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EM
« L’histoire est une passion française. Son enseignement scolaire aussi, comme le montrent
notamment les attentes et les polémiques qu’il provoque de façon récurrente » écrivait en 2013
l’inspecteur général Laurent Wirth, responsable des programmes publiés en 2009.
L’histoire scolaire n’est pas « le décalque de l’histoire universitaire » (Laurence de Cock (dir.),
La fabrique scolaire de l’histoire, 2009), depuis le XIXe siècle sa raison d’être est politique :
transmettre des valeurs : hier le patriotisme, aujourd’hui la démocratie. Les programmes
d’histoire sont ainsi le miroir déformé de la vision que la société a d’elle-même.
Le Conseil supérieur des programmes (CSP) répartit entre les disciplines scolaires des finalités
civiques spécifiques en lien avec le programme de l’enseignement moral et civique (EMC) : à
l’histoire la citoyenneté républicaine, à la géographie l’éco-citoyenneté et le développement
durable. Au cours de l’été 2020, le programme d’histoire de collège est en partie verdi, le
Ministère y ajoute la question de l’environnement dès le premier thème de la 6e « Les débuts
de l’humanité ». En 4e, la révolution industrielle est étudiée à partir des effets de « la révolution
énergétique charbon-pétrole-électricité » sur l’environnement et en 3e, le climat et le
développement durable apparaissent parmi les enjeux mondiaux contemporains.
Aujourd’hui, deux versions d’histoire scolaire s’affrontent : à droite, les partisans d’un retour à
un roman national, à gauche, ceux qui souhaitent une histoire ouverte sur l’ailleurs et sur l’autre.
Ce clivage révèle un débat public souvent polémique qu’a cristallisé l’accueil reçu en 2017 par
L’histoire mondiale de la France. Lors de la première publication du programme d’histoire de
collège en mai 2015, Le Figaro continue de dénoncer la disparition de Clovis et de son baptême,
et de se moquer des « pédagogistes ». L’historien Patrick Gueniffey croit même deviner la
volonté d’effacer « tout ce qui rappelle tant les racines chrétiennes de la France que le fait
national » au profit d’un enseignement de l’histoire de l’islam. Aggiornamento, le site Internet
animé par Laurence de Cock, regrette la suppression de la référence aux civilisations africaines
médiévales comme le Monomotapa. L’enseignement de l’histoire entre même dans les thèmes
de la campagne présidentielle et on assiste à un retour en force du roman national ; en août
2016, François Fillon annonce qu’élu il proposerait à trois académiciens d’écrire de nouveaux
programmes dans le dessein de proposer un récit national qui donne aux jeunes la fierté d’être
Français. Le candidat Sarkozy affirme le mois suivant que celui qui devient français doit se dire
« J'aime la France, j'apprends l'histoire de France, je vis comme un Français » et accepter que
ses ancêtres « ce sont les Gaulois et c’est Vercingétorix ».
En plus des finalités civiques, l’histoire scolaire a deux autres objectifs : refléter l'état
d'avancement de l'historiographie et tenir compte des nouveautés pédagogiques.
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belle » à l’islam, à la traite et au colonialisme comme une forme de culpabilité nationale qui
criminalise le passé de la France et de l’Occident. L’historien de la mémoire y voit le symptôme
d’une crise d’identité nationale et le reflet « d’une France fatiguée d’être elle-même ». Et après
une phase de consultation des enseignants et la tenue d’un colloque à la Sorbonne, il propose
des modifications pour pouvoir « expliquer ce que la France a apporté à l'Europe et au monde
et, inversement, ce qu'elle a reçu de l'Europe et du monde ». Sous sa dictée, le programme est
réécrit et publié en novembre 2015, la distinction entre sujets obligatoires et facultatifs est
effacée et l’étude de l’islam insérée dans la thématique plus large de « Chrétientés et Islam ;
des mondes en contact ». L’élaboration des programmes de collège est coordonnée par le CSP,
instance composée de membres de la société civile et de parlementaires chargée d’assurer la
complémentarité entre les différents niveaux du primaire et du secondaire, et entre les
différentes disciplines.
Son président nommé par la ministre socialiste, le géographe Michel Lussault, démissionne en
septembre 2017 pour protester contre la politique du nouveau ministre Jean-Marie Blanquer
qu’il qualifie de « réactionnaire ». Dans le cadre de la réforme du lycée, le programme
d’histoire du lycée est préparé par un groupe d’experts copiloté par l’historien François Hartog
(EHESS), auteur des Régimes d’historicité. Publié en 2019, il provoque des critiques à gauche
et des louanges à droite. Dans Libération, Laurence de Cock constate le retour rétrograde d’une
histoire politique événementielle centrée sur les grands personnages. Dans Le Figaro, Eric
Anceau, historien de Napoléon III, se félicite au contraire de la « fin du pédagogisme » et salue
la « place donnée à la construction de la nation française ».
Le CSP dirigé par Michel Lussault valide en 2015 une histoire scolaire qui introduit des
innovations pédagogiques (la logique des cycles et l’interdisciplinarité des EPI), fait la part
belle aux sujets sensibles (l’islam, la traite et l’esclavage, la shoah, l’immigration…), aux
« oubliés de l’histoire » (les immigrés, les femmes…), et confirme l’abandon de l’histoire
nationale, ce que souligne la disparition au collège des Gaulois et de Clovis, au profit d’une
histoire globale et d’une histoire politique multiscalaire.
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Ces connaissances reposent sur la principale compétence travaillée en histoire : « se repérer
dans le temps : construire des repères historiques ». Et chaque discipline contribue à remplir la
mission de former « l’élève en tant que personne et futur citoyen », l’enseignement moral et
civique (EMC) dont les professeurs d’histoire-géographie ont au collège l’exclusive
responsabilité devant faire travailler les élèves sur les valeurs de la République.
Le socle commun et la logique des cycles correspondent à une démarche curriculaire. Pratiqué
dans le monde anglo-saxon, le curriculum scolaire fixe des objectifs à atteindre et trace pour
chaque élève un parcours de formation constitué de situations d’apprentissage qui doivent lui
permettre d’acquérir compétences et connaissances. La logique curriculaire s’oppose à la
pratique des programmes scolaires longtemps appelés en France instructions officielles (IO) qui
privilégient les contenus aux méthodes au nom de la liberté pédagogique.
Le programme de 2015 est un compromis prudent entre la tradition des IO et cette logique
curriculaire qu’appellent de leurs vœux ceux que leurs ennemis nomment les « pédagogistes ».
Autre concession : l’existence des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). L’EPI
est au même titre que l’accompagnement personnalisé un enseignement complémentaire mis
en place au collège à partir de la rentrée 2017. Chaque discipline scolaire peut en proposer.
L’EPI introduit de nouvelles pratiques d’apprentissage : la concertation entre enseignants de
disciplines différentes, le travail des collégiens en équipe, la réalisation d’un projet concret. Par
exemple en 3e, le professeur d’histoire-EMC pouvait animer un projet interdisciplinaire avec
son collègue des arts plastiques sur les représentations de Marianne. Le petit groupe d’élèves
concerné aurait pour objectif d’organiser une exposition dont l’inauguration serait annoncée par
une affiche. Le bilan des EPI a été dressé dès la fin de la première année de leur application :
un échec parce que les enseignants pour de multiples raisons n’ont pas adhéré.
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longue histoire de l’humanité et des migrations » dans lequel il est question du peuplement de
la terre par les hommes, première manifestation d’un processus de mondialisation. En CM1, on
ne parle plus des grandes invasions qui auraient détruit l’empire romain mais de « grands
mouvements et déplacements de population ». Les Ressources de la classe de 3e présentent la
France comme un pays d’immigration et posent la question de la véritable intégration sociale
de la seconde génération composée d’enfants d’immigrés nés en France. Les enseignants sont
invités à consulter le site de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Pourtant, Benjamin
Stora regrettait en 2015 « la faible place de l’immigration dans les nouveaux programmes » et
déclarait publiquement : « J’ai beau chercher la mention d’une “histoire de l’immigration”
dans les programmes d’histoire de 3e, elle n’apparaît qu’une seule fois, et encore, pas comme
une thématique à part entière mais comme une entrée possible, presque un exemple parmi
d’autres. »
Un autre inspecteur général, l’historien Olivier Grenouilleau, spécialiste des traites négrières,
place l’étude de la traite et de l’esclavage en début de la classe de 4 e conformément aux
consignes de la loi Taubira (2001). Le fait colonial, et en particulier la guerre d’Algérie, est
présent en 4e et en 3e. Questions socialement vives par excellence, la guerre d’Algérie et le
passé colonial de la France remplacent depuis le procès Papon et les émeutes en banlieue de
2005 Vichy dans les catégories du retour du refoulé et du « passé qui ne passe pas » (Henry
Rousso). Les Ressources de 4e présentent le thème « Conquêtes et sociétés coloniales » en
faisant référence au sociologue Georges Balandier et sa notion de situation coloniale qui montre
que les colonisés sont autant que les colons les acteurs du fait colonial. Auteure d’une thèse sur
son enseignement, Laurence de Cock estime qu’il s’agit d’« un prisme pour penser la question
de l’immigration en France ».
L’étude des faits religieux a pour rôle de défendre les principes de tolérance et de laïcité. Elle
émane de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) alors dirigé par l’inspecteur
général Dominique Borne, qui devient un centre d’expertise et de conseil laïc chargé d’étudier
l’impact des questions religieuses sur la société. La notion de fait religieux inventée par le
rapport Debray (2002) distingue le fait qui s’impose à tous (des personnages comme Jésus, des
événements comme son procès…) et le domaine des croyances qui ne sont des faits que pour
les croyants (La résurrection du Christ …). Les enjeux de son enseignement sont autres que
religieux : mieux comprendre une civilisation (le monothéisme juif, l’Islam) ou poser une
question politique (les chrétiens dans l’empire romain, le califat islamique, la légitimation de la
monarchie capétienne par l’Eglise, les réformes et conflits religieux au XVIe siècle…).
L’enseignement du fait religieux musulman est évidemment délicat comme l’a montré la
polémique qui a accompagné la publication du programme en 2015. Et nous savons depuis le
16 octobre que l’EMC dont les professeurs d’histoire-géographie sont chargés en collège n’est
pas épargné par des violences extrêmes…
Oissila Saaidia, universitaire spécialisée dans l’histoire du fait religieux, a essayé de répondre
en 2011 à la question : Comment enseigner le fait religieux musulman ? Le premier obstacle
que peut rencontrer cet enseignement provient d’élèves se reconnaissant dans une identité
religieuse musulmane qui au nom d’une lecture islamiste de leur religion refusent d’accepter
un savoir historique et distancié sur l’islam. Mais les enseignants peuvent aussi être la source
des difficultés, surtout par ignorance de l’histoire du fait religieux musulman qui conduit
certains à réduire la religion musulmane aux questions d’actualité. Oissila Saaidia a mené une
enquête sur les manuels qui appliquaient le programme de 2009. Elle conclut que « l’histoire
qui est décrite dans les manuels scolaires est bien souvent inscrite dans une perspective fixiste
de cette religion », une histoire fatalisée et « a-historique » qui accréditerait l’idée que le Coran
présenté par naïveté comme un livre incréé compilerait dès le vivant de Mahomet les principes
de l‘islam.
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Deux autres courants historiographiques complètent ces finalités au service d’une citoyenneté
plurielle : l’histoire des femmes en 4e et 3e et l’histoire globale.
L’historienne Annette Wieviorka a dirigé en 2004 la rédaction d’un rapport qui déplorait
l’insuffisante place de l’histoire des femmes dans les programmes scolaires. La lacune est en
partie réparée en 2015 : en 4e, l’étude des conditions féminines dans la France du XIXe siècle
et celle en 3e de la place des femmes dans la société française depuis 1950 rendent l’histoire
scolaire plus mixte dans le cycle 4. Les Ressources de 3e insistent sur l’évolution décisive que
les droits des femmes ont connue depuis la Libération. Le principe de l’égalité hommes-femmes
est reconnu dans la constitution de 1946, en 1965 les femmes mariées peuvent exercer une
profession sans l’autorisation de leur conjoint et en 1970 l’autorité paternelle est devenue
autorité parentale. Toutefois dans un entretien publié dans La Croix en 2018, l’historienne des
femmes Michelle Perrot regrettait que « le travail universitaire conduit depuis une cinquantaine
d’années a certes permis de mieux comprendre et de mettre en valeur leur participation à
l’histoire. Mais il n’a guère porté de fruit dans l’enseignement secondaire ». Pour rendre les
femmes plus visibles dans l’histoire scolaire, l’historienne Michelle Zancarini-Fournel propose
que les enseignants exploitent « l’implicite » du programme, qui s’appuierait sur des travaux
universitaires : par exemple en 6e l’exclusion des femmes de la citoyenneté dans l’Athènes de
Périclès (Nicole Loraux) ou en 4e l’étude des « citoyennes sans citoyenneté » pendant la
Révolution française (Dominique Godineau) etc.
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fondée sur l'énergie fossile du charbon et la force motrice de la machine à vapeur à « Prométhée
déchaîné ». Les sociétés sont bouleversées, la classe ouvrière se forme au XIXe siècle avec une
identité sociale forgée par des valeurs communes et des luttes qui opposent une résistance aux
mutations économiques. La deuxième industrialisation accélère ce processus économique de
mécanisation, et social d'ouvriérisation en assurant l'avènement des grandes usines et des
banlieues ouvrières ; la question sociale du paupérisme est désormais en partie prise en charge
par un puissant mouvement ouvrier qui s'organise à l'échelle européenne. L'industrialisation a
renforcé la domination européenne sur le reste du monde alors qu'au XVIIIe siècle l'Inde était
un « atelier du monde » et que l'économie de la Chine n'avait pas encore été dépassée par celle
de l'Angleterre de la Révolution industrielle. Déjà Fernand Braudel dans le « Le temps du
monde », tome 3 de Civilisation matérielle, économie et capitalisme (1979), et l’historien
américain Kenneth Pomeranz dans Une Grande Divergence (2010) montraient que la puissance
de l’économie chinoise était alors comparable à celle de l’Angleterre dont le décollage
économique ne date que du XIXe siècle.
Le problème des puissances dans le monde appartient au domaine de l’histoire des relations
internationales. La notion de la puissance est définie par Jean-Baptiste Duroselle comme la
capacité d’imposer sa volonté à autrui. Dans Tout empire périra (1981), il illustre la nouvelle
puissance anglaise avec le récit de la première guerre de l’opium (1839-1842) lorsque par la
diplomatie de la canonnière la Grande Bretagne impose à l’empire du Milieu des traités
inégaux. La domination mondiale des puissances européennes au XIX e siècle a pris aussi la
forme de l ' « impérialisme colonial » à étudier en classe de 4e « à partir de l'exemple de
l'empire colonial français ».
Les programmes de 3e conservent cette échelle européenne et mondiale : La période 1914-1945
(« L'Europe théâtre majeur des guerre totales ») précède l'étude du « monde après 1945 »
marqué par l'affirmation de deux superpuissances mondiales – les États-Unis et l'Union
soviétique – et la fin des empires coloniaux européens qui coïncident avec les débuts de la
construction européenne.
Pour l’histoire de la France, continue en cycle 4, l’histoire nationale est remplacée par
l’histoire politique dont le choix correspond aux finalités civiques inhérentes à l’histoire
scolaire, et dont le contenu doit beaucoup à la collection Histoire de France dirigée depuis 2011
par Joël Cornette aux éditions Belin. L’évolution de la souveraineté incarnée par des figures
royales constitue une thématique qui couvre une partie du programme de 5e : L’Etat
monarchique du Moyen Age (Philippe Auguste, Louis IX, Charles VII), le Prince de la
Renaissance (François Ier), le roi absolu (Henri IV, Louis XIV). En classe de 4e on change
d’échelle puisqu’il y est question de « l’Europe des Lumières » : les idées nouvelles circulent
et sont diffusées par les livres et les sociétés de pensée, elles inspirent aussi bien les expériences
de despotisme éclairé qu’elles contestent l’absolutisme qui repose sur le principe religieux du
droit divin. Cette approche culturelle du politique fait écho aux travaux de Roger Chartier sur
Les origines culturelles de la Révolution française (1990) qui renversent l’opinion selon
laquelle les Lumières auraient inventé la Révolution française en expliquant que « c’est la
Révolution qui a inventé les Lumières en voulant enraciner sa légitimité dans un corpus
d’auteurs fondateurs ».
L’enseignement de la Révolution française reste influencé par une périodisation large qui
intègre depuis François Furet l’Empire. La question de la violence et de la Terreur qui a divisé
depuis des décennies l’historiographie est éclipsée par l’étude des « apports » : la Déclaration
de 1789 et ses valeurs (droits de l’homme et souveraineté nationale) masque la Terreur de l’An
II. La nouveauté du programme de 2015 réside dans le retour du vieux concept de révolution
atlantique forgé en pleine guerre froide par Jacques Godechot et l’Américain Robert Palmer.
Mis au pluriel, il introduit une étude comparée des révolutions atlantiques de la fin du XVIIIe
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siècle – la Révolution américaine (1776-1783), la Révolution batave (1780-1787) et la
Révolution haïtienne (1791-1804) – et pose la question de l’originalité de la Révolution
française.
La République cristallise les valeurs de 1789 et les complète par d’autres. Dans « Société,
culture et politique dans la France du XIXe siècle », on étudie le passage du suffrage censitaire
au suffrage universel masculin pour montrer que la démocratisation est en France synonyme du
combat pour la République. La Troisième République réussit à s’enraciner dans la société et à
l’unir autour des principes des droits de l’homme en adoptant des symboles, en fondant une
école républicaine et en surmontant des moments de crise (l’affaire Dreyfus, la loi de 1905) tout
en maintenant l’exclusion politique des femmes. Les Ressources citent la notion d’ancrage
pour éviter que les enseignants en restent à une histoire politique et
institutionnelle traditionnelle ; l’approche sociale et culturelle qui est suggérée doit beaucoup à
l’histoire culturelle du politique représentée par un disciple de René Rémond, Serge Berstein
qui, coauteur en 1992 du Modèle républicain, présente la République comme un modèle, « une
sorte d’écosystème social » qui assure au régime stabilité et durée.
A la fin de la classe de 3e, la séquence « Françaises et Français dans une République repensée »
doit faire réfléchir à la refondation républicaine élaborée par le Conseil national de la Résistance
et son programme « Les Jours heureux » qui appliqué à la Libération donne corps à de nouvelles
valeurs : la République est désormais qualifiée de sociale et l’égalité entre les femmes et les
hommes proclamée. Dans sa forme institutionnelle, la République est renouvelée en 1958-1962.
Comme pour la IIIe, ce sont les réponses politiques que la Ve République élabore pour faire face
aux évolutions de la société française (la place des femmes, les nouvelles aspirations de la
jeunesse, le développement de l’immigration, le vieillissement de la population, la montée du
chômage …) qui forme la problématique de ce thème clôturant le programme du collège.
Les auteurs des Ressources précisent que « les acteurs de ces évolutions sont à la fois des
individus (la figure de Charles de Gaulle est ainsi fondamentale dans les deux périodes
décisives d’évolution de la République) et des acteurs collectifs (une partie mobilisée de la
jeunesse en 1968, les mouvements féministes par la suite) ». Cette question des acteurs dans
l’histoire a été pensée par Antoine Prost il y a plus de vingt ans. Pour expliquer un phénomène
historique, l’historien raconte une action liée à un ou plusieurs acteurs ; il commence par
présenter la situation, situe les principaux acteurs dont il décrit les intentions (les finalités
subjectives) qu’il confronte aux contraintes (les conditions objectives) et au champ des
possibles. Il explique ainsi leurs choix en précisant qu’il est rare qu’en histoire les acteurs aient
vraiment le choix. Cette histoire des acteurs rejette la vieille conception d’une histoire
providentielle faite par les grands hommes (ou les grandes femmes). La loi sur l’IVG en 1975
ne se résume pas au personnage de Simone Veil, d’autres acteurs interviennent, le Président
nouvellement élu, le Premier ministre, les députés, les féministes, les associations qui
s’opposent à l’avortement, les citoyens… L’histoire des acteurs introduit ainsi la complexité
dans la compréhension historique en montrant qu’un événement n’est pas inévitable et même
que d’autres futurs étaient possibles, ce que Prost nomme l’analyse contrefactuelle. Elle
renforce le rôle civique de l’enseignement de l’histoire comme le soulignent les
Ressources : « Les élèves comprennent que chaque citoyen a un rôle à jouer, par son vote et
son engagement, pour faire vivre la démocratie française et les valeurs républicaines. »
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6e 1. La longue histoire de l’humanité et des migrations
-Les débuts de l’humanité.
-La « révolution » néolithique.
-Premiers Etats, premières écritures.
2. Récits fondateurs, croyances et citoyenneté dans la Méditerranée antique du 1er millénaire
- Le monde des cités grecques.
- Rome du mythe à l’histoire.
- La naissance du monothéisme dans un monde polythéiste.
3. L’empire romain dans le monde antique
- Conquêtes, paix romaine et romanisation.
- Des chrétiens dans l’Empire.
-Les relations de l’empire romain avec les autres mondes anciens : l’ancienne route de la soie et la Chine des Han.
5e 1. Chrétientés et islam (VIe-XIIIe siècles), des mondes en contact
- Byzance et l’Europe carolingienne.
- De la naissance de l’islam à la prise du pouvoir par les Mongols : pouvoirs, sociétés, cultures.
2. Société, Église et pouvoir politique dans l'occident féodal (XIe-XVe siècles)
- L'ordre seigneurial : la formation et la domination des campagnes.
- L'émergence d'une nouvelle société urbaine.
- L'affirmation de l'État monarchique dans le Royaume des Capétiens et des Valois.
3. Transformations de l'Europe et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles
- Le monde au temps de Charles Quint et Soliman le Magnifique.
- Humanisme, réformes et conflits religieux.
- Du Prince de la Renaissance au roi absolu. (François Ier, Henri IV, Louis XIV)
4e 1. Le XVIIIe siècle. Expansions, Lumières et révolutions
- Bourgeoisies marchandes, négoces internationaux, traites négrières et esclavage au XVIIIe siècle.
- L'Europe des Lumières : circulation des idées, despotisme éclairé et contestation de l'absolutisme.
- La Révolution française et l'Empire : nouvel ordre politique et société révolutionnée en France et en Europe.
2. L'Europe et le monde au XIXe siècle :
- L'Europe de la « révolution industrielle».
- Conquêtes et sociétés coloniales.
3. Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle
- Une difficile conquête : voter de 1815 à 1870.
- La Troisième République.
- Conditions féminines dans une société en mutation.
3e 1. L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945)
- Civils et militaires dans la Première Guerre mondiale.
- Démocraties fragilisées et expériences totalitaires dans l'Europe de l'entre-deux-guerres.
- La Deuxième Guerre mondiale, une guerre d'anéantissement.
- La France défaite et occupée. Régime de Vichy, collaboration, Résistance.
2. Le monde depuis 1945
- Indépendances et construction de nouveaux États.
- Un monde bipolaire au temps de la guerre froide.
- Affirmation et mise en œuvre du projet européen.
- Enjeux et conflits dans le monde après 1989.
3. Françaises et Français dans une République repensée
- 1944-1947 : refonder la République, redéfinir la démocratie.
- La Ve République, de la République gaullienne à l'alternance et à la cohabitation.
- Femmes et hommes dans la société des années 1950 aux années 1980.
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Clio au lycée : Récit, périodisation et construction de la nation française démocratique
ouverte sur l’Europe et le monde
Jacques Le Goff dans la préface de La nouvelle histoire (1978) constatait avec mépris que le
récit était « un cadavre à réserver au scolaire ». Fidèle à l’esprit des Annales, il opposait
l’histoire-récit, événementielle et dépassée, à l’histoire-problème définie par une ambition
interdisciplinaire et scientifique. Mais depuis que les historiens lisent l’épistémologie de Paul
Ricoeur, ils reconnaissent que l’histoire est consubstantielle d’un récit fondé sur les événements
et les personnages. Dans Temps et récit (1983-1985), Paul Ricoeur démontre que même La
Méditerranée de Fernand Braudel qui pourtant rejetait le récit et reléguait l’événement à
l’insignifiant, adopte le mode narratif : le personnage de l’histoire racontée n’est autre que la
mer Méditerranée et ce qui fait événement au XVIe siècle est moins la bataille de Lépante que
la sortie de la grande histoire de la Méditerranée désormais supplantée par l’Atlantique. Si
l’histoire se racontait au collège, le programme au lycée pouvait préférer l’entrée par des thèmes
sans lien avec la chronologie. Celui de 2009 qui revendiquait « une nouvelle approche
thématique » a provoqué l’incompréhension des enseignants devant traiter « Questions pour
comprendre le XXe siècle » en classe de 1ère L/ES ; l’étude de la guerre au XXe siècle précédait
celle des totalitarismes : les lycéens apprenaient le génocide juif avant de comprendre le
nazisme. Le refus du récit chronologique était encore plus spectaculaire dans le programme de
Terminales L/ES qui donnait une succession de thèmes à aborder : la mémoire, les idéologies
et les médias, la puissance… Pour Valeurs actuelles, ce choix d’une histoire thématique aurait
été idéologique. En mars 2018, le professeur d’histoire Kevin Bossuet pense que l’abandon
d‘ « un enseignement chronologique et évènementiel » laisse place à « étude de grands thèmes
porteurs d’un discours moraliste et culpabilisateur » mis au service de revendications
communautaires et identitaires. Lorsqu’en octobre 2018 le nouveau programme du lycée alors
examiné par le CSP est connu, l’historien Eric Anceau se félicite d’y voir la fin de
« l'enfermement dans des logiques purement inductives » et salue le retour « de la périodisation,
des repères chronologiques et géographiques, des portraits vivants des grands acteurs de
l'histoire et du récit ».
Le retour du récit dans l’histoire scolaire du lycée a été préparé par les consultations que le CSP
avait organisées en octobre 2014. Didier Cariou, didacticien de l’histoire, recommandait le
recours à un récit non téléologique qui envisage les devenirs possibles et articule les diverses
échelles. Il terminait sa contribution par ce conseil : « L’accent doit être mis sur la
périodisation ». Dans Ecrire l’histoire scolaire (2012), il précisait que la fonction du récit dans
l’histoire scolaire est de construire les savoirs et citant Antoine Prost il affirmait qu’« en
racontant, on conceptualise […] en racontant, on explique ». Il donne cet exemple pour illustrer
ce que Paul Ricoeur appelle le caractère ultimement narratif de l’histoire : « Si l’on raconte les
conquêtes d’Alexandre en classe de 6e sans se demander pourquoi il a cherché à conquérir un
si vaste empire, alors le récit ne sera qu’une énumération de batailles ». Mais pour lui la
périodisation ne doit pas se résumer à un retour nostalgique à la frise chronologique et à la
mémorisation des dates. Le processus de la construction du temps historique chez l’élève doit
se faire par la manipulation de repères chronologiques. Interrogé après le didacticien, Laurence
de Cock qui a publié dans Médiapart une rubrique intitulée « L’histoire n’est pas un roman »
est interrogée en qualité d’épistémologue scolaire, elle propose de renoncer au « paradigme de
l’histoire racontée » et de fonder les nouveaux programmes sur l’apprentissage d’un
raisonnement historique qui serait le vecteur d’un véritable esprit critique.
Le récit fait implicitement partie des capacités énoncées dans le programme du lycée de 2019
qui recommandent de savoir « mettre les événements et les figures en perspective ». La classe
de Seconde débute par un cours obligatoire de deux heures sur la périodisation, les lycéens
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doivent connaître les quatre périodes conventionnelles de l’histoire (ancienne, médiévale,
moderne et contemporaine) et élaborer au cours de l’année une frise chronologique numérique.
Ce rappel laisse supposer qu’ils ont oublié ces quatre périodes qui ne sont pas explicitement
citées dans le programme de 2015 alors qu’elles l’étaient dans le précédent publié en 2008.
Devant le Conseil national des programmes (CNP), des historiens de l’Afrique subsaharienne
avaient alors critiqué ce découpage eurocentré qui n’avait aucun sens pour dater le Monomotapa
ou l’empire du Mali alors étudiés. Pourtant en 2013, Pierre-François Souyri retenait la catégorie
temporelle du Moyen Age pour caractériser un Japon médiéval marqué par l’avènement de la
société guerrière et féodale des samouraïs entre le XIIe siècle et le XVIe siècle.
L’ambition ultime de cette entrée en histoire par la périodisation est de faire réfléchir les lycéens
aux débats qui ont accompagné le découpage du temps historique, situé à mi-chemin entre le
temps astronomique des calendriers et le temps vécu. Selon l’historien allemand Reinhart
Koselleck, ce sont les humanistes italiens qui sont les premiers auteurs de cette temporalisation
de l’histoire. Prenant conscience de la différence entre un passé lointain et un passé proche, ils
divisent le temps avec des indicateurs qui distinguent deux âges d’or – l’Antiquité et la
Renaissance – et une période intermédiaire obscure – le Moyen Age. La Renaissance comme
nom d’époque s’impose chez les historiens du XIXe siècle après l’Histoire de France de Jules
Michelet. Depuis l’historiographie a nuancé cette opposition entre la bonne Renaissance et le
mauvais Moyen Age lorsque des historiens trouvèrent de la Renaissance dans ces âges dits
obscurs : la Renaissance carolingienne et la Renaissance du XIIe siècle de Jacques Verger. Le
médiéviste Jacques Le Goff dans Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ? (2014)
répond à la question en affirmant que le découpage du temps est nécessaire à l’histoire. Mais
il remet en cause les usages des tranches Moyen Age et Renaissance. « La naissance de la
Renaissance » de Pétrarque à Michelet irait de pair avec la dévalorisation du Moyen Age qui
pourtant continue l’Antiquité et dure pendant les Temps modernes. Il milite pour imposer la
tranche d’un « long Moyen Age » qui commençant vers les IVe-Ve siècle se terminerait en
Europe au XIXe siècle avec la révolution industrielle, et déterminerait la période de « l’enfance
de l’Occident actuel ». Un autre découpage efface la date consacrée de 476 qui vit un événement
anecdotique former la frontière symbolique entre Antiquité et Moyen Age : la déposition du
jeune empereur Romulus Augustule par Odoacre. Le nom d’époque (chrononyme pour les
linguistes) Antiquité tardive inventée au début du XXe siècle par l’historiographie allemande et
diffusée en France par Henri-Irénée Marrou définit une mutation entre le IIIe et le VIIIe siècle :
l’empire gréco-romain s’efface progressivement face à la montée de nouvelles entités politiques
légitimées par le christianisme d’Etat (exemple du royaume mérovingien) alors que se prolonge
la vitalité de la culture antique (exemple de l’œuvre d’Augustin d’Hippone). Aux quatre
périodes historiques institutionnelles, il faut ajouter la préhistoire dont l’enseignement est
réservé au cycle 3 (CM1 et 6e), et le temps présent dont la définition est indispensable pour
comprendre une partie de l’histoire enseignée en 3e et en Terminales. Le temps présent est une
histoire ultracontemporaine que René Rémond fait entrer dans l’Université en 1978 lors de la
création de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) : son découpage est relatif à l’existence
de témoins vivants.
Les manuels d’histoire de Seconde publiés pour la rentrée 2019 respectent les consignes mais
la « réflexion sur le temps » et « sur la notion de période historique » est parfois traduite avec
des ambitions différentes. Le Hachette présente « les quatre grandes périodes » dans le seul
but de donner des repères chronologiques, seuls les débats sur la fin de l’Antiquité (395 ou
800 ?) et celle du Moyen Age sont mentionnés : certains historiens sont pour la chute de
Constantinople en 1453, d’autres pour « l’arrivée en Amérique de Christophe Colomb » en
1492. Le Belin pousse plus loin « l’idée que le temps a une histoire ». Pour répondre à la
question « Pourquoi et comment les historiens découpent-ils le temps ? », une double page
répond en citant François Hartog et les régimes d’historicité, Fernand Braudel et la longue
10
durée, Jacques Le Goff et Patrick Boucheron qui critiquent « l’opposition classique entre le
Moyen Age et la Renaissance », et l’histoire mondiale qui remet en cause les périodisations
traditionnelles.
Le programme de la voie générale (12 thèmes répartis en trente chapitres) a pour
visées l’initiation des élèves au travail sur les sources et au raisonnement historique, et en même
temps il s’appuie sur « la parole du professeur » [qui] garantit la cohérence, dégage les
évolutions d’ensemble et les moments-charnières, met en place le contexte général de la
période. La pédagogie prônée relève donc d’un compromis entre la démarche critique et le
cours magistral. Une nouveauté voit le jour : les points de passage et d’ouverture, au nombre
de deux à cinq par chapitre on en compte plus de quatre-vingt-neuf dans la voie générale (25
en Seconde, 33 en Première, 31 en Terminale) qui réserve cent quarante-quatre heures à
l’histoire. L’enseignant a toute liberté sur le choix de la méthode et le degré
d’approfondissement. Chaque point de passage et d’ouverture est selon les Ressources à relier
avec une capacité à mettre en œuvre. Mais il est trop tôt pour tirer le bilan de cette expérience.
Ils prennent une telle place même lorsque le professeur les traite superficiellement que la
progression du cours risque d’être ralentie et le programme d’histoire non traité en son entier,
ce qui est contradictoire avec sa dimension chronologique. Il s’agit de dates-clefs (1598 : édit
de Nantes ; 25 mai 1864 : droit de grève ; 9-10 novembre 1938 : nuit de Cristal …), de lieux
(Paris haussmannien ; Le Creusot et la famille Schneider ; Saigon, ville coloniale …) et de
personnages (Périclès et la démocratie athénienne ; Bismarck et la proclamation de l’empire
allemand ; De Gaulle et la France libre …) qui illustrent concrètement le cours en reprenant
l’histoire des acteurs décrite par Antoine Prost. Une des rares Ressources publiées à ce jour
(seuls cinq thèmes sont ressourcés en mars 2021) précisent pour la classe de Seconde que « les
acteurs devront être systématiquement placés au cœur du récit ». Par exemple, « le procès et la
mort de Louis XVI » est une étude de cas qui repose sur une démarche inductive (du concret à
l’abstrait) devant aider les élèves à comprendre des notions présentées dans le programme. La
mort du roi montre selon les Ressources que le projet de monarchie constitutionnelle était voué
à l’échec et que la France est au lendemain du 21 janvier 1793 encore plus isolée et divisée.
En 2018, Eric Anceau se félicitait de cette innovation qui redonnerait de la chair à l’histoire
redevenue « vivante, incarnée et saisissable » alors que d’autres se désolaient que le
programme relègue dans ces points de passage et d’ouverture des thématiques importantes
comme les femmes.
Alors que dans Le Figaro Eric Anceau met au crédit du nouveau programme des avancées
historiographiques parmi lesquelles il range l’histoire des femmes, Laurence de Cock dans une
tribune de Libération en octobre 2018 trouve que les femmes y sont invisibilisées. Parmi les
invisibles, en plus des femmes elle classe « les populations immigrées et les gens
ordinaires dont le rôle est « masqué par les grands personnages ». Les femmes n’auraient plus
voix au chapitre, mais n’occuperaient qu’une petite place dans ces points de passage et
d’ouverture : Emilie du Châtelet et Madame de Tencin en Seconde, Madame Roland, George
Sand, Louise Michel et Marie Curie en 1ère générale, la loi sur l’IVG en Terminale générale.
L’association Mnémosyne composée d’historiennes féministes favorables à une histoire scolaire
mixte faisait le même diagnostique en constatant que « pour l’histoire des femmes et du genre,
c'est un recul dramatique et incompréhensible ». Mais ces critiques sont exagérées, l’histoire
des femmes est visible dans certains objectifs de chapitre : leur rôle dans la vie scientifique et
culturelle dans la France du XVIIIe siècle, le refus de leur droit de vote par la Troisième
République, leur place dans la société française avant 1914 et pendant la Grande Guerre,
l’évolution de leurs droits dans la France de 1974 à 1988.
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Souâd Ayada est l’universitaire qui a remplacé en 2018 le géographe Michel Lussault à la tête
du CSP. Interrogée par le magazine Causeur, la philosophe déclare sa préférence pour une
histoire de France basée sur « les dates et les acteurs » qui aurait « pour finalité de développer
le sentiment d’appartenance à la nation » et de « faire comprendre aux jeunes le lien charnel
qui les lie au pays et à son histoire ». Jean-Michel Blanquer lorsqu’il prend ses nouvelles
fonctions de ministre de l’Education nationale en mai 2017 avait fixé sa conception de l’histoire
scolaire qui doit faire « aimer son pays comme on aime sa famille » par le moyen d’« un récit
chronologique permettant de se repérer ». Blanquer est-il un nouveau Lavisse, cet « instituteur
national » décrit par Pierre Nora ? Ernest Lavisse avait en effet à la fin du XIXe siècle fait écrire
sur la couverture de son manuel de cours moyen : « Tu apprendras l'histoire de France. Tu dois
aimer la France parce que la nature l'a faite belle, et parce que son histoire l'a faite grande ».
Assiste-t-on avec cette histoire scolaire qualifiée de rétrograde par Laurence de Cock à un retour
du roman national ?
En classe de Première, la notion de nation occupe une place centrale : en France, la nation,
synonyme de la citoyenneté depuis la Déclaration de 1789 se démocratise et s’incarne
finalement dans la Troisième République ; en Europe, le principe des nationalités remet en
cause l’ordre européen fondé au Congrès de Vienne et justifie les politiques d’unification
menées après 1848 par les royaumes de Prusse et du Piémont-Sardaigne.
La définition de la nation a toujours posé problème tant ce mot est polysémique. En octobre
1870, l’historien français Numa Fustel de Coulanges répond à son collègue allemand Theodor
Mommsen qui venait de justifier la possible annexion de l’Alsace en invoquant la race, la langue
et l’histoire. Dans sa Lettre au peuple d’Italie, Mommsen affirme avec toute son autorité
d’universitaire prestigieux que Strasbourg est allemand comme Milan et Venise sont italiens.
Fustel répond en définissant la nation comme un principe de droit public et « une communauté
d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances » : l’Alsace doit rester française
parce que les Alsaciens veulent rester français. « Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce
n’est pas Louis XIV, c’est notre révolution de 1789 ». Cette réponse fait référence à l’article 3
de la déclaration de 1789 – « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
nation » –, et l’article 6 identifie la nation souveraine à « tous les citoyens ».
Pascal Ory vient de publier Qu’est-ce qu’une nation ? Une histoire mondiale, la première partie
du titre étant une citation de la célèbre conférence prononcée en Sorbonne par Ernest Renan en
1882. Il réhabilite ce mot qui a mauvaise réputation depuis que nationalistes et populistes l’ont
accaparé. Pascal Ory l’assimile à « une puissance émancipatrice » qui a été le moteur de tous
les « Printemps du peuple » depuis 1848. L’idée de nation née au XVIIIe siècle en Angleterre,
en Amérique du Nord et en France donne corps à un Etat-nation démocratique fondé sur le
principe de liberté individuelle. C’est cette conception libérale et démocratique du mot nation
que reprend le programme de Première : « Avec la Révolution française surgit une nouvelle
conception de la nation reposant sur la citoyenneté ». Si on s’accorde sur cette acception,
enseigner la nation en France, c’est enseigner les valeurs de 1789 et la République.
Pour l’étude du premier XXe siècle, les programmes du Secondaire (collège et lycée) organisent
depuis 1996 l’enseignement autour de la notion de totalitarisme. Ce choix est contemporain de
l’émergence d’une école historiographique – l’historial de Péronne fondé en 1992 – qui pense
que la guerre totale que subissent civils et soldats de 1914 à 1918 est la matrice des régimes
totalitaires responsables du déclenchement après 1939 d’une guerre encore plus totale qualifiée
d’anéantissement. Dans le conseil scientifique de l’historial figure l’historien Stéphane Audoin-
Rouzeau, auteur en 1986 d’une thèse sur les combattants des tranchées dans laquelle il pose la
question « pourquoi ils ont tenu ». La réponse tient dans la théorie du consentement, les poilus
auraient tenu par patriotisme. Il inaugure une nouvelle historiographie de la Première Guerre
12
mondiale, anthropologique et culturelle, dans laquelle est privilégié un regard d’en bas qui
analyse les représentations et les pratiques des combattants. Cette histoire culturelle de la guerre
doit beaucoup aux travaux de l’historien germano-américain George Mosse et à son concept de
brutalisation. Audoin-Rouzeau traduit en 1999 son ouvrage Fallen soldiers (1991) et invente
un nouveau titre pour la version française : De la Grande Guerre au totalitarisme. La
brutalisation des sociétés européennes. Pour Mosse, l’expérience de guerre aurait ensauvagé,
rendu brutes les soldats allemands ; et la vie politique sous Weimar marquée par le
déchaînement de la violence aurait porté l’empreinte de cette culture de guerre. Dans Retrouver
la guerre rédigé en 2000 avec Annette Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau généralise la notion
de brutalisation et en fait la clef de lecture du premier XXe siècle européen. De la guerre totale
seraient nés les totalitarismes.
Des historiens comme Antoine Prost, auteur en 1976 d’une thèse sur les anciens combattants
en France, conteste dans Penser la grande Guerre (2004) la notion de brutalisation qui ne
rendrait pas compte du cas français. D’après les témoignages qu’il a recueillis dans les années
1960 auprès d’anciens poilus, il conclut qu’ils ont eu plus peur de tuer que d’être tué. Si
brutalisation il y a eu sur le front occidental, elle a été limitée. Dans cette guerre industrielle,
c’est l’artillerie qui s’est chargée de la mort de masse. Et un soldat qui a tué ne devient pas
fatalement une brute. Pour Antoine Prost, l’expérience de la mort donnée a été de 1914 à 1918
plus rare que celle de la mort subie.
D’autres historiens contestent la théorie du consentement. Frédéric Rousseau dans La Guerre
censurée (1999) lui oppose celle de la contrainte que les travaux de Nicolas Offenstadt sur les
fusillés de la Grande Guerre et d’André Loez sur les mutins de 1917 entendent conforter : c’est
la peur des gendarmes et des cours martiales qui auraient contraint les poilus à tenir. Longtemps
passionné, le débat entre ces deux écoles s’est aujourd’hui apaisé.
Le programme de 3e qui s’ouvre sur le thème de « L’Europe, un théâtre majeur des guerres
totales (1914-1945) » conserve une unité chronologique qui permet de faire comprendre que
les totalitarismes sont la conséquence de la première guerre totale et sont la cause principale de
la guerre d’anéantissement. Par contre, le lycée casse cette cohérence sans renoncer à la
problématique en plaçant la Première Guerre mondiale en fin de 1ère pour montrer que les traités
qui se succèdent de 1919 à 1923 effacent l’œuvre du Congrès de Vienne, assurent dans l’ordre
européen le triomphe du principe national et valident la disparition des empires multinationaux.
En 1ère, la Grande Guerre est étudiée avec une nouvelle périodisation qui ne s’arrête plus à
l’armistice de 1918 mais à 1923, l’année du traité de Lausanne qui métamorphosa le vieil
empire ottoman en une Turquie moderne. Ce nouvel amont chronologique signifie que l’on
quitte le seul point de vue français pour épouser d’autres regards, et le front de l’ouest ne
masque plus les autres théâtres d’opération situés en Russie, en Turquie et dans le Proche-
Orient. Pour la Russie, Nicolas Werth parle même d’une guerre de huit ans, en ajoutant les
quatre années de guerre civile. L’historien Nicolas Beaupré dans une Documentation
photographique publié en 2020 propose un « désenclavement chronologique » en datant la
Première Guerre mondiale de 1912 – les guerres balkaniques – à 1923. On quitte ainsi un récit
eurocentré d’une guerre se résumant à un affrontement franco-allemand dont Verdun est en
1916 la bataille emblématique, à un récit qui touche le Proche-Orient, l’Afrique avec
l’implication des troupes coloniales, et le reste du monde comme le montre en 1918 et 1919 la
pandémie de la grippe espagnole qui fit plus de 50 millions de morts, cinq fois plus que les
soldats tués sur les différents fronts. Le cas de la Turquie ottoman est étudié à trois reprises :
les Dardanelles, le massacre des Arméniens et le traité de Lausanne qui révise le traité de
Sèvres.
Dans le chapitre sur « l’embrasement », on assiste au retour d’une histoire des batailles
renouvelée. La bataille devient un bon point d’observation pour comprendre autre chose
qu’elle-même : les tournants dans la guerre (Tannenberg et la Marne signent la fin de la guerre
13
de mouvement qui revient après la dernière offensive allemande en mars 1918), une opération
militaire d’un genre nouveau (le débarquement dans les Dardanelles en 1915), et une bataille
totale caractérisée par une violence extrême (la Somme en 1916, la bataille la plus meurtrière).
Le dernier chapitre consacré aux sorties difficiles de guerre doit beaucoup aux travaux de Bruno
Cabanes. En raison des conflits qui se multiplient en Europe et dans le Proche-Orient après
1918, la notion de sortie de guerre est préférée à celle d’après-guerre tant les traces du conflit
restent vives et douloureuses. Elle rend compte qu’à côté de la démobilisation militaire, la
démobilisation culturelle, la sortie de la culture de guerre, est plus difficile. La culture de guerre
est investie par les associations d’anciens combattants plus pacifistes en France qu’en
Allemagne, est mobilisée par des groupes nationalistes d’extrême-droite et par le mouvement
communiste en Russie et en Europe centrale. La sortie de guerre se traduit par le drame des
réfugiés apatrides : les Arméniens ottomans survivants du génocide, 2 millions de Russes
blancs, 1 million de Grecs anatoliens, 400 mille musulmans de Grèce … Elle se manifeste enfin
par l’enjeu mémoriel du « poids des morts sur les vivants ».
La notion de totalitarisme est encore plus controversée que celle de brutalisation. Forgé par
les opposants du fascisme italien avant d’être repris par Mussolini, le mot prend un nouveau
sens en 1939 pour dénoncer la collusion entre Hitler et Staline, et désigne en 1947 dans le
discours que prononce le président Truman le mode de vie qui repose sur la terreur et
l’oppression et s’oppose au monde libre. C’est la philosophe Hannah Arendt qui lui donne une
légitimité scientifique dans Les origines du totalitarisme (1951) en comparant l’expérience
soviétique et l’expérience nazie. Toutes les deux sont dirigées par des polices secrètes qui
gouvernent par la terreur et les camps de concentration, et sont guidées par des idéologies qui
ont pour dessein de créer un homme nouveau. Aux Etats-Unis, le concept s’impose rapidement
dans les sciences politiques ; en 1956, Carl Friedrich et Zbigniew Brzezinski définissent six
caractéristiques immuables du totalitarisme : une idéologie omniprésente, un parti unique dirigé
par un dictateur, la terreur organisée par une police politique, le contrôle des médias par une
propagande centrée sur le culte du chef, le monopole étatique de la force armée et une économie
planifiée et étatisée. Le concept fait le voyage de Chicago à Paris dans les valises du philosophe
Raymond Aron qui publie en 1965 Démocratie et totalitarisme dans lequel il présente « deux
régimes typiques de la civilisation moderne », le premier « constitutionnel-pluraliste », et
l’autre qu’il caractérise « par la prétention d’un parti au monopole de l’activité politique ».
Quelques historiens ont acclimaté le concept à leur discipline. En Allemagne, Ernst Nolte qui
étudie le fascisme européen l’utilise en 1989 dans La guerre civile européenne. Il désigne
l’Union soviétique et l’Allemagne nazie comme des régimes de guerre civile voués à éliminer
ceux qu’ils désignent comme étant des ennemis du peuple. Partisan de la théorie du
totalitarisme, il établit un lien causal entre le Goulag et Auschwitz assimilant « l’assassinat
pour des raisons de classe » des bolcheviks à « l’assassinat pour raison de race » des nazis.
En France, François Furet reprend dans Le passé d’une illusion (1995) – un essai sur l’idée
communiste en France – l’idée que la Grande Guerre a été la matrice des totalitarismes comme
la Révolution française l’a été du XIXe siècle Mais il se différencie de l’interprétation de Nolte
avec lequel il correspond, en refusant de conclure que communisme et nazisme sont des
jumeaux homozygotes. Entre les deux totalitarismes, il établit une différence de nature : le
crime de génocide dont s’est rendu coupable le régime hitlérien. Les programmes rédigés en
1995 par l’historien Serge Berstein et l’inspecteur général Dominique Borne doivent beaucoup
à l’influence intellectuelle qu’exerçait alors François Furet. En 1997, il est chargé par l’éditeur
Robert Laffont de préfacer un ouvrage consacré au bilan répressif des régimes communistes,
au titre polémique et commercial : Le Livre noir du communisme. Ecrit par les meilleurs
spécialistes (Nicolas Werth pour l’Union soviétique, Jean-Louis Margolin pour la Chine
maoïste entre autres) le livre devient un best-seller et provoque une violente polémique suscitée
14
par le contenu de la préface et de la postface écrites non par Furet, décédé avant de les écrire,
mais par un historien du communisme français, Stéphane Courtois. Il y affirme que le génocide
de classe communiste est de même nature que le génocide de race nazi, et appelle à la
convocation d’« un tribunal de Nuremberg du communisme ».
Depuis 1997, peu d’historiens reconnaissent dans le concept de totalitarisme une valeur
heuristique. Jugé peu opératoire, il est rejeté aussi bien par Marc Ferro, biographe de Pétain,
que par Ian Kershaw, biographe d’Hitler. S’il existe en France des historiens de l’Union
soviétique comme Nicolas Werth, des historiens de l’Allemagne nazie comme Johann
Chapoutot, des historiens de l’Italie fasciste comme Philippe Foro, il n’y a pas de spécialistes
reconnus du totalitarisme, hormis peut-être Bernard Bruneteau, surtout connu pour ses travaux
sur la construction européenne.
Alors comment expliquer ce paradoxe ? Alors que les programmes scolaires doivent refléter les
recherches historiographiques les plus récentes, ils restent fidèles à la notion de totalitarisme
depuis un quart de siècle. Les Ressources de la classe de Terminale générale n’ayant pas encore
été éditées, si l’on se réfère aux précédentes datées de 2010, on lit pourtant qu’après avoir
constaté que le concept a longtemps été controversé, « certains historiens se sont lancés dans
une étude comparée portant aussi bien sur la genèse que sur les points communs et les
spécificités de leurs fonctionnements respectifs ». En 2013, pour aider les enseignants avec cette
notion, un Textes et Documents pour la Classe a été coordonné par Nicolas Werth sur les
totalitarismes. Dans son introduction intitulé « Histoire et usages d’un concept », Werth
reconnaît que rien n’interdit d’utiliser cet « idéal-type, c’est-à-dire dans la définition classique
qu’en donne Max Weber : un tableau de pensée que l’on ne trouvera nulle part empiriquement,
dans sa pureté conceptuelle ». Il met une condition : la comparaison historique entre les
différents régimes totalitaires doit pointer « davantage les différences que les similarités » et
préférer « la pertinence du pluriel », conseils suivis à la lettre par les programmes scolaires
actuels. Les programmes scolaires imposent depuis 1996 une approche comparative des
totalitarismes pour des finalités civiques : présenter un contre-modèle qui a un temps menacé
les démocraties. L’affrontement entre les deux modèles politiques est une thématique centrale
de la classe de terminale.
15
prémédite d’assassiner jusqu’au dernier de ses membres un groupe humain, coupable pour
André Frossard du « crime d’être né ».
Le débat historiographique a longtemps opposé les intentionnalistes (Raul Hilberg) qui
pensaient que la route vers Auschwitz était directe, et les fonctionnalistes (Christopher
Browning) favorables à l’idée d’une route sinueuse. La question de la place d’Hitler dans le
système nazi les séparait : les intentionnalistes faisait d’Hitler un dictateur fort qui depuis Mein
Kampf avait décidé de faire tuer tous les Juifs d’Europe, les fonctionnalistes voyaient dans
Hitler un dilettante au pouvoir, et décrivaient le régime nazi comme une polycratie composée
d’institutions rivales (le Parti, les SS, l’armée …) dont la concurrence pour anticiper sur les
décisions d’Hitler a conduit à une radicalisation de la politique antisémite. C’est dans la
deuxième moitié de l’année 1941 lorsque les premiers massacres ont été perpétrés en URSS et
que les chambres à gaz ont été expérimentées que la politique contre les Juifs est passée du
« laisser mourir » au « faire mourir » pour reprendre la formule de l’historien Christian Ingrao.
Le camp d’Auschwitz étudié est « la métonymie de la Shoah » (Annette Wieviorka), le symbole
de la mort industrielle des Juifs d’Europe. Deux politiques se superposaient : le travail forcé
dans un camp de travail (Auschwitz I) mis au service d’un vaste complexe industriel situé à
Monowitz (Auschwitz III), et l’extermination à Birkenau (Auschwitz II). En moins de trois ans,
un million de Juifs y sont assassinés ; près de 5 millions l’ont été ailleurs : 2 millions dans les
centres de mise à mort du Gouvernement Général, 1,3 million dans les massacres par fusillades
en URSS, 800 mille dans les ghettos, 500 mille dans des camps de concentration.
L’historiographie de la Shoah a été marquée par des débats et des polémiques. En 1996-1997,
Le politiste Daniel Goldhagen et l’historien Christopher Browning utilisent les mêmes sources
pour des conclusions opposées. Ils ont consulté l’enquête judiciaire ouest-allemande datée des
années 1960 sur cinq cents hommes du 101ème bataillon de réserve de la police responsables de
la mise à mort en 1942 et 1943 de plus de 83 mille Juifs soviétiques, la moitié tués et l’autre
déportés à Treblinka. Pour Goldhagen, ces hommes, en majorité des ouvriers de Hambourg qui
n’étaient pas nazis, sont des « bourreaux volontaires », des Allemands ordinaires motivés par
un antisémitisme passionnel. Browning les décrit plutôt comme des « hommes ordinaires » qui
obéissent aux ordres par conformisme de groupe. Browning voit dans cette micro-histoire la
confirmation de la notion de brutalisation : la guerre rend brutes des hommes ordinaires.
Les programmes du lycée ne se résument pas à un retour à une histoire politique et militaire
que symbolisaient au siècle dernier les manuels Malet-Isaac. Dans « Je me souviens de Malet
& Isaac » écrit en 1979, l’écrivain Georges Perec retenait l’image d’« une histoire feinte où les
événements, les idées et les hommes se mettent en place comme les pièces d’un puzzle ».
Certaines capacités que le nouveau programme met en lumière – « employer les notions et le
lexique acquis en histoire à bon escient, construire et vérifier des hypothèses sur une situation
historique » – démontrent qu’il se situe à mi-chemin entre le récit chronologique et une
démarche conceptuelle et hypothético-déductive parfois enrichie par des précisions
historiographiques sur les débats et les concepts. L’histoire scolaire au lycée est depuis la
publication des programmes en 2019 un récit chronologique problématisé autour des concepts
de nation, civilisation, pouvoir, mondialisation, puissance, modèle politique, Renaissance,
humanisme, réformes religieuses, Etat, révolution, démocratie, République, empire,
industrialisation, crise économique, génocide, guerre froide, tiers-monde, islamisme, Etat-
providence, société de consommation… Et cette liste notionnelle non exhaustive prouve que le
programme s’organise autour d’un jeu d’échelles qui n’oublie pas la dimension internationale.
Pour paraphraser la formule de l’historien anglais Lawrence Stone qui évoquait dans les années
1970 une « new old history », on assiste depuis 2019 au retour au lycée d’une nouvelle vieille
histoire scolaire.
16
Les programmes du lycée respectent l’ordre chronologique aussi bien dans la voie générale qu’à
partir de la Première dans la voie technologique, mais des « axes directeurs » les structurent :
17
2e Grandes étapes de la formation du monde moderne
Introduction : La périodisation (2h)
1. Le monde méditerranéen : les empreintes de l’Antiquité et du Moyen Age (10-12h)
- La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines (Périclès et la démocratie athénienne/Le principat
d’Auguste et la naissance de l’empire romain/Constantin, empereur d’un empire qui se christianise et se réorganise
territorialement)
- La Méditerranée médiévale : espace d’échanges et de conflits à la croisée de trois civilisations (Bernard de
Clairvaux et la deuxième croisade/Venise, grande puissance maritime et commerciale)
2. XVe-XVIe siècles : un nouveau rapport au monde, un temps de mutation intellectuelle (11-12h)
- L’ouverture atlantique : les conséquences de la découverte du « Nouveau Monde » (L’or et l’argent, des Amériques
à l’Europe/Bartholomé de Las Casas et la controverse de Valladolid/Le développement de l’économie « sucrière »
et de l’esclavage dans les îles portugaises et au Brésil)
- Renaissance, humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe (1508-Michel-Ange entreprend la
réalisation de la fresque de la Chapelle Sixtine/Erasme, prince des humanistes/1517 -Luther ouvre le temps des
réformes)
3. L’Etat à l’époque moderne : France et Angleterre (11-12h)
- L’affirmation de l’Etat dans le royaume de France (1539-L’ordonnance de Villers-Cotterêts et la construction
administrative française/Colbert développe une politique maritime et mercantiliste, et fonde les compagnies des
Indes et du Levant/Versailles, le « roi-soleil » et la société de cour/L’Edit de Nantes et sa révocation)
- Le modèle britannique et son influence (1679 et 1689-L’Habeas Corpus et le Bill of Rights, le refus de l’arbitraire
royal/Voltaire, l’Angleterre et la publication des Lettres philosophiques ou Lettres anglaises : 1726-
1733/Washington, premier président des Etats-Unis d’Amérique)
4. Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIe et XVIIIe siècles (11-12h)
- Les Lumières et le développement des sciences Galilée, symbole de la rupture scientifique du XVIIe siècle/1712-
Thomas Newcomen met au point une machine à vapeur pour pomper l’eau dans les mines/Emilie du Châtelet,
femme de science)
- Tensions, mutations et crispations de la société d’ordres (1639-La révolte des Va Nu-pieds et la condition
paysanne/Un salon au XVIIIe siècle (le salon de madame de Tencin par exemple/ Les ports français et le
développement de l’économie de plantation et de la traite)
1ère Nations, empires, nationalités (de 1789 aux lendemains de la Première Guerre mondiale)
1. L’Europe face aux révolutions (11-13h)
- La Révolution française et l’Empire : une nouvelle conception de la nation (Madame Roland, une femme en
révolution/Décembre 1792-janvier 1795- Procès et mort de Louis XVI/1804-Le Code civil permet l’égalité devant
la loi et connaît un rayonnement européen)
- L’Europe entre restauration et révolution (1814-1848) (1815-Metternich et le congrès de Vienne/1822-Le massacre
de Chios/1830-Les Trois Glorieuses)
2. La France dans l’Europe des nationalités : politique et société (1848-1871) (11-13h)
- La difficile entrée dans l’âge démocratique : la Deuxième République et le Second Empire (Alphonse de Lamartine
en 1848/George Sand, femme de lettres engagée en politique/Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la
République)
- L’industrialisation et l’accélération des transformations économiques et sociales en France (Paris haussmannien : la
transformation d’une ville/Les frères Pereire, acteurs de la modernisation économique/25 mai 1864-Le droit de
grève répond à une attente du mouvement ouvrier)
- La France et la construction de nouveaux Etats par la guerre et la diplomatie (le rattachement de Nice et de la
Savoie à la France/Bismarck et la proclamation du Reich)
3. La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial (11-13h)
- La mise en œuvre du projet républicain (1871-Louise Michel pendant la Commune de Paris/1885-Les funérailles
nationales de Victor Hugo/1905-La loi de séparation des Eglises et de l’Etat : débats et mise en œuvre)
- Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914 51891-La fusillade de Fourmis du 1er mai/Les
expositions universelles de 1889 et 1900/Le Creusot et la famille Schneider)
- Métropole et colonies (1887-Le code de l’indigénat algérien est généralisé à toutes les colonies françaises/1898-
Fachoda, le choc des impérialismes/Saigon, ville coloniale)
4. La Première Guerre mondiale : le « suicide de l’Europe » et la fin des empires européens
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- Un embrasement mondial et ses grandes étapes (août-septembre 1914 : Tannenberg et la Marne/1915 : l’offensive
des Dardanelles/1916 : la bataille de la Somme/Mars 1918 : la dernière offensive allemande)
- Les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre (Marie Curie dans la guerre/24 mai 1915 : la
déclaration de la Triple Entente à propos des « crimes contre l’humanité et la civilisation » perpétrés contre les
Arméniens de l’Empire ottoman/Les grèves de l’année 1917)
- Sortir de la guerre : la tentative de construction d’un ordre des nations démocratiques (1919-1923 : les traités de
paix/Le soldat inconnu et les enjeux mémoriels/Le passeport Nansen et le statut des apatrides)
T LE Les relations entre les puissances et l’opposition des modèles politiques, des années 1930 à nos jours
1. Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale (1929-1945)
- L’impact de la crise de 1929 : déséquilibres économiques et sociaux (les conséquences de la crise de 1929 en
Amérique latine/1933 : un nouveau président des États-Unis, F. D. Roosevelt, pour une nouvelle politique
économique, le New Deal/
Juin 1936 : les accords Matignon)
- Les régimes totalitaires (1937-1938 : la Grande Terreur en URSS/9-10 novembre 1938 : la nuit de Cristal/1936-
1938 : les interventions étrangères dans la guerre civile espagnole : géopolitique des totalitarismes)
- La Seconde Guerre mondiale (Juin 1940 en France : continuer ou arrêter la guerre/De Gaulle et la France libre/Le
front de l’est et la guerre d’anéantissement/juin 1944 : le débarquement en Normandie et l’opération Bagration/6 et
9 août 1945 : les bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagazaki)
2. La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire (de 1945 au début des années 1970)
- La fin de la Seconde Guerre mondiale et les débuts d’un nouvel ordre mondial (15 mars 1944 : le programme du
CNR/
1948 : naissance de l’État d’Israël/25 février 1948 : le « coup de Prague »
- Une nouvelle donne géopolitique : bipolarisation et émergence du tiers-monde (1962 : la crise des missiles de
Cuba/Les guerres d’Indochine et du Vietnam/L’année 1968 dans le monde)
- La France : une nouvelle place dans le monde (La guerre d’Algérie et ses mémoires/Charles de Gaulle et Pierre
Mendès-France deux conceptions de la République/La constitution de 1958)
3. Les remises en cause économiques, politiques et sociales des années 1970 à 1991
- La modification des grands équilibres économiques et politiques mondiaux (Ronald Reagan et Deng Xiaoping :
deux acteurs majeurs d’un nouveau capitalisme/l’année 1989 dans le monde
- Un tournant social, politique et culturel, la France de 1974 à 1988 (1975 : la légalisation de l'interruption volontaire
de grossesse : un tournant dans l’évolution des droits des femmes/1981 : abolition de la peine de mort/L’épidémie
du SIDA en France : recherche, prévention et luttes politiques)
4. Le monde, l’Europe et la France depuis les années 1990, entre coopérations et conflits
- Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux (La fin de l’Apartheid en Afrique du Sud/Le 11 septembre
2001)
- La construction européenne entre élargissement, approfondissement et remises en question (Le tunnel sous la
Manche/L’euro : genèse, mise en place et débats)
- La République française (La parité : du principe aux applications/L’approfondissement de la décentralisation)
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