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POWER de Michaël Mention (2018) Gérard Dastugue To cite this version: Gérard Dastugue. POWER de Michaël Mention (2018). Inter-Lignes, 2018. ฀hal-02497676฀ HAL Id: hal-02497676 https://hal.science/hal-02497676 Submitted on 3 Mar 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License Michael Mention Power Paris, Editions Stéphane Marsan, 2018, 454 pages, 20 euros ISBN : 978-2-37834-021-6 Né en 1979, Michael Mention appartient à cette génération de jeunes auteurs nourris au cinéma américain des années 70, celui de Pollack, de Pakula, de Lumet, de Peckinpah, politisé et traumatisé par le Vietnam et le Watergate. Cette fascination outre-atlantique ne cesse de transpirer dans son écriture même si c’est avec sa trilogie anglaise (Sale Temps pour le pays en 2012, Adieu demain en 2014, Et justice pour tous en 2015) qu’il s’est fait remarquer et plébisciter (Grand Prix du roman noir français à Beaune, Prix du polar lycéen à Aubusson, Prix Polars Pourpres, Prix Transfuge meilleur espoir polar). Déjà, l’arrière-plan politique habillait l’enquête autour de l’éventreur du Yorkshire, de manière homéopathique et profondément stylisé : peu présent dans les lignes mais bien présent dans l’esprit. En 2014, son Fils de Sam saisissait par ce jeu entre 3e personne (les tenants de l’enquête sur le tueur en série de New York) et 1er personne (le tueur se raconte, dans un jeu du « je » aussi efficace qu’un Stephen King). Par un gros travail de documentation (dont il cite les sources en ouverture du livre), Michael mention se plaît (et semble s’amuser) à inclure la petite histoire dans la grande. En 2016, il imaginait le dernier mois de la vie de Lacenaire (1803-1836) comme enquêteur auprès de la police : l’arrière-plan politique et social du Paris de Louis-Philippe servait de toile de fond dramatique bien plus que de simple décor. La même année, Bienvenue à Cotton’s Warwick, huis-clos étouffant entre fantastique et récit red-neck, agrégeait les influences de Howard Hawks (Rio Bravo, The Thing), de John Carpenter ou du Nid de Guêpes de Florent-Emilio Siri, mais souffrait parfois de l’hommage et de l’étau que pouvaient représenter les codes fictionnels du genre et les passages obligés. Néanmoins, l’efficacité de l’auteur et son goût pour les personnages atypiques demeuraient. « Ca a foiré à cause de nous. Pas à cause du FBI, de la came, des gangs. Ils nous ont pourri la vie mais le vrai problème, c’était nous. Trop pressés. Des siècles qu’on avait rien, alors on voulait tout et on a foncé. On était sur tous les fronts, tellement impliqués qu’on a rien vu venir. L’envie, c’est ce qui nous a tués ». C’est par cette confession, en forme de mea culpa, que s’ouvre Power, dans lequel Michael Mention revient à ses premières amours, les portant jusqu’à l’autel du docu-fiction. De l’assassinat de Malcolm X le 21 février 1965 va naître une période de tumultes avec la naissance du Black Panther Party (créés par Bobby Seale et Huey P. Newton en 1966 en Californie) puis la sécession avec la Black Liberation Army, jusqu’en octobre 1971. Après une première partie d’une centaine de pages dans laquelle il dresse les coulisses institutionnelles de la création et de l’activisme des Black Panthers (WHAT WE WANT), il consacre la suite de son récit à une immersion à la première personne (WHAT WE BELIEVE), dans une focalisation interne qui adopte les points de vue de trois personnages : Neil le flic, Charlene la militante et Tyrone l’infiltré. En arrière-plan, les personnages se nomment Angela Davis, Martin Luther King, Edgar J. Hoover, Muhammad Ali, Robert Kennedy, etc. Il serait réducteur de préjuger de la volonté de l’auteur à réaliser un brûlot anti-raciste car ici, le manichéisme révèle aussi son ambiguïté : il y a de la haine partout, de chaque bord, et de l’espérance partagée. Croire en des jours meilleurs et se heurter aux lendemains qui déchantent. Derrière les stratégies gouvernementales visant à éradiquer les revendications de ces bérets noirs, il y a la fulgurance des poings levés, fierté insoumise, des athlètes Tommie Smith et John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Le style se veut donc incisif, efficace, pour faire de cette chronique romancée un page turner que l’on dévore. Chapitres courts se terminant sur un cliffhanger, sens de l’ellipse, multiplication de phrases nominales ou verbales, hachant comme un halètement. Un à-bout-de-souffle où tout semble se dérouler très vite. Trop vite. Parfois la fresque demanderait davantage de respiration et la multiplication des points de vues pourra, pour certains lecteurs, nuire à l’empathie vis-à-vis de personnages au demeurant forts. Mais l’écriture de Mention est un film en plan américain, au cadre rapproché. Le décor est bien là, présent voire influent, mais c’est à l’individu que la plume s’intéresse, aux identités qui se construisent ou se déchirent dans un collectif qui les dépasse. A cela s’ajoute une bande-originale (playlist donnée en fin d’ouvrage) qui accompagne l’auteur lorsqu’il écrit et environne les personnages de l’intrigue, comme si les chansons de l’époque – en étendard, « I’m black and I’m proud », scandé par James Brown, comme une révolte – naviguaient entre le présent, réel, de l’auteur et celui, fictionnel, du récit. Publié entre les électrochocs cinématographiques que sont Black Panther de Ryan Coogler et Blackkklansman de Spike Lee, le dixième roman de Michael Mention trouve en 2018 l’écho favorable à sa structure enchâssée. Et cette main noire, fermée, tendue jusqu’à l’arrogance, qui orne comme un sceptre la couverture, d’un blanc virginal, est bien l’imagerie d’un véritable coup de poing. Assuré. Assumé. Black Power. Gérard Dastugue C.E.R.E.S.