Depuis l’invention de la photographie, la reproduction cinématographique, ainsi que tout ce qui a été touché par le progrès technologique, la littérature a dû revoir ses propositions et sa définition en général. Dans son essaie...
moreDepuis l’invention de la photographie, la reproduction cinématographique, ainsi que tout ce qui a été touché par le progrès technologique, la littérature a dû revoir ses propositions et sa définition en général.
Dans son essaie L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin affirme que l’authentique ne maintient pas son autorité face à la reproductibilité technique. En effet, dans cette époque, l’aura de l’œuvre d’art s’estompe, son hic et nunc vient à manquer lorsque le produit est pris de son champ de la tradition. En multipliant la reproduction, nous avons une série quantitative d’événements au lieu d’un événement unique. Du moment que nous n’avons plus le critère d’authenticité de l’art, toute la fonction de l’art se transforme et l’observateur reconnaît la nécessité d’un chemin particulier pour accéder au sens. Bien entendu, reproduire et produire n’engagent pas le même type d’activité, ni du point de vu de l’effort ni du point de vue artistique, mais la littérature d’aujourd’hui se pose dans une culture de montage-collage, « où le copier-coller représente une parte non négligeable du travail de l’écrivain » . L’écriture a assumé depuis longtemps les pressions et sollicitations du contexte médiatique et souvent la littérature de nos temps se présente comme conceptuelle, contre l’expression personnelle et subjective de l’écrivain. Evidemment ce que nous appelons document entretient une correspondance étroite avec cette poétique du montage-collage, qui en effet fait parler de soi depuis le début du XXe siècle. Tel « fragment du réel », comme il est souvent défini, peut être littéraire, c'est-à-dire déjà classé comme littéraire – c’est le cas de l’intertextualité ou du phénomène citationnel – ou non littéraire, c'est-à-dire privé de statut et de valeur littéraire en soi. Mais plus que toute autre forme de reproduction littéraire, dans le sens de W. Benjamin, donc plus que tout autre type de rencontre entre littérature et autres arts, le document soulève des questions fondamentales, comme celle que l’on se pose toujours : qu’est-ce que la littérature ? Par conséquente nous pouvons aussi penser, donc, qu’est-ce que vaut la littérature, qu’est-ce qu’elle peut dans une culture de l’image et des multimédias où le prestige du texte littéraire est décroissant.
Ces questions, toujours actuelles, ont déjà été posées dans la période de l’entre-deux-guerres, lorsque les premiers pas du progrès technique commençaient à toucher l’autonomie littéraire. Le débat des années vingt et trente voyait déjà opposés les tenants d’une littérature du réel, documentaire, et les garants d’une littérature qui se voulait autonome. Cette dissension s’est manifestée dans ce que Myriam Boucharenc appelle la « querelle du reportage » , qui avait vu se battre le journalisme littéraire contre l’art personnelle, qui n’avait rien à voir avec le réel. Evidement l’usage de documents et la littérarisation des documents sont une intervention qui touche beaucoup le champ littéraire et l’idée que l’on s’est fait de la chose littéraire. Il vaut la peine d’analyser les modalités à travers lesquelles cette révolution est commencée, pour indaguer quel est le résultat de ces pratiques qui depuis presque un siècle se sont imposées, en gagnant de plus en plus reconnaissance.
Dans notre étude, nous allons nous focaliser sur le style documentaire dans l’ouvrage de Blaise Cendrars, écrivain de la première modernité, qui est caractéristique pour son travail formel sur l’écriture et l’hétérogénéité de ses textes.
Nous nous concentrerons sur les modalités par lesquelles Cendrars réalise un style documentaire dans ses œuvres et nous tâcherons de comprendre, en analysant le contenu et la forme de ses textes, comment la conception de la littérature et de l’œuvre d’art change depuis le début du XXe siècle et qu’est-ce que la littérature peut encore dans une époque où l’homme est entouré par lumières, couleurs, images et informations.
A partir du travail de Blaise Cendrars, nous nous demandons qu’est-ce que signifie parler de style documentaire en littérature, comment ce style s’affirme de plus en plus pendant la modernité et pourquoi le concept d’œuvre d’art change.
Le montage des citations, l’introduction de faits divers, impriment-ils une direction, donnent-ils un sens, font ils dire aux textes autre chose au-delà de leur sens littéral ? Les effets du collage et l’insertion des matériaux ‘extra-littéraires’ rendent-ils les œuvres plus vraies et objectives, ou ces modalités se prêtent-elles au projet de l’auteur, et donc elles relèvent toujours de sa sensibilité ? Quelles sont les raisons pour lesquelles le style documentaire s’affirme dans chaque domaine artistique et quelles sont celles qui conduisent Cendrars à s’en servir, en créant des textes hétérogènes ? Le document a longtemps été pensé en opposition à la littérature : n’est-ce pas à cause d’une certaine doxa sur le processus d’autonomisation de la littérature ?
Dans la première partie de notre travail nous essaierons de circonscrire le domaine d’étude, à savoir ce que nous entendons pour style documentaire et de même pour les mots document et documentaire. Nous ferons une petite histoire de ces termes, en prouvant que la question du document gagne en importance au début du XXe siècle et surtout autour de 1930, grâce à l’entrée dans le monde de l’art de la photographie, du cinéma, ainsi qu’en rapport avec les évènements socio-politiques et historiques de cette époque.
Pour mieux établir les caractéristiques de cette forme documentaire en littérature, nous suivrons son parcours chez les arts visuels, en analysant les raisons pour lesquelles elle s’affirme et comment, dans quelle mesure et avec quels traits spécifiques. En parallèle nous aurons la possibilité d’indaguer les mêmes problématiques en littérature, en nous appuyant sur les études conduites en photographie et au cinéma mais en étudiant aussi les détournements esthétiques que la littérature subit à cette époque. Après un excursus historique et artistique jusqu’au début du XXe siècle, nous définirons nos bornes chronologiques autour de 1930, et nous expliquerons nos raisons.
A support de toute théorie, de périodisation et de problématique littéraire concernant le style documentaire, nous reporterons une brève étude sur des revues de l’époque, surtout un travail sur les textes documentaire de la NRF sous le rédacteur Jean Paulhan, et sur Documents de Bataille.
Ce travail nous conduira à notre deuxième partie, où nous focaliserons notre attention sur Blaise Cendrars et ses modalités d’écriture.
L’étude du style documentaire et sa périodisation nous emmènent à colloquer l’auteur dans cette forme, tout d’abord parce qu’une des façons à travers lesquelles le style documentaire se manifeste en littérature est notamment l’hybridation et l’usage de matériel extra-littéraire, deuxièmement parce que Cendrars n’en fait pas seulement usage, mais il semble tout insérer dans ses travaux, et en troisième lieu il s’entretient beaucoup aussi avec les autres nouveaux arts et les nouvelles machines. Si donc l’artiste emploie tout ce qu’il peut dans la création de ses œuvres, nous pouvons affirmer que cette hétérogénéité devient une esthétique chez lui, un vrai langage littéraire pour s’exprimer.
Notre deuxième partie parcourra la production artistique de Cendrars pour l’interroger et comprendre si nous pouvons à plein titre parler d’une esthétique de l’hétérogénéité, en tant que modalité d’écriture constante dans la mise en œuvre du style documentaire.
L’analyse s’appuiera sur l’étude de l’ouvrage cendrarien à partir d’une tripartition : paratexte, texte et typographie. Selon la division qu’en fait Gérard Genette, nous parlons de paratexte lorsqu’il s’agit de tout ce qui est dans le livre mais qui ne concerne pas le texte, nous étudierons donc l’édition, la couverture et la reliure des livres, dont la direction était souvent sous Cendrars, et toute insertion de documents, images ou texte à côté de l’œuvre. La partie paratextuelle verra ainsi deux sous chapitres, le paratexte éditorial et celui auctorial, même si Cendrars jouait un rôle plus que principal dans les deux.
En ce qui concerne les textes nous les analyserons en tant que documentaire dans leur lecture, puisqu’écrits soit à partir d’autres sources, soit à travers un langage lui-même hybride et qui relève d’une étroite connexions avec la réalité. Encore hybridation, c'est-à-dire mélange de matériaux de nature variée, mais c’est dans la typographie que l’hétérogénéité a lieu et naissance.
La mise en page est où texte et paratexte se trouvent et se lient, union et liaison d’éléments différent. Dans l’analyse de la typographie nous verrons le rôle de tous les fragments hétéroclites qui composent l’œuvre cendrarien, qu’ils soient textuels ou visuels ou les deux en même temps.
Le but de cette recherche est celui de voir si nous pouvons à plein titre, après une analyse à grande échelle sur l’ouvrage de Cendrars, parler d’esthétique de l’hétérogénéité. Evidemment un auteur ne maintient pas son style inchangé tout au long de sa vie artistique, mais une certaine constance dans l’usage d’un type de matériel et d’écriture peut nous conduire à parler d’un langage propre de l’écrivain, son style unique qui, même si en développement pendant sa carrière, est son seul moyen pour communiquer avec le public et le monde.