. AB aḇicuḵ « chardonneret » <qualificateur ḇi- [<ar bu-] + ar. ŠWK), sauf dans certains
emprunts où il reste occlusif304 :
AB fukul « chaque » (<ar), kulci ~ kullec « tout » (<ar), skinjbir « gingembre » (<ar), kawkaw « cacahuète »
(<ar), AS lekṛakṛa « grondeur (poisson)305, balek « peut-être » (<osm<ar), etc.
La spirantisation respecte une répartition étymologique même dans le lexique natif, puisqu’il
existe quelques mots ou racines natifs présentant une absence de spirantisation dans des
positions où elle serait attendue. C’est le cas par exemple dans les mots suivants où selon les
règles du parler, [b] se spirantise en [β̞] : [AB] ṯaburegṯ « rêve », berkukkeṯ « frémir ».
b) En tasahlit, le proto-phonème *dˤ est assourdi dans toutes les positions en /tˤ/ : ex. AB
aṭaṛ « pied » (<ḌS, cf. tahaggart, zénaga, tachelhiyt, kabyle aḍar, chaoui, Mzab,
Ouargla, Ghadamès ḍar). Ce phénomène est attesté dans un certain nombre de parlers
amazighs pouvant être fortement éloignés géographiquement les uns des autres (cf. carte
14). Il est aussi appliqué par l’arabe de Kabylie orientale, nous le traiterons à part au
sein de la section 7.3.
302
D’après Chaker (2013), l’origine de filix en latin n’est pas claire et cet auteur suggère une appartenance à un
substrat méditerranéen non-identifié.
303
Argiolas (2022) propose que falco soit plutôt emprunté par le latin à l’amazigh.
304
Ce phénomène est aussi observé par le kabyle occidental (Berkaï 2014:52-53).
305
Le terme est attesté dans plusieurs parlers côtiers algériens dont celui de Jijel-ville. Nous ne l’avons pas trouvé
ailleurs en arabe et il pourrait s’agir d’une création locale d’origine onomatopéique qui trouverait sa source dans
le bruit particulier provoqué par ce poisson en grinçant les dents ([AS] keṛkeṛ).
306
Cf. Kossmann (1999:148)
307
Cf. Kossmann (1999:178)
a) La labiovélarisation ne concerne que les parlers des Aït Bouycef et des Aït Laâlam à
travers les labiovélarisées [bw] (ex. AL iwb°i308 « il a emmené ») et [kw] (paire minimale
AB ak°nayen « vous êtes là » / aknayen « nous sommes là »). Ailleurs, la
labiovélarisation est plus répandue en tasahlit méridionale, où elle peut toucher la
plupart des occlusives. L’absence totale de labiovélarisées chez les Aït Segoual et dans
quelques parlers tasahlits occidentaux, n’est observé ailleurs en amazigh-Nord qu’en
kabyle orientale-Est (Guerrab 2014:75) et chez les Kétamas du Rif (Gutova 2021:83).
D’autre part, les inventaires limités de labiovélarisées observés chez les AB et les AL
sont aussi étonnants. Ils résultent surement du fait qu’il s’agit de parlers
géographiquement situés entre des variétés sans labiovélarisées et des variétés
proposant des inventaires de labiovélarisées plus « classiques » pour l’amazigh-nord.
b) La fortification des semi-voyelles est attestée dans les trois parlers :
—/w/ peut-être fortifiée en /k/, /g/, /b/ ou [bw] (ex. AS ṯagurṭa « vasque » <WRḌ, cf. kabyle
ṯawerḏạ « vasque »). Elle peut observer la gémination en [bwː] chez les AB et en /bː/ chez les
AS (ex. AS ijewwa ~ ijebba « il bêle »)309.
—/j/ simple peut être fortifiée en /g/ (ex. AB addagnin « étable » <WDY, vs. AS adday
« étable », AL sadday « en bas »). Cette fortification est observée à travers des éléments du
substrat amazigh du jijélien, nous y reviendrons dans la section 6.2.2.
308
D’autres fractions des AL ont yub°i.
309
En tasahlit-Sud [wː] passe habituellement à [gː].
Cette évolution historique est également attestée dans les emprunts au substrat amazigh
de l’arabe jijélien. Nous la décrirons en détail à la section 8 de ce chapitre.
AL ecc « mange », vs. AB, kabyle, chaoui, rifain, tamazight du Moyen-Atlas ečč, tahaggart ekc
e) Il existe dans le parler tasahlit des Aït Segoual deux évolutions originales concernant
les sibilantes
o La tendance à la mutation [z] ➔ [ʒ] : ex. tajemmurt « olivier » <ZMR (cf. AB
ṯazemmurṯ)
o Les métathèses de la chuintantité : ex. ajebbus « oléastre » <ZBŠ (cf. AB
azebbuc)
Ces évolutions sont appliquées régulièrement par les locuteurs âgés, mais sont beaucoup
moins systématiques dans les parlers jeunes en particulier la mutation [z] ➔ [ʒ] qui tend
à disparaître.
Labiodentale f < *β
f ~ β̞ AB aḇiḇlaw « scarabée rhinocéros » (<FLW)
f~b AS tafejɣul ~ tabejɣult « gousse » (<FƔL)
f~ø AB ṯaduṭṭ « laine » (<Ḍβ311), ṯisegniṯ « aiguille » (<GNβ312), ihakk « il donne » (<βKɁ313)
Alvéolaires t, d, dˤ ~ tˤ
t~θ AB iṯri, AL aṯra « étoile » vs. AS atra
t~ɦ AB, AS & AS nuhni « eux » (<NT, cf. netta lui)
t~k AB iḵḇir « pigeon ramier » (<T/DBR314)
t~k AL ṯaferkekka ~ ṯifertetta « lotier (plante) »
t ~ tˤ AB rḵeṭ vs. AS reḵti « broyer » (<RKT), AS tameṭṭuṭ vs. AB ṯameṭṭuṯ (<MḌW)
t ~ ͡ts AL ţariwţ « femelle porc-épic » (<RYW ?)
d~ð AB da ~ ḏa « ici », dan ~ ḏan « là »
310
Souag nous signale (c. p.) que l’on trouve « les mêmes formes beaucoup plus largement qu'en tasahlit ; s'il est
question de changement phonétique, ça doit avoir été au niveau proto-berbère ou presque ».
311
Cf. Kossmann (1999:122)
312
Cf. Kossmann (1999:122)
313
Cf. Kossmann (2020:16)
314
Très ancien emprunt de l’amazigh à une langue non-identifiée selon Kossmann (2020:16)
315
D’après Souag (c. p.) ce changement serait du à « une réinteprétation étymologique qui a mis en lien le mot
avec aleqqaq « mou, tendre » plutôt qu'à un changement phonétique au sens propre du terme ».
316
Cf. Tachelhiyt isti « (mes) filles »
317
Cf. Kossmann (1999:201-202)
318
Reconstitution proposée par Kossmann (c. p.)
319
Cf. Kossmann (2008)
ʒ ~ ʒˤ AS awejj̣ iṛ
̣ « fruit mur fendu »
321
d͡ʒː ~ ʒː AS ejj ~ eǧǧ « laisser » (<Y), asajju « provision de céréales » ~ aǧǧaw « achat de céréales »322
Palatales j, l, n, r
j~i AS illi ~ illiw « (ma) fille » (<YL), ali « monter » (<LY), iwen ~ iǧǧen ~ iǧǧ « un » (<Y(W))
j~ø AL aɣella « delà » (<ƔLY, cf. AB aɣellay « horizon »,), afrur « dégraissant (céramique) » (<FRY)
j~g AB ag̲la « propriété » vs. il « posséder » (<YL), azreg « sentier » (<ZRY) vs. AL zri « passer »
j~ʒ AB iɣejd « chevreau » (<ƔYD323)
j~ʃ AS acbuṭ « nombril » (<préfixe j- + BḌ, cf. AB tajeɛbuṭ « paille »)
j~ʤ AB eǧǧ « laisser » (<Y324), timiǧǧa « gorge » (<MY), AL yiǧǧen « un » (<Y(W)325)
l~r AB ul négateur verbal, awel négatif-optatif (WL/R), AS ald « jusqu’à » < al + d (<L/R)
l ~ lˤ AB aceḷḷuṭ « sachet » (<LḌ), abeḷḷiṭ « bêtise, énormité » (<BLḌ)
l~ø AB ikki « lait caillé » vs. kkel « cailler » (<KL)
n~ø AS aqziz « marcassin » vs. agzin « chiot » (<GZN), AB wiss vs. wissen « qui sait » (<wi + SN)
n~l AS iwani ~ iwali « vers où » (vs. AB iwani) nili ~ lini « plus tôt »
n~m AS ayamum vs. AB & AL ayamun « guêpier d’Europe (oiseau) », taggent « taon » (<GM)
nt ~ tː AS nuhenti ~ nuhetti « elles », nekkenti ~ nekketti « nous (féminin) »
nw ~ w: AS eww « cuire » (<NW, cf. asunay « restes du repas donnés à manger aux animaux domestiques »
nw ~ n: AS ani « dis », inna « il a dit » (<NW), nnuɣ vs. nwaɣ « disputer » (<passif N- + <WƔ)
r~l AS amelkessif « menthe aquatique » (<MRG + √SF326, cf. AB amergessif)
r ~ rˤ AB iqqaṛ « il dit », aɣeṛ « appeler », aqqeṛ « rossignol » (<ƔR), aɛennuṛ « étron » (<NYR)
r~ħ AB quqqeḥ « se tarir » (<ƔR)
Prépalatales k, g
k~ç AB aḵerḵur « tête » (<KR), AS ayeḵfa « lait » (<KF)
k~g AS seldazeg vs. AB seldazekk « après-demain » (<seld » après » + ass « jour » + K « passer »)
k~j AB aḵeffis « trèfle »(<K/YFS)327, tumnayt « monture, transport » (<NK)328
320
Cf. Kossmann (2021)
321
Kabyle tiwjit « pommette » et taweǧǧiṭ « testicule », tamazight du Moyen-Atlas awejj̣ ạ « partie ronde d’un
os », etc. (cf. Kossmann 1999:231)
322
Cf. Kossmann (1999:231)
323
Cf. tamacheq eɣăyd
324
Cf. Prasse (1972:4)
325
Cf. Kossmann (2021)
326
Souag (c. p.) suggère qu’il s’agisse ici que le changement ait été précipité par une réinterprétation avec l’arabe
malik əs-sif.
327
Cf. Tachelhiyt médiéval ayfis « tribule », Moyen-Atlas des Aït Ndhir iyfis « trèfle » (Kossmann 1999:197)
328
Cf. Kossmann (1999:205) concernant l’évolution *nķ ➔ ny
329
Cf. Kossmann (1999:211)
330
Cf. Kossmann (1999:211)
331
Cf. Kossmann (1999:211)
332
Le lien entre les deux mots n’est pas évident et reste à confirmer.
333
Le lien étymologique entre les deux mots n’est pas certain (Souag, c. p.).
334
Composition de MRG « rencontrer » + SF « rivière »
335
Cf. Kossmann (1999:245)
336
Cf. Kossmann (1999:122)
337
Tamacheq teɣse
338
Tamacheq eɣăf « tête »
339
Composition de FD « genoux » + LƔM « dromadaire »
340
Cf. tahaggart tăhokka « poussière »
341
Cf. Kossmann (2020:16)
L’origine de /rˤ/ n’est pas claire : il s’entend dans beaucoup de mots de fonds amazigh mais ne peut
être reconstitué comme proto-phonème amazigh. Il est aussi observé dans des emprunts antiques :
[AL] aɣṛam « pain » (<punique QRM), AS ageṛṛuc « chêne kermès » <lat quercus) et est très
fréquent parmi les emprunts à l’arabe : [AB] aɣebbaṛ « pluie » (<ar ƔBR), [AS] lmeṛṛa « fois »,
[AL] aɣeṛṛiw « front » (<ar ĠRʔ). /rˤ/ est distinctif comme dans la paire minimale :
Les pharyngalisées marginales [bˤ], [mˤ], [nˤ], [ʒˤ], [lˤ] et [kˤ] pourraient être empruntées à
l’arabe, mais leur distribution plus ou moins développée dans des mots natifs suggère la
possibilité d’une émergence interne comme variantes expressives ou comme conséquences de
la contamination de pharyngalisation. Nous décrirons au sein de la section 7.6 de ce chapitre la
manière dont ces phonèmes pharyngaux et pharyngalisées parfois empruntés ont pu pénétrer le
lexique natif en tant qu’ajouts expressifs.
La tasahlit a emprunté aux langues romanes les sons [v] (ex. AS avilo « bicyclette »), [t̪ ] (ex
AB at̪ irbulit̪ « tire-boulettes »), [ɔ]̃ (ex. AS amiṛlɔ̃ « merlan ») et [ɛ]̃ (ex. AS ssɛn
̃ t̪ ika
« syndicat »). Les sons /p/ et [ŋ] pourraient provenir des mêmes langues puisque la majorité des
mots contenant sont des emprunts à celles-ci (ex. AS tasipyayt « sèche », fṛañḵ « franc
algérien ») ; toutefois, la possibilité d’une origine plus ancienne est suggérée par le fait que [ŋ]
s’entend dans quelques mots natifs comme variante phonétique de /n/ (AB hañḵa « ainsi ») et
que /p/ constitue une variante phonologique marginale de /b/ dans la paire minimale :
Les voyelles [o] et [ã] sont fréquentes parmi les emprunts au romans, en particulier au français
(AS laloṭ « lotte », lalãguṣt̪ « langouste ») mais sont également attestées comme les variantes
conditionnées respectives de /u/ et /a/ dans des mots natifs (AS aho optatif-négatif, ãnẓar
« entité masculine invoquée dans les rogations de la pluie »).
Le statut de [t͡ʃ], probablement emprunté à une langue non identifiée sera discuté en section
7.6.3.4.
Le tableau 13 présente les principaux réflexes et mutations récurrents ou remarquables dans les
emprunts à l’arabe identifiés dans les parlers tasahlits étudiés avec des exemples.
342
Cf. AC bi lā
343
Souag (c. p.) suggère également une relation avec l’arabe RḤB.
344
Cf. AC mā + šayʔ
345
Proposition hypothétique, d’autres racines, notamment du fond amazigh, pourraient être à l’origine de ce
mot (également connu du jijélien, cf. JV aḳẓuṭ « nain »), comme GZN, à l’origine de aqjun « chien », ou GZL, à
l’origine de agezlan « court »).
346
Confédération arabophone saharienne dont le nom est associé dans ce parler à des connotations péjoratives,
comme c’est aussi le cas dans l’expression aɣyul n jjɛemba « idiot » (<âne des Châamba).
347
Cf. AC ʔaw ṯānī
348
Cf. AC ṯamānya
349
Tribu adjacente aux Aït Laâlam, dont le territoire fut complètement déserté durant la guerre civile. La plupart
des Aït Jebroun ont rejoint les cités situées sur les territoires des trois confédérations étudiées.
350
Cf. AC mā + zāl
351
Cf. AC mā + šayʔ
352
En arabe maghrébin, šlaṭa est employé dans les variétés occidentales et s(a)laṭa dans les variétés orientales.
Les deux mots sont empruntés au roman (cf. latin salata). Le premier par l’intermédiaire de l’Espagne (via l’arabe
AB aɛinṣul « scille maritime » (<ʕNṢL), AS ṣebbaṛaṛa « agave » (<ṢBR), AL aṣefran « jaune » (<ṢFR)
Il existe également une couche d’emprunts au lexique religieux dans lesquels *Ṣad est réalisé /zˤ/ :
358
Cf. Kossmann (2013:192-193) concernant l’existence d’une forme wəẖt « temps » dans certains parlers
préhilaliens. Cette forme a sans été plus fréquente par le passé en préhilalien. La preuve en est que plusieurs
adverbes de temps empruntés par l’amazigh-Nord reflètent des emprunts via une forme arabe ancienne *w.ẖt.
C’est le cas dans les trois parlers tasahlits étudiés, bien qu’aujourd’hui le jijélien ai complètement perdu *w.ẖt.
Le réflexe de *Ṣad en /zˤ/ dans des emprunts appartenant à d’autres champs lexicaux est
exceptionnel :
Signalons que dans l’arabe des Aït Mâad, le mot aẓəġriw « stade intermédiaire entre le têtard
et la grenouille » fait problème. Il s’agit étymologiquement d’un nominal amazighisé
morphologiquement, tiré de la racine arabe ṢĠR relative à la petitesse, mais le traitement de sa
première radicale *Ṣad=/zˤ/ est inattendu. Le terme est également emprunté par le kabyle
occidental aẓeɣṛiw « larve aquatique ». Il se pourrait donc soit (1), que les Aït Mâad aient
réemprunté ce mot à leur variété d’amazigh substratique ayant anciennement emprunté ce mot
à l’arabe (avant que l’amazigh n’ai emprunté /sˤ/ à l’arabe), soit (2) qu’à un stade ancien, l’arabe
des Aït Mâad présentait l’évolution *Ṣad ➔ /zˤ/. Il est difficile d’avancer dans les
questionnements concernant ce mot qui présente dans plusieurs parlers arabes des dérivés
reflétant *Ṣad ➔ /zˤ/, en raison de l’assimilation de /sˤ/ + /ɣ/ (ex. judéo-arabe de Gabes, Gebski
2022). Enfin, il faut noter la possibilité d’une contamination avec suite amazighe ZƔL,
renvoyant dans les différentes langues à divers petits animalcules aquatiques dont les tétards
(Souag 2018:213).
Nous donnons également en section 4.2.9 une chanson dite en arabe de Jijel-ville contenant un
nom énigmatique figé (ẓla), lequel pourrait correspondre à un dérivé de la racine ṢLʔ attestant
l’évolution *Ṣad ➔ /zˤ/. Si cette proposition étymologique s’avère correcte, il faut se demander
si les langues amazighes ne tirent pas les arabismes présentant le réflexe *Ṣad ➔ /zˤ/ d’une
strate de parlers pré-hilaliens dans lesquels l’évolution *Ṣad ➔ /zˤ/ était courante, voire
généralisée.
En tasahlit, le phonème /ʒ/ des mots natifs n’est jamais affriqué (ex. AB aqjaj « carcasse
évidée »). *Ǧīm des emprunts à l’arabe y est toujours réalisé /ʒ/ chez les Aït Bouycef et les Aït
Laâlam, tandis qu’il est parfois affriqué en [d͡ʒ] chez les Aït Segoual :
Chez les Aït Segoual, *Ǧīm=[d͡ʒ] est une réalisation empruntée au jijélien occidental. Parfois,
les emprunts du parler des Aït Segoual connaissent deux variantes, l’une reflétant Ǧīm=[ʒ] et
l’autre * Ǧīm=[d͡ʒ] :
AB achili « temps sans soleil », AS « sirocco », vs. JV & AM šili « soleil » (<ar ŠHL)
Ces mots sont des exemples d’emprunts de la tasahlit à une autre strate d’arabe que le jijélien
contemporain, sans doute antérieure.
359
Ancien emprunt au farsi
360
La substitution par une pharyngale observée ici pourrait trouver son origine dans l’influence de la racine arabe
ĦMʔ (Kossmann, c. p.).
Perte de *ʔ initial : JV uwwəl « premier », cf. AC ʔawal, ləfʕa « vipère », cf. AC ʔafʕa
Perte de *ʔ à l’intérieur d’un mot : AM bir, cf. AC biʔr, ṛas « tête, extrémité », cf. AS raʔs
Perte de *ʔ final : JV ʕša « diner », cf. AC ʕašaʔ, š ~ ši négateur postverbal, cf. AC šayʔ
b) Les diphtongues de [aj] et [aw] à voyelles courtes ont généralement été réduites
respectivement en /i/ et en /u/ dans les deux parlers361. [aw] ancien a été conservé dans
la conjugaison des verbes défectueux362 :
Réduction [aj] ➔ /i/ : JV ʕamin « deux ans », miţin « deux cent », AM bin « entre »
361
Ces monophtongaisons sont très répandues parmi les dialectes arabes (Ivànyi 2006:642). En maghrébin, il est
difficile de les associer à un groupe de parlers particulier tant les données varient d’une région à une autre.
362
Cf. Marçais (1956:58-64)
—[mˤ], [bˤ] et [ʒˤ] sont des variantes phonétiques de leurs correspondants non-pharyngalisées
générés par la contamination de pharyngalisation ou l’expressivité phonématique (cf. section
7.6).
Jijel-ville *Qāf=[kˤ]364 : ḳrib « bientôt », ħəḳḳ « droit », », bəḳra « vache », ḳal/yəḳul « dire »
Aït Mââd *Qāf=[q] : qdim « ancien », qəlb ~ qlib « cœur », qmər ~ qmiyyər « lune »
Chez les AM, les réalisations *Qāf=[g] et *Qāf=[q] forment une paire minimale dans :
Ces réalisations *Qāf=[kˤ] et *Qāf=[q] sont toutes les deux traditionnellement associées au
préhilalien, tandis que *Qāf=[g] représenterait le type hilalien (Cantineau 1960:68). En Kabylie
orientale, *Qāf=[q] est attesté à la fois en bougiote, en colliote et en jijélien oriental, *Qāf=[kˤ]
363
Ces réalisations du *Qāf sont des marqueurs importants dans les représentations linguistiques des jijéliens. Les
Aït Mâad dénomment d’ailleurs le parler de Jijel-ville : əl-hədṛa (ddi) b ḳal-li w ḳulţ-lu, littéralement : le parler
en il m’a dit et je lui ai dit.
364
La réalisation du *Qāf=[kˤ] du jijélien central est décrit par Marçais (1956:22) ainsi : « articulé avec le dos de
la langue prenant contact avec la partie postérieure du palais, la pointe de la langue reposant dans la partie
médiale du bas de la bouche ». D’après Cantineau (1960:69) cette réalisation n’est attestée en Algérie que dans la
Kabylie orientale et les monts des M’Sirdas-Traras, elle est également connue au Moyen-Orient par exemple dans
les dans les villages de tchänâtcher de zâtchye et l’oasis de Suxne en Syrie (Cantineau 1960:69).
365
Marçais (1956:21) donne cette forme comme inexistante en arabe jijélien.
c) En jijélien, le son /tˤ/ peut à la fois représenter *Ṭaʔ, *Ḍad et *Ḏạ ʔ anciens. En effet,
les parlers arabes de Kabylie orientale présentent tous le phénomène d’assourdissement
/dˤ/ ➔ /tˤ/ caractéristique du préhilalien du Maghreb occidental, qui sera étudié dans la
section 7.3.
d) Les interdentales *Ṯaʔ, *Ḏaʔ, *Ḏạ ʔ ont été remplacées par leurs équivalents occlusifs.
Si le phénomène est fréquent en préhilalien (Guerrero 2021), la comparaison des
données des différents parlers de Kabylie orientale est intéressante, puisque seules les
variétés pratiquées aux extrémités occidentales et orientales de cette région les ont
conservées (respectivement le bougiote et les parlers colliotes montagnards).
Certains mots font exception à cette règle en raison de leurs conditionnements phonétiques dans
des groupes consonantiques, surtout [ʒd] et [ʒb] :
Ex. ždi « chevreau », ždid « nouveau », məžbəd « courroie », žba/yəžba « regarder au loin »
Tendu, *Ǧīm est observé non-affriqué dans quelques mots vraisemblablement d’origine
amazighe :
—*Taʔ présente deux réalisations à Jijel-ville370. La première assibilée en [t͡s] est habituelle
dans le lexique natif (ex. [JV] ţəlž « neige »), la seconde est l’occlusive dentale [t̪ ], observée
dans un certain nombre de mots d’étymon inconnu ([JV] smit̪ ri « froid piquant », t̪ ululu ~
t̪ rit̪ uz « idiot », t̪ ut̪ ra « peureux », t̪ uka « promesse du petit doigt », etc.), des emprunts aux
366
Marçais signale un conditionnement phonétique qui serait que [ʒ] est réalisé affriqué lorsqu’il précède
directement un [n], mais nous ne l’avons jamais observé affriqué dans ce conditionnement auprès de nos locuteurs :
fənžal « tasse », sənžaḳ « étendard », aġənža « louche » (<ama). Marçais signale encore quelques cas isolés (non-
conditionnés) que nous n’avons également pas retrouvé non plus : à savoir səžžada ~ səddaža « tapis de prière »
et non pas səddaǧa donné par Marçais, ḳməža « chemise » (<roman) et pas ḳməǧa (Marçais), nəžžaṛa
« menuiserie » et pas nəǧǧaṛa (Marçais).
367
a voc + ġəǧ- ? + =i POSS1SG
368
Terme d’origine inconnue attesté notamment en Égypte (kgag), au Liban (ajâj) et en Syrie (kjaj), d’après les
données du site internet https://fishbase.mnhn.fr/search.php.
369
Dans les parlers préhilaliens des Jbalas et des cités du nord marocain l’affrication de *Ǧīm est conditionnée
par sa gémination et la position intervocalique (Aguadé 2003).
370
Cette opposition, bien que non-phonématique, est curieuse. Elle n’a pas encore été relevée, à notre connaissance,
dans d’autres variétés de l’arabe maghrébin.
—/ʃ/ est affriqué en [t͡ʃ] dans des emprunts au roman ou à l’osmanli ainsi dans quelques mots
d’étymon arabe où il représente *Šin :
—À Jijel-ville, *Kāf peut-être réalisé [cç] en toute position (ex. ķul « mange ») simple ou
géminé (ex. zəķķura « tresse »372). Cette articulation nous a paru s’entendre beaucoup plus chez
les locuteurs âgés, tandis qu’elle tend à s’estomper dans le parler des jeunes générations373. Pour
Grand-Henry (1992:95), l’affrication du *Kāf dans les parlers à *Qāf non-vélaire est provoquée
par une chaîne de propulsion : « la vélaire vient occuper la place de la postpalatale, ce qui va
faciliter le prépalatalisation de cette dernière [...]. »
—Chez les Aït Mâad, le *Gāf est palatalisé en [ɟ͡ʝ] en toute position : ģəmħ « blé ». À Jijel-
ville, *Gāf est rendu occlusif dans le parler des familles citadines, mais des réalisations
palatalisées ou affriquées s’entendent dans les parlers des familles d’extraction rurale.
371
Ce mot est également attesté sous cette variante affriquée dans d’autres parlers arabes littoraux algériens (Alger,
Béjaïa, etc.). Une contamination par l’osmanli çalkalayin pourrait peut-être l’expliquer.
372
<ama ZKR
373
Dans la banlieue proche de Jijel-ville *Kāf est complètement affriqué en [t͡ʃ] (ex. locuteurs âgés des Bni Caïd
čibb « chien » <KLB), plus loin dans l’arrière-pays cette palatalisation entraîne le passage de *Kāf en /j/ (par ex.
chez certains locuteurs âgés des Bni Foughal : [jəsra] « galette » <KSR). Nous n’avons entendu la réalisation
spirantisée typique de l’amazigh-Nord que dans des fractions arabophones et des bilingues des Aït Nabet (ex. Aït
Isâad [bəçri] « autrefois »).
374
Cf. AC bi lā
375
Cf. arabe bougiote mbula
376
Cf. AC ṯalaṯa
377
Vs. [AM] məẖṭaf « hameçon géant »
378
Cf. AC dužaž
379
Cf. AC dužaž
380
Cf. Parrado (2019:153)
381
Cf. AC sirwāl
382
Cf. AC staʔni
383
Vs. AC kalb
384
Vs. AC baħar
385
Cf. AC al-mawǧa
386
Vs. AC al-qalb
387
Vs. AC al-qarn
388
Vs. AM dyal-na
389
Situé sur le territoire des Oulad Taffer
390
Cf. AC min
391
Cf. AC yatim
392
Cf. AC šāyʕ
393
Cf. AC ʔibra
394
Cf. AC ʔudun
395
Cf. AC ʕayyu + šāyʕ
396
Cf. AC ʕayyu + šāyʕ + min
397
Cf. AC ʕana
398
Cf. AC qaraʔa
399
Cf. AC biʔar
Laryngale Hāʔ
ɦ~ħ JV mrəffəh ~ mrəffəħ « riche » (<RFH), ašəṭnaħ « gros morceau » (<ṬNH)
ɦn ~ nː JV lənna « vers ici » (cf. AM lahna), AM mənna « par ici » (<*mən hna)
ɦ~ø JV fakya « fruits secs » (<FKH), ķaf « caverne » (<KHF)
Le phonème /g/ trouve parfois sa source dans une réalisation du *Qāf=/g/ à travers des mots
empruntés à l’arabe hilalien (ex. AM ģəmħ » blé »), mais ce son est plus souvent observé dans
les emprunts au substrat amazigh (ex. AM aģəns » terre battue »), auquel le jijélien a
anciennement emprunté *g.
Les deux parlers ont emprunté les voyelles nasalisées [ɛ]̃ et [ɔ̃] au roman (ex JV bɛn
̃ t̪ uṛa
« peinture » et bɔt̃ ̪ ṛu « type de jeux pratiqué par les petites filles ») et celui de Jijel-ville y a
également emprunté [v] au roman (ex. JV ķaval « maquereau roi »).
Les deux parlers présentent un [ŋ] possiblement emprunté au roman puisque surtout présent
dans les mots qui y sont empruntés (AM fṛañk « franc algérien »), mais il représente aussi
quelquefois *Nūn de mots natifs (ex. JV ṣəñħ-əḳ « ta malchance »).
Le son [p] peut être observé comme variante conditionnée de [b] (ex. AM čpəṛnuṭ « mante de
mer » <BRM), mais il est plus fréquent dans les emprunts à l’osmanli (cf. AM sappa « panier
en osier ») et au français (ex. JV ţipaţ « jeune chardonneret »).
Les voyelles [o] et [ɛ]̃ sont répandues parmi les emprunts au romans et surtout au français (JV
ķaṛṣon « caleçon », lãmbilãṣ « ambulance »), on peut également entendre comme des
variantes conditionnées respectives de /u/ et /a/ dans des mots natifs (JV haho « le voilà », lalla
manṭar [lal:a mãntˤar] « poupée réalisée à partir d’une louche brandie dans le cadre des
rogations de la pluie »).
Le statut de [t͡ʃ] probablement emprunté à une langue non identifiée sera discuté en section
7.6.3.4.
400
Cf. AS magraman, AB abagraman « inule visqueuse »
401
Cf. AS aserfun, AB afersun « ronce »
402
Cf. Kossmann (1999:122)
403
Cf. AB ṯaḏfarṯ « queue »
404
Nous avons identifié un préfixe D- « en-dessous » (<WDW / WDY) dans des mots empruntées à l’amazigh
renvoyant à plusieurs parties du corps : ex. AB idmaren « poitrine » <D- « en-dessous » + MR « menton ».
405
La variation entre DFR et ḌFR est fréquemment observée pour cette racine (cf. tasahlit des Aït Bouycef deffir
« derrière » vs. ṭfer « suivre » verbe utilisé uniquement dans la fraction des Aït Bougham, cf. Haddadou (2007:47).
406
Cf. Kossmann (1999:185)
407
Reconstitution proposée par Kossmann (c. p.)
408
Cf. Kossmann (2008)
409
Via un dérivé nominal ou verbal de cette racine présentant son assimilation en cc (cf. Kossmann 2008), comme
dans les formes de la tasahlit orientale [AL] icca « il a mangé », accay « nourriture ». Hayat Zerouali (c. p.) nous
as également signalé l’existence du mot icc « abats » en rifain qui pourrait aussi être proposé comme étymon à ce
mot.
410
Ce mot est également connu de la tasahlit orientale ([AL] awejwaj
̣ ).̣ L’ensemble des parlers tasahlits
connaissent un verbe jwej
̣ ̣ « crisser », ce qui paraît indiquer une origine onomatopéique locale, probablement
empruntée au substrat amazigh.
411
Voir cognats dans Kossmann (1999:231)
412
Cf. AS tafirellest « hirondelle » et tafirellest n deggaṭ « chauve-souris » (<lit. « hirondelle de nuit) ; nous
proposons que tafirellest corresponde à une composition des racines FR « derrière » et WLS « obscurité ». En
effet, ces oiseaux sont surtout actifs en fin d’après-midi et disparaissent rapidement à la fin du coucher du soleil
(laissant place aux chauves-souris).
413
Cf. AB aḵerwaw
414
Cf. Kossmann (1999:196)
415
Cf. , cf. tachelhiyt, tahaggart tawukt
416
Cf. Kossmann (1999:204) concernant l’évolution y ➔ k en position finale
417
Souag (c. p.) nous signale qu’il pourrait s’agir d’une réinterprétation étymologique du mot.
418
Probablement du latin falco, cf. AB afalḵu
419
Cf. Kossmann (2020:16)
420
Souag (c. p.) propose plutôt de mettre ce mot en lien avec l’arabe maghrébin ħəzziga « pet ».
421
Cf. tamazight du Moyen-Atlas agig ~ ajiǧ « piquet », chaoui igig ~ ǧiǧ « morceau de bois pour accrocher les
objets et les vêtements », etc.
422
Cf. Kossmann (1999:245)
423
Cf. kabyle abaṛeɣ, tachelhiyt médiévale abaɣuɣ « renard »
424
Cf. tasahlit des Aït Mhend azeɣṭiṭ « chose insignifiante », arabe et kabyle bougiotes azeɣṭuṭ « toute petite
quantité »
425
Cf. tadghaq bubbeh
426
Cf. tayert aɣerh « bouclier »
427
Amazighisme très largement attesté en arabe maghrébin. Cf. tasahlit AS tahejjalt « veuve », AB ṯaḏg̱alṯ
« femme de mauvaise vie ». Une facilitation ou contamination par l’arabe HŽL « jeter, insulter, abandonner,
femme de mauvaise vie » doit également être envisagée (Ouyachi, c. p.)
428
Kossmann (1999:111)
429
Kossmann (1999:110)
[AM] azģən & [JV] azgən « moitié de galette » <ZGN 431 (cf. non-zénète : kabyle,
tamazight du Moyen-Atlas azgen, zénète : Mzab azǧen « moitié »)
[JV] žṛana « langouste », [AM] rəšţa « plat à bases de sortes de longues pâtes », [JV]
& [AM] rša/yərši « être vétuste, inutilisable »
Žṛana est dérivé de la racine amazighe *GR, avec une la palatalisation de la première radicale
*g en /ʒ/, mutation typique des parlers zénètes (Kossmann 1999:137-138) : chaoui, rifain, Mzab
ajru « grenouille », pl. ijran. La plupart des parlers arabes maghrébins du Maroc à la Libye
présentant l’amazighisme žṛana « grenouille », tandis que beaucoup de parlers jijéliens ont
conservé pour « grenouille » des dérivés de cette suite GR sans palatalisation du *g :
Jijel-ville agru ~ gərwa, Aït Mâad aģru ~ aģur, Bni Hbibi (jijélien oriental) ayru, Oulad Atiya (colliote)
agəgru, etc.
L’attestation de žṛana dans le parler de Jijel-ville trouve probablement son origine dans les
contacts linguistiques entre communautés de pêcheurs. Cette origine empruntée est suggérée
par la perte du sens initial de « grenouille », celui de « langouste » provenant surement du fait
que ce mot entrait avant son emprunt dans une composition du type žṛana + bħər « mer » soit
« grenouille de mer ». Ailleurs en arabe maghrébin, des variantes du nom de la grenouille non-
430
Cf. Kossmann (1999:146)
431
Cf. Kossmann (1999:156)
Le nom rəšţa désigne en arabe algérien différents plats à bases de pâtes dont une variante très
célèbre est la recette algéroise. Chez les Aït Mâad et partout en arabe ziamite rəšţa désigne un
plat à base de pâtes (de la longueur d’une tagliatelle) cuites dans une sauce à base de lentilles432.
Ce mot est emprunté à une racine pan-amazigh *RKT433 dont les réflexes dans les variétés
zénètes peuvent présenter une palatalisation de la radicale K :
Non-zénètes : kabyle arek°ti « pâte de farine », tachelhiyt arktu « pâte sans levain »
L’importante diffusion de cet amazighisme en arabe algérien indique que ce mot a été emprunté
à d’autres variétés d’arabe qui le tiennent initialement d’un autre type de substrat, probablement
zénète.
Zénète : Ouargla erca « être usé, détérioré », Mzab erci « être pourri, gâté »
Non-zénètes : tahaggart erku « être pourri, mauvais », kabyle, tasahlit rḵu « être pourri »
Ce verbe est attesté dans la plupart des parlers arabes algériens, qui l’ont emprunté à un substrat
amazigh zénète. Son origine en jijélien est encore une fois le contact intra-dialectal entre le
jijélien et les parlers arabes adjacents.
432
Recette appelée šəṛba à Jijel-ville (<ŠRB)
433
Cf. Kossmann (1999:195)
434
Cf. Kossmann (1999:173)
Le tableau 16 présente l’évolution de *g dans les mots amazighs substratiques dans les trois
groupes de parlers jijéliens cités, en comparaison avec les données du parler tasahlit des Aït
Bouycef et de celui des Aït Ouaret Ou Ali436 (colonne grisée).
435
Cf. Kossmann (1995:2)
436
Non-étudié dans cette thèse
Tasahlit Jijélien
Aït Ouaret Ou Ali Aït Bouycef Aït Mâad Jijel-ville Bni Hbibi
(RẒG) « être amer » rzˤəj rzˤəʝ rzˤəɟ͡ʝ/yərzˤəɟ͡ʝ ø rzˤa/yǝrzˤi
√BZG 437
β̞zəj « être mouillé » β̞zəʝ « être mouillé » ø bza/yǝbzi ~ mza/yǝmzi « être mza/yǝmzi « être gonflé »
gonflé »
√ZLG 438
θazləjθ « collier » θazləʝθ « collier » azləɟ͡ʝ « bride » azlǝg̱ ~ azlǝj « bride » azri « bride »
√GMR ajmər « fait de récolte » aʝəmːər « fait de récolte » ø gǝmra « récolte d’herbes » jǝmra « récolte d’herbes »
√GZM ʝzəm « couper » gzəm « couper » ɟ͡ʝəzzəm/jəɟ͡ʝəzzəm gəzzəm/jgəzzəm « couper des jəzzəm/ijəzzəm « couper des
« couper des herbes » herbes » herbes »
√GRR ajrur « figuier » agrur « unité de plante » ø grura « poulailler » ajrur « poulailler »
√GR 439
ijər « champs », iʝər « champs » aɟ͡ʝər « borne d’un ajǝr « borne d’un champs »
champs »
√MGR + M « inule » amajraman abagraman buɟ͡ʝǝrman burjaman ͡tsamajluman
437
Tasahlit « être mouillé », jijélien « être gonflé »
438
Tasahlit « collier », jijélien « bride »
439
Peut-être emprunté au latin ager « champ » (cf. Schuchardt 1918:50)
440
Racine circumméditerranéenne à mettre en relation avec le latin corvus, l’arabe classique ġurab, etc.
Le caractère mixte des réalisations du *g à Jijel-ville témoigne de la richesse des apports de son
arrière-pays, dont les différents parlers présentent différentes réalisations du *g, affaiblie en /j/
(~ /i/) ou mouillée en [ɟ͡ʝ].
La consonnification de *y ancien en /g/ est signalée en jijélien par Marçais à la fois dans des
amazighismes et des mots natifs441 (1954 :20-21). Cependant, aucune des formes données par
Marçais n’a été accepté par nos consultants : soit elles sont tombées en désuétude, soit elles ont
été récoltées par Marçais dans d’autres parlers de la région. Nous avons toutefois repéré des cas
de fortification de *y en /g/ dans quelques amazighismes :
AM azrǝģ JV azrǝg ~ azrǝy « sentier » <ama ZRY, cf. AS azzerg « sentier », AL zri « passer »
AM aģǝrni vs. JV ayǝrni « gouet » <ama YRN (cf. kabyle anyir « front », tamazight du Moyen-Atlas
ayenyir ~ ayenri, mozabite arnay, Aït Iznassen tanyert)
441
Cette fortification est observée dans l’arabe de Taza au Maroc (Colin 1921:43). Nous l’avons aussi repéré en
colliote chez les Oulad Attia par exemple dans le mot gǝnnaṛ « janvier » (cf. jijélien yǝnnaṛ) emprunté au latin
januarus via le substrat amazigh.
7. Les évolutions phonético-phonologiques caractérisant le contact
entre les deux langues
Nous introduirons au sein du présent sous-chapitre différentes évolutions des systèmes
phonético-phonologiques observées dans les deux langues, que leur origine soit l’amazigh,
l’arabe, ou une convergence entre les deux langues de source indéterminée. Nous nous
intéresserons tour à tour à leurs systèmes vocaliques, à leurs stratégies de ruptures de hiatus
vocaliques, au traitement des différentes consonnes dentales sonores pharyngalisées, aux
réflexes du *Qāf et enfin aux consonnes associées à des valeurs expressives.
7.1. Le vocalisme
Le jijélien comme la tasahlit distinguent quatre voyelles natives phonologiques, parmi
lesquelles se comptent trois voyelles timbrées et une voyelle centrale :
/a/
Les paires minimales suivantes démontrent du caractère phonématique trois voyelles timbrées
dans les deux langues :
La voyelle centrale est également un phonème dans les deux langues où ses paires minimales
concernent toujours une variation de type morphologique :
La voyelle /u/ peut présenter une réalisation [o] non-phonologique dans l’environnement de [h]
ou de pharyngalisées :
La voyelle /a/ connaît une réalisation non-phonologique [ã] dans l’environnement de /n/ :
Jijélien [JV] lalla mãnṭar « poupée brandit dans le cadre des rogations de la pluie »
Le système ancien de l’amazigh opérait une distinction entre deux timbres centraux et quatre
timbres périphériques (Kossmann 2020:34-37). Van Putten (2015) postule le caractère ancien
de la voyelle *é, conservée par l’ensemble des variétés touarègues, le ghadamsi et le siwi. En
amazigh septentrional, *é s’est généralement confondu avec /i/, à l’exception des parlers des
Ghomaras et la tasahlit orientale où *é s’est confondu avec /a/ (Van Putten, Souag et Garaoun,
en préparation).
L'arabe ancien opérait une opposition de longueur disparue en jijélien. Les anciennes longues
s’y sont conservées tandis que les brèves se sont confondues sous la forme des timbres
vocaliques brefs correspondants, tandis que les brèves se sont confondues en une voyelle non
timbrée /ə/.
Regardons tour à tour le fonctionnement de ce vocalisme parallèle dans les deux systèmes à
travers les mots natifs et empruntés.
7.1.1.En tasahlit
Autrement, les variations de vocalisation entre les parlers étudiés sont mineures et
principalement dues à des recompositions secondaires (ex. harmonisation vocalique en [i] dans
442
Cela amena Marçais (1956), dans un souci de finesse de notation, à proposer un système vocalique, contenant
près d’une douzaine de timbres différents pour le parler de Jijel-ville.
Ex. AB lḥusaḇ « jugement divin » (AC al=ħisāb), (ṛebbi) lɛalimin « nom de Dieu » (AC al=ʕālamīn
Les arabismes locaux présentent quant à eux généralement le vocalisme du jijélien avec une
chute des brèves anciennes, tel que le présente le tableau 17.
Tableau 17 Les réflexes des voyelles courtes en jijélien et dans les arabismes de la tasahlit
en comparaison avec l’arabe classique (AC)
443
Ces mots sont souvent passés en tasahlit via l’arabe local, qui les a empruntés à la langue religieuse.
AB fukul « chaque » (vs. AM fi kul ~ fi kəl), kullec « chaque » (vs. JV ķəlləš ~ ķulləš), etc.
Dans d’autres mots, la conservation de *u pourrait indiquer des emprunts à une ancienne strate
d’arabe n’ayant pas (encore) généralisé la chute de cette brève. C’est le cas dans le terme pan-
amazigh-Nord [AB] dduniṯ « monde, univers » (cf. AC dunya), où la conservation de *u
indique une origine empruntée à cette strate postérieure d’arabe (cf. jijélien moderne dənya,).
La variante dənya est majoritaire en arabe maghrébin, bien que dunya ait été conservée par les
parlers préhilaliens des Jbalas. Un autre exemple est le mot [AM] aḵursi « chaise, trône » (vs.
AJ kəṛsi, cf. classique kursi) également pan-amazigh-Nord.
Dans des emprunts à l’arabe maghrébin, les brèves précédées de la glottale [ʔ] ont parfois été
conservées : ex. acu « quoi » (cf. AC ʔayyu <a + *šayʔ <š + *hu <u).
Il existe enfin des emprunts à l’arabe maghrébin présentant une vocalisation affectée par des
recompositions secondaires : ex. AB jiddi « (mon) grand-père » vs. AL jeddi (cf. AC ǧadd=i)
dans la variante des AB, la vocalisation en [ə] ➔ [i] de la première syllabe trouve son origine
dans une harmonisation avec la seconde syllabe [i].
Dans les arabismes de la tasahlit, les diphtongues du système ancien ont évolué des manières
suivantes :
a. [aw] est toujours monophtongué en /u/ comme c’est le cas dans les nominaux en
jijélien.
b. [ay] est soit conservé, soit monophtongué en /i/ en tasahlit comme en jijélien.
c. Parfois, [aj] est conservé dans des mots où le jijélien a procédé à sa monophtongaison
en /i/, il s’agit vraisemblablement d’emprunts à une strate d’arabe plus ancienne que les
variétés de contact contemporaines.
7.1.2.En jijélien
*a < ø : JV ķəbb « chien », ķla « il a mangé », AM; ǧbəl « mont » cf. AC kalb, ʔakala, žabal
*i < ø : JV bənţ « fille », ṭfəl « enfant », AM ǧəlda « peau » cf. AC bint, ṭifl, ǧild
*u < ø : JV ħərr « libre », ķərsi « chaise », AM kəl « chaque » cf. AC ħurr, kursi, kul
444
Dans ces variétés, les trois brèves anciennes ont été confondues en [ə] (Cohen 1970). Il existe quelques
exceptions à cette règle en jijélien concernant la brève *u (cf. section 7.1.1.2).
- En variation libre avec [ə] : JV ķəm ~ ķum et həm ~ hum pronoms clitiques respectifs de la seconde
personne du pluriel.
- Comme seule vocalisation possible : nţuma « vous », muxx « cerveau », ṭbul « tambour »445, etc.
Autrement, la conservation des brèves anciennes n’est observée qu’à travers les emprunts à la
langue religieuse :
JV baraḳa « bénédiction » ṛaṣul « messager divin » ṣalaţ « prière », zaḳaţ « aumône », etc.
445
Vs. tasahlit [AS] ṭṭbel. Ce terme présente une forme vocalisée en [ə] (ṭbəl) dans la plupart des parlers arabes
du Maghreb occidental. La variante ṭbul est aussi attestée chez les Jbalas du Rif (Layachi, c. p.), ce qui tendrait à
indiquer qu’il s’agit d’un archaïsme préhilalien. Marçais (1956:267), signale son originalité, et propose que sa
vocalisation serait titrée d’une adaptation morphologique à l’amazigh ancienne dans une forme *aṭbul, ou d’une
confusion avec son pluriel (inconnu de ce parler), due au fait que l’instrument soit constitué de l’association de
deux tambours.
a) Vocalisations de la proto-voyelle *é
Tamacheq tăfore « maladie de la peau », tasahlit [AL] ṯafura & jijélien [JV] ţafura « dartre »
Il existe cependant en tasahlit orientale comme en jijélien une certaine variation concernant
l’évolution *é ➔ /a/, due au contact intra-amazigh ancien avec les variétés reflétant *é ➔ /i/,
ainsi qu’à des phénomènes phonétiques secondaires. Par exemple, les Aït Segoual présentent
une variation concernant la vocalisation de la voyelle initiale du mot acker ~ icker « ongle »
(vs. AB iccer, AL acker) là où la tasahlit des Aït Laâlam et le jijélien généralisent la forme
aškər (~ aššər). Il arrive exceptionnellement de rencontrer en jijélien un /i/ là où l’on s’attendait
à un /a/, comme dans la voyelle initiale du mot iḳər « vieux mouton de combat » à Jijel-ville
(cf. TS-Est : Aït Segoual aḵer, Aït Laâlam akker vs. TS-Ouest : Aït Bouycef iḵerri « bélier »).
b) Développements secondaires
Ils sont nombreux, nous n’en donnerons que quelques exemples. La réduction du vocalisme en
jijélien semble parfois avoir été appliquée à des mots du substrat amazigh. C’est peut-être par
exemple le cas de l’amazighisme pan-jijélien səlla « sainfoin » (<*sulla ? <ama SL), dont les
cognats en amazigh-Nord présentent tous une vocalisation en [u] de la syllabe suivant le préfixe
nominal :
Jijélien [AM] uġġud « four à feu ouvert », vs. Tasahlit [AB] aɣɣud (<ama ƔD)
Dans l’exemple suivant, le parler tasahlit des Aït Bouycef a procédé à une monophtongaison de
la voyelle initiale avec la radicale W conservée chez les Aït Segoual et dans la forme empruntée
par le jijélien à son substrat amazigh :
Tasahlit [AB] uzur, [AS] awzur, Jijélien [AM] awzur « décharge » (<ama ZR)
Plusieurs autres auteurs (Diem 1979 :52-53, El Aissati 2006:295-296, Embarki 2008:595, etc.)
ont vu dans la réduction du vocalisme dans certaines variétés d’arabe maghrébin un calque
phonétique sur l’amazigh : les langues amazighes septentrionales ignorant la durée vocalique446.
Kossmann (2013:171-174) suggère plutôt qu’il s’agît d’un développement parallèle des deux
langues, dont il ne serait pas possible de déterminer la directionnalité. En effet, la réduction du
vocalisme à quatre voyelles sans opposition de longueur observée par l’amazigh-Nord ne
concerne pas toutes les familles de parlers amazighs et pourrait ne pas correspondre à l’état
ancien de la langue. La réduction du vocalisme observée à la fois en arabe maghrébin et en
amazigh-Nord pourrait correspondre à un phénomène de convergence entre les deux langues
liées, à leur tendance commune à la syllabation compacte.
7.1.4.Comparaison typologique
Sur l’île de Majorque, le catalan (majorquais) est en contact avec le castillan depuis le 15ème
siècle. Ces langues romanes sont fortement apparentées et observent une situation de contact
inégalitaire, dans lequel le castillan bénéficie de la position de langue administrative et
religieuse. À partir de la fin des années 1950, d’importantes vagues d’immigration atteignirent
l’île. Beaucoup de ces immigrés étaient castillanophones, et continuèrent à parler et transmettre
uniquement le castillan en contexte familial. Aujourd’hui leurs descendants, bien que devenus
bilingues, sont souvent restés castillanophones dominants.
Simonet (2008) démontre que les bilingues catalanophones dominants (anciens majorquais) ont
convergé vers un unique système prosodique, décrit par l’auteur comme convergent. Dans
certains domaines comme le contour des questions polaires, ce système bilingue a adopté des
446
À l’exception du rifain qui l’a fait émerger en raison d’évolutions consonantiques particulières (Chaker 1996).
Ces résultats indiquent que même en situation de bilinguisme inégalitaire, la langue du groupe
dominante pouvait recevoir des impositions de la langue dominée. Ce phénomène fut sans doute
facilité dans le cas présent par l’importance démographique des catalanophones dominants et
la longévité du bilinguisme catalan-castillan qui permit de faire émerger une nouvelle variété
de castillan (variété de bilingues).
7.2.1.En tasahlit
Le hiatus vocalique correspond à une séquence juxtaposant deux voyelles. Les systèmes
phonétiques de l’arabe et de l’amazigh étant incompatibles avec ce phénomène, ils ont
développé différentes stratégies afin de le rompre.
447
D’autres stratégies existent localement ; Chaker (2000) signale par exemple l’insertion d’une dentale en kabyle.
La dernière tendance est présentée à travers les exemples suivants (semi-voyelle intercalée en
rouge). Il s’agit de la stratégie la plus fréquemment observée en tasahlit.
a=qːl-ən i wu-zˤaʀ=nsən
PREV=retourner\AOR-3PL vers EA.SG.M-racine=OI3SG.M
aj u-l=iw ul tə-tːxiq
i-ʃːa wu-mensa
3SG.F-manger\ACC EA.SG.M-dîner
7.2.2.En jijélien
En arabe ancien, le hiatus vocalique est inexistant. Dans cette même langue, l’occlusive glottale
correspond à un phonème de plein statut en toute position.
*/ʔ/ ➔ /w/ : ex. JV afwad « viscère rouge », cf. AC fuʔad (Marçais 1956:33)
Dans les situations de hiatus vocalique à la frontière entre deux mots, l’arabe jijélien dispose de
deux stratégies : la chute d’un des deux éléments vocaliques, ou l’intercalation d’un glide /j/ :
JV bni yažis « (confédération des) Bni Yadjis (<*bni + patronyme ama. ažis)
448
Notre consultant originaire des Oulad Taffer nous a également donné un exemple remarquable tiré de la
toponymie des Oulad Taffer, tribu située dans la banlieue rurale immédiate de Jijel : buyəfṛux < qualificateur bu-
+ /y/ permettant la rupture de hiatus + + (a)fṛux « oiseau ». Les deux morphèmes constituant ce toponyme composé
sont rattachés par un glide /y/ permettant la rupture vocalique. Le préfixe nominal a- des noms amazighisés y est
dévocalisé en /ə/, sans doute par économie phonétique. Il existe également dans le massif de Collo un toponyme
composé procédant à la même stratégie de rupture de hiatus vocalique : buyaġil < qualificateur bu- + /y/
permettant la rupture de hiatus + aġil ama. « bras, colline ».
S’il est possible que la généralisation de la rupture de hiatus vocalique au moyen d’un [j] ait été
facilitée par le substrat amazigh du jijélien, l’éventualité qu’il s’agisse d’un développement
interne voir hérité d’un parler levantin ne peux pas être exclu et aucune piste ne peut être
prouvée.
En tasahlit, le proto-phonème *dˤ présente une réalisation sourde /tˤ/ à toutes les positions :
AB afelṭuṭ « lobe d’oreille » (<FḌL), gemmaṭ « autre versant » (<GMḌ) ; AS aḵelbuṭ « tuméfaction » (<LBḌ),
aherriṭ « constipation » (<HRḌ<βRḌ) ; AL amaṭun « malade » (<ḌN), aṭeggal « beau-père » (<ḌWL)
Dans les arabismes, les phonèmes anciens *Ḏạ ʔ=ðˤ, *Ḍad=dˤ et *Ṭaʔ=tˤ sont généralement
confondus en /tˤ/ :
Le système phonologique de l’arabe ancien distingue trois dentales pharyngalisées : *Ḏạ ʔ=ðˤ,
*Ḍad=dˤ et *Ṭaʔ=tˤ.
*Ḏa
̣ ʔ=dˤ : JV ḍuhər « seconde prière quotidienne » (<ḎH
̣ R)
En jijélien, *Ḏạ ʔ, *Ḍad et *Ṭaʔ. sont le plus souvent confondus en toutes positions /tˤ/.
Il en va de même pour les emprunts à l’amazigh, dans lequel le proto-phonème amazigh *dˤ est
systématiquement reflété par /tˤ/ :
Il arrive qu’une racine contenant une radicale *Ḍad propose des dérivés en /dˤ/ et en /tˤ/ :
Dans les deux parlers, l’opposition entre /dˤ/ et /tˤ/ forme les paires minimales suivantes :
449
Dans des parlers préhilaliens à interdentales, comme le bougiote, les parlers Jbalas (Larej 2020:190) et certains
parlers colliotes montagnards, l’opposition entre [dˤ] et [ðˤ] s’est conservée bien que ces phonèmes ne
correspondent pas toujours aux *Ḏ̣aʔ et *Ḍad étymologiques : ex. bougiote nwaḏer
̣ « lunettes » (<NḎ̣R) mais
mrīḏ ̣ « malade » (<MRḌ).
450
Tasahlit agniṭ, rifain ayniḍ ~ agniḍ, Ghomara agnaṭ
Nous ferons l’hypothèse qu’à une époque antérieure, plusieurs parlers préhilaliens, dont le
jijélien, ignoraient complètement /dˤ/ et avaient réduit *Ḏạ ʔ, *Ḍad et *Ṭaʔ en un unique
phonème /tˤ/.
Nous avons résumé ces évolutions des dentales pharyngalisées dans les parlers néo-arabes sans
interdentales et en arabe jijélien à travers le tableau 20.
Tableau 20 Inventaire des dentales sonores pharyngalisées en arabe classique, dans les
parlers néo-arabes sans interdentales et en jijélien (colonne à fond vert)
Rifain, chenoui, chaoui, tasnousit: iḍes « sommeil » vs. eṭṭes « dormir » (<ḌS)
451
À l’exception notoires des langues occidentales (Taine-Cheikh 1999, Kossmann 2020:32)
A l’état de simple, /tˤ/ s’entend quelquefois dans ces parlers à travers des mots/racines
expressifs :
Kabyle iṭij « soleil », aṭuṭuc « trou » 452 , aṭuṭaḥ ~ aṭuṭaḥen « petit » 453 , ikkuk « coucou », ṭukkek
« ruer »454, amenṭar ~ amenḍar « vagabond »455, etc.
Les langues amazighes méridionales et occidentales ne connaissent quant à elles que /dˤ/.
Amazigh-Nord
Algérie : Kabylie des Babors (tasahlit, kabyle oriental-Est, chaoui des Amouchas)
Amazigh-Est
Égypte : Siwa
452
Cf. Laceb (2021:73)
453
Cf. Guerrab (2014:416)
454
Cf. Dallet (1982:487)
455
Cf. Dallet (1982:179)
Les deux hypothèses sont donc compatibles avec l’existence de /tˤ/ dans le système proto-
amazigh, soit comme une variante, soit comme la prononciation générale de *ḍ.
456
La seule mention de cet assourdissement en préhilalien du Maghreb oriental concerne le parler de Sfax
(Narbeshuber 1907:6) et ce, uniquement dans le mot « dos ».
457
Cf. tableau de Larej (2020:190).
458
Dans les parlers citadins où ce trait est archaïque et en voie de disparition, il se conserve parfois mieux dans les
sociolectes féminins (Boucherit et Lentin 1989).
La carte 14 présente la distribution de ce phénomène selon son degré d’application dans les
parlers arabes et amazighs du Maghreb occidental.
Kossmann (1999:186) signale dans le même ordre de faits que beaucoup de patronymes
amazighs sont réalisés avec /tˤ/ plutôt qu’un /dˤ/ en arabe maghrébin. Également, les manuscrits
chleuhs médiévaux notent généralement au moyen d’un *Ṭāʔ le son rendu par un /dˤ/ en
tachelhiyt moderne460.
Deux hypothèses peuvent être faites pour expliquer les assourdissements constatés dans ces
emprunts à l’amazighe :
459
Cf. discussion de Kossmann concernant ce verbe en arabe marocain (2013:187).
460
Selon Van den Boogert (2000:363) la transcription en *Ṭāʔ de ce qui correspond aujourd’hui à /dˤ/ dans les
manuscrits produits en tachelhiyt médiévale trouve son origine dans la réalisation interdentale ou latérale fricative
du *Ḍād dans l’arabe pratiqué au Maghreb à cette époque.
Nous objecterons à cette hypothèse l’inexistence du son [θʕ] dans les nombreux parlers
préhilaliens ayant conservé des interdentales : Cherchell, Blida, Médéa, Ténès, Dellys, Béjaïa,
colliote montagnard, Tunis, Mahdia, Kairouan, etc. Par ailleurs, dans les parlers de Béjaïa et
des montagnes de Collo, plutôt bien préservés de l’influence hilalienne461, la triade interdentale
est conservée mais *Ḏāʔ et *Ḍād sont quelquefois confondus en /tˤ/.
Selon l’hypothèse proposée par Al-Jallad (2015), il faut imaginer que les parlers amazighs
concernés par l’assourdissement de /dˤ/ en /tˤ/ auraient calqué cette mutation sur le préhilalien.
Cette théorie est envisageable pour les variétés du Maghreb occidental de la Kabylie orientale,
du Rif occidental et du Dadès, toutes en contact direct avec des parlers préhilaliens appliquant
cette mutation. En revanche, elle ne l’est pas pour ce qui est des aires amazighophones du
Maghreb oriental (Tunisie, Libye et Égypte), où cet assourdissement ne concerne jamais l’arabe
local. Dans les monts des Infousen en Libye par exemple, où les parlers amazighs exécutent cet
assourdissement, les parlers arabes 462 pratiqués dans leur voisinage ne le connaissent pas
(Kossmann 2013:189).
461
L’arabe bougiote en particulier, isolé au cœur de la Kabylie amazighophone, est probablement le parler
préhilalien algérien le mieux préservé de l’influence des variétés hilaliennes.
462
Notamment judéo-arabes, présentant des caractéristiques préhilaliennes (D’Anna 2021).
7.4.2.En jijélien
Dans les deux parlers jijéliens étudiés *Taʔ est reflété par [t͡s]. Cette assibilation est observée
dans presque toutes les positions. Les exceptions sont rares, elles peuvent être observées lorsque
[t] précède une sifflante (ex. [JV] tšəlfəṭ « tu embrasseras »). L’assibilation du *Taʔ s’entend
beaucoup plus fortement chez les Aït Mâad qu’à Jijel-ville463.
L’assibilation de la dentale sourde est un trait phonétique connu dans beaucoup de parlers
préhilaliens du Maghreb occidental 464 . On la retrouve également au Maghreb oriental dans
certaines koinès citadines (Alger, Constantine, etc.) ainsi que dans quelques parlers hilaliens
(Touggourt, Guelma, etc.). Cette assibilation prédomine dans toute la Kabylie orientale, en
préhilalien et dans les variétés de transition avec les types d’arabe voisins (Ferdjioua, Skikda,
Édough, etc.).
Ce trait phonétique a parfois été présenté comme emprunté par l’arabe maghrébin à l’amazigh-
Nord465. En effet, plusieurs variétés d’amazigh septentrionales (kabyle, chenoui, Figuig, etc.)
463
Ce phénomène est également majoritaire dans les parlers arabes du nord-ouest du Maroc (Larej 2020:190).
464
Au Maroc : Tanger, Tétouan, Asilah, Larache, Fès et le pays jbala (Cantineau 1960:37, Colin 1921:47-48,
Vicente 2000:40). En Algérie : Cherchell, Tlemcen et Nédroma (Marçais 1952:6, Grand’Henry 1972:8).
465
Fischer (1914:21)
Ajoutons que les réalisations de [t͡s] ou [ts] varient beaucoup d’un parler à un autre, parfois dans
le même voisinage, en termes d’intensité et de conditionnement. Cela peut être observé en
comparant certains parlers de la tasahlit orientale, où le degré d’assibilation augmente
continuellement au fur et à mesure que l’on s’approche de la frontière amazigh-arabe ce qui
pourrait témoigner d’une origine liée au contact avec l’arabe local : ex. chez les Aït Ali (cf. carte
18). La localité d’Isennan réalise le pronom autonome de troisième personne du singulier
masculin netta tandis que les locuteurs de la fraction d’Iâayaden directement voisine de la
frontière linguistique le réalisent neţţa470.
Une étude de phonologie de laboratoire sur la réalisation précise de ces assibilées, couplée à
une enquête de dialectologie poussée sur les variétés en contact dans les régions où elles sont
attestées pourraient nous aider à confirmer ou non ces hypothèses.
Dans l’ensemble des parlers arabes et amazighs étudiés, il existe, de manière minoritaire, des
emprunts reflétant une réalisation préhilalienne ancienne *Qāf=[k] ainsi que des emprunts à
l’arabe hilalien présentant le réflexe *Qāf=[g].
466
Kossmann (1997:19)
467
Guerrab (2014:80)
468
Guerrab (2014:80)
469
Chaker (1993:1902-1904)
470
Voir également les données des ksours de Figuig (Kossmann 1997:19-20)
Ex. Bni Hbibi wəkţ « temps » (<WQT), klam « crayon » (<QLM), aməkduḥ « nid de poule » (<QDĦ)
Ailleurs en Afrique du Nord, ce réflexe est rare. Il a été décrit dans une demi-douzaine de parlers
préhilaliens répartis dans tout le Maghreb occidental : jijélien oriental, judéo-arabe du Tafilalet,
de la vallée du Draa, de Debdou, ainsi que de manière minoritaire dans les parlers juifs
d’Essaouira, d’El Jadida et d’Azemmour (Lévy 1998).
Dans la plupart des parlers arabes de Kabylie orientale où *Qāf présente d’autres réflexes. C’est
le cas dans les parlers étudiés, où il est possible de récolter quelques mots reflétant *Qāf=[k] :
Jijel-ville (*Qāf=[k]) ţķunnid <ţḳul=ni d « on dirait que c’est » (cf. Aït Mâad ţqul=ni d)
Aït Mâad (*Qāf=[kˤ]) dəlwek ~ dəlweq « maintenant » (cf. démonstratif ḏa + article l + w.qt « temps »)
Plusieurs emprunts de la tasahlit à l’arabe reflètent également *Qāf=[k]. Dans les exemples
suivants, il est possible d’observer une cohabitation les reflets [k] et [q] du *Qāf dans les noms
dérivés d’une même racine empruntée à l’arabe :
Ces réalisations isolées de *Qāf=[k] en jijélien central et occidental, ainsi que dans les
arabismes de la tasahlit témoignent d’un contact intra-dialectal ancien entre les différents
parlers et strates linguistiques en Kabylie orientale.
7.5.1.*Qāf=[g] hilalien
Dans les deux langues étudiées, le réflexe *Qāf=[g] s’observe dans des mots empruntés aux
parlers hilaliens :
Dans les deux langues, ces emprunts appartiennent souvent au champ lexical agricole. Ils
pourraient trouver leur origine dans les relations commerciales entre montagnards,
amazighophones et arabophones locuteurs de variétés préhilaliennes, avec les locuteurs d’arabe
hilalien habitant les plaines céréalières des hauts-plateaux sétifiens et constantinois.
Nous nous pencherons dans ce chapitre sur les phonèmes et les sons associés à des valeurs
expressives et en particulier sur ceux d’entre eux concernés par les dynamiques du contact
amazigh-arabe. Il s’agit de l’ensemble des consonnes pharyngalisées d’origines diverses,
laryngales d’origine arabe, consonnes [x] et [q] possiblement d’origine arabe, enfin l’affriquée
[t͡ʃ] d’origine inconnue.
Les langues amazighes présentent différents sons associés à des symbolismes plus ou moins
vivants et productifs. Ces expressifs viennent soit remplacer des radicales non-expressives
(substitution), sont additionnés à la racine d’origine (adjonction). Leurs valeurs expressives sont
variées (Kossmann, 2013:199) et le nombre de consonnes concernées est important.
Voici quelques exemples de termes expressifs contenant des consonnes expressives, comparés
à des cognats ne contenant par ces consonnes :
Suffixation : Aït Segoual aguḥ « brouillard », vs. tagut (iḥya) toponyme (<HW)
Substitution de la dernière radicale : Aït Segoual smenduɛ « rechercher le profit » (<*smendus), vs.
amundas « chat ganté472 » (<MNDS)
Pharyngalisation d’une radicale à l’origine non-pharyngalisée : Aït Bouycef ṯaqiqawṯ « espèce de genêt »
(<KW, cf. tachelhit takwut « tamarix », tahaggart tekewet « fragment de racine d’arbre »)
471
Souag (c. p.) propose de mettre aqemmum en lien avec diqm en arabe.
472
Chat sauvage craint pour sa prédation dans les élevages avicoles.
1. Les expressifs natifs473 : /zˤ/, /ʒ/, /k/, /f/, /b/, /k/, /ʃ/, /l/, /ʒ/
2. Les expressifs empruntés à l’arabe : /ʕ/, /ħ/, [lˤ]
3. Les expressifs d’origine douteuse474 : /tˤ/, /sˤ/, /x/, /q/
Préfixation : Aït Mâad ʕrura « bosse » (<ama R, cf. tamazight du Moyen-Atlas aruru « gros dos »)
Infixation : Jijel-ville ẓaʕbəṭ/yzaʕbəṭ « ruer » vs. abṭuṭ « homme nu » (<ama S- factitif + BḌ)
Substitution de la dernière radicale : Jijel-ville aḳəzzuḥ « fesse » (<ZK, cf. tahaggart tezuk « fesse »)
Les consonnes concernées sont d’origine native : /ʕ/, /ħ/, /lˤ/, /tˤ/, /sˤ/, /x/, /q/, /ʒ/, /k/, /f/, /b/, /k/,
/ʃ/, /l/, /ʒ/ - à l’exception de /zˤ/ qui est emprunté à l’amazigh.
Parmi les consonnes expressives attestées dans les deux langues, nous nous intéresserons aux
pharyngalisées et laryngales qui furent empruntés par chaque langue à sa voisine. La
comparaison de leurs emplois et valeurs nous permettra d’émettre des hypothèses concernant
le processus ayant mené à l’association de ces consonnes avec des notions expressives. Nous
regarderons également ce que les sons empruntés pourraient nous apprendre sur la chronologie
du contact et du processus de changement de langue.
473
Aucune de ces consonnes n’est empruntée à l’arabe, mais la possibilité d’emprunts anciens à d’autres langues
sémitiques de certains d’entre eux n’est pas à exclure.
474
Ce groupe présente des éléments dont l’existence en proto-amazigh comme variantes phonétiques contextuelles
ou expressives est envisageable mais incertaine (Kossmann 2013:184).
475
Dans la tradition afro-asiatique, la pharyngalisation est parfois aussi appelée emphase. Nous éviterons d’utiliser
ce terme qui peut prêter à confusion dans la mesure où il est également employé pour désigner les consonnes
éjectives attestées dans d’autres langues de ce phylum. Par ailleurs, signalons qu’il n’existe pas de consensus
scientifique sur l’origine de la pharyngalisation en arabe et en sémitique.
476
Chaker (1990:11) postule pour la préexistence de seulement deux pharyngalisées fondamentales : /zˤ/ et /dˤ/.
Toutes les autres réalisations pharyngalisées de l’amazigh moderne auraient émergé « soit par un emprunt à
l’arabe (le plus souvent), soit par une emphatisation conditionnée par la présence d’une pharyngalisée vraie ».
L’auteur signale en plus des emprunts à l’arabe l’existence d’exceptions « rarissimes » : des pharyngalisées
correspondants à des « emprunts sémitiques très anciens, résidus de stades linguistiques antérieurs,
emphatisations expressives… ».
Dans les deux langues, il arrive que des consonnes initialement non-pharyngalisées observent
une réalisation pharyngalisée. Les raisons à cela peuvent être :
- L’addition expressive, sur laquelle nous nous pencherons dans les sections suivantes.
- La réinterprétation des consonnes de mots d’emprunt en pharyngalisées, phénomène
largement attesté dans les emprunts aux langues romanes et à l’osmanli.
Ex. Jijel-ville zbənṭoṭ » célibataire » (Cf. italien sbanditto « exilé »)¸ ṭəẓdam « porte-monnaie » (cf. turque
cüzdan « portefeuille »), Aït Bouycef aṭaluc « taloche » (<fr), ṭṭawa « petite casserole » (cf. turque tava).
- L’expansion du trait de pharyngalisation, qui est une tendance très importante dans les
langues étudiées, parfois difficile à discerner des phénomènes précédents :
Jijélien : JV ẓaṛ/yẓuṛ « visiter », aẓəṛẓuṛ « étourneau » (<ZYR), ẖəẓṛana « canne à pommeau » (<XZR),
La distinction entre héritage et emprunt n’est pas toujours aisée en raison de l’instabilité de ces
consonnes qui peuvent influencer leur voisinage par contamination de pharyngalisation (Galand
1973-1979).
477
Les formes entre parenthèses ne participent pas à la dérivation expressive dans les parlers étudiés.
478
Le phénomène « inverse », c’est-à-dire la perte de pharyngalisation à valeur expressive est également attestée
en amazigh. Un exemple remarquable est donné par le sous-système du touareg dénommé asəġġəlləs ou « parler
doux » (Foucauld 1951:462). Dans cette variété surtout pratiquée par les femmes et les enfants, les consonnes
KRS ~ KRẒ : AB kres « nouer », ṯakrust » nœud » vs. kreẓ « serrer », ṯakureẓma « crabe d’eau douce »
(mozabite ečres « nouer », kruẓ « être étroit », amkurreẓ « étroit », tahaggart ekeres « nouer »,
takerrist « nœud », ikraẓ « être étroit, triste, sévère, pénible », ẓekreẓ « rentre étroit, rétrécir »
D ~ Ḍ : AB addad « chardon à glu » vs. nṭeṭ « être collé », ḥenṭiṭ « gratteron » (zénaga ḍuḍ « téter »,
tamsudud « nourrice », rifain eṭṭeḍ « téter, suer », uḍuḍ « allaitement », tiḍḍa « sangsue », amaddiw
« têtard », kabyle enṭeḍ « être collé, coller », edded « coller au couscoussier », tuṭṭḍa « tétée »,
timerdedda « têtards »)
ST ~ ẒT : AB ustu « fil de trame », aẓeṭ « tisser », aẓetta « métier à tisser », ṯaẓeddiṯ « fuseau »
(Ghadamès esṭu « fil de trame », eẓd « tisser », aseṭṭa « métier à tisser », Siwa asetaw « fil à tisser »,
tahaggart eẓẓ « tisser », zénaga aẓẓi « tresser », asṭa « fait de tresser », uṣṭan « nattes circulaires »
pharyngalisées sont remplacées par leurs équivalents non-pharyngalisées permettant la formation des mots
hypocoristiques. Des formes issues de ces sociolectes pourraient être passées dans la langue courante.
Zemánek (1996) propose une étude statistique de l’expressivité des pharyngalisées en arabe
classique, en comparant les racines présentant des doublons dotés ou non de radicales
pharyngalisées. L’auteur démontre que la pharyngalisation apporte différentes valeurs et degrés
d’expressivité selon le son qu’elle contamine. Zemánek nous apprend également (1996:6) qu’il
existe dans les dialectes néo-arabes un phénomène de dépharyngalisation « stylistique »
également chargé expressivement.
En arabe maghrébin, Zavadovsky (1981) montre que les sons pharyngalisés sont très répandus,
au point que dans certaines variétés, des variantes pharyngalisées existent pour la quasi-totalité
des éléments du système consonantique. Caubet signale que l’apport de pharyngalisation à visée
expressive est attesté en synchronie en arabe marocain (1993:4), de même que Chetrit le décrit
(2016:24) pour le judéo-arabe maghrébin. Mais les sons pharyngalisés en question et les valeurs
qui leur sont associées n’ont pas encore fait l’objet de relevés systématiques dans un parler
maghrébin. Marçais (1956:70) donne un certain nombre d’exemples de mots contenant des sons
pharyngalisées, en opposition à des cognats constitués de non-pharyngalisées, trahissant des
procédés de dérivation expressive liés à l’apport de la pharyngalisation. Les exemples suivants
sont attestés en jijélien :
Nous chercherons à travers les sections suivantes à souligner les spécificités et la répartition
sémantiques des pharyngalisées expressives : /tˤ/, /sˤ/, /zˤ/, [lˤ]480, /rˤ/ et [bˤ] dans les variétés
étudiées.
479
Le même auteur, dans sa description du parler des Juifs de Tunis, nous apprend que ces consonnes sont
particulièrement fréquentes parmi les insultes et les mots désignant les parties sexuelles.
480
Phonème marginal en jijélien
481
Il connaît peut-être une position préfixée dans le mot [AS] aṭerbib « lèvre », mais nous ne sommes pas parvenus
Emprunts à l’arabe : AB aqlallaṭ « nabot » (<QLL + -ṭ), AS ḥujjaṭ « garbon, perdrix mâle » (<ĦŽL + -
ṭ), beṛnenneṭ « se tordre » (<BRM + -ṭ)
En jijélien, ce phonème s’observe uniquement à l’état de suffixe, dans des emprunts à l’amazigh
appartenant au registre péjoratif :
JV ašəkkuṭ « cheveux frisés » (<SKW + -ṭ), məṣṣaṭa « cuisse (Homme) » (<MS + -ṭ), šəllayəṭ « boutons
de transpiration » (<préfixe š- + LWY + -ṭ), zrəmṭiwən « lombric » (<ZRM + -ṭ + diminutif arabe -iwən),
azərmuṭ « obsédé sexuel 482 » (<ZRM + -ṭ), fərfəṭ/yfərfəṭ « se débattre » (<FR + -ṭ), bufərṭəṭṭiw
« chauve-souris, papillon483 » (<FR + -ṭ)
Plusieurs occurrences de /sˤ/ s’entendent dans des onomatopéiques comme ces noms d’oiseaux :
AB abuteṣtaṣ « passereau non identifié », [AB] ṯibiṣbiṣt, AS ṣibbuṣ, AL ṯabiṣbiṣt « roitelet huppé »
Dans les noms de la « galipette » d’origine native ou empruntée selon les parlers, on observe
un suffixe /ayeṣ/ dont l’élément /sˤ/ pourrait être d’origine expressive ; ou venir de la
propagation d’emphase des pharyngalisées qui le précède :
D’autres présences de /sˤ/ dans des termes natifs potentiellement chargés expressivement sont
à signaler mais ici encore, il est possible qu’il s’agisse de contamination à partir de radicales
pharyngalisées plus anciennes.
AB arṣeṭ « pus » (<RSḌ, cf. tahaggart irseḍ « être pourri, zénaga amarrasiḍ « puant »)
à retrouver sa racine (taâmoucht aleɣbib « bouche » est sans doute lié). Siwa aḥerbib « bouton d’acné » en est
probablement un cognat contenant l’expressif emprunté /ḥ/.
482
Souag (c. p.) suggère une influence de l’arabe šəṛmuṭa (emprunt de l’arabe à l'accadien).
483
Nous avons constaté une variation de ce sens pour ce mot entre nos informateurs du parler de Jijel-ville.
484
Cf. tamajeq ekrem « replier une chose sur elle-même, être replié , se replier ».
Sa géminée /sˤ:/ pourrait avoir une origine expressive dans quelques mots du fonds amazigh en
tasahlit ainsi que dans quelques amazighismes du jijélien :
Tasahlit : AB iṣṣan « excrément(s) » (<Z, cf. iẓẓan « excrément(s) »), tayert eẓẓan « excréments,
Néfoussa zinoz « excréments »), ameṣṣaṣ « plantain » (<MS, cf. Ouargla amessas « fade »)
Jijélien : JV məṣṣaṭa « cuisse (Homme) (<MS(Ḍ) ?, cf. tasahlit ṯamessaṭṭ « pilon », tamazight du Moyen-
Atlas tamsaṭṭ ~ tamessaṭṭ « fesse », Taïfi 1992:437), aməṣṣaṣ « fesse » (<MS, cf. tasahlit ammas
« bassin », chaoui ammas « milieu du corps », tahaggart âmmas « partie inférieure d’une chose »)
AB glilleẓ « se rouler dans la poussière (<GLZ), aguliẓ « reste de nourriture (<GLZ), aḇeẓwal
« myope » (<préfixe b- + ZW), aḵelbubbeẓ « mioches » (<préfixe kel- + B + -ẓ), aẓelbub « lèvre
vaginale » (<ZBR/L), aẓellum « saignée » (<ZLM), hebbaẓ « chien sauvage » (<BRZ ?), AS aɣẓiẓ
« micocoulier » (<ƔZ), tuẓdamt « asperge » (<ZDM), tarebbaẓt « bouillie » (<(R)BZ)
Cette consonne expressive est également observée dans de nombreux mots du substrat amazigh
du jijélien où elle remplace /z/ ou /s/ :
AJ bəẓwa « petite bosse » (<WZ), rəbbuẓa « purée de navet » mərməẓ « farine torréfiée » (<(R)BZ),
(<RBZ), aḳinuẓ « marcassin » (<GZN486), ẓaʕbəṭ/yzaʕbəṭ « ruer » (<BḌ + suffixe -ṭ), AM ţakurəẓma
« crabe d’eau douce » (<KRS), afulaẓ « jaune d’œuf » (<FRZ)
Elle est aussi fréquente dans les mots natifs associés à des valeurs péjoratives :
JV ṭəẓẓ « vagin » (<ṬZZ), ažṛad « criquet », AM xẓa/yəxẓi « maudire » (<H̱ZY), xẓəṛ/yəxẓəṛ « regarder
indiscrètement » (<H̱ZR), žəṛd « rat noir »
485
La pharyngalisée originelle de ce mot viendrait d’une assimilation régressive de la radicale /ḍ/ cf. Tachelhiyt
izgḍ « rage ».
486
Souag (c. p.) propose de mettre ce mot avec l’arabe xinnawṣ (emprunté en taâmmoucht axennuṣ
« marcassin »).
Tasahlit : AB aɛeẓẓug « malentendant » (<ẒG), axiẓẓuṭ « entrejambe » (<x- + Z + suffixe -ṭ), ẓẓelṭ
« sperme »
Jijélien : JV aẓẓar « mygale » (<ZR), bəẓẓ ~ bəẓẓiw « mioche » (<MẒY), ẓẓal « sperme »
Son équivalent tendu [lˤ:] est également attesté à Jijel-ville dans l’emprunt suivant :
ḅəḷḷəḷḷu ~ ḅəḷḅəḷḷu « scarabée rhinocéros » (<FLW/Y, cf. abublaw « machaon », tahaggart felwwet
« scintiller », afuflelu « miroitement », kabyle flewflew « scintiller », flali « surgir, briller »)488
Autrement, en tasahlit comme en jijélien, [lˤ:] s’entend surtout dans les mots et formules
contenant le noms arabe de Dieu489 :
AS azeṛṛayeq « fourmi mâle (ailée) » (<ar ZRQ), acaɣaṛ « sar » (<roman), aqaciṛ « chaussette » (<osm),
taṛisṛist « cerisier » (<français)
487
Cf. tahaggart beluleɣ « tourner des yeux », abalalaɣ « objet sphérique »
488
La pharyngalisation observée par ce mot pourrait être d’origine onomatopéique, par imitation du bruit sourd
caractéristique émis par le frottement des ailes de ce coléoptère en vol.
489
Cf. Fischer (1925:544) pour l’étude de la pharyngalisation dans le nom arabe de Dieu
490
Au sémitique ou à une autre langue de contact ancienne ; Chaker (2003) propose une origine latine.
/rˤ/ est aussi attesté dans quelques mots natifs où il pourrait avoir être associé à une valeur
expressive. Cela semble être le cas dans la paire minimale suivante :
(<NYR, cf. aɛnur « front », kabyle anyir « front », tahaggart enar « sourcil », Ouargla arnay « front »)
AS awejj̣ eṛ
̣ « fruit arrivé à maturité ouvert/fendu » vs awejj̣ iṭ̣ « unité de poivron »
(<*awejji ? Cf. Kabyle tiwjit « pommette » et taweǧǧiṭ « testicule », tamazight du Moyen-Atlas awejj̣ ạ
« partie ronde d’un os », etc. (cf. Kossmann 1999:231).
En jijélien, /rˤ/ est répandu dans les mots natifs de même que dans les emprunts aux langues
romanes et à l’osmanli ainsi que dans les latinismes empruntés via le substrat amazigh :
JV aḳəṛniṭ « poulpe » (<roman), bəṛnus « burnous » (<ama <lat492) AM abibṛaṣ « ail triquètre » (<ama
<lat, cf. Garaoun 2020), AM abəṛniq « fourmi ailée » (<BRQ)
Il est plus rare dans les amazighismes, où il pourrait éventuellement correspondre à un suffixe
expressif par exemple dans le mot suivant :
AM aqəžžuṛ « figue(s) sèche(s) fendue(s) en deux » (<G « intérieur » peut-être contaminé par ƔR, cf.
qqur « sécher » ?), cf. kabyle aq°jaj « figues sèches de mauvaise qualité », eqj°jej « être fané, ratatiné
(fruit, figue, spécialement légume) »493
Les exemples de mots dans lesquels /rˤ/ pourrait correspondre à un ajout expressif sont encore
trop peu nombreux pour que l’on puisse tirer des conclusions à son sujet.
491
Noter AS aɛnennuṛ « déjection d’origine animale ».
492
Burra/burrus (Chaker 2003:5)
493
Voir également discussion sur le maltais qajjar « faire sécher des vêtements au soleil » dans Souag (2018:197)
En jijélien, elle est observée dans une poignée d’amazighismes : des onomatopéiques et une
variante du nom de parenté « mon père », dans lequel [bˤ] contient une charge affectueuse495 :
JV ḅaḅa (~ baba) « (mon) père, papa » (<B), ḅəḷḷəḷḷu « scarabée rhinocéros » (<FLW/Y)
Il ne nous est pas possible de déterminer l’origine de cette pharyngalisée qui n’est attestée dans
aucun des proto-systèmes.
De la même manière que Zemánek (1996:50) en a conclu pour l’arabe classique, il nous faut
insister sur la difficulté de qualifier les doublets pharyngalisée/non pharyngalisées dans les
langues étudiées. Différentes charges émotionnelles ont permis la lexicalisation au moyen de
l’addition de sons pharyngalisés, mais la diversité des sémantismes des mots expressifs rend
leur identification ardue. Nous pouvons seulement dire pour le moment que le sémantisme est
le plus souvent négatif, dans quelques cas onomatopéique et exceptionnellement affectueuse.
Voyons maintenant ce qu’il en est des deux pharyngales empruntées par l’amazigh à l’arabe.
AB ṯaɛḇuḇt « bosse » (<ɛ- + B), aḵeɛḇuḇ » tumosité » (<préfixe k- + ɛ- + B), azeɛlul « morve » (<ZL),
ṯaẓɛumt « anus de nourrisson » (<ẒMY), aḇerɛalliw « têtard » (<préfixe ber- ƔL), AS ɛujjeṭ « maigrir
494
Mot sans doute à relier au patronyme médiéval des Maloussa ainsi qu’au toponyme colliote à l’origine du nom
de la commune de Tamaloust qui est une région de plaines marécageuses située à l’est de la péninsule colliote.
495
Différentes variantes du nom du père et de la mère contenant des pharyngalisées sont attestées un peu partout
en arabe maghrébin (pour le marocain, voir Heath 2002:400-403).
496
Historiquement, selon Meillet et Cohen (1952:157) ces pharyngales auraient préexisté dans un état de langue
antérieur au proto-amazigh, avant de disparaître, puis d’être réintroduites par l’emprunt de l’arabe par beaucoup
langues amazighes contemporaines.
Son correspondant tendu /ʕ:/ est plus rare. Il s’entend en tasahlit dans beaucoup
d’onomatopéiques et d’interjections (cf. annexes), ainsi que dans quelques mots expressifs
d’origine souvent non déterminée :
AB ḇeɛɛej « faire mal au ventre », aḇeɛɛuc « insecte » (<BƔW + suffixe -uc), amɛuc « chétif », ḇeɛɛeṛ
« poignarder », keεεeẓ « railler », ḇeɛɛa « monstre évoqué pour effrayer les enfants », ameɛɛay
« beaucoup » (vs. ṯamɛayṯ « conte »498 < ɛ- + MY)
Cette consonne expressive est également passée dans quelques termes amazighs substratiques
de l’arabe jijélien :
JV ʕəggun « bègue, idiot » (<ʕ- + GNW), ʕəbbaẓa « mélange » (<ama ʕ- + (R)BZ), ẓaʕbəṭ/yzaʕbəṭ
« ruer » (<BḌ + suffixe ṭ), ʕərʕura « bosse » (<RW) ; AM ʕrura « bosse » (<RW), ʕbəẓ/yəʕbəẓ
« écrabouiller » (<ʕ- + (R)BZ)
La relative rareté des amazighismes contenant /ʕ/ expressif en jijélien en comparaison avec les
données de la tasahlit laisse à penser que le substrat amazigh du jijélien n’avait pas encore
atteint un stade important de diffusion de /ʕ/ expressif à travers son lexique natif. Les
amazighismes contenant /ʕ/ sont tous de grande diffusion en jijélien, ils pourraient correspondre
à des emprunts à une strate d’amazigh contemporaine ou à des emprunts intra-arabes plutôt
qu’à des rétentions de l’amazigh substratique.
497
Peut-être contaminé par l’arabe ŠʕŠʕ (cf. ceɛcaɛ « être coloré, fleuri ») (?)
498
Voir également tahaggart emay « conte »
499
Cf. kabyle oriental qummec « s'accroupir pour faire ses besoins »
AB aṛeccaḥ « marécage » (vs. AS aṛeccac <RŠŠ + -ħ), kelleḥ ~ qelleḥ « duper » (<KLH̱), cṭuḥ
cṭuḥ » doucement » (<ŠYʔ + -ħ), sseḥneq « étrangler », ḥenqiqa « hoquet » vs. ṯaxnaqṯ
« gorge (relief) » (<H̱NQ)
En jijélien, /ħ/ expressif est attesté à travers un nombre important d’amazighismes où il occupe
la position de suffixe, plus rarement de préfixe :
JV fəħšuš « généreux » (<βKɁ500), zərbuħa « lézard » (<ZRM + -ħ), ḳərḳuħa « occiput » (<ƔR, racine
relative à la dureté et/ou KR501 + -ħ), aḳəzzuħ « fondement » (<ZK + -ħ), aķruħ « individu petit de
taille » (<KRM), AM aģəħģuħ « restes de nourriture donnée aux chiens et aux chats » (<KC502), ħəlkiš
« ingrédients magiques » (<ħ- + *TYɁ503), mqəzzəħ qualificatif injurieux (<ZK + -ħ), žəħniṭa « queue
d’oiseau » (<préfixe -ž + ħ- + NḌ)
On le retrouve également dans un mot d’origine native suffixé au moyen de deux consonnes
expressives : JV šwiṭṭəħ « peu », šwiṭiṭəħ « très peu » (<ŠYʔ + ṭ + ħ, cf. šwiyya « un peu »504).
Un cas intéressant est représenté par le mot désignant une recette de soupe ou bouillie d’herbes
sauvages propre à la région. Dans les parlers étudiés, ce plat est appelé ḥarbiṭ en tasahlit contre
arbiṭ ~ aṛbiṭ en jijélien (Garaoun 2020). Les deux formes trouvent leur origine dans la racine
amazighe W/BRḌ (Garaoun 2020), la variante tasahlit présente un préfixe expressif /ħ/ qui
disparaît dans les parlers jijéliens frontaliers de la tasahlit, mais que l’on retrouve dans les noms
de ce plat de parlers jijéliens (et colliote) montagnards pratiqués plus à l’est (ḥarbiṭ ~ ḥarbiṭa,
etc.). La forme arbiṭ est empruntée par le jijélien à une strate d’amazigh plus ancienne que
500
Cf. Kossmann (2020:16). Souag (c. p.) propose un étymon arabe FĦŠ.
501
Cf. tasahlit aḵerḵur « tête, extrémité ». Souag (c. p.), propose de mettre « ḳərḳuħa plutôt en lien
avec aqelqul ailleurs en amazigh, lui-même de qullah en arabe ».
502
Cf. chaoui des Amouchas agəḥguḥ « viscères blancs (d’animaux) », kabyle occidental (Imchedallen) akeckuc
« poumons d’animal »
503
Aït Mâad ħəlkiš est un cognat de la tasahlit iḥeckulen ~ iḥekculen « poison, ingrédient magique » dans lequel
on reconnaît le verbe eck « manger » (<*TYɁ) devenu ečč ~ ecc par assimilation en tasahlit et les radicales /l/ et
/ḥ/ sans doute à valeur expressive. Souag (c. p.) propose un étymon arabe – šakl –, avec préfixation de ḥ-.
504
Proposition transmise par Kossmann (c. p.). Les dérivés de cet adverbe arabe sont très répandus en amazigh-
Nord : rifain cwayt « peu », cwitti « très peu », kabyle ciṭ ~ cwiṭ « un peu » ciṭṭuḥ « très peu », tasahlit ciṭ « un
peu », cettuḥ ~ cettut ~ cuttuḥ « très peu », etc.
Dans les deux langues, /ħ:/ est surtout attestée à travers le lexique interjectif et enfantin, dans
des mots dont les étymons sont difficiles à identifier (cf. tableaux 113 & 114 de l’annexe).
Contrairement à /ʕ/, /ħ/ est assez fréquente dans les amazighismes du jijélien dans des formes
souvent très localisées, ce qui suppose un emprunt ancien de celui-ci par le substrat amazigh du
jijélien, qui avait commencé à lui attribuer des fonctions expressives permettant sa diffusion
dans le lexique expressif.
Les consonnes /x/ et /q/ sont connues de l’arabe ancien. En amazigh, elles pourraient
correspondre à des emprunts à l’arabe ou à des variantes phonétiques du proto-phonème /ɣ/
(Kossmann (2013:196). En effet, /q/ et en particulier son correspondant géminé, pourraient
avoir fonctionné en proto-amazigh comme des variantes de /ɣ/ par changement de manière
d’articulation. /x/ pourrait quant à lui avoir fonctionné comme une variante contextuelle
assourdie de /ɣ/.
L’origine de [t͡ʃ] est mystérieuse aussi bien en amazigh septentrional qu’en arabe maghrébin où
elle est largement attestée dans des mots natifs ou d’origine inconnue. Il faut envisager que son
origine puisse se trouver dans le contact avec une autre langue méditerranéenne.
Regardons ce qu’il en est de la répartition de ces sons dans les parlers étudiés et de leurs
utilisations et valeurs comme ajouts expressifs.
AB xsi « éteindre » (<ƔSY), ixses « maceron » (<ƔS), talaxt « argile » (<LƔ), taxsayt « courgette »
(<ƔS)
En tasahlit, l’ajout d’un /x/ expressif n’est attesté que dans lexique péjoratif. Ce phonème est
préfixé ou vient remplacer une radicale d’origine dans des mots natifs et quelques emprunts :
AB : axlul « morve » (<ƔLY506), axenfuc ~ axencuc ~ axenfuf « museau, gueule » (<NFR507), acaxxuṭ
« torche » (vs. aḵeccuṭ « morceau de bois »), axenẓiẓ » mucus (<NZR 508 ), amxuj « trou » (<ƔZ),
ameltax « fade » (<LMƔ ?509) AS : sxencuceṛ « couler du nez » (<NSR510), sxerwi « faire n’importe
quoi » (<RWY), bbeltex « se putréfier » (<LMƔ ?)
Emprunts à l’arabe : AB aṭenṭix « gifle » (<ṬNṬN), axecwal « morceau de tissu » (<osm ŠWL511)
Son correspondant tendu /x:/ est rare, il contamine des mots à connotation très péjorative mots
contenant d’autres consonnes expressives :
Aït Bouycef ixxan « excrément(s) » vs. ~ iẓẓan, cf. taxna « anus » (<Z/Ẓ)512
L’arabe jijélien connaît une poignée d’emprunts à l’amazigh présentant les phonèmes /x/ et /x:/
porteurs de valeurs expressives péjoratives :
[x] expressif : AJ ḫəmfufa « museau », AM aḫənšuš « nez » (<NFR513), ašmuḫ « cruche à transporter
l’eau », čəmməḫ « piquer dans l’eau » (<préfixe expressif C-/Č- + LMƔ), baḫḫa « renard » (<ama BĠ)
505
Cette évolution est généralisée dans certaines variétés en de nombreuses positions, comme par exemple dans la
tachelhiyt des Ntifa (Laoust 1918:14).
506
Kossmann (1999:237) propose comme étymon l’arabe XNN qui a pu contaminer la racine amazighe proposée.
Nous soumettons cet étymon amazigh car il existe beaucoup de cognats pour ce terme ne présentant pas de nasales
en amazigh : Figuig axlul « morve », rifain axrur « morve », tachelhiyt ax°lil « morve » et surtout la forme de la
tachelhiyt médiévale imeɣlilen.
507
Le changement de la radicale R finale en C pourrait correspondre au suffixe diminutif/péjoratif -UC.
508
La racine NZR renvoie au nez, avant son évolution dans axenẓiẓ celle-ci est sans doute passée par la formation
expressive K (préfixe expressif) + NẒR (cf. kabyle akenẓiẓ).
509
Tamazight du Moyen-Atlas šermex « être fade » ; la suite LMƔ est associée à la notion d’entrer ou de plonger
dans l’eau, celle de fadeur (alimentaire) pourrait découler du risque, lorsque l’on verse dans d’eau dans un plat,
qui celui-ci devienne fade. La présence d’une radicale T est difficilement explicable, il est possible que ce mot soit
d’origine composé avec une seconde racine.
510
Contaminé par l’arabe XMŠ (?)
511
AS ccwal « haillons »
512
Il faut considérer pour ce mot la possibilité d’une influence direct de l’arabe xṛa « exrément » (cf. Souag, c. p.).
513
Cf. JV ţanfura « narine » influencée par l’arabe XŠM (?)
√ƔR : aɣurar « sécheresse » vs. qqur « être sec », uqqaṛ « figue verte »
√LƔ : AB amelɣiɣ « fontanelle » vs. aleqqaq « mou », taleqqa « mie », timelquqa « pâtisserie »
L’origine de [q] simple est incertaine, cette consonne pourrait avoir été empruntée à l’arabe. En
effet, dans la plupart des parlers amazighs, [q] simple s’observe surtout dans les emprunts à
l’arabe et les formations expressives (Kossmann 1999:242). Son passage dans des mots
expressifs est ancien, puisqu’Al-Idrissi au 12ème siècle rapporte le nom de la capitale Koutama
Ikedjan515, qu’il interprète dans l’amazigh iqjan « chiens »516, terme attesté dans beaucoup de
parlers amazighs septentrionaux, dont certains parlers tasahlits:
Cf. Aït Segoual aqjun « chien » vs. agzin « chiot »517 <GZN
/q/ s’observe surtout dans des mots à connotation négative. Lorsqu’il vient remplacer
d’anciennes radicales, celles-ci correspondent le plus souvent aux post-palatales /k/ ou /g/.
514
Cf. Naït-Zerrad (1998:836)
515
Transcrit en caractères arabes اىكجان
516
Transcrit en caractères arabes اقجان
517
Voir également Kossmann (1999:12) au sujet de ce mot
518
Cf. Kossmann (1999:161) : tamazight du Moyen-Atlas agezmir « jonc », mozabite aǧeẓmir « chaume », etc.
519
Verbe factitif dérivé d’un ancien nom du singe ?
520
Mot à mettre en relation avec le kabyle ajniḍ « ânon » (Basset 1929, carte 21) et la tachelhiyt acniḍ « mulasse »
Il est parfois observé comme préfixe augmentatif dans des emprunts à l’arabe :
AS qawsas « gros vers, sorte de démon » (<SWS), AB qḇaḇuc « coquelicot », aqaḇuc « bol » (<BWŠ)
L’arabe jijélien connaît quelques emprunts à l’amazigh présentant un /q/ à valeur expressive :
aḳinuẓ « marcassin » (<GZN), šəqquṭa ~ qəššuṭa (~ šəkķuṭa) « mèche » (<SKW + -ṭ), mqəššəṭ ~
mqəžžəṭ « maigrichon » (<GSYḌ521)
Le phonème /q/, préfixé à valeur d’augmentatif se retrouve également dans des amazighismes :
Le préfixe [q] augmentatif est également observé dans des mots natifs :
[k] ➔ [q] JV aṣənḳuṭ ~ aẓənḳuṭ « grappe » (<ama factitif S- + NKḌ), ṭəḳḳuḳ « coucou » (<ama ḌK523)
[g] ➔ [q] AM azəqṭuf « ortie » (<factitif S- + <GḌF<WḌF), aqəššaṭ ~ akəššaṭ « bâton » (<*akesyuḍ524)
(Kossmann 1999:221)
521
Reconstitution proposée par Kossmann (c. p.)
522
Peut-être contaminé par la racine arabe QMQM
523
Cf. TS:AB ṭikku(k) « coucou » et ṭukk « ruer ». Il est dit du chant du coucou qu’il provoque la panique des
bovins les amenant à ruer, Galand-Pernet (1985) démontre c'est pas vraiment le chant du coucou, mais un ver qui
arrive au même temps que le coucou qui provoque la panique des bovins.
524
Reconstitution proposée par Kossmann (c. p.)
En amazigh-nord, la mutation des vélaires [k] et [g] dans l’uvulaire [q] est attestée dans certain
mots comme :
« Bois, bâton » : kabyle aqeccaḍ ~ aq°eccaḍ, Iznassen aqeccuḍ vs. tachelhiyt akccuḍ, chaoui ageccuḍ,
tasahlit aḵeccuṭ
« Capuche » : tasahlit, kabyle aqelmun, rifain aqelmus vs. tamazight du Moyen-Atlas agelmus 525 ,
tasahlit [AS] tagelmust « enveloppe d’une graine »
L’origine de cette évolution dans ces exemples ne paraît ni procéder d’un conditionnement
phonétique ni être liée à l’addition expressive. Dans le parler amazigh oriental d’Awjila, ce
changement fréquent continuerait de progresser en synchronie : Van Putten et Souag (2015) ont
par exemple remarqué que le mot « viande » y est aujourd’hui dit ləqṣum, contre ksúm il y a
un demi-siècle (Van Putten et Souag 2015526).
Nous avons vu que /g/ était rare dans le lexique natif jijélien. Par conséquent /g/ a peut-être été
historiquement identifié comme un son étranger par certains locuteurs, ce qui aurait facilité son
passage à /q/. L’évolution de /k/ ➔ /q/ est plus difficile à expliquer, mais peut se comprendre
comme une analogie sur le changement /g/ ➔ /q/ dans des mots généralement empruntés au
substrat amazigh et perçus comme non-natifs. Ces mutations doivent être qualifiées
d’hypercorrections, elles trouvent leur origine dans une sur-adaptation (nativisation) des
emprunts amazighs, en leur intégrant un phonème initialement caractéristique du lexique arabe.
Layachi (c. p.) nous a indiqué que ce phénomène était aussi connu en arabe Jbala :
Ex. aqrar « grenier fortifié » <*agrar <GRR (cf. AB ṯagrurṯ » unité de plante », JV grura « poulailler »)
En procédant à la mutation [k] ~ [g] ➔ [q], les amazighophones rapprochent leur système
phonétique natif avec celui de l’arabe.
Il nous a été dit chez les Aït Segoual que l’un des traits stéréotypés de la tasahlit pratiquée par
les membres de cette confédération nés à Alger (bilingues tasahlit-arabe) serait de procéder à la
525
Cf. Kossmann (1999:245-245)
526
Kossmann (c. p.) nous a proposé l’éventualité d’une contamination de ksúm par l’arabe qsem « couper », à
l’origine de la forme ləqṣum.
AB bčiw interjection pour appeler le chat, čuy interjection pour appeler les poules à manger, čṛančṛan
« argent (lang. argot.) », AS čekkek interjection pour appeler les chèvres, tasečiwt « gobemouche gris »
AS tačelbiwt « saupe », lečuč « raie torpille », lača « allache », gač « holothurie », etc.
AS tačbeṛnuṭ « squille, mante de mer » (<préfixe expressif Č- + BRM + suffixe expressif -Ḍ)
Son correspondant tendu [tʃ:] se rencontre surtout dans les mots dont la racine connaît
l’assimilation de radicales anciennes :
Enfin, [tʃ:] est observé dans quelques expressifs souvent d’origine inconnue :
AS abeččiḥ « enjambée », amlečičči « objet gorgé de liquide », aleččix « fade », aleččux « détrempé »528,
abeččim (<BCM) « flocon », etc.
Le son [t͡ʃ] est régulièrement observé dans les emprunts au roman (Marçais 1956:2) :
JV nčuba « anchois », čəṛniya « cernier commun », fača « visage », AM lačun « espèce d’alose ».
Dans les deux parlers étudiés, ce phonème s’entend dans des mots natifs où il a remplacé *Šīn :
527
Cf. Kossmann (2008)
528
Souag (c. p.) suggère une relation avec l’arabe LṬX.
La mutation de *Šīn en [t͡ʃ] peut être observée dans plusieurs autres parlers arabes maghrébins
septentrionaux et en particulier du littoral méditéranéen : Béjaïa (Garaoun 2023b, à paraître),
Alger et judéo-arabe algérois (Cohen 1912), Cherchell (Boudot-Lamotte 1973), ghomara
(Naciri-Azzouz 2022), Jbalas (Larej 2020:177-180). Elle y concerne parfois les mêmes noms
ou verbes qu’en jijélien comme dans les exemples suivants :
Alger, judéo-arabe algérois, Béjaïa, Jijel, Collo čəlliq « torchon, serpillière », ghomara čǝrčǝr « couler »
(AM ačaṛuṛ), čǝnčǝn « tinter » (AM ačničən « chardonneret »), etc.
En judéo-arabe algérois, č- peut se présenter sous la forme d’un préfixe comme en jijélien :
čǝqlǝb « bouleverser » (<QLB). À Dellys [t͡ʃ] est surtout attesté dans des mots expressifs
d’étymon inconnu (Souag 2005) :
yeččir « garçon », čəʕlula « balançoire » (<Č- + ʕLY ?), mčəẖčəẖ « excellent »
529
Vs. AM uššəx/yuššəx
530
Cf. AB acicaw ~ acillaw « poussin », kabyle occidental ičewčew, Aït Iznassen icewcew « poussin », tamazight
du Moyen-Atlas acica ~ aceksaw, tighmirt ačawčaw (Mourigh 2015:454), etc. ; cette racine est également passée
dans le parler jijélien des Aït Isâad ašillaw « poussin » et dans l’arabe jebli čawčaw « cri d’oiseau » (Heath
2002:69), etc.
531
Via une forme zénète du type de ucc « donner ».
532
Un emprunt à l’osmanli expliquerait difficilement la présence de [t͡ʃ] jusque dans le Rif occidental. Les langues
romanes sont de meilleures candidates étant donné la répartition méditerranéenne de ce son et les nombreux
emprunts romans le contenant.
Le tableau 22 classe les consonnes expressives relevées en tasahlit et en jijélien selon la manière
dont ils s’insèrent dans les racines amazighes. Le tableau 23 classe ces consonnes expressives
selon les valeurs émotionnelles auxquelles elles sont associées. Les tableaux 24 et 25 donnent
des exemples des différentes consonnes expressives empruntées où d’origine douteuse dans
chaque langue.
Tableau 22 Inventaire des consonnes expressives de chaque langue selon leur position dans
les mots
Tasahlit Jijélien
Étymon <Arabe <Amazigh <Arabe <Amazigh
Préfixé /q/ /x/ /ħ/ /ʕ/ /ʒ/ /ʃ/ /zˤ/ /b/ /bː/ /l/ /q/ /ʕ/ /zˤː/ /ʒ/
Suffixé /ʕ/ /ʕː/ /ħ/ /zˤ/ /zˤː/ /tˤ/ /ʕ/ /ħ/ /zˤ/ /zˤː/ /q/ /tˤ/
Infixé /ʕ/ /ʕː/ Ø ø ø
Remplacement /ħ/ /x/ /xː/ /sˤ/ /sˤː/ /q/ Ø /ħ/ /q/ /lˤ/ [lˤː] ø
d’une radicale
Tableau 23 Inventaire des consonnes expressives de chaque langue selon les valeurs
auxquelles elles sont associées
Tasahlit Jijélien
Valeur <Arabe <Amazigh <Arabe <Amazigh
Péjorative /sˤ/ /sˤː/ /x/ /xː/ /ħ/ /ʃ/ /zˤː/ /f/ /fː/ /ħ/ /x/ /zˤː/ /f/
Augmentative /ʕ/ /ʕː/ /q/ /j/ /b/ /bː/ /ʕ/ /q/ /lˤ/ [lˤː] /ʒ/
Diminutive /ħ/ /b/ /f/ /l/ /ħ/ /b/ /f/
Tasahlit Jijélien
zˤ AL azˤəbtˤitˤ « ventre de nourrisson » (<BḌ) AM bzˤa/yəbzˤi « écraser » (<ama (R)BZ)
zˤː AS izˤːan « excréments » (<Z) JV azˤːar « mygale » (<ama ZR)
ʒ AL θafəʒɣulθ « cosse » (<ƔL) JV buʒəɣlal « escargot » (<ama ƔL)
f AB afəʃːiʃ « pet silencieux » (<SK) AM afəɣnan « irascible » (<ama <ƔN)
fː AL fːunzər « saigner du nez » (<NZR) Ø
b AS abəgruʃ « grimace » (<ar QRŠ) JV bəxʃina « grosse » (<XŠN)
bː AB bːəʕwəq « être orgueilleux (<ar ʕYQ) Ø
k AB açəʕbur « bossu » (<B) Ø
ʃ AB ʃəltˤutˤːəf « s’agripper » (<ḌF) JV aʃətˤnaħ « gros morceau » (<ṬNH)
l AS aləmːitˤ « froid glacial » (<SMḌ) Ø
ʒ AB məʒdiwəl « trébucher » (<DWL) Ø
Tableau 25 Inventaire et exemples des consonnes expressives de fonds amazigh dans les 2 langues
Tasahlit Jijélien
bˤ abˤalusˤ « limon » (<MLS) JV bˤabˤa « (mon) père, papa » (<ama B)
lˤ Ø JV bəlˤbəlˤ/jbəlˤbəlˤ « bavarder » (<ama BL)
lˤː AB abəlˤːitˤ « bêtise, énormité » (<BLḌ) JV bˤəlˤːəlˤːu « scarabée rhinocéros » (<ama
FLW/Y)
ʕ AL θamʕajθ « conte » (<MY) AM ʕrura « bosse » (<ama R)
ʕː AL aməʕːaj « beaucoup » (<MY) JV bəʕːuʃa « bestiole » (<ama BƔW)
ħ AS afunaħ « gros taureau » (<FNS) JV akˤəzːuħ « fondement » (<ama ZK)
tˤ AS atˤərgənːitˤ « salamandre » (<ḌR + GN) JV azəbːutˤ « pénis » (<ZBB)
sˤ AB aβ̞alusˤ « limon » (<MLS) JV asˤənkˤutˤ « grappe » (<ama NKḌ)
sˤː AB isˤːan « excrément » (<Ẓ) JV aməsˤːasˤ « cuisse » (<ama MS)
bˤ AS abˤəʕzˤul « tuméfaction » (<ẒL) JV bˤabˤa « (mon) père » (<ama B)
x AS axənfuf « museau » (<NFR) JV xəmfufa « museau » (<ama NFR)
xː AB aʃaxːutˤ « bois enflammé » (<GSYḌ533) AM baxːa « renard » (<ama BƔ)
q AB θaqiqawθ « espèce de genêt » (<KW) JV kˤərkˤuħa « occiput » (<ama ƔR)
͡tʃ AL t͡ʃrˤant͡ʃrˤan « argent (lang. argot.) » JV t͡ʃit͡ʃəx/jt͡ʃit͡ʃəx « chatouiller »
͡tʃː AS abət͡ʃːim « flocon » (<BCM) AM nət͡ʃːima « flocon » (<ama BCM)
533
Reconstitution proposée par Kossmann (c. p.)
Les associations phono-esthétiques entre ces sons empruntés et différentes valeurs expressives
doivent s’expliquer par le sémantisme des premiers éléments lexicaux empruntés à l’arabe
contenant ces sons. Les sons nouvellement empruntés furent associés à certains champs
lexicaux, d’abord composés d’emprunts, puis élargis aux mots natifs au moyen de l’introduction
de ces sons à l’intérieur de ceux-ci.
Nous avons constaté l’abondance des sons expressifs empruntés dans les onomatopées, les
idéophones, les adverbes de degrés, le langage enfantin, les termes dévalorisants, tabouisés ou
péjoratifs (cf. tableau 113 pour la tasahlit et 114 pour le jijélien en annexe). Il conviendrait de
rechercher parmi les emprunts réalisés dans ces champs dans différentes langues amazighes,
ceux qui pourraient être précisément à l’origine de l’association de ces sons avec des charges
expressives.
Il faut également prendre en compte le fait que les consonnes empruntées en tasahlit,
constituaient des éléments marginaux dans un stade plus ancien de la langue, avant l’emprunt
de très nombreux mots arabes les contenant. Ces consonnes marginales étaient associées à leur
langue d’origine, ne « faisaient pas natif », ce qui a permis leur association à des valeurs
expressives et la productivité de ce procédé de dérivation lexicale aujourd’hui abandonné.
7.6.4.2. En jijélien
Le néo-arabe a hérité d’une expressivité phonématique ancienne, intégrée dans son découpage
sémantique et restée productive dans certaines de ses variétés en synchronie (Marçais 1956:16).
En arabe jijélien, nous avons procédé à l’identification de sons expressifs dans des mots natifs
et empruntés à l’amazigh. Ces expressifs sont natifs à l’exception de /zˤ/, emprunté à l’amazigh.
Les différences de répartition de ces consonnes entre les deux parlers nous ont permis de faire
les observations suivantes :
Le parler des Aït Mâad présente plus de termes substratiques amazighs contenant des sons
expressifs arabes que celui de Jijel-ville. Cela peut être expliqué historiquement : Jijel-ville,
capitale historique des Babors, est sans doute l’une des premières cités arabophones de Kabylie
orientale, son amazigh substratique fut probablement recouvert assez tôt, avant que celui-ci
n’ait procédé à l’emprunt de toutes les consonnes arabes. À l’opposé, l’arabe des Aït Mâad est
Cette situation rappelle celle de l’emprunt de sons expressifs de l’arabe maghrébin en amazigh-
Nord et dans une moindre mesure dans l’autre sens. Dans chaque langue, les sons empruntés
sont à la fois attestés dans les emprunts lexicaux et dans des mots natifs, à travers lesquels ils
se sont répandus en raison de leur usage comme ajouts expressifs.
Nous avons découvert que cette évolution phonétique a également laissé sa trace dans le lexique
amazigh substratique des parlers arabes pratiqués dans le voisinage de ces aires : à savoir en
jijélien et en colliote pour la Kabylie oriental et chez les arabophones Ghomaras-Jbalas dans le
Rif occidental. Ce fait témoigne de l’apparentement entre les variétés amazighes substratiques
de ces régions arabophones et les îlots amazighophones conservés dans leurs voisinages.
- D’une part, le contact extensif avec les parlers de la tasahlit occidentale et méridionale
appliquant le changement *é ➔ /i/ qui est à l’origine de données mixtes dans plusieurs
parlers tasahlits orientaux. Par exemple chez les Aït Segoual, un certain nombre de mots
empruntés à la tasahlit occidentale présentent l’évolution *é ➔ /i/.
- Des phénomènes phonétiques secondaires comme l’analogie et l’harmonisation
vocalique sont à l’origine d’une tendance à la vocalisation *i voir de *u en /a/
conséquente au changement *é ➔ /a/.
Tasahlit *a</a/ : [AS] açli « puceron, prénom donné au garçon né à la suite d’une grossesse ayant conduit
à un décès périnatal »
À l’exception des parlers de la tasahlit orientale et des Ghomaras (cf. Van Putten, Souag et
Garaoun, en préparation) où celle-ci passe habituellement à a- :
Aït Laâlam & Aït Segoual (tasahlit orientale) *é ➔ /a/ : axef « tête »
Aït Bouycef & Aït Segoual izi, Aït Laâlam (Aït Moussa) izzi « mouche », vs. Aït Laâlam (Aït Djara) aza,
cf. Tayert iži
Aït Bouycef & Aït Segoual ṯiṭṭ, vs. Aït Laâlam ṯaṭṭ, cf. Tayert tayert tiṭṭ
Il arrive que dans certains parlers de la tasahlit orientale directement en contact avec la tasahlit
occidentale, comme le parler des Aït Segoual et ceux des fractions orientales des Aït Laâlam,
on puisse observer des mots présentant l’évolution *é ➔ /i/ à la voyelle initiale. Ces mots
534
Il existe également un préfixe vocalique u- et quelques cas de préfixe i- qui correspondent plutôt à des éléments
radicaux issus de la vocalisation des semi-voyelles *w ou *y anciennes.
Aït Segoual : aɣzər ~ iɣzər « cours d’eau temporaire ou lit d’un ancien cours d’eau »
Aït Bouycef : iɣzər « cours d’eau temporaire ou lit d’un ancien cours d’eau »
Tableau 26 La vocalisation du préfixe vocalique dans des noms empruntés par l’amazigh
dans les parlers jijéliens étudiés
Nos enquêtes dans d’autres parlers jijéliens montagnards nous permettent d’affirmer qu’un peu
partout, une voyelle initiale i- pouvait être observée dans quelques noms singuliers à
morphologie amazighe. Souvent, cette vocalisation peut s’expliquer par l’harmonisation
vocalique :
Dans [AM] ţizzi « mouche » (<ama Z), la voyelle initiale /i/ est une conservation de sa
vocalisation en proto-amazigh (cf. tayert iži).
Les noms singuliers à morphologie amazighe de l’arabe jijélien montagnard présentent très
majoritairement une voyelle initiale a-, tout comme les parlers tasahlits orientaux. Cette
caractéristique renforce l’hypothèse d’un apparentement génétique entre le substrat amazigh du
jijélien et la tasahlit orientale. Il conviendrait d’investiguer si ce trait concerne bien tous les
parlers jijéliens. Nous pensons notamment aux variétés pratiquées aux frontières du massif des
Babors, où la présence plus importante de mots à voyelles initiales i- pourrait indiquer
l’existence d’autres substrats amazighs présentant l’évolution *é ➔ /i/.
535
Données tirées d’un article à venir (Van Putten, Souag et Garaoun, en préparation)
Le réflexe *é ➔ /a/ est également observé dans la vocalisation interne de la plupart des noms
empruntés à l’amazigh par les deux parlers arabes jijéliens étudiés comme le démontrent les
exemples du tableau 29.
Tableau 29 Comparaison des réflexes du *é dans la vocalisation interne des noms en tasahlit
et en jijélien
Tasahlit Jijélien
Aït Bouycef Aït Laâlam Aït Mâad Jijel-ville
Aubépine iðmim aðmam admam
Araignée θisːist asːas asːas asːas ~ asas
Hérisson inisi anasi anasi ø
Arbouse sisnu sasnu sasnu
Rue officinale awərmi awərma awərma
Thapsia aðərʝis aðərjas adərjas
En tasahlit orientale, en plus de l’évolution historique interne *é ➔ /a/, on observe une tendance
à la vocalisation de /i/ en /a/. Cela peut être vérifié dans plusieurs emprunts à l’arabe, dans
lesquels /i/ (<*Yāw) est passé à /a/ :
NFY : Aït Bouycef amenfi, vs. Aït Segoual & Aït Laâlam amenfa « exilé »
ZYT : Aït Bouycef zziṯ & Aït Segoual zzit, vs. Aït Laâlam zzaṯ « huile »536
Cette vocalisation de /i/ en /a/ peut être observée dans des mots de la tasahlit orientale et du
substrat amazigh du jijélien dans les latinismes empruntés par l’amazigh durant l’Antiquité :
536
D’après Souag (c. p.) « on peut facilement supposer que la source avait *zzēt, comme plusieurs parlers
orientaux actuels ».
537
Selon Chaker (2013), l’origine de filix en latin n’est pas claire et l’origine latine du mot en amazigh à vérifier.
538
Il s’agit d’un emprunt au latin, cattus ou gattus, passé dans une demi-douzaine de langues amazighes, ainsi
que dans l’arabe du Maghreb oriental (Kossmann 1999:198).
D’après Van Putten (2015) et Souag & Van Putten (2016), le suffixe marquant les noms féminin
pluriel était vocalisé en *é en proto-amazigh. En synchronie, l’amazigh méridional et le siwi
(langue amazighe orientale) proposent toujours des suffixes nominaux marquant le féminin
pluriel vocalisés en /e/ :
En amazigh-Nord, ce suffixe nominal du féminin pluriel est partout vocalisé en /i/, sauf en
ghomara et en tasahlit orientale, où il est le plus souvent vocalisé en /a/ comme le démontre le
tableau 30.
Tasahlit Ghomara
Occidentale Orientale
Aït Bouycef Aït Segoual Aït Laâlam
Yeux θitːˤiwin titːˤiwan θatːˤiwan tatːˤiwan
Sources θaliwin tiʕwinan θiʕwinan taliwan
Cadettes timazˤuzˤin timazˤuzˤan θimazˤuzˤan timazˤuzˤan
Couscoussiers tisəksiwin tisəksiwan θisəksiwan tikəskisan
Oliviers θizəmmrin tizemmraθan θizəmmran ø
Vieilles θimɣarin timɣaran ~ timɣarən θimɣaran θimɣaran539
Œufs timəlːalin timəlːalən ~ timəlːalan θiməlːalan ø
539
Ce mot correspond aux sèmes de « femmes, belles-mères » en ghomara (Mourigh 2015:447), contre « vieilles,
belles-mères » en tasahlit et en kabyle.
Signalons que chez les Aït Segoual, il est possible de rencontrer quelques suffixes du féminin
pluriel vocalisés en /i/ dans des mots sans doute empruntés à la tasahlit occidentale (ex. timẓint
« orge »540), ainsi que des suffixes vocalisés en /ə/, dont origine est moins claire et que nous
n’étudierons pas ici (ex. tibuḏawen « masettes »).
Le tableau 31 présente des noms féminins pluriels à morphologie amazighe dans le parler arabe
des Aït Mâad, comparés avec leurs cognats dans le parler tasahlit des Aït Segoual.
Tableau 31 Les vocalisations du suffixe féminin pluriel amazigh en tasahlit des Aït Segoual
et dans des amazighismes de l’arabe des Aït Mâad
540
AL timẓin mais Aït Nabet (Iâayaden) timẓan ; l’emprunt du nom de cette céréale est sans doute dû au
commerce.
541
Dans le parler de Jijel-ville n’a pas emprunté ces suffixes. Les noms féminins pluriels à morphologie amazighe
sont marqués au moyen du suffixe du féminin pluriel arabe -aţ : alusa « belle-sœur » ➔ pluriel alusaţ, ţaġura
« tortue d’eau » ➔ pluriel ţaġuraţ, etc.
542
L’origine des suffixes de noms amazighisés féminins pluriels vocalisés en /ə/ dans certains parlers tasahlits
orientaux et en arabe jijélien/colliote est moins claire, nous tenterons de l’éluder dans un futur travail.
Nous proposons dans le tableau 110 de l’annexe une liste des toponymes des Babors
correspondant à des noms féminins pluriels à morphologie amazighe.
En dehors de notre région d’étude, nous avons repéré des noms féminins pluriels à morphologie
amazighe à travers la toponymie du massif de Collo et du Rif occidental, nous les avons listés
respectivement dans les tableaux 111 et 112 de l’annexe. Dans le massif colliote, ce trait
morpho-phonétiques partagé avec les parlers des Babors témoigne de l’existence d’un lien
génétique entre les substrats amazighs du jijélien et du colliote d’une part et la tasahlit orientale
d’une autre. Dans le Rif occidental, cette caractéristique témoigne d’une relation entre le
substrat amazigh de l’arabe des Jbalas-Ghomaras et les parlers des derniers villages Ghomaras
restés amazighophones.
(1) d’une part du fait qu’il n’existe en amazigh qu’un seul phonème inconnu du proto-
préhilalien, le phonème /g/, qui a été emprunté par le jijélien à son substrat amazigh ;
(2) d’autre part, qu’il soit souvent difficile, sinon impossible d’affirmer l’origine de
réalisations ou de développements phonético-phonologiques régionaux. C’est par
exemple le cas de la refonte du système vocalique observée en tasahlit comme en jijélien,
qui peut être considérée comme une convergence régionale.
Nous avons également vu que les emprunts lexicaux du jijélien à l’amazigh présentaient des
caractéristiques nous permettant d’affirmer l’apparentement entre le substrat amazigh de l’arabe
jijélien et la tasahlit (appartenance au type amazigh septentrional non-zénète et évolution *é ➔
/a/). Ces données nous permettent d’affirmer l’existence d’un lien génétique entre la tasahlit et
les variétés d’amazigh éteintes, autrefois pratiquées dans les pans des Babors où l’on parle
543
Selon la nomenclature de Van Coetsem 1988, 2000
D’une manière générale, les emprunts lexicaux de chaque langue à sa voisine présentent peu de
mutations phonétiques inconnues dans la langue source. Ces emprunts ne paraissent pas
étrangers aux locuteurs. Ils passent souvent pour natifs, puisqu’ils ne présentent pas de
phonèmes/sons rares permettant de les caractériser. D’une manière générale, il est possible de
dire que les systèmes phonético-phonologiques des deux langues se sont fortement rapprochés
et partagent aujourd’hui un important tronc commun sans s’être complètement détachés de leurs
socles d’origine.
Dans ce chapitre, nous présenterons d’abord (1) pour chaque langue les paradigmes
pronominaux autonomes, (2) les paradigmes pronominaux clitiques puis (3) les indices
personnels, en décrivant à chaque fois les phénomènes de contact identifiés.
Dans le sous-chapitre 7, nous développerons les problématiques liées au suffixe expressif -i(n)a,
dont nous faisons l'hypothèse qu'il est d’origine amazighe et a été emprunté par le jijélien. Dans
le sous-chapitre 8, nous traiterons des suffixes expressifs -a ~ -i et ~it, également empruntés
par le jijélien à l’amazigh, selon notre analyse.
« Peut-être que c’étaient eux qui les vendaient. (Aït Segoual, 2020) »
milan nətːat=a
à qui 3SG.F=EXP
544
Notons le caractère original des pronoms de troisième personne SG.M wannahen, SG.F ṯannahent, PL.M
winnahen, PL.F ṯinnahent chez les Aït Laâlam. Ces formes sont propres à certains parlers de la tasahlit orientale,
elles trouvent leur origine dans d’anciens démonstratifs.
2 M iç ç iç jiç ~ ç
F im m im jim ~ m
3 M aθ ~ [AS & AL] aj [AB] θ ~ [AS & AL] j [AB] aθ ~ [AS & AL] a ~ 3OI=t [AB] jaθ ~ [AS & AL] ja
F [AB & AL] atː ~ [AS] at [AB & AL] tː ~ [AS] t [AB & AL] atː ~ [AS] at ~ 3OI=t(t) [AB & AL] jatː ~ [AS] jat
F iwənt wənt [AB & AS] iwənt ~ [AL] içumt [AB & AS] jiwənt ~ [AL]
jiçumt
3 M an jan ~ n an jan
F am m am jam
F [AB] awənt ~ [AL] açumt [AB] wənt ~ [AL] çumt awənt ~ [AL] açənt jawənt ~ [AL] jaçənt
F [AB & AL] asənt [AB & AL] sənt asənt jasənt
545
Le signe =D renvoie aux différents allomorphes du clitique déictique verbal (i)d(d).
SG 1 =i ø =nəkː
2 M =iç =ç =ʃəkː
F =im ø =ʃəmː
3 M =s =nətːa
F =nətːat
PL 1 M =nːəɣ =nəçni
F =nːtəɣ =nəkːnti
3 M =nsən ø =nuɦni
izˤər « pour » dːaw « en-dessous » ʝar « entre » ɣur « chez » fəlː « sur »
SG 1 i i ø ø a
2 M əç əç aç
F əm əm am
3 əs s əs as
546
La ressemblance avec le pronom arabe homophone de 1PL -na est fortuite, les deux formes ont certes une origine commune mais celle des Aït Segoual n’a pas été empruntée.
En effet, son équivalent dans la majorité des parlers tasahlits et amazighs septentrionaux est =neɣ et la vocalisation de [ɣ] final en [a] est fréquente en amazigh septentrional
dans ce pronom clitique : Kétamas (Gutova 2021:283), Atlas blidéen (Laoust 1912:49), Ouargla (Delheure 1989:207), etc.
Devant Devant voyelle Devant Devant voyelle Devant consonne Devant voyelle
consonne consonne
547
À propos de la distinction entre les compléments de nom en n(n)- et en i- voir Prasse (1976:171-172).
F. courtes F. longues
2 M =ç =nəç =ç =nːəç
F =m =nəm =m =nːəm
3 =s =nəs =s =nːəs
F =ntəɣ =θəntəɣ
Les pronoms clitiques de la tasahlit peuvent être classés en six groupes de séries, selon leur
région et les éléments qu’elles viennent déterminer. Les exemples suivants illustrent chacun de
ces six groupes :
1) Les pronoms régime direct enclitiques associés à des prépositions (plusieurs séries)
ii. Enclitiques
a-ɦw=ajən i-ʒːa=jas=t
PRES-3SG.M=ANAPH 3SG.M-laisser\ACC=OI3SG=OD3SG
aj a-nəgːar n t-zi-wan=iç
ii. Enclitiques
nə-qːarˤ=asənt f snan
« La viande est pour toi et la cuisson pour moi. (Aït Segoual, 2019) »
Il existe aussi, dans les trois parlers tasahlits étudiés des séries supplétives de pronoms régime
direct affixés associés aux verbes associés au clitique directionnel add, ainsi qu’à plusieurs
pseudo-verbes548 et aux interrogatifs. Ces séries sont concernées par plusieurs phénomènes de
contact avec l’arabe et seront présentées en détail dans la section 2.2.6.
548
Nous définirons les pseudo-verbes comme des mots pouvant prendre des pronoms clitiques sans être des verbes.
AB AS AL AB AS AL AB AS AL
3PL + + + + +/- + + + +
Cette variation concerne les trois parlers et les trois personnes. Toutefois, nous pouvons
remarquer que le parler des Aït Segoual et la première personne du pluriel sont les plus touchés.
Nous nous sommes demandé si le contact n’était pas à l’origine de ces développements, puisque
le jijélien, comme tous les parlers préhilaliens et la majorité des parlers néo-arabes, ne présente
pas d’opposition de genre aux personnes du pluriel.
En amazigh, le marquage du genre est souvent absent à la première personne du pluriel des
pronoms clitiques, plus rarement des pronoms autonomes. Cette variation amène Kossmann
(2013:292) à proposer que l’opposition de genre à la première personne du pluriel pourrait ne
pas être ancienne en amazigh. Selon cette hypothèse, cette opposition constituerait dans les
variétés qui l’appliquent, une innovation par analogie sur les autres personnes du pluriel. En
Nous ne ferons aucune proposition pour l’opposition de genre à la première personne du pluriel,
dont le comportement varie selon les variétés et les paradigmes, pour des raisons peut être liées
à des éléments particuliers du contexte d’enquête : genre des enquêteurs et méthodologies
d’enquête, entre autres549.
Aux deuxième et troisième personnes, la perte d’opposition de genre observée dans certaines
séries chez les AS et les AL constitue clairement une innovation. Cette opposition est observée
dans les différents paradigmes pronominaux de la quasi-totalité des parlers amazighs. Sa chute
n’est attestée que dans les langues amazighes connues pour leur nombre important de
phénomènes de contact avec l’arabe au niveau grammatical : à savoir les parlers ghomaras
(Mourigh 2015:227), kétamas (Gutova 2021:454), senhajas de Sraïr (Gutova 2021:454) et de
Siwa (Souag 2010:46). Dans cette dernière variété, Souag (2010:46) considère l’absence de
cette opposition de genre comme l’effet possible du contact avec l’arabe.
En suivant le même raisonnement, nous considérons la chute d’opposition de genre aux seconde
et troisième personnes du pluriel de certaines séries pronominales clitiques chez les AS et les
AL comme le résultat d’un calque syntaxique sur l’arabe.
549
En effet, ces pronoms sont exclusivement employés par les femmes, aussi, cette variation pourrait parfois être
liée au fait que la majorité des linguistes ayant étudié l’amazigh sont des hommes travaillant à partir de consultants
masculin (notamment pour des raisons de difficultés d’accès à l’enquête linguistique auprès des femmes). Ces
conditions ont probablement favorisé l’absence de ces données dans les enquêtes, aussi bien en travaillant par
élicitation qu’en analysant des corpora réalisés dans des espaces masculins ou mixtes.
Dans l’ensemble des tableaux qui suivront, nous avons différencié les éléments natifs (en rouge),
des éléments empruntés à l’arabe (en vert).
Tableau 40 Les pronoms clitiques associés au pseudo-verbe mazal ~ bazal ~ maʒal « (pas)
encore » dans les trois parlers étudiés (les éléments de fond amazigh sont coloriés en rouge
et ceux de fond arabe en vert)
Le tableau 42 présente les paradigmes de pronoms clitiques hybrides associés aux interrogatifs
empruntés à l’arabe ayen « où » (étudié dans la section 1.1.5 du chapitre 5) et ama « quel » (cf.
étudié dans la section 1.1.4 du chapitre 5).
Tableau 42 Les pronoms clitiques associés aux interrogatifs empruntés à l’arabe ayən=
« où » et ama= « quel » dans les trois parlers tasahlits étudiés (les éléments de fond amazigh
sont coloriés en rouge et ceux de fond arabe en vert)
Le tableau 43 donne les clitiques empruntés, hybrides ou natifs, associés à l’interrogatif men
« qui », uniquement chez les Aït Segoual. Les autres parlers TS étudiés ne font pas suivre
menhu « qui » de pronoms clitiques d’objet direct, l’élément hu d’origine pronominale s’y
trouve complètement figé.
Aït Segoual
Masculin Féminin
Il existe en outre chez les AB un pseudo-verbe d’étymon hybride : ttfiḥal « ne pas avoir
besoin » (<ama tt- préfixe intensif + ar. fi « dans » + ħal « état »)550, ainsi qu’un pseudo-verbe
natif : (iw)ulac « il n’y a pas »551. . Les deux sont également concernés par les séries hybrides.
Tableau 44 Les pronoms clitiques associés au pseudo-verbe natif (iw)ulaʃ « ne pas exister »
dans les trois parlers étudiés et celui des Aït Mhend (colonnes grisées)
550
Vs. [AS & AL] fiḥal
551
Plusieurs hypothèses existent concernant l’origine de cet élément largement attesté en amazigh-Nord. Parmi
celles-ci, signalons celle d’une l’étymologie hybride entre la préposition amazigh ula « même » et l’élément
grammatical arabe š «chose » (*šāyʔ) utilisé comme négateur postverbal en arabe maghrébin (Kahlouche 2000).
Il a aussi été proposé que l’élément consonantique final provienne de l’amazigh KRW « chose » (Kahlouche
2000) : toutefois cet élément n’observe habituellement pas de palatalisation en tasahlit (kra « chose », kra ~ ka ~
k négateur postverbal), ce qui suggérait que ulac y correspond à un emprunt intra-amazigh. Brugnatelli (2011)
signale plusieurs tournures plus ou moins figées en amazigh-nord combinant le négateur pan-amazigh *WR/L avec
un verbe uc : jerbi wecci « pas encore », rifain wa yuci « pas encore », tanfoust welyuc « il n’est pas encore », etc.
maʒal=ən haç=a
encore=OD3SG.M comme=DEM.PROX
PREV OD3SG.M=frotter-2SG EL-comment PREV 3SG.M-être à nouveau COP être bon =3SG.F
d a-sif a-ma=ɦu ?
i-bːw°i=jɑj=dː=uθ θuraɦaɦ
Les constructions verbales de type clitique directionnel add + pronom personnel objet direct de
troisième personne, constituent un contexte natif dans lequel des pronoms hybrides sont
employés dans les trois parlers étudiés.
Le tableau 45 présente les pronoms d’objet direct hybrides, associés au clitique add dans les
trois parlers. Nous avons comparé les données dans les parlers tasahlits étudiés avec celui des
Aït Mhend (colonne grisée) où les pronoms observés dans ce contexte sont restés natifs.
Tableau 45 Les pronoms clitiques tasahlits associés au déictique verbal natif add dans les
trois variétés étudiées et celle des Aït Mhend (les éléments natifs sont coloriés en rouge, et
ceux empruntés à l’arabe en vert)
M F M F M F M F
552
Il est généralement admis que la valeur première de ces déictiques est d’indiquer que l’action est soit dirigée
vers l’espace du locuteur pour D et vers celui de l’interlocuteur pour N. Cela dit, les valeurs portées par ces clitiques
sont souvent beaucoup plus diverses, on sait que leur usage peut aussi être lié à l’aspect et au mode (Bentolila
1969, Mettouchi 1998, Mettouchi 2011, Mettouchi 2015, Fleisch 2007, Belkadi 2010, Belkadi 2014).
553
Il existe dans d’autres parlers tasahlits un allomorphe ann du directionnel N, qui est attesté associé aux pronoms
clitiques de troisième personne.
aṭəlla jasənt=dː=i-wːi=jadː=u
hier OI3PL.F=DIR=3SG.M-apporter\ACC=DIR=OD3SG.M
ə
rː=adː=iθ i laɦən
rendre\IMP=DIR=OD3SG.F vers là
Dans les trois parlers étudiés ici, des pronoms et des désinences personnelles hybrides sont
associés à des emprunts arabes (interrogatifs, adverbes, prédicats non-verbaux). Ces séries
hybrides permettent d’observer le phénomène de « compartimentation étymologique » des
emprunts grammaticaux (Kossmann 2013:245) ; c’est-à-dire l’utilisation de morphèmes
grammaticaux empruntés et associés à des éléments lexicaux empruntés à la même langue.
L’emprunt des pronoms clitiques de troisième personne arabes est relativement commun en
amazigh-Nord, où il s’observe le plus souvent dans des contextes de compartimentation
étymologique. Chez les Aït Seghrouchen de Tahla/Zrarda, les pronoms objet direct de troisième
personne arabe sont attestés, à la suite de l’adverbe également emprunté ɛemmr « jamais ».
Leurs variantes autonomes sont quant à elles attestées avec des présentatifs (Kossmann 2017).
En jerbi (Kossmann 2013:295), la troisième personne du singulier objet direct arabe est
empruntée avec le présentatif arabe ṛa (Brugnatelli 2002:173). A Siwa, le superlatif peut être
produit en additionnant le pronom clitique arabe de 3PL -hŭm (Souag 2013:104). A Ouargla et
chez les Zouaras (Kossmann 2013:295), la 3PL objet direct arabe est empruntée avec certains
prédicats non-verbaux, mais celle-ci peut être déclinée en une forme féminine marquée au
Kossmann (2013:292) oppose deux types de séries pronominales arabes empruntées en amazigh
selon leur conditionnement : à la suite d’un morphème emprunté ou dans un contexte
syntaxique particulier. Nous retrouvons ici l’opposition décrite entre l’application des pronoms
hybrides avec des interrogatifs et des prédicats non-verbaux empruntés, d’une part, et leur
attestation avec des adjectifs natifs et dans l’environnement du directionnel add d’autre part.
Le tableau 46 donne les pronoms clitiques verbaux de troisième personne objet direct, dans les
parlers tasahlits étudiés et dans celui des Aït Mhend (colonne grisée).
554
De manière tout à fait similaire au parler des AS à la 3PL dans sa série associée à l’adverbe majal.
555
Les parlers tasahlits étudiés présentent également des emprunts de marques personnelles à l’arabe parmi leurs
séries de présentatifs qui feront l’objet d’un travail futur.
Basset (1952:31) propose de décomposer les pronoms de troisième personne objet direct
amazighs de la manière présentée au tableau 47.
SG M t t
F t t tː
PL M t n tn
F t n t tnt
En comparaison, les pronoms de troisième personne régime direct natifs des parlers étudiés sont
partout vocalisés.
Des pronoms vocaliques sont attestés dans d’autres variétés, où ils correspondent à des variantes
cantonnées à des paradigmes supplétifs (Marcais 1936, Brugnatelli 1993, Kossmann 1997). Le
tableau 48 présente la variation entre les deux séries pour les pronoms de troisième personne,
dans quelques langues amazighes.
556
D’après Berkaï (2011:106)
M F M F M F M F
Plusieurs hypothèses ont été faites concernant l’origine de ces pronoms. Laoust (1918:258) et
Berkaï (2011:106) analysent respectivement les pronoms à base vocalique des Ntifa et de la
tasahlit des Aït Mhend, comme des allomorphes de leurs variantes non-vocalisées connaissant
un affaiblissement de la base t en voyelle. Kossmann (1997:72, 2020:19) suggère quant à lui
que la distribution pan-amazighe des deux séries témoigne de leur ancienneté, et la possibilité
qu’elles ne partagent pas le même étymon.
Dans les parlers tasahlits ne présentant pas de séries hybrides (ex. Aït Mhend, cf. tableaux 41,
44 et 45), il existe deux séries de pronoms de troisième personne :
- Des pronoms clitiques verbaux à base a ou i, marqués par une opposition de genre à la
3SG
- Des pronoms clitiques adverbiaux et attestés aux côtés des déictiques add et a(C)nn, à
base i et marqués par l’absence d’opposition de genre à la 3SG
o L’absence d’opposition de genre dans cette série est une caractéristique originale
rappelant le comportement des pronoms 3SG d’objet indirect
Dans les trois parlers, la série à base i n’existe plus, mais des adverbes composés d’un pronom
figé de troisième personne du singulier témoignent de son existence, dans un état antérieur de
la langue :
Ex. AB, AS & AL daɣit < daɣ « aussi » + it pronom d’objet direct primitif de 3SG
Les pronoms de troisième personne associés à ces interrogatifs contiennent tous des matériaux
phonétiques arabes :
• Les trois parlers présentent l’emprunt de l’élément vocalique u à la 3SG.M et dans les
pronoms de 3PL.
• La vocalisation en u à la 3SG.M, à la 3PL.M et 3PL.F est empruntée à l’arabe.
• La vocalisation en i à la 3SG.F est d’origine empruntée ou native.
• Chez les AS et les AL, on observe une vocalisation en /ə/ empruntée aux pronoms de
3PL de l’arabe.
• Chez les AS, la laryngale h des pronoms de troisième personne arabe, est empruntée
dans la plupart des formes.
• Chez les AS, on observe à la 3PL, la marque du pluriel m, au lieu de son équivalent
amazigh n. De ce fait, la forme de 3PL hem ~ hum est identique phonétiquement à
l’arabe, et constitue un emprunt phonétique direct. hem ~ hum est un pronom
exclusivement masculin, alors que les pronoms homonymes de 3PL ne présentent pas
d’opposition de genre en jijélien : l’emprunt phonétique complet de ce pronom n’a donc
pas provoqué de perte de cette opposition native.
Signalons qu’il n’existe pas d’importantes différences entre les séries observées avec les
adverbes empruntés et celles des adverbes hybride et natif.
« Le coup de la serpe a guéri, mais la médisance pas encore » (Aït Mhend, Berkaï
2014:312)
d=add=it=y-awi u-ɣenja
PREV=DIR=OD3SG=3SG.M-emmener\INACC EA.SG.M-louche
« Tout ce qu’il y a dans la marmite, la louche le prendra » (Aït Mhend, Berkaï 2014:285)
Dans les parlers TS étudiés, plus proches de la frontière linguistique avec le jijélien, les pronoms
de la seconde série, attestés ailleurs en tasahlit furent remplacés par des formes hybrides
contenant des matériaux phonétiques ou syntaxiques arabes. Ces pronoms sont vocalisés en u,
en i, ou en ə, ils présentent toujours une opposition de genre.
L’opposition de genre à la troisième personne du singulier y est le résultat d’un calque de l’arabe.
L’émergence du pronom d’objet direct 3SG.M =(h)u(t) est un emprunt phonétique provoqué
par ce calque morphologique. L’origine du pronom de 3SG.F =(h)i(t) est moins claire, puisque
la vocalisation en i pourrait être empruntée ou native et avoir été réinterprétée en marque du
féminin sur le modèle du pronom arabe de 3SG.F hi.
Tableau 49 Inventaire des pronoms des séries hybrides dans les trois parlers TS étudiés, les
éléments phonétiques natifs sont présentés en rouge et les éléments empruntés en vert
AS =u ~ =ɦu ~ =ɦi ~ =ɦum ~ =ɦəm =ɦut ~ =ɦit ~ =ɦun ~ =ɦunt ~ =ɦumt ~ =ɦəmt ~ ø
=ən ~ =ənt ~ =ɦən ~ =ɦənt
Nous avançons que le remplacement de la série pronominale adverbiale par ces séries hybrides
est lié à l’émergence de séries hybrides avec des interrogatifs empruntés. En effet, ces séries
sont les seules à trouver des équivalents directs en arabe jijélien.
En jijélien, le pronom clitique de régime direct 3SG.F =hi est propre aux paradigmes
pronominaux liés aux interrogatifs locatifs, sélectif, et de personne (cf. tableaux 63 & 64), là où
son équivalent ailleurs, notamment avec des adverbes, est =ha557 :
Au masculin, -hu est l’allomorphe le plus fréquent du pronom de 3SG.M avec les interrogatifs
locatifs. Il est obligatoire avec les interrogatifs de personne et sélectifs, tandis qu’avec des
adverbes, l’allomorphe -u est le plus fréquent :
557
Seul l’élément pronominal de 3SG.F hi est emprunté à l’arabe dans les différents parlers à travers différents
paradigmes pronominaux et déictiques, probablement en raison de contaminations entre les séries.
558
Dans ces exemples et ceux des lignes qui suivent, les pronoms clitiques apparaissent en jaune.
Une enquête dialectologique associée aux données de Aïssou (2021) nous a permis d’identifier
que les parlers tasahlit, présentant des séries pronominales hybrides connaissaient au moins
l’interrogatif emprunté à l’arabe ayen=560. Ajoutons que les pronoms associés aux interrogatifs
empruntés présentent un degré d’hybridation, avec leurs équivalents arabes plus important que
ceux associés aux adverbes. Ce faiseau d’indices confirme l’hypothèse que l’emprunt
d’interrogatifs, déterminés par des pronoms de troisième personne serait à l’origine de
l’émergence de ces séries hybrides.
2.2.8.Les scénarios
Winford (2005:385-409) considère que « direct affix borrowing typically occurs in bilingual
speech communities where the donor language becomes increasingly dominant for recipient-
language speakers. » Dans ces situations, il arrive que les « recipient-language speakers may
also create hybrid formations while speaking—or code-switching to—the donor language. » Il
est par ailleurs important que ces locuteurs aient une grande importante dans la communauté,
afin que les formations hybrides s’y propagent (Winford 2005:515)
559
Dans ces exemples et ceux des lignes qui suivent, les pronoms clitiques apparaissent en jaune.
560
Il s’agit de l’ensemble des parlers tasahlit-Est mais aussi de quelques parlers TS-Ouest et TS-Sud pratiqués
dans le voisinage de ces derniers. Cela correspond globalement au tiers des parlers tasahlits les plus proches de la
frontière linguistique avec jijélien.
Nous avons pu constater différents degrés de fusion des marqueurs de personnes amazighs et
arabes, selon les paradigmes étudiés. Dans les séries hybrides pronominales, la hiérarchie
d’emprunt à l’arabe du « moins-emprunteur » au « plus-emprunteur » est la suivante : Aït
Bouycef > Aït Laâlam > Aït Segoual. Tandis que pour les désinences verbales, elle se présente
dans cet ordre ci : Aït Bouycef > Aït Segoual > Aït Laâlam. Dans les deux cas, le degré de
fusion des séries hybrides est toujours plus important dans les parlers de la tasahlit orientale,
plus proches de la frontière linguistique avec l’arabe.
Tableau 50 Comparaison des pronoms de 3ème personne des séries hybrides dans les parlers
TS étudiés, avecs leur équivalents natifs dans le parler TS des Aït Mhend ainsi qu’en AJ
(éléments amazighs sont coloriés en rouge et les éléments arabes en vert)
Dans un état antérieur de la langue, dont témoignent’² les données du parler des Aït Mhend, les
pseudo-verbes étaient déterminés au moyen du paradigme supplétif à base i. Ce paradigme était
aussi appliqué aux adverbes natifs et à l’association clitique avec le déictique add. C’est ainsi
qu’après avoir contaminé les pseudo-verbes, la série hybride s’est étendue par analogie aux
différents lieux d’emploi de la série primitive à base i, et atteint les pronoms associés au
déictique add.
Dans les parlers étudiés, l’emprunt et le calque de matériaux arabes au niveau des pronoms
clitiques ne concerne que la troisième personne objet direct. Ceux-ci relèvent dans les deux
langues de formes non-apparentées (base sémitique *h vs. base amazighe *t ou vocalique),
contrairement aux pronoms de première et seconde personnes. L’émergence de ces formes
hybrides laisse apparaître des processus d’adaptation entre les codes bilingues et monolingues,
ayant mené à une complexification du système par la multiplication des paradigmes.
Le seul paradigme étudié présentant peu de variation entre les trois parlers, est celui de la série
pronominale hybride attestée à la suite du déictique add. Chez les AS, cette série se différencie
beaucoup des autres séries du même parler, pour se rapprocher de celles des parlers voisins. Les
pronoms associés à add empruntent moins à l’arabe que ceux relevés dans les autres séries. Ils
pourraient témoigner de formes hybrides, autrefois en co-utilisation chez les monolingues avec
des éléments empruntés, avant que l’intensification du contact ne fasse progresser la fusion
entre cette série hybride et son équivalent arabe. L’émergence de cette série semble remonter à
un stade où les parlers étudiés étaient plus homogènes et présentaient des situations de contact
avec l’arabe plus similaires ; c’est-à-dire avant le rapprochement de la frontière linguistique
avec l’arabe.
2.2.9.Exemple typologique
D’après Heine et Song (2010), les marqueurs de personne seraient les éléments morphologiques
les plus stables d’une langue. Wallace (1983), les décrit comme traditionnellement stable. Dixon
(1997:22) et Matras (2009:203) insistent sur le fait qu’ils seraient typologiquement très
rarement empruntés dans les langues du monde. Pour ces raisons, ces éléments pronominaux
ont souvent été considérés comme l’un des indicateurs les plus sûrs de parenté génétique entre
les langues (Dixon 1997:22). Toutefois, les exemples de langues empruntant plus facilement
Tableau 51 Les locutions composées contenant des pronoms clitiques d'origine arabe en
tasahlit (Aït Bouycef)
SG 1=i Nominaux : sidi « professeur, saint » (<sid=i seigneur=POSS1SG), rˁəbːi « Dieu » (<rˁəbː=i
Dieu=POSS1SG), zizi « grand-père » (familles maraboutiques) (<ʕziz=i seigneur=POSS1SG)
Locutions adverbiales : axːi « pourtant », axi « est-ce bien cela » (<ax=i frère=POSS1SG)
561
Le vocatif a, employé par de nombreux parlers arabes maghrébins et pan-amazighs appartient possiblement au
fonds amazigh.
Tableau 52 Différences de réalisations de l’adverbe ɛlakif suivi des pronoms d’objet direct
chez les Aït Bouycef monolingues et bilingues
PL 1 ʕlakif=nːəɣ ʕlakif=na
562
La plupart des autres cas d’adverbes ou de périphrases empruntés arabes suivis ou déterminés par des pronoms
de la même langue ne sont utiliséés que par les hommes bilingues : ex. labas bi= « être riche, aisé ».
563
Attestée dans certains parlers arabes jijéliens occidentaux
Tableau 53 Les indices personnels du paradigme général, des verbes d’état et de l’impératif chez les AB
564
Inexistant chez les Aït Laâlam
Tableau 56 Les affixes de relativisation du sujet dans les parlers tasahlits étudiés
- Un paradigme général
- Une conjugaison propre aux verbes de qualité à l'accompli seulement
- Un impératif
- Une conjugaison de relativisation du sujet (Mettouchi 2017)
1) Paradigme général
luxan di=dː=j-as di=dː=as-əɣ u d nəkː
zːˁaj u-çərwaw
3) Impératif
ʒməʕ θu-n-ətː=iç
« Qui souhaite un ennemi n’a qu’à attendre son petit-fils. (Aït Bouycef, 2020) »
Dans les sections suivantes, nous présenterons d’abord le paradigme d’indices personnels
supplétifs, avant de regarder le cas des formules figées contenant des indices personnels arabes.
Les exemples suivants illustrent cette conjugaison supplétive avec la forme supplétive du verbe
« aller » et prédicat non-verbal « attention » :
arˤwaħ=um i ða
En ce qui concerne l’emprunt de matters arabes, les paradigmes d’indices personnels hybrides
présentent les caractéristiques suivantes dans les parlers étudiés :
La série des Aït Laâlam comporte également une singularité analysable en termes de
calque, puisqu’elle ne présente pas l’opposition de genre à la seconde personne du pluriel,
attestée dans son paradigme courant, de l’impératif.
Dans les variétés de l’arabe, avec lesquelles la tasahlit est en contact, il n’existe jamais
d’opposition de genre à la seconde personne du pluriel de l’impératif. L’absence d’opposition
de genre à cette personne dans le paradigme supplétif des Aït Laâlam correspond probablement
à un transfert arabe associé à l’emprunt phonétique de la désinence arabe =u565.
Les désinences verbales hybrides d’un certain nombre d’autres parlers amazighs connaissent
également un élément vocalique u ou semi-vocalique w, dans leurs désinences marquant la
seconde personne de l’impératif : ghomara, tamazight du Moyen-Atlas, siwi, tayert (Kossmann
2001:26-28). Dans les parlers fortement en contact avec l’arabe, où ces désinences ne sont
associées qu’à des emprunts, leur origine empruntée est très probable. C’est le cas par exemple
dans les parlers amazighs du Rif central, où elles se rencontrent avec des verbes ou des prédicats
non-verbaux empruntés à l’arabe : rwaḥ « venir », sir « partir », ara « donner » : ex. kétamas :
siru « partez » (Gutova 2021:63), Taghzout et Zerqet : siruṯ « partez » (Gutova c. p.)566.
565
Ailleurs en amazigh, l’opposition de genre à la seconde personne du pluriel de l’impératif n’est pas ou plus
observée dans certains parlers peut-être par analogie avec la seconde personne du singulier. Cette évolution n’est
pas comparable avec les données des Aït Laâlam, dont le paradigme impératif courant ne présente pas cette perte
d’opposition.
566
L’origine empruntée est moins évidente lorsqu’elles se déploient dans des formes verbales et adverbiales
d’origine native, comme le kabyle : ur ţţagg°adut « n’ayez pas peur » (Reesink 1984:340), anidaw « où êtes-
vous » (<ama, At Zmenzer, Sofiane Smaïl, c. p.). Des investigations sur ces cas mériteraient d’être poursuivies
afin de mettre leur origine au clair.
Nous ne nous attarderons pas sur ces formes qui présentent les désinences habituelles de l’arabe
maghrébin et correspondent à des emprunts figés.
Singulier Pluriel
EXPø EXP EXPø EXP
1 ana ~ jana hna
2 nt͡sa nt͡sina nt͡sum nt͡suma
3 m. ɦəwːa, f. ɦijːa ɦum ɦuma
Singulier Pluriel
EXPø EXP EXPø EXP
1 ana ~ jana hna hnaja
2 nt͡sa nt͡suma
3 m. ɦu, f. ɦij m. ɦəwːa, f. ɦijːa ɦuma
Les pronoms autonomes de l’AJ comme ceux de la plupart des parlers néo-arabes présentent
plusieurs caractéristiques les éloignant typologiquement de l’arabe ancien : la perte du duel et
la chute de l’opposition de genre aux personnes du pluriel, comme l’illustrent les exemples
suivants :
« Nous sommes à eux et ils sont à nous. (femmes parlant des hommes, JV, 2020) »
« Il n’y a pas que vous. (« vous » renvoie ici à deux personnes, Jijel-ville, 2020) »
Dans la section suivante, nous nous pencherons sur le phénomène de la chute d’opposition de
genre à la seconde personne du singulier dans les différents paradigmes pronominaux du jijélien
et particulièrement dans celui des pronoms autonomes.
Si cette perte est toujours observée chez les Aït Mâad, à Jijel-ville, l’opposition de genre à la
seconde personne du singulier fut récemment réintroduite au niveau des pronoms autonomes.
Cette évolution trouve son origine dans le nivellement linguistique contemporain, mais aussi
dans une spécialisation sociolectale plus ancienne, associant des éléments langagiers
proprement préhilaliens, dont certaines rétentions substratiques, au parler féminin.
- siculo-maltais et andalou ;
- axe Ghomaras-Jbalas jusqu’à Fès et cités voisines (Tanger, Sefrou, etc.) ;
- axe M’sirdas-Traras jusqu’à Tlemcen et cités voisines (Nédroma, Rachgoun, etc.) ;
- toute la Kabylie orientale, campagnes et cités (Béjaïa, Jijel, Collo, El-Milia, Mila) ;
- Sahel tunisien, Tunis, Kairouan et leurs banlieues respectives.
En arabe, Gibson (2002) propose une étude quantitative sur des parlers préhilaliens et mixtes
tunisiens, afin de mieux comprendre la relation entre la perte de l’opposition de genre à la
seconde personne du singulier et sa réintroduction contemporaine. L’auteur conclu que la perte
de l’opposition de genre s’y serait historiquement opérée d’abord dans le système verbal, avant
d’atteindre les pronoms. Le premier système étant beaucoup plus résistant à la réintroduction
de l’opposition de genre que le second. Les conclusions de Vicente (2017:38) à partir des
données du préhilalien marocain vont dans le même sens. L’auteure affirme que la perte de cette
distinction au niveau du système pronominal en préhilalien du nord marocain trouverait son
origine dans une « analogie avec le système verbal ». Taine-Cheikh (2017) propose que la perte
de la distinction de genre à la 2SG du système verbal dans certains parlers arabes maghrébins
soit le résultat d’une « convergence avec l’amazigh », qui ne marque pas cette distinction.
Signalons enfin le cas particulier de l’arabe andalou, Corriente (1992:131, 125-126) suggère
une influence du substrat roman dans la perte de distinction de genre à la seconde personne du
singulier. L’auteur signale que cette perte n’était pas généralisée en andalou, preuve que cette
opposition préexista dans les parlers des conquérants préhilaliens.
Le nivellement contemporain du parler de Jijel-ville avec les koinès arabes algériennes est à
l’origine de la réintroduction de cette opposition de genre au niveau du paradigme pronominal
autonome. Résumons ces évolutions ainsi :
567
Voir Boucherit et Lentin (1989) à propos de la variation genrée et surtout des caractéristiques des parlers arabes
dits féminins.
568
Ex. texte de 4.2.5 dans la documentation, dans lequel nous avons repéré l’utilisation isolée de nţi dans le parler
de Jijel-ville par une locutrice âgée d’une cinquantaine d’année.
1. Une réinterprétation de la voyelle i contenue dans nţina à partir du modèle des pronoms
féminins des koinès (nti) et de l’arabe classique (ʔanti).
3. Une réattribution de nţina comme pronom féminin en raison de son usage plus important
dans le parler des femmes.
Marçais (1956:437) signalait déjà que nţina était « plus fréquemment employés pour le féminin
que pour le masculin ». L’auteur ajoute « Peut-être faut-il y voir le dernier reste d’une
différenciation morphologique du genre à la 2ème personne du singulier (Marçais 1956:437) ».
Aujourd’hui à Jijel-ville, le pronom nţina est systématiquement utilisé comme pronom féminin
par les personnes âgés d’environ moins de 60 ans. Ces mêmes individus sont généralement
conscients que les locuteurs plus âgés utilisent ce pronom sans l’associer à une valeur genrée.
Ce pronom est également connoté par les différentes classes d’âge comme une caractéristique
du sociolecte des femmes, jeunes et âgées. En outre, si certains hommes âgés peuvent également
utiliser nţina, son usage nous a été donné comme rare chez les jeunes hommes.
Le même processus de réintroduction de cette opposition dans le pronom de 2SG est attesté
dans les parlers préhilaliens d’autres villes du Maghreb occidental. A Nédroma (Algérie),
Ammour (2012:61, 92) propose une étude sociolinguistique quantitative, comparant les
pratiques langagières actuelles avec celles de la première moitié du siècle passé. S’il y a un
demi-siècle, l’ensemble des Nédromis utilisait les pronoms nţa et nţina de manière insensible
au genre de l’interlocuteur, l’auteure constate que dans l’état actuel de ce parler, nţa est le plus
souvent utilisé comme pronom masculin et nţina comme pronom féminin. Toujours d’après
Ammour, cette opposition genrée est plus systématiquement appliquée par les jeunes. Dans les
classes d’âges plus âgées, elle s’observe surtout dans le contexte de la communication avec les
locuteurs d’autres parlers arabes algériens, typiquement des immigrés, touristes, militaires
originaires d’autres régions du pays. À Nédroma, cette réintroduction trouverait donc comme
Les parlers préhilalien connaissant des pronoms à suffixes expressifs et une opposition de genre
à la seconde personne du singulier, réintroduite plus ou moins récemment, n’ont pas toujours
procédé aux mêmes développements. Le tableau 61 compare les données contemporaines de
cinq de ces parlers.
Regardons comment, selon les parlers, les trois hypothèses formulées fonctionnent ou non :
- Dans les deux parlers où la forme augmentée est spécifique aux parlers des femmes
(Bni Hbibi et Béjaïa), le pronom augmenté n’est pas féminin. Par conséquent,
l’hypothèse 2 ne peut expliquer à elle seule le passage des pronoms augmentés en
pronoms féminins à Jijel-ville et dans d’autres parlers (Nédroma, Fès, etc.).
569
Le pronom nţina n’a conservé sa valeur d’expressif non-genré dans le parler jeune qu’à travers la formule
présentative ha nţina.
4.1.3.Les scénarios
L’opposition de genre à la seconde personne du singulier dans les dialectes arabes est une
caractéristique héritée du protosémitique (Huehnergard 2019). Sa chute en préhilalien est une
neutralisation causée par un calque sur le substrat amazigh suivie d’une analogie interne. Ce
processus rend compte d’un changement de langue avec acquisition imparfaite de la langue-
cible. L’apprentissage imparfait de l’arabe des conquérants s’expliquant par le nombre inférieur
de ces derniers face aux masses amazighophones.
La répartition actuelle de cette évolution indique que celle-ci s’est produite rapidement dans
l’histoire du préhilalien, probablement dans le Maghreb oriental arabisé avec le Maghreb
occidental. Dans les capitales et garnisons préhilaliennes, une élite composée des descendants
des conquérants, renouvelée par des apports orientaux, continua un certain temps de marquer
cette opposition qui fut conservée par certains parlers préhilaliens (ex. Fès-juif, andalou). Dans
les banlieues villageoises des foyers préhilaliens, cette neutralisation du système constitue la
norme transmise depuis plus d’un millénaire par les communautés ayant acquis le préhilalien
aux groupes qu’ils assimilèrent linguistiquement au fil des siècles.
Nous assistons aujourd’hui à une réintroduction de cette opposition de genre dans de nombreux
parlers préhilaliens citadins et villageois à travers le système pronominal autonome. Sa
réintroduction contemporaine dans les parlers jeunes à Jijel-ville a pour origine l’intensification
du nivellement provoqué par les migrations internes : l’émigration saisonnière de jijéliens vers
les capitales économiques, au retour desquelles ces derniers adoptent souvent un lecte mêlant
leur parler natal et les koinès acquises. L’immigration vers Jijel d’arabophones originaires
d’autres régions (fonctionnaires, militaires) et le développement de l’industrie touristique sont
aussi à mettre en cause.
4.1.4.Exemple typologique
Lors de leur constitution, les langues créoles à base lexicale arabe n’ont pas retenu la catégorie
du genre grammatical de leur superstrat. Par exemple, la variété de Juba (Soudan du Sud),
propose à la seconde personne du singulier un unique pronom autonome inta, non-marqué en
genre (Manfredi & Petrollino 2013:57). Toutefois, l’évolution du créole de Juba au contact de
l’arabe soudanais a donné naissance à de nouvelles variétés ou pratiques langagières permettant
d’en distinguer un code basilectal plus éloigné du superstrat, d’un code mésolectal plus impacté
par celui-ci (Versteegh 1993). Dans les pratiques langagières de type mésolectales, on observe
une intégration du genre grammatical au niveau pronominal, laquelle fonctionne notamment au
niveau des pronoms indépendants de la seconde personne du singulier en opposant inta pour le
masculin à inti pour le féminin.
L’histoire et les caractéristiques des créoles à base lexicale arabe sont substantiellement
différentes de celles des parlers néo-arabes (Owens 2001) et contrairement au préhilalien, le
genre grammatical y avait entièrement disparu. Il est néanmoins intéressant de rapporter la
manière le préhilaliens a procédé à la neutralisation de l’opposition du genre à un niveau du
système pronominal, opposition aujourd’hui souvent en cours de ré-intégration du fait des
situations de contact avec d’autres variétés d’arabe. Ce qui rappelle la situation de contact
contemporaine entre les créole à base lexicale arabe avec leur langue lexificatrice (Versteegh
1993, Manfredi 2017). La rapidité et l’importance du processus de décréolisation en créole de
Juba, langue âgée de moins de deux siècles, doit nous amener à réfléchir à l’impact des
transformations apportées par le nivellement du préhilalien au contact avec d’autres parlers
arabes en plus d’un millénaire d’existence.
Si l’arabe ancien se limite à deux séries pronominales clitiques, les parlers néo-arabes en ont
parfois fait émerger de nouvelles. Le jijélien présente quatre séries de pronoms clitiques, deux
séries générales de pronoms d’objet direct et indirect (cf. tableaux 62 & 63) et une série
supplétive de pronoms d’objet direct utilisée pour la détermination de certains interrogatifs (cf.
tableaux 64 & 65)570.
570
Les présentatifs du jijélien présentent des marques personnelles découlant à la fois des pronoms clitiques et
autonomes. Ces marqueurs personnels pourraient également à ce titre être considérés comme un paradigme
supplétif de pronom clitique. Nous étudierons précisément ces formes dans un travail futur.
rˤaɦ=n-ʔatˤi=ɦu=ləc͡ç ɣədwa
PREV=1PL-donner\INACC=OD3SG.M=OI2SG demain
fajən=ni jana
INTG=AC1SG 1SG
fajn=u ħbib=əc͡ç
où=3SG.U ami\SG.M=POSS2SG
Nous regardons dans la section suivante le cas particulier de la confusion entre le pronom
clitique de première personne objet direct et indirect, puis au sous-chapitre 9 le cas du traitement
des pronoms objet direct associés aux noms de parenté.
Il existe également dans les deux parlers étudiés une construction signifiant « on dirait/il semble
que c’est », dans laquelle le verbe « dire » (<QWL) est déterminé par un pronom de seconde
personne du singulier objet direct, là où les koinès présenteraient un pronom objet indirect :
En amazigh, les pronoms clitiques régimes direct et indirect de première personne du singulier
sont peu, voire non distincts. C’est le cas en tasahlit, où les pronoms de première personne du
singulier régimes direct et indirect sont de parfaits homophones (cf. tableaux 33 & 34).
Taine-Cheikh (2005) confirme cet état de fait en présentant les données pan-amazighes. Cette
auteure indique en outre qu’une distinction phonétique existe entre les deux pronoms dans
quelques parlers : ex. chenoui OD =i vs. OI =ay, Figuig OD =yyi vs. OI =didd (Taine-Cheikh
2005). Par conséquent, elle suggère que cette distinction est ancienne et a préexisté dans un état
antérieur de la langue.
Marçais (1995:13572) ajoute que, « pour dire communément tqul=ni au lieu de tqul-li « tu me
diras », certains Kabyles vivant à Alger sont l’objet des railleries des arabophones ». À Alger,
571
Cf. Koinè algéroise : wərri=ni « montre-moi », zid=ni « ajoute-moi », tsal=ni « tu me dois », ħəll=ni « ouvre-
moi »
572
Tilmatine (1999:101) confirme les faits décrits par Marçais.
D’un point de vue interne, cette interversion peut être expliquée par le fait que les première et
seconde personnes du singulier sont utilisées pour l’interlocution : leurs référents peuvent être
à la fois agents et patients. La composante sémantique de ces pronoms facilite donc leur
confusion entre une détermination au régime direct ou indirect avec des verbes de don.
La confusion observée en jijélien pourrait trouver son origine dans une acquisition imparfaite
lors du changement de langue, causée par l’homophonie entre ces pronoms dans le substrat
amazigh, ou bien par une usure interne au système. Il serait intéressant, afin de renforcer l’une
ou l’autre de ces hypothèses, de poursuivre l’investigation en regardant ce qu’il se passe à ce
niveau dans les parlers de bilingues et les interlangues d’amazighophones en cours d’acquisition
de l’arabe local comme langue seconde.
En néo-arabe, les indices personnels ont subi peu d’évolutions, sauf pour ce qui est des
oppositions de genre et du préfixe n- marquant la première personne de l’inaccompli dans les
parlers maghrébins.
Les exemples suivants illustrent l’emploi de ces indices personnels dans les trois thèmes :
1) Accompli
2) Inaccompli
1) Impératif
Le couple de désinences 1SG n-v / 1PL n-v-u du paradigme de l’inaccompli est la principale
caractéristique morphologique de l’arabe dit maghrébin (Blanc 1974:206, Versteegh 2001:134,
Versteegh 2001:134). Notons aussi l’absence d’opposition de genre aux personnes du pluriel,
trait commun à la majorité des parlers néo-arabes héritée des parlers des conquérants
préhilaliens.
ħ=a-ɣrˤum ma jə-lːa
C’est aussi le cas de [AM] gːumaɣ « je n’arrive pas » <ber gːuma-ɣ ne pas arriver\ACC-1SG.
« Par Dieu, je ne peux pas, je n’y arrive pas. (Aït Mâad, 2020) »
Nous ne nous attarderons pas sur ces formes figées qui ne présentent pas de désinences
inattendues ou caractéristiques d’une variété particulière d’amazigh.
Une seule caractéristique concernant ces paradigmes est discutée dans la section 4.1 de cette
partie : l’absence d’opposition de genre à la seconde personne du singulier, que nous avons
proposé d’analyser comme un héritage du contact avec le substrat amazigh.
Le tableau 67 présente cette opposition au niveau des pronoms de la 2ème personne dans
différentes langues amazighes et le tableau 68 dans plusieurs parlers arabes préhilaliens.
Tableau 67 Les pronoms autonomes de 2SG.M classés selon leurs degrés d’augmentation
expressive dans plusieurs langues amazighes
Amazigh-Sud Amazigh-Nord
+++ ʃəːkːintaθ
Tableau 68 Les pronoms autonomes de la 2SG.M classés selon leurs degrés d’augmentation
expressive dans plusieurs parlers arabes préhilaliens
+++ ntinak
« C’est (bien) toi qui l’as trouvé, ce n’est pas moi du tout (Aït Bouycef, 2020) »
« C’est (bien) toi qui l’as trouvé, ce n’est pas moi du tout (Jijel-ville, 2020). »
En amazigh, le suffixe pronominal à base N peut s’observer à toutes les personnes sauf à la
troisième du singulier (cf. tableau 32). En préhilalien, le suffixe expressif pronominal à base N
n’est observé qu’à la seconde personne sous la forme -in(a), et aux trois personnes du pluriel
sous la forme -n (cf. tableau 69).
La carte 15 présente les formes du suffixe expressif à base N aux personnes du singulier relevées
en arabe et en amazigh de Kabylie orientale au-delà de nos points d’enquêtes. Le tableau 69
compare les suffixes expressifs du paradigme pronominal de parlers amazighs et préhilaliens
aux personnes du pluriel également ici au-delà de nos points d’enquête.
(Kelaoun, données p.) (Hocini 2011) (Marçais 1902 & Larbi 2022) (Cohen 1912)
Dans les deux parlers jijéliens étudiés, =i(n)a s’observe également dans des formes adverbiales,
comme dans le locatif distal « là » présenté dans le tableau 70 et quelques adverbes temporels
(cf. tableau 72). Dans ces adverbes, =i(n)a est parfois combiné avec les suffixes expressifs natifs
ţik ~ ţək résultant dans les formes [JV] inaţ, inaţiķ et inaţəķ.
Tableau 70 Les adverbes locatifs dans les parlers jijéliens étudiés (les suffixes expressifs
empruntés à l’amazigh sont coloriés en rouge)
EXP ɦnaja
Si l’on exclut le judéo-arabe tunisois (cf. Cohen D. 1973, cité par Bouchrit et Lentin 1989:23)573,
l’arabe jijélien correspond à la limite orientale de ce trait dont la diffusion s’arrête brutalement
à la rive occidentale de l’Ampsaga. Il faut nous demander ce que cette répartition peut nous
apprendre sur l’émergence du préhilalien au Maghreb oriental et sur les conditions du contact
entre celui-ci et l’amazigh ayant mené à des modifications majeures du système pronominal.
Les autres suffixes expressifs que nous présenterons dans les sections suivantes nous
permettront d’avoir une vue d’ensemble sur les phénomènes de contact concernant les stratégies
expressives des deux langues.
Marçais (1956:436) est à notre connaissance le seul auteur à s’être penché sur l’étymon du
suffixe (i)n(a) à partir de ces données dans le parler de JV. Il voit une analogie de la désinence
verbale de l’inaccompli -na. Cette hypothèse est problématique pour plusieurs raisons :
573
Variété dans laquelle la présence de ce suffixe pourrait peut-être s’expliquer par le contact intra-dialectal entre
les parlers judéo-arabes maghrébins.
Nous proposerons une origine amazighe à (i)n(a). Les suffixes expressifs pronominaux à base
N trouvent leur origine dans le clitique pan-amazigh =in(n), =n(n)a, =en(n), etc. marquant
l’anaphore ou la convergence référentielle. D’après Naït-Zerrad (2004), ce clitique
correspondrait à une grammaticalisation du verbe ini « dire »574.
2SG.M Tasahlit des Aït Laâlam cekk (non-expressif) vs. cekkina (expressif)
574
La variante ini est majoritaire en amazigh-Nord (également ani en tasahlit orientale), ce verbe présente d’autres
formes à l’impératif dans certaines langues amazighes : [amazigh-Sud] Ghadamès en, Tahaggart ənn (aoriste
intensif ǧānna), [amazigh-Ouest] Awjilah an(i), El-Foqaha en, [amazigh-Nord] : ini (aoriste ini, prétérit nni ~
nna selon la personne, aoriste intensif ttini) sauf dans le Gourara inni.
de inna « il a dit » dans les suffixes expressifs ina ➔ in ➔ n est marqué en termes d’érosion
phonétique par une perte de la gémination et par plusieurs degrés de chute du vocalisme.
Dans les trois parlers tasahlits étudiés, l’usage du clitique anaphorique =enn ~ =inn est limité
aux noms et aux adverbes. Mais il existe en synchronie dans le parler tasahlit occidental des Aït
Smaïl, une possibilité d’utilisation du clitique anaphorique avec des pronoms personnels
autonomes : ex. nuhni=yenn (3PL.M=ANAPH) « eux (qui sont absents) »575. Cet usage pourrait être
à l’origine de la grammaticalisation du clitique anaphorique en suffixe pronominal expressif.
L’anaphore permet de donner une structure, notamment spatiale et émotionnelle, entre le sujet
et l’objet du discours. C’est à partir de ce rôle anaphorique, que le clitique *=in(n)a a perdu son
contenu notionnel et sa forme phonétique d’origine pour adopter la fonction d’augment, dont
la valeur expressive est directement liée au contexte d’énonciation. Dans le cas où notre
hypothèse s’avérait juste, la grammaticalisation du verbe « dire » en suffixe expressif en
amazigh est un fait unique dans l’état de nos connaissances sur les voies de grammaticalisation
dans les langues du monde.
575
Usage inconnu parmi les trois parlers tasahlits étudiés
576
Shachmon (2013:74-6) signale l’opposition entre le pronom de troisième personne du singulier masculin court
hū et long hūta dans des dialectes orientaux. D’après cette auteure, la forme longue des pronoms étendus porterait
des valeurs additionnelles variées principalement d’emphase et la focalisation.
577
Cette opposition entre un pronom autonome court et allongé à la troisième personne est attestée en jijélien chez
les Aït Mâad (cf. tableau 59).
578
Marçais (1902:120) donne à partir de son enquête de terrain réalisée il y a plus d’un siècle une forme nţuman,
vraisemblablement disparue, augmentée d’un -n à la seconde personne du singulier (Larbi 2022). Larbi (2022) a
également découvert dans des manuscrits datant du 16ème siècle rédigés à Tlemcen un pronom de première
personne du pluriel ḥn(*)n, suffixé d’un -n, qui n’a pas été retrouvé par Marçais (1902) dans le même parler à la
fin du 19ème siècle. Seul le pronom augmenté de troisième personne du pluriel human, s’est conservé jusqu’à nos
jours (Larbi 2022).
579
Ou remplacées par d’autres suffixes, comme -ya, attesté dans le pronom de première personne du pluriel
augmenté ḥnaya chez les Aït Mâad. À Jijel-ville l’augmentation des pronoms personnels avec le suffixe -y(y)a est
perçu comme un trait des koinès et s’entend souvent chez les locuteurs plurilectophones.
Nous avons émis l’hypothèse que le suffixe expressif (i)n(a) du jijélien a été emprunté à son
substrat amazigh. Ce suffixe s’observe dans un grand nombre de parlers préhilaliens du
Maghreb occidental comme le présente la carte 16 au-delà des parlers décrits dans cette thèse
pour l’Algérie centrale, l’Algérie occidentale et le Maroc septentrional.
9. Talambote Sadni, Ziani & Brigui 2017 19. Tlemcen Marçais 1902
En amazigh, la variante -ina est rare, puisqu’elle est attestée seulement dans les variétés de
Kabylie orientale (kabyle oriental-Est, tasahlit et chaoui des Amouchas). D’après notre
hypothèse concernant l’étymologie de (i)n(a), la variante ina de l’amazigh de Kabylie orientale
a conservé la vocalisation du verbe conjugué à l’origine de sa grammaticalisation (inna « il a
dit »), alors qu’ailleurs, l’usure phonétique a le plus souvent provoqué la chute de l’élément
vocalique final (cf. tableau 115).
Par ailleurs, dans les parlers arabes des régions de Béjaïa en Kabylie ou des Ghomaras dans le
Rif, la vocalisation des formes des suffixes super-expressifs attestés en amazigh ne corresponde
pas à celles de l’arabe local :
Nous savons que les parlers préhilaliens ont essaimé en Afrique du Nord depuis les capitales et
garnisons établies par les conquérants dans un mouvement d’Est en Ouest. Le point le plus
occidental de distribution du suffixe (i)n(a) se situe en Kabylie orientale, banlieue historique
de Constantine, seconde capitale préhilalienne fondée après Kairouan. Si le préhilalien de
Constantine a disparu en raison du nivellement, les variétés préhilaliennes conservatrices de
Kabylie orientale pourraient rendre compte de certaines de ses caractéristiques disparues.
Aujourd’hui, le suffixe (i)n(a) est en perte de vitesse dans un grand nombre de parlers
préhilaliens. Quelquefois, ce suffixe est devenu un archaïsme (ex. bougiote, cf. Garaoun 2023a,
à paraître) ou un trait sociolectal : parlers juifs tunisois 580 et algérois (disparus ?), parlers
féminins (Heath 2002:270). Dans d’autres cas, sa valeur expressive d’origine est en cours de
réinterprétation comme marque de genre. Ces phénomènes s’inscrivent à la fois dans le
mouvement de nivellement généralisé des parlers préhilaliens d’Afrique du Nord par suite du
contact avec l’arabe hilalien ainsi que dans des dynamiques d’usure interne. Chez les Aït Mâad,
parler préhilalien conservateur très peu concerné par le nivellement, (i)n(a) n’est plus attesté
dans le paradigme pronominal, alors que les parlers pratiqués dans leur voisinage l’attestent et
qu’il s’y observe dans l’adverbe locatif ţəmmina « là ». Aux personnes du pluriel, la
distribution discontinue du suffixe -n en Algérie extrême-occidentale et en judéo-arabe tunisois
nous invite à soupçonner sa préexistence ancienne peut-être partout ailleurs en préhilalien avant
d’y disparaître581. Le suffixe (i)n(a) est l’un des rares traits communs à la majorité des parlers
préhilaliens du Maghreb occidental. Il témoigne de l’existence d’un type préhilalien né au
Maghreb occidental, dans des conditions ayant permis un emprunt morphologique venu
impacter les systèmes pronominaux et adverbiaux de l’arabe.
580
Cf. Cohen D. (1973), cité par Bouchrit et Lentin (1989:23)
581
Plusieurs autres cas documentés de disparition de pronoms contenant le suffixe (i)n(a) en préhilalien sont
donnés dans Garaoun XXX.
C’est ce qui s’est passé en Halmaheran du Nord (Indonésie) lorsque cette langue a calqué la
distinction entre un pronom de première personne du pluriel inclusif et exclusif sur les langues
austronésiennes avec lesquelles elle est en contact (Voorhoeve 1994:661). Dans plusieurs
créoles à base lexicale anglaise pratiqués en Amérique et en Afrique de l’Ouest, on observe un
pronom autonome de 2PL emprunté phonétiquement au substrat igbo (jamaicain unu, Gullah
[Caroline du Sud] yinnuh ~ yunnah, krio [Libéria] ina ~ yuna, etc. cf. Michaelis & al. 2013)
contre un pronom de 2SG tiré de la langue lexifiante yu(h). Il s’agit ici d’une interférence
substratique de l’igbo (2PL ụnụ, cf. Alleyne 1980:111) qui apporta la distinction morphologique
entre la 2SG et la 2PL inexistante dans la variété d’anglais lexifiante de ces créoles. Dans
d’autres créoles de de la même zone, cette distinction s’opère à partir d’éléments
morphologiques anglais (<*all you : kokoy [Dominique] aa(l)yuh, bajan [Barbarde] a(l)yu, etc.
cf. Michaelis & al. 2013), ce qui correspond cette fois à un calque de la langue substratique sans
interférence de matériaux phonétiques issus du substrat.
8.1. En tasahlit
Dans la tasahlit des AB et des AL, les suffixes =a et =it peuvent correspondent à des
cataphoriques permettant la mise en relief de l’adverbe lorsqu’ils s’y opposent au suffixe
anaphorique =en :
i=kːəs-ɣ=adː=it daɣ-it
PREV=rettirer\INACC-1SG=DIR=OD3SG.F aussi-CATAPH
Dans la tasahlit des Aït Segoual et dans les deux parlers jijéliens étudiés, cette opposition a
disparu et les suffixes a ~ i et it ne fonctionnent plus que comme des augments à valeur
pragmatique :
582
<zeg « dans » + s pronom régime direct de 3SG + it
583
<aṭas adverbe de quantité (cf. Rifain aṭṭas ~ attas « beaucoup, trop », Figuig et Timimoun aṭṭas « beaucoup »,
kabyle aṭas [Naït-Zerrad 2001:498]) + it
Tableau 72 Les adverbes des deux parlers jijéliens étudiés associés à des formes
pronominales empruntées à l’amazigh jouant le rôle de suffixes expressifs (coloriées en
rouge)
dic͡çsaʕina ~ dic͡çsaʕinat͡s
En jijélien, la plupart des adverbes suffixés par les suffixes expressifs d’origine amazighe a ~ i
et it͡s appartiennent au fond lexical arabe, même si certains parlers jijéliens en comportent dans
des d’emprunts : ex. Bni Yahmed daġi « encore ».
Il n’existe pas beaucoup d’adverbes empruntés à l’amazigh en jijélien. Ceux-ci sont plus
fréquents dans la variété de Béjaïa (2023b, à paraître), où ils présentent des suffixes expressifs
natifs ou empruntés : daġən ~ daġənni ~ daġənnīk ~ daġənnikiṯ « encore », ziġən ~ ziġənni
~ ziġənnik ~ ziġənnikiṯ « au fait », etc. Dans une strate antérieure du jijélien, il est probable
que ces adverbes d’origine amazighe aient été plus nombreux. Lors du changement de langue,
ces adverbes empruntés et certains des suffixes expressifs qui leurs étaient associés sont passés
dans la langue cible avant que l’analogie ne permette leur application aux adverbes natifs.
9.1. En tasahlit
En tasahlit comme dans beaucoup de langues amazighes 584 , plusieurs noms de parenté
empruntés correspondent à la combinaison d’un nom de parenté arabe suivi du pronom
possessif arabe de 1SG =i :
Dans le parler des Aït Laâlam, au singulier, ces noms de parenté sont empruntés avec le pronom
possessif de première personne arabe i, tandis que leurs équivalents pluriels sont toujours à
l’état libre, non-déterminés par un pronom. Nous nous demanderons ce que ces données
peuvent expliquer concernant l’histoire du contact notamment en comparaison avec les parlers
des AB et des AS dont les noms de parenté arabe sont toujours munis du pronom i,
complètement figé puisqu’il est conservé devant les pronoms (natifs) de seconde et troisième
personne. Le tableau 73 présente les noms des oncles et tantes associés à quatre pronoms
possessifs de différentes personnes dans les parlers tasahlits étudiés.
584
Cf. Kossmann (2013:228)
Chez les Aït Laâlam (lignes grisées), la variation concernant la répartition du pronom arabe i
entre les noms de parenté singulier et pluriel indique que leur emprunt ne fut pas réalisé à la
même période. Le fait que ce phénomène soit propre à ce parler tasahlit parmi les trois étudiés
pourrait indiquer que celui-ci a connu un type de contact différent avec l’arabe.
Nous ferons l’hypothèse que le figement du pronom arabe =i dans les noms de parenté
empruntés trouve en partie son origine dans une réinterprétation interne suivant le déroulement
suivant :
Chez les AB et les AS, ce processus permet d’expliquer la formation de l’ensemble des noms
de parenté empruntés à l’arabe. Chez les AL, ce processus fut fonctionnel de la même manière
pour l’ensemble des noms de parenté empruntés dans une strate de la langue dans laquelle les
noms de parenté pluriels déterminés par un pronom de 1SG à l’état figé furent remplacés par
leurs correspondants sans pronom figé. Aujourd’hui, les noms de parenté empruntés chez les
AL opèrent une division entre des formes au singulier déterminés à la 1SG (sur un modèle
calqué à partir des noms de parenté natifs) et des noms pluriels non-déterminés et non adaptés
morphologiquement à l’amazigh (de manière similaire à la plupart des emprunts nominaux
modernes de la tasahlit à l’arabe).
Beaucoup de langues amazighes ont procédé à l’emprunt de noms de parenté arabes déterminés
par le pronom de 1SG de la même langue. Kossmann (2013:228) remarque que dans le kabyle
occidental des At Manguellet, l’élément d’origine pronominale emprunté =i tombe lorsque le
nom de parenté est déterminé à certaines personnes : ɛamm=i « mon oncle paternel » vs.
ɛamm=ennsen « leur oncle paternel » (Dallet 1982:913). Il arrive donc que dans d’autres
langues amazighes, ce pronom ne soit pas complètement figé et porteur d’une valeur
morphologique. Le phénomène y est sans doute postérieur à l’emprunt figé du nom de parenté
suivi du pronom de 1SG, qui est très répandu en amazigh-Nord. Cela indiquerait qu’à l’instar
des Aït Laâlam, d’autres parlers amazighs ont procédé à des évolutions concernant ces
compositions en raison de réfections internes ou dues au contact.
9.2. En jijélien
Les noms de parenté jijéliens diffèrent du reste des nominaux sur le plan de leur détermination
pronominale. Nous présenterons trois phénomènes de contact liés à leur morphologie et à leur
Le phénomène est bien connu des langues amazighes, qui présentent toutes des noms de
parentés à la morphologie particulière (absence de voyelle initiale) et suivis d’une série de
compléments de noms particuliers substituant le marquage à la première personne du singulier :
[TS:AB] imma « ma mère », imma-s « sa mère ». Le jijélien, en empruntant ces noms à son
substrat, a procédé au calque de leur fonctionnement syntaxique et l’applique également à
quelques-uns de ses noms de parenté natifs.
Dans les noms de parenté empruntés par le jijélien à l’amazigh, toutes les formes concernées
par la référence égocentrique à la première personne du singulier en amazigh ont réinterprété
cette caractéristique en jijélien (cf. colonnes « mère », « père », « grand-mère », « grand-père »
dans le tableau 74), tandis que les noms de parentés non-concernés par cette référence en
amazigh ne le sont pas non plus en jijélien (cf. colonne « mon beau-frère » du tableau 74). Dans
quelques cas, le jijélien présente une forme du fonds arabe ayant calqué la référence
égocentrique à la première personne de son équivalent en amazigh (cf. colonnes « grand-mère »
et « tante maternelle » du tableau 74). Il existe aussi un nom de parenté pour lequel la référence
égocentrique est optionnelle dans les deux langues (cf. colonne « mon petit-fils » du tableau
74).
Tasahlit Jijélien
« (ma) mère » imːa ~ imːi mamːa ~ imːa mːa[=jinu] ~ imːa[=jinu] ~ jəmːa ~ mːa ~ mamːa jəmːa ~ məmma
jəmːa[=jinu]
« (ma) grand-mère » nanːa imːa ~ jidːa ~ nanːa jidːa[=yinu] ~ nanːa[=yinu] mimːi ~ ħbiba ~ ʕziza məmːa
« (ma) tante paternelle » ʕamːti ʕatːi ~ jaja ʕamːθi=jinu bazːa ~ ʕamːut͡sa lːaxt͡si
« (mon) père » βaβa ~ dadːa baba βaβa[=jinu] baba ~ bˁabˁa ~ pːa baba
« (mon) grand père » ʒidːi ʒədːi (<ar) baba sid=i ~ žədː=i dədːa ~ ajːi
Tableau 75 Les déclinaisons des noms de parenté « mère » et « père » selon la personne à
laquelle ils sont associés chez les AM, les éléments d’origine amazighe sont coloriés en
rouge
- Les formes empruntées à l’amazigh yəmma et baba585 ne sont employées que pour la
référence égocentrique (à la première personne du singulier), avec une absence de
pronom.
585
En arabe maghrébin, yəmma « mère » est attesté dans tous les parlers préhilaliens du Maghreb occidental. Dans
les langues amazighes, yəmma s’emploi depuis la Libye à la côte Atlantique (Hadaddou 2007:121) : Ghadamès
imma ~ yemma, Sened ima, tamazight du Moyen-Atlas imma ~ yemma, tachelhiyt yemmi ~ yemm, rifain ima,
kabyle yemma, chaoui imma ~ yemma « ma mère, maman ».
Pour ce qui est du mot « père », le néo-arabe baba est une forme répandue en Égypte et au Levant où elle est
souvent hypocoristique. Il ne s’agit jamais en dehors des parlers arabes maghrébin d’une forme généralisée à toutes
les personnes. En arabe maghrébin, baba connaît une large diffusion et est particulièrement fréquent dans les
parlers préhilalien (Heath 2002:400-406). Ce terme est également tout à fait pan-amazigh : tamazight du Moyen-
Atlas ibba ~ bba ~ baba ~ bb°a « mon père, papa », chaoui baba ~ bab « père », tasenhadjit, rifain, kabyle,
ouargla, néfoussa, sokna baba « père », tahaggart ăbba « papa, (mon) père », Ghadamès baba « mon père », Siwa
abba « père », Sokna baba « père ». Ce nom de parenté est à rapprocher du terme pan-amazigh (sauf touareg) bab
« propriétaire ». D’après Heath (2002:411-412) le fait qu’en arabe marocain, les termes baba « père » et yemma
« mère » n’acceptent pas l’article défini serait un indice d’une origine non-arabe. Cet auteur penche également
pour une origine amazighe, sans exclure la possibilité d’une contamination arabe ou latine pour le nom du père
(Heath 2002:400-406)585.
En arabe comme en amazigh il est fréquent d’observer une variation entre la forme du nom de
parenté spécialisée dans la référence égocentrique et une forme employée à toutes les autres
personnes :
Amazigh
Arabe
Dans un nombre important de parlers maghrébins, les noms de parenté empruntés à l’amazigh
présentent la référence égocentrique à la première personne (cf. Heath 2002) :
Arabe des Ghomaras : jəmːa « (ma) mère », baːba « (mon) père » (Naciri-Azzouz 2022)
Parfois, ces formes à référence égocentrique sont propres au langage enfantin ou au registre
hypocoristique, c’est respectivement le cas à Rabat et en judéo-arabe de Fès avec le nom baba
« (mon) papa » (Heath 2002). À Jijel-ville, les formes hypocoristique pːa pour « père » et mːa
pour « mère », sont aussi concernées par la référence égocentrique à la première personne.
Nous avons observé en jijélien des origines différentes pour plusieurs noms de parenté,
empruntés à l’amazigh lorsqu’ils sont associés à la référence égocentrique et un nom natif arabe
préféré lors de leur détermination aux autres personnes.
Le même phénomène est observé dans des parlers préhilaliens éloignés et dotés d’autres types
de substrats amazighs comme le judéo-arabe du Tafilalet (Heath 2002) :
ibːba « mon père » [<ama, cf. tachelhiyt & tamazight ibːa] vs. bu-t « ton père » [<ar]
« La grand-mère de Belahlou »
Le génitif est en effet marqué à deux niveaux, par le clitique pronominal et par la particule de
génitif. Ce redoublement intervient aussi dans la formation des noms de parenté composés :
xu=ɦ dː sˁɣirˁ
Ce phénomène est un calque syntaxique sur l’amazigh qui procède de la même manière :
imːa=s nə lʕəlʒa
ʝma=s n a-məzˁːjan
L’exemple suivant récolté par élicitation dans les deux langues illustre ce phénomène :
θi-tːˤ-iwin n imːi
Les exemples suivants, récoltés par élicitation, illustrent ce redoublement dans les deux langues :
586
Le redoublement datif est attesté dans d’autres variétés d’arabe, notamment levantines mais avec une
distribution syntaxique assez différente. Souag (2017:56-59) précise qu’il n’y est relevé que pour les objets directs
ou pour les compléments de prépositions autres que datives ; ce qui amène l’auteur à rejeter la possibilité d’un lien
entre les distributions levantine et maghrébine de ce comportement.
Le nom figé daddayinu doit être décomposé en deux éléments liés au moyen d’un [y]
intervocalique empêchant le hiatus vocalique (cf. section 7.2 du chapitre 3) :
587
Dans un fameux conte kabyle, un homme retenu prisonnier pour avoir fauté est appelé ḇaḇayinuḇa dans une
formulette répétée par sa fille afin qu’il puisse la reconnaître et lui ouvrir la porte. Le sobriquet procède du
figement de ḇaḇa « père » + inu pronom possessif de 1SG + ḇa variante raccourcie de ḇaḇa (cf. Brugnatelli 2018
pour des propositions d’étymologie concernant cette composition) ? Le conte jijélien mentionnant le personnage
de daddayinu n’est autre que la version jijélienne de ce conte pan-kabyle.
588
En jijélien, le sobriquet daddayinu est porteur d’un sémantisme péjoratif, alors que dadda correspond à Jijel-
ville à un nom de parenté « grand frère, oncle paternel » ou à un titre de respect pour un homme plus âgé. En arabe
bougiote lallayinu « femme à la peau foncée, servante », est une composition du nom de parenté (ou terme
honorifique) lalla suivi du complément de nom -inu. La composition de l’arabe bougiote est également associée
à une valeur péjorative. L’association d’un nom de parenté avec à un pronom possessif de 1SG correspond dans
les parlers substratiques de ces parlers arabes à une procédé de dérivation péjorative, permettant de faire passer un
nom de parenté ou titre honorifique en sobriquet.
589
Cf. tamajeq adda ~ idda « papa, père », Ghadamès dedda ~ dadda « (mon) père », ouargli dadda « grand
frère, papa, père », chaoui dadda « grand-père »
590
Cf. tachelhiyt dadda « grand frère, oncle paternel, cousin âgé, frère aîné, terme de respect pour un cousin plus
âgé, grand-père », adda « oncle paternel, terme de respect », zénaga yeddeh « grand-père », Ghadamès dédda,
dadda « (mon) père », tayert adda « papa, père »
Dans le parler puéril jijélien, quelques noms présentent un figement de l’annexion pronominale
à première personne du singulier ou de la troisième personne du singulier masculin : par
exemple [JV] ʕammi ~ ʕammu « oncle maternel » ḫali ~ ḫalu « oncle maternel », etc. Nous
questionnerons l’origine du phénomène et la possibilité de lui donner une directionnalité en
termes de contact.
Nous chercherons à déterminer à partir de ceux-ci si la source du changement est plutôt tournée
vers la famille maternelle ou paternelle et si par conséquent il nous faut imaginer que le
changement de langue procède plutôt d’un processus initié par les hommes ou par les femmes.
En jijélien, les phénomènes de contact touchant le vocabulaire de la parenté, dont ses formes
les plus fondamentales, sont particulièrement intéressants pour la compréhension de l’histoire
du changement de langue. Ils pourraient indiquer la voie par laquelle l’arabe fut transmis aux
premières générations d’amazighs arabophones qui changèrent de langue en Kabylie orientale.
D’après Ferguson (1971:122), l’élément d’origine pronominale -u (<3SG.M), figé dans les
noms de parenté de langages enfantins arabes, fonctionnerait comme une sorte de diminutif 591.
D’après cet auteur (1971:124), l’une des caractéristiques grammaticales des parlers puérils
arabes serait l’absence d’affixes. Dans le cas où ils seraient attestés on observerait toujours un
changement radical de leurs fonctions initiales. L’auteur (1971:121) signale aussi qu’il est
fréquent d’y observer des confusions concernant l’opposition de genre masculin/féminin et que
des éléments (pronominaux, nominaux, adjectivaux, etc.) correspondant au genre féminin
peuvent y être employés avec des enfants de sexe masculin et que des éléments genrés au
féminin peuvent être employés avec des enfants de sexe féminin. Cette caractéristique observée
en jijélien ne pourrait être comparée avec l’amazigh qui ne distingue pas le genre à la 3 ème
personne du singulier des noms de parenté.
591
Al-Jallad (2021:5) propose que l’élément -u final observé dans certains noms de parenté de l’arabe levantin
serait un vestige de la wawation (ajout d’un Wāw non-étymologique dans les noms personnels) de l’arabe ancien.
Procházka (2020:95-96) liste les hypothèses proposées par les différents auteurs concernant une
origine empruntée à d’autres langues de ce -u des noms de parenté hypocoristiques, mais
aucune n’est présentée comme tout à fait convaincante à la vue de sa distribution en néo-arabe.
Des travaux ont depuis plusieurs décennies prouvé l’universalité de certaines caractéristiques
des langages enfantins (cf. Jakobson 1962 qui est l’un des pionniers de ces études). Le figement
des pronoms de troisième personne objet indirect dans les noms de parenté du langage puéril
est répandu dans plusieurs langues amazighes mais aussi dans de nombreux parlers arabes
maghrébins et levantins. S’il est possible que le contact ait influencé son fonctionnement et/ou
sa répartition, nous nous garderons d’émettre des hypothèses sur sa directionnalité.
Dans le domaine des noms de parenté, le parler des Aït Laâlam a clairement été plus fortement
touché par le contact avec l’arabe que les autres parlers TS étudiés. Ceci peut être expliqué par
la fréquence des relations matrimoniales entre les AL et plusieurs confédérations arabophones
ou bilingues voisines appartenant au cercle de Jijel. Les mariages avec ces groupes arabophones
sont beaucoup plus rares chez les Aït Segoual et les Aït Bouycef, ce qui expliquerait la
divergence observée concernant la morphologie des noms de parenté entre ces parlers.
9.4.2.En jijélien
Nous n’avons pas pu déceler une plus grande importance des calquess/emprunts dans le
fonctionnement des noms de parenté appartenant à la famille paternelle ou maternelle. Ce qui
semblerait indiquer que le genre des locuteurs n’a pas eu d’importance particulière lors du
processus de changement de langue.
9.4.3.Exemple typologique
La terminologie partagée par les langues songhaïs septentrionales avec différentes langues
amazighs ou l’arabe signale les groupes avec lesquels les différentes communautés
songhaïophones connaissent une tradition d’échanges matrimoniaux (Souag 2015). Ces
données indiquent par exemple que les locuteurs de korandjé du sud algérien ont une habitude
d’échanges matrimoniaux avec des communautés locutrices d’amazigh septentrional ou d’arabe
maghrébin avec lesquelles ils partagent un modèle de système de parenté voisin, dit
« soudanais » (Souag 2015:132). En Kabylie orientale, les différents parlers amazighs et arabes
présentent tous également ce modèle dit « soudanais », il ne peut donc pas suffire à identifier
une source plutôt amazighe qu’arabe ou l’inverse.
Ce modèle soudanais est également partagé par les locuteurs de la tadakhasak de l’est du Mali,
ce qui était inattendu puisque cette langue songhaï est pratiquée dans une région où le modèle
de parenté dominant, dit « iroquois », est partagé par les Touaregs et les groupes
songhaïophones voisins. Associé à d’autres éléments linguistico-historiques, ce système de
parenté tadakhasak suggère que cette langue serait née à la suite d’un changement de langue de
locuteurs d’une variété d’amazigh occidental vers le songhaï (Souag 2015).
Ces séries que nous qualifions d’hybrides sont constitués d’emprunts de matters, et de calques
partiels de patterns arabes mêlés au système natif. Elles nous ont permis d’illustrer des cas de
systèmes parallèles empruntés et de compartimentations étymologiques (Kossmann 2013:245).
En amazigh septentrional et oriental, ces développements sont souvent observés dans les petites
langues de communautés complètement bilingues, beaucoup plus rarement au sein des blocs
amazighophones présentant d’importants pourcentages de monolingues. À ce titre, le
développement de systèmes parallèles compartimentés étymologiquement pourrait être
considéré comme une conséquence caractéristique du type de contact provoqué par la
généralisation du bilinguisme amazigh-arabe.
La comparaison des trois parlers tasahlits étudiés avec celui des Aït Mhend nous a permis
d’observer que le développement des séries parallèles hybrides était lié au degré de bilinguisme
du groupe. Le parler des Aït Mhend (tasahlit occidental), groupe très majoritairement
monolingue (situé à quelques kilomètres des parlers étudiés), ne présente aucune série hybride.
Dans la variété étudiée des Aït Bouycef, le développement des séries hybrides n’est
probablement pas la conséquence du (faible) degré de bilinguisme du groupe, mais plutôt du
contact intra-variétal avec les parlers voisins de la tasahlit orientale. Chez les Aït Segoual, les
séries pronominales hybrides sont riches en allomorphes, lesquels correspondent à une
superposition de couches d’emprunts réalisés à différentes périodes, venant témoigner des
différents degrés de bilinguisme liés à chacune d’entre elles :
Ces systèmes parallèles partiellement empruntés et calqués sur ceux de l’arabe présentent des
profils variés, témoignant de différentes situations de contact historiques et contemporaines
avec l’arabe selon les communautés tasahlitophones.
Le contact dans le champ de la personne est à l’origine de phénomènes très différents en jijélien,
ou aucun marqueur personnel amazigh n’a été emprunté en conservant sa valeur d’origine. Les
transferts de l’amazigh sur le jijélien nous permettent de distinguer plusieurs phases
sociohistoriques à l’origine du développement du jijélien : (1) l’introduction de l’arabe des
conquérants (proto-préhilalien) initialement transmis aux populations conquises sous la forme
d’une koinè, puis (2) la nativisation de cet arabe auprès des masses bilingues, donnant naissance
aux différentes variétés de préhilalien, dont le jijélien.
Nous avons décrit la perte d’opposition de genre à la seconde personne du singulier par calque
sur le substrat amazigh. Ce phénomène a eu lieu chez des populations amazighophones
dominantes par imposition (Van Coestem 1988, 2000). Cette neutralisation, attestée dans
l’ensemble de l’aire préhilalienne, a sans doute eu lieu au lendemain des conquêtes, par
conséquence de la diffusion d’une koinè militaire et l’acquisition imparfaite des parlers des
conquérants, donnant naissance à un premier type d’arabe proprement nord-africain.
Dans un second temps, cette koinè s’est nativisée auprès des masses bilingues amazighophones
dominantes, dans les cités et leurs banlieues rurales. Cette nativisation est à l’origine de
complexifications correspondant à des impositions du substrat amazigh (et localement à
d’autres substrats, par exemple latin ou grec) sur le préhilalien naissant. Un phénomène
caractéristique de cette étape dans le domaine de la personne en jijélien est l’emprunt à
l’amazigh de suffixes expressifs, dont l’usage est associé à des valeurs pragmatiques fines.
En tasahlit comme en jijélien, les phénomènes de contact concernant la personne nous ont
592
D’après la nomenclature de Van Coetsem 1988, 2000
Nous présenterons pour cela la morphosyntaxe des interrogatifs de chaque langue à partir d’un
corpus de vingt-et-une formes, comprenant des pronoms, des adjectifs et des adverbes
interrogatifs. Ce corpus fut recueilli par élicitations en 2021. Nous l’avons illustré d’exemples
récoltés à partir de notes prises à la volée sur des conversations tout le long de notre recherche.
Nous regarderons d’abord les formes de la tasahlit (sous-chapitre 1), puis celles du jijélien
(sous-chapitre 2). Nous présenterons à chaque fois les formes d’étymon natif avant de regarder
les formes empruntées à la langue voisine ou composées d’éléments empruntés à celle-ci. À la
fin de chaque sous-chapitre, nous présenterons pour les deux langues les formes empruntées
aux koinès arabes algériennes.
Nous présenterons dans un premier temps les trois bases interrogatives natives de la tasahlit :
an, mV et wV, avant de nous pencher sur les interrogatifs empruntés à l’arabe.
593
Cf. tableau 151 en annexe pour les données du kabyle occidental et du chaoui des Amouchas
ma d ʃəkː
« Est-ce-que tu as vu tout ce qu’ils ont détruit chez nous. (Aït Segoual, 2020) »
594
Dans ce type d’énoncé, Mettouchi (2001) parle d’interrogation globale. L’utilisation de ma y est toujours
facultative.
595
Cette construction rappelle beaucoup l’interrogatif kaš (ka<kan être.OD3SG.M + š pronom indéfini) de l’arabe
algérien. Il est possible que cette ressemblance soit le fruit d’un calque amazigh - arabe algérien, bien que rien ne
permette d’indiquer une directionalité.
596
Cf. Aokas (Aït Mhend) ma yella (Berkaï 2013:192)
« au moyen de quoi » mis ~ mijəs ~ swaʃu smijəs ~ su ~ si ~ swaʃu mis ~ mijəs ~ swaʃu
Personne
« qui » mənɦu Objet menɦu mənɦu
Sujet m. mənɦu ~ mənɦut, f. mənɦi ~ mənɦit,
Pluriel, m. mənɦun, f. mənɦunt
« pour qui » imizˁər imizˁər ~ imənɦu
« avec qui » mid ~ didmənɦu midid lwaħidmənɦu ~ didmənɦu ~ imid ~ midi ~ mid
« d'où » Anis
Temps
« quand » ajuq ajuq ~ ajuqt ajuq
a-ʃu di=ta-ni-tˤ
EL-quoi PREV=2SG-dire\INACC-2SG
Aʃu est attesté partout en tasahlit, dans tous les parlers kabyles ainsi qu’en amazigh de l’Atlas
blidéen. Il très productif dans la formation d’interrogatifs d’inanimés tels que :
En arabe, la base interrogative ʔaʃ (<ʔayyu « quel » + šayʔ « chose ») est à l’origine de
l’interrogatif « quoi » dans un grand nombre de parlers néo-arabes sous des allomorphes
variés (Watson 2011, Abdel-Razaq 2015).
Il existe également en tasahlit des attestations de ac sans la finale u d’origine pronominale dans
des formes composées. L’absence de l’élément pronominal pourrait être le résultat d’une
réduction phonétique à moins qu’il s’agisse d’un emprunt indépendant d’une base ac. C’est le
cas des formes suivantes :
Aʃ est le plus souvent combiné au pronom arabe de la troisième personne du singulier masculin
=u. Reesink (1973:327) propose que l’élément vocalique final de l’interrogatif kabyle acu
corresponde à du matériel phonétique natif : soit au clitique démonstratif zénète u, soit à la base
interrogative kabyle homophone. Ces hypothèses sont discutées par Kossmann (2013:300) qui
rappelle que le démonstratif amazigh proximal u est inconnu du kabyle et que la base
Néanmoins, l’origine de aʃu n’est pas sans poser un problème, puisqu’aucun parler arabe en
Kabylie orientale n’atteste d’une forme tout à fait identique, bien que plusieurs parlers
présentent des cognats phonétiquement proches :
Le parler rifain des Aït Boufrah ainsi que les variétés des Kétamas et des Senhajas de Sraïr ont
wac ~ kac ~ ac ~ c « quoi, que », tous directement empruntés à l’arabe (Lafkioui 2007:237,
Renisio 1932:103-104, Gutova c. p. 2017). Le parler sud-tunisien des At Mezret (Stumme 1900)
a emprunté ac dans la construction arabe figée ac bi=(+ OD) « qu’arrive-t-il (à untel) ». Enfin,
le parler de Figuig (Kossmann 1997:305) emploie l’interrogatif de questions fermées emprunté
wac.
L’interrogatif de chose présente des allomorphes très variables en arabe maghrébin (cf.
Bouhadiba 1998). Signalons la formule d’introduction aux devinettes dite en arabe dans la
confédération tasahlitophone des Irehmounen qui joue sur cette variation (Benabdelmalek
2015:38) :
Cette formule contient quatre allomorphes de l’interrogatif d’inanimé : amašahu < nom à
morphologie amazighe formé à partir l’arabe šahu [ša + 3SG.M hu]597; šu-hiyya [š + 3SG.M u
+ 3SG.F hiyya] ; wašən-hiyya [wašən + 3SG.F hiyya).
Ces variantes de l’interrogatif « quoi » furent empruntées à différents parlers arabes entrés en
contact à différentes périodes avec cette communauté amazighophone. Elles viennent confirmer
que l’amazigh de Kabylie orientale fut en contact avec une variété de formes contenant cet
interrogatif et qu’il est envisageable qu’une variante ašu préexista parmi celles-ci.
Une composition périphrastique transparente est attestée partout en arabe maghrébin. Acḥal est
emprunté par la totalité des parlers amazighs des Kabylies dont tous les parlers tasahlit, qui ne
connaissent plus d’interrogatifs de quantité natif.
Cet interrogatif de quantité fonctionne comme une base indépendante ; puisqu’il peut être
combiné avec différentes prépositions :
Aʃħal est attesté avec le sélectif a à l’initial en jijélien occidental (cf. Aït Mâad, tableau 93) et
dans d’autres parlers jijéliens montagnards auxquels la tasahlit a pu directement l’emprunter.
Dans d’autres parlers arabes locaux, comme le bougiote et le jijélien central, cet interrogatif
n’est aujourd’hui attesté que dans la forme šħal, sans voyelle initiale. L’uniformité de l’emprunt
acḥal, qui présente toujours une voyelle initiale dans les parlers amazighs des Kabylie pose
597
Tamacahut désigne la « devinette » chez les AB, et le « conte merveilleux » chez les AS et en kabyle.
a. « Je ne sais pas quand est-ce qu’ils sont venus ?598 (Aït Laâlam, 2019) »
Ayuq(t) fonctionne comme une base interrogative de temps combinable avec des prépositions :
[AB] sgajuq ~ zgajuq « depuis quand » < səg ~ zəg « depuis » + ajuq « quand »
Ajuq(t) est emprunté par les parlers tasahlits et kabyles pratiqués le long d’un cordon longeant
le littoral entre la ville de Béjaïa à l’est et la frontière linguistique avec le jijélien à l’ouest. Le
bougiote aywəq « quand » pourrait expliquer son emprunt en tasahlit par contact intra-amazigh
avec le kabyle pratiqué dans la banlieue de Béjaïa, directement en contact avec l’arabe bougiote.
Nous avons récolté dans ces parlers kabyles les variantes suivantes : [kabyle oriental-Est] aweq
~ awqet ~ ayweq ~ ayiweq ~ ayweqt.
598
Interrogation indirecte
La coexistence entre deux formes, l’une débutant par la voyelle a et l’autre par la préposition f
était attesté par exemple en arabe algérois : aywuq (forme archaïque propre au parler
musulman599) vs. Alger-juif faywuq (Cohen 1912:173). Nous avons noté que certains parlers
jijéliens montagnards présentaient des formes à base a- : ex. Oudjana aywǝq. Notons enfin que
la variante ayuqt des Aït Segoual a conservé le t final du nom *waqt, qui a chuté aussi bien
dans le jijélien [AM] faywəq que dans le bougiote aywəq.
Les formes ayuq ~ ayuqt dans les parlers tasahlits étudiés ont donc été empruntés via une forme
disparue *aywəq(t), via une strate ancienne d’arabe jijélien ou via le bougiote en raison du
contact entre la tasahlit et le kabyle oriental-Est.
599
Remplacé par wǝqtaš dans la koinè moderne
600
Composition de la base interrogative mi + il « moment » + base interrogative mi
Des sélectifs correspondant à cette combinaison sont largement répandus partout en arabe
algérien : Constantine ima, Cherchell wama, Oran amma, etc.
L’emprunt ama ne fonctionne pas de manière autonome. Il est toujours suivi d’un déterminant
pronominal de troisième personne appartenant à une série hybride amazigh-arabe (cf. section
2.2.4 du chapitre 4). Cela engendre la formation des quatre sélectifs présentés dans le tableau
77.
Tableau 77 Les interrogatifs sélectifs chez les Aït Segoual & les Aït Laâlam (nous avons
colorié en rouge le matériel natif, en vert le matériel phonétique arabe)
La répartition de ama en tasahlit est limitée aux seuls parlers pratiqués à faible distance de la
frontière linguistique avec l’arabe jijélien, ce qui indique une origine empruntée à cette
variété 601 . Toutefois, l’ensemble dans les parlers jijéliens occidentaux contemporains lui
préfèrent une forme combinée à la copule d, empruntée à l’amazigh : dama (cf. section 2.5).
La tasahlit orientale procéda donc à l’emprunt de ama via une forme *(ʔ)ama, disparue en
jijélien602.
601
La forme (y)ama est attestée en arabe bougiote mais n’est pas empruntée par le kabyle pratiqué dans sa banlieue,
ce qui infirme toute possibilité que la tasahlit orientale ait emprunté ama au bougiote.
602
Nous avons noté que lorsque les Aït Segoual s’exprimaient dans leur variété d’arabe de bilingues, ceux-ci
continuaient d’employer l’interrogatif sélectif ama associé aux pronoms clitiques préhilaliens : SG:M ama=hu,
SG:F ama=hi, PL ama=həm. À ce niveau, la variété d’arabe langue seconde utilisée par les Aït Segoual pourrait
Les trois parlers étudiés ont emprunté l’interrogatif locatif ayen (cf. AC ʔayna « où »).
Ayen n’est jamais autonome, il est toujours suivi d’un déterminant pronominal de troisième
personne appartenant à une série hybride (cf. section 2.2.4) permettant la formation des locatifs
présentés dans le tableau 78, dans lequel nous avons colorié en rouge le matériel amazigh natif
et en vert le matériel emprunté à l’arabe.
Tableau 78 Les interrogatifs locatifs d’origine empruntés à l’arabe chez les AS & les AL
Genre M F M F
603
Interrogation indirecte
1.1.5.1. L’emprunt de « où »
L’emprunt du locatif « où » est exceptionnel, nous ne l’avons trouvé nulle part ailleurs en
amazigh. Seuls certains parlers du Rif central et occidental ont emprunté « vers où » : ghomara
layen (Mourigh 2015:380), senhaja de Sraïr lay « par où » (Lafkioui 2007:239).
mənɦ iç=dː=i-çfa-n=adː=iθ
qui OD2SG.M=DIR=PTCP-donner\ACC-PTCP=DIR=3SG.F
Cet emprunt est attesté dans les parlers amazighs de Kabylie orientale, une large partie du
domaine chaoui, ainsi que dans les ksours amazighophones de l'ouest algérien (Kossmann
2013:301).
L’emprunt de ces bases interrogatives à l’arabe est intéressant à plusieurs points de vue.
Premièrement, dans la mesure où ce type d’emprunt est très développé dans les parlers étudiés
au point d’être plus nombreux que les bases natives, ce qui est relativement rare dans les autres
langues amazighes. Les six bases empruntées ont provoqué la disparition de leurs équivalents
natifs ou sont en compétition avec ceux-ci. Cela nous permettra de proposer des hypothèses
concernant l’ancienneté de leurs emprunts (cf. section 1.2.3).
Nous verrons que toutes ces formes posent question du point de vue de leur origine précise.
Nous chercherons à les déterminer, en questionnant la possibilité d’emprunts à des strates
d’arabe antérieures ainsi qu’à des réfections morphologiques internes.
Le tableau 80 présente les différentes formes de ce marqueur entre les trois parlers tasahlits
étudiés.
Marqueur d’interrogation polaire jaxi ~ waxi ~ axi jaxi ~ wax ~ axi jaxi ~ jax ~ wax ~ axi
- le pronom objet direct arabe de 1SG =i, soit « mon frère » (absent dans certaines
variantes).
Nous avons très peu d’informations sur les marqueurs d’interrogation polaire en usage parmi
d’autres langues amazighes. Les grammaires de plusieurs langues amazighes ne présentent
souvent aucun équivalent. Toutefois, il est possible que celui-ci n’ait pas été présenté en raison
de son caractère facultatif, ou dans le cas où celui-ci aurait été emprunté, qu’il n’ait pas été
décrit car considéré comme une sorte de phénomène d’alternance codique plutôt que comme
un réel emprunt. En raison du peu de données disponibles, nous préférons ne pas tenter de
comparer nos résultats concernant son emprunt en tasahlit avec les autres langues de la famille
amazighe.
605
La présence de ce vocatif indique que ce marqueur a pu servir de terme d’adresse avant d’évoluer vers un
interrogatif.
lʕa=mənɦ aθ=j-awi-n
on.ne.sait=qui OD3SG.M=PARTC=emporter=PARTC
Berkaï (2014:100) signale l’existence de cette particule en tasahlit chez les Aït Mhend, sous la
forme lɛa, ainsi que dans les « parlers kabyles du sud du Djurdjura (Iwaquren, Raffour), sous
la forme rɛi. Dans ces parlers, il peut être combiné à d’autres mots grammaticaux que les
interrogatifs comme les pronoms autonomes. Sa répartition disjointe à travers les massifs de
Kabylie témoigne de l’ancienneté de son emprunt.
i wa-ʃ ag=di=wi=yadː=it
i wa-ma=ɦu s=tə-nːa-tˁ
La base native an (cf. section) présente également une voyelle initiale marquant l’opposition
d’état : [AB] ani « où » vs. i wani « vers où ».
La base interrogative native an présente des fonctions nominales dans l’ensemble des parlers
amazighs des Kabylies 607 . Cette évolution trouve son origine dans la réinterprétation de la
voyelle initiale de la base an608 comme le préfixe vocalique nominal a.
606
La plupart des langues amazighes, dont la tasahlit, présente un système de cas binaire entre un état libre (non-
marqué) et un état annexé (marqué). Cf. Mettouchi (2014) pour une explication et une analyse complète de
l’opposition d’état en amazigh.
607
Cf. Chaker (1983:261), Rabdi (2004:132) et tableau 151 en annexe pour le kabyle et le chaoui des Amouchas
et El Arifi (2014) pour l’atlas blidéen
608
Tadghaq (Prasse 1985) : ənde « où », ən « quel » əmme « quand » (nm ➔ mm), Ghadamsi (Despois, Lanfry
Le complexe figé menhu « qui » fut directement emprunté par la tasahlit à l’arabe. L’arabe de
Kabylie orientale a procédé au figement de la composition mǝn, interrogatif de personne, avec
hu pronom de 3SG.M. Les Aït Segoual ont calqué sur l’arabe la possibilité de faire varier cet
interrogatif selon sa position (objet vs. sujet).
Le cas de l’interrogatif acu est plus compliqué, puisque nous avons vu qu’aucun parler arabe
local contemporain ne proposait directement cette forme.
Nous présenterons ci-dessous l’origine des compositions de type base interrogative + pronom
personnel en arabe afin de proposer des hypothèses concernant les procédés d’emprunt de
menhu et de acu.
Dans beaucoup de parlers arabes maghrébins, dont le jijélien, l’interrogatif de personne mǝn
ne s’observe à l’état nu que dans les interrogations de filiation. Autrement, mǝn est suivi d’un
pronom personnel de troisième personne singulier masculin figé pour son usage général comme
interrogatif de personne :
& Prasse 2011) : anno « qui », ghomara (Mourigh 2015:379) ana « où », Chaoui (Penchoen 1973:127-132) ani
« où, là où, vers où », etc. L’origine de cette base interrogative est incertaine. On pourrait la faire dériver de la base
interrogative pan-amazighe man avec une chute de l'élément initial. Man est composée de la base interrogative
pan-afro-asiatique *m, suivie du pronom neutre ou d’un démonstratif nominal a(y) (Idiatof 2007:170), puis de la
marque du génitif n. Mais cette hypothèse n’explique pas l’origine de la chute de M. Une autre source afro-
asiatique possible serait la base interrogative *ʔay « où, quel », associée au génitif n.
mənɦu ɦad=a
qui DEM=SG.M
« Quelles sont les plantes (utilisées) dans la purée d’herbes sauvages ? » (JV, 2020)
L’interrogatif de chose peut être combiné avec un pronom en position de reprise pronominale
du sujet (ex. diʃuwːa < diʃ « quoi » + uwːa 3SG.M) :
Parmi les parlers néo-arabes, les interrogatifs de chose, de personne et locatifs peuvent être
suivis d’un élément d’origine pronominale dont la fonction est de marquer l’interrogatif selon
sa fonction syntaxique : sujet (avec pronom) ou objet (sans pronom). En jijélien, l’interrogatif
« qui » (mənhu) se présente en position objet sous la forme d’une composition entre une base
interrogative et un pronom autonome figé à la 3SG.M. En position objet, cet interrogatif peut
être différencié à partir des caractéristiques suivantes :
Le tableau 81 présente l’ensemble des formes attestées pour l’interrogatif de personne dans la
tasahlit des Aït Segoual et les deux parlers jijéliens étudiés selon leur position syntaxique
(objet/sujet) :
Tasahlit Jijélien
Objet mǝnɦu
F mǝnɦunt
« Qui » « Quoi »
Jijélien, Jijel-ville mǝnɦu mǝnɦuwːa dijːǝʃ ~ diʃ ~ daʃ ~ daʃǝn diʃuwːa ~ diʃhuwːa ~ ͡tʃǝwːa
~ diʃɦuwːa ~ diʃu
- Les parlers arabes de Kabylie orientale ont figé une forme mǝnhu en position objet alors
que la combinaison mǝn « qui » + hu pronom de 3SG.M correspond généralement
ailleurs en arabe à une combinaison utilisée pour l’interrogatif « qui » en position de
reprise pronominale du sujet.
- Le parler des Aït Mâad (comme le bougiote), a pratiquement perdu la distinction de
position sujet/objet avec l’interrogatif « qui ».
- Dans des parlers préhilaliens (ghomara et Collo-ville), l’interrogatif de chose en
position objet correspond parfois à une fusion d’une base interrogative avec un pronom
personnel.
- Dans les parlers arabes tchadien et soudanais609, les interrogatifs de personne et de chose
ont perdu la distinction de position objet/sujet ; l’unique forme attestée présente ce qui
correspond ailleurs à la reprise pronominale du sujet, c’est-à-dire un figement entre la
base interrogative et un pronom.
Ces comparaisons font apparaître un développement commun entre des variétés d’arabe
maghrébines préhilaliennes, tchadiennes, soudanaises, qui ont procédé à la perte de distinction
syntaxique objet/sujet concernant ces deux interrogatifs, en généralisant la variante attribuée
initialement à la position de reprise pronominale du sujet. Cette évolution parallèle dans des
parlers arabes porteurs de substrats linguistiques complètement différents indique qu’elle
correspond à une neutralisation interne, peut-être liée au processus de changement de langue.
1.2.2.1. En amazigh
La plupart des langues amazighes ne présentent pas de distinction morphologique liée à
l’opposition objet/sujet dans leurs interrogatifs. Cette distinction est par ailleurs observée en
ghomara, langue amazighe la plus fortement influencées par l’arabe :
Ghomara : objet cku(n) vs. reprise sujet M:SG ckunahu, F:SG ckunahi, PL ckunahem « qui, quel »
Pour l’interrogatif de personne, nous avons également relevé ce calque (associé à un emprunt)
dans la tasahlit des Aït Segoual (cf. tableau)610.
609
Les créoles à base lexicale arabe présentent des données très similaire (cf. Miller [2006:4] pour le créole de
Juba).
610
Nous l’avons aussi relevé dans le parler tasahlit oriental des Aït Nabet (fraction d’Iâayaden) : ex. objet menhu
vs. sujet menhuwwa « qui (masculin singulier) ».
Nous avons vu qu’en néo-arabe, la combinaison d’une base interrogative avec un pronom
personnel permettait de former les interrogatifs d’animés et d’inanimés. Dans les variétés
modernes, la composition base interrogative + pronom est généralement associée à la reprise
pronominale du sujet. En préhilalien, cette opposition est parfois inexistante. Dans ce cas, la
forme généralisée correspond à une composition base interrogative + pronom. Il est donc
envisageable qu’en Kabylie, une strate d’arabe ancienne ait présenté un interrogatif *ašu (<base
aš + pronom u). Cette forme a peut-être disparu par suite de l’introduction de la distinction
syntaxique entre la position objet et sujet pour cet interrogatif. Ce sera notre première hypothèse
concernant l’origine de acu.
En ce qui concerne ces deux formes composées, on notera que chez les Aït
Segoual, l’interrogatif d’inanimé mata est attesté à côté d’acu612. Ces deux interrogatifs sont
composés d’une base interrogative et d’un marqueur pronominal de troisième personne du
singulier d’origine native pour mata (cf. ta), emprunté pour acu (cf. u). Notre hypothèse est
que acu correspond à une composition créée par les bilingues, calquant son synonyme plus
ancien mata, composé d’éléments natifs mais lui-même produit d’un calque plus ancien de
l’arabe. Ces évolutions sont schématisées dans le tableau 83.
611
Signalons un exemple d’adverbe composé de manière similaire : taɣetta (AB) ~ daɣta (AS) « donc » < daɣ
« aussi » + netta 3SG.M.
612
C’est également le cas dans l’Atlas blidéen (El Arifi 2014)
Tableau 84 Comparaison des interrogatifs formée à partir de la base interrogative de chose native ou empruntée dans les parlers étudiés
Base native mV Base empruntée aʃ(u) Base native mV Base empruntée aʃ(u) Base native mV Base empruntée aʃ(u)
« pourquoi » maɦ iwaʃ(u) ~ aʃalmi maɣəf ~ maɦ iwaʃ(u) maɣəf ~ miɣəf ~ mːaɦ iwaʃ(u) ~ aʃaləmːi
« au moyen de quoi » mis ~ mijəs swaʃu smijəs ~ si swaʃu ~ su mis ~ mijəs swaʃu
Base native mV Base empruntée mən Base native mV Base empruntée mən Base native mV Base empruntée mən
« avec qui » mid didmənɦu midid Ø imid ~ midi ~ mid didmənɦu ~ lwaħidmənɦu
L’opposition entre « qui » et » quoi » se rencontre en synchronie dans quatre des six branches
du phylum afro-asiatique : le sémitique, l’amazigh, l’égyptien et le couchitique (Idiatov
2007:150). Idiatov (2007:151) démontre qu’en « cananéo-akkadien », langue mixte entre le
sémitique occidental et le sémitique oriental, la distinction qui/quoi serait le fruit du contact à
travers une fusion imparfaite des paradigmes d’interrogatifs du sémitique oriental et occidental.
Cela aurait conduit à l’émergence d’une distinction entre les deux formes à l’origine des
interrogatifs « quoi » et « qui » dans plusieurs langues sémitiques modernes :
Cette opposition est partout observée en néo-arabe, mais les formes de ces deux interrogatifs
ont parfois évolué, en particulier concernant « quoi », qui n’est plus rendu par mV(h) dans la
majorité des parlers arabes, qui lui préfèrent le réflexe *ʔay.
En amazigh, on observe une distinction qui/quoi dans des parlers appartenant à chacune des 4
sous-familles (Idiatov 2007:155). Les langues amazighes font état de formes parfois très
différentes d’une variété à l’autre pour ces interrogatifs. Beaucoup correspondent aux anciennes
formes afro-asiatiques, d’autres à la grammaticalisation de démonstratifs, ou encore à des
emprunts à l’arabe. Ce foisonnement de formes témoigne du caractère relativement récent de
l’introduction de l’opposition qui/quoi. Ajoutons à cela qu’à l’exception de cette opposition,
aucune trace de hiérarchie d’animacité n’est attestée en amazigh.
La distribution des langues amazighes présentant cette distinction amène Kossmann (2013:298)
à proposer que celle-ci soit calquée sur l’arabe. En effet, les parlers les plus conservateurs en
termes d’emprunts et de convergence avec l’arabe ne présentent pas cette distinction. C’est le
cas de l’amazigh-Sud, de la tetserret pour l’amazigh-Ouest, et d’une partie des parlers tachelhiyt
pour l’amazigh-Nord. Tandis que la distinction qui/quoi est attestée partout en amazigh-Est,
ainsi que dans la majorité des parlers amazighs septentrionaux.
Le tableau 86 présente les interrogatifs et leurs étymons dans dix langues amazighes.
Siwi bətːin tanta ta ancien interrogatif mV + pronom 3SG + pronom ancien interrogatif mV + pronom 3SG + pronom 3SG
3SG + démonstratif ?
613
En arabe maghrébin, škun se comporte plutôt comme un interrogatif de personne. D’après Gutova (2021:595), son emprunt dans l’amazigh des Kétamas s’est produit avant
la différenciation entre « qui » et « quoi », raison pour laquelle celui-ci s’y emploie aussi bien pour « qui » que pour « quoi ».
Quelques indices indiquent que la distinction qui/quoi n’a pas été entièrement intégrée en
tasahlit. En dehors de mata, les complexes interrogatifs natifs constitués à partir de la base
interrogative mV n’opposent pas « qui » et « quoi » :
Une situation similaire s’observe souvent dans les parlers amazighs ayant introduit l’opposition
qui/quoi sans avoir emprunté les interrogatifs correspondant arabes. La tamazight des Aït
Ayyach oppose l’interrogatif autonome matta « quoi » (<ma base interrogative + 3SG.M netta)
à may « qui » (ma base interrogative + i pronom relatif) ; tandis que la forme commune mi ~
ma s’observe partout en combinaison pour les interrogatifs de personnes et des autres animés
et inanimés : imi « pour qui », maxefmi « sur quoi », madmi « avec qui » (cf. tableau 151 en
annexe).
En tasahlit, les interrogatifs entièrement constitués de matériaux phonétiques arabes ne sont pas
transparents : Ex. [AL] menhu « qui », amahu « lequel » etc. Les interrogatifs combinant une
base empruntée à un élément natif sont quant à eux toujours transparents : AL imenhu « à qui »,
gamahu « dans lequel », etc.
Il arrive que ces formes s’opposent à des interrogatifs natifs non-transparents. Par exemple chez
les Aït Segoual, « pourquoi » peut être réalisé à la fois à partir d’interrogatifs :
614
Interrogatif archaïque utilisé uniquement en réponse à une phrase non comprise.
Il est possible de comparer ces deux ordres par exemple en regardant les deux formes rendant
l’interrogatif « depuis quoi » chez les Aït Segoual :
sgaʃu <səg « depuis » + aʃu base empruntée ➔ préposition + base int. = ordre calqué
En tasahlit, l’ordre combinatoire préposition + base interrogative concerne la plupart des bi-
morphémiques composés d’une base empruntée tandis que l’ordre base interrogative +
préposition est généralement observé dans les pluri-morphémiques à base native. Les tableaux
88 et 89 présentent les deux ordres en tasahlit en comparaison aux données du jijélien.
Tableau 88 L’ordre combinatoire des interrogatifs de chose dans les deux langues étudiées
Tableau 89 L’ordre combinatoire des interrogatifs de personne dans les deux langues
étudiées
« avec qui » did « dans » mənɦu mi did « dans » mʕa/i « avec » mən
« chez qui » ɣur « depuis » mənɦu mi zəg « depuis » ʕənd « chez » m(ː)ən
Il existe d’autres exemples de bi-morphémiques à base empruntée observant l’ordre natif dans
les parlers tasahlits voisins :
Ces interrogatifs furent formés à une période précédant le calque de l’ordre combinatoire arabe
préposition + Q-particule. L’emprunt des bases interrogatives de chose arabe est donc antérieur
au calque de l’ordre préposition + Q-particule.
Enfin, nous avons repéré un interrogatif dans lequel l’ordre combinatoire calqué de l’arabe est
appliqué à une base interrogative native par les parlers tasahlits étudiés. Celui-ci est présenté
en comparaison entre la tasahlit et la forme équivalente en jijélien dans le tableau 91.
Tableau 91 Les compositions de l’interrogatif « vers où » dans la tasahlit des Aït Bouycef
et en arabe jijélien
Selon Kossmann (2013:303), les combinaisons observables dans un certain nombre de langues
amazighes affichant un ordre du type préposition(s) + base interrogative « [...] could be
considered a calque on Maghribian Arabic, which has identical constructions, but could also
easily consitute an internal development ». Tandis que l’ordre base interrogative + préposition(s)
615
Cf. Berkaï (2014:251)
L’ordre Préposition + Préposition + Base interrogative est une analogie de l’ordre Préposition +
Base interrogative calqué à l’arabe pour les bi-morphémiques.
Il est plus difficile de donner une directionnalité à l’ordre Préposition + Base interrogative +
Préposition, lequel fonctionne comme un compromis entre l’ordre calqué et l’ordre natif. Nous
le classerons comme une forme du troisième type, ni complètement native, ni complètement
calquée sur l’arabe.
616
« Interrogative sentences with question words typically involve syntactic structures akin to clefting. It is possible
to analyse (at least historically) most question-word sentences as a question element m-, followed by the clefting
element a, followed by a relative clause. This exploits the fact that prepositions typically follow the question word
rather than precede it (in relative clauses, prepositions are found on the left periphery of the clause), and the use
of the participial form when the question word is the subject of the sentence (Kossmann 2013:90) ».
Ces données nous indiquent que ce calque a pu être réalisé de manière indépendante à l’emprunt
de bases interrogatives arabes en tasahlit et ailleurs.
En tasahlit, nous n’avons trouvé qu’un seul interrogatif constitué de matériaux natifs tout en
présentant le calque compositionnel préposition + base. Il existe aussi quelques bi-
morphémiques présentant une base empruntée mais l’ordre compositionnel natif base int. +
préposition. Nous pouvons en déduire qu’en tasahlit, le calque de l’ordre combinatoire
préposition + base int. précéda l’emprunt de bases interrogatives arabes.
Comme nous avons pu le voir dans la section 1.2.3, l’emprunt de bases interrogatives arabes en
tasahlit n’est pas un phénomène ancien, puisque la plupart des interrogatifs à base arabe ont
conservé un équivalent natif jusqu’à nos jours. Le calque de l’ordre combinatoire arabe doit
être considéré comme un phénomène de contact récent, provoqué par l’augmentation du
bilinguisme chez les amazighophones des Babors au cours des siècles derniers.
Combien aʃħal [< a + ʃ + ħal] aʃħal [< a + ʃ + ħal] ʃħal [< ʃ + ħal]
Quand ajuq [< a + wəqt] fajwəq [< f + a + wəqt] ajwəq [< a + wəqt]
Quoi (objet) aʃu [< a + ʃ + u] dəʃ [< d + a + ʃ] aʃ ~ daʃ ~ aʃi ~ daʃi ~ daʃəlːi ~
aʃəlːi [< d + a + ʃ ~ əlːi]
[< a + ʃ ~ ɦuwːa]
Quel ama [< a + ma] dama [< d + a + ma] (j)ama [< a + ma]
Deux de ces formes sont attestées dans les parlers amazighs de Kabylie (tasahlit, taâmoucht,
kabyle et tamazight de l’Atlas blidéen) : aʃħal et ašu. Cette répartition laisse penser qu’elles
s’y diffusèrent en partie sous l’effet du dynamisme intra-amazigh.
Les bases interrogatives sélective ama, locative ayen et temporel ayuq(t) présentent des formes
moins répandues, empruntées par la tasahlit à une strate ancienne de préhilalien, via les formes
respectives *(ʔ)ama *(ʔ)ayən et *(ʔ)aywəq(t).
Le tableau 92 illustre la proximité entre les formes de l’arabe bougiote et celles de la tasahlit,
en opposition à leurs correspondants en jijélien. Ces ressemblances pourraient indiquer que le
jijélien occidental était plus proche du bougiote : ce qui va dans le sens de l’hypothèse d’une
Les Aït Mâad, confédération probablement d’origine citadine (bougiote) et décrite au 19ème
siècle comme « militaire » (cf. section 2.2.5 du chapitre 1), constituèrent peut-être le principal
centre d’arabisation de l’ouest jijélien durant plusieurs siècles. Nous ferons l’hypothèse que les
parlers tasahlits ont emprunté les interrogatifs *ama, *ajən, *aywəqt et *aʃħal à la variété
d’arabe anciennement pratiquée par les Aït Mâad, avant son nivellement avec le jijélien lorsque
celle-ci était plus proche du bougiote.
Inversement la pénétration de men(hu) est ancienne chez les Aït Segoual de Taâzibt, qui sont
les seuls, dans les parlers étudiés, à avoir calqué la distinction sujet/objet de l’arabe pour cet
emprunt. Si les AS tirent cette base du jijélien, le dynamisme intra-amazigh avec le kabyle
oriental-Est, qui a emprunté menhu au bougiote, a également pu participer à sa diffusion. Puis,
l’usage de menhu s’est généralisé en tasahlit, jusque dans les parlers de la tasahlit occidentale,
moins influencés par le jijélien.
Sur ces trois emprunts, seul celui de l’interrogatif de quantité « combien » est attesté dans toutes
les variétés de domari connues (Matras 2012). Cela peut être expliqué par le mode de vie des
Doms, peuple semi-nomades minoritaire dans des pays/espaces souvent entièrement
arabophones. Les échanges communicatifs et économiques avec les arabophones sont
quotidiens et le bilinguisme arabe-domari est très répandu.
Comme chez les amazighophones des Babors, le besoin pour les Doms d’acquérir l’interrogatif
arabe « combien » s’est probablement imposé pour faciliter les échanges commerciaux. En
tasahlit comme dans certains parlers Doms, l’emprunt à l’arabe de « combien » fut suivi de la
disparition de son synonyme natif.
waʃ rˤa=ç quoi PRES=2SG.M « Comment vas-tu », waʃ bi=ç quoi au moyen de=2SG.M « Qu’est-
ce qu’il te prend ? », waʃ dəxːl=əç quoi entrer\ ACC=OD2SG.M « De quoi te mêles-tu ? »
617
Chez les Aït Segoual, nous avons aussi entendu acnuwwa ~ wacnuwwa « néanmoins, toutefois, mais »,
correspondant respectifs de ac ~ wac en reprise pronominale dans des koinès arabes algériennes.
Cet interrogatif est emprunté aux koinès arabes algériennes. D’après Souag (2015), kac serait
une forme d’émergence contemporaine en arabe algérien et donc à un emprunt récent à l’arabe
en tasahlit.
Nous présenterons l’ensemble des interrogatifs dans les parlers jijéliens étudiés avant de
regarder précisément le cas des interrogatifs composés d’un morphème emprunté à l’amazigh
puis de l’ordre des interrogatifs correspondant à des compositions pluri-morphémiques.
(M)ma s’observe dans des constructions dans lesquelles il passe souvent à la valeur de relatif
(Marçais 1957:488). Dans ces situations, l’usage de l’interrogatif de questions fermées est
toujours optionnel, le seul marqueur obligatoire de l’interrogative indirecte étant l’intonation.
mma n-tˤəjːb-u
Mǝn nu s’emploie en jijélien seulement pour un usage spécialisé aux questions de filiation,
d’appartenance familiale ou tribale. Autrement, mǝn est employé en combinaison avec des
éléments pronominaux de troisième personne et des prépositions :
2.2. Les complexes à bases [JV] -iyyǝš ~ -ǝyyǝš ~ -iš, [AM] ǝš, [JV]
& [AM] aš
Ils dérivent tous de la base interrogative afro-asiatique *ʔay (cf. AC ʔayyu « quel ») combinée
à *šayʔ « chose ».
À l’exception de aš chez les AM, ces complexes sont obligatoirement associés à des
prépositions natives ou à des morphèmes grammaticaux empruntés à l’amazigh. Voici quelques
exemples d’utilisation de ces formes en contexte :
618
Sorte de soulier en cuire
fajn=u xu=jːi
INTG=ODT3SG.M frère\SG.M=OI1SG
619
SG:M -hu ~ -huwwa, SG:F -hi ~ -hiyya, PL -hum ~ -həm ~ huma
daʃǝnɦuwːa (~ waʃɦuwːa)
620
Cette forme n’est pas donnée par Marçais. Elle nous a été présentée comme archaïque et propre au sociolecte
des femmes âgées.
621
D’après l’un de nos informateurs, cette variante était autrefois typique du parler des Bni Caïd. Celle-ci aurait
été empruntée par le parler citadin en conséquence de l’intégration de la majorité des villages ruraux des Bni Caïd
à l’espace citadin.
a) Le pronom interrogatif dama « quel » et ses combinaisons avec des pronoms ou des
prépositions : damahǝwwa « lequel », damahiyya « laquelle », ldama « auquel » fidama
« dans quel », etc. Commun aux deux parlers jijéliens étudiés, ce pronom est constitué de
la copule d’origine amazighe d suivie de la base interrogative native ama (<ʔay + mā).
b) L’interrogatif de chose [JV] diyyǝš ~ diš ~ dašǝn ~ daš, [AM] dǝš « quoi ». Lequel est
composé de la copule amazighe d et de la base interrogative native iyyǝš ~ -iš ~ -aš ~ -ǝš
(<ʔay « + šayʔ).
Parmi les variantes du parler de Jijel-ville, daš est uniquement employé suivi de la préposition
bi « au moyen de », comme l’illustre l’exemple suivant :
622
En jijélien (comme dans beaucoup de parler maghrébins) « arabe » est un adjectif renvoyant aux éléments
d’origine locale.
ħdaʃ nijːǝʃ
onze de quoi
2.6.1.1. En amazigh
La majorité des parlers amazighs 623 présentent une copule d 624 permettant la prédication
nominale (Bentolila 1981 ; Chaker 1983 ; Galand 1998, 2009, 2010 ; Taine-Cheikh 2018625).
Taine-Cheikh (2018:229) note que « dans certains parlers, la particule prédicative est peu (ou
pas) usitée alors que dans d'autres, elle l'est régulièrement. » En tasahlit, d (~ ḏ) est la seule
copule nominale employée :
« Le têtard, c’est un crapaud lorsqu’il est encore petit (Aït Segoual, 2020). »
623
Tous les parlers amazighs septentrionaux à l’exception des Infoussen. En tachelhiyt et en touareg, d n’est plus
observé qu’à l’état figé en composition (ex. tahaggart hund « comme » < hun + d « X comme c’est Y »,
décomposé ainsi par Taine-Cheikh 2018:231). Cette copule est également attestée en amazigh oriental (Awjila) et
occidental (zénaga).
624
Avec quelques variations : Zénaga ăd ~ ăḏ, tamazight du Moyen-Atlas d ~ dd, rifain ḏ, etc.
625
Ce morphème est appelé particule de proposition nominale ou particule nominale par Basset (1948:90),
identificateur par Bentolila (1981), auxiliaire de prédication par Chaker (1983:320) et particule de proposition,
particule propositionnelle, copule, agent de liaison et particule prédicative par Galand (2009:142).
2.6.1.2. En arabe
La copule amazighe non-verbale est empruntée par plusieurs parlers arabes
préhilaliens villageois du Maghreb occidental où elle est réalisée occlusive ([d], ex. jijélien) ou
fricative ([ð], ex. bougiote626). Elle a été identifiée :
en Algérie,
- dans l’ensemble des parlers arabes de Kabylie orientale de Béjaïa à Collo : cf. Marçais
(1956:465) pour Jijel-ville et l’arrière-pays jijélien, El-Milia et Collo, Garaoun (2023, à
paraître) pour Béjaïa ;
- dans des parlers villageois montagnards des Traras-M’Sirdas dans le nord-ouest algérien
(observation personnelle qui fera l’objet d’une étude future).
au Maroc627,
- dans le parler des Bni Msek (confédération des Beni Itteft), enclave arabophone située
à l’intérieur d’une confédération amazighophone à la frontière entre les aires Jbala et
rifaine (Maghdad 1993:62) ;
- Il est possible qu’elle soit empruntée par l’arabe des Ghomaras (Naciri-Azzouz, c. p.).
Les exemples suivants présentent des contextes d’utilisation de cette copule dans ces variétés :
626
Cette variation est aussi connue de l’amazigh où certains parlers septentrionaux présentent une variante
spirantisée et d’autres occlusive de cette copule : kabyle [ð], tasahlit [d], etc.
627
Possiblement aussi dans l’arabe des Ghomaras (Naciri-Azzouz, c. p.)
« Même si c’est difficile pour moi. (Colliote montagnard [Oulad Attya], 2023) »
D’après les observations de Marçais (1956, 1957), les fonctions de la copule d varient selon les
parlers arabes en Kabylie orientale. Dans certaines variétés, son utilisation est rare et facultative,
par exemple dans le parler d’El-Milia (cf. Marçais 1957:465). Dans les variétés des Aït Mâad
et de Jijel-ville, d est à la fois une copule non-verbale et un élément de focalisation d’objet et
de sujet. En tant que copule non-verbale, d n’est jamais facultatif, bien que ses usages présentent
quelques variations selon les parlers. Nous présenterons à travers les exemples ci-dessous son
usage comme copule non-verbale puis son usage comme marqueur de focalisation.
628
Il existe chez les Aït Mâad, un démonstratif d (ex. d ən-nɦarˤ « aujourd’hui »), variante de had surtout utilisée
devant les adverbes. Ses fonctions sont purement démonstratives et ne peuvent être confondues avec d prédicat et
marqueur de focalisation.
629
Proverbe équivalent au français « blanc bonnet ou bonnet blanc » dans lequel le nom fève est dit au moyen de
ses deux synonymes dans ce parler, le premier arabe (ful), le second (ibawən) emprunté au latin via l’amazigh.
ma rˁi-na=ɦa ʃ d ħna
Ces stratégies de focalisation n’existent pas en tasahlit et à notre connaissance nulle part ailleurs
en amazigh, elles correspondent vraisemblablement à des extensions d’usage de la copule
amazighe d par l’arabe jijélien étudiée en détail par Kossmann (2014).
On retrouve cette combinaison par exemple en français dans la locution qu’est-ce, qui contient
l’interrogatif que, combiné au verbe copule être. Dans la construction qu’est-ce que c’est, la
copule c’est y suit l’interrogatif qu’est-ce, témoignant du figement complet de la copule qu’il
contient.
En amazigh, la copule d a disparu de certaines variétés à l’état libre, mais s’est conservée dans
des formes grammaticales figées. C’est le cas en tachelhiyt, où l’on observe un interrogatif isd
« est-ce-que », composé de l’élément proprement interrogatif is et de la copule d qui ne
fonctionne plus en autonomie (Galand 1998).
En tasahlit, tous les interrogatifs peuvent être précédés ou non de la copule d. Son addition a
pour fonction la rhématisation (focalisation) de l’interrogatif.
630
Notons qu’il existe dans l’ensemble des parlers de Kabylie ayant emprunté acu, une forme figée contenant la
copule d associée à l’interrogatif d’inanimé acu : dacu ~ ḏacu. Cette combinaison est utilisée en tête de phrase
comme élément de transition « cependant, néanmoins, toutefois, mais ». Elle est contrastive et bien en lien avec
sa fonction focalisatrice initiale.
nə-ʧːa nə-swa daʃu ul nə-rˤwa ula
1PL-manger\ACC 1PL-boire\ACC cependant NEG 1PL-être repu\ACC NEG
« Nous avons mangé, nous avons bu, mais pas à satiété. (Aït Bouycef, 2020) »
Un connecteur étymologiquement et sémantiquement semblable est attesté en jijélien. Celui-ci est construit à partir
des interrogatifs d’inanimés correspondant à la reprise sujet : [JV] diʃuwːa ~ diʃɦuwːa ~ t͡ʃǝwːa ~ diʃu ~
daʃǝnɦuwːa, [AM] dǝʃwa :
c͡çli-na ʃrəb-na diʃuwːa ma ʃbəʕ-na ʃi
manger\ACC-1PL boire\ACC-1PL cependant NEG être repu\ACC-1PL NEG
« Nous avons mangé, nous avons bu, mais pas à satiété. (Jijel-ville, 2020) »
Cette grammaticalisation est sans doute interne en jijélien, mais il est intéressant d’observer que l’amazigh de
Kabylie a procédé à une grammaticalisation parallèle, sans doute calquée, à partir de la construction focalisée d
copule native + acu base interrogative empruntée.
Dans les parlers jijéliens étudiés, l’option d’utilisation de d comme élément de focalisation
devant les interrogatifs existe pour l’ensemble des interrogatifs chez les Aït Mâad, tandis qu’elle
est inexistante à Jijel-ville.
Chez les Aït Mâad, d de focalisation peut précéder les interrogatifs composés de celui-ci :
ʕawəd d ə
dʃ ədːi ka=t͡squl trˤaʃ
631
Cet exemple correspond à une clivée avec le relateur n, un procédé fréquent de focalisation dans les langues du
monde.
632
Oujda dāš « quoi » (Elbaz 1980:302)
Tableau 95 L’interrogatif sélectif dans les parlers préhilaliens ayant emprunté la copule
amazighe d
633
Colin (1921:74-75)
634
Colin (1921:74-75)
- Nord de Taza : diwqaš ~ duqaš « quand » <copule amazighe d + w.qt « temps » + base
interrogative aš
- Bougiote : daškun « qui » <copule amazighe d + base interrogatif aš + kun « être »635
Dans une strate antérieure, le jijélien présentait des interrogatifs de chose et sélectifs non figés
avec d. Cela est prouvé par l’emprunt du sélectif ama « quel » par la tasahlit orientale (cf.
section 1.1.4). Les deux formes - ama et dama - ont sans doute un certain temps été chacune
associée à une fonction particulière liée à la prédication ou à la focalisation. Une enquête dans
les parlers préhilaliens voisins parmi lesquels des interrogatifs avec ou sans d sont attestés,
pourrait nous permettre de comprendre la valeur initiale des formes en d et le processus ayant
permis à ces dernières d’évincer la forme sans d en jijélien.
635
Le parler du village d’El-Hamma, situé au sein de la confédération des Aït Mâad, présente une forme diškun
pour l’interrogatif de personne.
rˤəbaʕtˤaʃ nijːəʃ
quatorze de quoi
Ailleurs en amazigh, l’interrogatif « de quoi » présente des constitutions variées, aucun type
pan-amazigh ne peut être dégagé :
Nwacu kabyle et niyyǝš du jijélien n’ont pas de relation de parenté directe. L’émergence de ces
interrogatifs hybrides amazigh-arabe correspond à un développement parallèle généré par le
contact historique dans chacune de ces langues avec sa voisine.
Selon cette seconde hypothèse, il faudrait envisager que l’emprunt de d copule / comme
marqueur de focalisation ait été un trait commun dans l’arabe né chez les bilingues à la suite
des premières conquêtes arabo-musulmanes. Sa disparition serait la conséquence d’un
La Kabylie orientale est la région où cet emprunt est resté le plus vivant. En jijélien, cette copule
assume des fonctions inconnues du substrat amazigh (Kossmann 2014) et se retrouve combinée
dans plusieurs interrogatifs. Nous avons vu que niyyǝš, qui n’a pas été relevé dans le travail de
Marçais (1956), présente une répartition limitée en jijélien et n’a jamais été identifié ailleurs en
maghrébin. Des enquêtes dans les autres parlers de Kabylie orientale et préhilaliens villageois
pourraient nous révéler l’existence d’autres formes interrogatives contenant des matériaux
phonétiques ou syntaxiques amazighs.
2.7.1.Exemple typologique
L’espagnol paraguayen a la particularité d’être influencé par son substrat guarani à différents
niveaux linguistiques (Estigarribia 2021). Dans la variété d’espagnol pratiquée à Siete Cajas,
les questions peuvent être marquées par un interrogatif (Estigarribia 2021) natif, pouvant être
suivi par le marqueur interrogatif emprunté au substrat guarani. Dans l’exemple suivant, qué
est l’interrogatif d’inanimé espagnol, et pa un marqueur d’interrogatif guarani.
¿Qué=pa es eso
2.8.1.La transparence
Des systèmes d’interrogatifs partiellement bi-morphémiques et transparents sont observés dans
l’ensemble des parlers néo-arabes. Versteegh (2004) propose de faire un lien entre leur
émergence et l’histoire des dialectes arabes, en soulignant le fait que la plupart de ces derniers
sont nés à la suite de processus de changement de langue. Selon cet auteur, le contexte du
changement de langue aurait amené les locuteurs à faire émerger des formes transparentes et
bi-morphémiques : « If it is true that such a transformation of opaque into transparent forms
originates in communicatively handicapped contexts, it may be assumed that they are vestiges
of the earliest migration wave of Arab invaders, which led to a relatively quick process of
Arabicization (Versteegh 2004:239). »
Les interrogatifs du néo-arabe maghrébin et levantin sont très souvent transparents (Versteegh
2004). Versteegh (2004:242) rejette la possibilité d’une influence des substrats dans le
processus d’émergence de ces formes transparentes, dans la mesure où plusieurs de leurs
langues substratiques (copte, syriaque, etc.) présentent majoritairement des interrogatifs mono-
morphémiques. Selon cette hypothèse, la transparence des interrogatifs jijéliens serait un
héritage des parlers des conquérants arabophones, qui avaient déjà procédé à une réfection de
leur système d’interrogatifs.
2.8.2.Exemple typologique
La plupart des langues du monde connaissent des interrogatifs transparents. Il est en outre rare
d’observer des systèmes dans lesquels la plupart des interrogatifs sont transparents et
exceptionnel de trouver des langues où tous les interrogatifs sont transparents (Cysouw 2007).
Le tableau 96 compare quelques interrogatifs pluri-morphémiques dans les parlers étudiés avec
celles de deux créoles, atlantique et austronésien.
Tableau 96 Les interrogatifs pluri-morphémiques dans les langues étudiées et deux langues
créoles636
Versteegh (2004) questionne les raisons ayant mené à l’émergence de paradigmes interrogatifs
périphrastiques transparents dans les langues de contact : « In some cases of language change,
paradigmatic regularity is restored or enhanced by periphrasis of the interrogatives. This
periphrasis consists in combining a uniform question particle with a nominal questioned
636
Le guadeloupéen est un créole caribéen à base lexicale française, les données présentées sont tirées du
dictionnaire de Ludwig et al. (2002). Le Tok pisin est un créole mélanésien à base lexicale anglaise, dont nous
avons extrait les données présentées ici à partir de l'étude de Verhaar (1995). Nous avons transcrit ces deux langues
au moyen de leurs transcriptions usuelles.
Cet auteur propose d’appliquer cette hypothèse aux paradigmes des interrogatifs des dialectes
arabes. La création d’interrogatifs transparents est une caractéristique héritée de l’arabe apporté
par les conquérants, qui fut sans doute renforcé par le processus de changement de langue à
l’origine de l’émergence de l’arabe maghrébin.
« Vous avez bien compris ce qu’est ʕabaẓa (sorte de bouillie) ? (Jijel-ville, 2020) »
Cet interrogatif présente des variantes anciennes du nom « frère » *(a)ẖ et *ẖa, en arabe,
inutilisées en synchronie dans les parlers arabes de Kabylie orientale (cf. tableau 74 pour les
formes contemporaines du nom « frère » dans les parlers jijéliens étudiés) 637 . Ces formes
correspondent donc soit à des conservatismes à partir d’une strate antérieure, soit, dans le cas
de *(a)ẖ, d’un emprunt à la langue religieuse.
637
D’autres formes du marqueur d’interrogation polaire porteuses du même étymon peuvent être entendues un peu
partout au Maghreb oriental (Hellmuth 2018).
« Demandez à Aldjia ce qu’elle fait639. (paroles d’une chanson, Aït Mâad, 2020) »
En effet, la littérature orale jijélienne fait souvent appel à une sorte de koinè littéraire,
remplaçant certains traits dialectaux par leurs équivalents empruntés aux koinès arabes.
638
Nous avons entendu d’autres formes de l’interrogatif de chose en reprise sujet empruntées à différentes koinès
dans le parler des hommes à Jijel-ville : waʃənɦu, ʃənnahi, etc. Elles ne sont cependant utilisées que pour le rôle
de marqueur de relation « cependant, néanmoins, toutefois, mais » et jamais comme formes interrogatives.
639
Interrogation indirecte
640
Elle y concurrence la forme plus locale mma(la).
D’après Souag (2015), l’émergence de kaš en arabe algérien serait relativement récente et ne
saurait remonter au-delà du 20ème siècle. Son introduction en jijélien correspondrait donc à un
phénomène contemporain.
De manière similaire, à Jijel-ville le locatif fayǝn est souvent remplacé par wayǝn lors des
échanges avec des locuteurs d’autres parlers arabes. En Kabylie orientale wayǝn est
couramment utilisée en colliote et en bougiote. Nous pensons que son existence est
possiblement ancienne à Jijel-ville pour un usage spécialisé dans les échanges
communicationnels avec les locuteurs d’autres parlers.
En effet, la plupart des familles habitant la Mansouriah ont en partie émigré vers Alger, et les
contacts entre les membres de la confédération diasporiques et ceux restés sur le territoire
Ces exemples d’interrogatifs empruntés pour un usage principalement circonscrit aux échanges
avec les non-locuteurs du jijélien nous permettent de postuler l’existence d’une sorte de koinè
employée par les jijéliens pour se faire comprendre par les locuteurs d’autres variétés d’arabe
algérien.
641
Le même phénomène peut être observé dans beaucoup de confédérations montagnardes de Kabylie orientale
fortement marquées par l’exil vers les grandes villes, généralement Alger pour les Babors centrales et occidentales),
Constantine pour les Babors orientales et Collo et enfin Annaba pour Collo et l’Édough. À terme, le nivellement
pourrait même menacer d’extinction certains de ces parlers.
- « Où » (n° 6) et « quel » (n° 8) sont très rarement empruntés dans les langues amazighes.
En tasahlit, ils sont empruntés uniquement dans les parlers tasahlits les plus exposés à
l’arabe.
- « Quand » (n° 73) est emprunté par un peu moins de la moitié des parlers tasahlit, dans
ses variétés littorales situées dans l’axe d’influence de l’arabe jijélien et de l’arabe
bougiote. Son emprunt est rare ailleurs dans la famille amazighe.
- « Qui » (n° 41) est emprunté par la quasi-totalité des parlers tasahlit. Son emprunt
ailleurs dans les langues amazighes est rare mais attesté en plusieurs points.
- « Combien » (n° 96) est emprunté par l’ensemble des parlers tasahlit. Ailleurs dans la
famille amazighe, son emprunt est plutôt commun.
Seul l’interrogatif « qui » ne respecte pas bien cette hiérarchie. Cette irrégularité peut être
comprise comme une conséquence de l’introduction calquée sur l’arabe d’une distinction entre
un interrogatif de chose et de personne. Les parlers amazighs qui copièrent cette distinction
furent conduits à développer des interrogatifs de chose et de personne, parfois en copiant leurs
équivalents arabes, parfois en les empruntant directement.
Nous avons pu constater que dans les trois parlers tasahlits étudiés, celui à avoir le moins
emprunté de matters arabes est la variété des Aït Segoual, groupe présentant pourtant le degré
de bilinguisme amazigh-arabe le plus élevé. Cela s’explique par le fait que plusieurs
642
À partir d’un échantillon de 40 langues, dont une langue amazighe (rifain)
Plusieurs emprunts à l’arabe semblent avoir été transférés indirectement en tasahlit à partir du
dynamisme intra-amazigh, tandis que le contact direct avec l’arabe se matérialise plus souvent
par des calques du système. Il faut sans doute voir ici l’indice d’une différence de résistance à
l’emprunt intra- et inter-linguistique : l’emprunt intra-amazigh d’éléments d’origine arabe
généralement non-perçus comme tels a été plus facilement accepté que l’emprunt direct à cette
langue.
Les interrogatifs du jijélien sont concernés d’une manière différente par le contact : aucune
forme n’y est directement empruntée ou calquée de l’amazigh, mais la copule et le marqueur
de génitif empruntés à l’amazigh y sont employés en composition avec une base interrogative
native pour former plusieurs interrogatifs, dont l’interrogatif fondamental de chose « quoi ».
La copule amazighe est employée en jijélien pour des usages très particuliers, inconnus dans la
langue source (ex. focalisation du verbe). D’après Kossmann (2014:138-139), ces emprunts
sont le résultat de deux développements : « the transfer of a source-language feature by
speakers dominant in the source language (Berber), followed by the borrowing of this feature
by speakers dominant in the recipient language (Arabic), and its eventual regularization in that
variety. » Les évolutions d’utilisation de ces morphèmes pourraient renvoyer au processus
historique d’adoption de ceux-ci par les conquérants arabophones, après que ces derniers sont
devenus minoritaires face aux masses amazighophones. :
Nous diviserons notre conclusion générale en deux volets : le premier portera sur la typologie
des contacts de langue et le second sur les aspects sociologiques, historiques et géographiques.
Ces conclusions seront suivies d’un programme pour les recherches futures que nous projetons,
soit de mener nous-même, soit de proposer à l'attention d’autres linguistes afin de compléter
nos connaissances sur l’histoire de la Kabylie orientale, de l’Afrique du Nord et du contact entre
les langues amazighes et l’arabe.
643
Seconde mosquée établie en Afrique du Nord (sur les fondations d’une église byzantine) après la grande
mosquée de Kairouan en 670.
644
Possiblement des troupes d’origine aghlabide.
645
Marçais et Guîga (1925:30) ajoutent : « l’histoire de la propagande chiite chez les ktâma, visiblement
légendaire au reste en quelques parties, laisse entrevoir un milieu très musulman et notablement arabisé : un pays
de pèlerins, d’observateurs de la prière, d’élève de l’école coranique, de gens sensibles à l’éloquence arabe ».
Nous sommes plus réservés que ces auteurs concernant ces conclusions. Les enjeux de l’alliance nouée entre les
Koutamas et les Fatimides étaient peut-être avant tout politiques et économiques plutôt qu’une véritable adhésion
idéologique motivée par le religieux. Il est d’ailleurs possible que la participation des Koutamas dans le projet des
Fatimides puissent être analysée localement comme une forme de révolte amazighe contre le pouvoir de Kairouan.
Ajoutons également que d’après Blochet (1903:71), l’apôtre Abû Abd Allâh Al-Chî’i « parlait la langue des
amazighs »..
Les défaites répétées des Koutamas contre les Zirides (10ème siècle) provoquèrent le retrait des
Koutamas d’une partie de leurs territoires et probablement une chute démographique provoquée
par les massacres. Ces bouleversements entraînèrent peut-être la pénétration de groupes
d’origine exogène 648 en Kabylie orientale. L’opprobre jetée sur les Koutamas, sans doute
longtemps restés associés au chiisme et ennemis des gouvernements qui succédèrent aux
Fatimides, participèrent à la perte de cohésion sociale qui provoqua la disparition des Koutamas
en tant que groupe uni, en favorisant leur changement d’identité et peut-être de langue.
646
Nous savons par exemple que l’armée Fatimide prit l’Égypte en 969 sous le commandement du général Jawhar
al-Siqilli, militaire d’origine sicilienne non-arabe mais assurément arabophone.
647
Ces armées étaient probablement bilingues amazigh-arabe. Marçais et Guîga (1925:31) donnent l’exemple de
l’emprunt amazigh tafrut « couteau », introduit par les Koutamas au Caire, où ce terme fut employé jusqu’au
11ème siècle au moins d’après les témoignages d’Ibn Taghrîbirdî et de Yûsuf (1399-1411, traduits par Popper
1954). Ces historiens médiévaux témoignent du fait que ce nom amazigh du couteau s’est conservé dans le parler
des guerriers amazighs arabophones et qu’il voyagea ainsi dans tout le Moyen-Orient musulman.
648
Nous savons par exemple qu’à la suite du raid de Mila (987), les Koutamas se retirerent des plaines situées au
sud de la Kabylie orientale.
Durant plusieurs siècles avant et après jusqu’à la Reconquista (1492), des Juifs et des
Musulmans Andalous rejoignirent l’Afrique du Nord650. À partir du 16ème siècle, Béjaïa, Jijel et
Collo devinrent des villes-garnisons de l’empire ottoman, recevant des janissaires Kouloughlis.
Ces vagues d’émigrants atteindront premièrement les villes, mais n’y furent pas toujours
accueillis, et même parfois refoulés dans des cités de plus faible importance ou dans les
campagnes651. La migration de populations arabophones citadines, dotées d’un certain capital
économique et de nouveaux savoir-faire, participa à la diffusion de leur langue dans leurs
régions d’accueil.
649
Une lettre rédigée à Béjaïa sur ordre de ‘Abd al-Mu’min en Rabi‘ (cf. Ghouirgate 2021) montre que l’amazigh
(kabyle ?) était utilisé aux côtés de l’arabe pour commander aux croyants.
650
La dernière grande vague de réfugiés andalous est arrivée en Afrique du Nord en 1609 avec l'expulsion des
Moriscos.
651
Cf. Grandguillaume (1976) pour le cas des andalous installés à Nédroma
Une hypothèse, retenue par Marçais (1956:626), serait que l’arabe ait servi de langue commune
aux communautés socialement et ethniquement hétérogènes habitants les villes littorales
(ruraux, commerçants, conquérants, élite, etc.), en opposition à l’amazigh, dont l’usage aurait
rapidement été confiné à des populations plus homogènes. Cette explication est en partie
construite sur l’idée que la diversité des langues amazighes s’opposent à une « plus grande
652
Il nous faut nuancer cette assertion par des contre-exemples : nous savons d’une part qu’au Moyen-Âge,
plusieurs capitales du Maghreb occidentales étaient encore fortement bilingues (au point que la connaissance de
l’amazigh fut un prérequis pour exercer le métier d’imam à Fès au 13 ème siècle [Ghouirgate 2015:593]). Par ailleurs
quelques cités historiques du dernier millénaire semblent ne pas avoir connu de changement de langue vers l’arabe
comme la Qelaâ des At Abbas. C’est également le cas jusqu’à ce jour des cités caravanières sahariennes (Ghadamès,
pentapole du Mzab), ce qui semblerait indiquer une différence fondamentale entre les cités côtières et les cités
sahariennes.
653
Les cités historiques amazighophones font figures d’exception. Citons parmi celles-ci la ville de Nekor/Nakur
située au cœur du Rif amazighophone actuel, fondée en 761 par la dynastie Salihides, puis détruite par les
almoravides en 1084. D’après Cressier (2018) la langue prédominante pratiquée à Nekor fut l’amazigh, bien que
l’arabe ait pu également y avoir été pratiqué.
654
Phénomène encore peu étudiée mais sans doute fréquent à travers le monde amazighophone. Citons pour le
Maroc l’exemple de la langue poétique commune aux locuteurs de la tachelhiyt et de la tamazight du Moyen-Atlas
au Maroc (Galand-Pernet 1968), et pour l’Algérie la koinè kabyle de Béjaïa contenant à la fois des traits des parlers
du Djurdjura, des Bibans et de la vallée de la Soummam, mais aussi acquise et pratiquée par les tasahlitophones
étudiant ou travaillant à Béjaïa (Berkaï 2014:84).
655
Des exemples contemporains sont donnés par la pratique de l’arabe dans les capitales régionales de régions
amazighophones comme Agadir pour le pays chleuh au Maroc ou Tizi-Ouzou en Kabylie pour l’Algérie qui
constituent des espaces bilingues où des variétés d’arabe sont acquises et quotidiennement employées.
656
Au niveau phonétique, le parler mâadi est même plus proche du bougiote que du jijélien (cf. Garaoun 2022).
Plusieurs caractéristiques proprement jijéliennes retrouvées en arabe mâadi (ex. interrogatifs figés contenant la
copule d, cf. section 2.6) y ont surement été acquises plus tard, en conséquence du contact intra dialectal entre le
Jijel, du fait de sa position géographique, fit l’objet de maintes conquêtes et reconquêtes, plus
ou moins longues et destructrices. Celles-ci obligèrent à chaque fois sa population à se replier
dans son arrière-pays et en particulier vers les territoires des tribus de sa proche banlieue : « [...]
l’habituelle ressource des habitants était de gagner la montagne voisine où des rapports de
parenté les assuraient de trouver un asile temporaire (Marçais 1954:8) ». Ces mouvements de
repli ont pu provoquer le passage de la langue de la cité vers ses banlieues rurales. La proximité
du type linguistique pratiqué dans les tribus entourant la ville et le parler citadin indique
l’ancienneté de ces contacts : « tout porte à croire que cette symbiose de Djidjelli et de son
immédiate banlieue rurale a des racines dans le passé (Marçais 1954:7-8) ».
Le rôle précis des exodes citadins des jijéliens n’est pas connu, il est probable qu’il participa
dans un premier temps à l’arabisation des tribus remparts de la ville. Il est aussi possible que le
D’après les informations recueillies par Marçais (Marçais 1954:5), à Jijel cette immigration
aurait provoqué un ébranlement des règles sociales, suivie d’une symbiose entre les citadins et
les ruraux de Kabylie orientale (Marçais 1954:5) : « leur fusion avec le groupe autochtone se
658
Ex. Jijel-ville diyyǝš ~ diš (formes proprement citadines) vs. dašǝn ~ daš (formes d’origine rurale) « quoi »
659
C’est le cas de notre famille de consultants originaires des Aït Mâad, qui résident tous à Alger parfois depuis
plusieurs générations, mais ont conservé une connaissance plus ou moins élevée de leur parler d’origine selon des
générations et des individus.
660
Il arrive que les communautés d’amazighophones immigrés en ville conservent assez longtemps leur langue.
Un exemple est fourni par les Bettioua, groupe amazighophone originaire du Rif, ayant migré au 18ème siècle à
Oran (et peut-être plusieurs siècles plus tôt encore, cf. Janier 1945), dont ils occupaient l’actuel quartier d’Arzew.
Ils continuèrent d’y transmettre leur langue et le souvenir de leur identité au moins jusqu’au milieu du 20ème
siècle (Janier 1945).
Il est aussi intéressant de remarquer que plusieurs tribus habitant les vallées, les plaines et le
littoral des Babors se donnent parfois pour origine les montagnes les plus inaccessibles de
l’arrière-pays. Féraud (1869:87) relaie des récits oraux des Bni Caïd, habitant les collines
surplombant Jijel, proclamant que ces derniers auraient pour ancêtre un dénommé Moussa,
originaire du mont Babor 661 . Il est possible de proposer ici un parallèle avec l’histoire des
Koutamas, qui suite de leur défaite face aux Zirides, trouvèrent refuge dans leurs plus hautes
montagnes qui les défendirent plus tôt des Romains. Une fois la paix revenue, ils en
redescendirent trouvant parfois d’autres groupes arrivés entre-temps, parfois arabophones, avec
lesquels ils fusionnèrent.
La variation observée dans les parlers des bilingues/plurilectophones est genrée, puisque ce sont
exclusivement des hommes qui partent travailler en dehors de leur région d’origine. Elle est
aussi générationnelle, car nous parlons d’hommes en âge de travailler, ce qui exclut les enfants.
Elle est enfin diatopique, dans la mesure où ces déplacements sont plus importants dans les
communautés dépendantes économiquement du travail saisonnier662.
661
Nous avons plusieurs fois relevé le mythe d’origine du mont Babor notamment dans des chants, à la fois, chez
des arabophones du cercle de Jijel et chez les Chaouis de la région des Amouchas.
662
Il faut prêter attention au fait que le fonctionnement de ces migrations a pu subir d’important changements
historiques. Par exemple, si les monographies françaises indiquent l’importance des migrations chez les Aït
Segoual au 19ème siècle, aujourd’hui, l’exploitation de la manne touristique et l’accès direct à la route nationale
ont apporté une certaine stabilité économique à cette confédération qui est peu sujette à l’émigration.
Il faut se demander dans quelle mesure la diffusion à partir des sociolectes d’hommes
bilingues/plurilectophones pourrait être à l’origine des phénomènes de contact observés dans
les langues de Kabylie orientale. Pour répondre à cette question, il serait nécessaire de procéder
à des études fines en synchronie, en comparant les parlers de ces bilingues/plurilectophones
avec celui des tasahlitophones dominants. La description linguistique et sociolinguistique des
parlers/langues secondes de ces hommes, de leur processus d’acquisition et de la manière dont
ils influencent leur variété maternelle pourrait servir de clé pour la compréhension des
dynamiques de contact de l’ensemble de la communauté.
C’est probablement ce qui est arrivé aux Aït Saâdellah après leur assimilation aux Aït Mâad.
Shaw (1757) décrit un conflit opposant ces deux groupes au 18ème siècle et dira des Aït Mâad
qu’ils sont arabisés, ce qui entend sûrement que les Aït Saâdellah étaient encore tasahlitophones
663
Ce cas de figure existe dans les régions où le bilinguisme/plurilectalisme est encore plus intense. C’est le cas
dans la confédération des Aït Nabet, où femmes et enfants tasahlitophones comme arabophones, en contact
quotidiennement avec des parentes locuteurs de l’autre langue, peuvent s’exprimer dans une variété particulière
alternant les deux codes. Ces situations entraînent possiblement des conséquences particulières en termes de
contact qu’il faudrait étudier dans un travail futur.
Il arrive aussi qu’un conflit renforce le besoin des locuteurs de conserver ou d’augmenter leur
différenciation linguistique. Dans ce cas, un groupe en conflit avec un autre va chercher à
conserver des éléments identitaires, comme sa langue, qui vont symboliser l’altérité avec le
groupe rival665.
1.5.2.Les alliances
Les conséquences de l’alliance politique sont essentielles lorsqu’elles offrent les conditions
d’une assimilation culturelle et linguistique en raison du sentiment d’appartenance à une même
entité et à l’intensification des échanges.
La ressemblance marquée entre le parler de Jijel-ville et celui des tribus de sa banlieue proche,
est probablement à mettre en relation avec le statut particulier de ces tribus de la banlieue proche,
avec lesquelles les citadins ont sûrement toujours pratiqué des échanges commerciaux et pris
refuge en cas d’invasion. L’alliance politique peut être matérialisée par des échanges
matrimoniaux, le partage de lieux de cultes (mosquées, mausolées, rochers, cavités, sources ou
664
Un autre exemple d’assimilation possible d’un groupe autre fois important concerne les Bni zounday.
Aujourd’hui, cette confédération occupe un territoire ténu et très accidenté situé à l’est du mont Babor, tandis que
Moyen-Âge cette fraction des Koutamas était connue comme un groupe militaire de première importance dans la
région (Marçais 1954:22). Marçais (1954:22) suggère que les Bni Zoundaï contemporains ne correspondent qu’aux
réminiscences de leurs ancêtres médiévaux, après qu’une large partie de leur territoire et de leur population furent
absorbés par les Bni Foughal voisins.
665
Nous n’avons pas d’exemple sur le terrain étudié, mais Gauthier et Doutté (1913:81-82) signalent le cas
intéressant des Matmatas. Il s’agit d’un groupe amazighophone des montagnes de l’Ouarsenis, qui entretenait
avant le 20ème siècle un litige avec leurs voisins arabophones, Oulad Sidi Slimane. D’après Gauthier, les Matmatas
contraignaient par le passé les Oulad Sidi Slimane à acquérir l’amazigh pour les relations commerciales en raison
de la « fierté et l’intransigeance des Matmata à la vue de leur langue et de leur culture ». La colonisation française
provoqua un changement des relations et une pacification entre ces groupes, à la suite de laquelle les Ouled Sidi
Slimane abandonnèrent l’apprentissage de l’amazigh.
Dans les situations de bilinguisme égalitaire, l’alliance peut également favoriser la maintenance
de langues différenciées (Haudricourt 1961). C’est peut-être ce qui a permis aux tribus
tasahlitophones membres du cercle de Jijel à conserver leur langue, créant une écologie
linguistique multilingue dans la zone frontalière entre l’amazigh et l’arabe, où, jusqu’au siècle
dernier, tous les individus, quelle que soit leur langue maternelle, acquéraient dans une certaine
mesure la langue voisine.
1.5.3.L’exemple des relations entre les Aït Bouycef et les Aït Laâlam
Les Aït Bouycef et des Aït Laâlam entretiennent des relations de rivalité de longue date. Il nous
a été dit que par le passé, un conflit territorial vif était alimenté par l’enjeu de l’accès à l’eau et
aux terres fertiles le long de la rivière Asif Boulzazen, située à la frontière entre les deux
confédérations. Depuis 1984, ces tribus ont été rangées au sein d’une seule commune
(Tamridjet). Leurs membres entrent en conflit à chaque élection municipale, chaque groupe
défendant les candidats membres de sa confédération668. Au niveau linguistique, nous avons
observé que cette rivalité s’exprimait chez les Aït Bouycef dans de nombreuses histoires
humoristiques portant sur la variété linguistique des Aït Laâlam669.
666
Il existe en Kabylie différents rituels de festins collectifs et de partage de viande pratiqués lors de célébrations
religieuses ou de fêtes liées au calendrier agraire (cf. section 4.1.15 de la documentation). Beaucoup de ces rituels
collectifs cessèrent d’être pratiqués à partir de la guerre civile des années 1990 mais certains reprirent ces dernières
années. Ce sont des occasions de rencontres et d’échanges entre des hommes appartenant à des familles ou
fractions parfois éloignées géographiquement mais possédant un lien de parenté ou de solidarité.
667
Ces travaux collectifs bénévoles sont une tradition du monde amazigh rural, aujourd’hui en cours de disparition
en raison de la mécanisation de l’agriculture. Nos consultants âgés nous ont beaucoup parlé de ceux-ci par exemple
lors des récoltes de céréales. Ces travaux pouvaient être des moments de rencontre des hommes mais aussi des
femmes (l’évènement était parfois mixte) entre familles, fractions, voire entre confédérations solidaires.
668
Les enjeux de ces élections sont liés à l’agencement du territoire communal. Chaque confédération occupant
des espaces géographiques différents connaît des besoins d’aménagement parfois divergents.
669
À titre d’exemple, un conte à rire transcrit et traduit dans notre recueil de conte en cours de publication (Garaoun
XXX, conte XXX) se base à la fois sur un emprunt à l’arabe du parler des Aït Laâlam inconnu de celui des Aït
Bouycef et sur le phénomène de vocalisation de /i/ en /a/ observé par ce parler (cf. sous-chapitre 8 du chapitre 3).
Ce conte met en scène des personnages membres des Aït Laâlam, censés s’exprimer dans le parler de cette
confédération. Le personnage principal, après s’être aperçu que son grand-père n’était pas décédé, appelle celui-
ci jidda. Or jidda est un emprunt à l’arabe désignant la grand-mère et non le grand-père. En réalité, les Aït Laâlam
appellent la « grand-mère » jidda et le grand-père jeddi, tandis que les Aït Bouycef appellent la grand-mère à
partir du nom natif nanna, tandis que le nom du grand-père est emprunté à l’arabe : jiddi. Beaucoup des Aït
Bouycef savent que les Aït Laâlam appellent la grand-mère jidda, mais dans ce conte, ils s’amusent du fait que
les Aït Laâlam aient pu procédé à l’évolution de jiddi en jidda (en raison du phénomène de vocalisation de /i/ en
/a/ typique de leur parler), confondant le nom du grand-père avec celui de la grand-mère.
La majorité des membres de la confédération des Aït Mâad a émigré, d’abord pendant la guerre
de libération d’Algérie, puis en conséquence de la guerre civile algérienne vers la région
d’Alger. Sur la presqu’île de la Mansouriah, où sont restées quelques familles des Aït Mâad,
nos consultants nous ont signalé que l’alternance codique entre les parlers mâadi et algérois
était un marqueur identitaire valorisé, permettant de faire valoir l’appartenance aux familles
circulant entre la Mansouriah et Alger, capitale du pays.
1.6.2.À Jijel-ville
À Jijel-ville, il existe une hiérarchie sociolinguistique ancienne documentée par la thèse de
Marçais (1956). Comme décrit à la section 2.2.4 du chapitre 1, on oppose à Jijel-ville :
Il y a encore quelques décennies, ces différents groupes étaient distribués par quartiers, une
opposition spatiale défavorisant l’homogénéisation linguistique. Le parler jijélien citadin, bien
que pratiqué initialement par un nombre de familles restreint (cf. section 2.2.4 du chapitre 1),
correspondit pendant un certain temps à la variété acrolectale, pratiquée par un groupe avantagé
socialement 672 . Par opposition, les parlers des familles d’extraction rurale arrivées dans la
670
Contrairement aux Aït Segoual de Taâzibt qui connaissent beaucoup moins de contacts avec la koinè kabyle de
Béjaïa en raison de l’incorporation de leur territoire au sein de la province de Jijel.
671
Entre autres phénomènes de contact qu’il faudrait étudier
672
Les familles citadines ont eu plus tôt accès à la propriété que celles originaires de l’arrière-pays. Certains de
Aujourd’hui, le découpage de Jijel par quartiers ne respecte plus ces oppositions et les jeunes
générations nées à Jijel, quelle que soit leur origine citadine ou rurale, pratiquent une variété
linguistique assez homogène. Si une certaine variation dialectale existe toujours, celle-ci
concerne surtout le lexique spécialisé et se déploie plutôt entre les parlers des différentes
familles qu’entre celles des quartiers de la ville (cf. tableau 104 en annexe)673.
Notre enquête nous a permis d’établir que le parler contemporain de Jijel-ville s’était assez peu
démarqué de la variété décrite par Marçais à partir d’enquêtes réalisées pourtant il y a près d’un
siècle. Il existe à Jijel, des histoires à rire et des discours métalinguistiques minorisant portant
sur certaines caractéristiques stéréotypées, surtout phonétiques et lexicales, des parlers ruraux674.
Cette sorte de stigmatisation linguistique a sans doute beaucoup participé à la fois à la
conservation des traits caractéristiques du parler de Jijel-ville et à l’effacement de ceux des
immigrés ruraux. C’est ainsi que le prestige du parler de cette petite capitale régional, a su,
malgré la faiblesse démographique (20 familles au début du 19ème siècle), s’imposer aux
leurs enfants furent scolarisés à l’école française dès le début du 20 ème siècle, tandis que cela ne fut possible dans
l’arrière-pays qu’à partir des années 50, uniquement dans quelques villages et camps, ce qui conduisit à une
certaine fracture économico-sociale entre citadins et ruraux dans les Babors comme dans beaucoup d’autres
régions d’Algérie.
673
À titre d’exemple, tous les textes dans le parler de Jijel-ville de la section documentation de cette thèse nous
ont été fournis par des locuteurs nés à Jijel-ville mais dont les familles sont en partie originaires de la proche
banlieue rurale. Presque tous les textes récoltés contiennent des éléments lexicaux tirés des parlers de ces
confédérations rurales d’origine, bien que les familles de ces locuteurs vivent en ville parfois depuis plusieurs
générations. La vitalité de ces formes nous amene à envisager que les mouvements migratoires historiques de
ruraux arabophones vers la ville ont beaucoup influencé le parler citadin.
674
Nous pouvons par exemple donner l’utilisation du verbe ḳḳa/yəḳḳi pour le sens de « toucher, atteindre » dans
le parler citadin, mais qui signifie « trouver » dans les variétés de l’arrière-pays jijélien et des familles rurales
installées en ville. Cette polysémie qui fait l’objet de jeux de mots de la part des citadins, dont l’un des plus connu
est : lorsqu’on te dit (dans le parler des ruraux immigrés en ville) : aw, ḳḳiţ ẖu-yi yəlʕəb fi ħ-asḳif ! « oh je l’ai
trouvé en train de jouer dans le couloir ! » Tu réponds (dans le parler citadin) : biyyəš ḳḳiţ-u b ħ-abluḳ ? « avec
quoi l’as-tu touché, une pierre ? » Citons encore l’utilisation du marqueur de génitif di (et variantes à finale /i/ ou
/y/) devant les consonnes géminées dans les parlers ruraux, là où le variété citadine préfère l’allomorphe dd : ex.
ana di ẓ-ẓyama « je suis de Ziama » (Aït Mâad) vs. ana dd əb-bləd « je suis du pays (= de Jijel-ville) » (parler
de Jijel-ville).
Nous avons observé comment le commerce pouvait être à l’origine des emprunts de
l’interrogatif « combien » aux koinès arabes en tasahlit comme en jijélien. Cet emprunt
témoigne des relations économiques engageant les hommes de Kabylie orientale à partir
675
Dans sa description de Jijel, Léon l’Africain (16 ème siècle) évoque le commerce de fruits vers Tunis dans des
petits navires marchands.
Il existait jusqu’au siècle dernier plusieurs marchés situés le long de la frontière linguistique
entre l’arabe et l’amazigh dans les Babors, dans lesquels se rencontraient les membres de tribus
tasahlitophones et arabophones (ex. marchés des Aït Larbaâ, des Bni Aziz, etc.). Ces espaces
ont probablement été d’important vecteurs de contact et de diffusion du bilinguisme dans la
région mais il n’est pas concevable qu’ils aient pu provoquer à eux seul le changement de
langue.
676
Ce qui est encore en grande partie le cas aujourd’hui. La fréquentation des marchés agricoles est ritualisée, par
exemple à travers la célébration de la première visite d’un marché par un jeune garçon qui est constituée comme
un rite de passage (cf. Rahmani 1939:115 pour la description de cette coutume chez les Aït Mhend d’Aokas).
677
C’est pour le moins ce qu’observent Doutté et Gauthier (1913:65), qui diront à propos de l’âarch d’At Abbas,
au cœur du pays kabylophone, que tous les hommes y sont bilingues car il s’agit de commerçants exerçant leur
profession dans toute l’Algérie et en Tunisie, tandis que leurs femmes et leurs enfants restent majoritairement
monolingues kabyles.
678
C’est également l’avis des administrateurs et officiers français au début du 20 ème siècle d’après Doutté et
Gauthier (1913). Selon eux, les échanges commerciaux sont la principale raison d’apprentissage de l’arabe pour
les amazighophones. Les auteurs donnent pour preuve l’exemple de la ligne de chemin de fer ayant provoqué la
perte rapide de l’amazigh dans les régions situées dans son voisinage (Doutté & Gauthier 1913:154).
679
Il est possible que ces différentes traditions matrimoniales participent (ou aient participé) à un échange
généralisé à travers lequel un groupe (A) va donner au groupe (B) qui va donner au groupe (C) qui va donner à
1.8.1.1. Jijel-ville
À Jijel-ville, les familles d’extraction proprement citadine privilégient l’intermariage ou le
mariage avec les familles originaires des tribus « semi-citadines680 » situées dans la banlieue
directe de Jijel (Bni Caïd, Bni Yahmed, Oulad Taffer et Bni Amran). Les alliances avec les tribus
montagnardes de l’arrière-pays (et en particulier avec celles de l’est de Jijel) sont rares.
Signalons une certaine fréquence des alliances avec les familles citadines bougiotes, malgré la
discontinuité territoriale entre Béjaïa et Jijel, ce qui tend à indiquer l’existence de liaisons
maritimes anciennes entre ces cités.
son tour au groupe (A) (cf. hypothèse du « mariage-alliance » de Lévi-Strauss 1949). Nous tenterons d’identifier
dans le futur ces relations à l’échelle de l’ensemble des tribus de la région afin de vérifier si l’échange généralisé
y a cours ou non.
680
Le statut de ces tribus « semi-citadines » est discuté en section 2.2.4 du chapitre 1. À Béjaïa, celui-ci s’applique
également aux tribus (kabylophones) des environs directs de la ville, avec lesquels les migrations, unions et
commerce sont anciens et fréquents. Ce statut de « semi-citadinité » évolue avec le temps et ne reçoit pas la même
appréciation selon les périodes. À Jijel-ville, Marçais (1954:8-9) décrit des jeux guerriers opposants les citadins
issus du vieux fond urbain et ceux descendants des Bni Caïd, alors considérés comme des émigrés, habitant des
quartiers périphériques. Cela n’est pas sans rappeler aujourd’hui à Béjaïa les rixes entre supporters des clubs de la
Jeunesse Sportive Madinet de Béjaïa (fondée par d’anciens citadins) et de la Mouloudia Olympique de Béjaïa
(plutôt suivie par les néo-citadins).
681
Signalons ici la particularité de l’existence sur la presqu’île de la Mansouriah d’un marché fréquenté par les
femmes (suq di n-nəswan). On y rencontre essentiellement des femmes vendant leurs produits artisanaux à
d’autres femmes, ce qui est original dans la région où les marchés sont des espaces masculins. Il nous a été confié
que des alliances matrimoniales pouvaient être discutées, voire décidées dans ce marché. Son existence n’est
vraisemblablement pas très ancienne (début des années 50 d’après les habitants de la Mansouriah), mais il s’agit
d’un espace qui existait peut-être sous d’autres formes par le passé.
1.8.3.Remarques générales
Les échanges matrimoniaux peuvent avoir différentes conséquences au niveau linguistique
selon les individus et les groupes. Dans les confédérations tasahlitophones comme arabophones,
les femmes mariées installées dans la famille de leurs époux gardent généralement toute leur
vie des traits linguistiques de leur parler d’origine en s‘exprimant dans une variété mêlant leur
parler d’origine avec celui de sa belle-famille. Ces femmes sont souvent appelées à partir du
nom de leurs confédération ou fraction d’origine par les membres de leur belle-famille683. Leurs
682
Signalons l’existence chez les Aït Bouycef, d’un lieu situé au cœur de leur territoire, dénommé ḥidus. Cette
petite colline aujourd’hui pratiquement inhabitée pourrait avoir constitué par le passé un lieu de cérémonies
collectives, mêlant les jeunes hommes et les jeunes femmes, souvent à l’origine d’alliances matrimoniales. En
effet, aḥidus était en Kabylie, et est toujours dans le Moyen-Atlas marocain, une cérémonie collective villageoise
durant laquelle hommes et femmes réalisent ensemble des compétitions de chants, de danses et des joutes oratoires.
683
Et lorsqu’une femme mariée est originaire de la même fraction, par le nom de sa famille (ex. une femme
Encore une fois, les mariages ne permettent pas d’expliquer le changement de langue complet
d’un groupe, mais ils peuvent participer considérablement à l’augmentation du degré de
bilinguisme685.
originaire de la confédération des Aït Bouycef est appelée [AB] ṯaḇuysefṯ ~ [AS] tabuysfit, de la fraction des Aït
Ali Ou Jemaâ [AB] ṯajemmɛat, de la famille Garaoun ṯageṛɛunt, etc.
684
Nous avons pu suivre, au cours de ces dernières années le cas d’une cousine dont le père est originaire des Aït
Bouycef, la mère de la région d’Ighil Ali (aire du kabyle oriental) et ayant grandi à Melbou (territoire des Aït
Segoual). Avant sa scolarisation, cette petite fille s’exprimait dans une variété mixte entre le parler de son père et
celui de sa mère, ses parents communiquant chacun dans leur variété propre. Après sa scolarisation avec des enfants
des Aït Segoual à partir de l’âge de cinq ans, notre cousine acquis auprès d’eux leur parler, et s’est mise à le
pratiquer exclusivement à l’extérieur de la maison avec ses amis et camarades d’école. À la maison, la variété
mixte entre le kabyle oriental et la tasahlit des Aït Bouycef qu’elle pratiquait avec ses parents s’est conservée, et
même enrichie de traits du parler tasahlit des Aït Segoual.
685
D’après Doutté et Gauthier (1913) à propos du contexte linguistique algérien du début du 20 ème siècle, l’arrivée
de femmes arabophones dans des familles amazighophones a parfois pour conséquence que celle-ci garde sa langue,
l’enseignant à ses enfants et aux autres femmes. Au contraire des femmes amazighophones arrivant en milieux
arabophone sont le plus souvent contraintes d’apprendre et de ne plus parler qu’arabe. Selon ces auteurs, l’extrême
rareté des mariages mixtes entre amazighophones et arabophones ferait que les échanges matrimoniaux provoquent
rarement de changement de langue, sauf dans les massifs amazighs ou arabes ayant absorbé de petits groupes
exogènes créant un cas d’essaimage linguistique (Doutté & Gauthier 1913:154).
Ces processus sont à l’origine de la dominance des étymons arabes dans les patronymes des
tribus de Kabylie orientale, et ce, jusqu’en terrain amazighophone. Les récits généalogiques,
font la plupart du temps remonter ces tribus à des marabouts almoravides, voire à des
descendants plus ou moins directs du Prophète de l’Islam. L’homogénéité de ces récits indique
l’origine commune du processus ayant amené à leur création. Ces refontes généalogiques sont
des éléments à prendre en compte pour expliquer la perméabilité à l’arabe dans ces tribus. Le
changement de langue n’a pu qu’être facilité par ces transformations des patronymes686.
Signalons un emprunt original dans les patronymes de quelques tribus arabophones jijéliennes,
situées à frontière avec l’aire tasahlitophone, qui ont une base patronymique amazighe ayţ
« ceux-de », souvent employée à côté de l’arabe bni ou ulad :
Aït/Bni Aïssa, Aït/Bni Khzeur, Aït/Bni Ourzeddine, Aït/Bni Mâad, Aït Saâdellah, Aït
Isaad, Aït/Oulad Achour, etc. (cf. Garaoun 2023c)
Plus à l’Est, des schèmes du masculin pluriel se retrouvent dans les noms de certains clans ou
fraction comme les familles jijéliennes ašməlliwən (état-civil : Bouchmella) et aẖdənniwən
(état-civil : Khebbache ou Kheddache) originaires de Bni Caïd (Garaoun 2018). De même,
plusieurs des plus importantes tribus du cercle de Jijel ont gardé un nom amazigh comme les
Bni Foughal, les Bni Idder, Bni Yadjis, Bni Tlilen, Bni Zounday, etc.687 Ce qui manifeste que la
refonte patronymique n’a pas été complète, même dans des espaces vraisemblablement très
anciennement arabisés.
Deux facteurs purent être à l’origine de changements de langue complet (abandon de l’amazigh)
à l’échelle de communautés entières (fractions ou confédérations) en Kabylie orientale.
686
À propos des manipulations, même inconscientes, de l’histoire à des fins politiques et de la manière dont la
tribu refonde son mythe d’origine selon les conflits/alliances politiques, voir Bensa et Rivierre (1988:263-295)
687
C’est aussi le cas de quelques confédérations colliotes comme les Bni Toufout ou les Bni Welban
2.1. La tasahlit
Tous les indices indiquent que la tasahlit correspond à la langue amazighe autrefois pratiquée
dans une large partie de la Kabylie orientale. Elle ne s’est conservée que dans les Babors
occidentales où sa situation correspond à une maintenance de la langue. Son aire de répartition
fut réduite à l’ouest par l’arabisation et peut-être également à l’est et au sud par des changements
de langue intra-amazighs, respectivement avec le kabyle oriental688 et le chaoui des Amouchas689.
La tasahlit est en contact avec l’arabe près de douze siècles. Elle a réalisé de très nombreux
emprunts et calques sur cette langue à tous les niveaux. La source des emprunts à l’arabe en
tasahlit se trouve généralement dans des parlers de type préhilalien, correspondant parfois aux
données des parlers jijéliens modernes, et d’autres fois à des strates de parlers préhilaliens
disparus. La tasahlit présente également des emprunts à l’arabe hilalien, à l’arabe classique,
ainsi que des arabismes intégrés à partir du contact intra-amazigh. À certains niveaux, la tasahlit
présente un degré de pénétration avec l’arabe proche de celui des langues amazighes les plus
fortement touchées par l’arabe, comme celle des Ghomaras et des Kétamas-Senhajas du Rif
occidental (Maroc).
Les phénomènes de contact tasahlit-jijélien varient beaucoup selon les parlers et ont beaucoup
participé à sa diversification dialectale. Chaque confédération présente une histoire propre en
termes de degrés et types de bilinguisme.
688
Peut-être conséquemment à l’extension du royaume des At Abbas aux Babors occidentaux ?
689
Sans doute en raison de contacts extensifs ou de migrations de chaouis depuis les hauts-plateaux sétifiens vers
le sud-ouest des Babors
La figure 10 présente les trois sous-groupes dialectaux de parlers tasahlit, mis en relation d’une
part avec les langues amazighes avec lesquels ils sont apparentés et/ou en contact, d’autre part
avec les variétés d’arabe qui les influencèrent le plus.
Après son introduction à Jijel probablement via une troupe envoyée depuis Constantine au 8ème
siècle, l’arabe essaima dans toutes les Babors orientaux, d’abord dans les autres cités historiques
de Kabylie orientale, puis à travers les voies commerciales situées entre celles-ci, avant
d’atteindre les confédérations montagnardes.
Lors du changement de langue, les amazighophones étaient en nombre beaucoup trop important
par rapport aux envahisseurs pour que l’arabe soit disponible dans des conditions favorables à
son acquisition parfaite. Les apprenants opérèrent des simplifications et des rétentions
substratiques, en empruntant à leur langue maternelle ce qui leur manquait dans la langue cible,
innovations qui se propagèrent ensuite dans toute la communauté linguistique naissante, à
travers ce changement de langue, les masses bilingues ont plutôt procédé à une intégration de
soi vers l’autre plutôt que dans l’autre.
B. La durée du bilinguisme
Dans les Babors, le bilinguisme amazigh-arabe est très ancien et est toujours pratiqué dans les
Babors occidentale près de mille trois cents ans après l’introduction de l’arabe. Dans cette
région, le multilinguisme est stable puisqu’il n’a provoqué aucun recul de la tasahlit tout au
long du 20ème siècle.
690
Signalons que Colin (1945:226:227) a fait le même type d’observation dans le pays arabophone (préhilalien)
des Jbalas-Ghomaras. L’auteur a comparé ces parlers et ceux des cités voisines avant de proposer pour chaque
groupe de parlers montagnards un foyer d’arabisation précis.
Les indigenized varieties peuvent présenter différents niveaux d’éloignement avec la variété
des conquérants, en fonction des processus d’assimilation et des particularités des langues en
contact : le nombre des conquérants, le processus de conquête, la durée du bilinguisme et la
proximité génétique/typologique des langues concourent à expliquer la quantité et le type de
changements opérés. Le jijélien fait partie des indigenized varieties arabes parmi les plus
marquées par la langue première du groupe conquis. Les différents facteurs cités ont joué en
faveur d’un apprentissage incomplet de la langue importée : les conquérants étaient en faible
nombre et n’ont sans doute pas procédé à des massacres diminuant les masses à assimiler. Les
populations nouvellement arabisées observèrent une longue période de bilinguisme avant de
perdre leur langue d’origine. Enfin, les proximités génétiques/typologiques de l’amazigh et de
l’arabe ne sont sans doute pas aussi importantes qu’elles ne l’ont étés pour les langues d’autres
peuples arabisés692.
Il faut se demander ce qui a empêché l’évolution du jijélien, qui appartient au type préhilalien
villageois, aujourd’hui très minoritaire en Afrique du Nord, vers un arabe plus nivelé, épuré de
ses conservatismes préhilaliens et de ses amazighismes les plus « aberrants ». Ce fait tient sans
aucun doute d’abord à la contrainte de l’isolation, puisque la Kabylie des Babors est longtemps
restée inaccessible et sans importantes voies de passage. Le contact avec les koinès et l’arabe
hilalien est resté faible dans les montagnes et les cités littorales protégées par celles-ci, tandis
691
Cf. Mufwene (2004) pour la définition de ce terme et les conséquences de ce type de colonisation concernant
les changements linguistiques
692
On pensera en particulier aux anciens peuples levantins locuteurs de langues sémitiques voisines de l’arabe
Il est également possible qu’un aspect affectif ait participé à cette conservation. En effet, il a
été décrit dans plusieurs indigenized varities que leurs locuteurs continuent d’utiliser des
variétés de langues marquées par le contact, malgré leur caractère parfois stigmatisé et moins
compréhensible pour les locuteurs de parlers plus standards (Garrett 2005, Makihara 2005,
Babel 2016, Estigarribia 2021). La raison pourrait être qu’avant le changement de langue en
définitif, la langue dominée dans la situation de bilinguisme antérieure a parfois persisté dans
des registres affectifs spécifiques (Garrett 2005). Cela a peut-être prévalu en jijélien, ce qui
expliquerait les emprunts au substrat amazigh contractés dans le domaine de l’expressivité.
2.2.4.L’hypothèse proto-préhilalienne
Enfin, l’une des questions posées par la diversité des parlers néo-arabes nés à la suite des vagues
de conquêtes arabo-musulmanes, est l’identification de leurs variétés anciennes (Cohen 1962,
Cohen 1970, Heath 2002:1-34). L’une des difficultés posées par l’arabe préhilalien est
l’éloignement observé entre ses variétés du Maghreb occidental avec celles du Maghreb oriental.
Celui-ci pourrait indiquer des origines multiples (= différentes parlers préhilaliens anciens), ou
le recouvrement antérieur du proto-préhilalien par d’autres strates (influence particulière de
l’arabe andalou au Maghreb occidental, intensité du nivellement avec le hilalien au Maghreb
oriental, etc.). La Kabylie oriental pourrait être une clé pour résoudre cette problématique,
puisqu’il s’agit de la seule aire préhilalienne où l’on passe d’un type à l’autre : le jijélien et le
colliote appartenant au bloc du préhilalien occidental, tandis que l’arabe de l’Édough est à
rattacher au bloc oriental.
Parmi les développements de cette thèse, les données concernant les pronoms montrent
l’existence de connexions entre les différentes îlots préhilaliens villageois du Maghreb
occidental (emprunt de la copule amazighe d) ainsi qu’entre l’ensemble des aires préhilaliennes
du Maghreb occidental (ex. pronoms à suffixes expressifs empruntés aux substrats amazighs).
Un seul trait commun est observé entre les aires préhilaliennes du Maghreb occidental et
oriental : l’absence d’opposition de genre à la seconde personne du singulier (Caubet 2004). Il
nous est également apparu que l’arabe de Kabylie orientale, bien que présentant un type
préhilalien villageois conservateur, proposait à certains niveaux des éléments empruntés à
d’autres strates (ex. pronoms pluriels vocalisés en /ə/ ou /u/).
Les données du jijélien et de l’arabe de Kabylie orientale nous permettent d’insister sur le fait
que le proto-préhilalien semble avoir toujours été diversifié, probablement en raison de la
multiplicité des origines des conquérants arrivés par couches successives en Afrique du Nord.
Nous en tenons pour exemple la diversité des réalisations préhilaliennes du phonème *Qāf dans
l’arabe de Kabylie orientale, au nombre de quatre, toutes héritées de la diversité interne du
préhilalien ancien.
Si la reconstruction des traits de ces variétés anciennes est difficile à l’échelle de l’Afrique du
Nord, il est peut-être possible d’établir les traits saillants de certaines de ces variétés, comme
celle à l’origine du type préhilalien villageois du Maghreb occidental, qui nous paraît dans
l’ensemble être resté plutôt homogène. Cela permettrait de repérer les traits hérités du contact
avec d’autres langues substratiques et/ou strates de parlers arabes, ce qui apporterait des
éléments supplémentaires sur l’histoire linguistique particulière de chaque région. Cette
entreprise ne pourra bien sûr voir le jour qu’après l’accumulation de données descriptives des
parlers concernés dans toute leur diversité.
Le ou les parlers proto-préhilaliens furent acquis par les premiers groupes d’amazighophones
recrutés comme soldats par les armées préhilaliennes. Nous avons relevé en jijélien quelques
neutralisations d’oppositions, souvent pan-préhilaliennes et parfois liées au contact avec
l’amazigh. Ces neutralisations furent peut-être héritées d’une koinè militaire née du bilinguisme
inégalitaire entre l’élite militaire arabophone et les premières armées d’amazighophones
dominants qui participèrent à l’islamisation de l’Afrique du Nord. Cette koinè militaire
s’imposa dans les premiers foyers d’arabisation, correspondant aux casernes et centres politico-
militaires.
Dans un second temps, la koinè militaire devint la langue maternelle des descendants de soldats
amazighs et fut transmise aux masses amazighophones habitant les villes et les campagnes
avoisinant les casernes. Ces groupes restèrent parfois un certain temps bilingue amazigh-arabe
avant d’abandonner leur langue amazighe. En passant au statut de langue maternelle, cette koinè
Depuis les premières conquêtes jusqu’à nos jours, les relations entre ces strates historiques ne
furent sans doute pas linéaires, et il faut imaginer que l’arrivée successive de nouveaux
conquérants et les migrations internes des groupes au cours des siècles complexifièrent la
situation, ce qui participa à la diversification linguistique qui se reflète dans les parlers
préhilaliens modernes.
3.1. Typologique
3.1.1.La tasahlit
Les données de la tasahlit s’insèrent globalement dans un type de contact ancien et inégalitaire
avec l’arabe, dans le sens où cette dernière langue est associée depuis plusieurs siècles à
plusieurs fonctions (en particulier : langue des villes, langue commerciale, langue religieuse et
aujourd’hui principale langue véhiculaire dans toute l’Afrique du Nord) qui ne sont
généralement pas (ou plus) exercées par la tasahlit. Cette situation a conduit beaucoup de
tasahlitophones à acquérir l’arabe comme seconde langue, voire à le pratiquer, parfois
quotidiennement, tandis que l’inverse est beaucoup plus rare.
La tasahlit est marquée par différentes couches d’emprunts et de calques à l’arabe, réalisées au
cours de différentes périodes allant du Moyen-Âge islamique à nos jours. Il nous a plusieurs
fois été possible de distinguer des strates d’emprunts contemporains avec le jijélien voisin, mais
aussi des strates d’emprunts, parfois très anciens, contractés avec d’autres types d’arabe.
Les trois parlers tasahlits étudiés nous ont permis de mettre en avant des situations de contact
très différentes malgré leur proximité géographique.
D’après Souag (2020), certaines des neutralisations d’oppositions les plus répandues parmi les
langues amazighes périphériques pourraient correspondre à des impositions par l’acquisition
imparfaite de l’amazigh par des arabophones. Or nous avons vu que certaines communautés
tasahlitophones (ex. Aït Laâlam) pratiquaient des échanges matrimoniaux extensifs et des
relations de solidarités avec des groupes arabophones dominants, ce qui a peut-être généré
l’immigration puis la fusion identitaire d’individus, familles ou fractions anciennement
arabophones au sein de leur territoire. Il serait nécessaire de se pencher spécifiquement sur
l’origine de ces neutralisations dans un futur travail, en questionnant spécifiquement leurs liens
avec un scénario d’acquisition imparfaite de l’amazigh par d’anciens arabophones dominants
ayant rejoint des confédérations tasahlitophones.
3.1.2.Le jijélien
Le jijélien est une variété d’arabe non-périphérique fortement marquée par son substrat amazigh.
Son statut s’approche de celui des variétés de langues européennes qualifiées d’indigenized
varieties et peut aussi être comparé à d’autres variétés d’arabe riches en interférences avec
leur(s) langue(s) substratique(s) (cf. Lucas & Manfredi 2020).
Aujourd’hui, les locuteurs de jijélien sont rarement bilingues arabe-amazigh. Les seules
communautés arabophones présentant un certain degré de bilinguisme correspondent aux
groupes situés le long de la frontière linguistique des Babors entre le jijélien et la tasahlit. Le
bilinguisme y correspond à une dynamique individuelle et concerne surtout les familles
constituées de femmes originaires de groupes tasahlitophones et d'hommes pratiquant des
échanges économiques réguliers avec ces mêmes groupes.
693
Avec quelques conservations cependant dans certains proverbes et formules de la littérature orale (cf. annexe
4.1.14)
694
Complète chez les AL, uniquement conservée à la 3SG chez les AB et les AS
695
Cf. annexe 4.1.15 pour les AS et 4.1.20 chez les AL ; la chute du marquage de cette opposition fondamentale
dans la morphologie nominale des langues amazighes est particulièrement avancée chez les AL.
3.1.2.1. Jijel-ville
Les données du contact à Jijel se différencient par le caractère ancien de la principale strate
d’amazighismes conservée à partir du substrat amazigh local. Cette strate s’est mêlée au cours
des siècles aux interférences substratiques provenant des parlers amazighs autrefois parlés dans
l’arrière-pays jijélien en raison des échanges constants entre la cité portuaire et son arrière-pays.
Jijel ayant accueilli différentes populations originaires de chaque rive de la Méditerranée, il
serait intéressant à l'avenir de considérer plus spécifiquement la question de l’impact de ces
populations d’origine ni amazighophone ni arabophone sur le parler de Jijel-ville. Il est possible
que certaines populations aient procédé à des impositions (Van Coestem 1988, 2000) qu’il nous
reste à identifier de leurs langues d’origine sur le parler arabe de cette cité.
Des phénomènes de convergence ont participé au rapprochement des systèmes (ex. réductions
de l’inventaire vocalique). Toutefois, les convergences peuvent être difficiles à prouver en
raison de l’absence de données historiques concernant l’état de l’amazigh septentrional
antérieurement au contact avec l’arabe, ou l'état les parlers des conquérants préhilaliens avant
leur arrivée en Afrique du Nord.
Dans quelques rares cas, l’origine du rapprochement nous est apparue comme impossible à
déterminer (ex. stratégie de rupture du hiatus vocalique). L’apparentement des deux langues au
niveau du phylum afro-asiatique, et le caractère universel de certains développements doivent
inviter à la prudence, et il faut sans doute accepter qu’il ne soit pas toujours possible de trancher
pour une directionnalité ou une autre.
En tasahlit comme en jijélien, nous avons vu que l’expressivité avait été, et est parfois encore,
un moteur important du contact. Cela met en évidence l’agentivité des locuteurs qui, au-delà
des contraintes ayant amené leurs langues à se rencontrer dans un contexte de conquête et de
domination, ont su les enrichir et les colorer au moyen d’éléments transférés de ce qui
correspond tantôt à la langue de leurs voisins, tantôt à la langue de leurs ancêtres, soit, pour les
L’introduction de l’arabe s’y produisit dès les conquêtes préhilaliennes au 8ème siècle, à partir
du centre d’arabisation et d’islamisation érigé en la ville de Constantine. L’épopée médiévale
des Koutamas a accru l’arabisation de ces derniers, des militaires et une élite politico-religieuse
Koutamas entrés en contact avec les armées Fatimides influençant leurs contribules. Les siècles
suivants furent marqués par le repli des Koutamas dans leurs montagnes et l’opprobre religieuse
lancée sur les Koutamas chiites qui se convertirent au sunnisme malékite. Au cours du second
millénaire, les cités locales devinrent le siège d’importantes activités commerciales et parfois
des centres culturels et religieux. Certaines accueilleront l’élite des dynasties amazigho-
musulmanes parmi lesquelles l’arabe servait de langue véhiculaire.
Depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’à nos jours, l’arabe accuse un mouvement de progression
inachevé. Le changement de langue s'est produit à partir des cités locales anciennement
arabisées vers leurs périphéries rurales, en conséquence du commerce quotidien et des exodes
répétés des citadins à la suite d’invasions. Puis, il s’est étendu le long des routes commerciales
reliant ces cités entre elles (cf. triangle d’arabisation, carte 17). Enfin, l’arabe a atteint les
localités villageoises plus périphériques par effet de tâche d’huile, progressant de village en
villages au gré de migrations internes, de conflits résultant dans l’annexion militaire d’une tribu
par une autre, de jeux d’alliance et de liens de solidarité tissés entre les groupes, occasionnant
une intensification des échanges commerciaux et matrimoniaux. Dans les communautés les plus
éloignées des centres, il est envisageable que l’arabisation linguistique soit relativement récente
(seconde moitié du deuxième millénaire). Dans la mesure où il nous est possible d’associer
La carte 17 met en évidence les éléments géographiques qui jouèrent un rôle de premier plan
dans le processus d’arabisation de la Kabylie orientale : à savoir le triangle d’arabisation formé
par les cités historiques de l’aire arabophone (proposition de Marçais (1956:626), les routes
commerciales et les voies d’exil des communauté citadines.
696
Cf. carte 19 pour l’exemple de l’emprunt de la copule amazighe qui est venu bouleverser la syntaxe des parlers
qui l’ont contracté.
En conclusion, nous devons dire que les différents facteurs pris isolément ne permettent
d’expliquer ni l’arabisation ni le maintien de l’amazigh en Kabylie orientale. Seule une
conjoncture d’éléments et d’événements a pu permettre d’aboutir à la situation linguistique
actuelle. Parmi ces derniers, certains ont dû avoir un impact prépondérant dans le changement
définitif de langue : l’influence des cités et les rapports politico-militaires intertribaux. D’autres
ont pu préparer le terrain à cette évolution en permettant la pénétration de l’arabe puis la
généralisation du bilinguisme : ce sont les conséquences de l’épopée des Koutamas et le
caractère faible et épars du peuplement de la Kabylie orientale.
De toute évidence, dans cette région comme dans d’autres où l’on parle un type d’arabe
préhilalien fortement marqué par l’amazigh, le changement de langue est plutôt le résultat
d’initiatives internes aux communautés de locuteurs. Ceux-ci ont délibérément changé de
langue à un moment donné de leur histoire, dans un contexte de bilinguisme généralisé où la
pratique de l’arabe était plus avantageuse que celle de l’amazigh. Les locuteurs ont
697
En conséquence de l’exode des Hammadites (cf. section 1.3.3 du chapitre 1)
698
Au-delà de ces confédérations tasahlitophones, l’aire amazighophone des Kabylies tout entière participe à ce
bloc. En Kabylie, l’amazigh s’est conservé en bloc et non pas par îlots comme c’est le cas par exemple dans le Rif
(îlot ghomara). En témoigne le fait que les variétés minoritaires représentées par la tasahlit et le chaoui se sont
conservées dans la région frontalière du kabyle alors que leurs aires de répartition respectives étaient probablement
beaucoup plus importantes par le passé.
Parmi les phénomènes de contact signalés sans avoir été approfondies dans notre thèse, l’un des
plus intéressants est le marqueur de prédicat non-verbal d, emprunté par le jijélien à l’amazigh.
Ce d s’est vu attribué en arabe des fonctions pour lesquelles il n’est pas connu en amazigh
(Kossmann 2014) qui ne sont pas tout à fait les mêmes dans les différents parlers qui l’ont
emprunté699. L’emprunt d’une copule est rare d’un point de vue typologique. La diffusion de cet
emprunt, dans des parlers préhilaliens très éloignés les uns des autres (cf. cartes 19 et 22),
indique que tous ces parlers pourraient descendre d’une strate d’arabe fortement influencée par
le bilinguisme amazigh-arabe. Il conviendrait de mener une enquête poussée sur les valeurs et
fonctions précises de d dans tous ces parlers, afin de comprendre l’histoire de son emprunt et
de mieux connaître sa répartition actuelle afin d’estimer sa répartition historique.
Nous n’avons pas traité des phénomènes de contact à travers le lexique des deux langues. Nous
pensons que ce travail ne serait véritablement fructueux pour la typologie des contacts que s’il
était mené à partir de données quantitatives, après la création de dictionnaires et/ou d’atlas. Par
ailleurs, l’étude étymologique de certains champs lexicaux (archaïques, toponymiques,
sociolectaux...) et de certains sociolectes (pêcheurs700, etc.) pourrait révéler l’existence de strates
linguistiques suspectées ou inconnues (cf. sous-chapitre 8 du chapitre 2).
699
Cf. Garaoun (2023) et section 2.6 du chapitre 5 pour certaines différences d’utilisation de d chez les Aït Mâad
et à Jijel-ville
700
Cf. Boudjit et Kechacha (2023)
A l’ouest des Babors, la région de Béjaïa se distingue par le fait que l’arabe n’a conquis que
l’espace citadin (vieille-ville de Béjaïa) puisque sa banlieue directe est restée complètement
kabylophone702. L’avantage de cette région est l’existence de données manuscrites à son sujet,
qu’il conviendrait d’examiner. Béjaïa présente une situation de contact aujourd’hui rare en
Afrique du Nord de bilinguisme généralisé amazigh-arabe (kabyle) et des derniers cas d’îlots
arabophones minoritaires (Garaoun 2023b).
701
Marçais (1956:9) insistait il y a de ça un demi-siècle sur l’importance de la description « méthodique » de
l’ensemble des parlers préhilaliens et de l’identification de leurs substrats amazighs.
702
Une situation similaire peut-être identifiée en Algérie dans la région de Cherchell, où l’on pratique un arabe
préhilalien à Cherchell-ville tandis que son arrière-pays direct (Chenoua) est resté amazighophone.
Nous avons constaté l’existence d’une interlangue arabe chez les Aït Segoual et amazighe chez
les Aït Mâad. Dans chaque cas, ces variétés ne correspondent pas aux variétés d’arabe ou
d’amazigh voisines, et présentent des phénomènes de contact originaux dont nous avons cité
quelques exemples le long de cette thèse mais qu’il conviendrait d’étudier spécifiquement.
L’étude de ces langues secondes pourrait nous permettre d’identifier des phénomènes de contact
restés inaperçus, et de trancher sur la directionnalité de phénomènes dont l’origine est débattue.
Une enquête de terrain à l’intérieur des communautés bilingues pourrait permettre l’observation
directe du processus d’apprentissage de ces langues secondes de bilingues, ainsi que le procédé
engageant parfois au changement de langue par arrêt de la transmission de la langue première703.
703
Marçais (1956:627) nous invitait déjà à l’observation précise de la manière dont se produit le changement arabe-
amazigh aujourd’hui en Algérie là où cette dernière langue est menacée.
704
Lesquels sont routiers et ouvriers en bâtiment
Les pratiques linguistiques féminines jouent cependant un rôle fondamental dans la direction
des changements linguistiques. En Kabylie orientale, la sphère domestique est un espace
féminin. L’éducation des enfants est majoritairement dévolue aux femmes, dont les choix sont
déterminants dans le maintien ou le changement linguistique. Un maillon de la compréhension
de l’histoire des maintenances/changements de langue en Afrique du Nord est donc directement
lié aux directions prises par les femmes. Il conviendrait d’investiguer leurs comportements et
choix linguistiques en fonction des situations sociolinguistiques.
Une enquête linguistique prenant toujours plus et mieux en compte la variété des pratiques et
phénomènes langagiers associés aux différents groupes humains serait la clé pour la
compréhension de l’histoire d’une communauté dans sa globalité. Ce n’est qu’après avoir
exploré les différents niveaux de variation des sous-groupes que nous obtiendrons le tableau le
plus complet possible de l’histoire locale dans la mesure de ce que la linguistique nous permet
d’explorer et de comprendre.
La frontière entre l’arabe et l’amazigh dans les Babors se produit le long d'une ligne continue
allant de l’embouchure de l’Asif Ziama, longeant les versants orientaux des monts Tababort-
Babor jusqu’à déboucher sur les Hauts-Plateaux sétifiens. Cet axe géographique est caractérisé
par un accès difficile puisqu’il suit les deux montagnes les plus hautes du massif (restées
amazighophones). D’un point de vue historique, elle relie Ziama, emplacement de la cité
antique de Chobae à la région d’Ikedjan, ancienne capitale des Koutamas chiites.
Du point de vue du découpage tribal, cette région fait l’objet d’un fractionnement
particulièrement réduit : les confédérations et fractions ne correspondant plus qu’à des
regroupements de quelques familles à l’habitat dispersé entre des montagnes et des collines
particulièrement accidentées. Si les territoires des Aït Segoual, Aït Laâlam et Aït Mâad se
La carte 18 présente l’état de la frontière linguistique entre les deux langues avant l’exode causé
par la guerre civile algérienne.
705
Nous préférons parler de complexe plutôt que véritablement de confédération dans la mesure où aucun de nos
consultants ne considère l’ensemble des fractions citées comme appartenant à un seul âarch. La dénomination Aït /
Ouled Nabet n’est donnée que par les sources coloniales françaises, elle est parfois connue des membres de ces
groupes sans qu’ils sachent à qui l’attribuer véritablement. Il existe cependant un lien particulier entre ces groupes,
dans la mesure où ils pratiquent d’importantes relations (mariages, repas collectifs, trocs, figures saintes communes,
etc.).
706
Nous avons publié en ligne des corpora dans plusieurs de ces parlers (cf. sections 1.4 pour la tasahlit et 2.2 pour
le jijélien de la documentation)
Les Aït Bougherda sont restés amazighophones dominants plus d’un siècle après le travail de
Doutté & Gauthier et ce, malgré leurs prédictions. C’est également le cas de toutes les personnes
nées dans les localités situées du côté amazighophone de la frontière linguistique des Babors,
malgré les expropriations pratiquées pendant la première moitié du 20ème siècle par l’armée
française et la désertion totale de cette région il y a trois décennies en conséquence de la guerre
civile algérienne. Dans les villages situés le long de la frontière linguistique, la langue
maternelle variait d’une famille à l’autre, parfois située à quelques centaines de mètres de
distance et appartenant à un même groupe (fraction ou confédération). Le bilinguisme y était
généralisé et un individu, qu’il soit de langue maternelle arabe ou amazighe, acquerrait la langue
voisine tôt dans son enfance.
Aujourd’hui et depuis près de trente ans, tous les villages situés le long de cette frontière sont
abandonnés en conséquence de la guerre civile et de l’absence de tout aménagement 707. Leurs
habitants ont généralement rejoint des régions arabophones voisines (presqu’île de la
Mansouriah, ville-nouvelle de Babor, etc.708) et leur langue n’a pas toujours été transmise aux
707
Absence de routes, d’accès à l’eau courante, au gaz, à l’électricité, etc.
708
Le cas de la cité Azirou Amer est significatif. Cette cité est située en contrebas du territoire des Aït Nabet (sur
une partie du périmètre de l’ancienne cité de Choba) et est habitées par des familles originaires des différentes
fractions de cette confédération. Nous y avons observé un découpage de chaque rue et bâtiment en fonction de la
fraction d’origine de ses habitants, de même que la fréquentation des cafés et commerces. La langue la plus
pratiquée y est l’arabe ziamite, même si l’on peut encore entendre les variétés tasahlits des Aït Bougherda et des
Aït Ali. Les enfants nés dans la cité sont tous bilingues, mais ils ne s’expriment entre eux qu’en arabe dans l’école
primaire de la cité. Dans certaines familles tasahlitophones cependant, l’accent est donné sur la transmission de
l’amazigh. Il nous a semblé que c’était particulièrement le cas dans les familles les plus attachées à leurs terres. Il
n’est pas tout à fait impossible que celles-ci retournent vivre dans leurs villages d’origine dans un futur proche et
qu’elles y fassent vivre à nouveau la vieille langue du pays.
709
Dans ce cas précis, le conflit militaire et l’exode forcé qui s’en est suivi seront responsables du changement de
langue.
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Annexe 579
2. Cartes dialectologiques de l’arabe préhilalien au Maghreb occidental
Carte 19 La distribution de certains traits dialectaux dans des parlers arabes préhilaliens ou mixtes de Kabylie orientale et environs
Annexe 581
Carte 21 La distribution de certains traits dialectaux dans des parlers préhilaliens ou mixtes du nord du Maroc et de l’ouest algérien
Annexe 583
3. Liste swadesh
Nous proposerons ci-dessous la liste swadesh de 207 mots (Swadesh 1950) établie dans les 5 parlers étudiés. Cette liste de mots est censée
représenter une partie du lexique le plus résistant au changement et à l’emprunt dans les langues du monde. Si le choix de certains mots est remis
en question par d’autres travaux, cette liste reste un grand intérêt pour la comparaison inter-linguistique dans la mesure où elle a été établie pour
un nombre important de langues.
Les cases coloriées en gris clair correspondent aux mots pour lesquels le parler en question présente un doublon entre une forme native et empruntée,
tandis que celles coloriées en gris foncé correspondent aux mots pour lesquels la forme empruntée a supplanté la forme native.
Annexe 585
18 beaucoup710 xiṛella (<ar) ~ aguday ~ ameɛɛay ~ ḇezzaf xiṛella (<ar) ~ aguḏay ~ bezzaf (<ar) ~ xiṛella (<ar) ~ ameɛɛay ~ ḇezzaf (<ar) ~
(<ar) ~ nezzeh (<ar) ~ ṯaḵeččawṯ aɛeṛṛaṃ (<ar) ~ icaṭ-aya (<ar) ~ taḵečča icaṭ (<ar) ~ ṯaḵeččawṯ
19 quelques zegsit ~ ḵra ~ leḇɛeṭ (<ar) ḵra ~ bɛeṭ (<ar) ~ bɛeṭin (<ar) ~ bɛeṭinit zegsit ~ ḵra ~ lebɛeṭ (<ar)
(<ar) ~ xṭayes (<ar) ~ xṭaysit (<ar)
20 peu cuyya (<ar) ~ cwiyya (<ar) ~ drus ~ cittuḥ cuyya (<ar) ~ cwiyya (<ar) ~ ḏrus ~ cittut cuyya (<ar) ~ cwiyya (<ar) ~ ḏrus ~ cittuḥ
(<ar) ~ cittut (<ar) (<ar) ~ cittuḥ (<ar) (<ar) ~ cettuḥ (<ar) ~ cuttuḥ (<ar) ~ ciṭ
(<ar)
21 autre nniṭen ~ xlaf (<ar) nniṭen ~ xlaf (<ar) nniṭen ~ xlaf (<ar)
sg.f. nniṭent
22 un m. yiǧǧ ~ yiwen m. iwet ~ iwen (~ iǧǧen ~ yiwen) m. yiǧǧen (~ yiwen)
f. ṯict ~ yiweṯ f. tiwet (~ tiǧǧet ~ yiweṯ) f. ṯiǧǧeṯ (~ yiweṯ)
23 deux m. sin m. sin m. sin
f. snaṯ f. snat f. snaţ ~ snan
24 trois ṯlaṯa (<ar) tlata (<ar) ţlaţa (<ar)
25 quatre reḇɛa (<ar) rebɛa (<ar) reḇɛa (<ar)
26 cinq xemsa (<ar)
27 grand ameqqṛan ~ meqqeṛ ~ agaɛmir
28 long aḵemlan (<ar)
29 large awesɛan (<ar)
30 épais azehran ~ zhur
31 lourd amaẓay ~ ẓẓay
32 petit abestuḥ ~ abeztut ~ abtituḥ ~ ameẓẓyan abeztuḥ ~ abeztut ~ ameẓẓyan abeztuḥ ~ ameẓẓyan
710
Il existe également dans les trois parlers plusieurs locutions périphrastiques (ex. [AB] alammi da ~ alammi d ṛṛeqḇa ~ alammi dayen, etc.) renvoyant au sens de
« beaucoup ».
711
Dans les trois parlers, ṯameṭṭuṯ ~ [AS] ṯameṭṭuṭ est la forme habituelle, probablement ancienne, tandis que leɛyal (emprunté à l’arabe) ~ ṯamɣarṯ ~ [AS] tamɣart (vieille)
sont des variantes de contournement liées au tabou linguistique.
712
Dans les trois parlers, argaz est la forme habituelle, tandis que amɣar (<vieux) est une variantes de contournement ou tabouée.
Annexe 587
50 vers larve ṯaḵeččawṯ larve aḵeččaw ~ aḵečča larve ṯaḵeččawṯ
lombric azermemmuṭ lombric azermamuṭ lombric azermumuṯ
51 arbre ṯaseṭṭa taseǧǧuṛt (<ar) ~ ṯaceǧǧuṛt (<ar)713 ~ tacejjuṛt (<ar) ~ tasejjuṛt (<ar)
tacejjuṛt (<ar) ~ tasejjuṛt (<ar)
52 forêt lɣaḇa (<ar) ~ amaḏaɣ lɣaba (<ar) lɣaḇa (<ar) ~ amaḏaɣ
53 bâton aḵeccuṭ aḵeccaṭ
54 fruit aḥebbuy (<ar) taḥebbiwt (<ar) ţaḥebbuyṯ (<ar)
55 graine aɛeqqa
56 feuille (d'un végétal) ifer afer
57 racine aẓar
58 écorce aqcuṛ (<ar)
59 fleur ṯarelluct ~ ṯanewwaṛt (<ar) tanewwaṛt (<ar)714
60 herbe ṯaḥcict (<ar) ~ ṯiɣmitt taḥcict (<ar) ~ aɣmay ţaḥcicţ (<ar) ~ aɣemmay
61 corde amrar
62 peau aglim ~ ajluḏ (<ar) aglam ~ ajluḏ (<ar)
63 sang iḏammen
64 viande aḵsum
65 os aɛekkur ~ iɣes aɛekkur ~ aɣes aɛekkur
66 graisse ṯassemt tassemt ṯassemţ
67 œuf ṯamellalt tamellalt ṯamellalṯ
68 corne iccew acciw acciw ~ lqeṛn (<ar)
713
Les Aït Segoual ont taseṭṭa pour « grand arbre ».
714
Les Aït Segoual ont tarelluct pour « poupée, jolie fille ».
Annexe 589
92 boire asu
93 manger ečč ecc ~ ečč ecc
94 mordre ḵrec (<ar)
95 sucer summ
96 cracher susef
97 vomir uɛi (<ar) err
98 souffler suṭ
99 respirer sneffes (<ar)
100 rire taṭsa
101 voir sigg sigg ~ ṛaɛi (<ar) sigg ~ twalleh (<ar) ~ balleh (<ar)
102 entendre asel
103 savoir ssen
104 penser snezgem ~ xemmem (<ar) xemmem (<ar)
105 sentir (odorat) ssreḥ (<ar)
106 craindre gged ~ ḵruri
107 dormir ṭṭes
108 vivre dder ~ ɛic (<ar)
109 mourir mmeṯ mmet mmeṯ
110 tuer eɣɣ
111 se battre nnuɣ nnuɣ ~ nwaɣ nnuɣ
112 chasser (le gibier) ṣeyyed (<ar) ~ ṣṭad (<ar) ṣeyyed (<ar) ṣeyyed (<ar)
113 frapper uṯ awet ~ ut uṯ
114 couper gzem
115 fendre fṯeḵ (<ar) qṭeɛ (<ar) ~ uǧǧer fṯeḵ (<ar) ~ uǧǧer
116 poignarder beɛɛer (<?) ~ uṯ s lmus ut s lmus ~ awet s lmus uṯ s lmus
715
Dans ce parler, ḥukk est plutôt porteur du sens de « gratter ».
Annexe 591
139 compter ḥseḇ (<ar) ḥseb (<ar) ḥseḇ (<ar)
140 dire ini (intensif qqaṛ) ani (intensif qqaṛ)
141 chanter ɣenni (<ar) ~ cnu (<ar) ɣenni (<ar) ɣenni (<ar) ~ cnu (<ar)
142 jouer rar ~ lɛeḇ (<ar) rar ~ lɛeb (<ar) rar ~ lɛeḇ (<ar)
143 flotter ɛum (<ar)
144 couler (liquide) ddu
145 geler jmeḏ (<ar) ~ ggures (arch.) jmeḏ (<ar)
146 gonfler awef
147 soleil lumière et chaleur ṯafuḵṯ lumière et chaleur tafuḵt lumière et chaleur ṯafuḵṯ ~ achili (<ar)
astre ṯiṭṭict astre tiṭṭuct astre ṯiṭṭicţ
148 lune ayyur
149 étoile iṯri Itra (nom collectif716) aṯra
150 eau aman
151 pluie aɣebbaṛ (<ar) aɣebbaṛ (<ar) ~ lɣiṯ (<ar)
152 rivière asif aɣzer717
153 lac -
154 mer leḇḥer (<ar) ~ azegzaw (arch.) lebḥer (<ar) ~ azegza (arch.) leḇḥer (<ar)
155 sel lemleḥ (<ar) lemleḥ (<ar) ~ lmelḥ (<ar) lmelḥ (<ar)
156 pierre aḇlaṭ (<ar) ablaṭ (<ar) aḇlaṭ (<ar)
157 sable ṛṛmel (<ar)
158 poussière lɣeḇra (<ar)
716
Nom collectif dans le parler des Aït Segoual qui ne connaît pas de singulier pour le mot étoile
717
Les deux autres parlers distinguent [AB] iɣzer ~ [AS] aɣzer « ravin, torrent (ancien cours d’eau ou cours d’eau temporaire) » de asif « rivière (cours d’eau permanent) », ce
n’est pas le cas de celui des Aït Laâlam où l’on répond aux deux signifiants par aɣzer.
718
Dans ce parler, ṯimes est porteur du sens « fièvre ».
719
Dans les trois parlers TS, le nom de fonds amazigh azegzaw correspond à une palette de couleur allant du bleu au vert tandis que les différentes formes empruntées désignent
spécifiquement le vert.
720
Dans ce parler, iṭ ~ aṭ ne sont utilisés que dans des compositions figés comme iṭa < iṭ-a « cette nuit ».
Annexe 593
179 année aseggas aseggas ~ ɛam (<ar)
180 chaud (température) ḥmu (<ar) ~ zɣel (<arch.) ḥmu (<ar) ḥma (<ar)
181 froid (température) semmeṭ
182 remplir ččur ččur ~ ɛemmer (<ar) ccur ~ ččur
183 nouveau ajdid (<ar)
184 ancien aqḏim (<ar)
185 bon lɛali (<ar) lɛali (<ar) lɛali (<ar)
sg.m. lɛaluṯ (<ar) sg.m. lɛalu ~ lɛaluṯ (<ar)
sg.f. lɛalit (<ar) sg.f. lɛali ~ lɛalit (<ar)
pl.m. lɛalun (<ar) pl.m. lɛalun (<ar)
pl.f. lɛalunt (<ar) pl.f. lɛalunt (<ar)
186 mauvais hwah (<ar) ~ ihwah (<ar) ~ afuḥan (<ar)
187 pourri rḵu
188 sale njan ~ xmej (<ar) ~ ṭlu (<ar) ~ ɛafen (<ar) usex (<ar) ~ xmej (<ar) ~ ɛafen (<ar) xmej (<ar) ~ usex (<ar) ~ tla (<ar) ~ ɛafen
(<ar)
189 droit (rectiligne) ṣuḇ (<ar) ṣuḇ (<ar) ~ sgem (<ar)
190 rond amdaddaṛ (<ar) ~ ṯamgadalt amdaddaṛ (<ar) ~ taḥdilt (<ar)
191 tranchant aqeṭɛan (<ar) ɛaddem (<ar)
192 émoussé sriḥ (<ar) sriḥ (<ar) ~ ḥfu (<ar) cemm (<ar)
193 lisse sleḇ sleb ~ ḏleg (<ar) ḥmeṛ (<ar)
194 mouillé ~ humide ḇzeg bzeg ḇzeg
195 sec qqur
196 juste ~ correct d ṣṣeḥ (<ama d + ar. ṣṣeḥ)
197 près qṛeḇ (<ar)
198 loin ḇɛed (<ar) bɛed (<ar) ḇɛed (<ar)
Annexe 595
6 ils hum ~ huma huma
7 ceci ~ celui-ci sg.m. hada sg.m. hada
sg.f. hadi sg.f. hadi
pl. hadu pl. hadu
8 cela ~ celui-là sg. hadaķ ~ hadiķ Sg. hadak ~ hadik
F. ultradistales hadaķdəlhih ~ hadaķdəlhiha ~ hadaķdəlhahu ~ pl. haduk
hadiķdəlhih ~ hadiķdəlhiha ~ hadiķdəlhahu
pl. haduķ
F. ultradistales haduķdəlhih ~ haduķdəlhiha ~ haduķdəlhahu
9 ici lahən ~ hna ~ hnaya lahna ~ hna
10 là ţəmm ~ ţəmma ~ ţəmmin ~ ţəmmina ~ ţəmminaţəķ ~ ţəmminaţiķ ţəmmina ~ hawdafayən
11 qui mənhu mənhu
Reprise pronominale du sujet Reprise pronominale du sujet
sg.m. mənhuwwa m. mənhu
sg.f. mənhiyya f. mənhi
pl. mǝnɦuma
12 quoi diyyəš ~ dəyyiš ~ diš (~ dašən ~ daš ~ waš) dəš (~ aš)
Reprise pronominale du sujet Reprise pronominale du sujet
dišhuwwa ~ dišuwwa ~ dašənhuwwa ~ dišu ~ tšuwwa dəšhəwwa ~ dəšwa
13 où fayən (~ wayən) fayən
14 quand faywəḳ faywəq
15 comment ķ ~ ķi~ ķiš ~ ķifaš kifəš
16 ne --- pas ma [V] š ~ ma [V] ši (arch.) ma [V] š
17 tout bəlķəl ~ bəlķəlli ~bəlķəlliţ ~ ķəlləš ~ ķulləš ~ ķaməl ~ məṛṛa bəlkəl ~ kaməl
18 beaucoup bəzzaf ~ bəzzafi ~ bəzzafiţ bəzzaf ~ bəzzafa ~ bəzzafiţ ~ ɛəṛma
Annexe 597
f. ṭəfla f. ṭəfla ~ ṭfiyyəla
40 femme (épouse)721 mra ~ daṛ722 mra ~ ʕyal723
41 mari ṛažəl ṛaǧəl
42 mère yəmma (<ama) ~ əmm yəmma (<ama) ~ əmm ~ məmma
43 père baba (<ama) ~ ḅaḅa (<ama) ~ ppa ~ əbb baba (<ama) ~ əbb
44 animal ħiwan
45 poisson ħuţa
46 oiseau afṛuḫ
47 chien ķəbb kəlb
48 pou ḳəmla qəmla
49 serpent ħənš azrəm (<ama)
50 vers larve duda Larve duda ~ bušluš
lombric (a)zrəmṭiwən (<ama) lombric azrəmṭiwen (<ama)
51 arbre šəžṛa šəǧṛa
52 forêt ġaba
53 bâton aʕud aqəššuṭ (<ama)
54 fruit faķya ħəbba724
55 graine zriʕa ḫməl ~ zəṛṛiʕa
56 feuille (d'un végétal) wəṛḳa wəṛqa
721
Dans les deux parlers, mra est la forme habituelle, tandis que [JV] daṛ (<maison, famille) ~ [AM] ʕyal (<enfants) sont des variantes de contournement liées au tabou
linguistique.
722
Le premier sens de ce mot est « maison », celui de « femme, épouse » trouve son origine dans le tabou qui entoure l’utilisation de mra.
723
Le premier sens de ce mot est « enfants », celui de « femme, épouse » trouve son origine dans le tabou qui entoure l’utilisation de mra.
724
Faķya est attesté comme pluriel dans ce parler, « fruits »
725
Désigne une grande racine ou un tronc d’arbre
Annexe 599
80 pied ržəl rǧəl
81 jambe ḳəṣba d ər-ržəl rǧəl
82 genou rəķba rəkba
83 main yədd
84 aile žnəħ ǧnəħ
85 ventre ķərš kərš
86 entrailles ~intestins ẓərmin (<ama)
87 cou ʕənḳ buʕənquq ~ rəqba
88 dos ṭhər
89 poitrine humaine sdər sdər
animale asdər
90 cœur (organe) ḳəbb qəlb
91 foie afwad ~ ķəbda kəbda
92 boire šṛəb/yəšṛəb
93 manger ķla/yaķəl kla/yakəl
94 mordre ʕləṭ/yəʕləṭ kəṛṛəš -ykəṛṛəš ~ ʕəṭṭ/yʕəṭṭ
95 sucer rṭaʕ/yərṭaʕ məṣṣ/yməṣṣ
96 cracher bzəḳ/yəbzəḳ bzəq/yəbzəq
97 vomir ţḳəyya/yəţḳəyya ţqəyya/yəţqəyya ~ ṛədd/yṛədd
98 souffler mza/yəmzi (<ama) saṭ/yəsuṭ (<ama)
99 respirer ţnəffəs/yəţnəffəs
100 rire ṭħəķ/yṭəħķ ~ ḍħəķ/yḍəħķ ṭħək/yəṭəħk
101 voir šaf/yšuf ~ ḫẓər/yəḫẓər ~ ṛa/yṛa ṛa/yṛa ~ nṭər/yənṭər ~ qiyyəṣ/yqiyyəṣ
102 entendre smaʕ/yəsmaʕ smaʕ/yəsmaʕ ~ ṣəṛṛəš/yṣəṛṛəš
103 savoir ʕrəf/yəʕrəf ~ dra/yədri
Annexe 601
128 donner ʕṭa/yəʕṭi
129 tenir ħķəm/yəħķəm ~ nəṭṭ/ynəṭṭ (<ama) ħkəm/yəħkəm ~ nəṭṭ/ynəṭṭ (<ama)
130 serrer ~ presser šbəħ/yəšbəħ
131 frotter ħbəķ/yəħbəķ ħəkk/yəħəkk
132 laver ḫsəl/yəḫsəl
133 essuyer msəħ/yəmsəħ
134 tirer žbəd/yəžbəd ǧbəd/yəǧbəd
135 pousser dəzz/ydəzz
136 jeter ~ lancer ṭəyyəš/yṭəyyəš ṭəyyəš/yṭəyyəš ~ zwa/yəzwi (<ama) ~ ṛma/yəṛmi
137 lier ləssəḳ/yləssəḳ nəṭṭ/ynəṭṭ (<ama)
138 coudre ḫəyyəṭ/yḫəyyəṭ ḫaṭ/yḫaṭ
139 compter ħsəb/yəħsəb ħsəb/yəħsəb
140 dire ḳal/yəḳul qal/yqul ~ ʕad/yəʕid
141 chanter ġənna/yġənni
142 jouer lʕəb/yəlʕəb
143 flotter ʕam/yʕum
144 couler (liquide) sal/ysil ~ ḳǝllǝb/yḳǝllǝb ~ šǝṛšəṛ/yšǝṛšǝṛ saħ/ysiħ ~ sal/ysil ~ šǝṛšəṛ/yšǝṛšǝṛ
145 geler žməd/yəžməd ǧməd/yəǧməd
146 gonfler mza/yəmzi (<ama) nfəẖ/yənfəẖ
147 soleil Lumière et chaleur šili šili ~ šǝms
Astre šmiša
148 lune ḳmər qmər ~ qmiyyər
149 étoile nəžma nəǧma
150 eau ma
151 pluie nu
Annexe 603
176 noir ķħəl
177 nuit lil lil ~ həlla
178 jour yum ~ nhaṛ yum ~ nhaṛ
179 année ʕam ʕam ~ sna
180 chaud (température) sḫun ħami
181 froid (température) barəd
182 remplir ʕəmməṛ/yʕəmməṛ ~ ʕəbba/yʕəbbi mla/yəmla
183 nouveau ždid
184 ancien ḳdim qdim
185 bon mliħ mliħ ~ məzyan
186 mauvais ma mliħ š(i) ma mliħ š ~ ma məzyan š
187 pourri mhəṛṛi raši (<ama) ~ ḫaṣər ~ mṣəwwəf ~ mbuṛəd ~ mbuṛi (<fr)
188 sale musəḫ ʕafən ~ mwəssəḫ ~ ḫaməǧ
189 droit (rectiligne) məswab swab
190 rond mdəwwəṛ mḍəwwəṛ ~ ḍayəṛ
191 tranchant maṭi maṭi ~ qəṭaʕ
192 émoussé ħafi
193 lisse rṭəb/yərṭəb raṭəb ~ maləs
194 mouillé ~ humide ḫṭər/yəḫṭər ḫṭər/yəḫṭər ~ sarəd ~ šaməẖ (<ama)
195 sec šayəħ šayəħ ~ mqəžžəṛ (<ama)
196 juste ~ correct ṣħəħ swab
197 près ḳrib qid ~ qrib
198 loin bʕid
199 droite yəmin imin
726
Ce parler emploi également l’expression périphrastique ʕla yədd-ək əddi mkəssṛa « de ta main brisée » pour désigner la « gauche ».
Annexe 605
4. La variation intra-dialectale
Tableau 100 Variation intra-dialectale au sein de la confédération des Aït Bouycef
727
Composition constituée de l’amazigh aɣyul « âne » et de l’emprunt à l’arabe isekṛan « alcooliques, alcoolisés ».
Annexe 607
Tableau 104 Variation individuelle et intra-familiale à Jijel-ville
Annexe 609
Coup tiyita tayata tayata
Amitié tadukli tadukla tadukla
Bousier (insecte) izinzer azenzer azenzer
Maceron (végétal) ixses axsas axsas
Clématite (végétal) azenzu azenza azenza
Bout de bois aḵeccuṭ aḵeccaṭ aḵeccuṭ
Larme imeṭṭi ø ameṭṭaw
Nombril timiṭ tamaṭ tamaṭ
Plateau agni agna agna
Travaux collectifs ṯiwizi tawaza tawaza
Piquet aḵṯi aḵti aḵṯa
Percnoptère (oiseau) sayesɣi sayesɣi ~ sayesɣa ø
araignée ṯissist assas ṯassast
Pain aɣṛum (<pun) aɣṛum (<pun) aɣṛam (<pun)
Argile du potier iḏeqqi aḏeqqa aḏeqqa
Fiancée ṯislitt taslat ṯaslatt
Cenelles (baie) ḇiḇru bibru ~ bubra ḇuḇra
Scorpion ṯiɣirḏemt taɣirḏemt ṯaɣerḏemt
Variation concernant la vocalisation d’adverbes
Plus tôt inili lini ~ nili anali
Hier iṭelli aṭelli aṭella
L’an dernier ilindi alinda alinda
Variation concernant la vocalisation verbale (thème de l’impératif)
Se taire susem susem sasem
Vouloir, aimer ḇɣu « vouloir » (<ar) bɣu ~ bɣa « aimer » (<ar) ḇɣa « aimer » (<ar)
Oublier shu (<ar) shu (<ar) sha (<ar)
Tableau 106 Variation concernant la vocalisation en [a] entre les parlers des différentes
fractions des Aït Bouycef
Aït Bouycef
Aït Lâarch Aït Ali Ou Jemaâ
Dîner imensi amensi
Aït Segoual
Aït Bouhafan Taâzibt
Corroyère (végétal) urwaẓ arwaẓ
Tableau 108 Variation concernant la vocalisation en [a] entre les parlers des différentes fractions des AL
Aït Laâlam
Aït Ihia Aït Moussa
Vautour igider agader
Tasahlit Jijélien
Aït Segoual Aït Laâlam Aït Mâad
tirgan θimalan ͡tsixnaqan
728
Cf. TS:AB aẓrar « ardoise »
729
Cf. ţludan « stellaire » (Jijel-ville ţludən « stellaire », Aït Segoual tlaḏan n imqeṛqaṛ « espèce de bryophite »)
Annexe 611
Tableau 110 Toponymes représentant des noms féminins pluriels à morphologie amazighe
dans les Babors arabophones730
730
Voir tableau 109 pour les toponymes en t(i)---an situées au sein de la commune de Ziama-Mansouriah dans les
confédérations des Aït Segoual (amazighophones) et des Aït Mâad (arabophones).
ø Tizgane
ø Touglamane
Tableau 112 Toponymes représentant des noms féminins pluriels à morphologie amazighe
dans le Rif occidental (Maroc)
731
Toponymes récoltés au moyen du logiciel Google Earth et de notre consultant colliote des Oulad Attia.
Annexe 615
Tableau 114 Éléments du lexique expressif de Jijel-ville (éléments d’origine amazighe en vert)
732
Les formes composées d’un vocatif suivi d’un nom annexé par un pronom d’objet direct ont été décomposées
ici, mais plusieurs d’entre elles sont complètement figées. Elles entrent souvent dans des locutions où l’on observe
leur répétition comme aġəǧi ġəǧi exprimant un profond dégoût.
733
Noté ia par l’auteur
734
Uniquement à la première personne du singulier d’après Taine-Cheikh (2010:200), qui note que le pronom ainsi
obtenu est une variante « rare »
735
Basset (1894:80) signale l’existence d’un augment pronominal an uniquement à la première personne du
singulier.
Annexe 617
6.2. Exemples de conjugaisons
Nous donnerons ici quelques exemples de conjugaison de verbes pour chacune des deux
langues étudiées.
6.2.1.Tasahlit
6.2.1.1. Monolitères
Annexe 619
Tableau 119 Aït Segoual erg « sortir »
Annexe 621
Tableau 123 Aït Segoual awi « apporter, emporter »
Annexe 623
6.2.1.4. Trilitères sans voyelle(s) pleine(s)
Tableau 127 Aït Bouycef ḵcem « entrer »
Annexe 625
Tableau 131 Aït Laâlam ili « être »
Annexe 627
Tableau 135 Aït Bouycef sḵenṯ « montrer »
Annexe 629
6.2.1.9. Pseudo-verbe
Tableau 139 Conjugaison du pseudo-verbe de remerciement ṣaḥḥit
Annexe 631
6.2.2.2. Verbe concave
Tableau 142 Jijélien ṛaħ/yṛuħ « partir »
Annexe 633
6.2.2.6. Verbes sains
Tableau 146 Aït Mâad ẖdəm/yəẖdəm « faire, travailler »
Annexe 635
7. Les interrogatifs
Tableau 151 Échantillon d’interrogatifs dans quatre autres parlers amazighs septentrionaux que ceux étudiés
« pourquoi » max ~ maɣ ~ mmah leyyac ~ leyya acumi ~ acimi ~ ayɣer ~ acuɣer mih
Chose
« quoi, que » matta Objet cw acu matta
Sujet cenni ~ cennu ~ cnu
« dans quoi » ø gemmen degg°aydeg ~ degg°ideg dimideg ~ mideg
« au moyen de s matta semmen s wacu ~ s wayes smatta
quoi »
« de quoi » maxefmi zgemmen bb°aylan wactilan
Quantité
« combien » mecta cḥal acḥal acḥal
Personne
Annexe 637
Tableau 152 Échantillon d’interrogatifs dans quatre autres parlers arabes préhilaliens que ceux étudiés
Jbala : Bni Ounjel Tlemcen Jijélien : Bni Hbibi Colliote : Oulad Attia
Préhilalien villageois Préhilalien citadin Préhilalien villageois Préhilalien villageois
Raison
Chose
« quoi, que » Objet šna, Objet aš, Objet daš, dašǝddi, Objet šu,
Sujet šǝnni Sujet ašǝn Sujet dašwa Sujet šuwwa
« dans quoi » fayyaš faš fmah ~ fmaš faš
« au moyen de quoi » bayyaš baš bah baš
« de quoi » mnayyaš amnaš mnamah mnaš ~ ţaʕaš ~ ţaʕwaš
Quantité
Personne
Annexe 639
Documentation
642 Amazigh et arabe dans le massif des babors
Nous présenterons à travers les sections suivantes différents documents audios ou audiovisuels
publiés en ligne en libre accès par nos soins et participant à la documentation des parlers
étudiées et d’autres variétés linguistiques de Kabylie orientale.
Nous souhaitons remercier tout particulièrement ici notre Directrice de thèse, Amina Mettouchi,
pour nous avoir encouragé et conseillé pour la réalisation de corpus audios et vidéos en tasahlit,
et pour avoir accepté de les partager sur la chaîne Youtube Amazigh Languages. Nous
souhaitons aussi remercier abondement Christian Chanard et Séverine Guillaume,
informaticiens responsables respectivement de la gestion des sites Corporan et Pangloss, pour
avoir pris le temps de s’occuper de la publication de mes données. Enfin, nous remercions
abondement les locutrices et les locuteurs qui ont accepté de nous donner accès à leurs précieux
savoirs et langues, ce qui nous permet de présenter cette documentation.
Documentation 643
1. Tasahlit
Nous donnerons ici la liste de documentation publiée en ligne concernant les parlers étudiés
mais aussi d’autres parlers tasahlits orientaux, un parler de la tasahlit occidentale et un parler
de la tasahlit méridionale.
Recette de Talilayt (crêpe) et de Tirṭunin n tmerɣa (crêpes fourrées aux œufs cuites au feu de
bouses de vache) : https://www.youtube.com/watch?v=xsbiEKTotWg
Un herbier multilingue Tasaḥlit-Tajililt: les plantes de la Kabylie des Babors, mille ans
d'histoire : https://www.youtube.com/watch?v=a2yPNv9uQlk&t=1s
736
Signalons également la chaîne Youtube ouverte en 2021 par notre cosultant Yudas Saâdane (disponible en ligne
au lien : https://www.youtube.com/@user-wd7yh3jv7r), documentant à travers des enregistrements audiovisuels
le lexique des Aït Segoual (parler des Aït Bouhafan).
Documentation 645
1.4. Autres parlers de la tasahlit orientale
Interview avec une femme âgée des Aït Ali : https://doi.org/10.24397/pangloss-0008556
Un herbier multilingue Tasaḥlit-Tajijlit: les plantes de la Kabylie des Babors, mille ans
d'histoire : https://www.youtube.com/watch?v=a2yPNv9uQlk&t=1s
Əl-fəxxaṛ, Réalisation des poteries modelées traditionnelles chez les Aït Aïssa :
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008286.
737
Signalons l’important travail d’auto-documentation réalisé à partir du printemps 2023 par l’un de nos
consultants, Djamal Eddine Hadji, à travers les séries d’entretiens audiovisuels «( حكاية اليومhistoire d’aujourd’hui »)
et «( الخطوات األولىles premiers pas ») publiées sur la page facebook ( المعرض االفتراضي الدي جيجلdisponible au lien :
https://www.facebook.com/groups/823379914440744) et réalisées pour la plupart en jijélien. Ces entretiens
portent sur la culture, l’histoire et les personnalités de la ville de Jijel.
Documentation 647
3. Les autres langues de Kabylie orientale
Nous avons eu l’occasion durant notre thèse de procéder à l’enregistrement et à la transcription
de textes oraux dans quatre autres langues de Kabylie orientale, dont deux langue amazighes,
le kabyle (orientale-Est) et la taâmmoucht, et deux variétés d’arabe, le bougiote et le colliote.
3.2. La taâmmoucht
Agisi, Le yaourt au ferment de figuier chez les Amouchas : https://doi.org/10.24397/pangloss-
0008270.
3.3. Le bougiote
Récit sur le déroulement du mois de Ramadan à Béjaïa : https://doi.org/10.24397/pangloss-
0008486.
3.4. Le colliote
Rudesse de la vie en hivers chez les Oulad Attia : https://doi.org/10.24397/pangloss-0008546.
- D’une première ligne en caractère latin, dans laquelle nous avons grasseyé les emprunts
morphologiques et lexicaux arabes en tasahlit et amazighs738 en jijélien.
- L’ensemble des textes, sont accompagnés d’une ligne de transcription dans des systèmes
graphiques également considérés comme légitimes par les locuteurs des langues étudiées :
à savoir les néo-tifinaghs739 pour la tasahlit et les caractères arabes pour le jijélien.
- La dernière ligne (centrée) correspond à notre traduction du texte en français.
Le néo-tifinagh bien est considéré comme un alphabet légitime par un nombre important de
tasahlitophones et plus largement d’amazighophones. Son usage est cependant resté peu développé en
tasahlit : cette graphie observe le plus souvent un rôle symbolique et est surtout utilisée pour transcrire
des éléments d’onomastiques et parfois de courts textes. Elle bénéficie d’une légitimité aux yeux de
beaucoup de locuteurs qui la considèrent comme un élément patrimonial important. Signalons que la
graphie arabe est également parfois utilisée pour la transcription de la tasahlit dans les communications
courantes (messages téléphoniques, etc.), en particulier chez les locuteurs membres des confédérations
tasahlitophones situées parmi les provinces de Jijel et de Sétif.
Nous avons utilisé pour le jijélien un système de transcription en caractère arabe le plus proche possible
de celui utilisé par ses locuteurs740. Il existe beaucoup de variation dans leurs choix de transcription,
souvent liée à la volonté de s’approcher de la norme orthographique de l’arabe standard ou au contraire
738
Nous n’avons pas grasseyé les mots d’origine romane et osmanli ou ayant transité par ces langues (ex. AS
ṭṭumaṭic « tomate »), mais beaucoup d’entre eux ont pu entrer en tasahlit via l’arabe maghrébin.
739
Système mis en place par l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM, Maroc)
740
À l’exception près que nous avons intégré des signes diacritiques marquant le vocalisme lorsque cela nous a
paru être utile, de même que la gémination, bien que ceux-ci ne soit pratiquement jamais utilisés par les jijéliens
pour la transcription de leur langue dans les communication courantes.
Documentation 649
de s’en défaire741. Ajoutons que la transcription du jijélien en caractères néo-tifinaghs peut parfois être
observée sur les réseaux sociaux pour des transcriptions de mots isolés ou d’expressions742.
741
L’un des domaines de variation le plus important concerne la transcription du vocalisme. En effet, beaucoup de
locuteurs cherchent à rapprocher leur orthographe du jijélien avec celle de l’arabe standard et font par conséquent
toute une gamme de choix différents selon leurs interprétations personnelles.
742
Tendance encore très récente et vraisemblablement restreinte à des individus isolés, particulièrement conscients
de l’histoire de leur région, langue et communauté
743
Locuteur originaire des Aït Lâarch, enregistré en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa. Igisi,
Le yaourt au ferment de figuier chez les Aït Bouycef. Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008272.
744
Cette recette donne uniquement la préparation dont le ferment utilisé est le latex de figuier mais d’autres
ferments végétaux sont utilisés dans cette confédération (et ailleurs), comme l’enzyme d’artichaut sauvage, etc.
Puis, nous nous rendons au figuier, récolter une figue verte (non-mûre),
745
Emprunt à l’arabe très répandu dans le parler jeune des Aït Bouycef contre les formes natives ameḵ ~ aneḵ ~
amaneḵ
Documentation 651
Luxen d aṯ-nṛaja waḥen n xemsa n ddqayeq.
746
Plus souvent nfa dans ce parler, nufa pourrait correspondre à un emprunt à des parlers tasahlits voisins
Ḥarḇiṭ (la purée d’herbes sauvage) est un plat qui est bien connu dans nos montagnes.
Ce plat est composé de certaines herbes que l’on cueille dans les lieux inhabités.
747
Locutrice originaire des Aït Laârch, enregistrée en 2019. Il est possible de comparer cette recette avec sa version
chez les Aït Laâlam (4.1.21) et à Jijel-ville (section 4.2.2).
Documentation 653
Ass-a, di nessawejḏ ḥarḇiṭ s ufersun, s tsemmumt,
le sainfoin, la moutarde, les mauves, les coquelicots, la menthe d’eau, la chicorée amère, la
picride.
L’oseille, on lui retire sa nervure principale, on retire les fleurs d’ail triquètre.
748
La locutrice nous a précisé après l’enregistrement que les tomates n’étaient pas un ingrédient nécessaire pour
cette recette.
749
Petite pâte de semoule en forme de perle
Documentation 655
Mi ḏi ww ḏi d-nekkes-add-uṯ, dayen ḥarḇiṭ-nneɣ iwwa.
Maintenant, vous avez vu comment il se fait, vous pouvez le faire vous aussi.
750
Locutrice originaire des Aït Jemaâ Ou Ali, enregistrée en 2023. Disponible au lien suivant : Garaoun,
Massinissa. Ṯiḵlilṯ, Le fromage de petit lait chez les Aït Bouycef. Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008278.
Documentation 657
d as-necɛel i lɛafiṯ s leɛqel.
ṯiḵlilt d att-nejmeɛ.
ⵝⵉⴿⵍⵉⵍⵜ ⴷ ⴰⵜⵜⵏⴻⵊⵎⴻⵄ
Documentation 659
4.1.4.Aït Bouycef : la préparation de ṯimedɣest, sorte de fromage de colostrum,
par Tamazight Oubellout751
c'est le lait que l'on trait les premiers jours après la mise à bas de la vache.
751
Locutrice originaire des Aït Jemaâ Ou Ali, enregistrée en 2023. Disponible au lien : Garaoun, Massinissa.
Ṯimedɣest, Le fromage de colostrum chez les Aït Bouycef. Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008280.
Documentation 661
ḥacama la iḇḏa i ijemmel.
Aujourd’hui, nous allons nous rendre à Tamridjet, chez les ayt Lâarch.
Pour qu’ils nous montrent comment ils font la recette de « ṯabsist d timqeṛqect » (caroube
torréfié et orge torréfiée). Regardez !
752
Locutrice originaire des Aït Lâarch, enregistrée en 2019. Document audiovisuel disponible en ligne au lien
suivant : https://www.youtube.com/watch?v-VvY70DuP5PM&t-7s.
753
Néologisme
754
Mot d’origine indéterminée peut-être emprunté.
Documentation 663
Ṯabsist ṯettmaga s waren n uɛejjuṭ d waren n temẓin.
Ça ne se fait pas avec le « caroube du singe » (variété de caroube moins intéressante sur le
plan nutritif).
D as-nekkes iɣwawen.
ⴹ ⴰⵙⵏⴻⴽⴽⴻⵙ ⵉⵖⵡⴰⵡⴻⵏ
Documentation 665
ⴹⵉ ⵏⴻⵙⵙⴰⵡⵊⴻⴷ ⵝⵉⵎⵥⵉⵏ ⴷ ⴰⵜⵜⵏⴻⵙⵙⵉⵔⴻⴸ
Jusqu’à ce qu’il soit bien torréfié, jusqu’à ce qu’il sente comme le chocolat.
D aṯ-nṣiff g ɣeṛḇal.
ⴹ ⴰⵝⵏⵚⵉⴼⴼ ⴳ ⵖⴻⵕⵠⴰⵍ
755
Ṯaḵebbict « petite poignée », peut-être de l’arabe KBB + suffixe diminutif-c ? Le parler de Jijel-ville a ḳbiša
pour le même sens
S tezmert-nnun, ṣaḥḥitum !
ⵚ ⵜⴻⵣⵎⴻⵔⵜⵏⵏⵓⵏ ⵚⴰⵃⵃⵉⵜⵓⵎ
À votre santé, merci !
756
<tettmaga
Documentation 667
4.1.6.Aït Bouycef : présentation de l’écologie de la salamandre (ṯaṭaṛett n
igenni), par Nadia Garaoun757
Dans les montagnes des Babors, comme dans les autres montagnes kabyles,
Ass-a di wen-dd-nesḵent-add-iṯ,
ⵄⵙⵙⴰ ⴷⵉ ⵡⴻⵏⴷⴷⵏⴻⵙⴿⴻⵏⵜⴰⴷⴷⵉⵝ
Cette année, il a plu jusqu’à n’en plus finir dans nos montagnes.
757
Locutrice originaire des Aït Lâarch, enregistrée en 2019. Cette recette est publiée en ligne au lien suivant :
https://www.youtube.com/watch?v-UlDVwSxHYJA&t-12s.
Dans notre confédération des Aït Bouycef, les mares sont remplies, les sources sont
abondantes.
L’eau ruisselle sur les routes, les forêts sont verdoyantes, le brouillard frappe au-dessus des
collines.
Quand le temps est comme ça, les animaux naissent dans l’eau,
Documentation 669
Ṯaḇerɛalliwṯ n ṯaṭaṛett n igenni ṯettaṭṭar g aman,
elles restent dans les mares, chassent les larves et les têtards des crapauds.
Ttqimant sin naɣ ṯlaṯa n lechuṛa seg mi di fakk cceṯwa alammi d ṛṛḇiɛ.
ⵟⵜⵇⵉⵎⴰⵏⵜ ⵙⵉⵏ ⵏⴰⵖ ⵝⵍⴰⵝⴰ ⵏ ⵍⴻⵛⵀⵓⵕⴰ ⵙⴻⴳ ⵎⵉ ⴷⵉ ⴼⴰⴽⴽ ⵛⵛⴻⵝⵡⴰ ⴰⵍⴰⵎⵎⵉ ⴷ ⵕⵕⵠⵉⵄ
Elles restent deux à trois mois depuis la fin de l’hiver jusqu’au printemps.
758
Mot d’origine indéterminée, peut-être emprunté
759
Mot d’origine indéterminée, peut-être emprunté
Quand elle termine sa vie aquatique, la salamandre sort, rampe sur la terre.
ṯaṭaṛett n igenni ṯett ayen ṯfa, acu tzemmer i ṯeṭṭef d at-tager g mamuc-is,
ⵝⴰⵟⴰⵕⴻⵜⵜ ⵏ ⵉⴳⴻⵏⵏⵉ ⵝⴻⵜⵜ ⴰⵢⴻⵏ ⵝⴼⴰ ⴰⵛⵓ ⵜⵣⴻⵎⵎⴻⵔ ⵉ ⵝⴻⵟⵟⴻⴼ ⴷ ⴰⵜⵜⴰⴳⴻⵔ ⴳ ⵎⴰⵎⵓⵛⵉⵙ
La salamandre mange tout ce qu’elle trouve, ce qu’elle peut attraper, elle le met dans sa
gueule,
760
Les deux langues présentent une racine NFS, surement héritée du fond commun afro-asiatique, il est difficile
dans ce cas de déterminer si ce verbe est emprunté à l’arabe ou non.
Documentation 671
iḇeɛwac, izremṭiwen, ulamma d timqeṛqaṛ n ṯiḇestuḥa.
les petits animaux, les vers de terre, même les petites grenouilles.
elle ne court pas comme les lézards, sa peau est jaune et noire,
761
<ar QLL
762
<ṯeṭelleq
elle donne naissance tous les ans, dans les sources, dans les mares.
De plus, maintenant, la région n’est pas propre, la région est pleine de déchets.
763
Les deux langues présentent une racine MWT, surement héritée du fond commun afro-asiatique, il est difficile
dans ce cas de déterminer si ce verbe est emprunté à l’arabe ou non.
Documentation 673
Uzur iṯeɣɣa ayen i gṯeddren g aman.
Bonjour à tous !
764
Locutrice originaire des Aït Lâarch, enregistrée en 2019. Document audiovisuel disponible en ligne au lien
suivant : https://www.youtube.com/watch?v-2XF_g1Iu7xs. Il est possible de comparer cette recette des Aït
Bouycef avec sa version chez les Aït Laâlam (cf. section 4.1.19).
765
Néologisme
Documentation 675
Aḇriḏ n amezwar di ḥwajem aren n irḏen.
On l’étale avec la main, on continue avec le rouleau à pâtisserie jusqu’à ce qu’elle devienne
ronde.
Maintenant, on va la décorer, on va lui appliquer des feuilles afin qu’elle devienne comme
une fleur de printemps.
Di nelḇu afan s ḵra n zziṯ aneḵ di nessers ṯarṭunt fell-as aneḵ di ṯeww.
ⴹⵉ ⵏⴻⵍⵠⵓ ⴰⴼⴰⵏ ⵙ ⴿⵔⴰ ⵏ ⵣⵣⵉⵝ ⴰⵏⴻⴿ ⴷⵉ ⵏⴻⵙⵙⴻⵔⵙ ⵝⴰⵔⵟⵓⵏⵜ ⴼⴻⵍⵍⴰⵙ ⴰⵏⴻⴿ ⵉ ⴷⵉ ⵝⴻⵡⵡ
On badigeonne la plaque de cuisson avec un peu d’huile afin de poser la galette dessus pour
qu’elle cuise.
Documentation 677
Mi di dd-teww ṯerṭunt safell sadda, di nekkes-add-iṯ d as-nelḇu afareẓ awṛaɣ.
Quand la galette sera cuite dessus et dessous, on la retire et on la badigeonne avec un jaune
d’œuf.
d aṯ-neǧǧ i smiṭ.
ⴷ ⴰⵝⵏⴻⴵⴵ ⵉ ⵙⵎⵉⵟ
On la laisse refroidir.
jusqu’à ce qu’elle arrive devant la branche du laurier rose, qu’on a plantée là-bas.
Documentation 679
4.1.8.Aït Segoual : la préparation de la ččekčuka n amercal, sorte de ratatouille
à base de patelles, par Amir Alouti766
Comme vous le savez notre pays se trouve en Kabylie (= pays des Kabyles).
766
Locuteur originaire des Aït Ayyad, enregistré en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa. Asewway
umercal, Recette de ratatouille aux patelles. Audio, x-wav. Pangloss, 2023. https://doi.org/10.24397/PANGLOSS-
0008270.
767
Taɛzibt renvoi à une portion de terre affectée au pâturage mais correspond aussi ici au nom d’une localité
précise : un ancien site de pâture situé à même le littoral devenu la plus importante localité orientale du pays des
Aït Segoual.
768
Néologisme emprunté au standard amazigh algérien.
Comme je vous ai dit plus tôt, en premier, que nous nous situons au bord de la mer,
769
Emprunt à l’arabe pan-tasahlit typique des parlers jeunes
Documentation 681
Ass-a xeyyṛeɣ-awen iwet n lmaḵla
Amercal (= la patelle) est un petit animal qui possède une coquille, pas deux.
Sa chair peut être mangée crue comme elle peut être mangée cuite.
770
Les patelles sont des mollusques gastéropodes vivant sur les rochers dans les zones de balancement des marées.
771
Mot peut-être lié au jijélien aġəžwal « coquille », lequel découle clairement de la racine amazighe ƔNJW/Y.
Afin de la récolter, il te faut une lame afin de les décoller (détacher, arracher) des rochers.
Premièrement, il faut faire bouillir de l’eau, avec du vinaigre et une tranche de citron,
qui sent mauvais. Aussi, afin qu’il nous soit plus facile de la décoller de sa coquille.
Documentation 683
am tsegnit tameqqrant niɣ am tsugla.
Dans une marmite, on verse la chair de patelle que l’on fait revenir dans de l’huile d’olive
d ubezzuz n lmelḥ.
ⴷ ⵓⴱⴻⵣⵣⵓⵣ ⵏ ⵍⵎⴻⵍⵃ
On mettra (il y aura) dedans seulement des poivrons et des oignons, pas de tomates.
772
Plat nord-africain à base de poivrons et de tomates cuits dans leur jus.
Documentation 685
Ma da sli afelfel-nneɣ d lebṣel,
Nernu-yas afeṛmaj,
ⵏⴻⵔⵏⵓⵢⴰⵙ ⴰⴼⴻⵕⵎⴰⵊ
On ajoute du fromage.
Chez nous, il y en qui la pêchent à la canne (à pêche) depuis les rochers, à la canne.
773
Locuteur originaire des Aït Ayyad, enregistré en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa. Ččelba,
La saupe. Audio, x-wav. Pangloss, 2023. https://doi.org/10.24397/pangloss-0008276.
774
La saupe (Sarpa salpa) est un poisson herbivore très commun sur les rives méditerranéennes.
Documentation 687
Ma ḏa ḵetteṛṭ ezzeg-es tzemmerṭ a meṛɛecṭ775 ḏeggaṭ,
parce qu’elle se nourrit en paissant des herbes hallucinogènes qu’il y a dans la mer.
775
<ar RĠŠ
776
<teṭewwi
afin qu’une fois placée dans l’huile, l’intérieur cuise. Il cuise bien.
Documentation 689
ameḵ as-ɣɣaṛen… xeddmen-as ttumaṭic, lqeṣbeṛ, leḥcic, ṯisḵer,
comment disent-ils… ils lui mettent des tomates, de la coriandre, des herbes, de l’ail.
Ḥaǧǧit-kum ma ǧit-kum778.
ⵃⴰⴵⴵⵉⵜⴽⵓⵎ ⵎⴰⴵⵉⵜⴽⵓⵎ
777
Locuteur originaire des Aït Bouhafan, enregistré en 2023. Accessible en lien suivant : Garaoun, Massinissa.
Taḥelluft d uccen, Conte de la laie et du loup (Aït Segoual). Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008282.
778
Formule d’introduction aux contes dite en arabe dans ce parler comme dans beaucoup de parlers tasahlit. Cette
formule est largement en usage dans les parlers arabes algériens.
Documentation 691
Tfa-yedd uccen. Inna-yas wuccen :
où les ferai-je étudier, je n’ai pas nulle part où les faire étudier.
Il lui dit, il lui dit : tiens, tu les feras étudier chez moi.
Elle lui dit : allez, c’est bon, je vais te les confier, tu les feras étudier.
Tous les jours il en mangeait un, c’était ça les études qu’il voulait les faire étudier !
ⵅⵓⵍ ⵏⵏⵀⴰⵕ ⴰⵞⵞ ⵢⵉⵡⴻⵏ ⴽⵓⵍ ⵏⵏⵀⴰⵕ ⴰⵞⵞ ⵢⵉⵡⴻⵏ Lⵓⵅⴻⵏ ⴰⵙⵎⵉ
Tous les jours il en mangeait un, tous les jours il en mangeait un. Puis le jour où...
Un jour elle vint chez lui, elle lui dit, elle lui dit : je veux les voir.
Documentation 693
Inna-yas : maɛlic, iyya da n-dd-taẓreṭ
D izan, d izan. Ameḵ, mannimi kul nnhaṛ axi yiwen, bɛed ttilin danna izan.
ⴹ ⵉⵣⴰⵏ ⴷ ⵉⵣⴰⵏ ⴰⵎⴻⴿ ⵎⴰⵏⵏⵉⵎⵉ ⴽⵓⵍ ⵏⵏⵀⴰⵕ ⴰⵅⵉ ⵢⵉⵡⴻⵏ ⴱⵄⴻⴷ ⵜⵜⵉⵍⵉⵏ ⴷⴰⵏⵏⴰ ⵉⵣⴰⵏ
C’étaient les mouches, les mouches. Comme il en mangeait un chaque jour, il y avait des
mouches là-bas.
Elle entendit les mouches à l’intérieur. Il lui disait : écoute comme ils étudient.
Elle écouta. Tous les jours ainsi, tous les jours ainsi.
Il lui dit, il lui dit, il fit semblant de lui trouver une excuse. Il lui dit :
779
Arabisme récent contenant le son [ḏ]̣ emprunté à l’arabe scolaire (inconnu du parler des locuteurs âgés).
Documentation 695
ⵟⵙⴻⵍⵍⴰⵙⴻⵏ ⵜⵜⴼⵉⵃⴻⵍ ⴰⵏⴷⴷⵉⵕⴰⵏⵊⵉⵟ ⴷ ⵛⵛⵖⴻⵍ ⴼⵉⵢⴻⵍ ⴰⵏⵜⵊⵉⵏⵉⵟ
Elle écoutait : ce n’était pas la peine de les déranger, ce n’était pas la peine de les gêner.
Elle ne faisait pas la taille, elle ne faisait pas la taille, (l’entrée de la grotte) était petite.
780
Lɣaṛ est un synonyme emprunté à l’arabe du terme amazigh afalu « grotte ». Dans le parler des Aït Bouhafan,
les deux mots sont attestés, tandis que dans celui de Taâzibt seul lɣaṛ est connu.
781
Nom du loup doré (uccen dans la langue courante) dans les contes
Documentation 697
4.1.11. Aït Segoual : l’histoire de la source de Lejnan Wareṯ, par Yudas
Saâdane782
T’as vu cette pierre-là ? Celle en ciment là, quelle que soit la manière dont elle a été taillée...
782
Locuteur originaire des Aït Bouhafan, enregistré en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa.
Histoire de la source de Lejnan Waret. Audio, x-wav. Pangloss, 2023. https://doi.org/10.24397/pangloss-0008554.
783
« Source » est dit tala chez les Aït Bouhafan contre taɛwint ~ taɛwitt (<ar) dans les fractions orientales des Aït
Segoual.
784
Lieu situé sur le territoire des Aït Segoual (fraction des Aït Bouhafan), commune de Melbou, province de Béjaïa
Quant à cette pierre, cette pierre, on dit que c’est une vieille autrefois.
Elle portait donc, la roche, le nourrisson et devant, une poignée de fèves, dans la poche, dans
la poche de son vêtement.
Donc elle mangeait les fèves en donnant le sein à son nourrisson dans son dos au-dessus de
son cou.
785
Grande colline longeant le littoral et marquant l’extrémité occidentale du territoire des Aït Bouhafan
786
<ar LṬF
787
<ar QLB
788
<ar NQB
Documentation 699
Terna terfeḏ d ablaṭ d axef n, n uqeṛṛuy-is.
Taha ldaɣen qqaṛen-aḵ lejnan wareṯ, luḵan di, di dd-tas tawacult nniṭen,
Celle-là, aussi nous disons que la source de Lejnan Wareṯ, nous disons que si jamais une autre
famille venait à la nettoyer,
Si une famille venait à la nettoyer, autre que les Aït Moussa, elle s’assècherait.
Tu apporteras les fleurs de l’épervière (petite salade sauvage à fleurs jaunes792), je les ai vues
ici, l’épervière.
Nous les apportons. Nous appelons « taẓuṭḷa » (épervière), on ne dit pas » taẓudḷa794».
Celle qui en a en donne à celui qui n’en a pas, nous les cueillons.
789
Locutrice originaire des Aït Bouhafan, enregistrée en 2023.
790
Nous avons choisi de systématiquement traduire par qaylala les différents noms de cette célébration également
appelée lemqil et aqiyyel dans ce parler.
791
<tettawiṭ-ed
792
Plantes appartenant au genre scientifique Hieracium, également dénommée épervière en français
793
<tettawiṭ-add-un
794
Variante du nom de l’épervière employée dans des parlers voisins des Aït Segoual, par exemple dans celui des
Aït Bouycef
795
<ttciyyaɛ
Documentation 701
Alammi dd-nxemm acewwaṭ n nnewwaṛ.
Lorsqu’on veut fêter qaylala. On fait sortir le bétail, avant que le soleil ne chauffe.
Avec les chèvres, sinon les brebis, sinon les vaches quoi.
Les familles brûlent les bouses de vache séchées à côté de la porte d’où sort le bétail.
796
Mot d’origine incertaine, peut-être passé en tasahlit via l’arabe
Documentation 703
D at-tceɛlelṭ daha timerɣa, tamerɣit, timerɣa, daha.
Tu enflammes ici des bouses (de vache) sèches, une bouse, des bouses, ici.
Puis ils sortent, lorsqu’ils passent là-bas, ils commencent à faire paître le bétail.
Mais cela (cette tradition) les rend heureux comme ils disent, c’est vrai.
D aḵ, wan i gṛuḥen ged-sen d ameqqran iwwi did-es tazart. Asen-iḵf tazart danna.
ⴹ ⴰⴿ ⵡⴰⵏ ⵉ ⴳⵕⵓⵃⴻⵏ ⴳⴻⴷⵙⴻⵏ ⴷ ⴰⵎⴻⵇⵇⵕⴰⵏ ⵉⵡⵡⵉ ⴷⵉⴷⴻⵙ ⵜⴰⵣⴰⵔⵜ ⵄⵙⴻⵏⵉⴿⴼ ⵜⴰⵣⴰⵔⵜ ⴷⴰⵏⵏⴰ
Le plus âgé d’entre eux, apporte des figues sèches. Il leur donnera des figues sèches là-bas.
Ils continuent de faire paître, ensuite, il va leur parler de là-bas, même le bétail est heureux.
Trois jours, puis ils la retirent. Ensuite ils les font sortir (les bêtes), quand ils peuvent, c’est
tout.
Documentation 705
Mi ṯelt-yyam ussan qbel i teḥmu tafuḵt.
Il faut que le soleil chauffe. Lorsque le soleil chauffe alors nous les apportons, là où...
797
<di dd-tawiṭ
798
Timẓin « orge » est un exemple de mot probablement emprunté par la plupart des parlers tasahlits orientaux
aux autres parlers tasahlits en raison de son suffixe du féminin pluriel-in. Nous avons retrouvé une forme contenant
le suffixe attendu en tasahlit oriental uniquement dans le parler des Iaâyaden, fraction des Aït Nabet : timẓan.
Abazin à la grosse semoule, lorsqu’il est cuit vous le verser dans une grande assiette.
Ixemm-edd zdaxel...
ⵉ ⵅⴻⵎⵎⴻⴷⴷ ⵣⴷⴰⵅⴻⵍ
On le fabrique dedans...
Puis tous les membres de la maisonnée mangent. Les membres de la famille ensemble.
Pourquoi ? Afin qu’ils restent toujours ensemble (qu’ils restent proches, amis).
Documentation 707
Xaṭi taddukla-nsen tɛejb-i ɣaya.
Nous c’est comme je te dis. On fait sortir tôt, on fait sortir tôt.
Comme je t’ai dit on leur amène, lorsque l’on souhaite célébrer qaylala.
Ggumaɣ i dd-mmeḵtiɣ-add-it.
ⵖⴳⵓⵎⴰⵖ ⵉ ⴷⴷⵎⵎⴻⴿⵜⵉⵖⴰⴷⴷⵉⵜ
Je n’arrive pas à m’en rappeler.
Documentation 709
4.1.13. Aït Segoual : la préparation apportée à la vache après sa mise-bas
(amejmuɛ), raconté par Fateh799
Lorsque la vache met bas, oui. Et bien nous lui préparons cela, ici, chez les Aït Segoual.
Afin qu’elle rejette ce sang-là (écoulement sanguinolent expulsé lors du vêlage), que nous
appelons « asnefra ».
799
Locuteur originaire des Aït Ayyad, enregistré en 2023.
Quel est son nom, les fèves dures. Comment s’appellent-elles... « tacleqt ».
800
Le mot ism « nom » est toujours suivi d’un pronom d’objet indirect dans ce parler. Il s’agit d’un terme pan-
amazigh (cf. Haddadou 2007:195) soit anciennement emprunté au sémitique, soit découlant d’une racine afro-
asiatique commune à l’amazigh et au sémitique. En revanche toujours dans ce parler, le mot libre lasem « nom »,
contenant l’article arabe agglutiné l-, est directement emprunté à l’arabe.
Documentation 711
Umbɛed, d ay-txelṭeṭ did ti... texsayt iḵ-dd-heḏṛeɣ.
801
L’expression hadak hewwa « c’est celui-là » est directement tirée de l’arabe (démonstratif + pronom autonome
de 3SG:M) elle pourrait plutôt correspondre à de l’alternance codique plutôt qu’à un emprunt, car on s’attendait à
observer la spirantisation de /d/ en / ð/ et de /k/ en /ç/ dans le cadre d’un emprunt adapté phonétiquement.
Aqqeṛ d yiwen ugṭiṭ. Ḥa803 isɛa iẓuran daha ɣur-na. Immug d aqehwi.
Le rossignol est un oiseau. Il ne trouve pas son origine ici chez nous. Il est de couleur marron.
Il passe son temps à siffler la nuit. Pendant le printemps. C’est maintenant qu’il se fait
remarquer, c’est ça.
802
Locuteur originaire des Aït Ayyad, enregistré en 2023.
803
Cf. Garaoun (2021) à propos de ce négateur de la tasahlit qui trouve son origine dans un verbe emprunté à
l’arabe
Documentation 713
Ittuɣ-a g dẓuran, g dẓuran zeɛma qqaṛen-aḵ-eḏ deggaṭ804 tiẓuran.
Il était (posé) sur du raisin, du raisin donc. Donc comme ils disent du raisin, la nuit.
804
Dans le parler de cette fraction des Aït Segoual, le mot « de nuit » présente deux vocalisations possibles : deggiṭ
et deggaṭ.
Umbɛeḏ, win n beḵri ixemm taḥkayt, nnan-as zeɛma belli iḥṣel ḵra l lweqṯ g dẓuran.
ⵓⵎⴱⵄⴻⴸ ⵡⵉⵏ ⵏ ⴱⴻⴿⵔⵉ ⵉⵅⴻⵎⵎ ⵜⴰⵃⴽⴰⵢⵜ ⵏⵏⴰⵏⴰⵙ ⵣⴻⵄⵎⴰ ⴱⴻⵍⵍⵉ ⵉⵃⵚⴻⵍ ⴿⵔⴰ ⵍ ⵍⵡⴻⵇⵝ ⴳ
ⴷⵥⵓⵔⴰⵏ
Ensuite, les anciens en firent une légende, ils dirent donc qu’il s’était retrouvé coincé un
certain temps dans le raisin.
805
Dans cette expression figée liée à cette légende, le verbe rnu « ajouter » est conjugué à l’accompli négatif (cf.
accompli rnaɣ), thème inexistant dans la langue courante du parler des Aït Segoual. Cette formule tirée de la
littérature orale indique que l’accompli négatif existait dans un état plus ancien de ce parler.
Documentation 715
4.1.15. Aït Segoual : récit sur le repas collectif (zzeṛḏ) au lieu dit « taxelwit
n lmerṣa » par Yudas Saâdane
Je me rappelle lorsque j’y ai assisté. Je te dis, lorsque j’ai vu la photo de quand ils ont
organisé un repas collectif.
806
Litt. « lieu sacré et isolé du port », petite cavité rocheuse située sur la plage de Melbou directement à quelques
dizaines de mètres de la rivière tasift n lmerṣa. Ce lieu est associé au personnage de la femme sainte dénommée
taxelwit n lmerṣa, dont il est parfois dit qu’elle repoussa l’armée française lors du rassemblement des Kabyles
des Babors mis en joue sur la plage de Melbou le 22 Mai 1945.
J’y ai assisté, j’ai mangé du couscous là. Ici, c’était bien fait, c’était propre tu comprends.
Taha d tajemmurt-nneɣ.
ⵟⴰⵀⴰ ⴷ ⵜⴰⵊⴻⵎⵎⵓⵔⵜⵏⵏⴻⵖ
Ḏaha, ḏaha qqaṛen-aḵ llan tlaṯa n lezṛuḏa : i uɣebbaṛ, i tmmegra, i tleqqaṭ ujemmur.
ⴸⴰⵀⴰ ⴸⴰⵀⴰ ⵇⵇⴰⵕⴻⵏⴰⴿ ⵍⵍⴰⵏ ⵜⵍⴰⵝⴰ ⵏ ⵍⴻⵣⵕⵓⴸⴰ ⵉ ⵓⵖⴻⴱⴱⴰⵕ ⵉ ⵜⵎⵎⴻⴳⵔⴰ ⵉ ⵜⵍⴻⵇⵇⴰⵟ ⵓⵊⴻⵎⵎⵓⵔ
Ici, ici on dit qu’il y a trois (types de) repas collectifs : pour la pluie, pour la moisson, pour la
récolte des olives.
Je vais voir à la maison (dans ma famille), puis je te dirais pourquoi est-ce-que l’on organisait
des festins collectifs ici.
Documentation 717
4.1.16. Aït Laâlam : la préparation de ṯabucaṛeft, variété de crêpe aux
œufs, par une locutrice anonyme807
I nxemm tabucaṛefṯ.
ⵉⵏⵅⴻⵎⵎ ⵜⴰⴱⵓⵛⴰⵕⴻⴼⵝ
ⵉⵏⵅⴻⵎⵎ ⵜⴰⴱⵓⵛⴰⵕⴻⴼⵝ
807
Locutrice originaire des Aït Moussa, enregistrée en 2023.
808
Emprunt à l’arabe classique
Lorsque les œufs ont cuit ensemble, avec le sucre et le sel ensemble.
Documentation 719
Umbɛed apṛi, as-ternut snan n tɣenjawan n zziṯ, zziṯ n sãñgu.
809
Emprunt aux autres parlers tasahlits(cf. forme locale timellalan)
jusqu’à ce qu’elle soit comme celle (la pâte) de taɣṛift (type de crêpe), comme celle de ṯalilayṯ
(type de crêpe).
810
Forme inattendue puisque contenant le suffixe du féminin pluriel-in des autres groupes de parlers tasahlit,
contre-an habituellement chez les Aït Laâlam. Il ne peut pas s’agir d’un emprunt lexical direct à d’autres parlers
tasahlits puisque tiɣṛifin « type de crêpe » n’est utilisé qu’en tasahlit orientale.
811
<teḇɣat
Documentation 721
Kul yiwen ameḵ.
Lorsque nous voulons faire du yaourt au ferment végétal, nous, comment faisons-nous.
I dd-nawi lḵas.
ⵉⴷⴸⵏⴰⵡⵉ ⵍⴿⴰⵙ
Ensuite, nous apportons une figue verte (non mûre, pas arrivée à maturation),
812
Locuteur originaire des Aït Jara, enregistré en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa. Asewway
umercal, Recette de ratatouille aux patelles. Audio, x-wav. Pangloss, 2023. https://doi.org/10.24397/PANGLOSS-
0008270. Il est possible de comparer la version de cette recette chez les Aït Bouycef (section 4.1.7).
Documentation 723
i nesqiṭṭer, i nesqiṭṭer ayen i g̱esɛa ḏaxel abeṛṛum
Umbɛed, aṯ-nexleṭ.
ⵓⵎⴱⵄⴻⴷ ⴰⵅⵏⵅⴻⵍⵍⴻⵟ
Ensuite, nous mélangeons.
813
<sqiṭṭer
814
Locutrice originaire des Aït Jebli, enregistrée en 2023. Recette publiée en ligne : Garaoun, Massinissa. Recette
d'une variété de crêpe aux œufs (ţaɣṛifţ). Audio, x-wav. Corporan, 2023. https://corporan.huma-
num.fr/Archives/Isidore/KABT_MG_REC_01_CREPE.XML.
Documentation 725
nxelleṭ-an mmliḥ, nxedm-as lmelḥ.
ⵟⴰⵅⵎⵉⵕⵜ ⵍ ⵍⵃⴻⵍⵡⴰ
La levure à gâteau.
Umbɛed, d at-nsegriwel.
ⵓⵎⴱⵄⴻⴷ ⴷ ⴰⵜⵏⵙⴻⴳⵔⵉⵡⴻⵍ
Puis, on la retourne.
Documentation 727
4.1.19. Aït Laâlam : la préparation de ṯaqṛist n ṛṛḇiɛ, la galette du
printemps, par une locutrice anonyme815
nous ne lui mettons pas trop d’huile afin qu’elle ne se défasse pas816.
815
Locutrice originaire des Aït Moussa, enregistrée en 2023. Ce texte est consultable en ligne au lien suivant :
https://corporan.huma-num.fr/Archives/Isidore/KABT_MG_REC_08_TAQRIST.XML Il est possible de
comparer la version de cette recette chez les Aït Bouycef (section 4.1.7).
816
Une galette dont la semoule est trop huilée est difficile à former puis cassante après la cuisson.
Nous, autrefois, nous la décorions au moyen d’allumettes, avec une boîte d’allumettes,
Documentation 729
s tebb°aṭ n ẓẓalamiṭ d aqḇa s zdaxel s tfuṛciṭ. D as-nxemm
817
Emprunt à la tasahlit occidentale ?
on la dépose sur la table, on l’enduit d’œuf, puis on la remet sur le plat à cuire.
818
Emprunt (inhabituel) à l’arabe classique
Documentation 731
4.1.20. Aït Laâlam : la pose des pièges à oiseaux (amday s txeṭṭaṛan), par
Monsieur Mghetti819
Comment est-ce-que nous pratiquons la chasse aux pièges ronds à oiseaux (passereaux), c’est
ça ?
Nous nous rendons à la forêt, c’est évident... Nous partons. Nous apportons une pioche.
Des vers blancs ou tout ce qui peut servir de nourriture aux passereaux.
819
Locuteur originaire des Aït Ameur, enregistré en 2023.
820
<ar bəl ~ bən + KWR
821
Larves de gros coléoptères xylophages comme les hannetons ou les cétoines
Nous les recherchons en creusant, quelques uns comme ça dans un seau ou dans un pot
métallique.
C’est comme-ça qu’on les appelle, elle est jaune et elle vit sous terre.
Documentation 733
Maci g aḵal meṛṛa illa aḵal hanḵa ṯettili zeg-s illa ulac. Yaxi hanḵ ?
ⵎⴰⵛⵉ ⴳ ⴰⴿⴰⵍ ⵎⴻⵕⵕⴰ ⵉⵍⵍⴰ ⴰⴿⴰⵍ ⵀⴰⵏⴿⴰ ⵝⴻⵜⵜⵉⵍⵉ ⵣⴻⴳⵙ ⵉⵍⵍⴰ ⵓⵍⴰⵛ ⵖⴰⵅⵉ ⵀⴰⵏⴿ
Ce n’est pas dans n’importe quelle terre, il y a de la terre où elle vie et (de la terre) où il n’y
en a pas. C’est bien comme-ça ?
Taxeṭṭaṛt tessent ṯaxeṭṭaṛṯ zeg-s acemmam, zeg-s ani ḏa serset lmaḵla, tfehmet ?
ⵜⴼⴻⵀⵎⴻⵜ
Tu prépares ton terrain. À partir de là, tu cherches un endroit où se trouvent des oiseaux
(passereaux).
822
Composition figée empruntée à l’arabe (propre au parler jeune) de cṛik « associé » +-i pronom objet direct de
1SG.
Tu prépares les larves de taupin ou les vers blancs et tu les déposes dans les pièges.
823
<sṭiḷḷet, la contamination d’emphase progressive a entraîné le passage de /t/ vers /t/.
Documentation 735
Illa abuderdrus824. Illa aḇecmennu. Ṯella ṯabuḏefliwṯ,
La mésange, la mésange c’est celle qui fait son nid dans les briques c’est ça, dans les murs.
824
« Grive » est réalisé abuderdrus dans le parler de cette fraction (<ar qualificateur bu- + latin turdus) contre
abuɛerṭiṭ (<(<ar qualificateur bu- + ƐRṬ) dans celui de la fraction étudiée des Aït Moussa.
« Aṭejṭaj
̣ ̣ » , « aṭejj̣ eq
̣ » , « ṭejjeq iferg̱an » (espèces de passereaux non identifiées)... Oui, et
puis quoi d’autre...
Voilà, elle danse comme-ça avec sa queue, elle est verte et jaune.
Documentation 737
4.1.21. Aït Laâlam : la préparation de ḥarḇiṭ, la purée d’herbes sauvages,
par Madame Boughouaou825
Je vais faire ḥarḇiṭ (purée d’herbes sauvages) comme le préparaient nos ancêtres.
825
Locutrice originaire des Aït Jebli, enregistrée en 2023. Il est possible de comparer la version de cette recette
chez les Aït Bouycef (section 4.1.2) et à Jijel-ville (section 4.2.1).
Ajoute-lui un peu d’ortie, tu fais bouillir (le tout). Tu le portes à ébullition jusqu’à ce qu’il
bouille.
Ajoute-lui des feuilles d’oignon. Tu places les tiges ensemble dans la casserole.
826
<rnu
Documentation 739
Umbɛed a ṭeyyeb, a ṭeyyeb mmliḥ, rrut-as cwiyya n lɛic.
Tu laisses bien bouillir les herbes après les avoir toutes mises.
Cehhi-ya ṭeyyeb-a.
ⵛⴻⵀⵀⵉⵢⴰ ⵟⴻⵢⵢⴻⴱⴰ
827
La locutrice a réalisé « œufs » ṯimallalin la première fois : forme du féminin pluriel avec un suffixe-in,
empruntée aux parlers de la tasahlit occidentale peut-être dans le but de s’accommoder avec notre variété (nous
parlons la variété des Aït Bouycef). Puis elle nous a donné la forme ṯimallalan avec le suffixe-an des noms
féminins pluriel la tasahlit orientale et du parler des Aït Laâlam.
Documentation 741
4.2. Textes dits en jijélien
4.2.1.Jijel-ville : la préparation d’arbiṭ, la purée d’herbes sauvages, par Mehdi
Mimoune828
828
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Amran et des Bni Yahmed enregistré en 2023. Recette publiée en
ligne au lien : Garaoun, Massinissa. Arbiṭ w əb-bḳul, Préparation de la purée d'herbes sauvages (arbiṭ) et du
couscous à la purée d'herbes sauvages (əb-bḳul) à Jijel. Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008288. Il est possible de comparer la version de cette recette chez les Aït
Bouycef (section 4.1.2) et chez les Aït Laâlam (section 4.1.21).
829
Plus communément réalisé dyan-na à Jijel-ville
Elles partent récolter les herbes sauvages, elles se rendent à la prairie, au bois…
ysəmmiw-ha l-gəmra.
830
Latinisme (cf. latin sinapis) emprunté par le jijélien via son substrat amazigh.
831
Probablement un latinisme emprunté par le jijélien via son substrat amazigh (cf. Garaoun 2020).
Documentation 743
U mambəḫlaf832, ķa yzidu… ķa yžəbṛu lə-ḫla,
ķa ynəħħiw ḫlaf…
كَينحّيوا خلف
Elle va à la maison, et elle dépose ensuite toutes ces herbes dont je t’ai parlées.
832
Forme propre au parler jeune composée de mam (<français même) et de bəḫlaf « autre ».
ّ ط ُهم ف تح
ط ُهم ْفال ّمرميطة ّ ومبعد تح
y
ḫəlliw haķda yṭib, haķda, u mʕa dḳiḳa yṭib.
Documentation 745
Yžəbdu-h yħəṭṭu-lu ziţ dd əz-ziţuna,
ّ يجبدوه يح
ّ ّْطوا لو الزيت د
الزيتونة
elles préparent une galette, une galette (de blé) ou bien une galette d’orge.
ْ كاين خلف
ّ حالپل خلف سكسو دّي ال
شعير
ّ ودّي ال
شعير كَيزيدوا لو هَداك أربيط
ْدّهدرت لك علىه
ّ وك
ّ َيحطوه فيه فوق سكسو دّْال
شعير
833
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Amran et des Bni Yahmed enregistré en 2023. Recette publiée en
ligne au lien : Garaoun, Massinissa. Arbiṭ w əb-bḳul, Préparation de la purée d'herbes sauvages (arbiṭ) et du
couscous à la purée d'herbes sauvages (əb-bḳul) à Jijel. Audio, x-wav. Pangloss, 2023.
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008288.
Documentation 747
Səķsu dd əš-šʕiṛ ķa yfəwwṛu-h yķun fayəṛ
َيفوروا يكون فاير ّ سكسو ْدّال
ّ شعير ك
le couscous d’orge, elles le font cuir à la vapeur, une fois cuit
Le salut soit sur vous, que votre jeûne soit béni, bonne rupture de jeûne à vous.
Anaw835 d zahiṛ bəšməlla. Ṛəmḍan fi žižəl ķan ma, ķan ġaya ẖlaṣ.
834
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Caïd enregistré par Djamal Eddine Hadji en 2023.
L’enregistrement est accessible au lien suivant : Garaoun, Massinissa. Récit sur le déroulement du mois de
Ramadan autrefois à Jijel. Audio, x-wav. Pangloss, 2023. https://doi.org/10.24397/pangloss-0008484.
835
<ana aw
836
<nẖədmu
Documentation 749
Wəlləh ma ggədru837 ẖẖəmmu hnaya.
837
Emprunt (rare) à l’arabe hilalien avec une réalisation du *Qāf en [g]
838
Comprendre « maintenant, à ce jour »
839
Confiserie en forme de spirale principalement consommée lors du mois de ramadan en Afrique du Nord.
840
Da (dda) est un titre honorifique masculin (emprunté à l’amazigh) qui ne trouve pas vraiment d’équivalent en
français, ce pourquoi nous avons préféré ne pas le traduire.
Documentation 751
Dda Muħamməd bən ħmida, ḷḷah yrəħm-u,
zaġ l hadiķ əl-ħəlwa ddə mḳərbʕa. Les meringues ddə mḳərbʕa di ħəmṛa.
Il me dit, j’ai pris froid en plein jour. À quelques minutes c’était celle-là, c’était celle-là.
ّ كي يجيب
الزالبيّة حنا نعودوا ببطروا هيّا ليها زالبيّة
841
<šķun, emprunt (rare) aux koinès arabes
Documentation 753
Ydəwwi-ha-nna fi ħa l-kaġəṭ, w yẖəlli-ha l ţəmmina.
Puis le voilà qui venait, lorsqu’il s’approchait, et alors nous... c’est ça... ...
واحد ْشدّ ب َهديك الحبّة تاع الچّينة دّي فيها القّرمفل هَديك
Et celle-ci, quelqu’un avait une cigarette forte pendant ramadan. Il la déposait ici.
842
Ħṭiṛa (~ aħṭiṛ) « branche » est un mot caractéristique du parler des Bni Caïd, la variété citadine préfère afṛiɛ.
Documentation 755
Əddi ka yəšri l-ẖəbz u yʕawəd, ma ʕla bal-hu š.
Lui quelquefois, il partait manger, la nourriture. Par Dieu il n’avait rien mangé.
Wəḷḷəh ma hadi
وهللا َم َهدي
t̪ unubilaţ ma kan š.
ثونوبيلت َمكانش
Documentation 757
rawdawdaw, ha ža ṛ-ṛəmdan, ha naklu... ža ṛ-ṛəmdan, naklu z-zlabiyya,
raoudaoudaou, voilà Ramadan, nous mangerons... voilà ramadan, nous mangerons des zlabias,
ص الدّنيا حاالمبيانص
ّ ْو ْو
C’est-à-dire que c’était, c’est-à-dire que les gens vivaient en bonne entente entre eux,
843
<d
ديشوا هَدا
ّ َيعني تقول نت
Maintenant, nous avons ris d’un temps qui, Allah est vainqueur.
Documentation 759
4.2.4.Jijel-ville : la recette d’əl-ʕṣida d ayərni à Jijel, par Madame Mimoune844
Ţẖəṣl-u mliħ. Həwwa yhərri fi yədd-əķ, zəm846 d ħa ligã haķda ţaʕ haduķ dd ər-rḳaḳ fi yədd-əķ.
Tu le nettoies bien. Il irritera ta main, il faut que tu portes des gants étroits aux mains.
Ţħəbķ-u mliħ.
844
Locutrice née à Jijel et originaire des Bni Yahmed, enregistrée en 2023.
845
Les assidas sont des plats à base de céréale(s) cuite(s) à l’eau répandu en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
846
<yəzzəm
847
Dabġa « peut-être, même si, ce n’est pas grave » est une forme adverbiale très répandue en jijélien. À Jijel-
ville son synonyme daħəbb ~ daħəbbiţ est beaucoup plus fréquent. Dabġa est sans doute dans le parler de cette
locutrice un conservatisme de la variété d’origine de sa famille (Bni Yahmed).
Tu le frottes bien.
ّ ْتج
طو في ْفالكسكاسة
Documentation 761
حتّى يولّي حتّى يطيب ْفالفوار يطيب
848
<təžbəd
849
Forme empruntée aux koinès, le parler de Jijel-ville préfère biš ~ biyyəš.
ّْ الرقيوقين دّْال
سنات ّ ّْالرحّاية د
ّ ْودا َمكانش
ْالروبو
ّ كاين دّي كيقولوا كينحّيوا ب
Nəšriw əl-lbən.
نشريوا اللبْن
850
<ywəlli
Documentation 763
ْونفسّخوا هَداك هَديك الپات كونت نتَ رحيتها تفسّخها ْفاللبْن
Et puis nous battons cette pâte, que tu as écrasée, tu la bats dans le petit-lait.
Ţfəsseẖ-ha ḳbala.
نفسّخها قبالة
Ensuite, tu apportes un chinois (de cuisine) qui sera (doit être) un peu large.
U ṣəffi hadiķ, hadiķ əl-lbən w ayərni biyyəš ma yķəʕdu š əl-ħəbba, duķ əl-ħəbbaţ...
ْوصفّي هَديك هَديك اللبْن ْوأيْرني بيش َميقعدوش الحبّة دوك الحبّات
Et tu filtre ce petit-lait et l'arum afin qu'il ne reste pas de grumeaux, ces grumeaux...
Ma ţḳəwwi-lu š ən-naṛ.
يهريك ّ ت ْح
ّ ط هَداك لوكان َمطابوش قبالة يقعد
851
Pronom féminin de seconde personne du singulier emprunté aux koinès (cf. section 4.1.2 du chapitre 4).
852
Saʕţin « deux heures » est sans doute tiré du parler des Bni Yahmed, ce n’est pas la forme habituelle à Jijel-
ville qui préfère zuž swiyəʕ.
Documentation 765
ّ ساعة األأكل ساعة ساعة ْو ْن
ص
853
Une sṭila est un petit récipient métallique servant de mesure de volume.
854
Forme rare à Jijel-ville sans doute tirée du parler d’origine de la famille de cette consultante (Bni Yahmed)
855
Emprunt (fréquent) à l’arabe classique
ّ ت ْح
طو ْف ْحالقصرونة ْوتفسّخو بعدا ْفاللبْن
حرق
ّ حرق
ّ حرق
ّ حرق
ّ ْوقعد
يطولش
ّ ديكساع السّميد ْو َم
Wəllaţ d ħ-əl-ʕṣida.
Documentation 767
ّ
والت دحْ العصيدةة
Ih, əz.. ih, ķi ṭab w ţẖəlləṣ, ķayən əlli858 yħəbb b əz-ziţ z-ziţuna,
Oui, lorsque ça a cuit c'est fini, il y en a qui aiment (la manger) avec de l'huile d'olive,
856
Sorte de polenta à base de semoule ou de farine
857
Emprunt (fréquent) à l’arabe classique
858
Emprunt aux koinès
Chacun à sa manière.
Documentation 769
4.2.5.Jijel-ville : la recette de bwišša à Jijel, racontée par Madame Mimoune859
Tu leur retires les noyaux. Puis tu les laves bien, tu les laisses égoutter.
ّ ّْالزيت يه زيت د
الزيتون هيه ّ نص ليطرة تاع
ّ ْو
Tu malaxes le tout dans une terrine. Tu ajoutes de l’eau chaude. Tu le rends plus liquide.
859
Locutrice née à Jijel et originaire des Bni Yahmed, enregistrée en 2023.
860
<ama. S- factitif + NW
861
« Eau chaude » est plus souvent dit ma sẖunin à Jijel-ville, mais la forme ma sẖun est également parfois
entendu.
ْه ّوا َميجيش عفسي يجي ششويّة قريب قريب كما الغرايف
Il n’est pas de consistance écrasée. Il doit être un peu comme, comme la pâte des crêpes862.
862
En termes de consistance de la pâte
Documentation 771
تفرخها ْفالبّيدون ْلپاپي أليمينيوم
ّ شةّ يه هَديك بوي
Ma yləħḳ š l əl-fəmm.
َّ طيّب ْحال
طنجرة ّ ط ال ّمرميطة هَديك دّي بيّش
ّ كي ت ْح
ّ َم
تغطيش تّى الفوق ال ْف ّم يه
Documentation 773
ديكساع نحّي لو هَداك هَداك البّيدون
Ma yži š mfəţţəţ.
863
<nəħħi
(Celui) qui n’a pas de bidon d’huile, (il utilise) ceux-là (les pots) à lait (en métal).
ّ ْح
ط لو الغطاية عندو ْه ّوا الغطاية
Documentation 775
4.2.6.Jijel-ville : le préparation du mouton sacrifié pour le grand aïd (əl-
ʕəyyada), par Hocine Slimoune864
Il n’y rien, rien du tout que nous perdions du mouton. Nous nous servons du mouton entier.
Nous avons d’abord, d’abord la tête (du mouton), nous la préparons avec du couscous
d’orge866.
Le couscous d’orge à la tête (de mouton), avec les pieds (du mouton), le crâne et la cervelle
(de mouton), et...
864
Locuteur né à Jijel et originaire des Oulad Taffer, enregistré en 2023.
865
<Qualificateur bu- + ama. ZLF
866
Couscous à base de semoule d’orge, littéralement appelé en jijélien « couscous noir » (səķsu dd əķ-ķħəl) contre
« couscous blanc » (səķsu dd əb-byəḍ) pour celui à base de semoule de blé.
867
<ama L(N) « cerveau ». Dans le parler citadin, cet amazighisme n’est utilisé que pour désigner la cervelle des
animaux.
اللول دّْالعيد
ّْ نديروا حاسكسو دّْال ّك ْحل جينيرالما العشة
Yḳəṭʕu ķəlləš. Umbʕəd y... Ši dd əd-daẖəl f əl-ķəbš, idiru bi-h səķsu b əl-ʕəṣban.
Elles coupent tout. Puis elles... Ce qu’il y a à l’intérieur du mouton, elles préparent avec le
couscous à la panse.
868
<ar QṬB, nom à morphologie amazighisée
869
<ama ẒRM
Documentation 777
W, w əl-lsan, əl-lsan ħna diyyəš əddi ki ydiru f əl-ʕid.
ڨروطين
ّ كاين كاين ديفاوي عْندهُو الدراري دي
Il y a, il y a des familles, qui ont des enfants avec des problèmes de diction (bégaiement).
Un « ageṛṛuṭ »c’est quelqu’un qui toujours, qui n’arrive pas à parler d’une traite, c’est...
Alors on lui ressemble sept langues, il faut des langues... Sept langues,
səbaʕ ķbaš maši ķifķif, səbaʕ kbaš. W ki yžəmʕu-lhum əl-lsan haduķ... lsanaţ,
سبع كباش َمش كيفكيف سبع كباش ْوكيجمعوا ْل ُهو اللسان هَدوك اللسانات
de sept moutons différents, sept moutons. Alors on leur réunit ces... langues,
on leur donne à manger, ils guérissent, alors ils apprennent à parler (comme les autres).
ّ وال دأفخود
وال ّ بزاف ال ْكبش أكتوف
ّ ْوكنديروا خلف كنسدقوا...
Et nous faisons aussi, nous faisons beaucoup l’aumône avec le mouton, l’épaule ou le gigot,
870
<ar QṬB, nom à morphologie amazighisée
871
<ar KTF, le dérivé nominal de cette racine à morphologie amazighisée n’est utilisé que pour désigner l’épaule
des animaux.
872
<ar FH̱Ḍ, le dérivé nominal de cette racine à morphologie amazighisée n’est utilisé que pour désigner la cuisse
des animaux.
Documentation 779
ķayən əddi ķa yəddiw l ən-nas əddi ma ʕənd-hum š.
Certains morceaux de viande, avec du sel, nous les plaçons à sécher quelques semaines.
Nous disons : « prépare de la viande séchée à partir d’une carcasse (écorchée de mouton) »
Documentation 781
4.2.7.Jijel-ville : récit sur le déroulement de l’été autrefois à Jijel (əṣ-ṣif di-na
di bəķri), par Zahir Bouchmella873
Salamu ʕliķum. Əl-yum žaţ-na ħ-əs-swiʕa ʕla, ʕlaħsab əṣ-ṣif dyal, di-na, bəķri.
Le salut soit sur vous. Aujourd’hui, nous avons un moment pour parler de l’été, le nôtre, celui
d’autrefois.
الولدين يا حاسرة
َ في ْوقت
Par Dieu, ô le passé… Cette époque, il n’y a rien de pareil à cela pour nous.
Jusqu’à ce que nous déjeunions, nous attentions qu’ils nous apportent... ou bien cela...
873
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Caïd enregistré par Djamal Eddine Hadji en 2023.
874
La forme habituelle du parler citadin est nəssənnaw.
C’est le moment le plus chaud de la journée875, par Dieu nous ne... C’est-à-dire que lorsque
nous partions, tu sais...
ķi ţənṭər mənna, ən-nas yəddiw-əķ l uṭa, ţənṭər mən ţəmma, ṛ-ṛəmla ẓuwway,
زواي ّ كي تنطر منّا النّاس يدّيوك لوطة تنطر ْمن ت ّما
ّ اللرملة
Il te suffisait de regarder par-là et les gens t’emmenaient à la plaine, tu regardais par là-bas, la
plage Zouai,
Et les nôtres nous disaient : « ne sortez pas, l’âne de l’après-midi est de sortie,
875
Période située au milieu de l’après-midi, entre deux et quatre heures.
876
Créature fabuleuse du bestiaire jijélien généralement évoquée pour dissuader les enfants de sortir aux heures
les plus chaudes de la journée, afin d’éviter les risques d’insolation.
Documentation 783
ķi yəẖṛəž ţəmmina... » U ķayən, d əs-sahd di, d ħa, dišhuwwa, ma ţəḳdər š...
il rôde par-là... » Et il y avait une canicule comme pas possible, tu ne pouvais pas...
il fasse plus frais dehors, afin que tu puisses circuler dans la rue.
Jusqu’à ce que vous ayez déjeuné et fini, et ils ne nous laissaient pas sortir.
Dayrin m ţəmmina, umbʕəd llah yəẖləṣ lə-ġda dik-saʕ iķəl waħəd yṭəlqu-lu b-bṣiyyəṭ.
دايرين مت ّمينا ومبعد هللا يخلص الغداء ديكساع ي ْكل واحد نطلقوا لو البّصيّط
C’était fait comme ça. Ensuite, lorsque vous terminiez le déjeuner, à ce moment, chacun
dépliait une couchette.
ّ ْوال
شيخ دي بوك أو يقعد قدّام البّاب
À ce moment, ils nous préparaient, l’un du pain et des tomates, l’autre du pain et du sucre...
877
Troisième prière musulmane quotidienne, qui se réalise en fin d’après-midi
Documentation 785
W ṛṛuħu lə šṭayəf, hadi dd hnaya...
Et nous, nous rendions aux plages rocailleuses, celles qui sont là...
Ķima ķan duḳa hadi daṛ əl-ʕəzz. Ķanəţ ma ķan š daṛ əl-ʕəzz.
Il y avait ça, tu ne croirais pas pouvoir mettre tout (ce monde) dans une maison.
U ʕla bal-əķ saʕa saʕa ţṛuħu f əṣ-ṣbəħ hakdi, b əs-sərḳa ʕla waldi-na
ْوعلى بالك ساعة ساعة تروحوا ْفالصبح هَكدي بْالسّرقة على َولدينا
Nous nagions avec ces shorts déchirés, et nous les séchions par-là.
Ensuite ils cherchaient à savoir, comme tu sais ils te goutaient pour voir si tu étais couvert de
sel.
ْو ْمت ّما دّي على بالك العشية ديكساع تّعشينا عشية قباال
Et puis comme tu sais en fin, d’après-midi... À ce moment, nous dînions en fin d’après-midi,
rapidement.
Documentation 787
Yṛuẓi b əḳ-ḳwaṭi878 hadaķ, w aġəryan879
ّ يح
ّ ط الحسير
وال يحبّ يقعد قدّامك
نوي بْالريدو
ّ ْوحنا شويّة كبار ّروحو دّقعد دّا
Et nous étions déjà adultes, nous partions. Il y avait Da Noui, avec un rideau.
ْالريدو هَداك
ّ دّا مسعود زغوان هللا يرحمو كيفكيف ب
Da Messaoud Zaghouan, que Dieu lui fasse miséricorde, même chose avec ce rideau.
Il n’y avait rien de plus beau au monde. Et parfois nous partions aussi là-bas... à la plage.
878
Ḳwaṭi (SG ḳuṭi) « seaux », la forme la plus courante du pluriel de ce nom à Jijel-ville est ḳwaṭa.
879
<ama ƔRY : mozabite iɣer « tige légère (sèche), céréale », Moyen-Atlas taɣeri(y)t « massue, gourdin, canne »,
etc.
ال ُكتامة ت ّمينا كان حنا يتس ّمى قريب قروب ممنع علىنا
À (la plage) Koutama, là-bas, ça nous était à vrai dire pratiquement interdit.
Il n’y avait que les personnes âgées et les européens à cette époque. Et tout ça...
Ķayən ət̪ -t̪ ṛapaẓ ķayən ķəlţ ħaža u ħna ma nḳədru š hadi...
Mais l’été était un (vrai) été. Par Dieu tu ne circulais pas comme maintenant.
880
Forme du négateur continu empruntée au parler Caïdi, la variété citadine n’utilise que maši
Documentation 789
Ma ʕla bal-hum bi-h f əd-daṛ. Fayən-ha hadi. W əd-dənya ţ hadi.
À la maison, ils ne savaient pas ce qu'il faisait. Où est-elle celle-là ? Et c’était ça la vie
Mi l-wəḳţ hadaķ yəʕni əṣ-ṣif d əṣ-ṣif. Fi wəḳţ ha, bdaţ ţəbda ṣ-ṣif am ləmwadmi.
صيف أم لموادمي
ّ صيف في ْوقت ها بدات تبدا ال
ّ صيف دْال
ّ الوقت هَداك يعني ال
ْ مي
Mais à cette époque, l’été était un (vrai) été. Tandis que maintenant, l’été commence dès le
mois de Mai.
U ħna fi hak lapiṛyod ġaya, əṣ-ṣif... U ķəl waħəd... Duḳa ma ʕad əl-ħal hada.
ْوحنا في هاك الپيريود غاية الصيف ْو ْكل واحد دوقا َمعاد الحال هَدا
Et nous, en ce bon moment d’été... Et chacun... Maintenant ce n’est plus comme ça.
Duḳ ţţa hadiķ əd-dənya, əl-usəẖ, ʕəzrin... Mʕa ķəlţ ħaža mʕa hadi...
دوق تّى هَديك الدّنيا الوسخ عزرين معا ْكلت حاجة معا هَدي
Maintenant cette vie, la saleté, les célibataires... Avec tout ça, avec celle-là...
Ma ḳʕəd ţţa, ţţa ḳdər, ţţa ħəṛma. Ma bḳa ţţa ši, yəʕni ma bḳa ħəţţa ši.
شي تّى َمبقا يعني شي تّى َمبقا حرمة تّى قدر تّى تّى َمقعد
Il ne reste vraiment aucun respect, aucune pudeur. Il ne reste rien de ça, rien du tout.
Lorsque résonnait l’appel à la prière de Asr, ils nous emmenaient, ou si nous n’en avions pas,
l’un de nos aînés.
الوت هَداك
ْ ْوالدّنيا دْالصيف أو تعرف
دنيا مقدرة معا بعطا ْهم ّوتروح ْْللبّحر ْونتا معا جيران
Ils étaient respectueux les uns envers les autres, et tu allais à la mer, toi et tes voisins.
Documentation 791
Ṛayħa mʕa n-nas dd əķ-ķbar yəddi-ķ akɔ̃mpanyi ţṛuħ mʕa-ha hadiķ.
رايحة معا النّاس دّْال ّكبار يدّيك أكومپاني تروح معاها هاديك
Tu partais avec les adultes, ils t’emmenaient, tu étais accompagné, tu partais avec ceux-là.
دنيا هَدي ْوكا ْنت كيفنا ْودّي ْوحنا ت ّمينا القّابوط نصيّدو
Nous péchions le gobie là, nous et ceux qui étaient comme nous, et c’était sa la vie.
881
Bibuš (singulatif abibuš) est le nom du bigorneau en jijélien comme en tasahlit. Il s’agit d’un latinisme (cf.
latin baba « bave ») emprunté par les langues amazighes avant d’atteindre un grand nombre de parlers arabes
maghrébins le plus souvent pour le sème de « escargot ».
882
Məršal (SG aməršal) est le nom de la patelle en jijélien comme en tasahlit (AS amercal). Il provient de la
racine arabe RSL, cf. TS:AS rcel « marier », arcil « mariage », amercal « époux », qui est à l’origine par
métaphore le nom de la patelle car celle-ci reste collée toute sa vie à un rocher. Si mot est porteur d’un étymon
arabe, mais le fait qu’il présente l’évolution /s/ ➔ /ʃ/, uniquement dans cette racine arabe dans ces formes
empruntées en amazigh pourrait indiquer qu’il s’agisse d’un réemprunt du jijélien à son substrat amazigh.
Nous apportions des escargots, nous apportions des escargots que nous déposions dans des
seaux d’eau.
883
Bužəġlal, bužəġləl ou žəġlal sont les noms génériques des gastéropodes univalves (escargots). Ils sont
empruntés à la racine amazighe ƔL, préfixé d’un expressif /ʒ/ et parfois du qualificateur (arabe) bu-.
884
Le fṛingo est un plat préparé par les fillettes à la manière d’un jeux, ce qui leur permet d’apprendre les rudiments
de la cuisine. Chacune d’entre elles devait apporter un légume et le fait lentement cuire sur le charbon d’un braséro,
parfois au bout d’une broche.
885
Interjection typiquement nord-africaine, possiblement d’origine amazighe.
Documentation 793
4.2.8.Jijel-ville : la chasse aux passereaux (əṣ-ṣəyyada dd əl-fṛawəẖ), par
Mohamed Ouettah886
La belle époque lorsque nous étions petits... à ce moment-là. Nous étions petits, nous
montions à Ayouf.
Ayyuf, əddi hiyya duḳa ydir Camp Chevalier. Wəllaţ d əm-mdina ķbira, ķţər ʕla m-mdina ḳdima.
Ayouf, qui est devenu aujourd’hui (le quartier de) Camp Chevalier888. C’est devenu une
grande ville, plus que l’ancienne cité (casbah de Jijel).
Dišhuwwa ayyuf, ʕla bal-əķ mʕarufa. Ma d əṭ-ṭrab ţaʕ-u ddaţ bušlaġəm889 u lə-ħwammṛa.
ديشهوا أيّوف على بالك معروفة ما دْالطراب تاعو دّات بوشلغم ْوالحوا ّمرة
ّ
Quant à (la montagne) Ayouf, tu sais bien qu’elle est connue. Quant à sa terre, elle fut héritée
par les Bouchlaghem et les El Houamra.
Et nous depuis toujours, nous l’appelons Kabylie (lit. « pays des Kabyles).
886
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Caïd, enregistré en 2023.
887
Petite montagne située sur les hauteurs de Jijel appartenant au territoire de la confédération des Bni Caïd
888
Quartier administratif actuel de la ville de Jijel, construit sur le mont Ayouf
889
Šlaġəm « moustache » est un terme largement attesté en arabe maghrébin et en amazigh septentrional dont
l’origine nous est inconnue, le mot n’appartenant vraisemblablement ni au fonds amazigh, ni au fonds arabe. Sa
distribution laisse néanmoins imaginer que celui-ci est passé en arabe maghrébin via l’amazigh.
ْونطلعوا على بالك ْلت ّما ْو َميخفا ل ُكمش بدّي أيّوف ْوأڨوف متاع ال ّميلية أم كيفكيف
Nous monterons, tu sais là-bas. Et vous avez remarqué qu’Ayouf (de Jijel) et Agouf890 d’El-
Milia sont pareilles.
Ma fi-ha š əs-sžər fi-ha isţiyaf891. Asəţţuf di bubra, asəţţuf mţaʕ əṛ-ṛiħan w asəţţuf mţaʕ əṭ-ṭru.
الريحان متاع أستّف بوبرا دي أستّف إستياف فيها السّجر َمفيهاش ّْ ال
ّ طرو متاع ْوأستّف
Elle ne contient (contiennent) pas d’arbres (forêts) mais des maquis. Des maquis d’aubépines,
des maquis de myrtes et des maquis de pistachiers lentisques.
890
Colline située à proximité de la ville d’El-Milia
891
Pluriel inattendu de asəţţuf, la forme plurielle la plus courante étant sţaţəf
Documentation 795
Əl-wəḳţ hadaķ, ķunna nnəṣbu l-bufəssiw892. Nħəṭṭu-lu ṛ-ṛžina.
À ce moment, nous piégions le rouge-gorge. Pour lui nous déposions des pièges ronds.
ّ طوطاوة مي ال
طوطاوة وهلل لَوعرة ّ ال
Tu ne peux pas l’attraper. Elle n’est pas facile. Même avec le piège rond tu ne l’attrapes pas
ô...
Hiyya ķi d-dib. U zid b zid... ʕla bal-əķ ķan saʕa nnəṣbu b əṛ-ṛžina,
هيّا كي الدّيب ْوزيد بْزيب على بالك كان ساعة نّصبوا بْالرجينة
Il est comme le loup. Et ajoute, ajoute... Tu sais que parfois nous piégions avec les pièges
ronds,
892
<Qualificateur ar. bu- + ama. FS
Mais lorsqu’il te voit, au loin, (un oiseau) comme le geai ce n’est pas possible, le geai.
Azwiġ ʕla bal-əķ aw d, d dķəṛ ţaʕ ər-rəẖma. Aw ţabaʕ əl-ʕaʔila mţaʕ əs-siwana...
Bəzzaf, ya ħəsra. Ih, əl-wəḳţ hada, ķanəţ əd-dənya ħluwwa, hadi hiyya.
Beaucoup, la belle époque. Oui, en ce temps, la vie était douce, c’est ça.
الوقت دي ت َفليلّست
ْ بْالحسرة على بوفسّيو ْوتَفليلّست
893
Petite espèce de vautour
Documentation 797
Bəzzaf ṭyuṛ əddi ķunna nṣiddu.
ّ الزردي
الزردي على مطولو ّ ْس ّميوه ح ّ
ّ وال كفَش َك
ô cousin, il était long comme « asənsir » (individu grand et fin). Par Dieu elle est plus longue
qu’une haie.
894
(A)mundas « chat ganté » est un mot typique des langues des Babors. Nous ne l’avons pas trouvé ailleurs en
amazigh mais sans inexistence en arabe laisse fortement supposer une origine amazighe ou un emprunt réalisé via
le substrat amazigh en jijélien.
895
<ama SR « s’effilocher, maigrir, s’échapper, se mettre à marcher rapidement »
896
<ama S- factitif + RG
Nous sommes en train de nous rapprocher du Mouloud898, ou comme ils disent, des festivités
du Mouloud.
Ķunna ndiru ʕənd dda Muṣṭafa Bən Šaṛif, ḷḷah yrəħm-u w ywəssəʕ ʕli-h.
كونّا نديروا عند دّا مصطفى بن شِريف هلل يرحمو ْويوسّع علىه
Nous faisions, chez Da Moustafa Ben Chérif, que Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde de
la place (au paradis).
897
Locuteur né à Jijel-ville et originaire des Bni Caïd, enregistré en 2023.
898
Fête musulmane commémorant la naissance du prophète de l'islam.
Documentation 799
Ķunna ddiru ṭərṭayẖaţ b lə-ħdid. U bəķri, nẖədmu-hum b əḷ-ḷãmba dd əl-ħəffafa.
Nous fabriquions des « ṭərṭayẖaţ899 » (pétards artisanaux avec du fer. Nous les faisions avec
une lampe d’éclairage de coiffeur.
La lampe d’éclairage des coiffeurs était en fer, et il y avait celle faite en aluminium.
Et nous le fabriquions (le pétard artisanal), il n’y avait pas de pétards industriels.
899
Pétards artisanaux que les enfants jijéliens fabriquaient avec un tube, du plomb, un clou et le soufre des
allumettes.
900
<ama FS
901
Ancienne église de la ville de Jijel (construite durant la colonisation française), détruite pendant les années 1990,
son site accueille aujourd’hui un jardin public.
U duḳa, ķayən əddi yʕrfu l-žawi ? Ən-nas bəķri ķan yəʕrfu l-žawi.
ْودوقا كاين دّي يعرفوا الجاوي النّاس بكري كان يعرفوا الجاوي
Ħ-əḳ-ḳuṭi mţaʕ əṭ-ṭumaṭiš, nəţţəķbu, ʕla bal-əķ, b ħ aməṣmaṛ, waħəd mənna waħəd mənna...
Un pot de tomates, nous lui faisions un trou, tu sais, avec un clou, un par-là, un par-là ...
Tu sais les papiers et les côtés de... comme l’appellent-ils, de... et nous allumions !
Il y avait les « ţwimaţ », et le« bazuḳa », puis est arrivé le « gṛãgaṛi » (= différents types de
pétards).
Documentation 801
Ķanu yẖədmu ķima, ķan maţalan, ġṛayəf, hih.
W ybuwwbu f əḳ-ḳəsʕa.
يبوبوا ْفالقّسعة
ّ ْو
La préparation de la pâte de, comme on dit, des crêpes. Et ils recommencent à pétarder.
Elle me disait, (je lui répondais) nous sommes en train de pétarder. Ô mon Dieu902 ! C’est quoi
ça !
902
Littéralement : « il a quitté le monde ».
ّ طفّس ْوال
طفل يطفّس ّ طفلة َم
ّ ال
Je passais, moi, à l’époque de mère. Je pétardais et elle hurlait, elle hurlait et criait.
Et nous l’aimions lorsque nous étions petits. Nous étions agités lorsque le Mouloud arrivait.
Nous étions agités lorsque le Mouloud arrivait. Ce Mouloud, nous serons très heureux.
903
<ţṭəffəs
Documentation 803
W əm-maķla… w ššəṛbu… nṭəħķu...
Mais maintenant le Mouloud... Une petite bougie comme ci, un petit pétard comme ça...
Autrefois le Mouloud, oh ! Ah, seulement avec des assiettes ! Nous nous rendions de maison
en maison.
L’un partait avec des crêpes, l’un avec des kâaks (type de gâteaux), l’un avec ça.
Une fois, ma mère, que Dieu lui fasse miséricorde, elle m’envoya apporter une assiette de
couscous.
Elle me dit ô mon fils, prend cette assiette de couscous pour Madame Zehra la pauvre.
سنة كبيرة
َ أ بنييّي أو دْال ّمولود أو د َح
Dans un bâtiment d’oncle Mahfoud, Dieu lui fasse miséricorde, le bâtiment est effondré.
قاتّ لي أنا خايف دْالليل قُتّ ْلها ٱي ي ّما ُكنخاف َمنروحش ْوروحت
Elle me dit, j’ai peur, il fait nuit. Je lui dis, ô mère j’ai peur je n’irais pas, et je suis parti.
904
<ḳaləţ
Documentation 805
Ruħţ b əṭ-ṭəbsi, haķdaķ, ẖayəf. U nəlħəḳ.
Je suis parti avec une assiette, comme ça, en ayant peur. Puis je suis arrivé.
Et j’ai trouvé dix personnes avec des assiettes de couscous devant moi.
Ən-nas bəlķəl ţʕrəf, šuf, ən-nas ķanu yħəbbu d-din dyal-hum, w yħəbbu ṣ-ṣadaḳa.
َ النّاس بْل ْكل تعرف شوف النّاس كانوا يحبّوا الدّين ديال ُهم ْويحبّوا ال
صدَقة
Tout le monde, tu sais, regarde, les gens aiment leur religion, ils aiment faire l’aumône.
Elle leur dit oh c’est trop pour moi, ô mes fils retournez-ça chez vous...
ّ هاو ال
طبسي ديالي يكفيني
طبسي ْلدار
ّ وهللا َمولّيت ْلدار ال بْال
Wəlləh, ġiṛ b səķsu, waħəd žayəb b əṭ-ṭəbsi ddə ķʕaķ, waħəd žayəb b əṭ-ṭəbsi ddə zrir905,
Par Dieu, seulement avec du couscous, l’un apportait une assiette de gâteaux, l’un apportait
une assiette de « zrir »,
Et encore, l’un arrivait avec des crêpes... Et les gens, les pauvres, ils sont venus et partis en
ayant offert.
Nous étions dans la rue, à jouer et à chanter, nous dansions une bougie dans les mains :
905
<ama ZR
906
Les quatre phrases suivantes sont chantées.
Documentation 807
Əẓ-ẓla dd əm-mulud907 dəbbəħ-əlha f əl-ʕašiya.
907
Le sens de ce nom dans cette chanson est inconnu des jijéliens. Il existe bien en jijélien un verbe ẓla/yəẓli
« renier », mais ça présence dans cette chanson ne fait aucun sens. Nous proposons que ẓla puisse être dérivé de
la racine ṢLʔ avec le sens (ou un sens proche de celui) de « prière ». Si c’est le cas, il s’agirait d’un exemple de
mot arabe présentant l’évolution /ṣ/ ➔ /ẓ/, également attestée dans les dérivés de cette racine empruntée parmi les
langues amazighes (cf. section 3.1 du chapitre 3).
908
Instrument à percussion nord-africain.
Où est passé ce Mouloud d’autrefois, (celui d’aujourd’hui) il n’est pas au courant que c’est le
Mouloud.
مرة
ّ مرة
ّ مرة
ّ مرة
ّ دروقا َميردّوا علىش
Documentation 809
ţšuf ķima yẖədmu ġiṛ əš-ši ddə mliħ.
شيء ْدّمليح
ّ تشوف كما يخدموا غير ال
Tu verrais comment ils ne font que le bien.
Le rfis, nous le préparons avec une galette bien huilée, un peu trop.
Tu ne dois pas la pétrir, et il faut ajouter un œuf. Tu ne dois pas la faire dorer (rougir).
909
Locutrice originaire d’El-Hemma, enregistrée en 2023.
Documentation 811
Əddi qaʕəd m əl-fuq afəţl-u kima l-ʕiš.
U dəhhn-u b əz-zəbda.
Nous portons l’eau sur le feu, dans laquelle nous déposons un peu
ّ الزيتونة دي
الزيت تاع ْوشويا الملح دي ّ
910
Locutrice originaire d’El-Hemma, enregistrée en 2023.
Documentation 813
zuǧ di ʕəḍmaţ, u nḫəlliw-həm yṭibu šwi.
nous commençons à verser la semoule en remuant (pendant) à peu près cinq minutes.
ّ الزيت دي
الزيتون ّ نزيدو لو حاغنجا
ّ وال زوج دي
911
<ama ƔNJW/Y
Quant à Jijel, ils préparent le couscous au poissons chaque vendredi, il est unique.
912
Locuteur appartenant à une des familles de pêcheurs des Aït Mâad vivant sur la presqu’île de la Mansouriah,
enregistré en 2023.
913
<yəţţdar
Documentation 815
Bəṣṣəħ ʕlaš dluq ulla məšhuṛ fi žižəl ? Žižəl ʕənd-həm kəl nhaṛ žəmʕa.
Mais pourquoi est-il devenu célèbre à Jijel ? À Jijel, chez eux (ils le font) chaque vendredi.
Maintenant je vais t’expliquer. Mon père s’en rappelait bien, que Dieu lui fasse miséricorde.
Kan yẖədm-u, kan yaklu-h ʕənd-u. Səksu b əl-ħuţ, ʕlaš quţţ-lək b əč-čəlba.
بْالچّلبة ْلك قُتّ علش بْالحوت سكسو عندو ياكلوه كان يخدمو كان
Il le faisait et ils le mangeaient chez lui. Le couscous au poisson, pourquoi je te dis à la saupe.
Əč-čəlba, ka ţakəl lə-ħšiša. Ħšiša hadik əddi ža hiyya f əl-bida... ţriħ lə-bħər.
الچّلبة كَتا ْكل اكحشيشة حشيشة هَديك دّي هيّا ْفالبيدة تريح الب ْحر
La saupe, elle mange une herbe (marine). Cette herbe c’est elle qui est à l’origine... elle sent la
mer.
914
Forme inattestée dans le parler des Aït Akhiam.
Cette herbe, elle s’appelle comment... Cette herbe, lorsque tu mangeais de trop, l’herbe...
d hiyy əddi tšəyyaʕ hakda. W əč-čəlba, ţəqqa l-lħəmm dyal-u zərqa m əl-ħšiša hadi.
ي دّي تشيّع هَكدا ْوال ْوالچّلبة تقّا الل ْح ّم ديالو زرقة ْمالحشيشة هَدي
ّ ده
c’est elle qui te rendait malade comme ça. Et la saupe, sa chaire est bleue à cause de cette herbe.
Avec le temps et tout, ils n’ont plus apprécié cette herbe, c’est comme ça.
915
<tdux
Documentation 817
ẖaṭəṛ ʕənd-u ẖəṭra f əl-ʕam u miṛu hadik w əl-ħšiša hadik.
Il faut que je te montre, il faut que je te montre quels poissons... les poissons.
ّ ياخي َم َهكداش
وال هَكدا
kayən əddi yʕayyəṭu-lha lat̪ oṛpiy. Lat̪ ṛãmbloẓ ʕlaš nʕayyəṭu-lha lat̪ ṛãmbloẓ ?
916
Nous avons supprimé de ce texte les questions posées par nous-même et conservé uniquement celles de notre
interlocuteur. Nos questions invitaient notre consultant à nous donner d’autres noms animaux.
917
Locuteur appartenant à une des familles de pêcheurs des Aït Mâad vivant sur la presqu’île de la Mansouriah,
enregistré en 2023.
Documentation 819
H̱aṭəṛ fi-ha t̪ ṛiṣit̪ i.
Pour ce qui est du pagre, ils l’appellent « pagəṛ », et eux l’appellent « abaġaṛ ».
Et le congre, nous, nous l’appelons « ţazləmţ », et eux les Aït Segoual « aburyun ».
918
Mot d’étymon inconnu peut-être emprunté à l’amazigh
Chaque poisson est différent, comment il est appelé ici, comment il l’est (appelé) à Jijel,
comment...
Kima ħna nqulu ṣɛ̃t̪ãt̪ wal. Ṣɛ̃t̪ãt̪ wal hada ħna nʕayyəṭu-lu ṣɛ̃t̪ãt̪ wal.
Comme nous disons « ṣɛ̃t̪ãt̪ wal ». Ce sar là nous l’appelons « ṣɛ̃t̪ãt̪ wal ».
Documentation 821
W əl-mafṛun, əṣ-ṣġiwəṛ nʕayyəṭu-lu bumšiṭa.
Chez les bougiotes « bumšiṭa » ce n’est pas lui, c’est un autre poisson.
Comme maintenant le vivaneau, le vivaneau tu en trouves une chez lui (ligne), par-là,
919
Cet emprunt à l’amazigh (DFR) est attesté à la Mansouriah et dans les parlers de plus villages de l’arrière-pays
ziamite, mais il est inconnu du parler des Aït Akhiam.
كاين الَچة كاين اللَجدَل هَديك دّي صغيرة هَديك َمش دْالَچة
Il y l’allache. Il y a la « laždal » (poisson de la famille des sardines), celle qui est petite, celle
qui n’est pas une allache.
Il y a l’alose, tu la connais l’alose. C’est la « laždal » qui est épaisse, qui a des arrêtes.
Kayən laṛoloẓ. Laṛoloẓ hadi ţləħq ħəţţa kilu, kilu w nəšš, šġəl d...
Il y a la « laṛoloẓ » (poisson de la famille des sardines). Cette « laṛoloẓ », elle atteint un kilo,
un kilo et demi, comme...
ّ كاين ت َفليلست دي الب ْحر كاين بوق ّموم يعيش كتْر ْف
الزدّوم
Kayən bəzzaf ħwayeǧ f lə-bħər. Kayən hadi ddi kan bəkri ʕal lə-ħǧaṛ u yqəss.
ّ بزاف حوايج ْفالب ْحر كاين هَدي دّي كان بكري عل الحجار ْو
يقس ّ كاين
Il y a beaucoup de chose dans la mer. Il y a aussi celle qui vivait autrefois sur les rochers et
qui pique,
920
Mot d’origine inconnue, peut-être emprunté à l’amazigh.
Documentation 823
Ţəqqa-h ħəmṛa, šġəl d lə-bṛum. Nʕayyəṭu-lu l-ħəṛṛayəq.
Elle est rouge, c’est un genre de méduse... Nous l’appelons « ħəṛṛayəq » (actinie).
ْلڢاش هيّا تخرج ْلروشي ْوتقعد ْلشمس نعيّطوا ْلها البقرة دْلڢاش
« Lavaš » (phoque921), il apparaît sur les rochers et reste au soleil, nous l’appelons « bəqṛa »,
« lavaš »922.
Il y a parmi les oursins... Il y a celle qui n’a pas, de piquants, elle ne pique pas.
Nqulu-lha fərṭasa.
921
Il s’agit du phoque moine de méditerranée, qui pouvait être régulièrement observé jusqu’à il y a quelques années
sur la côte jijélienne. Il nous a même été dit qu’il se reproduisait dans les grottes de la presqu’île de la Bouiblaten.
922
Le phoque est appelé par les pêcheurs de la Mansouriah bəqṛa « vache » ou à partir de l’emprunt au français
lavaš.
Fərṭasa hadik ţʕiš f əṛ-ṛməl. Kayən əddi yəţţəklu, əddi naklu-həm hna ...
Cette « fərṭasa » vie dans le sable. Il y en a qui se mangent, ceux que nous mangeons ici...
Kayən həwwa, kayən bušuka, kayən... d ism-u... Yǧi kbir yǧi bahi.
Vraiment... « Lakṛap » (crabe vert), celui avec laquelle nous péchons. Et le « kṛapu » (autre
espèce de crabe), il est épais.
923
Composition de l’amazigh al « jusqu’à » + ar. ʕad aussi attestée en tasahlit et en arabe bougiote.
Documentation 825
Kayən lə-ǧṛad di lə-bħər. Kayən əš-špəṛnuṭ924.
ي الب ْحر كاين الچّپرنوط
ْ كاين الجراد د
Il y a les langoustes. Il y a les squilles.
Kima budfar, əddi ʕənd-u dəffar-u ṭwil u qəmmum-u. Hnaya fi ǧiǧəl yʕayyəṭu-lu l-piš.
كَما بودفار دّي عندو دفّارو طويل ْوق ّمومو هنايا في جيجل يعيّطوا لو الپيش
Il y a « budfar », qui a une longue queue et un bec. Ici à Jijel, il l’appellent « piš ».
924
Špəṛnuṭ est un mot d’étymon arabe BRM mais préfixé d’un š-, expressif fréquent en amazigh et suffixé d’un-
ṭ, expressif également connu en amazigh. Ce mot est aussi attesté chez les AS (ččbeṛnuṭ) et pourrait avoir été
réemprunté par le jijélien occidental à l’amazigh.
925
Mot d’étymon inconnu peut être emprunté à l’amazigh
Elle lui dit : « va-t’en, c’est mon gendre qui m’apporte un présent ».
926
Locuteur originaire des Aït Akhiam qui nous a transmis en 2022 ce texte oral relevé auprès de son père.
927
Asawəs « cadeau, présent » est un amazighisme remarquable dans la mesure où ce mot n’est pas attesté en
tasahlit mais y présente le cognat tawsa « somme offerte aux musiciens lors d’une fête ».
928
Interjection d’origine inconnue également utilisée en tasahlit
929
Interjection d’origine inconnue également utilisée en tasahlit
930
Interjection d’origine inconnue également utilisée en tasahlit
Documentation 827
Ţqul-lu : « ahrəm mənna ».
ْ ط يا
قالت ّ معاي أبكي ال ْق
931
Expression désignant une « pauvre fille »
932
Forme inattendue dans ce parler, la langue courante préférerait une annexion analytique pour le mot : əl-makla
dyal-i « mon repas ».
933
Mot d’origine inconnue possiblement emprunté à l’amazigh à l’exception des incréments /ħ/ d’origine arabe.
Documentation 829
4.2.15. Aït Mâad : conte de la marmite qui fait disparaître la viande et celle
qui fait disparaître la sauce (əl-qədra ddi ţakəl əl-lħəm w əl-qədra ddi ţakəl
lə-mrəq), par Oussama Boulfiza934
المرق ّ
ْ وال القدرة دّي كَتاكل
934
Locuteur originaire des Aït Akhiam, qui nous a transmis en 2022 ce texte oral relevé auprès de son père.
Documentation 831
المرق
ْ دّي كَتاكل اللحم والقدرة دّي كَتاكل
Documentation 833
əl-yum yəţʕašša mʕa-na.
المرق ّ
ْ وال القدرة دّي كَتاكل
puis elle l’approcha de ses yeux afin de vérifier que celui-ci soit vraiment aveugle.
935
Composition formée de la copule amazigh » d, de la préposition b « au moyen de » et de ṣṣəħ « vérité »
(précédé de son article assimilée). Elle est également réalisée dibəṣṣəħ dans ce parler et dəmbəṣṣəħ dans celui de
Jijel-ville.
Documentation 835
A mal-i, qal l Baba Bəlħaṛəţ.
936
<šəṭba « crotte »
937
<rəkba « genoux »
938
Le sens de cette formule énigmatique nous a été expliquée par la suite par notre consultant : « les crottes (- la
viande) sont dissimulées sous les genoux (- tapis) ».
Documentation 837
Ki naḍəţ u rəfdəţ anəmsir,
əddi ka ǧǧi940 b əl-ħšawəš di l-ġaba, w əddi kanu ka yaklu-ha bəzzaf fi ʕam əš-šəṛṛ.
بزاف في عام ال ْش ّر
ّ دّي َكجّي بْالحشاوش دي الغَبة ْودّي كانوا كياكلوها
qui se prépare avec les herbes de la forêt et que l’on mangeait beaucoup en période disette.
Ay ka ṭṭib941 ki s-səlq.
ّ آي ك
َطيب كي السّلق
Elle se cuisine comme les épinards.
939
Locuteur originaire des Aït Akhiam, qui nous a transmis en 2023 cette conversation réalisée entre lui et un
second locuteur. Il est possible de comparer la version de cette recette à Jijel-ville (4.2.1), chez les Aït Bouycef
(section 4.1.2) et chez les Aït Laâlam (section 4.2.1).
940
<ţəǧi
941
<ţəṭib
942
Interjection d’origine indéterminée
Documentation 839
Hadak aw ki yəţţləġzəm ţiwəlkẓan943 ulla yəṭġi-k ṭəhṛ-ək.
هَداك آو كي يتلغزم تيولكزان واْل يطغيك طهرك
On s’en sert pour les entorses de chevilles ou pour les maux de dos.
Ma d əš-šəţwa, ma d əṛ-ṛbiʕ.
ْالربيع ّ ما دْال
ّ شتوى ما د
Hiver comme printemps.
943
<ama WRZ
944
<GMR (cf. Jijel-ville gəmra) ?
945
<ama. S- factitif + KḌF<WḌF ; l’évolution dans ce parler de la radicale d’origine *k vers /q/ pourrait
s’expliquer par un phénomène d’hypercorrection (cf. section 7.6.3.3 du chapitre 3).
946
Latinisme emprunté via le substrat amazigh (cf. latin pulegium).
947
<ama ƔDW + -C diminutif
Documentation 841
Ki yʕud qrib yṭib, šiṛ ħ-əl-kbiša di l-ʕiš bəš ma yǧi š mawi w ǧari.
كي يعود قريب يطيب شير حالكبيشة دي العيش بْش ما يجيش ماوي وجاري
Vers la fin de la cuisson, ajoute une poignée de petit-plomb afin qu’il ne soit pas trop liquide.
Locuteur 2 : Ku naklu-h ʕadi, b ħ-aħnuk di l-ẖəbz ulla di l-məṭluʕ, ulla ħ-əṛ-ṛbiʕa di l-kəsra.
ّ وْل دّي المطلوع
وْل حالربيعة دي الكسرة ّ الخبز
ْ ُكناكلوه عادي بْحاحنوك دي
Nous l’accompagnons avec un morceau de pain ou de pain levé, ou d’un quart de galette.
948
Locuteur originaire des Aït Akhiam, qui nous a transmis en 2023 cette conversation réalisée entre lui (individu
1) et un second locuteur (individu 2).
949
Toponyme mâadi d’origine mystérieuse.
Documentation 843
U kanu ka yẖəyyṛu ddi ħlu ddi ma məṛṛ š,
ْوكانوا كَيخيّروا دّي حلو دّي َم ْم ّرش
Et ils choisissent ceux qui sont doux, pas ceux qui sont amers,
ainsi qu’une gousse de piment piquant. Et ils ajoutent un verre de petit-lait ou de lait caillé.
950
<ama S- factitif + MR (cf. tasahlit summer « exposer au soleil »)
951
<ama G « intérieur » (peut-être contaminé par ƔR ?)
Documentation 845
Planche 13 Quelques préparations décrites parmi les textes
Nos résultats nous ont permis de distinguer différentes strates, périodes et types de
contact dans les Babors. Les données historiques suggèrent que la diffusion de l’arabe
y serait liée à l’histoire de la dynastie amazighe des Koutamas et en particulier au
retour d’armées Koutamas arabisées vers la Kabylie orientale. Un changement de
langue progressif de l’amazigh vers l’arabe, marqué par de longues périodes de
bilinguisme a permis la diffusion de nombreux transferts de l’amazigh substratique vers
le jijélien. Par ailleurs, la tasahlit présente le statut d’une langue maintenue après un
contact extensif et inégalitaire avec l’arabe, langue de prestige et véhiculaire. Selon
les parlers étudiés, nous avons observé des variations concernant les types de
transferts depuis l’arabe. Nous les avons fait corréler avec des différences en termes
de relations économiques et politico-militaires avec les groupes arabophones voisins.
Il n’a pas toujours été possible d’affirmer la directionalité des phénomènes de contact
décrits, dont certains entrent dans le cadre de la convergence linguistique
MOTS-CLÉS
Documentation 849
ABSTRACT
The Babors are a mountain range located in eastern Kabylia in northeastern Algeria. Two
languages are spoken there, Djidjelli Arabic and Tasahlit. Tasahlit is an Amazigh language, the
oldest language family known in western North Africa. Djidjelli is a variety of Arabic that
emerged as a result of the first wave of Arab-Muslim conquests in North Africa (7th-9th
centuries). This thesis explores the history of contacts between these languages from the Islamic
Golden Age to the present day. It describes linguistic features inherited from contact and
aligning them with current knowledge of language contact typology with the aim of establishing
historical sociolinguistic scenarios. At the micro-local level, this research takes into account
both the geographical factor and the various historical strata, relying on data from five varieties
collected in the field. It describes the current sociolinguistic situation, especially the various
levels of bilingualism, in order to reconstruct the historical power relations between
communities and their languages. One of the points of interest in this study is the types of
contact involved between genetically related and typologically close languages (Aikhenvald
2007, Hickey 2007).
The results of this research have allowed us to distinguish different strata, periods and types of
contact in the Babors. Historical data suggest that the spread of Arabic is linked to the history
of the Amazigh dynasty of the Koutamas, particularly to the return of Arabized Koutamas
armies to eastern Kabylia. A gradual change of language from Amazigh to Arabic, marked by
long periods of bilingualism, led to the spread of numerous transfers from substratic Amazigh
to Djidjellii Arabic. Tasahlit, on the other hand, has the status of a language maintained after
extensive and unequal contact with Arabic, the language of prestige and conveyance.
Depending on the language studied, we observed variations in the types of transfers from
Arabic. These variations are correlated with differences in economic and politico-military
relations with neighboring Arabic-speaking groups. It has not always been possible to assert the
directionality of the contact phenomena described, some of which fall within the framework of
linguistic convergence.
KEYWORDS