Éditorial
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d’une bonne partie des propositions de son prédécesseur. Après huit rapports,
présentés entre 1988 et 1996, ce dernier permis à la Commission de conclure la
première lecture de la deuxième et la troisième partie, malgré des désaccords qui
conduisirent à sa démission. À ce stade, le texte, constitué d’une mosaïque d’articles
adoptés à des périodes différentes, contient des éléments très controversés
(notamment la question du « crime » de l’État, le régime des contre-mesures et le
règlement des différends). Les réactions des gouvernements, mais aussi les analyses
critiques de la doctrine, en témoignent. Tout en préservant les acquis de 1996, il
incomba à J. CRAWFORD de conduire la seconde lecture du projet. Celui-ci entreprit,
dans ses quatre rapports, de simplifier et de rendre le projet plus acceptable. Sa
« méthode »7 fut unanimement saluée et permit à la CDI d’adopter ses articles en
seconde lecture en 2001.
À côté des articles de 2001, la Commission a entrepris la rédaction de projets
connexes : celui sur la protection diplomatique (2006), sur la succession d’États en
matière de responsabilité (en cours), sur la répartition des pertes en cas de dommage
transfrontière découlant d’activités dangereuses (2006), la prévention des dommages
transfrontières résultant d’activités dangereuses (2001) et sur la responsabilité des
organisations internationales (2011).
Le texte de 2001 se présente, pour en rester à l’essentiel, comme ceci : la
première partie, intitulée « [l]e fait internationalement illicite de l’État », contient les
principes relatifs aux conditions de la responsabilité (attribution du comportement,
violation du droit international et circonstances excluant l’illicéité). La deuxième
partie évoque le « contenu » de la responsabilité, autrement dit ses conséquences
juridiques parmi lesquelles l’obligation de cesser le fait l’illicite, d’offrir des
assurances et garanties de répétition et de réparer le dommage causé. Cette partie
contient aussi un chapitre propre aux conséquences des « violations graves
d’obligations découlant de normes impératives du droit international général ». Enfin,
la troisième partie concerne la « mise en œuvre » de la responsabilité avec un
ensemble de règles traitant de son invocation et des contre-mesures. On mesure à cette
description l’importance du sujet finalisé par la CDI, et on comprend la formidable
émulation doctrinale concomitante à ses travaux. Les règles relatives à la
responsabilité disent beaucoup d’un ordre juridique. Comme P.-M. DUPUY l’affirme,
elles en constituent « l’épicentre »8 :
« [d]ans tout système juridique, la responsabilité en tant
qu’institution juridique joue un rôle de premier plan, car elle
organise et révèle à la fois le niveau d’intégration de ce système,
ainsi que les conceptions dominantes en son sein concernant la
nature des droits et des obligations, les conséquences de leur
violation et, peut-être plus profondément, les fondements éthiques
et sociaux de l’ensemble »9.
7
Voir C. SANTULLI, « Travaux de la Commission du droit international », AFDI, vol. 46, 2000, p. 404.
8
« Le fait générateur de la responsabilité internationale des États », RCADI, vol. 188, 1984, p. 21.
9
« The International Law of State Responsibility. Revolution or Evolution ? », Michigan Journal of
International Law, vol. 11, 1989, p. 126 (notre traduction).
Tiphaine DEMARIA 11
En 2001, l’Assemblée générale prit note du projet d’articles mais n’arrêta pas
sa position sur l’avenir du texte. Le sujet est, depuis, tous les trois ans, à l’ordre du
jour à New York sans qu’une décision à ce sujet ait été adoptée à ce jour10.
L’instrument se présente donc aujourd’hui comme un texte « soft ». Comme
tous les instruments de la Commission, il est un mélange de codification pure, de
développement progressif et certainement de dispositions dont il est difficile de
déterminer la nature. Cependant, en pratique, il exerce une influence considérable. Il
est largement mobilisé par les juridictions internationales – il l’était d’ailleurs avant
son adoption finale. Il suffira pour s’en convaincre de consulter le rapport publié tous
les trois ans par le Secrétaire général des Nations Unies, compilant les références à ce
texte11. L’immense majorité de ces articles est ainsi tenue pour refléter le droit
coutumier aujourd’hui.
Le succès, indéniable12, des articles, ne doit empêcher d’avoir un regard
critique sur leur contenu et leur portée, à la lumière de vingt années de pratique, et ce
d’autant plus que leur sort n’est pas fixé. Tel est l’objet du présent numéro de
l’Observateur des Nations Unies.
Ce regard est porté par certains contributeurs sur des dispositions précises du
projet. Ainsi, Claire MERIC propose une analyse du régime juridique des « violations
graves d’obligations découlant de normes impératives ». Revenant sur les étapes et
soulignant l’importance de la consécration de cette catégorie, elle en décrit aussi les
faiblesses. Alexandre ZOURABICHVILI propose une analyse approfondie, à la lumière
de la pratique la plus récente des États, de l’article 50§1 b), selon lequel les contre-
mesures ne doivent porter atteinte aux droit fondamentaux. Daphné DRESSYE offre
une vision plus positive du travail de la Commission, à propos de la question – certes
technique mais extrêmement importante dans la pratique – de la contribution de la
victime et la réparation du dommage (article 39).
Les auteurs de ce numéro se sont aussi intéressés à la postérité des articles
de la CDI, et à la manière dont ils sont utilisés – ou non – par les acteurs de la
communauté internationale. Khalil ALLAHHAM mobilise, en ce sens, la jurisprudence
des cours régionales de protection des droits de l’Homme pour démontrer que, tout en
s’appuyant sur les articles de 2001, elles s’en écartent au point de forger une forme
distincte de responsabilité. Silviana COCAN, qui revient aussi sur le régime des
violations graves (articles 40 et 41), évoque les limites, inhérentes et périphériques
(comme les immunités ou la compétence des juridictions internationales), dans la mise
en œuvre de ce qui s’est substitué au « crime de l’État ». Son regard porte également
sur la pratique des cours européenne et interaméricaine. Stefano D’ALOIA examine la
manière dont les juges, internes et internationaux, appliquent l’article 41§2 (obligation
de non-reconnaissance) du projet de 2001 à partir de l’analyse de l’affaire de Crimée.
Enfin, toujours dans une optique situationnelle, Mutoy MUBIALA étudie la manière
10
Voir, L. PACHT, « The Case for a Convention on State Responsibility », Nordic Journal of International
Law, vol. 83, 2014, pp. 439-475 ; F. PADDEU, « To Convene or Not to Convene ? The Future Status of the
Articles on State Responsibility : Recent Developments », Max Planck Yearbook of United Nations Law,
vol. 21, 2017, pp. 83-123.
11
Au moins 250 références depuis l’adoption des articles. Voir M. PAPARINSKIS, « The once and future
law of State Responsibility », AJIL, vol. 114-4, 2020, p. 620.
12
Qui ne signifie pas exempt de critiques. Pour un aperçu des critiques des États lors des débats à la sixième
Commission : A. SARVARIAN, « The Ossified Debate on a UN Convention on State Responsibility », ICLQ,
vol. 70, 2021, p. 773 et s.
12 L’Observateur des Nations Unies, 2021-2, vol. 51
dont les articles la CDI pourraient être mobilisés dans les situations d’abus coloniaux,
à partir de l’exemple du génocide namibien, ayant fait l’objet d’un accord récent entre
l’Allemagne et la Namibie.
Pour conclure ce volet thématique du numéro, Raphaël MAUREL examine, de
manière rétrospective et novatrice, le travail de la Commission dans sa globalité, et la
manière dont l’éthique a pu constituer l’une des sources matérielles dans « l’écriture »
des articles de 2001.
Enfin, ce volume de l’Observateur est conclu par un varia : Mamoud ZANI
y analyse la responsabilité pénale du chef militaire et la doctrine du supérieur
hiérarchique à la lumière de la jurisprudence des juridictions pénales internationales.
L’auteur des présentes lignes tient à remercier les contributeurs pour leur participation
à ce numéro, et vous en souhaite une bonne lecture.