Cette thèse est née de la volonté de comprendre les mécanismes qui régulent l’expérience du parrainage conjugal, dispositif central des migrations par alliance au Québec, dans une perspective féministe intersectionnelle. Le but de ma...
moreCette thèse est née de la volonté de comprendre les mécanismes qui régulent l’expérience du parrainage conjugal, dispositif central des migrations par alliance au Québec, dans une perspective féministe intersectionnelle. Le but de ma recherche était de faire la lumière sur les manières dont les différents rapports sociaux, les divers systèmes d’oppressions et leurs intersections affectent les personnes et les couples qui ont recours à ce procédé pour tenter de se réunir au Québec. Le parrainage conjugal se situe à la croisée entre le désir de regroupement de conjoint·e·s et les politiques gouvernementales qui régulent la vie privée des individus et des couples, ce qui en fait un site d’observation privilégié pour une recherche anthropologique s’intéressant aux manières dont les inégalités sociales genrées, classistes et raciales, notamment, sont reproduites dans le contexte des migrations internationales. En réalisant ma recherche doctorale, je voulais aussi élucider si le parrainage conjugal avait une incidence sur les dynamiques conjugales et si, en quelque sorte, l’amour suffisait à surmonter les obstacles rencontrés à travers les différentes étapes liées au processus. Pour avoir un portrait global de la situation, je me suis intéressée à l’expérience du parrainage conjugal à trois moments différents : la période de préparation de la demande de parrainage, la période d’attente des réponses gouvernementales et la période qui suit l’obtention de la résidence permanente par la personne parrainée.
Prenant ancrage dans la compréhension de l’intersectionnalité de Patricia Hill Collins (2000, 2017), j’ai adapté sa matrice de domination pour analyser le phénomène du parrainage conjugal et le processus à plusieurs niveaux. Cette matrice de domination est composée de quatre domaines de pouvoir : le structurel (lois d’immigration et institutions gouvernementales), le disciplinaire (le traitement administratif des demandes d’immigration et la complexité bureaucratique), l’hégémonique (les différents systèmes d’oppressions, mais aussi les discours, normes et pratiques de la société d’accueil, notamment incarnées par la logique de l’amour romantique) et enfin, le domaine des interactions interpersonnelles (entre les personnes impliquées, ce qui réfère ici aux dynamiques conjugales).
Par le biais d’une méthodologie basée principalement sur les récits de vie, j’ai rencontré sur une période de quatorze mois un total de 43 personnes vivant ou ayant vécu le parrainage conjugal à des moments différents du processus. Afin d’analyser les diverses intersections des systèmes d’oppressions, les critères de sélection ont visé une diversité de personnes participantes : parrains, marraines et personnes parrainées de genres, origines, âges et orientations sexuelles variés.
L’analyse féministe intersectionnelle mobilisée m’a permis de démontrer que le parrainage conjugal est loin d’être un phénomène neutre. Il reproduit certaines formes de discrimination basées sur le genre, la classe et l’origine des personnes parrainées et ce, aux différentes étapes du processus. De cette manière, les exigences bureaucratiques du parrainage conjugal peuvent discriminer les couples homosexuels, ou ceux dont la relation ne semble pas être basée purement sur l’amour romantique. En effet, l’authenticité de la relation conjugale est au cœur de la procédure et c’est à l’aune de l’amour romantique qu’elle est jaugée par les agent·e·s d’immigration qui étudient les dossiers de parrainage. Il a été aussi démontré que ces procédures reproduisent des discriminations de classe et d’origine, notamment lorsque les conjoint·e·s en instance de parrainage proviennent des pays des Suds. En outre, le parrainage conjugal renforce les rapports sociaux de sexe au sein du couple, et encourage une quadruple dépendance (légale, économique, sociale et émotionnelle) des personnes parrainées envers les personnes qui parrainent, dont les principales victimes sont les femmes. Les résultats montrent également comment, bien que toutes les personnes impliquées soient exposées à différents
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types de violences (conjugales, institutionnelles, structurelles et/ou symboliques) aux diverses étapes du processus; les oppressions que vivent les personnes parrainées les rendent particulièrement vulnérables. Malgré les privilèges dont disposent les personnes qui parrainent, les responsabilités qui leur incombent ont également des effets délétères. Dans ce contexte complexe, les résultats mettent en lumière les façons dont les individus et les couples impliqués font preuve d’agencéité et de résistance face aux discriminations et aux violences qui se manifestent tout au long du processus. Somme toute, le parrainage conjugal est une procédure usante pour les couples, et les résultats démontrent que pour y arriver, il ne suffit pas seulement de s’aimer.