Récap Texte Oral
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Récap Texte Oral
-J’ai vu, me contait-elle, moi qui te parle, j’ai vu neiger au mois de juillet.
-Au mois de juillet !
-Oui. Un jour comme celui-ci.
-Comme celui-ci…
05 Je répétais la fin de ses phrases. J’avais déjà la voix plus grave que la sienne, mais
j’imitais sa manière. Je l’imite encore.
- Oui. Comme celui-ci, dit ma mère en soufflant sur un flocon impondérable d’argent,
arraché au pelage de la chienne havanaise qu’elle peignait. Le flocon, plus fin que le verre
filé, s’embarqua mollement sur un petit ruisseau d’air ascendant, monta jusqu’au
10 toit, se perdit dans un excès de lumière…
- Il faisait beau, reprit ma mère, beau et bon. Vint une saute de vent, une queue d’orage
que la saute de vent emmena et bloqua sur l’Est naturellement ; une petite grêle très
froide, puis une chute de grosse neige épaisse et lourde… Des roses couvertes de neige,
des cerises mûres et des tomates sous la neige… Des géraniums
15 rouges qui n’avaient pas eu le temps de refroidir et qui fondaient la neige à mesure
qu’elle les couvrait… Ce sont des tours de celui-là…
Elle désignait, du coude, et menaçait du menton le siège altier, l’invisible lit de
justice de son ennemi, l’Est, que je cherchai par-delà les chaudes nues croulantes et
blanches du bel été…
20 - Mais j’ai vu bien autre chose ! reprenait ma mère.
-Autre chose ?…
Peut-être avait-elle rencontré, un jour, – montant vers Bel-Air, ou sur la route
de Thury, – l’Est lui-même ? Peut-être un grand pied violacé, la mare gelée d’une prunelle
immense avaient-ils, pour qu’elle me les décrivît, divisé les nuages ?…
25 -J’étais grosse de ton frère Léo, et je promenais la jument avec la victoria.
-La même jument que maintenant ?
Naturellement, la même jument. Tu n’as que dix ans. Crois-tu qu’on change de
jument comme de chemise ? La nôtre était alors une très belle jument, un peu
jeune, que je laissais quelquefois mener par Antoine. Mais je montais dans la
victoria, pour la rassurer.
30 Je me souviens que je voulus demander : « Pour rassurer qui ? » Je me retins, jalouse
de garder intactes la foi et l’incertitude d’une équivoque : pourquoi la présence de
ma mère n’eût-elle pas rassuré la victoria ?
- Tu comprends, quand elle entendait ma voix, elle se sentait plus
35 tranquille...
- Mais certainement, très tranquille, et tout étalée, en drap bleu entre ses deux
lanternes riches, à couronnes de cuivre découpées en trèfles… Une figure de
victoria tranquillisée… Parfaitement !
- Dieu, que tu as l’air bête en ce moment, ma fille ! … Tu m’écoutes ?
40 - Oui, maman…
TEXTE 2 : Colette, Sido, II, « Elle fut malade... » (1930), éd. Livre de poche, 2022
Elle fut malade, et il s’assit fréquemment près du lit. « À quelle heure ? Quel
jour seras-tu guérie ? Gare, si tu ne guéris pas ! J’aurai bientôt fait de ne plus vivre ! » Elle
ne supportait pas cette pensée d’homme, sa menace, son exigence sans merci. Pour lui
échapper, elle tournait de côté et d’autre sa tête sur l’oreiller, comme
elle fit plus tard pour secouer les derniers liens.
– Mon Dieu, Colette, tu me tiens chaud ! Se plaignait-elle. Tu remplis
toute la chambre. Un homme est toujours déplacé au chevet d’une femme. Va dehors !
Va voir s’il y a des oranges pour moi chez l’épicier… Va demander à M. Rosimond de
me prêter la Revue des Deux-Mondes… Mais marche doucement, le temps est orageux,
tu reviendrais en moiteur !…
Il obéissait, l’aisselle remontée sur sa béquille.
– Tu vois ? disait ma mère derrière lui. Tu vois cet air de vêtement vide
qu’il prend quand je suis malade ?
Sous la fenêtre, en s’en allant, il éclaircissait sa voix pour qu’elle l’entendît :
Ni inquiétude, ni jubilation, il a pris son parti de me voir mener cette vie bizarre,
irréelle : avoir vingt ans et plus, toujours sur les bancs de l’école. « Elle étudie pour être professeur.
» De quoi, les clients ne demandaient pas, seul compte le titre, et il ne se souvenait jamais. «
Lettres modernes » ne lui parlait pas comme aurait pu le faire mathématiques ou espagnol.
Craignant qu’on ne me juge toujours trop privilégiée, qu’on ne les imagine riches pour
m’avoir ainsi poussée. Mais n’osant pas avouer non plus que j’étais
boursière, on aurait trouvé qu’ils avaient bien de la chance que l’État me paie à ne rien faire de mes
dix doigts. Toujours cerné par l’envie et la jalousie, cela peut-être de plus clair dans sa condition.
Parfois, je rentrais chez eux le dimanche matin après une nuit blanche, je dormais jusqu’au soir. Pas
un mot, presque de l’approbation, une fille peut bien s’amuser gentiment, comme une preuve que
j’étais tout de même normale. Ou bien une représentation 20 idéale du monde intellectuel et
bourgeois, opaque. Quand une fille d’ouvrier se mariait 21 enceinte, tout le quartier le savait.
TEXTE 5 : François Rabelais, Gargantua
, extrait du « Prologue de l’auteur » (1535), éd. Belin-Gallimard
Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux (car c'est à vous, et à
nul autre,
que sont dédiés mes écrits), Alcibiade, au dialogue de Platon intitulé Le
Banquet, louant son précepteur Socrate, qui est sans discussion le prince des
Philosophes, dit, entre autres paroles, qu'il est semblable aux silènes. Les
Silènes étaient jadis des petites boîtes comme nous en voyons à présent dans
les boutiques des apothicaires, peintes au-dessus de figures comiques et
frivoles, comme des harpies, des satyres, des oisons bridés, des lièvres cornus,
des canes bâtées, des boucs volants, des cerfs attelés et telles autres figures
représentées à plaisir pour exciter le monde à rire. Tel fut Silène, maître du bon
Bacchus. Mais au-dedans on rangeait les drogues fines, comme le baume,
l'ambre gris, la cardamome, le musc, la civette, les pierreries en poudre, et
autres choses précieuses. Il disait que Socrate était pareil : parce qu’en le
voyant du dehors et en l’estimant par son apparence extérieure, vous n'en
auriez pas donné une pelure d'oignon, tellement il était laid de corps et de
maintien risible, le nez pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, simple
dans ses moeurs, rustique dans ses vêtements, pauvre de fortune, infortuné en
femmes, inapte à tous les offices de l'État, toujours riant, toujours buvant à la
santé d’un chacun, toujours plaisantant, toujours dissimulant son divin savoir.
Mais en ouvrant cette boîte, vous auriez trouvé au-dedans une drogue céleste et
inappréciable, un entendement plus qu'humain, une force d'âme merveilleuse,
un courage invincible, une sobriété sans pareille, un contentement assuré, une
assurance parfaite, un mépris incroyable de tout ce pour quoi les humains
veillent, courent, 20 travaillent, naviguent et bataillent tellement.
Texte 6, extrait du ch. 23 (1535), éd. Belin-Gallimard 2021
Le temps ainsi employé, lui frotté, nettoyé et avec des vêtements frais, tout doucement
ils retournaient et passant par quelques prés, ou autres lieux herbus, ils visitaient les arbres et
les plantes, les rapprochant des livres des anciens botanistes, comme Théophraste, Dioscoride,
Marinus, Pline, Nicandre, Macer et Galien, et ils en emportaient au
logis à pleines mains, dont était chargé un jeune page nommé Rhizotome, avec les houes,
pioches, serfouettes, bêches, tranchoirs, et autres instruments nécessaires pour bien
herboriser.
Arrivés au logis et pendant qu’on préparait le souper, ils répétaient quelque passage de
ce qui avait été lu, et passaient à table.
Notez ici que son dîner était sobre et frugal, car il y mangeait seulement pour refréner les
abois de l’estomac. Mais le souper était large et copieux. Car il en prenait autant qu’il en avait
besoin pour s’entretenir et nourrir. Ce qui est le vrai régime prescrit par l’art de bonne et sûre
médecine, bien qu’un tas de badauds médecins abrutis dans l’officine des sophistes
conseillent le contraire.
Durant ce repas on continuait la leçon du dîner, tant qu’il semblait bon, le reste du temps était
utilisé en propos tous cultivés et utiles.
Après avoir rendu les grâces, ils s’adonnaient à chanter musicalement, à jouer
d’instruments harmonieux, ou à ces petits passe-temps qu’on prend aux cartes, aux dés et aux
gobelets, et là ils demeuraient faisant grand chère, et se distrayant parfois jusqu’à l’heure de
dormir ; parfois ils allaient visiter les compagnies de gens lettrés ou de gens qui avaient vu les
pays étrangers.
En pleine nuit, avant que de se retirer ils allaient au lieu de leur logis le plus ouvert
pour voir la disposition du ciel, et là ils notaient les comètes – s’il y en avait –, les figures,
situations, aspects, oppositions et conjonctions des astres.
Puis, avec son précepteur, Gargantua récapitulait rapidement, à la mode des pythagoriciens,
tout ce qu’il avait lu, vu, su, fait et entendu au cours de la journée.
Alors ils priaient Dieu le créateur en l’adorant et en proclamant leur foi envers lui, le
glorifiant de sa bonté immense, et le remerciant de tout le temps passé, se
recommandaient à 29 sa divine clémence pour le temps à venir. Cela fait, ils se
reposaient.
TEXTE 7 : François Rabelais, Gargantua
, extrait du ch. 57 (1535), éd. Belin-Gallimard 2021
Toute leur vie était employée non selon des lois, statuts ou règles, mais
selon leur volonté et leur libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur
semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en
venait. Personne ne les éveillait, personne ne les forçait ni à boire, ni à manger,
ni à faire quelque autre chose. Ainsi l’avait
établi Gargantua. Dans leur règle il n’y avait que cette clause : « Fais ce que
voudras ». Parce que des gens libres, bien nés, biens éduqués, conversant dans
des compagnies honnêtes ont par nature un instinct, comme un aiguillon, qui
les pousse toujours à agir vertueusement et les retire du vice : ils le nomment
honneur. Quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et une
contrainte, ils détournent le noble zèle par lequel ils
tendaient librement à la vertu, vers la déposition et la rupture de ce joug de
servitude. Car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons
ce qui nous est refusé.
Par cette liberté, ils entrèrent dans une louable émulation de faire tout ce
qu’ils voyaient plaire à l’un d’eux. Si l’un ou l’une disait « Buvons », tous
buvaient. Si on disait
« Jouons », tous jouaient. Si on disait « Allons nous ébattre aux champs », tous y
allaient. Si
c’était pour la chasse au vol ou la chasse, les dames montées sur de belles
haquenées avec leur palefroi bien harnaché, portaient chacune sur leur poing
protégé d’un gant mignon, ou un épervier, ou un laneret, ou un émerillon ; les
hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient si noblement instruits qu’il n’y avait parmi eux personne qui
ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments harmonieux, parler cinq ou six langues
et composer dans ces langues aussi bien des vers que des discours bien liés.
Texte 8 : Jean de La Fontaine, Fables, « Les Médecins », V, 12, 1668 – Parcours « rire & savoir »
Les Médecins
Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade
Que visitait aussi son Confrère Tant-Mieux.
Ce dernier espérait, quoique son Camarade
Soutînt que le Gisant irait voir ses aïeux.
5 Tous deux s'étant trouvés différents pour lacure,
Leur Malade paya le tribut à Nature,
Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait : Il est mort, je l'avais bien prévu.
10 S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie.
TEXTE 9 : Molière, Le Malade imaginaire, I, 1 (1673)
ACTE PREMIER
Scène I.
ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire
avec des jetons ; il fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants. Trois et deux font cinq,
et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un
petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les
entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c’est que
ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui, mais,
monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas
écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit.
Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols, et vingt sols en langage
d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère
détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant
l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec
votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et
somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente- cinq sols. » Je ne me plains pas de
celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du
vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente
avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et
évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer ; il faut
vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs.
Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion
anodine et astringente, pour faire reposer monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. «
Plus, du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de monsieur, trente
sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus le clystère de monsieur réitéré le soir, comme
dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne
médecine, composée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de
monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols : je suis bien aise que vous soyez
raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié et dulcoré, pour
adoucir, lénifier, tempérer, et rafraîchir le sang de monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. «
Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de
limon et grenades, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant,
tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade :
contentez-vous de quatre francs. Vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font
dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres, quatre sols, six deniers. Si bien donc que de ce
mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois,
quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et l’autre mois il y avait
douze médecines, et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce
mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons,
qu’on m’ôte tout ceci. Il n’y a personne : j’ai beau dire, on me laisse toujours seul ; il n’y a
pas moyen de les arrêter ici. (Il agite une sonnette pour faire venir ses gens.) Ils n’entendent
point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin : point d’affaire. Drelin,
drelin, drelin : ils sont sourds. Toinette ! Drelin, drelin, drelin : tout comme si je ne sonnais
point. Chienne, coquine ! Drelin, drelin, drelin : j’enrage. (Il ne sonne plus, mais il crie.)
Drelin, drelin, drelin : carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela
un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin : voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin,
drelin : ah ! mon Dieu ! ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.
TEXTE 10 : Molière, Le Malade imaginaire, II, 5 (1673)
Cléante.
Hélas ! belle Philis,
Se pourrait-il que l’amoureux Tircis
Eût assez de bonheur
05 Pour avoir quelque place dans votre cœur ?
Angélique.
Je ne m’en défends point dans cette peine extrême :
Oui, Tircis, je vous aime.
Cléante.
10 Ô parole pleine d’appas !
Ai-je bien entendu ? Hélas !
Redites-la, Philis ; que je n’en doute pas.
Angélique.
Oui, Tircis, je vous aime.
15 Cléante.
De grâce, encor, Philis !
Angélique.
Je vous aime.
Cléante.
20 Recommencez cent fois ; ne vous en lassez pas.
Angélique. Je vous
aime, je vous aime ; Oui,
Tircis, je vous aime.
Cléante.
25 Dieux, rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde, Pouvez-vous
comparer votre bonheur au mien ?
Mais, Philis, une pensée
Vient troubler ce doux transport.
Un rival, un rival…
30 Angélique.
Ah ! je le hais plus que la mort ; Et
sa présence, ainsi qu’à vous, M’est
un cruel supplice.
Cléante.
35 Mais un père à ses vœux vous veut assujettir.
Angélique.
Plutôt, plutôt mourir,
Que de jamais y consentir ;
Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir !
40 Argan.
Et que dit le père à tout cela ?
Cléante.
Il ne dit rien.
Argan.
45 Voilà un sot père que ce père-là, de souffrir toutes ces sottises-là sans rien dire !
Cléante, voulant continuer à chanter.
Ah ! mon amour… Argan.
Non, non ; en voilà assez. Cette comédie-là est de fort mauvais exemple. Le berger Tircis est un
50 impertinent, et la bergère Philis une impudente de parler de la sorte devant son père. (À Angélique.)
Montrez-moi ce papier. Ah ! ah ! Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n’y a là que de la
musique écrite.
Cléante.
Est-ce que vous ne savez pas, monsieur, qu’on a trouvé, depuis peu, l’invention d’écrire les paroles
55 avec les notes mêmes ?
TEXTE 11 : Molière, Le Malade imaginaire, II, 6 (1673)
Texte 12 : Samuel Beckett, En attendant Godot (1952), Acte 1 – Parcours « Comédie & spectacle »
VLADIMIR — Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans
moi... (Avec décision.) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur.
ESTRAGON (piqué au vif) — Et après ?
VLADIMIR (accablé) — C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre côté,
à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers
1900.
ESTRAGON — Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
VLADIMIR — La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les
premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter.
(Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ?
ESTRAGON — Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR — Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de
m'écouter.
ESTRAGON (faiblement) — Aide-moi !
VLADIMIR — Tu as mal ?
ESTRAGON — Mal ! II me demande si j'ai mal !
VLADIMIR (avec emportement) — Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je
voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
ESTRAGON — Tu as eu mal ?
VLADIMIR — Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
ESTRAGON (pointant l'index) — Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner. VLADIMIR (se
penchant) — C'est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses
ESTRAGON — Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
VLADIMIR (rêveusement) — Le dernier moment... (Il médite.) C'est long, mais ce sera bon.
Qui disait ça ?
ESTRAGON — Tu ne veux pas m'aider ?
VLADIMIR — Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il 30 ôte
son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire ? Soulagé et en même
temps... (Il cherche)... épouvanté. (Avec emphase.) É-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde
dedans.) Ça alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le
remet.)
Enfin… (Estragon, au prix d'un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y
promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre s'il n'en est pas tombé quelque chose, ne trouve
rien, passe sa main à nouveau dans la chaussure, les yeux vagues.) — Alors ?
ESTRAGON — Rien.
VLADIMIR — Fais voir.
ESTRAGON — Il n'y a rien à voir.
VLADIMIR — Essaie de la remettre.
ESTRAGON (ayant examiné son pied) — Je vais le laisser respirer un peu.
VLADIMIR — Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le
coupable. (Il enlève encore une fois son chapeau, regarde dedans, y passe la main, le secoue, tape
dessus, souffle dedans, le remet.) Ça devient inquiétant. (Silence. Estragon agite son pied, en
faisant jouer les orteils, afin que l'air y circule mieux.)
TEXTE 13 : Arthur Rimbaud, « Cahiers de Douai » [1870],
Les Effarés
Les Effarés
Ma Bohême
Vénus anadyomène