Université Lumière-Lyon2 Master 2 Recherche
Lettres Modernes
Maucourant Elie
POUR UNE FANTASY ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ
Une étude de Même pas Mort de Jean-Philippe Jaworski
Mémoire préparé sous la direction de :
Mme. Fili-Tullon, Maîtresse de Conférences
M. Trousselard, Maître de Conférences
Année 2015-2016
Soutenu en septembre 2016
SOMMAIRE
INTRODUCTION ..................................................................................................... 5
I) Une approche historique, anthropologique et mythologique ............................. 12
A) Le temps : de l'importance de l'Histoire, et du choix de l'époque ................. 13
1) Une époque historique entre Hallstatt et La Tène : un récit placé durant la
Protohistoire ..................................................................................................... 14
2) Une volonté de se démarquer des autres auteurs de fantasy grâce à la
temporalité ....................................................................................................... 17
3) L'Histoire dans Gagner la Guerre ............................................................... 19
B) Le choix du réalisme, le pari du récit anthropologique................................. 21
1) Calendriers, lieux réels et tribus................................................................. 22
2) Représentation de la société gauloise : le choix de l'anthropologie et de
l'archéologie ...................................................................................................... 26
3) Le vocabulaire technique ............................................................................. 32
C) L'ancrage mythologique dans le récit ............................................................ 34
1) Les lieux mythologiques, dieux, créatures, et entités magiques : une étude
esthétique et archéologique ............................................................................. 35
2) Bellovèse, avatar de Cûchulainn................................................................. 43
3) Limites et succès de Même pas Mort : l'exemple de Celtika ...................... 47
II) Structures et thématiques du récit ................................................................... 51
A) Déconstruire le récit ....................................................................................... 51
1) Le titre, l'incipit, l'explicit, et l'épigraphe ................................................... 52
2) Les étapes et la structure du récit .............................................................. 55
3) Maîtriser le temps........................................................................................ 60
2
B) De la magie et des personnages au sein de l'énonciation ............................. 64
1) De l'importance des lieux magiques : les lieux intermédiaires ................. 65
2) Le chiffre trois : une organisation tripartite des personnages dans la
narration .......................................................................................................... 74
3) Le rôle ambigu des dieux et leur place dans le récit .................................. 76
C) Au-delà de la mort .......................................................................................... 83
1) Un titre paradoxal ....................................................................................... 84
2) La question du récit à la première personne, de l'interlocuteur ionien et de
l'autobiographisme ........................................................................................... 88
3) La place du point de vue interne au sein de la bibliographie de l'auteur . 94
III) Analyse formelle et redéfinition du genre ....................................................... 97
A) Onomastique et néologismes .......................................................................... 97
1) Etude sémantique des lieux ........................................................................ 98
2) Onomastique des tribus, dieux, déesses et créatures ............................... 103
3) Onomastique des personnages humains................................................... 106
B) Une écriture visuelle et soutenue ................................................................ 110
1) De la question de l'introspection : l'exemple du prologue ........................ 111
2) Des figures de styles pour une écriture visuelle ....................................... 114
3) Des niveaux de langage et des stratégies de représentation ................... 118
C) Comprendre et situer l’écriture de Jaworski ............................................... 122
1) Quelle place pour Même pas Mort dans la bibliographie de l’auteur ? ... 122
2) Une poétique similaire : Celtika ............................................................... 125
3) Vers une nouvelle fantasy ?....................................................................... 129
CONCLUSION ...................................................................................................... 132
ANNEXES ............................................................................................................. 138
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 160
3
4
INTRODUCTION
La fantasy est un genre originellement anglo-saxon, comme le prouve la
morphologie du mot. On notera donc le choix de privilégier la désinence en « y »
plutôt que de choisir l’orthographe française. Si le terme anglais est maintenu,
c’est parce que ses fondateurs sont de langue anglaise. Avant de s’imposer en
France dans les années 1970, la fantasy émerge avec des auteurs anglais tels que
William Morris. Ses travaux d’ordre préraphaélite et utopistes le définissent
comme précurseur du genre, notamment avec The Water of the Wondrous Isles
(1897)1, The Wood beyond the World (1894)2, The Well at the World’s End
(1896)3, des œuvres épiques qui auront un impact direct sur Tolkien. Il n’est
cependant pas le seul écrivain de langue anglaise à annoncer la fantasy. Lord
Dunsany, Clark Ashton Smith, H-P. Lovecraft et Robert Erwin Howard4 font
également figure de précurseurs du genre. Tolkien donne l’assise que nous
connaissons au genre, notamment avec le triptyque du Seigneur des Anneaux.
Comme le précise Vincent Ferré :
Tolkien se place dans la lignée de Thomas Malory et des romans médiévaux comme ceux
qui ont utilisé une matière ancienne pour en faire un nouvel usage, maillon d’une tradition
littéraire millénaire, une longue ligne continue, indivisible, proche (...) de Milton ou de
Chaucer, sans compter la littérature nordique.5
Il apparaît alors que la fantasy est un genre, par essence anglo-saxon, dont
les origines sont à chercher du côté des « chansons de geste, des légendes
arthuriennes et des sagas nordiques » 6, comme l’explique Jacques Goimard. La
fantasy, puisqu’elle s’inspire de la geste médiévale et des sagas, relève donc de
l’épopée. Issue du grec « epos », définie par Aristote dans La Poétique comme un
récit de style soutenu évoquant les exploits de héros et faisant intervenir « les
William MORRIS, The Water of the Wondrous Isles, Londres, Kelmscott Press Edition, 1897.
William MORRIS, The Wood beyond the World, Londres, Kelmscott Press Edition, 1894.
3 William MORRIS, The Well at the World’s End, Londres, Kelmscott Press Edition , 1896.
4 Howard est connu pour avoir écrit l’ épopée moderne de Conan le Cimmérien, également appelé
Conan le Barbare.
5 Vincent FERRE, Tolkien, sur les rivages de la Terre du Milieu, Paris, Christian Bourgeois, 2001,
p. 132.
6, Jacques GOIMARD, Critique du Merveilleux et de la fantasy , Paris, Pocket, 2003, p. 14.
1
2
5
puissances divines » 1, l’épique est une des caractéristiques du genre qui nous
intéresse. Toutefois, à la différence des récits homériques ou de la geste
médiévales, la fantasy est un genre romanesque. En ce sens, elle se rapproche à
nouveau des grands récits médiévaux plaçant l’aventure au centre de la
construction narrative, comme l’explique Erich Köhler : « le roman médiéval ne
comporte pas seulement une suite presque ininterrompue d’aventures, il ne
comporte surtout rien d’autre que ce qui a trait à l’aventure (...) c’est un monde
spécialement créé et agencé pour la mise à l’épreuve du chevalier » 2.
Le
merveilleux est également une caractéristique du genre. Colin Manlove nous
explique, en effet, que la « fantasy is a fiction evoking wonder, and containing a
substantiel and irreductible elements of supernatural worlds, beings, or objects
with which the mortal characters in the story or the readers become on at least
partly familiars terms » 3. Cet univers fictif et magique doit être décrit avec
minutie. On retrouve, dans la fantasy, le besoin d’être exhaustif pour que le
lecteur devienne familier avec le monde étranger qu’il découvre et pour qu’il en
perçoive l’immensité :
La topographie, la toponymie, la faune et la flore, différentes des nôtres, font de cet univers
un tout apparemment autonome, dont on peut tirer un atlas, classer les langues et les
espèces (...) le monde semble donc excéder ce qu’en perçoivent les personnages et le
lecteur. 4
Les univers de fantasy sont, par ailleurs, « médiévalisants », c’est-à-dire
qu’ils utilisent des éléments médiévaux sans toutefois prétendre à une
quelconque historicité. Cependant, l’aspect « médiévalisant » n’est pas une norme,
comme le prouvent les romans de fantasy se déroulant durant des époques
rappelant l’Antiquité et ses mythes5. Mais le caractère épique et merveilleux
ARISTOTE, La Poétique, Paris, Les Classique de Poche, Le Livre de Poche, 1990, p. 35.
Erich KÖHLER, L’Aventure chevaleresque, idéal et réalité dans le roman courtois, Paris,
Gallimard, p. 128.
3 Colin MANLOVE, Modern Fantasy, Five Studies, New York and London, Cambridge University
Press, 1975, p. 8. Traduction : « La fantasy est fondamentalement liée au merveilleux dans la
mesure où elle est riche en univers, créatures et objets magiques dont les personnages mortels et
les lecteurs deviennent familiers ».
4 Vincent FERRE, op.cit, p. 87.
5 Comme l’illustre l’exemple du roman de Paul KEARNEY, 10000, Au Coeur de l’Empire : « Jason
étudia les adolescents. (...) Peu lui importait que le gros souriant aille pleurer sur le giron de la
déesse (...) Peut-être deviendrait-il un jour un soldat valable, mais il en doutait. Ah, laissons à
Phobos le soin de le déterminer ! (...) C’était par tradition à côté du centos qu’un centurion
s’adressait à ses mercenaire et que ces derniers votaient l’acceptation d’un tout nouveau
1
2
6
occupe toujours une place essentielle dans ces récits.
Leurs fonctions
énonciatives restent les mêmes et seuls changent les noms de lieux ou des héros.
Faire de la fantasy, comme les romans épiques médiévaux, durant l’Antiquité
n’est donc pas, en soi, un basculement des références, mais bien un rappel des
origines de la fantasy, comme l’Iliade, récit fondateur du genre épique. La fantasy
est donc un genre anglo-saxon contemporain romanesque, traitant avant tout
d’aventure, puisant des éléments thématiques et énonciatifs dans le merveilleux
et l’épique, tout comme elle trouve ses origines dans les grandes sagas nordiques,
la geste médiévale et les légendes arthuriennes. Le genre n’est pourtant pas
populaire, à ses origines, en France. En effet, Le Seigneur des anneaux ne paraît
en France qu’en 1972. Il faudra encore attendre quelques années avant que ne
soient créées des maisons d’édition spécialisées : L’Atalante en 1979, Mnemos en
1995, Bragelonne en 2000. Souvent considérée comme relevant de la
paralittérature1, elle est principalement portée par des auteurs de langue
anglaise, bien que des auteurs français tendent à émerger : Mathieu Gaborit,
Henri Loevenbruck, Jean-Louis Fetjaine, Cédric Ferrand, Jérôme Noirez,
Stéphane Beauverger, Hugo Bellagamba, Thomas Day, Olivier Peru, pour ne
citer qu’eux. Mais face aux anglo-saxons et à leurs parutions massives, il
apparaît difficile pour les auteurs français de trouver une place à l’intérieur du
genre2. Dès lors, comment s’imposer dans un genre dominé par les anglo-saxons,
contrat » , in Paul KEARNEY, 10000, Au cœur de l’empire, traduit par Jean-Pierre PUGI, Paris, Le
Livre de Poche, 2008, pp., 100, 106.
1 Bien qu'ambigu, le terme de paralittérature désigne, la « littérature populaire de masse »,
« enfantine », « une sous-littérature » à opposer à « l'ultra littérature » . Toutefois, toujours selon
Marc ANGENOT, « productions paralittéraires et littéraires sont inséparables l'une de l'autre »,
voir Qu’est-ce que la paralittérature ?, in Marc ANGENOT, Études littéraires, vol. 7, n° 1, 1974, p.
9-22, source URL : http://id.erudit.org/iderudit/500305ar (consulté le 10 Février 2016).
2 C’est, en tout cas, la position intéressée de l’éditeur Stéphane Marsan, co-fondateur de
Bragelonne, maison d’édition spécialisée dans les littératures de l’imaginaire : « La fantasy
fut négligée des grands éditeurs -qui laissaient les petits s’y ébattre, comme du grand public- qui
l’estimait réservée à un lectorat uniformément adolescent et masculin. Les auteurs français, de
surcroît, peinent (...) à trouver leur place dans un paysage éditorial majoritairement anglo-saxon.
Bien entendu, ni les Chansons de geste, ni l ’Iliade et l’Odyssée ne peuvent être classées au rayon
Fantasy. Mais reposant sur les mêmes ressorts, elles touchaient certainement leur auditoire de la
même manière. Aussi, loin du dédain dont on l’accable, la Fantasy mériterait, de la part des
grands éditeurs français, un surcroît d’attention. Les dragons cachent un trésor à prendre (...)
Mais beaucoup [d’auteurs français de fantasy] ont en commun une négligence -volontaire ou pasde l’efficacité narrative au profit de la création, de l’originalité », in Le Magazine Littéraire) :
http://www.magazine-litteraire.com/actualite/paradoxe-fantasy-30-04-2008-32291(consulté le 30
7
quelle rupture opérer et quels substrats mythologiques choisir pour un auteur
français ? Car si la fantasy est si riche en dragons et en avatars de Siegfried, c’est
avant tout parce que le substrat esthétique et thématique est celui des
scandinaves et des anglo-saxons. Peut-être faut-il alors envisager une poétique
entre rupture et continuité pour s’orienter vers une nouvelle fantasy. Nous
comprendrons la poétique selon les critères de Roman Jakobson comme
La fonction dominante [du langage] , déterminante, cependant que dans les autres
activités verbales elle ne joue qu'un rôle subsidiaire, accessoire. Cette fonction, qui met en
évidence le côté palpable des signes, approfondit par là même la dichotomie fondamentale
des signes et des objets. 1
Cette « fonction dominante » permettrait aussi d’entretenir un nouveau
rapport à l’Histoire, et d’interroger la fantasy dans son rapport compulsif à
l’exhaustivité et au savoir. Une poétique entre rupture et continuité sous entend
également le choix de nouveaux substrats mythologiques et esthétiques :
l’héritage francophone est riche, par exemple, en « fond diffus » celtique, peu
connu du grand public, mais apte à remplir les mêmes fonctions énonciatives que
ce que l’on attend dans le roman de fantasy. Une nouvelle poétique amène
également à s’interroger sur la question du type de lecteur visé, car si la
littérature de fantasy anglo-saxonne ne semble pas souffrir de l’amalgame entre
la fantasy et paralittérature2, les productions françaises ont du mal à être
considérées comme une littérature en soi, et sont souvent, comme nous l’avons vu
précédemment, associées à la paralittérature, une littérature de consommation
pour jeunes adolescents. L’écrivain français de fantasy, Jean-Philippe Jaworski,
se place ainsi de manière paradoxale par rapport au genre et aux critères qui le
définissent. Jean-Philippe Jaworski est l’auteur de trois romans : Gagner la
Mars 2015). Cette dernière remarque implique une certaine responsabilité de la part des auteurs
français par rapport à leur relatif échec de s’imposer sur le marché. Elle est révélatrice, surtout
de la part d’un éditeur français, d’un problème inhérent à la fantasy francophone.
1 Roman JAKOBSON, Essais de linguistique générale , préface et traduction de Nicolas RUWET,
tome 1, 1963, p. 218.
2 L’œuvre de Tolkien, par exemple, est l’objet de cours universitaires dans les facultés anglosaxonnes. Elle est, de plus, étudiée de la même façon que n’importe quel autre auteur de
littérature dite « classique ». C’est le cas dans les universités de Rutgers :
https://www.rci.rutgers.edu/~wcd/tolkien.htm (consulté le 23/08/15), mais aussi de Chicago :
http://home.uchicago.edu/~rfulton/tolkien (consulté le 23/08/15) et bien entendu en Angleterre,
précisément
dans
les
départements
de
littérature
d’Oxford
et
Cambridge :
http://oxsummerschools.co.uk/courses/english-literature/index.html (consulté le 23/08/15).
8
Guerre, Même pas Mort et Chasse Royale, dont les deux derniers appartiennent
à un triptyque intitulé Les Rois du Monde. Le premier tome des Rois du Monde,
Même pas Mort, apparaît comme un récit présentant les grandes caractéristiques
du roman de fantasy, comme il exprime une certaine rupture par rapport au
genre. Tout en se réclamant de l’héritage tolkiennien, Jaworski opère un certain
nombre de basculements dans les références thématiques, propose un nouveau
traitement de l’Histoire dans la fantasy tout comme son écriture, exigeante,
appelle un changement de type de
lecteur. Son deuxième roman, Même pas
Mort, semble ainsi interroger le rôle des auteurs francophones de fantasy, de leur
responsabilité dans les difficultés rencontrées par la fantasy française qui
« néglige- volontaire[ment] ou pas- l’efficacité narrative au profit de la création,
de l’originalité »1, pour reprendre la terminologie de Marsan. Il nous appartient
désormais de démontrer en quoi Même pas Mort est un roman de fantasy
exprimant une poétique entre rupture et continuité face au genre auquel il
appartient.
En premier lieu, il conviendra d’étudier la question de l’Histoire dans le
roman. Le récit de Jaworski n’est pas « médiévalisant ». De prime abord, il se
déroule durant l’Antiquité gauloise et privilégie un cadre narratif proche des
découvertes historiques et archéologiques. En cela, il s’éloigne du merveilleux
pour développer un effort de vraisemblance qui n’est pas sans rappeler le
« réalisme magique »2. La temporalité utilisée dans le récit le distingue
également des autres auteurs, en particulier Tolkien. La société gauloise est, de
plus, minutieusement décrite : les rapports humains, les rites de passages, les
calendriers, les fêtes religieuses... l’auteur semble avoir voulu faire une « fantasy
vraisemblable ». D’ailleurs, le choix de privilégier une écriture au plus près des
découvertes archéologies induit l’utilisation d’un vocabulaire spécialisé précis,
1
Cf. note 2, p. 3.
« L’écriture magico-réaliste préconise et transgresse simultanément les limites traditionnelles
entre réalité et imaginaire, en réarrangeant les niveaux ontologiques en apparence antithétiques
faisant partie du texte littéraire : la réalité quotidienne, vérifiable par la logique et la perception,
d’un côté, et les phénomènes sensoriellement insaisissables et inexplicables du surnaturel de
l’autre », in fabula.org (consulté le 15/08/16) : http://www.fabula.org/actualites/le-realismemagique-comme-strategie-narrative-dans-la-reappropriation-des-traumatismeshistoriques_56459.php
2
9
différent des néologismes habituellement utilisés en fantasy. Il y a, également,
un basculement des références mythologiques et esthétiques dans Même pas
Mort. Le roman met en avant un panthéon celtique, utilisant également un
substrat esthétique et mythologique irlandais et gaulois très important. Ainsi,
Thor ou Beowulf sont relégués au profit d’Ogmios ou de Cûchulainn, certes moins
connus, mais appartenant à un patrimoine, français, délaissé au profit des
mythes anglo-saxons. Toutefois, il conviendra de nuancer le propos en précisant
qu’une telle démarche existe déjà chez les anglo-saxons : en 2001 le roman
d’Holdstock, Celtika, met en œuvre des moyens textuels similaires.
L’étude de la structure et des thématiques du récit nous permettra, dans un
second temps, de voir en quoi l’auteur se place entre rupture et continuité. Nous
verrons comment Jaworski se pose en maître du temps, comment le récit est
organisé d’un point de vue chronologique, tout à fait distinct de celle que l’on peut
traditionnellement retrouver dans le genre. Nous verrons, par ailleurs, dans le
récit, quelles sont les fonctions énonciatives propres à la fantasy et relative aux
dieux, aux lieux intermédiaires, et de quelle manière Même pas Mort est
organisé, a priori, autour de la symbolique universelle du chiffre trois. Enfin, la
question du temps et des dieux induira celle de la mort et de son dépassement
par la transmission de la mémoire, et la célébration du souvenir. L’utilisation de
la première personne, récurrente dans la bibliographie de l’auteur, nous amènera
également à réfléchir à la notion d’autobiographisme et de remembrance.
Enfin, nous étudierons et au but sous -jacent du roman, à savoir, un appel
à redéfinir la fantasy. En ce sens, une étude de l’onomastique littéraire nous
permettra de mettre en avant les choix
de l’auteur et des enjeux que cela
soulève. La question de l’introspection sera également évoquée, avec l’exemple
remarquablement parlant du prologue, tout à fait différent de ce qui est en
général attendu en fantasy. Nous verrons, de plus, que l’écriture de Jaworski est
visuelle, très descriptive, et également très soutenue, induisant un changement
de type de lecteur. Cependant, l’auteur ne néglige pas non plus les alternances de
niveaux de langue, ce qui l’inscrit en continuité dans le genre. Mais Même pas
Mort est également riche en procédés de représentation, de mises en scène, qui
ne sont pas sans rappeler le théâtre et qui soulignent la volonté de brouiller la
10
frontière entre les genres, et donc, de redéfinir la fantasy. Ces questions nous
permettront de comprendre et de situer l’ouvrage dans la bibliographie de
l’auteur et tout particulièrement dans le panorama de la fantasy francophone. De
cette manière, nous réfléchirons au fait que Jean-Philippe Jaworski, par le biais
de Même pas Mort nous inviter à aller vers une nouvelle fantasy.
11
I) Une approche historique, anthropologique et mythologique
Le roman de Jaworski, Même pas Mort, a la caractéristique de mélanger
l'Histoire,
l'archéologie,
l'archéologie
expérimentale,
l'anthropologie
et
l'anthropologie historique, mais aussi la mythologie celtique, comme La Geste de
Cûchulainn. Ce travail transdisciplinaire a des conséquences en terme de
traitement textuel : choix de la temporalité, noms des personnages, relations
entre les personnages, esthétique des dieux et des créatures ou encore choix d'un
lexique volontairement technique. Nous réfléchirons dans cette partie à la
finalité de cette méthode d'écriture. Grâce aux exemples extraits du texte et
comparés avec les textes anciens et d'autres contemporains, nous verrons que
l'auteur cherche peut-être à s'adresser à un public différent de celui
traditionnellement associé à la fantasy, à s'appuyer sur d'autres récits faisant
figure d'autorité, et plus généralement à redéfinir un genre sans être en totale
rupture avec les codes de ce dernier.
Notre étude débutera avec la question du choix de l'époque, qui place Jaworski de
manière spécifique dans le panorama des auteurs de fantasy, et qui renvoie aussi
au travail effectué par l'auteur au sein de sa propre bibliographie. Ces questions
nous amèneront à réfléchir sur la place accordée à l'anthropologie dans le récit :
la chronologie, les repères temporels ainsi que les rapports entre les personnages
en dépendent, tout comme le lexique technique que l'auteur utilise. Enfin, nous
étudierons l'ancrage mythologique dans Même pas Mort grâce à une analyse
esthétique des figures magiques et du héros dans le récit. Nous remarquerons
que cette esthétique s'appuie sur des textes faisant figure d'autorité, différents de
ceux traditionnellement utilisés par la fantasy. En ce sens, cela nous amènera
également à réfléchir à d'autres textes contemporains de fantasy, utilisant des
procédés similaires, mais écrits toutefois en anglais. A l'issue de cette partie,
nous tenterons donc de comprendre de quelle manière Jaworski cherche à
redéfinir le genre de la fantasy en changeant de public lecteur et de textes de
références.
12
A) Le temps : de l'importance de l'Histoire, et du choix de l'époque
L'Histoire occupe une place importante dans le récit de Jaworski. Il s'agit
d'une composante essentielle de l'œuvre. Nous allons observer, dans cette partie,
que la temporalité dans le texte est parfaitement situable, à la différence d'autres
œuvres de fantasy. La représentation littéraire de cette époque dans l'ouvrage est
un choix de traitement textuel qui a des conséquences thématiques et
sémantiques importantes. Cependant, et probablement parce que Même pas Mort
est un ouvrage de fiction relevant du genre de la fantasy1, le récit reste ambigu
sur certains points. Par exemple, le narrateur explique dès l'incipit qu'il part
conquérir des territoires et s'y installer pour fonder une colonie. A la question de
savoir quelle est la ville fondée par Bellovèse, l'Histoire répond prudemment et
Jaworski ne donne aucune précision. Il nous faudra donc tenter de comprendre ce
choix. De plus, les personnages évoqués dans le récit sont sujets à caution pour
les historiens. En ce sens, il nous faudra étudier comment l'auteur traite des
informations historiques contradictoires pour créer un récit épique2. Par ailleurs,
si d'un point de vue général, il est facile de situer le récit, dans le temps, il
devient très complexe de proposer précisément des dates relatives aux péripéties
de Même pas Mort. A nouveau, et au delà de l'analyse factuelle de ces
informations, il conviendra de comprendre quels sont les enjeux soulevés par ces
stratégies d'écriture. Ce rapport très proche et parfois paradoxal avec l'Histoire,
nécessitera une étude comparée avec d'autres œuvres du genre de la fantasy afin
de comprendre en quoi ce deuxième livre de Jaworski se place entre rupture et
continuité. Ainsi, il nous faudra replacer Même pas Mort dans la perspective du
genre, et étudier en quoi il est en tension avec d'autres ouvrages, tout comme il
s'en rapproche. Une comparaison des personnages dans d'autres récits
privilégiant l'Histoire comme cadre narratif et des cadres temporels, nous
permettra de comprendre en quoi Même pas Mort est original. Sans être en
rupture totale avec ces récits, nous verrons que le roman est défini par des choix
d'écriture et de rapports au temps différents. Enfin, après avoir comparé Même
1
2
Cf. Introduction.
Ibid.
13
pas Mort avec d'autres ouvrages sur la question de la temporalité, il nous faudra
étudier la place de ce texte dans la bibliographie de l'auteur, notamment avec
l'exemple de son premier roman, Gagner la Guerre1. L'étude sémantique de
diverses occurrences nous permettra de remarquer certaines similitudes mais
surtout des divergences dans les choix d'écriture. Ainsi, même si le premier
roman de Jaworski montre déjà des stratégies que l'on retrouvera dans Même
pas Mort, il témoigne surtout d'une approche différente dans le traitement des
données historiques afin de construire le récit. Plus proche d'autres romans de
fantasy, l'exemple de Gagner la Guerre nous montrera que Même pas Mort est un
récit original dans son traitement textuel, et qui pose, peut-être, la question
d'une redéfinition du genre.
1) Une époque historique entre Hallstatt et La Tène : un récit placé durant la
Protohistoire
Jaworski prétend que son récit se déroule durant la protohistoire2. Cette
période historique en Gaule est divisée en deux époques distinctes: Hallstatt (700 à -450) et La Tène (-450 à 0). Ces époques consécutives correspondent au 1er
et au 2e Age de Fer. Les personnages « protohistoriques »3 que l’on retrouve dans
le récit sont Bellovèse, Ségovèse et Ambigat. S’ils sont décrits par Tite-Live,
comme ayant vécu en –6004, ils sont considérés par certains historiens comme
fictifs5. Certains chercheurs les attestent, mais en Gaule, et en –4506, tandis que
des archéologues confirment l’existence de mouvements migratoires vers –6007,
1
Jean-Philippe JAWORSKI, Gagner la Guerre, op. cit.
https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
3
Olivier BUCHSENSCHUTZ, Les Celtes de l’âge du fer, Paris, Armand Colin, 2007, p. 10.
4
JEAN-LOUIS BRUNAUX, Les Gaulois, Paris, Guide Les belles lettres et civilisation, 2005, p. 276.
5
« On ne peut calquer aucune réalité historique sur cette légende. Cependant, cette dernière
illustre bien la période obscure des débuts de l’histoire de la Gaule celtique quand seule la partie
centrale de la Gaule était vraiment celtique (d’où son nom) et que déjà des peuples puissants
(Bituriges, Sénons entre autres) formaient des Etats autonomes cependant liés les uns aux autres
», in Jean-Louis BRUNAUX, op.cit., p. 276.
6
« Cette datation (-600) est beaucoup trop haute pour la plupart des historiens car Tite-Live fait
une erreur chronologique en plaçant sous Tarquin l’Ancien cette invasion qui n’a pu se produire
qu’au tout début du IVe siècle. Certains historiens mettent en doute l’ensemble du passage et plus
particulièrement la présence de ces peuples gaulois qui leur paraît trop précoce. » ibid., p. 76.
7
« La légende rapportée par Tite-Live veut qu’Ambigat ai envoyé ses deux neveux, Bellovèse et
Sigovèse, avec toute la jeunesse du pays conquérir de nouvelles terres. (...) Cette légende s’appuie
sur une réalité historique, car d’importants déplacements de peuples gaulois, certains dès la fin
2
14
reprenant ainsi la thèse de Tite-Live. Nous voyons donc, aux yeux de l'Histoire,
qu'il est difficile de proposer une chronologie précise pour ces personnages,
potentiellement attestés. Quant au récit, il n’est pas daté par l'auteur, même si
les péripéties annoncées dans l’incipit semblent relativement concorder avec la
très courte biographie supposée d’Ambigat, de Bellovèse et de Ségovèse 1. Ainsi,
dans Même pas Mort, Bellovèse relate qu'il a quitté son foyer natal : « Je suis né
dans une terre si lointaine »2. Nous apprenons également qu'il a conquis des
terres étrangères : « Voici vingt hivers que j’ai fixé mon peuple dans cette grande
plaine, entre mer et montagnes »3. La plaine « entre mer et montagnes »
pourrait, en ce sens, suggérer Milan qu'aurait fondé Bellovèse, ou du moins, la
péninsule italienne. Cependant, il est impossible de savoir exactement où est
parti le narrateur et où, précisément, il a fondé sa colonie. Par ailleurs, l’Histoire
nous apprend que les Gaulois du
VIe
siècle commerçaient déjà avec la
Méditerranée, et en particulier les Grecs, à qui les Celtes achetaient déjà du vin4.
Puisque le narrateur parle longuement et à plusieurs reprises avec un marchand
Ionien5 (un Grec, donc6) qui est son confident, nous pourrions éventuellement
supputer que le récit se déroule au 1er Âge de Fer. D'ailleurs, Bellovèse connaît
parfaitement le monde grec. Il en fait la démonstration lorsqu'il apostrophe son
confident ionien : « Toi qui déchiffres les lettres, sais-tu lire sur un corps comme
du ve siècle, sont perceptibles dans les traces qu’ils laissent dans les régions colonisées. Les
dernières découvertes archéologiques donnent, au fil du temps, de plus en plus de crédit aux
informations de l’historien romain », ibid., p. 76.
1
« Ambigatos, roi légendaire des Bituriges, serait contemporain de Tarquin l’Ancien (à la fin du
VIIe siècle av. J-C). Son nom signifie “celui qui combat des deux côtés“. Tite-Live rapporte qu’à
cette époque les Bituriges règnent sur la partie centrale de la Gaule et que celle-ci connaît une
crise de surpeuplement. Pour la résoudre, Ambigat envoie ses deux neveux, Bellovèse et Sigovèse,
fils de sa sœur, avec le maximum de population chercher d’autres terres. Ces derniers partent
chacun dans les directions qui les augurent : le Sud et l’Italie pour Bellovèse, l’Europe centrale
pour Sigovèse. Le premier emmène avec lui des Bituriges, des Arvernes, des Sénons, des Eduens,
des Ambarres, des Carnutes et des Aulerques. Arrivant dans le Sud de la Gaule, ils aident les
Phocéens à s’installer puis ils franchissent les Alpes et fondent Milan », ibid., p. 276.
2
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 9.
3
Ibid.
4
« Les dernières découvertes récentes faites à Bourges chez les Bituriges, montrent que ce site est
occupé depuis le VIe siècle et qu’il commerçait déjà avec de nombres cités du monde méditerranéen
», in Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 76
5
On le retrouve fréquemment, dans le récit, à qui le narrateur s’adresse constamment : « vous
autres, Ioniens... », p. 66 ; « tu connais nos boucliers, ils diffèrent des vôtres » (ibid), « dans ta
langue, marchand... », p. 76 ; « Toi aussi, marchand, tu es un voyageur. », p. 9, in Jean Philippe
JAWORSKI, op. cit.
6
Cf. annexes : Index loci.
15
sur tes tablettes ? »1. Cette phrase montre que le narrateur a conscience du fait
que les Grecs ont la maîtrise de l’écriture. Il en va de même avec cet exemple,
«Tes pas te porteront dans les (...) tyrannies hellènes »2, qui prouve que Bellovèse
a une parfaite connaissance du système politique grec.
Cependant, il serait trop rapide de concevoir que le récit se déroule durant
Hallstatt, c'est-à-dire vers le
VIe
siècle, par cette simple affirmation. Et outre cet
indice, aucun autre élément ne permet de situer le récit durant la période dite
Hallstattienne ou Latènienne.
Ainsi, l’on ne saurait voir, au travers des
personnages de Jaworski une réelle démarche historique, mais plutôt des
personnages s’appuyant rapidement sur les connaissances scientifiques actuelles.
A plus forte raison qu'aux yeux de l'Histoire, Bellovèse, Ambigat et Ségovèse,
restent eux-mêmes sujet à caution. En ce sens, l'Histoire n'est qu'une matière
parmi d'autre, un moyen d'écrire renvoyant aux préceptes d’Aristote : « ce n’est
pas la fonction du poète de dire ce qui s’est produit, mais de dire les événements
tels qu’ils auraient dû se produire et les événements possibles, suivant la
vraisemblance ou suivant la nécessité »3. Par matière, et c’est bien peu, nous
entendons, comme nous l’avons vu, les noms propres, une bibliographie très
approximative, et quelques liens avec le monde méditerranéen. L’exploitation des
incertitudes des historiens est donc un moyen de création pour l’auteur. Cette
démarche démontre ainsi l’utilisation de l’Histoire comme un prétexte pour
construire un récit. Pour reprendre la terminologie de Barthes, il s’agit en en ce
cas d’un « effet de réel »4. De plus, si Bellovèse, Ambigat et Sacrovèse sont
probablement attestés, les autres personnages ne le sont pas.
Toutefois, nous verrons que l'auteur s'appuie sur des découvertes
archéologiques et des études anthropologiques5. Enfin, le choix de préférer un
1
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 8.
Ibid., p. 7.
3 ARISTOTE, op. cit., p. 49.
4
Selon Barthes, « l'effet de réel » permet de justifier la présence d'éléments très concrets dans le
texte. « L'effet de réel » a donc pour fonction la juxtaposition du texte avec le monde réel. Voir
Roland BARTHES, L'Effet de réel, Communications, Paris, Volume 11, Numéro 1, 1968 pp. 84,
89.
5 Cf. Partie I.B.2.
2
16
cadre historicisant, pour un récit de fantasy, témoigne d'une stratégie d'écriture
spécifique : il s'agit peut-être de se différencier des autres auteurs du genre.
2) Une volonté de se démarquer des autres auteurs de fantasy grâce à la
temporalité
Le rapport au temps, dans la littérature de fantasy est très varié. Ainsi,
chez Tolkien, le récit merveilleux précède notre époque, comme l'explique Vincent
Ferré : « Chez Tolkien, le lien avec la Terre prend la forme d’une translation dans
le temps, puisque le récit se déroule à une époque qui précéderait la nôtre. Car
c’est bien notre ère qui est prise comme référence (...) cette histoire est vraiment
l’histoire de ce qui a eu lieu en “X“ avant J-C »1. S'il convient d'évoquer Tolkien
avant tout, c'est parce que qu'il fait figure d'autorité dans la fantasy. Jaworski
s'en réclame2, mais paradoxalement s'en éloigne puisque son récit est situé dans
une ère historique. Cette différence notable dans le traitement textuel et sa
temporalité n'est pas sans rappeler d'autres démarches historicisantes, à l'instar
de G-R-R Martin qui inscrit son récit dans une époque fictive, mais
volontairement inspirée par les romans historiques, dans le long cycle du Trône
de Fer3. Beaucoup d'autres auteurs ont suivi cet exemple, comme Cédric
Ferrand4, Greg Keyes5, ou encore Paul Kearney6. Toutefois, ce travail par rapport
à la temporalité reste assez différent de celui de Jaworski. En effet, ces récits ne
prétendent pas se dérouler dans une période historique, ni ne mettent en avant
des personnages connus par les historiens. La nuance existe toutefois, comme le
prouve l’exemple du Temple et la Pierre, roman de fantasy, se déroulant dans
FERRE, op. cit., p. 89.
https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulté le 4 Avril 2015).
3
MARTIN reconnaît s'inspirer très largement de la saga Les Rois Maudits, de Maurice DRUON.
Voir
:
My
Hero
Maurice
Druon,
by
George
RR
Martin
:
(http://www.theguardian.com/books/2013/apr/05/maurice-druon-george-rr-martin) ;
Game of
Throne, une fantasy réaliste ? : (http://www.goliards.fr/2014/05/game-of-thrones-et-g-r-r-martinla-fantasy-le-realisme-et-lhistoire-du-moyen-age/#fn-2404-5)
; et George Raymond Richard
MARTIN, Le Trône de Fer, traduit par Jean SOLA, (1, 2) Paris, J’ai Lu, 2001.
4 Cédric FERRAND, Wastburg, Folio SF, Paris, Gallimard, 2001.
5 Greg KEYES, Les Royaumes d’Epines et Os, (1, 2, 3), traduit par Jacques Collin, Paris, Pocket,
2006.
6 Paul KEARNEY, op. cit.
1 Vincent
2
17
une période historique connue, mais dont les personnages principaux ne sont pas
des figures attestées1.
Deux exemples de roman de fantasy ressemblent, sur ce point à Même pas
Mort : Le Déchronologue de Stéphane Beauverger2, en français, et surtout,
Celtika, de Robert Holdstock3, écrit en anglais. Le récit du Déchronologue se
situe à cheval sur époques. De l'Antiquité (« Voici les bateaux d'Alexandre le
Grand... »4), au
XVIIe
siècle
(« Donc, nous fîmes escale à Hispaniola »5).
Cependant, et comme nous le voyons, le récit n'est pas fixé dans un temps précis :
les personnages ne s'attardent guère dans chaque époque. L’évocation des temps
et des figures historiques est donc succincte, à la différence de Jaworski. Enfin,
l'auteur insère divers anachronismes6 dans le texte qui contribuent à en faire un
ouvrage placé entre la science-fiction et la fantasy. Robert Holdstock, pour sa
part, est celui dont la démarche est la plus proche de Jaworski. Il décrit dans
Celtika un raid gaulois attesté sur Delphes au
IIIe
siècle avant Jésus-Christ7,
mené par le roi et guerrier celte Brennos, puis y insère les figures de Merlin et de
Jason dans ce récit de pillage. Même pas Mort et Celtika ont donc pour point
commun de se dérouler, comme nous l'avons vu, durant les Âges de Fer gaulois.
Ils ont également comme similitude la présence de personnages historiques :
Brennos pour Celtika, Ambigat, Bellovèse et Ségovèse pour Même pas Mort.
Nous
reviendrons
sur
le
cas
de
Celtika8, puisqu'il présente d'autres
ressemblances avec Même Pas Mort. Toutefois, bien que ces ouvrages soient
proches, ils ne demeurent pas moins distincts. Ainsi, si Brennos est tout à fait
Le Temple et la Pierre, se déroule durant l’insurrection écossaise à la fin du XIIIe siècle, et met
en scène deux templiers fictifs pris dans la débâcle politique de cette époque. Voir Katherine
KURTZ et Deborah Harris, Le Temple et la Pierre, traduit par Elie ROBERT-NICOUD, et Simone
HILLING, Paris, Pocket, 2004.
2
Stéphane BEAUVERGER, Le Déchronolgue, Paris, La Volte, 2009.
3
Robert HOLDSTOCK, Celtika, Livre premier du Codex de Merlin, traduit par Thierry ARSON,
Paris, Pocket, 2001.
4
Ibid., p. 145.
5
Stéphane BEAUVERGER, op. cit., p. 26.
6
« On appelle ça une pile, dit-elle » , et « Ce sont les Américains, ils viennent du futur », ibid., pp.
222, 428.
7
En 279 avant J-C, une coalition de Gaulois menés par Brennos (latinisé en Brennus) déferle en
Grèce et pille le pays jusqu'à Delphes ; conquête qui « choqua profondément les Grecs » , comme
l'explique Jean Louis Brunaux. L'aventure ne cessera qu'à la mort de Brennus. Voir Jean-Louis
BRUNAUX, op. cit., p. 278.
8
Cf. partie I.C.3.
1
18
attesté par l'Histoire, les figures d'Ambigat, de Bellovèse et de Ségovèse sont plus
difficiles à circonscrire1. Là où, et nous l'avons vu, Jaworski écrit un récit dans
une période difficilement repérables, celle d'Holdstock est facilement identifiable.
Enfin, et c'est peut-être la plus grande distinction entre les deux textes, Celtika a
pour héros Merlin et Jason, issus respectivement de la tradition littéraire
celtique et de la mythologie grecque. La méthodologie des deux auteurs est donc
différente : c’est en s’insérant dans les doutes de l’historiographie que Jaworski
construit ses personnages ; c’est en mélangeant volontairement Histoire et
personnages directement issus de légende arthurienne et de la mythologie
grecque qu’Holdstock établit son récit.
Au vu de ces éléments, et au delà de « l'effet de réel » barthésien, nous
pourrions donc envisager une hypothèse concernant ce choix de traitement
temporel unique chez Jaworski. Premièrement, le fait que Jaworski se
revendique de Tolkien pour mieux s'en éloigner montre à la fois une recherche
d'argument d'autorité et un travail de redéfinition du traitement textuel via une
temporalité différente. Ainsi, il apparaît que l'auteur cherche à prendre ses
distances par rapport aux textes fondateurs de Tolkien, à l'instar d'autres
écrivains de fantasy que nous avons vu précédemment. De plus, le choix d'une
telle époque et d'un tel traitement temporel place Jaworski dans une position
relativement unique dans le panorama du genre. Il s'agit donc à la fois d'affirmer
une originalité dans le traitement textuel et peut-être, de proposer une
redéfinition du genre. Enfin, cette volonté se retrouve, en partie, dans d'autres
ouvrages de l’auteur. Ce rapport ainsi spécifique avec l'Histoire n'est pas, en ce
sens, exactement une nouveauté au regard de la bibliographie de Jaworski.
3) L'Histoire dans Gagner la Guerre
1
Cf. partie I.A.1.
19
Outre les jeux de rôles, Jaworski est l’auteur de trois romans1 (Chasse
Royale, la suite de Même pas Mort, sortie cette année) et de deux recueils de
nouvelles2. Gagner la Guerre, premier roman de l’auteur est la suite de la
nouvelle dans Janua Vera, où le lecteur est amené à suivre Benvenuto dans sa
collaboration avec le Podestat. Si toutes les précédentes nouvelles relèvent du
genre de la fantasy et des codes inhérent à ce dernier3, Gagner la Guerre est le
récit, parmi les ouvrages antérieurs à Même pas Mort, qui se rapproche le plus
fortement de l'Histoire. Le lexique employé dans le récit est représentatif de cette
affirmation. Ainsi, le terme « podestat » , est un mot traduisant des fonctions
politiques et juridiques dans l'Italie médiévale et le Sud de la France 4. Il en va de
même pour « Gonfalonier »5, ou encore du terme antique « patrice »6 qui renvoient
tous à des réalités historiques. Ces exemples montrent que l'Histoire est au
centre du processus d'écriture d'un point de vue morphologique et sémantique.
Nous noterons toutefois que Jaworski, dans Gagner la Guerre, n'hésite pas à
convoquer des époques différentes (médiévales et romaines) de celles évoquée
dans Même pas Mort (Âge de Fer Gaulois), via les occurrences « podestat » et
« patrice » . De plus, le cadre temporel de Gagner la Guerre est fictif, bien que son
système politique rappelle la l'Italie médiévale, comme le prouve le term
«
podestat » . Notons également que les néologismes de ce roman sont inspirés par
plusieurs langues : le latin, le grec et l'italien. Ainsi, « Ciudalia » , la ville décrite
dans le récit, n'est pas sans faire penser au latin « civitas » , ou encore à l'italien «
città » ; « Chrisophée » , une région de ce monde fictif, rappelle le mot d'origine
grecque « chrisopée » , ou de l'art de transformer le plomb en or7. Cependant,
cette volonté d'afficher une certaine érudition dans la construction des
1
Jean-Philippe JAWORSKI, Gagner la Guerre, op. cit ; Même pas Mort, Première Branche, Les
Rois du Monde 1, Montélimar, Les moutons électriques, 2013 ; Chasse Royale, Les Rois du
Monde 2, Folio SF, Paris, Gallimard, 2015.
2
Jean-Philippe JAWORSKI, Janua Vera, Folio SF, Paris, Gallimard, 2007 ; Le Sentiment de fer,
Hélios, Montélimar, Les moutons électriques, 2015.
3
Voir l'introduction pour la définition de la fantasy.
4
« Premier magistrat de certaines villes d'Italie et du midi de la France qui détenait, au Moyen
Âge, les pouvoirs exécutifs et judiciaires. » (Source : Trésor de la Langue Française Informatisé).
5
« Celui qui porte le gonfalon, c'est-à-dire une bannière de guerre. » (Source : Ibid.).
6
« Dignitaire de l'empire romain dont la fonction fut instituée vers 315 par Constantin et qui fut
conférée à des rois barbares après les grandes invasions. » (Source : Ibid.).
7
« Art de faire de l'or » (Source : Trésor de la Langue Française Informatisé).
20
néologismes est différente dans Même pas Mort où ils restent rares et surtout
issus du gaulois, comme nous le verrons ultérieurement1.
Comme nous l'avons donc vu, le monde de Gagner la Guerre ne saurait être
une représentation directe du monde réel. Si l'auteur fait régulièrement référence
à l'Histoire, il mélange les époques. Par ailleurs, les néologismes sont créés à
partir de plusieurs langues et désignent des lieux imaginaires, alors que les rares
mots créés de toute pièce par l'auteur dans Même pas Mort2, ne le sont que dans
une langue : le gaulois. Il y a donc, dans le deuxième roman de Jaworski un
travail plus précis d'historicisation du cadre narratif.
Enfin, il faut s'interroger sur la place de Même pas Mort au sein de la
bibliographie de Jaworski. Ce deuxième roman est en rupture, donc, avec Gagner
la Guerre, et il est le premier ouvrage de l'auteur à faire preuve d'une telle
proximité avec le monde celte. Nous allons le voir dans la partie suivante, Même
pas Mort n'est pas seulement un récit se déroulant dans une ère historique
attestée. La question l'utilisation de l'anthropologie et de l'archéologie dans un
récit de fantasy pourrait également supposer une éventuelle volonté de
redéfinition du genre.
B) Le choix du réalisme, le pari du récit anthropologique
La recherche de la vraisemblance dans la fantasy n'est pas une nouveauté.
En effet, comme l'explique Vincent Ferré: « La vraisemblance est l’autre exigence
du conte de fée pour Tolkien »3. Cependant, il apparaît pour l'auteur du Seigneur
des Anneaux nulle nécessité de justifier le merveilleux puisqu'il possède, en soi,
une part de vérité : « Pourquoi vouloir compenser le caractère merveilleux du
monde fictionnel et chercher à le rendre crédible ? Parce que cet impératif se
trouve en accord avec sa conviction profonde que les mythes (et les contes qui en
dérivent) contiennent une part importante de vérité, qui emprunte cette forme
particulière pour se révéler »4. Ainsi, pour Tolkien : « les Orques sont une fiction
1
2
3
4
Cf. Partie III.A.
Ibid.
Vincent FERRE, op. cit., p. 110.
Ibid., p. 110.
21
aussi réelle que des personnages de « novels » et redéfinit la réalité même : le
château le plus abracadabrant qui sortit jamais du sac d’un géant dans un
fantasque conte gaëlique est beaucoup plus vrai qu’une usine »1. Toutefois, il
convient de nuancer ces propos par rapport à Même pas Mort. Si, le texte
appartient à la fantasy, donc au merveilleux, il n'en reste pas moins que
Jaworski cherche peut-être « à compenser le caractère merveilleux du monde
fictionnel (...) à le rendre crédible ». En effet, et nous allons le voir, le traitement
textuel y est fort différent de ce que préconise Tolkien. On y trouve, à défaut d'un
univers merveilleux qui se justifie par sa seule présence et sa matière
intrinsèque, une recherche de vraisemblance caractérisée par la présence de
données archéologiques, historiques et anthropologiques. C'est le cas, par
exemple, des calendriers, des lieux réels, des tribus, de la représentation de la
société gauloise, ou encore du vocabulaire technique présent dans tout le récit.
Cette stratégie d'écriture est donc différente de ce qu'affirme Tolkien. Elle
soulève une question fondamentale : Jaworski cherche-t-il à redéfinir le genre de
la fantasy ?
1) Calendriers, lieux réels et tribus
Le temps, nous l'avons vu, est celui de l'Histoire, dans Même pas Mort. Bien
qu'il soit difficile de proposer des dates exactes par rapport aux personnages que
sont Bellovèse, Ambigat et Ségovèse, nous avons constaté qu'ils auraient
probablement existé entre -600 et -450. Toutefois, le calendrier utilisé par
Jaworski dans son récit est tout à fait attesté : il s'agit du calendrier gaulois. Le
souci du réalisme, de « l'effet de réel » , pousse l'auteur à n'utiliser que des dates
faisant référence aux mois gaulois. On ne trouve donc pas, dans l'ouvrage, «
d'octobre » ou de « novembre » , mais plutôt cantlos2 et samonios3, comme le
Ibid., p. 110.
Cantlos est un mois du calendrier celte, qui correspond approximativement au mois d'octobre. Il
1
2
est constitué de 29 jours, généralement de mauvais augure, comme nous l’explique Venceslas
KRUTA, dans son ouvrage Les Celtes, histoire et dictionnaire. Cf. Cantlos dans l'annexe, Index
Rerum.
3
Mois de la saison froide, automne. Il correspond au mois de novembre. C’est un mois, une
« saison froide (...) liée aux souvenirs des morts. Il porte le nom de la grande fête de Samain » , in
22
prouvent ces occurrences : « Et me voici, par un soir froid de cantlos remontant la
vallée de l’Avara en compagnie d’Albios et de Sumarios »1 et « Samonios, ses fêtes
et le flamboiement des forêts étaient passés depuis belle lurette »2. Ces choix de
privilégier une sémantique historique dans l'écriture ont des conséquences en
termes de construction narrative. Ainsi, la grande fête religieuse de Samain, liée
au mois de samonios3 fait office de repère chronologique pour le narrateur, et
pour le lecteur, comme nous l'observons ici : « Dans un peu plus d’un mois, nous
célèbrerons les trois nuits de Samonios »4. Les fêtes religieuses sont pour les
Gaulois des moments importants, et il semble que Jaworski ait voulu respecter
cela dans son récit. En effet, le narrateur parle à plusieurs reprises de la fête de
Lugnasad5, comme on le voit dans ces exemples : « On respectait les trêves. Ton
père et ses héros assistaient à l’Assemblée de Lug »6, et : « Il montait alors au
Gué d’Avara, en particulier pour l’Assemblée de Lug »7. On le constate, donc, que
le calendrier et les fêtes religieuses et politiques attestées par l'archéologie et
l'Histoire structurent la chronologie du récit. En ce sens, on ne trouve pas de
néologismes concernant les dates, où les fêtes On ne trouvera pas non plus de
néologismes concernant les tribus, ou encore, très largement, pour les lieux, bien
que certaines occurrences viennent nuancer l'ensemble8. Les tribus et les lieux
gaulois sont intrinsèquement liés9 : « certaines communes de France sont bien
Claude LECOUTEUX, Fantômes et revenants au moyen âge, postface de Régis BOYER Paris, Imago,
1986, p. 143. Cf. « Samain » dans l'annexe Index Rerum.
1 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 266.
2 Ibid., p. 211.
3 « Samain est cette fête gaélique du 1er Novembre qui marque la fin et le début de l’année, mais
situe hors du temps, jour où le Sid est ouvert, où les gens de l’autre monde se mêlent aux
humains, où le temps terrestre n’a plus cours, fête la plus importante chez les Celtes, réservée
aux guerriers, druides, et filid, qui durait une semaine ; moment où le roi était soumis à l’autorité
du druide, seul intercesseur entre ce monde-ci et l’Au-Delà » , in Miranda James GREEN, Mythes
Celtiques, Paris, Point, Seuil, 1995, pp. 139,140.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 28.
5 « Fête royale célébrée le 1er août en l’honneur du dieu Lug, fête de l’abondance, agraire,
économique, et ludique, où toutes les couches sociales étaient présentes, où le roi dispensait
richesse, réglait les questions politiques et instaurait une trêve militaire en cas de conflit », in
Miranda James GREEN, op. cit., p. 150.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 290.
7 Ibid., p. 152.
8 Cf. partie III.A.1.
9 « Certaines tribus ont donné leur nom à des communes de France », in Jean-Louis Brunaux, op.
cit., p. 21.
23
issues du celtique »1. Ce fait historique est présent dans le récit, puisque de prime
abord les tribus décrites sont relatives aux lieux du récit, comme nous le prouve
la prière de Sumarios, seigneur de Nériomagos : « Nérios, vieux père des eaux,
prête-moi une oreille favorable »2. Sumarios est le seigneur de Nériomagos, c'està-dire de Néris-les-Bains, une commune de France, dans l'Allier, en Rhône-Alpes,
connue pour ses eaux thermales miraculeuses3. Les grandes tribus gauloises sont
aussi essentielles dans le récit puisqu'on en relève exactement vingt-trois dans le
roman4, à l'image des « Bituriges », peuple éponyme du Berry que nous
connaissons. On constate donc que le récit de Jaworski est à la fois fidèle à
l'Histoire du point de vue du calendrier, comme celui des lieux et des tribus
gauloises.
Cette vraisemblance pourrait s'expliquer par une véritable volonté de
justification du récit. En effet, il s'agit d'une « relecture du monde réel, passé ou
contemporain, au prisme d’un enchantement aux couleurs parfois sombres ; [...]
par le même syncrétisme, le « monde des contes » y est envisagé comme un tout,
un monde qui ressemble au nôtre »5. Nous pourrions aussi supposer que l'Histoire
fait argument d'autorité par rapport au genre, celui de la fantasy, souvent
considéré comme « enfantin »6, car « les évolutions dans la façon dont les motifs et
personnages sont retravaillés correspondent à un renouvellement du public
visé »7. Enfin, peut-être pourrions-nous comprendre ce choix de la sémantique
historique, et non du néologisme, par un effort de démarcation des autres auteurs
de fantasy, notamment de Tolkien, car si les récits de Tolkien tendent à
l'exhaustivité, c'est avant tout dans un monde totalement inventé où le
néologisme est central.
Toutefois, ces points se doivent d'être nuancés. Premièrement, la fidélité
Pierre-Yves LAMBERT, La langue gauloise : description linguistique, commentaire d’inscription
choisie, Paris, Errance, 2003, p. 13.
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 135.
3 Cf. Annexes, Index Loci.
4 Cf. Annexes, Index Nominum.
5 Voir Anne BESSON, Renouveau des motifs et de personnages de la tradition merveilleuse,
1
Strenæ [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 26 janvier 2016. URL :
http://strenae.revues.org/1410.
6
7
Ibid.
Ibid.
24
historique de Jaworski a ses limites. Ainsi, La plupart de ces noms sont déjà
cités par César1, soit six cents ans, à quatre cents ans avant le récit qui nous
intéresse. L'auteur s'appuie donc sur un document très largement postérieur au
récit qu'il propose2. Même si les Bituriges, pour reprendre notre précédent
exemple, sont cités par César, et attestés au précédent Âge de Fer, l'auteur cite
des tribus que César ne mentionne pas. En ce sens, les Turons, sont une
peuplade dont « l’étymologie n’est pas certaine »3. Quant aux Cavares, ils ont
régné essentiellement durant le premier siècle avant Jésus-Christ, selon
Strabon4, affirmation posant la question de l’anachronisme dans Même pas Mort.
Viennent ensuite les Bebrykes, tribu obscure dont il est très difficile de retrouver
l’étymologie, si ce n’est dans un ouvrage de 18755, qualifiés de « celto-ligures ».
On le voit donc, Même pas Mort est un récit qui s'appuie à la fois sur des données
historiques très précises, tout en restant assez flou, voire ambigu. Par ailleurs,
certaines affirmations dans le récit restent assez opaques, sinon hermétiques.
Ainsi, l'âge de Bellovèse, annoncé dans l'incipit, a de quoi dérouter, notamment
pour un récit se voulant proche de l'Histoire : « Mais je suis vieux ; j’aurais
bientôt deux siècles »6. Le texte ne donne pas d'explications supplémentaires
quant à cet âge invraisemblable. Puisque Même pas Mort est un récit de fantasy,
nous pourrions supposer qu'il s'agit là d'un élément du merveilleux 7. Mais si l'on
se fie à Jaworski, cela correspondrait à l'algèbre gaulois. Bellovèse aurait alors,
lorsqu'il s'exprime dans l'incipit, soixante-ans8. Toutefois, nulle affirmation
historique ne vient confirmer cela, et outre cet indice, nous remarquons
qu'aucune donnée chiffrée concernant les âges des autres personnages n'apparaît.
Cette abstraction des âges est en opposition avec la grande précision des
Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 21.
Voir Jules CESAR, La Guerre des Gaules, GF, Paris, Flammarion, 1993.
3 Vinceslas Kruta, op. cit., p. 45
4 STRABON, Géographie, Les Belles Letres, Paris, 1865, IV, 1, 11.
5Gustave LAGNAU, Les Ligures, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, Année 1875, Volume 19 Numéro 3 pp. 233, 238
:http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_00650536_1875_num_19_3_68247?_
Prescripts_Search_tabs1=standard& (consulté le 20 mai 2015).
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 8.
7 Voir la définition du merveilleux dans l'introduction.
8 « Ils [les gaulois] comptent en base trois, un siècle étant en donc trente-ans, Bellovèse n’a que
soixante ans », in https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU, (consulé le 4 Avril 2015).
1
2
25
calendriers, des fêtes, des tribus, ou des lieux. Les personnages, sans âge précis,
deviennent alors plus universels, relevant, en ce sens, davantage du conte.
Comme l'explique Todorov : « La littérature se distinguerait des autres arts par
son mode de représentation oblique, indirecte »1. En ce sens, la métaphorisation
dans le récit de Jaworski se traduirait donc en premier lieu de la sorte : en
opposant aux termes historiques attestés, une absence de données chiffrée
concernant les âges des personnages, l'auteur intègre dans son récit le mélange
du fait scientifique et du merveilleux. Ce geste créatif est l'expression d'une
érudition joueuse et sous-entend la question du savoir et du rapport à la
documentation qu'entretient l'auteur par rapport au genre. Si la documentation
que propose Tolkien, par exemple, cherche l'exhaustivité, il n'en reste pas moins
qu'il s'agit de fiction pure, bien que s'appuyant sur les grands mythes européens.
La démarche de Jaworski au contraire, intègre, comme nous l'avons dit, des faits
historiques attestés, des périodes encore mal comprises en histoires et de la
création littéraire - de la fiction. Ce travail, à la fois de rapprochement et de
distanciation, montre donc que l'auteur se préoccupe particulièrement du rapport
à l'érudition dans la fantasy. Est-ce une proposition de redéfinition du genre ? Ou
simplement un jeu avec le lecteur ? Nous reviendrons sur cette question dans la
partie III. A propos des connaissances scientifiques dans le récit, remarquons que
la représentation de la société gauloise, écrite à la lumière des certaines
connaissances anthropologiques et archéologiques occupe une place essentielle
dans le récit. Cette démarche apparaît comme une caractéristique importante du
traitement textuel de Jaworski, caractéristique qui a de profondes conséquences
en termes énonciatifs et stylistiques.
2) Représentation de la société gauloise : le choix de l'anthropologie et de
l'archéologie
Selon Dorrit Cohn, la « fiction est un genre littéraire »2. Cette affirmation
remet en cause le postulat selon lequel les œuvres factuelles et fictionnelles
Tzvetan TODOROV, Théorie des symboles, Points, Paris, Seuil, p. 163.
Voir Dorit COHN, Le propre de la fiction, http://www.vox poetica.org/entretiens/intCohn.html
(consulté le 10 mai 2015).
1
2
26
seraient différentes, même si « les écrivains modernes ont essayé de se mettre au
milieu, de trouver un état intermédiaire »1. Même pas Mort est un récit relevant
de la fantasy, utilisant l’Histoire. En ce sens, ce roman se trouverait dans cet «
état intermédiaire » , illusoire, donc, puisque Même pas Mort est un roman de
fiction. Cependant, il conviendra d’étudier la représentation de la société gauloise
afin de proposer une hypothèse par rapport à ce choix d’écriture. Nous allons
donc analyser trois exemples concrets dans le récit qui attestent de cette
utilisation de l’archéologie, de l’archéologie expérimentale, et de l’anthropologie
historique. Il s’agit de la politique (guerre, rituels, organisation de la société), de
la figure du druide et du barde, et de la place accordée à la femme.
A nouveau, l’auteur n’utilise pas des néologismes pour traiter des rapports
entre les personnages. Au contraire, l’exemple des occurrences « ambactes »2 et «
soldures »3, très fréquemment utilisés, prouvent que l’auteur s’est appuyé sur des
termes renvoyant à des réalités politiques des deux Âges de Fer4. A la lumière
d’explications scientifiques, on comprend ainsi bien mieux ce passage du roman :
« Ton père s’est battu comme un ours : sur les bords du Liger, il n’a pas reculé.
Lorsqu’il a succombé à ses blessures, ses soldures se sont donné la mort, en se
jetant sur nos lances ou en se poignardant entre amis »5. Il est donc frappant de
constater que les personnages et leurs interactions sociales dans le récit sont
présentés en conformité avec l’archéologie. L’archéologie expérimentale a, par
ailleurs, montré que les Gaulois utilisaient le bouclier comme « arme offensive »6,
notamment grâce à l’umbo7. Le narrateur s’attarde longuement sur cela, comme
1
Ibid.
2
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., pp. 61, 68, 81, 169.
3
Ibid., p. 290.
Comme l’explique Luc BARRAY dans son article Ambactes et soldures, figures gauloises du
compagnonnage guerrier, « ces compagnons étaient les égaux de leurs patrons, et qui avaient le
4
privilège de partager sa table et ses richesses. C’est une relation d’amitié, dans laquelle les
hommes se considèrent comme égaux, mais qui a comme contrepartie le partage de la mort : si
celui [l’homme qui les emploie] meurt de mort violente, ou bien ils supportent ensemble le même
sort, ou bien ils se donnent eux-mêmes la mort. Finalement (...) les Gaulois n’ont rien inventé en
matière de politique, ils ont largement pratiqué une forme de vassalité qui, comme l’avait
remarqué Marc Bloch, annonçait ou préparait la féodalité », in Ambactes et soldures, Luc BARRAY:
https://www.academia.edu/5251599/Ambactes_et_soldures_figures_gauloises_du_compagnonnage
_guerrier, (consulté le 15 mai 2015).
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 292.
6 Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 140.
7 Cf. Index Rerum.
27
dans ce bref passage: « Nous préférons toutefois combattre ainsi car cela donne
une plus grande liberté de mouvement : cela permet d’employer le bouclier
comme une arme offensive, en le faisant tournoyer ou en frappant à coups
d’umbo »1. Nous constatons donc que des connaissances d’histoire militaire et
d’archéologie expérimentale ont été utilisées dans le récit. Les armes imaginaires
et magiques, que l’on retrouve si souvent dans la fantasy et le merveilleux ne
sont donc pas présents. Autre fait surprenant, pour un genre que l'on attribue
aux lecteurs enfants2 : la question de l’homosexualité. A ce propos, il semblerait
qu’elle ait été très courante chez les Celtes, en particulier dans les milieux
guerriers3, et ce à la grande surprise d’Aristote4. Ainsi, à l’aide d’éléments
scientifiques, il est plus aisé de comprendre une phrase comme celle-ci : « Sa
pogne énorme, aux doigts ronds comme des rayons de roue, descendait parfois sur
la taille de Segillos, lui accrochait la hanche avec convoitise »5. Enfin, concernant
le système politique gaulois, celui-ci il respectait l’organisation tripartite des
sociétés indo-européennes étudiée par Dumézil6. En ce sens, l’exclamation
d’Ambigat devient beaucoup plus claire : « Un roi, un barde et un héros en train
de parlementer en haut d’un tertre ! Ca a de la gueule, non ? »7, car nous y
retrouvons « ceux qui combattent », et « ceux qui prient ». « Ceux qui travaillent »
en sont donc exclus, sans grande surprise, puisque le système politique gaulois
est un précurseur du système vassalique médiéval8. Regardons, à ce propos, qu'il
en est du représentant du pouvoir spirituel: le barde et le druide.
Le représentant du pouvoir spirituel doit se concevoir à l’aide de l'image du
sanglier. En effet, Jaworski nous parle de « Guerre des Sangliers », d’un druide
qui adopte « la forme d’un grand sanglier »9, chassé par les soldats. En réalité, ce
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 66.
Cf. note 16.
3 Voir Didier GODARD, in L’homosexualité chez les celtes, https://scribium.com/didiergodard/a/lhomosexualite-chez-les-celtes/ (consulté le 16 mai 2015).
4Jean-Louis Brunaux évoque la stupeur d’Aristote à ce propos qui s’étonne que « chez les celtes,
les relations homosexuelles entre hommes soient à l’honneur », in Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p.
129.
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 104.
6 Philippe WALTER, Arthur, l’Ours et le Roi, Paris, Imago, 2008, p. 84.
7 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 280
8 Cf. partie précédente.
9 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 292.
1
2
28
choix d’animal n’est absolument pas anodin. La chasse au sanglier est une lutte
qui « s’inscrit dans le contexte du culte des morts mais elle relève aussi d’une
symbolique royale. Le sanglier, animal-fée de l’autre monde, détient les principes
d’un pouvoir qualifiant. S’emparer de cet animal sacré, c’est accéder à un savoir
et à un pouvoir dignes de la royauté ; c’est aussi se mettre en mesure d’instituer
les rites fondateurs d’une société et apparaître ainsi comme le personnage
fondateur de celle-ci »1. Nous l’observons donc, l’anthropologie nous permet de
comprendre que cette traque du sanglier, relatée dans le récit de Jaworski, fait
référence à des réalités politiques très concrètes. Mais si le pouvoir temporel, lié
à la caste des guerriers, cherche à s’opposer parfois à la caste de ceux qui prient,
pour paraphraser Dumézil, leur cohabitation reste fondamentale : les druides et
les bardes sont d’indispensables juristes, garants du droit, comme en témoigne
cet extrait : « Tu ne me serviras pas seulement de conseil, Champion. Tu
rempliras ta fonction ordinaire, tu seras le témoin de ce qui va se jouer. Ainsi,
tout sera dans les formes. »2, lance Ambigat à Albios. Ainsi, Jaworski illustre,
dans son récit, cette affirmation : « la collaboration nécessaire du druide et du roi,
condition
sine qua non
de la souveraineté dans le monde celtique, (...) est
un appui réciproque du droit et de la force »3. Une fois de plus, il convient de
remarquer que l’auteur s’appuie sur des faits archéologiques et anthropologiques.
Il en va de même pour les femmes, dont la place est en grande partie accordée en
fonction du rôle de ces dernières dans la Gaule celtique. Jaworski prétend avoir
voulu donner à ses personnages féminins, notamment Dannissa, une place en
cohérence avec l’Histoire, précisant que, selon lui, le rôle des femmes se situait
entre « pouvoir et grande violence subie »4. Les recherches archéologiques, les
textes, et l’anthropologie s’accordent, en effet sur ce point5. Elles sont également
Philipe WALTER, op. cit., p. 130.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 280.
3 Philipe WALTER, op. cit., pp. 48, 49.
4 https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
5 « Si l’on en croit Plutarque, les femmes peuvent jouer un rôle éminent (...) la qualité de leur bon
jugement et de leur impartialité y est reconnue (...) la légende voulait que ce soit elles qui aient
réduit le nombre de guerre entre les Gaulois avant leur émigration en Italie (l’exode ordonné par
Ambigat à Bellovèse et Ségovèse). De plus, la femme jouit d’un statut « exceptionnel (...) et une
certaine indépendance financière », in Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 110.
1
2
29
en charge des « taches domestiques »1, ce qui leur confère une grande autorité
dans la sphère privée. Jaworski se sert probablement de cette réalité historique,
de ces codes sociaux pour traduire des relations entre les personnages comme le
montre cette phrase : « Une fois les hôtes restaurés, les usages permettaient à ma
mère de s’enquérir sur les motifs de cette visite »2. Toutefois, les femmes celtes, à
l’instar de Dannissa, sont tributaires des décisions souveraines. Regardons un
exemple qui illustre le propos : « Pense aux garçons, Dannissa, a-t-il dit. Si tu
acceptes l’offre de la fille d’Eluorix, ils pourront recevoir une bonne éducation »3.
Cet extrait montre bien le fait que la femme est « l’instrument des unions à
longue distance entre les peuples »4. En effet, le mariage de Danissa et de
Sacrovèse permet d'offrir, malgré les conflits entre les Turons et les Biturigues,
une bonne éducation à Bellovèse, c'est-à-dire de se former auprès des plus grands
guerriers. Le départ de Bellovèse se trouve donc justifié par des raisons que
l’Histoire reconnaît, tout en étant une étape traditionnelle du récit, à savoir
l’élément perturbateur. De facto, nous constatons une fois de plus que l’Histoire
est intimement mélangée à la trame narrative. Ce sont ainsi les réalités
historiques qui justifient en partie l'organisation du récit.
Néanmoins, nous devons nous interroger sur certaines tensions soulevées
par cette analyse. Au vu des précédents éléments, est-il possible de lire et de
comprendre Même pas Mort sans une préalable contextualisation historique ? Si
tel est le cas, se pose alors le problème de l’hermétisme. La rigueur dans la
documentation scientifique relative aux Âges de Fer n’induit-elle pas une
certaine exigence pour le lecteur ? En réalité, Jaworski n’est pas toujours aussi
précis face à l’Histoire. Deux exemples viennent renforcer cette thèse. Il s'agit du
lexique anachronique utilisé pour qualifier les personnages au pouvoir, ainsi de
l'exécution du dernier homme arrivé au ban. Jaworski ne cesse d’évoquer les
termes de « roi »5, de « haut roi »6, de « Grande Reine »7, de « princesse »1,
1
Ibid.
2
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 170.
3
Ibid., p. 173.
Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 261.
Ibid., p. 56.
6 Ibid., p. 68.
7 Ibid., p. 264.
4
5
30
introduisant un concept de noblesse qui pose problème, au regard de l’Histoire 2.
En ce sens pourquoi utiliser ces termes anachroniques ou inadéquats ? Ces écarts
avec l'Histoire doit-ils être compris comme une erreur ? En réalité, les sources
sont, sur ce point, assez lacunaires, et le seul lexique nobiliaire que nous avons
nous est transmis par César qui utilisait des termes qu'il connaissait. Cette
différence n'est pas le seul écart, comme le prouve la question de l'appel au ban.
Si, en effet, comme le précise Mordrel, l'appel au ban est un événement essentiel
pour la civilisation celte3, et comme le reprend Jaworski dans son récit4, il est
toutefois reconnu que le sacrifice du dernier arrivé au ban n'ait jamais existé5.
L'auteur présente néanmoins cette coutume comme une évidence dans son récit :
« C’est la course pour tout le monde. On répond à un ban armé. Le dernier arrivé
a perdu. – C’est un jeu ? - Oui. Un jeu guerrier. Le dernier arrivé perd la vie » 6.
Jaworski s'écarte donc, volontairement ou pas, de l'Histoire. Ce fait rappelle donc
que l'auteur s'inspire aussi de la littérature et de mythologie7 et que le l'analyse
historique ne saurait suffire à comprendre les enjeux du roman. En ce sens, il
convient surtout de noter que le travail effectué par l'auteur n'est pas tant celui
d'un historien, mais avant tout celui d'un auteur qui cherche à redéfinir un
genre. De fait, « la coupure entre la littérature et l’histoire, la connaissance
esthétique et la connaissance historique peut être abolie si la littérature ne se
1
Ibid., p. 183.
« Les Gaulois n’avaient pas une conception propre de la noblesse, car le système privilégiait
toujours l’entrepreneur guerrier, celui qui faisait reculer les limites du territoire et rapportait du
butin. Celui-là pouvait être de n’importe quelle extraction, du moment que celle-ci lui ait donné
les moyens de s’armer et de s’entourer de compagnons, même si des familles illustres, à l’origine
très ancienne, avaient une situation enviable dans la vie sociale et politique », in Jean-Louis
BRUNAUX, op. cit., p. 97.
3 « Le respect inconditionnel de la coutume était le contrepoids suffisant de leurs foucades
anarchiques, leur unité culturelle et leurs rassemblements cyclique le remède à leur dispersion
sur le terrain », in Olier MORDREL, Les Hommes-Dieux, récit de mythologie celtique, présenté par
Olier MORDREL, Paris, Copernic, 1979, p. 24.
4 « Au-delà du Cemmène, Tigernomagle, le roi des Lémovices, reprend la guerre contre les
Ambrones. Il a réclamé l’aide du haut roi, qui lui envoie des renforts », in Jean-Philippe
JAWORSKI, op.cit., p. 56
5 « En fait, il s’agissait d’une punition contre la désertion et le refus du service militaire », in JeanLouis BRUNAUX, op. cit., p. 120.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 74.
7 Cf. Partie I.C.
2
31
borne plus à répéter le déroulement de l’histoire générale »1, comme le précise
Jauss. Cette « connaissance esthétique », protéiforme chez Jaworski (notamment
en termes mythologiques2), s'inscrit aussi dans le cadre d'une écriture au lexique
spécifique. En effet, si le genre de la fantasy privilégie les néologismes3, nous
verrons que Jaworski préfère utiliser un vocabulaire d'une grande technicité.
3) Le vocabulaire technique
Comme nous l'avons déjà souligné, le genre de la fantasy est riche en
néologismes. C'est un point commun qui est, par ailleurs, partagé avec la sciencefiction4. Cependant, parce que le récit se déroule dans une époque attestée, et
dans la mesure où l'auteur, nous l'avons vu, prétend s'appuyer sur l'Histoire pour
justifier son récit, Même pas Mort est avant tout un texte riche en vocabulaire
technique. Les premières occurrences apparaissent rapidement, au début du
récit, avec le terme « Lucumonies »5, par exemple. Elles sont nombreuses et
récurrentes : vingt et un mots techniques - outre le lexique religieux et politique6.
Voici quelques illustrations de ces mots en rapport avec la marine : « cadènes »7,
« pentécontores »8 ; avec la guerre : « bâtardeau »9, « arme d'hast »10 ; ou bien avec
l'équitation : « à l’amble et l’aubin » 11. Cette recherche de la précision technique
au détriment du néologisme enrichit nécessairement la vraisemblance du récit,
particulièrement en termes d'historicisation. Le traitement textuel opéré dans les
In Hans Robert JAUSS, Pour une esthétique de la réception, préface de Jean STAROBINSKI,
traduit par Claude Maillard, Paris, Tel Gallimard, 1978, p. 88.
2 Cf. partie I.C..
3 Cf. Introduction.
4 Cf. Introduction.
5 « Centre d'un ensemble de villes étrusques. » (cf. Index Rerum).
6 Cf. Index Rerum pour le relevé précis des occurrences aux différentes pages du roman.
7 « Pièce de fer arrondie présente sur les voiliers. Les cadènes sont les accroches qui permettent de
relier les cordes au mât. » (cf. Index Rerum).
8« Navire de guerre grec long de trente-cinq mètres et capable d'accueillir cinquante rameurs.
C'est l'ancêtre de la trière, principal navire de guerre grec à fond plat durant le IVe siècle » (cf.
Index Rerum).
9 « Couteau fixé au fourreau de l’épée; c'est l'arme de la dernière chance, utilisée en dernier
recours. » (cf. Index Rerum).
10 « Arme longue apparentée à la lance, très efficace contre les cavaliers, et utilisée pour le combat
rapproché. » (cf. Index Rerum).
11 Respectivement une « allure à fort déroulé latéral imposée par le cavalier à sa monture; elle est
très prisée car confortable pour le cavalier» et une « allure de parade, mélange de trot et de galop
imposée par le cavalier à sa monture », (cf. Index Rerum).
1
32
descriptions induit que l'auteur cherche plus à s'adresser à un public adulte. En
visant un public adulte, plus apte à comprendre un texte devenu plus complexe
par l'utilisation de termes techniques, Jaworski entend peut-être redéfinir le
genre en changeant ses lecteurs. Toutefois, ce choix de traitement textuel par la
recherche de vraisemblance via le lexique, pourrait aussi s'expliquer d'une autre
manière. Ainsi, « l'expérience d’immersion, a besoin, pour convaincre le lecteur,
d’être frappée du sceau de l’authenticité. Plus ce sera le cas, plus elle sera à
même d’attirer à soi plus de lecteur ou, pour parler crûment, de consommateur.
Cette course au réalisme, notamment au réalisme néo-médiévaliste, a été
analysée par Umberto Eco dans une série d’articles séminaux écrits au début des
années soixante-dix1. Mais comme le pointe le sémiologue italien, à force de
vouloir créer de l’hyper vrai, on finit par donner dans l’hyper faux. Le faux vrai
Moyen âge de la fantasy n’échappe pas à la règle, avec parfois des effets
surprenants »2. Cette affirmation concorde jusqu'à présent avec notre analyse du
texte de Jaworski. Cette vraisemblance peut donc s'expliquer par des besoins
commerciaux qui sont également un moyen de reconnaissance et d'affirmation
pour un genre, à plus forte raison si l'auteur de notre étude sous-entend le
redéfinir. Remarquons, toutefois, que l'effort de vraisemblance de Jaworski, à la
différence de ce qui est dit plus haut, se situe non pas dans un cadre de « faux
vrai Moyen Âge », mais dans une époque antique, à savoir la protohistoire en
Gaule. Cette différence doit être prise en compte puisqu'elle a des conséquences
en termes énonciatifs et sémantiques : les rapports entre les personnages sont
caractérisés par des relations attestées par l'Histoire concernant les deux Âges de
Fer
en
Gaule,
comme
nous
l'avons
vu
précédemment3.
Une
volonté,
probablement, de mettre en avant un héritage celtique et non pas anglo-saxon,
comme c'est le cas pour Tolkien4. Enfin, le texte présente également un ancrage
mythologique important, bien évidemment éloigné de « l'hyper vrai »
: c'est
Umberto ECO, La Guerre du faux, Paris, Grasset, 1986.
In Les Goliards, les humanités populaires : http://www.goliards.fr/2014/05/game-of-thrones-et-gr-r-martin-la-fantasy-le-realisme-et-lhistoire-du-moyen-age/#fn-2404-22 (consulté le 7 Janvier
2016).
3 Cf. Partie I.B.2.
4 Voir Vincent FERRE, op. cit., p. 132.
1
2
33
d'ailleurs une partie essentielle dans le récit. A la différence de G-R-R Martin,
donc, et dont il est question plus haut concernant le « faux vrai Moyen Âge » ,
Jaworski fait appel à un ancrage mythologique et littéraire celtique que nous
allons à présent étudier.
C) L'ancrage mythologique dans le récit
Nous avons étudié comment Jaworski utilisait l'Histoire, l'archéologie, et
l'anthropologie comme source de travail. A nouveau, et comme nous l'expliquions
précédemment, cette approche ne saurait être suffisante en soi pour répondre à
la question de la redéfinition du genre faite par l'auteur. L'ancrage mythologique
n'est pas à proprement parler séparé de l'étude archéologique. En effet, certaines
sources mythologiques dont s'inspire Jaworski ont été comprises grâce à
l'archéologie. Cependant, nous verrons également que l'auteur s'appuie sur des
textes anciens, des textes de référence, qui pour leur part relèvent de la
littérature, et non plus de l'Histoire ou de l'anthropologie. Il sera question ici de
voir en quoi les sources littéraires utilisées par l'auteur sont différentes de celles
traditionnellement et explicitement convoquées par les écrivains de fantasy notamment anglo-saxons. Par ailleurs, nous étudierons de quelle manière
Jaworksi cherche à changer de public et donc à redéfinir les attentes par rapport
au genre de la fantasy, sans être en totale rupture. L'étude esthétique et
archéologique des lieux, des dieux, et des créatures nous permettra de réfléchir à
ce postulat. Il en va de même pour la figure de Bellovèse, similaire à celle de
Cûchulainn, personnage principal du récit celte La Geste de Cûchulainn. Enfin,
nous verrons que cet ancrage mythologique est également présent dans un
roman, Celtika, écrit par un anglais : Robert Holdstock. Il conviendra donc
d'étudier les différences et les similitudes entre les deux textes grâce à l'exemple
des railleries avant les duels, afin de mieux comprendre en quoi le traitement
textuel de Jaworski fait de Même pas Mort un récit spécifique pour le genre de la
fantasy.
34
1) Les lieux mythologiques, dieux, créatures, et entités magiques : une étude
esthétique et archéologique
Les figures magiques constituent une double référence puisqu'elles font écho
à l'archéologie et à la littérature. En effet, les sources celtiques écrites sont rares,
et l'étude archéologique a permis, pour une grande part, de comprendre la
religion et le panthéon celtique1.
D’un point de vue littéraire et esthétique,
Même pas Mort est riche en créatures et en dieux gaulois, comme Taruos, les
Trois Grues, Epona, ou encore Ogmios. Ces figures, cet héritage, nous les
retrouvons également dans la littérature médiévale : la littérature arthurienne 2.
C'est le cas, et nous allons le voir, de Lanval3. C'est donc grâce à ces exemples,
Taruos, les Troies Grues, Epona et le Maître du Garissal (un avatar d'Ogmios)
que nous allons constater en quoi Jaworski mélange les influences celtiques et
médiévales. En ce sens, il s'agira de saisir en quoi ce travail est l'expression d'un
mélange entre une vraisemblance historique, comme nous l'avons vu plus haut,
et d'un ancrage mythologique et littéraire importants.
Taruos est présenté dans le roman répondant à l'appel des Trois Mères,
autrement dit, les Trois Grues. Ces personnages ne sont pas dissociables dans la
mythologie celtique, comme le précise Walter4. Dans Même pas Mort, le
narrateur les qualifie de « taureau furieux »5 , de « taureau aux trois cornes »6,
communiquant par « beuglement »7 et répondant à l'appel des Trois Mères.
Bellovèse les décrit comme trois « formes sombres »8, sur un arbre,
« Les sources écrites sont rares [...] et l'archéologie nous a permis de mieux comprendre leurs
culte et leur mythologie », in Olier MORDREL, op. cit., p. 135.
2 Philippe WALTER parle de « fond diffus celtique » présent dans la littérature médiévale. Par
ailleurs, « Les textes arthuriens ne s’expliquent pas en dehors de la transformation des thèmes
mythologiques celtiques en thèmes européens », in Philipe WALTER, op. cit., pp. 44, 103.
3Marie de FRANCE, Lais, traduit, présenté et annoté par Laurence HARF LANCNER, Paris, le Livre
de Poche, 1990.
4 « Parmi les monuments les plus authentiquement celtes figure le Tarvos Trigaranos ( le taureau
au trois grues) où les trois oiseaux sont l’épiphanie animale des déesses-mères qui, en étant que
fées et créatures de l’autre monde, sont toujours susceptibles de se métamorphoser. », in Philipe
WALTER, op. cit., p. 204.
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 232.
6 Ibid., p. 233.
7 Ibid., p. 232.
8 Ibid., p. 215.
1
35
« longilignes »1, « suspendues dans un équilibre malcommode »2 ; elles ont un
timbre de voix « féminin acariâtre et capricieux »3 et leur voix est un «
caquètement »4 , leur « froissement soyeux »5. Elles sont évidemment semblables
à des volatiles, « ombres jetées dans le vide, en déployant de larges ailes »6. Ces
créatures, comme nous l'avons vu, sont « authentiquement celtes » . Triade
magique monstrueuse, elles rappellent d'autres oiseaux de malheur de la
littérature celtique7, Morigane, la déesse celte de la guerre 8, mais aussi les
Parques9. Puisque, nous l'avons vu, la littérature arthurienne est inspirée de
mythologie celte, ont les retrouve également chez Robert de Boron 10, comme
l'explique Walter11. Il est donc intéressant de constater que Jaworski réutilise ces
figures attestées par l'archéologie et présentes dans la mythologie celtique,
Ibid. p. 215
Ibid. p. 215
3 Ibid., p. 216.
4 Ibid., p. 217.
5 Ibid., p. 219.
6 Ibid., p. 220.
1
2
« Quand les filles de Calatin, sous la figure de trois corbeaux, reparurent à Emania, le héros en
était parti (...) Alors les horribles femelles virèrent au-dessus du vallon [...] une grande terreur
s’empara de tous ceux qui entendaient le hourvari ; les chiens se mirent à hurler. Puis le courroux
poignit Babb, la plus acharnée des trois monstres... », in La Geste de Cûchulainn, d’après les
anciens textes irlandais, présenté par Georges ROTH, Paris, Les éditions d’art H. Piazza, 1927,
pp. 145, 146, 147.
8« Morrigane est la déesse de la guerre, des cauchemars et de la nuit, épouse du Dagda, reine des
Tuatha Dé Danann. Elle apparaît souvent sous la forme d’une ou trois corneilles », in Jean-Marc
LIGNY, La Mort Peut Danser, Folio SF, Paris, Gallimard, 1994, p. 376.
9 « On sait que les triades sont fréquentes dans la mythologie celtique et plus largement indoeuropéennes. On songe bien évidemment aux Parques tout à fait comparables sur ce point aux
déesses-mères celtiques que le Moyen Age transforme en fées. Les historiens des religions ont
noté le goût prononcé des Celtes pour la triade : monstres aux trois cornes, dieux ou déesses à
trois têtes ou trois visages, les trois-déesses mères, les trois Dames des carrefours. Selon P-M
Duval, le triplement est un signe non seulement d’intensité mais aussi de totalité, contenant par
exemple le commencement, le développement et la fin de toute chose », in Philipe WALTER, op. cit.,
p. 106.
10 « Il se vit entouré d’une felle foule d’oiseaux aussi noirs et ils tentaient, s’acharnant sur son
heaume, de lui arracher les yeux. {...} Tenant donc son épée de la main droite, il frappa un oiseau
qui le serrait de plus près que les autres et l’atteignit en plein milieu du corps, lui faisant jaillir
les entrailles. L’oiseau tomba à terre mais, dans sa chute, il se transforma en un cadavre de
femme-elle avait le plus beau corps qu’il eût jamais vu », in La Légende Arthurienne, sous la
direction de Danielle REGNIER-BOHLER, Paris, Laffont, 1989, édition en français contemporain
uniquement.
pp. 381, 383, 384.
11 « La démone des Plantagenêt qui rejoint toutes les banshee des familles nobles françaises ; elle
n’est autre que la fée oiseau des légendes médiévales (...) fondatrice mythique du lignage (...) qui
répandit la légende arthurienne. Elle se confond avec cette grande déesse dont un des avatars est
souvent un oiseau : corneille, cygne, hirondelle, voire cane », in Philipe WALTER, op.cit., p. 103.
7
36
médiévale et antique. L'univers romanesque se retrouve donc enrichi à la fois
d'un substrat mythologique et littéraire spécifique. Remarquons aussi que
l'auteur ne change pas les noms de ses créatures. Elles gardent leur patronyme
originel. Il s'agit, probablement d'un hommage, mais également d'une
démonstration d'érudition visant hypothétiquement à démontrer du sérieux de la
fantasy. En ce sens, Jaworski cherche, une fois de plus, et à l'instar de son travail
de vraisemblance historique et technique, à placer son récit sous un argument
d'autorité. A propos d'argument d'autorité, regardons comment est présentée
Epona, la déesse équestre celtique. Nous allons remarquer que son esthétique est
étrangement similaire à une fée médiévale que l'on retrouve chez Marie de
France.
Eppia, surnom d'Epona, déesse équestre celtique1, apparaît explicitement
dans le roman. Elle est décrite comme « la reine de la forêt, c’est une cavalière
qui monte une grande jument »2, et « elle montait en amazone, à cru, sans même
une bride pour diriger sa monture. Sous une mante laineuse, aussi feutrée que la
livrée de sa jument, portait des robes écarlates, tramées de fils d’or qui
saignaient dans le crépuscule neigeux »3, ce qui n'est pas surprenant dans la
mesure où cette divinité est équestre. La fée de Lanval lui ressemble en ces
points : « Un blanc palefrei chevalchot »4 et qui porte « un chier mantel de blanc
hermine/covert de purpre Alexandrine,/ot pur le chalt sur le geté ;/tut ot
descovert le costé,/le vis, le col e la peitrine:/plus ert blanche que flurs
d’esprine »5. La monture et les vêtements sont donc similaires, il en va de même
pour la description du visage, puisqu'elles sont belles et blondes toutes deux,
signe de beauté dans la littérature médiévale : « La cavalière a incliné la tête de
côté d’un air rieur. Le mouvement, faisant glisser son châle sur sa nuque, a
révélé sa chevelure d’un blond très pâle, coiffé en tresse couronnée »6 et « Sire
cumpain, ci en vient une,/mes el n’est pas flave ne brune/ceo ‘st la plus bele de
Yann BREKILIEN, La mythologie celtique, Paris, Éditions du rocher, 1993, p. 462.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 257.
3 Ibid., p. 258.
4 Marie DE FRANCE, op. cit., p. 163.
5 Ibid. p. 38
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 259.
1
2
37
cest mund,/de tutes celes ki i sunt (...) et le chief cresp e alkes blunt »1. Ces
ressemblances sont d'autant plus frappantes lorsqu'il s'agit du reste du corps,
mais également, des atours :
Pendue à sa ceinture comme un cor, il y avait une longue corne à boire cerclée d’argent. Sa
gorge était parée de plusieurs colliers, où s’enchevêtraient des breloques hétéroclites : une
quincaille de médailles de cuivre, des colifichets d’os ou de corne, représentant des cerfs,
des chevaux, des oiseaux ainsi que des animaux plus inattendus de grands lynx ou des
griffons semblables à ceux que Suobnos avait peints dans notre maison. Emmitouflée dans
un châle aux franches moelleuses, j’ai deviné plus que je n’ai vu sa figure : un visage
charpenté et fier, d’une beauté peu sauvage, éclaire par le sourire que la renarde adresse au
perdreau.2
Et
Ele ert vestue en itel guise/ de chaisne blanc e de chemise,/ que tuit li costé li pareient,/ki de
dous parz lacié esteint./Le cors ot gent, basse la hanche,/le col plus blanc que neif sur
branche ;/les uiz ot vairs e blanc le vis,/bele buche, nes bien asis,/les surcilz bruns et bel le
frunt/e le chief cresp e alkes blunt ;/fils d’or ne gete tel luur/cum si chevel cuntre le jur./Sis
mantels fu de purpre bis,/en les pans en ot entur li mis./ Un espervier sur sun poin tint,/e
uns levirers aprés li vint./Uns genz dameisels l’adestrout,/ un cor d’ivoire od lui pourtout.3
Nous le constatons donc : les couleurs sont similaires, à l'instar de la
présence d'un cor ou d'un bestiaire. Cette comparaison a le mérite de mettre en
lumière les choix esthétiques de l'auteur. En décrivant une déesse celtique avec
les traits d'une fée issue de la littérature médiévale, l'auteur multiplie les signes
d'affirmation de la fantasy à la littérature et non plus à la paralittérature 4. De
facto, c'est aussi une preuve que l'auteur ne vise plus le public enfantin. En se
plaçant sous l'autorité de la littérature médiévale et de la mythologie celtique
connue par l'archéologie, Jaworski tente peut-être de trouver un public plus
instruit et plus érudit. Cette démarche a comme risque, une fois de plus, et
comme c'était le cas pour sa recherche de vraisemblance historique, celui de
l'hermétisme. Nous allons cependant voir, avec l'exemple du Maître du Garrissal,
que Jaworski ne réécrit par seulement et directement de la mythologie celtique,
mais la sous-entend textuellement, afin peut-être, de proposer un récit plus
accessible.
MARIE DE FRANCE, op. cit., pp. 163,164.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 258.
3 Marie DE FRANCE, op. cit., page 163.
4 Bien qu'ambigu, le terme de paralittérature désigne, la « littérature populaire de masse », «
enfantine », « une sous-littérature » à opposer à « l'ultra littérature » . Toutefois, toujours selon
Marc ANGENOT, « productions paralittéraires et littéraires sont inséparables l'une de l'autre »,
voir Qu’est-ce que la paralittérature ?, in Marc ANGENOT, Études littéraires, vol. 7, n° 1, 1974, p.
9-22, source URL : http://id.erudit.org/iderudit/500305ar (consulté le 10 Février 2016).
1
2
38
Dans Même pas Mort, Le maître du Garissal est un « géant »
1
, avec une
« monumentale bedaine »2, un « colosse »3, « seigneur des forts »4 qui n’est « pas
homme »5. Démesuré, monstrueux, il abat une souche sur Bellovèse et fait cuire
les deux enfants dans son chaudron, avant que les enfants ne se réveillent. Il est
donc gros, gourmand, puissant, et équipé d'une massue et d'un chaudron. A
priori, il ne s'agirait que d'un géant merveilleux, comme celui du Mont-Saint
Michel, « figure traditionnelle de l’homme sauvage, qui incarne les forces
primitives d’une nature indomptée »6. Cependant, ses atours et son esthétique le
rapprochent implicitement d'Ogmios. Ogmios, comme pour Le Dagda a qui il est
analogue, a pour atour un chaudron magique et une massue ; il est « gros » , «
gourmand » , et « peu séduisant » , comme le précise Patrice Argelin dans Cultes
et sanctuaires en France à l’âge du Fer7. En effet, les textes irlandais le montrent
de la sorte, notamment dans le le Cath Maighe Tuireadh8 et Lebor Gabála
Érenn9, comme nous le constatons en ces extraits : « Sa cucule allait de ses joues
à ses épaules, sa tunique ne lui descendait pas plus bas que les fesses, ses
chaussures en peau de cheval avaient le poil dehors. Il arrivait encore à traîner
derrière lui sa massue, qui faisait une ornière digne de figurer comme frontière
entre deux provinces »10. Il est donc remarquable de noter que l'auteur utilise une
périphrase, « Le Maître du Garissal », afin de désigner un avatar du dieu Ogmios.
Ce géant est donc encore implicitement une référence érudite à la mythologie
celtique. Mais comme nous l'avons précisé, il s'agit peut-être d'une concession
faite aux lecteurs. Ce géant propre aux contes, et à l'univers enfantin, ne saurait
être un personnage trop hermétique dans la mesure où le nom de la divinité qu'il
est censé incarner n'est même pas mentionné. Bien que ce personnage ne soit pas
en totale rupture avec la stratégie d'écriture et de l'esthétique de l'auteur, il est
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 258.
Ibid., p. 258.
3 Ibid., p. 233.
4 Ibid., p. 235.
5 Ibid., p. 231.
6 Philipe WALTER, op. cit., p. 138
7 Patrice ARCELIN, Cultes et sanctuaires en France à l’âge du Fer , sous la direction de Jean Louis
Brunaux, Dossier Gallia n°60, Paris, 2003, p. 88.
8 Olier MORDREL, op. cit, p. 56
9 Ibid., p. 56.
10 Ibid., p. 101.
1
2
39
plus universel, plus accessible. Par ailleurs, la périphrase le désignant inclut un
lieu fictif, « le Garissal ». Ce qui nous amène à nous poser la question de la place
des lieux magiques dans le récit, et surtout, de la façon dont ils sont traités.
Plusieurs lieux hautement symboliques apparaissent dans le récit : L'île des
Vieilles, le Sid, et de manière plus générique la forêt et les endroits traversés par
un cours d'eau. Il est essentiel d'étudier ces localisations dans la mesure où « on
doit envisager la littérature dans ses rapports à l’espace »1, comme le précise
Genette. Donc, si Jaworski cherche à redéfinir un genre en écrivant pour un
public différent,
en utilisant des références celtiques irlandaises et non plus
anglo-saxonnes, son rapport à l'espace devrait aussi être différent. Le cas de l'île
des Vieilles est peut-être le plus représentatif de la démarche de Jaworski. C'est
en cet endroit que Bellovèse rencontre les sorcières qui lèvent son tabou2. On ne
saurait que trop y voir, une fois de plus, l'illustration du merveilleux dans le
roman. Toutefois, l'île des Vieille existe3 et elle a déjà été, dans le passé, le
théâtre de rituels magiques celtiques4. Il s'agit d'un endroit où les Gallicènes
historiques sont souveraines et ont le pouvoir de frapper les individus de tabou,
ou « gaesa »5. Jaworski ne change même pas le nom de ces sorcières, ni leur
fonction, ni la désignation du lieu. Nous remarquons donc, dans le récit, que cet
endroit se situe dans la France actuelle, et fait référence directement à l'Histoire
de la Gaule celtique, et non de l'île de Bretagne, l'actuel Royaume-Uni. Il n'est
donc plus question d'Avalon ou de Tintagel. Jaworski met en avant une
géographie celte gauloise, attestée et propre à un héritage différent que celui
Gérard GENETTE, Figures II, Points, Paris, Seuil, 1968, p. 6.
« Ce n’est pas un prétexte ! J’ai été tué sur le champ de bataille, mais la mort s’est refusée à
moi ! Je suis devenu tabou ! Le grand druide a décrété que seule la sagesse des Gallicènes
pourrait délier le mauvais sort et me rendre à la communauté des vivants ! », « Tout ce que j’avais
consenti à leur dire, c’est que l’interdit qui pesait sur moi avait été délié », in Jean Philipe
JAWORSKI, op. cit., pp. 107, 269
3 Actuelle île de Sein, en Bretagne (cf. annexes, Index Loci).
4 « Située dans la mer Britannique, en face du pays des Osismes, est renommée par un oracle
gaulois, dont les prêtresses, vouées à la virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont
appelées Gallicènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents et de soulever
les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout
ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l'avenir, faveurs qu'elles
n'accordent néanmoins qu'à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter », in
Pomponius MELA, Chorographie, Texte établi, traduit et annoté par Neil ASHER SILBERMAN,
Cartes, Paris, Les Belles Lettres, 1988, chapitre 3, p. 6.
5 Jean-Louis BRUNAUX, Les religions gauloises, Paris, Errance, 2000, p. 83.
1
2
40
présent dans d'autres romans de fantasy1. Cette nouvelle géographie a donc
probablement pour but, à l'image du changement de public, redéfinir les cadres
spatiaux de la narration propre au genre, et de mettre en avant un héritage
historique différent de ce qui a été fait précédemment par les anglo-saxons. La
représentation du Sid, le paradis celtique est, pour sa part, très similaire à ce que
l'on trouve dans les récits anciens irlandais. Il est question, dans le roman « d'îles
de Jeunes » - nom du dernier chapitre, également appelé dans le récit « Sedlos »2.
Il s'agit là de l'une des nombreuses appellations du paradis celtique3. Voici la
description du lieu faite par le narrateur dans Même pas Mort :
Je me suis réveillé dans une contrée d’été. J’ai ouvert les yeux sur un ciel très bleu, poudré
des légers nuages. Je reposais dans une prairie parfumée de sève et de grand air. Une brise
paresseuse inclinait sur mon visage l’épi jaunissant des herbages. Dans l’oreille, j’avais le
murmure d’un ruisseau. (...) J’ai découvert un vallon peu profond, égayé çà et là de massifs
de bruyère (...) des collines, où le vent courait en ondulations verdoyantes, dominaient ce
petit val ; la plus haute d’entre elles, un mont aux pentes arrondies, se trouvait sommée par
un pin solitaire et ombreux.4
On y retrouve dans ce passage, la saison de l'été, un ruisseau, des arbres
verts, comme c'est le cas dans ce récit irlandais celtique :
Salut, ô Champion de l’Ulster, dit-elle en se penchant vers lui. Je suis venue vers toi de l’Île
des Délices, de Magh Mell, qui s’étend au milieu du lac bleu (...) A celui d’occident se
dressent dix pommiers dont les rameaux géants ploient sous le faix des fruits et les fleurs
aux tons diaprés gazouillent des milliers d’oiseaux (...) un arbre énorme au feuillage
argenté (...) s’agite et frisonne au zéphyr.5
Toutefois, on notera quelques différences singulières entre les deux extraits.
S'ils présentent des similitudes, le texte irlandais est construit en une suite
d'hyperbole : « dix pommiers dont les rameaux géants ploient sous le faix des
fruits », « (...) gazouillent des milliers d'oiseaux » et « énorme feuillage argenté » .
Ce n'est pas le cas chez Jaworski. Si les objets sont similaires, leur
représentation
dans leur quantité diffère. L'hyperbole6, si typique dans les
Comme le prouve le titre du best-seller de Marion BRADLEY ZIMMER : cf. Marion BRADLEY
ZIMMER, Les Dames du Lac 2, Les Brumes d'Avalon, Paris, Le Livre de Poche.
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 264
3 Aussi nommé comme « Magh Mell », ou encore « île des Délices », in La geste de Cûchulainn, op.
cit., p. 105.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 264.
5 La Geste de Cûchulainn, op. cit., pp. 105, 110.
6 Figure de style qui « augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente bien au-dessus
(...) de ce qu’elles sont, non dans la vue de tromper, mais d’amener à la vérité même », in Pierre
FONTANIER, Les figures du discours, Champs, Paris, Flammarion, 1977, p. 123
1
41
anciens récits de la littérature celtique1, est remarquablement absente du récit de
Jaworski. Nous pouvons donc en déduire que l'auteur ne réécrit pas simplement
de la littérature celtique. Au contraire, il se réapproprie ces récits tout faisant
figures d'autorité. A nouveau, ces références implicites et précises prouvent que
l'auteur cherche à faire du genre une littérature et non une paralittérature. La
forêt, et la rivière sont, quant à elles, des lieux magiques intermédiaires. La forêt
est le domaine de la déesse Eppia : « la reine de la forêt, c’est une cavalière qui
monte une grande jument ? »2. C'est aussi dans la forêt où Bellovèse rencontre
Taruos et les grues, le maître du Garrissal, le loup Bledios, ou encore les
fantômes, comme celui d’Oico. C'est un endroit magique comme l'eau, qui occupe
une place, assez traditionnelle dans le récit. L'eau est un passage, lieu où « les
dieux vivent dans un autre monde, qui est semblable au nôtre, et qu’on atteint
invariablement au-delà de l’eau, que ce soit celle d’un étang où l’on plonge, ou
celle de la mer qu’on traverse en bateau »3. En effet, Bellovèse au contact des
divinités entend ceci : « Dans l’oreille, j’avais le murmure d’un ruisseau »4. Cette
superposition des mondes n'est pas surprenante : « Pour nos anciens, a remarqué
Pierre Lance, l’univers mythique et l’univers rationnel n’étaient pas opposables
et contradictoires, mais complètement imbriqués »5. Mais chez Jaworski, l'eau
peut avoir une autre fonction. Elle peut aussi faire office de transition avec le
monde infernal, comme nous le constatons en ces occurrences : le « nemeton »6,
est une
« vasière »7, pleine de « buée d’abandon »8, vouée aux « dieux d’en-
dessous »9.
Il s’agit d’un ailleurs magique spécifique, différent de « l’au-delà
mythique et qui s’oppose à l’autre monde, qui est celui de la montagne ou de la
Olier MORDREL explique que « trois cents ans ne veulent pas dire trois fois cents étés et cents
hivers, mais simplement un temps très long. Il en est de même du guerrier qui, à chaque fois qu’il
charge l’ennemi, étend régulièrement cent cadavres autour de lui. Cent veut simplement dire
beaucoup. Nous pensons à l’aide de concepts. Les anciens Celtes pensaient à l’aide de symboles »,
in Olier MORDREL, op. cit., p. 21.
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.257.
3 Olier Mordrel, op. cit., p. 14.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 265.
5 Olier MORDREL, op. cit., p. 22.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 78 et cf. annexes : Index Rerum.
7 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 78.
8 Ibid., p.78.
9 Ibid., p.78.
1
42
tombe »1 , comme le précise Lecouteux. Ainsi, Jaworski intègre dans la
représentation de l'eau, plusieurs symboliques. Cette multiplicité renvoie, une
fois de plus, à un travail d'écriture qui cherche un public plus érudit et qui veut
placer le texte au même rang que les grands récits faisant figure d'autorité. Cette
volonté de redéfinir le genre, entre rupture et continuité, est également présente
dans la représentation du héros : Bellovèse.
2) Bellovèse, avatar de Cûchulainn
Bellovèse est un personnage qui reprend certains traits du héros
Cûchulainn. Leurs similitudes amènenent à nous interroger sur cette démarche.
S'agit-il, à nouveau, de chercher un argument d'autorité dans les textes anciens ?
Par ailleurs, cette figure s'inscrit-elle en continuité ou en rupture par rapport au
genre ? En première instance, il convient de remarquer que Bellovèse n'est pas
un héros chevaleresque. Nous le savons, la fantasy privilégie un cadre médiéval 2
et cependant, le narrateur ne présente pas les traditionnelles vertus du chevalier.
Ainsi Bellovèse est chargé de rapporter le plus de têtes possible : « Restez vivants
et apportez moi des têtes »3. Certes, au premier abord, cela renvoie à la tradition
guerrière celte de décapiter les adversaires. Il s'agit d'un signe de prestige : on
mesure la gloire d'un guerrier au nombre de tête « qu'il arbore et qu'il conserve »4.
Néanmoins, cela éloigne Bellovèse de la grande vertu du chevalier qu'est la
clémence, comme le montre cet extrait de La Légende arthurienne : « Quand
Perceval entendit qu’il criait grâce, il le laissa tout aussitôt et abandonna le
combat »5. En ce sens, Bellovèse semble plus proche du héros Cûchulainn qui se
présente ainsi : « Du haut des murs, le guetteur aperçoit un char qui soulève la
plaine. Il signale un champion terrible : trois têtes ensanglantées brimbalent au
timon »6. Bellovèse et Cûchulainn sont deux héros celtiques, respectivement
gaulois et irlandais. Nous l'avons vu, Jaworski s'est inspiré de l'anthropologie et
Claude LECOUTEUX, op. cit., p. 192.
Cf. Introduction.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.22.
4 Jean-Louis BRUNAUX, op. cit. p. 182.
5
La Légende Arthurienne, op. cit., p 355.
6 La Geste de Cûchulainn, op. cit, p. 22.
1
2
43
de l'archéologie pour écrire Même pas Mort. Toutefois, ce parallèle entre les deux
héros relève d'abord de la mythologie et pour Jaworski, d'une recherche
d'argument d'autorité, car La Geste de Cûchulainn est le « grand texte fondateur
de la mythologique irlandaise »1. Cette ressemblance ne s'arrête pas là, comme
nous allons le voir grâce à ces trois exemples: le lignage, le héros en puissance et
enfin la mort.
Otto Rank nous précise que « Le héros est l’enfant de parents des plus
éminents ; c’est la plupart du temps un fils de roi »2. C'est le cas de Bellovèse :
« Par le sang, elle en avait le droit : elle était la sœur du haut roi, et nous étions
ses neveux »3 ; plus précisément, ce sont les neveux du roi Ambigat : « ce sont les
fils de Sacrovèse. – Ce sont surtout les neveux du haut roi »4. Bellovèse n'est
donc pas fils de roi, mais neveu du roi, tout comme Cûchulainn : « Le roi
reconnaît son neveu, il le soulève et l’étreint dans ses bras. Puis il fait venir les
jeunes nobles. Voici mon neveu, leur dit-il. Qu’il vive auprès de vous à pleine
sauvegarde. Soyez amis désormais »5. Les deux héros n'ont, par ailleurs, plus de
père. Autre caractéristique commune : Cûchulainn et Bellovèse sont des héros en
puissance. Ils n'ont pas encore fait leurs preuves, et ils s'accomplissent au fil de
leur enfance comme nous l'observons ici : « Ségovèse et moi, nous essayions de
paraître aussi blasés que les héros, mais en fait, nous étions excités comme des
chiots, nous allions avoir notre premier combat »6 et « Conduis-moi vers gué,
ordonna Cûchulainn. Le char franchit la plaine ; ils atteignirent le gué. Appuyé
sur sa lance, Conall les aperçoit et sourit à l’enfant armé. – Qui donc es-tu, petit ?
Fièrement, l’enfant se dresse. – Rien encore ; mais bientôt je serai le Champion
de l’Ulster »7. Notons, de plus, que le prologue de Même pas Mort confirme les
exploits de Bellovèse : « J’ai tué tant de héros ! »8, mais ce prologue se déroule à
postériori des événements ; enfin, le récit s'achève par le rite de passage à l'âge
1
Voir Venceslas KRUTA, op. cit. p. 76.
Otto RANK, Le Mythe de la naissance du héros, édition critique avec une introduction et des
notes par Elliot KLEIN Paris, Payot, 198. p. 89.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 60
4 Ibid., p. 56.
5 Ibid., p. 8.
6 Ibid., p. 120.
7 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 20.
8 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 10.
2
44
adulte où le narrateur se fait donc couper les cheveux : « Et à mesure que mon
oncle me tond, à mesure que j'acquiers ma tête de guerrier, je crois comprendre ce
que la Gallicène s'efforce de me prédire. C'est loin d'être fini »1. Ces similitudes
vont aussi de pair avec la mise en scène de la mort, désirée pour l'un (Bellovèse),
et effective pour Cûchulainn. Observons donc comment sont traitées la mort et
l'agonie dans ces récits. Premièrement, ce sont des héros qui souffrent de la
même manière. Le souffle est le moyen de rendre compte de leur douleur : « la
bouche grande ouverte, je cherchais mon souffle »2 et « Cûchulainn épuisé voulu
reprendre haleine »3. Leur force diminue grandement : « J’ai essayé de m’installer
plus confortablement en m’adossant au mur : cela m’a fait hurler à tue-tête »4 et
« Trop chétive est ma force ! protesta Cûchulainn. A peine puis-je me mouvoir »5.
Tous s'effondrent sur le sol et se retrouvent allongés sur le champ de bataille: »
Je suis tombé avec mon adversaire (...) privé de forces, palpitant d’horreur, je suis
demeuré gisant mais conscient »6 et « Cûchulainn, le Champion de l’Ulster, est
seul à guerroyer pour vous. Mais son duel avec Ferdiad, le plus vaillant des
Irlandais, a épuisé presque ses forces. Il gît faible et navré sur le sol de la plaine,
et nul ne part à son secours »7. Remarquons également qu'ils sont tous deux
transportés en char, recouverts de couvertures ou attachés : « Quelqu’un a
déniché une charrette à quatre roues, peut-être dans le butin pris dans la place,
peut-être dans notre propre armée. On m’y a allongé et on m’a couvert de plaids
et de manteaux »8 puis : « Mais il tombe pâmé, et ses blessures se rouvrent. Alors
son conducteur et ceux qui étaient encore là, témoins de sa témérité, le saisissent
de force et le lient sur sa couche »9. De plus, nous remarquons que leur guérison
est très difficile : « Je respirai à peine. Le moindre mouvement me perforait
comme si on m’avait glissé des braises sur la peau (...) Mais bientôt, je n’eus
1
Ibid. p. 297.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 136.
La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 99.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 134.
5 La Geste de Cûchulainn, op .cit., p. 106.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 132.
7 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 86.
8 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 137.
9 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 89.
2
3
45
même plus la force de tourner la tête »1 et « Comme il dormait le soir, épuisé et
fiévreux, un cri aigu déchira l’air si fort, qu’il tressauta et tomba de sa couche
lourdement, tel un sac »2. Quant à la convalescence, de Bellovèse, elle semble
longue et laborieuse : « Je me trouvais dans un état si terrible que je ne conserve
des heures ou des jours qui ont suivi que des bribes de souvenirs, de linéaments
de rêve »3 comme c'est le cas pour Cûchulainn : « Pendant une année Cûchulainn
reposa sans force et immobile »4. Egalement, les deux personnages voient une
femme, (une fée ?), dans leur rêve, véritable apparition qui se manifeste pendant
le processus de guérison, annonciatrice de gloire future : « Je ne distinguais plus,
à la droite de mon char, qu’une belle cavalière (...) je me suis enfoncé dans le
monde des morts, avec dans l’oreille le pas de la jument (...) Désormais, quoi qu’il
se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir matière à chant »5 et « Une femme va
venir te parler tout à l’heure. Ses discours sont sincères, consens à sa requête et
suis là de près vers qui elle veut te mener. Tu le peux, car bientôt ta force
renaîtra »6. Enfin, Bellovèse désire une mort semblable à celle de Cûchulainn : «
Puis, je veux ma dépouille exposée sur le champ de guerre (...) je veux être dévoré
par les charognards (.…) la fin que je me réserve n’est pas la mort du roi. C’est
celle du héros »7 et « Il presse ses boyaux dans son ventre crevé et, prenant appui
sur son glaive, il dévale le ruisseau (...) - Je veux mourir debout ! »8. C'est
toutefois sur ce dernier point que les personnages présentent des dissemblances.
Bellovèse ne meurt pas dans le récit, contrairement à Cûchulainn. Par ailleurs, le
fardeau qu'ils portent dans le roman est différent : Bellovèse est tabou, comme
nous le voyons ici : « Et je suis indiscret si je te demande ce qui te vaut ce tabou ?
(...) La raison, ai-je grommelé. Je ne suis même pas mort. (...) Il dit la vérité, a-t-il
lancé. Il a été tué, mais il a refusé la mort. (...) Tous ont vu Bellovèse frappé à
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 137.
La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 78.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.137.
4 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p.106.
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., pp. 137, 266.
6 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p.105.
7 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.11.
8 La Geste de Cûchulainn, op. cit, p.162.
1
2
46
mort, et pourtant, vos yeux en attestent, Bellovèse est bien vivant parmi nous »1,
alors que Cûchulainn doit payer sa dette, celle acquise en tuant le chien du
forgeron devenant ainsi « le chien de Culann » . Enfin, si la naissance de
Cûchulainn est annoncée et chantée, celle de Bellovèse n'a rien de magique. De
manière assez paradoxale, elle s'oppose à ce qu'explique Philipe Walter :
« Admettre qu’un héros mythique ait pu naître dans des circonstances
absolument normales ne serait guère conforme à l’essence même de la mythologie
qui privilégie la notion de destin exceptionnel »2. Il s'agit peut-être d'un moyen de
renforcer la vraisemblance. Jaworski fait naître son héros dans des circonstances
normales, puis le fait grandir de la même manière que dans la mythologie
celtique, avec l'exemple de Cûchulainn. Ces différences et ces similitudes doivent
se comprendre à la lumière du traitement textuel de Jaworski : vraisemblance et
recherche du mythe celtique via La Geste de Cûchulainn se combinent dans
Même pas Mort, probablement dans le but de convaincre le lecteur que la fantasy
est devenu un genre destiné à un public adulte. Faire de Bellovèse un avatar de
Cûchulainn est donc aussi, de facto, un moyen de justifier le récit, sa pertinence
et sa place au sein de la littérature et non plus de la paralittérature. Enfin, la
prééminence de la matière celte irlandaise qui est le « conservatoire de la
littéraire celtique et gauloise »3, au détriment de la matière anglo-saxonne,
germanique ou scandinave, tant utilisée par les américains et les anglais montre
aussi que l'auteur cherche à mettre en avant d'autres références. Assistons-nous
à l'émergence d'une fantasy française ? Il conviendra de nuancer ceci avec
l'exemple de Celtika, un roman écrit par l'anglais Robert Holdstock.
3) Limites et succès de Même pas Mort : l'exemple de Celtika
Robert Holdstock publie son ouvrage, Celtika, presque douze ans avant
Jaworski. Nous l'avons vu, les auteurs présentent des similitudes assez fortes,
malgré quelques différences dans le traitement de la temporalité4. Jaworski est-il
Ibid., p. 24.
Philippe WALTER, op. cit., p. 102.
3 Olier MORDREL, op. cit., p. 87.
4 Cf .I.A.2.
1
2
47
donc vraiment le seul auteur à vouloir redéfinir le genre en convoquant les
grands textes mythologiques celtiques irlandais ainsi que l'archéologie ?
Holdstock est moins exhaustif que Jaworski dans la dénomination des tribus,
mais utilise les mêmes procédés lexicaux : « daces »1, pour qualifier les guerriers
de l’actuelle Roumanie. Cette volonté d’être sémantiquement correct vis-à-vis de
l’Histoire, comme Jaworski2, est aussi exprimée dans les objets du quotidien
celte : « lunula »3 ou les interdits rituels attestés tels que la « géis »4. Outre cette
volonté de rester fidèle à l'Histoire par rapport à la sémantique, il convient
surtout de regarder comment les deux auteurs traitent les insultes précédant les
duels. Si les duels
renvoient à des réalités historiques5, et que Jaworski et
Holdstock semblent s'en inspirer, il convient de voir en quoi ils rappellent la
mythologie celtique. En premier lieu, la référence à Cûchulainn est déjà présente
chez Holdstock, lorsqu'un personnage qualifie un héros de « Seigneur Chien »6.
Nous avons vu précédemment que Cûchulainn signifie « chien de Culann » . Il
s'agit donc ici, de la part de Holdostock, d'une référence directe au texte
fondateur irlandais. Ainsi, à l'image de Jaworski, Holdstock fait appel, de
manière détournée à ce texte faisant figure d'autorité dans la mythologie
celtique. Cependant, la référence se fait via le personnage de Bellovèse dans
Même pas Mort, comme nous l'avons vu dans la partie précédente, et simplement
par une périphrase chez Holdstock. Nous constatons donc que Jaworski a accordé
une plus grande place à ce mythe dans son récit. Cela est différent concernant
l'écriture des railleries précédant les duels. Elles sont présentes dans La Geste de
Cûchulainn : « Tous deux se challengèrent, balançant défis et menaces,
promettant maintes blessures (...) Ferdiad aussi raillait à male grâce, lançant
sarcasmes et bravades »7 . Holdstock développe longuement ces railleries, les
déclinant en une longue série d'insultes :
Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 190.
Cf. I.C.
3 Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 438., cf. Index Rerum.
4 Ibid., p. 502. cf. Index Rerum.
5« Longtemps, les celtes n’ont pratiqué que le combat frontal, en fait une mêlée confuse que
précédait les duels entre chefs », in Olier MORDREL, op. cit., p. 24.
6 Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 99.
7 La geste de Cûchulainn, op. cit., p. 63.
1
2
48
Je vois que tu as mendié, emprunté, et volé une belle collection d’armes. Ces grands
boucliers sont impressionnants, mais ils ne me contiendront pas. - Je serais très étonné que
tu aies traîné toutes ces armes avec toi depuis ton foyer. Tu as dû mendier, toi aussi. Est-ce
bien un protège-sexe de pierre que je vois là ? Tu dois avoir réellement peur de la puissance
de ma lame. – Je te le prête volontiers, si tu promets de ne pas l’utiliser traîtreusement
comme arme de jet.- Seul un couard tel que toi envisagerait ce genre de traîtrise. Garde-le,
il me servira à lester ton cadavre jusqu’au fond de la mer, quand je procéderai à tes
funérailles !1
Comme chez Jaworski :
- Tu n’es qu’un gros lourdaud si tu ne m’as pas reconnu, fils de rien ! a craché le borgne. Je
suis Comargos, fils de Combogiomar, roi des Séquanes, fils de Bonnoris roi des Séquanes !
Ecarte-toi avec tes larbins, maintenant que tu mesures ton erreur et que ton cœur frémit de
peur ! {...} – Du vent l’infirme ! a-t-il grondé. Ta gueule abîmée ne me fera qu’un demitrophée. Elle déparera à côté de celle de Helasse de Tarelle, que j’ai terrassé avant de
rapporter aux Pétrocores les trente chevaux qu’il leur avait volé. – Un voleur de bétail, tu
n’as pas mieux comme dépouille ? Le héros qui m’a pris cet œil, il s’appelait Remicos, fils de
Belinos, rois du Turons. Il est mort de ma main le même jour que son frère Sacrovèse, sur le
champ de bataille !2
Les deux auteurs utilisent de manière similaire insultes, phrases
exclamatives, provocations et menaces. Les deux textes reprennent donc le motif
littéraire celtique de la raillerie avant le duel, en le développant davantage. Une
fois de plus, Jaworski cherche l'autorité des textes fondateurs celtiques, comme
l'a donc fait avant lui Holdstock. Ainsi il convient de remarquer que Jaworski
n'est pas le premier à vouloir redéfinir le genre en cherchant à se placer sous
l'autorité de sources mythologiques celtique. Cependant, et comme nous l'avons
vu précédemment, les démarches des deux auteurs sont différentes concernant
les personnages et la temporalité. Autre fait notable : Holdstock écrit en anglais.
En ce sens, Jaworski est fondamentalement le premier auteur français à
travailler avec des textes renvoyant à une tradition littéraire qui n'est pas anglosaxonne ou seulement issue de la matière de Bretagne. De fait, Même pas Mort
semble être un roman témoignant de l'émergence d'une fantasy française ; genre
redéfini mélangeant donc histoire, archéologie, mythologie et faisant appel à des
références littéraires celtiques et non plus anglo-saxonnes, germaniques ou
scandinaves, comme c'est le cas pour Tolkien, ou encore seulement issues de la
matière de Bretagne.
L'étude de l'aspect historique et mythologique de Même pas Mort a donc
1
2
Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 99.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.81
49
permis de comprendre comment l'auteur cherchait, par exemple, à s'adresser à
des lecteurs différents. La structure narrative du roman présente aussi certaines
particularités, comme sa chronologie, ou son énonciation, renvoyant également
pour leur part à des spécificités de la littérature celtique et médiévale. Nous
allons donc voir comment l'auteur, sans être en totale rupture avec le genre de la
fantasy, se réapproprie certains codes aboutissant à un traitement textuel
novateur.
50
II) Structures et thématiques du récit
L'étude de l'énonciation est une partie essentielle de notre analyse. Elle est
nécessaire afin de mieux comprendre la construction du récit, la place des
personnages et des dieux dans le roman écrit à la première personne, ainsi que le
motif de la mort. Même pas Mort présente, en effet,
des particularités
chronologiques structurelles remarquables dans la mesure où le récit n'est pas
linéaire. Pour aller plus loin dans l'étude de cette question, nous nous appuierons
sur Propp afin de voir en quoi Jaworski utilise certains éléments du merveilleux
et donc de quelle manière il se réapproprie les codes du genre de la fantasy. Il
s'agira, aussi, de comprendre et penser le rôle et la place des personnages dans le
récit. Concernant les dieux, par exemple, nous remarquerons qu'ils sont liés à
certains endroits clefs, comme les lieux intermédiaires. Ces dieux ont des
desseins opaques, et pour certains, sont violents et dangereux. De fait, nous
serons amenés à réfléchir sur la place accordée au motif du macabre et au
traitement de celui-ci. Enfin, le récit est écrit à la première personne, ce qui
induit des conséquences en termes énonciatifs : la subjectivité et la confession
apparaissent comme les moyens privilégiés par l'auteur pour redéfinir le genre.
Nous replacerons enfin le roman dans une perspective bibliographique plus large
afin de déterminer si notre interprétation du texte est également juste
concernant les différents romans et nouvelles de Jaworski.
A) Déconstruire le récit
Le récit présente des particularités dans sa construction temporelle. Ces
dernières sont déjà annoncées par l'incipit, l'explicit, et l'épigraphe, porteurs
d'enjeux implicites dans le roman. Nous étudierons également dans cette partie
les différentes étapes du récit. Il s'agira d'étudier précisément comment est
organisée la ligne du temps dans le roman, grâce à certaines figures de
grammaire. En d'autres termes, il s'agit, dans cette partie, de comprendre, à
nouveau, comment Jaworski place son récit en continuité avec les codes de la
51
fantasy, tout comme il cherche à s'en écarter en proposant d'autres critères de
définition. De facto, nous serons amenés à rechercher les textes dont l'auteur
s'inspire, via la construction du récit, et surtout, quel nouveau public il cherche à
toucher.
1) Le titre, l'incipit, l'explicit, et l'épigraphe
Le titre, l'incipit, l'explicit et l'épigraphe, occupent une place importante
dans le récit. Représentatifs des choix énonciatifs de l'auteur, ils annoncent une
construction narrative particulière, et montrent que le roman s'inscrit dans une
série plus large d'ouvrages. Etudions, en premier lieu, le titre. Le titre 1, Même
pas mort, renvoie d'abord à une situation concrète : celle de la « non-mort » de
Bellovèse. Ce choix de titre court et accrocheur, sans verbe ni article, peut
s'expliquer de la sorte : « Le titre de l’œuvre se consomme nettement plus que le
reste. De cet aspect pratique vient son raccourcissement »2. Mais Même pas mort
possède à la fois du « dénoté et du connoté »3. Le titre qui possède un « effet
évocateur très fort »4, annonce, comme nous l'avons expliqué, le refus de la mort
par Bellovèse et sa quête pour se délivrer du tabou, mais il élude à priori, le reste
des péripéties, comme les aventures ayant cours durant la première enfance du
héros. Toutefois, et nous allons le constater par la suite, la temporalité du récit
ne suit pas une chronologie ordinaire. Les hauts-faits de Bellovèse sont, en effet,
annoncés durant la jeunesse du héros, à la fin du récit, au cours du quatrième
chapitre : « Désormais, quoi qu’il se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir
matière à chant »5. Ainsi, ce titre souligne bien ce que Roland Barthes explique
dans le Degré zéro de l’écriture : « l’écriture est l’aire d’une action, la définition et
l’attente d’un possible »6. Même pas Mort fait donc référence à un événement
précis dans le récit, mais aussi, implicitement, à l'ensemble de la quête
Le Gradus nous indique la définition suivante pour le titre d'une œuvre : « La plupart des titres
tentent d’indiquer le contenu de l’œuvre, soit de manière abstraite, soit plus concrètement, soit
métaphoriquement », in Bernard DUPRIEZ, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18, p. 453
2 Ibid., p. 453
3 Ibid., p. 453
4 Ibid., p. 453
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 266.
6 Roland BARTHES, Le degré zéro de l’écriture , Points, Paris, Seuil, 1954, p. 11.
1
52
initiatique entreprise par le héros. Par ailleurs, la syntaxe de ce titre rappelle le
langage enfantin : « même pas mal ! ». De facto, avec ce titre écartant le sujet de
la proposition, l’auteur annonce d’ores et déjà une partie de la thématique du
récit : Même pas mort est également un roman de l’enfance et du sortir de celleci. L'incipit, quant à lui, exprime un autre procédé énonciatif.
« Tu raconteras ma vie »1 est l'incipit de Même pas Mort. Cette première
phrase induit donc la présence d’une tierce personne qui écoute le récit, un
témoin de l’histoire, voire d'un public explicitement désigné par le narrateur. Ce
dernier prend donc à partie une audience, fut-elle minimale ; il s’agit là d’une
apostrophe, comme si l’on écoutait un récit rapporté par un autre. Par ailleurs,
cet incipit pose, dans le propos liminaire, déjà la question de l'autobiographisme
dans le roman, question sur laquelle nous reviendrons2. Cet incipit n'est,
également, pas sans rappeler les ouvertures des prologues médiévaux, comme
nous pouvons le constater celui de la Prise d’Orange : « Oëz, seignor, que Dex vos
beneïe,/Li glorïeus, li filz sainte Marie,/Bone chançon que ge vos verrai dire ! »3 .
Dans les deux cas, le récit est annoncé : en l'occurrence par le conteur, chez
Jaworski par le narrateur se confiant à celui qui va raconter son histoire.
Puisque la fantasy, et nous l'avons vu précédemment, est un genre qui s'inspire
de la littérature médiévale, nous pourrions éventuellement supposer qu'il s'agit
là à la fois d'une recherche d'autorité, mais aussi d'un message adressé au
lecteur. En ce sens, l'incipit de Même pas Mort annoncerait un récit de hautsfaits, comme la chanson de geste. De plus, cet incipit introduit un prologue (des
pages 7 à 12), se concluant de manière similaire « Et c’est pourquoi, mon ami, que
tu raconteras ma vie »4 , effet anaphorique scandé plusieurs fois : « Tu raconteras
ma vie »5 et « C’est pourquoi tu raconteras ma vie »6. Cet « effet de réel », avec la
recherche d'argument d'autorité annonçant un récit de hauts-faits est donc
essentiel, puisque répété. Il ne s'agit donc pas d'une entrée in medias res, mais
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 7.
Cf. Partie II.C.2.
3 La Prise d’Orange, d’après la rédaction AB de Claude REGNIER, Paris, Klincksieck, 1986, p. 43.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 12.
5 Ibid., p. 8.
6 Ibid., p.8
1
2
53
bien d'une introduction soulignant l'importance du thème de la mémoire et de la
remembrance. Cet incipit
est donc une introduction au traitement énonciatif
adopté par la suite dans le récit.
L'explicit
se
« Première branche
comprend
à
l'aide
du
sous-titre
du
roman
:
». Ce sous-titre annonce une suite grâce à la présence du
mot « première ». Il en va de même pour l'explicit, préparant lui aussi une suite
du roman : « C’est loin d’être fini. En fait, cela ne fait que commencer »1. Nous
pouvons supposer que ces appels sont destinés au lecteur. Le sous-titre et
l'explicit sont donc justifiés par le besoin de poursuivre le récit et par la volonté
d'attirer l'attention. Ils sont donc complémentaires de l'incipit qui interpelle
également un auditoire. Il apparaît donc clairement que le récit se doit d'être
écouté jusqu'au bout et transmis puisqu'il prétend être à valeur d'exemplum.
Comme nous l'avons vu précédemment2, la fantasy est un genre dont les
récits sont souvent complétés d'un paratexte d'appendices, de cartes, et
d'épigraphes. Ils peuvent être purement fictifs, comme celui ouvrant le récit de
Greg Keyes, Le Roi de Bruyère, signé de « Saint Anemlen à la cour du Bouffon
Noir, peu avant le commencement de son supplice »3 , ou faire référence à un
auteur ayant existé, à l’instar de ces mots de Arthur C. Clarke introduisant le
récit du Double Corps du Roi : « Toute technologie suffisamment avancée est
indiscernable de la magie »4 . L'épigraphe de Même pas Mort, se situe entre
fiction et Histoire. Il s'agit d'un extrait du Combat des Arbrisseaux (Kat Godeu):
« J’ai été route, j’ai été aigle./ J’ai été coracle sur la mer./ J’ai état l’effervescence
de la bière. / J’ai été goutte dans l’averse./ J’ai été épée dans la main./ J’ai été
bouclier au combat./ J’ai été corde de la harpe/ D’enchantement, neuf années »5
Ce choix témoigne d'une stratégie d'écriture particulière. En effet, cette
épigramme est faussement attribuée au poète Taliesin. Il s'agit donc d'une
épigraphe anonyme relatant des faits « mythologiques celtiques »6, rédigés durant
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit. p. 297.
Cf. Introduction.
3
Greg KEYES, op. cit., p. 9.
4
Hugo BELLAGAMBA, Thomas DAY, Le Double Corps du Roi, Paris, Folio S-F, 2003, p. 9.
5
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit, p. 5.
6
CHRISTIAN-J. GUYONVARC'H, Textes Mythologiques Irlandais, Rennes, Ogam-Celticum, 1980, p.
1
2
67.
54
le haut-moyen-âge. De prime abord, il s'agit d'une recherche d'un argument
d'autorité, d'une annonce de la matière littéraire convoquée- en l'occurrence
celtique, mais aussi médiévale, et du rapport ambigu avec l'Histoire, comme nous
l'avons étudié dans la première partie. Enfin, d'un point de vue énonciatif, il
s'agit de montrer que le récit sera écrit comme un chant dédié à un héros et à ses
hauts-faits (le Kat Godeu célèbre la mythologie celtique, les faits de guerre et la «
mémoire »1). Enfin, l'utilisation du pronom « je », présent dans l'épigraphe comme
dans le roman qui écrit à la première personne du singulier, est aussi une
référence à la question de l'autobiographisme2 dans Même pas Mort. Nous le
constatons donc, le titre, l'incipit, l'explicit, et l'épigraphe soulèvent des questions
d'ordre énonciatif et présentent ou clôturent un récit qui n'est pas linéaire. En ce
sens, il conviendra à présent d'étudier le schéma narratif et la structure du récit
afin de comprendre en quoi ils en sont représentatifs.
2) Les étapes et la structure du récit
Même pas Mort devrait, de facto, suivre les étapes traditionnelles du conte,
la fantasy s'en inspirant, comme nous l'avons vu. Vladmir Propp propose trente
et unes étapes3 pour comprendre la morphologie du conte, soulignant que
« lorsqu’on analyse un texte, il faut d’abord déterminer de combien de séquences
il se compose »4. Nous allons donc étudier comment est organisé le récit de
Jaworski en fonction de ces étapes, si celle-ci sont présentes, et si elles le sont
dans l'ordre indiqué par Propp. Le récit s'ouvre sur une longue introduction, un
prologue, qui se situe à posteriori des événements. Le début du texte traite d'un
narrateur âgé qui parle de ses exploits, comme nous le voyons ici : « Mais je suis
vieux ; j’aurai bientôt deux siècles. Mes bras sont encore fermes, rares sont les
jeunes héros qui osent affronter mon regard »5. Il s’agit du prologue, « Première
nuit » et qui peut tout aussi bien faire office de situation finale, en l’occurrence
l’étape finale du conte, pour Propp, la 31e, celle où « le héros (...) monte sur le
1
2
3
Ibid., p. 67.
Cf. Partie II.C.2.
Vladimir PROPP, Morphologie du conte, Points, Paris, Seuil, 1965, p. 71
Ibid., p. 113.
5 Ibid., p. 8.
4
55
trône »1, Bellovèse ayant réussi, en effet, à devenir un guerrier renommé et un roi
respecté . Des pages 13 à 53 nous voyons le narrateur après l’élément
modificateur (lorsqu’il survit à une blessure mortelle), en quête de l’île des
Vieilles. Il fait diverses rencontres, et a entamé le cycle des péripéties. Il est «
transporté, conduit ou amené près du lieu où se trouve l’objet de sa quête »2, selon
l'étape étape 15 pour Propp, comme nous le constatons : « Et sur l’île, prends
garde. Le danger ne viendra pas d’où tu l’attends. C’est tout ce que je te dirai (...).
Dans le jour finissant, sur un isthme de sable et de galets fraîchement lavés,
j’avance vers l’île des Vieilles. Je marche seul, pour la première fois depuis des
mois, des années, sinon depuis ma naissance »3. Dans cette partie, il rencontre les
Vieilles Gallicènes, afin de briser le tabou le concernant : « Ce n’est pas un
prétexte ! J’ai été tué sur le champ de bataille, mais la mort s’est refusée à moi !
Je suis devenu tabou ! Le grand druide a décrété que seule la sagesse des
Gallicènes pourrait délier le mauvais sort et me rendre à la communauté des
vivants ! »4. Ce passage prépare l’étape 19 chez Propp, celle où « le méfait initial
est réparé ou le manque comblé »5 . L'ensemble de cette partie est regroupée dans
le deuxième chapitre,
« l’île des vieilles ». La suite, (à partir de la page 53) nous
renvoie directement à une situation antérieure, celle de son enfance, perturbée
par l’arrivée de cavaliers, des années après la défaite de Sacrovèse, père de
Bellovèse. Le départ de la maison familiale s’ouvre ainsi sur une longue
pérégrination martiale. Ce départ du foyer maternel renvoie à une étape
primordiale du conte, la 11e, celle où « le héros quitte sa maison »6, comme nous
l'observons : « Le départ s’est pourtant révélé plus lent que ce que j’avais imaginé
(...) heureusement, ma mère avait le sens des convenances. Ayant appelé sur
nous la bénédiction d’Ogmios, elle a lancé : Restez vivants et rapportez-moi des
têtes. Cette maison en a besoin pour asseoir son autorité »7. Ce départ est celui
Vladimir PROPP, op. cit., p. 78.
Ibid., p. 62.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit, p. 38.
4 Ibid., p. 48.
5 Vladimir PROPP, op. cit., p. 66.
6 Ibid., p. 50.
7 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 63.
1
2
56
du « héros quêteur »1, qui fait ses « premiers pas sur une route sans recherches,
où toutes sortes d’aventures l’attendent »2. C’est durant cette partie que se
déroule sa « non-mort ». Elle fait référence à l’étape 2, pour Propp, celle où le «
héros se fait signifier une interdiction »3, et à l’étape 17 où « il reçoit une marque
(...) une blessure pendant la bataille »4, comme ce passage le confirme : « Le coup
mortel a été si puissant qu’il a d’abord été indolore. J’ai su, toutefois, avant même
de réaliser vraiment ce qui m’arrivait, que j’étais perdu (...) Le coup qui aurait dû
me tuer m’avait rendu un souffle de vie. J’ai vu alors se peindre une expression
étrange sur tous ces faciès brutaux : un mélange de crainte, de répugnance, et
peut-être de révérence »5. La page 139 marque un nouveau retour à une autre
situation antérieure, et l’entrée dans un nouveau chapitre, « l’île des Jeunes ».
Reprenant mot pour mot la première proposition du chapitre précédent (« Ils sont
arrivés par une matinée de printemps »6), cette partie s’ouvre, sur un élément
perturbateur, c'est-à-dire, l’arrivée de cavaliers rapportant la mort du père au
combat, et du sort fait à la famille. Elle renvoie à l’une des premières étapes du
conte, celle où « l’un des membres de la famille s’éloigne de la « maison »7 , la
mort (en l'occurrence, du père) étant « une forme renforcée d’éloignement »8,
toujours selon Propp, et comme nous l'observons ici : « D’un ton plaintif, il avait
demandé : C’est fini ? Papa va venir nous chercher ? Cette niaiserie avait fendu
le cœur de ma mère. Elle avait pris Segillos dans ses bras, elle l’avait étreint à
l’étouffer et sangloté dans son cou »9. Cependant, cette partie se déroule des
années avant le chapitre précédent. Il s’agit d’une nouvelle situation perturbée
puisqu’elle commence avec la mort du père, et se poursuit avec une longue série
de péripéties enfantines et magiques, pour se clore, toujours dans le même avec le
retour de Bellovèse des rives de l’île des Vieilles, pour rencontrer Ambigat, le
Haut Roi. Toutefois, la rencontre finale entre l’assassin du père et Bellovèse est
Vladimir PROPP, op. cit., p. 50.
Ibid., p. 50
3 Ibid., p. 32.
4 Ibid., p. 65.
5 Jean Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 132.
6 Ibid., pp. 53, 139.
7 Vladimir PROPP, op. cit., page 36.
8 Ibid., p. 50
9 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 141.
1
2
57
quelque peu différente de l'étape 29 chez Propp, celle où le « héros change
d’apparence »1. En effet, dans le texte, c'est Ambigat qui change d'apparence, et
non le héros : « Je me dégage assez brusquement de son étreinte, et pour la
première fois, je le dévisage, (...) l’intensité de son expression, la vigueur de sa
poigne lui confèrent une grande présence - En fait, c’est toi, le roi. – Eh oui, fils,
me sourit-il. Je suis aussi le roi »2. Les outils proposés par Propp nous permettent
de comprendre une chose. D'abord, il convient de noter que certaines de ces
étapes sont différentes, comme l'étape 29, où le déguisement est utilisé par un
opposant, et non pas par le héros et narrateur. Toutefois, bien que les étapes du
récit ne soient pas dans l'ordre, nous devons remarquer qu'elles sont bien
présentes. En ce sens, Jaworski organise son roman de manière très classique.
On trouve, certes, des variations dans le roman par rapport au genre, comme
c'est le cas avec l'utilisation de l'Histoire, mais en l'occurrence, l'auteur inscrit
Même pas Mort en continuité avec la fantasy. Nous avons donc ici l'illustration
d'un roman qui présente des variations avec le genre, mais qui pose également
les étapes du récit de façon tout à fait traditionnelle. On le comprendra comme
une volonté, peut-être, ne pas changer les habitudes de lecture ou, à défaut, de
s'assurer que les procédés qui amènent la rupture se comprendront dans le cadre
d'un roman effectivement considéré comme relevant du genre de la fantasy. Nous
pourrions donc y voir un effort d'orthodoxie lié à un travail de variation littéraire.
D'ailleurs, et parce que les étapes du récit ne sont pas dans l'ordre, la chronologie
narrative apparaît comme perturbée, ou plus exactement, volontairement
disloquée.
L’auteur définit son récit comme un « rinceau »3 et qu’il différencie de «
l’entrelacement médiéval »4. Il précise qu’il a mis en place une narration qui «
tourne sur elle-même »5, est que son but est de « rompre la chronologie
narrative»6, rajoutant enfin que « ce motif est important, car il témoigne du goût
Vladimir PROPP, op. cit., p. 77.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 278.
3 https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
1
2
Ibid.
Ibid.
6 Ibid.
4
5
58
celtique pour le non linéaire, la métamorphose, l’abstraction plastique. J’ai donc
calqué la narration sur cette esthétique »1. Au regard de la définition de rinceau2,
et si l'on se fie à l'auteur, la chronologie du récit serait en forme de spirale. A
l'aide du schéma3, nous pouvons donc constater plusieurs faits. En premier lieu,
nous observons que le roman remonte la ligne logique du temps. En d'autres
termes, le lecteur est amené, à mesure qu'il avance au fil des pages, à remonter
dans la vie du narrateur, de sa vieillesse jusqu'à sa jeunesse. Toutefois, la fin du
dernier chapitre nous renvoie directement à la fin du premier chapitre pour
présenter la situation finale, c'est-à-dire, la rencontre avec le Haut-Roi. Cette
transition qui ne suit pas la ligne logique du temps (matérialisée sur le schéma
par le signe « * »), est fait via la déesse Eppia :
Quant au troisième cavalier, il me demeurait étranger. Il était armé en guerrier, mais il
paraissait très jeune ; bizarrement, ses longues boucles flottaient au vent. Cette tignasse
d’enfant ne cadrait pas avec la lance et l’épée. Quelque chose, dans sa façon de monter, me
rappelait confusément quelqu’un. Et brusquement, j’ai réalisé. Il ressemblait à mon frère,
mais ce n’était pas Ségovèse. « Tu as été longtemps égaré, mais je t’ai ramené sur la voie,
a dit Eppia en contemplant la même vision. Tu vas franchir un seuil. Désormais, quoi qu’il
se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir matière à chant. » Et me voici, par un soir
froid de cantlos, remontant la vallée de l’Avara en compagnie d’Albios et de Sumarios. Tôt,
ce matin, nous en avons dépassé le confluent et abandonné le cours du Caros. 4
Cette façon d'écrire le temps comporte également d'autres avantages, que ne
précise pas Jaworski, remarquablement proche de ce que l'on peut trouver dans
la science-fiction, comme l'explique Jameson : « chaque moment du récit [de
science-fiction] tend à projeter un nouveau cadre générique, qui lui est propre
selon un procès de restructuration (...) où chaque segment de phrase ouvre sur
une gamme de possibilités et d’incertitudes qui se trouve ensuite réorientée en
fonction du prochain choix à faire »5. Nous remarquerons donc que l'auteur de
Même pas Mort, toujours dans une optique de redéfinition du genre, utilise des
procédés étrangers à la fantasy pour organiser, dans le temps, les événements de
son récit. Ce mélange des outils littéraires sous-entend peut-être, une fois de
http://www.actusf.com/spip/ITW-Jean-Philippe-Jaworski-Meme.html
(consulté le 10 Avril
2015).
2 « Motif ornemental en forme de branche recourbée munie de feuilles, pouvant être agrémentée
de fleurs, de fruits et utilisé surtout, sculpté ou peint, en architecture mais aussi dans différents
arts décoratifs » (TLFI).
3 Cf. Schéma « Chronologie des événements » dans les annexes.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 278.
5 Frederic JAMESON, Penser avec la science-fiction, Paris, Max Milo, l’Inconnu, 2008, p. 137.
1
59
plus, que le roman tient une place particulière dans la fantasy, et vise, à la
redéfinir. Précisons enfin que ce traitement textuel du temps est rendu possible
par l'utilisation de plusieurs figures narratives comme l'ellipse, l'analepse, la
prolepse, ou les moments achroniques, hors du temps. Ces figures, outre leur
utilité dans la construction de la chronologie, induisent également d'autres
particularités de l'écriture de Jaworski
3) Maîtriser le temps
Jaworski organise la temporalité dans le récit grâce à l'ellipse, la prolepse,
l'analepse et les moments achroniques. L'ellipse narrative est l'outil le moins
utilisé par l'auteur dans le récit. Elle est simplement employée lors de transitions
entre deux paragraphes, comme c'est le cas ici : « Tiens, gronde-t-il, prends-les. Je
n’en aurai pas besoin pour tenir la main du radoteur. Et sur l’île, prends garde.
Le danger ne viendra pas d’où tu l’attends. C’est tout ce que je te dirai. Dans le
jour finissant, sur un isthme de sable et de galets fraîchement lavés, j’avance vers
l’île des Vieilles. Je marche seul, pour la première fois depuis des mois, des
années, sinon depuis ma naissance »1. L'ellipse est également présente dans le
texte de cette façon : « Voilà pourquoi, après un bref voyage vers la fin des terres,
je me retrouve sur le navire de Nauo, secoué par la tourmente »2. Toutefois, il
convient de constater, qu'outre ces exemples, l'ellipse n'est pas employée aussi
souvent que la prolepse, ou encore l'analepse. Cela pourrait paraître surprenant
puisque nous avons précisé précédemment que le récit n'était pas linéaire.
Cependant la structure de la temporalité du récit est déjà complexe, et il s'agit,
peut-être, pour l'auteur, d'un biais favorisant toutes les descriptions des étapes
du récit, à défaut de les éluder. Cet effort de clarté, en un sens, soulignerait que
l'auteur cherche avant tout à toucher un public plus large, et à éviter l'écueil de
l'hermétisme. La prolepse narrative est finalement, pour sa part, peu utilisée par
l'auteur, probablement parce que le récit remonte la ligne logique du temps : en
d'autres termes, le narrateur fait peu référence à des situations ultérieures,
probablement parce que le roman remonte le temps, et ce, probablement dans
1
2
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 37.
Ibid., p. 29.
60
une optique de clarté. Toutefois, ce postulat est à nuancer, car la prolepse est
l'outil qui permet de passer de l'enfance directement à l'âge adulte, à la fin du
récit, c'est-à-dire durant la rencontre avec le Haut-Roi1. Ce moment achronique
est un renvoi vers les évènements ultérieurs, et donc peut être considéré comme
une prolepse. De plus, nous pouvons relever un exemple de prolepse narrative
plus problématique : « Calme-toi, Bel. Repose-toi. On est en bateau, personne ne
te poursuit. On remonte la Dordonia jusqu’à Argentate. Tu seras en sécurité chez
Tigernomagle, tu prendras ton temps pour guérir »2. Cette intervention du frère
de Bellovèse, Segovèse, intervient durant l'enfance du narrateur, c'est-à-dire à la
fin du récit. De facto, pour Bellovèse, il s'agit d'une prolepse, puisque celui-ci n'est
pas encore blessé à mort. Mais, c'est une analepse pour le lecteur, qui est amené
à revenir sur la convalescence du héros après sa blessure survenue avant ce
chapitre. Cela nous amène alors nécessairement à nous interroger sur la place de
l'analepse. Si les figures de l'ellipse et de la prolepse demeurent rares ou
problématiques, et ce, puisque la structure elle-même du récit, ou les choix de
l'auteur l'y oblige, l'analespe occupe une place centrale dans le récit.
Nous l'avons dit, la structure temporelle du récit est en forme de spirale, et
remonte le temps. L'analepse, en ce sens, apparaît comme l'outil privilégié pour
progresser dans les étapes du récit. En effet, nous pouvons, en premier lieu,
observer que chaque chapitre est l'analepse du suivant, puisque, comme nous
l'avons démontré précédemment, le récit remontre la ligne logique du temps. Elle
apparaît, par ailleurs, très vite dans le récit, comme nous l'observons ici : « Il
laisse ses paroles en suspens, se contentant d’adresser un sourire incertain aux
trombes venues du fond de l’horizon. Cinq nuits plus tôt, quand nous avons fait
étape à Vorgannon, nous avons pu parler plus librement de l’île des Vieilles.
Nous sommes arrivés en traversant une contrée de monts et de hautes collines, et
nous avons accordé une longue pause à nos chevaux après avoir gravi des
versants aux pentes faussement douces »3. Néanmoins, l'analepse peut être
comprise comme une prolepse, comme nous l'observons avec ce cas problématique
Voir la chronologie des évènements du récit dans les annexes, p. 158 de notre étude.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 227.
3 Ibid., p. 17.
1
2
61
: « Je perdais peu à peu les sens. Les compagnons d’armes qui formaient mon
cortège funèbre devenaient brumes et buées. Je ne distinguai plus, à la droite de
mon char, qu’une belle cavalière, drapée dans une robe écarlate, qui montait à
cru une jument blanche »1. Cette cavalière fait directement référence à la déesse
de son enfance, Eppia, qui porte une robe « écarlate »2 et monte une « jument à
cru »3 , c’est-à-dire plus d’une centaine de pages plus loin dans le récit, mais
rencontrée précédemment au cours de l’enfance du héros. Il s’agit d’un souvenir
de Bellovèse, qui ne sera décrit que plus tard. Ainsi, c'est une analepse pour le
narrateur, mais une prolepse pour le lecteur. Nous le constatons, la temporalité
suit une logique complexe dans le récit. L'auteur, grâce à ces procédés, montre
une fois de plus, que Même pas Mort est un récit de la mémoire et du souvenir,
renvoyant de fait à l'épigraphe et à l'incipit.
La vie de Bellovèse est donc
présentée comme exceptionnelle. Les figures de grammaires sont un moyen pour
souligner la destinée hors du commun du narrateur « je ».
De plus, et
probablement parce que le héros est promis à un avenir remarquable, il doit
faire face à des situations où le temps n'est plus le même que celui des autres
personnages. La différenciation entre le guerrier ordinaire et le héros se fait alors
grâce au traitement de la temporalité. Ne correspondant pas nécessairement à
une description, ou une pause, ces instants se caractérisent par une incohérence
dans la ligne logique du temps. Ils peuvent se manifester par la venue de
fantômes du futur4, où par la présence de personnages défunts avant les
évènements du roman5, et dans tous les cas, seulement avec Bellovèse. La
présence de fantômes induisant une anomalie temporelle dans un récit relevant
du merveilleux n'est pas surprenante. En effet, ces moments, où le temps est
Ibid., p. 137.
Ibid., p. 258.
3 Ibid., p. 258.
1
2
Le fantôme d’Oico, compagnon de guerre de Bellovèse et sacrifié par la suite, réalise alors qu’il a
en face de lui l’enfant qui deviendra le guerrier qu’il a connu : « Comment est-ce que tu oses... Ce
n’est pas possible... Je connais Bellovèse, tu pourrais être presque son fils...(…) Sauf si,
évidemment…- Sauf si quoi ? -Cela fait longtemps que je le cherche (...) Je ne te reconnais à peine,
je ne comprends comment tu peux être aussi jeune (...) Tu es sans doute Bellovèse », ibid., p. 255.
5 « Et, en un geste plein de fierté affectueuse, j’ai senti la main de mon père se poser sur ma
tête ». Cet extrait du texte oscille entre intervention magique et souvenir, puisque le père, jamais
décrit dans le récit, est mort avant les évènements de Même pas Mort, marquant le début du
roman selon la ligne logique du temps, ibid., p. 264.
4
62
distendu, sont la marque du monde des morts et de la magie qui abolit le temps
des mortels, comme le précise Jean Claude Schmitt : « Le temps merveilleux se
caractérise par des temps excessivement brefs ou excessivement lents. D’une
part, les mouvements rapides, voire instantanés (...) et d’autre part, l’écoulement
merveilleux du temps, négation des rythmes naturels du soleil et de la lune, des
facultés sensorielles et de la mort »1. On retrouve ce procédé dans la littérature
celtique et médiévale. Ainsi, dans La Geste de Cûchulainn, le héros se perd dans
« l’île des Délices »2. Il en va de même de ces chevaliers qui résident trop
longtemps chez les fées, ou qui sont enlevés par elles dans un lieu hors de
l’espace et du temps comme c’est le cas dans Laval : « En un isle qui mult est
beals ; / la fu raviz li dameiseals./ Nuls n’en oï puis plus parler, / ne jeo n’en sai
avant cunter »3. Nous retrouvons également cela dans lai de Guingamor, où le
héros pense ne passer que quelques jours chez la fée, mais reste en réalité trois
cents ans auprès d’elle4 . Inversement, dans les Aventures de Nera, le héros
s’imagine être absenté trois nuit dans l'Au-delà mais ne part en réalité que
quelques instants5. Comme pour Jaworski, ces grands récits fondateurs mettent
en avant un héros qui se distingue par son voyage dans un espace où le temps
n'est plus le même que pour les autres. Le héros, choisi par une fée, est emporté
vers un ailleurs magique qui symbolise la grandeur de son devenir. Pour preuve,
Eppia précise à Bellovèse qu'il deviendra « matière à chant »6.
Ainsi, sans
utiliser les hyperboles propres à la littérature celtique7, l'auteur cherche, de fait,
à se placer sous l'autorité des textes fondateurs. De plus, la complexité de
l'organisation temporelle prouve, à nouveau, que le roman, au risque d'être
hermétique, tend à être lu par un public adulte plutôt que par des lecteurs
enfants, peu aptes à saisir les enjeux soulevés par ces choix énonciatifs. Par
Jean-Claude SCHMITT, Le corps, les rites, les rêves, le temps, essai d’anthropologie médiévale ,
Paris, Gallimard, 2001, p. 377.
2 La Geste de Cûchulainn, op. cit., p. 103.
3 Marie DE FRANCE, op. cit., p. 167.
4
O’Hara TOBIN, Les lais anonymes des XIIe et XIIIe siècle. Edition critique de quelques lais
bretons, Genève Droz, 1976, pp. 127,155.
5
Howard ROLLIN PATCH, The Other Worlds according to the descriptions of medieval literature,
Cambridge, Harvard University Press, 1950, pp. 58, 59.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 266.
7 Cf. Partie I.C.1.
1
63
ailleurs, il est intéressant de constater que l'auteur se place dans le roman en
véritable maître du temps. Parce qu'il choisit de construire son récit de manière
non-linéaire et parce qu'il utilise l'ellipse, l'analepse, la prolepse et les moments
achroniques (notamment de manière volontairement problématique, comme nous
l'avons-vu) Jaworski nous invite à réfléchir à la question du temps et au rôle de
l'écrivain lorsqu'il construit la temporalité d'un récit. Véritable architecte d'une
organisation disloquée mais non chaotique, l'auteur, tout en s'inspirant des
structures temporelles mythologiques montre au lecteur que le traitement textuel
peut être original sans être en rupture totale. La littérature, en ce sens, est donc
un espace de création illimité qui doit aussi gagner sa légitimer par la
réactualisation des écrits fondateurs. Une fois de plus, l'auteur se place entre
rupture et continuité par rapport au genre. Enfin, et nous l'avons observé en
dernière instance, dans Même pas Mort la magie ne saurait être dissociée d'une
temporalité spécifique et propre au héros. Celui-ci est emporté par des
personnages clefs dans des endroits hautement symboliques, le différenciant,
comme c'est le cas pour le temps, du reste des personnages.
B) De la magie et des personnages au sein de l'énonciation
Les
lieux
intermédiaires,
magiques,
l'organisation
tripartite
des
personnages dans le récit, ainsi que la place accordée aux dieux, place
éminemment ambiguë, sont tout autant d'outils spécifiques dans la construction
énonciative de Même pas Mort. Nous allons donc tenter de comprendre, dans
cette
partie,
en
quoi
l'auteur
cherche
à
changer
de
public
(celui
traditionnellement associé à la fantasy, c'est-à-dire un public enfant, ou jeune
adolescent1), tout en proposant une redéfinition du genre par le détournement de
ses codes. Comprenons par détournement, une réappropriation des règles
d'écriture de la fantasy, sans rupture brutale. Il s'agira pour nous d'analyser
l'énonciation sous cet aspect, et de vérifier si notre postulat est toujours valable.
Cette poétique entre rupture et continuité devra, en théorie, apparaître dans la
1
Cf. Partie I.B.1.
64
place accordée au personnage, dans le système énonciatif et, bien entendu, dans
les lieux qui leur sont associés.
1) De l'importance des lieux magiques : les lieux intermédiaires
Plusieurs lieux intermédiaires et magiques, ainsi qu'un motif spécifique,
sont présents dans le récit. On notera l'île des vieilles, le motif de l'eau, l'Au-delà,
le bois et le Nemeton. Nous allons étudier dans cette partie en quoi ces endroits
occupent une fonction cardinale dans le récit. Nous avions étudié précédemment
ces lieux sous un angle mythologique1. Il conviendra ici de les analyser sous un
angle énonciatif. En d'autres termes, nous chercherons à comprendre leur place
et leur rôle au sein de l'énonciation.
L'île des vieilles occupe une fonction cardinale dans le récit. C'est toutefois
un endroit inaccessible et magique, comme le précise Godumaros : « C’est toi qui
as dû entendre de travers, a-t-il rétorqué. On ne se rend pas sur l’île des Vieilles.
C’est interdit, et puis c’est hors du monde. On attend que l’une d’elles nage ou
vole jusqu’à la côte »2. Et le narrateur est le seul à pouvoir y accéder, comme le
montre cet exemple : « Pas toi, objecte alors le musicien. Nous avons mené notre
tâche à bien. Désormais, c’est à Bellovèse seul d’affronter l’arrêt du grand
druide »3. Par ailleurs, et comme nous l'avons constaté dans l'étude consacrée à
l'organisation du récit, cet endroit est présenté au début du roman, puis à la fin,
précédant une transition achronique4. Puisque le récit se construit en une spirale
remontant le temps, on comprend mieux cette phrase prononcée par le druide,
toujours dans ce premier chapitre : »Prépare-toi, me dit Albios. Il sera bientôt
temps de terminer ton voyage »5. L'île des vieilles est donc à la fois le lieu du
commencement du récit, mais aussi sa finalité, puisque c'est l'endroit où
Bellovèse est délivré de son tabou6. De plus, l'extrait suivant permet de faire la
Voir partie I.C.2.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 23
3 Ibid., p. 35.
4 Cf. Schéma de l'organisation du récit.
5 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 35.
6 « Tabou » est le mot employé par Jaworski pour décrire l'interdit qui frappe Bellovèse : « Et je
suis indiscret si je te demande ce qui te vaut ce tabou ? a poursuivi le roi. – La raison ? ai-je
grommelé. Je ne suis même pas mort », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 23. Assez
1
2
65
transition avec le chapitre suivant où le narrateur va relater les évènements
marquants de son existence. Le récit remonte alors le temps, suivant la spirale
que nous avons décrite précédemment, et ce, à partir de l'île des vieilles :
Alors, une fois que les Gallicènes se sont assises en tailleur, formant un cercle où elles
m’ont intégré, je n’ai plus d’incertitude. Je sais exactement comment je dois ouvrir mon
récit :
Ils sont arrivés par une matinée de printemps. Nous les attendions sur le pas de notre
porte. Ségovèse était debout à gauche de ma mère, et moi, je me tenais sur sa droite… 1
Nous pouvons également observer un fait remarquable dans ce passage :
l'île des vieilles est le lieu qui permet de débuter le récit dans le récit. En effet,
Bellovèse raconte ici sont histoire aux Gallicènes, en discours direct. Mais il
s'agit d'une mise en abime, d'un récit dans le récit puisque le roman, comme nous
l'avons vu précédemment, est déjà le récit d'un témoin, celui rapporté par
l'interlocuteur grec. Remarquons, également, que cette transition s'effectue via
un effet anaphorique. Le héros termine sa proposition et clôt le chapitre de la
sorte : « Nous les attendions sur le pas de notre porte. Ségovèse était debout à
gauche de ma mère, et moi, je me tenais sur sa droite », avant de le reprendre de
la même manière au chapitre suivant2. Il y a donc plusieurs voix à l'œuvre : celle
de Bellovèse âgé qui raconte sa vie à valeur d'exemplum, et qui charge
l'interlocuteur de la passer aux générations suivantes, et celle de Bellovèse jeune
qui s'adresse au Gallicènes pour raconter cette même vie. Il s'agit là de souligner
l'importance des hauts-faits du héros. La superposition des voix est aussi,
probablement, un moyen d'interpeller le lecteur et de justifier le récit. L'île des
vieilles occupe donc une fonction cardinale dans Même pas Mort : elle est le
moteur et la clef de voûte de la structure narrative du roman. De fait, cet endroit
est le vecteur d'une certaine tension narrative, essentielle dans l'organisation des
étapes du récit. Ainsi, comme le précise Raphaël Baroni : « La tension narrative
(actualisée en effets de curiosité, de suspense ou de surprise) permet de définir
paradoxalement, l'auteur n'emploie pas le terme « geis », qui signifie interdit en celtique, et que
Robert HOLDSTOCK, a contrario, utilise dans Celtika. Nous reviendrons sur cette question dans la
partie consacrée à l'étude sémantique du texte.
1 Ibid., p. 52.
2 « Ils sont arrivés par une matinée de printemps. Nous les attendions sur le pas de notre porte.
Ségovèse était debout à gauche de ma mère, et moi, je me tenais sur sa droite », in Jean-Philippe
JAWORSKI, op. cit., p. 53.
66
les principaux jalons des séquences qui configurent les récits en mettant en
évidence des incertitudes stratégiquement produites, maintenues et finalement
résolues dans le processus de la lecture linéaire »1. L'île des vieilles est en effet
propice aux « effets de curiosité, de suspense ou de surprise », puisqu'elle permet
de débuter le récit dans le récit et d'attiser la curiosité du lecteur. Enfin, cet
endroit, excluant les autres personnages non-magiques, est fondamentalement
réservé à Bellovèse, qui va pouvoir rencontrer les sorcières. Le « je » protagoniste
est donc le seul à pouvoir accéder à cette île et donc au récit qui suivra. Cette
exclusivité permet de mettre en avant le « je » narrateur et d'accroître sa
prééminence dans le récit. A ce titre, Même pas Mort est, une fois de plus, un
récit de la confession et du souvenir, puisque l'île des vieilles est le moyen de
débuter la suite du récit dans le récit. Il n'y a qu'un endroit qui est exclusivement
réservé au narrateur. Il ne s'agit pas exactement d'un espace repérable, mais
plutôt d'un motif rapidement évoqué.
Si l'eau est évoquée brièvement, jamais le narrateur ne doit la franchir pour aller
à la rencontre des créatures magiques ou de ses ancêtres. Il est d'ailleurs le seul
mortel à l'évoquer. De plus, l'eau est simplement sous-entendue par Bellovèse
lorsqu'il accède à l'Au-delà : « Une brise paresseuse inclinait sur mon visage l’épi
jaunissant des herbages. Dans l’oreille, j’avais le murmure d’un ruisseau »2. Il est
intéressant de constater qu'il s'agit, en l'occurrence, d'une simple référence aux
textes anciens, comme nous l'avons vu précédemment3, au lieu d'un véritable
outil énonciatif dans le récit. En ce sens, l'évocation du ruisseau est un moyen de
rappeler que Même Pas Mort se place sous l'autorité des grands mythes celtiques
et scandinaves. Nous pouvons donc en déduire que l'auteur se place en continuité
dans le genre de la fantasy, tout en proposant un traitement énonciatif différent
via l'île des vieilles. Une fois de plus se pose donc la question du public auquel
s'adresse Jaworski. Il apparaît que l'auteur, probablement par le détournement
des codes du genre, cherche à s'éloigner d'un public jeune, pour proposer un récit
Raphaël BARONI : La coopération littéraire : le pacte de lecture des récits configurés par une
: http://www.fabula.org/atelier.php?Coop%26eacute%3Bration_litt%26eacute%3Braire
(consulté le 5 Avril 2016).
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 264.
3 Cf. partie I.C.2.
1
intrigue
67
destiné à public d'avantage adulte, plus apte à saisir la complexité du traitement
énonciatif. Ces postulats sont relativement similaires concernant l'Au-delà.
L'Au-delà est régulièrement évoqué par les personnages. Nous avons
précédemment vu que la mort occupait une place essentielle dans la culture
celtique. Mais outre cet aspect historique, il convient de regarder quelle est la
fonction énonciative de l'Au-delà. En première instance, Bellovèse est le seul
mortel à être transporté au Sid1 :
Je me suis réveillé dans une contrée d’été. J’ai ouvert les yeux sur un ciel très bleu, poudré
des légers nuages. Je reposais dans une prairie parfumée de sève et de grand air. Une brise
paresseuse inclinait sur mon visage l’épi jaunissant des herbages. Dans l’oreille, j’avais le
murmure d’un ruisseau. {...} J’ai découvert un vallon peu profond, égayé çà et là de massifs
de bruyère {...} des collines, où le vent courait en ondulations verdoyantes, dominaient ce
petit val ; la plus haute d’entre elles, un mont aux pentes arrondies, se trouvait sommée par
un pin solitaire et ombreux.2
Outre les références mythologiques3 présentes dans cet extrait, il faut
observer comment cet endroit est le vecteur de la transition que nous avons
décrite précédemment sur notre schéma, et qui apparaît peu après cette
description : « Tu as été longtemps égaré, mais je t’ai ramené sur la voie, a dit
Eppia en contemplant la même vision. Tu vas franchir un seuil. Désormais, quoi
qu’il se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir matière à chant. Et me voici, par
un soir froid de cantlos, remontant la vallée de l’Avara en compagnie d’Albios et
de Sumarios »4. Nous pouvons observer que ce lieu magique est le moyen de
justifier la transition hors du temps permettant de revenir au début du récit, et
préparant la situation finale, c'est-à-dire la rencontre avec Ambigat.. Cependant,
et à la grande différence de l'île des vieilles, il n'est pas le seul à enter au paradis
celtique, comme le prouve cet extrait où Oico raconte son voyage :
Alors, je me suis présenté au Sedlos. Là, sous un grand tertre où brûlaient des feux joyeux,
festoyait la Tribu de la Déesse. J’ai été bien reçu, et quand j’ai été rassasié de mets fins et
d’hydromel, les gens de la Tribu m’ont demandé de raconter mon histoire. Je l’ai fait du
mieux que j’ai pu, et j’ai évoqué ce qui me souciait. Deux des convives m’ont alors proposé
un marché : ils se sont engagés à éponger ma dette si je leur rendais un service.– Et ce
service, c’est m’apporter un message ?– Voilà.5
1
Cf. partie I.C.2.
2
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 264.
3
Cf. partie I.C.2.
4
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 266.
5
Ibid., p. 254.
68
Toutefois, si Oico revient de l'Au-delà, c'est uniquement dans le but de
pouvoir délivrer un message au narrateur. Sa présence et sa quête sont
intrinsèquement liées au protagoniste, et nous pouvons remarquer que le Sid est
présenté par le biais d'un discours indirect. En ce sens, et outre le fait que ce
passage se situe hors du temps, il s'agit de renforcer le rôle du narrateur qui va
être amené, dans les pages suivantes, à atteindre lui aussi le Sid.
Bastien
Egelbach précise que : « L’identité narrative intervient donc à ce niveau. Elle
permet de saisir le sujet en tenant compte de son pouvoir d’initiative et du fait
que ses actions ne peuvent pas être prises isolément les unes des autres, mais
qu’elles doivent être liées entre elles, pour désigner quelqu’un qui en est le
porteur, et qui manifeste par là une forme de constance »1. En l'occurrence, les
actions de Bellovèse et son identité doivent être comprises comme un ensemble,
certes éclaté dans le temps, mais cohérentes. La « constance » du narrateur est
donc rendue possible, malgré ces décalages temporels, et grâce aux lieux
intermédiaires comme l'Au-delà. Cette non-linéarité des événements et ces
questions énonciatives remettent, une fois de plus, en doute le fait que Même pas
Mort, bien qu'appartenant au genre de la fantasy, soit un récit destiné à un
public jeune. La redéfinition du genre proposée par l'auteur est donc avant tout
exprimée par la volonté de varier de public, et rendue possible par des outils
littéraires plus complexes que ceux traditionnellement présents dans la fantasy.
Enfin, le fait que Bellovèse soit le seul à pouvoir accéder au paradis celtique le
relie au pouvoir spirituel. Souvenons-nous, d'abord, qu'il est promis à devenir roi
: nous avons vu, dans le prologue, que Bellovèse, âgé, revient sur les conditions de
la conquête de l'Italie du Nord et sur son ascension au trône 2. Puisque le récit est
une histoire rapportée censée justifier son règne, ce voyage dans l'Au-delà
apparaît comme un moyen de consacrer l'exercice du pouvoir souverain.
La
souveraineté est d'ailleurs justifiée par la présence de la déesse Eppia qui
l'accompagne au Sid, figure essentielle puisque, « chez les Celtes, toute
Bastien EGELBACH : Du modèle du récit à l’énonciation de soi,
http://www.fabula.org/colloques/document1883.php (consulté le 6 Avril 2016).
2 « Voici vingt hivers que j’ai fixé mon peuple dans cette grande plaine, entre mer et montagnes »,
in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 9., et cf. partie I.A.1., pour les questions d'ordre
historiques et la fondation de Milan par Bellovèse.
1
69
souveraineté passe par la femme-fée, c’est-à-dire par la déesse et par la terremère. La possession de la fée légitime la possession de la terre et l’exercice du
pouvoir souverain »1. Néanmoins, si Bellovèse est le seul à accéder à ce paradis, il
partage l'aventure des bois magiques avec son frère et le druide fou, Suobnos.
Les bois, en particulier ceux du Senoceton sont également des lieux
intermédiaires. Trois personnages humains les parcourent : Bellovèse, Ségovèse,
et Suobnos. Il s'agit donc du narrateur, de son frère, et d'un personnage fou, très
probablement le druide chassé durant la Guerre des Sangliers, Suobnos.. Ces
trois personnages sont confrontés à la magie. Il est intéressant de remarquer
qu'il s'agit du narrateur, menant le récit, de son frère, avec qui il est très proche,
et d'un représentant du pouvoir spirituel - même déchu. Aucun d'entre eux n'est
(encore) des guerriers, bien que Suobnos, aussi surnommé le gutuater, semble
avoir été à l'origine de la Guerre des Sangliers2 Ils rencontrent dans les bois, le
Maître du Garrissal, Bledios le loup, les Trois Mères et Taruos ainsi qu'Eppia, la
déesse équestre qui mène le narrateur au Sid, avant la transition achronique
vers le futur. Par ailleurs, ce bois est le lieu qui voit émerger le « bon maître »,
personnage ambigu et dangereux qui suit les personnages tout au long du récit :
« Toutefois, Ségovèse et moi, nous savions qu’il n’en était rien. Nous avions
reconnu le mystérieux marcheur, mais nous nous étions bien gardés d’en parler.
Il venait du bois de Senoceton, près de chez nous ; pour conjurer le mauvais sort,
on le surnommait le « Bon Maître ». De tous ceux qui habitaient dans la forêt,
c'était celui que nos redoutions le plus. »3 Notons également que les personnages
ont bien conscience de la magie et des dangers mortels inhérents à ces bois : « Les
1
Philipe WALTER, op. cit., p. 131.
Gutuater », qui signifie en celtique « le vengeur »(in Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 282) est un
personnage historique attesté, portant, comme Morigenos (probablement devenu Suobnos après
sa fuite), deux noms : Gutuater et/ou Cotuatos, qui est « l'instigateur du massacre des marchands
romains » (ibid., p. 282.), et qualifiés par César « d’homme dont on n’attend plus rien »2 (in Jules
CESAR, op. cit, p.82). Difficile de savoir si Jaworski a intentionnellement surnommé « gutuater »
Morigenos/Suobnos, en référence à Gutuater/Cotuatos, mais le fait est que la similitude reste
frappante. En effet, le personnage fictif et le druide historique sont tous deux à l'origine de
carnages (le premier déclenche la Guerre des Sangliers provoquant la mort de Sacrovèse, le père
de Bellovèse, l'autre, un agitateur sanguinaire de la Guerre des Gaules) et sont donc présentés
dans les mémoires comme des lâches et des assassins. Ambigat s'exclame, en effet, à propos de
Morigenos/Suobnos : « J’espère qu’il a péri dans la solitude et dans la honte. Non pour avoir initié
cette guerre ; pour l’avoir fuie », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 141 ».
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 264
2«
70
êtres qui vivent dans les futaies de Senoceton, ils sont imprévisibles et
dangereux ».1 Les frères et le narrateur payent, d'ailleurs, le prix de leur
incursions : « J’avais la conviction que le mal prenait racine dans la forêt de
Senoceton ; l’âme de Segillos cuisait toujours dans le chaudron du Garrissal »2.
C'est, enfin, ce lieu qui est peut-être la cause du tabou de Bellovèse : « Hélas, un
tourbillon finissait toujours par m’engloutir avant que j’aie trouvé assez de force
pour appeler à l’aide. Je sombrais alors dans des turbulences dévorantes. Mais il
est arrivé le moment où la cuisson est arrivée à point. Le maître du Garrissal a
cessé d’alimenter son feu »3. En effet, passer par le chaudron du Garrissal l'a, si
l'on se fie au poète Cintusamos l'annonçant au début du récit, empêché d'accepter
la mort : « Oui, il y a nécessairement un dieu à l’œuvre, a confirmé Cintusamos
en me jetant un regard circonspect. Peut-être le jeune homme a-t-il été touché
par le bon bout de la massue, peut-être a-t-il plongé dans le chaudron du Grand
Cornu »4. Nous constatons, dans tous les cas, que ce lieu est, une fois de plus, tout
à fait moteur dans le récit. Il est cependant moins rassurant que le Sid. C'est
l'endroit des esprits néfastes, et un moyen, pour l'auteur, de convoquer des
références mythologiques celtiques et scandinaves comme nous l'avons analysé
précédemment5. Ces bois n'ont donc rien à voir avec « l'effet de réel », non pas
parce qu'ils sont magiques, mais parce qu'ils ont une fonction cardinale dans le
récit. En effet, la présence de ce bois dans le texte est au delà de la volonté
d’affirmer la contiguïté entre le texte et le monde réel concret. Le bois est le lieu
central du récit : c'est dans cet endroit que déroule la plus grande partie du récit.
Il suffit de regarder le nombre de pages pour s'en rendre compte: six pages pour
le prologue « Première Nuit », quarante pages pour « l'île de vieilles », quatrevingt neuf pages pour « Les marches ambrones », et cent-cinquante huit pages
pour « l'îles des jeunes », dernier chapitre se déroulant presque exclusivement
dans les bois du Senoceton. L'on conviendra que si Même pas Mort est un récit
du souvenir, et en apparence un récit guerrier, comme l'annonce le titre, l'étude
Ibid., p. 189.
Ibid., p. 250.
3 Ibid., p. 244.
4 Ibid., p. 25.
5 Cf. Partie I.C.2.
1
2
71
de l'énonciation nous démontre plutôt qu'il s'agit d'un roman centré sur l'enfance
de Bellovèse et se déroulant dans des bois magiques. Nous pouvons donc
concevoir encore mieux, en quoi Même pas Mort est une introduction à une série
de récit plus larges, simplement en observant le rôle des bois dans le récit.
Précisons, enfin, que Bellovèse partage l'expérience de ses aventures dans le bois
avec son frère et le druide. Le fait qu'ils côtoient la magie des bois, en compagnie
d'un ancien druide, n'est pas anodin : il s'agit là d'insister sur la destinée royale
du narrateur et de son frère. Le frère de Bellovèse est d'ailleurs amené à faire de
grandes conquêtes1. Comme l'explique Walter : « C’est un thème traditionnel de
la littérature celtique : la collaboration nécessaire du druide et du roi, condition
sine qua non de la souveraineté dans le monde celtique, (...) un appui réciproque
du droit et de la force »2.
Le cas du Nemeton est cependant quelque peu différent de ce que nous
venons d'étudier. Le Nemeton est ce sanctuaire dédié aux dieux de l'en-dessous,
comme nous l'avons précisé dans la première partie3. Il est donc visible et vu, au
cours du récit, par plusieurs personnages qui ne sont pas des créatures magiques.
Il est cependant craint, et vénéré : « Merde ! a grondé Comargos. Ce n’est pas
une route, c’est un nemeton ! Il a copieusement insulté Matunos, puis il a
demandé à Suagre de lui apporter sa plus belle lance. S’étant avancé vers le bord
de la chaussée, il a brandi l’arme à deux mains, non en signe de défi, mais en
geste d’offrande »4. C'est cet endroit qui va rendre Oico malade, le conduisant à se
faire sacrifier :
Rappelons que « la légende rapportée par Tite-Live veut qu’Ambigat ai envoyé ses deux neveux,
Bellovèse et Sigovèse, avec toute la jeunesse du pays conquérir de nouvelles terres. (...) Cette
légende s’appuie sur une réalité historique (...) car Tite-Live rapporte qu’à cette époque les
Bituriges règnent sur la partie centrale de la Gaule et que celle-ci connaît une crise de
surpeuplement. Pour la résoudre, Ambigat envoie ses deux neveux, Bellovèse et Sigovèse, fils de
sa sœur, avec le maximum de population chercher d’autres terres. Ces derniers partent chacun
dans les directions qui les augurent : le Sud et l’Italie pour Bellovèse, l’Europe centrale pour
Sigovèse. Le premier emmène avec lui des Bituriges, des Arvernes, des Sénons, des Eduens, des
Ambarres, des Carnutes et des Aulerques. Arrivant dans le Sud de la Gaule, ils aident les
Phocéens à s’installer puis ils franchissent les Alpes et fondent Milan », in Jean-Louis BRUNAUX,
op. cit., pp.76, 276.
2
Philipe WALTER, op. cit., pp. 48, 49.
3 Cf. partie I.2.C.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 78.
1
72
Non, cette fois, c’est cuit. Je n’y pourrai rien. C’est depuis le nemeton, quand je l’ai aperçu,
l’autre. J’ai vu ce que j’aurais pas dû. J’ai attrapé la mort ; la fièvre me brûle. La nuit
dernière, j’ai pas arrêté de claquer des dents. Et il m’a parlé, lui. »
Il a agité mollement une main autour de son oreille.
« Il m’appelait. Il m’a dit que je ne suis pas vraiment sorti du marais, que je suis malade
parce que je ne suis plus complet. Mon âme est restée là-bas, c’est pour ça que je peux
l’entendre. Dès que je ferme les yeux, je vois des eaux croupies. C’est ça qui me glace les os.1
Ce « lui » est le « bon maître », c'est-à-dire le Forestier qui suit Bellovèse.
Ayant affaibli Oico, et une fois mort, il le chargera de délivrer un message au
narrateur dans le passé, et à l'orée des bois du Senoceton. Nous constatons
premièrement, que ce lieu est visible et traversé par la plupart des personnages.
Cependant, il est lié au narrateur par les événements qu'il provoque. Nous
observons donc que tous les lieux que nous avons étudiés sont, tous
successivement liés au narrateur, et enfin liés entre eux : le Nemeton avec Oico
mène aux bois avec l'épisode du chaudron du Garrissal, les bois mènent au Sid et
au motif de l'eau avec la déesse Eppia, et ceux-là mènent enfin à l'île de vieilles et
les sorcières Gallicènes. Par ailleurs, et comme nous venons de le montrer, ces
endroits clefs sont associés avec des personnages faisant office d'éléments
déclencheurs : Oico, le Maître du Garrissal, Eppia, puis les Gallicènes.
Ces relations dans le récit sont, et nous le rappelons, tous centrés autour du
narrateur, bien que la logique temporelle soit abolie. Il n'y a donc pas de hasard
dans le positionnement de ces lieux dans le récit. Au contraire, Même pas mort
est construit dans une continuité logique de l'espace. Nous pouvons néanmoins,
affirmer que ces liens ne sont pas évidents. Ils sont sous-jacents, et oblitérés par
les questions d'ordre temporel. Ces faits énonciatifs traduisent, une fois de plus,
une réelle volonté d'enrichir un récit brisant déjà la linéarité du temps, au risque
de tomber dans l'hermétisme. Il s'agit, peut-être, d'un pari fait par l'auteur, d'une
volonté de s'adresser à un public plus apte à saisir les enjeux dégagés par de tels
choix. En d'autres termes, Jaworski écrit, à nouveau, pour un public adulte, et
non plus un jeune public. Un autre système énonciatif est présent dans le texte.
Il s'agit de l'organisation énonciative tripartite des personnages.
2) Le chiffre trois : une organisation tripartite des personnages dans la narration
1
Ibid., p. 87.
73
Nous avions étudié précédemment l'importance du chiffre trois d'un point
de vue mythologique, anthropologique et esthétique1. Il s'agit dans cette partie de
saisir les enjeux énonciatifs soulevés par un tel choix. L’auteur explique avoir
voulu organisation son récit et son énonciation autour de trois personnages :
Bellovèse et deux autres personnages gravitant à tour de rôle autour de lui. Mais
pas seulement : les personnages qu'il rencontre sont aussi souvent au nombre de
trois. Ce choix narratif est justifié, selon Jaworski, par la volonté de coller au «
chiffre magique celtique trois »2. En premier lieu, nous pouvons constater que le
roman est divisé en trois chapitres. Puis, le premier chapitre s'ouvre avec trois
personnages principaux : Sumarios, Albios et Bellovèse. Ils sont reçus par trois
personnages analogues : Godumaros, Cintusamos, et Eluisso. Les Gallicènes
forment aussi une triade : Saxena, Cassimara, et Cassibodua. L'effet anaphorique
des propositions ouvrant les chapitres 2 et 3 mettent également en scène trois
personnages importants : « Nous les attendions sur le pas de notre porte.
Ségovèse était debout à gauche de ma mère, et moi, je me tenais à droite »3, et au
chapitre suivant : « Nous les attendions sur le pas de notre porte. Ségovèse était
debout à gauche de ma mère, et moi, je me tenais à droite »4. Ils font face aux
« Trois cavaliers [qui] sont entrés dans la cour »5, et par convenance, on demande
à « trois reprises »6, aux guerriers s’ils sont rassasiés. Sumarios a lui même deux
fils, formant ainsi une triade, et prend en pagerie, par la suite, Bellovèse et
Ségovèse. Le dernier chapitre, se déroulant en grande partie dans les bois de
Senoceton, met en avant Bellovèse, Ségovèse, et Suobnos. Ils rencontrent les
Trois Mères : « J’ai levé le nez et je les ai vues. Trois formes sombres étaient
perchées dans la couronne du hêtre qui nous dominait »7. Le narrateur et son
frère finissent dans le chaudron du Maître du Garrissal, cuisinés par le dieu :
« Des nuits durant, nous avons cuit dans le chaudron du Garrissal »8. Bellovèse
Cf. partie I pour l'analyse précise de ces notions.
https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 53.
4 Ibid., p. 137.
5 Ibid., p. 139.
6 Ibid., p. 20.
7 Ibid., p. 215.
8 Ibid., p. 243.
1
2
74
surprend même sa mère dans les bras de Sumarios, dans une scène dérangeante :
« Ma mère s’est interposée, toutes griffes dehors. “Laisse-le ! Laisse-le ! a-t-elle
crié »1. La situation finale est également mise en scène avec trois personnages : «
Passons aux choses sérieuses. On doit délibérer. Un roi, un barde et un héros en
train de parlementer en haut d’un tertre ! Ca a de la gueule, non ? »2. Nous le
constatons donc, le système énonciatif, dans les péripéties, présente plusieurs
figures de personnages au nombre de trois.
Mais la triade, bien qu'étant un
hommage à la littérature celtique et un moyen de se placer sous l'autorité de
grands textes, reste finalement limité d'un point de vue énonciatif. Il s'agit, avant
tout, d'un outil esthétique3, qui permet à Jaworski de revendiquer une place au
sein du genre de la fantasy. En effet, les péripéties avec des triades ne sont pas
des éléments déclencheurs : la confrontation avec les Mères n'apporte rien de
plus au héros, comme c'est le cas de la situation finale avec Ambigat, puisque le
tabou de Bellovèse est déjà levé. Les triades de personnages comme Cintusamos,
Eluisso et Godumaros n'aident en rien Bellovèse qui doit poursuivre sa quête
initiatique sans aide et seul. Et après tout, le nombre de Gallicènes écoutant son
récit n'affecte pas le déroulement des péripéties. En fin de compte, c'est Bellovèse
seul qui permet la transition d'une étape à une autre : que ce soit dans le Sid, l'île
des vieilles ou via le motif de l'eau, comme nous l'avons vu dans la partie
précédente.
Nous avancions précédemment que Même pas Mort est un récit de l'enfance,
mais aussi du souvenir et de la mémoire. En ce sens, il apparaît cohérent que le
voyage du narrateur soit aussi un voyage de l'intérieur et de la solitude. Le
prologue, d'ailleurs, est un monologue. Il ne présente aucune triade de
personnages et la polyphonie énonciative y est absente : « Je serai, toujours ;
même si mon visage s’efface, même si mes actes se confondent avec les exploits
d’autres héros, même si mon nom s’érode et mue selon le dessein capricieux des
langues. Je serai, principe souverain et héroïque ; jusqu’à ce jour, peut-être, où
Ibid., pp. 160,161.
Ibid., p. 280.
3
Cf. Partie I pour l'analyse précise de l'esthétique des personnages et du chiffre trois.
1
2
75
mon masque guerrier se confondra avec la face hiératique des idoles »1. Nous
constatons donc que derrière le motif celtique de la triade se cache en réalité un
récit hautement introspectif mettant en avant une vie méritant d'être contée.
Nous reviendrons sur ce point dans la partie consacrée à la question de
l'autobiographisme.
3) Le rôle ambigu des dieux et leur place dans le récit
Nous avions précédemment étudié les dieux sous leur aspect mythologique
et esthétique2. Nous allons à présent observer leur place au sein du récit, et
comment est mise en scène leur apparition, ainsi que leur rôle. En première lieu,
il faut savoir que le panthéon celtique, comme nous l'avons vu plus haut, est mal
connu. En ce sens, la place laissée à l'imagination de l'auteur pour combler les
vides de l'archéologie est plus grande. Jaworski n'invente, toutefois, aucun nom
de divinité. On dénombre très exactement 47 patronymes et surnoms donnés à
diverses créatures magiques3, et parmi eux, huit divinités attestées du panthéon
celtique, qui vont nous intéresser dans cette partie : Le Forestier (également
appelé « bon maître », et qui est en réalité Esus), Epona (surnommée parfois
Eppia), le Maître du Garrissal (surnommé parfois « Le Seigneur des Bêtes », et «
Le Seigneur des Forts », en réalité Ogmios, analogue au Dagda comme nous
l'avons vu dans la partie consacrée à l'esthétique des dieux), puis Lug, Nerios,
Rosemerta et Grannos.
Ensuite, ces dieux peuvent êtres répartis en deux
catégories distinctes. La première est celle des dieux ayant une fonction
référentielle. En effet, Lug, Nerios et Rosemerta et Grannos, sont simplement
évoqués par les personnages. Dans cette catégorie de dieux, Lug est le plus
appelé par les personnages4, mais simplement parce qu'il a donné son nom à une
grande fête du calendrier celtique (nous l'avons étudié dans une partie
précédente5). En voici un exemple extrait du texte : « Il montait alors au Gué
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 12.
Cf. partie I.C.1.
3 Cf. Index Nominum.
4 Exactement en 11 occurrences (cf. Index Nominum)
5 Cf. partie I.B.1.
1
2
76
d’Avara, en particulier pour l’Assemblée de Lug »1. Son rôle est donc tout à fait
limité puisqu'il n'est même pas invoqué pour une bénédiction ou pour une
malédiction. Il est assez paradoxal d'avoir relégué Lug à ce plan car il s'agit du
plus puissant des dieux celtiques2. Les mêmes fonctions limitées sont attribuées à
Rosmerta et Grannos. Rosemerta, est invoquée une seule fois et par un seul
personnage3, la mère de Bellovèse, comme nous l'observons dans cet extrait : « Tu
es revenu, mon chéri ! Tu es revenu ! chuchotait-elle à mon oreille (...) Une
génisse à Rosmerta ! »4. Il en va exactement de même pour Grannos, invoqué
deux fois : « Un bœuf à Grannos ! Remercie les dieux bons »5 et « Ma mère jetait
de l’orge dans notre foyer, et même quelques poignées de notre précieux sel, en
conjurant Grannos d’étendre sa bienveillance à mon frère »6. Reste Nerios,
divinité des sources thermales de l'actuelle Néris-les-Bains (que nous avons
également étudié précédemment). Nerios apparaît trois fois7, essentiellement
appelé par Sumarios, puisqu'il est le seigneur de Neriomagos. C'est ce dieu
qu'invoque le tuteur du narrateur pour sauver de la mort Bellovèse : « Nerios,
vieux père des eaux, prête-moi une oreille favorable. Je sais bien que je te parle
loin de tes sources, mais j’ai toujours veillé sur ton sanctuaire, je l’ai glorifié par
des trophées, je lui ai offert de nombreux sacrifices. J’ai besoin de ton assistance
pour sauver ce garçon, qui est comme mon fils. Prête-moi ta main guérisseuse »8,
et ce, à priori, avec succès, bien qu'aucune précision ne soit apportée à ce sujet.
Pour cause, Bellovèse doit se rendre sur l'île des vieilles pour éclaircir la question
de sa « non-mort ». Remarquons donc que ces dieux à la fonction référentielle
n'interviennent pas dans la diégèse. Ils s'effacent complètement au profit d'autres
divinités, plus complexes, plus présentes et plus obscures.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 152.
« La société divine est articulée autour du roi représentant la société entière, Lug Samildanach
ou Nuada, le roi des dieux », in Christian-J. GUYONVARC'H et Françoise LE ROUX, Les Druides,
Paris, Ouest France, 1986, p. 421.
3 Exactement en 6 occurrences (cf. Index Nominum)
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 245
5 Ibid., p.245.
6 Ibid., p. 247.
7 Cf. Index Nominum.
8 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 135.
1
2
77
Le Forestier, le maître du Garrissal et Eppia sont difficilement classables
dans l'absolu comme opposants ou adjuvants, brouillant ainsi les pistes du
schéma actanciel traditionnel. Nous allons toutefois tenter d'éclaircir leurs rôles
et les enjeux inhérents à leur présence dans le récit. Eppia, ou Epona Rigantona,
apparaît très souvent1. Elle est belle, maternelle, sensuelle, et renvoie
directement les codes de beauté médiévale2. Son rôle est néanmoins ambigu, et
complexe. En ce sens, elle amène le narrateur jusqu'à l'Au-delà, et bien que ces
paroles soient de bon augure, (« Tu as été longtemps égaré, mais je t’ai ramené
sur la voie, a dit Eppia en contemplant la même vision. Tu vas franchir un seuil.
Désormais, quoi qu’il se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir matière à chant
»3), elle se comporte de manière tout à fait arrogante : « – Je veux dire que tu es
un joli poulain. Pas très malin, à débourrer, mais très joli malgré tout.– Qu’est-ce
que j’ai de joli ? Je suis pas un peu petit pour toi ? – Oh, cela, ce n’est pas bien
grave. L’enfance, la vieillesse… Vous êtes si éphémères, vous autres, que je n’ai
pas à attendre bien longtemps pour vous cueillir à la fleur de l’âge »4. Enfin, son
aide n'est pas désintéressée, puisqu'elle fait payer la survie du frère du narrateur
: « – Mais pour qu’il vive, il faut que toi aussi, tu restes en vie. Et le prix de ta
survie sera autrement élevé.– Alors dis-le moi ! C’est quoi, pour toi, l’essentiel ?
Des chevaux, bien sûr.– Tu veux que je te donne des chevaux ?– Naturellement.
»5. Ainsi, bien que cette divinité soit rassurante, belle et maternelle, elle n'agit
pas par pure bonté. Enfin, rappelons qu'à la différence de Lug, Epona n'est pas
une divinité aussi importante du panthéon celtique. Il est intéressant de
constater que l'auteur lui consacre plus d'importance que le roi des dieux
celtiques. S'agit-il d'une démonstration d'érudition ? D'une volonté de changer de
public lecteur ? Pas exactement, puisque qu' Epona occupe la même fonction que
les dames fées de la littérature médiévale et de la fantasy, comme nous l'avons vu
dans la partie I de notre étude. En l'occurrence la variation littéraire se situe
donc simplement dans le changement de nom, et pas dans la fonction qu'occupe le
1
2
3
Cf. Index Nominum.
Cf. partie I.C.1.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 266.
Ibid., p. 260.
5 Ibid., pp. 260, 261.
4
78
personnage. Jaworski reste ainsi assez classique dans le traitement énonciatif de
ce personnage qui ne présente donc pas de rupture majeure avec les codes du
genre. Le rôle de cette déesse est donc avant tout une façon d'ancrer et d'affirmer
la place du récit dans un genre.
Ogmios, analogue au Dagda, et essentiellement appelé dans le récit « Maître
du Garrissal », « Seigneur des Forts », ou « Seigneur des Bêtes »1, est, pour sa
part, beaucoup plus manipulateur et sombre qu' Epona, comme le prouvent les
exemples suivants. Ainsi, il écrase le narrateur de sa masse : « Le tronc s’est
élevé très haut, juste à la verticale de ma tête. Je l’ai regardé, plein de la
fascination qu’exercent les désastres. Je n’ai pas bougé »2. Par ailleurs, il fait
cuire les enfants dans son chaudron : « Des nuits durant, nous avons cuit dans le
chaudron du Garrissal. Un feu ardent chauffait le culot de bronze, soulevait le
bouillon en ondes brûlantes. Je me débattais dans ce bain tumultueux, la chair
mijotée et la moelle en ébullition »3. Cette violence est corrélée avec un fort
penchant pour la manipulation, contre laquelle, le druide déchu, Suobnos, tente
en vain de mettre en garde le narrateur : « Souviens-toi, Bellovèse. Je vous ai dit
qu’il était paresseux, et que ses belles paroles étaient encore plus redoutables que
sa force. Laisse-moi faire à ma façon ; ne rentre pas dans son jeu… »4.
Cependant, bien qu'il fasse cuire les deux fils de Dannissa dans son chaudron, il
finit par les relâcher. Par ailleurs, c'est bien lui qui les protège contre Taruos : «
Taruos a secoué son crâne, il a gratté le sol, mais son meuglement a perdu en
puissance. Le maître du Garrissal l’a daubé. « C’est ça ! C’est ça ! Je vois bien
que tu refroidis. Tu ne sais que trop qui est le chef ! » Et c’était la vérité. En
poussant un soupir de dédain, le taureau aux trois cornes s’est détourné »5. On
pourrait supposer que le comportement de cette divinité s'accorde avec ce que l'on
connaît, mythologiquement et esthétiquement d'elle, comme nous l'avons vu dans
la partie I. Il s'agirait alors pour l'auteur de rapprocher son récit de la mythologie
Dix occurrences pour « Le Maître du Garrissal », dix pour « Seigneur des Forts », et quatre pour
« Seigneur des Bêtes », cf. Index Nominum, pour le relevé exact des pages.
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 243.
3 Ibid., p. 243.
4 Ibid., p. 240
5 Ibid., p. 233.
1
79
celtique. Nous pourrions également avancer que l'attitude imprévisible du dieu
provoque une tension dans le récit, créant un effet de surprise et de suspense
dans le texte. Rajoutons que nous sommes très vite amenés à craindre
l'apparition et les décisions émanant du divin puisqu'elles sont instables et
incertaines. Ce flou qui met en danger le narrateur sans cesse assombrit le récit
et l'éloigne d'une histoire binaire et prédictible. Plus complexe encore, et plus
sombre est la figure du Forestier.
La description du Forestier le relie aux puissances des ténèbres, et ses
attributs, une hache et une capuche, sont le moyen de le distinguer : « Sous le
capuchon effrangé, j’ai entrevu une barbe sombre, détrempée, agglomérée de
caillots. Le sayon et la tunique, usés et reprisés d’épines, étaient éclaboussés de
macules noirâtres. L’outil sur les genoux de l’ombre n’était pas un bâton : le feu a
allumé un éclat mat sur le tranchant d’une hache de bronze »1. Il est craint : «
Pour conjurer le mauvais sort, on le surnommait le « Bon Maître ». De tous ceux
qui habitaient dans la forêt, c’était celui que nous redoutions le plus »2 ; et il vole
l'âme d'Oico pour délivrer un message à Bellovèse (plus tard dans le récit, mais
durant l'enfance du héros, à l'occasion d'une transition ) : « C’est depuis le
nemeton, quand je l’ai aperçu, l’autre. J’ai vu ce que j’aurais pas dû. J’ai attrapé
la mort ; la fièvre me brûle (...) Il m’appelait. Il m’a dit que je ne suis pas
vraiment sorti du marais, que je suis malade parce que je ne suis plus complet.
Mon âme est restée là-bas, c’est pour ça que je peux l’entendre »3. Il est
reconnaissable à sa capuche, et est apparenté au Nemeton, qui est un lieu rempli
d'eau croupie : « Une odeur de vasière remontait des eaux sombres, portée par
l’haleine nébuleuse du palud. (...) Oico jurait que nous n’étions pas seuls, qu’il y
avait un gaillard qui avait filé devant nous ; mais nous avons eu beau trotter,
nous n’avons rattrapé nul capuchon »4. C'est, en définitive, un «
dieu d’en-
dessous »5, comme le déclare Comargos. Cependant, ce n'est pas exactement un
opposant, puisqu'il rend service à Bellovèse, en envoyant Oico communiquer avec
Ibid., p. 111.
Ibid., p. 70.
3 Ibid., p. 78.
4 Ibid., p. 78.
5 Ibid., p. 79.
1
2
80
lui dans son enfance. De plus, le Forestier rapporte la même comptine chantée
par Eppia durant la jeunesse de Bellovèse, comptine en rapport avec les hautsfaits auxquels le narrateur est destiné. En effet, voici ce que chante Eppia :
J’étais transporté vers une région merveilleuse de l’île des Jeunes. Une voix aimante a
fredonné : « Trois corbeaux déplumés dansent dans les halliers / Trois chevaux dételés
détalent dans le pré / Trois puissants sangliers sautent sur le sentier. »« 1, et voici ce que
clame Le Forestier : « Trois corbeaux déplumés dansent dans les halliers / Trois chevaux
dételés détalent dans le pré / Trois puissants sangliers sautent sur le sentier. » Ces vers
enfantins m’ont frappé avec une force suffocante. Le souffle court, les yeux soudain
brouillés de larmes, j’ai reculé de deux pas. « Tu vois, petit roi, tu te souviens, a grondé le
timbre de pierre. Je suis la mémoire au fond des forêts. 2
Le Forestier n'est jamais appelé par son nom de dieu (en réalité Esus, dieux
gaulois des forêts). Ce choix de privilégier des périphrases patronymiques comme
« Le Bon Maître », ou « Le Forestier », participe de l'opacité du personnage qui ne
se montre que dans l'ombre : « L’homme me faisait face, mais nous étions loin des
feux ; de lui, je ne distinguais qu’une forme sombre. Il avait les épaules larges,
une tunique et un sayon dont la trame semblait très grossière, un capuchon
rabattu sur une béance plus noire qu’un puits »3.Ce « il » renvoie à quelque chose
d'innommable (nous pouvons faire le parallèle avec le seigneur des ténèbres
Voldemort, dans Harry Potter, toujours appelé « vous-savez-qui »). Il y a un
danger à nommer cette divinité car ce serait une façon de l'appeler, et à l'inverse,
éviter de prononcer son nom, permet de se protéger. A contrario, nous pourrions
supputer que ce choix de privilégier la périphrase soit un moyen de définir plus
précisément le personnage. En effet, les mots le caractérisant permettent de
désigner sa nature (en l'occurrence sylvestre, ou du moins, relié à la forêt), et
témoigne de sa puissance : Esus est si dangereux qu'on ne peut que l'appeler par
un périphrase positive, « Bon Maître », afin de s'en protéger. Cette question
illustre parfaitement le paradoxe de l'innommable. Ainsi, ce qui ne peut être
nommé se doit l'être pour exister, définissant, de la sorte, la nature intangible de
l'objet en question. Par ailleurs, et nous l'avons dit plus haut, Esus est le seul
dieu à ne jamais être nommé, mais c'est l'un des plus présents dans le roman. Par
Ibid., p. 264.
Ibid., p. 111.
3 Ibid., p. 110.
1
2
81
l'utilisation de toutes ces périphrases, et grâce aux effets périphrastiques,
l'auteur place le personnage au centre de l'intrigue, soulignant sa fonction
essentielle dans le récit. Dans tous les cas, le Forestier apparaît comme une
puissance maléfique que l'on ne peut invoquer pour des bénédictions,
contrairement à Grannos ou Rosmerta. Toutefois, Bellovèse finit par dire son
nom, puisqu'il relate sa rencontre avec le dieu au fantôme d'Oico 1. Il est
également intéressant de voir que seuls trois autres personnages font mention du
dieu dans les dialogues : le druide fou, Suobnos2, le fantôme d'Oico, lui expliquant
que le dieu l'a chargé de lui transmettre un message3, et le Forestier lui-même4.
Il y a donc une différenciation entre Bellovèse, Suobnos, Oico et le reste des
personnages. Suobnos est un intercesseur entre le divin et le monde des hommes,
et il n'est donc pas surprenant qu'il évoque le Forestier. Quant à Oico, il s'agit
d'un fantôme revenu du monde des morts, et chargé d'un message pour Bellovèse
de la part du Forestier. Celui-ci vient, enfin, frapper directement à la porte de la
maison de Bellovèse en se présentant à l'huis. Systématiquement, donc, le héros
et le dieu sont liés, que ce soit par un message transmis via un fantôme, ou par le
biais de la figure du druide déchu. La différenciation entre le reste des
personnages et Bellovèse par la figure de ce dieu obscure souligne donc
l'exceptionnelle destinée du héros puisqu'il n'est plus confondu avec le reste des
personnages.
Quels enjeux sont donc soulevés par ces choix énonciatifs ? D'abord,
rappelons que Jaworski ne met pas en avant les dieux les plus connus, ou les plus
importants du panthéon celtique. En ce sens, il privilégie une fantasy plus
érudite. Par ailleurs, ces dieux aux desseins complexes et opaques, brouillent le
traditionnel schéma actanciel, compliquant, de facto, davantage l'intrigue. Par
ailleurs, ces dieux, sont rendus plus complexes parce qu'ils peuvent, justement,
« Mon œil ! On les a entendus, les deux autres.– Quels deux autres ?– La reine de la forêt et le
Forestier. La reine de la forêt et le Forestier. », ibid., p. 253
2 « Il disait que ce chemin était entretenu par le Forestier, et qu’il ne valait mieux pas s’y frotter »,
ibid., p. 182
3 « C’est un peu particulier. Il n’y a qu’un message ; ou s’il y en a un deuxième, son sens
m’échappe. Le Forestier m’a demandé de te trouver. », Ibid., p. 255
4 « Ouvrez ! a grondé une voix caverneuse. Je suis le Forestier. J’apporte un fagot pour le petit. »,
ibid., p. 249
1
82
être violents, manipulateurs, ou reliés à des puissances néfastes. Ils sont donc
plus sombres, faisant de Même pas Mort, un récit plus noir, plus propice à une
lecture d'adulte qu'à celle de jeunes adolescents. A ce propos, nous remarquons
qu'il n'y a pas d'opposition formelle entre bien et mal concernant la place des
dieux dans le récit. Certes, il s'agit là d'une marque de la civilisation celtique celle-ci ignorant le concept judéo-chrétien de péché. Mais nous devons noter
l'absence
de
partage
dichotomique
entre
deux
forces
antagonistes.
La
représentation du combat entre les puissances en jeu est plus nuancée et plus
difficile à circonscrire, comme c'est le cas dans Gagner la Guerre, où Benvenuto
est l'exécutant des basses œuvres pour des puissances qui le dépasse très
largement. Le héros suit donc un chemin incertain, où ses croyances sont sans
cesse ébranlées par des acteurs souvent invisibles, ou que l'on ne peut pas
nommer, comme le Forestier. Ceci implique donc un monde hors du récit que le
lecteur peut seulement entrevoir.
Le choix de la première personne renforce
également cet effet, car l'omniscience est abandonnée au profit de la subjectivité
la plus absolue.
C) Au-delà de la mort
Cette partie a pour but d'étudier, en premier lieu, la question de la mort
dans l'énonciation. Le titre annonce sans ambigüité l'importance du thème dans
le roman, mais nous verrons qu'en réalité, la mort de personnages principaux
n'intervient pas dans le récit, et qu'il s'agit donc d'une certaine variation par
rapport à la fantasy. En ce sens, nous étudierons comment l'auteur utilise
l'esthétique de la mort plus qu'il ne fait mourir ses personnages. D'ailleurs le
titre le rappelle bien : le roman est avant tout une lutte contre le trépas. Par
ailleurs, nous remarquerons en quoi la « non-mort » du héros est l'élément clef du
récit, le véritable élément déclencheur d'une quête initiatique qui se fait dans la
solitude. Enfin, nous verrons que Bellovèse, bien qu'étant un personnage créé par
un auteur se revendiquant de Tolkien, et donc de la littérature arthurienne,
s'écarte du code d'honneur du chevalier dans son rapport avec la mort.
83
De plus, il conviendra d'étudier la place de l'interlocuteur ionien, et de
réfléchir à l'utilisation des pronoms « je » et « tu ». Nous verrons donc qui sont les
véritables dépositaires du récit et quels moyens permettent à l'auteur de justifier
l'existence de son récit. Par ailleurs, cette sous-partie sera également consacrée à
l'étude de la notion d'autobiographisme et de la question du récit à valeur
d'exemplum, moyens qui font du roman un acte de mémoire fictive, une volonté
de dépasser sa propre finitude et une variation littéraire par rapport à Tolkien.
Pour terminer, nous replacerons Même pas Mort dans une perspective plus
large : la bibliographie de l'auteur. Nous verrons donc si le roman est en rupture
par rapport aux autres romans et nouvelles de l'auteur.
1) Un titre paradoxal
En première instance, il convient de noter que Même pas Mort est un roman
a priori articulé autour de la mort. Le titre annonce en effet au lecteur que celleci tient une place de choix dans le roman. Mais il convient de nuancer cette
affirmation, sinon Même pas Mort, ne présenterait pas de rupture spécifique face
genre dont il se réclame. Bellovèse ne saurait être, en aucun cas, un avatar des
chevaliers arthuriens, et présents dans la fantasy1, notamment dans le rapport
qu'il entretient avec la mort, et en particulier au combat. Certes, d'un point de
vue historique, et comme nous l'avons étudié précédemment, les gaulois n'ont pas
de conception du bien et du mal, et ont pour coutume de ramener les têtes de
leurs ennemis. La mort, et nous le rappelons, n'est donc qu'un passage. Ignorer
celle-ci, c'est ainsi gagner une place de choix auprès des dieux. Mais au-delà de
cet aspect historique, nous devons garder à l'esprit que Jaworski se réclame de
Tolkien2, et donc des codes de vertus chevaleresques que l'on trouve dans la
littérature inspirée par les romans arthuriens. Or, ce n'est pas le cas dans Même
pas Mort. En effet, Bellovèse doit rapporter un maximum de tête chez lui : «
Comme c'est le cas des grands récits fondateurs du genre : Le Seigneur des Anneaux, de
TOLKIEN, les Dames du Lac, de Marion BRADLEY ZIMMER, ou encore Le cycle de l'épée de vérité, de
Terry GOODKIND.
2 Voir l'interview de JAWORSKI : https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulté le 4
Avril 2015).
1
84
Restez vivants et apportez moi des têtes »1. Ainsi, il ne saurait être clément avec
son adversaire, à la différence, par exemple, de Perceval : « Quand Perceval
entendit qu’il criait grâce, il le laissa tout aussitôt et abandonna le combat »2.
Cette différence doit être comprise dans le cadre d'une volonté de redéfinition du
genre. Tout en se réclamant des règles établies par le genre, l'auteur s'éloigne des
codes traditionnels de la fantasy. Cette violence peut aussi s'expliquer par « l'effet
de réel » barthésien. En voulant coller à une réalité historique, celle de la
« culture de la mort gauloise »3, Jaworski cherche également à donner une
autorité à son texte ; un besoin qui se trouve justifié par la volonté de s'écarter
des codes habituellement associés à la fantasy.
De plus la fracture qui intervient dans Même pas Mort, le véritable élément
déclencheur, constitue la survie du narrateur : « Sumarios a pris sur lui
d’intervenir. « Il dit la vérité, a-t-il lancé. Il a été tué, mais il a refusé la mort. Je
le sais : je l’ai vu. »4. Cet élément déclencheur devient le moteur du récit, et
provoque les péripéties5. C'est un fait inhabituel et hors du commun aux yeux des
autres guerriers, soulignant, une fois de plus, le destin exceptionnel du héros.
D'ailleurs, les personnages autour de Bellovèse en appellent rapidement au sacré
: « J’ai vu alors se peindre une expression étrange sur tous ces faciès brutaux : un
mélange de crainte, de répugnance, et peut-être de révérence »6. La mort est donc
le point de départ du récit, productrice de la fabula, à défaut d'être l'élément
clôturant le récit. Il y a donc bien un développement, qui est, en l'occurrence, la
survie (ou la non-mort) de Bellovèse. Concernant les autres morts, elles sont,
assez paradoxalement, peu nombreuses. Aucun personnage principal du récit ne
perd la vie : Que ce soit Ambigat, Albios, ou Sumarios, les figures tutélaires de
Bellovèse survivent toutes aux épreuves de la guerre. Le cas d'Oico est quelque
1
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 22.
La Légende Arthurienne, op. cit., p. 355.
3
Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 45.
4
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 24.
5
Il s'agit d'un procédé traditionnel de l'écriture du merveilleux, comme le souligne Propp : «
Chaque nouveau méfait ou préjudice chaque nouveau manque, donne lieu à une nouvelle
séquence. Un conte peut comprendre plusieurs séquences » in Vladimir PROPP, op. cit., p. 113.
6 Jean-Philippe Jaworski, op. cit p. 136.
2
85
peu différent. Sa mort par un sacrifice rituel est longuement décrite 1. Mais il
revient sous la forme d'un fantôme avertir Bellovèse de la destiné qui l'attend. Il
n'y a donc pas de rupture totale entre le défunt et le personnage en vie. Le mort
du père de Bellovèse, pour sa part, n'est évoqué qu'en de rares occasions, et ce, de
manière rapide et pudique2. On pourrait y voir une forme de respect, ou
l'expression d'une douleur trop forte pour être exprimée. Précisons aussi que la
plus grande partie du récit se déroule dans une forêt, les Bois de Senoceton, loin
des combats. Les Marches Ambrones, le chapitre dédié à la guerre, est aussi,
finalement, assez court, en comparaison avec le reste du roman. Au vu de tous
ces éléments, il convient donc de repenser la place la mort dans le récit : l'auteur
utilise, en réalité, principalement l'esthétique de la mort, c'est-à-dire tous les
éléments qui lui sont traditionnellement associés plus qu'il ne fait mourir ses
personnages. Analysons les exemples suivants. Bellovèse jeune aperçoit des têtes
décapitées sur une monture : « Des têtes coupées étaient accrochées au poitrail de
leurs montures, avec les phalères de bronze ajouré. »3, tout comme il baigne, plus
tard dans le récit, dans un chaudron de cadavres : « Le ragoût où je marinais
avait l’épaisseur du sang ; entre mes genoux, la tête tranchée d’une jument
roulait des yeux éperdus »4. Sumarios est présenté couvert du sang de ses
ennemis : « Le sang projeté sur ses peintures bleues et ses tatouages prêtait un
masque terrible au seigneur de Neriomagos »5. Grâce à ces exemples, nous
pouvons constater que la mort est symbolisée à l'aide du sang, des cadavres, ou
des têtes arrachées. Néanmoins, et comme nous l'avons vu, elle n'affecte pas
directement les personnages principaux du récit, hormis, bien entendu,
Bellovèse. Comment comprendre ce choix ? Il pourrait s'agir d'un renversement
des codes traditionnels de la fantasy. La fantasy abonde, en effet, de morts
« Il tenait à honorer un homme brave. Oico a accepté avec reconnaissance le vin qu’on lui offrait,
sans doute pour étancher sa fièvre dévorante (...) Puis le champion a posé son épée sur le cou de
sa victime, et il s’en est servi comme d’un couteau pour l’égorger. De violents spasmes ont secoué
Oico tandis que la vie le fuyait, en saccades aussi sombres que du vin. Le sol a bu son sang comme
il avait pris celui du bœuf », ibid., p. 98
2 « Ton père a voulu l’arrêter entre le Caros et le Liger, avant qu’il n’atteigne Ambatia. Tout s’est
terminé au bord du fleuve. », « Ton père s’est battu comme un ours : sur les bords du Liger, il n’a
pas reculé », ibid., pp. 209, 292.
3 Ibid., p. 140.
4 Ibid., p. 244.
5 Ibid., p. 134.
1
86
s'abattant sur des personnages principaux : on pensera à la mort de Boromir,
Glorifindel, ou encore Theodred dans le Seigneur des Anneaux, ou, de manière
plus contemporaine, aux morts en série dans le cycle du Trône de Fer (Robb
Stark, Ned Stark, Oberyn Martel...). Dans Même pas Mort, la survie de tous les
personnages, et particulier Bellovèse, constitue donc une inversion majeure. Il
s'agit également d'un changement dans l'écriture de Jaworski puisque son
premier roman met en scène un assassin commettant un grand nombre de
meurtres. Même pas Mort apparait donc plutôt comme un roman célébrant la vie,
la jeunesse et l'importance du souvenir (souvenons nous que le roman se déroule
en grande partie durant l'enfance du héros, et que le récit est rapporté par un
Ionien). En ce sens, le récit semble être un défi à ces paroles de Simone de
Beauvoir reprises par Tolkien durant une interview pour la BBC: « Il n'y a pas de
mort naturelle: rien de ce qui arrive à l'homme n'est jamais naturel puisque sa
présence met le monde en question. Tous les hommes sont mortels: mais pour
chaque homme sa mort est un accident et, même s'il la connait et y consent, une
violence indue »1.
La survie de Bellovèse est, par ailleurs, l'opportunité pour celui-ci
d'entreprendre un grand voyage, afin de comprendre les raisons de sa non-mort.
Le voyage est toujours dans la lignée des romans médiévaux, puisque comme le
précise Danielle Régnier-Bohler et concernant ceux-ci, « il faut aller, pour
retrouver ses sources »2. Il s'agit d'un voyage ultime jusqu'au Gallicènes, et qui
doit se faire dans la solitude: « car c’est à Bellovèse seul d’affronter l’arrêt du
grand druide »3, comme le confirme Gracq : « La règle de la quête est la
solitude »4. La quête de la compréhension de la survie de Bellovèse symbolise, en
ce sens, le refus de l'acception de la mort : le voyage qu'entreprend le narrateur
illustre le cheminement intérieur face à l'impossible. Il ne s'agit pas cette fois-ci
d'un cheminement intérieur pour accepter la mort, mais bien de partir pour
comprendre quelles sont les raisons de la survie. Si les voyages dans la
Simone DE BEAUVOIR, Une Mort très douce, Paris, Gallimard, 1972, p. 152.
Croisade et Pèlerinage, récit chroniques et voyages en terre sainte, XIIe-XVIe, sous la direction
1
2
de Danielle REGNIER-BOHLER, Robert Laffont, 1997, p. 17.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 35.
4
Julien GRACQ, Le Roi Pêcheur, Paris, Corti, 1989, p. 69.
3
87
littérature arthurienne ne peuvent empêcher le royaume stérile d'Arthur de
pourrir, la quête de Bellovèse l'amènera, comme l'explique le prologue, vers la
gloire et la nécessité de transmettre le récit d'une vie qui a pris une valeur
d'exemplum. Ainsi se pose donc la question de l'autobiographisme dans Même
pas Mort, et des enjeux soulevés par le récit à la première personne.
2) La question du récit à la première personne, de l'interlocuteur ionien et de
l'autobiographisme
En premier lieu, nous pouvons remarquer que la focalisation interne est
intimement liée à la présence de l'interlocuteur. L'incipit, exactement la première
phrase du roman, est représentative de ce choix énonciatif : « Tu raconteras ma
vie »1. Nous observons que l'auteur a choisi, immédiatement, de placer au centre
du récit la première personne ainsi que l'interlocuteur ionien, bien que celui-ci ne
prenne jamais la parole. Cet incipit annonce également, grâce au verbe « raconter
» et avec les pronoms « tu » et « ma », que le récit sera aussi celui de la mémoire et
du souvenir puisque, nous le rappelons, ce prologue se passe a posteriori des
péripéties de Même pas Mort. Ainsi, l'auteur abandonne la pluralité des vues et
l'omniscience au profit d'un « je » unique (un seul narrateur, qui raconte
plusieurs histoires) homodiégétique,2 et autodiégétique3, à la différence de ce que
l'on retrouve chez Tolkien. Ainsi, dans Même pas Mort, le « je » narrateur est le «
sujet de la proposition narrative »4. Un choix énonciatif en opposition avec
l'affirmation valable pour Tolkien : « l’écrivain qui représente le cours total d’une
existence humaine ou d’une configuration d’événements s’étendant sur un laps de
temps considérable élimine arbitrairement certains fais et en isole d’autres ; car à
tout instant la vie a depuis longtemps commencé, et elle se poursuit à tout
moment : il advient aux personnages de son récit bien plus de choses qu’il ne peut
1
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 7.
« Le narrateur est homodiégétique lorsqu'il est présent comme personnage dans l'histoire qu'il
raconte » in La voix narrative, Jean KAEMPFER et Filippo ZANGHI, source :
www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/vnarrative/vn041000.html (consulté le 7
avril 2016)
3 « S'il (le narrateur) n'est pas un simple témoin des événements, mais le héros de son récit, il
peut aussi être appelé narrateur autodiégétique », ibid.
4
Oswald Ducrot, Tzvetan TODOROV, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage , Point,
Paris, Seuil, 1972, p. 288.
2
88
jamais espérer raconter »1 . Ce choix énonciatif a, de nouveau, peut-être, pour but
de justifier le récit et de renforcer la vraisemblance. En effet, bien que le
personnage ait la particularité d’être un individu fictif et de papier, ce choix de la
première personne renforce le ton de confession annoncé dès l'incipit, dévoile une
plus grande connivence afin de justifier le récit, et conforte le lien avec le lecteur,
celui-ci croyant alors que le « personnage est une personne »2 se confiant à la
veille de sa mort :
Je n’ai plus le temps, désormais, de courir le monde pour embrasser ses séductions
ramifiées, ses chimères, pour poursuivre leur terme. Mon terme, à moi, est trop proche.
C’est maintenant le monde qui me rattrape. La nuit approche où une taie couvrira mes
yeux, où le souffle me manquera dans la mêlée, où la longue épée de fer pèsera dans mon
poing comme dans la main d’un enfant.3
Cette confession est rendue possible par la présence d'un marchand ionien,
c'est-à-dire grec. A maintes reprises, Bellovèse interpelle cet interlocuteur. Les
appels à ce personnage ionien et muet peuvent se classer de trois manières. La
première est la comparaison : « Vous autres, Ioniens4... », « Tu connais nos
boucliers, ils diffèrent des vôtres »5, « dans ta langue, marchand.. »6, « Et c’est
pour cela que nous, les Celtes, nous sommes si friands de guerre »7 . Notons ici
deux choses : d'abord, la fonction phatique8, définie par Jakobson9, qui renforce «
l'effet de réel » et permet de capter et maintenir l'attention du lecteur. Puis, nous
observons que le syntagme « vous autres », ainsi que le pronom « vôtres », traduit
1
Erich AUERBACH, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature occidentale ,
traduit de l’allemand par Cornéluis HEIM Tel, Paris Gallimard, 1968, p. 544.
2 Oswald Ducrot, Tzvetan TODOROV, op. cit., p. 288.
3
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 10.
4 Ibid., p. 66.
5 Ibid., p. 66.
6 Ibid., p. 76.
7 Ibid., p. 89.
8 « Fonction du langage dont l'objet est d'établir ou de prolonger la communication entre le
locuteur et le destinataire sans servir à communiquer un message », CNRTL (Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicale du CNRS), http://www.cnrtl.fr/definition/phatique, (consulté le
5 Juin 2016).
9 « Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la
communication, à vérifier si le circuit fonctionne (« Allo, vous m'entendez? »), à attirer l'attention
de l'interlocuteur ou à s'assurer qu'elle ne se relâche pas (« Dites, vous m'écoutez? ») ou, en style
shakespearien, « Prêtez-moi l'oreille! » −et à l'autre bout du fil, « Hm-hm! ». Cette accentuation du
contact −la fonction phatique, dans les termes de Malinowski (...) −peut donner lieu à un échange
profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l'unique objet est de prolonger la
conversation », in Roman JAKOBSON, op. cit, p.217.
89
une comparaison exclusive, avec le pronom « nous » et renforcé par la reprise « les
Celtes ». Cela est significatif puisque Bellovèse ne se définit comme Celte qu'en
présence de l'étranger qui l'écoute. Toujours en termes de comparaison, d'autres
propositions évoquent la similitude : « Car il en chez nous comme chez vous, ami
ionien : c’est dans leur sommeil que les dieux se penchent sur les mortels »1. Ces
apparitions de la voix du narrateur âgé a posteriori se font aussi par le biais de
jugements de valeur, comme en témoigne cet exemple : « Tu me considères
comme un barbare, mais à tes yeux, Tigernomagle l’aurait paru bien plus que
moi »2. Ici, les pronoms « tu », sont opposés à « moi ». Enfin, apparaissent des
propositions aux allures de confession : « C’est ce que je viens de te raconter : mon
plus vieux souvenir d’enfance »3, via le groupe nominal « plus vieux souvenir »,
souligné par le verbe à l’infinitif « raconter ». Nous le voyons donc, la place de cet
interlocuteur est absolument centrale puisqu’elle structure la narration à la
première personne. Comme le souligne Benveniste : « Je n’emploie “je“ qu’en
m’adressant à quelqu’un qui sera dans mon allocution un “tu“« 4, comme nous le
voyons avec l’insertion de ce “tu“ dans le récit : « tu connais nos boucliers ». En
l'occurrence, la création du « tu » par le « je » est capitale puisque ce « tu » est le
destinataire direct des propos du héros à l'issu du discours. Il est ainsi le
dépositaire du récit. De manière plus générale, cet interlocuteur devient
universel ; avec le terme « ami », notamment, il ne s’agit plus d’un « tu » adressé
au Ionien, mais également d'un « tu » adressé au lecteur. En effet, celui-ci devient
à son tour dépositaire du récit, puisqu'il l'écoute également. Le fait que
l'interlocuteur ionien soit muet renforce l'universalité du « tu » car le seul
discours présent dans la diégèse est celui de Bellovèse, s'adressant à un « tu »
dont la mission est, nous l'avons dit, d'être le dépositaire du récit. De fait,
l'auteur fait du lecteur un acteur du récit, un acteur passif, certes, mais
nécessaire puisque sa présence légitime et justifie l'existence du texte même.
D'ailleurs, Bellovèse ne l'annonce-t-il pas dans le prologue ? : « Moi, je
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 112.
Ibid., p. 96.
3 Ibid., p. 143.
4 Emile BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale I, Tel, Paris, Gallimard, 1966, p. 260.
1
2
90
t’apporterai la parole »1.
Les insertions d’un « tu » au cœur du récit renvoient,
par ailleurs, au système de conte délivré par une tierce personne, un récit qui
trouve la justification de son existence parce qu’il est un objet rapporté. La
fantasy reprend cette caractéristique de littérature médiévale. Il n'est donc pas
surprenant de retrouver de tels procédés chez Boron, par exemple. Ainsi, selon
Trachsler, « Merlin est aussi à l’origine
du livre même de Robert de Boron,
puisqu’on le voit assurer la dictée à son fidèle scribe, Blaise, qui vit retiré dans la
forêt de Northumberland. (...) S’installe ainsi une relation complexe entre acteur
et témoin, authenticité et invention, où Merlin, si l’on peut dire, cumule les
fonctions et se révèle maître à la fois de la parole et de la lettre, de l’histoire et du
récit »2. Enfin, c'est le héros, Bellovèse, qui raconte directement son histoire. Il
est donc le garant de la vérité, la preuve absolue de la véracité du récit. C'est une
personne connue et reconnue qu'on ne saurait remettre en cause, comme en
témoigne ces mots du prologue : « J’ai contemplé tant de choses, j’ai nourri tant
de tribus, j’ai tué tant de héros ! Je n’accepte pas de me dissoudre dans l’oubli. Je
ne peux me résoudre au silence, à l’immobilité (...) Tu ne peux me refuser cette
faveur. Tu ne peux aller contre le cours de ma volonté. Ceux qui se dressent
contre moi ne vivent guère »3. Le lecteur fait donc face à un triple effet qui donne
le crédit nécessaire au récit, justifiant la fiction même : le premier d’imaginer que
c’est le narrateur qui délivre son histoire par sa propre voix, alors qu’il lit une
histoire hypothétiquement rapportée, voire, retranscrite ; le second, que lecteur
devient, de fait, un acteur passif et dépositaire du récit ; le troisième, que la voix
du héros apparaît comme une preuve irréfutable, une caution intellectuelle que
l'on ne saurait remettre en cause, Bellovèse étant le témoin illustre de sa propre
geste.
Enfin, d'un point de vue historique, rappelons que les gaulois ne
maîtrisaient pas l'écriture, lui préférant, en effet, la culture orale. C’est dans
cette optique de vraisemblance que l'auteur fait parler le narrateur en ce sens : «
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 8.
Robert TRACHSLER, Merlin l’Enchanteur, Etude sur le Merlin de Robert de Boron , Paris, Sedes,
2000, p. 2.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., pp. 8, 10.
1
2
91
Car il n’est qu’une chose qui perdure. C’est le souffle, la parole »1 , puisqu’il se
méfie de l’écriture : « je sais qu’en vos contrées (...), certains emploient des lettres
pour conserver les mots (...) je me méfie de cette parole. Elle est morte »2. Mais il
s'agit toujours d'un acte de mémoire, similaire à ce qu'explique Paul Ricœur
concernant l'écriture: « L’écrit conserve le discours et en fait une archive
disponible pour la mémoire individuelle et collective »3. De fait, Même pas Mort
célèbre les hauts-faits d'un personnage, s'apparentant à la chanson de geste qui
exalte, par la même, des valeurs collectives, un récit à valeur d'exemplum. Nous
pouvons songer à La Prise d'Orange, par exemple, qui s'ouvre sur un conteur
assurant que son récit est légitime puisqu'il va traiter d'une vie méritant d'être
contée : « Oëz, seignor, que Dex vos beneïe,/Li glorïeus, li filz sainte Marie,/Bone
chançon que ge vos verrai dire ! »4. Il s'agit d'un texte, d'un texte célébrant,
fondamentalement, des « hauts faits »5 et dont « le cadre général est celui d’une
société guerrière »6, comme en témoigne aussi le prologue des Aliscans7 consacré
au même héros, Guillaume d'Orange.
Toutefois, et à la différence de celle-ci, le récit que nous étudions est écrit à
la première personne. Lejeune précise que « l’identité du narrateur et du
personnage que suppose l’autobiographie se marque le plus souvent par l’emploi
de la première personne »8. Mais « symétriquement au pacte autobiographique,
on pourrait poser le pacte romanesque, qui aurait lui-même deux aspects :
pratique patente de la non identité (l’auteur et le personnage ne portent pas le
même nom, attestation de fictivité (c’est en général le sous titre roman qui
remplit cette fonction sur la couverture) »9. Même pas Mort, puisqu'étant un
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 11.
Ibid.
3 Paul RICŒUR, Du texte à l’action, essai d’herméneutique II , Point, Paris, Seuil, 1986, p. 156.
4 La Prise d’Orange, op. cit., p. 43.
5 Paul ZUMTHOR, Essai de la poétique médiévale , Paris, Seuil, 1972, p. 455.
6 Ibid., p. 456.
7 « A icel jor que la dolor fur grant/ Et la bataille orrible en Aleschans,/ Li cuens Guillelmes i soffri
grant ahans » in, Aliscans, sous la direction de Laurence HARF-LANCNER, texte établi par Claude
REGNIER, présentation et notes de Jean SUBRENAT, traduction revue par Andrée et Jean
SUBERNAT, Paris, Champion Classiques, 2007, p. 66. Le début cette chanson de geste met en
scène une vie méritant d'être contée, celle de Guillaume d'Orange, dans un combat furieux contre
des païens.
8 Philippe LEJEUNE, Le pacte autobiographique, Collection Poétique, Paris, Seuil, 1975, p. 15.
9 Ibid., p. 27.
1
2
92
roman de fantasy, souscrit au pacte romanesque. Cependant, le récit présente, en
apparence, les caractéristiques, d'un « récit de témoin »1, même si ce témoin,
(l'interlocuteur ionien) est fictif comme, bien entendu, l'ensemble du récit. Même
pas Mort utilise alors, sous certains aspects, les ressorts de l'autobiographie, et
c'est donc à ce titre que nous parlons d'autobiographisme2. Si Tolkien n'utilise
pas la narration à la première personne, ni ces procédés de manière plus
générale, d'autres auteurs, moins nombreux, l'ont fait3. De ce point de vue,
Jaworski se place en rupture par rapport au fondateur du genre (tout en s'en
réclamant), et en continuité avec certains romans plus contemporains, comme
c'est le cas pour Robert Holdstock et son ouvrage Celtika, avec qui Même pas
Mort présentait déjà des similitudes, comme nous l'avons vu précédemment, et
comme nous pouvons le constater par cet exemple : « Je crois que nous devrions
tous nous défier du temps qui est nôtre, bien que pour la plupart d'entre nous
cela revienne simplement à l'utiliser sagement. Si la bougie brûle toujours, sa
flamme est plus vive lorsque nous sommes jeunes »4. Nous pouvons donc en
déduire que Jaworski, grâce à ces moyens, s'inscrit dans un courant
contemporain de la fantasy qui ne cherche plus l'exhaustivité et n'utilise plus la
focalisation zéro, tout en essayant de rendre le plus crédible possible son récit. En
effet, si Tolkien considère la vraisemblance comme essentielle, il la traite de
manière radicalement différente :
Peu importe que les Elfes soient “véritables“, qu’ils “existent réellement en dehors de nos
contes“, ou qu’ils ne soient que des “créations de l’esprit humain, réels seulement dans la
mesure où ils reflètent d’une façon particulière l’une des visions de la Vérité chez
Philippe LEJEUNE, op. cit., p. 15.
L'autobiographie est définie par Lejeune ainsi : « récit rétrospectif en prose qu'une personne
réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur
l'histoire de sa personnalité » (ibid., p. 14.). De fait, Bellovèse raconte sa propre existence (« Tu
raconteras ma vie », in Jean-Philippe JAWORSKI, op.cit., p. 7) à un interlocuteur. C'est un récit
introspectif, et surtout rétrospectif (souvenons-nous que le prologue met en scène Bellovèse vieux
qui raconte sa propre geste) qui met l'accent sur sa vie de jeune guerrier, et sur l'histoire de sa
personnalité dans la mesure où « la mort s'est refusée à [lui] (ibid., p. 48). Néanmoins, Bellovèse,
bien qu'inspiré par le personnage historique, est une création de papier et ne saurait donc en
aucun cas être une « personne réelle ». En ce sens, Jaworski mime l'autobiographie afin de
justifier l'existence de son récit.
3 Voir Celtika, de Robert HOLDSTOCK.
4 Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 139.
1
2
93
l’Homme“, l’essentiel est la création littéraire, le choix de la forme la plus appropriée pour
parler de notre monde1.
En ce sens, Même pas Mort illustre une certaine évolution du genre qui
cherche à redéfinir ses règles d'écriture. Enfin, Même pas Mort, et nous l'avonsvu, est un acte de mémoire, mimant l'autobiographie. En ce sens, il s'agit pour
Bellovèse de dépasser sa propre finitude, et pour l'interlocuteur ionien d'exister
grâce à ce récit. Se pose donc la question de l'ambivalence entre le narrateur et
l'écrivain, qui tous deux cherchent à faire acte de remembrance. Par la voix de
Bellovèse et par la transmission du récit par l'Ionien, Jaworski acte de son
existence et montre qu'il laisse une trace écrite de sa voix. Le choix de l'auteur de
d'écrire à la première personne et d'assumer la subjectivité la plus totale,
confirme notre hypothèse. D'ailleurs Jaworski n'écrit presque exclusivement
qu'en focalisation interne, avec un « je » qui présente de grandes similitudes dans
ses précédents ouvrages.
3) La place du point de vue interne au sein de la bibliographie de l'auteur
Même pas Mort s'inscrit dans une série de romans à venir. Cependant, ce
récit n'est pas le premier roman de l'auteur. Gagner la Guerre est sorti quatre
ans avant le récit de fantasy gauloise, c'est-à-dire en 2009. C'est le premier récit
de fiction de Jaworski, et il est intéressant de noter qu'il est écrit à la première
personne. Jaworski précise d'ailleurs à ce propos qu'il « préfère utiliser le récit à
la première personne »2 et la focalisation interne. Par ailleurs, Gagner la Guerre
est également un roman autodiégétique, tout comme Même pas Mort, et comme
nous pouvons le voir ici : « Je suis allergique aux enterrements. Ça peut sembler
bizarre, compte tenu de mon fonds de commerce, mais c’est ainsi. J’ai mes
raisons. Tuer et inhumer, c’est deux activités très différentes. Buter un quidam,
pour un affranchi, c’est gratifiant. »3 La seule différence par rapport à cette
1
Vincent FERRE, op. cit., p. 110.
l'interview de Jaworski : https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulté le 4
Avril 2015).
3 Jean-Philippe JAWORSKI, Gagner la Guerre, op. cit., p. 145.
43Voir
94
question énonciative réside dans le fait que Gagner la Guerre n'implique pas
d'interlocuteur extérieur chargé d'écouter et de rapporter l'histoire personnelle et
collective du narrateur protagoniste. De plus, et nous l'avons vu, si Même pas
Mort ressemble à un récit à valeur d'exemplum, Gagner la Guerre est avant tout
le récit d'un bandit qui raconte jusqu'à ses viols : « Ce fut ainsi, par la petite
porte, que je m’introduisis dans la famille du Podestat »1. Si l'intimité entretenue
par l'auteur entre le lecteur et le narrateur grâce à l'utilisation de la première
personne reste la même, les effets diffèrent : nous avons accès dans le premier
roman de Jaworski au récit introspectif d'un assassin professionnel, alors que
Même pas Mort est un roman, entre autres, de la quête initiatique et de la
remembrance.
Hormis ces deux ouvrages, Jaworski est l'auteur de deux recueils de
nouvelles. Janua Vera, paru la même année que Gagner la Guerre et le
Sentiment de Fer, paru en 2015. Janua Vera comporte onze récits, dont une
nouvelle éponyme écrite à la première personne et Mauvaise Donne qui parle de
Benvenuto et de son entrée au service du Podestat, faisant ainsi office de
première partie à Gagner la Guerre. L'incipit de ce court récit l'annonce ainsi :
»Je m'appelle Benvenuto. C'est un prénom qui me va mal. Je suis tueur à gages.
»2 Toutes ces nouvelles ne sont pas rédigées à la première personne, mais elles
sont toutes en focalisation interne, comme le montre cet extrait d'Une offrande
très précieuse : « Un spasme de panique absolue. Les yeux exorbités, il réalise
qu'il ne dort pas. Son cœur cogne à tout rompre, il a du mal à trouver son souffle,
tout son être se dilate d'horreur. Son corps baigne dans une sueur aigre, qui sent
la fièvre, la déchéance, des remugles de morbidité et d'angoisse »3. Pour le
Sentiment de fer, comportant cinq nouvelles dont une éponyme, le processus est
le même : toutes les nouvelles sont en focalisation interne. Précisons, par ailleurs,
qu'à la différence de Janua Vera, toutes ces nouvelles sont contées par un
narrateur homodiégétique qui se rapproche de la poésie par le jeu des sonorités :
1
Ibid., p. 342.
Ibid., p. 110.
2
3
Jean-Philippe JAWORSKI, Janua Vera, op. cit., p. 67.
95
Je pense plutôt qu'ils ont chargé du méfait quelque obscur légat, muni d'anathèmes pour
ébranler votre art et votre volonté. Armé du magistère et d'enthymèmes, cet apocrisiaire
tentera de briser en votre âme l'eurythmie immortelle. Défendez-vous de son poison sans
succomber aux rigueurs d'une doctrine cruelle. Préservez l'harmonie et la sérénité ; gardezvous du doute, du dégoût, du chagrin, et opposez-lui le mystère diffracté qui vous a élevée
aux confins du divin1.
Ainsi nous pouvons remarquer que Jaworski n'écrit qu'en focalisation
interne et à la première personne pour ses romans d'une part et, de l'autre,
systématiquement en focalisation interne et parfois à la première personne pour
ses nouvelles. Ce choix de se placer dans la subjectivité du personnage exclut, de
facto, l'exhaustivité relative à un narrateur omniscient. Cela diffère beaucoup de
Tolkien, et permet de dessiner les contours d'un univers que le lecteur est invité à
découvrir. Toutefois, si le narrateur n'est pas objectif, ni omniscient, il révèle, via
le traitement textuel, une grande richesse d'écriture, qui se doit d'être étudiée
d'un point de vue morphosyntaxique, sémantique et stylistique. Cette dernière
partie nous permettra de mettre en lumière les enjeux de la poétique de
Jaworski, et de mieux comprendre sa place au sein d'un genre qui semble
chercher à se définir en permanence.
1
Jean-Philippe JAWORSKI, Le Sentiment de Fer, op. cit., p. 9.
96
III) Analyse formelle et redéfinition du genre
Nous distinguerons trois axes d'étude pour l'analyse formelle, induisant une
redéfinition du genre. Tout d'abord, il conviendra d'étudier la question de
l'onomastique et des néologismes dans Même pas Mort. Nous verrons que
l'auteur a opéré un certain nombre de choix précis concernant la morphologie des
termes dans le roman : noms, surnoms, toponymie... Par exemple, il n'utilise que
très peu de néologismes, contrairement à ce qui est majoritairement fait dans le
genre1. Par ailleurs, nous devrons observer comment se caractérise l'écriture de
l'auteur, c'est-à-dire qu'il faudra mettre en tension ses choix stylistiques de style
avec les niveaux de langues, et réfléchir à la place de l'introspection dans le récit,
comme l'illustre, notamment, le prologue. Enfin, ces questions nous amènerons
nécessairement à situer l'auteur par rapport aux autres écrivains de fantasy
cherchant, eux aussi, le renouveau du genre. De facto, nous devrons, en premier
lieu, tenter de comprendre la place du roman dans la bibliographie de l'auteur,
avant de voir en quoi sa poétique est comparable à d'autres récits, et plus
généralement, un manifeste à écrire une nouvelle fantasy.
A) Onomastique et néologismes
L'écriture de Jaworski, dans les choix toponymiques et onomastiques,
illustre un point essentiel : le rapport à l'érudition, à la documentation historique
et au savoir encyclopédique propre à la fantasy2. Cette part importante de la
poétique de l'auteur se doit d'être étudiée afin de comprendre en quoi Jaworski
prend du recul par rapport aux règles établies par le genre. L'étude nous
permettra de constater qu'il laisse quelques anachronismes, par exemple, ou de
voir de quelle manière il se place face au néologisme, procédé littéraire tout à fait
courant et important dans le genre. Par ailleurs, le choix des noms, même pour
les personnages historiques attestés, ne saurait être anodin. Au contraire, il
exprime une volonté de mettre en valeur un patrimoine méconnu (la culture
1
2
Cf., introduction.
Ibid.
97
gauloise), par rapport au substrat anglo-saxon. A ce propos, l'onomastique nous
aidera également à comprendre comment les noms des personnages indiquent
leur fonction au sein du récit. Pour ce faire, nous étudierons d'abord les lieux puis
l'onomastique relative aux tribus et aux personnages.
1) Etude sémantique des lieux
L'intrigue de Même pas Mort n'est pas statique, comme nous avons pu le
constater au fil de notre étude. Le héros est en mouvement et traverse plusieurs
lieux de la Gaule. Douze cités et villages1 sont exactement présents dans le récit2.
Il nous faut préciser qu'il est difficile de faire la différence entre une grande ville
et un petit bourg, puisque l'auteur ne fournit pas d'indications spécifiques à ce
sujet. A propos des zones d'habitation, nous pouvons d'ores et déjà constater que
l'auteur a choisi le celtique et non le néologisme pour la plupart d'entre eux.
Certains sont repérables, comme « Nemossos », qui a donné en français « Nîmes »
; d'autres ont changé d'orthographe, comme « Ambatia » (Tours). Uxellodunon,
une ville abandonnée qui n'a pas donné de nom en français est, par ailleurs, un
lieu encore exploré par les archéologues3. D'un point de vue sémantique, l'auteur
choisit donc de privilégier un cadre historique en insistant sur la dimension
celtique, et non une traduction française. Il s'agit d'un effort de vraisemblance, le
différenciant de Tolkien qui, pour sa part, préfère le néologisme, comme le mot «
Gondor », capitale des hommes libres de l'Ouest, pour ne citer qu'un exemple. On
pourra également réfléchir au nombre des occurrences concernant les villes dans
Même pas Mort, relativement élevé, et du problème de l'hermétisme que cela
soulève. En effet, nous pouvons supposer que le lecteur ne soit pas habitué à
rencontrer de tels mots, en gaulois et en si grand nombre. Les mots gaulois sont,
de plus, exotiques, et interdisent toute représentation immédiate des lieux
évoqués. Le paradoxe est donc le suivant : bien que l'auteur ancre son récit dans
des lieux attestés, le lecteur est invité à pénétrer dans un univers inconnu.
1Ambatia,
Argentate, Attegia, Bergorate, Biliomagos, Brattuspantion, Brugues, Condevicnon,
Lacydon, Nemossos Nériomagos et Uxellodunon.
2 Cf. Index Loci pour le relevé exact et les définitions des occurrences dans le roman.
3 Cf. Société préhistorique française n°34, Paris, Bulletin de la Société Préhistorique française,
2004, p. 8
98
Cependant, Jaworski n'est pas en totale rupture avec Tolkien. Alors que la
majorité des villes que l'on trouve dans le récit sont réelles, il place un seul
néologisme pour l'un des deux bourgs où Bellovèse grandit : « Attegia ». « Attegia
»1 est une ville fictive dont la morphologie est construite grâce sur une base
lexicale celtique signifiant « petite cabane »2. Deux choses sont à relever ici.
D'abord, le mot n'apparaît pas en totale rupture, dans sa morphologie, avec les
autres occurrences. « Attegia » ressemble notamment à « Ambatia », (les deux
mots utilisent largement la voyelle « a ») et il s'agit peut-être, pour l'auteur et par
le biais de la morphologie, de lier les deux endroits comme étant les berceaux de
l'enfance de Bellovèse. Par ailleurs, bien qu'« Attegia » soit un néologisme, il est
formé à partir du celtique, et n'est pas une création ex nihilo. Le geste créatif de
l'auteur s'ancre donc fondamentalement dans un « effet de réel ». Notons aussi
que le néologisme en question pourrait, sans une étude approfondie, passer
inaperçu au regard de toutes les autres occurrences. Il y a ainsi un jeu sur la
connaissance proposée par l'auteur. C'est, à nouveau, une érudition joueuse qui
est à l'œuvre, posant la question de la place du savoir dans le récit et, de facto,
dans la fantasy. Nous avancions précédemment que Jaworski n'était finalement
pas en rupture totale avec Tolkien. En effet, si les mots désignant les cités chez
Tolkien, notamment dans le Seigneur des Anneaux, sont des néologismes, ils n'en
restent pas moins inspirés par des langues réelles. Prenons le cas de la grande
citadelle naine de « Khazad-dûm », signifiant « la demeure des nains ». Ce mot,
apparemment abscons, est en réalité « largement inspiré des langues
Attegia est un havre de paix aux yeux du narrateur, tout comme la Comté pour Frodon : «
D’emblée, Attegia nous est apparu comme un havre un peu magique. Enclavé dans les grands
bois de Senoceton, ses basses terres baignées par les étangs de Cambolate, le domaine somnolait,
préservé des périls du monde », in Jean Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 143. Le seul néologisme
désignant une cité est donc le lieu précédant les péripéties, celui de la prime enfance du héros, et
donc celui de la situation initiale. Bien qu'il soit le seul néologisme dans le roman concernant une
ville, le rôle du mot est important. Attegia est, en effet, le point de départ de la fabula. Ainsi, la
fonction cardinale du terme ne fait pas de doute. En ce sens, Jaworski s'inscrit dans la continuité
par rapport au genre qu'il cherche à redéfinir, puisqu'il reprend les étapes traditionnelles du récit
de fantasy grâce au néologisme. Comprenons donc que le mélange du néologisme et de termes
attestés questionnent le rapport au savoir et les moyens linguistiques pour élaborer une fiction
d'un genre nouveau.
2 https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
1
99
sémitiques », comme l'explique l'auteur lui-même1. Nous constatons donc que la
rupture dans le travail de création sémantique n'est, en réalité, pas
nécessairement nette entre Jaworski et Tolkien.
Quatorze
indications
géographiques
(montagnes,
bois,
lieux-dits
et
territoires)2, sept cours d'eau3, huit mers, gués, caps et golfs4 sont également
présents dans Même pas Mort5. Nous pourrons les répartir en trois catégories
distinctes : les lieux attestés, les périphrases, et les lieux inconnus. Les fleuves et
les rivières sont systématiquement désignés par leurs noms celtiques et ne
constituent en aucun cas des néologismes. L'on reconnaîtra aisément, en français,
« Cruesa », qui est aujourd'hui la Creuse, ou bien encore « Nerios », la source de
Néris-les-Bains. A nouveau l'orientation historique du texte en renforcée par la
présence d'un travail sémantique précis et documenté. A la différence des villes,
le lecteur peut éventuellement situer plus facilement les fleuves, rivières, et
autres affluents. Supposons qu'il s'agisse d'une concession accordée au public. En
effet, la quantité importante de mots gaulois a de quoi dérouter, comme
principale limite de l'écriture de Jaworski6. Concernant les périphrases, elles
traitent essentiellement de montagnes, comme les « Montagnes Blanches ». En
réalité, il est difficile de parler de périphrase puisque le groupe nominal, « Les
Montagnes Blanches », est le déictique unique du lieu. L'absence de mot
spécifique ne rend toutefois pas le syntagme indéfini : au contraire, il le précise
comme un endroit sauvage et inconnu, non nommé comme une entité spécifique.
Il y a donc quelque chose de primitif, ou tout au moins, de volontairement
mystérieux dans le traitement textuel de l'occurrence. Il est impossible toutefois
de situer précisément ces montagnes, contrairement aux « Montagnes de
J. R. R. TOLKIEN et Christopher TOLKIEN, The Peoples of Middle-earth, Londres, Harper
Collins, 2002, p. 428.
2Cambolate, Cemmène, Coteau des Toches, Grandes Foliades, Ivaonon, Les Marches Ambrones,
Les Montagnes Blanches, Les Montagnes de l’Orage, Orcynie, Senoceton, Tartessos, Terre
Blanche, Vernoialon Vorgannon.
3 Caros, Cruesa, Liger, Nerios, Olt, Sequana, Uidunna.
4Cap Belerion, Cap Kabaïon, Golf Oestrymnique, Gué d’Avara, Île Blanche, Île d'Ictis, Mer Ictis,
Mer Oestrymnique.
5 Cf. Index Loci pour le relevé exact et les définitions des occurrences dans le roman.
6 Nous reviendrons sur cette question dans la partie III.C.3.
1
100
l'Orage » qui sont, par déduction dans le texte, les Pyrénées1. D'autres
occurrences du même type, peut-être plus compréhensibles existent, comme les «
Terres Blanches ». Ainsi, les « Terres Blanches » sont, en réalité, l'île de
Bretagne, appelées en grec « Albion » (blanc), et en écossais « Albà » (signifiant «
Terres blanches », mais seulement pour les Hautes-Terres, les Highlands). Les
groupes nominaux désignant des montagnes n'obéissent donc pas tous au même
schéma : certains sont faciles à deviner (« Terres Blanches »), d'autres exigent un
effort de déduction (« Montagnes de l'Orage »), d'autres encore restent tout à fait
obscurs (« Montagnes Blanches »). Il y a ainsi une échelle dans les choix
sémantiques de l'auteur, une véritable pluralité dans le traitement formel de la
toponymie. A nouveau, Jaworski utilise l'outil de l'érudition comme un jeu de
piste. A priori exotiques, ces lieux ont une existence formelle mais dupent le
lecteur : le monde décrit dans ses moindres détails apparait comme presque
imaginaire, bien que réel : il s'agit du « réalisme magique »2. Il y a donc un
renversement des stratégies narratives : là où Tolkien ancre son récit dans un
cadre par essence magique, Jaworski sous-entend le merveilleux dans un univers
quotidien vérifiable « par la logique et la perception ». Cet effet est rendu possible
par les différents choix sémantiques de l'auteur : certaines occurrences sont
repérables avec un peu de recul, d'autres pas tout à fait. En ce sens, Jaworski
obéit à la règle de la fantasy de plonger le lecteur dans un univers exotique fictif,
dont la toponymie est décrite avec minutie, tout en restant proche d'une certaine
réalité sémantique et historique. Cela est quelque peu différent concernant la
toponymie des lieux magiques dans le récit.
1«
Mezukenn a fait alliance avec tous les peuples ambrones qui ont leurs royaumes entre la
Dornonia et les Montagnes de l’Orage. Désormais, nous sommes en guerre contre les Tarbelles,
les Sardons, les Bébrykes et les Elisykes », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 102. La guerre
qui guette les protagonistes se déroule en Aquitaine, face au Tartessos (Espagne). En ce sens, les
« Montagnes de l'Orage » sont très probablement les Pyrénées.
2 Rappelons la définition déjà énoncée dans l’introduction : « L’écriture magico-réaliste préconise
et transgresse simultanément les limites traditionnelles entre réalité et imaginaire, en
réarrangeant les niveaux ontologiques en apparence antithétiques faisant partie du texte
littéraire : la réalité quotidienne, vérifiable par la logique et la perception, d’un côté, et les
phénomènes sensoriellement insaisissables et inexplicables du surnaturel de l’autre », in
fabula.org (consulté le 15/08/16) : http://www.fabula.org/actualites/le-realisme-magique-commestrategie-narrative-dans-la-reappropriation-des-traumatismes-historiques_56459.php
101
Dans la fantasy, les lieux propres au merveilleux occupent fonction
cardinale. La quête initiatique ne saurait être achevée sans passer par un Audelà mythique, à travers des enfers, des bois, ou des cours d'eau1. Observons à
présents quels choix sémantiques l'auteur a voulu privilégier. En premier lieu,
remarquons qu'il y a moins de lieux magiques que de lieux réels, accessibles à
tous les personnages : sept, très exactement (cinq plus deux périphrases) 2. Outre
la symbolique magique du chiffre, il est intéressant de souligner que le récit est
plus riche, en termes de nombre d'occurrences, en villes et cités attestées qu'en
endroits intermédiaires. Nous pourrions trop rapidement supposer qu'il s'agit,
une fois de plus, de faire de Même pas Mort un roman de fantasy plus proche
d'une sémantique historique que d'une toponymie entièrement magique. Ce
serait oublier que la majorité du récit (notamment le dernier chapitre, l'Ile des
Jeunes) se déroule en grande partie dans les bois de « Senoceton », lieu
intermédiaire par excellence. Il y a donc, d'un côté, une très grande pluralité
d'occurrences attestées historiquement mais finalement peu exploitée, pour une
minorité de termes relatifs à la magie, mais foncièrement plus importants en
termes énonciatifs car les péripéties se déroulent majoritairement dans les lieux
magiques. Ainsi, sous couvert d'Histoire, l'auteur tend à faire de l'écriture du
monde gaulois, un véritable roman de fantasy où la création littéraire prend le
pas sur l'effort de vraisemblance. Concernant les lieux intermédiaires, nous
constatons que le « Sedlos », également appelé Sid3 dans la mythologique
celtique, est également décrit par des périphrases. Si le terme « Sedlos » revient
quelque peu4, ce paradis est surtout décrit par des périphrases : « l'Île Heureuse
»5, et en particulier, « l'Île des Jeunes »6, groupe nominal qui donne son nom au
dernier chapitre. Cette périphrase est importante puisqu'elle donne son nom au
dernier chapitre et qu'elle est la plus employée. Bellovèse est le seul à pouvoir y
Nous nous étions penchés sur cette question d'un point de vue esthétique et mythologique dans
la partie I.
2Chanière, Garrissal, L’île des Vieilles, Senoceton, Sedlos et les deux périphrases relatives au mot
: L’île des Jeunes, L’île Heureuse,
3 Cf. partie I. pour l'étude esthétique et la définition du paradis celtique.
4 Exactement deux fois, cf. Index Loci, pour le relevé exact des occurrences.
5 Exactement une fois, cf. Index Loci, pour le relevé exact des occurrences.
6 8 fois, cf. Index Loci, pour le relevé exact des occurrences.
1
102
accéder, comme nous l'avons vu dans la deuxième partie : c'est donc un lieu
essentiel du récit, capable de souligner la destinée hors du commun du héros.
Toutefois, le choix de privilégier la périphrase au détriment de la dénomination «
Sedlos », et fondamentalement au détriment de « Sid », jamais employé, et qui est
pourtant le nom propre adéquat pour désigner l'Au-delà celte. « L'Île Heureuse »
est un moyen d'ancrer le récit dans une culture gauloise, mais opter pour la
périphrase constitue aussi un moyen de se différencier des textes anciens. Une
volonté, probablement, de la part de l'auteur, d'affirmer l'originalité du
traitement textuel dans la sémantique, sans opérer une rupture brutale. Le
terme de « Senoceton » représente la stratégie inverse. Bois où Bellovèse, son
frère et le druide fou rencontrent diverses créatures magiques, c'est un des lieux
intermédiaires essentiels. Sans dictionnaire approprié, le mot paraît néanmoins
obscur. Il signifie « bois sacré »1, en gaulois. De fait, l'auteur choisit de rendre le
mot moins évident, à défaut d'utiliser une périphrase plus claire. Nous pouvons
supposer qu'il s'agit de la part de Jaworski d'une volonté de rendre le texte plus
complexe, et moins accessible, probablement pour marquer une rupture par
rapport public visé : Même pas Mort ne s'adresse plus aux enfants et aux
adolescents. S'agit-il de la même stratégie concernant la toponymie ?
2) Onomastique des tribus, dieux, déesses et créatures
Les tribus, dans le récit, sont toutes attestées, et presque localisées.
Certaines ont donné leur nom à des régions ou des communes de France 2 :
« Biturige », pour le Berry, « Arverne », pour l'Auvergne, « Bellovaque » pour le
Beauvais, « Séquane » pour les Hauts de Saône, « Ausques », pour la région
d’Auch... La plupart des noms sont déjà cités par César3, soit six cents ans, à
quatre cents ans après le récit qui nous intéresse ; en ce sens, y avait-il
réellement des Bituriges au
VIIe
siècle ou au
Ve
siècle avant Jésus-Christ ? Oui,
Jean-Paul PERSIGOUT, Dictionnaire de Mythologie Celtique, Préface de Pierre SERGENT, Paris,
Edition Imago, 2009, p. 454.
2 Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 21.
3 Ibid., p. 21.
1
103
toujours selon l’historien Brunaux1. Cependant, Jaworski cite des tribus que
César n’évoque pas : les « Turons », peuplade dont l’étymologie reste incertaine2 ;
les « Cavares » qui ont régné essentiellement durant le premier siècle avant
Jésus-Christ, selon Strabon3, posant ainsi la question de l’anachronisme chez
Jaworski. Viennent ensuite les « Bebrykes », tribu obscure à l’étymologie
néanmoins attestée dans un ouvrage de 18754 et qualifiés de « celto-ligures ». Ils
n’apparaissent guère ailleurs. Si Jaworski utilise donc des termes à l’orthographe
historiquement juste, il laisse planer un doute historique et morphologique sur le
nom de certaines tribus. Nous voyons donc clairement que le travail de création
s’appuie sur des occurrences lexicales attestées, comme il exploite les incertitudes
des historiens par rapport à l'époque en question. A nouveau apparaît
l'expression d'un certain « réalisme magique », où ce qui est connu devient donc
merveilleux. Il s'agit d'une façon d'enchanter le monde, de rendre magique la
culture gauloise. On relève également exactement vingt-trois noms de tribus5
dans le roman, ce qui illustre de l'effort de documentation opéré par l'auteur ;
c'est aussi, par ailleurs, un nombre très élevé pour un seul roman. La question de
l'érudition et de son rôle dans la fantasy se pose donc. Nous pourrions avancer,
dans un premier temps, que l'accumulation de ces termes est façon de respecter
l'exhaustivité voulue par la fantasy6. Néanmoins, leur grand nombre sous entend,
peut-être, une critique faite au savoir encyclopédique fictif que l'on retrouve dans
le genre7. D'un autre côté, ces dénominations, assez étrangères pour un néophyte,
1
Ibid., p. 21.
Vinceslas KRUTA, op. cit., p. 87.
STRABON, op. cit., IV, 1, 11.
4http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_00650536_1875_num_19_3_68247?_
Prescripts_Search_tabs1=standard& (consulté le 20 mai 2015).
5 Cf. Index Nominum pour le relevé exact et les définitions des occurrences dans le roman.
6 Cf. introduction.
7 En considérant la parodie comme un texte qui « à des fins satiriques ou comiques, imite en la
tournant en ridicule, une partie ou la totalité d'une oeuvre sérieuse connue », (in TLFI, consulté le
15/05/16, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2958019890;) nous pourrions
y voir une certaine critique de l'exhaustivité tolkienienne que l'on retrouve dans le Seigneur des
Anneaux. Par exemple, l'auteur anglo-saxon détaille minutieusement les familles et tribus : «
Parfois, comme dans le cas des Touque des Grands Smial ou des Brandebouc de Château-Brande,
de nombreuses générations vivaient en paix », les habitudes quotidiennes et la flore : « ils
aspiraient ou inhalaient au moyen de pipes en en terre ou en bois la fumée de feuilles en
combustion d'une herbe qu'ils appelaient herbe ou feuille à pipe, sans doute une variété de
Nicotiana », et même l'organisation de l'espace urbain dans le temps, grâce à un calendrier fictif :
2
3
104
participent de la création d'un univers qui devrait être familier (les gaulois) et
qui, assez paradoxalement, reste foncièrement dépaysant.
Nous nous étions penché sur la place et le rôle de la périphrase du Forestier,
« le Bon Maître », dans la deuxième partie. De plus, l'opacité du personnage du
Forestier est en rapport avec l'hermétisme de la morphologie du « Senoceton ».
Après tout, Esus est un dieu sylvestre et guerrier. Pas d'hermétisme, cependant
quant à Taruos, le « Taureau Furieux »1. Cette créature est accompagnée des
« Trois Grues » que Bellovèse rencontre dans le « Senoceton »2. Elles sont
appelées les « Mères » par les personnages : « Pardonnez-lui, Mères, a-t-il
chevroté. Ce garçon n’a pas eu de père »3. L'auteur privilégie ici le terme « Mère
»pour désigner ces créatures, leur conférant, a priori, une aura maternelle.
Toutefois, les « Mères » sont loin d'être protectrices : elles sont nuisibles et
cherchent à tuer les deux garçons en invoquant Taruos : « Taruos ! Taruos !
Taruos ! Suobnos a été secoué par un grand frisson. Misère de moi ! s’est-il écrié.
Ségovèse, tu as attiré le malheur sur nos têtes ! ». Le mot « Mère » prend donc ici
un sens violent et noir. Par ailleurs, la majuscule à « Mère » fait écho aux grands
mythes gréco-romains, comme les Parques ou Médée. Il y a donc un jeu sur les
connaissances mythologiques, et sur leur détournement ludique dans l'écriture de
Jaworski. L'auteur propose ainsi au lecteur une redéfinition des mots dans le
récit : il faisait de même avec la périphrase « Le Bon Maître », utilisé de manière
antithétique.
Il s'agit, en l'occurrence, d'une véritable réappropriation du
panthéon gaulois et de la langue par l'utilisation d'une morphologie différente
(« Le Bon Maître »), et par le détournement du sens initial de l'occurrence
(« Mères »).
« A l'extérieur des quartiers se trouvaient les marches de l'Est et de l'Ouest : le pays de Bouc, et la
marche de l'Ouest annexée à la Comté en D.C. 1462. », J-R-R TOLKIEN, traduit par Francis
LEDOUX, Le Seigneur des anneaux (1, La Communauté de l’Anneau), Folio, Paris, Gallimard,
2000, pp. 24, 26, 29.
1 Cf. Partie I.
2 « Trois formes sombres étaient perchées dans la couronne du hêtre qui nous dominait (...) Ah !
Quand même ! Il y en a un qui dresse le chef. – Encore un peu, et ils passaient sans un salut », in
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 215.
3 Ibid., p. 217
105
Observons à présent le cas d'Eppia, déesse équestre qui accompagne
Bellovèse au « Sedlos ». « Epos » étant « fils de cheval »1, l’on comprend alors «
Eppia » comme la « femme/fille au (du ?) cheval », (la désinence « a » marquant le
féminin en gaulois). Ce qui est tout à fait logique dans le récit puisqu’elle
n’apparaît jamais sans son cheval. D'ailleurs, selon Jean-Paul Persigout, Epona
est une « divinité celtique montant une jument et tenant à la main une corne
d’abondance »2. Eppia n’est donc en réalité qu’un surnom que le personnage se
donne, celle-ci étant normalement « Epona »3. Jaworski prend donc la liberté de
donner des surnoms aux dieux, par leur propre bouche, ou celle du narrateur. Il y
a donc une réappropriation, par l'usage familier d'un nom, de la culture gauloise.
Il s'agit, une fois de plus, de mettre en avant un patrimoine peu utilisé par le
genre. En effet, si l'auteur avait abrégé « Odin », en « Od », le public aurait
facilement compris la référence. De même, s'il avait évoqué « le maître borgne et
malicieux » pour le dieu scandinave, contrairement aux « Mères » (pour les Trois
Grues), au « Bon Maître » (pour Esus) ou au « Maître du Garrissal » (pour
Ogmios/Dagda), qui restent moins connus pour le lecteur. Outre la démonstration
d'érudition et de la place accordée au savoir dans le récit, donc, l'auteur propose
implicitement un basculement des références mythologiques, le choix d'un
nouveau substrat comme outil de création littéraire. En ce sens, l'étude
sémantique et morphologique nous prouve que Jaworski opère un déplacement
des références mythologiques.
3) Onomastique des personnages humains
On compte très exactement soixante-trois noms et cinq surnoms dans
l'ensemble
du
récit
pour
les
personnages
humains,
soit
soixante-huit
patronymes4. C'est un nombre élevé, notamment pour un récit qui introduit le
lecteur dans un univers finalement étranger, comme nous l'avons vu
précédemment. Jaworski est donc exigeant par rapport au lecteur car il risque
Les noms gaulois chez César et Hirtius, Henri d' ARBOIS DE JUBAINVILLE, Georges DOTTIN,
Émile ERNAULT, Paris, Bouillon, 1875, p. 108.
2 Jean-Paul PERSIGOUT, op. cit., p. 143.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 250.
4 Cf. Index Nominum pour le relevé exact et les définitions des occurrences dans le roman
1
106
plus complexe, et plus hermétique le récit par l'utilisation d'autant de
patronymes. Mais
peut-être est-ce une stratégie propre à sa poétique :
l'exhaustivité apparaissant, une fois de plus, comme un moyen d'amener le
lecteur vers un certain exotisme et la réhabilitation d'un patrimoine faisant
défaut dans la fantasy : la culture gauloise. Nous pouvons diviser ces noms en
deux catégories : les noms historiques attestés et ceux a priori créés par l'auteur
sur des bases lexicales gauloises. Nous remarquons donc, une fois de plus, que le
néologisme complet et non suggestif1, est absent. Ambigat, par exemple, est un
personnage attesté, comme nous l'avons vu dans la première partie, tout comme
Ségovèse et Bellovèse. Mais penchons-nous sur le sens du mot « Bellovèse ». «
Bello- » signifie en gaulois le « hurleur, celui qui s'époumone »2. Jaworski ne
choisit pas Ségovèse, son frère, comme narrateur, mais bien celui qui « hurle » à
s'en vider les poumons. La voix du récit est, sémantiquement parlant, la voix du
narrateur, son souffle. Et il s'agit d'un cri puissant : le récit de Même pas Mort
est avant tout la geste d'un héros raconté à la fin de sa vie, le cri de bataille d'une
existence. Nous pourrions, pour aller plus loin, établir un parallèle avec le
dernier souffle. En ce sens, la vie relatée de Bellovèse est un long cri jusqu'à ce
que l'air ait quitté le corps du narrateur. Par ailleurs, le roman réfléchit sur la
place de la mort, comme point de départ de la fabula, et de son dépassement par
le travail de mémoire et le geste créatif. Le cri de Bellovèse est donc à la fois le
récit rétrospectif du narrateur, la voix du romancier à l'œuvre, tout comme le cri
de bataille face au dernier défi qu'il s'agit de dépasser par les mots : la mort.
Nous constatons donc que le choix des noms historiques n'est pas anodin.
Jaworski fait le lien entre l'Histoire et sa vision de la fiction. C'est une invitation
à réfléchir aux substrats traditionnellement utilisés en fantasy. A défaut d'écrire
par le biais de Sigfried ou Loki, l'auteur repense les critères définissant le genre.
Jaworski utilise, aussi, des adjectifs pour nommer ses personnages. Ainsi :
Peut-on vraiment parler de néologismes complets et non suggestifs, une création absolument
originale ? Après tout, les auteurs sont soumis à des atavismes et des réflexes linguistiques
propres à leurs langues, leurs lectures et leur poétique. Par ailleurs, Tolkien, et nous l'avons vu,
crée aussi des néologismes en s'inspirant des langues orientales. Ce que nous voulons toutefois
souligner ici est la démarche de Jaworski de rester au plus près d'une réalité morphologique
historique, car les outils de composition et de dérivation sont issus du gaulois.
2 Xavier DELAMARRE, Dictionnaire de la langue gauloise , Errance, Paris, 2003, p. 43.
1
107
« Albios » signifie la « couleur blanche [qui aussi donne son nom à la terre d’Alba,
la future Angleterre1], et le monde d’en haut, celui des dieux »2. Albios étant un
barde, un représentant du pouvoir spirituel, il n'est pas étonnant que l'auteur ait
choisi de lui donner ce nom. Toutefois, il faut souligner la démarche, consistant à
s'approprier les adjectifs gaulois pour en faire un prénom. En ce sens, l'auteur
utilise une langue morte, le gaulois et invite à réfléchir sur la notion de
patrimoine utilisé en littérature, et aux buts sous-jacents que cela implique3.
Concernant les créations lexicales gauloises, précisons que les noms gaulois
se composent par « dérivation et par composition »4, et que l'auteur ne se
soustrait pas à la règle qu'il applique systématiquement. Prenons l’exemple d’
»Eluorix ». « Eluorix » est roi fictif, inventé par Jaworski. « Rix » signifie en
celtique « Roi »5 (« Rix » étant un substantif indo-européen que l’on retrouve
jusqu’en sanscrit avec « Raj », en latin « Rex », donc en Français contemporain «
Roi »). Jaworski, par composition6, appose ce terme à celui d’ « Eluo », donnant le
terme « Roi (de/des/du/?)“Eluo » ou « Roi Eluo », personne très secondaire dans le
récit. Peut -être que l'auteur préfère réserver ses créations lexicales pour les
personnages secondaires par pudeur, ou pour maintenir la vraisemblance.
Cependant, le geste créatif de l'auteur s'inscrit dans un cadre linguistique attesté
; l'invention de ce nom est l'expression d'une réappropriation d'une langue morte.
L'auteur, par la création, cherche ainsi à mettre en avant un patrimoine
spécifique. Il en va de même pour « Tigernomagle », qui est aussi un roi dans le
récit. « Tigerno- » signifie « chef de »7, et « -magle » (« maglos »), également « roi » ;
Tigernomagle est ainsi : « roi des rois »8.
« Cassimara » obéit à un schéma
similaire. « Cassi- » a une racine commune au grec et au sanscrit9, signifiant une
Cf., l'étude de l'occurrence « Terre Blanche ».
Jean-Louis BRUNAUX, op. cit., p. 158.
3 Nous reviendrons sur ce point dans la partie III.C.3.
4 Henri d' ARBOIS DE JUBAINVILLE, Georges DOTTIN, Émile ERNAULT, op. cit., p. 1.
5 Ibid., p. 290.
6 Joëlle GARDES TAMINE, La Grammaire : phonologie, morphologie, lexicologie, tome 1 , op. cit, p.
82.
7 Xavier DELAMARRE, op. cit, p. 256.
8 Ibid., p. 181.
9 Ibid., p.186.
1
2
108
« élégance supérieure »1 . « -Mara » veut dire grande2, « Cassi-marra » signifie
donc « Très grande élégance »3. D'ailleurs, le personnage incarne l'élégance
même4, un peu comme Albios qui représente les dieux et les cieux. Seulement, on
aurait retrouvé à Milan, une inscription portant le nom de « Cassimara »5. Ce
n'est pas anecdotique : nous pouvons nous interroger sur le fait que Jaworski crée
réellement ses propres noms gaulois. Il est difficile, donc, de faire la part entre la
création littéraire à partir du système linguistique gaulois, des noms qui auraient
fondamentalement existés. D'un autre côté, concernant la mère de Bellovèse,
Dannissa, la seule source expliquant l'origine de ce mot est l'auteur lui-même,
précisant qu'elle signifie la « magistrate »6. Finalement, il est intéressant de
constater que l'auteur joue avec l'érudition et les incertitudes linguistiques. C'est,
véritablement, une invitation à réfléchir sur la place du savoir dans le récit. En
ce sens, quelle place pour l'Histoire et l'exhaustivité ? Et comment la création
doit-elle s'appuyer sur cela pour justifier sa pertinence et son existence? Ainsi,
l'exemple de « Bouos » est assez parlant. Si la désinence apparaît comme
gauloise, (« -os, comme « Taruos » ou « Grannos »), « Bouos » n'est pas sans
rappeler « Bovem/Bos », qui signifie « bœuf » en latin. Cette hypothèse est
confirmée par la description du personnage7. Sachant que les Romains ne
viendront pas en Gaule avant au moins 400 ans par rapport au récit qui nous
intéresse, il s'agit là d'un véritable anachronisme qui illustre le travail de
Jaworski : l'auteur joue avec la vraisemblance et « l'effet de réel barthésien »
Ibid., p.186
Ibid., p.186
3 Ibid., p.186
1
2
L'auteur utilise en français le terme « élégance » pour décrire la princesse. Il y a ainsi un jeu de
résonnance entre le gaulois et notre langue afin de décrire la beauté et le port princier incarnés : «
Toutefois, l’inconnue était si élégante qu’elle en devenait intimidante. Les phalères de son cheval
avaient l’éclat de l’or, l’extrémité d’un soulier exquis pointait sous l’ourlet d’une robe fastueuse, la
broche qui fermait son manteau coulait des reflets de source ensoleillée et l’étoffe de ses parures
chatoyait de couleurs. Bien qu’elle fût à peine sortie de l’enfance, le luxe de sa toilette et la
puissance de son escorte suffisaient, à nos yeux, à la classer parmi les grandes personnes. À voir
l’étonnement avec lequel elle nous considérait, il paraissait évident qu’elle n’avait pas l’habitude
de frayer avec des croquants (...) Cette belle princesse qui te fait l’agrément de sa visite est
Cassimara, fille d’Eluorix, roi des Arvernes », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 169.
5 Xavier DELAMARRE, op. cit, p.186
6 https://www.youtube.com/watch?v=6Wv6OSPv3sU (consulé le 4 Avril 2015).
7 « Il avait beau avoir un genou en terre, il impressionnait par son poitrail épais, son cou puissant,
ses épaules charpentées en carène. Il nous a gratifié d’un coup d’œil glauque, et un poing de glace
s’est refermé sur mon cœur », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 95.
4
109
Même pas mort établit un véritable jeu de piste qui propose une redéfinition libre
du genre par le biais d'un patrimoine peu exploité. Enfin, le roman est, peut-être,
l'expression d'une critique par rapport à la rigueur du savoir encyclopédique
tolkienien, comme l'illustre l'anachronisme de « Bouos ». Jaworski nous rappelle
ainsi que l'écriture est avant tout un espace d'expérimentation libre qui ne
saurait être entravé par le rigorisme scientifique; rigueur que Tolkien appliquait
à son monde fictif, comme démontré précédemment.
B) Une écriture visuelle et soutenue
Pour comprendre en quoi la poétique de Jaworski entre rupture et
continuité, il nous faudra étudier l'aspect formel de son œuvre et la notion
d'introspection, la question des figures de style, et enfin, le rôle des niveaux de
langue et des procédés de mise en scène, de représentation. Le prologue, moment
essentiel du récit qui place les bases des stratégies narratives, soulève des
tensions propres au récit et au genre : il invite le lecteur à remettre en question
les règles d'écriture de la fantasy tout en définissant certaines caractéristiques
du personnage et de la narration. Ce prologue est, également, un moyen de
réfléchir à la genèse du mythe, et du rôle du lecteur par rapport au processus de
création littéraire. Par ailleurs, l'étude précise des figures de style privilégiées
par l'auteur nous permettra de comprendre en quoi Jaworski écrit de façon
visuelle afin de créer un effet de « réalisme magique ». Au delà de l'aspect
sensoriel de son écriture, nous serons amenés à penser le rôle prépondérant de
l'hyperbole dans le récit plaçant inais le roman dans la lignée des contes celtes.
Par ailleurs, il apparaît essentiel d'étudier le rôle les changements récurrents de
niveau de langue dans le roman qui soulève des questions essentielles par
rapport aux règles d'écriture proposées par Tolkien. Enfin, l'utilisation de
procédés théâtraux concernant les moyens de représentation et de mise en scène,
bien que marginale dans le récit, nous amènera à réfléchir aux buts sous jacents
du roman, et avant tout, à nous questionner sur le mélange des genres dans
Même pas Mort.
110
1) De la question de l'introspection : l'exemple du prologue
Nous évoquions précédemment la question de l'autobiographisme, du récit à
la première personne et de la remembrance. Il s'agira, dans cette partie, de
réfléchir à la question de l'introspection, voire d'un certain lyrisme1 et des enjeux
que cela soulève. Tout d'abord, Même pas Mort est forcément un récit du « moi »,
puisqu'il est à la première personne et relate une vie qui mérite d'être contée, un
« je » à valeur d'exemplum. En ce sens, il n'y a nulle rupture avec le genre dont le
roman se réclame. Cependant, la fantasy est un genre épique, alors que, comme
nous l'avons vu, Même pas Mort est d'abord une quête intérieure contre la mort,
célébrant le souvenir et la parole transmise. Le prologue du roman, dans sa
forme, le confirme :
Depuis que j’ai atteint l’âge d’homme, j’ai marché ; j’ai foulé l’humus moelleux des sous-bois,
la terre grasse des prairies, la roche éboulée des montagnes, la tourbe trompeuse des
marécages ; j’ai connu des saisons étranges, des cieux différents, des peuples variés comme
les arbres d’une futaie 2.
L'on observera ici le choix de privilégier des propositions longues, avec un
effet anaphorique autour du « j'ai », insistant sur le chemin parcouru du
narrateur. « J'ai marché (...) j'ai foulé (...) j'ai connu (...) ». L'utilisation du passé
composé, temps révolu et non défini, contrairement au passé simple, est complété
par l'anaphore du pronom « je » induisant aussi une certaine introspection, un
lyrisme comme l'atteste cet extrait :
Le monde est une mélopée infiniment morne et infiniment multiple, le monde est un
chemin aux horizons sans cesse recomposés, le monde est un royaume taillé dans la matière
même du rêve. C’est une merveille ; une merveille indifférente, qui m’a appris la saveur de
l’angoisse. Le monde est un vertige3.
A nouveau, nous observons une proposition longue avec la reprise des
termes « merveille » et « monde ». Fondamentalement, nous avons affaire à un
narrateur contemplatif, loin du cadre épique que l'on associe traditionnellement
au genre. La subjectivité y est totalement célébrée, et bien que le « moi » soit
« Tendance poétique, et plus généralement artistique, privilégiant l'expression plus ou moins
vive de la subjectivité ou de thèmes existentiels dans des formes exploitant les ressources du
moyen d'expression utilisé par l'artiste », in Le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI),
consulté le 6 Juin 2015 : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2690639130;
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 9
3 Ibid., p.9.
1
111
porteur de valeurs communes martiales (l'héroïsme, la force, l'honneur...)1, c'est
le caractère unique du narrateur qui est mis en avant : « Mais j’ai contemplé tant
de choses (...) Je n’accepte pas de me dissoudre dans l’oubli. Je ne peux me
résoudre au silence, à l’immobilité. Je ne peux me résigner à l’effacement ; aux
noces de terre, avec ma dot de chevaux, d’or, de vin et d’armes pliées »2. Dans un
même paragraphe, Jaworski met donc en tension la peur de l'oubli et de la mort
avec la célébration du monde et de ses plaisirs ; c'est un thème traditionnel de la
littérature : Eros et Thanatos.
Mais en allant plus loin, on constatera que le narrateur préfère, dans
l'absolu, se tourner vers des questions plus introspectives : « Où se trouve la
vérité ? Que m’importe la vérité ? Je sais que je ne la saisirai plus »3. Le prologue
est, en fait, une litanie angoissée où les figures d'accumulation dramatisent la
représentation : « Je ne veux pas figurer dans les rangs de ces fantômes
anonymes dont les exploits, les victoires, les souffrances, les amours ne sont plus
rien »4. Il s'agit d'une peur qui doit être conjurée par la métamorphose du héros
en mythe : « Je serai, principe souverain et héroïque ; jusqu’à ce jour, peut-être,
où mon masque guerrier se confondra avec la face hiératique des idoles »5.
Jaworski, en ce sens, nous invite probablement à réfléchir aux origines des
mythes, questionnant, de fait, le rôle de la création littéraire par rapport à cela.
Nous pourrions y voir l'influence de Rank6, d'Emma Jung7 et de Carl Jung8,
Mon commerce, c’est la guerre (...) Mes ennemis les plus féroces m’ont apporté les butins les
plus précieux (...) J’ai tué tant de héros ! », ibid., pp. 8,10. Le « je » est ici universel, un modèle,
parce qu'il renvoie à i, schéma plus large, des valeurs plus grandes, comme c'est le cas dans la
chanson de geste, ou dans la société celtes. Le « je » doit donc être universel et sortir de simple
rôle de déictique de la personne parce que, « Les celtes pensent plus nous que je », comme
l'explique Olier MORDREL, in Olier MORDREL, op. cit., p. 15.
2 Ibid., p. 10
3 Ibid., p. 10
4 Ibid., p. 10
5 Ibid., p. 12.
6 Otto Rank à propos des origines du mythe : « Presque tous les peuples (...) nous ont transmis,
dans de multiples légendes et œuvres littéraires, des traditions dans lesquelles ils ont glorifiés,
depuis les temps les plus anciens, leurs héros, leurs rois et princes « , in Otto RANK, op. cit, p. 31
7« La fascination et la vitalité qui émanent des mythes et des contes proviennent de ce qu’ils
expriment des formes premières de l’expérience humaine », in La Légende du Graal, Sciences et
Symboles, Emma JUNG, Marie Luise VON FRANZ, Paris, Albin Michel, 1992, p. 29.
8 Car Jung parle d'une figure « primordiale », bien réelle, à l'origine d'un mythe. C'est la théorie
de l'archétype, in Carl Gustav JUNG, Psychologie de l’inconscient, Préface, traduction et
annotation par le Dr. Roland Cahen, Chêne – Bourg / Genève, Georg Editeur, 1993, p. 130.
1«
112
concernant la théorie de l'archétype. Enfin, la peur d'être oublié est, supposonsle, un message adressé au lecteur. En ce sens, Jaworski demande au lecteur de
ne pas oublier son héros et de lui prêter une oreille attentive, sorte de captatio
benevolentiae. A plus forte raison que le récit est une saga et l'écriture du tome 3
est toujours en cours.
Ce prologue est donc l'antithèse d'un incipt in medias res (présentant
souvent le spectacle d'une nature furieuse, d'un combat, d'un danger imminent,
ou d'une action dans le texte), que l'on retrouve beaucoup dans la littérature de
fantasy : « Le ciel se déchira et la foudre s'abattit à travers ses coutures torses »1,
« La nuit embrasée palpitait comme un cœur orange »2, « Mieux vaudrait rentrer,
maintenant, conseilla Gared d'un ton pressant, tandis que, peu à peu, l'ombre
épaississait les bois à l'entour, ces sauvageons sont bel et bien morts »3, « Pippin
risqua un coup d'œil hors de l'abri du manteau de Gandalf »4. Comme nous le
constatons, l'auteur se place en rupture par rapport aux choix d'incipit que nous
venons de présenter. Ainsi, Même pas Mort est, pour Jaworski, le moyen de
proposer de nouveaux critères de définitions pour le genre. Si la guerre et le
combat, la gloire et l'honneur sont aussi présents dans le récit, l'incipt illustre un
choix de traitement textuel novateur : la quête initiatique est déjà passée. Le but
de confier le récit à l'Ionien exprime la volonté de vouloir faire la synthèse d'une
existence à son crépuscule. Il s'agit à la fois de célébrer, mais également de
réactiver, par le discours du narrateur, la geste du héros. Néanmoins, cela ne
signifie pas que Jaworski place l'introspection et le lyrisme au détriment de
l'action. Comme nous le savons, et le chapitre des « Marches Ambrones » le
confirme5, l'action pure n'est pas négligée dans le roman. En ce sens, l'auteur
Greg KEYES, op. cit., p.11
John MARCO, Des tyrans et des rois, (1), traduit par Michèle Zachayus, Paris, Pocket, 2003, p. 9.
3 G.R.R. MARTIN, op. cit., p. 7.
4 J.R.R. TOLKIEN, TOLKIEN, John Ronald Reuel, traduit par Francis LEDOUX, Le Seigneur des
anneaux (3, Le Retour du Roi), Folio, Paris, Gallimard, 2000 p. 17.
5« En y mettant tout son poids, Segillos a donné de violents coups de pied dans l’un des étais ;
quand il a commencé à le déloger, quelques guerriers ambrones l’ont repéré et ont enfin compris
ce qu’il faisait. J’ai hurlé pour le prévenir : il s’est jeté en arrière pour éviter deux traits, dont l’un
s’est fiché dans la porte à hauteur de son cœur. En un groupe compact, les Ausques ont bondi
depuis la passerelle et les murs », in Jean-Philippe JAWORKSI, op. cit., p. 131. Ce passage prouve
que l'auteur ne néglige pas les scènes de batailles, même si le roman cherche la rupture avec la
fantasy.
1
2
113
semble appliquer ce que Camus explique pour le lyrisme : « C'est l'équilibre de
l'évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d'accéder en même temps à
l'émotion et à la clarté »1. L'évidence, en l'occurrence, est également la capacité de
l'auteur à écrire de manière très visuelle.
2) Des figures de styles pour une écriture visuelle
On retrouve plusieurs figures de styles récurrentes dans le récit. Observons
quelques exemples. La description est » un développement obligé de la
narration, pratique discursive sous la forme d’un morceau textuel »2.
Ce
développement « obligé » apparaît comme central dans le roman de Jaworski,
avec le sens du détail poussé à son maximum, comme c'est le cas ici : « Au bout du
harassement, on accédait à des éblouissements. A force de douleur, le corps
s’effaçait, se transformait en pur mouvement (...) Avec nos braies croûtées de
boue et nos pieds saignants »3. En ce sens, l'auteur rejoint la tradition
tolkienienne de la description quasi exhaustive des actions, tout en proposant un
traitement textuel vraisemblant de la scène. Par ailleurs, c'est la vue qui est
régulièrement convoquée: « La nuit tombante a gommé les rides les plus cruelles,
a voilé les tempes creuses et les tâches brunâtres du crâne, a estompé les plis
flasques du cou »4. On observe ici une véritable peinture des faciès qui n'idéalise
pas les combattants. Jaworski cherche, une fois de plus, à rendre très
vraisemblable son récit par l'utilisation particulièrement poussée de la
description, des personnages dans leurs états les plus vrais5 : souffrance, douleur
et laideur. L'effort de vraisemblance, l'expression d'un certain « réalisme magique
Albert CAMUS, Sisyphe, Folio, Paris, Gallimard, 1985, p. 16.
Georges MOLINIÉ, op. cit., p. 113.
3 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.76.
4 Ibid., p. 51.
5 D'ailleurs, l'utilisation du « je » est un gage de vérité, puisque c'est le narrateur lui-même qui
rapporte les faits, et qu'il raconte son récit à l'Ionien. Celui-ci n'a pas d'autre choix que de le
croire: « Tu ne peux me refuser cette faveur. Tu ne peux aller contre le cours de ma volonté. Ceux
qui se dressent contre moi ne vivent guère ! Si tu rejettes mon offre, je ferai saisir tes biens et ta
personne (...) pour moi, je ne garderai que ta tête. Je dirai: « Voyez : celui-ci était un trafiquant
ionien qui fit injure à mon hospitalité. Alors buvez, dévorez, riez ! Nul ne peut se dérober à ma
générosité sans me faire outrage. » Et admets-le, je suis magnanime : si tu refuses de perpétuer
ma mémoire, moi, j’aurai soin de préserver la tienne. Je ferai de toi le compagnon de tous mes
festins. Tu raconteras ma vie », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., pp. 7, 8.
1
2
114
» une fois de plus, peut-être, comme but de réhabiliter un patrimoine par son
rendu textuel qui se voudrait fidèle à la réalité. Il s'agirait donc d'écrire une «
fantasy vraie », qui s'écarte implicitement des héros parfaitement beaux
affrontant esthétiquement dragons et vouivres. Jaworski cherche ainsi, a priori,
la représentation directe et non biaisée d'une civilisation et d'une troupe de
guerriers allant au combat. Cependant nous pourrions peut-être aussi y voir un
parti pris, afin de marquer une rupture par rapport au genre. Mais la description
n'est pas le seul outil utilisé par l'auteur pour rendre son roman très visuel.
On retrouve chez Jaworski l'usage du paradoxisme1, comme l'illustre
l'exemple suivant : « Il a refusé la mort »2. La proposition antithétique en
question est représentative de la tension narrative et des choix énonciatifs dans
le roman. Cette figure de style est le point de départ de la fabula et, à la
différence de la description des combattants, rappelle au lecteur que le roman
s'inscrit dans un genre utilisant aussi le merveilleux. D'ailleurs, la prosopopée 3
est tout à fait présente dans Même pas Mort : Eppia, Taruos, le maître du
Garrissal et autres créatures issues du monde celtique interagissent avec le héros
narrateur. Il en va de même lorsqu’il rencontre Oico ou bien, fugacement, son
père : « j’ai senti la main de mon père se poser sur ma tête »4 . Puisque la
frontière entre les morts et les vivants, les créatures magiques et les hommes est
poreuse, la prosopopée occupe une place de choix dans le roman. L’un des
derniers exemples de prosopopée est la tête coupée s’agitant dans le sac :
« Malgré
sa langue pourrie, malgré ses lèvres tirées sur ses dents, elle
chuchote »5 , concluant le roman, et affirmant le statut central de la figure et
donc du merveilleux dans le récit. Nous avons donc, dans l'écriture de Jaworski,
plusieurs biais qui sont mis en tension : d'un côté une représentation de la société
gauloise cherchant la vraisemblance, d'un autre, des propositions exprimant le
1«
Artifice du langage par lequel des idées et des mots ordinairement opposés et contradictoires
entre eux, se trouvent rapprochés », in Pierre FONTANIER, op. cit., p. 379
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.24.
3 « Figure de style qui met en scène les absents, les morts, les êtres surnaturels, ou même les
êtres inanimés : le faire agir, parler, répondre », in Bernard DUPRIEZ, op. cit., p. 364.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.264.
5 Ibid., p. 297.
115
merveilleux. L'auteur affirme ainsi sa posture entre rupture et continuité par
rapport au genre
D'autres figures du discours sont évidemment mises en œuvre par
l'auteur. L'hyperbole, la métaphore et la réification sont des procédés courants
dans le roman. La réification1, comme le prouve l'exemple suivant, est un moyen
de dramatiser une écriture se voulant martiale : « Nous devenions bourrasque
dansant sur les pâtures, flux dévalant les cluses »2. L'auteur soutient l'action
narrative par des choix formels et des stratégies d'écriture relevant de la
littérature « classique ». Il y a là un véritable effort de faire de Même pas Mort un
ouvrage ne s'adressant plus à des enfants, mais à des adultes. Pour aller plus loin
en ce sens, observons les métaphores. Rappelons que, selon Ricœur, c’est
« l’énoncé entier qui constitue la métaphore, mais l’attention se concentre sur un
mot
particulier
dont
la
présence
justifie
qu’on
tienne
l’énoncé
pour
métaphorique »3 . C’est exactement le cas, par exemple, dans la proposition
suivante : « Alors, quand venait le soir, avec nos masques blanchis de bave, avec
nos braies croûtées de boue et nos pieds saignants, nous étions presque déçus de
devoir bivouaquer. »4 « Avec nos masques blanchis de bave » est une métaphore in
absentia, « dans laquelle, un seul terme, le comparant, est marqué dans
le discours »5 . Ici, l’allitération en « b » vient s’ajouter au rapport sémantique
soutenu qui existe entre « blanchis » et « bave », achevant de métaphoriser le
visage en masque un sauvage. Précisons, par ailleurs, que Jaworski utilise
grandement l'hyperbole. L’hyperbole « augmente ou diminue les choses avec
excès, et les présente bien au-dessus (...) de ce qu’elles sont, non dans la vue de
tromper, mais d’amener à la vérité même6« et dont les mots « peuvent conserver
leur signification propre et littérale, et s’ils ne doivent pas être pris à la lettre, ce
n’est que dans l’expression totale qui résulte de leur ensemble (...) L’hyperbole
« Procédure narrative qui consiste à transformer un sujet humain en objet, en l'inscrivant dans
la position syntaxique d'objet à l'intérieur du programme narratif d'un autre sujet », in Trésor de la
Langue Française Informatisé :
(http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1303523280).
2 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 76.
3 Paul RICŒUR, La métaphore vive, Points, Paris, Seuil, 1975, p. 110.
4 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 76.
5 Georges MOLINIÉ, op. cit., p. 215.
6 Pierre FONTANIER, op. cit., p. 123.
1
116
doit porter le caractère de bonne foi »1 . Voilà un procédé que l’on retrouve ici,
poussé à l'extrême : « J’ai suffoqué dans un déluge de souffrance car en me
déplaçant, mes compagnons avaient arraché la lance que j’avais dans la poitrine
à l’étreinte du mort »2. Nous pouvons constater que l'auteur souligne souvent les
actions dans le texte par l'hyperbole. De plus, les hyperboles dans le roman ne
sont pas toujours utilisées de manière isolée. Elles s'associent à des figures de
comparaisons ou de gradations : « il ne faudra pas seulement être brave, il faudra
être fort »3. C'est également le cas avec l'exemple suivant : « les timbres d’airain
tonitruaient un tonnerre rauque, âpre comme la roche qui nous attendait ; ils
ricochaient sur les coteaux, résonnaient dans les futaies, emplissaient la voûte
céleste (...) il a mugi aussi menaçant qu’une tourmente, il a roulé comme une
tempête de haine »4. En l'occurrence, le lecteur est volontairement mis en
présence de tous les éléments de la description. C'est la vision de Bellovèse qui
prime et le lecteur ne peut donner libre cours à son imagination : le narrateur
chercher à faire voir ce qui doit être vu, et à aider le lecteur à se figurer
directement le récit qui lui est donné. Jaworski cherche ainsi à dramatiser le
récit, à rendre plus forte l'action et la tension au sein de l'énonciation. L'auteur
tend donc à aller vers un récit plus sublime, dans une volonté rattacher son
roman aux grandes épopées. En effet, nous avions vu que l'hyperbole était une
caractéristique de l'écriture des mythes celtiques5, et que la fantasy se réclamait
de l'épopée6. En l'occurrence, l'auteur cherche à apposer son récit aux cadres
définissant les légendes anciennes de la littérature celtique mais aussi à adopter
une langue soutenue et riche en figures. Il y a donc un double enjeu, au vu de
l'analyse de l'écriture de Jaworski : changer de public tout en s'inscrivant dans le
droit fil des récits fondateurs. Toutefois, ces outils littéraires que sont les figures
du discours ne sont pas les seuls présents dans le roman de Jaworski. On
retrouve aussi, dans Même pas Mort, des alternances évidentes dans les niveaux
Ibid., p. 123.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 133
3 Ibid., p.135.
4 Ibid., p.127.
5 Cf. Partie II.
6 Cf. Introduction.
1
2
117
de langage et des procédés qui ne sont pas spécifiques au genre romanesque, à
savoir, les procédés théâtraux.
3) Des niveaux de langage et des stratégies de représentation
Les caractéristiques de l'écriture de Jaworski ne se limitent pas à
l'utilisation de figures de grammaires traditionnelles de la littérature. On
retrouve aussi, comme nous le précisions plus haut, une alternance des niveaux
de langue et l'utilisation de procédés propres au genre théâtral. Le choix de telles
formes soulève des questions d'ordre poétique et formelles que nous allons
analyser dans cette partie. Voici quelques exemples qui soulignent la tension des
niveaux de langue dans le roman : « Je serai, principe souverain et héroïque ;
jusqu’à ce jour, peut-être, où mon masque se confondra avec la face hiératique
des idoles1« et « Tu pues, jeune con ! (...) cela m’aurait épargné de te voir faire le
fanfaron avec la tête de ma mère au fond de ton carnier ! »2 ; « J’en ai rien à
foutre. C’est tes valets d’armes, tu dois les tenir ! »3, puis « J’ai été flambé par une
extase plus violente qu’un coup de maillet (...) Une houle de colère a secoué les
guerriers, crevassé nos figures d’hommes, fracturé nos timbres »4. On voit donc
que les niveaux de langue se juxtaposent dans le roman. Avec le familier retrouve
assez systématiquement le soutenu. Que ce soit dans une même proposition, ou
sur l’ensemble du récit, cette tension linguistique caractérise Même pas mort. Il
ne s’agit pas tout à fait d’un « vice du discours »5 , comme le qualifie George
Molinié, mais d’un jeu sur le « niveau de style »6. En réalité, une partie de
l’efficacité de l’écriture de Jaworski tend vers « l’excellence dans le style bas »7 .
En effet, la « tripartition canonique (bas-moyen-sublime) est neutre du point de
vue de la valeur de niveau (...) et que l’on s’oriente ainsi vers l’idée d’une égale
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 12.
Ibid., p. 282.
3 Ibid., p. 107.
4 Ibid., p. 80.
5 Georges MOLINIE, Dictionnaire de la rhétorique, Les Usuels de Poches, Paris, Le Livre de Poche,
1992, p. 229.
6 Ibid., p. 229.
7 Ibid., p. 229.
1
2
118
dignité de chacun des trois niveaux de style »1. Ainsi, si l’on peut faire de
l’excellence avec le style bas, il convient de considérer, en ce sens que « pour
l’écrivain, la dignité serait dès lors indépendante de la hiérarchie »2 . De facto
Jaworski conserve, en ce sens, la « dignité » puisqu’il ne rend pas « débile »3 son
discours. Enfin, ces exemples nous prouvent que le « style bas » est utilisé en
discours direct (« j'en ai rien à foutre, c'est tes valets »), et que le style soutenu est
attribué au récit et à la description (« jusqu’à ce jour, peut-être, où mon masque
se confondra avec la face hiératique des idoles »). Le style courant décrit la réalité
du combat, une situation physique, et insupportable. Le style plus élevé magnifie
pour sa part l'horreur de la guerre pour les élever au rang de héros, au rang «
d'idoles », inscrivant le récit dans le mythe.
Mais d’autres auteurs de fantasy prennent également le parti de
s’approprier le « style bas », comme Cédric Ferrand ou China Miéville4, pour ne
citer qu'eux. Nous pouvons le constater avec l'exemple suivant : « Oh si, Polkan.
Sauf peut-être pour le merdeux que j’ai foutu dehors dès le premier jour »5. La
fantasy relève, comme nous l’avons vu, de l’épopée. Or, précisons que l’épopée ne
néglige pas, pour sa part, d’alterner les niveaux de langue. Il ne s'agit donc pas là
d'une caractéristique nouvelle. On la retrouve dans la chanson de geste, par
exemple6, mais aussi dans le récit fondateur qu'est l'Iliade et ce rapidement, dès
les premiers chants7. Ainsi, la véritable fracture relève des écrivains de fantasy
entre eux, par rapport à Tolkien qui n'utilisait pas de « style bas », par exemple.
Ibid., p. 229.
Ibid., p. 229.
3 Ibid., p. 229.
1
2
China Miéville est un écrivain anglais dont le travail consiste à s'affranchir de l'héritage de
Tolkien. Il s'agit d'une rupture brutale, et dont nous reparlerons dans la partie III.C.3.
5 Cédric FERRAND, op. cit., p. 157.
6 La chanson de geste est riche en détails sanglants et violents, et parfois en « style bas » : « Par
mi le chief, ruiste cop del tinel/Que le cervel li fet del chief voler », in La Prise d'Orange, op. cit., p.
77.
7 Dans l'Iliade, Achille n'hésite pas à insulter Agamemnon de manière assez violente, le traitant
de « sac à vin », par exemple : « Cependant, le fils de Pélée de nouveau, en mots insultants,
interpelle le fils d’Atrée et laisse aller sa colère : « Sac à vin ! œil de chien et cœur de cerf 18!
Jamais tu n’as eu le courage de t’armer pour la guerre avec tes gens, ni de partir pour un aguet
avec l’élite achéenne : tout cela te semble la mort ! Certes il est plus avantageux, sans s’éloigner
du vaste camp des Achéens, d’arracher les présents qua reçus à quiconque te parle en face. Ah ! le
beau roi, dévoreur de son peuple ! il faut qu’il commande à des gens de rien : sans quoi, fils
d’Atrée, tu aurais aujourd’hui lancé ton dernier outrage », in HOMERE, l'Iliade, traduit par Eugène
BARESTE, Paris, Lavigne Editeur, 1843, chant 1.
4
119
De facto, l'auteur s'écarte de l'écriture tolkinienne, et se place, comme nous le
voyons, auprès d'une génération d'auteurs en rupture. Après tout, comme le
souligne Michel Meyer dans l’introduction à la Rhétorique d’Aristote, la
rhétorique « traite de l’usage du discours, pour plaire comme pour convaincre,
pour plaider comme pour délibérer »1. Le choix d'écrire avec le style bas dans un
style bas est aussi une façon de « plaider » la cause d'une fantasy nouvelle.
Cependant, et à la différence de China Miéville, par exemple, ou de Cédric
Ferrand, nous avons pu constater que Jaworski maîtrisait aussi le style
« sublime »2, pour reprendre la terminologie de Molinié. Le travail de l'auteur ne
consiste, dès lors, pas seulement à exister en contradiction avec Tolkien, mais à
amener le public et les écrivains à réfléchir sur les moyens d'aller vers une un
renouvellement du genre. Enfin, nous pouvons supposer que l'insertion de mots
familiers, voire orduriers, intervient dans le processus de vraisemblance. En
effet, il serait difficile d'imaginer des guerriers celtes du I er Age de Fer combattre
sans s'insulter. Cependant, si l'alternance des niveaux de langue peut être
comprise comme un moyen de justifier la pertinence du récit, il en est tout
autrement des procédés théâtraux.
Les procédés théâtraux sont rares dans le roman. Mais ils méritent d'être
étudiés, d'autant que Même pas Mort appartient au genre romanesque. Ainsi, et
peut-être parce qu’elles sont issues d’un monde magique, les Mères s’expriment
par le biais d’un discours très spécifique. Le discours se traduit d’abord par
l’utilisation d'anaphores : « Bien sûr que non, Ségovèse, fils de Sacrovèes. Bien
sûr que non, Ségovèse, fils du mort. Bien sûr que non, Ségovèse, fils de rien ! »3.
Cette figure macrostructurale selon laquelle le discours se développe en faisant
se succéder des indications de plus en plus fortes »4 , se retrouve au cœur du
dispositif énonciatif de l'extrait5, comme ici : « Quelle muflerie ! Quelle
irrévérence ! Cette insolence est intolérable »6. Outre la gradation, c’est bien
ARISTOTE, Rhétorique, Paris, Le Livre de Poche, 1991, p. 5.
Cf. partie III.B.2.
3 Ibid., p. 217.
4 Georges MOLINIÉ, op. cit., p. 159.
5 Cf. pp. 214, 219, in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit.
6 Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p. 216.
1
2
120
l’anaphore qui est la figure du discours principale et qui amène l'écriture
théâtrale :
-Je suis Celle qui Prend. -Je suis la Très brillante. -Je suis l’origine. -Je suis la folie. -Je
suis la souveraineté. -Je suis le renoncement. -Je suis le commencement. -Et je suis
indéfiniment (...) -Voyez : le vieux n’est pas ce qu’il paraît. -Voyez : l’aîné des garçons a une
lance dans le flanc. -Voyez le cadet des garçons cherche son double. -Voyez : le cadet des
garçons retourne dans la forêt. -Voyez : l’aîné des garçons frémit au chant des flûtes. Voyez : le vieux porte de nouveaux bois.1
Dans cet extrait, l’anaphore du terme « voyez » complète une structure
spécifique organisée autour des substantifs suivants : « vieux-aîné-cadet-cadetaîné-vieux ». Cet aspect répétitif prend la forme des prophéties les plus obscures,
mais il est en réalité, loin d’être inintelligible, puisque l'organisation du dialogue
ressemble de très près au théâtre, exactement à la stichomythie2. Ce procédé
théâtral, très connu, est utilisé chez les auteurs classique, comme Corneille, par
exemple :
«
SEVERE
–
Je
veux
mourir
des
miens :
aimez-en
la
mémoire/PAULINE – Je veux guérir des miens : ils souilleraient ma gloire »3 .
Nous pouvons y voir également la marque d'un polylogue, propre aux « tragédies
classiques qui concourt à un véritable lyrisme choral »4. Alors pourquoi utiliser le
procédé de la stichomythie et du polylogue ? Nous devons nous d'abord rappeler
que le récit est pluriel5 : Bellovèse jeune racontant ses périples aux Vieilles, alors
qu'il relate déjà son histoire à l'Ionien ; lui-même chargé de le transmettre par la
suite. Même pas Mort est, comme nous le précisions donc dans les parties
précédentes, un roman dans le roman. En ce sens, il y a une véritable mise en
scène de la geste de Bellovèse, une théâtralisation de sa quête initiatique.
Bellovèse rejoue ainsi le rôle de son existence au profit de la remembrance. En
mélangeant les genres littéraires, Jaworski propose ainsi une réflexion sur la
genèse de l'œuvre de fiction et sur la théâtralisation du récit. Le passage des
Mères pourrait, en ce sens, être compris de plusieurs manières : l'analyse
formelle nous permet de saisir en quoi l'alternance rapide des dialogues donne un
1
Ibid., p. 219.
Dialogue [qui] créé une rapidité qui convient, dans les moments intenses (...) aux heurts d’idées,
de volonté, des sentiments, in Alain COUPRIE, Le théâtre, La collection universitaire de poche,
Paris, Armand Colin, 2009, p.15.
3 CORNEILLE, Polyeucte, Paris, Le Livre de Poche, 1988, acte II, scène 2, vers 548-550.
4 Alain COUPRIE, op. cit., p. 15.
5 Cf. Partie II.
2
121
ton merveilleux à la rencontre, tout comme elle rappelle au lecteur que Même pas
Mort est la représentation d'une existence par la voix de son propre personnage.
Enfin, nous pourrions y voir une volonté de briser les barrières entre les genres
littéraires. Jaworski se poserait ainsi en rupture par rapport à Tolkien, et se
placerait aux côtés des écrivains dont l'essentiel du travail est caractérisé par le
mélange des littératures dites « de genre », plus généralement, sur un travail de
frontière entre les genres, et la déconstruction des codes littéraires établis par
Tolkien - comme c'est le cas, pour ces propositions, de China Miéville. Cela nous
amène, nécessairement, à devoir comprendre et situer l'écriture de Jaworski dans
la fantasy.
C) Comprendre et situer l’écriture de Jaworski
Afin de comprendre les enjeux que soulève le roman, il est important de
situer l'ouvrage dans la fantasy, et dans la bibliographie de l'auteur. Même pas
Mort occupe une place particulière dans la bibliographie de Jaworski. Il présente
de réelles similitudes avec son premier roman, Gagner la Guerre, mais aussi, de
profondes différences qu'il faudra étudier afin d'établir en quoi Jaworski cherche
à redéfinir le genre. L'étude de la démarche de rupture ne saurait, par ailleurs,
éluder la question d'un roman présentant de fortes ressemblances, d'un point de
vue poétique, avec Même pas Mort : Celtika. Nous évoquions l'œuvre
précédemment et la comparions avec Même pas Mort sous un angle historique et
esthétique. Nous allons, dans cette partie, et grâce à l'étude formelle, voir en quoi
les deux récits utilisent les mêmes procédés, et supposer, éventuellement, si
Jaworski s'est appuyé sur Holdstock pour mettre en place une partie de sa
poétique. Enfin, il nous faudra réfléchir au fait que Jaworski propose une
nouvelle fantasy. En ce sens, il s'agira de voir s'il est véritablement le seul à
s'éloigner de l'héritage de Tolkien s'il le fait de la même manière que les écrivains
cherchant une coupure nette.
1) Quelle place pour Même pas Mort dans la bibliographie de l’auteur ?
122
Même pas Mort présente des ressemblances avec d'autres récits dans la
bibliographie de Jaworski. De prime abord, nous avons pu constater dans les
parties précédentes que l'auteur privilégiait l'écriture à la première personne, en
particulier pour ses deux premiers romans que sont respectivement Gagner la
Guerre et Même pas Mort. De même, nous avions vu qu'un cadre « historicisant »
était fréquemment utilisé par l'auteur pour créer ses romans. Les personnages
qu'il crée sont, d'un certain point de vue, semblables en plusieurs points :
Bellovèse tue, c'est un guerrier professionnel, tout comme Benvenuto est un
assassin, dans Gagner la Guerre, Cecht un barbare dans Janua Vera, ou bien
encore Aedan, un chevalier habile, dans le même recueil de nouvelles. La guerre
occupe ainsi une place de choix dans ses écrits, comme le prouve le titre de son
premier ouvrage, Gagner la Guerre et le cadre narratif de Même pas Mort. Mais
les grandes scènes de combat tant que l'on retrouve chez Tolkien, et
contrairement à ce que les titres de Jaworski peuvent laisser entendre, ne sont
pas présentes dans les romans. Gagner la Guerre est avant tout un roman
d'intrigues politiques et d'assassinats, plaçant l'action au cœur d'une cour
corrompue, à défaut d'un véritable champ de bataille. Quant à Même pas Mort, et
c'est tout l'objet de la précédente partie, il s'agit d'un roman de l'introspection et
de la quête pour la vie. Les deux œuvres partagent donc le même paradoxe : celui
d'annoncer de grandes charges épiques pour proposer au lecteur un traitement de
la violence tout à fait différent. On comprend donc rapidement que l'auteur
s'éloigne de l'archétype tolkienien du héros déshérité en quête de son trône
légitime, comme l'annonce le titre du troisième tome du Seigneur des Anneaux :
le Retour du Roi puisque derrière leurs figures martiales, Benvenuto et
Bellovèse, laissent entrevoir une sensibilité importante : une
réflexion
introspective artistique pour l'un, et une passion notable pour l'art concernant
l'autre1. Précisons, enfin, d'un point de vue plus formel, que les deux romans
Benvenuto trahit sa passion pour la peinture, et son expertise en la matière (lui-même ayant été
élève d'un maître avant de devenir assassin) lorsqu'il décrit un tableau, comme le montre
l'exemple suivant : « Sur le plan artistique, la force du trait était renversante (...) la rapidité de
d'exécution tendait à les transformer en épure. Les caractère n'en ressortait qu'avec plus
d'agressivité, mis à nu par le mélange de maîtrise et d'urgence », in Jean-Philippe JAWORSKI,
Janua Vera, op. cit., p. 362.
1
123
présentent la même écriture riche en métaphores, et en alternance de
« style bas » et de langue très soutenue.
Toutefois, Même pas Mort occupe une place à part dans la bibliographie de
Jaworski. D'abord, il s'agit du premier annoncé comme la première partie d'un
tryptique, dont le deuxième tome est déjà paru1, et le troisième en cours
d'écriture. De plus, c'est le seul qui cherche à s'ancrer directement dans
l'Histoire. Même pas Mort utilise des personnages connus et attestés, comme
« Ambigat » ou « Bellovèse » alors que Gagner la Guerre fait référence
indirectement à l'Histoire, notamment grâce à l'outil linguistique (« Ciudalia »,
« podestat »...2). A ce propos, précisons que dans son deuxième ouvrage, Jaworski
n'utilise presque plus les néologismes, contrairement à ce qui a donc été fait dans
Gagner la Guerre. Concernant les dates de l'œuvre que nous étudions, l'auteur
mélange, volontairement et plus directement Histoire et fiction dans une époque
repérable : entre -600 et -400 avant notre ère. Il en va de même pour les lieux,
majoritairement existants et situables. L'intrigue, Gagner la Guerre, bien que
ressemblant à la Renaissance, ne saurait être datable, ni localisable puisque le
cadre du récit est un espace et un temps totalement fictifs. De plus, Jaworski fait
souvent référence, dans Même pas Mort, aux textes plus anciens, en particulier
celtiques, comme la Geste de Cûchulainn3, ne serait-ce qu'en faisant de Bellovèse,
un avatar du héros mythique celtique4, ou en faisant intervenir des dieux
attestés du panthéon gaulois, ce qui n'est pas le cas de Gagner la Guerre qui,
pour sa part, ne fait pas intervenir de figures connues de l'Histoire. Par ailleurs,
la structure narrative de Même pas Mort ne saurait être comparée au premier
roman de l'auteur. Gagner la Guerre est un roman, chronologiquement parlant,
linéaire, c'est à dire à l'opposé de Même pas Mort, comme nous l'avons étudié
dans la deuxième partie.
Cependant, Même pas Mort est le prolongement du travail de redéfinition
du genre commencé par Jaworski avec Gagner la Guerre. L'auteur se place en
Jean-Philippe JAWORSKI, Chasse Royale, op. cit.
Cf., partie I.A.3., pour l'étude précise des occurrences, notamment le néologisme définissant la
fille fictive de « Ciudalia ».
3 Cf., partie I.
4 Ibid.
1
2
124
rupture par rapport à la fantasy puisque son écriture cherche à changer de public
et de références (littéraires esthétiques et mythologiques), et à placer l'Histoire
au centre d'une réflexion sur l'érudition et le processus créatif, bien que les
moyens mis en œuvre, comme nous venons de le voir, diffèrent pour les deux
romans. Nous pourrions supposer que Même pas Mort va simplement plus loin
que ce qui a été entrepris dans le premier roman de Jaworski. Par exemple, nous
expliquions que Gagner la Guerre utilisait déjà l'Histoire comme moyen créatif.
Même pas Mort fait de même en utilisant, non pas des néologismes, mais des
mots gaulois, et des figures attestées dans le récit. Fondamentalement, la
bibliographie romanesque de l'auteur tend ainsi à se séparer des codes d'écritures
traditionnels de la fantasy ; sans rupture totale, néanmoins, Jaworski applique
un traitement textuel novateur à ses écrits, le différenciant des romans issus de
la lignée des mythes anglo-saxons, que ce soit pour Même pas Mort ou Gagner la
Guerre. L'analyse de cette question nous amène cependant à savoir si Jaworski
est le seul à opérer un tel renouvellement, en particulier concernant notre roman.
En réalité, une autre œuvre se rapproche beaucoup de la poétique de Jaworski : il
s'agit de Celtika, de Robert Holdstock.
2) Une poétique similaire : Celtika
Nous évoquions dans la première partie de notre étude le cas de Celtika, et
les ressemblances1 d'un point de vue historique entre les deux ouvrages. Nous
traitions, en ce sens et dans les précédentes parties, les différents substrats
mythologiques et les sources historiques ayant pu être utilisées par l'auteur dans
Même pas Mort par rapport à Celtika. Nous allons examiner à présent, quelles
sont les ressemblances formelles entre les deux ouvrages, les questions en jeu par
le choix de tels moyens, et plus particulièrement, chercher à comprendre s'il y a
eu un apport de Celtika pour Même pas Mort. D'abord, les deux textes sont écrits
à la première personne et invitent le lecteur à réfléchir, grâce à la voix de leur
Pour revoir les différences historiques et esthétiques entre Celika et Même pas Mort, se référer
à la partie I.2.A.
1
125
narrateur, aux grandes questions de l'existence1. L'emphase et la dramatisation
restent les outils privilégiés par les auteurs pour tenter d'exprimer inquiétudes
des personnages2, comme nous allons le voir. Ainsi, Merlin, dans Celtika,
traverse avant tout un monde en guerre et suit une troupe de Gaulois en quête
d'un pillage. A la différence de Bellovèse, il ne se réjouit pas de la guerre 3, mais il
assiste à différents combats :
A voir les deux hommes se frapper avec des pierres, puis lutter, les bras emmêlés, tomber et
patauger, refaire surface en se crachant dessus, à être témoin de cette épreuve de force
désespérée, j'avais l'impression d'assister à un de ces combats titanesques des débuts du
Temps lui-même. Contempler la mort ne m'avait jamais réjoui. A n'en pas douter, j'avais
déjà vu assez d'évènements sanglants pour satisfaire tout penchant morbide, en admettant
que j'eusse jamais eu ce travers4.
L'on retrouve dans cet extrait une longue proposition, soulignant la force du
propos par le biais de l'accumulation de verbes d'action (« frapper », « lutter », «
tomber », « patauger », « cracher ») et la majuscule sur le « Temps », personnifiant
le concept en question, faisant référence aux textes fondateurs de la mythologie
grecque, à savoir le combat des Titans à l'aube de la Création. Holdstock utilise
ainsi l'emphase pour souligner le caractère épique du récit, tout en précisant que
son narrateur ne se prête guère à ce genre de spectacle. Ainsi, grâce à la
référence aux grands mythes fondateurs, nous sommes en continuité par rapport
au genre (la guerre et l'héroïsme étant mis en avant), tout en s'écartant
néanmoins de la passion martiale qui est sensée animer le narrateur comme c'est
le cas de la chanson de geste, récit dont la fantasy se réclame 5. Finalement, bien
Les deux narrateurs partagent les mêmes questions d'ordre existentiel, de la place de l'homme
dans un univers qui le dépasse, et qui apparaît, bien souvent, angoissant et obscur pour l'un, mais
beaucoup plus beau et propice à l'aventure pour l'autre. »Des années durant, alors que je
parcourais le Chemin, il m'avait semblé que le monde autour de moi était entré dans une nuit
perpétuelle », in Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 123, et « Le monde est une mélopée infiniment
morne et infiniment multiple, le monde est un chemin aux horizons sans cesse recomposés, le
monde est un royaume taillé dans la matière même du rêve. C’est une merveille ; indifférente, qui
m’a appris la saveur de l’angoisse. Le monde est un vertige », in Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit.,
p. 9
2 Cf., partie III.B.3 pour l'analyse formelle de l'écriture de Jaworski, en particulier concernant
l'utilisation de l'emphase.
3 « Ségovèse et moi, nous essayions de paraître aussi blasés que les héros, mais en fait, nous
étions excités comme des chiots. Nous allions avoir notre premier combat », in Jean-Philippe
JAWORSKI, op. cit., p. 120.
4 Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 45.
5 Cf., Introduction.
1
126
qu'il y ait quelques différences, on retrouve chez les deux auteurs, un intérêt
pour les figures d'emphase, qu'il s'agisse de l'hyperbole, de la gradation, ou de
l'accumulation.
Nous pouvons également relever une autre caractéristique formelle, tout à
fait révélatrice dans les récits. En effet, souvenons nous que Bellovèse ne se
définit comme « Celte » qu'en de rares occasions et ce uniquement lorsqu'il
s'adresse à l'interlocuteur ionien1- un étranger, donc. Pourtant Même pas Mort
est un roman se déroulant dans le cadre de la culture celte, exploitant les
connaissances historiques et anthropologiques du patrimoine en question. Il en
va de même pour Celtika qui, également, ne parle jamais de celtes, mais de
« Keltoï »2, terme grec pour désigner les celtes, et systématiquement en italique.
Les deux romans traitent donc de gaulois, de celtes, et de culture celtique, sans
jamais toutefois prononcer ces noms directement (le titre du roman de Holdostock
étant la seule occurrence ressemblant au mot « celtique »). Evidemment, et nous
l'avons vu dans la partie consacrée à l'Histoire, les gaulois ne se désignaient pas
comme celtes eux-mêmes. Mais d'un point de vue purement formel, et au delà des
questions de vraisemblance, il apparaît que les deux récits entretiennent une
certaine pudeur vis-à-vis à du terme que nous évoquons. Il s'agit donc d'exprimer
un certain respect face à l'Histoire, mais surtout d'illustrer un autre point : ne
pas nommer directement un objet, un concept, ou à défaut, l'exprimer en
présence d'un étranger, ou dans ce qui n'est pas la langue source du lecteur, le
rend plus « magique ». Les deux auteurs nous invitent, ainsi, à entrer dans une
communauté de lecteurs qui acceptent les enjeux d'un basculement des substrats
esthétiques, mythologiques et historiques. Holdstock et Jaworski n'écrivent donc
pas un roman d'aventure chez les Celtes, mais cherchent avant tout à redonner
un ton merveilleux au « fond diffus celtique »3, encore peu exploité en fantasy,
pour reprendre la terminologie de Philippe Walter. Précisons, de plus, que pour
ces auteurs, il ne s'agit pas tout à fait de réécrire la légende arthurienne qui,
comme nous le savons, est grandement inspirée des mythes celtiques. Leur
Cf., partie II.C.3.
« Le Keltoï montrait des signes d'impatience. », in Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 241.
3 Cf., partie I.C.1.
1
2
127
œuvre consiste plutôt à créer une fiction à partir des mythes existant avant la
geste arthurienne, avec l'aide des connaissances de l'Histoire, de l'archéologie et
de l'anthropologie et grâce à certaines figures emphatiques du discours. En un
mot, leur travail, et c'est donc leur grande similitude, est avant tout la
réhabilitation du patrimoine gaulois par le biais des moyens de la fiction
contemporaine.
Enfin, nous devons regarder à nouveau comment les auteurs parlent des
duels. Il s'agit de l'exemple le plus frappant, mais qui exprime les mêmes moyens
formels mis en œuvre. Nous avions précédemment étudié ce passage d'un point
de vue historique. Observons à présent comment les auteurs le traitent d'un
point de vue formel :
Je vois que tu as mendié, emprunté, et volé une belle collection d’armes. Ces grands
boucliers sont impressionnants, mais ils ne me contiendront pas. - Je serais très étonné que
tu aies traîné toutes ces armes avec toi depuis ton foyer. Tu as dû mendier, toi aussi. Est-ce
bien un protège-sexe de pierre que je vois là ? Tu dois avoir réellement peur de la puissance
de ma lame. – Je te le prête volontiers, si tu promets de ne pas l’utiliser traîtreusement
comme arme de jet.- Seul un couard tel que toi envisagerait ce genre de traîtrise. Garde-le,
il me servira à lester ton cadavre jusqu’au fond de la mer, quand je procéderai à tes
funérailles !1
Comme chez Jaworski :
- Tu n’es qu’un gros lourdaud si tu ne m’as pas reconnu, fils de rien ! a craché le borgne. Je
suis Comargos, fils de Combogiomar, roi des Séquanes, fils de Bonnoris roi des Séquanes !
Ecarte-toi avec tes larbins, maintenant que tu mesures ton erreur et que ton cœur frémit de
peur ! {...} – Du vent l’infirme ! a-t-il grondé. Ta gueule abîmée ne me fera qu’un demitrophée. Elle déparera à côté de celle de Helasse de Tarelle, que j’ai terrassé avant de
rapporter aux Pétrocores les trente chevaux qu’il leur avait volé. – Un voleur de bétail, tu
n’as pas mieux comme dépouille ? Le héros qui m’a pris cet œil, il s’appelait Remicos, fils de
Belinos, rois du Turons. Il est mort de ma main le même jour que son frère Sacrovèse, sur le
champ de bataille !2
Les propositions sont construites de la même manière, de façon exclamative,
et interro- exclamative. La façon d'exprimer textuellement le défi et la colère sont
donc les mêmes. On précisera aussi l'usage de l'insulte, relativement proche : « du
vent, l'infirme ! » et « tu as dû mendier », ainsi que du « style bas » : « est-ce bien
un protège sexe de pierre que je vois là ? », et « écarte-toi avec tes larbins ».
Cependant, le « style bas » n'es pas poussé jusqu'à la vulgarité la plus extrême
dans les deux extraits. Les adversaires se toisent et s'insultent sans tomber dans
1
2
Robert HOLDSTOCK, op. cit., p. 99.
Jean-Philippe JAWORSKI, op. cit., p.81
128
le vulgaire. En effet, les personnages s'insultent de « lourdeau », ou de « couard »
sans aller plus loin de le détail trivial. Il y a, ainsi, dans les deux textes, une juste
mesure de la violence et du « style bas ». On notera également la récurrence du
champ lexical de la peur et du vol. De plus, les deux guerriers se présentent de
force égale, sans que l'un ne s'incline face à l'autre. Leur puissance physique
semble être à la mesure de leur vantardise. Tous ces éléments, en comprenant
ceux que nous avancions dans les parties précédentes, tendent à formuler une
hypothèse. Même pas Mort a été écrit en 2013, et Celtika, en 2001. Nous
pourrions donc nous demander si Jaworski n'a pas puisé des éléments textuels et
esthétiques dans le roman de Robert Holdstock. Mais précisons, par ailleurs, et
concernant les auteurs francophones, qu'il s'agit d'une nouveauté, puisque
Jaworski est le seul auteur français à écrire de la sorte. Il s'inscrirait donc dans
un nouveau courant européen de littérature de fantasy qui ne cherche pas une
rupture brutale, mais un renouvellement du genre par la réappropriation
d'autres codes, et par l'exploration de nouvelles voies. Mais son projet est placé de
manière quelque peu paradoxale par rapport à certains auteurs de fantasy qui
n'utilisent, dans leur volonté d'évolution avec Tolkien, pas les mêmes moyens et
n'ont, pas nécessairement, les mêmes objectifs.
3) Vers une nouvelle fantasy ?
Tolkien est le kyste sur le cul de la littérature de fantasy. Son œuvre est massive et
contagieuse : vous ne pouvez pas l'ignorer, n'essayez donc même pas. Le mieux que vous
puissiez faire, c'est d'essayer d'en crever l'abcès. Car il y a beaucoup à exécrer : sa
suffisance wagnérienne, ses aventures bellicistes en culotte courte, son amour étriqué et
réactionnaire pour les statu quo hiérarchiques, sa croyance en une moralité absolue qui
confond morale et complexité politique. Les clichés de Tolkien (elfes, nains, et anneaux
magiques) se sont répandus comme des virus. IL a écrit que le rôle de la fantasy était de «
réconforter », créant ainsi l'obligation pour l'écrivain de dorloter le lecteur. 1
La citation de China Miéville illustre très bien la tension contemporaine au
sein de la fantasy. Il s'agit, selon lui, pour les auteurs du genre de faire un choix :
opter pour une rupture brutale, ou se contenter de réécrire du Tolkien. L'objet de
notre étude a, en effet, mis l'accent sur la volonté de rupture de la part de
Jaworski. Cependant, nous avions observé que la rupture ne se faisait pas de
1
Epigraphe de China Miéville, in Wastburg, op. cit., p. 9.
129
manière aussi radicale que celle sous entendue par Miéville. Jaworski élude
certes « elfes et nains », mais conserve certaines approches linguistiques utilisées
par Tolkien1. Et comme Tolkien, Jaworski s'approprie un substrat mythologique.
Seulement, il ne s'agit plus du même. Ainsi, Jaworski ne cherche pas à « ignorer »
Tolkien, au contraire, il tire parti de ses écrits pour aller plus loin, et proposer un
renouvellement du genre : changement de public, place essentielle de l'Histoire et
utilisation du patrimoine culturel gaulois dans le processus créatif. Mais pour
aller dans le sens de Miéville, Même pas Mort ne cherche pas à « réconforter le
lecteur ». Il l'amène, en réalité, dans des zones d'incertitudes : il suffit de
constater que l'action se déroule dans une Gaule qui semble exotique aux yeux du
lecteur pour le comprendre. Les repères traditionnels de la fantasy sont
également brouillés : schéma narratif perturbé, organisation temporelle
déconstruite. C'est d'ailleurs, peut-être, la limite de l'auteur. A plusieurs reprises,
nous évoquions, en effet, la question de l'hermétisme. Par la cherche d'un public
plus adulte, d'une écriture exigeante, en brouillant les repères narratifs
traditionnels du genre, en utilisant trop de noms gaulois, de références difficiles à
cerner,
l'auteur prend le risque de perdre son public. Cependant, toute
innovation dans le traitement textuel est à ce prix.
Par ailleurs, la pertinence du récit tient, en partie, dans le travail de
réinvention de l'Histoire. En effet, nous savons à présent que l'auteur s'appuie
sur des recherches archéologiques et des figures attestées. Mais nous avons
observé que l'auteur jouait aussi sur les incertitudes des faits historiques.
Jaworski se pose donc en véritable artisan d'une érudition qu'il intègre à la
fiction. Il s'agit de repenser l'Histoire, de la réinventer, de faire de cette science
matière à une érudition joueuse, tout en affirmant le caractère novateur du
procédé en question. C'est, véritablement une redéfinition des critères de la
fantasy. Jaworski prend donc, sans analogie abusive, le rôle du barde gaulois
dont le rôle essentiel dans la société celtique était la préservation des savoirs,
mais aussi, quelque part, la transformation du fait en récit. Et c'est le seul auteur
français à se séparer de Tolkien en utilisant ces ressorts.
1
Cf. l'exemple de « Attegia » et de « Khazad-dûm », dans la partie III.A.1.
130
Enfin, l'imaginaire spécifique de l'auteur, le paradigme évoqué dans le récit
de notre étude, cette poétique s'appuyant sur un ancrage celtique, apparait
comme une certaine idéalisation d'un patrimoine gaulois, un modèle qui servirait
de nouveaux cadres pour une nouvelle fantasy. Il y a ainsi une dimension
idéologique dans le travail de Jaworski, voire un projet européen. La fantasy, en
ce sens, ne saurait être l'apanage des auteurs anglo-saxons et de leur patrimoine
mythologique. Nous pensons donc que Même pas Mort est une invitation à
l'émergence d'une fantasy adulte faite à l'aide de substrats, cette fois-ci non pas
anglo-saxons, mais bien celtiques et tout particulièrement, gaulois.
131
CONCLUSION
La production de Jaworski témoigne d'un travail littéraire tout à fait
spécifique : elle prouve que l'auteur cherche à renouveler le genre de la fantasy,
comme le montre, son premier roman, Gagner la Guerre. Mais c'est le premier
tome Des Rois du Monde, Même pas Mort, qui illustre cela avec le plus de force.
En effet, aucun autre auteur francophone ne s'est positionné de la sorte par
rapport au genre. Seules quelques exceptions anglo-saxonnes, comme Celtika de
Robert Holdstock tendent à chercher de nouveaux critères de définition de
manière relativement similaires à Jaworski. Il s'agit ainsi d'une posture unique
que nous avons voulu comprendre grâce à la problématique du rapport entre
rupture et continuité face aux règles d'écriture du genre. Nous le savons, Tolkien
est le fondateur de la fantasy : il est à l'origine d'une production littéraire
pérenne dont le travail constitue le substrat créatif pour de nombreux auteurs de
paralittérature et de littérature.
Toutefois, certains écrivains opèrent une
rupture brutale avec Tolkien écrivant dans une perspective de négation de
l'héritage classique de la fantasy, comme l'a expliqué China Miéville. Ce n'est pas
exactement le cas de notre auteur bien qu'il s'éloigne du fondateur du genre à
bien des égards.
De prime abord, il est vrai que la geste créative de Jaworski est en
opposition avec Tolkien. L'auteur écrit en s’appuyant sur l'Histoire, en l'utilisant
comme un véritable outil littéraire, un moyen de repenser la place du savoir au
sein du genre et de critiquer l'exhaustivité voulue par la fantasy ; l'Histoire est
également un gage de vraisemblance chez Jaworski, caractéristique de "l'effet de
réel" qui explique notamment le choix d'une écriture visuelle et réaliste et le
"réalisme magique". La différence avec Tolkien est fondamentale, puisque pour ce
dernier, la fabula est, en elle-même, un gage de vraisemblance. Ainsi, chez
Tolkien, et comme nous l'avons vu dans la première partie, nul besoin de justifier
le récit, nul besoin de rendre crédible, par exemple, la fée, dans la mesure où elle
est, par nature, plus réelle qu'une usine1. Jaworski, au contraire, cherche à
"Le château le plus abracadabrant qui sortit jamais du sac d’un géant dans un fantasque conte
gaëlique est beaucoup plus vrai qu’une usine" 1, in Vincent Ferré, op. cit, p. 110.
1
132
rendre l'aventure plus plausible : la représentation de la société celte est
minutieusement décrite, grâce aux connaissances historiques. On retrouve ainsi
dans le roman le clientélisme gaulois, qui n’est pas sans rappeler la vassalité
médiévale. De plus, l'auteur organise son récit autour de personnages historiques
attestés, comme Bellovèse ou Ambigat ; il relate, avec minutie les us et coutumes
celtes, comme la peur d'être maudit par un barde, pratique avérée des filid1
irlandais, ou encore la nécessité de couper des têtes pour s'élever dans la société.
L'anthropologie a ainsi, comme nous l'avons étudié dans la deuxième partie, joué
un rôle essentiel dans le processus créatif. Il en va de même pour la langue.
Même pas Mort prouve que l'auteur se réapproprie une langue morte, le celtique,
par l'usage de surnoms, par exemple (comme "Bel' ", ou "Segillos"). Si le roman
est, bien évidemment, écrit en français, les termes relatifs à des référents
toponymiques le sont en celtique, comme "Cruesa", pour la Creuse. On ne trouve
pas non plus, et contrairement à Tolkien, de véritables néologismes, excepté
quelques créations lexicales, mais toujours faites à partir du gaulois, comme c'est
le cas d'"Attegia". Par ailleurs, là où Tolkien célèbre essentiellement l'épopée,
l'auteur de notre étude choisit de se concentrer sur l'introspection, la quête
initiatique se faisant alors aventure du "moi", à travers le souvenir et la
célébration de la mémoire transmise, sans toutefois négliger la description de la
guerre. D'ailleurs, les hauts faits du héros, contrairement à ce que l'on retrouve
dans le Seigneur des Anneaux se sont déjà déroulés. Même pas Mort est, en
réalité, un roman en deux parties : l'une voit l'action et la description souvent
écrite dans un "style bas sublimé", pour reprendre Molinié, l'autre est complétée
par la voix de Bellovèse à la fin de son existence, dans un style beaucoup plus
soutenu et parfois lyrique, comme nous l'avons vu dans la troisième partie. Ainsi,
on retrouve une superposition des voix chez Jaworski : Bellovèse jeune dans la
forêt, adolescent face aux Vieilles puis, à la fin de sa vie, devant faire la synthèse
de son existence à un Ionien, lui-même chargé de transmettre le récit. Le rapport
au temps est également beaucoup plus complexe chez Jaworski. Chez Tolkien, les
événements du Seigneur des Anneaux sont censés précéder notre époque, celui
1
Equivalent du barde gaulois.
133
des hommes, une ère où la magie s'est définitivement retirée du monde. Comme
nous l’avons souligné dans la première partie, la chronologie narrative est
forcément très linéaire. C'est exactement l'opposé chez Jaworski, dans la mesure
où la temporalité narrative est disloquée : le récit remonte le temps, par le biais
de moments achroniques, d'ellipses et d'analepses, suivant le schéma du rinceau :
un cercle concentrique qui pourrait renvoyer aux représentations de l'ouroboros.
Par ailleurs, l'auteur joue avec les frontières des genres, utilisant des procédés
pour la mise en scène qui ne sont pas sans rappeler le théâtre : polylogues et
stichomythies font aussi partie du roman. Il y a donc un véritable travail de
renouvellement du genre par l'utilisation de ces ressorts. Enfin, précisons que le
choix d'écrire un récit dans l'univers gaulois n'est pas sans conséquences. La
fantasy est, ne l'oublions pas, un genre originellement anglo-saxon. Le
patrimoine exploité dans le roman de notre étude est tout autre : c'est une
célébration des figures mythologiques celtiques, peu connues du public : Grannos,
Lug, Rosmerta, ou encore Esus, sous couvert du "Bon Maître", sont convoqués à
défaut des dieux scandinaves que l'on retrouve couramment dans la fantasy.
Paradoxalement, Jaworski nous fait découvrir un univers exotique qui devrait
être familier : celui de la culture gauloise. Il s'agit, en l'occurrence, d'un moyen
pour interpeller le lecteur sur le besoin d'un renouveau en fantasy, d'un projet
européen qui placerait le "fond diffus" celtique à place égale avec l'ancrage
mythologique anglo-saxon. Par ailleurs, Jaworski ne cède pas à la facilité de
réécrire la matière de Bretagne qui appartient également aux anglo-saxons.
L'auteur va, a contrario, chercher les sources qui ont eu un impact sur les récits
arthuriens, les lais et les gestes, à savoir, la littérature celtique elle-même comme
la Geste de Cûchulainn. L'auteur ne cherche donc pas à "réconforter" le lecteur,
comme le dit Miéville, mais il l'invite à réfléchir à un renouvellement du genre.
Autre conséquence, l'ensemble de ces questions sous-entend la présence d’un
public adulte et non plus adolescent. Jaworski est exigeant avec le lecteur, que ce
soit d'un point de vue historique, esthétique, ou formel. L'effort de rupture
s’oriente donc vers la volonté d'ériger la fantasy en littérature et non en
paralittérature, souvent associée à un public de jeunes adultes. Finalement, et
134
sur ce point, il rejoint Tolkien qui ne destinait pas Le Seigneur des Anneaux aux
enfants.
La rupture n'est pas non plus totale, entre Tolkien et Jaworski, sinon
l'auteur serait assimilé aux écrivains comme Miéville. Par exemple, si les figures
utilisées sont différentes, leur fonction énonciative reste la même au sein du
roman. Epona, pour ne citer qu'elle, est certes méconnue du public en tant que
divinité celtique, mais elle remplit la même fonction qu'Arwen, elle même
inspirée des "dames fées" médiévales, comme nous le démontrions dans la
deuxième partie. Les grandes étapes du conte sont, de plus, respectées. Bien
qu'elles ne soient pas dans l'ordre proposé par Propp, les différentes phases de la
quête initiatique préparant le héros à un destin hors du commun dans le roman
sont présentes dans le roman.. En effet, Bellovèse est un héros qui va devenir
"matière à chant"1, comme Aragorn, partant à la reconquête de son trône, dans
un monde où la magie et les lieux intermédiaires jouent rôle important.
Précisément, ce qui est en rapport avec la fonction cardinale du merveilleux se
retrouve dans Même pas Mort. Il y a dans le récit, par exemple, un au-delà et des
rivières qui permettent de passer dans d'autres mondes ou encore, des bois
monstrueux. Le merveilleux, principale caractéristique de la fantasy chez
Tolkien, occupe ainsi une place importante dans le roman. Enfin, rappelons que
Jaworski n'a de cesse de se réclamer de Tolkien. Bien que l'on puisse y voir une
façon de justifier son récit par
l'appel d'une figure tutélaire, il y a bien un
rapport de continuité entre les deux auteurs. Le Seigneur des Anneaux est un
roman de la vie, dans lequel les petites gens sont confrontées au désastre de la
mort. On retrouve la même angoisse dans Même pas Mort : au delà de la question
de l'épopée se trouve, en effet, la figure de l'écrivain confronté à sa propre finalité
et des moyens dont il dispose pour transcender l'oubli et se poser en maître du
temps. Jaworski cherche, enfin, à occuper une place dans un genre en constante
évolution et dont les productions sont nombreuses et variées. L'écrivain ne
saurait donc exister sans public, mais il doit savoir créer sans pasticher s'il veut,
comme Bellovèse, faire de son récit "matière à chant". L'auteur n'a donc pas
"Tu vas franchir un seuil. Désormais, quoi qu’il se passe, en bien ou en mal, tu vas devenir
matière à chant", in Jean-Philippe Jaworski, op. cit., p. 230.
1
135
choisi d'écrire un semblant de Tolkien, ni de faire de Même pas Mort, un roman
en totale opposition avec le fondateur du genre. On pourra éventuellement
s'interroger sur la pertinence de cette dernière approche. Ecrire des textes en
opposition avec Tolkien ne fait, finalement, qu'aller dans le sens des codes
d'écritures contestés, puisque la raison d'être du récit ne serait que contradiction
par rapport aux règles établies précédemment. Il semble que pour Jaworski, le
renouvellement de la fantasy soit synonyme de juste mesure et non pas d'excès.
Jaworski se place ainsi entre rupture et continuité et tente de trouver sa place
parmi les grands conteurs du genre, comme Barjavel déclarant, dans le prologue
de l'Enchanteur :
Aux bardes, conteurs, troubadours, trouvères, poètes, écrivains, qui depuis deux-mille ans
ont chanté, raconté, écrit l'histoire des grands guerriers (...) célébré les exploits, les amours,
et les sortilèges (...) aux écrivains, chanteurs, poètes, chercheurs d'aujourd'hui qui ont
ressuscité les héros de l'Aventure, à tous (...) je les prie de m'accueillir parmi eux 1.
La présence de l'auteur pourrait être, en ce sens, matérialisée dans le récit
par le personnage d'Albios, à l'origine un barde inconnu qui peut changer les
destins par la parole : "Personne ne souhaite blesser un barde, à qui la tradition
confère le pouvoir d’imposer une trêve jusque sur un champ de bataille"2, "pour
ce que j’en sais, ce compagnon est d’extraction obscure ; et pourtant, chez nos
hôtes, Albios se voit plus honoré que Sumarios et moi, qui sommes de noble
naissance"3. Un auteur qui, comme un barde, doit gagner des duels poétiques4 :
"Ses tours lui ont permis de remporter, dit-on, plus de trente duels poétiques"5.
Car il s'agit pour Jaworski de remporter une bataille essentielle : faire de la
fantasy un genre francophone s'appuyant sur un substrat gaulois,
jouant avec l'Histoire et inspiré de la culture celtique,
un récit
caractéristiques
également présentes dans le tome suivant de l’ouvrage, Chasse Royale. Enfin, il
s’agit d'un moyen pour Jaworski de se différencier de la foule d'écrivains de
René BARJAVEL, L’Enchanteur, Folio, Paris, Gallimard,1984, p.1.
Jean-Philippe JAWORKSI, op. cit., p. 31
3 Ibid., p. 16.
4 Même pas Mort a rempoté de nombreux prix, dont le prix Imaginales, (consulté le 17/08/16) :
http://www.imaginales.fr/pages/prix-imaginales
5 Ibid., p. 16.
1
2
136
paralittérature afin d'ériger le roman de fantasy en littérature et au passage, de
gagner un nom dans les mémoires.
137
ANNEXES
A) Index Nominum
p. 139
B) Index Loci
p. 150
C) Index Rerum
p. 154
D) Schéma de l'organisation temporelle
p. 158
E) Carte des tribus gauloises selon Jules César
p. 159
138
A) Index Nominum
1- Les noms propres humains
N.b. : Les noms sont parfois complétés de surnoms (+). L’ensemble des occurrences citées dans tous les index
renvoient à l’ouvrage étudié : JAWORSKI, Jean Philippe, Même pas Mort, Première Branche, Les Rois
du Monde 1, Montélimar, Les moutons électriques, 2013.
Acumis, pp. 54, 63, 148, 149, 159, 167,168, 169, 178, 184.
Adrucco, pp. 272.
Agomar, pp. 173, 177.
Albios, pp. 15, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35,
36, 37, 38, 39, 43, 45, 47, 48, 50, 153, 154, 155, 156, 157, 168, 169, 170, 171,
172, 174, 175, 180, 242, 266, 267, 269, 270, 271, 272, 273, 274,275, 276, 278,
279, 280, 281, 283, 284, 294, 295, 296.
Ambigat, pp. 22, 24, 47, 55, 59, 62, 126, 141, 143, 171, 173, 174, 178, 209,
278, 279, 280, 281, 283, 289, 293, 294, 295, 296.
Ambimagetos, pp. 24, 56, 60, 70, 73, 91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 103, 105, 109,
113, 114, 116, 117, 118, 119, 124, 125, 129, 244.
Ambisagre, pp. 61, 79, 100, 172, 278, 279, 283, 287.
Arganthonios, pp. 102.
Artahe le magicien, pp. 81.
Banna, pp. 148, 149, 150, 152, 154, 155, 158, 161, 178, 179, 180, 181, 184,185,
185, 186, 187, 188, 189, 190, 192, 211, 213, 238, 245, 246, 247, 248, 249, 251.
139
Belinos, pp. 81, 110, 258, 289, 290.
Bellovèse pp.17, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 35, 37, 43, 47, 59, 94, 110, 135, 142, 146,
157, 162, 163, 165, 168, 177, 196, 197, 206, 217, 240, 241, 242, 244, 252, 253,
254, 255, 258, 259, 260, 261, 265, 273, 275, 279, 283, 284, 285, 288, 290, 294,
295.
+ Bel, pp. 105, 135, 136, 208, 209, 227, 235, 244, 245, 246.
Blatuna, pp. 156.
Bonnoris, pp. 81.
Bouos, pp. 24, 59, 70, 73, 93, 94, 95, 96, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 115, 116,
118, 119, 133, 136, 174, 260, 287.
Bebrux, pp. 72, 110.
Brogitar, pp. 80.
Carerdo, pp. 88, 98, 248, 254.
Caruavinda, pp. 156, 157.
Cassimara, pp. 43, 44, 72, 169, 170, 171, 172, 173, 175, 176, 177, 179,
183, 211, 264, 281.
Cintusamos, pp. 20, 21, 23, 24, 25, 26, 27, 28.
Comargos, pp. 24, 54, 56, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 68, 70, 72, 73, 75, 77,
78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 95, 97, 98, 103, 104,
112, 113, 114, 115, 116, 118, 119, 120, 122, 123, 124, 126, 127, 133, 141,
174, 244, 254, 270, 284, 287.
140
Combogiomar, pp. 80, 87, 103, 254, 292.
Comrunos, pp. 25, 40, 48, 49, 62, 171, 279, 287, 291, 292.
Cutio, pp. 54, 62, 68, 70, 73, 77, 79, 80, 87, 96, 107, 110, 134, 135, 152, 156, 159,
160, 161, 164, 166, 226, 276.
Dago, pp. 53, 54, 57, 59, 63, 144, 148, 149, 151, 154, 158, 162, 164, 169, 178, 184,
191, 246, 247.
Dannissa, pp. 55, 56, 60, 73, 93, 140, 141, 142, 164, 165, 168, 170, 172, 173, 196,
197, 217, 279, 283.
Donn, pp. 61, 174, 272, 273, 274, 275, 289, 296.
Diastumar, pp. 279.
Diovicos, pp. 59, 268.
Eluisso, pp. 21, 26, 27, 28.
Eluorix, pp. 70, 72, 73, 80, 169, 170, 171, 172, 173, 175,179, 183.
Enata, pp. 184, 185, 189, 190, 191, 192, 193, 197, 204, 234, 235, 237, 242, 246.
Eposognatos, pp. 72, 80, 82, 120.
Giamos, pp. 88.
Gudumaros, pp. 15, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 31, 37, 40, 267.
141
Helasse, pp. 81.
Icia, pp. 58, 62, 63, 144, 147, 158, 164, 167, 168, 169, 184, 245.
Matumar, pp. 81.
Matunos, pp. 61, 63, 65, 67, 75, 77, 78, 120, 124, 133, 158, 244.
Mezukenn, pp. 85, 100, 101, 102, 103, 113, 118.
Nauo, pp. 15, 16, 17, 29, 30, 31, 32, 33, 267, 269.
Oico, pp. 78, 79, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 97, 98, 99, 112, 248, 254, 255, 256, 257,
296.
Orgete, pp. 88.
Prittuse, pp. 62, 94, 171, 174, 175.
Remicos, pp. 60, 81, 208, 268, 284, 288.
Ruscos, pp. 54, 57, 58, 63, 147, 149, 154, 169, 178, 179, 180, 184, 185, 191, 217,
246 247, 249, 250.
Sacrovèse, pp. 22, 23, 28, 43, 47, 56, 60, 67, 81, 110, 142, 161, 217, 238, 240, 241,
243, 252, 253, 258, 262, 273, 283, 284, 285, 289, 293, 294.
+ Sacro, pp. 284, 286, 287, 288, 289, 290, 292.
Secorix, pp. 37, 209, 291, 292.
Segomar, pp. 59, 141, 142, 174, 273, 274, 275, 287.
142
Ségovèse, pp. 52, 53, 54, 59, 60, 61, 65, 67, 70,71, 72, 75, 78, 88, 91, 94, 104, 105,
107, 114, 115, 120, 126, 127, 128, 131, 139, 164, 168, 196, 217, 221, 223, 227,
244, 256, 260, 266, 270, 278, 283.
+Segillos, pp.54, 57, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 68, 71, 73, 94, 104, 129, 130, 131,
132, 134, 135, 135, 140, 141, 147, 148, 151, 152, 153, 158, 159, 160, 163, 164,
168, 170, 179, 180, 181, 182, 183, 184,185, 186, 187, 188, 189, 190, 192, 193,
205, 212,214, 215, 216, 217, 219, 220, 221, 222, 224, 225, 226, 227, 231, 235,
238, 240, 244, 245, 246, 247, 248, 250, 256, 257.
Suagre, pp. 61, 63, 65, 66, 67, 68, 76, 78, 79,80, 82, 120, 123, 129, 130, 133, 158,
244, 272.
Sumarios, pp. 15, 16, 17, 22, 24, 25, 26, 30,31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 48,
49, 50, 54, 55,56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 70,71, 72, 73,
75, 77, 79, 80, 82, 87, 89, 93, 95, 96, 103,104, 106, 107, 108, 109, 110, 113,
114, 115, 116, 117, 120, 122, 123, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132,133,134,
136, 137, 142, 143, 146, 147, 151, 152, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167,
170, 171, 173, 175 180, 183, 184, 192,217, 226, 227, 241, 244, 245, 248, 252,
266, 267, 269, 270, 271, 272, 272, 274, 275, 276, 279, 284, 296.
Sumotos, pp. 15, 22, 63, 106, 142, 152, 169, 192, 272.
Suobnos, pp. 53, 54, 147, 150, 151, 156, 168, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 187,
188, 189, 190, 192, 193, 194, 195,196, 197, 198, 199, 203, 204, 205, 206, 208,
209, 210, 212, 213, 214, 215, 216, 218, 219, 221, 222, 223, 224, 225, 226,227,
228, 230, 231, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 240, 241,244, 246, 247, 251, 255,
256, 257, 258, 259, 263, 287.
+ Gutuater, pp.81, 141, 209, 287, 290, 291, 292.
+ Morigenos, pp.81, 209, 290, 291, 292.
Taruac, pp. 91, 92, 97, 98, 100, 103.
143
Taua, pp. 54, 63, 147, 148, 149, 151, 154, 160, 170,178, 179, 184, 217, 245, 246,
247, 248, 249.
Tigernomagle, pp. 4, 56, 74, 85, 91, 93, 95, 96, 97,98, 99, 100, 101, 102, 103, 104,
109, 110, 112, 113, 114,118, 227, 281.
Trogimar, pp. 103.
Troxo, pp. 72, 73, 74, 75, 76, 79, 80, 81, 82, 83, 84,85, 90, 91, 93, 95, 100, 102, 104,
105, 108, 109, 110,113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123,124,
127, 169, 170, 172, 175, 183, 287.
Uidhu, pp. 199, 200, 201, 202, 203.
Uisomaros, pp. 274, 279.
Uossios le Porcher, pp. 80, 169.
2- Les dieux et créatures magiques.
N.b. : Les noms sont parfois complétés de surnoms (+).
Ana, pp. 218.
Le Bon Maître, pp. 70.
Epona Rigantona, pp. 258
+ Eppia, pp. 258, 259, 260, 216, 262, 263, 264, 265, 266.
Binnis, pp. 156, 157, 242.
Bledios (loup), pp. 195, 196, 203, 204, 213.
+ Blédios le Gris, pp. 196.
144
Cassibodua, pp. 44, 46, 47, 49, 50, 51, 177, 281.
Clarissant, pp. 218.
Celle qui donne, pp. 218.
Celle qui Prend, pp. 218.
Cunocoilos, pp. 242.
Dougheter, pp. 218.
Duxtir, pp. 218.
Le Forestier, pp. 150, 182, 189, 191, 192, 195, 199,200, 201, 202, 203, 249, 253,
254, 255.
Les Gallicènes, pp. 25, 26, 27, 28, 29, 31, 35, 37, 44,45, 48, 49, 51, 52, 177, 267,
269, 270, 273, 281, 292.
Grannos, pp. 245, 247.
Guinevere, pp. 218.
Guivre, pp .30, 33.
Hannah, pp. 218.
Lug, pp. 10, 22, 90, 133, 152, 157, 216, 229, 271, 278,290.
Magdalena, pp. 218.
145
Le maître du Garrissal, pp. 230, 231, 232, 233, 235, 239,241, 242, 243, 244.
+Seigneur des Bêtes, pp. 189, 190, 191, 192.
+Seigneur des Forts, pp. 92, 189, 190, 230, 237, 242.
Maryam, pp. 218.
Matir, pp. 218.
Matrona, pp. 218.
Mélusine, pp. 218.
Memantusa, pp. 43, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 267.
Les Mères, pp. 50, 216, 219.
Morgause, pp. 218.
Morigana, pp. 218.
Nemetona, pp. 218.
Nerios, pp. 135, 164, 245.
Nimue, pp. 218.
Ogmios, pp. 63, 92, 93, 157, 230, 260.
Pédauque, pp. 218.
Rosmerta, pp. 245.
146
Saxena, pp. 36, 37, 40, 44, 47, 48, 49, 50, 51, 197, 262,269, 281, 283, 293, 294,
296, 297.
Taruos, pp. 221, 224, 225, 226, 228, 229, 231, 232, 233,234, 236, 237.
Tutinatia, pp. 218.
Tuto, pp.218.
La Très Brillante, pp. 218.
La Tribu de la Déesse, pp. 254.
Uoreda (Jument), pp. 261, 262, 263.
Le Vieux Peuple, pp. 45, 100, 112, 157, 199.
3- Les animaux
N.b. : Les noms sont parfois complétés de surnoms (+).
Bledios (loup), pp.195, 196, 203, 204, 213.
+ Blédios le Gris, pp. 196.
Buro (chien), pp. 82, 124.
Melinos (chien), pp. 82, 124.
Uoreda (Jument), pp. 261, 262, 263.
4- Les tribus et leur localisation contemporaine
Ambrones (Aquitaine), pp. 17, 22, 24, 25, 34, 35, 41, 53, 56, 57, 60, 62,70, 81, 85,
100, 101, 102, 113, 114, 117, 118, 119, 121, 122, 124, 125, 131, 133, 254, 270,
147
272, 273, 282.
Andes (Anjou), pp. 267.
Arvernes (Auvergne), pp. 22, 68, 70, 74, 75, 80, 82, 83, 84, 90, 92, 100, 109, 116,
120, 143, 153, 170, 171, 177, 181.
Ausques (Auch), pp. 100, 101, 113, 166, 118, 121, 124, 129, 131, 133.
Bébrykes (Pyrénées), pp.101, 102.
Bellovaques (Beauvais), pp. 81.
Bituriges (Berry), pp. 22, 41, 47, 68, 70, 79, 80, 85, 88, 90, 91,94, 96, 100, 103,
111, 113, 140, 141, 142, 143, 146, 152, 153, 169, 171, 172, 173, 199, 203, 209,
261, 267, 268, 269, 270, 272, 273, 275, 277, 281, 283, 286, 289, 293, 296.
Carnutes (Beauce), pp. 87, 209, 288, 290, 291, 292.
Cavares (Vallée du Rhône), pp. 81.
Hellènes (Grèce), pp. 7, 143.
Helviens (Alpes Suisse), pp. 63, 67.
Ioniens (Grèce), pp.8, 11, 66, 69, 112.
Lémovices (Limousin), pp. 24, 56, 62, 70, 74, 75, 85, 90, 91, 92, 93, 95, 97, 99,
100, 102, 103, 113, 114, 115, 116, 118, 281.
Nanmnètes (Bretagne), pp. 267.
148
Osismes (Sud de la Bretagne), pp.15, 17,18, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 29, 30, 31, 34,
40, 267, 269.
Pétrocores (Dordogne), pp. 81, 97, 103.
Rassenas (Etrusqes, Nord de l’Italie), pp. 7, 11, 69.
Santones (Sud Ouest de la France), pp.103.
Ségusiaves (Forez), pp. 97, 103.
Séquanes (Haute-Saône), pp. 81, 83, 84, 91, 119, 133, 209, 254, 284, 292.
Tarbelles (Dax), pp. 81, 101, 102.
Turons (Touraine), pp. 44, 56, 61, 62, 81, 87, 104, 110, 137, 140, 143, 154, 158,
174, 175, 208, 209, 229, 253, 267, 268, 273, 286, 288, 289, 292, 293.
Vénètes (Bretagne), pp. 267, 269.
149
B) Index Loci
1 - Les lieux en gaulois et leurs équivalences contemporaines
Les occurrences précédées de (?) indiquent des endroits impossible à situer .
a- Cités et villages
Ambatia (Tours), pp. 58, 81, 95, 139, 142, 143, 146, 147, 153, 174, 208, 209, 260,
268, 273, 292.
Argentate (Argentat), pp. 16, 24, 70, 85, 86, 89, 90, 91, 100, 101, 103, 115, 117,
121, 227, 296.
Attegia (?)(Seul néologisme présent dans le texte et relatif à un lieu. Il signifie :
"Petite cabane"), pp. 41, 43, 54, 62, 64, 68, 93, 113, 116, 143, 144, 145, 146,
147, 148, 149, 155, 156, 157, 158, 164, 167, 168, 176, 177, 178, 181, 184, 185,
190, 208, 217, 246, 251.
Bergorate (Bourg-Saint-Andélol), pp. 61.
Biliomagos (Billom), pp. 72.
Brattuspantion (Oppidum située dans l’Oise), pp. 81.
Brugues (Sarlat), pp. 181, 182, 183, 194, 199, 200, 201, 202.
Condevicnon (Nantes), pp. 267.
Lacydon (Vieux port de Marseille), pp.15.
Nemossos (Nîmes), pp. 169, 173, 175, 179.
Nériomagos (Néris-les-bains), pp. 22, 36, 37, 57, 59, 63, 64, 65, 70, 75, 88, 107,
150
108, 110, 126, 130, 134, 135, 142, 143, 146, 147, 152, 153, 158, 160, 161, 162,
163, 164, 166, 167, 168,169, 173, 180, 181, 192, 199, 205, 217, 221, 222,
226,247252, 266, 270, 272.
Uxellodunon (Puy d’Issolud), pp. 100, 101, 103, 104, 114, 115, 116, 117, 118,
120, 121, 122, 124, 125, 129, 131, 134, 137, 143.
b- Indications géographiques (Montagnes, bois, lieux-dits et territoires)
Cambolate (?), pp. 61, 147, 157, 178, 184, 212.
Cemmène (Massif Central), pp. 16, 56, 57, 68, 77, 146.
Coteau des Toches (?), pp. 194.
Grandes Foliades (?), pp. 182, 194, 203, 224, 225, 263.
Ivaonon (?), pp. 64, 68, 164, 247.
Les Marches Ambrones (frontières de l’actuelle Aquitaine), pp. 41, 53, 68.
Les Montagnes Blanches (?), pp. 112, 146.
Les Montagnes de l’Orage (Les Pyrénées), pp. 17, 101, 102.
Orcynie (Ardennes), pp. 62.
Senoceton (?), pp. 53, 62, 70, 147, 150, 167, 176, 179, 181, 184, 185, 189,
193, 194, 198, 199, 203, 207, 224, 250.
Tartessos (Sud de l’Espagne), pp. 17, 122.
151
Terre Blanche (Actuelle Angleterre et Ecosse), pp. 17, 20, 31.
Vernoialon (lieu-dit, en Touraine), pp. 167, 180.
Vorgannon (?), pp. 15, 17,18, 20, 22, 23, 267.
c- Les fleuves et rivières
Caros (Affluent de la Loire), pp. 58, 173, 177, 180, 181, 209, 266, 267, 268,
269, 289.
Cruesa (Creuse), pp.75, 77, 85.
Liger (Loire), pp. 56, 58, 60, 140, 155, 207, 209 267, 268, 286, 292.
Nerios (Source thermale de Néris-les-Bains), pp. 61, 157, 158, 180,
181, 183, 201.
Olt (Lot), pp. 81, 100.
Sequana (Saône), pp. 16.
Uidunna (Vienne), pp. 122, 125, 126.
d- Les mers, gués et caps et golfs
Cap Belerion (cap Land’s End), pp. 17.
Cap Kabaïon (Point du Pernmarc’h ou point du Raz), pp. 17, 25, 28, 37.
Golf Oestrymnique (Golf celtique), pp. 25.
152
Gué d’Avara (gué d’Yèvre), pp. 10, 36, 66, 72, 79, 89, 140, 143, 146, 152, 153, 155,
166, 171, 172, 173, 174, 183, 209, 244, 266, 267, 270, 277, 284, 287,288, 295.
Île Blanche, (?) pp. 101.
Île d'Ictis (Une île dans la Manche), pp. 17, 31, 101.
Mer Oestrymnique (Mer celtique), pp. 17.
2- Les lieux enchantés et l’au-delà
N.b. : La majorité de ces lieux fictifs ne sont pas situables, excepté pour l'île des Vieilles.
Chanière, pp. 189, 194, 195, 196, 197, 225.
Garrissal pp. 189, 190, 195, 225, 228, 232, 243, 250, 256.
L’île des Jeunes, pp. 98, 139, 143, 144, 146, 254, 260, 264.
L’île Heureuse, pp. 143.
L’île des Vieilles (actuelle île de Sein, Bretagne), pp. 13, 16, 17, 25, 26, 29, 31, 34,
35, 37, 38, 44, 63, 267, 268, 270, 271, 273, 281, 293.
Sedlos, pp. 254, 264.
Senoceton, pp. 53, 62, 70, 147, 150, 167, 176, 179, 181, 184, 185, 189, 193,
194,198, 199, 203, 207, 224, 250.
153
C) Index Rerum
1- Edifices religieux
Île des Vieilles (l’île de Sein, ou île des Vieilles, est historiquement connue pour
ses rituels religieux, comme le précise Pomponius Mela1. C’est également
sur cette île que Bellovèse se rend afin d’être délivré du tabou qui l’accable.
Le rituel religieux que le narrateur fait consiste alors à décapiter une
Gallicène et à raconter sa prime enfance aux sorcières), pp. 13, 16, 17, 25,
20, 29, 31, 34, 37, 38, 44, 63, 267, 268, 270, 271, 273, 281, 293.
Nemeton (sanctuaire druidique, lieu hautement symbolique et propice aux
cérémonies religieuses. Les gaulois sont très croyants, et l'impiété est une de
leur crainte les plus fondamentales. Respecter le Nemeton est une nécessité.
Dans l'ouvrage, d'ailleurs, l'endroit est un passage entre deux mondes. Le
"nemeton », apparait dans une « vasière », pleine de « buée d’abandon »,
vouée aux « dieux d’en dessous ». Il est qualifié à l’aide du lexique de l’eau,
croupissante entre autres, et symbolise un endroit consacré aux divinités
chtoniennes. Il s’agit là d’un ailleurs magique spécifique, différent de «l’audelà mythique qui s’oppose à l’autre monde, qui est celui- de la montagne ou
de la tombe»2 , comme le précise Lecouteux.), pp. 18, 26, 27, 78, 80,87, 218.
Tertre (Le tertre est un lieu hautement symbolique. C’est par le tertre
qu’arrivent les morts. Il occupe donc une fonction religieuse essentielle. Par
ailleurs, le tertre est le lieu qui réunit les deux castes dominantes de la
société celte : « ceux qui prient » et « ceux qui combattent ». En effet, Albios
et le Haut Roi encadrent le jeune Bellovèse à la fin du récit pour le préparer
au rite de passage à l’âge adulte), pp. 10, 28, 39, 254, 271, 276, 278, 286,
295, 296.
1
Cf. p.
2
Claude Lecouteux, op.cit., p. 192.
154
2- Calendrier et fêtes religieuses
Assemblée de Lug (ou Lugnasad. La grande fête celte qu’est Lugnasad est
une cérémonie royale, célébrée le 1er août en l’honneur du dieu Lug. C'est
une fête de l’abondance, agraire, économique, et ludique, où toutes les
couches sociales étaient présentes, où le roi dispensait richesse, réglait les
questions politiques et instaurait une trêve militaire en cas de conflit1), pp.
10, 22, 90, 133, 152, 157, 216, 229, 271, 278, 290.
Cantlos (Cantlos est un mois du calendrier celte, constitué de 29 jours,
généralement de mauvais augure, comme nous l’explique Venceslas Kruta,
dans son ouvrage Les Celtes, histoire et dictionnaire2), pp. 266.
Trois nuits de Samonios : Samain (Samain, comme nous l’indique Miranda James
Green3, est cette fête gaélique du 1er Novembre qui marque la fin et le
début de l’année, mais située hors du temps ; jour où le Sid est ouvert, où les
gens de l’autre monde se mêlent aux humains, où le temps terrestre n’a plus
cours. C'est la fête la plus importante chez les Celtes, réservée aux
guerriers, druides, et filid, et qui durait une semaine ; moment où le roi était
soumis à l’autorité du druide, seul intercesseur entre ce monde-ci et l’audelà. C'est aussi une fête où le passage entre les morts et les vivants est
uvert, selon Venceslas Kruta4), pp. 10, 28, 98, 154, 267,
Samonios (mois de la saison froide, automne. C’est un mois, une « saison froide
(...) liée aux souvenirs des morts5 », comme le souligne Lecouteux. Il porte l
e nom de la grande fête de Samain -cf. Samain), pp. 10, 28, 98, 152, 154,
211, 267.
Jean-Marc Ligny, op. cit., p. 375
Venceslas Kruta, op.cit. p. 123.
3 Miranda James Green, op. cit., pp.139,150.
4 Venceslas Kruta, op. cit., p. 516.
5 Claude Lecouteux, op. cit., p. 143.
1
2
155
3- Technique
Arme d’hast (arme longue apparentée à la lance), pp. 132, 165.
Amble (allure à fort déroulé latéral imposé par le cavalier à sa monture), pp. 174.
Aubin (mélange de trot et de galop imposé par le cavalier à sa monture), pp. 174.
Bâtardeau (couteau fixé au fourreau de l’épée), pp. 99, 160.
Pentécontore (navire de guerre grec à voile et à rame. Ancêtre de la trière), pp.15.
Cadène (pièce de fer arrondie présente sur les voiliers permettant d’attacher les
cordages), pp. 15.
Carnyx (instrument gaulois à vent de musique martiale), pp. 11, 91, 113, 127.
Coracle (petite barque ronde), pp. 30, 31, 32, 33, 46, 113.
Corma (bière aux plantes), pp. 61, 96, 149, 151.
Douille (partie de la lance s'emboîtant dans le manche), pp. 135.
Gréement (ensemble du matériel à voile sur le pont nécessaire à la propulsion du
navire), pp. 15.
Guède (plante colorante, elle donne une teinte bleue. Traditionnellement utilisée
par le celte comme peinture de guerre et comme encre de tatouage), pp. 69, 135.
Hydromel (littéralement « eau-hydro »- et « miel-mel »-. Vin de miel), pp. 191,
254.
156
Lucumonies (ensemble administratif d'un ensemble de villes étrusques sous la
juridiction d’un lucumon), pp. 7.
Orle (partie du bouclier), pp. 83, 163.
Phalère (bijou métallique circulaire et ciselé), pp. 112, 140, 169, 272.
Piaffer (trot sur place imposée par le cavalier à sa monture), pp. 91, 174, 237.
Umbo (embout de fer arrondi placé sur la partie centrale extérieure du bouclier.
Permet de percuter l’adversaire. Les gaulois utilisent, en effet, le bouclier
comme une arme offensive) pp. 66, 83, 98, 109, 162, 228.
Tragule (javelot propulsé via une lanière de cuir),pp. 166.
157
D) Schéma de l'organisation temporelle
Transition achronique
|---------------<------------------------------------<----------------------------<------------|
▼
▲
.....Prologue "Première nuit"........... / ...............1, "l'île des vieilles".................../................ 2, "Les Marches ambrones".................../..........3, "l'île des Jeunes..................................*.../
Dans ce prologue, le narrateur est vieux,
Dans cette partie, le narrateur jeun chemine
Arrivée des cavaliers chez la mère du héros
Arrivée des cavaliers chez
et il raconte à une tierce personne,
jusqu'à l'îles des Vieilles pour se délivrer de
Départ du foyer d'Attegia, et formation du
la mère du héros. Annonce de la
un interlocuteur ionien, les péripéties
son tabou (sa "non-mort" sur le champ de
narrateur et de son frère aux arts de la guerre.
mort du père. Départ d'Ambatia
qu'il a vécues.
bataille). Il passe par la cour du roi Godumaros C'est dans ce chapitre que Bellovèse refuse la
pour Attegia. Dans cette partie
avant de raconter son histoire aux Vieilles.
mort et devient tabou.
centrée sur l'enfance, le héros découvre
Il s'agit donc là d'un récit dans le récit.
la magie dans la forêt. Durant un dialogue
avec la déesse Eppia, s'opère une transition
achronique vers l'âge adulte...
...* : Retour sur l'île des Vieilles puis rencontre avec le
Haut-Roi Ambigat. FIN DU ROMAN.
-Chronologie des évènements suivant la ligne logique du temps
Flèche du temps
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------->
Transition achronique
|--------------->------------------------------->-----------|
▼
▼
/..3, "l'île des Jeunes....*.../.... 2, "Les Marches ambrones"....../1, "l'île des vieilles"..../...(évènements se déroulant dans les prochains tomes?). /.Prologue "Première nuit".
158
E) Carte des tribus gauloises selon Jules César
Cf. CESAR, Jules, La Guerre des Gaules, GF, Paris, Flammarion, 1993.
159
BIBLIOGRAPHIE
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1- Œuvre de l'étude
JAWORSKI, Jean Philippe, Même pas Mort, Première Branche, Les Rois du Monde
1, Montélimar, Les moutons électriques, 2013.
2- Autres œuvres de l'auteur
JAWORSKI Jean-Philippe Chasse Royale, Deuxième Branche I, Les Rois du
Monde, Montélimar, Les moutons électriques, 2015.
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160
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MARTIN George Raymond Richard, Le Trône de Fer, (1, 2), traduit par Jean SOLA,
Paris, J’ai Lu, 2001..
HOLSTOCK, Robert, Le Graal de Fer, traduit par Thierry ARSON, Paris, Pocket,
2002.
KEARNEY, Paul, 10000, Au cœur de l’empire, traduit par Jean-Pierre PUGI, Paris,
Le Livre de Poche, 2008.
KEYES, Greg, Les Royaumes d’Epines et Os, (1, 2, 3), traduit par Jacques COLLIN
Paris, Pocket, 2006.
KURTZ, Katherine, HARRIS, Deborah, Le Temple et la Pierre, traduit par Elie
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MARCO, John, Des tyrans et des rois, (1, 2), traduit par Michèle ZACHAYUS, Paris,
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MORRIS, William, The Water of the Wondrous Isles, Londres, Kelmscott Press
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anneaux (1, 2, 3), Folio, Paris, Gallimard, 2000.
ZIMMER, Marion Bradley, Les Dames du Lac 2, Les Brumes d'Avalon, Paris, Le
Livre de Poche.
C- Littérature médiévale
1- Chanson de geste
Aliscans, sous la direction de Laurence HARF-LANCNER, texte établi par Claude
REGNIER, présentation et notes de Jean SUBRENAT, traduction revue par
Andrée et Jean SUBERNAT, Paris, Champion Classiques, 2007.
161
La Geste de Cûchulainn, d’après les anciens textes irlandais, présenté par
Georges ROTH, Paris, Les éditions d’art H. Piazza, 1927.
Guillaume au court-nez présenté par Gabriel ROBINET, Paris, Editions GP, 1971.
La Prise d’Orange, d’après la rédaction AB de Claude REGNIER, Paris,
Klincksieck, 1986.
La Prise d’Orange, traduit et annoté d’après l’édition de Claude REGNIER, par
Claude LACHET et Jean-Pierre TUSSEAU, Paris, Klincksieck, 1986.
2- Mythologie arthurienne, germanique, scandinave et celtique
GUYONVARC'H, Christian Joseph, Textes Mythologiques Irlandais, Rennes, OgamCelticum,1980.
Les Hommes-Dieux, récit de mythologie celtique, présenté par Olier MORDREL,
Paris, Copernic, 1979.
La Légende Arthurienne, sous la direction de Danielle REGNIER-BOHLER, Paris,
Laffont, 1989. (Edition en français contemporain uniquement).
3- Lais
MARIE DE FRANCE, Lais, traduit, présenté et annoté par Laurence HARFLANCNER, Paris, le Livre de Poche, 1990.
O’HARA, Tobin, Les lais anonymes des XIIe et XIIIe siècle, édition critique de
quelques lais bretons, Genève, Droz, 1976.
D- Littérature générale et théâtre
1- Littérature
BEAUVOIR DE, Simone, Une Mort très douce, Paris, Gallimard, 1972.
CAMUS, Albert, Sisyphe, Folio, Paris, Gallimard, 1985.
ECO Umberto, La Guerre du faux, Paris, Grasset, 1986.
FLAUBERT, Gustave, Salammbô, Folio Classiques, Paris, Gallimard, 2005.
GRACQ, Julien, Le Roi Pêcheur, Corti, Paris, 1989.
HOMERE, l'Iliade, traduit par Eugène Bareste, Paris, Lavigne Editeur, 1843.
MAUPASSANT, Guy de, Pierre et Jean, Classique, Paris, Folio, 1999.
162
2- Théâtre
CORNEILLE, Polyeucte, Paris, Le Livre de Poche, 1988.
SHAKESPEARE, William, Hamlet, Folio Théâtre, Paris, Gallimard, 2008.
II - Littérature secondaire
A- Critique littéraire de fantasy
1- Etudes de l'œuvre de Tolkien
FERRE, Vincent, Tolkien, sur les rivages de la Terre du Milieu, Paris, Christian
Bourgeois, 2001.
TOLKIEN, J-R-R, et TOLKIEN, Christopher, The Peoples of Middle-earth, Londres,
HarperCollins, 2002.
2- Critique générale de fantasy
GOIMARD, Jacques, Critique du Merveilleux et de la fantasy, Paris, Pocket, 2003.
MANLOVE, Colin, Modern Fantasy, Five Studies, New York and London,
Cambridge University Press, 1975.
B- Analyse littéraire médiévale
1- Etudes thématiques et esthétique de littérature médiévale
DUMEZIL Georges, Mythes et Dieux des Germains, Paris, Leroux, 1939.
JUNG EMMA, MARIE LOUISE VON FRANZ, La Légende du Graal, Sciences et
Symboles, Paris, Albin Michel, 1992.
KÖHLER, Erich, L’Aventure chevaleresque, idéal et réalité dans le roman courtois,
préface de Jacques LE GOFF, traduit de l’allemand par Elian KAUHOLZ,
Paris, Gallimard, 1974.
LECOUTEUX, Claude, Fantômes et revenants au Moyen Age, postface de Régis
BOYER, Paris, Imago, 1986.
MARTINEAU, Anne, Le nain et le chevalier, essai sur les nains français du Moyen
Âge, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003.
2- Editions critiques
163
TRASCHLER, Richard, Merlin l’Enchanteur, Etude sur le Merlin de Robert de
Boron, Paris, Sedes, 2000.
3-Essais
HERICAULT, Charles, Essai sur l'origine de l'épopée française et sur son histoire
au Moyen Âge, Paris, A. Franck, 1959.
PATCH, Howard Rollin, The Other Worlds according to the descriptions of
medieval literature, Cambridge, Harvard University Press, 1950.
SCHMITT, Jean-Claude, Le corps, les rites, les rêves, le temps, essai
d’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001.
4- Anthropologie littéraire
WALTER, Philippe, Arthur, l’Ours et le Roi, Paris, Imago, 2008.
5- Théorie littéraire de poétique médiévale
ZUMTHOR, Paul, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972.
ZUMTHOR, Paul, Parler du Moyen Age, Paris, Editions de Minuit, 1980.
C - Analyse littéraire
1- Théorie littéraire
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Point, Paris, Seuil,1966.
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4- Etudes esthétiques et thématiques
AUERBACH, Erich, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature
occidentale, traduit de l’allemand par Cornéluis HEIM, Tel, Paris, Gallimard,
1968.
ZUMTHOR, Paul, Le Masque et la Lumière, la poétique des grand rhétoriqueurs,
Collection Poétique, Paris, Seuil, 1978.
5- Essais
JAMESON, Frederic, Penser avec la science-fiction, traduit par Nicolas
165
VIEILLECAZES, l’Inconnu, Paris, Max Milo, 2008.
STEVENSON, Robert-Louis, Essai sur l’art de la fiction, traduit par France Marie
WATKINS et Michel LE BRIS, Paris, Payot, 2007.
6- Analyse théâtrale
COUPRIE Alain, Le théâtre, La collection universitaire de poche, Paris, Armand
Colin, 2009.
D - Manuels et dictionnaires
1- Manuels
GARDES TAMINE, Joëlle, La Grammaire : phonologie, morphologie, lexicologie, (1),
Cursus Lettres, Paris, Armand Colin, 2010.
GREIMAS, Algridas Julien, Ancien français, la langue du Moyen Âge de 1080 à
1350, Paris, Larousse, 2007.
GUIRAND, Félix, Mythologie générale, Paris, Larousse, 1994.
HASENHOR, Geneviève, Introduction à l’ancien français, Paris, Sedes, 2008.
2- Dictionnaires
DELAMARRE, Xavier, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 2003.
Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Oswald DUCROT, Tzvetan
TODOROV, Point, Paris, Seuil, 1972.
Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, Emmanuèle
BAUMGARTNER et Philippe MENARD, La Pochotèque, Paris, Le Livre de
Poche, 1996.
DUPRIEZ, Bernard, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18 , 1984.
MOLINIE, Georges, Dictionnaire de la rhétorique, Les Usuels de Poches, Paris, Le
Livre de Poche, 1992.
Les noms gaulois chez César et Hirtius, Henri d' ARBOIS DE JUVAINVILLE,
Georges DOTTIN,
Émile ERNEAULT, Paris, Bouillon, 1875.
PERSIGOUT, Jean-Paul, Dictionnaire de Mythologie Celtique, Préface de Pierre
Sergent, Paris, Edition Imago, 2009.
166
E - Psychanalyse
JUNG, Carl Gustav, Essai d’exploration de l’inconscient, traduit par Laure
DEUTSCHMEISTER, introduction de Raymond De Becker, Folio Essais, Paris,
Gallimard,1964.
JUNG, Carl Gustav, Psychologie de l’inconscient, Préface, traduction et
annotation par le Dr. Roland CAHEN, Chêne – Bourg / Genève, Georg
Editeur, 1993.
RANK, Otto, Le Mythe de la naissance du héros, édition critique avec une
introduction et des notes par Elliot KLEIN, Paris, Payot, 1983.
III - Ouvrages d'Histoire
A- Monographie
ARCELIN, Patrice, Cultes et sanctuaires en France à l’Age du Fer, sous la
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BREKILIEN, Yann, La mythologie celtique, Paris, Éditions du rocher, 1993.
BRUN, Patrice, L’âge de Fer en France, premières villes, premiers Etats celtiques,
Paris, La Découverte, 2008.
BRUNAUX, Jean-Louis, Les Gaulois. Sanctuaires et rites, Paris, Errance, 1986.
BRUNAUX, Jean-Louis, Les religions gauloises, Paris, Errance, 2000.
BRUNAUX, Jean-Louis, Les Gaulois, Paris, Guide Les belles lettres et civilisation,
2005.
BRUNAUX, Jean-Louis, Les Gaulois expliqués à ma fille, Paris, Seuil, 2010.
BUCHSENSCHUTZ, Olivier, Les Celtes de l’âge du fer, Paris, Armand Colin, 2007.
CESAR, Jules, La Guerre des Gaules, Paris, GF, 1993.
GREEN, Miranda James, Mythes celtiques, Paris, Points, Seuil, 1995.
Histoire des Gaules, VIe s. av. J.-C. –VIe s. apr. J.-C., DELAPLACE Christine,
FRANCE Jérôme, Paris, Armand Colin, 2009.
GUYONVARC', Christian, Les Druides, Paris, Ouest France, 1986
KRUTA, Venceslas, Les Celtes, histoire et dictionnaire, Paris, Laffont, 2000.
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Inscriptions et Belles-Lettres, Année 1875, Volume 19, Numéro 3.
LAMBERT, Pierre-Yves, La langue gauloise : description linguistique,
commentaire d’inscription choisie, Paris, Errance, 2003.
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SILMBERMAN, Cartes, Paris, Les Belles Lettres, 1988.
STRABON, Géographie, Les Belles Letres, Paris, 1865.
B- Revues
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Fer européen, supplément n° 35, 2003.
Revue archéologique de l’Ouest, supplément n°10, Les Gaulois et l’écriture aux
IIe-Ie s. av. J.-C., 2003.
Société préhistorique française n°34, Paris, Bulletin de la Société Préhistorique
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IV - Webographie
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http://www.voxpoetica.org/entretiens/intCohn.html
169
V - Lectures complémentaires
A- Fantasy
DEPOTTE, Jean-Philippe, Les Jours Etranges de Nostradamus, Folio SF, Paris,
Gallimard, 2011.
NOIREZ, Jérôme, Féerie pour les Ténèbres, Paris, J’ai Lu, 2011.
PERU, Olivier, Druide, Paris, J’ai Lu, 2010.
ABERCROMBIE, Joe, La Première Loi, (1, 2), traduit par Brigitte MARIOT, Paris,
J’ai Lu, 2006.
BAKER, Richard Scott, Autrefois les ténèbres, traduit par Jacques COLLIN, Paris,
Pocket, 2003.
EDDINGS, David et Leigh, Belgarath le Sorcier, traduit par Dominique HAAS,
Paris, Pocket, 1998.
COE, David, La Couronne des Sept Royaumes, (1, 2, 3, 4, 5, 6), traduit par Sophie
TROUBAC, Paris, J’ai Lu, 2002.
COOK, Glen, La Compagnie Noire, (1, 2, 3, 4, 5, 6), traduit par Patrick COUTON,
Paris, J’ai Lu, 1984.
FEIST, Raymond Elias, Krondor : La Guerre de la Faille, traduit par Antoine
RIBES, Paris, J’ai Lu, 1992.
HOBB, Robin, L’Assassin Royal, (1, 2), traduit par Arnaud MOUSNIER-LOMPRE,
Paris, J’ai Lu, 1996.
PARKER, K-J, Les couleurs de l’acier, traduit par Olivier DEBERNARD, Folio SF,
Paris, Gallimard, 1998.
ROBINSON, Kim Stanley, traduit par David CAMUS et Dominique HAAS,
Chroniques des années noires, Paris, Pocket, 2002.
B - Littérature médiévale
La Chanson des Nibelungen, sous la direction de A. JOLIVET, et F. MOSSE,
introduction et notes de Maurice COLLEVILLE et Ernest TONNELAT, Paris,
Bibliothèque de philologie germanique, Aubier Montaigne, 1944.
CHRETIEN DE TROYES, Cligès, publications, traduction, présentations et notes par
Laurence HARF-LANCNER, Paris, Champion Classiques, 2006.
170
CHRETIEN DE TROYES, Lancelot ou le Chevalier à la Charrette, introduction et
notes de Gweneth HUTCHINGS, traduction de Philipe WALTER et Daniel
POIRION, Paris, Garnier Flammarion, 2003.
Le Cycle du Graal 1, présenté par Jean MARKALE, Paris, Pygmalion, 2000.
Le Cycle du Graal 2, présenté par Jean MARKALE, Paris, Pygmalion, 2000.
Edda poétique, traduit par Regis BOYER, l’espace intérieur, Paris, 1992.
Fabliaux du Moyen Âge, présenté et traduit par Jean DUFOURNET, GF, Paris,
Flammarion 1998. Croisade et Pèlerinage, récit chroniques et voyages en
terre sainte, XIIe-XVIe, sous la direction de Danielle REGNIER-BOHLER, Paris,
Robert Laffont, 1997.
Fabliaux érotiques, édition critique, traduction introduction et notes de Luciano
ROSSI, et Richard STRAUB, Les Lettres Gothiques, Paris, Le livre de Poche,
1992.
Le Roman d’Eneas, sous la direction de Jean DUFOURNET, traduit par Martine
THIRY STASSIN, Paris, Champion, 1985.
SZKILNIK, Michelle, Perceval ou le Roman du Graal de Chrétien de Troyes, Folio
Classique, Paris, Gallimard, 1974.
STURLUSON, Sonrri, La Saga des Ynglingar, traduit de l’islandais par Ingebor
CAVALIER, Paris, Porte Glaive, 1991.
C- Histoire
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l’Université de Provence, UMR-CNRS 5140, 2012.
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Celtes et Gaulois, l’archéologie face à l’histoire (1, 2, 3, 4, 5), Christian
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D- Autres
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