LES FRAGMENTS DE THÉOPOMPE CHEZ ATHÉNÉE :
UN APERÇU GÉNÉRAL*
Antonio L. CHÁVEZ REINO
(Universidad de Sevilla)
Gabriella OTTONE
(Università di Roma Tor Vergata)
RÉSUMÉ. – La présente étude porte sur les nombreuses citations de Théopompe dans les
Deipnosophistes. Elle envisage d’abord l’importance quantitative et qualitative d’Athénée
pour notre connaissance de l’œuvre de Théopompe (I). Elle évalue à quelles œuvres de
l’historien s’étendait la familiarité d’Athénée (II). Elle s’intéresse ensuite successivement au
contenu de ces citations (III), puis à leur enchâssement dans les Deipnosophistes (IV) et à
leur nature textuelle ou non (V). Elle analyse enfin les éléments qui permettent d’apprécier
la fiabilité d’Athénée comme citateur de Théopompe : adéquation aux témoignages sur le
style de l’historien (proscription de l’hiatus) et comparaison avec des citations parallèles
dues à d’autres auteurs (VI).
ABSTRACT. – This paper deals with the numerous quotations from Theopompus in the
Deipnosophistae. It first assesses Athenaeus’ relevance, both quantitative and qualitative, as
a source of knowledge on Theopompus’ work (I). Then, it explores the extent of Athenaeus’
familiarity with the works of Theopompus (II). Next, it focuses on quotations themselves,
by addressing first the issue of content (III), second the way in which these quotations have
been fitted into the structure of the Deipnosophistae (IV), and third the manner in which
Athenaeus cites Theopompus, either reproducing the historian’s text or filtering it through
his own phraseology (V). Finally, it considers those aspects of the quotations that allow, in
some measure, an assessment of Athenaeus’ reliability in quoting Theopompus: that is, the
extent in which these quotations reflect ancient comments on Theopompus’ style (avoidance
of hiatus) and their accordance or contrast with parallel quotations by other authors (VI).
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Nous tenons à manifester publiquement notre profonde gratitude à Dominique Lenfant pour
son hospitalité, sa gentillesse et sa charmante amitié. Elle a accompli un très lourd et très
généreux travail pour donner à ces pages une forme présentable.
140
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
Les références à Théopompe ont joué un rôle remarquable dans la
construction du texte des Deipnosophistes 1 : avec plus de quatre-vingts
occurrences, c’est l’historien le plus cité de l’ouvrage 2 et il fait partie des trois
écrivains en prose qui y sont le plus souvent mentionnés, puisque seuls Aristote
et Théophraste le dépassent de ce point de vue.
On peut d’abord se demander si cette propension marquée à citer Théopompe
était en son temps exceptionnelle. Il s’avère que l’historien était bien connu dans
les milieux littéraires du IIe et du IIIe siècle ap. J.-C. et qu’il a même suscité un
intérêt particulier dans certains milieux érudits de l’époque : une longue liste
d’auteurs est là pour le prouver, qui va de Théon le Rhéteur et de Plutarque à
Porphyre et Diogène Laërce.
Et l’on tire la même impression du célèbre fragment de Porphyre sur le plagiat
(κλοπή) 3. Le narrateur y décrit une scène conviviale qui a plus d’un rapport avec
l’ambiance des Deipnosophistes 4. Une dispute érudite vient d’éclater concernant
Éphore et Théopompe, à propos de laquelle les commensaux prennent différentes
positions: les convives principaux Apollonios et Nicagoras, tout en montrant
qu’ils connaissent l’œuvre des deux historiens, manifestent à leur encontre un
mépris évident 5. Par contre, les convives secondaires Maximos et Caystrios font
1
Dans ce qui suit, les références du type X, 435c renvoient au texte des Deipnosophistes.
Nous suivons et reproduisons – sauf indication contraire – le texte établi par KAIBEL 1887-1890.
Les références du type T 28a, F 162 renvoient systématiquement aux témoignages et fragments
de Théopompe dans l’édition de F. JACOBY (1927-9 [IIB n° 115], p. 526-617). Dans les notes, Th.
= Théopompe.
2
Voir l’index scriptorum de l’édition KAIBEL 1890 (III), p. 565-676, en particulier p. 670-671.
3
Eusèbe, Préparation évangélique, X, 3 = Porphyre, 408-410F Smith (SMITH 1993, p. 478486). Le passage concernant Th. a été morcelé par Jacoby en plusieurs unités: T 27 (avec
addendum dans FGrHist IIIB, 1950, p. 742), T 35, F 21, F 70, F 102 et F 345.
4
Sur les questions que soulève ce fragment de Porphyre, cf. STEMPLINGER 1912, p. 40-57
(avec édition et commentaire du texte). L’ambiance dans laquelle s’inscrit la scène (milieu du IIIe
siècle ap. J.-C.) est décrite par BIDEZ 1913, p. 30-31; voir aussi MILLAR 1969, p. 16-17 et
MÄNNLEIN-ROBERT 2001, p. 251-292, où l’on trouvera, outre une interprétation lucide du
fragment, une présentation des convives nommés et de leurs liens avec Porphyre. HIRZEL 1895,
II, p. 361-362 a signalé quelle place on doit attribuer à cette œuvre de Porphyre dans l’histoire
des banquets dialogués. Enfin, en plus du travail d’E. Stemplinger cité ci-dessus, ZIEGLER 1950
peut servir comme première orientation dans l’étude du motif de la κλοπή, un thème encore très
mal étudié dans ses rapports pratiques avec la critique des historiens fragmentaires.
5
Eus., PE, X, 3, 12 (Porph., 408F Smith). Porphyre a mis dans la bouche d’Apollonios et de
Nicagoras un dur réquisitoire contre les plagiats de Th. Le premier fait grief à l’historien d’avoir
copié littéralement un passage de son maître Isocrate et d’avoir, en général, déguisé ses emprunts
en changeant des détails, des noms et des lieux, de sorte qu’en plus de plagiaire, il devrait être
considéré comme un faussaire (Eus., PE, X, 3, 4-9 = Porph., 408F Smith = T 27, F 70, F 102,
F 345). La critique de Nicagoras est autrement plus acérée : Th. aurait fait dans ses Helléniques
de nombreux emprunts aux Helléniques de Xénophon, gâtant le charme et la vivacité du style de
ce dernier à force de polir la matière (ἐξεργασία) et de vouloir étaler la puissance de son verbe
(Eus., PE, X, 3, 9-11 = Porph., 408F Smith = T 35, F 21). Les exemples concrets de plagiat
pourraient venir des Ἰχνευταί de Pollion, comme cela nous est signalé en X, 3, 23 (Porph., 409F
Smith; cf. FGrHist IIIB, p. 742), nous ramenant à une époque peut-être bien antérieure à
Porphyre, mais le jugement stylistique qui informe ces critiques et qui se manifeste surtout dans
les considérations de Nicagoras est bien celui de Porphyre et des milieux où il se forma ; il est à
mettre en rapport avec le jugement d’Hermogène, qui déjà au IIe siècle ap. J.-C. considérait
THÉOPOMPE
141
preuve d’un remarquable attachement l’un pour Éphore, l’autre pour Théopompe.
Mais les critères adoptés par les uns et les autres nous échappent totalement.
Chez Athénée, en revanche, le commensal Démocrite – celui qui cite le plus
souvent l’historien – signale son amour pour la vérité et son dévouement
professionnel – traits qui singularisent Théopompe parmi tous les historiens cités
dans les Deipnosophistes 6. De ce fait et du fait de la fréquence des citations,
Athénée semble se rattacher, soit par goût personnel, soit par pose littéraire, à ces
secteurs de la critique de son époque où l’estime pour Théopompe est manifeste
et sans réserve et, en ce sens, l’auteur de Naucratis ne peut être considéré comme
un cas exceptionnel.
Ce qui est inhabituel, c’est plutôt la place remarquable que Théopompe
occupe dans l’économie de l’ouvrage. On ne peut guère savoir ce qui a motivé cet
enthousiasme à citer Théopompe, dans la mesure où l’on ignore d’abord par quels
canaux précis la matière littéraire est venue s’incorporer dans la structure bigarrée
et touffue des Deipnosophistes, ensuite avec quels présupposés et quels desseins
littéraires précis Athénée a utilisé cette matière, dans la mesure enfin où nos
vagues idées sur le caractère de l’œuvre de Théopompe sont précisément dues
pour la plupart à ce qu’Athénée nous en a conservé. Dès lors, il est impossible
d’établir qu’il y a eu affinité entre Athénée et Théopompe. Contentons-nous de
dire, au seuil de cette étude, que l’univers thématique des Deipnosophistes a dû
déterminer, directement ou indirectement, le choix des sources et qu’Athénée a
trouvé chez Théopompe plus souvent que chez d’autres auteurs la matière
littéraire qu’il cherchait.
Pour mesurer l’apport d’Athénée à notre connaissance de Théopompe, on
évaluera successivement son importance relative parmi les fragments de
Théopompe (I), les œuvres de l’historien qui lui sont connues (II), le contenu de
ses citations (III), la manière dont elles s’enchâssent dans les Deipnosophistes
(IV) et leur nature textuelle ou non (V) avant d’évaluer, grâce aux témoignages
Éphore et Th. comme des sujets peu dignes de son attention (Hermog., Id., II, 12, p. 412 Rabe ;
FGrHist 70 T 26 ; 115 T 23). Pour comprendre à quel point ce jugement stylistique porte la
marque de son temps et de son origine, il faut noter que Théon le Rhéteur (Prog., II, 69, 29-70,
7, p. 14 Patillon ; signalé, mais non édité par JACOBY 1927-30 [IID], p. 355) fait le même
rapprochement entre les Helléniques de Xénophon et ceux de Th. au sujet de l’ἐξεργασία, mais
sans faire appel au motif puéril du plagiat et d’une manière bien autrement flatteuse pour
l’historien de Chios; voir là-dessus l’opinion autorisée de RHYS ROBERTS 1908, p. 119-120. Il y
a des indices qui signalent qu’une information commune est à la base des passages de Théon et
de Porphyre, ce qui accentue le fossé qui sépare leurs appréciations respectives.
6
III, 85a (T 28a): ἀνδρὸς φιλαλήθους καὶ πολλὰ χρήματα καταναλώσαντος εἰς τὴν
περὶ τῆς ἱστορίας ἐξέτασιν ἀκριβῆ. Denys d’Halicarnasse (Lettre à Pompée, 6, 2 = F 26),
rapportant un passage qui, selon toute vraisemblance, figurait en tête des Philippiques, parle lui
aussi des fortes dépenses que Th. a faites pour préparer sa matière. Il est donc très probable
qu’Athénée s’est fait lui aussi l’écho des propos exprimés par Th.; voir LANE FOX 1986, p. 107;
PÉDECH 1989, p. 73 n. 19 ; FLOWER 1994, p. 18-19; et surtout VATTUONE 1997, p. 92 n. 11 et p. 99100. Il n’en demeure pas moins que l’auteur des Deipnosophistes, acceptant les propos
méthodologiques de l’historien, ne serait-ce que pour souligner l’autorité de sa source, porte ici
un jugement de valeur exceptionnel sur les mérites de Th. Pour une autre interprétation de ce
jugement, voir dans ce volume la contribution de Giuseppe ZECCHINI, qui réduit la portée du
compliment en analysant sa fonction dans son contexte d’énonciation.
142
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
sur son style et aux comparaisons possibles, la fiabilité d’Athénée comme citateur
de Théopompe (VI).
I. L’importance d’Athénée comme source sur Théopompe
Étant donné l’abondance des citations de Théopompe, les Deipnosophistes
sont une source essentielle pour notre connaissance de l’historien, tant du point
de vue de la quantité que de la qualité. Quelques calculs opérés sur la base du
travail de Jacoby nous aideront à mesurer de plus près cette importance.
Du nombre total de fragments de Théopompe rassemblés par Jacoby (y
compris ceux des œuvres mineures, les douteux et les apocryphes), Athénée
apporte plus de 18%. Qui plus est, si l’on tient compte du nombre de lignes
occupées par les fragments de Théopompe, on s’aperçoit que l’on doit à Athénée
plus de 28% de l’ensemble. Enfin, cette contribution quantitative, en plus d’être
considérable en termes absolus, est proportionnellement très élevée, si l’on tient
compte du fait qu’Athénée n’est qu’une des plus de 90 sources qui ont transmis
des textes de ou sur Théopompe.
Mais l’importance d’Athénée comme source ne tient pas seulement à l’apport
d’une grande quantité de fragments et de texte ; elle tient aussi à la qualité de ses
citations en matière de références exactes et de passages textuels 7. Ainsi, parmi
les 128 fragments de Théopompe où l’on indique avec précision le titre des
Philippiques et un numéro de livre, 50 sont issus des Deipnosophistes, ce qui
représente 39% du total. Plus important : du nombre total de fragments où Jacoby
a repéré une citation textuelle, Athénée apporte 51%. Et, si l’on calcule le nombre
de lignes – ce qui a, dans ce cas, plus de sens, puisque les contenus sont nettement
plus proches de l’original – l’apport d’Athénée s’élève à plus de 65% du total.
Comme on le voit, plus le critère de qualité se précise, plus le pourcentage de
l’apport d’Athénée s’accroît.
Tout cela revient à dire que nous sommes redevables à cet auteur non
seulement d’une partie considérable de ce que nous connaissons de l’œuvre de
Théopompe, mais aussi d’une partie substantielle de la matière qui nous permet
de reconstituer et la structure de ses ouvrages majeurs (grâce aux citations
précisément référencées) et les caractéristiques de leur contenu, de leur langue et
de leur style (grâce aux citations textuelles) 8.
II. Titres et ouvrages cités
Les ouvrages de Théopompe qui se trouvent cités dans les Deipnosophistes
relèvent majoritairement du genre historique (Philippiques et Helléniques), mais
7
Nous entendons par là les passages où la structure de la citation implique qu’on a prétendu
reproduire le texte de Th., ce que Jacoby a marqué au moyen des guillemets et de caractères
espacés. Sur cette notion de citation textuelle, voir ci-dessous (V).
8
À la grande différence de ce qui se passe avec les fragments d’Étienne de Byzance, bien plus
nombreux en chiffres absolus, mais autrement chétifs et maigres de contenu.
THÉOPOMPE
143
d’autres sont des opuscules (comme la Diatribe contre Platon) ou relèvent de
l’art oratoire et épistolaire (Conseils à Alexandre).
1) Ouvrages historiques (Philippiques et Helléniques)
Les Philippiques sont abondamment citées (près de 60 fois), les Helléniques
avec parcimonie (six fois). Les références données renvoient à 36 des 58 livres
des Philippiques 9 et à quatre des 11 ou 12 livres des Helléniques. Et l’on peut
également faire remonter à ces deux sommes, d’après leur contenu, plusieurs des
citations sans référence 10.
Les livres VIII et IX des Philippiques sont cités tels quels, et non sous le titre
de Faits merveilleux (Θαυμάσια), mais il est précisé que la partie finale du livre
X, portant sur les démagogues athéniens, a circulé indépendamment (IV, 166d =
F 100). Quant à l’Épitomé d’Hérodote, il n’est ni cité ni mentionné dans les
Deipnosophistes 11.
2) Opuscules
Athénée est le seul qui cite le traité Sur les biens pillés à Delphes (Περὶ τῶν
ἐκ Δελφῶν συληθέντων χρημάτων) 12. L’impression qu’il s’agissait d’un
opuscule indépendant semble corroborée par la précision du titre, par la
particularité du contenu et du style des citations (abondance exceptionnelle
d’hiatus 13) et par le fait qu’Athénée parle d’un traité (σύγγραμμα) 14. Les trois
citations qu’en donne Athénée sont très localisées, puisqu’elles ne figurent que
dans deux passages 15.
L’opuscule contre Platon est, au contraire, connu par une autre source
qu’Athénée 16, mais ce dernier n’en donne qu’une seule citation explicite 17.
Sous le titre Philippiques, Histoires philippiques ou – le plus souvent – Histoires.
Ainsi, F 108 (XIV, 616d-e) = Philippiques XIII, Helléniques XI, d’après F 106a (IX, 384a)
et F 106b (XV, 676c-d); F 75a (II, 45c) remonte sans doute au livre VIII des Philippiques; dans
un troisième cas (F 276 = I, 26 b-c), on est renseigné par un passage parallèle de Psellos, qui
inclut la référence exacte au livre XVII des Philippiques (Psellos, Scripta minora, I, p. 75 KurtzDrexl). Psellos a emprunté ce passage à la version originale des Deipnosophistes, que nous
n’avons plus pour cette partie de l’œuvre (voir MAAS 1937).
11
HACHTMANN 1872, p. 16, y voyait une raison suffisante pour nier l’authenticité de cet
Épitomé.
12
XII, 532d-e (F 249) et XIII, 604f-605d (F 247-248).
13
Voir ci-dessous (VI.B).
14
XII, 532d (F 249) et XIII, 605a (F 248).
15
F 247 (XIII, 604f-605a); F 248 (XIII, 605a-d); F 249 (XII, 532d-e).
16
Cité dans les Deipnosophistes sous le titre Κατὰ τῆς Πλάτωνος διατριβῆς (XI, 508c-d =
F 259), il figure sous le nom Καταδρομὴ τῆς Πλάτωνος διατριβῆς dans le catalogue de livres
de Rhodes (T 48). Aucun des autres fragments attribuables à cet opuscule (F 275; F 294; F 295;
F 359) ne contient de référence bibliographique. Denys d’Halicarnasse connaît son existence
(Lettre à Pompée, 1, 16).
17
F 259 (XI, 508c-d). On peut sans doute y ajouter, d’après le contenu, F 279 (V, 217d).
9
10
144
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3) Production oratoire et épistolaire
Notons d’abord que les Deipnosophistes ne contiennent aucune citation
explicite issue de la production épidictique stricto sensu de Théopompe, dont
l’existence est prouvée par plusieurs sources 18. La seule exception possible relève
plutôt de l’allusion: il s’agit du passage où le commensal Démocrite constate que
Théopompe, en dépit de son hostilité marquée envers Athènes (ὁ
δυσμενέστατος Θεόπομπος, dit-il), a proclamé la cité « le prytanée de
l’Hellade », tandis qu’ailleurs (ἐν ἄλλοις) il l’a qualifiée, en des termes très durs,
de nid de bassesse, de vénalité et de corruption 19. Or, pour proclamer Athènes « le
prytanée de l’Hellade », on ne voit pas d’endroit plus approprié que le discours
Panathénaïque de Théopompe, dont l’existence nous est connue depuis la
découverte du catalogue de livres de Rhodes (T 48) 20.
De rares citations relèvent de ce que l’on considère traditionnellement comme
la production épistolaire de Théopompe : l’une est empruntée aux Conseils à
Alexandre 21, une deuxième au Sur la lettre de Chios 22, une troisième enfin à la
Lettre à Alexandre 23. Cependant, les titres ne nous permettent guère d’établir des
frontières définies entre ce qui relève de l’art oratoire et ce qui relève de
l’épistolaire, dans la mesure où l’écrit parénétique adressé à une personnalité en
vue adoptait souvent la forme et même le titre d’une épître. Il n’est donc pas facile
d’établir quelle réalité se cache derrière chaque référence.
À preuve, ce qu’Athénée appelle les Conseils à Alexandre (Πρὸς
Ἀλέξανδρον συμβουλαί), qu’il faut sûrement identifier au Discours délibératif à
Alexandre (Συμβουλευτικὸς πρὸς Ἀλέξανδρον) mentionné dans le catalogue
de livres de Rhodes (T 48) et par Cicéron (F 251): le titre donne à penser qu’il
18
Voir les propos de Théopompe cités par Photius (Bibliothèque, 176, 120b30 = F 25), le
témoignage de Denys (Lettre à Pompée, 6, 1 = T 20a) et, plus concrètement, le catalogue de livres
de Rhodes (T 48), parmi les titres duquel les Λακωνικός, Παναθηναικό[ς], [Ὀλυμ]πικός,
[Κοριν]θ[ια]κός (qui est la lecture très douteuse de MAIURI 1925, p. 15; SEGRE 1935, p. 215 et
217 proposait Π[αν]ιωνικός) et [Μαύσσω]λος, ainsi que le [Φίλιπ]πος et l’ [Ἀλεξάνδ]ρου
ἐγκώμιον doivent selon toute vraisemblance appartenir à ce genre d’écrits. Les éloges de
Philippe et d’Alexandre nous sont aussi connus par les citations de Théon le Rhéteur (F 255-256).
Si l’on admet la conjecture de Jacoby Ἀναξιμένης <ὁ Λαμψακηνὸς καὶ Θεόπομπος> ὁ Χῖος,
Lucien aurait eu connaissance d’un discours de Théopompe prononcé à Olympie, à identifier
avec l’Olumpikos du catalogue rhodien (Lucien, Hérodote, 3; FGrHist 72 T 10, IIA, p. 114).
19
VI, 254b (F 281).
20
Nous ne savons absolument rien du Panathénaïque de Th., mais, étant donné ce que
Photius nous a rapporté des propos de l’historien dans le F 25 (Th. tirait gloire de ses discours
épidictiques et soutenait qu’il avait laissé la preuve de ses mérites oratoires dans tout lieu public
de Grèce et dans toute cité importante) et vu le rapprochement évident entre les titres du T 48 et
la production isocratique, il est plus que probable que ce Panathénaïque chantait d’une manière
ou d’une autre la gloire d’Athènes (ainsi, par exemple, JACOBY 1930, FGrHist IID, p. 353 [comm.
au T 48]; LAQUEUR 1934, col. 2185 et 2192 ; FRITZ 1941, p. 770-771 [= 1954, p. 49]).
Sur la date et le contenu possibles du Panathénaïque de Th., voir TREVES 1933, p. 315-319
(346 av. J.-C.); SHRIMPTON 1991, p. 7 et 9 le voudrait, en revanche, postérieur au Panath.
d’Isocrate, daté de 339 av. J.-C.
21
F 252 (VI, 230e-f).
22
F 254a (XIII, 586c). Il faut sans doute y ajouter, d’après son contenu, F 254b (XIII, 595d-e).
23
F 253 (XIII, 595a-c).
THÉOPOMPE
145
s’agit d’un écrit parénétique, mais ce que nous savons du contenu, précisément
grâce à Athénée, s’apparente plutôt au contenu des Lettres de Chios.
Sur ces Lettres de Chios (Χιακαὶ ἐπιστολαί), on dispose, en effet, de
plusieurs données. Denys d’Halicarnasse (T 20a) les distingue des discours
panégyriques et délibératifs et, dans un passage très important, il souligne l’âpreté
et la véhémence des dénonciations qu’elles contenaient contre «les desseins vils
et les conduites injustes» d’États et de généraux 24. La Souda signale que
Théopompe a adressé de nombreuses lettres à Alexandre « contre les citoyens de
Chios» (T 8), ce qui permet de situer le contenu des Lettres de Chios dans la
sphère des rapports entre Théopompe et Alexandre, et plus particulièrement, de la
situation politique de Théopompe à Chios.
Athénée est le seul à donner des indications concrètes sur leur contenu et la
citation qu’il produit confirme la nature dénonciatrice de ces lettres et le fait
qu’elles étaient adressées à Alexandre (XIII, 586c = F 254a). Mais les détails
qu’elle contient soulèvent quelques difficultés: elle dénonce en effet la conduite
d’Harpale dans ses rapports avec Glykéra après la mort de Pythionikè, ce qui ne
semble pas se rapporter à la situation politique de Théopompe à Chios. En fait, la
seule citation qui concerne directement cette situation – et concrètement
l’inimitié entre l’historien et Théocrite – est celle qu’Athénée fait remonter aux
Conseils à Alexandre (VI, 230e-f = F 252). De plus, cette citation explicite du Sur
la lettre de Chios (περὶ τῆς Χίας ἐπιστολῆς) coïncide presque littéralement avec
une autre citation (XIII, 595d-e = F 254b) introduite ailleurs sans référence
explicite, juste après la citation d’un autre passage rapporté à une Lettre à
Alexandre et contenant des détails sur la conduite d’Harpale lors de la mort de
Pythionikè (XIII, 595a-c = F 253). On en tire donc l’impression que, dans ces
trois cas 25, tout en se référant à deux titres différents (Sur la lettre de Chios,
Conseils à Alexandre), Athénée ne cite qu’une seule et même lettre.
Pourquoi donc ces deux titres? La référence étrange ἐν τοῖς περὶ τῆς Χίας
ἐπιστολῆς (« dans les [volumes?] sur la lettre de Chios» F 254a) pourrait
renvoyer non pas à une lettre déterminée, mais à un recueil de lettres comprenant
plus d’un volume (d’où ἐν τοῖς), à mettre en rapport avec les Χιακαὶ ἐπιστολαί
mentionnées par Denys, un recueil auquel appartenait la lettre citée 26. Par contre,
avec la référence ἐν τῇ πρὸς Ἀλέξανδρον ἐπιστολῇ «dans la Lettre à
Alexandre», tout en citant la même lettre, Athénée aurait voulu souligner qui en
était le destinataire, ou bien parce que cela particularisait la lettre citée parmi
toutes celles du recueil, ou tout simplement parce que c’est une manière
stéréotypée d’intituler une lettre que d’en indiquer le destinataire 27. Des indices
Denys d’Hal., Lettre à Pompée, 6, 9-10 (T 20a).
F 253, F 254a et F 254b.
26
Si ἐν τοῖς περὶ τῆς Χίας ἐπιστολῆς peut être interprété : «dans ce qui touche à… », c’està-dire dans ce qui accompagne la Χία ἐπιστολή, cela cadrerait avec l’hypothèse de ZECCHINI
1989a, p. 66, d’après laquelle Athénée aurait trouvé les lettres de Th. dans un recueil de lettres
écrites par et adressées à Alexandre (la Χία ἐπιστολή étant dans ce cas la lettre d’Alexandre aux
citoyens de Chios, citée par Athénée en XII, 539f).
27
La référence serait aussi aisément compréhensible si, comme le veut G. Zecchini, Athénée
maniait un recueil de lettres concernant Alexandre (voir la note précédente).
24
25
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indirects suggèrent d’ailleurs l’existence d’un recueil de lettres de Théopompe où
le noyau constitué par les Lettres de Chios (Χιακαὶ ἐπιστολαί) s’est vu enrichi
par l’ajout de lettres d’Alexandre concernant Théopompe et Chios 28.
III. Le contenu des citations
Quelle que soit sa diversité apparente, le contenu des citations empruntées aux
œuvres de Théopompe dans les Deipnosophistes reste thématiquement
homogène. Le gros des citations se rapporte en effet à cette sorte de « chronique
scandaleuse » dont Richard Laqueur a bien décrit les éléments: «débauche de
banquet, ivrognerie, ripaille, rapports avec des courtisanes et des danseuses,
comportement émancipé des dames de la société, etc.» 29 Que ses emprunts soient
directs ou indirects, Athénée a clairement sélectionné les passages de Théopompe
en fonction de critères thématiques.
Il n’est donc pas surprenant que, quand le thème abordé par Athénée est
singulier, il n’y ait point de citations empruntées à Théopompe : c’est ce qui
arrive, par exemple, dans les livres VII et VIII, qui sont dominés par le thème du
poisson. On ne s’étonnera pas davantage qu’à l’inverse une partie de la
production littéraire de Théopompe n’ait pas trouvé place dans les
Deipnosophistes, tout simplement parce qu’elle ne se rapportait pas au filon
thématique qu’exploitait Athénée. C’est ainsi que s’explique, par exemple,
l’absence de toute citation explicitement issue des écrits épidictiques de
Théopompe, indépendamment de toute question touchant à la survivance de ces
œuvres ou à la possibilité qu’Athénée ait pu y avoir accès 30. Même les éloges de
Philippe et d’Alexandre, deux figures pour qui Athénée montre un intérêt
remarquable, n’ont rien eu à offrir à qui sélectionnait les contenus se rapportant
28
OTTONE 2005, p. 96-101. Pour les Lettres de Chios comme recueil des lettres de Th.
adressées à différentes personnalités, PÉDECH 1989, p. 37 n. 33. SEGRE 1935, p. 215, 218 a restitué
dans le catalogue rhodien (T 48) la lecture très vraisemblable Ἐπιστολὴ πρὸς Ἀντίπατρον que
Maiuri n’avait pas reconnue. Les sources attestent donc l’existence de lettres de Th. à Philippe
(F 250), à Alexandre et à Antipatros.
29
« Gelageunsitten, Trunksucht, Schlemmerei, Verkehr mit Hetären und Tänzerinnen,
emanzipiertes Verhalten der Damen der Gesellschaft u. dgl.» (LAQUEUR 1934, col. 2178). Une
part résiduelle des citations concerne des particularités de nature lexicographique,
paradoxographique ou simplement anecdotique toujours en relation avec l’univers thématique
propre à Athénée.
30
Le modèle le plus accessible pour nous de ce qu’a pu être la production épidictique de
Théopompe est l’œuvre d’Isocrate. Or, des discours panégyriques, délibératifs et parénétiques
d’Isocrate, on ne trouve dans les Deipnosophistes qu’une seule citation, empruntée à
l’Aréopagitique (XIII, 566f = Isoc., VII, 49); celle-ci est introduite pour illustrer – à propos de
certains cabarets – comment dans la vieille constitution attique, toute imbue de dignité, même les
esclaves n’osaient pas visiter de tels lieux ; elle relève par conséquent de l’univers thématique
propre aux Deipnosophistes ; le reste n’y a pas laissé la moindre trace. Les choses ont pu se
dérouler pareillement pour les discours de Théopompe.
THÉOPOMPE
147
aux anecdotes culinaires, conviviales ou symposiaques, au paradoxographique et
à la dénonciation du vice et du luxe dans toutes leurs manifestations 31.
Ce principe de sélection thématique est tel que, même issues d’ouvrages
hétérogènes, les citations de Théopompe présentent entre elles une nette
similarité. À l’exception de l’écrit contre Platon, qui a son propre univers de
référence dans les Deipnosophistes, on retrouve la dénonciation des excès aussi
bien dans les fragments du Sur les biens pillés à Delphes (excès commis par les
chefs phocidiens et par Charès) que dans ceux des épîtres (excès commis par
Harpale) ou dans ceux des Conseils à Alexandre (luxe du parvenu Théocrite) – ce
qui signifie que les écrits mineurs ont subi le même principe de sélection que les
œuvres historiques 32.
Cette sélection des contenus en vertu de leur coïncidence avec la thématique
d’Athénée conduit à se demander dans quelle mesure ils sont représentatifs de
l’œuvre de l’historien. Comme le soulignait déjà Richard Laqueur, à l’intérieur de
l’œuvre gigantesque dont ils sont issus, les passages conservés n’avaient sans
doute pas l’importance que suggère leur lecture dans un recueil de fragments 33.
Mais, au-delà de cette question d’optique et de proportions, on peut même se
demander si les jugements de valeur qui sont tellement présents dans les
fragments de Théopompe dus à Athénée remontent réellement à l’original.
Il est vrai que la présence de tels jugements de valeur chez Théopompe est
confirmée par des témoignages de lecteurs: Denys d’Halicarnasse évoquait ainsi
le ton catégorique qui affleurait souvent dans son œuvre, surtout lorsqu’il
récriminait contre les États et leurs généraux pour leurs vils desseins et leurs
conduites injustes (T 20a) 34 ; d’après lui, Théopompe savait magistralement
dévoiler les arcanes de la vertu apparente et de la méchanceté sournoise 35. Ce
témoignage est complété par quantité d’autres sources, qui attribuent à
Théopompe de l’âpreté (πικρία), de la malveillance (κακοήθεια), un esprit de
31
La question se pose aussi en ce qui concerne les fragments des Helléniques. La rareté des
citations tirées de cette œuvre traduit-elle le désintérêt d’Athénée pour les Helléniques en général
et la possibilité qu’il n’ait connu cette œuvre que par l’intermédiaire d’autres sources, comme
ZECCHINI 1989a, p. 52-53, est porté à croire ? Ou est-elle due au fait que les Helléniques de Th.
ne contenaient guère le genre d’information « curieuse » qu’Athénée recherchait, comme le
supposait, par exemple, MOMIGLIANO 1931, p. 372 ? L’homogénéité foncière des contenus et des
procédés formels de citation, parmi d’autres raisons, invite à penser qu’il s’agit plutôt d’une
question de sélection de contenus et qu’Athénée a eu accès aux Helléniques dans les mêmes
conditions qu’aux Philippiques.
32
Ce qui a été bien vu par ROHDE 1894, p. 118.
33
LAQUEUR 1934, col. 2178. L’idée que la sélection faite par Athénée suivant ses propres
intérêts ne rend pas justice à l’ampleur et à la variété des contenus de l’œuvre de Th. est une
appréciation très répandue dans la critique moderne : DELLIOS 1880, p. 12 n. 1; MESS 1915,
p. 345-346; WILAMOWITZ 1927, col. 2597 ; MURRAY 1946, p. 168; CONNOR 1968, p. 12; REED
1976, p. 52-53, 120, 156 n. 2 ; SHRIMPTON 1991, p. 28 et FLOWER 1994, p. 8. BONAMENTE 1979,
p. 43 et SHRIMPTON 1991, p. 120 ont en outre souligné le fait que la plupart des fragments de Th.
tirés des Deipnosophistes contiennent des jugements sur des États et des individus.
34
Denys d’Hal., Lettre à Pompée, 6, 9-10 (T 20a). D’après Denys, ce ton était surtout
caractéristique des Lettres de Chios.
35
Denys d’Hal., Lettre à Pompée, 6, 7-8 (T 20a).
148
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
dénigrement (βασκανία) et un goût prononcé pour la dénonciation et
l’accusation 36.
D’un autre côté, si l’on passe de ces témoignages aux citations de Théopompe
par d’autres qu’Athénée, on ne peut que constater au contraire la rareté des
jugements de valeur qu’elles comportent. Peu de ces jugements sont assimilables
à ceux qu’on lit chez Athénée ; on pourrait citer, tout au plus, Polybe et Démétrios
sur Philippe et son entourage (F 225a, F 225c), fragments jumeaux de celui
d’Athénée, et Didyme sur Hermias d’Atarnée (F 291, F 250). Ce qui nous a été
conservé des jugements sur Alcibiade et Iphicrate chez Cornélius Népos (F 288
et F 289), sur Démosthène chez Plutarque (F 325-329) et sur Mausole chez
Harpocration et dans la Souda (F 299) relève d’un autre registre que
l’appréciation morale et n’a rien à voir avec les notions de truphè, de
« dérèglement » (ἀκολασία), de « licence » (ἀσέλγεια) et de « dissipation »
(ἀσωτία) omniprésents dans les passages qui ont été sélectionnés pour être
incorporés aux Deipnosophistes.
Ainsi, les fragments de Théopompe qu’on lit chez Athénée confirment
largement les témoignages qui évoquent la propension affirmée de Théopompe
pour les jugements de valeur sévères. Mais, d’un autre côté, les jugements qu’ils
contiennent ont des composantes précises qui sont à la fois omniprésentes dans
les Deipnosophistes et quasi absentes des autres fragments de Théopompe. On ne
peut donc manquer de se demander si les critères de sélection d’Athénée n’ont
pas faussé la nature de quelques-uns de ces jugements: Athénée a-t-il pu pervertir
le sens de ce qu’il lisait chez Théopompe (ou chez une autre source citant
Théopompe), changeant en jugement moral ce qui ne l’était pas? En outre, si ces
éléments d’ordre moral tiennent presque toujours à la dénonciation du luxe, de la
luxure et de la débauche, ce qui est un filon thématique fortement exploité dans
les Deipnosophistes, faut-il penser pour autant que les jugements de Théopompe
se limitaient à ce registre ?
Même s’il y a peu de critères qui nous permettent de juger de la «pureté » des
fragments de Théopompe chez Athénée, on a parfois l’impression qu’un fragment
de l’historien a pris dans les Deipnosophistes une tournure peu susceptible de
refléter ce qu’on lisait chez l’historien; en certains cas exceptionnels, on peut
même prouver qu’il y a eu manipulation de la part du citateur. Deux exemples
permettront de mesurer les incertitudes en la matière.
Polybe, VIII, 10, 1 (T 19) : « âpreté et incontinence de langage » (πικρία καὶ
ἀθυρογλωττία); id., VIII, 10, 12: la πικρία de Th. est comparée à celle de Timée. Denys d’Hal.,
Lettre à Pompée, 6, 8 (T 20a): Th. a mérité, selon certains, la réputation d’une mauvaise langue
(βάσκανος). Cicéron, Att., II, 6, 2 (T 25b): «âpre » (asper); id., Hortensius, fr. 15 Grilli (T 40):
« aigre » (acer). Cornélius Népos, Alc., 11, 1 (F 288) : « extrêmement médisant »
(maledicentissimus) comme Timée. Josèphe, Ap., I, 220-221 (F 306): Théopompe est à compter
parmi les historiens qui ont fait étalage de leur animosité (δυσμένεια) envers des cités illustres,
plus précisément envers Athènes. Plutarque, Lys., 30, 2 (F 333): «il blâme plus volontiers qu’il
ne loue » (ψέγει ἥδιον ἢ ἐπαινεῖ); id., Moralia, 855a : sa malveillance (κακοήθεια) comparée
à celle d’Hérodote. Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, 59 (T 25a): «accusant avec
hargne… » (φιλαπεχθημόνως κατηγορῶν…). Clément d’Alexandrie, Strom., I, 1, 1, 2: ses
«médisances» (βλασφημίαι) comparées à celles de Timée. Souda, s. v. Ἔφορος (T 28b): «âpre
et malveillant » (πικρὸς καὶ κακοήθης).
36
THÉOPOMPE
149
Le F 122a, issu du livre XVII des Philippiques, contient une comparaison
entre, d’une part, les populations asservies par les Spartiates et les Thessaliens,
hilotes et pénestes, et, de l’autre, les esclaves des gens de Chios, barbares achetés
avec de l’argent (VI, 265b-c). S’il y a, comme le suggère le ton de la citation, un
jugement négatif émis par l’historien, il semble bien porter sur la première forme
d’esclavage 37. Et, de fait, Athénée cite ailleurs un passage des Helléniques, dans
lequel Théopompe évoquait la situation des hilotes en termes plutôt critiques (VI,
272a = F13) 38.
D’un autre côté, le contexte qui entoure le F 122a dans les Deipnosophistes
comporte un jugement négatif sur l’achat d’esclaves vu comme une source de
perdition. En effet, le commensal Démocrite, qui est en train de parler des
diverses modalités de l’esclavage en Grèce, a cité Timée pour dire que l’achat
d’esclaves n’était pas chez les Grecs une coutume ancestrale (VI, 264c =
FGrHist 566 F 11a); et il ajoute peu après que, selon Théopompe, les gens de
Chios furent les premiers des Grecs à acheter des esclaves. Il y voit la cause de la
perdition de Chios 39 ; et pour le prouver, il introduit toute une série de citations
empruntées à Nymphodore, à Nicolas de Damas et à Posidonios, dans lesquelles
les esclaves jouent effectivement un rôle capital dans la ruine des gens de Chios
(VI, 265b-266f). Il en ressort que Démocrite a plié au thème qu’il voulait
développer une citation de Théopompe qui n’avait sans doute pas les implications
qu’on lui prête.
Second exemple : dans son catalogue de «dissipateurs» (ἄσωτοι), au livre IV
des Deipnosophistes, le commensal Ulpien soutient que Théopompe a dit que le
chef populaire Eubule avait été un dissipateur 40, mais il cite un passage où,
Ainsi SHRIMPTON 1991, p. 50, 105 et FLOWER 1994, p. 81.
Sur ce fragment comme critique de l’hilotisme, voir MURRAY 1946, p. 157 (qui fut le
premier à souligner que ce fragment contredit l’image de Th. comme admirateur inconditionnel
de Sparte); TIGERSTEDT 1965, p. 224 ; CONNOR 1968, p. 146 n. 42; CARTLEDGE 1979, p. 353;
GARLAN 1984, p. 83 ; PARADISO 1990, p. 17-24; SHRIMPTON 1991, p. 49-50; FLOWER 1994, p. 8182; et WHITBY 1994, p. 107 et 125 n. 115. Voir aussi BONAMENTE 1979, p. 15 n. 60 et SCHEPENS
2001, p. 533 n. 14. On trouvera une opinion différente dans OLIVA 1971, p. 47 et DUCAT 1978,
p. 33 n. 91, où, concevant la possibilité d’une double interprétation (« active » ou « passive ») de
la phrase τὸ τῶν εἱλώτων ἔθνος παντάπασιν ὠμῶς διάκειται καὶ πικρῶς, on penche pour
celle qui renverrait aux sentiments hostiles des hilotes envers les Spartiates. Il nous semble que
cette interprétation perd de vue les données essentielles du texte : il s’agit d’une peuplade (ἔθνος)
grecque qui se trouve réduite à un état tout à fait sauvage par suite d’une soumission invétérée
aux Spartiates. La distinction entre un sens actif et un sens passif n’est donc pas pertinente et, du
reste, DUCAT 1990, p. 89-90, part. 90 et n. 22 s’est finalement rangé, non sans quelques doutes, à
l’avis général.
39
VI, 265c (F 122a): ὁ μὲν οὖν Θεόπομπος ταῦθ’ ἱστόρησεν · ἐγὼ δὲ τοῖς Χίοις ἡγοῦμαι
διὰ τοῦτο νεμεσῆσαι τὸ δαιμόνιον. Le fait que le convive distingue ce qui vient de sa source
de sa propre opinion atténue, sans doute, la violence que l’on fait au texte de Th. Il n’en demeure
pas moins qu’Athénée a «recontextualisé » le passage, en dépit de son sens propre chez
l’historien, pour le rattacher au sujet des inconvénients de l’«esclavage marchandise ».
40
IV, 166d (F 100): Εὔβουλόν φησι τὸν δημαγωγὸν ἄσωτον γενέσθαι. Il y a dans cette
tirade d’Ulpien (IV, 165d-169a) un exemple intéressant de la manière dont la matière comique,
sa terminologie et ses concepts, ont informé les structures des Deipnosophistes (sur les affinités
entre Athénée et le genre comique, voir aussi la contribution de John WILKINS dans ce volume).
Ulpien affirme qu’il connaît de fameux ἄσωτοι et il dresse un catalogue de passages tirés de la
37
38
150
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
apparemment, une comparaison s’établit entre la dissipation du peuple athénien
et la dissipation des gens de Tarente 41. Toutefois, d’après Harpocration (F 99),
Théopompe, loin de présenter Eubule comme un dissipateur, l’aurait qualifié de
politicien dévoué et zélé (ἐπιμελής τε καὶ φιλόπονος); mais il aurait aussi
indiqué que le peuple athénien, à cause des allocations d’argent qu’Eubule lui
avait fait obtenir, aurait atteint le plus haut degré de laisser-aller et de lâcheté. Or,
nous savons qu’effectivement la gestion des fonds publics, la politique
d’allocations et leurs conséquences sur la société athénienne ont dû être le fil
directeur de la digression de Théopompe sur les démagogues athéniens, dont ce
F 100 faisait partie 42.
Étant donné le décalage entre les deux sources, on a essayé de corriger le texte
d’Athénée pour le faire concorder avec celui d’Harpocration. Kaibel avait déjà
signalé l’existence d’une lacune dans le texte d’Athénée, juste avant Εὔβουλόν
φησι κτλ.; il s’appuyait sur le fait que l’une des propositions relatives qui
précèdent n’a pas de verbe explicite 43. Isidor Hilberg proposa de combler
partiellement cette lacune en ajoutant le texte que voici : <τὸν δῆμον τὸν
Ἀθηναίων δι’> Εὔβουλόν φησι τὸν δημαγωγὸν ἄσωτον γενέσθαι, soit «Il
dit que «<le peuple athénien à cause d’>Eubule le chef populaire devint
dissipateur». De cette façon, la citation d’Athénée concorderait avec celle
d’Harpocration et la comparaison entre le peuple d’Athènes et celui de Tarente –
telle qu’on peut la lire dans les Deipnosophistes – serait bien plus pertinente 44.
Cette proposition se heurte néanmoins à une difficulté : le catalogue des ἄσωτοι
dressé par Ulpien ne se compose que de figures individuelles 45, et ce n’est pas le
peuple athénien, mais bien Eubule qui constitue une pièce du catalogue – tout
comme Callistratos qui suit immédiatement (F 97) ou Philippe et ses compagnons
qui viennent peu après (F 224). Or Athénée a coutume de séparer de manière
Comédie Moyenne et Nouvelle, où l’ἄσωτος est un «personnage-type »: celui qui « dévore la
fortune paternelle » (166d), c’est-à-dire «le dilapidateur», « le dissipateur» (IV, 165d-166d).
Vient alors le tour des exemples tirés de la prose, à commencer par Théopompe, et Ulpien essaie
d’adapter les exemples à l’image comique de l’ἄσωτος (IV, 166d-169a); mais la matière lui
résiste, car le concept d’ἀσωτία, qui est devenu de plus en plus important dans la littérature
historique depuis le IVe siècle av. J.-C., a perdu de la spécificité qu’il a eu dans la typologie des
figures comiques et, du domaine sémantique du gaspillage et de la dissipation, il est passé dans
le domaine plus ample de la dissolution et de la débauche. Cela explique que les exemples
recueillis par Ulpien fluctuent entre des illustrations de gaspillage et de dissipation et des cas
(majoritaires) de « débauche » au sens large. Il arrive qu’Athénée exploite l’ambiguïté.
41
IV, 166d-e (F 100).
42
WADE-GERY 1938, p. 131, 133 ; CONNOR 1963, p. 111, CONNOR 1968, p. 69.
43
IV, 166d (F 100). Le problème serait aisément surmontable si l’on restituait χωρίζουσι au
lieu du χωρίσαντες de la tradition.
44
HILBERG 1891.
45
Cela vaut pour toute la tirade d’Ulpien, qui ne contient que des références à des individus.
L’exemple emprunté à Th. sur le peuple tarentin (IV, 166e-f = F 233) ne constitue pas une
exception : il est amené par la mention des Tarentins dans la citation précédente (F 100) et relève
d’un procédé d’accumulation des citations d’un même auteur qui, dans les Deipnosophistes,
s’applique tout particulièrment au cas de Th. Voir ci-dessous (IV).
THÉOPOMPE
151
tranchée les sections relatives aux individus de celles qui touchent les
communautés 46.
Tout semble donc indiquer qu’on a délibérément simplifié la critique qu’on
lisait chez Théopompe, d’après laquelle la gestion des allocations publiques par
Eubule aurait entraîné ou accentué la dégradation du civisme chez les Athéniens.
On a fait en sorte qu’Eubule incarne tout simplement des vices dont, selon
Théopompe, il était tout au plus l’agent. C’est ainsi qu’un jugement complexe et
dont les composantes n’étaient pas exclusivement morales est devenu un
jugement moral simple et direct, que l’on peut aisément imputer au
deipnosophiste 47.
IV. L’enchâssement des citations dans les Deipnosophistes
En tant qu’éditeurs des fragments de Théopompe, nous sommes contraints de
nous interroger sur la fiabilité des citations d’Athénée et cela suppose de
s’interroger sur les procédés à l’œuvre dans la création de cet ouvrage 48.
La structure interne des Deipnosophistes repose sur deux axes fondamentaux :
les interventions des commensaux et les sujets qu’ils abordent. La structure
externe qu’Athénée a construite «à l’imitation de Platon » (ζήλῳ Πλατωνικῷ),
comme le dit l’Épitomé (I, 1f), et en vertu de laquelle le narrateur raconte à son
ami Timocrate le déroulement du fameux banquet des lettrés, n’a guère de rapport
avec cette structure interne : sa fonction se limite presque toujours à marquer le
passage d’un livre à un autre. Et le déroulement du banquet n’empiète lui-même
sur la structure interne que dans la mesure où il détermine la succession des sujets
ou questions à traiter.
Étant donné que les tirades des commensaux et les sujets de recherche
(ζητήματα) sont de vraies unités structurales internes et les seules qui se
manifestent au lecteur, la trame structurale qu’ils composent devrait être à la base
de l’étude de la construction des Deipnosophistes. Athénée a déversé dans le
canevas formé par cette trame toute la matière première – composée de citations,
mentions et références – avec laquelle il travaille. Et la matière première peut lui
venir directement des sources originales ou indirectement par l’intermédiaire
46
On trouvera des exemples significatifs dans le catalogue des grands buveurs (φιλοπόται)
dressé par Démocrite au livre X (individus, 433b-442a ; peuples, 442a-443c) et, au livre XII, dans
la tirade du narrateur «sur ceux qui se sont rendus célèbres par leur truphè » (peuples, 513e-528e;
individus, 528e-550f).
47
Cette conclusion rejoint largement celle que Guido Schepens a tirée de l’étude du jugement
porté par Th. sur Lysandre et Agésilas, pour lequel Athénée est l’une de nos sources (XII, 543bc = F 20 et XIV, 657b-c = F 22, entre autres). Là aussi, surtout dans le cas d’Agésilas (F 22), les
intérêts foncièrement moraux d’Athénée semblent avoir éclipsé les ingrédients politiques du
jugement que Th. portait sur les dignitaires spartiates. Cf. SCHEPENS 2001 et 2005b, p. 62-70.
48
ZECCHINI 1989a, p. 50-59, a étudié la question en triant le contenu des citations empruntées
à Théopompe en fonction des intérêts historiques d’Athénée. Quels que soient les résultats
généralement acceptés de cette enquête, nous ne croyons pas que l’on soit fondé à dire
qu’Athénée s’est servi d’un épitomé des Philippiques de Th. (p. 59, 252). Notre approche de la
question est tout à fait différente.
152
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
d’autres sources; en d’autres termes, Athénée a pu travailler sur des structures
déjà élaborées ou les élaborer lui-même. Quoi qu’il en soit, la matière première
s’est toujours enchâssée dans cette trame créée par lui.
Dans le tableau I, on trouve, consignés par ordre alphabétique, les convives qui
citent Théopompe aussi bien que les sujets ou questions à propos desquels ils le
citent (colonnes 1 et 2). Nous nous sommes demandé s’il y avait un rapport quelconque entre les commensaux choisis et le fait qu’ils citent Théopompe: Athénée
ayant doté de traits de caractère certains de ses personnages, comme Cynulcus et
Ulpien, il est tentant de penser qu’il a pu individualiser leurs goûts par les auteurs
qu’il leur fait citer. Quelques passages pourraient être interprétés en ce sens: par
exemple, en VIII, 352d, Cynulcus vante l’autorité que Démocrite détient comme
connaisseur de l’œuvre d’Aristote et des philosophes et rhéteurs en général. Et ce
même Démocrite semble se vanter d’avoir lu un nombre étonnant de pièces appartenant à la Comédie Moyenne (VIII, 336d). Pourtant, les citations empruntées à
ces pièces sont réparties entre les divers commensaux tout au long des Deipnosophistes. On ne peut donc soutenir que les affirmations de ce type soient plus
qu’une simple pose littéraire. Il faut donc reconnaître que l’étude des citations
faites par chaque commensal ne promet pas de résultats sensationnels.
On peut en revanche observer la façon dont elles viennent s’insérer dans les
tirades des commensaux. Cette insertion peut prendre plusieurs formes.
Il arrive parfois que les mots empruntés à Théopompe s’écartent du sujet traité
et soient repris à son compte par le commensal en manière de parenthèse. Par
exemple, en IV, 157d-e, Cynulcus interrompt son récit du banquet de
Parméniscos pour souligner, en empruntant une phrase à Théopompe, que la
bonne chère hébète l’esprit (F 57); de même, en VI, 275b, Larensis intervient
pour mettre en contraste, à propos des nombres impressionnants d’esclaves
mentionnés par Masurius (VI, 272a-d), la modération des anciens Romains, qui
n’avaient que très peu de serviteurs, avec le grand train des temps modernes;
après une citation empruntée à Posidonios sur la frugalité de l’ancien mode de vie
romain, Larensis finit son intervention en faisant siens quelques mots de
Théopompe sur le luxe que tout le monde affecte de son temps (F 36). Dans de
tels cas, on décontextualise radicalement la citation, dont le sens est tout
simplement redéfini par les besoins du citateur.
Mais ce n’est pas le cas général. Les citations sont pour la plupart des
témoignages sur le thème qu’on est en train de traiter, insérées dans des séries,
lesquelles reposent sur au moins trois principes possibles: la chronologie des
auteurs, les grappes de citations d’un même auteur et l’association selon le
contenu.
1) Les séries d’auteurs par ordre chronologique 49
En ce qui concerne Théopompe, on trouve l’exemple le plus clair en II, 43c-f,
où, sur le thème de l’eau, sont successivement cités Hérodote, Théopompe
(F 278a), Aristobule, Ptolémée et Phylarque. De même, en IV, 143f-146a, le
49
DÜRING 1936, p. 241-242, 247.
THÉOPOMPE
153
commensal Plutarque, à propos du thème des dîners, cite dans l’ordre
chronologique Hérodote, Xénophon, Théophraste, Théopompe (F 179, F 113) et
Héraclide de Kymè sur les banquets de la cour perse.
2) Les grappes de citations d’un même auteur
Bien souvent, les citations empruntées à Théopompe tendent à s’accumuler en
formant des « grappes». Ainsi, au livre X, 426c-443c, Démocrite disserte sur les
dosages de vin pratiqués par les anciens. Après quelques fluctuations, son sujet
s’infléchit et s’oriente finalement vers l’abus de boisson; le commensal dresse
alors un catalogue de grands buveurs (φιλοπόται) en commençant par Nestor. La
première partie du catalogue, consacrée à des individus (433b-442a), est dominée
par la figure d’Alexandre. Vient ensuite Philippe, dont le goût pour la boisson est
illustré par des citations empruntées à Théopompe (F 163; F 282; F 236) et à
Carystios de Pergame. Une fois Théopompe cité, Démocrite lui emprunte des
citations concernant toute une série de buveurs: Denys le Jeune (F 283a), Nysée
(F 188; F 187), Apollocrate (F 185) et Hipparinos (F 186); Timolaos de Thèbes
(F 210) et Charidème d’Oréos (F 143). Plus loin, le catalogue passe des individus
aux peuples célèbres pour s’adonner à la boisson (442a-443c) et Démocrite clôt
l’inventaire avec une autre accumulation de citations empruntées à Théopompe :
sur les Chalcidiens de Thrace (F 139), les habitants de Méthymna (F 227), les
Illyriens et les Ardiens (F 39; F 40). Ici aussi, d’autres citations viennent
corroborer celles de Théopompe. Un tel procédé s’observe à plusieurs reprises,
notamment dans la longue tirade du narrateur sur ceux qui se sont illustrés par
leur truphè 50 et dans la tirade de Masurius sur les esclaves 51.
3) L’association selon le contenu
On emprunte parfois des citations à l’historien de Chios pour corroborer les
témoignages apportés par d’autres sources. Ainsi, par exemple, dans la tirade de
Pontianus sur l’ivresse et les excès dus au vin (livre X), la mention des Rhodiens
50
Dans ce long développement sur la truphè (XII), on emprunte d’abord, dans la partie
relative aux peuples, des citations isolées à Théopompe pour illustrer le cas des Étrusques (F 204)
et des habitants de Colophon (F 117); et plus loin, on observe une accumulation de citations
empruntées à l’historien de Chios: à propos de riverains de l’Océan, des habitants de Byzance et
de Chalcédoine (F 62), des Ombriens (F 132) et des Thessaliens (F 49). Dans la deuxième partie,
relative aux individus, une citation empruntée à Théopompe au sujet de Straton roi de Sidon
(F 114) ouvre une autre série de passages de l’historien, concernant Cotys (F 31), Chabrias
(F 105), Charès (F 213; F 249); Pisistrate (F 135) et Cimon (F 89); et, peu après, les Spartiates
Pharax (F 192) et Archidamos (F 232).
51
En dissertant sur les esclaves, Démocrite fait une citation isolée de Théopompe en VI,
265b-c (F 122a); sa tirade est complétée par celle de Masurius (VI, 271b-272d), où l’on trouve
une série de brèves citations sur divers types d’esclaves et de populations asservies, et c’est alors
qu’apparaît l’habituelle grappe de citations empruntées à Théopompe : sur les ἐπεύνακτοι de
Sparte (F 171), les κατωνακοφόροι de Sicyone (F 176) et les προσπελάται des Ardiens (F 40),
et, peu après, une citation empruntée aux Helléniques sur la condition déplorable des hilotes
(F 13). Cet exemple met en lumière le fait important que ces grappes de citations sont dans les
Deipnosophistes un phénomène remarquablement lié à l’historien Théopompe.
154
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
Coméon et Rhodophon dans une citation d’Hégésandre entraîne une citation
empruntée à Théopompe sur un autre Rhodien, Hégésiloque (X, 444e-445a =
F 121), ainsi qu’une troisième citation empruntée à Philomnestos sur Anthéas de
Lindos, lui aussi rhodien.
On s’aperçoit qu’Athénée donne parfois à la citation un autre sens que celui
qu’elle a, à voir son seul contenu. Ainsi, dans sa tirade sur les dîners, Plutarque
cite Théopompe deux fois; la seconde citation (F 113) concerne les dépenses
auxquelles toute ville assujettie à l’empire doit subvenir pour régaler le roi de
Perse lorsque celui-ci la visite ; elle est tout à fait appropriée au contexte ; en
revanche, la première citation (F 179) n’a pas de rapport étroit avec le sujet que
l’on est en train de traiter (les dîners): Théopompe y parle du roi paphlagonien
Thys, personnage célèbre pour sa gloutonnerie, lequel, étant prisonnier
d’Artaxerxès, mangeait tellement qu’aux yeux du roi, il vivait comme s’il allait
mourir bientôt. Ce qui est remarquable, c’est qu’on trouve, ailleurs dans les
Deipnosophistes, les traces de la fonction illustrative que cette citation de
Théopompe devait logiquement avoir dans l’œuvre. En effet, en X, 415d, dans le
catalogue de gloutons, le narrateur fait en passant allusion à ce Thys mentionné
par Théopompe, se bornant à dire qu’il en a parlé ailleurs. Pourtant, c’est bien
dans ce livre X que la citation serait opportune, car aussi bien le contexte – un
catalogue de gloutons – que l’occasion – après une citation empruntée à Xanthos
de Lydie sur le roi lydien Camblès – offrent le cadre le plus approprié pour
introduire l’anecdote concernant le roi Thys. Tout se passe comme si Athénée
avait eu entre les mains un ouvrage où la citation de Théopompe aurait été
employée d’une façon pertinente (Thys comme exemple de glouton) et qu’il avait
replacé l’exemple à son gré, l’affectant à une démonstration qui n’est plus tout à
fait pertinente, et cela par suite de sa tendance à l’accumulation d’exemples
empruntées à l’historien. Il s’ensuit que la citation manque d’à-propos et semble
déplacée.
En revanche, parfois Athénée ne cite pas Théopompe là où l’on s’attendrait à ce
qu’il le fasse. En XIV, 614e Ulpien n’aurait pu trouver meilleur témoin pour
attester le penchant de Philippe pour les plaisanteries (τὰ γέλοια), mais il cite seulement Démosthène. De même, en XIV, 663a, Émilien aurait pu illustrer parfaitement le luxueux train de vie des Thessaliens en citant Théopompe, mais il se borne
à citer Critias. Enfin, pour illustrer le fait que le mariage avec Cléopâtre – femme
fatale – a entraîné la chute de la maison de Philippe, tant Larensis (XIII, 557b-e) 52
52
Au lieu de Th., Larensis cite Satyros. À ce propos, il convient de souligner que tout se passe
comme si, pour certains contenus, Athénée avait utilisé Satyros et Th. comme des sources
s’excluant mutuellement : ainsi, par exemple, Satyros est cité en VI, 248d-249c ; XII, 534b; XII,
541c ; XIII, 557b-e à propos de sujets sur lequels Th. s’est – sûrement ou très probablement – lui
aussi exprimé. Ce qui est remarquable, c’est que dans tous ces cas Th. semble être à la source de
la tradition mise à profit par Satyros; or, puisque Athénée ne cite jamais ces deux auteurs l’un à
côté de l’autre à propos d’un même sujet, on est fondé à croire que Satyros ne citait pas Th.
explicitement, car Athénée semble avoir en règle générale retenu les citations qu’il trouvait dans
sa source (voir à ce propos les passages signalés à la note 56). Ceci apporterait un démenti à la
croyance que les biographies hellénistiques ont fourni à Athénée et à d’autres auteurs d’époque
THÉOPOMPE
155
que Léonidès (XIII, 560c) auraient pu avoir recours au témoignage de Théopompe, car, comme le démontre Polybe 53, l’idée que le penchant de Philippe pour
les femmes fut la cause dernière de la chute de sa maison se trouvait déjà chez
l’historien de Chios. On s’attendrait à ce que Théopompe eût au moins été mentionné comme le principal auteur s´étant manifesté sur ces sujets; mais ce n’est
point le cas, ce qui est fort remarquable si l’on tient compte du fait qu’ailleurs dans
les Deipnosophistes la tendance est évidente non seulement à citer l’historien,
mais bien à accumuler l’un après l’autre les exemples qu’on lui emprunte. Cela
veut-il dire que, dans tous les cas que nous venons de signaler, Athénée a eu
recours à des sources qui, tout en présentant un tissu de témoignages déjà élaborés,
n’auraient pas mis à profit l’œuvre de Théopompe? Ou s’agit-il plutôt tout simplement d’un choix d’Athénée lui-même privilégiant d’autres sources originales au
détriment de Théopompe?
Ces divers modes d’insertion des citations de Théopompe, ces phénomènes
particuliers qui s’y rattachent pourraient correspondre à des origines diverses, de
même qu’à des degrés d’élaboration distincts. Les séries chronologiques
d’auteurs font immédiatement penser à l’emploi de structures déjà élaborées, qui
auraient été tout simplement transplantées d’une source donnée dans les
Deipnosophistes. Düring songeait dans ces cas-là à l’utilisation du lexique de
Pamphile 54. D’autre part, les procédés consistant à accumuler les citations de
Théopompe ou à les associer à d’autres en fonction de leur contenu suggèrent une
élaboration plus libre et moins influencée par des structures prédéterminées. De
fait, ces accumulations de témoignages paraissent peu compatibles avec les
schémas caractéristiques des sources lexicographiques, scholiastiques ou
anecdotiques qu’Athénée a pu utiliser. Qu’elle soit juste ou fausse, l’impression
que c’est justement ici, dans les grappes de citations, qu’Athénée a le plus
clairement puisé à la source originale, s’impose en tout cas sans peine. On va
même jusqu’à imaginer qu’il a pu travailler avec les citations de Théopompe de
la même façon que son personnage Démocrite dit avoir travaillé avec les
fragments de la Comédie Moyenne, dont il aurait lu plus de 800 pièces tout en en
recueillant des extraits (ἐκλογὰς ποιησάμενος) 55. Certainement, ce procédé
impériale un tas de citations de Th. qu’ils n’auraient eu qu’a transposer telles quelles dans leurs
propres ouvrages. C’est d’ailleurs un indice fort intéressant d’une gestion économique et
intelligente des sources de la part d’Athénée.
53
Polybe, VIII, 9, 2 (F 27).
54
DÜRING 1936, p. 248.
55
VIII, 336d. De fait, on a parfois l’impression qu’Athénée a mis à profit le corpus des
œuvres de Th. exactement comme il a exploité le corpus des comiques. Le cas le plus frappant se
trouve dans la tirade d’Ulpien sur les ἄσωτοι (IV, 165d-169a), où à un catalogue de huit
exemples tirés de la comédie fait suite un catalogue de quatre exemples tirés de Th., puis un
recueil d’exemples tirés d’auteurs divers: la concentration de citations particularise dans ce
passage le cas des comiques et de Th. face au reste des auteurs. D’ailleurs, la concentration de
citations de Th. est dans les Deipnosophistes un phénomène tout à fait particulier qui trouve
justement son pendant le plus remarquable dans le cas des fragments de la comédie. Enfin, le fait
que souvent s’entremêlent les exemples empruntés aux ouvrages mineurs de l’historien et les
citations issues des ouvrages historiques corrobore cette impression qu’Athénée a eu à sa
disposition une espèce de corpus assez vaste de la production théopompéenne.
156
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
consistant à tirer des extraits des œuvres originales et à en faire usage à volonté
pendant l’élaboration des Deipnosophistes, concentrant les citations là où elles
prouvent le mieux ce qu’il s’agit de prouver, est tout à fait compatible avec
l’impression que produisent les grappes de citations empruntées à Théopompe.
Cela ne veut pas dire cependant que le mode d’insertion de la citation indique en
soi si l’emprunt est direct ou indirect 56.
V. Citations textuelles et non textuelles
D’après leur structure, nous divisons les citations de Théopompe qu’on trouve
dans les Deipnosophistes en «citations textuelles» et « citations non textuelles».
Parfois on a affaire à des «citations mixtes», qui se composent à la fois d’une
citation textuelle et d’une citation non textuelle. De fait, nous tenons à distinguer
clairement trois notions différentes: celle de citation textuelle / non textuelle ;
celle de citation littérale / non littérale ; et celle de proposition au style direct /
indirect.
La distinction entre citations textuelles et citations non textuelles est purement
fonctionnelle et ressort de l’observation des procédés de citation d’Athénée : dans
le premier cas, on trouve des structures de citation qui impliquent que l’on
prétend reproduire le texte cité dans sa forme originale, tandis que dans les
citations non textuelles il n’y a pas cette prétention à reproduire le texte de la
source.
56
Sur ce point, le degré de précision des références bibliographiques offre sans doute un
indice plus sûr. Les références aux œuvres de Th. dans les Deipnosophistes sont d’habitude
claires et précises. Il est rare qu’il mentionne, dans un contexte isolé, un numéro de livre sans
indiquer aussi le titre concret de l’ouvrage qu’il cite. Des références imprécises du type «dans une
autre partie de l’histoire » (ἐν ἄλλῳ μέρει τῆς ἱστορίας ; X, 435b ; livre indéterminé des
Philippiques) ou «dans d’autres passages» (ἐν ἄλλοις ; VI, 254b ; œuvre indéterminée) sont
exceptionnelles. L’absence absolue de référence bibliographique ne se produit que très rarement ;
ce sont des cas circonscrits qui impliquent, selon toute vraisemblance, un emprunt à une source
intermédiaire. Par exemple : en XIII, 573c-e, Myrtilos cite Chaméléon à propos de l’épigramme
de Simonide qu’on lisait au temple d’Aphrodite à Corinthe ; la référence à Théopompe (F 285a),
dépourvue de toute précision bibliographique, paraît provenir de Chaméléon. Les sources
parallèles (Plutarque et, surtout, les scholies à Pindare, où Théopompe est cité expressis verbis)
indiquent qu’aussi bien la forme de l’épigramme que le contenu de la notice qu’on lit chez
Athénée relèvent d’une autre tradition que celle qui remonte à Théopompe (VAN GRONINGEN
1956). Pareillement, en VI, 249c-d, où Démocrite cite Théopompe (F 280), Douris (FGrHist 76
F 3) et Phylarque (FGrHist 81 F 37) à propos du sympathique Arcadion, il est très probable que
la citation ait été empruntée à Douris, lequel citait à son tour Théopompe ; la citation de Phylarque
a vraisemblablement été ajoutée par suite d’une association de contenus. Cela prouve, d’une part,
que des références à Théopompe ont pu arriver jusqu’aux Deipnosophistes dans des citations
empruntées à d’autres sources. Et, d’autre part, cela nous indique aussi que quand ce phénomène
s’est produit, des indices subsistent nous révélant qu’il y a eu emprunt à une autre source : en
l’espèce, l’absence d’indication bibliographique ; ce qui n’est pas un cas isolé : par exemple VI,
272a-c, citation de Timée (FGrHist 566 F 11b) trouvée chez Polybe ; et XIV, 626a, citation
d’Éphore (FGrHist 70 F 8) trouvée chez Polybe ; dans ce dernier cas, aisément contrôlable, on
constate qu’Athénée a supprimé la référence bibliographique employée par Polybe (IV, 20, 5: ὡς
Ἔφορός φησιν ἐν τῷ προοιμίῳ τῆς ὅλης πραγματείας).
THÉOPOMPE
157
Cette distinction ne recoupe pas nécessairement l’opposition grammaticale
entre discours direct et discours indirect : une citation non textuelle peut, par
exemple, se présenter sous la forme d’une proposition au style indirect, mais aussi
sous la forme d’une paraphrase au style direct.
D’autre part, le concept de citation textuelle est un concept fonctionnel qui ne
préjuge pas de la fidélité de la citation au texte original. L’examen des citations
décèle assez souvent des altérations dans l’état du texte, dues soit aux
changements subis par la tradition manuscrite soit à l’immixtion plus ou moins
consciente du citateur dans l’établissement du texte. Cette reproduction fidèle à
la lettre du texte cité est ce que nous voudrions appeler une «citation littérale ».
Dans la plupart des cas, nous ne sommes pas en état de vérifier cette littéralité et
quand, à l’inverse, nous disposons d’éléments de contrôle, c’est pour constater la
non-littéralité.
Il est généralement aisé de faire la distinction entre citations textuelles et non
textuelles : la citation textuelle s’accompagne habituellement d’un verbe
introducteur (le plus souvent φησί, soit juste avant la citation, soit en incise).
Mais parfois ce n’est pas le cas et les difficultés surgissent lorsqu’une citation
textuelle est précédée par une citation non textuelle et que le verbe introducteur
est manquant. Le cas se présente deux fois, en F 204 (XII, 517d-518b) et en
F 254b (XIII, 595d-e); et Jacoby a marqué ce caractère textuel par des signes
typographiques (guillemets et caractères espacés). Pourtant, la même structure
reparaît dans d’autres fragments: F 114 (XII, 531a-d), F 117 (XII, 526c), F 192
(XII, 536b-c), F 232 (XII, 536c-d) et F 240 (XIII, 609b). Pourquoi donc Jacoby,
et avant lui Grenfell et Hunt, ont-ils considéré qu’il n’y avait de citation textuelle
dans aucun de ces fragments, tandis que Wichers, le premier éditeur des
fragments de Théopompe, a jugé que les F 114 et F 117 contenaient en fait une
citation textuelle 57 ?
Le critère qui détermine la réponse à cette question contient toutes les clefs du
problème de la textualité dans les citations de Théopompe. En l’absence de signes
externes marquant la textualité, une citation textuelle peut aisément se confondre
avec une paraphrase (c.-à-d. avec une citation non textuelle). Quand cela arrive,
le seul moyen pour détecter la textualité est de s’en tenir à des indices assez
délicats, la conformité aux caractéristiques reconnues du style de Théopompe,
notamment l’absence d’hiatus 58. Nous sommes d’avis que, d’après ce critère, au
moins les F 114 59, F 117 et F 192 contiennent effectivement des citations
textuelles, car on n’y trouve guère d’hiatus et le style rappelle celui de fragments
dont la textualité est manifeste. Cependant, le fait que Jacoby et Grenfell et Hunt
ont considéré qu’il ne s’agissait pas de citations textuelles trahit le degré de
57
WICHERS 1829, p. 85-86 (fr. 126 = F 114) et 86 (fr. 129 = F 117). GRENFELL & HUNT 1909,
fr. 111a (= F 114) et fr. 114 (= F 117).
58
Voir ci-dessous VI.B.
59
Il suffit de comparer le texte d’Athénée XII, 531a-d (F 114) avec Élien, VH, VII, 2
(GRENFELL & HUNT 1909, fr. 111b) pour percevoir nettement les différences entre une citation
textuelle et la reproduction libre du contenu d’un passage de Th. Dans le F 114, la citation
textuelle commencerait à οἷα γὰρ κτλ.
158
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
subjectivité intervenant dans un tel jugement, ce qui rend les «marques internes
de la textualité » d’un usage problématique.
VI. La fiabilité d’Athénée comme citateur de Théopompe
S’apprêtant à citer Cléarque, Cynulcus tient à préciser qu’il se rappelle
parfaitement les mots de la citation parce qu’ils lui tiennent à cœur 60.
Pareillement, quand Myrtilos finit sa longue allocution du livre XIII sur les
courtisanes et l’amour, l’une des plus étendues et érudites de l’ouvrage, le
narrateur fait remarquer que les convives se sont émerveillés de la mémoire de
leur compagnon 61. Ce sont là deux exemples où affleure l’un des présupposés de
la fiction des Deipnosophistes : les commensaux, dans leur incommensurable
érudition, citent par cœur 62. S’agit-il d’un simple artifice destiné à souligner la
fiabilité des citations en dépit de ce que la fiction a d’invraisemblable ? Ou d’un
jeu subtil par lequel Athénée a tenu compte des changements que le recours à la
mémoire peut entraîner et s’est prévalu de cet artifice pour « jouer» avec les
fragments? Le besoin de souligner la fiabilité de ce que l’on cite a-t-il pour cause
le fait que les citations ne sont pas empruntées aux sources originales ou bien
vise-t-il au contraire à souligner l’originalité des citations?
En abordant la question de la fiabilité des citations de Théopompe chez
Athénée, il ne faut pas perdre de vue cette problématique du «jeu érudit » que
Christopher Pelling a eu le mérite d’introduire dans la discussion 63 : la possibilité
qu’Athénée ait volontairement modifié la teneur d’une citation doit toujours être
prise en compte. C’est là un point de vue complémentaire, et non contraire, à
l’approche pratiquée par Kurt Zepernick, lequel, comme Christopher Pelling l’a
lui-même souligné, est allé trop loin dans l’attribution de toute variante ou
changement dans les citations d’Athénée à des altérations exclusivement
imputables aux avatars de la tradition manuscrite 64.
Pour juger de la fiabilité des citations de Théopompe chez Athénée, les
données dont nous disposons sont peu nombreuses et problématiques. Il s’agit de
VII, 275b : κρατῶ γὰρ καὶ τῆς λέξεως διὰ τὸ σφόδρα μοι εἶναι προσφιλῆ.
XIII, 610b.
62
Et le narrateur a lui-même pu – ô prodige ! – tout retenir dans sa propre mémoire.
LUKINOVICH 1990, p. 271 n. 48 a recueilli quelques passages des Deipnosophistes qui ont rapport
au thème de la mémoire (défaillante) des citateurs; voir aussi MENGIS 1920, p. 23 et n. 4. Bien
sûr, ce thème n’est pas exclusif d’Athénée ; dans la scène conviviale décrite par Porphyre dans le
fragment qui nous a occupés au début de l’exposé (I), le péripatéticien Prosénès, s’apprêtant à
citer le traité de Protagoras Sur l’être (une œuvre déjà rare), souligne qu’il s’est efforcé de garder
dans sa mémoire la littéralité des paroles qu’il cite : ἐσπούδασα γὰρ αὐταῖς λέξεσι τὰ ῥηθέντα
μνημονεύειν (Eusèbe, PE, X, 3, 24 = Porph., 410F Smith). On accorde volontiers que
l’exploitation de la mémoire et du bagage livresque est un fait de culture que l’art d’Athénée a su
mettre à profit ; il n’en demeure pas moins que cela prend dans les Deipnosophistes des
proportions telles qu’il y a lieu de penser que l’auteur cherche à se concilier par ces clins d’œil
la complicité du lecteur.
63
PELLING 2000.
64
ZEPERNICK 1921 ; PELLING 2000, p. 188.
60
61
THÉOPOMPE
159
ce que nous apprennent les comparaisons entre citations. Dans ce qui suit, nous
allons nous occuper tout d’abord des citations non textuelles (A), puis des
citations textuelles (B). Dans ce deuxième cas interviendront des critères
stylistiques tels que la présence ou l’absence d’hiatus.
A. Les citations non textuelles à l’épreuve de la comparaison
On peut d’abord comparer entre elles des citations non textuelles qui
apparaissent à deux reprises dans les Deipnosophistes. On peut ensuite comparer
certaines citations des Deipnosophistes à des citations parallèles dues à d’autres
auteurs.
1. La comparaison entre citations redoublées au sein même des
Deipnosophistes permet d’esquisser une réponse à la question suivante : les
citations non textuelles consistent-elles seulement à faire passer au style indirect
les mots de Théopompe ? Deux indices peuvent nous guider: la reformulation en
d’autres termes, d’une part, les changements affectant l’ordre de l’énoncé, d’autre
part.
a. La reformulation
Athénée se contente-t-il de faire passer au style indirect les mots de
Théopompe ou reformule-t-il avec ses propres mots? Il est des cas de citations
non textuelles où il s’est borné à reproduire au style direct les mots de
Théopompe : on trouve en effet en deux passages distincts une même citation
formulée dans les mêmes termes, une fois au style direct (citation textuelle),
l’autre au style indirect (citation non textuelle).
X, 443b : Ἀρδιαῖοι δέ, φησί, κέκτηνται προσπελατῶν ὥσπερ εἱλώτων
τριάκοντα μυριάδας.
VI, 271e: Ἀρδιαίους φησὶ κεκτῆσθαι προσπελατῶν ὥσπερ εἱλώτων
τριάκοντα μυριάδας (F 40).
De plus, l’emploi de certains termes relevant proprement des préoccupations
deipnosophistiques n’est pas nécessairement dû à leur insertion par Athénée.
Ainsi, quand, dans une citation non textuelle, Démocrite dit au sujet de Philippe :
καὶ Φίλιππος δ’ ὁ τοῦ Ἀλεξάνδρου πατὴρ φιλοπότης ἦν, ὡς ἱστορεῖ
Θεόπομπος ἐν τῇ ἕκτῃ καὶ εἰκοστῇ τῶν ἱστοριῶν (X, 435a = F 163), on
retrouve ce qualificatif de φιλοπότης appliqué à Philippe dans une citation
textuelle que Démocrite lui-même emprunte peu après au livre LIII des
Philippiques (X, 435c = F 236: ὢν γὰρ φιλοπότης καὶ τὸν τρόπον ἀκόλαστος
καὶ βωμολόχος 65 κτλ.) – ce qui donne à penser que Théopompe employait
effectivement ce terme.
65
La conjecture de Casaubon βωμολόχους, universellement acceptée par les éditeurs, ne
nous semble pas pertinente : συχνούς peut parfaitement remplir une fonction pronominale, τὸν
τρόπον ἀκόλαστος καὶ βωμολόχος est tout à fait naturel et en accord avec le style de Th., et
Th. qualifie Philippe de βωμολόχος dans le F 162 (VI, 260b-c).
160
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
D’un autre côté, certains exemples conduisent à penser que les qualificatifs
sont parfois imputables à Athénée, qui ne reproduit que le sens général du texte
de Théopompe. On lit, par exemple, en X, 415d : περὶ δὲ Θυὸς τοῦ
Παφλαγόνων βασιλέως ὅτι καὶ αὐτὸς ἦν πολυφάγος προειρήκαμεν,
παραθέμενοι Θεόπομπον ἱστοροῦντα ἐν τῇ πέμπτῃ καὶ τριακοστῇ. Est-ce à
dire que Théopompe qualifiait Thys de πολυφάγος ? Si l’on se reporte au
passage auquel Athénée nous renvoie (IV, 144f = F 179), on constate que dans
cette autre citation de Théopompe (non textuelle, elle aussi, mais bien plus
développée) il n’y a rien qui, dans la formulation, corresponde à ἦν πολυφάγος.
Il est donc permis de douter de l’authenticité des qualificatifs employés dans les
citations non textuelles. Ainsi, quand Démocrite affirme dans son catalogue de
flatteurs (κόλακες): Θεόπομπος… Σισύφου φησὶ τοῦ Φαρσαλίου κόλακα
καὶ ὑπηρέτην γενέσθαι Ἀθήναιον τὸν Ἐρετριέα (VI, 252f = F 18), faut-il en
conclure que c’est une reproduction au style indirect des mots de Théopompe, ou
est-ce le sens qui se dégageait de la lecture d’un passage de l’historien ?
Théopompe employait-il les mots κόλαξ et ὑπηρέτης ? Il n’est guère possible
d’en juger.
b. Les changements dans l’ordre de l’énoncé
F 254a (XIII, 586c) et F 254b (XIII, 595d-e) présentent sous deux formes
différentes une même citation sur la conduite d’Harpale. Le F 254b, qui contient
une citation textuelle, présente la séquence de faits suivante :
(citation non textuelle)
(1) Harpale fait venir Glykéra après la mort de Pythionikè ;
(2) il défend qu’on lui offre des guirlandes à moins qu’on n’en offre aussi à la
courtisane ;
(citation textuelle)
(3) il dresse une statue de Glykéra à Rossos, où il va aussi ériger des statues
d’Alexandre et de lui-même ;
(4) il accorde à la courtisane le privilège de vivre dans le palais de Tarse et il
permet qu’on la salue en se prosternant et qu’on l’appelle reine.
Cette séquence de faits s’est transformée dans le F 254a (citation non textuelle)
en ce qui suit :
(1) Harpale fait venir Glykéra après la mort de Pythionikè ;
(4) la courtisane vit dans le palais de Tarse, le peuple la salue en se prosternant et
l’appelle reine ;
(2) Harpale défend qu’on lui offre des guirlandes à moins qu’on n’en offre aussi
à la courtisane ;
(3) il dresse une statue de Glykéra à Rossos, à côté de la sienne et de celle
d’Alexandre.
On ne saurait considérer ces changements dans l’ordre de l’exposé comme une
atteinte à la fiabilité des citations, car ils ne modifient pas substantiellement la
qualité de l’information transmise. Toutefois, cela contribue à démontrer que les
THÉOPOMPE
161
citations non textuelles ne sont pas une pure reproduction des mots de
Théopompe au style indirect. La modification de l’ordre des phrases n’est en fait
qu’une des multiples formes que peut prendre l’immixtion du citateur.
2. La comparaison de citations non textuelles avec des citations parallèles
extérieures aux Deipnosophistes est rarement possible. Le seul cas vraiment
significatif a déjà retenu notre attention 66 : à en juger par ce que nous lisons chez
Harpocration (F 99), Ulpien est imprécis lorsqu’il cite Théopompe à propos
d’Eubule (F 100). C’est le seul cas parmi tous les fragments de Théopompe issus
des Deipnosophistes qui soulève des doutes bien fondés quant à la fiabilité
d’Athénée ; et nous avons déjà vu en quoi a pu consister la « trahison » de
l’original. Il faut souligner qu’on observe là encore une tendance à classer un
personnage dans une catégorie, en l’occurrence celle des « dissipateurs »
(Εὔβουλον ἄσωτον γενέσθαι), tout comme dans les cas que nous considérions
tout à l’heure (πολυφάγος, κόλαξ, φιλοπότης) 67. Vu que dans le fragment sur
Eubule nous avons des raisons de croire qu’on a faussé le sens des paroles de
Théopompe, peut-être n’est-il pas illégitime d’adopter un certain scepticisme à
l’égard des qualificatifs catégoriques employés par Athénée dans ses citations
non textuelles, surtout lorsque ceux-ci se rapportent directement à la terminologie
typiquement deipnosophistique 68.
B. Les citations textuelles à l’épreuve de la comparaison
Pour ce qui est des citations textuelles, on dispose d’éléments plus substantiels
pour juger de leur fiabilité : en premier lieu, des informations sur le style de
Théopompe, notamment le fait que l’historien cherchait à éviter rigoureusement
l’hiatus 69 ; en second lieu, des citations parallèles s’offrant à une comparaison.
1. La pratique de l’hiatus
La pratique de l’hiatus chez Théopompe a déjà été étudiée, il y a longtemps,
dans l’ouvrage vénérable de G. E. Benseler, De hiatu in oratoribus Atticis et
historicis Graecis 70. En comparant avec les fragments les indications de Cicéron,
de Denys et de Quintilien au sujet du traitement de l’hiatus chez Théopompe,
Benseler a conclu que l’historien avait systématiquement évité l’hiatus et que
ceux que l’on pouvait observer dans les citations textuelles parvenues jusqu’à
Ci-dessus (III).
Ci-dessus (VI.A.1.a).
68
Un tel soupçon se trouve légitimé par l’étude des citations d’Hérodote dans les
Deipnosophistes (voir, dans ce volume, la contribution de Dominique LENFANT, III.D.1).
69
Pour le style de Th. en général, BLASS 1892, p. 419-426 demeure toujours fondamental.
Voir aussi KALISCHEK 1913, p. 29-61 (à considérer avec précaution) et les aperçus proposés en
aval de la publication des Helléniques d’Oxyrhynchos, surtout GRENFELL & HUNT 1908, p. 127139 et FRANZ 1910, p. 8-26, 31-32. Pour la perception du style de Th. par les critiques anciens,
voir enfin RHYS ROBERTS 1908. La critique plus récente n’a rien apporté de substantiel dans ce
domaine.
70
BENSELER 1841, p. 198-204.
66
67
162
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
nous étaient dus à la négligence des citateurs, qui avaient pu ajouter ou omettre
des mots, ou changer l’ordre de ceux qu’on lisait chez Théopompe.
Ces conclusions doivent être nuancées. Certes, nombreux sont les exemples
qui nous montrent que Théopompe a évité l’hiatus avec une rigueur isocratique.
Certes, à côté d’exemples où il n’y a point d’hiatus, il y a aussi des cas, dans des
citations apparemment textuelles, où l’on repère des hiatus incompatibles soit avec
les règles strictes de l’usage isocratique, soit même avec les critères moins rigoristes d’une pratique plus relâchée – que la main du citateur s’y soit immiscée
sournoisement est tout à fait envisageable et parfois même démontrable. Toujours
est-il que Benseler a été trop catégorique dans ses conclusions et que l’observation
des faits soulève des doutes quant à l’interprétation de quelques cas isolés71.
On peut prendre comme exemples du rigorisme isocratique dans le traitement
de l’hiatus les F 122a, F 124 et F 253 72. L’absence d’hiatus s’y accompagne de
l’impression que nous sommes en face du style caractéristique de Théopompe : la
présence dans les trois fragments d’une tournure particulière comme l’emploi de
φανήσεται + participe en témoigne assez. Il n’y a là rien qui permette de douter
de la textualité des citations et il est même difficile de concevoir que ces textes
soient arrivés jusqu’aux Deipnosophistes autrement que par emprunt direct à la
source originale.
À l’extrême opposé, on trouve des cas comme le F 193, où les hiatus sont si
nombreux et fréquents que l’on s’est vu contraint de chercher des expédients pour
surmonter les difficultés auxquelles nous confronte l’attribution explicite de ce
fragment au livre XL des Philippiques 73. En effet, Wichers soutenait déjà qu’étant
71
BLASS 1892, p. 422, FRANZ 1910, p. 9-10 et KALISCHEK 1913, p. 30-36 ont tous nuancé le
travail de Benseler, notant que, même dans les discours d’Isocrate, il y a toute une série d’« hiatus
tolérables» (ceux où interviennent, par exemple, καί, ὅτι, τί, τι, περί, πρό, etc., ou les formes de
l’article avec finale vocalique). Cependant, on ne saurait tirer de là une règle nous entraînant à
considérer comme des hiatus voulus par l’auteur toutes les occurrences de ces « hiatus tolérables»
dans les fragments de Th. La question est complexe : un hiatus est toujours perçu comme un
hiatus; qu’il soit plus ou moins tolérable ne dépend pas d’une norme stéréotypée et fixe, mais
d’une série de facteurs subtils (concernant non seulement le son, mais aussi le rythme) qui nous
échappent dans leur complexité. Ainsi, Denys d’Halicarnasse (Composition des mots, 22, 41), qui
est l’une de nos sources principales pour cette sorte de questions, considère par exemple que dans
la phrase du proème de Thucydide (I, 1, 1) καὶ ἐλπίσας μέγαν τε ἔσεσθαι καὶ ἀξιολογώτατον
τῶν προγεγενημένων il y a trois hiatus – donc, deux entraînés par καί – qui perturbent la
rondeur rythmique du kôlon. Or, c’est précisément de l’entourage de Denys que proviennent les
renseignements sur la proscription de l’hiatus et sur la rondeur rythmique des kôla comme traits
caractéristiques de la prose de Th. et c’est dans les appréciations stylistiques de cet entourage que
nous devons chercher des précisions sur la perception de cette pratique. Le rapprochement avec
la pratique isocratique nous apporte un cadre de référence général : il suffit de constater que
l’hiatus est un phénomène pratiquement inexistant dans le discours XIII Contre les sophistes pour
comprendre ce qu’on veut dire lorsqu’on soutient que Th. a suivi et même surpassé son maître en
ce domaine (Cic., Orat., 151; Quint., IX, 4, 35). Il reste pourtant à préciser si cette observation
sur la condamnation trop maniérée de l’hiatus porte sur la totalité de la production
théopompéenne ou sur des passages dont le style a été considéré comme caractéristique.
72
F 122a (Ath. VI, 265b-c). F 124 (Ath. VI, 252a-c). F 253 (Ath. XIII, 595a-c).
73
VI, 231f-232b (F 193): λέγει δ’ οὕτως ὁ Θεόπομπος · ἦν γὰρ τὸ παλαιὸν τὸ ἱερὸν
⌣
κεκοσμημένον χαλκοῖς ἀναθήμασιν, οὐκ ἀνδριᾶσιν, ἀλλὰ λέβησι καὶ τρίποσι χαλκοῦ
πεποιημένοις. Λακεδαιμόνιοι οὖν χρυσῶσαι βουλόμενοι τὸ πρόσωπον τοῦ ἐν
⌣
⌣
THÉOPOMPE
163
donné son contenu, ce fragment devait plutôt remonter à l’écrit Sur les biens
pillés à Delphes et c’est en se fondant sur la fréquence des hiatus que Blass lui
donna raison 74. Benseler alla même jusqu’à penser qu’Athénée s’était trompé en
attribuant ce fragment à Théopompe 75. Kaibel signalait dans l’apparat critique de
son édition (en VI, 231f-232b) que ces hiatus devaient être imputés à
l’épitomateur de l’editio maior des Deipnosophistes – laquelle, soit dit en
passant, n’est qu’un mythe 76. Enfin, on a aussi supposé que, puisque Athénée
citait conjointement Phainias et Théopompe, ce qu’il reproduisait ici était en fait
la citation de Théopompe par Phainias 77.
Quoi qu’il en soit de la pertinence de ces hypothèses, il faut remarquer que le
registre de ce F 193 est tout autre que celui des F 122a, F 124 et F 253, qui,
comme la plupart des fragments transmis par Athénée 78, transmettent un
jugement de valeur de Théopompe sur la conduite et le caractère de personnes ou
de peuples: le style affecté et pathétique s’harmonise avec la nature de ces
passages; or, dans le jugement de Denys, l’affectation de Théopompe dans le
traitement de l’hiatus et dans l’emploi de périodes rythmiques, d’antithèses et
d’isokôla est précisément mise en rapport avec ces passages où l’historien se
laissait emporter par l’indignation, aussi bien dans son œuvre historique que dans
ses Lettres de Chios (T 20a) 79. En revanche, le F 193 se fait remarquer parmi tous
les passages de Théopompe cités par Athénée du fait de son style éminemment
narratif et de son allure presque hérodotéenne. Cette différence de style et de
registre a-t-elle un rapport possible avec la présence d’hiatus?
G. Kaibel avait jadis formulé cette idée qu’Éphore et Théopompe n’auraient
eu recours à un style affecté et solennel, «isocratiquement » maniéré, que dans les
passages où ils adoptaient le registre épidictique, tandis que le récit aurait
présenté chez eux un style simple et sans prétention 80. Une telle hypothèse a le
Ἀμύκλαις Ἀπόλλωνος καὶ οὐχ εὑρίσκοντες ἐν τῇ Ἑλλάδι χρυσίον πέμψαντες εἰς
⌣ οὗ χρυσίον πρίαιντο. ⌣ὁ δ’ αὐτοῖς ἀνεῖλεν παρὰ Κροῖσον
θεοῦ ἐπηρώτων τὸν θεὸν παρ’
⌣
⌣
τὸν Λυδὸν πορευθέντας ὠνεῖσθαι παρ’ ἐκείνου.
καὶ οἱ πορευθέντες παρὰ
Κροίσου ὠνήσαντο. Ἱέρων δ’ ὁ Συρακόσιος βουλόμενος⌣ ἀναθεῖναι τῷ θεῷ τὸν
τρίποδα ⌣καὶ τὴν ⌣
Νίκην ἐξ ἀπέφθου χρυσοῦ ἐπὶ πολὺν χρόνον ἀπορῶν
χρυσίου ὕστερον ἔπεμψε τοὺς ἀναζητήσοντας εἰς τὴν⌣Ἑλλάδα · οἵτινες μόλις ποτ’ εἰς
⌣ ἀφικόμενοι καὶ ἐξιχνεύσαντες εὗρον παρ’ Ἀρχιτέλει τῷ⌣Κορινθίῳ, ὃς πολλῷ
Κόρινθον
⌣ μικρὸν θησαυροὺς εἶχεν οὐκ ὀλίγους. ἀπέδοτο⌣γοῦν τοῖς
χρόνῳ συνωνούμενος κατὰ
παρὰ τοῦ Ἱέρωνος ὅσον ἠβούλοντο, καὶ μετὰ ταῦτα πληρώσας καὶ τὴν ἑαυτοῦ
⌣ ἠδύνατο χωρῆσαι ἐπέδωκεν αὐτοῖς. ἀνθ’ὧν Ἱέρων πλοῖον σίτου
χεῖρα ὅσον
⌣
καὶ ἄλλα
πολλὰ δῶρα ἔπεμψεν ⌣
ἐκ Σικελίας. Nous donnons le texte des manuscrits, sans les
⌣
athétèses proposées par ⌣
les éditeurs. Bien sûr, dans de nombreux cas, il s’agit d’« hiatus
tolérables», mais cela ne diminue point l’incidence du phénomène, dont la signification gagne à
être comparée avec l’inexistence d’hiatus dans les fragments F 122a, F 124 et F 253.
74
WICHERS 1829, p. 239-239 (comm. au frg. 219); BLASS 1892, p. 422 et n. 9.
75
BENSELER 1841, p. 202.
76
Voir surtout LETROUIT 1991 et RODRÍGUEZ-NORIEGA GUILLÉN 2000, qui reprennent et
approfondissent les thèses de WISSOWA 1913 et surtout de DÜRING 1936.
77
ZECCHINI 1989a, p. 53.
78
Voir ci-dessus (III).
79
Denys d’Halicarnasse, Lettre à Pompée, 6, 9-10 (T 20a). Voir la réinterprétation de cet
important passage dans CHÁVEZ REINO (à paraître).
80
KAIBEL 1893, p. 109-110.
164
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
mérite de nous rappeler que nous ne pouvons prendre, par exemple, les cinquantehuit livres des Philippiques pour un monolithe littéraire, que cette œuvre riche et
variée devait fréquemment changer de registre. Peut-être seuls certains de ces
registres se faisaient-ils remarquer par une exclusion trop maniérée de l’hiatus,
relevant d’une recherche affectée de la λειότης et l’εὐέπεια, ce qui a été
considéré comme un trait typiquement isocratique. En tout cas, c’est un fait que
le jugement stylistique que l’Antiquité nous a légué à propos de Théopompe, y
compris ce qui touche à l’hiatus, porte exclusivement sur un certain type de
passages dans lesquels le pathétisme, le ton judiciaire et l’allure oratoire jouaient
un rôle capital 81.
Cette interprétation semble confirmée par ce qui arrive dans les fragments de
l’opuscule Sur les biens pillés à Delphes (F 247, F 248, F 249). Pour y avoir
constaté un grand nombre d’hiatus, F. Blass supposa qu’Athénée avait eu cette
fois devant lui non pas un écrit soigné et fini, mais une ébauche ou un recueil de
matériaux 82. Peu disposé à croire qu’un écrit de Théopompe ait pu se conserver
sous une telle forme, Jacoby imputa la responsabilité des hiatus à Athénée, qui
aurait, selon lui, abrégé le texte de Théopompe d’une manière drastique 83.
Pourtant, cette hypothèse ne peut s’appliquer qu’au F 248, où la forme du
catalogue et la richesse des informations justifieraient le recours à un tel procédé
de la part d’Athénée ; en revanche, l’idée ne peut s’appliquer au F 249, qui, tout
en étant exempt de la moindre marque d’abrégement, contient cependant des cas
flagrants d’hiatus. La conclusion qu’il s’agissait d’un ouvrage écrit dans un autre
registre, permissif avec les hiatus, paraît dès lors la plus satisfaisante.
Entre ces deux extrêmes – l’absence absolue d’hiatus dans des cas comme les
F 122a, F 124 ou F 253, et sa présence apparemment tolérée dans le F 193 ou les
fragments du Sur les biens pillés à Delphes – nous trouvons une multitude
d’exemples où, comme l’indiquait déjà Benseler, les hiatus semblent dus à de
petites intrusions dans les textes (modifications, ajouts ou omissions) plutôt qu’à
l’état du texte original.
Ainsi, Ἀπολλοκράτης ὁ Διονυσίου τοῦ τυράννου υἱός (X, 436a = F 185)
ou Νυσαῖος ὁ Διονυσίου τοῦ προτέρου υἱός (X, 436a = F 187) sont
manifestement des ajouts du citateur plutôt qu’une platitude due à Théopompe.
En d’autres cas, l’intrusion consiste à banaliser les formes sans considération
pour les hiatus. On en trouve un exemple clair et contrôlable dans le F 225b (VI,
260d-261a), que nous analyserons de suite : là où chez Athénée on lit τοὺς μὲν
κοσμίους τὰ ἤθη, on trouve chez Polybe (VIII, 9, 7) ce qui, selon toute
vraisemblance, était l’expression de Théopompe : τοὺς μὲν κοσμίους τοῖς
ἤθησι. Il y a enfin des fragments où l’accumulation d’hiatus survient en fin de
fragment. Le F 40 (X, 443b-c) en offre un bel exemple : après quelques
propositions cadencées et sans hiatus, une dernière phrase présentant des hiatus
vient clore hâtivement le fragment. Benseler en déduisait déjà que la phrase finale
devait être attribuée à Athénée, qui avait résumé en peu de mots ce que
Voir le travail signalé dans la note 79.
BLASS 1892, p. 406-407.
83
JACOBY 1930, FGrHist IID, p. 389 (comm. à F 247-248).
81
82
THÉOPOMPE
165
Théopompe racontait plus longuement 84. De même, dans le F 224 (IV, 166f167c), la phrase ἔπειτα δ’ οἱ ἑταῖροι αὐτοῦ ἐκ πολλῶν τόπων ἦσαν
συνερρυηκότες présente une accumulation d’hiatus étrangère au registre dans
lequel le passage a été rédigé ; elle aussi donne l’impression de précipiter la
cadence du texte et pourrait peut-être recouvrir une omission ou un raccourci.
Avec les réserves et les nuances que nous avons signalées, la présence de
l’hiatus dans les citations textuelles empruntées à Théopompe dans les
Deipnosophistes confirme qu’on ne saurait confondre citation textuelle et citation
littérale. Les hiatus révèlent, en effet, l’existence d’intrusions dont l’importance,
faible dans quelques cas contrôlables, pourrait être plus considérable lorsqu’on a
raccourci ou écourté le texte original – circonstance que nous pouvons tout au
plus inférer, jamais prouver. Néanmoins, la présence de l’hiatus ne dénote pas des
altérations substantielles dans les citations de Théopompe, comme le confirment
les rares occasions où l’on peut comparer des citations textuelles issues des
Deipnosophistes avec des citations textuelles tirées d’autres sources.
2. La comparaison avec des citations parallèles issues d’autres sources est,
en effet, après les considérations stylistiques que l’on vient d’évoquer, un
deuxième critère permettant d’apprécier la fiabilité des citations textuelles. Elle
n’est en fait possible que dans deux cas, qui sont d’intérêt inégal.
Le premier est peu significatif et problématique, tant par la brièveté du
fragment que par le fait qu’on ne dispose pour lui que de l’Épitomé. En toute
rigueur, nous ne savons même pas si la citation originale était dans ce cas
textuelle ou non textuelle, car l’auteur de l’Épitomé n’a pas toujours respecté les
formes de sa source 85.
Dans la description de l’expédition du roi de Perse contre l’Égypte (F 263a),
que le sagace auteur du traité Du sublime cite in extenso pour démontrer comment
quelques mots peuvent ruiner un passage superbe, on lit la phrase πολλοὶ μὲν
ἀρτυμάτων μέδιμνοι, πολλοὶ δὲ [οἱ] θύλακοι καὶ σάκοι καὶ χάρται βυβλίων
καὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων χρησίμων 86. Dans les Deipnosophistes, en II, 67f
(donc dans l’Épitomé), on tire de ce même passage, comme exemple de l’usage
du mot ἀρτύματα, la citation πολλοὶ μὲν ἀρτυμάτων μέδιμνοι, πολλοὶ δὲ
σάκκοι καὶ θύλακοι βιβλίων καὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων τῶν χρησίμων πρὸς
τὸν βίον (F 263b). Sous la forme qu’elle présente dans le traité Du sublime, la
phrase soulève quelques problèmes d’interprétation qu’on a cherché à contourner
en modifiant le texte pour le rapprocher du témoignage d’Athénée : ainsi a-t-on
proposé d’éliminer du texte οἱ θύλακοι et καὶ χάρται comme s’il s’agissait de
gloses et de suppléer <τῶν> χρησίμων <πρòς τὸν βίον>. Il en résulte le texte
BENSELER 1841, p. 199.
De fait, l’auteur de l’Épitomé tend normalement, pour les auteurs en prose, à rendre en style
indirect ce qu’Athénée cite en style direct ; mais il ne manque pas d’exemples attestant le procédé
contraire : on comparera, par exemple, la citation non textuelle de Th. en VI, 249c (F 209) avec
le passage correspondant de l’Épitomé (PEPPINK I, p. 97), qui est en style direct et pourrait être
pris pour une citation textuelle.
86
Longin, 43, 2 (F 263a).
84
85
166
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
que Jacoby a édité d’après les conjectures d’O. Immisch 87, qui considérait que
καὶ θύλακοι devait aussi être éliminé du texte d’Athénée en tant que glose. Il
s’ensuivrait qu’aussi bien Athénée que le Ps.-Longin auraient emprunté leurs
citations à une tradition glosée de l’ouvrage de Théopompe.
Mais tout cela n’a guère de fondement. La citation assez étendue qu’on lit
chez le Ps.-Longin, qui est un bon exemple du style du Théopompe le plus
inspiré, ne contient aucune trace de grave altération: il n’y a, en fait, aucun cas
d’hiatus et le style est fort caractéristique. Par rapport au traité Du Sublime, on
observe chez Athénée une simplification de la séquence remarquable θύλακοι
καὶ σάκοι καὶ χάρται et une inversion dans l’ordre des deux premiers éléments.
De plus, à l’expression vague τῶν ἄλλων ἁπάντων <τῶν> 88 χρησίμων, qui a
un pendant dans le πολλαὶ σκηναὶ χρυσαῖ κατεσκευασμέναι πᾶσι τοῖς
χρησίμοις qu’on lit un peu plus haut, correspond chez Athénée l’expression plus
arrondie, mais aussi plus banale τῶν ἄλλων ἁπάντων τῶν χρησίμων πρὸς τὸν
βίον 89. Tous ces changements évoquent le genre d’altération que l’on observe
dans la version de l’Épitomé par rapport au texte original des Deipnosophistes.
Serait-il donc trop hardi de dire qu’ils sont dus au travail de l’épitomateur?
L’autre exemple revêt une importance de premier ordre. Dans le domaine de
l’historiographie fragmentaire, c’est peut-être, comme Jacoby l’a déjà signalé, le
cas le plus important pour juger de la fiabilité des citations d’Athénée 90. Il s’agit
du jugement de Théopompe sur Philippe et sur son entourage, jugement que l’on
trouve à la fois dans deux passages des Deipnosophistes 91 et dans un passage de
Polybe (VIII, 9, 6-13) conservé dans les Excerpta de virtutibus et vitiis et, par
morceaux dispersés, dans quelques articles de la Souda (F 225a) 92.
On ne peut s’attarder ici à étudier les différents contextes qui abritent ces
citations, et moins encore la question de la vision de Philippe et de son entourage
chez Théopompe. On se bornera à ce qui touche directement la question de la
fiabilité des citations d’Athénée.
Athénée et Polybe prétendent ici l’un et l’autre citer textuellement : Athénée
fait usage de structures dont il se sert normalement pour introduire des citations
textuelles (τάδε γράφει, γράφων οὕτως); quant à Polybe, il dit expressément
qu’il reproduit les paroles de Théopompe (αὐταῖς λέξεσιν, αἷς ἐκεῖνος
JACOBY 1927-9 (IIB), p. 592 (F 263a); IMMISCH 1925, p. 27.
C’est la seule conjecture bien fondée.
89
Cf. Hypéride, Oraison funèbre, 3, 9 : τῶν ἄλλων ἁπάντων τῶν εἰς τὸν βίον χρησίμων
et Diodore, XI, 34, 3: τῶν ἄλλων ἁπάντων τῶν εἰς πόλεμον χρησίμων.
90
JACOBY 1930, FGrHist IID, p. 387 (comm. à F 224-225).
91
IV, 166f-167c (= F 224, Ulpien περὶ ἀσώτων) et VI, 260d-261a (= F 225b, Démocrite περὶ
κολάκων).
92
Démétrios, Du Style, 27 (F 225c) commente lui aussi deux phrases frappantes contenues
dans ce jugement (cf. ibid., 247 = T 44), mais, à voir les témoignages de Polybe et d’Athénée,
l’emprunt est assez libre. Pour rendre plus aisé le commentaire, nous avons dressé un tableau
contenant de façon schématique les textes d’Athénée et de Polybe (tableau II). Comme les
passages de la Souda n’apportent pas un témoignage indépendant, mais sont empruntés aux
mêmes excerpta auxquels nous devons la conservation du texte de Polybe, ils ne figurent pas dans
ce tableau.
87
88
THÉOPOMPE
167
κέχρηται, κατατετάχαμεν). Pour juger de l’accord entre ces prétentions et la
réalité des citations, il faut tout d’abord tenir compte de ce que le texte de Polybe
est arrivé jusqu’à nous par tradition indirecte : aussi fidèles que les excerpta
puissent être à l’original, il demeure toujours possible que les savants byzantins
aient laissé trace de leur travail dans le texte de la citation 93 – notamment par le
biais d’omissions.
De fait, ce qu’il y a de plus remarquable quand on compare la citation de
Polybe avec celles d’Athénée, c’est précisément que Polybe semble omettre des
morceaux de texte qui sont cités par Athénée. Or, Bob Milns a signalé qu’à
l’emplacement des morceaux omis on trouvait des expressions justement
susceptibles d’indiquer l’omission d’une certaine quantité de texte : καθόλου
γάρ dans le premier cas, ἁπλῶς δ’ εἰπεῖν dans le second. Selon Milns, Polybe
aurait lui-même introduit ces deux expressions pour signaler les coupures 94.
Cela soulève pourtant une difficulté : καθόλου est, certes, un mot du goût de
Polybe, qui emploie une fois au livre IV (53, 3) l’expression καθόλου γάρ. Par
contre, ἁπλῶς δ’εἰπεῖν n’est pas du tout une expression polybienne. Or Milns n’a
pas tenu compte du fait que le texte de Polybe est arrivé jusqu’à nous par
l’intermédiaire des Excerpta Constantiniana. Donc, si son hypothèse est valable,
les omissions et les formules qui s’y rapportent pourraient être le fait de ceux qui
ont tiré les extraits, et non pas de Polybe. De fait, ἁπλῶς εἰπεῖν est une
expression assez courante dans la prose byzantine et nous pouvons la lire, tout
aussi bien que καθόλου γάρ, dans d’autres passages des excerpta.
Si l’on n’accepte pas l’hypothèse de Milns, nuancée dans le sens que nous
avons indiqué, l’autre choix consisterait à penser que les formules expéditives
καθόλου γάρ et ἁπλῶς δ’ εἰπεῖν appartiennent au texte de Théopompe 95 et que
Polybe a coupé ce texte à deux occasions, sans rien indiquer la première fois et
en signalant la deuxième coupure au moyen d’un φησί parenthétique 96.
Toute autre explication du phénomène des lacunes dans le texte de Polybe
– comme celle qui veut que Polybe et Athénée aient utilisé deux versions
différentes de l’ouvrage de Théopompe ou celle qui prétend qu’Athénée a ajouté
ses propres commentaires au texte de l’historien – nous paraît difficile à soutenir.
Quant au texte commun, la comparaison des citations d’Athénée et de Polybe
révèle, tout simplement, que les deux auteurs ont reproduit, comme ils le
93
Une simple comparaison des Excerpta de virtutibus et vitiis avec la partie de l’œuvre de
Polybe conservée par tradition manuscrite directe démontre, en effet, que les excerpteurs ont
fréquemment modifié le texte. Reste à étudier en détail et de façon systématique la nature, la
fréquence et la régularité de ces altérations.
94
MILNS 1968.
95
Athénée (VI, 260d-261a = F 225b) commence sa citation directement avec le nom
Φίλιππος ; il se serait donc passé, après tout, de reprendre la locution conjonctive et l’article
(καθόλου γὰρ ὁ), ce qui est tout à fait normal.
96
Ce qui est une démarche courante pour signaler un raccourci dans une citation. Quant aux
raisons pour lesquelles Polybe a pu omettre les considérations de Th. à propos des compagnons
de Philippe, voir l’hypothèse de BEARZOT 1986, p. 101 n. 48.
168
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
prétendent, les mots de Théopompe. Il y a, bien sûr, des différences, qui sont
même nombreuses 97. Parfois, c’est la version de Polybe qui paraît la plus fidèle à
l’original, mais, le plus souvent, c’est celle d’Athénée qui semble avoir le
dessus 98. Ainsi, Polybe a l’avantage avec τοῖς ἤθησι en face de τὰ ἤθη; le texte
d’Athénée semble en revanche plus exact avec ἐν κύβοις καὶ πότοις
– expression qui revient telle quelle au F 49 (XII, 527a) – en face de ἐν μέθαις
καὶ κύβοις 99 ; avec l’interrogation rhétorique οὐχ οἱ μὲν ξυρούμενοι κτλ.,
caractéristique du style «pathétique » de Théopompe 100, en face de ὧν οἱ μὲν
ξυρόμενοι κτλ.; avec παρεῖχον. ὅθεν en face de παρείχοντο. ὅθεν ; et surtout
avec οὐχ ἑταίρους ἀλλ’ ἑταίρας ὑπέλαβεν en face de la formule simplifiée οὐχ
ἑταίρους ὑπελάμβανεν εἶναι. Mais, en fin de compte, ces différences ne sont
au fond que des vétilles, des changements accidentels qui n’atteignent pas
fondamentalement le sens. Si l’on tient compte des péripéties de la transmission
des textes et que l’on n’oublie pas que le passage de Polybe nous est parvenu dans
des extraits du Xe siècle ap. J.-C., on pourrait même dire que ce sont des
différences insignifiantes.
Tout bien pesé, la principale conclusion à tirer de cette comparaison corrobore
ce que d’autres textes et d’autres comparaisons nous ont déjà appris, c’est-à-dire
que nous ne saurions confondre « citation textuelle » avec «citation littérale ». Les
citations d’Athénée que Jacoby a éditées comme F 224 et F 225b sont des
citations textuelles, c’est-à-dire qu’elles reproduisent le texte de Théopompe. La
structure dont Athénée s’est servi dans les deux cas l’indique clairement, tout
comme la comparaison avec la citation textuelle parallèle de Polybe. La fiabilité
d’Athénée est, de ce point de vue, intacte. Mais, d’un autre côté, les différences
mineures que révèle la comparaison indiquent que le concept de textualité
n’équivaut pas à celui de littéralité. La littéralité n’a peut-être pas de place dans
les citations d’Athénée, que ce soit par l’action du citateur ou en raison du
processus de la transmission manuscrite, dans ces deux phases insondables que
sont pour nous la tradition qui précède et celle qui suit l’acte ponctuel de citation.
Dans le tableau II, nous avons marqué les divergences au moyen de caractères gras.
Les opinions ne sont pas unanimes sur ce point : par exemple, BRUNT 1980, p. 481 et
FLOWER 1994, p. 105 et n. 12 donnent l’avantage à la «version » d’Athénée ; par contre, WALBANK
1967, p. 82, REED 1976, p. 86-87 et PELLING 2000, p. 188 considèrent celle de Polybe comme plus
fidèle, sans pour autant avancer d’argument. Depuis KOCH 1803, p. 31-35, WICHERS 1829, p. 112113 (frg. 249) et THEISS 1837, p. 6-9 (frg. II), on a traditionnellement tiré des deux « versions» un
seul texte, comme s’il s’agissait de deux témoins apparentés d’une même tradition manuscrite.
C’est dire à quel point on tient à ignorer le gouffre existant entre une citation qu’on lit dans une
œuvre du IIe-IIIe siècle ap. J.-C. conservée dans une seule famille de manuscrits et une citation
qu’on lit dans un extrait tiré au Xe siècle ap. J.-C. d’une œuvre du IIe siècle av. J.-C.
99
L’expression de Polybe a pourtant elle aussi une matrice théopompéenne : voir F 134 (VI,
261b), εἰς μέθας καὶ κύβους. On trouve aussi d’autres variantes: μέθαις καὶ πότοις (XII, 543c
= F 20, Helléniques); et, d’après une conjecture de Kaibel, ἐν πότοις <καὶ> κύβοις (XII, 532d
= F 213).
100
Voir, par exemple, F 124 (VI, 252a-c) et F 263a (Longin, 43, 2 : οὐ πολλαὶ μὲν καὶ
πολυτελεῖς στρωμναὶ καὶ χλανίδες κτλ. ;).
97
98
THÉOPOMPE
*
*
169
*
Parvenus au terme de ce long parcours, nous nous garderons de tirer des
conclusions générales. Nous sommes convaincus que la mise en commun
d’expériences raisonnées et de données factuelles est la voie la plus sûre pour
parvenir à maîtriser la réalité des citations chez Athénée, et, par là, à s’introduire
dans les secrets de la construction des Deipnosophistes. L’enjeu de cette mise en
commun ne nous échappe pas: il s’agira, pour une large part, de rapprocher
l’expérience de ceux qui ont étudié les citations d’historiens conservés avec
l’acquis de nous autres, qui nous sommes occupés de l’étude des citations
d’historiens fragmentaires. Les travaux de Delfino Ambaglio et de Dominique
Lenfant ont déjà par le passé signalé quelles leçons l’on pouvait tirer des citations
qu’Athénée emprunte à des auteurs que nous conservons 101 ; les études menées à
l’occasion du colloque de Strasbourg viendront sans doute approfondir et nuancer
ces leçons, et l’on sera en état d’extrapoler cet acquis en le faisant porter sur le
domaine des historiens fragmentaires. Notre dernière réflexion portera justement
sur cette extrapolation: il est à craindre qu’elle puisse difficilement apporter des
points de repère génériques, même si l’on peut dégager les constantes qui, à
travers les particularités individuelles, ont régi la mécanique de citation chez
Athénée et qui mettent sous nos yeux une réalité déconseillant tout enthousiasme
candide quant à la littéralité et la spécularité des citations. Mais ce sont justement
ces particularités individuelles qui contribuent à obscurcir le problème, laissant
toujours subsister cette question de savoir si Athénée n’aurait pas privilégié
jusque dans sa façon de citer certains auteurs au détriment des autres, faisant par
là de la citation un instrument non seulement du jeu sophistique, mais aussi de la
critique littéraire.
101
AMBAGLIO 1990 et LENFANT 1999, p. 113-116.
170
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
Tableau I
Les citations de Théopompe dans les Deipnosophistes ordonnées
d’après les personnages qui ont la parole et les sujets dont ils traitent
Qui a la parole ?
Quel est le sujet ?
Localisation de la citation
CYNULCUS
Le sumposion de
Parméniscos
IV, 157d-e (F 57)
DÉMOCRITE
Sur le citron
III, 85a-b (T 28a ; F 181a)
Sur les flatteurs
VI, 249c (F 209)
VI, 249c-d (F 280)
VI, 252a-c (F 124)
VI, 252f (F 18)
VI, 254b (F 281)
Sur les esclaves
VI, 265b-c (F 122a)
Sur les dosages de
vin pratiqués par les
anciens (catalogue
de gros buveurs)
X, 435a (F 163)
X, 435b (F 282)
X, 435b-c (F 236)
X, 435d (F 283a)
X, 435e-f (F 188)
X, 435f-436a (F 185)
X, 436a (F 186)
ÉMILIEN
VI, 254f (F 170)
VI, 259f-260a (F 81)
VI, 260b-c (F 162)
VI, 260d-261a (F 225b)
VI, 261a-b (F 134)
X, 436a-b (F 187)
X, 436b (F 210)
X, 436b-c (F 143)
X, 442e-f (F 139)
X, 442f-443a (F 227)
X, 443a-b (F 39)
X, 443b-c (F 40)
Sur les couronnes XV, 676c-d (F 106b)
Peut-on démontrer VI, 230e-f (F 252)
que les anciens se
servaient de
couverts en argent ?
LARENSIS
Sur la modération
des anciens
Romains
VI, 275b (F 36)
MAGNUS
Sur les figues
III, 77d-e (F 237a)
MASURIUS
Sur les sumposia
V, 213f (F 73)
Platon commet
V, 217d (F 279)
beaucoup d’erreurs
chronologiques
Sur les esclaves
VI, 271c-d (F 171)
VI, 271d (F 176)
Sur la musique
XIV, 616d-e (F 108)
VI, 271e (= F 40)
VI, 272a (F 13)
THÉOPOMPE
Qui a la parole ?
MYRTILOS
PLUTARQUE
Quel est le sujet ?
171
Localisation de la citation
Sur les courtisanes XIII, 573c-e (F 285a) XIII, 595a-c (F 253)
XIII, 586c (F 254a) XIII, 595d-e
(F 254b)
Sur les mignons
XIII, 604f-605a (F 247)
XIII, 605a-d (F 248)
Femmes célèbres XIII, 609b (F 240)
pour leur beauté
Sur les moqueurs
XIV, 616d-e (F 108)
Sur les banquets
IV, 144f (F 179) IV, 149d (F 215)
IV, 145a (F 113)
Oies engraissées
IX, 384a (F 106a)
Sur les vases à boire XI, 468d (F 284) XI, 476d-e (F 38)
PONTIANUS
L’or fut une matière VI, 231e-232b (F 193)
vraiment rare dans
la Grèce de jadis
Sur l’ivresse et les X, 444e-445a (F 121)
excès dus au vin
Sur les plagiats
dans les dialogues
de Platon
ULPIEN
XI, 508c-d (F 259)
Sur les dissipateurs IV, 166d-e (F 100 ; F 97)
IV, 166f-167c (F 224)
IV, 166e-f (F 233)
Sur les desserts
XIV, 650a (F 133)
Sur les viandes et la XIV, 657b-c (F 22)
volaille
172
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
Interventions du narrateur
Qui a la parole ?
NARRATEUR
Quel est le
Localisation de la citation
sujet ?
Le lièvre
IX, 401a-b (F 126a)
Sur les gloutons X, 412b (T 4)
X, 415d (= F 179)
Sur ceux qui se
sont rendus
célèbres par leur
truphè
XII, 517d-518b (F 204)
XII, 526c (F 117)
XII, 526d-e (F 62)
XII, 526f-527a (F 132)
XII, 527a (F 49)
XII, 531a-d (F 114)
XII, 531e-532a (F 31)
XII, 532a-b (F 105)
XII, 532b-d (F 213)
XII, 532d-e (F 249)
XII, 532f-533a (F 135)
XII, 533a-c (F 89)
XII, 536b-c (F 192)
XII, 536c-d (F 232)
XII, 543b-c (F 20)
Citations provenant de l’Épitomé
—
Quel est le
sujet ?
Sur les vins
I, 26b-c (F 276) I, 34a (F 277)
—
Sur l’eau
II 43d (F 278a)
—
Le mot
ἀρτύματα
(sauces)
II, 67f (F 263b)
Qui a la parole ?
Localisation de la citation
II, 45c (F 75a)
THÉOPOMPE
173
Tableau II
Athénée et Polybe à propos de Philippe II
N. B.: Les parties de texte communes se trouvent encadrées en pointillé. Le texte
d’Athénée est celui de l’édition Kaibel, celui de Polybe est emprunté à l’édition Roos
des Excerpta de virtutibus et vitiis (ROOS 1910), qui a tenu compte des passages
apparentés de la Souda (dans les articles λάσταυρος, ἀπεδοκίμαζεν, ἀθλητάς et
κενταυρικῶς).
ATHÉNÉE, IV, 166f-167c (F 224)
Φίλιππος ἐπεὶ ἐγκρατὴς πολλῶν
ἐγένετο χρημάτων οὐκ ἀνάλωσεν
αὐτὰ ταχέως, ἀλλ’ ἐξέβαλε καὶ
ἔρριψε, πάντων ἀνθρώπων κάκιστος
ὢν οἰκονόμος οὐ μόνον αὐτός, ἀλλὰ
καὶ οἱ περὶ αὐτόν· ἁπλῶς γὰρ οὐδεὶς
αὐτῶν ἠπίστατο ζῆν ὀρθῶς οὐδὲ
σωφρόνως οἰκεῖν οἰκίαν. τοῦ δ’ αὐτὸς
αἴτιος ἦν ἄπληστος καὶ πολυτελὴς ὤν,
προχείρως ἅπαντα ποιῶν καὶ
κτώμενος καὶ διδούς. στρατιώτης γὰρ
ὢν λογίζεσθαι τὰ προσιόντα καὶ
τἀναλισκόμενα δι’ ἀσχολίαν οὐκ
ἠδύνατο. ἔπειτα δ’ οἱ ἑταῖροι αὐτοῦ ἐκ
πολλῶν τόπων ἦσαν συνερρυηκότες·
οἱ μὲν γὰρ ἐξ αὐτῆς τῆς χώρας, οἱ δὲ
ἐκ Θετταλίας, οἱ δὲ ἐκ τῆς ἄλλης
Ἑλλάδος,
οὐκ
ἀριστίνδην
ἐξειλεγμένοι, ἀλλ’ εἴ τις ἦν ἐν τοῖς
Ἕλλησιν ἢ τοῖς βαρβάροις λάσταυρος
ἢ βδελυρὸς ἢ θρασὺς τὸν τρόπον,
οὗτοι
σχεδὸν
ἅπαντες
εἰς
Μακεδονίαν ἀθροισθέντες ἑταῖροι
Φιλίππου προσηγορεύοντο. εἰ δὲ καὶ
μὴ τοιοῦτός τις <ὢν> ἐληλύθει, ὑπὸ
τοῦ βίου καὶ τῆς διαίτης τῆς
Μακεδονικῆς ταχέως ἐκείνοις ὅμοιος
ἐγίνετο. τὰ μὲν γὰρ οἱ πόλεμοι καὶ αἱ
στρατεῖαι, <τὰ δὲ> καὶ αἱ πολυτέλειαι
θρασεῖς αὐτοὺς εἶναι προετρέποντο
καὶ ζῆν μὴ κοσμίως, ἀλλ’ ἀσώτως καὶ
τοῖς λῃσταῖς παραπλησίως.
POLYBE, VIII, 9, 6-13 (F 225a)
εἰ γάρ τις ἦν ἐν τοῖς
Ἕλλησιν ἢ τοῖς βαρβάροις – φησί –
λάσταυρος ἢ θρασὺς τὸν τρόπον,
οὗτοι πάντες εἰς Μακεδονίαν
ἀθροιζόμενοι πρὸς Φίλιππον ἑταῖροι
τοῦ βασιλέως προσηγορεύοντο.
174
ANTONIO L. CHÁVEZ REINO ET GABRIELLA OTTONE
ATHÉNÉE, VI, 260d-261a (F 225b)
Φίλιππος τοὺς μὲν κοσμίους τὰ ἤθη
καὶ τοὺς τῶν ἰδίων ἐπιμελουμένους
ἀπεδοκίμαζε, τοὺς δὲ πολυτελεῖς καὶ
ζῶντας ἐν κύβοις καὶ πότοις ἐπαινῶν
ἐτίμα. τοιγαροῦν οὐ μόνον αὐτοὺς
τοιαῦτ᾽ ἔχειν παρεσκεύαζεν, ἀλλὰ καὶ
τῆς ἄλλης ἀδικίας καὶ βδελυρίας
ἀθλητὰς ἐποίησεν. τί γὰρ τῶν αἰσχρῶν
ἢ δεινῶν αὐτοῖς οὐ προσῆν ἢ τί τῶν
καλῶν καὶ σπουδαίων οὐκ ἀπῆν; οὐχ
οἱ μὲν ξυρούμενοι καὶ λεαινόμενοι
διετέλουν ἄνδρες ὄντες, οἱ δ᾽ ἀλλήλοις
ἐτόλμων ἐπανίστασθαι πώγωνας
ἔχουσι; καὶ περιήγοντο μὲν δύο καὶ
τρεῖς ἑταιρουμένους, αὐτοὶ δὲ τὰς
αὐτὰς ἐκείνοις χρήσεις ἑτέροις
παρεῖχον. ὅθεν δικαίως ἄν τις αὐτοὺς
οὐχ ἑταίρους ἀλλ᾽ ἑταίρας ὑπέλαβεν
οὐδὲ στρατιώτας ἀλλὰ χαμαιτύπας
προσηγόρευσεν· ἀνδροφόνοι γὰρ τὴν
φύσιν ὄντες ἀνδρόπορνοι τὸν τρόπον
ἦσαν. πρὸς δὲ τούτοις ἀντὶ μὲν τοῦ
νήφειν τὸ μεθύειν ἠγάπων, ἀντὶ δὲ τοῦ
κοσμίως ζῆν ἁρπάζειν καὶ φονεύειν
ἐζήτουν. καὶ τὸ μὲν ἀληθεύειν καὶ ταῖς
ὁμολογίαις ἐμμένειν οὐκ οἰκεῖον
αὑτῶν ἐνόμιζον, τὸ δ’ ἐπιορκεῖν καὶ
φενακίζειν ἐν τοῖς σεμνoτάτοις
ὑπελάμβανον.
καὶ
τῶν
μὲν
ὑπαρχόντων ἠμέλουν, τῶν δὲ
ἀπόντων ἐπεθύμουν, καὶ ταῦτα μέρος
τι τῆς Εὐρώπης ἔχοντες. οἴομαι γὰρ
τοὺς ἑταίρους οὐ πλείονας ὄντας κατ’
ἐκεῖνον τὸν χρόνον ὀκτακοσίων οὐκ
ἐλάττω καρπίζεσθαι γῆν ἢ μυρίους
τῶν Ἑλλήνων τοὺς τὴν ἀρίστην καὶ
πλείστην χώραν κεκτημένους.
POLYBE (suite)
καθόλου γὰρ ὁ
Φίλιππος τοὺς μὲν κοσμίους τοῖς
ἤθεσι
καὶ
τῶν
ἰδίων
βίων
ἐπιμελουμένους ἀπεδοκίμαζεν, τοὺς
δὲ πολυτελεῖς καὶ ζῶντας ἐν μέθαις
καὶ κύβοις ἐτίμα καὶ προῆγεν.
τοιγαροῦν οὐ μόνον ταῦτ᾽ ἔχειν
αὐτοὺς παρεσκεύαζεν, ἀλλὰ καὶ τῆς
ἄλλης ἀδικίας καὶ βδελυρίας ἀθλητὰς
ἐποίησεν. τί γὰρ τῶν αἰσχρῶν ἢ
δεινῶν αὐτοῖς οὐ προσῆν; ἢ τί τῶν
καλῶν καὶ σπουδαίων οὐκ ἀπῆν; ὧν
οἱ μὲν ξυρόμενοι καὶ λεαινόμενοι
διετέλουν ἄνδρες ὄντες, οἱ δὲ
ἀλλήλοις ἐτόλμων ἐπανίστασθαι
πώγωνας ἔχουσι. καὶ περιήγοντο μὲν
δύο καὶ τρεῖς τοὺς ἑταιρευομένους,
αὐτοὶ δὲ τὰς αὐτὰς ἐκείνοις χρήσεις
ἑτέροις παρείχοντο. ὅθεν καὶ δικαίως
ἄν τις αὐτοὺς οὐχ ἑταίρους,
ὑπελάμβανεν εἶναι οὐδὲ στρατιώτας,
ἀλλὰ χαμαιτύπους προσηγόρευσεν·
ἀνδροφόνοι γὰρ τὴν φύσιν ὄντες
ἀνδρόπορνοι τὸν τρόπον ἦσαν.
ἁπλῶς δ’ εἰπεῖν, ἵνα παύσωμαι –φησί –
μακρολογῶν, ἄλλως τε καὶ τοσούτων
μοι
πραγμάτων
ἐπικεχυμένων,
ἡγοῦμαι τοιαῦτα θηρία γεγονέναι καὶ
τοιοῦτον τρόπον τοὺς φίλους καὶ τοὺς
ἑταίρους Φιλίππου προσαγορευθέντας οἵους οὔτε τοὺς Λαιστρυγόνας
τοὺς τὸ Λεοντίνων πεδίον οἰκήσαντας
οὔτ’ ἄλλους οὐδ’ ὁποίους.