Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
questions de communication, 2005, 7 réel » (p. 149). Des observations qui appellent encore bien des démonstrations, mais qui montrent surtout – s’il le fallait encore – le cadre incertain dans lequel évoluent les missions des organismes gestionnaires d’intervention sociale. Au point que l’ouvrage se clôt sur cette conclusion un rien provocatrice : « Et si le travail social n’existait pas ? ». Finalement, à lire ces pages, on ne sait plus si l’on doit se réjouir des controverses sans cesse renouvelées sur ce champ professionnel tant la question du « qui fait quoi » quand il prétend faire du social, reste encore (malgré les expertises savantes produites depuis les années 80, les injonctions et rénovations législatives récentes) en suspens… Assurément, Michel Chauvière a produit un ouvrage de synthèse appelé à devenir un livre de référence. Filant la métaphore militaire souvent employée par l’auteur (front, étendard, tourmente, stratégie, etc.), il donne des munitions aux professionnels du social qui – dans leur quête de légitimité et de reconnaissance pour leur professionnalité –, doivent maintenant livrer la « bataille [décisive] de la qualification » (p. 254). Il faut signaler la bibliographie très complète (plus de 300 références) permettant au lecteur d’approfondir les nombreux travaux de l’auteur et d’en découvrir d’autres ayant largement contribué, dans la dernière décennie, à analyser les dynamiques à l’œuvre. L’ouvrage intéressera aussi ceux et celles qui s’interrogent sur la genèse et les enjeux de l’action publique d’orientation sociale dans notre pays, dit solidaire. Vincent Meyer CREM, université Paul Verlaine-Metz Vincent.Meyer57@wanadoo.fr Lilian MATHIEU, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux. Paris, Éd.Textuel, coll. La discorde, 2004, 206 p. Lilian Mathieu, docteur en science politique (université Paris 10) et chargé de recherche au CNRS, propose ici un ouvrage original. Fort de ses expériences de recherche (mobilisations de prostituées, lutte contre la double peine, milieu associatif de lutte contre le sida, mouvement altermondialiste, groupuscules d’extrême droite), son projet se rapproche sur la forme d’un manuel de sociologie des mouvements sociaux. L’auteur se propose ainsi d’explorer de manière critique les approches les plus utilisées actuellement dans ce champ d’investigation. Ce faisant, il évite la redondance avec les manuels classiques en ne revenant pas sur certaines théories obsolètes comme celles de Gustave Le Bon ou de Gabriel Tarde sur la psychologie des foules par exemple, déjà bien présentées par ailleurs (voir notamment les manuels d’Érik Neveu ou de Olivier Filleule et Cécile Péchu). Comme en témoigne le choix du titre, notamment le fait d’avoir préféré Sociologie et mouvements sociaux au traditionnel « sociologie des mouvements sociaux », Lilian Mathieu s’adresse aux étudiants et chercheurs en sciences sociales, mais aussi aux militants. Ces derniers pourront y trouver des outils leur permettant de développer une vision réflexive de leurs pratiques. L’ouvrage part d’un double constat : on assiste depuis une quinzaine d’années au développement d’un mouvement altermondialiste d’une part, et à un accroissement des recherches en sociologie des mouvements sociaux de l’autre. Le plan de Comment lutter ? le distingue également des manuels plus classiques. Plutôt que de proposer une rétrospective des différentes théories ayant jalonné l’histoire de la sociologie des mobilisations, l’ouvrage est structuré autour des grandes questions (8 chapitres) que tout chercheur ou militant se pose – ou doit se poser – face à un tel objet. « Qu’est-ce qu’un mouvement social ? ». Dans ce premier chapitre, Lilian Mathieu propose de dessiner les contours de la notion de mouvement social. Il désigne la dimension collective comme enjeu de la mobilisation, produite dans un espace de coopérations, de concurrences voire de conflits. Il relève également la nécessité pour les agents de disposer d’un certain nombre de ressources (compétence politique), ce qui relativise l’idée selon laquelle l’action contestataire ne serait que le mode d’expression politique des groupes situés « du mauvais côté des rapports de force » (p. 20). De fait, la mobilisation est plus 467 Notes de lecture souvent le fait des « dominants parmi les dominés » (p. 21). Enfin, il rappelle que si les mouvements sociaux sont orientés vers le changement social, ils ne sont pas forcément progressistes et peuvent tout aussi bien être réactionnaires. Le deuxième chapitre, « Qu’est-ce qui déclanche les mobilisations ? », passe en revue les théories s’attachant à expliquer le passage du mécontentement à l’action collective protestataire. L’auteur convoque ici des théories incontournables : le modèle d’Albert Hirschmann qui met en évidence trois types d’attitude face au mécontentement (loyauté, défection et prise de parole) et bien sûr le paradoxe de Mancur Oslon, selon lequel l’acteur s’engage dans l’action collective en fonction d’un calcul avantages/coûts. Bien que la portée économiste de cette dernière théorie soit critiquée, Lilian Mathieu rappelle qu’elle reste dominante. En effet, d’autres auteurs (Michel Dobry, Sidney Tarrow) ont apporté des éléments complémentaires (prise en compte du contexte sociopolitique ou de facteurs irrationnels comme la peur ou la colère) sans réellement pouvoir l’invalider. Les deux chapitres suivants traitent des acteurs individuels et collectifs des mouvements sociaux. « Qui s’engage et pourquoi ? » fait notamment le point sur le débat récent autour de la question de la « fin des militants » : mutation des formes d’engagement (Jacques Ion) ou disqualification sociale des formes d’engagement traditionnelles, notamment populaires (Annie Collovald) ? « Comment les mouvements sociaux sont-ils organisés ? » présente des approches expliquant le passage à l’action collective par la mise en forme des ressources matérielles (locaux, photocopieuse, téléphone…) et immatérielles (savoir-faire militants…) disponibles par des organisations distinctes du mouvement social proprement dit (John D. McCarthy et Mayer N. Zald). Les chapitres 5 et 7 abordent les faits extérieurs aux mouvements sociaux. « Comment prennent les mobilisations ? » redonne son importance au contexte des mobilisations tout en relativisant l’impor- 468 tance de facteurs comme le nombre de militants ou le degré de structuration des organisations du mouvement. « Quelles influences pèsent sur les mouvements sociaux ? » élargit le poids du contexte sociopolitique au contexte international (développement du mouvement altermondialisation par exemple). L’auteur reprend également à Patrick Champagne la thèse de la manifestation de papier, mettant en évidence les liens forts unissant mouvements sociaux et médias. Il rappelle enfin que les adversaires des mouvements sociaux ne sont pas seulement les représentants de l’autorité publique ou économique, mais qu’ils peuvent être également des contre-mouvements (mouvement anti-PACS contre mouvement gay, Ras’l’front contre FN). « Quelle forme de lutte adopter ? ». Ce sixième chapitre est consacré à la notion de répertoire d’action collective. Lilian Mathieu rappelle que les répertoires d’action, définis par Charles Tilly comme l’ensemble des modes d’action disponibles pour les groupes sociaux dans un contexte historique donné, ne doivent cependant pas être considérés comme figés dans le temps, mais qu’ils se construisent dans l’action et évoluent, comme le montre la place grandissante prise récemment par le recours au droit et la mobilisation de l’expertise. Le dernier chapitre recense les tentatives de réponses apportées à la question : « Les mouvements sociaux sont-ils efficaces ? ». L’auteur montre toute la difficulté que peuvent avoir les chercheurs à établir des instruments de mesure de cette efficacité. La perception de l’issue d’une mobilisation est évidemment très subjective et le sens donné à cette issue est également un enjeu de lutte entre les différentes parties. On connaît les conséquences démobilisatrices d’une mobilisation jugée inefficace et on comprend que chacun cherchera des motifs de satisfaction, ne serait-ce que l’importance de la mobilisation ou la propagation des idées défendues. En définitive, c’est un ouvrage intelligent qui constitue une base de connaissance pour le chercheur comme le militant. Il est impor- questions de communication, 2005, 7 tant également de signaler que l’auteur, tout en montrant les évolutions récentes constatées sur le terrain des mobilisations (recours à l’expertise…), ne cède pas aux sirènes du « tout nouveau » (nouveaux mouvements sociaux, nouveaux contestataires, nouveaux activistes…). Jérémy Sinigaglia ÉRASE, université Paul Verlaine-Metz jeremysinigaglia@aol.com Vincent MEYER, Interventions sociales, communication et médias. L’émergence du sociomédiatique. Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 2004, 244 p. Comment penser l’interaction entre un champ professionnel discret et faible – celui de l’intervention sociale – et le champ professionnel des médias, plus fortement affirmé et surtout riche de certains savoirfaire ? Comment comprendre les usages que les travailleurs sociaux, leurs institutions et organisations font des médias pour alerter leurs contemporains sur les enjeux de la souffrance des personnes ou des groupes, mais aussi pour valoriser leurs propres actions ? Inversement, comment expliquer l’investissement de plus en plus visible du monde des médias dans les questions sociales ? Quelles en sont les formes dominantes dans la presse écrite, à la radio et surtout à la télévision (téléréalité) ? Comment s’y prendre pour en évaluer l’utilité autant que l’impact (y compris au plan économique) ? Pour Vincent Meyer, tous ces processus forment un nouveau champ de connaissance en tensions : le sociomédiatique. Le sujet est assurément original et tout à fait d’actualité. On peut le lire de différentes façons, selon ses propres centres d’intérêt. Il croise avant tout l’interrogation sur les transformations en cours de l’intervention sociale et du « faire société ». Comment compter avec l’impératif de médiatisation, les plus-values qu’il apporte et toutes les concurrences – parfois loyales, parfois déloyales – qu’il entraîne ? L’auteur a méthodiquement dépouillé un grand nombre de produits (journaux, émissions et autres) intégrant ou visant le social. C’est pourquoi, dans cet ouvrage, il propose un grand nombre d’illustrations sociomédiatiques toujours bien choisies qui rendent le texte fort accessible. Pour autant, ce n’est pas un travail purement empirique. Soucieux de dépasser l’approche par les qualifications et les fonctions,Vincent Meyer cherche à comprendre non seulement les manifestations repérables dans l’espace public mais aussi les rhétoriques de légitimation et de construction des compétences qui les accompagnent et les consensus produits par cette voie par et pour les acteurs. Pour cela, il emprunte à Luc Boltanski et Laurent Thévenot, et le résultat de ses investigations est souvent convaincant. Deux grandes parties organisent le propos et assurent la progression de l’analyse. La première, « Interventions sociales et communications », permet en quatre chapitres de définir l’intervention sociale, ses frontières et ses mutations, d’interroger la construction historique des professionnalités par un lent travail de positionnement et de ressourcement, et enfin de situer l’enjeu des communications sur deux plans : à la base, partant du terrain, et publiquement au travers de manifestations ad hoc. Il s’agit tout à la fois des stratégies de mise en visibilité des professionnalités sociales dans l’espace public et des conduites et pratiques de type sociomédiatique dans ce même domaine. La seconde, « L’émergence du sociomédiatique », aborde le problème de l’image du social et des outils qui s’y appliquent, puis la construction médiatique de l’exclusion et de l’engagement, jusqu’à « l’esthétisation » des causes et des professions. Enfin, sous un autre angle, l’auteur distingue très finement le « travail médiatique du social » et le « travail social des médias » en s’aidant de très nombreux exemples (Téléthon, Sidaction, Restos du cœur, Virades, Urgences, etc.) incompréhensibles sans la ressource médiatique. Néanmoins, on aurait souhaité que l’auteur consacre davantage de lignes aux enjeux économiques du développement médiatique et à ses effets sur ce qu’on qualifie généralement d’opinion publique. Les représentations du social, notamment la légitimation de la traduction de ce dernier 469