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“ La pensée clinique ” d’André Green

Robert Mancini
Dans Revue française de psychanalyse 2004/1 (Vol. 68), pages 287 à 298
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-2942
ISBN 2130543499
DOI 10.3917/rfp.681.0287
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 24/07/2024 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 91.167.162.202)

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« La pensée clinique » d’André Green1
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Robert MANCINI

La pensée clinique rassemble une série de textes écrits au cours de ces der-
nières années. Ils ont en commun de concerner la clinique des cas limites et
répondent tous à une même démarche de pensée, métapsychologique. Deux
d’entre eux ont, pour des raisons différentes, un caractère inédit : l’intro-
duction, qui est un texte original, et le texte intitulé « L’intrapsychique et
l’intersubjectif », qui n’avait pas été jusqu’ici publié en France. L’ordre de
présentation ne suit pas l’ordre d’écriture. Le plus ancien, « De la tiercéité »,
date de 1989 ; le plus récent, « La crise de l’entendement psychanalytique »,
est de 2001. L’ensemble de l’ouvrage se structure suivant quatre thèmes : la
« mutation postfreudienne » que constitue la prise en compte de l’intersub-
jectivité, un regard sur les névroses et les structures non névrotiques, des vues
plus théoriques, des considérations enfin sur la pensée psychanalytique
contemporaine.

« Pour introduire la pensée clinique »

A. Green force le trait lorsqu’il affirme en introduction la contradiction


des termes. « Pensée, clinique, voilà deux mots qu’on n’associe guère. » Il pro-
pose pourtant l’hypothèse « qu’il existe en psychanalyse non seulement une
théorie de la clinique, mais une pensée clinique, c’est-à-dire un mode original
et spécifique de rationalité issue de l’expérience pratique ». C’est avec Dora et
les Cinq psychanalyses que la pensée clinique est née. Centrée avec Freud sur
l’intrapsychique, la pensée clinique a opéré une mutation avec la prise en
compte de l’intersubjectivité.

1. Paris, Odile Jacob, 2002.


Rev. franç. Psychanal., 1/2004
288 Robert Mancini

« L’intrapsychique et l’intersubjectif.
Pulsions et/ou relations d’objet »

Tout en mettant l’accent sur le rôle de l’intersubjectif dans l’échange ana-


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lytique, A. Green choisit d’articuler plutôt que d’opposer les deux dimensions,
et il le fait en mettant en lumière le couple pulsion-objet.
Le concept d’objet recouvre, on le sait, de multiples significations (objet
du montage pulsionnel, objet visé par la satisfaction, objet interne, objet
transitionnel, objet subjectif, etc.). Parallèlement, le Moi s’est vu adjoindre
différentes entités, Je, sujet, Self. A. Green propose de regrouper ces diffé-
rents concepts suivant deux lignées : l’une objectale, l’autre subjectale. Les
« hypothèses de base » de l’analyste peuvent mettre l’accent sur l’une ou
l’autre, la pulsion est souvent sacrifiée. A. Green pense que l’analyste doit,
au contraire, « tenir les deux pôles du balancier qui va de la pulsion à
l’objet » (p. 40). La pulsion est « le siège et le produit d’un travail » (p. 45).
Qu’il s’agisse d’un travail interne ou d’un travail en aller-retour de l’infans à
la mère, « ce qui importe est que la même définition puisse être lue selon
les deux grilles différentes, intrapsychique et intersubjective, comme matrice
primaire d’où sortiront les différenciations ultérieures de l’une et de
l’autre » (p. 45).
L’objet est le révélateur de la pulsion. A. Green cite les Nouvelles confé-
rences : « Sur le trajet de la source au but, la pulsion devient psychiquement
active. » Du point de vue de l’intersubjectivité, la pulsion devient psychique-
ment active au voisinage de l’objet, à proximité psychique de celui-ci.
Le trajet de la pulsion passe par l’autre – référence à Lacan – avec cette
précision qu’il s’agit, du point de vue d’A. Green, d’un autre semblable. Le
fait pour l’analysant de dire ses pensées a une fonction en soi, que l’analyste
reste silencieux ou qu’il parle. « Dans tous les cas, la parole énoncée fait
retour sur le sujet, transformée par le fait qu’elle a été énoncée pour un
autre et qu’elle a, en quelque sorte, effectué une traversée en l’autre semblable,
c’est-à-dire l’analyste, sans l’atteindre pleinement, obligée de rebrousser che-
min. On devine l’analogie avec l’activation psychique de la pulsion au voi-
sinage de l’objet. Dans ces conditions, on voit comment intrapsychique et
intersubjectif sont des dimensions qui, dans la pratique analytique, sont imbri-
quées et que l’analyse, au sens logique, décompose pour comprendre ce qu’il
en est du rapport à soi et du rapport à l’autre » (p. 57).
Un certain nombre de questions viennent à l’esprit. Est-il équivalent de
parler d’intersubjectif ou d’interpsychique ? A. Green souligne que l’inter et
l’intra sont des dimensions différentes. Leur différence répond à celle entre
« La pensée clinique » 289

psyché et sujet : la psyché est pour soi et le sujet pour autrui. Faut-il alors
véritablement opposer inter et intra ? Pour A. Green, « le plus intra ne peut se
penser indépendamment du plus inter » (p. 58). La dimension intersubjective
« renvoie nécessairement aux intrapsychiques des sujets qu’elle met en rela-
tion » (p. 58), si bien que « la relation intersubjective est, en quelque sorte, au-
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dessus des deux pôles », elle crée « une plus-value de sens » (p. 59). Certes
l’intra et l’inter sont soumis à des dépendances différentes – l’un aux effets du
biologique, l’autre à l’influence du culturel – mais ils ont en commun d’avoir
recours au détour.
À partir d’une réflexion sur la deuxième topique, le Ça réservoir des pul-
sions, A. Green s’arrête sur la question des rapports entre la force et le sens.
Réinterrogeant le concept de pulsion, il met l’accent sur la motion. Le mouve-
ment est la première propriété du psychisme. La représentance, en offrant un
objet substitutif, permet de « s’arracher à la domination exclusive de la force »
(p. 69). A. Green propose l’idée d’une métabiologie afin de rendre compte de
phénomènes se situant aux confins du psychique et du biologique, tels que
la somatisation ou certains aspects de la criminalité (la pédophilie et sa sup-
pression par castration chimique). L’autre aspect, introduit par la deuxième
topique, est culturel. C’est le Surmoi. Les deux dimensions du biologique et
du culturel s’imbriquent. C’est ce qui fait « l’hétérogénéité profonde du psy-
chisme » (p. 72).
La pulsion, qui est « la matrice du sujet » (p. 73), ne peut être pensée sans
l’objet. Le fait que l’objet entre en relation avec l’activité pulsionnelle entraîne
en retour non seulement la transformation de la pulsion, mais aussi la trans-
formation du statut de l’objet. En outre, l’intégration dans l’intrapsychique
des relations intersubjectives permet la création d’une « fonction intrasubjec-
tive » (p. 74). Celle-ci témoigne de la créativité du sujet, de sa subjectivité et
de ses capacités objectalisantes. Il s’agit de dépasser les exclusives pour penser
de façon dialectique le couple pulsion-objet. La causalité psychique n’est ni
exclusivement intrapsychique, ni exclusivement intersubjective.

« Hystérie et états limites : chiasme »

A. Green se propose de rendre compte « des ensembles dans lesquels


s’insèrent hystérie et cas limites, les différences qui les séparent ainsi que le
cadre conceptuel qui peut les réunir » (p. 83). Si A. Green emploie le terme de
« chiasme », c’est parce qu’il se donne comme but « de traiter la zone d’in-
tersection entre hystérie et cas limites » (p. 85). Le chiasme désigne le croise-
ment. Il est à entendre comme le point d’échange de directions opposées.
290 Robert Mancini

Dans l’hystérie, ce sont les conflits liés au courant érotique qui dominent,
tandis que, dans les états limites, c’est la destructivité. Encore faut-il distinguer
les formes les plus bénignes d’hystérie et les autres. A. Green différencie le type
de traumas impliqués (séduction sexuelle dans l’hystérie, emprise de l’imago
maternelle dans les états limites), les mécanismes de défense (refoulement, d’un
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côté ; hallucination négative de la pensée et clivage, de l’autre), les manifesta-
tions de l’inconscient (bisexualité, méconnaissance ou mouvements pulsionnels
directs). Il passe en revue la question du corps, des affects, et souligne chez
l’hystérique la dévaluation des représentations, alors que dans les cas limites il
y a défaut représentatif, court-circuit, décharges pulsionnelles directes. L’iden-
tification hystérique multiple, labile, superficielle s’associe à une faiblesse des
identifications profondes, alors qu’il y a confusion identificatoire dans les cas
limites. Quant à l’objet, plus on se dirige vers les cas limites et plus l’objet est un
objet « non substituable, indispensable, irremplaçable, nécessaire à la survie de
l’individu » (p. 101). L’auteur aborde enfin la question du Surmoi, classique-
ment post-œdipien. L’enjeu se situe autour du sentiment de culpabilité incons-
cient. A. Green pose le problème en termes de « destructivité libre », non liée
par le Surmoi. L’insistance du masochisme invite à penser, au-delà de
l’érotisation, à une mise à l’épreuve de l’objet (Winnicott, 1971).
D’une façon générale, la nature érotique de l’hystérie se différencie de la
destructivité des cas limites. Le Moi relativement organisé dans l’hystérie l’est
beaucoup moins dans les cas limites. A. Green défend l’idée d’un continuum
concernant le deuil et la dépression entre hystérie à un bout et cas limite à
l’autre. L’hystérique présente une tendance à la régression, alors que les cas
limites ont tendance, au contraire, à se raccrocher au pôle objectal. Les fixa-
tions anales ont une place particulière. Dans l’hystérie, elles permettent de
différencier l’hystérie phallogénitale de l’hystérie orale. Chez les cas limites,
les fixations anales caractérielles prennent une forme chaotique, contre-
transférentiellement très éprouvante. L’analyste est utilisé pour ses carences
(Winnicott). Toutes les manifestations, en particulier les actings, évoquent
« l’impossibilité de jamais réussir à entrer en contact avec un bon objet ».
A. Green termine sur la question du rapport à la vérité de l’hystérique et
des cas limites. D’un côté la déformation du refoulement, de l’autre une vérité
faisant défaut qu’il s’agit de construire à partir de la compulsion de répétition.

« L’analité primaire. Relations avec l’organisation obsessionnelle »

Dans la suite des remarques précédentes concernant les fixations anales,


A. Green, dans ce texte de 1993, nous invite à « ressaisir sous une forme syn-
thétique les éléments de la problématique anale » (p. 113). Son propos
« La pensée clinique » 291

concerne le lien entre caractère et érotique anale, son importance dans les
états limites. L’auteur décrit ce qu’il appelle la relation anale et il en propose
une métapsychologie. L’espace anal est « un espace frontalier ». Le mouve-
ment de la pensée, s’appuyant sur le transit, se double de la « mise en mouve-
ment » suscitée par la demande de la mère. Dans une perspective progré-
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diente, l’analité transforme l’oralité. Elle est « l’indice d’appréciation de la
métabolisation des introjects, soit encore, en termes bioniens, du rapport des
fonctions a et b » (p. 119). A. Green note la conflictualité des aspects valorisés
et dévalorisés, la spécificité du renversement de valeur et le large spectre des
symboles possibles. Enfin, et ce n’est pas le moindre des aspects, derrière la
maîtrise de soi se profile le désir de maîtrise des autres, le désir de possession,
le désir sadique de casser, dégrader, faire souffrir.
A. Green propose d’isoler, dans la relation anale, une entité clinique, celle
de l’analité primaire. Sa conception enrichit la description du stade sadique-
anal précoce de K. Abraham. Le point de convergence avec les cas limites se
situe au niveau de la sphère du jugement : à « la sexualisation de la pensée de
la névrose obsessionnelle de l’Homme aux rats » répond « la sexualisation de
l’ “antipensée”, pourrait-on dire, de l’Homme aux loups : celle qui privilégie
les processus d’évacuation (Bion) sur ceux d’élaboration » (p. 129).
A. Green avait donné une première formulation de ce qu’il entendait par
« analité primaire » dans son article intitulé « Après coup l’archaïque » paru
en 1982. Son propos concernait une particularité du transfert des cas limites.
« La projection du patient attribue à l’analyste une puissance et même une
toute-puissance qui ne laisse d’autre issue à l’analysant que de lutter contre le
transfert et de refuser tout pouvoir à l’objet transférentiel. »
A. Green parle de « narcissisme anal » pour signifier le rôle défensif de
l’analité primaire, sa dimension d’axe interne, prothétique, face à un narcis-
sisme meurtri. L’analité primaire répond à une nécessité vitale de dire non à
l’objet. La pensée a pris la place de l’objet anal primitif. La défense acharnée
du territoire subjectif résulte d’un sentiment permanent d’empiétement. Elle
aboutit à une réduction des échanges libidinaux par mesure d’économie nar-
cissique. Le désir de destruction apparaît comme la seule preuve d’affirmation
de soi. La haine scelle un pacte de fidélité éternelle à l’objet primaire. La des-
truction de l’image de soi va jusqu’à la stérilisation de l’activité représentative,
au blanc de pensée.
Le refus de la différence résulte d’un mouvement d’agrippement : « L’ana-
lité primaire se rattache au sentiment de la fin de l’omnipotence symbiotique »,
« c’est le sujet qui ne reconnaît pas à l’objet le droit d’être différent et qui res-
sent en retour la détresse de n’être pas reconnu lui-même » (p. 140). Le contre-
transfert est éprouvant. « Le contre-transfert ne peut échapper au destin de
292 Robert Mancini

réfléchir la problématique du sujet, comme en miroir » (p. 141). A. Green fait


référence à Winnicott, à la haine dans le contre-transfert et à la question de
l’utilisation de l’objet.
Il est d’autant plus justifié de parler d’analité primaire que les liens de la
relation orale infiltrent l’analité et que le Moi est pris dans une défense obsé-
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dante de ses limites.

« La position phobique centrale. Avec un modèle de l’association libre »

A. Green s’intéresse ici à un fonctionnement psychique particulier. Les


patients dont il est question souffrent à la fois de manifestations phobiques en
dehors des séances et d’une inhibition en séance : « C’est comme si le fonction-
nement phobique s’était installé à l’intérieur même du discours et empêchait
tout déploiement possible dans le psychisme » (p. 151). Un tel trouble répond à
un état de non-séparabilité entre sujet et objet. « L’évitement concerne moins
une peur qu’une sorte de capture dans un piège sans issue » (ibid.).
A. Green définit la position phobique centrale comme une disposition
psychique souvent rencontrée dans la cure des états limites. Il s’agit de méca-
nismes auto-mutilants. Ce sont les organisateurs de la vie psychique qui sont
menacés. C’est la raison pour laquelle A. Green a choisi l’idée de centralité.
L’organisation phobique est au centre de l’organisation psychique. La menace
est celle d’une mise en résonance de différents traumas. La libre association
est empêchée.
A. Green distingue dans le réseau des associations des noyaux de réso-
nance (réverbérations rétroactives, annonciations anticipatrices). Il propose
d’appeler « rayonnement associatif » les lignes de force qui traversent les asso-
ciations. Certains analysants ont un mouvement d’évitement empêchant ces
lignes de force de se déployer. Le sens de cet évitement est différent selon qu’il
s’agit de patients névrosés ou de patients « limites ». Dans ce dernier cas,
l’évitement résulte d’une action de la destructivité sur le Moi, à fonction
défensive, plus que d’une fuite devant la prise de conscience d’un désir inter-
dit. A. Green montre, à travers une illustration clinique, comment l’associa-
tion libre est empêchée par excès potentiel d’associations, par crainte de la
folie ou d’une atteinte somatique. Au meurtre de la représentation s’associe
l’hallucination négative du sujet par lui-même.
A. Green termine par des développements métapsychologiques. D’abord
en revenant à l’Homme aux loups, à propos de la réalité de la castration :
« Aucun jugement n’était là porté sur son existence, mais les choses se pas-
saient comme si elle n’existait pas. » Le même type de mécanisme se retrouve
« La pensée clinique » 293

dans l’évitement phobique des cas limites. Ce qui est en jeu est de l’ordre du
meurtre primaire, « dont le but, dit A. Green, est de procéder à une excorpo-
ration de l’objet abandonnant » (p. 180). La culpabilité en est la conséquence.
La position phobique centrale, au même titre que la forclusion, participe
du processus analytique.
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« Sur la discrimination et l’indiscrimination affect-représentation »

Ce texte, de 1999, se situe en après-coup du Discours vivant (Green, 1973).


Il apporte des compléments, en particulier d’ordre clinique, à des textes théori-
ques publiés dans Propédeutique, en particulier « Réflexions libres sur la repré-
sentation de l’affect » (Green, 1985). À partir de situations cliniques mettant en
question la discrimination entre affect et représentation, A. Green prolonge sa
réflexion sur les rapports entre motion pulsionnelle, objet et travail du négatif.
Si l’écoute n’appelle pas, en principe, à une décomposition entre affect et
représentation, la distinction s’impose parfois d’elle-même. Il arrive que l’af-
fect tienne lieu de représentation (Green, 1973). Une telle situation peut se
produire à des moments particuliers ou constituer un style transférentiel de
fond répondant à différents états.
Alors que représentations et motions pulsionnelles coexistent dans la
Métapsychologie (Freud, 1915), seules les motions pulsionnelles sont mention-
nées dans « Le Moi et le Ça » (Freud, 1923). Cette dernière description privi-
légie l’enracinement somatique, la force dynamique et la compulsion de répéti-
tion. A. Green, dans le Discours vivant, évoquait déjà comme fondement de
l’organisation psychique « un matériau tel que la division en affect et repré-
sentation y est impossible » (Green, 1973). Une telle conception correspond à
celle de Freud de 1915 et à son hypothèse d’un représentant psychique de la
pulsion. La même année, Freud, dans « L’inconscient », signalait la valeur de
l’investissement d’objet. Cette remarque est importante dans la mesure où « la
motion pulsionnelle est ce qui donnera naissance à l’affect, une fois que la
rencontre avec la représentation d’objet sera intervenue » (p. 218). En d’autres
termes, c’est « par les élaborations de ce qui préside, au départ, à la conjonc-
tion du représentant psychique de la pulsion et des traces laissées par la repré-
sentation d’objet qu’un véritable monde psychique interne se construit,
comme doublant le monde extérieur » (p. 249).
Ces questions ont une incidence clinique, puisqu’elles concernent les cas
dans lesquels il y a défaut de l’activité représentative (clinique des cas limites
et des états non névrotiques) ou confrontation à des angoisses extrêmes.
A. Green consacre une large part de son développement à la clinique des
états limites. Il souligne la confusion d’affects, qui ne sont ni verbalisables, ni
294 Robert Mancini

même identifiables, et décrit les mécanismes de défense (répression, double


retournement, expulsion par l’acte, somatisation). Les passages à l’acte sont
fréquents, ils répondent à un masochisme inconscient lié à la destructivité
interne. Celle-ci apparaît « comme le double fond de tout le travail psychique »
(p. 229). Comme cela était évoqué à propos de l’analité primaire, le propre de
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cette destructivité est de s’adresser à un objet séquestré, inséparable du narcis-
sisme du sujet. Le sentiment de débordement est constant. L’hallucination
négative et la négativité ont une place importante.
Un aspect mérite d’être particulièrement retenu : « Le sujet a introjecté,
aspect le moins visible de la dépendance, les modes de pensée les plus para-
doxaux de l’objet, qui en fin de compte interdisent toute vision d’ensemble de
celui-ci. Aucune image, à proprement parler, ne peut à cet égard se former
– encore un effet de la limitation de la fonction de représentation. » « Force
doit rester à l’objet, auquel un sacrifice est dû, à la mesure même des nom-
breuses mises à mort des représentations qui ont vidé la psyché de ses poten-
tialités dynamiques et transformatrices » (p. 229).
Dans une dernière partie, A. Green entame une discussion théorique.
L’origine de tels états paraît surtout liée à l’histoire des réponses de l’objet à la
pulsionnalité du sujet. « Nous tombons ici sur l’évaluation difficile des relations
avec un objet maternel qui peut être tour à tour phobique de l’activité pulsion-
nelle du sujet, rigide dans l’imposition des croyances, complaisant à l’égard de
ses propres bizarreries, rendu aveugle et sourd aux exigences de la vie affective
de l’enfant et de ses créations psychiques personnelles » (p. 238-239). A. Green
ajoute que « l’objet maternel lutte sourdement en permanence pour que le père
n’occupe qu’une place insignifiante dans le psychisme du sujet » (p. 239).
C’est le concept de motion pulsionnelle qui paraît le plus approprié. « Il
s’agit en effet ici de mouvements toujours à suspendre, freiner, étouffer, arrê-
ter dans leur potentialité dangereuse et cependant toujours portés à déborder
de leur territoire, à diffuser sur l’ensemble de la vie psychique sans subir la
transformation organisatrice des niveaux différenciés » (p. 241).
A. Green termine par différentes « spéculations ». Certaines sont d’ordre
neurobiologique. Les autres, dans le prolongement de Freud et de Winnicott,
impliquent le modèle du jeu et la notion de « formations intermédiaires ».
A. Green souligne « l’absence ou le caractère fonctionnellement inopérant de
formations intermédiaires, c’est-à-dire de productions psychiques organisées
par des processus primaires impliquant un relatif travail de différenciation
entre affect et représentation » (p. 251). Ces productions, qui constituent une
« aire intermédiaire » interne, dépendent, pour se constituer, de la qualité de
l’investissement maternel.
« La pensée clinique » 295

« De la tiercéité »

Ce texte écrit en 1989, dans l’après-coup du Colloque de l’Unesco, est le


plus théorique des textes réunis. Il concerne l’acte même de se connaître et les
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rapports du savoir et de l’inconscient. Le problème posé, difficile, est celui des
lois de la psyché, celui du rapport entre les systèmes à trois termes (Œdipe,
instances) et la logique binaire (l’opposition chose-mot, primaire-secondaire,
plaisir-réalité, vie-mort). La pensée psychanalytique est ici l’objet d’une
réflexion sur ses propres mécanismes, ce qui suppose de reconnaître l’écart
épistémologique entre l’inconscient et sa transcription.
Green, qui a emprunté le concept de tiercéité à C. S. Peirce, développe
une conception différente de celle de Lacan. Il souligne la valeur de la média-
tion « comme ouverture à la tiercéité » (p. 284). Se dessine ici la préforme de
la question des conditions de constitution de l’« aire intermédiaire » interne
nécessaire à la discrimination affect-représentation (le texte précédent, chrono-
logiquement postérieur, développe cette idée). Quant à la définition de la tier-
céité : « La tiercéité serait le statut de ce que l’on appelle la relation, terme
troisième par rapport à ceux qu’il met en relation » (p. 285).
Il est impossible de rendre compte de l’ensemble des thèmes abordés : les
notions de signe, de signifiant, la symbolisation, le travail du négatif, la fonc-
tion tierce du Surmoi dans son rapport au Moi et au Ça sont successivement
envisagés.
Si le texte comporte des passages d’un haut niveau d’abstraction, ce qui
engage la question de l’écart théorico-pratique, la notion de tiercéité est par-
lante. De fait, elle constitue, par elle-même, une représentation tierce qui s’est
imposée dans la pensée psychanalytique. Parmi les points abordés, je m’arrê-
terai sur la question de la « représentance ». Dans la double relation de la pul-
sion à l’objet et au Moi, la « représentance » est en position tierce. A. Green
revient sur sa distinction entre représentant psychique de la pulsion et repré-
sentants de chose ou d’objet. Le représentant psychique est, précise-t-il,
« représentant des messages venus du corps sans corrélat concevable », c’est-à-
dire sans possibilité de traduction à double sens, entre corps et représentant.
Les représentations de chose ou d’objet sont, elles, issues d’un perçu et de sa
transformation.
L’aspect principal concerne l’ « enracinement pulsionnel » et « la relation
pulsionnelle du sujet à la relation pulsionnelle à l’objet » (p. 304). L’auteur
revient, pour conclure, sur la question des rapports du savoir et de l’in-
conscient. Le savoir ne peut être un seul savoir conscient. La pensée psycha-
nalytique doit inclure un « savoir inconscient » qui suscite des manifestations
296 Robert Mancini

faisant prendre en compte son existence, sans se connaître pour autant. C’est
« dans cette marge de savoir inconscient » que le tiers demeure, là où il paraît
le plus absent. « Sans lui, rien ne serait analysable. »
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« La mort dans la vie. Quelques repères pour la pulsion de mort »

Ce texte est paru en postface de « L’invention de la pulsion de mort »


(J. Guillaumin et al., 2000). A. Green exprime son accord et ses réserves à la
fois sur la spéculation de Freud et sur les formulations post-freudiennes les
réfutant. La question n’est pas tant de savoir si la pulsion de mort existe ou
n’existe pas, mais plutôt d’éclairer, de clarifier ce dont elle est supposée rendre
compte. Il refuse la conception freudienne attribuant à la pulsion de mort une
tendance au retour à l’inorganique. Il doute du caractère primaire de l’orien-
tation interne. Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de données cli-
niques, pour une grande part liées à l’expérience des cas limites (masochisme,
sentiment de culpabilité inconscient, réaction thérapeutique négative), posent
la question de la destructivité.
Tout en gardant les notions d’intrication et de désintrication, A. Green
propose de remplacer l’expression « pulsion de mort » par celle de « pulsion de
destruction ». Lorsque la relation mère-enfant est trop éloignée des capacités de
tolérance de l’enfant, celui-ci devient la proie de réactions destructrices impor-
tantes. « Ces réactions destructrices représentent une tentative désespérée pour
faire cesser la situation intolérable » (p. 314). A. Green fait remarquer que la
destructivité est vécue comme orientée à la fois vers l’extérieur et l’intérieur, du
fait d’une certaine indistinction entre sujet et objet, et que, par ailleurs, comme
cela a été développé antérieurement, de tels états ne peuvent se différencier en
affect et représentation ; le plus souvent, ils restent irreprésentables, objets de
répétitions prenant la forme d’accidents somatiques ou de compulsions à agir.
Le point faible de la théorie freudienne de la pulsion de mort vient de son
élaboration insuffisante du rôle de l’objet. A. Green propose un modèle dans
lequel l’enfant, au début de sa vie, passerait de moments de fusion-indis-
tinction à des moments de séparation-distinction. « Or, si l’observation nous
permet de repérer les données relatives à la distinction » (la reconnaissance
précoce par le nourrisson de la mère, en tant qu’objet distinct), « la fusion,
elle, n’est pas accessible à l’observation » (p. 317). De ce point de vue,
l’intrication est double : il y a intrication entre sujet et objet et intrication des
pulsions. A. Green aborde successivement la question des manifestations psy-
chosomatiques, celle des comportements sexuels violents, le caractère dyna-
mique, instable de l’équilibre des pulsions, le fait que la pulsion de destruction
« La pensée clinique » 297

dépend largement de la relation d’objet et enfin le fait qu’elle peut être liée par
le transfert. A. Green revient sur les notions d’objectalisation et de désobjecta-
lisation (Green, 1986). Les manifestations de destruction à orientation vers
l’extérieur pratiquées à grande échelle s’accompagnent d’un désinvestissement
libidinal de l’objet – « la relation à l’objet est, pour ainsi dire, rompue par le
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désinvestissement » (p. 328). Les cas d’orientation interne de la destructivité
répondent au narcissisme de mort. De tels mouvements sont à l’opposé de la
fonction objectalisante. Dans un fonctionnement sous le primat de l’intri-
cation, liaison et déliaison se combinent et se succèdent, les désintrications ne
sont que partielles et temporaires. Lorsque les pulsions destructrices prédomi-
nent, le fonctionnement est différent, la déliaison l’emporte, le désinvestisse-
ment concerne le Moi ou l’objet.
A. Green revient sur la réduction des tensions pour souligner le rôle de la
pulsion de destruction dans le travail du négatif (refoulement, forclusion, cli-
vage, désaveu et négation). Dans les cas limites, ce travail peut prendre la
forme d’une véritable auto-destruction de la pensée, associant hallucination
négative et compulsion de répétition.

« La crise de l’entendement psychanalytique »

L’ouvrage se termine sur un constat : la psychanalyse traverse une


« crise de l’entendement » liée au fait que les psychanalystes ne partagent
plus les principes d’un entendement commun. A. Green revient sur une inter-
rogation de Freud, citée plusieurs fois, au fil des pages. Cette interrogation
concerne le fait de distinguer entre postulats et résultats d’une recherche.
L’évolution du champ clinique, son extension et sa diversité ont favorisé la
divergence des « hypothèses de définition » (Bion). Le regard des analystes
s’est transformé avec l’évolution de la pensée psychanalytique. Une des ques-
tions majeures qui se pose est celle de l’analysabilité de certains patients,
l’adéquation ou non du cadre analytique, ses variations, ses limites. À la
multiplicité des théories répond une multiplicité des techniques. A. Green
pense que, lorsque le cadre type est inapproprié ou impossible, l’analyste
doit proposer un cadre différent, plus approprié, se rapprochant néanmoins
du modèle de la cure. Dans cette perspective, les psychothérapies menées par
un analyste font partie intégrante du travail psychanalytique. Le cadre,
plus qu’un protocole, est un cadre intérieur, une intériorisation de l’analyse
(l’analyste ne cessant de se référer, dans son travail intérieur, à la pensée
analytique). L’ouvrage se clôt sur ces réflexions concernant l’avenir de la
psychanalyse, sa recherche et sa transmission.
298 Robert Mancini

Pour conclure

Tout au long de l’ouvrage, la référence aux états limites est présente. La


question peut se poser de savoir s’il s’agit là d’un champ restreint, concernant
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les structures non névrotiques, ou si ce qu’A. Green décrit représente un
registre de fonctionnement susceptible d’intervenir dans tout fonctionnement
psychique. Une telle conception serait en accord avec les vues de Freud de
l’Abrégé et du « Clivage du Moi » sur le caractère hétérogène du fonctionne-
ment psychique.
Il faut souligner, pour conclure, que la métapsychologie n’apparaît pas,
dans cet ouvrage, comme une construction théorique, abstraite, creusant un
écart avec l’expérience ; elle se révèle, elle transparaît, ce qui est bien différent,
comme une traduction de l’expérience, comme une pensée clinique.

Robert Mancini
6, impasse des Platanes
69008 Lyon

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