Des DES LIENS SI FRAGILES
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Aperçu du livre
Des DES LIENS SI FRAGILES - Francine Laviolette
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Des liens si fragiles / Francine Laviolette
Nom : Laviolette, Francine, 1952- , auteure
Identifiants : Canadiana 20220031800 | ISBN 9782897838232
Classification : LCC PS8623.A8354 D47 2023 | CDD C843/.6–dc23
© 2023 Les Éditeurs réunis
Illustration de la couverture : Annie Boulanger
Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC
et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.
ReconnaissanceCanada.tifÉdition
LES ÉDITEURS RÉUNIS
lesediteursreunis.com
Distribution nationale
PROLOGUE
prologue.ca
Imprimé au Canada
Dépôt légal : 2023
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
Titre.jpgDe la même auteure
chez Les Éditeurs réunis
Le silence du passé, 2022
Dans les yeux de Laurence, 2020
À ma mère…
« Une petite rébellion
de temps en temps,
c’est comme un orage
qui purifie l’atmosphère. »
Thomas Jefferson
« Si les oiseaux ont besoin d’amour,
pourquoi pas les enfants ? »
Paolo Noël
Note de l’auteure
Il n’y a rien de plus insistant qu’un personnage de fiction qui, après le point final, s’obstine à ne pas vouloir disparaître de l’imaginaire d’un auteur.
Peu de temps après la publication de mon second roman Le silence du passé, Émilienne, Fleurette et Clémence sont revenues hanter mes pensées. Faisant fi du moment de la journée ou de mes préoccupations, elles m’ont implorée de les écouter, car elles venaient me confier de lourds secrets. Incapable de fermer les yeux sur ce cri du cœur, j’ai succombé aux revendications de ces trois femmes inspirantes qui s’apprêtent à vivre de grands bouleversements.
Alors, je vous invite à me suivre dans ce nouveau récit où l’amour et la haine se côtoient.
1
Sous la brise insistante, les pétales blanc crème des cerisiers en fleurs valsaient entre les tombes comme des milliers de flocons duveteux. C’était le 11 mai 1966. Ce jour marquait le dixième anniversaire de la mort de Rosaire Cardin. Et, comme chaque année, en ce jour précis, Émilienne rendait visite à son tendre époux pour lui confier ses secrets. Elle s’approcha du monument de granit et y posa sa main. Malgré le soleil qui l’inondait, il était d’une telle froideur qu’un frisson la fit tressaillir. Elle s’accroupit doucement. Le geste provoqua un craquement sec au niveau de ses genoux.
— Ayoye donc ! Maudite vie sale ! se lamenta la veuve.
Elle fouilla du regard les alentours pour s’assurer que personne n’avait entendu ces vilains mots.
— S’cuse-moi, Rosaire, ça a sorti tout seul. Fais-toi z’en pas, j’suis pas venue me plaindre de mes rhumatismes. J’suis venue te dire que c’est ben gros difficile, depuis que t’es plus là, à mes côtés. Tu me manques tellement, mon bon Rosaire ! À’ maison, j’ai l’impression que j’ai plus ma place. Tu sais, Fleurette, est ben fine, mais a s’impose. Pis moi, ben, tu sais que dans le temps, j’aimais ben gérer le quotidien à ma manière, ça fait que, elle pis moi dans’ même maison, ben ça fait des flammèches pas mal souvent, ouais… pas mal trop souvent. Tu sais, elle a sa manière à elle d’élever ses p’tits. Moi, j’vois pas ça de même pantoute… Tu devrais voir ça, Rosaire ! De nos jours, y a plus de discipline. Les jeunes, y font c’qu’ils veulent pis si y s’font refuser quelque chose, ben, c’est la crise. Pis j’peux te dire qu’y gagnent pas mal à chaque fois. C’est le monde à l’envers. Une chance que t’es mort…
Ses paroles avaient dépassé sa pensée. Honteuse, elle se reprit :
— Oh mon Dieu Seigneur, Rosaire, c’est pas ça que j’voulais dire, pardonne-moi, mon homme. C’que j’voulais dire, c’est qu’une chance que tu vois pas ça. C’est vrai que toi, t’aurais pas dit un mot, t’étais tellement doux avec les enfants… Du bon pain, ouais, du bon pain, c’est c’que l’monde disait de toi au village.
Émilienne sortit un mouchoir de sa manche et épongea les larmes qui glissaient sur ses joues. Puis elle se moucha un bon coup avant de replacer le carré de tissu dans sa manche.
— Pis sais-tu quoi, Rosaire ? poursuivit-elle à voix feutrée après avoir jeté un bref coup d’œil pour s’assurer qu’elle était toujours seule, y a des jours où j’me dis que j’devrais partir moi avec. Ben, j’veux pas dire mourir. J’veux dire partir de chez nous. Mais je sais pas où aller, tu sais comme moi que le village est pas grand. Même si j’connais à peu près tout le monde, y a pas personne qui va accueillir une vieille grincheuse comme moi. Parce que oui, toi, tu le sais que j’suis chialeuse pis haïssable. Pis j’ai ben peur que ça s’améliorera pas en vieillissant.
La dame fut soudain distraite par un mouvement qui attira son regard. Un renardeau en quête de sa pitance s’était faufilé sous la clôture qui ceinturait le cimetière. Flairant sa proie, il se cambra et, bondissant dans les airs, il plongea la tête la première dans le terrier où se cachait un petit mulot. Émilienne savoura le spectacle avec délice. Puis, voyant l’heure avancer, elle mit un terme à sa visite :
— Bon, faut que j’te laisse, j’ai mon jardin à semer si j’veux avoir des légumes avant que les frettes reviennent. J’t’ai apporté un petit bouquet d’iris. C’est tout ce que j’ai pu trouver su’l terrain, mais j’ai choisi les plus beaux. Oh, j’te vois venir, tu vas me dire que tu détestes ça, les fleurs, mais moi j’trouve qu’un monument sans fleurs devant, c’est triste comme un jour sans pain. D’ailleurs, t’inquiète pas, le bon Dieu va se charger de les arroser.
Elle déposa soigneusement la gerbe au pied du monument, puis se redressa dans un gémissement de douleur. Du bout des doigts, elle effleura les mots gravés sur l’épitaphe avant de murmurer :
— Je t’aime, mon homme…
Émilienne quitta le cimetière, envahie par un grand mal-être. Sur le chemin du retour, elle croisa Eugénie Rousseau, la propriétaire d’une maison de chambre au village. Celle-ci profita de cette occasion pour amorcer la discussion :
— Madame Cardin, comment allez-vous ? Vous êtes chic and swell à matin. Avez-vous une occasion spéciale à célébrer aujourd’hui ?
— Bonjour, madame Rousseau, répondit distraitement Émilienne, encore ébranlée par l’émotion. Ben, pour tout vous dire, ça a fait dix ans aujourd’hui que mon mari est décédé pis j’viens d’aller lui rendre une petite visite au cimetière.
— Oh mon Dieu, oh… je m’excuse, je… je pensais pas… J’vous dis, des fois, j’ai vraiment pas d’allure avec mes questions plates. Y me semblait pas que ça faisait si longtemps que vot’ mari est parti.
— C’est correct, madame Rousseau, vous êtes pardonnée, la rassura Émilienne, en lui tapotant l’épaule.
— Le temps nous attend pas, hein ! poursuivit la logeuse. Mais dites-moi donc, comment va votre gendre, Pierre… euh… j’me souviens plus de son nom de famille…
— Bourgeois. Bah… J’imagine qu’y va ben. Vous savez, depuis qu’il est parti travailler dans le Grand Nord avec ma fille pis leurs trois enfants, on a des nouvelles à’ miette, s’indigna Émilienne. C’est pas des écriveux, vous savez. Ça fait que j’en sais pas plus qu’y faut. J’ose croire que tout va bien pour eux autres. Comme on dit souvent, pas de nouvelles, bonnes nouvelles…
— J’sais pas si vous l’aviez su, mais c’est chez moi que votre gendre est venu trouver refuge quand y est arrivé à Sainte-Anne-de-la-Rive. C’était au printemps 61 si j’me trompe pas. J’l’ai tout de suite trouvé aimable pis surtout ben d’adon avec le monde. D’après mes souvenirs, il avait offert à déjeuner à un pauvre gueux affamé. J’me rappelle de cet homme comme si c’était hier, y faisait tellement pitié que…
Émilienne n’écoutait plus son interlocutrice. Un nœud poignant lui serrait la gorge. Déjà qu’elle venait tout juste de quitter la sépulture de son mari, l’image de son père, Étienne Desfossés, lui était imposée, faisant ressurgir des émotions déchirantes. Pour s’éviter des tourments inutiles, elle détourna la conversation :
— Écoutez, madame Rousseau, j’aimerais ben vous jaser plus longtemps, mais j’ai les semailles qui m’attendent à maison, ça fait que j’vous laisse le bonjour.
— Oh, pardonnez-moi, j’vous retarde dans vot’ besogne. Alors, j’vous dis à bientôt, madame Cardin, ça m’a fait vraiment plaisir de vous parler pis peut-être qu’une prochaine fois, on prendra le temps de…
— Oui, ça me ferait plaisir, au revoir !
Émilienne pressa le pas pour entreprendre ses semis avant que le soleil de midi ne se fasse trop insistant. Sur son chemin, elle repensa à l’invitation de la logeuse.
C’t’e femme-là me plaît. J’sens que j’pourrais lui faire confiance. Une bonne fois, si l’occasion se représente, je pourrai peut-être lui jaser plus longtemps…
Arrivée à la maison, elle monta à sa chambre pour changer de vêtements puisque depuis dix ans, tous les 11 du mois de mai, elle endossait sa plus belle robe pour aller rendre visite à son mari, comme elle l’avait fait le jour même de sa mort. Après avoir rangé son linge du dimanche dans la penderie, elle s’étira et saisit le petit coffre de bois que Rosaire lui avait fabriqué de son vivant et qui trônait sur la tablette du haut à côté de sa boîte à chapeau. Elle en souleva le couvercle à l’aide de la délicate poignée que Rosaire avait sculptée dans un petit tronçon de bouleau déniché à Wabakin Station, lors de leur voyage à La Sarre, en Abitibi. Cette observation lui fit penser à son père : Moi qui croyais trouver toutes les réponses sur ton étrange disparition en allant à La Sarre. Dire que tout ce temps-là, t’étais tout près d’ici et avais horriblement besoin de moi. On aura eu au moins trois belles années à partager nos joies et nos peines…
Elle déposa sa montre dans le coffret et le referma avec précaution. Après avoir enfilé un vieux pantalon de fortrel et un chandail en coton délavé, elle descendit l’escalier en se soutenant fermement à la rampe pour épargner ses genoux fragilisés. Scout dormait près de l’âtre. Après treize années de loyaux services envers la famille qui lui avait jadis sauvé la vie, dormir était devenu l’activité par excellence du vieux golden retriever. Le craquement des marches le tira toutefois de son sommeil. Il ouvrit un œil, inquiet. Voyant sa maîtresse attraper son chapeau de paille accroché derrière la porte donnant sur le jardin, il bondit sur ses pattes en fixant sa laisse. Il connaissait très bien la signification de ce geste routinier.
— Tu viens, Scout ? Oh, pas besoin de ta laisse, cette fois, on s’en va juste au jardin, lui précisa la dame en chaussant ses sabots.
Le chien fila dès qu’une ouverture vers la cour lui en laissa la chance. Respectant la même routine quotidienne, il arpenta tout le périmètre du terrain. Après s’être assuré qu’aucun intrus n’avait foulé son espace, il dénicha un petit coin ombragé au pied du gros tilleul pour s’assoupir.
— Bon chien ! le complimenta la sexagénaire. On n’est plus des p’tites jeunesses, nous deux, hein ! Oh, tu peux être sûr que si j’avais plus de temps, j’me la coulerais douce comme toi, mon vieux compagnon.
Appuyée à la rambarde, Émilienne s’extasia devant la talle de pétunias qui s’épanouissaient au pied de l’escalier. Après avoir descendu lentement les marches, elle se pencha et en inspira profondément le parfum, remerciant Dieu pour ce moment privilégié, puis elle prit la direction du potager.
Agenouillée sur un coussinet en cuirette pour protéger ses articulations, elle traça deux sillons bien droits sur la terre fraîche. Dans un geste méticuleux, elle éparpilla les minuscules semences de carottes tout le long de la rigole improvisée. Elle fit de même avec les graines de radis, plus faciles à disposer parce qu’elles étaient beaucoup plus grosses. Fleurette, qui revenait de l’école avec les enfants pour le dîner, trouva sa mère accroupie dans le potager. Elle s’en approcha pour constater ce qu’elle redoutait.
— M’man, voyons ! Qu’est-cé que tu fais à quatre pattes dans le jardin ? Tu vas te faire un tour de reins.
— Eille ! Lui, y a quatre pattes, moi, j’en ai juste deux, grogna la dame en évoquant son chien d’un geste de la tête. Pis j’suis pas encore à l’article de la mort, ma fille, tu sauras. J’suis encore capable de faire mes journées.
— Je l’sais, c’est pas la question, mais avec la chaleur qui fait, t’aurais pu perdre connaissance, pis toute seule en plusse… J’ose même pas imaginer. Tu trouves pas que t’ambitionnes un peu ? Lève-toi de là, j’vas finir le reste. D’ailleurs, y arrive midi…
Émilienne, surprise de constater que le temps lui avait coulé entre les doigts, s’excusa :
— Pas déjà midi ! Seigneur ! J’étais concentrée sur mon ouvrage, j’ai pas vu le temps passer. J’vas drette là mettre la soupe à chauffer. Ça va être prêt dans deux minutes, le temps de me nettoyer les ongles pis de mettre du linge propre.
— Non, laisse faire, m’man, j’termine tes semis pis j’m’occupe de la soupe. Va plutôt te reposer un peu à l’ombre en attendant. T’as la face toute rouge !
Émilienne, sage, se dirigeait vers la balancelle lorsque Philippe arriva pour dîner. Depuis qu’il avait acheté le magasin général du père Loiseau, il se la coulait douce en allant dîner chez lui les midis, quand son horaire le lui permettait. Voyant sa belle-mère, il l’interpella :
— Tiens, belle-maman ! On se prend du bon temps dans la balançoire, à ce que je vois ? Vous faites ben, profitez-en. Si j’pouvais, j’ferais pareil.
— C’est pas ma décision, grogna la vieille dame. C’est Fleurette qui m’a mis à’ porte. Elle pense que j’ai quatre-vingt-dix ans. Y a pu moyen de faire un pas de travers que j’me fais enfirouaper par ta femme. Pis là, est pas de bonne humeur parce que le dîner est pas prêt. Elle a oublié que ça fait dix ans aujourd’hui que son père est mort… C’est ben pour dire, hein, après qu’on est parti, on est pus rien pour personne ; on tombe dans l’oubli dans le temps de l’dire.
— Dites pas ça, belle-maman, venez-vous-en, on va rentrer. Ça commence à sentir bon, vous trouvez pas ?
— J’te rejoins dans deux minutes, j’vas aller serrer la bêche et mes gants dans le hangar pis j’vous rejoins.
Philippe entra dans la cuisine. Rosalie et son petit frère, attablés, mordaient déjà dans un épais sandwich au jambon garni d’une tranche de fromage et d’une feuille de laitue.
— Tiens, te v’là, mon chéri ! s’exclama Fleurette. Assis-toi, j’t’apporte ta soupe.
— Merci, ma belle fleur ! Ta mère s’en vient, est allée serrer ses outils.
— M’man est pas facile, ces temps-ci, soupira l’épouse. A file un mauvais coton. A prend toute de travers. Pas moyen d’y dire quoi que ce soit, a grimpe dans les rideaux à la moindre petite affaire.
— Faut pas trop y en vouloir. J’pense qu’elle s’est jamais remise de la mort de ton père.
— P’pa me manque beaucoup, moi aussi, ben plusse que tu penses. Mais va falloir que m’man en revienne un jour parce que j’accepterai jamais que son comportement nuise à notre bonheur. P’pa aurait jamais voulu ça.
— Où tu veux en venir ? Moi, j’trouve qu’y va ben, notre ménage. Aurais-tu des affaires à me reprocher ?
— Ben, ces temps-ci, j’ai l’impression d’être toute seule dans mon camp. M’man veut toute gérer dans maison pis toi, tu prends sa part quasiment à chaque fois.
— C’est là que tu t’trompes. Moi, quand j’fais ça, c’est juste pour calmer la tempête. Toi pis ta mère, vous êtes aussi boquées l’une que l’autre. Avoue que tu détestes pas ça l’étriver, toi non plus. Dans ce temps-là, j’aime mieux amener la conversation ailleurs avant que ça vire en affrontement.
Pendant que Philippe tentait d’expliquer son comportement envers sa belle-mère, Fleurette n’écoutait plus, mais cherchait plutôt à se rappeler un épisode où elle et sa mère s’étaient disputées.
— Tu vois, par exemple, elle tient mordicus à s’occuper du dîner tous les jours. Là, tantôt, j’arrive ici pis j’la retrouve accroupie dans le jardin. J’ai été obligée de courir pour mettre la table pis tout préparer. Ça peut pus marcher de même.
— Ben, parlez-vous, bonyeu ! Tu sais, c’est en se confiant qu’on…
— Pantoute. Quand moi j’y parle, y a rien qui a de l’allure. Toi, par exemple, aussitôt que t’ouvres la bouche, c’est comme si c’était le bon Dieu qui y parlait.
— Changement de propos, te souviens-tu que ça fait dix ans aujourd’hui, que ton père est mort ? Je l’sais parce que ta mère m’a dit qu’elle revenait du cimetière, ça a dû remuer des souvenirs douloureux dans son cœur, faut la comprendre.
Fleurette figea. Elle avait oublié. Son regard exprima un grand malaise. Peu importe les excuses qu’elle allait apporter, elle les savait d’avance pitoyables.
— Câline, c’est vrai, on est le 11, aujourd’hui. Argh ! J’me sens stupide. Pauvre maman… Elle s’était sûrement réfugiée dans le jardin pour cacher sa peine. J’vas devoir aller m’excuser.
— Bon ben, astheure, si on mangeait ? conclut Philippe. J’suis un peu pressé parce que j’ai ramené une pièce du convoyeur à rouleau qui est cassée, pis j’voudrais avoir le temps de la réparer avant de retourner au magasin. C’était le bordel à’ matin avec les commandes à l’auto qui s’entassaient une dans l’autre pis l’convoyeur qui refusait de rouler. Fallait transporter les sacs pis les boîtes à bras jusque dans le back-store.
— Tiens, v’là ton assiette, mon homme. Les enfants, dépêchez-vous de manger, l’école recommence dans une demi-heure. Coudon, qu’est-cé qu’a fait, m’man ! Elle t’a pas dit qu’elle s’en venait, tantôt ? s’enquit Fleurette auprès de son époux.
— Ben oui, c’est ça qu’a m’a dit. Attends, j’vas aller voir c’qu’a brette.
Rosalie avait déjà vidé son assiette tandis que Charles-Étienne tentait de refiler ses croûtes à son compagnon à quatre pattes lorsque Philippe fit irruption dans la cuisine. Il soutenait sa belle-mère dont le visage était maculé de sang.
— Fleurette, vite ! Apporte-moi de la ouate pis de quoi faire un pansement, j’amène ta mère chez le docteur, elle s’est fendu le front.
— Seigneur, m’man ! Comment t’as faite ton compte ? questionna Fleurette.
— Mêle pas le Seigneur là-dedans, ragea Émilienne en dévisageant sa fille, c’est toi qui as laissé traîner le râteau su’l bord de la porte du hangar. En passant, j’ai mis le pied dessus, pis j’ai pus rien vu après ça à part des étoiles. C’est Philippe qui m’a ramassée à terre. Si t’avais serré le râteau, la dernière fois, ça serait pas arrivé.
— Ben oui, comme toujours, c’est encore de ma faute, fallait que…
— Fleurette ! l’interrompit son mari, c’est pas l’temps de régler vos bibittes, ta mère perd beaucoup de sang. J’l’embarque dans l’char pis j’file chez le docteur.
Fleurette, demeurée seule, pantoise, se sentait coupable une fois de plus d’être à l’origine d’une discorde. De plus en plus souvent, elle se prenait à rêver que sa mère annonçait son départ pour s’établir ailleurs. Puis, la seconde suivante, elle éprouvait déjà des remords, car au fond de son cœur, elle aimait tendrement sa mère.
* * *
Le dimanche suivant, Émilienne, haletante, transpirait à grosses gouttes. Ses organes internes bouillonnaient comme la soupe aux lentilles qu’elle humait avec délectation. Saisissant un coin de son tablier, elle épongea la sueur qui perlait sur son front avant que celle-ci ne dégouline dans son chaudron. Elle tamponna délicatement les quatre points de suture effectués de main de maître quelques jours auparavant par le jeune docteur Louis Letendre.
— Bon sang ! J’suis donc tannée d’avoir des chaleurs ! J’ai soixante ans pis j’en ai toujours autant qu’avant.
Pourtant, la raison de ce brusque malaise était qu’Émilienne avait encore à l’esprit le regard enjôleur d’Ovila Ouellet à son égard pendant le service religieux. Elle refusait toutefois d’admettre ce petit plaisir coupable.
— Si y pense m’amadouer avec ses minoucheries, y peut ben aller se rhabiller, le vieux maquereau, murmura-t-elle.
Voyant l’heure avancer, elle se secoua les puces :
— Bon, arrête de te lamenter, Émilienne, l’ouvrage se fera pas tout seul.
Debout depuis l’aurore, elle avait assisté, comme tous les dimanches, à l’office de sept heures et demie. Cet horaire lui convenait parfaitement puisqu’elle avait ensuite tout le temps nécessaire pour préparer le dîner sans se presser. Elle attendait le retour de Fleurette qui, elle, préférait aller à la messe de onze heures avec Philippe et les enfants, lorsqu’elle entendit les cloches sonner l’angélus.
— Doux Jésus ! Y vont arriver dans la minute pis la table est pas encore mise.
Émilienne tassa le chaudron de soupe aux lentilles et sortit sa grande poêle de fonte dans laquelle elle fit rôtir d’épaisses tranches découpées dans une fesse de porc. Des patates bouillaient dans une casserole tout à côté. Elle prit ensuite la nappe de semaine qu’elle secoua d’un geste vif et précis au-dessus de la table. Ustensiles, bols à soupe et assiettes prirent leurs places respectives en un quart de seconde.
— Bon ! Ça y est, tout est prêt. Astheure, si y peuvent arriver avant que l’porc revire en semelle de botte.
La dame au visage rougi par un problème de haute pression alla s’asseoir quelques minutes dans sa berçante, le temps de reprendre son souffle, mais le tic-tac régulier de l’horloge l’emporta dans un sommeil impromptu. Soudain, des cris l’extirpèrent brusquement de sa léthargie.
— T’as pas le droit de croquer l’hostie. Y a juste le prêtre qui a le droit de le faire, affirma Rosalie avec conviction.
— C’est même pas vrai. Ma maîtresse nous a dit qu’on peut la croquer si on veut, s’obstina Charles-Étienne, parce que le bon Dieu est pas là pour vrai. C’est juste son esprit qui est dedans.
— Maman, c’est vrai, hein, qu’on n’a pas le droit de la croquer parce que c’est le cœur de Jésus pis…
— Bon, ça suffit, vous deux ! Arrêtez de vous astiner pis allez vous laver les mains, on va dîner.
Émilienne, déstabilisée par un réveil trop brusque, se leva et s’approcha pour prendre sa place à table. Insidieusement, elle sentit l’émergence d’une sévère migraine. Il n’en fallait pas plus pour déclencher les prémices d’un imminent chaos.
— M’man, y reste pus d’orangeade, fit Charles-Étienne en fouillant dans le réfrigérateur.
— Regarde avec tes yeux, mon grand. J’ai acheté une caisse de liqueur Populaire la semaine passée. Ça se peut pas qu’y en reste plus.
Le jeune garçon scrutait les tablettes une à une, en vain. Émilienne, pendant ce temps, prenait son repas en tentant de faire oublier sa présence.
— Ben, j’ai regardé comme y faut avec mes deux yeux pis y a juste de la bière de pinette, s’écria le garçonnet.
— On dit de la bière d’épinette, fiston. Si y en reste pus, prends une autre sorte, mais viens t’asseoir pis finis de manger, commanda Philippe, qui détestait les repas qui s’éternisaient à cause de futilités.
Fleurette se souvint que, la veille, elle avait entendu des pas au rez-de-chaussée juste avant de s’endormir. Elle se tourna vers sa mère, grande consommatrice de liqueur douce :
— M’man, aurais-tu fini la dernière bouteille d’orangeade ?
— Ça se peut, répondit sèchement la sexagénaire, prête à défendre ses droits.
Sentant monter l’exaspération, Fleurette ne put s’empêcher de rétorquer :
— M’man, j’aimerais ça que tu laisses l’orangeade aux enfants. On a acheté du cream soda exprès pour toi parce que c’est ta sorte préférée. Pis tu peux l’écrire sur mon petit papier de commande quand y en reste pus, c’est pourtant pas si compliqué. J’peux pas deviner, moi, quand y a pus de quelque chose.
— Eille ! J’suis pas la seule qui boit de la liqueur ici. Tes enfants boivent ça comme si c’était de l’eau. À cet âge-là, c’est du lait que vous buviez, vous autres. Tes enfants sont en pleine croissance, y ont besoin de lait pour leurs os, pas de liqueur…
— C’que j’donne à mes enfants, c’est de mes affaires. Pis du lait, y en boivent en masse. Les temps ont changé, m’man. Pis les mœurs aussi. Pis j’aime pas que tu me dises ce que moi, j’dois faire avec mes p’tits.
— C’est pas grave, belle-maman, tempéra Philippe, j’vas aller vous en acheter tantôt.
Heurtée par les propos de sa fille, Émilienne se leva promptement. Un élancement douloureux la força à poser la main sur son genou pour tenter de soulager sa douleur. Puis, elle attrapa son tricot et sortit sur la galerie pour atténuer la colère qui la submergeait. Quelques instants plus tard, Fleurette alla la retrouver dans la balançoire.
— M’man, je m’excuse. Tu me fais une p’tite place à côté de toi ?
Émilienne se tassa sans rien ajouter.
— M’man, c’est pas toujours facile, la vie à plusieurs, hein ? Mais j’veux que tu saches que j’apprécie que tu sois là, avec nous autres, même si des fois, t’as du mal à le croire.
Émilienne soupira, puis d’une voix chevrotante, elle lui confia :
— Une chance, parce que j’sais pas c’que j’ferais sans vous autres pour meubler mes jours. Ils me paraissent si longs, des fois…
— Papa te manque beaucoup, hein ?
— Tu imagines même pas à quel point…
— Moi aussi, y me manque. J’y pense encore ben souvent, tu sais. Te rappelles-tu comment on riait quand il imitait Ovila Ouellet, le garagiste au village qui sifflait quand il parlait ? C’était à cause de ses dents manquantes. P’pa nous faisait ben rire avec ça. Mais il avait aucune méchanceté envers son meilleur ami.
Émilienne dissimula à sa fille qu’Ovila Ouellet lui avait longtemps tourné autour, mais sans jamais aller plus loin par égard pour Rosaire, son grand ami de toujours. Pour dire vrai, cette petite séduction lui plaisait tout de même un peu.
— Oui, c’était le bon temps, fit-elle en reprenant son tricot.
Ce geste clair signifiait la fin de la conversation. Au même instant, Philippe apparut sur la galerie.
— J’m’en vas au dépanneur chercher de la liqueur.
— P’pa, attends-moi ! cria Charles-Étienne en entendant la voix de son père. J’peux-tu y aller avec toi ? J’veux acheter un paquet de cartes de hockey. Mon ami à l’école m’a dit qu’y en a des nouvelles de Jean Béliveau pis Henry Richard.
— T’as-tu des sous, mon grand ?
— Ben oui, grand-maman m’a donné dix cennes, annonça-t-il fièrement en exhibant sa pièce à main levée.
Émilienne profita du moment :
— Si t’étais fin, en même temps, mon beau Philippe, voudrais-tu m’acheter une palette de Oh Henry! ? C’est pour ma dent sucrée, se justifia la dame. Pour te remercier, à’ soir, j’vas te concocter une bonne fricassée avec le restant du porc pis aussi des petites patates brunes comme tu les aimes.
— Belle-maman, pas besoin de faire tant de samarsettes, j’vas vous apprécier pareil, vous savez.
Philippe avait encore une fois attiré sur lui toute la bienveillance de sa belle-mère. Fleurette, qui avait fait des efforts pour se rapprocher de sa mère, venait d’être balayée sous le tapis en un claquement de doigts. Pourtant, quelques minutes auparavant, elle avait réussi à flairer un début d’amnistie entre les deux. Elle se leva et rentra.
Il a encore eu le beau rôle…
2
Revenu sain et sauf d’Asie de l’Est après avoir servi son pays au sein des Forces armées canadiennes, Louis Letendre avait ouvert depuis peu son bureau de consultation à Saint-Anne-de-la-Rive. Avec en poche un doctorat en médecine générale, il n’était pas peu fier de ses exploits, que ce soit au front ou dans sa vie en général. Après le départ du Dr Ulric Tellier, si apprécié des gens du village, un second médecin avait pris la relève, mais son caractère irascible et ses