Ktèma : civilisations de l'Orient, de la
Grèce et de Rome antiques
La forêt qui cache l'arbre. De l'"Arbre-de-la-Vie" levantin aux
diptères ioniques et à l'ordre corinthien
Thierry Petit
Résumé
La double volute des chapiteaux dits «proto-éoliques» palestiniens et cypriotes est en réalité une synecdoque de l’Arbrede-la-Vie biblique, tel qu’il apparaît sur nombre de représentations figurées. Ce symbole passera dans le monde égéen
dans les ordres éolique et ionique. Une étape intermédiaire dans la création de ces ordres pourrait bien être attestée à
Chypre, où l’association de la double volute, des denticules et de «fasces» s’observe à plusieurs reprises dans ce que l’on
pourrait appeler un «ordre proto-éolique cypriote» . La signification eschatologique du motif ne s’est pas perdue en
transitant vers l’ouest. Elle se retrouve aussi dans la création de l’ordre corinthien, de l’Antiquité à la Renaissance.
Abstract
The two volutes of the so-called Proto-Aeolic capitals in Palestine and Cyprus represent the shortening of the biblical Treeof-Life, as it appears on many figures in the Near East. This symbol entered to the Aegean into the Aeolic and Ionic
orders. An intermediary step for the creation of these two orders may be illustrated on Cyprus, where the combination of
volutes, dentils and fasciae is attested in a “Cypriot Proto-Aeolic order”. The eschatological meaning of this figure did not
get lost by traveling westwards. In the same way it can be observed in the Corinthian order, from Antiquity to Renaissance.
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Petit Thierry. La forêt qui cache l'arbre. De l'"Arbre-de-la-Vie" levantin aux diptères ioniques et à l'ordre corinthien. In:
Ktèma : civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, N°33, 2008. pp. 309-327;
doi : https://doi.org/10.3406/ktema.2008.1110;
https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_2008_num_33_1_1110;
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La forêt qui cache l’arbre
De l’« Arbre-de-la-Vie » levantin aux diptères ioniques et à l’ordre corinthien*
Résumé.– La double volute des chapiteaux dits « proto-éoliques » palestiniens et cypriotes est en réalité une
synecdoque de l’Arbre-de-la-Vie biblique, tel qu’il apparaît sur nombre de représentations figurées. Ce symbole
passera dans le monde égéen dans les ordres éolique et ionique. Une étape intermédiaire dans la création de
ces ordres pourrait bien être attestée à Chypre, où l’association de la double volute, des denticules et de
« fasces » s’observe à plusieurs reprises dans ce que l’on pourrait appeler un « ordre proto-éolique cypriote ». La
signification eschatologique du motif ne s’est pas perdue en transitant vers l’ouest. Elle se retrouve aussi dans
la création de l’ordre corinthien, de l’Antiquité à la Renaissance.
Abstract.– The two volutes of the so-called Proto-Aeolic capitals in Palestine and Cyprus represent the
shortening of the biblical Tree-of-Life, as it appears on many figures in the Near East. This symbol entered to
the Aegean into the Aeolic and Ionic orders. An intermediary step for the creation of these two orders may
be illustrated on Cyprus, where the combination of volutes, dentils and fasciae is attested in a “Cypriot ProtoAeolic order”. The eschatological meaning of this figure did not get lost by traveling westwards. In the same
way it can be observed in the Corinthian order, from Antiquity to Renaissance.
Pour évoquer la colonnade du temple d’Artémis à Ephèse, il est d’usage de parler d’une « forêt
de colonnes »¹. Le nombre, la taille et la magnificence de ces supports architecturaux représentaient,
en effet, une nouveauté et un sujet d’étonnement pour les Grecs, au point que, plus tard, l’édifice
tout entier fut rangé au nombre des merveilles du monde antique ; au point aussi que l’on en vint à
oublier, devant leur nombre, la nature et l’origine de chacune des colonnes. En réalité, cette « forêt »
a fini par dissimuler les « arbres » dont elle est constituée ; et, si le substantif peut être entendu au
sens métaphorique, on tentera ci-dessous de démontrer qu’il faut aussi le comprendre autrement.
La colonne ionique, en effet, est une héritière de l’Arbre-de-la-Vie levantin et l’on verra que
(*) Je tiens à remercier tous les membres du groupe de recherche « Interactions religieuses… » de l’UMR 7044, ainsi que
Marie-Christine Hellmann, Anne Jacquemin et Jean-Yves Marc pour leur avis et conseils.
(1) A ma connaissance, l’expression n’est pas attestée dans la littérature antique ; elle paraît être une création moderne :
Gruben dans Berve et Gruben 1965 [1e éd. 1961], p. 256 ; reprise dans Gruben 20015, p. 390 : « Der mystische Säulenwald ». On
la retrouve régulièrement dans la littérature archéologique : Gros 1996, p. 125 (« …une véritable forêt mystique ») ; Höcker
1998, col. 686 (« Säulenwald ») ; Hellmann 2006, p. 30 et n. 145. Il se pourrait que l’inspiration en soit venue de certains
textes comme celui de Denys le Périégète, v. 1908-1913 : « Dedans son large enclos, un grand temple qui est / Des hommes la
merveille et la terreur des nuées / Qu’il semble menacer de ses pointes aiguës, / Paraît majestueux, singulier ornement / Des
murs éphésiens, bâti premièrement / Sur troncs d’orme échangés en superbes colonnes… » (trad. Chr. Jacob, La description
de la terre habitée de Denys d’Halicarnasse ou la leçon de géographie, Paris, 1990, p. 206) ; en effet, le sanctuaire aurait été
initialement centré sur un bois d’ormes ou de frènes : Denys le Périégète, v. 828 ; Callimaque, Hymne à Artémis, v. 239.
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l’emprunt ne vaut pas seulement pour ses caractéristiques morphologiques, mais concerne aussi
son sens symbolique, qui n’a pu être oublié ou ignoré des Grecs.
L’expression « Arbre-de-la-Vie » (hébreu : ‘ēs. hāh. ayyim ; grec : τὸ ξύλον τῆς ζωῆς) apparaît à
plusieurs reprises dans le texte biblique² ; mais tous les passages où elle est attestée renvoient à
l’épisode du jardin dans l’Eden, l’un des plus célèbres mythes judéo-chrétiens³. En Genèse 3, 24,
il est dit que Dieu a chassé le couple primordial du jardin d’Eden parce qu’il a mangé du fruit de
l’Arbre-de-la-Connaissance-du-Bien-et-du-Mal. Adam et Eve en sont écartés afin qu’ils ne goûtent
pas au fruit de l’Arbre-de-la-Vie et ne deviennent pas comme des dieux (« comme nous » dit le
texte). Dans ce but, Dieu « place devant le jardin (ou à l’est du jardin) les Kerouvîm et la flamme de
l’épée tournoyante afin de garder le chemin qui mène à l’Arbre-de-la-Vie ».
Dans la mesure où l’expression « Arbre-de-la-Vie » renvoie immanquablement à ce fameux
épisode, la plupart des auteurs préfèrent utiliser, par prudence, l’expression plus vague d’« arbre
sacré » pour désigner de nombreuses représentations d’un Arbre stylisé qui apparaissent à la
fois dans la coroplathie, la tabletterie, la peinture de vases et la glyptique. Il ne fait aucun doute
cependant qu’il s’agit là du même symbole vitaliste. Un seul indice suffira à le montrer : la fréquence
des représentations dans lesquelles il apparaît flanqué d’êtres hybrides qu’à la suite des Grecs nous
appelons « sphinx », mais dont on sait depuis longtemps qu’ils sont en réalité des Kerouvîm⁴. Les
textes indiquent aussi que de tels groupes héraldiques étaient représentés à l’intérieur du temple
de Jérusalem⁵.
Inspiré sans aucun doute du palmier-dattier⁶, l’arbre stylisé est le plus souvent composé d’un
tronc d’où jaillissent verticalement deux volutes retombantes qui s’enroulent en une ou plusieurs
spirales vers l’extérieur, et souvent s’appuient sur un triangle isocèle central ; sur cette paire de
volutes se déploie soit une palmette phénicienne (« Schallenpalmette ») qui enserre différents
motifs, soit une palmette à la grecque composée de plusieurs pétales. D’autres excroissances ou
efflorescences secondaires peuvent orner le motif, notamment des fleurs de lotus, soit en repousses
au pied du tronc, soit dans les écoinçons⁷. Selon le principe de la synecdoque, ou pars pro toto,
la seule paire de volutes autour du triangle central⁸ vaudra pour l’ensemble de l’Arbre⁹. Ainsi
l’origine végétale de plusieurs dizaines de chapiteaux dits « proto-éoliques », qui furent découverts
au Levant et qui sont datés entre le IXe et le VIIe siècle, ne fait guère de doute¹⁰. La provenance
du motif est toutefois controversée ; les auteurs se partagent entre l’Orient et l’Egypte (chapiteaux
en lys ou en lotus)¹¹. La première hypothèse doit avoir nos faveurs puisque l’on observe au Levant
« an unbroken sequence from very naturalistic examples to highly abstract columnlike patterns »¹².
(2) Outre Genèse, 2, 9 ; 3, 22 ; 3, 24, l’expression apparaît notamment en Proverbes, 3,18 ; 11,30 ; 13,12 ; 15,4 ; cf. dans le grec
du Nouveau Testament, Apocalypse, 2,7 ; 22,2 ; 22,14 ; 22,19 : l’expression est τὸ ξύλον τῆς ζωῆς ; elle reprend exactement celle
de la Septante pour Genèse 3,24 (τὴν ὁδὸν τοῦ ξύλου τῆς ζωῆς).
(3) Voir, par exemple, la note ad Proverbes, 3,18, dans l’édition de la traduction française du chanoine Osty.
(4) Pour les références bibliographiques, voir Petit 2006, p. 325 n. 24.
(5) Dinsmoor 1950, p. 60 ; Shiloh 1979, p. 30. Pour lui, l’Arbre de la Vie est « the palmtree flanked by figures » (mais,
p. 42, il semble en faire l’équivalent du « sacred tree »).
(6) Voir déjà Danthine 1937 ; et, par exemple, Shiloh 1979, pp. 26 et 42 ; Hellmann 2002, p. 166.
(7) Voir, par exemple, Barnett 1975, pl. XXXIV: (Nimrud) ; Crowfoot 1938, pl. XII:6 (Samarie) ; Karageorghis et al.
2000, p. II et 202-203, fig. 330:1 et 3 (Amathonte). C’est que ShEfton 1989 appelle « la fleur de paradis ».
(8) Pour le triangle central, voir infra, p. 312, n. 39.
(9) Pour cette synecdoque, voir Stern et Magen 2002, p. 52-54.
(10) Shilloh 1979, p. 26-30 ; Betancourt 1977, p. 18.
(11) Betancourt, 1977, p. 17-19.
(12) Betancourt 1977, p. 18. Selon certains, l’origine ultime dans son usage architectural pourrait être les chapiteaux
en lys égyptien (Dinsmoor 1950, p. 60). Ce chapiteau se serait alors répandu dès l’Age du Bronze au Proche-Orient. Mais
le passage vers des éléments architecturaux n’est sans doute pas d’origine égyptienne (Betancourt 1977, p. 19). Il est vrai
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Il est très vraisemblable que c’est en Phénicie¹³ ou en Syrie du Nord¹⁴. que ce chapiteau à double
volutes verticales fut pour la première fois inséré dans un édifice. Cependant la première utilisation
architecturale de cet élément est archéologiquement attestée dans le royaume d’Israël, à Hazor,
Megiddo et Samarie, sous la dynastie des Omrides¹⁵. Le chapiteau gagne ensuite le royaume de Juda
(Jérusalem et Ramat Rahel) aux VIIIe/VIIe siècles¹⁶. On en trouve aussi à Dan, à Gezer, en Ammon
et en Moab¹⁷. En l’absence d’indices clairs sur la manière dont ces éléments étaient disposés dans
les édifices palestiniens, le meilleur exemple conservé de leur utilisation se trouve à Chypre, à
Tamassos. Quoiqu’il soit connu dans l’île dès le VIIIe siècle par la tabletterie¹⁸, le style apparaît dans
les chapiteaux votifs ou architecturaux à la fin du VIIe siècle et il s’épanouit au VIe siècle (CyproArchaïque II)¹⁹ : deux pilastres opposés, coiffés de tels chapiteaux, flanquent longitudinalement
l’entrée monumentale des tombes royales 5 et 12 de Tamassos. Ils apparaissent aussi dans la même
position sur un modèle de sanctuaire en terre cuite trouvé à Amathonte²⁰. A Chypre non plus,
l’origine végétale de cet élément ne fait aucun doute et elle paraît avoir été constamment perçue par
les Cypriotes eux-mêmes. C’est ce que semblent montrer les Arbres-de-la-Vie des fausses fenêtres
dans l’antichambre de la tombe 5, qui présentent des volutes identiques à celles des chapiteaux de
l’entrée (fig. 1 et 2)²¹.
A côté de ces chapiteaux de pilastres ou de piliers, on trouve des éléments similaires sur des
objets orientaux qui relèvent des arts mineurs. Ainsi des bas-reliefs de Khorsabad, de Ramat Rahel
et de Tell Tainat²² montrent des balustres couronnés d’un chapiteau à double volute, posé sur une
couronne de feuilles retombantes ; on trouve aussi de telles représentations à Chypre²³. Toutefois
qu’à l’Age du Bronze, une origine égyptienne n’est pas exclue, mais rapidement il connaîtra un développement autonome :
Betancourt 1977, p. 21 ; p. 95 (à propos des exemplaires de Néandria et du Vieux Palais de Larissa). Voir aussi Shiloh
1979, pp. 26, 42-43 (l’auteur écarte l’inspiration égyptienne, à l’exception de certains motifs secondaires en forme de lotus).
(13) Betancourt 1977, p. 46-47. D’autres modèles de ce type sont aussi connus en Transjordanie et Palestine (Betancourt
1977, p. 36-37, pl. 18 ; Shiloh 1979, p. 33, fig. 37-38. Cf. Stern, Magen 2002, p. 51-52).
(14) Shiloh 1979, p. 89-90.
(15) Voir les restitutions proposées pour les chapiteaux palestiniens chez Shiloh 1979, p. 22 fig. 12 ; en particulier ceux
de Hazor chez Betancourt 1977, pl. 12 et Shiloh 1979, p. 24 fig. 14, pl. 2 ; et de Samarie chez Shiloh 1979, p. 23 fig. 13.
On observe beaucoup d’Arbres-de-la-Vie dans les ivoires de Samarie, ce qui n’est pas un hasard (Dinsmoor 1950, p. 60).
Betancourt (1977, p. 27) avance encore parfois la date du Xe siècle pour les chapiteaux de Megiddo, mais il s’agit là d’une
ancienne datation, fondée sur les textes bibliques et non sur l’archéologie. Pour cette fallacieuse chronologie, voir les travaux
d’Israel Finkelstein, qui ont suscité tant de controverses ces dernières années (par exemple, Finkelstein 2006).
(16) Jérusalem : Betancourt 1977, p. 37-40, pl. 21 ; Ramat Rahel : Ibid., p. 40-43, fig. 10 ; pl. 22 ; pour la chronologie :
Stern et Magen 2002, p. 50.
(17) Stern et Magen 2002, p. 50, et références bibliographiques. Pour, Gezer, voir Brandl 1984 (références
bibliographiques antérieures : p. 173, n. 6) ; pour Tel Dan, voir Biran 1985, p. 186 et pl. 20 : D (ce dernier appartiendrait à
un édifice du VIIIe siècle).
(18) Dans la tombe 79 de Salamine : Karageorghis 1974, pl. LV, 513 ; CCXXXVI, 513.
(19) Buchholz, Matthäus, Walcher 2002, p. 223-227, fig. 1-5 ; Walcher 2005a, p. 23-24 (et n. 5 pour les références
bibliographiques). Voir aussi Betancourt 1977, p. 47. Selon le même auteur (p. 63), ils ne seraient pas antérieurs au
VIe siècle et ils occuperaient la même position qu’à Hazor (Betancourt 1977, p. 29) et sans doute qu’à Jerusalem (à cet
égard, voir la restitution de Busink 1970, p. 165, 167, 172).
(20) Betancourt 1971. Pour de semblables modèles au Levant, voir n. 65 ; pour l’usage en chapiteaux de pilastres
longitudinaux dans les entrées d’édifices, voir Shiloh 1979, p. 90. Pour le Temple de Jérusalem, il semble qu’il y ait confusion
(Shilloh 1979, p. 46) entre les colonnes Jachin et Boaz isolées devant le Temple, et les colonnes (ou piliers / pilastres) coiffées
d’un chapiteau « en lys », que Th. Busink distingue clairement et place dans le Oulam (voir sa restitution : 1970, p. 165, 167,
172, et la discussion p. 171-180, spéc. p. 173-174).
(21) Masson 1964, p. 221-225 ; Wright 1992, p. 346, fig. 199 ; Walcher 2005b, p. 78-85, fig. 1-3, pl. 11:1-2.
(22) Betancourt 1977, pl. 23 (Khorsabad), 24 et 27 (Ramat Rahel), 26 (Tell Tainat).
(23) Kourion : Shiloh 1979, pl. 19 ; Paphos : Karageorghis 1970, p. 216, fig. 55 et p. 226, n. 68-69 ; Kouklia : Maier 1968,
p. 86 ; 1969, p. 36, pl. II:1.
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s’il faut leur chercher des modèles dans l’architecture, pour une part de ces représentations au
moins, c’est plutôt à des colonnes qu’à des piliers ou pilastres qu’il faut penser en l’occurrence²⁴, ce
qui contraste avec les exemples précédemment évoqués.
Du proto-éolique à l’éolique-ionique²⁵
Les chapiteaux dits « éoliques » se trouvent essentiellement en Asie mineure égéenne, surtout
dans l’aire de dialecte éolien : Néandria, Mytilène, Eressos et Klopédi sur l’île de Lesbos, la Vieille
Smyrne, Alâzeytin (Halicarnasse), Larissa-sur-l’Hermos ; mais ils débordent vers les îles, à Thasos,
Délos²⁶, Paros, et jusqu’en Attique²⁷. De prime abord, les chapiteaux de la Vieille Smyrne ressemblent
à ceux de Hazor²⁸ et les premiers exemples de Larissa (deuxième quart du VIe siècle²⁹) à d’autres
chapiteaux orientaux³⁰. Cependant, si le schéma de base reste identique – une double volute qui
jaillit du centre du fût –, les chapiteaux éoliques présentent des variations par rapport à leurs cousins
levantins. La principale étant la disparition du triangle central, au profit d’un motif en palmette
composé de plusieurs pétales³¹. Plaidant cependant pour une influence orientale, les chapiteaux sur
couronnes de feuilles retombantes connus au Levant et à Chypre (voir supra) se retrouvent aussi
dans le domaine éolien³². En Orient, l’élément est très nettement séparé des doubles volutes³³. Alors
que, par la suite, les deux éléments se fondront plus harmonieusement pour ne constituer qu’un seul
ensemble structurel, les rangs d’oves et lancettes (en réalité la stylisation des feuilles retombantes) et
les volutes elles-mêmes sont encore clairement dissociés les uns des autres sur les premiers chapiteaux
ioniques³⁴. C’est le cas, par exemple, du chapiteau que domine le sphinx des Naxiens à Delphes³⁵, du
sphinx d’Egine³⁶, de celui de Cyrène³⁷, ou d’autres encore³⁸. Toutefois une difficulté subsistait qui
fut relevée par la plupart des auteurs : la présence, sur les chapiteaux levantins, du triangle central³⁹,
(24) Betancourt 1977, p. 46, pl. 26 et 27.
(25) Pour l’histoire des premières études sur les origines des chapiteaux grecs à volutes, voir Martin 1958, p. 119-120.
(26) Hellmann 2002, p. 146 et 168, fig. 233.
(27) Betancourt 1977, p. 50-112.
(28) Betancourt 1977, p. 61.
(29) Betancourt 1977, p. 73-74.
(30) Betancourt 1977, p. 95.
(31) Betancourt 1977, pl. 29, 41, 44, 46, 49, 50, 51 ; Hellmann 2002, p. 166. Selon Betancourt, l’œil des volutes est
également une création grecque (1977, p. 96) ; cependant voir Shiloh 1979, pl. 11, 12, 15, fig. 6.
(32) Betancourt p. 60, pl. 36, fig. 27-28 (Vieille Smyrne) ; p. 63, fig. 23 (Aigai) ; pl. 37 (Thasos) ; pl. 38 (Phocée) ; pl. 41
(Néandria) ; pl. 42 (Larissa) ; pl. 43 (Samos). Ces éléments ont été interprétés comme des bases par Wesenberg ; erronément
à en croire Betancourt 1977, p. 60-61. Dinsmoor 1950, fig. 21, est à comparer avec les exemplaires de Ramat Rahel et de
Tell Tainat (Betancourt, 1977, fig. 20 et pl. 23, 24, 26, 27 ; comparaison explicite Ibid. p. 61). Ainsi ce Blattkranz (terme
utilisé aussi bien dans les publications anglo-saxonnes : Betancourt 1977, p. 65) se retrouve à Néandria dans un temple
probablement périptère.
(33) Betancourt 1977, p. 69.
(34) Par exemple, Dinsmoor 1950, p. 62. Pour l’hétérogénéité des différents éléments dans l’ordre ionique, voir Martin
1958, p. 126 ; pour l’ordre éolique, Ibid. p. 124-125.
(35) Betancourt 1977, p. 108, fig. 58 ; Braun-Vogelstein 1920, p. 26, 32.
(36) Gruben 1965, p. 171, fig. 1 ; p. 172, fig. 2 ; Beilage 68-70, pl. 23 ; sur ces deux éléments encore fortement dissociés, voir
aussi p. 182 ( « Das Kapitell besteht aus zwei scharf abgesonderten, sich durchdringenden stereometrischen Grundkörper… »)
et p. 206 (« Von einer organischen Vereinigung dieser Teile noch keine Spur ; sie verschneiden sich vielmehr »).
(37) Betancourt 1977, p. 107, fig. 50.
(38) Par exemple, le chapiteau du sphinx de Délos : Holztmann 1991, p. 155, fig. 15.
(39) Selon Shiloh (1979, p. 42), cet élément est la stylisation de la partie supérieure du tronc du palmier ou de la partie
inférieure des frondaisons. Pour une hypothèse, à vrai dire assez douteuse, sur le triangle central, lequel serait le signe
de Tanit, voir Cintas 1968 ; Betancourt 1977, p. 19, n. 13. Pour Braun-Vogelstein (1920, p. 22), ce pourrait être un
symbole d’Astarté. Pour une origine possible de la plante de papyrus, voir Meurer 1909, p. 58 ; n° 3, 13, 15, 17, 23, etc.
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lequel fait défaut, en revanche, dans l’ordre éolique
grec⁴⁰. De nouvelles trouvailles, inconnues lors de
la publication des principaux travaux sur le sujet⁴¹,
permettent désormais de combler l’hiatus. Ainsi
la parenté de l’un des deux chapiteaux récemment
découverts sur le mont Gerizim avec des chapiteaux
micrasiatiques et égéens est évidente⁴². De même
qu’on ne peut nier la similitude entre les chapiteaux
à volutes sur les pilastres cypriotes et les stèles
ioniennes archaïques⁴³. Ajoutons que les bases
en tore sont un autre élément nord-syrien bien
connu qui est également emprunté dans les édifices
éoliques et ioniques d’époque archaïque⁴⁴. Enfin
l’apparition concomitante de ces chapiteaux et
d’autres motifs végétaux dans l’art grec, comme
les chaînes de palmettes et de lotus, confirme
l’importance des contacts avec la Méditerranée
orientale dans la genèse des deux ordres à volutes.
Pour toutes ces raisons, et même si d’aucuns
ont évoqué un cousinage plus qu’une filiation⁴⁵,
on peut considérer que les chapiteaux éoliques
sont d’origine orientale⁴⁶. Si tel est bien le cas, c’est
vers le milieu et à la fin du siècle que le chapiteau
éolique aurait gagné son autonomie par rapport à
ses modèles levantins⁴⁷. On ne sait exactement par
quel vecteur ces motifs se sont introduits dans le
monde égéen. On a maintes fois souligné cependant
que les arts mineurs ont joué un rôle certain dans
leur diffusion vers l’ouest, en particulier dans
la formation des ordres architecturaux grecs⁴⁸.
Mentionnons, par exemple, une plaque d’ivoire
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Fig. 1 : Entrée de la tombe 5 de Tamassos. D’après
Walcher 2005a, fig. 2.
Fig. 2 : Chapiteau de pilastre dans l’entrée de la
même tombe. D’après Walcher 2005a, fig. 3.
(40) Shiloh 1979, p. 88 et n. 10 ; Hellmann 2002, p. 166-167.
(41) Betancourt 1977 et Shiloh 1979.
(42) Comparer ainsi les pétales qui se développent entre les volutes en lieu et place du triangle central sur l’exemplaire du
mont Gerizim (Stern et Magen 2002, p. 49 fig. 1) et les chapiteaux grecs étudiés par Betancourt 1977, pl. 29 (Alâzeytin),
pl. 41 (Néandria), pl. 49 (Klopédi), pl. 50 (Mytilène) et pl. 67 (Attique). Ajoutons que le motif en palmette renversée sur le
second exemplaire du mont Gerizim (Stern et Magen 2002, p. 49, fig. 2) pourrait avoir inspiré le motif en cœur et palmette
renversée au revers du chapiteau de Alâzeytin (Betancourt 1977, pl. 30).
(43) Braun-Vogelstein 1920, p. 23. L’objection selon laquelle des pilastres latéraux avec chapiteaux à volutes ne se trouvent
pas dans l’art ionien archaïque ne vaut pas : aucune tombe du type de celles de Tamassos n’est attestée en Grèce de l’est.
(44) A Klopédi par exemple : Betancourt 1977, p. 129, fig. 59. Selon Pline (HN, XXXVI, 179), les premiers tores seraient
apparus sur les bases du premier Artémision d’Ephèse. Pour les tores nord-syriens et cypriotes, voir Petit 2004, p. 184-191.
(45) Shiloh 1979, p. 89-90.
(46) Dinsmoor 1950, p. 59-60 ; Betancourt 1977, p. 63.
(47) Betancourt 1977, p. 95. ; voir aussi p. 117-118.
(48) Par exemple, par Demargne (cité par Martin 1958, p. 129).
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de type phénicien trouvée à Ephèse qui montre un griffon humant un arbre stylisé à la double
volute⁴⁹.
Pour la diffusion du motif, deux routes sont envisageables : l’une maritime, qui part des ports du
Levant et passe par Chypre, l’autre terrestre, par les caravanes qui transitent en Anatolie⁵⁰. On verra
que des indices permettent de préférer la première hypothèse⁵¹.
Contre la possibilité d’une filiation, on pourrait cependant invoquer l’usage assez différent qui
est fait du motif dans les deux aires considérées. Dans les sanctuaires cypriotes, les chapiteaux
apparaissent sous leur forme non tectonique sur des stèles votives. L’usage architectural paraît
limité aux nécropoles, comme à Tamassos (Tombes n° 5 : fig. 1 et 2 ; et n° 12)⁵². Dans l’île, leur
usage serait donc votif et funéraire, alors qu’au contraire, les ordres éolique et ionique sont
essentiellement voués aux grands temples⁵³. On fera observer toutefois que l’on connaît en Grèce
plusieurs chapiteaux votifs, éoliques⁵⁴ ou ioniques⁵⁵, comme celui de Naxos qui remonte à la fin
du VIIe siècle (et même des chapiteaux corinthiens⁵⁶) ; on notera ensuite que la double volute est
également utilisée dans un contexte funéraire en Attique ou ailleurs⁵⁷, notamment sur des stèles
coiffées d’un sphinx⁵⁸ ; enfin, le petit modèle en terre cuite d’Amathonte déjà évoqué montre que
la fonction architecturale de la double volute cypriote s’étendait également aux édifices religieux,
puisque deux pilastres longitudinaux ainsi couronnés flanquent l’entrée du naïskos, exactement
comme dans les tombes 5 et 12 de Tamassos⁵⁹. On ne peut donc faire valoir l’argument contextuel
contre une possible dérivation.
Les Cypro-Phéniciens utilisaient ces éléments dans les porches comme pilastres engagés sur
la face interne des antes ou comme piédroits ; de même sans doute les Judéens dans le temple de
Jérusalem⁶⁰. Dans des constructions de pierres de taille, comme les tombes 5 et 12 de Tamassos,
le pilastre est dépourvu de fonction porteuse ; toutefois son usage originel est vraisemblablement
tectonique, puisque, dans une architecture de briques crues, comme devait l’être à plus haute
époque l’architecture levantine et cypriote, il fallait accoter les têtes de mur de piédroits ou de
pilastres en pierre ou en bois pour soutenir les linteaux⁶¹. L’innovation des ordres à volutes grecs
fut d’affecter ces chapiteaux à des colonnes indépendantes⁶² et, du fait de la création du temple
périptère, de l’étendre à tout le pourtour des édifices religieux.
(49) Bammer, Muss 1996, p. 85, fig. 105.
(50) Martin 1958, p. 129-130. Dinsmoor attribue cela aux relations commerciales directes avec Chypre (1950, p. 59).
(51) Chypre est étonnamment absente, sinon de l’analyse, du moins des titres et sous-titres de l’ouvrage de Betancourt
1977.
(52) Voir supra, n. 19 ; sur la topographie des tombes n° 5 et n° 12, voir Buchholz et al. 2005, p. 14-15, fig. 5.
(53) Cependant, on le retrouve aussi dans des palais, comme à Larissa (Betancourt 1977, p. 73-82, pl. 42, 44-48) ;
comparer à cet égard les chapiteaux de Megiddo assignés au porche du bît hilani 1723 (Betancourt 1977, p. 30).
(54) Braun-Vogelstein 1920, p. 23 ; Boehlau J., Schefold K., 1940, p. 142 (Larisa am Hermos) ; Betancourt 1977,
p. 100, pl. 44 ; pl. 52, fig. 47 ; pl. 53-55, fig. 48 ; Hellmann 2002, p. 168.
(55) Pour le chapiteau de Naxos, voir Hellmann 2002, p. 146, fig. 191 ; Dinsmoor 1950, p. 143, fig. 53.
(56) A Bassae : Cooper, Kelley 1996, p. 305 (voir ci-dessous).
(57) Buschor 1933, fig. 8, pl. X-XVII.
(58) Betancourt 1977, pl. 60-62.
(59) Betancourt 1971 ; Walcher 2005a, p. 25, fig. 5. Dessin chez Buchholz et al. 2005, p. 24, fig. 23.
(60) Busink 1970, p. 174, suggère que la largeur de l’ouverture donnant accès à l’Oulam, environ sept mètres (quatorze
coudées), incite à écarter les deux supports des murs pour en faire des éléments porteurs intermédiaires. La distance n’est
cependant pas excessive pour la portée d’une architrave. Voir notamment sa restitution pl. VII (p. 175). Les parallèles
levantins et cypriotes plaident au contraire pour en faire des pilastres accolés aux têtes de murs, comme à Tamassos.
(61) Betancourt 1977, p. 48.
(62) Betancourt 1977, p. 59, 86, 121.
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Un autre problème est de savoir si l’ordre ionique procède de l’ordre éolique. G. Gruben⁶³ tient
que les chapiteaux éoliques peuvent difficilement être considérés comme les prédécesseurs des
chapiteaux ioniques, mais que tous deux doivent dériver de modèles cypriotes, tandis qu’ils seraient
plutôt orientaux selon Betancourt⁶⁴. Se fondant sur la seule architecture religieuse, qui opposerait
les périptères éoliques de taille réduite aux énormes diptères ioniques, on serait tenté d’affirmer
une autonomie entre les deux ordres⁶⁵. Mais plusieurs observations doivent en dissuader : d’une
part, l’existence à l’époque archaïque de temples ioniques plus modestes⁶⁶ ; d’autre part, la parenté
morphologique entre les premières colonnes ioniques, comme celle du Sphinx des Naxiens à Delphes
vers 570/560, les premiers chapiteaux éoliques contemporains (deuxième quart du VIe siècle) et les
premiers chapiteaux éoliques en Attique⁶⁷. Quoi qu’il en soit, il semble bien que les deux ordres
aient cohabité à la fin du VIIe et au début du VIe siècle⁶⁸ et n’auraient divergé qu’ensuite⁶⁹. Il n’est
cependant pas question de trancher ici un débat qui nécessiterait de bien plus longs developpements,
et qui, de toute manière, est de médiocre incidence sur le problème ici abordé.
Volutes, denticules et fasces. Vers un « ordre proto-éolique cypriote ».
Pour illustrer indirectement l’utilisation par les Phéniciens des pilastres à volutes, Ph. Betancourt
invoque l’exemple de la Tombe 5 de Tamassos (fig. 1 et 2)⁷⁰. C’est, en effet, l’attestation la plus claire
de l’usage d’un tel pilastre proto-éolique comme élément architectonique⁷¹, ou, plus exactement
comme motif décorant une structure porteuse. La sépulture construite présente aussi une
caractéristique déterminante qui n’a pas été assez soulignée : au-dessus du linteau qui repose sur les
deux pilastres, on observe une rangée de onze denticules, plus larges que hauts mais très réguliers.
La façade actuellement détruite de la tombe 12 devait également présenter des denticules, puisque
M. Ohnefalsch-Richter affirme en avoir trouvé des fragments dans la couche d’effondrement⁷².
Pillées lorsqu’elles furent découvertes par Max Ohnefalsch-Richter, les tombes 5 et 12 sont
traditionnellement datées du VIe siècle⁷³. Mais l’on a de bonnes raisons de penser que la tombe 5
remonte plus probablement à la première moitié du siècle⁷⁴. Il s’agirait donc là de la plus ancienne
attestation d’une association entre ces deux éléments qui comptent parmi les plus importantes
caractéristiques morphologiques de ce qu’il est convenu d’appeler l’ordre ionique⁷⁵. En effet, en
(63) Gruben, 20015, p. 347.
(64) Betancourt 1977, p. 122 : « The emerging picture suggests that both artistic fashion were rooted in the orientalizing
styles of the seventh century B.C. ».
(65) Betancourt 1977, p. 123.
(66) Mallwitz 1968 (Milet) ; Hellmann 2002, p. 147 et fig. 195 (Naxos).
(67) Betancourt 1977, pl. 67.
(68) Pour l’abondante littérature sur les rapports entre ordre éolique et ionique, voir Betancourt 1977, p. 122, n. 1-2.
(69) Betancourt 1977, pp. 95 et 117-118 ; l’auteur (1977, p. 130) finit par conclure à un développement concomitant
et à une origine proche-orientale commune des deux ordres. Le chapiteau de Naxos (voir Hellmann 2002, p. 146, fig. 191)
découvert après la parution de son ouvrage montre qu’il a raison. Il paraît peu probable, en revanche, que le passage de la
colonne éolique à la colonne ionique s’explique par de simples raisons tectoniques (Betancourt 1977, p. 131).
(70) Betancourt 1977, p. 47-48, pl. 65 ; cf. Shiloh 1979, pl. 18:1-3; Buchholz, Mathhäus, Walcher 2002, fig. 2-8.
(71) Braun-Vogelstein 1920, p. 21.
(72) Buchholz et al. 2005, p. 21.
(73) Buchholz et al. 2005, p. 31.
(74) Dans une communication personnelle, Katja Walcher a bien voulu me faire part de cette hypothèse. Je tiens à lui
exprimer mes plus vifs remerciements pour cette précision importante et pour l’autorisation de reproduire les figures. Ces
conclusions coïncident avec celles de Christou 1996, p. 239.
(75) Voir, par exemple, Dinsmoor 1950, p. 64 ; même si, exceptionnellement, le denticule est aussi attesté dans l’ordre
dorique : Ginouvès, Martin 1992, p. 123 et n. 557.
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dépit des nombreuses restitutions de temples éoliques
ou ioniques du VIe siècle qui, sur la base de parallèles
ultérieurs, postulent un entablement avec des denticules,
la combinaison des denticules et des chapiteaux à volutes
(éoliques ou ioniques) n’est pas attestée avant le Ve siècle
dans l’architecture grecque⁷⁶.
En outre, ce n’est pas là l’unique combinaison entre
volutes et denticules dans l’île : sur deux chapiteaux
hathoriques au moins, respectivement datés du milieu
du VIe siècle (fig. 3) et du début du Ve siècle (fig. 4), des
denticules surmontent le linteau du naïskos ; or, comme
il est de coutume sur tous ces chapiteaux, le naïskos est
flanqué d’une double volute⁷⁷.
Est-ce assez pour parler d’un « ordre » proto-éolique
cypriote ? D’un côté, le caractère exceptionnel de
l’association à l’œuvre dans les tombes 5 et 12 laisserait
penser que ces deux éléments y furent combinés
fortuitement et sans lendemain, création sans descendance,
ni dans l’île ni même ailleurs, et dont la similitude
avec ce qui deviendra l’ordre ionique relèverait de la
pure coïncidence. A cela on répondra, d’une part, que
l’on ne peut écarter d’un revers de main le témoignage
des chapiteaux hathoriques qui multiplie de facto les
attestations, ensuite que nous n’avons pas beaucoup plus
d’attestations pour l’ordre ionique au VIe siècle, aucune
même pour l’association qui nous occupe : si l’on parle
d’« ordre ionique » pour cette époque, ce n’est que par
une déduction à rebours, à partir d’édifices plus récents,
en supposant donc, dans une vision finaliste, que les
caractéristiques plus tardives étaient déjà en gestation
Fig. 3 : Chapiteau hathorique de Berlin
VA 2715. D’après Hermary 1985, fig. 11.
(76) La première attestation serait à Métaponte vers 470 : Mertens 1979, p. 109-110, pl. 19:2 ; Hellmann 2006, p. 78 et
fig. 93. Pour le monde égéen, elle daterait du IVe siècle, au Monument des Néréides (Bingöl 1990, p. 104 ; Gruben 20015,
p. 354). Voir cependant la façade d’une tombe de Sinope des environs de 460 : Bingöl 1990, p. 104, pl. 18,1 ; comme à
Tamassos, il s’agit donc d’un monument funéraire. A l’Artémision d’Ephèse, par exemple, aucun fragment de denticule n’a
été découvert : Dinsmoor 1950, p. 131 ; Gruben 20015, p. 389 ; Betancourt 1977, p. 125 ; Schaber 1982, p. 79 ; Bingöl
1990, p. 103-104 et n. 18. Il en va de même au Didymeion : Gruben 20015, p. 402 ; et ailleurs : Reuther 1957, p. 61-62 ;
Gruben 1963, p. 79 (Samos), p. 149-150 (Didymes). Il n’y a pas non plus de denticules sur la scène peinte d’un calice chiote
daté des années 570-560 (Betancourt 1977, p. 98 ; Schauenburg 1970, 48-50, fig. 14-15) ; pas plus qu’à l’oikos des Naxiens
à Délos (Gruben 20015, p. 367 : premier quart du VIe siècle), ou à Sangri à Naxos (Gruben 20015, p. 367-368 : ca 540/520).
Voir aussi Bingöl 1990, p. 104 et n. 19 ; Hellmann 2002, p. 153-154. La restitution de denticules en façade du temple
d’Athéna à Milet (Mallwitz 1968, p. 124-133, fig. 14) reste très hypothétique ; en tout état de cause, il ne peut s’agir que
d’éléments en bois. Betancourt 1977, p. 86, fig. 42 et p. 97, considère que la présence de denticules et de fasces au temple
éolique de Klopédi sont aussi de « strong possibilities » ; cela reste au contraire très hypothétique, puisque le modèle de
Larissa a des fasces mais pas de denticules (Betancourt 1977, pl. 39-40). Contrairement à ce qu’affirme G. Gruben (20015,
p. 349-350, 357-358), l’autel de Rhoikos à Samos semble ne comporter aucun denticule : voir Kienast 1991, p. 99-102,
pl. XVI ; Schleif 1933, passim, spéc. p. 208-209, fig. 32-33.
(77) Hermary 1985, p. 666 et fig. 10-11 ; p. 670 et fig. 15 (= Walcher 2005a, fig. 10). Je remercie Aurélie Carbillet pour ses
éclaircissements sur la chronologie de ces objets. En outre, une frise de denticules apparaît au-dessus du pilier hathorique
représenté sur un tesson du Louvre (Caubet et al. 1992, n° 99).
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dans les temples archaïques. Si l’on tient semblable raisonnement pour l’ordre ionique, sans
disposer du moindre indice matériel, pourquoi ne pas l’adopter pour Chypre où l’association est
bien attestée ? En l’occurrence, seule l’absence de descendance pour l’ordre (proto-)éolique dans les
siècles qui suivirent pourrait lui valoir cet injuste traitement de défaveur.
En outre, on observe qu’à Chypre même, un troisième élément a également été adjoint aux
deux précédents, qui ultérieurement sera aussi constitutif des ordres grecs à volutes. Les portes des
mêmes tombes 5 et 12 de Tamassos présentent, en effet, un encadrement à double décrochement⁷⁸
qui évoque les fasces de l’architrave ionique (fig. 1)⁷⁹. Le motif pourrait avoir une origine levantine,
puisqu’en Orient, on observe ce triple encadrement en retraits successifs sur les reliefs de la « Dame
à sa fenêtre »⁸⁰, où le buste féminin apparaît derrière une balustrade constituées de balustres à
couronne de feuilles. Plusieurs reliefs cypriotes présentent la même balustrade (mais sans « Dame »)
et comportent un encadrement identique : ils proviennent de Kourion-Episkopi⁸¹, Palaepaphos⁸²
et peut-être de Vounous⁸³. On retrouve ce détail à l’intérieur même de la tombe 5 de Tamassos sur
des fausses fenêtres, dont les balustres, cette fois, ne sont autres que des Arbres-de-la-Vie stylisés⁸⁴
(ce qui confirme, par parenthèse, l’équivalence du motif). La triple association des denticules, des
volutes et d’une baie à triple encadrement de
« fasces » s’observe aussi sur les naïskoi des
chapiteaux hathoriques puisque la plupart
d’entre eux, où, comme on vient de le voir,
est attestée l’association denticules-volutes,
présentent aussi un encadrement à double
retrait (fig. 3 et 4)⁸⁵. Associées aux Arbresde-la-Vie sous leur forme complète ou
abrégée en double volute « proto-éoliques »,
ces ouvertures à trois fasces pourraient bien
constituer de fausses portes donnant accès
à l’Au-delà (Tür ins Jenseits), évoquées par
K. Walcher⁸⁶. Ce n’est pas un hasard si le
double décrochement apparaît aussi sur les
stèles proto-éoliques votives, dont nombre
d’exemplaires portent un abaque à trois Fig. 4 : Chapiteau hathorique de Nicosie C 223. D’après
fasces, comme les chapiteaux de pilastres Walcher 2005a, fig. 10.
(78) Walcher 2005a, p. 23-24 ; 26-27.
(79) On retrouve cette caractéristique dans d’autres édifices cypriotes : Walcher 2005a, p. 27, fig. 1, 7, 8, 9 : « Mehrfach
Rahmung, Zahnschnitt und protoäolische Pilaster sind also Kennzeichnen sakraler Architecktur archaischer Zeit auf
Zypern ». On le verra aussi en Lycie au IVe siècle, associé, comme à Tamassos, à la colonne à double volute et aux denticules :
Akurgal 1961, fig. 81 (vers 400), 82 (IVe siècle), 84 (IVe siècle).
(80) A Khorsabad, par exemple : Betancourt 1977, pl. 23 ou Braun-Vogelstein 1920, p. 15 et fig. II:3 ; cf. aussi
Barnett 19752, pl. IV c12-15, etc. Cet élément décoratif cypriote serait d’origine phénicienne une fois encore : Walcher
2005a, p. 28 et renvoi de la n. 29.
(81) Karageorghis 1970, p. 226 et fig. 80a ; Shilloh 1979 , pl. 19 .
(82) Maier 1969, p. 34, pl. II:1 ; cf. Maier 1968, p. 86 et Karageorghis 1970, p. 216 et fig. 55 (deux fasces seulement).
(83) Karageorghis 1970, p. 226 n. 68 (sans illustration).
(84) Walcher 2005b, pl. 11:1-2.
(85) Hermary 1985, p. 666 et fig. 10-11 ; p. 670 et fig. 15 ; pour ces caractéristiques, voir aussi Buchholz et al. 2005, p. 81
(chapiteaux hathoriques et tombe 36 de Cellarka) ; Walcher 2005a, p. 26-27, fig. 6-9.
(86) Walcher 2005a.
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de la tombe 5 de Tamassos (fig. 2)⁸⁷. Ce détail paraît bien être une création insulaire⁸⁸, innovation
qu’au demeurant, il faudrait peut-être faire remonter à l’Age du Bronze avec les chapiteaux à degrés
(à trois degrés !) connus dans les temples de Kition et Palae-Paphos notamment⁸⁹.
Certes on connaît des denticules en Grèce dès la fin du VIIIe siècle⁹⁰ ; de même en Asie
mineure, à Labraunda et Larisa sur l’ Hermos à l’époque archaïque⁹¹, et en Lycie⁹² sur des édifices
ou tombes rupestres de l’extrême fin du Ve siècle ou du IVe siècle⁹³. Le motif apparaît clairement
comme la pétrification de chevrons en bois⁹⁴. Tant que les chapiteaux à volutes étaient utilisés
dans l’architecture cypro-levantine où de tels éléments étaient uniquement présents en façade⁹⁵,
cela ne posait pas de problème d’interprétation. Il n’en va pas de même dès lors que les chevrons
s’étendent à tout le pourtour du bâtiment, que ce soit dans les édifices orientaux à toit plat ou
dans les périptères éoliques et ioniques. En effet, on a fait observer que des chevrons ne peuvent
déborder au même niveau sur deux côtés perpendiculaires de l’édifice⁹⁶. Toutefois la difficulté se
résoud aisément : il suffit pour cela de pratiquer l’assemblage en croix à mi-bois⁹⁷. Cependant,
(87) Voir Walcher 2005a, p. 31, fig. 3 ; Buchholz et al. 2005, p. 19, fig. 11. Ceux de la tombe 12 semblent
malheureusement détruits juste au-dessus de la double volute : Buchholz et al. 2005, p. 21, fig. 15-16.
(88) Voir, par exemple, Wesenberg 1971, p. 68-69 et n. 331 (comparaison explicite avec les reliefs de la « Dame à sa
fenêtre ») ; Betancourt 1977, p. 47, fig. 13 (= Shiloh 1979, p. 38, fig. 54) : Trapeza ; pl. 20 (= Shiloh 1979, p. 36, fig. 50) :
Golgoi ; Shiloh 1979, p. 37, fig. 51-52 (Golgoi) ; pl. 17:1 (Golgoi) ; p. 38, fig. 55 et pl. 17:2 (Salamine) ; p. 39, fig. 57 (Idalion).
A propos d’un chapiteau de Golgoi, Stern et Magen (2002, p. 52) notent « the tree steps or ‘abacus’ carved on top of the
capital ». Pour être complet, notons aussi qu’à partir des chapiteaux de Ramat Rahel et de Jérusalem (VIIIe/VIIe siècle :
Stern et Magen 2002, p. 50), le triangle central est lui-même encadré d’une triple baguette : Shiloh 1979, p. 8-10 ; fig. 6-7 ;
pl. 11-12 ; cette caractéristique sera adoptée sur les chapiteaux cypriotes.
(89) Karageorghis 1971 ; Hermary 1996, p. 91 ; Karageorghis 2002, figs. 184, 218-220. Karageorghis 1971, p. 107,
observait déjà déjà cette similitude entre l’abaque à trois fasces de certaines stèles proto-éoliques de Golgoi et les trois
degrés des chapiteaux de l’Age du Bronze. (Les arguments manquent cependant pour faire de ces derniers des chapiteaux
proprement « mycéniens ».)
(90) Sur les modèles de maisons découverts au sanctuaire d’Héra à Samos : Schattner 1990, p. 50, fig. 18, n. 19, pl. 9
(début du VIe siècle) ; n. 26, p. 63, fig. 26, pl. 16 (seconde moitié du VIIIe siècle) ; n. 32, p. 70, fig. 31 (fin du VIIe siècle) ; et
aussi, toujours à Samos, un fragment de denticules non publié signalé par Bingöl 1990, p. 103.
(91) Labraunda : Thieme 1993, p. 48-49, pl. IX:6-7 ; Larisa sur l’Hermos : Boehlau J., Schefold K. 1940, pl. 24c et 42.1
(Südwestbau : p. 87-88 ; 121-122 ; 143 ; 162 et fig. 38).
(92) Akurgal 1961, fig. 77, 79, 81, 82, 84 ; Kjeldsen, Zahle 1975.
(93) Certaines cependant pourraient être du VIe siècle : Lawrence 1962, p. 137, n. 9 [p. 303]. Mais, selon Bingöl (1990,
p. 103), les denticules ne sont pas attestés en Asie Mineure à l’époque archaïque (cf. Dinsmoor 1950, p. 66-68 ; Lawrence
1962, p. 137 ; Gruben 1963, n. 123). A Chypre : Walcher 2005a, p. 26 (Tombe 84 de Salamine-Cellarka : Cypro-archaïque II
et à Amathonte) .
(94) Schattner 1990, p. 171 (l’auteur suggère une origine des denticules, mais sa restitution p. 168, fig. 46, est
problématique) ; Ginouvès, Martin 1992, p. 123 ; Gruben 20015, p. 354 (et n. 305, pour les références bibliographiques
antérieures). Tous renvoient évidemment à Vitruve IV,2,4 ; sur ce texte, voir le commentaire de Pierre Gros (1997, p. 456
n. 110), ainsi que Bingöl 1990 p. 101. Mais d’autres explications ont été avancées : Winter 1959, p. 173-174 ; Ginouvès,
Martin 1992, p. 123 et n. 554. Pour les deux types de poutres, à embout soit horizontal soit vertical, voir Schattner 1990,
p. 172. L’affirmation ne peut valoir cependant que dans la seule acception technique du terme « chevrons » (Ginouvès,
Martin 1985, p. 27-28) ou pour des bâtiments à toit plat, comme en Orient (comme à Milet au temple d’Athéna : Mallwitz
1968 ; Hellmann 2006, p. 55 et fig. 60. Voir ainsi Martin 1965, p. 6 et fig. 5-6, pl. I :3) ; en effet, dans les édifices grecs, cela ne
peut s’entendre que pour les denticules qui surmontent les longs côtés de l’édifice : des chevrons en façade ne sont pas possibles
au sens architectural (Cf. Ginouvès, Martin 1992, pl. 80 :1 ; ou Hellmann 2002, p. 283, fig. 381 ; 2006, p. 164-165).
(95) Dans le porche du bît hilani de Megiddo (Bentancourt 1977, p. 30, pl. 11-12) ; Hazor : (p. 29, pl. 6) ; même
position que dans les tombes 5 et 12 de Tamassos (Buchholz, Matthäus, Walcher 2002, fig. 1-3). Sur des modèles de
Transjordanie (Betancourt 1977, pl. 18) et d’Amathonte (Betancourt 1971 ; Walcher 2005a, p. 25, fig. 5 ; Buchholz
et al. 2005, p. 24, fig. 23).
(96) Cf. les remarques de von Gerkan 1948-49, p. 5-6 ; Bingöl 1990, p. 103,
(97) Pour la technique, voir Martin, Ginouvès 1985, pl. 16:14 ; pour un exemple, Martin 1965, fig. 5 ; Hellmann 2006,
fig. 228.
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dans une architecture de pierre, la question ne se résume pas à son aspect technique. Il est très
probable que l’on peut négliger l’origine du motif dans une architecture de bois pour expliquer
son usage dans l’architecture de pierre. Quelle qu’ait été la disposition originelle des modèles
en bois, il semble, en effet, que les denticules furent rapidement considérés comme un élément
constitutif du décor dans les ordres éolique et ionique ; en tant que tel, il était appelé à gagner son
autonomie décorative, indépendamment de sa genèse. Ainsi, lorsque les Grecs, inventeurs des
temples périptères, choisirent d’étendre l’utilisation du chapiteau à double volute à l’ensemble de
la péristasis, les denticules, qui lui étaient étroitement associés dans le décor, le suivirent dans son
extension. Selon le même raisonnement, c’est sans doute une raison identique, c’est-à-dire son
association au chapiteau à volutes et aux denticules, qui explique l’extension à tout le pourtour du
temple de l’architrave à trois fasces, préfigurée à la fois par les encadrements de porte tels qu’on
les observe dans les tombes de Tamassos (et de Salamine), sur plusieurs chapiteaux hathoriques,
ainsi que dans l’abaque triple de certaines stèles proto-éoliques. A Chypre, où elle est uniquement
attestée en façade de construction ou sur des piliers isolés, la combinaison des volutes, fasces et
denticules peut s’expliquer techniquement : on imagine aisément la technique mise en œuvre dans
les antécédents en bois qui lui servirent de modèle. Elle perd toutefois sa cohérence en Grèce dès lors
qu’elle gagne l’entablement et donc tout le pourtour du naos, en tant qu’élement décoratif complexe
et autonome. Si l’hypothèse proposée dans ces lignes était avérée, elle permettrait en corollaire
d’expliquer l’apparente incohérence technique des formes pétrifiées dans les temples grecs, ioniques
et éoliques, qui a intrigué plus d’un auteur⁹⁸.
Concédons qu’au VIe siècle, la notion d’ordre pose encore problème. C’est le siècle des
tâtonnements et des essais ; et l’ordre ionique précisément met plus de temps que l’ordre dorique
à se créer⁹⁹, c’est-à-dire à conjoindre ses éléments constitutifs en un ensemble caractéristique
pérenne. L’ordre éolique, quant à lui, disparaîtra avant même de s’être totalement constitué¹⁰⁰.
Toutefois, malgré ces lenteurs, voire ces impasses, dans l’élaboration des ordres, Ph. Betancourt se
croit autorisé à parler d’« ordre éolique » pour le VIe siècle¹⁰¹ ; et la plupart des auteurs admettent
l’existence d’un « ordre ionique » dès cette époque. Dès lors, et pour toutes ces raisons, rien n’interdit
de faire de même pour l’« ordre proto-éolique cypriote »¹⁰². Qu’il ait été sans lendemain, comme
l’ordre éolique en Egée du Nord, n’autorise aucunement à en nier l’existence et n’enlève rien à sa
nouveauté et au rôle qu’il put jouer dans la genèse des ordres grecs à double volute.
Signification du chapiteau à volutes dans l’architecture grecque
Déterminer l’origine orientale du motif grec à double volute est une chose, une autre est d’établir
qu’il conserva au terme de son périple son symbolisme originel. D’emblée, écartons l’explication
purement « décorative » ou « ornementale ». Pour les époques qui nous occupent, aucun motif
(98) Voir note 94.
(99) Il ne sera complètement constitué, avec frise et denticules, qu’au IVe siècle ; voir par exemple Miller 1973, p. 205.
(100) Betancourt 1977, p. 95.
(101) Betancourt 1977, p. 109 : « If one element does suggest a developing architectural tradition [en Attique], it is
the dentillike elements at the top of the entablatures on certain vases (pls 63-64). If this is taken as an indication of the
appearance of wooden buildings, and not as simple artistic device, it suggests Athens received the Aeolic column as a part
of an architectural tradition, not as an isolated decorative feature (…) ; even Ionic buildings, however, did not conform to a
regularized system in the sixth century B.C. ».
(102) Betancourt 1977, p. 98 : « If the Ionic system of the sixth century B.C. may be called an architectural order, the
same nomenclature should be extended to the Greek portion of the Aeolic style ». Ainsi pourrait être nuancée la phrase de
Martin, p. 130 : « Aucune des architectures que nous avons citées [dont Chypre] – sauf l’Egypte – n’est parvenue à faire des
chapiteaux la marque d’un ordre ».
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n’est purement décoratif¹⁰³, et, s’agissant d’un symbole aussi universel, d’un Urbild des Lebens¹⁰⁴
selon l’expression de K. Schefold, la signification ne peut s’en être perdue : le signe peut avoir
acquis en sus une valeur décorative, un usage perçu comme esthétique, en aucun cas, il n’a pu se
réduire à cette seule fonction. Le même auteur ne doute pas que la colonne des temples grecs est
bien cette image primordiale, et il étend l’interprétation aux ordres éolico-ionique, corinthien et
même dorique¹⁰⁵. Ainsi la signification du motif végétal, sous quelque forme qu’on le simplifie ou
le développe, ne pouvait être ignorée des spectateurs qui le contemplaient, pas plus – et l’exemple
est invoqué par O. Keel et Chr. Uehlinger¹⁰⁶ – que l’origine et le sens de la croix chrétienne ne
peuvent être totalement oblitérés, quel que soit le contexte dans lequel elle est employée, fût-il
esthétique, voire érotique. Pour Chypre, ce transfert de sens ne fait aucun doute¹⁰⁷. Dans un article
paru récemment, j’ai tenté de montrer que le sphinx grec juché sur une colonne, le plus souvent
ionique ou éolique¹⁰⁸, était en réalité le gardien de l’Arbre-de-la-Vie, équivalent fonctionnel de ses
homologues bibliques, un « chérubin » donc. On observe, en effet, une série d’indices qui montrent
que les Grecs percevaient clairement la signification du symbole vitaliste¹⁰⁹.
On a rappelé ci-dessus le rôle joué par les petits objets orientaux dans la diffusion du motif de
la double volute dans le monde égéen, comme, par exemple, la plaquette d’ivoire déjà signalée,
qui présente un griffon humant un Arbre-de-la-Vie avec une double volute ionique et qui fut
trouvée à proximité de l’Artémision d’Ephèse, « forêt de colonnes » ioniques. On peut croire que la
cohabitation topographique des deux motifs n’est pas fortuite¹¹⁰. Parmi les petits objets découverts
dans les sanctuaires grecs, on peut également signaler une petite plaque de bronze qui montre un
motif végétal composite, mi-naturaliste, mi-stylisé : la partie inférieure est constituée du stipe assez
réaliste d’un palmier, avec les deux repousses caractéristiques de part et d’autre de la base, tandis
que la partie supérieure se résume à une double volute au centre de laquelle croît un motif en lys
ou en lotus¹¹¹ ; de telles représentations laissent penser que, dans l’esprit hellénique, le palmier
et le motif à double volute étaient intimement associés et que ce dernier renvoyait clairement au
végétal.
S’agissant des temples éoliques ou ioniques, en particulier des grands diptères archaïques et
classiques, on peut tout de même se demander si la « forêt de colonnes » n’a pas fini par cacher
l’Arbre-de-la-Vie et en atténuer la signification. Un certain nombre d’auteurs, parmi les plus
autorisés, ne le croient pas. Pour R. Martin, par exemple, la double volute des ordres grecs reste
un « motif voisin de celui de l’arbre sacré »¹¹². Plusieurs arguments peuvent être invoqués en ce
sens. D’une part, on constate encore, dans les premiers grands diptères, une individuation des
colonnes ; de sorte que chaque « Arbre » reste distinct voire unique dans la « forêt de colonnes », et
(103) Schroer 1987, p. 11 et 16 ; Keel, Uehlinger 2001, p. 81, §44 ; pp. 254 et 256, §152 ; p. 385, §229.
(104) Schefold 1959, p. 55. On retrouve le même motif bien plus tard : Sauron 2000, p. 228-229.
(105) A cet égard, notons que certains chapiteaux doriques comportaient à l’origine une couronne de feuille retombantes
(Schefold 1959, p. 55).
(106) Keel, Uehlinger 2001, p. 81, §44.
(107) Voir, par exemple, Braun-Vogelstein 1920, p. 19-20, 22, 44-45 ; Buchholz et al. 2005, p. 25, 27-28 : dans la
tombe 5 de Tamassos, les chapiteaux à double volute s’inscrivent dans une série de motifs qui ont sans doute trait à une
héroïsation du défunt ; cf. le titre de l’article de Walcher 2005a.
(108) Pour les colonnes éoliques sur la peinture de vases, voir Betancourt 1977, Appendix B-C, p. 145-153.
(109) Petit 2006.
(110) Bammer, Muss 1996, p. 85, fig. 105.
(111) Perdrizet 1908, p. 132, fig. 497 : l’auteur ne l’a pas identifié comme un palmier et parle de « plumes ». De tels
mélanges de naturalisme et de stylisation se rencontrent déjà en Orient : Shilloh 1979, p. 27, fig. 18-19 ; p. 30, fig. 27, 29.
(112) Martin 1958, p. 129. Voir aussi Schefold 1959, p. 55. Pour Gruben 20015, p. 361, fig. 271, le chapiteau ionique
conserve sa signification végétale au temple de Polycrate ; cf. Höcker 1997, col. 686.
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conserve donc toute sa valeur symbolique¹¹³. Ensuite, le principe de la redondance iconographique,
bien connu dans le domaine de l’iconographie religieuse, permet de comprendre que la répétition
d’un motif ne diminue en rien son pouvoir évocateur, au contraire¹¹⁴ ; c’est ce qu’on observe, par
exemple, dans les églises chrétiennes, où le symbole de la croix est décliné presque à l’infini. Enfin, il
faut prendre en compte l’abondant décor secondaire des temples, souvent négligé parce qu’oblitéré
par les ravages des temps (le temps qu’il fait et le temps qui passe) ; on voit ces motifs végétaux se
multiplier sur les temples grecs, éoliques et ioniques notamment¹¹⁵. Ils attestent que l’origine et la
nature métaphoriquement végétale des colonnes furent constamment réaffirmées par les bâtisseurs
grecs ; la remarque vaut pour les ordres à volutes et, bien sûr, pour l’ordre corinthien (voir cidessous) ; mais elle vaut tout autant pour la colonne dorique¹¹⁶.
On trouve même des doubles volutes accompagnées d’autres motifs végétaux ou floraux sur les
stèles funéraires attiques coiffées d’un sphinx, ce qui a incité Ph. Betancourt à les prendre en compte
dans son étude¹¹⁷. Dès lors, on peut se demander quelle peut être la signification de ce symbole
commun à des monuments funéraires, des édifices religieux et des objets votifs. L’hypothèse la plus
économique, et qui, en même temps, rend le mieux compte de l’ensemble des occurrences, c’est d’y
voir l’équivalent de l’Arbre-de-la-Vie biblique, c’est-à-dire un symbole d’immortalité, à l’instar de
la croix dans les lieux de culte chrétiens¹¹⁸.
L’ordre corinthien et l’Arbre-de-la-Vie
En tout état de cause, l’origine végétale du chapiteau d’acanthe est obvie. C’est pourquoi
K. Schefold étendait naturellement à l’ordre corinthien sa conclusion sur l’Urbild des Lebens¹¹⁹.
Les manuels d’architecture le présentent – à juste titre – comme un développement de l’ordre
ionique¹²⁰ ; mais il pourrait aussi bien être un lointain héritier de l’ordre éolique par ses volutes
verticales¹²¹. Puisque, en la circonstance, le modèle végétal est plus explicitement affirmé encore,
l’on supposera que la même signification eschatologique peut lui être attribuée. Faut-il rappeler
l’anecdote de Vitruve sur l’invention du chapiteau corinthien ? Ce serait à la vue d’une plante
d’acanthe croissant sur la tombe d’une jeune fille de Corinthe que Callimaque aurait eu l’idée d’en
(113) Höcker 1997, col. 686. C’est ce qu’atteste notamment le fait qu’elles peuvent être offertes individuellement par
différents donateurs. C’est ainsi que Crésus en offrit un grand nombre à l’Artémision (mais pas toutes) : Herodote, I, 92 ; cf.
Schaber 1982, p. 13-18 ; Höcker 1997, col. 686.
(114) Winter 1983, p. 92.
(115) Betancourt 1977, p. 130 : « Apparently the Ionic and Aeolic floral decoration – palmettes, volutes, rosettes,
and foliate ornaments of various types – were first applied to Greek buildings in the orientalizing period. The design first
appeared in the same organic way they were used in the Near East where they had been developed for carpentry, metalwork,
and other decorative arts » ; voir aussi p. 18 et 21, pour l’équivalence de ces symboles.
(116) Schefold 1959, p. 55. Voir, parmi nombre d’exemples, Hellmann 2002, p. 245, pl. XXVI-XXIX ; en particulier
pour la colonne dorique : ibidem, p. 233, pl. XV (ordre restauré du Parthénon) ; cf. Hellmann 2002, p. 133 (colonne votive
de Mantinée). Pour le chapiteau à couronne de feuilles retombantes en Orient, voir Wesenberg 1971, p. 75-84 ; en Grèce :
p. 96, 99, 101-102. Le collet ou hypotrachélion serait un descendant de cette couronne de feuilles par une série de formes
intermédiaires (Wesenberg 1971, p. 94-95, 104-108). Pour la décoration végétale des temples doriques, voir Hellmann
2006, p. 27, fig. 15 (lotus au temple d’Héra à Paestum ; à Metropoli en Thessalie où l’on voit « une échine entièrement sculptée
de fleurs de lotus et de palmettes »). On est donc en droit de se demander si les chapiteaux doriques n’étaient pas, pour une
grande part, décorés de tels motifs peints (ibidem, p. 27-28).
(117) Betancourt 1977, p. 104.
(118) Voir infra, p. 323-3324 et n. 140-141.
(119) Schefold 1959, p. 55.
(120) Par exemple, Dinsmoor 1950, p. 279.
(121) Betancourt 1977, p. 133. Cf. Bauer 1973, p. 9.
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faire un chapiteau¹²². Ses premières utilisations fonctionnelles remontent au début du IIIe siècle¹²³,
mais on sait que le premier chapiteau corinthien inséré dans une colonnade est attesté au temple
de Bassae dans le dernier quart du Ve siècle¹²⁴. En réalité, le motif de l’acanthe est plus ancien.
D’une part, un chapiteau corinthien votif du même sanctuaire d’Apollon Epikourios aurait servi
de modèle à celui de la cella¹²⁵ ; ensuite, dans un article trop souvent négligé, Th. Homolle a bien
montré comment l’acanthe était représentée sur les lécythes attiques à fond blanc, où elle est mise
en rapport direct avec la stèle funéraire. Elle apparaît parfois à son pied, parfois à son sommet. Dans
certains cas, elle couronne même un chapiteau éolique à double volute¹²⁶ ; dans d’autres, elle sert
de base à une palmette grecque¹²⁷. Les premières attestations de ce motif sur des stèles funéraires
remontent aux années 460-450¹²⁸. Il gagne les décors faîtiers des temples dans les années 430-420 en
Attique, où il est associé aux fleurs de lotus et aux palmettes¹²⁹. On le trouve ainsi sur les acrotères
du Parthénon, de l’Erechtéion, etc.¹³⁰ A vrai dire son association à la volute, comme d’ailleurs au
sphinx, doit remonter au-delà, puisqu’il apparaît comme motif d’écoinçon sur les volutes de l’autel
dit de Rhoikos à Samos vers 550-540¹³¹.
Egalement associée aux domaines funéraire et cultuel, comme la double volute qu’elle
accompagne, l’acanthe doit aussi revêtir en conséquence une signification eschatologique¹³².
Antonia Ciasca avait relevé que la première colonne corinthienne attestée en usage architectural,
celle du temple d’Apollon à Bassae, avait été placée à l’endroit précis où l’on attendrait la statue de
culte¹³³. Selon Ph. Betancourt, cela pourrait rappeler le rôle important du palmier dans la geste
apollonienne puisqu’il s’agit d’un temple dédié à ce dieu¹³⁴. En réalité, le symbolisme est plus
(122) Voir l’illustration chez Sauron 2000. La plupart des auteurs la jugent apocryphe (voir Bauer 1973, p. 11 et n. 15) ;
mais sans aucun doute chargée de symbolisme (voir, par exemple, Cooper, Kelly 1996, p. 305, et n. 3j ; Hellmann 2006,
p. 170).
(123) Gros 1993, p. 29-30.
(124) Entre 429 et 401, selon Hellmann 2006, p. 24.
(125) Cooper, Kelly 1996, p. 305.
(126) Homolle 1916, p. 43, fig. 14. Elle est toujours étroitement associée à la palmette stylisée : Billot 1993, p. 47 et 53.
(127) Billot, p. 45-51, fig. 15-23.
(128) Billot 1993, p. 46, fig. 13 et 16.
(129) Billot 1993, p. 63.
(130) Billot 1993, p. 72, fig. 40. Selon Wotschtzky 1950, p. 115-133, la colonnette sous la main droite de la Parthénos
chryséléphantine serait corinthienne. Pour le développement du motif de l’acanthe, voir aussi Hellmann 2002, p. 169-171.
(131) Schleif 1933, p. 187, fig. 9; Kienast 1991, pl. XVIe. Un sphinx est représenté face aux volutes sur l’autre ante de
l’autel : Kienast 1991, pl. XVIf.
(132) Opinion où incline également Billot 1993, p. 46-47 : « …surtout si cette plante, peut-être au même titre que
d’autres, mais autant et plus que les anthémions de composition abstraite, doit symboliser la permanence de la vie, y
compris après la mort (…) ce que suggère l’anecdote rapportée par Vitruve ». M.-Fr. Billot (1993, p. 56), s’interroge sur
les causes de la diffusion fulgurante de l’acanthe et s’étonne que la plante soit un terme majeur de la comparaison des deux
domaines funéraires et architectural : en réalité, tout indique qu’elle ressortit aux domaines funéraire et cultuel et qu’elle est
donc associée à la notion de survie après la mort. La comparaison est d’ailleurs explicite (p. 56) avec le symbole de la croix
chrétienne.
(133) Ciasca 1962, p. 22. Voir aussi Wotschitzky, 1950, p. 131 ; Fink 1962, p. 49 et n. 27-28 ; Betancourt 1977, p. 132.
Cf. Hellmann 2002, p. 172 (« D’abord isolé comme une statue de culte [mes italiques] au fond du temple de Bassae… »). Il
y avait néanmoins une statue dans le temple, mais sa position dans la cella ou dans l’adyton n’est pas éclaircie (Dinsmoor
1950, p. 156 n. 2 ; Roux 1976) ; était-ce même une statue de culte (Fink 1962, p. 48) ?
(134) 1977, p. 132. La question de savoir s’il y avait un ou trois chapiteaux revêt évidemment quelque importance dans la
perspective développée ici. C’est Dinsmoor (1932-1933) qui a supposé l’existence de trois chapiteaux, hypothèse jugée très
vraisemblable par Roux (1953, p. 124 et n. 1(h) ; cf. Bauer 1973, p. 22-24). Selon Dinsmoor 1950, p. 156, « The evidence
for the Corinthian capitals on the diagonal spurwalls, hitherto unknown, consists in the beds existing on stone from the
diagonal spurwalls, and also in the fact that additional fragments were reported in 1812 as having been found, besides the
complete central capital » (cf. aussi Mallwitz 1962, p. 143-144). Ce sont là des indices bien ténus. D’autant que les dessins
de Hallerstein, qui ne furent pas réalisés sur place, seraient ainsi entachés de doute (« wertlos » selon Bauer 1973, p. 49).
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général et touche d’autres divinités, notamment Dionysos. Un usage précis du motif le montre, en
effet, assez clairement : sur des stèles attiques du IVe siècle, des boucs affrontés autour d’un canthare
symbolisent les espérances de Survie attachées au culte de Dionysos¹³⁵ ; on n’a guère remarqué que
sous certains canthares croissaient des feuilles d’acanthe¹³⁶ ! De même, quel rapport avec Apollon
pourraient bien entretenir les feuilles d’acanthe des tombes attiques représentées sur les lécythes
à fond blanc ?¹³⁷ La signification de l’acanthe, à Bassae ou ailleurs, semble donc dépasser le cadre
anecdotique ou local.
Néanmoins la même question de dilution du sens, évoquée pour les périptères éoliques et
ioniques, se pose pour les colonnes corinthiennes des temples périptères. Al. Wotschztky¹³⁸ pense
que le symbolisme originel des chapiteaux végétaux isolés a dû se perdre et ne plus être compris
lorsqu’ils se multiplièrent au sein de la péristasis ; il considère qu’ils devinrent par là même une pure
forme architecturale. A. Ciasca¹³⁹ s’insurgea contre cette opinion ; et l’on peut avancer plusieurs
arguments qui lui donnent raison. Tout d’abord le principe de la redondance iconographique joue
autant dans le cas des édifices corinthiens que dans celui des temples éolico-ioniques ou des églises
chrétiennes : on a beau multiplier les variantes d’un même symbole, le sens de celui-ci ne s’en trouve
pas affaibli. Ainsi, en Orient et à Chypre même, les chapiteaux proto-éoliques sont le plus souvent
au nombre de deux flanquant les accès aux édifices, ce qui n’en affadit pas la signification. On peut
même se demander si à Bassae, lieu de sa première utilisation, l’usage de trois types différents de
chapiteaux n’a pas aussi valeur de symbole : à titre d’hypothèse, on peut suggérer une gradation
qualitative et sémantique, qui irait du moins au plus végétal, du plus allusif au plus explicite, en
somme du moins au plus sacré, dans un mouvement centripète : péristasis dorique, colonnade
intérieure ionique, colonne-agalma centrale corinthienne.
Ajoutons pour conclure que la signification du chapiteau corinthien n’a pas été perdue avec
l’Antiquité païenne, puisque le nouveau symbole de la vie éternelle, la croix, a souvent été associé
à l‘acanthe dans ce motif qu’on appelle « croix fleurie » ou « croix feuillue »¹⁴⁰. Selon plusieurs
interprétations, cette « croix feuillue » ne serait autre que l’Arbre-de-la-Vie¹⁴¹. En outre, la colonne
corinthienne est devenue le symbole même du Christ incarné, comme dans nombre de scènes
L’hypothèse est fondée sur l’existence de fragments de chapiteaux corinthiens que l’on n’a pu associer au seul chapiteau
fragmentaire découvert, dessiné, puis perdu. Toutefois l’état précisément très fragmentaire de celui-ci laisse sceptique sur
cette conclusion (Fink 1962, p. 53, rejette aussi l’argument fondé sur les fragments). La plupart des restitutions désormais
optent pour un seul chapiteau : voir, par exemple, Fink 1962, p. 48-52 ; Roux 1976, p. VIII et 27-28 ; Mallwitz 1981b,
p. 587 ; Boardman 1989, p. 126, fig. 128 ; Hellmann 2002, p. 172 ; cf. Tzortzi 2000 [non vidi]) ; et surtout Cooper, Kelly
1996, p. 315-318 et Barthel 2002, p. 67-70. Mais, finalement, il importe peu qu’il y ait eu une ou trois colonnes : la colonne
centrale est bien unique de par sa position, sa base (Fink 1962, figs 3, 5-6) et par le fait qu’elle est la seule à ne pas être adossée
à un pilastre. Les deux colonnes des angles sud-ouest et sud-est sont placées dans l’alignement des quatre colonnes ioniques
et se fondent ainsi dans la colonnade du point de vue du spectateur qui pénètre dans le temple. Seule la colonne centrale lui
apparaît isolément.
(135) Woysch-Meautis 1982, p. 86-87.
(136) Woysch-Meautis 1982, fig. 41, n° 343, 346.
(137) Homolle 1916.
(138) 1950, p. 131
(139) 1962, p. 22 et n. 7
(140) Donabedian 1993, p. 162, fig. 17, 19 (Arménie, Ve-VIe siècles) ; Pazaras 1988, p. 117-119 ; 2001, dessins 6-9, 18, 20,
26, 36-39 ; clichés 8-18, 20, 31, 33-38, 64-65, 68, 114, 116, 118, 120, 133, 136-138 (Vatopédi de l’Athos, Xe siècle) ; Sauron
2000, p. 228-229, pl. IX (Abside orientale du baptistère du Latran). Je remercie chaleureusement Catherine Vanderheyde
pour ses précieux éclaircissements sur ce motif.
(141) Donabédian 1993, p. 162-164.
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d’Annonciation¹⁴². Ainsi la colonne corinthienne de Bassae, dressée à l’emplacement même de la
statue divine, semble-t-elle préfigurer le symbolisme de la colonne corinthienne dans ces scènes de
la peinture européenne.
Thierry Petit
Université Marc Bloch – Strasbourg,
UMR 7044
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