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68 en France

68 en France : événement, conflictualité et mouvements in « 68 en France : événement, conflictualité et mouvements » in Damir Skenderovic et Christiane Späti (dir.), « 1968 – Révolution et contre-révolution », in Itinera, revue de la société suisse d’histoire, Fasc. 27, 2008, p. 23-35 Xavier Vigna Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier (UMR 5605) L’événement 68, en tant qu’irruption et brèche malmenant l’édifice social et politique en France, présente une dimension internationale, qui résonne et rejaillit sur la scène nationale1. De fait, la contestation s’inscrit en priorité dans un cadre international, symbolisé par la délégitimation des références idéologiques, notamment à gauche. La décolonisation, marquée parfois par des guerres de libération nationale dures notamment en Indochine et en Algérie, puis l’intervention particulièrement odieuse de l’armée américaine au Vietnam, ont ruiné l’équation idéologique entre les démocraties libérales d’une part, la liberté et la justice d’autre part. Avec les mobilisations contre les guerres d’Algérie puis du Vietnam, une fraction de la jeunesse prend en outre l’habitude de l’opposition, voire de la sécession et des manifestations violentes dans la rue. L’autre pôle connaît une crise de légitimité similaire, scandée essentiellement par le XXe Congrès du PCUS et la violente répression de l’insurrection hongroise en 1956, puis derechef par l’érection du mur de Berlin en 1961. L’écho de ces crises internationales à l’intérieur de la mouvance communiste française est considérable : nombreux départs d’intellectuels, crise constante à l’intérieur de l’Union des étudiants communistes jusqu’à son acmé en 1965-66, éclosion de groupes clandestins contestataires, etc., que l’accession au poste de secrétaire général de Waldeck Rochet ne modifie pas2. Cette crise du mouvement communiste international, jusque dans sa déclinaison française, favorise l’éclosion de nouvelles figures héroïques (du Che à Mao, de Castro à Hô Chi Minh), qui constituent autant de références alternatives face au communisme (néo)stalinien orthodoxe3. Par là, l’internationalisme traditionnel dans la gauche française et plus encore communiste est à la fois renouvelé et affermi par un tiers-mondisme, qui lui donne une force centrifuge inédite. Il débouche d’ailleurs sur des pratiques effectives : aux militants qui partent construire l’Algérie nouvelle, les Pieds Rouges, s’ajoutent des centaines de coopérants, dont les motivations idéologiques sont incontestables4. En outre, le Concile de Vatican II, qui ouvre à un aggiornamento de l’Eglise, ne résout pas les problèmes anciens que connaît l’Eglise de France (déchristianisation et sécularisation), ne dénoue pas la crise des prêtres ouvriers éclose depuis 1954 et coïncide avec l’affermissement d’un courant contestataire protéiforme qui traverse les organisations étudiantes, notamment la Jeunesse 1 Ce texte a bénéficié des remarques critiques de Michelle Zancarini-Fournel que je remercie vivement. Jean Vigreux, Waldeck Rochet, une biographie politique, Paris, La Dispute, 2000. 3 Robert Frank : « Imaginaire politique et figures symboliques internationales : Castro, Hô, Mao et le ‘Che’ », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 31-47. 4 Catherine Simon, « Les pieds-rouges, hors de l’histoire officielle », in Philippe Artières et Michelle ZancariniFournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008, p. 158-165. 2 2 Etudiante Chrétienne (JEC) 5 . Dès lors, cette crise idéologique favorise une intense effervescence, notamment dans le secteur étudiant et intellectuel, le plus propice à une telle ébullition. Dans le même temps, la réalité conservatrice et autoritaire du régime gaulliste favorise cette contestation : techniques extrêmement brutales de maintien de l’ordre pendant la guerre d’Algérie6 ; contrôle vétilleux des moyens publics d’information, y compris après la création de l’ORTF en 1964 ; censure sur le film de Jacques Rivette La Religieuse (1966) ou éviction d’Henri Langlois de la Cinémathèque (1968) dans les rapports entre la culture et l’Etat, etc. Au-delà du grand projet modernisateur gaullien, la réalité de la gestion quotidienne appartient à une génération d’hommes conservateurs, voire réactionnaires, que le débat parlementaire sur la légalisation de la pilule en 1967 révèle en plein jour. Ainsi, alors que la société française connaît des mutations accélérées, qu’une crise larvée du consentement travaille les institutions de socialisation (la famille, l’école, l’Eglise, l’usine, etc.)7, l’ordre capitaliste et patriarcal demeure impavide, et l’opposition de gauche assez largement sourde. Par là, 68 revêt en France à la fois une dimension exceptionnelle, qui fait événement et ouvre ainsi à une conflictualité, voire à une insubordination proliférante. L’événement 68 N’en déplaisent aux icônes vieillissantes qui continuent d’enfermer 68 dans un mai du Quartier latin de leur prime jeunesse, l’événement, à scruter avec attention les mobilisations, s’étire et se dilate. L’arc temporel des mobilisations, dans le temps court de l’année, s’étire de la fin de l’hiver au plus chaud de l’été. Ainsi, c’est le 20 février, que les Renseignements généraux consacrent pour la première fois un paragraphe distinct à « l’agitation estudiantine » dans leur bulletin hebdomadaire destiné au ministre de l’Intérieur8. De fait, cette attention qui se focalise sur Nanterre, puis la Sorbonne, enregistre dès le 7 mai son caractère national : les RG mentionnent ainsi Lille, Orsay, Grenoble, Montpellier, Caen, Clermont-Ferrand, Metz, Orléans, Lyon, Aix, Marseille, Poitiers, Dijon, Amiens, Toulouse et Paris. La chronique sociale bouleverse également la chronologie : en effet, alors que le mouvement étudiant louche vers les usines, les salariés de leur côté, et notamment les ouvriers, mobilisés sur la question du chômage et de l’emploi depuis 1967, manifestent en mars 1968 dans huit villes, puis se mobilisent à nouveau dans l’Ouest le 8 mai, dans la Loire le 10 le Nord-Pas-de-Calais et le bassin lorrain le 119. Avec la journée de grève générale du 13 mai, le mouvement conquiert clairement une dimension nationale : la police recense plus de 450 manifestations sur tout le territoire, même si le cortège parisien par sa « longueur inaccoutumée et [sa] densité exceptionnelle » frappe l’opinion10. Cette journée fait figure de coup d’envoi à une mobilisation ouvrière exceptionnelle, qui revêt souvent la forme de grève avec occupation des locaux. Les occupations, parfois accompagnée à l’orée du mouvement de séquestrations, témoignent de la détermination des grévistes à imposer leur contrôle sur le territoire usinier, et par là à enfreindre voire renverser 5 Denis Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002 Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006. 7 Cette hypothèse est au cœur de l’ouvrage collectif dirigé par Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal, notamment dans la première partie, Mai-Juin 68, Paris, L’Atelier, 2008. 8 Archives nationales, Centre des archives contemporaines (AN ci-après), 810075/17. 9 Le peuple, « La grève générale de mai 1968 », n°799-800-801, 15 mai-30 juin 1968, pp. 6-16 et Danielle Tartakowsky, « Les manifestations de mai-juin 1968 en province », in René Mouriaux et alii (dir.) : Exploration du mai français, Paris, L’Harmattan, 1992., T.1, p. 145. 10 Bulletin quotidien des RG, 14 mai 1968, AN 19820599/40. 6 3 l’ordre patronal11. Les 3,5 millions d’ouvriers en grève sur les 7 millions de salariés grévistes peinent d’ailleurs à reprendre le travail, dans la mesure où le constat de Grenelle, qui sert de canevas pour les accords de reprise, s’avère décevant pour les ouvriers payés au-dessus du salaire minimal. C’est pourquoi, la reprise du travail s’étire pendant tout le mois de juin et jusqu’au début du mois de juillet, notamment dans la métallurgie où le patronat fait preuve d’une grande fermeté. De même, en juin, la contestation étudiante perdure, par-delà l’évacuation de la Sorbonne par ses occupants le 16, et déborde également sur l’été. L’épicentre se déplace ensuite des berges de la Seine aux rives du Rhône : en Avignon, le festival de théâtre est secoué par une contestation protéiforme, incarnée, entre autres, par le Living theatre12. L’énoncé « Vilar, Béjart, Salazar » cristallise la transgression symbolique que 68 opère, jusque dans une dimension sacrilège et/ou dans le mauvais goût. De fait, de février à juillet, la contestation, en même temps qu’elle s’est étendue, s’est également métamorphosée et radicalisée. Au printemps, le mouvement déferle, fait céder les digues des corporatismes une à une, et revêt un aspect de grève généralisée. Faute de pouvoir recenser l’ensemble des secteurs concernés, il importe de montrer par quelques éclairages ponctuels, comment l’ensemble du corps social est traversé. Le 14 mai 1968, dans l’atelier des Beaux-Arts occupés à Paris, sort la première affiche, celle des 3 U, « Usines, Université, Union » : les artistes mobilisés, par un acte collectif et anonyme, soulignent la première extension du mouvement, au-delà des cercles universitaires13. De fait, l’univers artistique et culturel est en ébullition : les directeurs de théâtre se réunissent à huis clos à Villeurbanne dans une réflexion sur la crise du théâtre populaire, avant le grand psychodrame avignonnais. Ce « concile » (Marie-Ange Rauch) élitaire contraste avec la grand messe du cinéma : les Etats généraux du cinéma s’ouvrent dès le 17 mai, avant que Truffaut ou Godard n’obtiennent la clôture du festival de Cannes le 1914. Chez les écrivains comme chez les plasticiens, se pose la question du statut de l’artiste, de son rôle, ou de son individualité : doit-il se fondre dans l’anonymat du collectif ? relève-t-il des travailleurs, comme le souhaite l’Union des écrivains qui occupe l’Hôtel de Massa, siège de la Société des gens de lettres ?15 Les préoccupations de ces figures parisiennes signalent aussi leur volonté de se fondre dans un mouvement généralisé. C’est bien tout le corps social qui est saisi : des employé(e)s de banque aux footballeurs, des infirmières aux cheminots, et jusqu’aux séminaristes qui hissent le drapeau rouge à Bayeux !16 De même, tous les acteurs du système éducatif sont parties prenantes du mouvement : les enseignants, tant instituteurs que professeurs, sont massivement en grève, tandis que se multiplient les Comités d’action lycéens, dans les 300 à 400 établissements occupés en mai-juin 1968. De fait, c’est par la mobilisation de quelques figures sociales, les ouvriers, les cheminots, les infirmières, les lycéens, les préposé(e)s des 11 Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, PUR, 2007, chapitre 1. 12 Emmanuelle Loyer : « Odéon, Villeurbanne, Avignon : la contestation par le théâtre », in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective, op. cit., p. 395-401 13 Jean-Louis Violeau, « L’expérience 68, peinture et architecture, entre effacement et disparition », in Dominique Damamme et alii (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 223. 14 Audrey Mariette, « Le monde du cinéma en Mai 68 », Ibid., p. 234-244. 15 Bernard Brillant, Les clercs de 68, Paris, PUF, 2003, p. 274-275 ; Boris Gobille, « Les mobilisations de l’avant-garde littéraire française en mai 1968. Capital politique, capital littéraire et conjoncture de crise » Actes de la recherches en sciences sociales, n° 158, 2005, p. 51-52 16 Alfred Wahl, « Le mai 1968 des footballeurs français », Vingtième siècle, n°26, 1990, p. 73-82. Georges Ribeill, « SNCF : Une grève dans la corporation du rail », in René Mouriaux et alii (dir.), Exploration du mai français, op. cit., t. 1, p. 119-140 ; Christian Chevandier, Cheminots en grève ou la construction d’une identité (1848-2001), Paris, Maisonneuve & Larose, 2002, p. 291-305. Jean-Pierre Moisset, « Chahut au séminaire », L’Histoire n°330, avril 2008, p. 49-50. 4 postes, les enseignant(e)s, que le mouvement essaime sur tout le territoire national, et qu’il est souvent vécu à la fois au plan local et au plan national, dans un jeu d’échelles et un va-etvient constants. C’est pourquoi, chaque territoire rejoue, le plus souvent sur un mode mineur, une partition parisienne : les forces de police débusquent ainsi les agitateurs chez les enseignants ou les élèves des écoles normales d’instituteurs en Haute-Loire, voire parmi deux lycéens fils de patrons à Niort dans les Deux-Sèvres 17 ! De même, les relations intersyndicales complexes de la capitale se déclinent tantôt en communiqués communs, tantôt en comités de grèves, dans lesquels la Fédération de l’éducation nationale a un rôle majeur. A Nantes, comme dans le Lot s’installe même un comité central de grève, mais le fait est exceptionnel, tant les rapports entre la CGT et la CFDT se dégradent en mai-juin, notamment face au mouvement étudiant18. Dans le même temps, des configurations spécifiques ou des événements traumatiques impriment aux scènes locales des particularités irréductibles : à Lyon par exemple, ce sont notamment la mort du commissaire Lacroix à Lyon le 24 mai et la présence très envahissante de jeunes marginaux les « trimards » dans l’université occupée19. De fait, l’événementialité de 68 réside également dans cette « désectorisation de l’espace social » que la conjoncture de crise opère20 et qui se traduit dans des rencontres improbables, voire tumultueuses21. Dans les villes et les quartiers naissent de multiples et éphémères comités locaux, lieux d’échanges d’informations, de discussions et aussi d’entraide pour résoudre les difficultés du moment22. Leur dénomination varie - comités de soutien, comités d’action -, leur localisation aussi - dans les Maisons des jeunes et de la culture, les maisons de quartier, les écoles ou chez des particuliers comme à Paris -, mais ils sont toujours en contact avec une ou plusieurs entreprises en grève. Ces lieux de confrontation, surtout urbains, ont contribué à la libération de la parole 23 et au décloisonnement social. Cette configuration inédite favorise des rencontres improbables entre des acteurs sociaux, que leur position devait a priori tenir à l’écart les uns des autres, et à des phénomènes de métissage. Trois types de rencontres se produisent : la première, et la plus importante, est celle entre étudiants et ouvriers, car les premiers se rendent souvent aux portes des usines. Une espèce de bilan peut être dressé à partir du cahier des Etats généraux du mouvement étudiant tenus à Strasbourg du 8 ou 10 juin : onze villes signalent l’existence de contacts. Les étudiants d’Aix-en-Provence ont par exemple établi une liaison avec les entreprises Sud-Aviation à Marignane et Péchiney à Gardanne, et ont proposé leur aide aux manœuvres du Bâtiment souvent « nord-africains ». A Strasbourg, « ces rapports ont été quantitativement très réduits ; des chiffres : 20 à 200 étudiants s’en sont occupés et ont réussi à contacter entre 100 et 200 ouvriers »24. Les obstacles à ces rencontres tiennent à la fois au hiatus social qui perdure, mais plus encore au refus qu’opposent le Parti communiste et la CGT, lesquels redoutent la contagion gauchiste et entendent de ce fait préserver les usines des visites étudiantes. Dès lors, les lieux universitaires occupés deviennent parfois un espace 17 Archives départementales de la Haute-Loire 1120 W 249 et AD Deux-Sèvres SC14038. Réponses des Unions départementales à un questionnaire confédéral, juin 1968 et synthèse, archives CFDT 7 H 58. 19 Journée d’études à la Bibliothèque municipale de Lyon organisée le 26 avril 2008. Actes à paraître. 20 Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1986. 21 Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel, « Les rencontres improbables dans les ‘années 68’ », Vingtième siècle. Revue d’histoire, à paraître. 22 Voir Nicolas Daum, Mai 68 raconté par des anonymes, Paris, Editions Amsterdam, 2008 (réédition revue et augmentée de Des révolutionnaires dans un village parisien, Paris, éditions Londreys, 1988, entretiens de membres du comité d’action des IIIe et IVe arrondissements de Paris) 23 Michel de Certeau, La prise de parole, Paris, Seuil, 1994, (2e édition). 24 Rapport du préfet du Bas-Rhin, 17 juin 1969, AN 9800273/61. 18 5 de ressource pour des ouvriers qui s’échappent de la tutelle cégétiste, et viennent y puiser des arguments pour radicaliser leur grève, comme en région parisienne, à Rouen ou Montpellier25. La seconde modalité importante concerne la liaison entre techniciens, ingénieurs et cadres d’une part, ouvriers d’autre part. Ainsi, à Grenoble, la demande formulée par les ingénieurs et cadres de Neyrpic de pouvoir participer au piquet de grève, aux côtés des ouvriers, témoigne de cette rencontre entre salariés sur le lieu de travail, à la faveur de la grève, et de la jonction qui a pu s’y nouer26. Surtout, les structurations organisationnelles les plus audacieuses subvertissant la logique syndicale comme les comités de base, ou les réflexions les plus poussées sur l’autogestion, sont apparues dans les entreprises qui rassemblaient précisément une large part de techniciens ou ingénieurs, comme RhônePoulenc à Vitry (une vingtaine de cadres sur 320 y ont occupé l’usine) ou les sites d’Issy-lesMoulineaux et Brest de la CSF27. A l’inverse, le troisième type de rencontres improbables, entre paysans et ouvriers, est encore relativement limité en mai-juin 1968 mais se diffuse ensuite plus largement. Au printemps 1968, cette rencontre dépend dans une large mesure des liens qui ont pu se nouer entre les organisations syndicales : dès lors, c’est principalement dans l’Ouest du pays qu’une telle rencontre s’opère. A Nantes par exemple où un pouvoir populaire semble fugacement s’instaurer avec un comité central de grève28, les contacts noués entre syndicats ouvriers et paysans permettent que des agriculteurs viennent ravitailler à bas prix les grévistes. Hybridations et disséminations 68 constitue donc un mouvement exceptionnel. Mais comme l’historiographie s’efforce de le montrer depuis une dizaine d’années, il ne constitue pas une espèce de feu de paille aussi spectaculaire qu’éphémère. Tout au contraire, l’événement ouvre une radicalité nouvelle, inaugure d’autres possibles, que la conjoncture de crise, dans sa brièveté, n’avait fait qu’entr’apercevoir. Le post-68 opère donc une actualisation des virtualités de l’événement, mais plus encore engage, à grande échelle, une circulation des contestations, d’une scène contestataire à une autre, selon les trajectoires biographiques, les rencontres que des conflits autorisent, ou les hybridations idéologiques qui s’opèrent. Les grandes thématiques de l’égalité, du refus des hiérarchies imposées, de la libération, de l’autonomie autorisent en effet une prolifération et une dissémination de la contestation, qui conduisent à penser la période en France de manière analogue à la stagione dei movimenti italienne. Une fois encore, il est impossible dans le cadre d’un article, d’en dresser un panorama, de sorte qu’on privilégiera quelques exemplifications. Le bilan en demi-teinte du mouvement, qui débouche essentiellement sur des revalorisations salariales et la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise (loi de décembre 1968), sans rien transformer à la condition ouvrière, explique la persistance ultérieure de l’insubordination dans les usines29. L’univers rationalisé est en effet contesté 25 Compte-rendu de la grève par J.C. Clario au nom de la section CFDT de Rhône-Poulenc Vitry, 19 octobre 1968, archives CFDT 7 H 45. Notre arme, c’est la grève, Paris, Maspero, 1968. Journal d’un groupe d’ouvrières, Montpellier 1967-1968, Paris, Liaisons directes, 1968, p. 58 sq. 26 2 juin. Archives FGM CFDT 1 B 344. 27 Vincent Porhel, « L’autogestion à la CSF de Brest » in Geneviève Dreyfus-Armand et alii (dir.) : Les années 68, op. cit., p. 379-398. 28 Yannick Guin, La commune de Nantes, Paris, Maspero, 1969. 29 Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68, op. cit. 6 dans toutes ses dimensions : cadences, rôle de la maîtrise, salaires au rendement ou cotation par poste selon la méthode de la job evaluation, conditions de travail, etc., la liste des points de cristallisation de la révolte ouvrière est vaste et témoigne de la crise du compromis fordien qui avait régulé les relations sociales dans les entreprises depuis la Libération. De fait, dans les années 68, les ouvriers refusent l’univers usinier tel qu’il (dys)fonctionne, et entendent bien le transformer. Dès lors, ce sont les ouvriers les plus exposés à cette organisation du travail rationalisée, qui sont en pointe dans la contestation, c’est-à-dire les ouvriers spécialisés, les derniers appelés dans le monde industriel. C’est pourquoi, les grèves les plus spectaculaires sont des grèves d’OS, portées par de nouvelles figures ouvrières : des femmes animent notamment les conflits contre les cadences dans l’habillement ou l’électroménager en 1972-1973 ; des immigrés dénoncent les conditions de travail dans des usines à figures de bagne comme à Penarroya-Lyon en 1972, etc. La scène ouvrière, jadis essentiellement occupée par l’ouvrier professionnel masculin, français et d’âge mur, gagne ainsi en bigarrure : les jeunes, les femmes, les immigrés, la peuplent et lui confèrent une radicalité supplémentaire. En outre, la décentralisation industrielle encouragée par les gouvernements successifs depuis le milieu des années 1950, entraîne une diffusion de la contestation jusque dans les périphéries du pays, et dans des régions jusqu’alors réputées conservatrices : c’est le cas de quelques vallées vosgiennes, et plus encore de la Bretagne, qui connaît des grèves ouvrières exceptionnelles 30 . Cette diffusion de l’insubordination s’accompagne d’une radicalisation, et d’un recours fréquent aux illégalités voire aux violences : occupations des locaux, séquestrations de cadres dirigeants31, voire reprise illégale de la production inventée par les salariés de Lip à Besançon en 1973. Cette conflictualité à la fois ouverte et radicale contribue à attirer aux portes des entreprises une masse de militants, des chrétiens aux gauchistes, qui communient dans la centralité ouvrière et favorisent la transformation des usines en lieux politiques. La transformation des subjectivités que l’entrée dans la lutte opère, et l’interlocution avec des militants politiques aboutissent également à une hybridation de la conflictualité, et à son embrayage vers d’autres thématiques. C’est ainsi que des ouvrières en lutte peuvent également se mobiliser en tant que femmes, que des ouvriers deviennent les acteurs de luttes d’immigrés ou d’un mouvement arabe. Deux exemples pour attester de cette circulation contestataire : chez Lip à Besançon, la mobilisation des salariées, notamment ouvrières, favorise l’émergence d’une contestation proprement féministe, qui dénonce la division sexuée du travail ou le monopole viril sur la prise de parole, et conduit à la création d’une commission « femmes »32. Le symbole de cette transformation est l’extraordinaire discours que développe Monique Pitton en 1975 : pour stigmatiser la domination masculine jusque dans les mobilisations ouvrières et syndicales, elle décrit par le menu le quotidien de la lutte mais remplace systématiquement les mots « hommes » par « Français » et « femmes » par « Arabes »33. L’efficacité en est encore saisissante, trois décennies plus tard. De même, à partir de la circulaire gouvernementale Marcellin-Fontanet de 1972, des immigrés engagent des grèves dans les usines en tant qu’ouvriers, ou des jeûnes notamment dans des lieux de culte pour obtenir leur régularisation. L’année suivante, à la suite de meurtres contre des immigrés, des ouvriers font grève en août-septembre 1973, soutenus par le Mouvement des 30 Vincent Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, PUR, 2008. 31 Elles sont d’ailleurs popularisées par le cinéma gauchiste de Karmitz (Coup pour coup, 1971) ou Godard (Tout va bien, 1972) 32 Voir la brochure Lip au féminin, qui reproduit certains de ses débats, Paris, Syros, 1974. 33 Lip au féminin, Paris, Syros, 1977 et le film de Carole Roussopoulos, Monique et Christiane, Lip III, 1976, que j’ai pu découvrir grâce à Frank Veyron : qu’il en soit très chaleureusement remercié. 7 travailleurs arabes 34. Ces mobilisations articulent ainsi l’espace du travail et le hors-travail, et deux identités : ouvrière et immigrée (ou arabe). Elles coïncident d’ailleurs avec la longue lutte des résidents des foyers ouvriers, notamment de la Sonacotra, à partir de 1973 et plus encore 197535. Pour comprendre ces foisonnements et ces bifurcations de la contestation, il faut prêter attention aux pratiques militantes comme à des lieux de rencontres et de polarisation : en région parisienne, ce sont par exemple le centre universitaire expérimental de Vincennes, qui rassemble une bonne part de la fine fleur intellectuelle contestataire, des « gauchistes » aux communistes, ou, plus modeste mais tout aussi cruciale, la librairie de l’éditeur François Maspero, La Joie de lire au Quartier latin36. Au-delà, la contestation revêt le caractère d’un mouvement tout à la fois social et politique, qui oblige à dépasser les histoires strictement organisationnelles, et à prêter attention aux confluences. A cet égard, le mouvement féministe et de libération des femmes s’avère fondamental : la « nébuleuse féministe » (Florence Rochefort) compte en effet le Mouvement de Libération des Femmes fondé en 1970, aux tendances multiples, mais également l’association Choisir fondée par Gisèle Halimi en juillet 1971. De même, les médecins progressistes rassemblés dans le Groupe information Santé contribuent à la création en 1973 du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) 37 . Mieux, l’expérience féministe se vit localement en province, comme une expérience féminine de la sécession et de la subversion, parfois à la limite de la clandestinité : ainsi, à Auxerre, dans le Nord de la Bourgogne, les appartenances organisationnelles sont subordonnées à une expérience de la prise de parole et de l’écoute féminines, qui favorisent la circulation et la diffusion sociales d’une contestation pratique, notamment des enseignantes vers les femmes des milieux populaires38. Et c’est ainsi que s’éprouvent au quotidien ces aspirations à l’égalité (entre hommes et femmes, dans l’éducation des enfants ou face au travail domestique), à l’autonomie (faire l’expérience de la non-mixité, de la « sororité » pour parler plus librement) et à la libération (et d’abord de la hantise des grossesses non désirées). Et c’est par là que les années 68 sont effectivement une période de transformations sociales de grande ampleur. De fait, au-delà de la logomachie des organisations, les sujets vivent l’expérience de la contestation qui les métamorphose. Ce basculement à grande échelle des subjectivités, dont l’histoire reste encore pour part à écrire39, oblige les « institutions » à réagir, à la fois dans le temps court de la crise, en 68, et dans la phase plus vaste des années 68. Les institutions sur la sellette : récupérations et oublis La catégorie de mouvement ouvrier, qui organise la suture entre syndicats de salariés et partis politique de gauche, et qui se traduit par des relations traditionnelles 34 CEDETIM : Les immigrés. Contribution à l’histoire politique de l’immigration en France, Paris, Stock, 1975, p. 271 et sq. Egalement, Abdellali Hajjat « L’expérience politique du MTA », ContreTemps, n°76, mai 2006, p. 76-85. 35 Choukri Hmed : « Contester une institution dans le cas d’une mobilisation improbable : la ‘grève des loyers’ dans les foyers Sonacotra dans les années 1970 », Sociétés contemporaines, n°65, 2007, p. 55-81. 36 François Dosse : « Vincennes (1969-1974) : entre science et utopies », et Julien Hage : « Vie et mort d’une librairie militante : la Joie de lire (1958-1976) » in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68 une histoire collective, op. cit., p.505-513, et 533-537. 37 Florence Rochefort, « L’insurrection féministe », Ibid., p. 538-546 ; Michelle Zancarini-Fournel : « Histoire(s) du MLAC (1973-1975 », Clio, Histoire, femmes et sociétés, n°18, 2003, p. 241-252 ; Id., « Notre corps nousmêmes », in Eliane Gubin et alii (dir.), Le Siècle des féminismes, Paris, L’Atelier, 2004, p. 209-220. 38 Catherine Achin et Delphine Naudier : « Les féminismes en pratiques », in Dominique Damamme et alii (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 383-399. 39 Pour rester sur la question des féminismes, il serait intéressant de voir la manière dont se vit ce moment féministe chez les communistes ou dans la bourgeoisie néo-gaulliste. 8 d’interdépendance dans l’indépendance hautement affichée, particulièrement à l’intérieur de la mouvance communiste, connaît une manière de crise, ou entre en crise en 1968. Le millésime constitue en effet une seconde annus horribilis pour le monde communiste après 1956, crises française puis tchécoslovaque obligent. C’est rester dans la litote que de souligner les réticences du Parti communiste français face à un mouvement étudiant, suspect tant par ses origines de classe que par ses inclinaisons « gauchistes ». La dénonciation par Georges Marchais des « pseudo-révolutionnaires » et notamment de « l’anarchiste allemand » CohnBendit dans L’Humanité le 3 mai 1968, inaugure une série d’anathèmes qui iront crescendo. Face à la désectorisation de l’espace social, la stratégie constante du Parti communiste et de ses « organisations de masse » est de travailler à la resectorisation : c’est pourquoi, l’Union des étudiants communistes, ou ce qu’il en reste, s’efforce de freiner, dans et hors de l’UNEF, les contacts entre ouvriers et étudiants. De même, la CGT, hégémonique dans les bastions industriels, décourage ces liaisons improbables et entend canaliser fermement le mouvement gréviste dans un cadre traditionnel. Il faut à cet égard rappeler la déclaration étonnante du secrétaire général de la CGT, Georges Séguy, le 21 mai, au début du mouvement, qui insiste : « L’opinion publique, bouleversée par les troubles et la violence, angoissée par l’absence complète d’autorité de l’Etat, a vu en la CGT la grande force tranquille qui est venue rétablir l’ordre au service des travailleurs »40. Cette revendication paradoxale d’un ordre gréviste s’explique si l’on souligne la volonté constante de la CGT d’assurer un débouché politique, c’est-à-dire électoral, au mouvement de grève. Par là, on comprend la précipitation avec laquelle la CGT accepte les élections législatives le 30 mai en espérant un gain communiste, comme le soulagement de la direction communiste41. Ce faisant, non seulement le Parti communiste et la CGT ne parviennent pas à empêcher un sérieux revers électoral, mais ils renforcent une contestation qui émane tant des intellectuels, et notamment des universitaires – mais c’était presque une habitude depuis 1956 – que des ouvriers : et c’est là une rupture majeure en 1968. On assiste en effet à la multiplication de discours ouvriers, jusque dans les bastions industriels, accusant la CGT d’avoir bridé le mouvement en mai pour mieux le brader en juin : la presse cégétiste est d’ailleurs contrainte de s’en faire l’écho, même si c’est pour mieux les réfuter. De fait, et malgré le renforcement de son implantation, notamment par la création de sections syndicales dans les petites et moyennes entreprises, la CGT sort paradoxalement fragilisée du plus puissant mouvement de grèves ouvrières en France. Ainsi, la mouvance communiste a subi les événements de 1968 tandis que la mouvance socialiste est carrément passée à côté. Ces déficiences de la « gauche institutionnelle » contrastent avec une mouvance alternative, infiniment plus à l’aise. C’est notamment le cas de la jeune CFDT, déconfessionnalisée en 1964, dont l’attitude plus ouverte envers les étudiants, l’audace revendicative plus grande, et surtout l’évocation, même fugace, de la thématique autogestionnaire, lui procurent une identité en interne et vaut de la sympathie à l’extérieur42. Le Parti socialiste unifié se trouve dans une situation analogue : à l’interface entre la gauche institutionnelle et l’extrême gauche, doté d’une organisation étudiante (les ESU) bien implantée dans l’UNEF, riche de personnalités nationales (de Pierre MendèsFrance à Michel Rocard), il incarne le mouvement, jusque pour la police, et se renforce, sans pour autant capitaliser cet écho aux élections législatives de juin. De même, l’extrême gauche est à la fois revigorée et fragilisée par le mouvement : la mobilisation étudiante puis salariée, qu’elle a favorisée et célébrée, lui permet d’étoffer des effectifs étiques. Ainsi, la Jeunesse communiste révolutionnaire, devenue ensuite Ligue communiste, puis Ligue communiste révolutionnaire, passerait d’environ 350 militants en 40 « La grève générale de mai 1968 », Le peuple n°799-800-801, op. cit., p. 41. Claude Pennetier : « PCF et CGT face à 68 », in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68 …, op. cit., p. 326-348. 42 Frank Georgi, L’invention de la CFDT, 1957-1970, Paris, L’Atelier / CNRS, 1995. 41 9 avril 1968, à un millier en juin 1968, 2800 en mai 1971 et environ 3800 en 197643. De même, l’implantation nationale des organisations d’extrême gauche se renforce. Pour autant, le printemps 68 entraîne également une crise de ces organisations, soit que la stratégie poursuivie ait failli (cas de la FER, ou de l’UJCml), soit qu’elles aient été dissoutes par le gouvernement en juin ou qu’elles aient disparu (le Mouvement du 22 mars), soit enfin et surtout qu’elles s’abîment dans des réflexions théoriques intenses sur la nécessité de construire un Parti communiste réellement révolutionnaire44. Par-delà les recompositions permanentes, et les scissions, fusions ou exclusions réitérées qui scandent la vie des groupes de la gauche extra-parlementaire, cette dernière joue incontestablement le rôle d’aiguillon et de relais dans la prolifération de la contestation. Ainsi, les Cahiers de mai promeuvent les luttes ouvrières dans l’après-68, tandis que la Ligue communiste relaie davantage les mouvements lycéens (notamment en 1973), ou encore les mobilisations des employés des banques ou de la Poste (en 1974). Ce rôle d’aiguillon est pour le moins diversement apprécié. Les dirigeants de la CGT, conformément à la pire tradition stalinienne, persistent dans la chasse aux militants gauchistes : après une circulaire de Léon Mauvais à l’été 1968, les dénonciations se poursuivent et aboutissent à de véritables épisodes de collusions entre la police et les responsables syndicaux45. La situation à la CFDT est plus complexe : la jeune confédération fait fonction d’auberge espagnole où affluent la gauche ouvrière, et tous les militants désireux de relayer l’insubordination. Par la promotion de « l’autogestion des luttes », elle accompagne également l’éclosion des comités de grèves, et l’auto-organisation des travailleurs. Et à la différence de la CGT, elle n’aligne pas son agenda revendicatif sur le calendrier électoral. Dans le même temps toutefois, on constate une réticence croissante de la direction de la confédération face à l’immixtion des militants « révolutionnaires » dans l’organisation, notamment à partir de 1973, de sorte que le conflit Lip à Besançon en 1973 opère bien le passage entre une phase « mouvementiste » et une phase « institutionnelle » dans la CFDT46. Ce basculement coïncide peu ou prou avec une dynamique nouvelle de la gauche parlementaire. La refondation du Parti socialiste à Epinay en 1971, et la relance de l’union de la gauche, favorisent la signature du Programme commun de gouvernement en juin 1972 le PS, le Mouvement des radicaux de gauche et le Parti communiste, conduit par Georges Marchais. Cette période d’ « embellie du communisme » (Marc Lazar) se traduit par une croissance des effectifs, notamment des « couches intermédiaires salariées » (employés, enseignants, techniciens, etc.)47 mais n’empêche pas le « désajustement croissant entre PCF et société française »48. Le PCF demeure en effet à l’écart des (voire hostile aux) mouvements qu’il ne contrôle pas peu ou prou : le mouvement féministe, Lip, le Larzac et les mobilisations anti-militaristes et régionalistes, les combats anti-nucléaires sont autant de mouvements qui se développent sans le Parti communiste49. A l’inverse, le Parti socialiste, dynamisé par l’arrivée croissante de militants syndicalistes, fait fond sur ces mobilisations, de même qu’il recycle 43 Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand soir ou lieu d’apprentissage, Rennes, PUR, 2005, p. 53 et 137. 44 Isabelle Sommier, La violence politique et son deuil. L’après 68 en France et en Italie, Rennes, PUR, 1998, p. 41-44. 45 Le fait est attesté à Peugeot-Sochaux dans un rapport du sous-préfet de Montbéliard, 2 juin 1970. AN 770122/293. 46 Pierre Cours-Salies, La CFDT, un passé porteur d’avenir. Pratiques syndicales et débats stratégiques depuis 1946. Montreuil, La Brèche, 1988 ; Guy Groux et René Mouriaux, La C.F.D.T., Paris, Economica, 1989. 47 Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, PUF, 2000, p. 386 et sq 48 L’expression est de Frédérique Matonti et Bernard Pudal : « L’UEC ou l’autonomie confisquée » in Dominique Damamme et alii (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 137. 49 Xavier Vigna, « Lip et Larzac : conflits locaux et mobilisations nationales », et Vincent Porhel, « CreysMalville contre Plogoff : les nouveaux visages de la lutte antinucléaire », in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68 …, op. cit., p. 487-494 et 710-717. 10 quelques thèmes autogestionnaires dans ses réflexions50. Par là, il semble davantage prendre en compte les aspirations et les utopies contestataires des années 68, pouvoir leur offrir une traduction politique globale, en même temps qu’il offre un sas de sortie éventuel aux militants révolutionnaires épuisés par le gauchisme militant. Les années 68 s’achèvent ainsi sur un retournement spectaculaire : à Paris, les étudiants dédaignaient soigneusement l’Assemblée nationale du trajet de leurs manifestations. Mieux, 68 avait semblé disqualifier les « politiciens au rancart » (De Gaulle) dont MendèsFrance et Mitterrand, et mis à mal la mouvance communiste. A l’inverse, il avait redonné souffle et vigueur à une geste révolutionnaire, confortée par les grèves ouvrières. Pourtant, à mesure que l’insubordination perdure et se diffuse, elle a également besoin de trouver des traductions. Les réformes accomplies sous le gouvernement Chaban-Delmas (1969-1972) ou au début du septennat de Giscard d’Estaing (notamment en 1974-1975) confortent l’idée que la conquête de l’Etat offre un débouché politique. Ce faisant, le champ politique institutionnel se trouve relégitimé dans la seconde moitié des années 1970. Cette étatisation des luttes, et ce transfert vers l’Etat des espoirs de changement, conformes à une certaine tradition républicaine, laissent le mouvement social l’arme au pied, en même temps qu’ils expliquent les attentes immenses au moment de l’élection de Mitterrand en 1981… 50 Frank Georgi (dir.), L’autogestion, la dernière utopie ? Paris, Publications de la Sorbonne, 2003. Hélène Hatzfeld, Faire de la politique autrement. Les expériences inachevées des années 1970, Rennes, PUR, 2005. Id., « Une révolution culturelle du parti socialiste dans les années 1970 ? », Vingtième siècle n°96, 2007, p. 77-90