Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Hooke Micrographia

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 51

La « Micrographia » de R.

Hooke,
ou les promesses de la technique
au service des sciences de la
nature.

avec la première traduction française de la première


observation de « cellules »

R. Raynal

Pr. de biologie et géologie,


Dr de l’université de Toulouse

Œuvre libre & gratuite – Licence de libre diffusion CC-by-nc


Désirant qu’un nombre maximum de personnes ait ac-
cès à ce petit travail, ce dernier, libre et gratuit, est placé
sous licence Creative commons CC by nc. Vous êtes donc
libre de l’utiliser et de le modifier à la seule condition de
citer sa provenance, sans utilisation commerciale.

Pr. Dr. R. Raynal

Table des matières


En guise de préface ............................................................. 4
Qui était Robert Hooke ? .................................................... 8
MICROGRAPHIA ............................................................. 27
Extraits de la préface de « Micrographia » ............................... 28
Observ. XVIII. De la structure ou de la texture du liège, et des
cellules et les pores de certains autres organismes lacunaires. 34
La place de l’observation 18 dans Micrographia : comment
Hooke confirme l’origine biologique des fossiles par les
« cellules » qu’il découvre dans le liège. .................................... 44

Bibliographie..................................................................... 48
Annexes ............................................................................. 49

–3–
En guise de préface

Au début, je désirais juste procurer aux professeurs du


secondaire une traduction du texte de Hooke décrivant,
comme cela est noté dans de nombreux manuels, la pre-
mière observation d’une cellule. J’ai en effet découvert que,
comme nombre d’autres scientifiques anglais de son
époque, il n’existait aucun ouvrage en français traitant de la
vie et de l’œuvre de Hooke, lui qui pourtant fut le « Léonard
de Vinci anglais », comme l’appelle le professeur et Histo-
rien des Sciences Allan Chapman.
Ce manque de textes fondateurs accessibles en français
ne m’a pas surpris, puisque même Darwin n’avait pas été
traduit complètement dans notre langue jusqu’à ce que
j’entreprenne la traduction, toujours en cours, des 5 vo-
lumes de la « Zoologie du voyage du Beagle ». On
m’objectera que les spécialistes désirant utiliser ces textes
ont tous une bonne connaissance de l’anglais. Outre que ce-
la n’est, hélas, pas toujours exact, ce n’est parfois pas le cas
de nombre de professeurs qui souhaiteraient disposer d’un
texte « authentique » de l’histoire des sciences, d’une
grande importance, qui soit immédiatement accessible à
leur compréhension et facilement adaptable par leurs soins
à l’intention de leurs élèves ou étudiants.
J’ai donc traduit, transcrit même, l’article de « Micro-
graphia » décrivant les premières cellules. Ce faisant, je l’ai

–4–
un peu commenté. Puis je me suis dit qu’il pourrait être
utile, également, de lire la préface de cet ouvrage fondateur
afin de cerner les intentions de Hooke. Cette lecture m’a
conduit à en traduire de larges extraits, reproduits et com-
mentés ici. Cette préface est peut-être plus importante à nos
yeux modernes que les observations du livre entier, car elle
constitue un véritable manifeste en faveur de la démarche
expérimentale en sciences. J’ai ensuite songé qu’il serait né-
cessaire, vu le manque de données en Français sur le per-
sonnage, de présenter brièvement Hooke : ce qui devait être
un simple paragraphe est alors devenu une notice biogra-
phique d’une dizaine de pages. C’est, à ma connaissance, la
seule aussi complète (malgré ses énormes lacunes) qui soit
disponible en français.
Il apparaitra alors que Hooke, malgré une réputation
détestable et une mauvaise image dans notre pays (pour
ceux qui en ont entendu parler), a été un des premiers, si ce
n’est le premier, « ingénieur d’études » scientifiques, et qu’il
a contribué à montrer, en construisant et en inventant
nombre de dispositifs expérimentaux et d’instruments,
combien science et technique sont un couple indissociable,
aucun ne pouvant progresser sans le secours de l’autre.
Cette importance donnée à la technique préfigure la révolu-
tion industrielle à venir, qui prendra racine dans le terreau
anglais, fertilisé par cette « nouvelle science » et les ma-
chines qui vont en découler. Il apparaitra aussi qu’il a joué
un rôle précurseur dans le changement du statut des fos-
siles, contribuant à faire passer ces derniers du stade de
simples curiosités purement minérales à celui de traces de
formes de vies disparues.
Les 60 articles qui composent la Micrographia permet-
tent de montrer l’étendue des recherches de Hooke et les
proportions respectives de ses centres d’intérêt. Si l’on éta-

–5–
blit ces proportions, on découvre que le contenu de
l’ouvrage, selon nos termes modernes, se compose de :
* 45 % de Zoologie (10 articles sur des organes ou des
membres d’animaux, 16 sur les insectes et les acariens)
* 22 % de botanique (13 articles sur des organes végétaux,
dont 5 sur des graines, et l’article sur les cellules du liège).
* 15 % de Physique (dont la moitié concerne la lumière et
les couleurs)
* 7 % de géologie
Les 11 % restant se répartissent entre l’astronomie (2
articles), les champignons et moisissures (2 articles) et les
objets du quotidien (aiguilles, rasoir, tissus…). Toutefois, ce
décompte est quelque peu artificiel, Hooke n’hésitant pas,
dans un même article, à intégrer des éléments très dispa-
rates. Ainsi, l’article sur le tranchant des rasoirs comporte
aussi des considérations sur le polissage des lentilles, et au-
rait pu être relié à ses préoccupations en optique pratique…
Il ne faut pas se laisser abuser par l’aspect « bric-à-brac »
des sujets étudiés par Hooke. En effet, ce dernier ne s’est
pas contenté de mettre sous l’objectif de ses microscopes
tout ce qui lui passait sous la main : il a organisé son œuvre
comme une révélation, une porte ouverte non seulement sur
l’infiniment petit, analogue à celle ouverte 55 années plus
tôt par Galilée dans le Sidereus Nuncius vers l’infiniment
grand ; mais aussi vers les interrogations fondamentales de
la science de son temps : la lumière, l’air, les combustions, la
nature des fossiles… sont donc nécessairement autant de
sujets abordés dans son inclassable ouvrage.

–6–
Il est étonnant de voir combien les réactions et les ten-
tatives des élèves découvrant pour la première fois le mi-
croscope sont semblables aux choix de Hooke, les supports
de la curiosité humaine n’ayant que peu varié en 4 siècles.
Que regardent, spontanément, si on les laisse faire, des
élèves de sixième au microscope ? Leurs cheveux, du tissu,
un malheureux insecte s’il en vient un à passer à leur portée,
la pointe de leurs crayons… tous objets qui, avant eux,
émerveillèrent le Curateur de la Royal Society voici presque
350 ans…
C’est, entre autres, pour cela que je crois l’utilisation de
l’histoire des sciences si indispensable dans l’enseignement
de ces dernières. Il faut montrer que « la » science n’est pas
un ensemble d’immuables vérités désincarnées, mais une
dynamique qui, par delà les siècles et les millénaires, réunit
dans un projet commun ceux et celles qui s’interrogent sur
le monde qui les entoure. Des yeux gris de Hooke dessinant
fébrilement ce qu’il découvrait dans un microscope donnant
des images sombres et indistinctes aux grands yeux de
l’élève de sixième découvrant avec étonnement l’aspect des
graduations de son équerre grossie une quarantaine de fois,
il n’y a pas qu’une parenté, mais aussi un projet, par delà les
siècles, d’une science humaine, très humaine…

R. Raynal, octobre 2011

–7–
Qui était Robert Hooke ?

Robert Hooke, né le 18 juillet 1635 à Freshwater, dans


l’île de Wright, était fils d’un ecclésiastique, le révérend
John Hooke. Enfant de santé fragile en une époque impi-
toyable où la médecine est de peu de secours, ses parents
pensent qu’il mourra rapidement, et se désintéressent donc
de son avenir. Cela permet à Hooke de laisser libre cours à
ses penchants pour la mécanique : il construit des jouets
animés, de petites machines, des répliques (dont celle d’une
horloge, qui fonctionne assez bien) et réalise des dessins
d’une grande qualité. Ayant survécu à son père mort en
1648, il utilise son héritage pour devenir apprenti portrai-
tiste à Londres.
Le jeune Robert, trop curieux pour s’investir dans ce
travail, s’inscrit au collège (la Westminster School). Son di-
recteur, le Dr Richard Busby, remarque les aptitudes excep-
tionnelles de ce nouvel élève, qu’il héberge et prend sous sa
protection avec un petit groupe d’élèves recevant un ensei-
gnement qui valorise la démarche scientifique. Hooke va y
apprendre le latin, le grec, la musique et les mathématiques.
À 17 ans, en 1653, il est admit à Oxford comme… choriste !
À Oxford, son habilité manuelle et son esprit inventif le
font remarquer de plusieurs professeurs : il est tout d’abord
l’assistant du médecin et anatomiste Thomas Willis. Il tra-
vaille de concert avec J. Wilkins sur les machines volantes,

–8–
démontrant que les muscles humains n’ont pas la puissance
nécessaire pour le vol, et commençant des recherches pour
trouver un dispositif susceptible de les remplacer ou de mul-
tiplier leur force, ce qui va l’amener à étudier l’élasticité de
différents corps. Hooke est surtout remarqué par le noble et
riche physicien et chimiste Robert Boyle. Hooke devient son
« assistant » : il le restera de 1655 à 1662. Cette fonction
combine celle d’un « agent de laboratoire » et d’un assistant
moderne : Hooke conçoit, construit, développe et réalise les
équipements nécessaires aux expériences et aux recherches
de Boyle. Ce faisant, il développe aussi ses propres centres
d’intérêt et ses propres recherches « techniques », dévelop-
pant des méthodes de construction et de fabrication
d’instruments scientifiques. Hooke est donc, dès le début,
un technicien en plus d’être un scientifique.
Boyle regroupe aussi autour de lui quelques scienti-
fiques constituant le « collège invisible », un groupe d’une
douzaine de scientifiques se réunissant de façon à partager
leurs connaissances, leurs découvertes et à se présenter pu-
bliquement leurs expériences. Hooke intègre ce « collège »
particulier, qui contribuera à former la Royal Society.
Oxford, dans un contexte politique troublé pour
l’Angleterre (Cromwell est mort en 1658, et des tensions op-
posent les partisans d’un absolutisme royal, dans la lignée
de Charles Ier, et ceux favorables à la monarchie parlemen-
taire), est le creuset d’une intense activité intellectuelle.
Hooke, qui politiquement est plutôt en faveur du roi, y ren-
contre les plupart des grands esprits du temps, dont les fu-
turs fondateurs de ce qui va devenir la Royal Society. Hooke
met au point pour Boyle la pompe à air avec laquelle ce der-
nier va étudier les influences du vide, et mettre en évidence
la loi de Boyle, a laquelle Hooke a probablement apporté un
concours actif, les deux hommes, de condition sociale très

–9–
différentes, partageant une mutuelle estime. La chose est
assez exceptionnelle pour être soulignée. Les expériences
pneumatiques de Boyle apportent à cet égard un exemple
bienvenu.
La pompe à air que Hooke a mise au point pour Boyle
s’inspire de celle inventée par Otto von Guericke quelques
années auparavant, en 1650, et qui a donnée lieu en 1654
aux fameuses expériences publiques des sphères de Magde-
bourg. C’est un instrument cher, complexe et difficile à utili-
ser, construit sur mesure pour les expériences de Boyle :
Hooke était presque le seul à savoir l’utiliser, et il a réalisé à
la place de Boyle la plupart des démonstrations publiques
utilisant sa pompe (appelée à l’époque « moteur pneuma-
tique »). Avec cette pompe, Boyle a réalisé une quarantaine
d’expériences qu’il décrit dans son livre New Experiments
Physico-Mechanicall, Touching the Spring of the Air, and
its Effects (Made, for the Most Part, in a New Pneumatical
Engine) – Nouvelles expériences physico-mécaniques sur la
compression de l’air et ses effets (réalisées pour la plupart,
dans une nouvelle machine pneumatique). Parmi ces der-
nières, certaines concernent la création du vide d’air, au
moins partiel, et ses effets sur les êtres vivants, leur vol et
leur respiration (ces expériences marquèrent tellement les
esprits qu’en 1729 le poète Richard Savage en décrivit une
en quelques vers dans son livre Vagabond et que le peintre
J. Wirght s’en inspira en 1768 pour son tableau An Experi-
ment on a Bird in the Air Pump, visible à la national Galle-
ry, à Londres – voir annexes -). Les expériences de Boyle
montrent clairement, de façon pratique, grâce au secours de
la technique de Hooke, l’existence du vide, dénié par la
science « classique » d’Aristote, afin d’étudier par ailleurs
les propriétés de l’air. Ces démonstrations expérimentales
ne sont pas du goût du philosophe Hobbes, qui prend pré-
texte du caractère imparfait de la technique pour lui dénier

– 10 –
toute prétention à dire la réalité, forcément « idéale » et loin
de la matière. Pour Hobbes, la physique expérimentale est
un bricolage honteux, seule la logique aristotélicienne ouvre
la voie à la description du monde, et les efforts de Hooke
pour perfectionner sa machine n’ont pour lui aucun intérêt :
par principe, cette physique de « mécanicien » lui semble
basée sur les talents impurs de gens méprisables, de basse
extraction (bien que Hobbes n’ait guère eu une lignée plus
remarquable que celle de Hooke…), donc incapables
d’apporter quoi que ce soit de positif dans le domaine des
sciences. L’alliance de l’esprit de Boyle et des mains de
Hooke lui semble donc une union contre nature, une mons-
truosité. Pourtant, cette alliance révolutionnera non seule-
ment la physique, mais aussi la technique, car le vide, révé-
lé, servira de « moteur » dans les futures machines à va-
peur !
Après que Hooke ait commencé à s’intéresser à
l’astronomie, Boyle et lui travaillent ensemble à régler le
« problème des longitudes », pour lequel un « garde-
temps » fiable est indispensable. Hooke met à profit ses
connaissances en horlogerie et développe plusieurs méca-
nismes comme l’utilisation du ressort spiral ou
l’échappement à ancre. Il ne parvient toutefois pas à faire
reconnaitre sa paternité sur ces inventions, ce qui va contri-
buer à assombrir son caractère : Hooke sera jaloux, querel-
leur et procédurier, luttant pour faire reconnaître la paterni-
té de ses inventions en une époque ou la « propriété intellec-
tuelle » n’existe tout simplement pas.
En 1660, à 25 ans (souvenons-nous que ce qui peut
nous apparaitre très jeune à notre époque où l’on vit aisé-
ment plus de 80 ans ne l’était pas en un temps où
l’espérance de vie ne dépassait pas les 50…), Hooke énonce
la loi qui porte son nom, et décrivant l’allongement

– 11 –
proportionnel d’un ressort (ou
d’autres matériaux) soumis à
une force. C’est aussi l’année
où est fondée la Royal Society,
où Société royale de Londres
pour l’amélioration de la con-
naissance de la Nature.
Hooke est un des membres
fondateurs de cette société,
dont la devise, « Nullius in
verba » (voir ci-dessus, et que
l’on retrouve à la première
page de Micrographia), est
une déclaration d’intention : alors que la conception clas-
sique des sciences se basait sur la révérence aux anciens et
la logique déductive, l’expérience des sens étant secondaire,
il s’agit pour cette société de s’appuyer sur une démarche
proprement expérimentale, celle qui sera défendue et pré-
sentée par Hooke, et qui s’inspire en fait de la conception
empiriste de F. Bacon et de ses idées présentées dans « La
nouvelle Atlantide », parue après la mort de son auteur en
1627. Ce souci de présenter l’expérience comme la source du
savoir sera constant dans l’œuvre de Hooke, et il apparaitra
dès la préface de Micrographia.
Pour être juste, il faut toutefois reconnaître que cette
« conversion » à la primauté de l’expérience a été très pro-
gressive, les habitudes étant difficiles à perdre. Ainsi, lors-
que Van Leeuwenhœk commença à aviser la Royal Society
de ses découvertes, Hooke les vérifia et soutint fermement le
chercheur hollandais. Toutefois, lorsque ce dernier affirma
que le sperme de tous les animaux mâles, y compris les hu-
mains, contenait des « petits animaux » passant dans le
corps des femelles après un accouplement, le scepticisme fut
général. Loin de s’en remettre, comme sa fière devise sem-

– 12 –
blait l’annoncer, aux seuls apports de l’expérience, la Royal
Society, en la personne du botaniste Nehemiah Grew, ré-
pondit à Leeuwenhœk que ces animalcules n’avaient aucune
importance dans le processus de la reproduction puisque
Harvey, de Graaf, mais aussi soixante-dix autres personnali-
tés, toutes nommées dans la lettre, l’avaient « claireme,,
0nt » établi…
Les premiers travaux de Hooke présentés en 1661 à la
Royal Society portent sur la capillarité. On retrouvera ces
derniers dans « Micrographia », L’étude de ce phénomène
le conduit à s’interroger sur la nature de la gravité, ce qui va
plus tard être à l’origine d’une âpre controverse avec un ti-
tan, Newton…
Fin 1661, il parait de plus en plus urgent que la Royal
Society se dote d’un « technicien en chef » capable de four-
nir et de réaliser toutes les expériences attendues par ses
membres. Après cette proposition, Hooke est « élu » à
l’unanimité, et quitte donc le service de Boyle pour entrer à
celui de la Royal Society. C’est à cette époque que Hooke va
s’intéresser à différents instruments d’optique qu’il va per-
fectionner, dont le microscope pour lequel il réalise nombre
d’expériences, essayant plusieurs types de montages (aux-
quels il fait brièvement référence dans la préface de Micro-
graphia), mais aussi le télescope, qu’il construit en suivant
les plans calculés par J. Gregory en 1660. A la suite de ces
travaux, Hooke sera tenu de présenter, lors de chaque
séance de la Royal Society, une préparation microscopique.
Son salaire étant versé de façon fantaisiste et irrégu-
lière, Hooke est heureux de voir les membres de la Royal
Society lui confier en 1664 la réalisation des « cours de mé-
canique » subventionnés par Sir J. Cutler (remercié dans la
préface de « Micrographia »). Cette même année, Hooke,

– 13 –
en utilisant son télescope Gregory, découvre la grande tache
rouge de Jupiter et la rotation sur elle-même de la planète.
Il effectue aussi des observations des anneaux de Saturne,
de la rotation de Mars, des taches solaires et de comètes, et
découvre une des premières étoiles binaires connues, gam-
ma Arietis.
Dans le cadre de la Royal Society, Hooke va concevoir
et réaliser de multiples expériences sur le comportement de
l’air, l’anatomie (distinguant le sang veineux et artériel, et
montrant le rôle de ventilation assuré par les mouvements
du thorax), la chute des corps et la pression atmosphérique,
pour la mesure de laquelle il perfectionne le baromètre.
Hooke conçoit aussi des instruments variés, dont une ma-
chine permettant de couper de minuscules dents dans les
engrenages pour montres, et qui sera constamment utilisée
après la mort de Hooke, mais aussi le mécanisme de la fe-
nêtre à guillotine, toujours utilisée de nos jours, où la
transmission du mouvement rotatif sous tous les angles
grâce à la transmission à la Cardan, qu’il étudie et réalise.
Hooke va aussi réaliser des thermomètres dont le degré zéro
sera celui de la glace fondante.
Le 20 mars 1664, Hooke devient professeur de géomé-
trie au Gresham collège. Un an plus tard, à 30 ans, il publie
le recueil de ses observations réalisées au moyen des ins-
truments d’optique qu’il a construits, et principalement de
microscopes : son livre, « Micrographia », est la première
publication majeure soutenue par la Royal Society, et rem-
porte un succès immédiat. Il est en effet décoré
d’illustrations spectaculaires, parfois réalisées sur des « pos-
ters » dépliables. Sa représentation d’une puce, par
exemple, impressionne et marque les esprits du temps. À
travers ce livre, la Royal Society apparait comme le centre
du progrès scientifique en Angleterre : désormais, il est clair

– 14 –
que « c’est là que les choses se passent ». Micrographia ne
contient pas que des comptes rendus d’observations micros-
copiques, mais de nombreuses digressions sur la gravité, ou
sur les combustions. C’est ainsi qu’il note que les combus-
tions, tout comme la respiration, nécessitent la présence
d’un « composant spécifique de l’air ». Hooke compare aus-
si la structure microscopique du bois fossile à celle du bois
actuel. Il en conclut, contre l’opinion des naturalistes de son
époque, que les fossiles sont bien les restes d’êtres vivants
disparus, et qu’ils peuvent fournir des informations sur
l’histoire de la vie sur Terre (Steno sera crédité de cette dé-
couverte 4 années plus tard, en 1669…). Dans Microgra-
phia, ces observations précèdent celles réalisées sur le liège,
et aboutissant à la découverte de la cellule, dont il ne soup-
çonnera jamais l’importance, ne pouvant réaliser
d’observations sur des tissus animaux avec son microscope
ne grossissant « que » 30 fois environ (ce qui était déjà un
exploit en son temps) et ne donnant que des images très
sombres.
À cette époque, Hooke est ainsi décrit par son ami J.
Aubrey : « Il n’est que de stature moyenne, quelque peu
bossu (…) sa tête est grosse, son regard sec et global, ses
yeux gris. Il a une délicate couronne de cheveux bruns et
bouclés ». Ce portrait n’est guère engageant et, allié au ca-
ractère ombrageux du personnage, fera peu pour sa postéri-
té, les choses ne s’arrangeant pas avec l’âge. De fait, l’aspect
physique de Hooke, décrit parfois comme un « nain souffre-
teux », va se rapprocher de plus en plus avec la vieillesse de
celui des « Igors », fidèles assistants bossus des savants fous
des vieux films d’horreur de la Hammer ! Il serait toutefois
erroné de croire que Hooke n’avait aucun attrait : il était
aussi reconnu à l’époque pour son élégance vestimentaire,
son gout pour les mets raffinés, les bons vins ainsi que les
beaux livres ; et sa fidélité en amitié.

– 15 –
Il faut reconnaître que Hooke n’a guère le temps de se
préoccuper de sa propre personne : curateur perpétuel de la
Royal Society depuis le 11 janvier 1665, il procède aux expé-
riences demandées par les membres, réalise les siennes
propres et doit aussi s’occuper de celles proposées par cour-
rier : il devient alors difficile de savoir quelles sont les con-
tributions précises de Hooke, celles des membres et celles
des correspondants. Pour ne rien arranger, Hooke sa
s’engager dans d’interminables querelles de paternité sur
des dispositifs et des idées pour lesquelles il est bien difficile
de cerner les contributions de chacun : monopolisé par sa
charge, Hooke n’a pas le temps matériel d’approfondir ses
idées et ses intuitions, et effleure de nombreux domaines
sans jamais y imprimer clairement sa trace. Malgré son ca-
ractère difficile, Hooke ne travaille pas seul : il continue à
entretenir des relations suivies avec Boyle, dinant avec lui
fréquemment, participe à des réunions dans des cafés, et
échange une correspondance suivie avec d’autres « ingé-
nieurs » tels que T. Tompion, fabriquant d’horloges, et C.
Cox, lui aussi constructeur d’instruments scientifiques. Il est
également secondé par son propre assistant, Harry Hunt,
avec lequel il prend volontiers le thé.
L’image et les contributions de Hooke aux sciences et
aux techniques ont été fortement dégradées par plusieurs
facteurs : lui-même, de par son caractère atrabilaire et sus-
picieux ; ses querelles avec Newton, qui minimisa son im-
portance de concert avec le fils de C. Wren ; et également
par le fait que l’origine sociale de Hooke était extrêmement
modeste par rapport aux grands seigneurs membres de la
Royal Society. Son amitié avec Boyle n’en est que plus ex-
ceptionnelle.
Toujours revendicatif, Hooke s’engage dans une que-
relle avec C. Huygens, homme d’une grande intégrité, au

– 16 –
sujet de la paternité du ressort spiral en horlogerie, mais il
va aussi se risquer à attaquer frontalement un adversaire au
caractère au moins aussi détestable que le sien, et d’une en-
vergure scientifique incomparable : Isaac Newton.
En effet, Hooke propose dans sa « Micrographia » une
conception personnelle de la gravitation : négligeant la pos-
sibilité d’une action répulsive médiée par le fameux
« éther », il envisage une gravité uniquement attractive. Il
précise en 1666 ses conceptions dans une communication à
la Royal Society : « Sur la gravité ». Il y déclare : « Je vais
vous expliquer un système du monde très différent de tous
ceux déjà proposés. Il est fondé sur les positions suivantes :
1. Que tous les corps célestes ont non seulement une gra-
vitation s’exerçant de leurs propres éléments à leur
centre propre, mais aussi qu’ils s’attirent mutuellement
dans leurs sphères d’action.
2. Que tous les corps ayant un mouvement simple conti-
nueront à se déplacer en ligne droite, à moins d’être con-
tinuellement déviés par une force étrangère les obligeant
à décrire un cercle, une ellipse ou quelque autre courbe.
3. Que cette attraction est d’autant plus grande que les
corps sont plus proches.
Quant à la proportion avec laquelle ces forces dimi-
nuent lors d’une augmentation de la distance, j’avoue que
je ne l’ai pas trouvée ».
La même année (1666) se produit une catastrophe na-
tionale : le grand incendie de Londres ravage le centre de la
ville pendant 4 jours et laisse 80000 londoniens sans abris.
Hooke va assister l’architecte Christopher Wren dans ses
plans de reconstruction totale du centre de Londres, qui ne
seront pas appliqués à la fois par manque de volonté poli-

– 17 –
tique et à cause de la difficulté de retrouver et d’identifier la
multitude de propriétaires à dédommager. Wren dirigera
cependant la reconstruction de la cathédrale St Paul (dont le
dôme est construit en utilisant une méthode mise au point
par Hooke), d’une cinquantaine d’églises et de nombreux
bâtiments officiels. La collaboration entre les deux hommes
débouche sur l’édification du monument au grand incendie
de Londres, à son époque la plus haute colonne de pierre au
monde, dont le sommet est édifié en choisissant la proposi-
tion de Hooke (une urne de bronze) et non celle de Wren.
Scientifiques dans l’âme, les deux membres de la Royal So-
ciety conçoivent cette colonne comme un instrument : son
puits central, utilisable comme télescope zénithal, sert à des
expériences sur la chute des corps ainsi que sur les pen-
dules. Hooke collabore aussi, entre autres, à l’édification de
l’observatoire royal de Greenwich et du Royal college of
physicians. Il est même possible que de nombreux bâti-
ments attribués à C. Wren soient en fait, d’après S. Inwood
(« the forgotten genius : the biography of Robert Hooke
1635-1703, ed. Mac Adam/Cage Publishing) l’œuvre de
Hooke.
Hooke enseigne ses propres conceptions sur la gravita-
tion à Gresham dès 1670, et les publie en 1674 comme addi-
tion à son ouvrage « Tentative de prouver le mouvement de
la Terre par l’observation ». Hooke ne propose pas alors de
démonstration mathématique appuyant ses conceptions de
la gravitation. « Quelques puissent être les différentes mo-
dalités de l’attraction, je ne les ait pas encore expérimenta-
lement vérifiés » note t’il en 1674.
Ses travaux vont inévitablement l’amener sur le terrain
d’Isaac Newton, d’autant plus que Hooke se préoccupe aussi
de la nature de la lumière (cela est visible dans la « Micro-
graphia » qui contient nombre de considérations sur les

– 18 –
couleurs, la propagation de la lumière et les effets des cris-
taux sur cette dernière). Cet intérêt lui vient à la fois de son
activité de fabricant et de concepteur d’instruments
d’optique, mais aussi de ses dons artistiques, pour lesquels
le « mystère » des couleurs est d’une grande importance.
Hooke étudie les couleurs produites au niveau des lames
minces de verre et des lentilles. Son intérêt est aussi motivé
par la recherche de lentilles générant le moins possible
d’aberrations chromatiques, ces « aigrettes » colorées qui
rendent les observations astronomiques au moyen des lu-
nettes imprécises, d’où une motivation supplémentaire pour
réaliser des télescopes réflecteurs, dépourvus de ces aberra-
tions puisque ne comportant aucune pièce traversée par la
lumière (hormis l’oculaire). Il ira même jusqu’à tenter de
construire un microscope réflecteur pour éviter ces incon-
vénients.
Hooke et Newton s’affrontent une première fois en 1672
sur l’interprétation de leurs expériences respectives concer-
nant la nature de la réfraction et la production des couleurs
entre des lames minces (ce qu’en langage moderne nous ap-
pellerions les interférences). Newton a été tout d’abord ren-
du célèbre par ses expériences d’optique, dont celle réalisée
avec un prisme, décomposant puis recomposant la lumière
blanche. Newton interprète ses résultats dans le cadre d’une
théorie corpusculaire de la lumière. Hooke, qui a très tôt
étudié les diverses vibrations mécaniques, décrit la lumière
comme un type particulier de vibration, autrement dit dans
notre vocabulaire moderne, il oppose à Newton une concep-
tion « ondulatoire » de la lumière. Hooke supporte aussi
difficilement que Newton tire gloire de la construction d’un
télescope réflecteur dont il s’estime être l’inventeur. Soyons
clairs : dès cette époque, les deux hommes se détestent cor-
dialement, et Newton, fuyant les disputes, attendra même la
mort de Hooke pour faire publier ses travaux d’optique.

– 19 –
Hormis Newton, Hooke a un autre adversaire à la Royal So-
ciety, que les deux scientifiques tiennent d’ailleurs en piètre
estime : Henry Oldenburg, le secrétaire de la société, plus
diplomate que scientifique, domaine dans lequel ils le jugent
tous deux presque incompétent.
Toutefois, malgré leurs oppositions, Hooke et Newton,
qui partagent les mêmes centres d’intérêt et sont également
liés administrativement via la Royal Society, échangent une
importante correspondance. Hooke poursuit sans relâche
ses expériences et ses recherches, présentant en 1676 un hé-
lioscope grâce auquel il étudie les taches solaires.
En 1679, Hooke rappelle à Newton que comme il est
censé gérer les communications entre membres de la Royal
Society, il est fondé à demander des informations sur les
recherches accomplies par Newton, ainsi que ses remarques
sur les recherches des autres. Il le questionne ainsi sur son
avis sur de nombreux points dont il dresse une liste, com-
portant entre autres « la décomposition du mouvement des
planètes en une composante tangentielle et une compo-
sante attractive provenant d’un corps central ». La réponse
de Newton ne traite pas de ce problème, mais permet à
Hooke de continuer à lui écrire. En janvier 1680, Hooke, à la
fin d’une lettre, note : « supposons que l’attraction est tou-
jours dans une proportion double de la distance à partir du
point central… ». Mais alors que Newton se concentre sur la
rédaction de ses Principia (et sur ses expériences alchi-
miques), Hooke continue à explorer les sujets les plus di-
vers : en 1682, il présente une communication sur la mé-
moire se démarquant nettement des considérations théo-
riques, voire métaphysiques, largement en vogue à son
époque : c’est un modèle majoritairement matérialiste, mé-
caniste, qui, bien qu’il fasse encore appel à des concepts
comme « l’âme immatérielle », propose que la mémoire soit

– 20 –
bien localisée physiquement dans le cerveau, et donne des
pistes pour expliquer des phénomènes comme l’encodage
des souvenirs, la capacité de mémorisation ou l’oubli. Deux
ans plus tard, Il met au point un système de télégraphie op-
tique.
En 1686, Newton présente ses « Principia » à la Royal
Society : Hooke s’emporte et accuse Newton de lui avoir
« volé » la notion de loi variant en fonction du carré inverse
de la distance. Cette controverse avec Newton va singuliè-
rement assombrir le caractère de Hooke, et ce d’autant plus
que c’est à la même époque qu’il va perdre une des per-
sonnes à laquelle il tenait le plus : sa nièce, Grâce Hooke,
qui vivait avec lui à Gresham depuis qu’elle avait 12 ans, et
avec qui il avait des relations quasiment maritales, meurt
soudainement à l’âge de 27 ans.
Les objections de Hooke sont cependant vaines : non
seulement il doit reconnaitre n’avoir jamais démontré cette
loi, mais Newton lui-même avait précisé cette dernière dès
1660 pour des mouvements circulaires, et montre que l’idée
de cette loi en raison inverse des carrés a été suspectée par
d’autres auteurs bien avant Hooke. De plus, dans le texte
des Principia, Newton, à contrecœur, reconnaît que Hooke,
mais aussi Wren et Halley ont bien eu l’intuition de la validi-
té d’une telle loi dans le cadre du système solaire (avec le
sous-entendu, bien fondé, que seul lui, Newton, a pu dé-
montrer la validité de cette loi pour l’univers entier…). New-
ton mentionnera bien le nom de Hooke dans ses « Princi-
pia », mais en minimisant son importance, parmi d’autres
précurseurs, et en évitant volontairement d’y rattacher les
superlatifs alors en usage pour exprimer son attachement à
ses collègues.

– 21 –
Ces disputes usent Hooke, et se ressentent sur son as-
pect. Richard Waller, devenu membre de la Royal Society en
1681, et qui sera son biographe, le décrit ainsi à l’époque :
« Son aspect est des plus méprisable, étant très bossu,
quoique j’ai entendu de lui-même, et d’autres, qu’il était
droit jusqu’à environ 16 ans (…) Il était toujours très pâle et
maigre, et avec rien d’autre que la peau sur l’os, avec un
aspect maigre, ses yeux gris et plein, avec un regard ingé-
nieux et aigu, très jeune. Son nez était mince, d’une hauteur
et d’une longueur modérée ; sa bouche avec la lèvre infé-
rieure très basse et la supérieure mince, avec un menton
pointu et un grand front, sa tête était d’une taille moyenne.
Il portait ses cheveux d’une couleur brun foncé, très longs
et pendants négligemment sur son visage décharné et mal
rasé ».
Malgré tout, Hooke a de nombreux amis, le plus sou-
vent dans le cadre de la Royal Society : outre Boyle et Wren,
il est très lié à Samuel Pepys, de l’amirauté, ainsi qu’a John
Hoskins ou Theodore Haak.
Hooke, pourtant relativement aisé financièrement, de-
vient de plus en plus avare à partir de 1690 : solitaire,
payant des décennies de surmenage, ses facultés physiques
déclinent, contrairement à son esprit : il se préoccupe alors
davantage de géologie, et tente d’expliquer la distribution
des fossiles par une mobilité passée des pôles dont il re-
cherche des traces. Il réfléchit aussi à l’histoire de la Terre et
au « temps profond » qu’elle nécessite. En décembre 1691, il
reçoit le grade de « docteur en médecine".
À partir de 1696, il souffre de douleurs thoraciques et
d’étourdissements, il maigrit et devient progressivement
aveugle. Ses jambes sont enflées, l’empêchant de marcher.
Ces symptômes font penser aux conséquences d’un diabète

– 22 –
de type non insulinodépendant. En juillet 1697 (il a 62 ans)
sa condition physique se détériore de façon alarmante.
Aveugle, il meurt le 3 mars 1703, à 67 ans, au Gresham Col-
lege, à Londres. Certaines de ses conceptions, particulière-
ment sur la géologie, seront publiées après sa mort.
À présent que vous connaissez mieux le personnage,
vous saurez apprécier le bien-fondé de sa « réputation »
telle qu’elle apparait dans ce texte datant de 1856, paru dans
la « revue des deux mondes » sous la plume du journaliste
et écrivain Paul de Rémusat, et faisant partie d’un article sur
Newton tirant fortement vers l’hagiographie (je n’ai pu ré-
sister à l’envie d’annoter ce texte) :
« Robert Hooke, né en 1635, l’un des esprits les plus
originaux, les plus variés, les plus inventifs de son temps.
Malgré une grande instruction dans toutes les parties des
connaissances humaines, il n’aimait pas le travail (1), et ne
savait donner à ses recherches aucune direction, à sa
science aucun résultat. Il avait pensé à tout, entrevu tout,
inventé tout, mais en toute chose il manquait de précision,
et comme, à force de courir d’une idée à une autre, il avait
fini par les avoir toutes, ou à peu près, il réclamait comme
son bien tout ce que disaient ses confrères, car il se souve-
nait fort bien d’avoir pensé ce qu’ils pensaient, entrevu
l’opinion qu’ils exprimaient ; mais il aurait tout aussi aisé-
ment revendiqué l’opinion contraire, car il les avait traver-
sées toutes deux (2). Malgré un amour passionné de la
gloire, il ne s’est jamais donné la peine de rien terminer, et
n’a laissé presque aucun monument de son esprit (3). On
était alors au milieu d’un grand mouvement scientifique, et
chacun s’occupait de physique et de calculs. Hooke avait
écrit, parlé, raisonné sur toutes les sciences, et à
l’apparition des premières communications de Newton à la
Société royale, loin d’y voir une révélation, il se félicita de

– 23 –
ce qu’elles confirmaient quelques idées vagues (4) qu’il
avait exprimées peu de temps avant, et que, disait-il, il
avait commencé de rédiger. Il acceptait toutes les expé-
riences de Newton, et le remerciait d’avoir fourni de nou-
velles armes aux partisans d’une théorie de Descartes que
lui, Hooke, avait modifiée et adoptée. Quant à la décompo-
sition de la lumière, qui expliquait les couleurs et la forme
du spectre, les réflexions et les transmissions des lames
minces, il n’y croyait pas (5), et la considérait comme une
supposition gratuite. En un mot, au lieu de voir dans le
travail de Newton un récit d’expériences admirablement
faites et des conclusions mathématiquement déduites, la
tendance de son esprit, obscur et peu précis (6), ne lui per-
mettait d’y trouver qu’une hypothèse sans importance qui
pouvait expliquer des phénomènes curieux tout aussi expli-
cables par une hypothèse différente. »
1 – Peut dire cela de quelqu’un qui se surmena toute sa
vie durant au service de la Royal Society ?
2 – Cette accusation de versatilité est démentie par les
faits : qu’il ait tort ou raison, Hooke défendait ses concep-
tions, et ne retournait pas sa veste au gré des vents.
3 – Dans l’inconscient collectif français, sans aucun
doute, mais dans l’histoire des sciences et, plus prosaïque-
ment, les rues de Londres…
4 – Vous avez pu apprécier le « vague » de ces idées.
5 – Ceci est tout simplement faux. Bien au contraire ;
Hooke refit l’expérience de Newton, et déclara même à la
séance de la Royal Society où Newton devait la refaire pu-
bliquement que cette démarche était parfaitement inutile,
car les résultats étaient certains.

– 24 –
Il est temps à présent de vous laisser juger sur pièce, et
de laisser la parole à Hooke lui-même. Dans les textes qui
suivent, j’ai mentionné mes commentaires en Italique, afin
que le lecteur pressé puisse les négliger et aller à l’essentiel.
J’ai essayé, autant que possible, de ne pas trahir la tournure
d’esprit de Hooke, même si j’ai dû moderniser nombre de
tournures de phrases afin, tout simplement, de les rendre
intelligibles. Je pense toutefois ne pas avoir trahi le person-
nage de Hooke, méconnu dans notre pays, et qui mériterai
bien un volume. Bonne lecture en compagnie de Robert
Hooke.

– 25 –
– 26 –
MICROGRAPHIA

OU QUELQUES
Descriptions Physiologiques
de
CORPS MINUSCULES
RÉALISÉS PAR
DES VERRES GROSSISSANTS
AVEC
OBSERVATIONS et RECHERCHES à leur sujet.

Par R. HOOKE, Membre de la ROYAL SOCIETY.

Non possis oculo quantum contendere Linceus,


Non tamen idcirco contemnas Lippus inungi. Horat. Ep. lib.
1.

– 27 –
LONDON, Imprimé par Jo. Martyn, et Ja. Allestry, Impri-
meurs de la ROYAL SOCIETY, et devant être vendu à leur
boutique à « la cloche », dans S. Paul’s Church-yard.
M DC LX V.

Extraits de la préface de « Micrographia »

C’est la grande prérogative de l’humanité sur les autres


créatures, d’être non seulement capable de contempler les
œuvres de la nature, ou au moins d’assurer notre subsis-
tance grâce à elles, mais d’avoir aussi le pouvoir de les exa-
miner, les comparer, les modifier, les assister et les amélio-
rer à divers usages. Et, de ce fait, c’est le privilège particulier
de la nature humaine, capable ainsi d’avancer généralement
jusqu’ici grâce aux aides de l’art et de l’expérience, de faire
que quelques hommes dépassent les autres par leurs obser-
vations et leurs déductions, presque autant qu’ils ne le font
des bêtes.
(…)
Par le renfort de ces instruments et ces méthodes artifi-
cielles, il peut y avoir, en quelque sorte, une réparation ef-
fective des erreurs et des imperfections dont l’humanité s’est
elle-même recouverte, par négligence, et intempérance, et
un abandon volontaire et superstitieux des prescriptions et
des règles de la nature, où chaque homme, corrompu à la
fois par ce qui procède de sa propre personne et par son
commerce et ses conversations avec les hommes, est très
sujet à verser dans toutes sortes d’erreurs.

– 28 –
Hooke présente ensuite différentes considérations sur
les sens, leur inadaptation à certains objets., ainsi que sur
la mémoire.
Certaines parties de la Nature sont trop vastes pour être
compréhensibles, et d’autres trop petites pour être percep-
tibles.
Hooke insiste sur le fait qu’il est alors nécessaire
d’« élargir le domaine des sens », d’« ajouter des organes
artificiels aux naturels ». Il va ensuite rédiger un véritable
manifeste de la démarche expérimentale comme guide de
la « nouvelle science » s’opposant à la scolastique et à la
logique aristotélicienne désincarnée du monde sensible,
une approche qui selon lui est génératrice de dangereuses
erreurs :
Ces dangers résidant dans le processus de la raison
humaine, leurs remèdes, pour tous, ne peuvent procéder
que du réel, la mécanique, la philosophie expérimentale, qui
a cet avantage sur la philosophie du discours et des débats,
des controverses, qu’alors que cette dernière se préoccupe
essentiellement de la subtilité de ses déductions et conclu-
sions sans beaucoup de respect pour les premiers travaux
expérimentaux, qui doivent bien être basés sur les sens et la
mémoire ; de tenter de tous les mettre en ordre, et de les
rendre ainsi utiles l’un pour l’autre.
(…)
Je présente ici au monde mes efforts imparfaits.
(…)
La vérité est que la science de la nature a déjà été trop
longtemps faite seulement du travail du cerveau et de la fan-
taisie : il est maintenant grand temps qu’elle doive revenir à

– 29 –
la simplicité et la solidité des observations sur la matière et
les choses évidentes. On dit des grands empires que la meil-
leure façon de les préserver de la décadence est de les rame-
ner aux premiers principes et disciplines sur lesquels ils se
sont fondés. La même chose est sans doute vraie en philoso-
phie, qui en s’égarant loin dans des notions abstraites, s’est
presque détruite elle-même, et elle ne pourra jamais être
retrouvée, ou poursuivie, sans revenir dans la voie de l’étude
des éléments sensibles, celle là même dans laquelle elle a
d’abord procédé.
(…)
Il faut prendre garde aux irrégularités des Sens, mais
on ne doit pas aller au-devant d’eux, ou se prévenir de leurs
informations.
(…)
Il n’est pas improbable que l’on puisse encore inventer
plusieurs autres secours pour l’œil, surpassant ceux déjà
trouvés autant que ces derniers surpassent l’œil nu, tels que
par eux nous serons peut-être en mesure de découvrir des
créatures vivantes sur la Lune ou d’autres planètes, l’aspect
des particules composant la matière, la structure précise des
corps et leur organisation.
Ici, Hooke prend clairement parti pour une théorie
corpusculaire de la matière, contre les 4 substances
d’Aristote. C’est également l’opinion de son « maitre », R
Boyle, mais certainement pas celle de « l’alchimiste » New-
ton.
(…)
Il n’est pas improbable que les autres sens (que la vue)
soient aussi augmentés. Hooke donne l’exemple de pouvoir

– 30 –
entendre à grande distance, au moyen d’un dispositif qu’il
nomme « otocousticon » ; puis décrit des pistes pour amé-
liorer l’odorat, le gout…
(…)
La voie permettant de voler dans les airs semble impra-
ticable principalement en raison du manque de force des
muscles humains ; donc si ils pouvaient être assistés pour
cela, je pense facile de réaliser une vingtaine de dispositifs
pour effectuer le travail des ailes. Je relaterais par ailleurs
les tentatives que j’ai effectuées pour pallier à ce défaut, et
mes succès dans cette entreprise, qui sont, je pense, complè-
tement nouveaux et non négligeables.

Hooke se félicite des progrès accomplis en anatomie,


chimie et astronomie avec sa méthode, qu’il nomme « phi-
losophie expérimentale ». Il fait ensuite référence et révé-
rence à Boyle :
Et pour ne pas en dire plus sur les découvertes sur l’air,
il y a eu un merveilleux progrès réalisé par la noble machine
du très illustre M. Boyle, qu’il me revient de mentionner
avec grand honneur non seulement en tant que mon patron
particulier, mais comme le patron de la philosophie elle-
même ; qu’il développe chaque jour par son travail et ho-
nore par son exemple.
(…)
Hooke décrit ensuite la joie créée non par la simple
contemplation des objets de recherche, mais par leur ap-
préhension au moyen des sens, qu’il veut améliorer et
étendre par des aides mécaniques. Le microscope est
l’exemple typique d’un instrument qui prolonge un sens,

– 31 –
même si, avec les lentilles sphériques utilisées alors
« l’ouverture des objectifs est si petite que très peu de
rayons lumineux peuvent y passer, et même dans cette pe-
tite quantité il y en a tellement qui sont inappropriés que les
objets apparaissent sombres et indistincts ».
Hooke essaye de résoudre le problème de l’éclairement
des préparations avec des bouteilles en forme de ballons,
jouant le rôle de lentilles sphériques et concentrant la lu-
mière solaire ; mais il y a un risque de bruler les prépara-
tions… Il est donc impossible d’observer longtemps. Il dé-
crit alors son dispositif d’éclairage (schématisé sur
l’illustration de couverture).
Suivent diverses considérations sur les instruments
d’optique, les télescopes, la réfraction, pour laquelle il rend
hommage à Descartes, dont il partage la philosophie « mé-
caniste ». Il souligne l’écart entre la théorie et ce que la
technique rend possible : « Certains inconvénients rendent
les instruments inutilisables : il est ainsi extrêmement diffi-
cile de réaliser et de diriger un tube de plus d’une centaine
de pieds de long, et il est aussi difficile d’éclairer un objet
distant de moins d’un centième de pouce de l’objectif ».
Hooke décrit ensuite un réfractomètre, et les premières
mesures réalisées.
(…)
Hooke estime le grossissement de ses microscopes en
regardant à la fois l’objet et une règle graduée sur laquelle
il projette mentalement l’image des objets qu’il observe. Il
compare ensuite cette dimension « apparente » à la gran-
deur réelle. Son microscope est un tube de 6 a 7 pouces de
long (entre 15 et 18 cm). Il peut utiliser jusqu’à 3 lentilles,
mais 2 seulement pour obtenir un grossissement, ainsi

– 32 –
qu’une luminosité ou une netteté, maximale. Hooke a cons-
truit et testé nombre de microscopes différents avec des
lentilles taillées dans les matériaux les plus divers : « J’ai
réalisé plusieurs autres essais avec d’autres types de Micros-
copes, différant à la fois par la matière et par la forme des
lentilles sphériques communes. J’ai réalisé un microscope
avec une seule lentille dont les deux surfaces étaient planes.
J’en ai fait un autre uniquement avec une lentille plan-
concave, sans aucun usage de la réflexion ; d’autres aussi
utilisant la réflexion de la lumière. J’en ai fait d’autres avec
de l’eau, de la gomme, de la résine, des sels, de l’arsenic, des
huiles, et avec divers autres mélanges d’alcool et d’eau ou
d’alcool et d’huile. Ce sujet est en effet susceptible d’être très
varié ; mais je n’en ai trouvé généralement aucun plus effi-
cace que celui réalisé avec deux lentilles ».
Hooke souligne les difficultés pour distinguer le relief,
bien voir les corps opaques ; et le fait qu’un même objet
doive être examiné sous plusieurs angles d’éclairage diffé-
rents. Il y a pour lui nécessité de rendre hommage au tra-
vail « des mains humaines » pour faire progresser les théo-
ries.
Hooke conclut sa préface par de remerciements à sir J.
Cutler (qui subventionne ses cours à Gresham) et par di-
vers remerciements. Il la termine par un paragraphe insti-
tuant une vraie rhétorique de la proportionnalité :
Mon espoir, ainsi que ce que je crois, est que mes tra-
vaux ne soient pas plus comparables aux productions des
nombreux autres physiciens, qui sont maintenant partout
occupés des plus grandes choses ; que mes petits objets ne
puissent l’être aux plus grandes et plus belles réalisations de
la nature ; une puce, un acarien, un moucheron ; à un che-
val, un éléphant, ou un Lion.

– 33 –
***********

Voici maintenant la traduction de l’observation 18 de


Micrographia, portant sur les cellules du liège. Je reproduis
cet article avec les variations typographiques de Hooke, sans
rien y changer, à part la mise en relief du mot « cellule » qui
y fait sa première apparition dans la description du vivant.

Observ. XVIII. De la structure ou de la texture du


liège, et des cellules et les pores de certains
autres organismes lacunaires.

J’ai pris un bon morceau de liège clair, et avec un canif


aiguisé, aussi coupant qu’un rasoir, j’en coupe un morceau,
puis de ce fait j’obtiens une surface très lisse, que j’examine
très rapidement avec un microscope. J’ai pensé que je pour-
rais le percevoir comme apparaissant quelque peu poreux ;
mais je ne pouvais pas le distinguer assez bien de façon à
être sûr qu’il s’agissait de pores, et encore moins pour savoir
quelle était leur structure. Mais à en juger par la légèreté et
la souplesse du Liège, sa texture ne pouvait certainement
pas être si curieuse, mais peut-être, si je pouvais procéder
avec diligence, je pourrais la trouver comme étant percep-
tible avec un microscope.
J’ai, avec le même canif tranchant, enlevé de l’ancienne
surface lisse un morceau excessivement mince, et l’ai placé
sur une plaque objet noire, parce qu’il était lui-même un

– 34 –
objet clair, et j’ai projeté de la lumière sur lui avec une
épaisse lentille plan-convexe. J’ai pu clairement le percevoir
comme étant entièrement perforé et poreux, un peu comme
un nid d’abeille, mais les pores de celui-ci n’étaient pas ré-
guliers, pourtant il n’était pas différent d’un nid d’abeille à
cet égard.
Premièrement, il y a dans celui-ci très peu de substance
solide, en comparaison des cavités vides qui sont enfermées
entre elles, comme cela apparait manifestement dans les
figures A et B du schéma XI.
Le plan, pour les interstices, ou les parois (puisque je
peux les appeler ainsi) ou la division de ces pores compre-
nait des lamelles aussi fines, proportionnellement à leurs
pores, que celles des minces films de cire, dans un rayon de
miel (qui les entourent et qui en constituent les limites
sexangulaires), le sont pour les leurs.
Ensuite, en ce que ces pores, ou cellules, n’étaient pas
très profonds, mais consistaient en un grand nombre de pe-
tites boîtes, séparées les unes des autres, dans une longue
file de pores, par quelques diaphragmes, comme cela est
visible dans la figure B, qui représente une vue de ces pores
coupés dans le sens de la longueur.
J’ai à peine discerné ces derniers (qui étaient effective-
ment les premiers pores microscopiques que j’ai vus et,
peut-être, qui n’ont jamais été vus, car je n’ai pas rencontré
un auteur ou une personne, qui ait fait une quelconque
mention de ces derniers auparavant), mais je pense que je
les ai découverts, ce qui me laisse entendre actuellement la
cause réelle et intelligible de toutes les particularités du
liège, comme :

– 35 –
Tout d’abord, si je m’enquérais du pourquoi de
l’extrême légèreté de ce corps ? Mon microscope pourrait
présentement m’informer qu’il y avait là la même raison
évidente que l’on trouve pour la légèreté de la mousse, d’un
nid d’abeille vide, de la laine, d’une éponge, d’une pierre
ponce, ou approchant ; à savoir une très petite quantité d’un
corps solide se répartissant dans de grandes dimensions.
Ensuite, il semble n’y avoir rien de plus difficile que de
donner une raison intelligible à cela : pourquoi le liège est-il
un corps tellement inapte à couler et à absorber de l’eau et,
par conséquent, se maintient de lui même, flottant à la sur-
face de l’eau, ne la quittant jamais très longtemps ; et pour-
quoi est-il capable d’arrêter et de retenir l’air dans une bou-
teille, bien qu’il soit là très condensé et appuie par consé-
quent très fortement pour se frayer un passage vers
l’extérieur, sans permettre à la moindre bulle de passer à
travers sa substance ? Car, comme auparavant, notre Mi-
croscope nous apprend que la substance du liège est com-
plètement remplie d’air, et que cet air est parfaitement en-
fermé dans de petites boîtes ou cellules distinctes l’une de
l’autre. Il semble très clair alors pourquoi ni l’eau, ni
n’importe quel autre air ne peuvent facilement s’insinuer
dans sa propre substance, puisqu’ils y sont déjà en intus
existens (présence intérieure) et, par conséquent, pourquoi
les morceaux de liège deviennent de si bons flotteurs pour
les filets, et des bouchons pour les flasques ou autres bou-
teilles closes.

Troisièmement, si nous nous demandions pourquoi le


liège a une telle élasticité et une tendance à gonfler une fois
comprimé ? Et comment il peut supporter une si grande
compression, ou diminution apparente de ses dimensions,

– 36 –
afin de constituer une substance plus dense et, de nouveau,
avec une masse égale à celle qu’elle était avant compactage,
souffrir ainsi qu’en retour il soit trouvé s’étendant à nouveau
de lui-même dans le même volume ? Notre microscope nous
informera facilement que toute la masse se compose d’un
ensemble infini de petites boites ou de vessies emplies d’air,
qui est une substance de nature élastique, et qui supporte
une compression considérable (comme je l’ai trouvé plu-
sieurs fois par diverses expériences, par lesquelles je l’ai
manifestement comprimé dans moins d’une vingtième par-
tie de ses dimensions habituelles à la surface de la Terre, et
ceci sans autre force que celle de mes mains sans aucune
sorte d’assistance mécanique telle que des supports, des le-
viers, des roues, des poulies, ou analogue, et ceci totalement
seul) et d’ailleurs, il semble très probable que même ces
fines pellicules, ou les côtés des pores, ont en eux une quali-
té élastique, comme l’ont presque tous les autres types de
substances végétales, de façon à les aider à se rétablir à leur
ancienne position.

Et pourrait-on si facilement et sûrement découvrir les


structures et la texture même de ces films, et de plusieurs
autres corps, comme on le peut pour le liège ? Il ne semble
pas y avoir de raison probable du contraire, mais que nous
pourrions aussi facilement rendre compte de la raison véri-
table de toutes leurs propriétés ; comme savoir quelle est la
cause de l’élasticité et de la dureté de certains, ainsi que de
leur flexibilité et de la restitution de leur forme. Qu’en est il
de la friabilité ou la fragilité de certains autres, et ainsi de
suite ; mais jusqu’à ce que notre microscope, ou quelque
autre moyen, nous permettent de découvrir la vraie struc-
ture et la texture de toutes sortes de corps, nous devons,
pour ainsi dire, chercher à tâtons dans l’obscurité, et estimer

– 37 –
seulement les véritables raisons des choses par des rappro-
chements et des comparaisons.

Mais, pour en revenir à nos observations, J’ai compté


plusieurs lignes de ces pores, et trouvé qu’il y avait habituel-
lement environ soixante de ces petites cellules placées lon-
gitudinalement dans la dix-huitième partie d’un pouce de
longueur, d’où je conclus qu’il doit y avoir 1100 d’entre elles,
ou un peu plus d’un millier, dans la longueur d’un pouce, et
donc plus d’un million, soit 1 166 400, dans un pouce carré ;
et plus de douze cents millions, soit 1 259 712 000, dans un
pouce cubique, une chose presque incroyable, si notre mi-
croscope ne nous en assurait par une démonstration ocu-
laire ; bien plus, ne nous fait-il pas découvrir les pores d’un
corps, si fins soient-ils, comme ceux du liège, nous offrant,
dans un pouce cubique, plus de dix fois le nombre de petites
cellules identiques à celles visibles dans plusieurs légumes
carbonisés ? Si prodigieusement curieuses sont les œuvres
de la Nature, que même ces pores visibles des corps, qui
semblent être des canaux ou des tuyaux à travers lequel les
succus nutritius, ou les jus naturels des légumes sont con-
voyés, et semblent correspondre à des veines, des artères et
autres vaisseaux dans les créatures sensibles, que ces pores
dont je parle, qui semblent être les vaisseaux de la nutrition
des plus grands organismes dans le monde, sont pourtant si
excessivement petits que les atomes qu’Épicure imaginait
s’avéreraient presque trop grands pour y entrer, et plus en-
core pour constituer un corps liquide à l’intérieur. Et com-
bien infiniment plus petit alors doivent être les vaisseaux
d’un acarien, ou les pores de l’un de ces petits végétaux que
j’ai découverts poussants sur la face arrière d’une feuille de
rose, et que je décrirais bientôt plus en détail, dont la masse
est plusieurs millions des fois moindre que celle du petit ar-

– 38 –
buste sur lequel il pousse, et ce même arbuste plusieurs mil-
lions de fois moins massif que plusieurs arbres (qui ont
jusqu’ici poussé en Angleterre, et sont à ce jour florissants
dans d’autres climats plus chauds, comme nous en sommes
informés de façon très crédible) si pour le moins les pores
de ce petit végétal doivent garder toute proportion par rap-
port au corps de celui-ci, comme nous avons trouvé ces
pores d’autres végétaux le faisant pour leur volume. Mais de
ces pores, j’ai dit plus par ailleurs.

Pour continuer, le liège semble être, de par la disposi-


tion transversale des pores, une sorte de Fungus ou de
champignon, à cause des pores allongés comme autant de
rayons provenant du centre, ou moelle de l’arbre, vers
l’extérieur ; de sorte que si vous découpiez une partie d’un
panneau de liège transversalement, sur le plat de celui-ci,
vous séparerez, pour ainsi dire, les pores, et ils apparaitront
comme ils sont représentés dans la figure B du schéma XI.
Mais si vous découpez un morceau très mince à partir de ce
bord, parallèle à sa surface, vous allez couper tous les pores
transversalement, et ils apparaitront presque comme ils
sont représentés dans la figure A, à la seule exception que
les interstices solides ne vont pas apparaître aussi épais
qu’ils y sont représentés.

De sorte que le liège semble aspirer sa nourriture de


l’écorce immédiatement sous-jacente de l’Arbre, et être une
sorte d’excroissance, ou une substance distincte des subs-
tances de l’arbre entier, quelque chose d’analogue à un
champignon, ou à de la mousse sur d’autres arbres, ou aux
poils sur les animaux. Et après avoir enquêté sur l’histoire
du liège, je le trouve compté comme excroissance de l’écorce

– 39 –
d’un certain arbre, qui est distinct des deux écorces qui se
trouvent en son sein, qui sont aussi communes à d’autres
arbres ; cela quelque temps avant que le liège qui recouvre
les jeunes pousses tendres vienne à être perceptible ; qu’il se
fissure, se faille et se clive dans de nombreuses grandes cra-
quelures, l’écorce sous-jacente demeurant intacte ; qu’il
puisse être séparé et retiré de l’arbre, et pourtant les deux
écorces intérieures (lesquelles sont également communes à
d’autres arbres) ne sont pas du tout blessées, mais plutôt
aidées et libérées suite à ce dommage externe. Ainsi, Jons-
tonus, dans Dendrologia, parlant de Subere, dit : Arbor est
procera, Lignum est robustum, dempto cortice in aquis non
fluitat, Cortice in orbem detracto juvatur, crascescens enim
præstringit & strangulat, intra triennium iterum repletur :
Caudex ubi adolescit crassus, cortex superior densus car-
nosus, duos digitos crassus, scaber, rimosus, & qui nisi de-
trahatur dehiscit, alioque subnascente expellitur, interior
qui subest novellus ita rubet ut arbor minio picta videatur.
(Traduction indicative : L’arbre est grand, le bois est
solide, sans son écorce, il ne flotte pas dans l’eau. L’écorce,
généralement, est détachée lorsqu’elle est jeune, et, en effet,
s’est épaissie et étouffe. Elle est complète une fois tous les
trois ans : le tronc qui s’épaissit, l’écorce supérieure com-
pacte et charnue, épaisse de deux doigts, rugueuse, fissu-
rée, et qui, si elle est enlevée lorsqu’elle est fendue, repousse
du reste et est chassée de l’intérieur qui, renouvelé par le
dessous, est comme enduit de rouge, ce qui peut être vu sur
l’arbre.)
Ces déclarations, si je considère longuement et l’arbre,
et la substance, et la façon de croître ; si je les examine at-
tentivement, je suis très enclin à les croire, beaucoup de
celles-ci confirmant ma conjecture au sujet des origines du
liège.

– 40 –
Ce genre de texture n’est pas seulement particulière au
liège ; car lors d’observations avec mon microscope, j’ai
constaté que la moelle d’un sureau noir, ou de presque tout
autre arbre, la pulpe ou la moelle intérieure des tiges
creuses ou des cannes de plusieurs autres végétaux ; tels que
fenouil, carottes, bardane, chardons, fougères, certains
types de roseaux, etc. ont pour beaucoup un tel type
d’organisation, comme je l’ai récemment montré pour le
liège, sauf qu’ici seulement les pores sont rangés dans le
sens de la longueur, ou dans le même sens que la longueur
de la tige, tandis qu’ils sont transversaux dans le liège.
La moelle, également, qui remplit cette partie de la tige
d’une plume qui est au-dessus du penne, a beaucoup de si-
milarité avec une telle texture, sauf seulement en ce que de
quelque côté que je place cette substance légère, les pores
semblent coupé transversalement, de sorte que je suppose
cette moelle qui remplit la plume ne se composent pas d’une
abondance de longs pores séparés de diaphragmes, comme
le fait le liège, mais doit être une sorte de mousse solide ou
durcie, ou un amas de très petites bulles consolidées sous
cette forme, en une masse aussi raide que dure, et que
chaque cavité, bulle, ou cellule, est nettement séparée de
tout le reste, sans aucune sorte de trou dans les films qui les
englobent, de sorte que je ne pouvais pas souffler à travers
un morceau de ce genre de substance, alors que je le pour-
rais à travers un morceau de liège ou de moelle saine d’un
sureau.
Mais si je n’ai pas pu, avec mon Microscope, ni avec
mon souffle, ni d’aucunes autre façon que j’ai encore es-
sayée, découvrir un passage menant d’une de ces cavités
vers une autre ; je ne peux pourtant pas en conclure encore
que, par conséquent, il n’en existe pas un, par lequel les sucs
nutritifs, ou les fluides appropriés des végétaux, puissent

– 41 –
passer et traverser car, dans plusieurs de ces végétaux, bien
que verts, j’ai avec mon Microscope assez ordinairement
découvert ces cellules, où tiges carrées, remplies de fluides,
et les perdant par degrés ; tout comme j’ai aussi observé
dans le bois vert tous ces longs pores microscopiques qui
apparaissent, dans le charbon, parfaitement vide de toute
autre chose que l’air.
Maintenant, bien que je me sois, avec la plus grande at-
tention, efforcé de trouver s’il y avait quelque chose de ce
genre dans ces pores microscopiques du bois ou de la
moelle, comme les valves du cœur, les veines, et autres con-
duits des animaux s’ouvrant et donnant passage au fluide
qu’ils contiennent dans un sens, et se fermant d’eux-mêmes,
et empêchant le retour en arrière de ces liquides ; je n’ai
pourtant pas jusqu’à présent été en mesure de m’exprimer
positivement à ce sujet, mais, je pense, il semble très pro-
bable que la Nature ait pour ces conduits, aussi bien que
dans ceux des corps animaux, un grand nombre d’artifices
et d’instruments appropriés par lesquels accomplir ses fonc-
tions et assurer le passage ; ce qui n’est pas improbable,
mais que certains observateurs attentifs, s’ils sont aidés de
meilleurs Microscopes, pourront détecter dans le futur.

Et que cela puisse être le cas semble être soutenu, avec


une grande probabilité, par le phénomène étrange des
plantes sensibles, où la Nature semble réaliser plusieurs ac-
tions animales avec la même structure, ou organisation, qui
est commune à tous les végétaux, comme peuvent appa-
raître, pour certains, non moins instructives les curieuses
observations qui ont été faites par divers membres éminents
de la Société Royale sur quelques plantes de cette sorte,
dont un compte-rendu a été établit et mis à disposition par

– 42 –
le plus ingénieux et excellent des médecins, le docteur
Clark ; lequel compte-rendu, ayant cette liberté qui m’est
accordée par cette société des plus illustres, j’ai adjoint à ce
document.

(Suit le compte rendu sur les observations sur les


plantes sensibles réalisé le 9 aout 1661 dans le jardin de M
Chiffins à St James Park, et signé, entre autres, du Dr
Clark)

Ci dessus : la figure 1 du Schéma XI de Micrographia


décrivant les cellules du liège, grossies 30 fois, observées
longitudinalement (B, à gauche) et transversalement (A). A
côté, j’ai fait figurer la signature de Hooke.

– 43 –
La place de l’observation 18 dans Micrographia :
comment Hooke confirme l’origine biologique
des fossiles par les « cellules » qu’il découvre
dans le liège.

Existe-t-il un ordre, une logique dans la disposition des


articles de Micrographia, où l’ensemble n’est-il qu’une col-
lection disparate de considérations variées ? A posteriori, il
semble bien que Hooke ait ordonné certaines parties, cer-
tains articles de l’ouvrage afin d’en construire la continuité.
Ainsi, contre l’opinion dominante de son temps, qui
voit dans les fossiles des artefacts d’origine minérale, Hooke
affirme et donne des éléments visant à démontrer que les
fossiles ont bien une origine biologique. Toutefois, il ne peut
encore, vu le contexte politique et religieux de l’époque,
énoncer clairement ses opinions. Ses observations à ce sujet
précèdent l’article sur les cellules du liège, mais l’ensemble
suit a posteriori une progression logique :

* L’observation 16 (sur le charbon) montre la présence de


fossiles dans les gisements et prend clairement parti en
faveur de leur origine biologique, Hooke écrivant à la fin
de ce chapitre : « Francisco Stelluto écrivit un Traité en
italien à ce sujet, qui a été imprimé à Rome, 1637, affir-
mant que c’est un certain type d’argile ou de terre qui au
cours du temps se transforme en bois. Je soupçonne
plutôt tout le contraire, a savoir que ce fut d’abord
certains grands arbres, sapin ou pin, qui par cause de
séismes, ou tout autre accident, en sont venu à être ense-
velis sous la terre, et là, après un séjour très long (en

– 44 –
accord avec la nature de plusieurs des parties adjacentes
les englobant) ils ont soit pourri en devenant une sorte
d’argile, soit se sont pétrifiés en devenant une sorte de
pierre, ou bien ont vu leurs pores remplis avec des
liquides minéraux qui, étant restés à l’intérieur de ces
derniers, se sont solidifiés au cours du temps. »

Il ne faut pas oublier que le mot « pore », pour Hooke,


est synonyme de « cellules », au sens où nous l’entendons. Il
décrit bien là un mécanisme de formation du charbon et des
fossiles d’une grande clairvoyance. Mais il va encore préci-
ser sa pensée, on observant cette fois non une substance
contenant parfois des fossiles, mais ces derniers eux-
mêmes.

* L’observation 17 (sur le
bois pétrifié et d’autres
corps pétrifiés, autrement
dit sur ce que nous appe-
lons les fossiles) décrit la
comparaison des orga-
nismes vivants et de leurs
« équivalents » pétrifiés
(Ci-contre, dessin de
Hooke représentant du
bois fossilisé observé au
microscope – schéma X de
Micrographia), et Hooke se prononce alors sans appel :
« À partir de tout cela (ses observations précédentes) et
de plusieurs autres détails que j’ai observés, je ne peux
pas m’empêcher de penser que toutes ces choses, et la
plupart des autres types de corps pierreux qui se trou-

– 45 –
vent être d’une forme étrange, doivent leur formation et
leur forme non pas à quelque type de « vertu forma-
trice » inhérente à la terre, mais aux coquilles de certains
mollusques, qui, soit par quelque déluge, inondation,
tremblement de terre, ou quelques autres moyens de
cette sorte, sont venu à être rejeté à cet endroit, et y ont
été remplis par quelque sorte de boue ou d’argile, ou avec
une eau pétrifiante, ou quelque autre substance qui au
cours du temps se sont confondues et solidifiées
dans ces moules coquilliers où se sont formés ces
matériaux que nous trouvons maintenant. »
* L’observation 18, enfin, effectue un retour au vivant,
montrant que les « pores » que l’on y observe sont sem-
blables à ceux observés dans les bois fossiles. Il suffit de
comparer la figure 2 du schéma X, décrivant le bois pétri-
fié, avec la figure 1b du schéma XI pour en être persuadé :
l’une est le négatif de l’autre. Toutefois, il serait inexact de
croire que Hooke a suivi en ce domaine un « programme
de recherche » rigoureux : explorant le monde avec son
instrument, il recherchait bien davantage la raison « mi-
croscopique » des propriétés physiques du liège, en parti-
culier de sa légèreté et de son élasticité, une propriété
qu’il a été l’un des premiers à quantifier dans la loi qui
porte son nom, plutôt qu’une confirmation dans celui-ci
de l’origine biologique des fossiles. Cette idée, et
l’ordonnancement qui en résulte, ne lui est venue que par
la suite, et ne sera pleinement développée que dans les
textes parus après sa mort.

Que conclure au terme de ce rapide examen ? Hooke


s’est trouvé au cœur de la science de son temps. Il a eu à la
fois l’avantage et le défaut de voisiner des géants comme

– 46 –
Newton ou Boyle. Il n’a que peu participé à la mathématisa-
tion de la nature, initiée par Galilée et si bien mise en place
par Newton et Leibniz, mais s’est davantage positionné en
ingénieur, en fabricant d’expériences, voire en « montreur »
de science. Il a certes manqué de temps et de flair mathéma-
tique pour interpréter la masse considérable de résultats
expérimentaux qu’il a collationnée, mais il a réussi à laisser
son empreinte, à travers sa Micrographia, dans l’histoire des
sciences. Davantage faiseur d’objet que bâtisseur de théo-
ries, il n’en a pas moins entrevu, grâce à ses réalisations
techniques, nombre d’idées révolutionnaires, dont la nature
des fossiles, l’existence des cellules, mais aussi le caractère
ondulatoire de la lumière et la nécessité de prolonger
l’emprise des sens sur le monde pour parvenir à une meil-
leure compréhension de ce dernier. Même si l’éclat de ses
contributions au savoir humain à pâli à côté de la révolution
newtonienne, il n’en reste pas moins que Hooke à initié les
noces entre sciences et technique, une union à la fécondité
exceptionnelle, base de notre monde moderne. La pompe à
vide qu’il a mise au point et perfectionnée pour Boyle a ou-
vert la voie à l’utilisation de ce même vide dans les machines
à vapeur qui ne vont pas tarder, à la suite de Newcomen, à
couvrir l’Angleterre et à la propulser dans la révolution in-
dustrielle. Hooke méritait donc bien, à tout le moins,
l’hommage imparfait de mes lignes.
R. Raynal

– 47 –
Bibliographie

Française :
Elle est plus que succincte : il n’existe rien en Français
sur Hooke, hormis l’article de Wikipedia qui lui est consa-
cré, et qui est un résumé du texte anglais.

Anglaise :
On trouve tout de même davantage de références (ce
qui n’est pas difficile !). Citons :
– Micrographia, numérisé dans le cadre du projet Gu-
temberg.
– L’article « Hooke » de la version anglaise de
Wikipedia, de loin plus complète que la version fran-
çaise.
– England’s Leonardo : Robert Hooke and the Se-
venteenth-Century Scientific Revolution, Allan
Chapman. Ed. Institute of Physics Publishing.
– The Curious Life of Robert Hooke : The Man
Who Measured London, Lisa Jardine. Ed. Harper Pe-
rennial (septembre 2004)
– Robert Hooke : Natural Philosopher and Scien-
tific Explorer, Michael Burgan. Ed. Compass Point
Books (juillet 2007)

– 48 –
Annexes

Tableau « An Experiment on a Bird in an Air Pump »


de Joseph Wright of Derby, 1768
Vers tirés du Vagabond de Richard Savage (1729) :

So in some Engine, that denies Ainsi, dans certains moteurs*,


a Vent, sans nulle aération,
If unrespiring is some Creature Si une créature est enfermée,
pent, sans respiration
It sickens, droops, and pants, Malade, elle s’affaisse, halète,
and gasps for Breath, et perd son souffle, hors
Sad o’er the Sight swim Son regard triste baigné des
shad’wy Mists of Death ; brumes de la Mort ;
If then kind Air pours powerful Si certain type d’air puissam-
in again. ment encore se déverse.
New Heats, new Pulses quicken Une nouvelle chaleur, de nou-
ev’ry Vein ; velles pulsations chaque veine
traversent ;
From the clear’d, lifted, life- Venant de la clarté, élevée, les
rekindled Eye, étincelles de la vie dans les
yeux reparaissent
Dispers’d, the dark and dampy Dispersant la noirceur, et les
Vapours fly. moites vapeurs disparaissent

– 49 –
* La pompe à air de Hooke était appelée à l’époque
« moteur pneumatique ».

– 50 –
Désirant qu’un nombre maximum de personnes ait ac-
cès à ce petit travail, ce dernier, libre et gratuit, est placé
sous licence Creative commons CC by nc. Vous êtes donc
libre de l’utiliser et de le modifier à la seule condition de
citer sa provenance, sans utilisation commerciale.

Pr. Dr. R. Raynal

– 51 –

Vous aimerez peut-être aussi