79
ESPACE, POPULATIONS, SOCIETES, 2012-2
Françoise DE BEL-AIR
pp. 79-96
f_dba@hotmail.com
Mariage et famille dans le golfe
Arabe : vers un bouleversement
politique ?
Après la fécondité, la nuptialité a connu des
transformations importantes dans tous les
pays arabes : depuis la in des années 1970,
on y observe une nette augmentation de l’âge
moyen au premier mariage, puis l’émergence
d’un niveau signiicatif de célibat féminin
[Fargues, 2000 ; Rashad, Othman, 2003 ;
Rashad,Othman, Roudi Fahimi, 2005 ; De
Bel-Air, 2008]. Les États du Conseil de Coopération du Golfe1, pourtant réputés socialement conservateurs, n’échappent pas à cette
évolution : au cours des années 2000, dans
presque tous ces pays les mariages précoces
sont devenus rares, l’âge moyen au mariage
des femmes atteint 28 ans et jusqu’à 10%
de celles-ci ne se marieront pas. Le mariage
dans le monde arabe, rite de passage à l’âge
adulte, est aussi le lieu de la reproduction
des institutions. Quel sera alors l’impact
des transformations de la nuptialité sur les
relations hommes-femmes, sur la structure
des familles et sur les dynamiques sociales
caractérisant cette région ? Quelles conséquences politiques peuvent être également
attendues de cette évolution des comportements sociodémographiques sur les pouvoirs
autoritaires et « néopatriarcaux » de la région ?
Nous analyserons d’abord les évolutions de
la nuptialité. Nous examinerons ensuite les
conséquences de ces mutations sur les relations entre sexes et entre générations, puis
sur les structures familiales dans les six pays
arabes du Golfe. Nous nous concentrerons
enin sur l’Arabie saoudite et nous intéresserons aux débats populaires et politiques
menés sur la question du mariage. Nous
verrons que celle-ci cristallise les évolutions
sociales en cours dans la région et leurs
paradoxes, mais aussi qu’elle est instrumentalisée dans le processus de réforme sociopolitique en cours dans le royaume, ain de
contrer l’emprise de certains acteurs (les
religieux conservateurs plus particulièrement) sur le champ social.
Nous traiterons ici des six pays arabes producteurs de
pétrole et riverains du golfe Arabo-persique : l’Arabie
saoudite, le Qatar, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats
arabes unis (EAU), le sultanat d’Oman. Ces six pays
composent le Conseil de Coopération du Golfe (CCG),
entité politique créée en 1981.
1
80
1. NUPTIALITÉ DANS LE GCC : MODÈLE ET DONNÉES RÉCENTES
Selon les travaux théoriques et textes normatifs touchant à l’institution matrimoniale
au Moyen-Orient, le mariage répond à deux
exigences au regard de l’islam : assurer la
préservation et la continuité de l’espèce
humaine ; doter l’institution familiale d’assises
juridiques et spirituelles, la famille étant
chargée de procurer à ses membres amour,
protection, droits sociaux, identité et légitimité au sein de la société et de la communauté des croyants. Du point de vue de
l’islam, le sexe est naturel et bon, pour les
femmes comme pour les hommes2. Il faut
néanmoins le circonscrire aux partenaires en
mariage qui assumeront la responsabilité de
ses conséquences, ce qui évite les désordres
sociaux. Le mariage est donc à la fois un
devoir religieux, un garde-fou moral et une
nécessité sociale [Abd Al Ati, 1977, p. 52],
reposant sur un contrat liant juridiquement
les deux époux.
Mais plus généralement, le mariage est
« le point crucial de la perpétuation et de
la stabilité de l'unité de base de la société,
la famille musulmane » [Esposito, 1982],
théoriquement « étendue, patrilinéaire,
patrilocale, patriarcale, endogame et occasionnellement polygame » [Patai, 1971].
Ce modèle de la famille arabe constitue
un système, orienté vers un certain type de
reproduction : celle du nombre, mais aussi
celle des « hiérarchies de genres et de générations » [Fargues, 1995]. Ces valeurs sont
justement celles mises en avant dans le système dit segmentaire, cadre structurel commun aux sociétés arabes et/ou musulmanes
du Maroc au Kurdistan se caractérisant
principalement par l'importance prédominante du système de parenté comme lieu de
l'exercice des activités sociales, économiques et politiques, la domination de l'homme/de l’aîné sur la femme/le cadet et par la
iliation agnatique. Les modalités de l'union
spéciiques à la région sous-tendent donc la
reproduction de ce système.
La démographie permet de décrire et d’articuler les divers éléments de ce modèle idéal
de la nuptialité aux caractéristiques de la
famille arabe3. Confrontées à ce modèle, la
réalité des comportements, des modalités actuelles du mariage dans les sociétés du Golfe
arabe, leurs évolutions récentes et leurs répercussions sur les structures familiales nous
donneront donc des éléments d’évaluation de
l’ampleur des changements sociaux en cours
dans cette région, mais aussi des paradoxes
de cette évolution.
2
Il répond au droit à la réalisation de soi, à l’épanouissement personnel, au besoin d’éviter le désordre psychologique et physique, au devoir de préserver l’espèce
humaine [Abd Al-Ati, 1977, p. 51].
3
Le mariage : un calendrier bouleversé,
une intensité en baisse
En accord avec la conception islamique du
mariage comme droit et comme devoir pour
les individus, le mariage arabe idéal est précoce et universel. Également, la reproduction de la domination masculine repose sur
un écart d’âge entre les époux, l’homme
étant le plus âgé.
Or, depuis les années 1970, l’âge moyen
au premier mariage a notablement augmenté dans les pays du golfe Arabe, comme
dans le reste du Moyen-Orient [De BelAir, 2008]. Les femmes d’alors entraient
en union à moins de 20 ans en moyenne ;
au cours des années 2000 les âges moyens
au mariage des femmes dépassent presque partout 25 ans, sauf en Arabie saoudite où en une décennie ce chiffre augmente
tout de même de cinq ans (tableau 1).
L’âge au mariage des hommes a également
augmenté, mais moins que celui des femmes :
il atteint désormais partout 27-28 ans.
Cette évolution est commune à tous les pays
de la région, mais plus récente en Arabie
saoudite et à Oman qu’au Qatar, au Koweït et
au Bahreïn, où au début des années 1990 les
unions étaient déjà retardées, en particulier
pour les femmes.
Le modèle de l’articulation entre l’idéal-type du
mariage arabe et celui de la famille arabe est repris
des travaux de Ph. Fargues [1986, 1987 et 2000,
chap. 5].
81
Graphique 1. Âge moyen au premier mariage des hommes et des femmes dans les pays du Golfe
(années 2000)
29
Qatar
Oman
Bahreïn
28
âge moyen au mariage des hommes
Koweït
EAU
A. Saoudite
27
26
25
24
24
25
26
27
28
29
âge moyen au mariage des femmes
Source : données des recensements (tableau 1).
Note : les droites en pointillés indiquent les écarts d'âge maximal et minimal entre hommes et femmes
Tableau 1. Quelques indicateurs de la nuptialité dans les pays du Golfe
date
âge moyen au premier Écart d’âge Femmes non% femmes jamais
mariage
entre époux célibataires
mariées
(15-19 ans)
h
f
(années)
%
45–49 ans 55-59 ans
Arabie saoudite 1992a
23,7
19,5
4,4
39
0,8
0,8
2004a
27
24,1
2,9
8
1,6
0,8
1991a
28,5
25,2
3,3
5,6
2,3
0,2
2001a
28,8
25,7
3,1
3,5
7,7
1,9
2010a
27,8
24,5
3,3
4,6
12
8,5
1975a
25,9
18
7,9
1987b
25,6
23,1
2,5
2005a
27,1
25,6
1,5
6,1
1,6
0,8
1975a
26,5
19,6
6,9
28,6
1,6
1,6
1995a
27,5
25,2
2,3
9,4
5,1
1,9
2005a
27,8
25,3
2,4
4
7,2
5,2
1993a
23,2
20,3
2,9
2003a
28,1
25,1
3
3,9
0,9
0,8
1970a
25,2
21,4
3,8
1991c
28,4
25,1
3,3
2004a
28,4
26,2
2,2
3,4
8,9
1,1
Bahreïn
EAU
Koweït
Oman
Qatar
Tableau 1. Quelques indicateurs de la nuptialité dans les pays du Golfe
Note : Calculs F. De Bel-Air, sauf 1975a, 1987b, 1993a, 1970a et 1991c. Les âges moyens au mariage sont calculés
par la méthode Hajnal
de célibataires
à chaque
Note :(proportion
Calculs F. De Bel-Air,
sauf 1975a, 1987b,
1993a,classe
1970a etd'âges).
1991c. Les âges moyens au mariage sont
calculés par la méthode
(proportion de
célibataires
à chaque of
classe
d’âges). UAE Child Health Survey 1987, Abu
Sources : (a) : recensements,
datesHajnal
considérées
; (b)
: Ministry
Health.
Sources : (a) : recensements, dates considérées ; (b) : Ministry of Health. UAE Child Health Survey 1987, Abu
Dhabi, 1991, in Tabutin,
Schoumaker (2005), tab. A4, p. 596 ; (c) : Ministry of Health. Qatar Child HEalth Survey ;
Dhabi, 1991, in Tabutin/ Schoumaker, 2005, tab. A4, p. 596; (c) : Ministry of Health. Qatar Child Health
Doha, 1991 in Courbage,
1994,
3, p. 8.
Survey; Doha,
1991tab.
in Courbage,
1994, tab. 3, p. 8.
82
La diminution des mariages féminins dits
précoces (conclus avant 20 ans) explique en
partie cette tendance4. On voit au graphique 2
qu’en Arabie saoudite par exemple, la proportion de femmes non-célibataires dans cette
classe d’âge est divisée par cinq en l’espace
de seulement douze ans. Cette hausse des
âges au mariage plus marquée pour les femmes que pour les hommes diminue en outre
signiicativement l’écart d’âge entre époux :
aux Émirats arabes unis cet écart chute de
8 à 1,5 ans entre 1975 et 2005.
Graphique 2. Déclin de la proportion de femmes mariées précocement (Arabie Saoudite, Bahreïn et
Qatar, années 1970 à 2000)
45
40
39
35
28,6
30
25
%
20
15
8
10
9,4
5,6
4
3,5
5
0
1992
2004
Arabie
Saoudite
1991
2001
Bahreïn
1975
1995
2005
Koweit
Source : femmes non-célibataires à 15-19 ans, recensements années considérées.
Les données révèlent aussi un autre phénomène aux répercussions sociales importantes :
l’émergence d’un célibat féminin. Au début
des années 1990, le tableau 1 montre que
les taux de célibat des femmes à 45-49 ans,
comme à 55-59 ans, restaient négligeables :
l'universalité du mariage féminin était alors
de règle, comme presque partout ailleurs au
Moyen-Orient. Pourtant, le retard du mariage
transmettant d’un groupe d’âges à l’autre son
lot de célibataires, certains pays de la région
voient au cours des années 2000 apparaître
le phénomène du célibat féminin dit « déinitif »5 : au Bahreïn, à Koweït, à Qatar, de
7% à 12% des femmes de 45 à 49 ans sont
désormais célibataires. La carte montre que
ces trois pays se sont engagés plus tôt que
les autres dans le processus de transition des
comportements matrimoniaux.
Le graphique 3, cependant, indique que les
Émirats arabes unis s’inscrivent aussi peu
à peu dans cette tendance : l’augmentation
du célibat touche maintenant les femmes
âgées de 30-35 ans. En Arabie saoudite et
à Oman, seules les femmes âgées de moins
de 35 ans au milieu des années 2000 (génération 1970 et suivantes) sont concernées
par ces mutations. La situation des années
2000 contraste donc partout avec celle
du mariage intense et précoce rencontrée
auparavant, matérialisée par la courbe de
l’Arabie saoudite en 1992.
4
Les données d’état-civil, qui ne sont pas disponibles
dans tous les pays traités ici, indiquent une diminution
régulière de la proportion de mariages conclus avec
des femmes de moins de 20 ans. Au Qatar, la part de
ces mariages passe de 45 à 13,5% du total des mariages entre 1985 et 2010.
5
Par convention, proportion des femmes restées célibataires à 45-49 ans.
83
Carte 1. Émergence inégale du célibat féminin selon le pays : proportion de femmes célibataires
à 45-49 ans (années 2000)
Fond de carte : « persique 06 » © Daniel Dalet /d-maps.com
Graphique 3. Proportion de femmes célibataires selon la classe d'âges et le pays (année 2000)
100,00
Arabie Saoudite 1992
Arabie Saoudite 2004
90,00
EAU 2005
80,00
Bahreïn 2001
Qatar 2004
70,00
Koweït 2005
proportion de célibataires
60,00
Oman 2003
50,00
40,00
30,00
20,00
10,00
0,00
15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59
classe d'âges
Source : recensements, années considérées.
84
Divorces et remariages
La distance croissante entre le modèle du
mariage arabe et sa réalité, sur le terrain du
GCC, est encore attestée par les caractéristiques des divorces dans la région.
Le déséquilibre entre les effectifs masculins
et féminins de candidats au mariage né de
l’écart d’âges entre époux6 est, en théorie,
rectiié par la polygamie et par la possibilité de divorcer facilement (divorce-répudiation), deux institutions permettant de
« réguler le marché matrimonial » en vue de
concrétiser l'idéal de mariage universel pour
les hommes et les femmes. Dans le passé, les
unions étaient plus instables qu’aujourd’hui
et les (rares) données disponibles indiquent
que la moitié des mariages pouvaient être
rompus par un divorce au début du 20ème siècle [Fargues, 2000, p. 127]. Cette situation
compensait donc la forte inégalité des effectifs de mariables due à l’écart d’âge important prévalant entre époux.
Aujourd’hui, l’écart d’âge moyen au mariage ne variant que de 1,5 à 3 ans d’un
pays à l’autre, les effectifs d’hommes et de
femmes en présence sont donc relativement
proches et le divorce n’a plus à jouer le rôle
de régulateur des effectifs masculins et féminins. Pourtant, si comme ailleurs dans
la région, la polygamie reste limitée à des
niveaux modestes7, les taux de divorces restent assez élevés.
Graphique 4. Divorces pour 100 mariages, 1995-2009
40
divorces pour 100 mariages
35
30
A. Saoudite
EAU
Qatar
25
Linéaire (A. Saoudite)
Linéaire (EAU)
Linéaire (Qatar)
20
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
15
années
Source : données d'état-civil, annuaires statistiques, années considérées (EAU et Qatar); Statistical, Abstracts of
the ESCWA region, 2005 et 2009 (Arabie saoudite).
Note : divorces pour 100 mariages conclus la même année, données lissées.
6
Du fait de la mortalité qui réduit les effectifs à chaque classe d'âges : les hommes plus âgés seront donc
disponibles en moins grand nombre que les femmes.
Oman : 6,4% des hommes mariés, en 1993 comme
en 2003.
7
85
Au vu du développement d’un célibat féminin, voire masculin dans certains des
pays de la région, le divorce ne pourvoit
pas non plus à l’universalité du mariage par
une rotation rapide des unions, même si les
hommes, comme d’ailleurs les femmes, se
remarient facilement : partout la proportion
de divorcé(e)s dans la population totale est
faible selon les recensements (2% maximum
pour les hommes en 2010 (Bahreïn) et 4%
pour les femmes en 2005 (Koweït)8. La persistance de l’intensité du divorce indique
donc que de nouveaux facteurs inluencent
ce phénomène.
Graphique 5. Distribution des divorces selon la durée moyenne de mariage avant l'événement (Qatar
et Bahreïn, 2010)
100%
90%
80%
25 ans+
70%
20-24 ans
part des divorces
60%
15-19 ans
10-14 ans
50%
5-9 ans
40%
3-4 ans
30%
1-2 ans
20%
moins
d'un an
10%
0%
Qatar
Bahreïn
Source : données d'état-civil, annuaires statistiques, pays considérés.
Une autre des caractéristiques actuelles
des ruptures d’unions dans la région est
leur rapidité : au Qatar par exemple, la
durée moyenne de mariage avant divorce reste stable à 5,5 ans de 1985 à 2010,
mais la moitié des ruptures d’union y intervient en moins de deux ans, une situation rencontrée dans tous les pays de la
région, illustrée ici par les cas du Qatar et
du Bahreïn.
Le divorce ayant lieu très tôt et même souvent
avant la consommation du mariage9 (30% des
cas au Qatar à la in des années 2000), l’explication du phénomène comme sanctionnant
les unions infécondes et permettant ainsi une
rotation des partenaires, propice à de hauts niveaux de fécondité [Fargues, 2000, p. 128],
ne tient plus. L’intensité du divorce indiquerait plutôt, comme ailleurs, les exigences accrues des époux l’un envers l’autre : au Qatar
Au Qatar, les remariages de divorcées atteignent
15,46% du total des mariages en 2009 [QSA, 2010,
tab. 7-1] et autour de 11% au Bahreïn au cours des
années 2000, contre 10% pour les hommes divorcés
(données d’état-civil, annuaires statistiques).
9
Le mariage arabe se déroule en deux temps : la signa-
ture du contrat de mariage, qui consigne l’événement
dans les registres religieux (chrétiens ou musulmans)
et à l’état-civil, puis la consommation du mariage à
l’issue d’une fête collective. Plusieurs mois, voire années peuvent séparer les deux événements.
8
86
encore, 70% des divorces enregistrés en 2009
étaient liés à des « conlits maritaux » ou plus
généralement à un « manque de compréhension et d’harmonie » au sein du couple10.
Plus précisément, deux résultats suggèrent
l’impact de contraintes d’ordre socio-économique sur la stabilité des couples : au
Qatar en 2010 le nombre de divorces pour
100 mariages était deux fois plus élevé pour
les époux les moins éduqués (préparatoire
et moins : 70 divorces pour 100 mariages
conclus la même année) que pour les plus
éduqués (secondaire et au-delà : 35 divorces
pour 100 mariages). En outre, si la femme
est active économiquement, 39% des mariages seront rompus, contre 52% si la femme
est inactive11.
Cependant, les nombreux divorces antérieurs
à la consommation du mariage traduisent
probablement aussi une dificulté particulière,
celle engendrée par la hausse des montants
de la dot (mahr).
2. INDIVIDU, FAMILLE, SOCIÉTÉ : LE CHOIX DU CONJOINT ENTRE DOT,
ENDOGAMIE ET MARIAGES MIXTES
La transcription en termes démographiques
des caractéristiques du mariage arabe relie
en effet aussi l’écart d’âge entre les époux
et l’universalité du mariage à un ensemble
d’institutions matrimoniales parmi lesquelles igurent la dot et l'union préférentielle de
l’homme avec la ille de son oncle paternel.
Jusqu’à ce jour dans la région, la conclusion d’un mariage repose sur l’accord préalable des familles des iancés touchant à un
certain nombre de questions matérielles,
dont la principale est le montant de la dot
(douaire, ou mahr) versée par le iancé à sa
future épouse12. Le fait que les conditions de
la dissolution du mariage et, en outre, que le
montant du mu’akhkhar (la partie différée du
douaire) igurent dans les termes du contrat
de mariage, rend le divorce plus aisé et la
rotation des unions plus rapide (si l’homme
est sufisamment riche). Mais en réalité,
les montants élevés des dots ixés par les
familles des iancées potentielles conduisent plutôt à retarder le mariage masculin,
voire à le rendre impossible : au Bahreïn,
en 2008 le montant moyen des sommes versées était de 2000 à 3000 Dinars Bahreïnis
environ (5000 à 6000 euros), mais aurait
doublé l’année suivante. Dans les autres
pays de la région, les montants moyens
des dots étaient estimés atteindre de 6000 à
20 000 dinars (12 000 à 40 000 euros)13, ce
qui oblige les prétendants à contracter des
emprunts bancaires ou auprès des familles.
Les explications sont nombreuses à cette envolée des montants du mahr, dont la presse
se fait largement l’écho : le développement
du consumérisme, la hausse des niveaux
d’éducation féminins, donc des ambitions
d’ascension sociale, mais aussi l’insécurité
économique qui frappe même les riches monarchies du Golfe. Cette dernière pousserait
certains parents à exiger toujours plus de
garanties matérielles pour leur ille, le risque
de divorce accroissant d’ailleurs ce sentiment
d’insécurité. Comme le rapporte régulièrement la presse saoudienne, certaines familles
pauvres tenteraient même par ce biais de
capter un revenu supplémentaire.
QSA, 2010 : tab. 19-1 et 20-1
Au foyer ou en recherche d’emploi, Qatar Statistics
Authority, Vital Statistics Annual Bulletin (marriages
and divorces, 2010, May 2011, tableaux 15-1; 16-1;
34-1; 36-1.
12
L’homme doit pouvoir fournir un logement meublé
et équipé, et couvrir les dépenses du ménage. Il assume
aussi les coûts de la cérémonie de mariage, parfois extravagante, de la lune de miel et de diverses fêtes, et
doit à sa iancée nombre de cadeaux, en particulier des
bijoux d'or. Enin, le mari doit à son épouse le mahr (le
douaire), dont les montants sont stipulés dans le contrat
de mariage, la première partie (muqaddam) étant versée
lors de la signature du contrat et la seconde partie étant
promise en cas de divorce (muakhkhar).
13
Sources : respectivement : Bahreïn Central Informatics
Organisation (CIO). Annuaire statistique 2008, tab. 3.60
et Hamada, S. “Escalating Dowries Take Toll on Men”,
IPS News, May 17th, 2010 http://ipsnews.net/news.
asp?idnews=51455.
10
11
87
Mais ce renchérissement du mahr pourrait
également répondre à une autre évolution des
modalités du mariage dans la région : l’élargissement du choix des conjoints potentiels,
sous l’effet du développement de l’instruction supérieure et de l’accès progressif des
femmes à l’emploi (même s’il reste encore
modeste), comme sous celui du développement de nouveaux espaces publics (shopping
malls) et des nouvelles technologies (Internet et téléphones mobiles14). Ces évolutions
permettent des rencontres entre célibataires,
même si la ségrégation entre les sexes et le
contrôle social empêchent encore un jeune
couple d’apprendre à se connaître avant le
mariage [El Haddad, 2003]. Le renchérissement du mahr pourrait donc constituer une
réponse au risque de mésalliance perçu par
les parents dans le développement de mariages non arrangés par la famille. Mais plus
largement, l’institution de la dot est aussi
liée à l’une des caractéristiques les plus paradoxales du mariage dans le Golfe : la concomitance entre la fréquence des mariages
endogames et celle des mariages avec une
femme étrangère.
Les unions entre parents restent très fréquentes dans la région du Golfe. Au Qatar, elles
représentent 49% des unions enregistrées à
l’état-civil en 2009, dont 25% entre parents
au premier degré (cousins germains en ligne paternelle ou maternelle) [QSA, 2010,
p. 12]. Les autres pays de la région ne fournissent pas tous de données récentes, mais
les enquêtes Gulf Family Health Surveys
menées au cours des années 1990 dans
chaque pays de la région y relevaient déjà
la persistance d’une forte prévalence des
unions entre parents (toutes générations de
mariés confondues).
Tableau 2. Prévalence de la consanguinité dans les pays du CCG (année 1990)
Date de
l’enquête
Mariages consanguins
(pour 100 mariages)
Arabie saoudite
1995
58
Bahreïn
1997
32
EAU
1997
50,5
Koweït
1996
36
Oman
1996
54
Qatar
1999
46
Source : Child Health Surveys, in Jurdi/Saxena, 2001, tab. 4.
Tableau 2. Prévalence de la consanguinité dans les pays du CCG
(années
La persistance de ce type de mariage peut
une1990)
exonération ou une réduction du mahr
sembler cruciale pour assurer la perpétuation est en effet le plus souvent accordée au iancé
Source
: Child Health
Surveys, in : Jurdi
2001, tab.
4.
d'un mariage
universel.
L’endogamie
aug-/ Saxena,
épousant
sa cousine
germaine.
mente en effet les possibilités de fonder un Selon certaines théories, la coutume du
couple : en islam, les interdits de consangui- douaire assimilerait la mariée à une marchannité et d'afinité sont peu nombreux15 et le dise, ainsi assortie d’un prix ou « compenmariage entre apparentés épargne les aléas sation matrimoniale »16. Une lecture foncde la rencontre laissée au hasard. Mais éga- tionnaliste du mariage relie également la
lement, choisir d’épouser sa cousine permet pratique de l’endogamie à un certain nombre
de contourner un obstacle majeur au mariage : de considérations économiques, telles que
En Arabie saoudite, deux chaînes de télévision sont
même dévolues aux annonces matrimoniales [Bahry, L.
« Marriage Advertisements in Saudi Arabia », Encounter n° 7, The Middle East Institute, March 2008].
15
Les seules unions proscrites sont celles d'un homme
avec sa mère, grand-mère, ille, nièce et tante. Les interdits
14
d'afinité quant à eux empêchent le musulman d'épouser
la femme de son père, celle de son ils, la mère et la ille
de son épouse.
16
Idée inspirée des théories évolutionnistes et de celle
de l’« échange différé » développée par Claude LéviStrauss.
88
la protection des biens de la famille (terres,
capital). Toutefois, parmi les nombreux cadres théoriques existants, l’interprétation du
mariage au sein de la parenté comme moyen
de réafirmer le rang social des familles impliquées nous paraît pertinente. Le principe
de kafa’a (égalité) présidant en islam à la
sélection du conjoint [Abd al-Ati, 1977], les
mariages consanguins (au sein desquels la
part des unions dans la famille maternelle est
d'ailleurs importante) répondraient donc aussi
à une volonté de reproduction des structures
sociales avec un partenaire le plus identique
possible, ain d’éviter au maximum les différences de statut entre familles donneuse
et receveuse. La reproduction d’une égalité
de statut entre donneurs et receveurs, ou au
contraire d’une hiérarchie, passe alors par la
ixation du montant du mahr : « le mariage
isogame, réalisé normativement par l'union
des cousins parallèles patrilinéaires, ne demande qu'une prestation minimale ; isogame
et endogame, il entraîne l'idée d'une parité
des prestations au sein du groupe agnatique ;
isogame et exogame, il demande à être
socialement légitimé par une forte prestation
qui marque la reconnaissance du statut de la
femme et de son groupe d'appartenance »
[Bonte, 1994, p. 380].
La persistance de hauts niveaux de mariages
entre apparentés pourrait donc répondre à
l’envolée des montants réclamés en guise de
douaire aux prétendants, tout en constituant
une sécurité matérielle et psychologique,
et en garantissant l’égalité de statut entre
conjoints. Cette tendance pourrait reléter un
conformisme aux idéaux familiaux, autant
qu’un découragement face aux obstacles,
posés par la société, à l’ouverture du marché
matrimonial et au choix de leur conjoint par
les individus eux-mêmes.
Comment alors interpréter les niveaux élevés
de mariages avec des femmes étrangères,
en particulier choisies hors des six pays du
CCG, qui semblent en opposition avec la persistance des mariages endogames ? Un quart
des hommes émiratis a épousé une étrangère
au cours des années 2000, tandis que les femmes qataries épousent autant que leurs compatriotes des étrangers (graphique 6)17.
Graphique 6. Proportion de mariages conclus avec un conjoint étranger selon le sexe et le pays
(2000-2009)
25
20
EAU hommes
EAU femmes
% de mariages
15
Bahreïn hommes
Bahreïn femmes
10
Qatar hommes
Qatar femmes
5
Koweït hommes
Koweït femmes
0
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
années
Source : données d'état-civil, annuaires statistiques, années et pays considérés.
17
L’Arabie saoudite et Oman ne rendent pas publique la
nationalité des conjoints enregistrée à l’état-civil.
89
La structure démographique des pays du Golfe,
qui abritent de 25% à 85% d’étrangers dans
leurs populations, augmente sans doute la probabilité d’un mariage avec un(e) étranger(e).
Mais d’autres facteurs interviennent dans ce
choix. Si une partie au moins des mariages
endogames est conclue par obligation matérielle et familiale, les mariages avec des épouses étrangères seraient eux-aussi, dans nombre
de cas, le résultat d’une frustration économique et des aspirations personnelles. La presse
et les témoignages de jeunes dans la région
rapportent que nombre de jeunes hommes
épousent des ressortissantes de pays voisins
moins riches (Iran, Syrie, Yémen, Irak), voire
des Asiatiques car leurs parents exigeaient des
dots moins élevées que dans les pays du CCG18.
Les mariages avec des étrangères signaleraient
donc le blocage du processus de transmission
intergénérationnelle du capital (économique,
social) permettant au jeune d’entrer en union.
Mais également, ce type de mariages peut attester de l’émancipation progressive des jeunes
hommes de leur famille, voire dans le cas des
Qataries, celle des jeunes femmes.
Les différentes questions liées à la dot et à
l’endogamie articulent donc la question du
mariage aux structures sociales dans leur
globalité. La signiication sociale du mariage « idéal », i.e. précoce et universel est
la reproduction de la famille fondée sur des
« hiérarchies de genre et de générations ». Ce
mariage « idéal » assure aussi la reproduction
de la distinction sociale, par la prévalence de
l’endogamie et par le contrôle, lié au montant
du douaire, de la mixité sociale des unions.
3. STRUCTURES FAMILIALES, STRUCTURES POLITIQUES
Ces mutations de la nuptialité dans la région
du Golfe ont eu de profondes répercussions
sur les structures familiales. Confrontées à
‘l’idéal type’ de la famille arabe « étendue,
patrilinéaire, patrilocale, patriarcale, endogame et occasionnellement polygame » [Patai,
1971], les données conirment la prévalence
de l’endogamie et la relative rareté de la
polygamie. Cependant, les autres caractères
du modèle semblent quelque peu démentis
par l’évolution des comportements.
Les familles, par exemple, sont parfois de
grande taille (aux EAU par exemple, de 6,9
à 8,6 personnes selon l’émirat en 2005),
mais évoluent différemment selon le pays
(graphique 7).
Ces chiffres relètent essentiellement les luctuations de la fécondité : partout supérieurs
à 7 enfants par femme en moyenne dans les
années 1960, les indices synthétiques de
fécondité (ISF) diminuent fortement, bien
qu’inégalement selon le pays. Les dernières
données disponibles (milieu des années 1990)
donnent un ISF de 7 enfants par femme (population nationale) en moyenne à Oman, contre
3,2 au Bahreïn19. Également, ces familles sont
le plus souvent nucléaires : en 2001, 71% des
ménages bahreïnis étaient nucléaires ou composés d’une personne seule, un chiffre équivalent à celui rencontré lors d’une enquête
menée dans la ville de Riyad au cours des
années 1990 [El Haddad, 2003, p. 3].
Grâce, par exemple, aux nombreux sites Internet de
rencontres matrimoniales entre musulmans. Le développement du tourisme international a également permis
l’ouverture de nouveaux « marchés » matrimoniaux, par
exemple l’Asie du sud-est.
19
Enquêtes Gulf Family and Health Surveys, 1995
(EAU, Bahreïn, Oman) et 1996 (Koweït, Arabie, Qatar).
La plupart des données ultérieures émises par les pays
du GCC ne distinguent pas les comportements des
populations nationales de ceux des populations expatriées résidant dans ces pays, ce qui affecte les résultats.
Pour cette raison, nous avons choisi de ne pas utiliser
non plus les estimations plus récentes émanant de bases
de données internationales (World Population Prospects par exemple). Également, les données manquantes y sont remplacées par des estimations fondées sur
des hypothèses parfois contestables.
18
90
Graphique 7. Évolution de la taille moyenne des ménages selon le pays (Oman, Arabie Saoudite, Bahreïn
Oman
Arabie
Saoudite
Bahreïn
10
9
9
8
7,5
7
6,4
6
personnes par ménage
6
5,9
6,1
5
4
3
2
1
0
2003
2010
1992
2007
2001
2010
années
Source : recensements, années et pays considérés.
Également, le pouvoir absolu du père sur
ses enfants semble érodé dans plusieurs
domaines. La patrilinéarité, par exemple,
reste toujours la référence légale, alors
qu’elle est atténuée dans les faits, par exemple par la prévalence de l’endogamie en
ligne maternelle, attestée par les enquêtesfécondité de tous les pays du Moyen-Orient.
P. Dresch observe également le recul de la
préférence absolue donnée à la parenté en
ligne paternelle (agnatique), au proit du
groupe de parenté dans son ensemble (agnatique et cognatique), même si cette évolution semble plus caractéristique des classes
moyennes que des familles aristocratiques
[Dresch, 2006]. Le recul de l’âge au mariage
et le développement du célibat peuvent, de
même, contribuer à une certaine émancipation des femmes, tandis que la domination
masculine en général ne peut qu’être affaiblie
par l’effacement progressif de la différence
d’âge entre les époux. Enin, nous avons sou20
« De Confucius à Rousseau, d’Aristote à Freud »
ligné la probable émancipation des jeunes
hommes de la tutelle paternelle et familiale,
attestée par le développement des mariages
avec des femmes étrangères.
Mais surtout, le mariage n’étant plus universel, c’est non seulement la stabilité, mais
surtout la perpétuation de la famille musulmane comme « unité de base de la société »
qui sont menacées. Au-delà de la iliation
agnatique, de la domination de l'homme sur
la femme et du père/aîné sur le ils/cadet (les
« hiérarchies de genres et de générations »),
c’est donc l'importance prédominante du
système de parenté comme lieu de l'exercice
des activités sociales, économiques et politiques qui se trouve ébranlée.
La famille, en effet, est liée au politique.
À travers l’histoire et les civilisations20, la
famille a été « une expression fondamentale
de l’univers dont la société politique devait
elle-même s'inspirer » [Commaille, Martin,
1998, p. 18]. Les structures familiales étant le
(Todd, 1983).
91
relet des structures politiques et des modes
de gouvernement, les relations de pouvoir
au sein de l’unité familiale « (entre parents
et enfants, entre mari et femme) conditionnent les rapports de l’individu à l’autorité »
[Todd, 1983, p. 13].
Comme dans le monde arabe en général,
les tendances autoritaires des régimes dans
la région du Golfe, soutenues par la rente
pétrolière, sont analysées par nombre de
politologues (par exemple : Crystal, 1994 ;
Al-Naqeeb, 1991 ; Beblawi, Luciani, 1990)21.
L’ancrage de cet autoritarisme dans les
structures des sociétés arabes, le parallèle
entre mode de domination macro-politique
et mode de domination au sein de la famille
sont invoqués dans la théorie du « néopatriarcat » élaborée par Hisham Sharabi
(1996) ou dans la notion de « néopatrimonialisme ». Le patrimonialisme reproduit les
relations de type patriarcal au niveau de la
population dans son ensemble (le Patriarche/
leader/patron dispense ressources et contrôle
social (protection), en retour de l'allégeance
de ses sujets/ clients) ; « le néopatrimonialisme diffère du patrimonialisme en ceci qu'il
combine et superpose les structures sociales
informelles du patrimonialisme aux structures formelles et légales de l'État […] »
[Brynen, 1995, pp. 24-25]. Dans un tel système, la reproduction des valeurs et des
structures sociales sous-tendrait donc celle
des valeurs et structures politiques.
L’interdépendance entre le régime néopatrimonial et la famille patriarcale exige donc, en
théorie, de l’État qu’il protège la stabilité de
cette dernière et contrôle ses évolutions. Au
point de vue économique, la famille étant assimilée à une unité de production, la gestion
par le père des lux intergénérationnels d'assistance matérielle sont caractéristiques des
structures patriarcales [Moghadam, 1992].
Au niveau social, la redistribution en termes
d’infrastructures, par exemple, a compensé
les « coûts de la procréation » (donc maintenu des niveaux de fécondité élevés), tandis que la prospérité rentière rendait inutile
l’accès des femmes au marché du travail,
favorisant ainsi la domination masculine
et contribuant à la stabilité des institutions
sociales. Cette convergence peut-être opportune a aussi été renforcée par diverses mesures légales raffermissant la subordination de
la femme et des enfants aux hommes et au
père de famille. Cette subordination est particulièrement marquée en Arabie saoudite,
où l’égalisation des droits des femmes avec
ceux des hommes, du simple accès à l’espace public à la participation politique, soulève l’opposition de plusieurs secteurs de la
population. La question du mariage précoce,
quant à elle, montre le pouvoir du père sur
ses enfants et l’absence de l’État du champ
de la protection des droits des enfants.
Pourtant, nous avons vu que les structures
familiales avaient évolué, sous l’impulsion
de la baisse de la fécondité mais surtout sous
l’effet des changements dans les paramètres
de la nuptialité. La famille patriarcale ne serait donc plus forcément le type de famille
dominant.
Est-ce la raison pour laquelle dans tous les
États de la région, le mariage et, par extension, la famille sont l’objet de débats populaires mais aussi de politiques publiques ?
Quels sont les cibles choisies et le type de
mesures prises ? Comment interpréter ces
interventions, en termes politiques ? Dans
cette dernière partie nous nous concentrerons
plus particulièrement sur l’Arabie saoudite,
où la question du mariage est investie d’une
place cruciale dans le débat politique.
La stabilité des régimes clientélistes et autoritaires-néopatrimoniaux de la région dépend de la redistribution par
l’État de ressources de type rentier (ressources ne découlant
pas d’un processus de production, ici, les hydrocarbures),
qui a permis de négocier une faible participation politique
des citoyens en échange de la limitation du recours aux prélèvements directs, selon l'aphorisme « pas de représentation
sans taxation » [Beblawi, 1990, p. 89]. Outre l'exemption
de taxation, les ressources sont aussi constituées de redistributions inancières ou de biens et services.
21
92
4. MARIAGE ET REPRODUCTION DES INSTITUTIONS : DES DÉBATS AU
CŒUR DU POLITIQUE
Dans ce pays, toutes les évolutions de la
nuptialité relevées ici font débat et donnent
lieu à des mesures d’intervention, privées
et publiques : le retard du mariage et le
développement du célibat, les mariages
d’enfants, le divorce et l’instabilité familiale,
les mariages avec un conjoint étranger22,
comme l’indique la lecture régulière des
articles traitant de ces questions dans la
presse de la région, où interviennent régulièrement des praticiens, enseignants et chercheurs spécialisés sur la famille.
Les mariages précoces, entre deux enfants
ou entre une jeune ille et un homme âgé
sont défendus par certains religieux comme
étant conformes à la sharia23. Cependant de
nombreux défenseurs des droits humains
et d’autres religieux militent contre cette
pratique, considérée comme non adaptée à
l’époque actuelle et dangereuse pour la santé
psychologique et physique de la iancée24,
mais surtout constituant un mariage forcé,
donc interdit en Islam où le consentement
de la iancée doit être clairement exprimé25.
Le retard du mariage et le célibat, de même
que les mariages très précoces, sont en effet
présentés dans le discours public comme
imposés aux jeunes, hommes et femmes. La
responsabilité de cette situation est généralement imputée aux pères de familles. Ceux-ci
seraient motivés par la cupidité (s’ils réclament des sommes importantes en échange
du mariage de leur très jeune ille avec un
homme plus âgé26, voire comme dot pour
leur ille, la condamnant ainsi au célibat27) ou
par un attachement rétrograde aux solidarités
primordiales, tribu ou famille étendue, qui les
mène à refuser tout prétendant extérieur à
leur groupe tribal ou familial28. La polygamie est parfois invoquée comme solution au
problème du célibat, par des prédicateurs
ou des initiatives privées mais non par les
pouvoirs publics.
La hausse des niveaux de divorce est elleaussi beaucoup discutée et constitue une
préoccupation majeure des acteurs gouvernementaux. Ce phénomène, vu comme un
facteur de troubles psychologiques pour les
femmes et les enfants, voire même comme
un facteur de déviance, déstabiliserait donc
dangereusement la famille, base de la société.
Là encore, les traditions et les pressions
patriarcales aux mariages arrangés et trop
précoces sont accusées de fragiliser les couples. Cependant, le discours des experts et
des acteurs gouvernementaux déplore aussi
la stigmatisation sociale et économique, au
nom des traditions patriarcales, de la femme
divorcée ; ces acteurs défendent le droit de la
femme divorcée à l’emploi et prennent acte
du nombre croissant de ménages dirigés par
ces femmes, seules ou élevant des enfants,
donc particulièrement vulnérables. L’impérative nécessité d’éduquer les femmes à
leurs droits, droits garantis par les provisions
du droit islamique, est régulièrement revendiquée (par exemple, le rapport de Mona
Al-Munajjed (2010) sur ce sujet).
22
Ce dernier point ne sera pas développé ici car les
mariages entre Saoudiens et étrangers font moins débat dans le royaume que, par exemple, aux EAU où les
mariages avec les étrangers sont la cible privilégiée de
l’action publique sur le mariage. En mai 2011 le Conseil
consultatif saoudien a proposé une loi autorisant les mariages entre Saoudiens et ressortissants d’autres pays du
CCG.
23
Le Prophète ayant épousé Aïcha alors qu’elle était âgée
de neuf ans. Le Sheikh Abdul Aziz AL al-Sheikh, grand
mufti du royaume, s’est largement exprimé en faveur de ce
type de mariage. http://www.saudigazette.com.sa/index.
cfm?method=home.regcon&contentID=2009011526744
24
Sheikh Abdullah al Manie, ministre de la Santé http://
archive.arabnews.com/?page=1§ion=0&article=11
8866&d=4&m=2&y=2009.
25
Cette position est par exemple défendue publiquement par le Sheikh Abd el-Mohsen Obeikan, Conseiller
au Diwan royal, ou par le Dr. Muhammad Al-Nujaimi,
un membre haut placé de la Islamic Jurisprudence Society du Royaume, http://archive.arabnews.com/?page=
7§ion=0&article=118974&d=8&m=2&y=2009.
26
http://archive.arabnews.com/?page=7§ion=0&ar
ticle=113440&d=27&m=8&y=2008.
27
http://www.saudigazette.com.sa/index.cfm?method=home.
regcon&contentID=2009010325642
28
http://middle-east-online.com/?id=92113=92113&format=0.
93
Ainsi, à l’inverse de pratiques dites « traditionnelles » telles que les mariages d’enfants,
l’évolution de la nuptialité et des structures
familiales en Arabie saoudite n’est pas
assimilée à une dysfonction sociale29. Cette
évolution marquée par le retard du mariage,
par l’émergence du célibat féminin, par celle
de familles monoparentales constitue une
réalité à prendre en compte, mais non une
tendance à inverser à tout prix. Ce sont les
effets négatifs de cette situation pour les
individus qui doivent être traités : le célibat
forcé ou la précarisation sociale de certaines
femmes célibataires ou divorcées par exemple, au même titre que les abus patents du
pouvoir patriarcal. Le discours gouvernemental sur la question du mariage et de la
famille s’articule donc autour de deux axes
principaux :
1. La coutume et les traditions patriarcales,
qui privent les femmes et les jeunes de
leurs droits (liberté de se marier ou non ;
liberté de choix du conjoint ; liberté
de divorcer ; voire possibilité pour une
femme de vivre seule et d’élever ses enfants). L’Islam au contraire, garantit ces
droits, dans une interprétation « éclairée »
des textes, contraire à l’interprétation
littérale, a-historique de ceux-ci par
certains religieux ;
2. La situation des femmes, qui doivent être
familiarisées avec leurs droits par l’éducation et sont les plus exposées à la précarité
économique mais aussi sociale, en raison
du conservatisme religieux décrit plus
haut. La question du mariage cristallise
donc les déis et opportunités du processus
de réforme dans son ensemble, mais aussi
les fractures de la société saoudienne.
La cohésion sociale dans le royaume est en
effet plus que jamais sous tension depuis le
tournant des années 2000, alors qu’un processus de réformes économiques, sociales et
politiques est en cours depuis 1996 sous
l’impulsion du régent Abdallah, devenu roi
en août 200530. Le gonlement des classes
d’âges des jeunes adultes (youth bulge),
résultant des forts taux d’accroissement
naturel en vigueur jusqu’à la in des années
1970 [Courbage, 1994], la chute des revenus
pétroliers, l’émergence d’un chômage de
masse et celle d’importantes poches de pauvreté urbaine [Dazi-Héni, 2006, pp. 72-74],
le développement d’un clientélisme de plus
en plus « discriminatoire » [Hertog, 2006,
p. 120]31, se sont combinés à l’opposition aux
réformes d’une partie du clergé et des dignitaires économiques et politiques du royaume,
puis au développement d’une opposition
salaiste parfois violente, pour menacer la
stabilité politique du régime. La conduite
des réformes a donc à la fois dû répondre aux
revendications de redistribution des couches
sociales en voie de paupérisation (la classe
moyenne « inférieure » selon les termes de
F. Dazi-Héni (2006, p. 69) et aux appels à
la réforme sociale des élites urbaines et des
classes moyennes, partisanes par exemple
d’une revalorisation la place de la femme
dans la société. Dans le même temps, ce
processus devait aussi tenir compte tant du
conservatisme sociopolitique d’une partie
des élites, que des mutations de fond de la
société saoudienne, repérables comme on l’a
vu dans l’évolution des structures familiales
et des paramètres de la nuptialité.
Cette situation a obligé le programme de
réformes à acquérir « une nouvelle légitimité
islamique » en y ralliant et en y impliquant
des igures de la contestation salaiste des
années 1990 tel que le Sheikh Salman Al
Awdah [Dazi-Héni, 2006, p. 60], tandis que
la cible privilégiée du volet social du processus de réforme reste la situation de la femme
et, plus particulièrement, son émancipation
par le travail.
Comme l’envisagent par exemple les islamistes modérés en Jordanie [De Bel-Air, 2008].
30
Et aussi sous la pression de la communauté internationale pour de nombreuses raisons, incluant le processus
d’accession à l’Organisation mondiale du Commerce,
abouti en 2005 et l’implication de salaistes saoudiens
dans les attentats du 11 septembre.
31
Les capacités de redistribution de l’État étant fortement diminuées, une distinction s’opère dans la population, entre les citoyens connectés aux réseaux clientélistes et les autres, privés de soutiens.
29
94
Ces deux axes du processus de réforme
sociopolitique et du discours réformiste sur le
mariage sous-tendent également les actions
menées en réponse à ces discours. Le problème des mariages d’enfants, tout d’abord,
a fait l’objet de diverses mesures : depuis
2008, le ministère de la Justice impose des
sanctions à l’encontre des oficiers d’étatcivil ayant procédé à des unions sans l’accord explicite de la iancée. En coopération
avec divers organes gouvernementaux, ain
de traiter la question des mariages précoces
sous tous ses angles (légal, social, sanitaire,
religieux, …), la Commission pour les Droits
humains (Human Rights Commission), un
organisme gouvernemental, fait campagne
contre ces mariages, une « violation des
droits des enfants énoncés dans la Convention des Droits de l’Enfant dont le Royaume
est signataire »32, qui porte à 18 ans l’âge
de sortie de l’enfance. Cet organisme, ainsi
que la National Society for Human Rights,
organisme semi-privé, militent aussi avec
de nombreux experts, travailleurs sociaux et
activistes défenseurs des droits de l’Homme
pour la déinition d’un âge minimum légal
au mariage. En juin 2011, le Majlis al-Shura
aurait recommandé de ixer celui-ci à 17 ans
pour les femmes, le ministère de la Justice
étant désormais en charge de faire promulguer et appliquer cette loi33.
Avec le soutien et le parrainage de personnalités membres du gouvernement saoudien,
de nombreuses organisations caritatives
musulmanes répondent aux dificultés socio-économiques des candidats au mariage.
Ces organismes proposent des services matrimoniaux, dont l’organisation de mariages
collectifs permettant de limiter ou d’annuler
les frais de la cérémonie, ceux de l’installation
du couple et le montant de la dot34. Le divorce fait également l’objet de nombreuses
actions : depuis 1994, au sein des tribunaux
spéciaux du ministère de la Justice consacrés
aux affaires matrimoniales, les demandes de
divorces sont examinées par des « comités
de direction et de réformes », qui statuent sur
les arguments du mari puis tentent une conciliation entre les époux35. En 2008, le Conseil
consultatif (Majlis Al Shoura) envisageait
l’interdiction de la répudiation unilatérale en
l’absence de l’épouse et des personnalités
religieuses appellent à l’application des
provisions de la loi islamique pour garantir la protection sociale et psychologique
des femmes divorcées. Le Sheikh Salman
Al-Awdah militait en 2008 pour l’établissement en ce sens d’un « document pour le
Divorce en Arabie saoudite » [Al-Munajjed,
2010, p. 22]. Un décret royal (n° M/78
du 1 er octobre 2007, non encore promulgué) viserait également (après tentative de
conciliation) à faciliter la procédure de divorce pour les femmes et à défendre leurs
droits (à la garde des enfants, à une pension alimentaire par exemple) face à leur
mari. Le ministère des Affaires sociales
discute l’organisation de cours de préparation
au mariage ain de lutter contre l’instabilité matrimoniale, tenus par exemple
au Al-Mawada Center for Family Reconciliation and Guidance à Jeddah depuis
février 2011. La National Society for Human Rights et nombre d’ONG caritatives
féminines dans les grandes villes du pays
mènent pour leur part des actions de prévention contre le divorce et des actions de
soutien et d’informations légales aux femmes divorcées (par exemple le Mawadda
Philanthropy for Divorce Issues)36. Enin,
les femmes divorcées igurent depuis 2009
parmi les personnes nécessiteuses bénéiciant de l’aide publique, sur ordre du roi
Abdullah [Al-Munajjed, 2010].
http://www.saudigazette.com.sa/index.cfm?method=home.
regcon&contentID=2010100884900
33
http://www.elaph.com/Web/news/2011/5/658953.html.
34
http://www.saudigazette.com.sa/index.cfm?method=home.
regcon&contentID=20110705104537
Revue du majlis al-shura n° 45 de 1994, http://www.
shura.gov.sa/magazine/majalah45/7EWAR.HTM.
36
http://www.saudidivorce.org;
http://saudidivorce.blogspot.com/
32
35
95
CONCLUSION
Les six pays de la région du Golfe semblent
donc engagés dans une dynamique démographique commune, même si ces évolutions
semblent plus avancées dans les petits États
(Koweït, Bahreïn et Qatar) qu’aux EAU, en
Arabie saoudite et surtout à Oman. Cette dynamique est caractérisée par un retard du mariage masculin, mais surtout féminin, par une
diminution des écarts d’âges entre époux, par
l’émergence d’un célibat féminin et par une
instabilité croissante des unions, mais également par une coexistence paradoxale entre de
hauts niveaux d’endogamie et de nombreux
mariages avec un conjoint étranger. Le mariage arabe comme élément de la perpétuation de la famille patriarcale étendue et des
« hiérarchies de genre et de générations » au
niveau de la société dans son ensemble ne
constitue donc plus une norme.
Cependant, la signiication politique de
l’institution matrimoniale, lieu de la reproduction des structures familiales mais aussi
des structures politiques, donne lieu à des
constructions, par les divers acteurs, des enjeux sociaux de ces nouvelles dynamiques
démographiques. Ces représentations, les
mesures y répondant, mais aussi les oppositions qu’elles suscitent, nous renseignent
donc sur les représentations normatives des
dynamiques sociales et politiques attachées
à ces dynamiques démographiques. Dans
le cas saoudien, le débat passionné sur les
mutations de l’institution du mariage et de la
famille, et sur les mesures à prendre pour y
répondre, cristallise des oppositions violentes. Ces oppositions portent sur la prépondérance des solidarités primaires (famille
étendue, groupes tribaux) sur l’État, mais
aussi sur le contrôle de l’exégèse des textes
religieux touchant au statut de la femme et
de l’enfant dans la société, face à des acteurs
présentés comme conservateurs. À travers
leur action sur le mariage, les réformistes au
sein de l’État saoudien chercheraient donc à
se réapproprier le contrôle du processus de
changement social.
Les mesures discutées, telles que la déinition d’un âge minimum légal au mariage
qui romprait avec la loi islamique appliquée
dans ce domaine, restent importantes pour la
promotion d’une société islamique « éclairée ». Mais signiient-elles que les réformes
légales et sociales rejoignent l’évolution des
comportements ? En réalité ces mesures sont
discutées, proposées par le Conseil consultatif, mais peu de ces projets de loi sont
effectivement promulgués et appliqués. Il
semblerait donc que le processus de réforme légale du mariage et de la famille reste
coniné au plaidoyer, spectateur mais non
acteur du changement social. Cette situation,
à plus ou moins long terme, pourrait s’avérer
menaçante pour la cohésion sociale dans le
royaume, et pour la stabilité du régime.
96
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