eidos
Fecha de recepción: 30 de mayo de 2015
Fecha de aceptación: 19 de septiembre 2015
Les deux temps de L’inconscient
Silvia Lippi
Université Paris Diderot - Paris VII
slippi@club-internet.fr
Resumen
Vamos a analizar el pasaje de la concepción freudiana del inconsciente a la de
Lacan, concebida a partir de su última enseñanza. En esta, la interpretación no es
más la sola clave de lectura del inconsciente. Mostraremos la articulación de ambos
inconscientes con la noción de “tiempo”, y cómo estas dos diferentes concepciones
determinan la dirección de la cura. En la primera, el inconsciente es sobre todo contemplado a partir del tiempo pasado, mientras que en la segunda a partir del futuro:
la contingencia se hace así el elemento fundamental para pensar en el inconsciente.
El psicoanálisis se muestra entonces como una disciplina que no pretende solamente
descubrir los mecanismos determinados del inconsciente, sino también como práctica
capaz de acoger lo inesperado y explotarlo en la cura.
palabras
c l av e
inconsciente, tiempo, real, deseo, goce, contingente.
Resumé
Nous allons analyser le passage de la conception freudienne de l’inconscient à
celle de Lacan, mise en place à partir de son dernier enseignement. Dans celle-ci,
l’interprétation n’est plus la seule clé de lecture de l’inconscient. Nous allons montrer l’articulation des deux inconscients avec la notion de «temps», et en quoi, ces
deux différentes conceptions déterminent la direction de la cure. Dans la première,
l’inconscient est plutôt envisagé à partir du temps passé, alors que dans la deuxième
à partir du futur: la contingence devient ainsi l’élément fondamental pour penser
l’inconscient. La psychanalyse se montre alors comme une discipline qui ne vise pas
seulement à déceler les mécanismes déterminés de l’inconscient, mais aussi comme
pratique capable d’accueillir l’inattendu et de l’exploiter dans la cure.
Mots
clés
inconscient, temps, réel, désir, jouissance, contingent.
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E
st-il possible de penser l’inconscient avec le temps? Nous
allons chercher d’articuler ces deux notions, en montrant de quelle
façon cela se révèle nécessaire lorsqu’on se détache de l’hypothèse
freudienne de l’inconscient spatial, développée par lui dans sa
deuxième topique (Freud, 1981b), pour envisager l’inconscient
comme réel, selon le dernier enseignement de Lacan.
D’après Freud, l’inconscient est de l’ordre de la mémoire, de
l’oubli, et il ne connaît pas le temps (Freud, 1968, p. 96; Freud,
1981a, p. 76): si le domaine du conscient est entièrement pris
dans la dimension temporelle, l’inconscient en revanche, lui
échappe. Cela est évident dans la conception du rêve chez Freud,
où la temporalité est exprimée par l’espace1, l’espace de l’«autre
scène» notamment, dans laquelle toute forme de chronologie est
abolie. La cure aurait donc comme tâche, si nous suivons Freud,
de dévoiler les processus inconscients, en les faisant passer d’une
dimension hors-temps (Zeitlos) à la temporalité propre au sujet,
une temporalité qui s’articule dans le langage.
Différemment, pour Lacan, le temps a une affinité essentielle
avec l’inconscient. Il y a au moins trois occurrences importantes
où Lacan parle du temps, plus ou moins directement en rapport
avec l’inconscient.
En 1945 dans «Le temps logique ou l’assertion de certitude
anticipée» (Lacan, 1966, pp. 197-214), où il soutient que le
temps chronologique est, dans la cure, subverti par la logique de
l’inconscient, qui s’exprime par une temporalité propre. Et la fin
de la cure, qui se manifeste par une certitude, toujours anticipée,
1
Comme dans le cauchemar où écrit Joël Birman (2009), l’«expérience du temps
est suspendue à celle de l’espace». Joël Birman continue: «dans le cauchemar, la réalisation du désir s’impose d’une façon directe et brutale, par la composition d’images
ponctuelles et fulgurantes … Le désir s’impose dans son atemporalité abyssale, sans
présenter aucune autre cadence temporelle, en un impact marqué par la fulgurance
de l’instant» (p. 19).
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relève d’une décision du sujet, une décision qui n’est pas de
l’ordre de la maîtrise, mais qui, au contraire, dépend du dégrée
de fixation à la jouissance2 du sujet (par exemple, la jouissance de
son symptôme): «la tension du temps se renverse en… tendance
à l’acte» écrit-il (Lacan, 1966, p. 206). Autrement dit, le temps
précipite –il se transforme en acte– grâce au désir décidé du sujet,
arrivé au tournant de la fin (de l’analyse).
En 1973, dans le séminaire Encore, Lacan considère que la
hâte, conséquence de la tension entre la jouissance du sujet dans
son rapport avec le temps, a une fonction équivalente à celle de
la cause du désir, l’objet a3 (Lacan, 1975a, p. 47). La hâte sort de
la logique chronologique ordinaire, comme l’objet a tombe de la
chaîne signifiante.
Trois ans plus tôt, Lacan (1970) annonçait dans «Radiophonie»
qu’il «faut le temps»: «c’est l’être qui sollicite de l’inconscient pour
y faire retour chaque fois que lui faudra» (p. 78). Etre et temps
sont donc, dans cette conception lacanienne de l’inconscient,
strictement liés.
Qu’on appelle le temps «hâte», «objet a» ou «être», c’est toujours
la notion de jouissance qu’y est convoquée, et c’est en ce sens
que le temps détient une relation privilégiée avec l’inconscient.
Rappelons-nous que dans les dernières élaborations de Lacan
(1976) sur l’«inconscient réel» (p. 571), ce n’est plus le registre
du symbolique, et ses opération langagières, qui constitue, à pro-
2
Le terme de «jouissance» désigne cette étrange satisfaction, au-delà du principe
de plaisir que Freud a découverte dans une série d’expériences de douleurs physiques ou psychiques. Lacan considère les expériences liées à la douleur et à l’excès,
toujours immaitrisables, comme étant de l’ordre de la jouissance. Le symptôme en
est un exemple.
3
L’objet a vient indiquer la faille dans la structure symbolique qui permet la
circulation du désir. C’est notamment le manque d’objet qui rend opérant le désir.
L’objet a n’est pas un objet empirique. Lacan l’entend aussi comme objet partiel (au
sens freudien), un objet qui n’entretient aucun rapport avec l’«unité», fût-elle réelle
ou imaginaire. Dans l’amour, il représente le «manque» que l’objet recèle; dans l’acte
sexuel, il est comme le partenaire de la jouissance, ce qui la rend possible en dépit de
l’impossibilité de faire «un» avec le corps de l’autre.
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prement parler, la dimension essentielle de l’inconscient, mais la
jouissance.
A propos du rapport entre temps et jouissance, je pense à un
patient qui était venu me voir car il voulait être peintre, mais il
n’arrivait pas à peindre. Ce n’était pas la peinture comme objet de
l’inhibition qui faisait problème, mais la question centrale, pour le
jeune homme, tournait autour du temps. Il était dans cette impasse
depuis huit ans, et dans la recherche impossible de récupérer le
temps perdu, il avait cédé sur son désir de peindre. Il continuait
à perdre du temps car il ne réussissait à le récupérer, et il jouissait de cette impossibilité. Autrement dit, le blocage dans l’acte
correspond à la fixation su le temps, fixation jouissive, bien sûr.
Aux yeux de Colette Soler4 et de Jacques-Alain Miller (2000,
p. 7), l’inconscient est événement: un événement inscrit dans «les
trames du temps» pour Jacques Alain Miller, et en connexion avec
le désir, d’après Colette Soler, en tant qu’«événement du dire du
sujet». Quel est le rapport entre événement, temps, jouissance et
désir dans l’inconscient? Et si l’inconscient-temps est de l’ordre
de la jouissance, qu’en est-il de l’inconscient-désir, autrement dit
du Wunsch freudien?
L’inconscient, Le savoiR et La contingence
Colette Soler (2012) signale une coupure entre deux conceptions
différentes de l’inconscient: l’«inconscient désir» et l’«inconscient
savoir5». Il y a, écrit-elle
D’un côté le sujet… défini comme supposé à la chaîne avec
son effet de manque à être, et où les S1 reçoivent leurs sens des
S2 auxquels ils se rapportent, et de l’autre côté ce que [Lacan]
nomme le savoir inconscient, un savoir qui travaille, arbeiten,
jamais en grève, et qui travaille à la Jouissance. (p. 39).
4
Paradoxes du désir, 27/07/2014, notes de conférence.
C’est en 1970 que Lacan définit le lien de l’inconscient à la jouissance comme
«savoir» (Lacan, 1991, pp. 43-59).
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La coupure se fait donc entre:
1) l’inconscient-désir: un inconscient conçu à partir du désir,
un désir, selon Freud, indestructible, inéliminable, et invariant,
dont son autre nom est le fantasme, ou encore, la réalité psychique.
2) l’inconscient-savoir: un inconscient qui travaille pour la
jouissance, en ce sens, un savoir qui «se jouit», donc qui affecte
le corps. Dans l’inconscient-savoir, la parole n’est pas productrice
de sens mais «corps jouissif», que Lacan appelle lalangue. Avec
ce néologisme, Lacan indique «le lieu dans l’inconscient où la
jouissance fait dépôt» (Lacan, 1975b): en autres termes, lalangue
est un idiome investi d’affect. Les signifiants ne font pas chaîne
dans lalangue, le signifiant est devenu «signe». Et si «Le signifiant
n’est qu’une différence au sein de lalangue… le signe est plus que
différence, il est le signifiant devenu objet, donc joui» (Soler, 2012,
p. 44). Le signe indique la présence de la chose-jouissance, il ne
représente pas comme le fait le signifiant: «un signifiant représente
un sujet pour un autre signifiant» écrivait Lacan en 1960 (Lacan,
I966, p. 840). Quinze ans plus tard, Lacan parlera de parlêtre6, être
qui réintroduit la dimension de la jouissance dans la parole. Lacan
change la perspective de sa conception de l’inconscient qui, de lieu
d’opérations linguistiques, devient «être de jouissance»: l’usage
du langage du parlêtre est un usage jouissant (être = jouissance).
Avec le terme de parlêtre, les syntagmes «sujet du désir», «sujet
de l’inconscient» tombent à l’eau. On peut désormais envisager
l’inconscient sans lui associer nécessairement le terme de sujet:
le savoir qui se joui ne cherche pas la vérité: ce qu’importe est la
jouissance qui se supporte du langage.
Penser la différence entre ces deux conceptions de l’inconscient
est capitale pour saisir ce qui oriente l’interprétation de l’analyste.
Si dans la conception de l’inconscient-désir l’interprétation se con-
6
Le parlêtre désigne, selon les mots de Lacan, «l’être charnel ravagé par le verbe»
(Lacan, 2005, p. 90). Lacan dira aussi du parlêtre «qui parle cette chose… à savoir
l’être» (Lacan, 1975b).
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centre sur le signifié –latente, refoulé, métaphorisé–, à travers le
déchiffrage (joui-sens), dans l’inconscient-savoir elle cible d’emblé
l’acte de dire. Comment? A travers la scansion, notamment.
Scansion qui devient rythme: le temps «réinscrit» la jouissance
autrement, et le sujet change de position par rapport à celle-ci.
Jacques Alain Miller aussi distingue deux inconscients, bien
qu’il utilise une terminologie opposée, pourrions-nous dire, à celle
de Colette Soler: il met l’«inconscient-savoir» du côté de Freud, et
l’«inconscient-sujet» du côté de Lacan. Et il précise l’articulation
avec le temps dans ces deux manières de penser l’inconscient.
En utilisant des vocabulaires différents, Soler et Miller se
détachent de l’idée d’un inconscient passible d’une signification,
en même temps déterminé, prévisible, invariant, pour le penser
en rapport au réel7: sous le versant de la jouissance (Soler) et de
la tuché8 (Miller).
Or, l’inconscient-savoir, de matrice freudienne, est pour Miller
de l’ordre de l’automaton9, donc en rapport avec la Zwangshandlung,
la compulsion de répétition. L’inconscient comme savoir à interpréter est forcément «passéiste», donc lié aux déterminismes du
sujet: c’est l’inconscient comme découverte – dévoilement – des
déterminismes qui l’ont constitué.
Dans l’inconscient-sujet en revanche, l’accent est mis sur la
tuché, c’est-à-dire sur le hasard et l’imprévu:
Prendre l’inconscient comme sujet, ce n’est pas du tout le prendre
comme étant déjà là et portant des effets, mais le prendre au
niveau de l’effet, si je puis dire, comme quelque chose qui se
produit et qui se manifeste de façon aléatoire. (Miller, 2000, p. 9)
7
Dans l’acception lacanienne, le réel est ce qui résiste, impossible à dire et à
imaginer. Le réel est à distinguer de la réalité (la représentation du monde extérieur)
ordonnée par le symbolique et l’imaginaire. Tout traumatisme est une expérience de
l’ordre du réel. La jouissance liée au symptôme est une expérience de l’ordre du réel.
8
«La rencontre hasardeuse»: Lacan emprunte le terme à Aristote, mais la signification qu’il en donne est différente.
9
Lacan en fait un synonyme de «répétition».
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L’inconscient se saisit, dans cette conception, à partir d’une
temporalité qui est celle du futur: «Tant qu’il n’est pas réalisé, il est
en suspension, il est indéterminé, mais il est aussi sujet à un désir
de se réaliser» (Miller, 2000, p. 13). Nous sommes donc passés
de l’inconscient hystorisé, dont la temporalité est celle du passé, à
l’inconscient qui désire se réaliser, dans le futur, ou encore, dans
un temps indéterminé.
Pour Miller comme pour Soler, le désir n’est plus de l’ordre du
refoulé, il ne concerne pas le signifié caché qu’il faudrait déceler,
mais il est le temps qui permet à l’inconscient d’exister (désir de
l’inconscient de se réaliser) en même temps que ce qui fonde le
dire existentiel, en d’autres termes, l’inconscient lui-même. Le
désir change de place: il n’est plus inter-dit, mais il devient cause,
en d’autres termes, objet a.
Le désir n’est plus pensable en dehors du registre du réel,
déconnecté de la jouissance et du temps: un temps indéterminé,
futur, le temps du désir de l’inconscient de se réaliser. Passage
du désir inconscient au désir de l’inconscient de se réaliser. Le
désir rencontre le réel à partir du virtuel, en ce sens, le contingent
devient une modalité du réel à l’intérieur de la cure.
Le réel ne peut pas être conçu seulement comme «nécessaire»,
c’est-à-dire à partir de la permanence de lois, sous la forme de
surmoi ou de l’impossible. Bien sûr, le réel est en relation avec
l’impossible –au sens de l’impossible à symboliser– mais aussi
avec la contingence. Si l’expérience analytique donne accès au
réel, elle le fait par les voies de la contingence: contingence du
transfert, contingence des manifestations symptomatiques, et
contingence du savoir.
La contingence du savoir se manifeste dans le signifiant conçu
comme signe: signe d’une jouissance, signe qui, à la différence du
signifiant, ne va pas en couple avec un autre. C’est un savoir qui
ne peut pas assurer le sujet, car il est un savoir hors-sens. Le signe
n’est pas le signifiant maître à repérer dans la cure, le trait unaire
du trauma, délégué de la vérité inconsciente, mais un simple effet
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de jouissance: le signe se suffit et ne cherche rien, et surtout il ne
veut rien savoir!
Ne pouvant pas opérer au niveau du signifiant, l’inconscient
ex-siste10 à partir de l’écart –écart insurmontable– entre S1 et S2.
C’est à partir de ce vide, cette béance, cette différence absolue, de
l’ordre du manque-à-être, que le sujet parle: dans la temporalité
d’un éclair. Prenons comme exemple le lapsus: le mot apparaît,
pour disparaître aussitôt.
Lorsque Lacan affirme que l’inconscient est éthique et non
ontologique, il veut dire qu’il faut penser l’inconscient à partir
d’un manque-à-être. En ce sens, il faut décoller le manque-à-être
de Lacan de l’ontologie heideggérienne: le mathème S(A) signale
ce manque ontique (S(A)) = le non-sens, l’absence de l’Autre)11.
La structure bute sur un impossible: impossible comme jouissance
interdite, l’impossible du rapport sexuel.
Et si l’inconscient n’est pas –ontiquement et ontologiquement–, il veut être quelque chose. Le manque-à-être est une notion
dynamique, que Lacan a traduite en anglais par want-to-be12. En
ce sens, manque-être et désir sont presque des synonymes, et le
want-to-be, c’est le temps du futur. Il faut les entendre comme
des phénomènes de l’ordre de la temporalité, et non comme des
états d’incomplétude, comme si le manque était à combler. Le
10
Le concept d’ex-sistence chez Lacan n’est pas à confondre avec celui d’ek-sistence
chez Heidegger, qui propose cette écriture avec un tiret. L’ex-sistence indique, chez
Lacan, la position d’être «hors» quelque chose, tout en lui restant lié. «Ex-sistere» veut
dire être posé hors – ex – de quelque chose. L’inconscient ex-siste dans une position
d’ex-centricité, en tant que «dehors qui n’est pas un non-dedans» selon l’expression de
Lacan (Lacan, 1975c).
11
«Je n’ai donc pas fait un usage strict de la lettre quand j’ai dit que le lieu de
l’Autre se symbolisait par la lettre A. Par contre, je l’ai marqué en le redoublant de ce
S que ici veut dire signifiant, signifiant du A en tant qu’il est barré – S (A barré). Par
là, j’ai ajouté une dimension à ce lieu du A, en montrant que comme lieu il ne tient
pas, qu’il y a là une faille, un trou, une perte. L’objet a vient fonctionner au regard
de cette perte. C’est là quelque chose de tout à fait essentiel à la fonction du langage»
(Lacan, 1975a, p. 31).
12
A noter l’assonance avec won’t be: I would prefere not to.
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manque-à-être de Lacan ne se confonde pas non plus avec le
manque ontologique de Sartre, l’impossible de l’en-soi-pour-soi
(Sartre, 1943, p. 626).
L’inconscient se manifeste dans ce qui vacille dans la coupure
du sujet ($), soutenu par l’éthique de sa décision13: la décision de
l’inconscient d’être. C’est dans ce manque ontique (S(A)) qu’une
décision, une invention, un engagement deviennent nécessaires.
Décision qui n’a rien à voir avec un choix conscient, la maîtrise,
la possession de soi, la volonté. La décision du désir n’est pas
gouvernée par le sujet de l’intentionnalité, elle est dirigée par le
want-to-be, le désir de l’inconscient d’être.
La Repetition, ou L’inconscient comme inattendu
En relation au temps, nous pouvons donc considérer deux aspects
complémentaires de l’inconscient:
1) L’inconscient comme «désir inconscient», qui correspond à
l’inconscient freudien, dont le temps est celui du passé (le refoulé,
le signifié, le déterminé, l’automaton, la Zwangshandlung, l’action
compulsive).
2) L’inconscient comme «désir de l’inconscient d’être»,
l’inconscient lacanien, dont le temps est celui du futur (le want-tobe, l’ouvert, l’évasif, le fugace, le contingent, la tuché).
La répétition, phénomène central de l’inconscient, à l’origine
de toute formation de l’inconscient, détient une place à part: elle
n’est pas seulement à entendre comme Zwangshandlung. Bien sûr,
d’un côté, elle est «insistance démoniaque… des traces mnésiques
du trauma», note Colette Soler, rebelles à la substitution métaphorique propre à l’inconscient refoulé. Elle précise que «cette description oriente… vers l’idée d’un inconscient constitué de traces
persistantes des premières rencontres de jouissance» (Soler, 2012,
13
Decidere en latin a deux significations différentes provenant de deux étymologies différentes: decido signifie «tomber», «choir» (étymologie: de-cado = «chuter,
«tomber») et aussi «trancher» (étymologie: de-caedo = «frapper», «briser»).
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p. 40). La temporalité de la pulsion est toujours une temporalité
de la première fois: le fait que ça se répète ne modifie pas ce qui
se répète. La répétition ne cumule pas les unités, il n’y a pas de
liaison entre ces unités qui se répètent.
Conçue de cette façon, la répétition est toujours connectée avec
le passé. Pensons aussi à la rétroaction temporelle, au concept
freudien d’après-coup. Cette répétition est un retour en arrière!
Mais dans ce qui se répète, qui est toujours le même, il y aurait
quelque chose qui se perd14. Pour décrire cela, Lacan s’inspire du
concept de la plus-value chez Marx (Lacan, 1991, p. 49). L’idée
de l’inconscient comme processus de déperdition de la jouissance,
qu’il appelle «plus-de-jouir», est homologue, selon l’hypothèse
de Lacan, au processus de production de la machine capitaliste
conçue par Marx. Elle recoupe l’idée d’une dépense constante du
refoulement originaire, présente dans le texte de Freud dès 1915,
L’inconscient (Freud, 1968, pp. 86-95). Comme le note Bernard
Toboul (2012)
Il y a, dans les défenses inconscientes, une “dépense permanente”
du refoulement originaire. Daueraufwand: une dépense qui dure,
qui ne cesse pas, une dépense continuée. Freud ajoute que cette
dépense est ce qui “supporte la durée” (Dauerhaftighkeit = “qui
garantit la permanence du refoulement originaire” selon la
traduction française). (p. 22)
Il y aurait donc une dépense-durée de ce qui ne cesse pas de ne
pas s’écrire, autrement dit du réel, selon l’acception lacanienne du
terme. La durée psychique est donc conçue comme «une dépense
continuée de l’impossible» : c’est le réel comme impossible qui
supporte l’inconscient dans sa durée. Le symptôme est un exemple
de cette déperdition, autrement dit, d’une jouissance récupérée à
partir de sa déperdition15.
14
15
L’effet de perte è lié au signifiant, de structure.
Colette Soler (2012) soutient qu’il y a une constance dans la jouissance, autre-
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A partir de la dépense permanente de la jouissance dans
l’inconscient qui passe par l’automaton de la répétition, il peut se
produire –et cela dépend de la contingence– une déviation, un
clinamen (Lucrèce, 1998) pour le sujet, qui le déplace par rapport à
ce processus aliénant. Dans une cure, le désir pris dans la relation
transférentielle, le montre bien. A travers son versant régressif,
celui du transfert comme figure dérivée de la suggestion et de
l’hypnose, le sujet répète sa dépendance aux matrices familiales.
Sous un autre versant, il s’ouvre à la nouvelle rencontre: transfert comme nouvel amour –inattendu–, capable d’augmenter la
puissance d’agir du sujet, à travers une parole qui s’ouvre à la
polysémie et au non-sens.
En ce sens, l’inconscient ne se loge pas dans une distribution
statique, mais en tant que «désir d’être», il est pris dans une dynamique entre réel et virtuel. C’est là que l’attente devient un enjeu
capital dans la cure. Car c’est l’attente qui favorise le clinamen –la
déviation, le changement– dans la cure. Le réel, impliqué dans
ce processus, change de connotation, il n’est plus uniquement
trauma, «mauvaise rencontre», «rencontre manquée»: la tuché
devient «hasard objectif» (Breton, 1964, p. 26), réseau associatif/
dissociatif alternatif, autrement dit non-sens, capable d’associer
et de faire ex-sister tout ce qui paraît inassociable et inex-sistant.
L’inattendu, autrement dit le réel-contingence (et non le
réel-trauma qui revient toujours à la même place), ne peut pas
se manifester autrement que à partir de l’attente. Comme le dit
ment dit, une jouissance sans perte dans l’inconscient. Dans le symptôme, au delà
de la jouissance récupéré à partir de sa perte, que Lacan appelle «jouissance castrée»,
il y a de la jouissance qui échappe à ce processus de déperdition, une jouissance qui
n’est pas dépense-durée, mais durée tout court. «Où est-ce que l’inconscient peut se
jouir sans perte? Si ce n’est dans la répétition, qui ne cesse d’écrire avec la perte ce
que Lacan appelle la jouissance “castrée”, de rêves à lapsus, ce sera donc dans le
symptôme, celui où malangue “précipite”, ou a précipité, je reprends le terme de Lacan, dans une lettre jouie, identique elle même-même. C’est ce que j’appelle le noyau
réel du symptôme qui peut certes s’habiller d’enveloppes formelles ou imaginaires»
(Soler, 2012, p. 48).
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Héraclite (2002): «si l’on n’attend pas l’inattendu, on ne le trouvera pas, car il est difficile à trouver» (p. 142). On ne trouvera pas
l’inattendu en le cherchant avec la raison, ni avec le sens, mais
en l’attendant. Il s’agit d’une attente dynamique, car l’inattendu
n’arrive pas de l’extérieur. Attente ne veut pas dire «immobilité».
Attente comme ouvert, vide, un vide qui n’est pas précipice.
Attente comme écoute: écoute pour l’analysant et surtout pour
l’analyste. L’imprévisible a une tendance à se produire là où on
l’attend: admettre –créer– l’attente, c’est la fonction de l’analyste
en séance.
Prenons un exemple: l’équivoque. Là encore, la question de
la temporalité est essentielle. Le signifiant inattendu fait jouir par
son effet surprise: ce n’est pas tant l’ouverture sémantique qui nous
intéresse, mais son pouvoir temporel, musical, pourrions-nous dire:
«équivalence du son et du sens» affirme Lacan (1977).
La fixation de la jouissance dans l’inconscient prend alors un
autre destin: grâce à l’effet surprise de l’équivoque, qui produit
une autre jouissance de l’ordre de la contingence. L’équivoque
«est à la fois le mode de composition de lalangue et la façon d’en
jouer pour y introduire scansion et suspens» (Toboul, 2005, p.
58). Ce jeu est capital: le sujet en analyse joue avec lalangue, il
improvise –à travers «ses scansions et ses suspens»– et il met en
place un rythme, à partir d’un discours qu’il ne connait pas. C’est
le temps, un temps musical, qui opère à partir des formations de
l’inconscient. Un autre exemple: le mot d’esprit, dans lequel le
rythme produit l’effet comique, jouissif.
concLusion
Dans l’arbeiten inconscient, jouissance et contingence se donnent
la main. Cet arbeiten ne se manifeste pas avec une quelconque
signification, mais à travers des éléments sémiotiques (lalangue),
qui sont aussi temporels (la scansion et les suspens).
Il y a bien sûr une accumulation du savoir inconscient (S2)
qui se produit tout au long de la cure (hystorisation). Selon notre
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les deux teMps de l’inconscient
hypothèse, ce n’est pas ce savoir qui est opérant, mais un savoirjouissance de l’ordre de l’invention, produit à partir du manqueà-être, manque-à-être entendu comme want-to-be.
Le want-to-be s’ouvre à l’inattendu qui surprend: lapsus, bévue,
mot d’esprit… Il ne s’agit pas d’un inconscient producteur de sens,
soit-il ancien ou nouveau: l’inconscient ne peut qu’être envisagé
comme «dire existentiel16» en connexion avec la jouissance et le
temps musical. Un inconscient-événement qui se moque du sens
et du temps ordinaire, un inconscient-réel produit, encore une
fois, par la contingence.
BiBLiogRaphie
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Il s’agit d’un dire dans lequel le sujet est engagé, sans être pour autant de
l’ordre du performatif. L’existentiel n’est pas le performatif: ce n’est pas l’acte l’enjeu
du dire en analyse, on serait alors encore dans une démarche volontariste. Sidi Askofaré parle de l’expérience d’un point de vue analytique en ces termes: «l’expérience,
à distinguer sévèrement de l’expérimentation, en tant que rapport vécu irréductible à
tout ce qui peut relever de la transmission voire de l’initiation, est susceptible de rendre raison de la traversée à quoi soumet l’engagement d’un sujet dans une analyse,
du début à sa conclusion.» (Askofaré, 2016).
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