Dialoguer sur l’islam
en contexte de polarisation
Morgane Devries
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation
Expérience des forums citoyens dans le cadre de l’exposition
« L’Islam, c’est aussi notre histoire »
(Bruxelles, 2017-2018)
Une étude de l’IRFAM
Par Morgane Devries
Sous la supervision d’Altay Manço
Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations
www.irfam.org
Liège, novembre 2018
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Présentation
Le projet de forums sur l’islam met en exergue différentes balises théoriques circonscrivant l’état des
lieux de méthodes de dialogue interculturel, elles-mêmes inscrites dans des dispositifs socio-éducatifs.
Si ces méthodes permettent de souligner l’importance d’une éducation non formelle dans le cadre
d’un processus de débat démocratique relatif à l’islam, les conjonctures contextuelles et le climat
ambiant dépassent bien souvent les réalités de terrain, poussant constamment les acteurs à
s’interroger sur leurs pratiques professionnelles. C’est pourquoi il a été essentiel de préciser le cadre
méthodologique et empirique du dispositif avant de présenter l’analyse des échanges et des enjeux qui
s’y sont dégagés. En effet, le projet n’est pas étranger à l’intention politique d’endiguer la haine, les
marques de rejet et d’incompréhension réciproque qui peuvent obstruer les relations de qualité entre
personnes de confession musulmane ou non, en rehaussant le débat et en offrant un espace où le
citoyen peut s’exprimer, en tant qu’acteur social sur un devenir commun. Les témoignages diffusés
lors des forums et analysés ici rendent compte de trajectoires de vie de musulmans belges et du
rapport qu’ils ont construit avec l’altérité. Les débats issus de ces rencontres permettent alors
d’égrener différents facteurs auxquels il faut être attentifs lorsque l’on appréhende la diversité
religieuse, et la place de la présence musulmane, plus spécifiquement, dans notre société. Enfin, est
proposée une évaluation multiniveau susceptible d’éclairer les effets et les attentes des acteurs sociaux
par rapport à un tel objet et à dégager des points d’attention dans la construction ultérieure de
dispositif de ce type.
Nos remerciements les plus sincères vont à
Abdessamê Es-Salmi — Aïcha Adahman — Barbara Mourin — Belgin Özdemir —
Brigitte Tison — Christophe Parthoens – Emre Çoban — Eva Maria Jimenez –
Franck Hensch – Hayate El Aachouche – Hüseyin Çakmak – Isabelle Benoit
Jacques Rihoux – Kaya Hakan – Khadija Oualmakran – Kumlu Seyfi – Lina Achaoui –
Luan Abedinaj – Malika Hamidi – Michel Born – Moustafa Chairi – Nesrine Daydouna –
Nikita Imambajev – Patricia Berquin – Rachid Bathoum – Rachid Talbi –
Saïd Ouled El Bey – Sarah Degée – Sebahat Bolat – Seyma Gelen — Spyros Amoranitis —
Tami Essaidi — Yvonne Simeone – et toute l’équipe de TEMPORA…
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Sommaire
Dialogue interculturel comme espace de participation citoyenne
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Construction d’un dispositif favorisant le dialogue entre musulmans et non-musulmans
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Débattre de l’islam : vécus, discours et enjeux
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Évaluation des forums
33
Enjeux transversaux et position de l’IRFAM en guise de conclusion
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Bibliographie
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Annexe pratique. L’outil « forum » comme dispositif d’animation au service de l’inclusion sociale
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Présentation de l’IRFAM
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Morgane Devries est assistante sociale et sociologue, spécialisée en interventions sociales.
Détentrice d’un certificat d’études de l’islam (UCL-USL-B), elle est collaboratrice scientifique de l’IRFAM.
Dans l’ensemble de l’ouvrage, sauf mention contraire,
le masculin est utilisé comme épicène.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Dialogue interculturel comme espace de participation citoyenne
L’intérêt systématique et déclaré pour le dialogue interculturel est apparu à la suite de la Deuxième Guerre
mondiale. Après cette période tragique, les États consacrent un texte international dédié aux Droits de l’Homme
et s’engagent dans une démarche pour la reconnaissance de la dignité humaine. La Déclaration universelle des
Droits de l’Homme de 1948 marque ainsi un tournant en offrant le droit à la dignité et à la liberté de conscience
à tout humain, et ouvre la possibilité aux diversités d’appartenances et de convictions de cohabiter dans le
respect réciproque. Contrairement aux pensées des Lumières, cette liberté n’est pas limitée par une citoyenneté :
des diversités d’hommes et de femmes ont droit d’être reconnues comme dignes et égales.
Parmi les premiers 48 États en faveur de cette Déclaration, certains pays signataires sont issus du Tiers-Monde.
(Goldman, 2009). Malgré son ouverture à la diversité, son idéal commun reste difficile à réaliser entre des pays
dont les cultures et valeurs promues sont parfois antagonistes. Si elle véhicule une vision dominante de l’Homme
et à uniformiser un modèle de liberté-égalité au-delà des frontières, elle produit dans le même temps une vision
ethnocentrique de l’humain et tâche de construire des rapports apaisés entre pays, suite aux colonisations, malgré
les cicatrices qui colorent encore les rapports Nord/Sud.
À partir de l’après-guerre, des populations perçues précédemment comme étant extérieures à l’Occident,
notamment à l’époque coloniale, deviennent des résidents, voire des citoyens européens, principalement depuis
les migrations de travail des années 1950-70. En Europe occidentale, au sein de ces populations sont notamment
présentes des personnes de culture musulmane venues de la région du Maghreb et de Turquie, ainsi que du
Moyen-Orient, du Sahel, de l’Asie du Sud et du Sud-est.
Certes, au-delà de la mémoire collective partagée autour de cette migration économique, l’Islam, en tant que
civilisation, est constitutif de l’identité européenne et perceptible, tout au long des âges, au moins au travers les
pratiques des musulmans au quotidien, à travers la culture savante, l’art, l’artisanat et la science, à travers des
emprunts linguistiques et, bien sûr, dans les imaginaires. Cette religion devient palpable pour les Européens
depuis l’arrivée successive et la sédentarisation en Europe occidentale et du nord de cette minorité religieuse et
culturelle musulmane, de plus en plus désireuse d’être reconnue dans ses singularités et traitée avec égalité.
Aussi, sous certains aspects, cette rencontre bouscule la société européenne dans ses fondements et valeurs
qu’elle prenait pour allant de soi. Par exemple, le religieux qu’elle croyait avoir délaissé de ses institutions, de sa
vie collective et de l’espace public est réapparu dans l’esprit de l’opinion publique, à travers les attentes des
musulmans de pratiquer leur religion et les polémiques qui ont été construites autour de ces dernières (Corm,
2009). Les événements terroristes survenus ces vingt dernières années sur la scène internationale ne sont pas
étrangers à ce sentiment que la religion prend à nouveau plus de place dans la vie sociale.
Si une convention culturelle a été adoptée dès 1954 par les premiers pays adhérents de ce qu’allait devenir l’UE
afin de sauvegarder l’identité européenne et son patrimoine culturel, cette question n’a pas été au centre des
préoccupations d’une fédération essentiellement économique. Pourtant, dès les années 90 voient le jour des
débats relatifs à la gestion de la diversité intraeuropéenne avec comme question centrale « comment valoriser
l’identité européenne lorsque sa population se diversifie de plus en plus ? »
Ce n’est qu’en 1992 que le Traité de Maastricht confère à la Commission européenne un nouveau domaine
d’action consacré à la diversité culturelle, même si la Commission n’a pas attendu cette législation pour initier
des activités. De plus, puisque l’Europe est composée d’une diversité intrinsèque elle-même nourrie par les
apports des migrations, la politique culturelle commune valorisée ne consiste pas (ou plus) à harmoniser les
identités au sein des États membres. Au contraire, son objectif est d’assurer la conservation de leur diversité.
Pour soutenir ces missions, une convention-cadre est votée en 1995. Celle-ci est ratifiée en vue de protéger les
minorités nationales et instaure la création d’une initiative européenne de sensibilisation contre le racisme,
l’antisémitisme, la xénophobie et l’intolérance (« Tous différents, tous égaux »). Ce ne sera qu’après le sommet
européen de 2005 que États membres décideront de faire du dialogue interculturel (y compris dans sa dimension
religieuse) le « moyen [pour] promouvoir la prise de conscience, la compréhension, la réconciliation et la
tolérance » entre citoyens, « tout en prévenant les conflits et afin d’assurer l’intégration et la cohésion de la
société » (Goldman, 2009).
En parallèle, le Conseil de l’Europe développe des stratégies de gestion et de promotion de la diversité culturelle
à travers l’élaboration d’un plan. Ce dernier est accompagné de recommandations reprises et collectées dans un
Livre blanc paru en 20081.
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www.coe.int/t/dg4/intercultural/source/white%20paper_final_revised_fr.pdf.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Si l’on récapitule, l’évolution des politiques culturelles à un niveau européen vise la promotion des identités
multiples qui composent son territoire en tachant à ce que la valorisation de la diversité reste au fondement
même du vivre-ensemble. C’est pour cette raison que le processus de négociation, et donc de dialogue, reste un
incontournable. Il permet de mettre sur la table les objectifs communs que l’on se destine à atteindre et part du
principe que les identités se nourrissent entre elles et ne sont ni figées ni antagonistes par nature. La démarche de
dialogue interculturel amorcée institutionnellement, en Europe, depuis le début des années 2000, est évocatrice
de cette prise en considération.
Dans un monde désormais globalisé, cette question s’impose d’autant plus : ce qui se passe en Europe est plus
que jamais en lien avec ce qui se passe ailleurs, et surtout avec « ceux considérés comme d’ailleurs », bien que
durablement installés sur le territoire européen. Cette porosité entre les univers culturels, malgré sa richesse, est
aussi créatrice de fragilité et d’insécurité, voire de conflits. Cela peut renforcer les mécanismes de revendications
identitaires destinées à protéger les particularités de groupes donnés. Assurer un vivre-ensemble et une cohésion
sociale sereine implique par conséquent de négocier les espaces communs de la vie collective et des lieux de
rencontres. Il est donc nécessaire que les habitants soient aussi partie prenante du fonctionnement démocratique
de la société et qu’ils discutent des valeurs qui leur sont communes puisque ces dernières vont, en retour,
structurer leurs relations sociales auxquelles ils prennent part.
En réponse à ce besoin et à face ses élargissements successifs, ainsi que son pluralisme culturel croissant —
malgré sa fermeture face à la Turquie —, l’UE a décidé de se doter d’outils en vue de promouvoir le secteur
culturel, de sensibiliser et de favoriser une participation et une gestion citoyenne de cette diversité. Telle est
l’intention notamment lorsqu’elle décide de renforcer son plaidoyer et intention politiques en faisant de
l’année 2008 celle du « Dialogue interculturel ». Par cette démarche, l’Europe montre qu’elle ne souhaite pas être
le seul décisionnaire par rapport à l’orientation des actions destinées à valoriser le vivre-ensemble. D’abord pour
des raisons éthiques de démocratie participative, mais aussi pour des raisons pratiques, puisque les réalités du
vivre-ensemble sont fortement ancrées localement et déterminées par les interactions sociales du quotidien.
L’islam dans le dialogue interculturel
Malgré de nombreuses initiatives favorables à un dialogue entre cultures, l’actualité témoigne d’une montée de
crispations identitaires autour de l’islam. Les conflits idéologiques qui se dégagent de ces tensions nous
paraissent exemplaires d’un besoin de dialogue et de (re)connaissance entre les communautés musulmanes et
non musulmanes de Belgique — et en Europe plus largement. Nier aujourd’hui les difficultés engendrées par ce
multiculturalisme serait être sourd aux discriminations que des citoyens de différentes cultures subissent chaque
jour dans le pays dans lequel ils sont nés ou qui leur a accordé la nationalité.
Plusieurs hypothèses sont avancées à ce sujet. Les migrations de personnes de confession musulmane ont, de
fait, amené les Européens à définir des liens sociaux avec une nouvelle minorité religieuse en Europe, à l’heure
où cette dernière était en phase de sécularisation avancée. De plus, ce « retour au religieux » par des musulmans
établis en Europe s’est construit en filigrane de la montée d’un islam politique dans les pays du Moyen-Orient et
au-delà (révolution iranienne, guerres civiles en Afghanistan, en Tchétchénie en Irak, en Syrie et dans les
Balkans, 11 septembre, printemps arabes…) et s’est entouré de multiples controverses (les caricatures, le voile,
le halal, l’abattage rituel, le communautarisme, le radicalisme…) qui ont rythmé des débats en Europe, jusqu’à
ce jour. Enfin, les attaques perpétrées « au nom » de l’islam (la triste série des attentats à Londres, Madrid, Paris,
Bruxelles, Istanbul et diverses autres villes pour ne parler que de l’Europe) ont scellé le sort de l’équation « islam
= violence ». C’est ainsi que des prises de parole de citoyens, d’hommes politiques et de personnalités publiques
se sont centrées sur la défense de la liberté d’expression et de l’adéquation entre des valeurs dites européennes et
l’islam. Ces massacres ont amené un lourd débat sur la scène publique centré sur la définition des valeurs
européennes, en les positionnant le plus souvent en opposition avec celles supposées islamiques.
Les violences revendiquées pour les plus récents par le groupe autoproclamé « État islamique » ont amené les
dirigeants européens à renforcer les mesures sécuritaires déjà accrues depuis 9/11. Au-delà de ces actions
protectionnistes dont l’objectif s’attache à réprimer et à sanctionner les terroristes potentiels, des actions
collectives et coordonnées au sein des pays européens sont progressivement envisagées pour endiguer les départs
des jeunes citoyens vers la Syrie et soutenues politiquement par des mesures législatives en la matière.
Nombreux sont les intervenants sociaux et autres observateurs à être soucieux de prévenir le risque de
« radicalisation ». Ceux-ci valorisent particulièrement la mise en place d’une action éducationnelle visant à
travailler sur les causes qui poussent des individus à se radicaliser plutôt que sur les conséquences de cette
dernière, à savoir les actes violents. Ce climat amène donc la société civile, les décideurs et le champ
scientifique, ou encore les services publics, à intervenir, parfois malgré eux, afin de valoriser ce qui est souvent
nommé le « vivre-ensemble ».
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Toute rencontre, en effet, ne peut être considérée en soi comme un dialogue. On peut rencontrer de nombreuses
personnes aux appartenances diverses dans la rue, à l’école, au travail, par de brefs contacts, même de manière
répétitive, sans pour autant entrer en dialogue avec elles. C’est, d’une certaine manière, ce que les débats postattentats ont mis en lumière : l’articulation entre le religieux et les valeurs démocratiques manque assurément de
clarté et de dialogue. Une initiative favorable aux rencontres interculturelles nous apparaît ainsi d’autant plus
primordiale que l’actualité change, évolue et implique une réflexion sur la justesse des interventions à mener par
les éducateurs et les travailleurs sociaux, acteurs de première ligne dans le cadre de l’accompagnement des
jeunes et des actions d’éducation permanente. Ils sont nombreux à solliciter des outils pour créer des espaces de
dialogue — qu’il est important de mettre en lien avec la gouvernance locale, afin d’obtenir des changements —,
tout en étant soucieux de la difficulté d’aborder ce type de sujet au vu du contexte actuel de « radicalisation ».
Le dialogue entre les musulmans et les non-musulmans d’Europe implique, du reste, de prendre en compte
l’histoire migratoire et les imaginaires médiatiques qui incarnent les discours polarisants, pour questionner,
ensuite, leurs impacts dans le nœud des rapports sociaux. Ces modes d’interventions sociales (ou « dialogues »)
questionnent, en réalité, le rapport des Européens à l’altérité, de manière à aiguiller, autant que faire se peut, les
acteurs du terrain dans leurs actions face à un contexte qui nous dépasse, il convient pour nous de travailler sur
les tabous, les incompréhensions et les interrogations portées sur l’islam et les musulmans à travers une
dynamique de dialogue interculturel.
Aborder l’islam
Les différences, nourries par les représentations collectives, peuvent cristalliser certaines peurs et incertitudes
lorsque les acteurs manquent de connaissances et d’expérience pour appréhender les diversités culturelles. Au fur
et à mesure de l’arrivée des populations issues de pays à majorité musulmane, l’islam n’est plus vu comme
extérieur au territoire européen. Au contraire, cela devient un état de fait pour l’ensemble des nations
européennes, de sorte qu’aujourd’hui nombreux sont les jeunes dont les parents sont issus de l’immigration à se
revendiquer à la fois citoyens européens et de confession et/ou de culture musulmane. Des représentations,
basées sur les conflits passés entre l’Europe et le monde musulman transitent par l’histoire du pays d’accueil, sa
conception de l’intégration et de la citoyenneté, les médias où discours politiques et scientifiques participent
d’une image parfois tronquée, « misérabiliste », voire « archaïque », sans toujours valoriser la complexité du réel.
La démarche d’intervention sociale destinée à dialoguer à propos de l’islam suppose, dans un premier temps, de
mettre en place des espaces-temps de rencontre, d’échanges, de « frottements », c’est-à-dire des espaces de
négociation, au sens large (A. Manço, 2002), invitant chacun des protagonistes à mettre à plat son opinion et ses
représentations d’une question de société donnée. Le but est de poser les conditions de débats collectifs au sein
même d’un processus pédagogique et éducationnel de dialogue entre individus et d’analyser ce qui ressort de
leurs échanges, en termes de points d’accord et de tensions.
Dans ce contexte, les démarches participatives, telles que les recherches-actions et une de leurs modalités, les
focus groups (Merton, Fiske et Kendall, 1970), veillent à recueillir un nombre important de discours en
reproduisant un cadre d’interaction et de communication. Ils permettent de réunir des personnes afin de saisir
l’objet de leur échange et les représentations qui les animent : ce sont des moments « de communication
permettant d’engager, d’observer et d’analyser des interactions, des souvenirs et des représentations » en train
de se construire (Kalampalikis, 2004, 3).
Cette méthode est utilisée en sociologie dans le cadre d’entretiens collectifs et favorise la participation des
acteurs concernés. Ces derniers coconstruisent du sens autour d’expériences partagées, de faits divers et
d’actualités et/ou de causes communes. Les acteurs peuvent aussi produire des recommandations afin de
positiver ces expériences. Le focus group reconnaît aux acteurs une capacité de réflexion en considérant qu’ils
ont également des idées sur ce qu’est la démocratie, le vivre-ensemble, autrement dit un ensemble
d’informations auquel le spécialiste ou le décideur n’accède pas nécessairement à travers les approches
quantitatives ou les entretiens de type individuel. Par ailleurs, ces pratiques participatives peuvent renforcer la
cohésion sociale en mettant en lien des groupes qui n’ont pas l’habitude, voire l’envie préalable de se rencontrer.
Ces méthodes « constructivistes » visant un dialogue interculturel « tentent, enfin, d’articuler les notions de
tradition et de modernité plus qu’elles ne les opposent » (A. Manço, 1999, 24).
Si l’islam est perçu par certains sous le prisme d’une opposition entre une modernité réelle ou idéelle et un passé
archaïque fantasmé, voire, aujourd’hui, politisé, émerge aussi une volonté de changer les manières de faire des
États pour concilier les demandes avec les normes et les valeurs défendues par ces derniers : sauvegarde de la
laïcité, le devoir de neutralité, l’égalité des citoyens… (Bosset, 2009).
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Ainsi, selon U. Manço (2004, 39), « l’avènement d’une minorité musulmane offre la possibilité pour le monde
occidental de questionner ses propres spiritualités, son rapport au fait religieux et sa codification légale ou
institutionnelle spécifique qui s’est développée dans chaque pays ». Le cadre de ces échanges permet de faire du
conflit un vecteur de changement social (Simmel, 1995), si ce dernier est contrôlé par différentes modalités sur
lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.
À travers le dialogue, ces outils permettent de valoriser les compétences relationnelles et les mobilisations
identitaires des populations minoritaires et de ceux qui les côtoient (Bastenier et Dassetto, 1993). En faisant
émerger les représentations sociales des parties prenantes, on souligne la place de la réciprocité (Schnapper,
1991 ; Costa-Lascoux, 1996 ; A. Manço, 2006) dans le processus de résolution de conflits. Le vivre-ensemble
entre musulmans et non-musulmans nécessite ainsi de dépasser la simple idée de tolérance : on peut tolérer
quelqu’un sans pour autant l’accepter, le connaître, le comprendre ou le reconnaître ; sans ces différentes étapes,
pourtant, aucun changement social favorable à une cohabitation de la diversité culturelle et religieuse ne peut
s’opérer.
Pluralité des modes d’inclusion des musulmans en Belgique
Dans un précédent article, nous avons proposé une typologie de différentes approches qui permettent de
favoriser une co-inclusion de l’islam dans la société belge, en soulignant notamment leurs complémentarités
(Devries et A. Manço, 2017). Même si cette typologie n’est pas exhaustive, elle permet de situer les approches
au sein des « niveaux » auxquels elles appartiennent.
Tout d’abord, les approches juridico-légales permettent de poser le cadre au sein duquel seront discutés et
déterminés la gestion et la reconnaissance du religieux, des modes de relation entre les religions et l’appareil de
l’État et la séparation des pouvoirs politiques et religieux. Ces démarches visent la « production et/ou l’usage de
normes, de lois et de réglementations afin d’offrir un support structurel à une inclusion de l’islam au sein de la
société : soit à travers des organes institutionnels qui en garantissent la représentation, soit au sein
d’institutions qui se doivent de se positionner par rapport à l’expression du religieux en leur sein » (Devries et
Manço, 2017, 2). Dans ces approches, nous retrouvons d’un côté le processus de reconnaissance de l’islam par
l’État belge en 1974 et celui de la formation d’un organe représentatif des musulmans. La question de la
désignation de l’autorité s’est d’abord posée dans le cadre de l’élection d’une instance qui représente le culte
islamique et qui a le pouvoir décisionnel de l’organiser au niveau temporel. Malgré cela, les relations qui
unissent l’Exécutif des musulmans de Belgique et l’État belge sont toujours ambiguës et largement influencées
par les enjeux géopolitiques. De l’autre côté, se pose aussi la question de la formation des cadres musulmans, à
savoir les imams et autres figures comme les professeurs de religion islamique. Ensuite, ces approches
regroupent aussi toutes les mesures légales qui ont été faites pour lutter contre les formes de discriminations. Au
niveau institutionnel, les lois anti-discriminations, les aménagements raisonnables et autres « plans diversité »
sont autant de mesures qui illustrent des formes différentes de dispositifs de protection des « minorités
culturelles » et dont la visée est de garantir une gestion du religieux aussi sereine que possible au sein des
institutions.
Pour ce qui est des approches théologiques, nous remarquons qu’elles se distancient du lien avec la sphère
politique pour se centrer dans le champ interne du religieux et du dialogue entre les différentes religions. « Elles
peuvent être définies comme des démarches visant des actions nationales ou locales œuvrant à une co-inclusion
des diversités convictionnelles et/ou à l’examen de ces diversités » (Devries et A. Manço, 2017, 3). Elles
s’inscrivent autant dans une réflexion intracommunautaire que dans des démarches de discussions
intercommunautaires. Les différents leaders religieux, par le biais de rencontres, sont invités à participer aux
démarches de mieux « vivre-ensemble » (Lamine, 2004), en examinant des points de tensions dogmatiques et
certaines questions tabous qui peuvent freiner une compréhension réciproque des communautés convictionnelles.
Des initiatives plus disparates et informelles se font ici jour, à travers des semaines multiconfessionnelles, des
activités de partage autour d’un dîner, de visites de lieux sacrés, etc.
Enfin, les approches socio-éducatives ont la particularité de prendre racine dans une démarche d’éducation
permanente. Celles-ci « peuvent être définies comme étant des approches visant la construction d’actions
nationales ou locales œuvrant à une co-inclusion de l’islam par le biais d’une démarche pédagogique
d’apprentissage, d’interconnaissance et de compréhension, en vue de déconstruire les préjugés mutuels, et ainsi
lutter contre les discriminations et en faveur d’une cohésion sociale » (Devries et A. Manço, 2017, 3). Ces
dernières se veulent complémentaires aux approches juridiques et normatives en favorisant la participation
citoyenne, le développement de l’esprit critique et la conscientisation d’acteurs de la société civile sur les enjeux
liés au « vivre-ensemble ». Les dispositifs qui sont mis en œuvre, au sein du milieu associatif et du milieu de
l’enseignement, peuvent prendre différentes formes :
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
- L’échange de « bonnes pratiques » à partir d’initiatives locales mises en place pour répondre à des situations de gestion de « diversité
religieuse », répertoriées et systématisées pour offrir des outils et des recommandations aux travailleurs de première ligne (U. Manço,
2004 ; A. Manço et Amoranitis, 2005 ; De Changy, Dassetto et Maréchal, 2006 ; Konrad, Prasad et Pringle, 2006 ; Boquet, Dassetto et
Maréchal, 2014 ; Bocquet, Maréchal et Van Den Abbeele, 2015).
- Dispositifs de « peer-learning » consistant en la co-construction de savoirs par le biais d’un co-apprentissage entre pairs. Cette méthode
propose ainsi des formations aux jeunes afin qu’ils deviennent « acteurs » du processus de déconstruction des préjugés et de la dynamique
d’interconnaissances (www.epto.org).
- L’organisation de « forums réflexifs » et d’espace de débats qui visent à faire se rencontrer des personnes issues de milieux socioculturels
différents et dont l’objectif est de promouvoir leur participation aux débats publics relatifs à l’inclusion de l’islam. Sont ainsi mis autour de
la table des questions tabous et des réflexions sur le vivre-ensemble soit en partant de « problèmes précis », soit de demandes
institutionnelles, soit, encore, ils peuvent servir plus généralement de « laboratoires » d’échanges destinés à recueillir les points de tensions
qui traversent le « vivre-ensemble » (A. Manço et Amoranitis 2005 ; Haddad, A. Manço, et Eckmann, 2009 ; de Changy, Dassetto et
Maréchal 2006 ; Amahjour, Della Piana et Herman, 2015).
Qu’elles soient promues à une échelle locale et nationale ou qu’elles croisent des situations supranationales à un
niveau européen, ces dernières approches visent à prévenir en amont la survenance de formes de discrimination.
Elles permettent, en effet, de « mieux comprendre la manière dont les citoyens et la société civile négocient et
échangent sur la présence et la visibilité de l’islam dans l’espace public » (Devries, A. Manço, 2017, 5) en
sollicitant leur participation, dans une visée de déconstruction des préjugés, et en permettant aux représentations
respectives d’être conscientisées.
Justification des approches socio-éducatives
Il faut insister sur l’importance des logiques juridico-légales pour la reconnaissance sociale de l’islam en
Belgique. Celles-ci ouvrent la voie à des dispositions de droit garantissant les principes de liberté (liberté de
conscience et liberté religieuse) et d’égalité (protection anti-discriminations et reconnaissance des minorités) à
partir desquelles d’autres approches trouvent leur légitimité.
Toutefois, la reconnaissance institutionnelle de l’islam en Belgique n’est pas un processus sans embûches. Elle
démarre, en 1974, en parallèle avec la fin des migrations économiques organisées et au regard du contexte
économique de l’époque (U. Manço et Kanmaz, 2002 ; Kanmaz, 2002, Dassetto, 2011) et n’être toujours pas
achevée à l’heure d’aujourd’hui.
Pourtant, l’importance de ces approches se justifie par la nécessité de lutter contre les discriminations, même si
les outils peuvent se heurter à des représentations divergentes qu’en ont les acteurs. Comme le pointent les
travaux d’Adam et Rea (2010) et de Jonlet (2010), pour le cas de la Belgique, la projection de ces principes sur
le champ, par exemple, du marché de l’emploi (accommodements, plans de diversité) peut donner lieu à des
logiques arbitraires, en fonction des intérêts des acteurs en présence, de leurs statuts et de leurs visions du
monde. En effet, l’application des lois ne suffit pas toujours à faire valoir une pleine égalité de traitement vis-àvis de demandes à caractère convictionnel. Celle-ci est parfois chaotique comme le montre l’exemple des arrêts
de tribunaux (belges et européens), cette dernière décennie, à propos du port du voile sur les lieux de travail.
Par ailleurs, l’implémentation des législations semble parfois donner lieu au passage d’une « polarisation
contrôlée » entre philosophies divergentes à une « polarisation transformée » comme dans la méthodologie du
« plus grand commun dénominateur » qui a pour effet de « sortir du religieux ». Mais « neutraliser » la demande
religieuse ne risque-t-il pas d’entrer en contradiction avec l’injonction de « reconnaître » chère à Honneth
(Honneth et Fraser, 2003) ?
Même si la reconnaissance officielle de l’islam en Belgique est aujourd’hui un état de fait, l’intégration de cette
dimension religieuse dans la vie quotidienne des Belges souffre de nombreux blocages influencés, tant par le
contexte sociohistorique des pays concernés que de la donne géopolitique en général. Intégration culturelle et
intégration socio-économique étant souvent confondue, il s’agit avant tout de travailler sur les mentalités, de part
et d’autre, et dans une optique de co-inclusion (l’un avec l’autre), pour valoriser la participation sociale et
citoyenne effective de ces groupes dans vie en société (Bocquet, Dassetto et Maréchal, 2013).
Vivre-ensemble, on y est ; c’est le vivre-ensemble dans l’égalité qu’il faut construire. Pour ce faire, nous
estimons que davantage de place doit être fait pour les approches de type éducatif. La seule reconnaissance
institutionnelle n’est pas suffisante pour déconstruire les représentations, puisqu’elles nécessitent une mise en
débat qui passe inévitablement par des processus de dialogue qui engage, en première ligne, les citoyens euxmêmes.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Apports et limites des approches socio-éducatives
La méthode privilégiée dans le cadre d’approches socio-éducatives prend la forme de la recherche-action. À
l’instar de la dynamique d’éducation permanente, le sens de ces approches réside dans l’emphase portée à
l’égard du processus. Le processus se situe au cœur de ces approches aux multiples formes tantôt elles donnent
lieu à la mise en place de formations, de médiations, d’actions de sensibilisation, tantôt des espaces de débats et
de consultation ou de publications et de recommandations. Plusieurs phases sont nécessaires à sa construction
(Susman, 1983) : une phase d’identification du problème et des situations au sein desquelles prend part le projet,
l’établissement d’hypothèses (propositions de réponses possibles), l’élaboration d’un plan d’action, son
déroulement et, enfin, son évaluation à partir des résultats analysés.
L’approche socio-éducative invite les citoyens à collaborer à un projet en compagnie de professionnels à des fins
diverses : consultation, expression et partage d’expériences, délibération, etc. Les actions menées au sein de cette
approche ont pour spécificité de s’intégrer et/ou de promouvoir un travail en réseau. Elle valorise ainsi
l’engagement de citoyens au processus participatif de la recherche et à la co-construction des savoirs et des
pratiques. L’approche socio-éducative se ainsi traduit par une collaboration entre des acteurs associatifs et
professionnels (enseignants, travailleurs sociaux, éducateurs, etc.), ainsi que des représentants politiques locaux
et, bien entendu, des citoyens.
En quoi les approches socio-éducatives permettent-elles de répondre à la préoccupation de dialogue en contexte
de tension ?
Tout d’abord, dans une démarche d’éducation permanente, elles informent et sensibilisent le public à propos des
dimensions importantes relevées par la coexistence de référentiels de valeurs, de croyances, de pratiques et de
modes de vie divergents. Elles promeuvent, en suite, la participation des acteurs de la société à des
transformations dont l’objectif est de consolider le « vivre-ensemble ». En ce sens, elles œuvrent à :
- Augmenter la puissance démocratique d’agir dans un contexte de crise de la démocratie représentative ;
- Repenser à un « imaginaire recomposé » en réfléchissant aux valeurs fondamentales de notre société et les significations de faire société ;
- Promouvoir des actions collectives et de l’engagement « à effet boules de neige », dans le cadre des pratiques du milieu associatif ;
- Faire accéder à l’espace public des discours par la mise en place de débats contradictoires et de processus de dialogue ;
- Promouvoir une reconnaissance des personnes en leur offrant une possibilité d’expression et une place dans les prises de décisions qui les
concernent ;
- Augmenter la coconstruction de savoirs et des pratiques dans les démarches d’analyse et d’expertise.
Ces apports sont rendus possibles grâce à l’autonomie du milieu associatif à la base des initiatives socioéducatives. En effet, les associations sont censées définir et proposer leurs initiatives d’éducation informelle en
fonction de diagnostics menés librement au sein des milieux et des enjeux dans lesquels elles s’investissent.
Dans une dynamique éducative favorisant l’inclusion de l’islam, l’autonomie de l’éducation permanente ne doit,
ainsi, pas être mise à mal par des objectifs de lutte contre le radicalisme, par exemple. Leurs finalités ne
consistent pas à transmettre les valeurs « légitimes » et « instituées » de manière circonstancielle par telle ou telle
institution, mais bien à offrir un espace où les référentiels sont continuellement questionnés, débattus et
actualisés en fonction du contexte donné.
Pour ce faire, l’éducation permanente oriente quatre champs d’action privilégiés qui se renforcent
réciproquement et qui schématisent l’évolution des missions que nous venons de mentionner ci-devant :
- Conscientisation : il s’agit de comprendre le monde dans lequel on vit et la place que l’on y occupe. Pratiquement, cela se réalise par la
mise en débats et la coconstruction de savoirs.
- Émancipation : il s’agit de sortir des rapports de domination en permettant aux individus de devenir des sujets/acteurs, en apportant des
supports nécessaires afin qu’ils passent d’une situation de « résignation » à celle de « l’engagement ». Pratiquement, cela se réalise par la
mutualisation de pratiques prometteuses du vivre-ensemble.
- Augmentation du pouvoir d’agir : il s’agit d’augmenter la capacité des individus à agir sur leurs propres situations et les difficultés qu’ils
rencontrent. Pratiquement, cela passe par une expression libérée dans le cadre des processus de prise de décision politique et par
l’élaboration de propositions de solutions.
- Transformation de soi et du social : il s’agit de la construction de nouvelles idéologies et de nouvelles manières de concevoir les rapports
sociaux. Pratiquement, cela passe par un travail sur les idéaux et la politisation de ces derniers.
L’ensemble des finalités sur lesquelles reposent les approches socio-éducatives doit être analysé en regard aux
limites qu’elles comportent. Notons ainsi qu’il apparaît parfois difficile pour le milieu associatif d’évaluer les
actions menées au sein de leurs projets éducatifs.
En général, l’évaluation des missions d’éducation permanente s’oriente sur le nombre de participants et leur
participation au processus, aux types et au nombre d’activités organisées, ainsi qu’aux axes auxquels elles
répondent, même l’impact des actions est difficile à objectiver.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Cette difficulté prend racine dans le fait même que l’éducation permanente met l’accent sur le processus et non
sur le résultat des actions. Cela signifie que leur plus-value n’est pas d’apporter des effets immédiats (exemple :
remédier aux discriminations) par rapport à une situation donnée, mais de permettre aux acteurs de réfléchir, de
comprendre leur place par rapport à cette situation (sont-ils acteurs, observateurs ou victimes de ces
discriminations ?) et les logiques qui l’influencent (climat de peur, préjugés et manque de connaissance), afin
qu’ils puissent mieux agir dans l’avenir. Le but est de favoriser la prise de conscience des acteurs sur les
situations vécues et/ou observées en leur apportant les outils pour une réflexion critique.
Ensuite, étant donné le caractère local des actions menées, l’éducation permanente assure au sein de chaque
structure des missions avec des groupes d’individus déterminés et généralement composés d’un nombre réduit de
participants.
Ces actions ne prétendent donc pas à favoriser un changement à court terme, mais bien à dégager des voies de
solutions et à ouvrir le champ des possibles dans une optique de long-terme. En partant du présupposé que les
acteurs sont à même de prendre appui sur leur capacité d’action, à partir de leurs comportements, attitudes et
moyens pour agir sur leurs propres vécus, les effets peuvent prendre du temps avant de se faire jour. Les
objectifs visés demandent des changements de mentalités qui sont de nature structurelle, ce qui demande du
temps et de la continuité dans les actions menées qui doivent peu à peu élargir leur zone d’intervention. En effet,
en tâchant de promouvoir une démocratie « par et pour le peuple », l’éducation permanente vise quelque chose
« au-delà » de l’individu, même si elle le fait à partir de lui et grâce à lui. L’action associative s’inscrit donc dans
le respect de l’autonomie des individus en tâchant de leur offrir l’opportunité de s’exprimer en faisant du social
« par la culture et l’éducation ». C’est la raison pour laquelle il est parfois difficile de délimiter les frontières de
ses missions tant elle traverse tous les secteurs de la vie sociale et qu’elle peut produire des effets à rebours dont
les acteurs du milieu associatif ne mesurent pas toujours bien l’ampleur.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Construction d’un dispositif favorisant le dialogue entre musulmans et non-musulmans
Contextualisation du projet de « forums citoyens »
Les forums citoyens ont pris place durant six rencontres au sein de l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre
histoire »1. Cette exposition est réfléchie depuis près de 17 ans par Tempora, une entreprise muséologique basée
à Bruxelles2. Elle commence à être réalisée grâce à un soutien de l’UE dès 2013/2014. Toutefois, sa finalisation
est retardée en raison du contexte de terrorisme islamiste. Elle s’ouvrira finalement au public bruxellois en
septembre 2017 et accueillera des visiteurs jusqu’à la fin janvier 2018 (Espace Vandenborght). Elle est l’œuvre
d’un large partenariat européen, dont l’IRFAM, sous la coordination de Tempora. Grâce à une version de plus
petit volume, l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire » sera également visible en Bulgarie, en Bosnie, en
Turquie, en Allemagne, en France et en Italie, ainsi que dans diverses autres villes belges3.
Cette exposition sur l’Islam4 à travers son existence sur le continent européen peut être vecteur de passerelles
entre communautés, par la promotion d’une meilleure connaissance de l’histoire de l’Europe, d’autant plus
qu’elle survient à un moment pertinent, car les « citoyens assistent à la rencontre entre l’Europe et l’Islam dans
toutes ses manifestations tragiques - vagues d’immigration massives et chaotiques, violence terroriste insensée,
sentiment d’aliénation, incompréhension et l’hostilité »5. L’occasion est ainsi donnée à une exposition de pouvoir
contribuer à l’interconnaissance et à l’approfondissement d’une histoire partagée et à déconstruire par
l’objectivité des faits, des objets et des images qui ont traversé les rencontres de l’Islam avec l’Europe.
D’après les membres de Tempora, le thème de cette exposition aborde une préoccupation fondamentale. Il s’agit
de l’étude des relations européennes dans leur ensemble, à la fois interne et externe. Plus globalement, elle prend
place dans plusieurs d’expositions précédentes portant la mention « C’est aussi notre histoire »6. Il s’agit d’une
exposition qui « donne à voir les traces laissées par la civilisation musulmane sur le sol européen en 13 siècles
de présence ». Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’aborder historiquement la religion islamique, ni d’ancrer
l’exposition dans une dimension théologique, ni, encore, de focaliser « à la seule présence de l’islam en Europe
aujourd’hui ». Aussi, l’exposition retrace les influences de la civilisation arabo-musulmane, au sein de l’espace
européen et rend compte des différents legs qui ont imprégné la construction de l’identité européenne. Pour ce
faire, elle est subdivisée en cinq temps qui déclinent des moments de rencontres et d’influences musulmanes qui
ont traversé l’Europe : l’héritage abrahamique commune aux trois grandes religions monothéistes, l’héritage
arabo-andalou, l’héritage ottoman et l’héritage colonial, avant d’en arriver à la partie contemporaine.
Cet événement culturel d’envergure est aussi l’occasion de promouvoir des modes de connaissance et de
dialogue caractérisés par une approche sociale, artistique et ludique. Les organisateurs ont pris le parti de faire de
cette exposition l’occasion de véhiculer un message particulier : « faire comprendre que l’Islam en Europe n’est
pas une nouveauté dans et que cette civilisation fait partie de notre patrimoine culturel ». Ce message est
d’autant plus pertinent que l’imaginaire européen, à la fois musulman et non-musulman, se caractérise par une
« idée profondément enracinée selon laquelle la présence musulmane sur le sol européen est une importation
tardive, datant des vagues d’immigration de la seconde moitié du 20e siècle ». Or, cet imaginaire de rencontre
tardive avec l’islam induit l’idée fausse selon laquelle les deux civilisations, l’Europe et l’Islam « sont
fondamentalement étrangers l’un à l’autre ».
L’objectif de l’exposition consiste ainsi à montrer que la présence de l’Islam est loin d’être récente en Europe.
Les héritages qui bordent l’exposition démontrent au contraire que cette civilisation et cette religion n’ont jamais
été absentes en Europe depuis leur première apparition sur la scène de l’histoire. L’islam traverse les espaces
géographiques et les cultures. Il se nourrit de son environnement et l’influence en retour. Cela donne à voir des
pluralités d’islam, venant du Moyen-Orient, du Maghreb, de l’Asie et de l’Afrique subsaharienne. C’est aussi le
cas de l’Europe où se développe un islam avec des particularités empreintes des modes de vie des citoyens
européens.
1
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4
5
6
www.expo-islam.be.
www.tempora-expo.be.
www.islam-our-history.eu.
L’« Islam » tel qu’énoncé avec une initiale majuscule renvoie au-delà de la religion, il exprime le tracée d’une civilisation.
Ces extraits sont issus du site internet de l’exposition.
« L’Europe, c’est notre histoire », « L’Amérique, c’est notre histoire ».
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Par conséquent, l’exposition est une interface propice à la déconstruction des préjugés. La vision de l’Islam qui
se dégage de ces héritages invite le spectateur à penser l’Islam comme étant une des composantes de la
civilisation européenne et non étrangère à celle-ci. Les différents contacts ont pu tantôt être teintés de conflits,
tantôt être teintés de climat pacifique ; entre guerres et rejet réciproque, enrichissement mutuel et partage
culturel. De ces rencontres, différentes formes de vivre-ensemble ont été observées et construites par les hommes
et les femmes, musulmans ou non, au fil de l’histoire.
Objectifs des « forums citoyens »
Ces forums conçus, animés et évalués par l’IRFAM entre 2015 et 2018 s’invitent dans le cadre de l’exposition
« L’Islam, c’est aussi notre histoire ». Ils constituent une des réponses données par le partenariat à la base de
l’exposition face à la demande de l’UE, commanditaire, de l’ouvrir au public européen musulman et de le mettre
en dialogue avec leurs concitoyens. Ainsi, à la fin de la visite de l’exposition, après avoir parcouru les héritages
matériels et immatériels, le public est invité à se questionner sur le présent (et l’avenir) et plus spécifiquement à
propos de la place actuelle occupée par l’islam en société et à réfléchir au mieux vivre-ensemble des musulmans
et non-musulmans d’Europe. Dans cette lignée, une série d’animations sont proposées (conférences, ateliers de
calligraphie, ciné-débat, concerts, etc.) ; les forums citoyens de l’IRFAM y prennent leur place.
La finalité de ces forums est de proposer un moment d’échanges et de témoignages de personnes musulmanes ou
non, où les aspects contemporains du vivre-ensemble sont débattus.
Au-delà d’être un outil d’éducation permanente, les forums se caractérisent comme une formule didactique
destinée à apporter de la complémentarité aux supports historiques et artistiques de l’exposition. Ils soulignent
des dimensions subjectives du vivre-ensemble à travers des témoignages et mettent en exergue les enjeux la
cohabitation avec une minorité musulmane installée depuis l’immigration de travail en Belgique, soit depuis plus
de cinquante ans.
Leurs objectifs opérationnels et spécifiques sont les suivants :
-
Souligner la diversité de l’islam et du vécu qu’en ont les musulmans ;
Promouvoir les voix de citoyens et leur participation aux débats de société ;
Favoriser un dialogue sur l’islam tel qu’il se vit, se pratique et se négocie au quotidien ;
Favoriser un processus de reconnaissance réciproque ;
Cerner et de discuter des représentations réciproques que se construisent les musulmans et non-musulmans ;
Identifier les enjeux quotidiens qui structurent les relations sociales et les rapports entre les musulmans et les non-musulmans en société.
Pour ce faire, il a été décidé de développer un dispositif qui puisse être aussi informel que possible, à l’image
d’un forum populaire, et articulé avec l’exposition et sa dimension artistique, tout en restant fidèle aux principes
de l’éducation permanente. C’est dire que l’approche se base sur l’animation de groupes et de leur sensibilisation
en vue de développer des compétences citoyennes, de déconstruire des préjugés et des représentations et de
dialoguer autour d’une cohabitation de qualité. C’est la raison pour laquelle ces forums sont ouverts au public
tout en étant principalement orientés vers des intervenants de terrain intéressés de participer, soit pour y trouver
matière à réflexion, soit des recommandations et des pistes de solutions face à de possibles situations
antagonistes entre musulmans et non-musulmans rencontrés dans leur propre pratique professionnelle ou cadre
institutionnel.
L’élaboration du dispositif
La configuration des échanges est basée sur une approche par récits de vie. D’après nous, celle-ci permet de
réhumaniser le discours sur l’islam et le regard porté sur les musulmans au travers d’échanges axés sur des
parcours individuels. En donnant la parole aux citoyens musulmans et non musulmans, l’islam — en tant que
sujet de discours — est décloisonné des polémiques couramment véhiculées dans les médias pour s’ancrer dans
des expériences humaines. On s’intéresse à la manière dont les musulmans se vivent en tant que musulmans et
comment ils vivent en contexte minoritaire. La dimension relationnelle et subjective de l’islam est ainsi
valorisée.
De plus, le récit est un médium narratif qui permet d’aborder et d’analyser des phénomènes de société. Les
histoires racontées s’intègrent dans une histoire partagée et sont influencées par des phénomènes plus globaux.
Au niveau méthodologique, les témoignages s’échangent avec le médiateur et/ou un chercheur, selon le statut
occupé par l’organisateur (Bertaux, 1997). Enfin, les récits de vie se caractérisent par une dimension
diachronique, puisque les trajectoires qui font office de témoignages évoluent au fil du temps et ne sont pas
figées une fois pour toutes.
14
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
L’analyse des récits consiste à repérer les éléments narratifs, les facteurs et les moments pivots dans différents
parcours de vie. Les similitudes et les différences entre récits sont également des éléments à prendre en
considération pour monter en généralité et dresser un portrait global des histoires de vie. Dans notre cas, il s’agit
d’histoires de vie de musulmans et de non-musulmans que les récits retracent à travers quelques points
charnières, dont leurs interrelations (Bertaux, 1997) :
- Les relations familiales et les rapports intergénérationnels ;
- L’expérience de l’école et la formation ;
- L’insertion professionnelle et l’emploi ;
- La migration et l’intégration dans la société d’accueil ;
- L’adolescence et les relations parentales ;
- Etc.
Autrement dit, les récits de vie éclairent la manière dont « l’expérience sociale et la biographie individuelle sont
traversées par les contextes sociohistoriques, s’appuient sur les ressources et contraintes (institutionnelles,
symboliques…) de ces contextes et, en retour, révèlent ces contextes » (Bertaux, 1997).
Pour explorer le rapport à l’islam tel qu’il se donne à voir en Belgique, nous avons dû préciser ce que nous
entendions par « vécus d’islam » en délimitant les thèmes abordés lors des forums.
Le choix a été fait pour que chaque forum (au nombre de six) aborde une thématique spécifique. D’un côté, les
forums sont un moyen pour laisser la place à des voix citoyennes en offrant un moment de regards croisés entre
musulmans ou non sur ce qui fait écho dans leur quotidien. D’un autre côté, il s’agit de dépasser les différences
culturelles en optant pour des thématiques transversales et communes à tout individu. C’est pourquoi nous avons
choisi de centrer les thématiques sur les « rôles sociaux » (Goffman, 1975, 1991) des protagonistes. Ces rôles
témoignent des moments de vie où l’individu revêt des fonctions attendues de la société et dans lesquelles ils
injectent lui-même du sens. Couramment, ces rôles (élève/étudiant, parent, compagne/compagnon, travailleur,
grands-parents, etc.) accompagnent les rites de passage dans la vie sociale d’un individu (entrée et sortie du
système scolaire, mariage/entrée en ménage, entrée et sortie du marché de l’emploi…).
Les forums permettent ainsi de parler à l’ensemble des personnes engagées dans le processus de dialogue. Plus
spécifiquement, les interlocuteurs musulmans témoignent de leur rapport à l’islam afin d’expliquer en quoi leur
foi peut être une force et un support dans leur quotidien et en quoi, au contraire, elle peut s’avérer être un frein et
une difficulté. D’un autre côté, les interlocuteurs non musulmans expliquent comment ils sont amenés à
rencontrer des musulmans et ce qu’ils retiennent de ces rencontres. Autrement dit, le dialogue se construit à
partir d’expériences de contacts, de moments de rencontres entre musulmans et non-musulmans dépendant du
contexte, des espaces de socialisation et du type de climat ambiant. Nous avons décidé de centraliser les
échanges autour d’une dynamique de témoignages à propos de vécus partagés 1:
- Être musulman et travailleur en Europe ;
- Être jeune musulman(e) en Europe ;
- Être musulman et parent en Europe ;
- Vivre en couple aujourd’hui ;
- Vieillir dans l’islam en Europe ;
- Être citoyen européen et musulman.
Toutefois, les frontières thématiques préalablement choisies dépendent des interactions qui se nouent au fil de
chaque forum. Les acteurs peuvent s’en éloigner et s’approprier la « scène » à leur façon.
La dimension groupale et collective des forums permet de partager des histoires, de déconstruire des préjugés, de
réhumaniser l’islam dans son ancrage quotidien et d’offrir un matériel d’analyse pour orienter l’action sociale.
Au fil des années, les méthodes d’analyse de groupe ou focus groups sont devenues des méthodes de recherche
sociologiques particulièrement prisées pour recevoir le point de vue de plusieurs acteurs. La personne qui met en
place ses forums se trouve donc face à un matériel d’études riche puisque les entretiens sont collectifs et réalisés
en groupe (Baribeau, 2010), ce qui permet cerner un sujet au fil des conversations. De ces méthodes, différents
aspects méritent d’être soulignés en ce qui concerne leurs objectifs et la composition des groupes. Les focus
groups « sont fondés sur la communication et celle-ci est au cœur de la théorie des représentations sociales »
(Kitzinger, Kalampalikis et Markova, 2004, 239). Ils permettent donc d’analyser comment ces représentations
sont « construites, transmises, transformées et soutenues dans les processus communicationnels » (Linell, 2001).
Des spécificités peuvent aussi être dégagées des méthodes d’analyse en groupe (Moscovici, 1984). D’abord, les
focus groups placent les relations sociales et le dialogue au centre du processus, ce qui nous permet de saisir
comment les acteurs prennent possession d’un sujet, de comprendre le lien qu’ils nourrissent avec celui-ci,
quelles sont leurs inquiétudes, préoccupations ou revendications à son égard. De plus, ils permettent « d’analyser
1
Voir à ce sujet la réflexion d’Arendt sur les « diseurs de vérité » (Rateau, 2007).
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
la façon dont les personnes, classent, nomment et reconstruisent les phénomènes sociaux » (Kitzinger,
Kalampalikis et Markova, 2004, 239). Enfin, on peut noter que les moments de tension permettent aussi de
cerner les points de transformation de ce qui fait « sens commun » pour les acteurs.
Puisque notre démarche s’inscrit dans une exposition, le dispositif acquiert un caractère public et se distancie en
ce sens de la méthode des focus groups qui ont lieu à huis clos, comme il est coutume de le faire en recherche.
Nous nous sommes donc approprié cette méthodologie pour l’adapter au cadre d’un débat public. C’est pourquoi
nous mettons un point d’orgue à éviter tout phénomène de polarisation entre les protagonistes. Nous créons des
« espaces de frottements » (Haddad, Manço et Eckmann, 2009, 19) destinés à transformer des échanges parfois
antagonistes en des postures de compréhension réciproque.
Même si nous n’avons pas rencontré de réels conflits lors des forums, ce n’est pas pour autant que les points de
vue étaient tous convergents. Une communication sereine nécessite de créer un espace où chacun des
participants tente de rechercher, dans les témoignages, les points communs qui les rassemblent des uns et des
autres. En jetant des ponts entre des représentations différentes, nous pensons qu’il est possible de gérer un
conflit ou une opposition d’idées sans toutefois effacer la diversité socioculturelle (Manço, 2002 ; Haddad,
Manço et Eckmann, 2009, 233).
Pour passer de l’antagonisme à la compréhension, quelques éléments à garder en mémoire peuvent être
soulignés :
- Être attentif à la diversité au sein de chaque groupe réputé être homogène (à y regarder de près, les musulmans sont tous différents entre
eux…) ;
- Assurer l’égale considération à chaque parole ;
- Laisser une place à la médiation ;
- Trouver des intérêts communs et mobilisateurs pragmatiques afin d’être proche du parcours de chacun ;
- Favoriser les actions en « face à face » et une démarche rendant possible la confiance interpersonnelle ;
- Reconnaître l’histoire et la mémoire de l’autre ;
- Favoriser un contexte de discussion où l’on invite à l’intégration plutôt qu’à la confrontation.
Pour promouvoir ces « espaces de frottements », la présence d’un médiateur s’avère plus que nécessaire. D’une
part, son rôle assure une distribution des prises de paroles et relie les questions/réponses entre le public et les
témoins (participants directs ou première ligne). D’autre part, il assure une posture de neutralité compréhensive
vis-à-vis de tous les acteurs. La médiation permet de cadrer les relais entre intervenants et le temps consacré à
chaque personne de manière à ce que l’opportunité d’expression soit équitablement ouverte aux participants. De
plus, elle circonscrit les discours autour du sujet particulier dans un climat respectueux et attentif. Le médiateur
endosse ainsi aussi le rôle d’animateur dans le déroulé des forums. Considérant cette diversité, les trois fonctions
établies par Blanchet (1982) à propos de l’entretien d’enquête demeurent éclairantes par rapport à la posture du
médiateur (Anadon et Savoie-Zajc, 2009, 136) :
- Fonction de production : on y assigne les interventions de type ouverture, relance, tour de parole, demande de précisions ;
- Fonction de confirmation : on y associe la confrontation, la corroboration, la reformulation ;
- Fonction d’orientation : on y associe la recentration des propos, la relance thématique, les déductions, les mises en parallèle ;
- Fonction de pondération et arbitrage : même si les forums ne demandaient aucun processus délibératif ou décisionnel : les échanges
doivent être également valorisés, dans le cadre de « règles » établies et annoncées à l’avance par l’animateur.
Ainsi conçu, l’espace-temps forum permet de favoriser un climat de confiance et installe des conditions
conviviales et familières pour tous les participants. À cette fin, les personnes qui ont pris part aux échanges au
sein du public ont dû préalablement s’inscrire auprès des organisateurs de l’exposition ou des membres de
l’IRFAM, même si la participation et la visite préalable de l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire »
étaient entièrement gratuites et se clôturaient par un goûter convivial. Un samedi après-midi par mois, de
septembre 2017 à janvier 2018, le public des forums fut nombreux et diversifié, bien que principalement
composé d’organisations socioculturelles, religieuses et de jeunesse.
Attardons-nous donc sur la composition du panel de citoyens et du groupe des participants.
Le processus consiste à aller à la recherche de témoins clés issus des divers groupes musulmans ou non. Selon
Guillemette, Luckerhoff et Baribeau (2010, 62), les témoins que l’on choisit ont une influence sur l’univers de
référence proposé au public. Les témoins sont donc des modèles auxquels le public est susceptible de
s’identifier. Il est généralement privilégié de miser sur un petit nombre d’individus pour des raisons de
ressources disponibles et de gestion pratique des échanges, en fonction du sujet étudié (Kitzinger, Kalampalikis
et Markova, 2004, 240). Plus le nombre de participants augmente, plus les échanges ont une propension à être
volatiles.
16
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Nous avons décidé de sélectionner six témoins environ pour chacun des forums, à savoir 36 personnes (hommes
et femmes) au total. La diversité des participants qui les composent dépend de la thématique abordée : le forum
sur la jeunesse est composé de témoins jeunes, le forum sur la parentalité est composé de parents et ainsi de
suite. Néanmoins, la composition des groupes a fluctué en fonction des forums, de 4 à 8 témoins (pour le forum
sur la vie en couple).
Au sein du public, le nombre de personnes a également été inégal. Les forums sur le thème de la jeunesse ou
celui sur le marché de l’emploi ont rassemblé près de 80 personnes dans le public tandis que le forum sur le
vieillissement a accueilli une dizaine de participants.
La composition du groupe des témoins et du public a été définie selon deux approches différentes. Alors que le
groupe de témoins est créé, le public est partiellement indéterminé, puisque la participation était libre et
l’annonce des rencontres a été largement diffusée, notamment sur les réseaux sociaux. D’un côté, les témoins ont
été choisis en fonction de leur appartenance convictionnelle, de leur origine, de leur âge, leur genre, mais aussi
de leur pertinence vis-à-vis des sujets abordés, de la qualité de leurs expériences et de leur capacité à apporter de
la réflexivité sur ces dernières. Nous avons veillé à ce que chaque groupe soit aussi diversifié que possible (en
termes de genre, confessions et origines ethniques, etc.). Nous voulions avant tout recueillir des propos de
trajectoires de vie qui se veulent « authentiques » et « parlantes » aux yeux du public. De l’autre, le public
pouvait soit venir de son propre gré moyennant inscription, soit être sollicité à participer par l’IRFAM1.
L’objectif de mettre en œuvre un dispositif tel que les « forums citoyens » est qu’ils puissent être relayés et
partagés à travers différents réseaux associatifs et mobilisés en tant qu’outil pédagogique à des fins de
sensibilisation et de promotion du dialogue interculturel. Dans ce cadre, nous avons également décidé d’orienter
notre choix vers des témoins « multiplicateurs » des acteurs socio-éducatifs dont le rôle est de diffuser vers la
population les contenus de l’éducation permanente. Aussi, nous avons privilégié des témoins qui sont des acteurs
de « première ligne », des individus témoignant en tant que citoyens et un public préférentiellement de « seconde
ligne », des intervenants professionnels ou bénévoles de l’éducation, au sens large. Ce public est censé s’inspirer
de nos méthodes et contenus pour les diffuser dans sa localité. Il est donc composé de personnes peu ou prou en
lien avec le domaine de l’interculturalité, de la diversité et de l’intégration.
La préparation des forums a nécessité une série de rencontres individuelles. Il s’agit de respecter une éthique de
la participation qui introduit les témoins à un maximum d’étapes dans le processus d’élaboration et de réalisation
du dispositif de recherche-intervention. Par exemple, dès le début de l’organisation des forums, il faut leur
présenter les intentions et le cadre thématique dans lequel prennent part leurs témoignages. Cela peut intervenir
durant un entretien individuel initial, où ils amorcent leur contribution aux forums. Cette rencontre est également
importante pour préciser le cadre et le ton de la participation, les rôles de chaque intervenant, ce qui doit rester
confidentiel, etc. Ceci permet aux participants de se représenter et se projeter en tant qu’acteurs du dispositif, de
poser leurs questions et d’ajuster leurs attentes et apports. Cette participation offre aux personnes une place
d’acteur et les reconnaît dans leur capacité à agir sur le monde en faisant du dispositif un socle d’empowerment.
Le dispositif fonctionne avec les acteurs. Aussi, une semaine avant le vernissage de l’exposition, nos témoins ont
été invités à le découvrir en primeur en compagnie des responsables de Tempora. Ils ont pu s’imprégner de la
salle des forums et se rencontrer les uns les autres. Ce fut un des moments forts du projet.
Description des forums
Après un accueil et la présentation de l’exposition par les responsables de Tempora, les forums débutent par la
présentation des participants et leurs témoignages durant environ 45 minutes, même si la durée a été ajustée au
fur et à mesure des rencontres. Ensuite, nous proposons un moment d’échanges avec la salle. Durant ce temps, le
public peut interpeller les témoins, par le biais de questions ou de remarques, sur un moment de l’exposé ou une
expérience personnelle ou collective. Le débat dure également environ 45 minutes, mais a été à plusieurs reprises
allongé à la demande du public. La plupart des échanges ont duré plus d’une heure. Après ce moment de
discussions, l’ensemble des participants sont invités à suivre un guide de Tempora pour visiter l’exposition.
Selon la taille du groupe, celui-ci peut être ou non divisé en deux sous-groupes afin que la visite guidée soit
facilitée. Enfin, après que la visite guidée ait eu lieu, l’ensemble des participants profitent d’un moment de
convivialité autour d’un goûter. Cette occasion offre la possibilité aux participants de débattre encore
informellement entre eux, de faire un retour sur l’exposition et prolonger les discussions amorcées lors des
forums. À la fin de l’événement, les participants remplissent une fiche d’évaluation proposée par l’IRFAM et
peuvent, le cas échéant, emporter avec eux des documents synthétisant des informations générales sur la
présence musulmane en Europe (statistiques, etc.).
1
Dans ce cas, nous allions à la rencontre d’associations et d’acteurs qui ont une affinité avec la thématique : syndicalistes et
responsables de ressources humaines pour le forum sur l’emploi ; éducateurs et mouvements de jeunes pour le forum sur la
jeunesse, etc.
17
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Avant d’entrer dans les résultats donnés par ces différents forums, nous en proposons tableau qui récapitule pour
chaque forum les enjeux centraux qui y ont été débattus et les particularités des participants qui y ont assisté.
Forums
« Travail »
Samedi
23 septembre 2017
14-18 h.
« Jeunesse »
Samedi
7 octobre 2017
14-18 h.
« Parentalité »
Samedi
4 novembre 2017
14-18 h.
« Vie en couple »
Samedi
25 novembre 2017
14-18 h.
« Vieillissement »
Samedi
9 décembre 2017
14-18 h.
« Citoyenneté »
Samedi
6 janvier 2018
14-18 h.
Sujets et enjeux abordés
- Discriminations sur le marché de l’emploi
(facteurs et vécus exprimés par les
musulmans)
- Engagement dans le travail et identité
islamique (influence des croyances et
pratiques au travail)
- Gestion du fait religieux en entreprise
(outils et recommandations)
- Prégnance des discriminations relatives au
port du voile et approche intersectionnelle
- Construction identitaire des jeunes musulmans
et sentiments de rejet
- Cheminement vers un islam apaisé et
distanciation face aux conflits et souffrances
passés
- Apprentissage et mode de construction en
distanciation avec la transmission parentale
classique
- Transmission parentale face à la multiplication
de référentiels (pairs et médias)
- Transmission parentale à cheval entre une
éducation reçue et la rupture des allants de soi
en contexte européen
- Évolution intergénérationnelle du rapport à
l’islam en articulation avec le sentiment
d’appartenance au pays
- Transformation des modes de transmission
(emphase sur le sens et non sur le mimétisme)
- Tension entre l’éducation religieuse parentale
et le milieu scolaire
- Homosexualité
- Conciliation intrafamiliale entre des identités
multiples
- Négociation et aménagements au sein du
couple
- Transformation des modes de transmission
intergénérationnelle
- Impératif de repenser la finitude et son
encadrement
- Accompagnement des personnes âgées en
situation de dépendance
- Penser l’aide individuelle et la configuration
des maisons de repos pour accueillir les
besoins en matière de spiritualité
- Nécessité de casser la lecture culturaliste de
l’aide aux personnes âgées
- Invisibilité sociale du vieillissement
- La laïcité et ses modèles (modèle français vs
modèle belge)
- Nécessité de redéfinir le contrat social et les
valeurs qui les sous-tendent
Caractéristiques des participants
- Témoins : travailleurs, gestionnaire d’entreprises,
membres de syndicats, acteurs de l’insertion
socioprofessionnelle et des Centres régionaux
d’intégration
- Public : principalement de délégués syndicaux,
représentants d’associations de migrants (turcs et
marocains).
- Témoins : jeunes témoins (convertis, turcs et
marocaines)
- Public : nombreux, travailleurs de terrain
(éducateurs, enseignants)
- Jeunes du Complexe éducatif et culturel
islamique de Verviers (40)
- Témoins : quatre mères de confession musulmane
et deux pères (dont un non-musulman)
- Public : personnes venues nombreuses de milieux
hétéroclites et une majorité de mamans
- Témoins : un couple d’origine turque, un couple
d’origine tunisienne, un couple « mixte »
(chrétienne belge et musulman marocain) et un
couple d’origine maghrébine Public composé de
personnes venues de milieux hétéroclites et à
majorité féminine
- Public : venu en qualité d’ami ou de parent et non
en fonction d’affinités professionnelles avec le
sujet
- Témoins : professionnels du sujet (absence de
prise de paroles des aînés concernés et difficulté
de valoriser leur parole
- Public :
peu
nombreux,
composé
de
professionnels des soins aux personnes
- Témoins : panel réduit de trois personnes, dont
une non-musulmane responsable associative
- Public : hétéroclite et majoritairement féminin
18
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Débattre de l’islam : vécus, discours et enjeux
Les forums ont été l’occasion pour des citoyens, principalement de confession musulmane, de s’exprimer sur
leurs rôles dans la société. Ils se sont exprimés en tant que « parents », « jeunes », « compagnon/e/s »,
« travailleur/se/s » ou encore, plus globalement, en tant que « citoyens européens », en articulation étroite avec
leurs convictions religieuse ou philosophique. Ils nous ont partagé des scènes de vie, des anecdotes et des
expériences personnelles. Certains l’ont illustré avec de brefs textes, ainsi qu’avec des photos ou des objets
qu’ils avaient pris avec eux.
Au-delà de leurs singularités respectives, des vécus partagés traversent les réalités dans lesquels vivent les
musulmans avec leurs concitoyens non musulmans en Belgique. Leur ancrage local dans une société européenne
et sécularisée amène à ce qu’ils s’approprient et conjuguent leurs pratiques et croyances religieuses par le biais
d’aménagements individuels et à « bricoler » constamment leurs multiples appartenances (Belgidoum, 2014).
Nous dégageons des forums trois axes d’analyse qui rendent compte des différents traits que partagent les
musulmans vis-à-vis du rapport qu’ils entretiennent à leur environnement, c’est-à-dire une société à minorité
musulmane.
- La représentativité des musulmans par rapport aux grands enjeux relatifs au vivre-ensemble.
- Les transformations identitaires des musulmans que l’on décline en quatre facteurs : l’ancrage communautaire, l’altérité, les figures
d’autorité islamique et la géopolitique. Ces éléments les incitent, positivement ou négativement, à revoir leur religiosité. Chacun de ces
facteurs se rapporte à des « répertoires de sens » sur lesquels les acteurs s’appuient pour faire part de leurs cheminements spirituels.
- Les discriminations rencontrées par la minorité musulmane qui interviennent principalement sur trois secteurs : le milieu scolaire et de la
formation (jeunes), le milieu du travail (adultes) et, enfin, l’accueil des personnes âgées.
Représentativité des trajectoires de musulmans
« Avez-vous invité des “vrais musulmans”, un typique quoi ? »
(Interpellation d’un participant).
Des représentations « types » du musulman se sont dégagées des échanges à partir du regard porté par le public
sur différents témoignages. Ces représentations tranchent avec les vécus de « musulmans ordinaires » (Göle,
2015) et permettent, par contraste, de souligner quels sont les différents éléments qui concourent à « faire du
musulman un personnage représentatif et légitime pour s’exprimer publiquement ». Ces mécanismes de
projections mettent en exergue des perceptions relativement partagées à l’égard des « conditions sociales
d’existence dans lesquelles vivent les musulmans », d’une part, et du rapport qu’ils entretiennent vis-à-vis de leur
religion, d’autre part.
D’un côté, le musulman est considéré comme représentatif de sa communauté — au sens large — dans la mesure
où celui-ci rencontre des injustices sociales et peut vivre des discriminations. Il représente d’une certaine
manière une cause sociale dont l’objectif est la lutte contre les inégalités et les stigmatisations. Plus encore,
lorsqu’il est question de jeunes, les acteurs sont particulièrement en attente de jeunes issus de quartiers
populaires, en prise à des conflits identitaires et des mécanismes de ségrégation. On ne saurait parler d’islam,
pour ainsi dire, sans reconnaître dans les récits la dimension sociale qu’ils partagent.
D’un autre côté, le musulman est plutôt envisagé comme quelqu’un de pratiquant, voire d’orthodoxe. Ainsi, les
participants aux forums ne s’attendaient pas à rencontrer des musulmans croyants et relativement peu
pratiquants. On peut avancer que cette religiosité édulcore l’imaginaire qui se dégage des représentations
collectives et dont l’étiquette avec le « terrorisme islamiste » se révèle difficile à enlever (Mills-Affif, 2008). Audelà d’être le symbole d’une cause sociale, le musulman représente également une normativité dont l’objet est de
lutter en faveur de l’inclusion de pratiques religieuses dans différents espaces (école, lieu de travail, rue, etc.).
Les acteurs semblent en attente d’échanger avec des musulmans plus traditionnistes même s’ils reconnaissent
qu’entendre des personnes avec un rapport à l’islam serein et apaisé leur permet de sortir des clichés médiatiques
focalisés sur les fondamentalismes.
Que la figure du musulman soit valorisée pour débattre des conditions sociales d’existence vécues par les
musulmans ou qu’elle soit exemplative d’une religiosité basée sur le respect des prescrits islamiques, elle illustre
avant tout un processus de catégorisation destinée à leur attribuer des caractéristiques stables et à les uniformiser
(Manço et Manço, 2000, 169). Pour apporter de la cohérence aux informations reçues, la société civile et les
intervenants sociaux éprouvent le besoin d’identifier une unité derrière les trajectoires de musulmans afin
19
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
qu’elles entrent en écho avec les imaginaires partagés. Cela met en lumière dans quelle mesure les musulmans
sont comparés par rapport à des « places » qui existent indépendamment de leurs vécus, tout en y étant
étroitement liés.
En revanche, les témoignages mettent en lumière des expériences de discriminations et des rapports à la foi
islamique mouvants et en perpétuelle construction. Ceci donne un panorama plus complexe et moins figé des
vécus de musulmans belges. La plupart d’entre eux expliquent avoir vécu de la discrimination durant certaines
étapes de leur vie même si leurs conditions socio-économiques relativement favorables leur ont permis d’avoir
des supports afin de trouver un emploi ou de poursuivre leurs études, par exemple. En ce qui concerne leur
rapport à l’islam, il s’agit de dynamiques changeantes qui évoluent aussi en fonction des périodes de vie. Les
musulmans expliquent grosso modo être tous passés durant leur adolescence par un islam assez normatif,
caractérisé par le respect des pratiques, mais aussi par des crises de sens. Au fil des années, beaucoup d’entre eux
se sont éloignés du culte et du dogme religieux pour s’intéresser au spirituel et aux significations profondes de
leur religion, sans que celle-ci soit un mode d’emploi à appliquer d’emblée.
Comme le note Dogégani (1999), notre société connaît une « montée du subjectivisme », ce qui favorise « une
relation plus souple vis-à-vis des croyances et des dogmes », entre autres, chez la part des musulmans (Tournier,
2011). Bien que la plupart des musulmans reconnaissent être de culture arabo-musulmane, ceux-ci n’éprouvent
pas tous le besoin de se définir comme étant musulman et ne rattachent pas à ce terme les mêmes valeurs.
Certains le relient aux cinq piliers, d’autres aux intentions derrière chaque action, d’autres encore vont se
considérer comme tels à partir du lien qui les unit à Dieu, etc. Des sensibilités différentes s’expriment en
fonction des pays d’origine et des manières de vivre sa foi (Lamchichi, 1999). La notion de cheminement mérite
ainsi une attention particulière puisqu’elle offre l’occasion à chaque croyant de se définir et redéfinir
continuellement, sans que son identité soit figée.
C’est pour cette raison également que les témoignages ont été décloisonnés autant que possible des
appartenances religieuses. La plupart des témoins préfèrent valoriser un dialogue sur l’islam et le vivre-ensemble
sans que les échanges ne soient restreints aux identités. Les discussions ne doivent pas se traduire sur un
échiquier religieux ni partir de revendications purement identitaires, mais se nourrir des expériences partagées et
des droits qui fondent le socle de la vie sociale. Même si les trajectoires des musulmans ont été singularisées en
raison de leur appartenance, ils ne souhaitent pas pour autant que leurs « discours viennent de leur islamité »1 et
qu’ils soient identifiés dans une « case comme étant musulmans ». Les témoignages ne se veulent donc pas
représentatifs d’une communauté particulière, même si des traits communs peuvent se dégager de leurs récits de
vie.
Constructions identitaires en contexte postmigratoire
Dans ce deuxième point de notre analyse des forums, nous développons les différents facteurs qui participent au
processus de construction identitaire des musulmans, qu’ils aient agi en tant que freins ou en tant qu’adjuvants,
durant les parcours respectifs de nos témoins : la communauté, la diversité, la transmission, l’autorité et la
géopolitique.
L’ancrage communautaire
Il s’agit de la place que le musulman occupe dans la communauté, à laquelle soit il s’identifie et/ou est renvoyé
et le rôle que cela occupe dans son parcours. L’ancrage communautaire joue un rôle dans le développement
identitaire, social et religieux des musulmans et forme le socle à partir duquel l’individu peut se construire en
tant que musulman.
En premier lieu, cette implantation est, selon les témoignages, un facteur facilitant l’intégration sociale des
musulmans. Il renvoie à des mécanismes de solidarité entre coreligionnaires et la garantie de liens sociaux
consolidés autour du partage d’un même univers de référence. Ces liens prennent racine au sein de quartiers où
sont regroupées les mêmes minorités ethnoculturelles (Baillergeau, 2008). Cette dynamique d’entraide a surtout
été soulevée par la première génération ayant migré vers la Belgique, dans l’optique de trouver du travail et/ou
de rejoindre des membres de sa famille. L’arrivée dans un nouvel environnement nécessite de mobiliser des liens
de solidarité utiles à la construction d’un projet de vie, temporaire ou non, dans la société d’accueil. Il s’agit d’un
processus destiné à reconstruire une « communauté d’appartenance » en vue de collectiviser les ressources et
faire face à une société qui avait peu réfléchi l’accueil et les besoins de ces migrants. Si les musulmans venus du
Maroc et de Turquie ont pu s’intégrer et ne pas s’isoler, cela a été possible, dans une certaine mesure, grâce à la
communauté déjà « transplantée ». Une fois dans un contexte étranger, les individus développement le besoin de
retrouver de la familiarité et de se reconstituer un cocon avec des personnes qui leur ressemblent. Cette
démarche vise de surcroît à garantir la survie de la communauté restée au pays d’accueil (Jamoulle, 2013).
1
Extraits des propos tenus lors des forums, sauf mention contraire.
20
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Pour ce faire, la « débrouille » (Jamoulle, 2002) devient une pratique sociale partagée par les musulmans vivant
en quartiers populaires et s’exprime le plus souvent de façon collective. Celle-ci se met en place afin de répondre
aux besoins premiers, tels que s’alimenter, s’habiller, se loger, et partant, chercher un emploi. Cette solidarité se
cristallise d’abord autour du noyau familial pour ensuite percoler aux autres foyers musulmans du quartier qui
viennent, pour certains, de la même région d’origine. Elle peut, par exemple, prendre la forme « d’achats
groupés et répartis ensuite entre les membres de la famille et en communauté », de tontines, ce qui permettait de
soutenir « ceux qui ne travaillaient pas » et de consolider un milieu d’appartenance où les uns et les autres se
tiennent les coudes à travers la collectivité émergente.
« Nous habitions cette maison en face de la synagogue, et bien pour vivre, il fallait se nourrir, il fallait s’habiller, et donc les hommes de la
famille, les cousins, ils allaient à la gare du midi et puis ils achetaient tout en groupe. C’était un peu système d’achat groupé qui revient
un peu à la mode aujourd’hui. C’est-à-dire qu’on achète de la farine, du sucre, de l’huile, la volaille vivante, et tout ça était organisé en
famille, en communauté. Et d’ailleurs quand on cousin ne travaillait pas, c’était les autres qui devaient être solidaires et soutenir ses
enfants. Donc, il y avait tout un système communautaire assez organisé, en tout cas les cinq premières années » (Tessa1, confession
musulmane, forum sur la parentalité).
La solidarité intracommunautaire joue comme un filet de protection et de soutien pour les musulmans avant de
solliciter l’aide à l’extérieur. C’est ce que remarquent encore à l’heure actuelle les travailleurs de terrain du
secteur jeunesse dans le sens où les parents immigrés ne leur demandent généralement de l’aide qu’après avoir
épuisé leur réseau issu du même milieu ethnoculturel et localisé au sein du quartier. Au-delà d’être une aide
concrète, cette immersion communautaire favorise le sentiment d’appartenance. Alors que les musulmans ne se
sentent pas toujours pleinement chez eux, ces liens de solidarité et le fait d’être inclus dans un groupe participent
à un sentiment d’unité qui se situe au fondement même de la communauté. Ceci est d’autant plus le cas lorsque
l’acquisition d’une « place » est compliquée pour les migrants, notamment de confession musulmane, dans le
fait, entre autres, de vivre à cheval entre deux cultures.
Bien que la communauté puisse être un agent facilitant l’intégration sociale, elle peut aussi être un facteur de
délimitation de frontières entre le « nous » et le « eux » (Gallissot, 2000), lorsque les musulmans ne se sentent
pas pleinement chez eux, là où ils vivent. Un « phénomène d’ethnicisation des rapports sociaux » se met en
œuvre (Bertheleu, 2010). Ce sentiment d’être étranger là où l’on vit participe d’autant à la consolidation de liens
familiaux et communautaires qu’ils ont pour vocation de sécuriser l’individu, même s’ils peuvent compliquer la
construction d’une identité entre deux cultures et espaces de vie.
Par exemple, la communauté fonctionnerait comme un étalon de foi et de filiations religieuses. En effet, c’est le
plus souvent à l’aune de l’environnement familial et de l’héritage religieux que le musulman s’inscrit dans une
« communion ». Dans ce cas, la communauté se perçoit comme le socle à partir duquel les musulmans
s’inscrivent dans une filiation philosophique, amorcée généralement par le biais de l’éducation familiale. Celle-ci
est perçue comme un point de repère sur lequel le croyant se base pour cheminer.
La religion reste importante dans la vie des populations issues de l’immigration (Tribalat, 1995), même si les
modalités du « croire » diffèrent. Les modes de transmission changent aussi à travers le temps, alors que la
religion continue de structurer les rapports sociaux entre ses fidèles, en tant qu’imaginaire collectif et vision du
monde partagée. Cette transmission donne à la croyance son caractère intergénérationnel, même si elle n’est pas
toujours linéaire ni explicitée au sein des familles migrantes. Certains musulmans préfèrent s’inscrire dans la
continuité de l’éducation religieuse reçue de leurs parents, tandis que d’autres privilégient une rupture parce
qu’ils estiment que le choix en matière de spiritualité ne doit pas spécialement être le prolongement d’attentes
parentales. Sana, par exemple, mère de deux garçons, décide de transmettre ce qu’elle a reçu en termes de
contes, de figures héroïques et d’histoires mythiques liées à l’islam, et de ne pas procéder de la même manière
que son papa vis-à-vis d’elle.
De son côté, Soufian, père d’une petite fille, nous explique avoir décidé de se distancier de la pratique qui lui a
été transmise par ses parents. Pour lui, ce n’est pas parce que les « parents sont profondément attachés à leur
religion » et qu’elle est pratiquée de façon assidue dans son milieu d’origine qu’il doit en faire tout autant.
Contrairement à Sana, ce n’est pas la manière de transmettre l’islam qui change, dans son cas, mais la façon de
pratiquer l’islam en tant que tel. Toutefois, tant que l’on reste dans l’identité musulmane, les référents familiaux
au niveau de la religion sont mobilisés, même si elles peuvent prendre des colorations différentes de génération
en génération. Ils sont transmis d’une manière ou d’une autre pour pérenniser le sentiment religieux partagé par
les membres de la famille et les inscrivent, ainsi, dans une communauté de foi.
Ce référentiel partagé agit également en dehors de la sphère familiale où le croyant se confronte à ses croyances
par le biais des personnes tierces. Par exemple, lors de son arrivée en Belgique, Ridouane explique avoir
rencontré un groupe de Marocains avec lequel il a pu nouer contact. Ce groupe était pratiquant alors que ne lui
ne l’était pas, bien qu’il soit croyant. L’agir qu’il observe auprès de cette communauté l’a amené à ce qu’il se
questionne sur ses propres pratiques religieuses.
1
Noms d’emprunt.
21
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
« Ils étaient toujours derrière pour dire “vous avez la foi, mais il vous manque ça”. Mais moi je n’étais pas dans le manque, j’étais la
recherche, parce que je suis très... à ne pas pratiquer. En 2001, je n’étais pas pratiquant et 2004 je le suis devenu. Mais par conviction,
étant déjà croyant à la base » (Ridouane, confession musulmane, forum sur le travail).
L’ancrage communautaire peut ainsi devenir un facteur de contrôle social ou de veille des normes islamiques
communément admises et majoritairement partagées dans un contexte donné. Ce contrôle vise à rapprocher les
croyants et les unifier autour d’un modèle, au sein des familles, d’abord, et au sein d’une unité sociale élargie,
ensuite. Ce besoin d’unité témoigne dans quelle mesure les liens entre coreligionnaires peuvent être vécu comme
des moments de rappel à l’ordre sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, d’être ou de ne pas être, pour
être un « bon » musulman. Dans le même temps, ce renvoi à une certaine norme concourt à l’existence de
stigmatisations au sein des communautés musulmanes.
Dans ce cas, il existe, d’une part, certaines formes d’étiquetage qui peuvent plutôt paraître anodines et dont
l’intention n’est pas en soi de stigmatiser la personne musulmane en question. Cette situation s’est posée dans le
cas de musulmans convertis qui ne sont pas issus de l’immigration et qui ne sont parfois pas reconnus d’égale
façon par rapport aux musulmans de culture arabo-musulmane. D’autre part, il existe d’autres formes
d’étiquetage qui peuvent être intentionnelles et exprimées pour situer le musulman en dehors de la norme et dans
le défaut de ce qu’il fait. Cette situation de contrôle sur la pratique de l’islam s’exprime à des degrés divers, de la
simple réprimande ou remarque à des formes d’exclusion plus poussées.
L’éducation parentale est une des premières étapes qui inclut l’enfant musulman dans une communauté de foi.
Aussi, lorsque les choix émis par les parents se distancient de ceux préconisés par les grands-parents, des
désaccords peuvent survenir. Ces désaccords illustrent une forme de rupture par rapport aux coutumes
islamiques véhiculées. Usmai explique, par exemple, que sa femme et lui ont décidé de ne pas enseigner le culte
islamique à leurs enfants, comme certaines formules religieuses à évoquer et des rites à effectuer. En tant que
parents ils devraient théoriquement leur apprendre à dire « Bismillah » avant de manger, pour qu’ils rentrent « un
petit peu dans le moule de la famille ». Puisqu’ils ne l’ont pas fait, ils se sont fait réprimander par leurs parents.
Le partage d’une foi peut parfois être vécu comme un poids, notamment pour des jeunes lorsque le fait de ne pas
être musulman « comme il faut » produit de la honte et de l’exclusion sociale. Le cercle amical joue donc aussi
un rôle de contrôle des normes et délimite les frontières entre le « nous » et le « eux ». Des jeunes expliquent se
sentir « souvent délaissés par certaines personnes étant donné leur religion » et plus particulièrement lorsqu’ils
ne partagent pas le même héritage arabo-musulman que leurs pairs. Cela les conduit à « se sentir bloqué » dans
leurs relations d’amitié et à faire face à un conflit de loyauté. Par exemple, selon les dires d’un des jeunes
témoins, le groupe de pairs peut déterminer s’il est convenable ou non de fréquenter des amis « chrétiens » :
« Moi, à un certain moment, je me sens mal à cause de ça. (…) En tant que musulman, on nous dit “tu ne peux pas faire ça, tu ne peux pas
faire ci”, donc on décide pour toi… » (Interpellation du public, forum sur les jeunes).
Ce devoir d’exemplarité et de séparation avec ceux qui ne sont pas musulmans influence la mixité des relations
et freine la proximité avec certains interdits (consommation d’alcool, de porc, etc.). Les tabous viennent d’une
certaine manière réguler l’ordre social communautaire qu’il convient de respecter et assurer le maintien du
groupe. C’est parce que l’islam devient un référent « ouvert » (Fortin, LeBlanc et Le Gall, 2008, 102) en contexte
migratoire que les tentatives d’homogénéisation prennent leur sens. De plus, les conditions d’existence
favorisent ce sentiment d’appartenir à une communauté de croyants, la oumma, déterritorialisée et détachée d’un
groupe, d’une culture (Fortin, LeBlanc et Le Gall, 2008, 103).
La confrontation à l’altérité
Ce deuxième facteur rend compte du contact avec les « non-musulmans » et de la figure de l’Autre à laquelle
sont renvoyés les musulmans. En effet, la figure de l’étranger symbolise l’archétype de l’altérité, tantôt exotique
et attirant, tantôt répulsif et menaçant, les marques de différences ethnique, culturelle ou encore religieuse ont
toujours questionné la cohabitation des humains. Parce qu’ils vivent dans un environnement sécularisé où l’islam
est minoritaire, mais aussi en raison de formes de racisme structurel, les musulmans sont aujourd’hui renvoyés à
l’image de l’Autre. Leur propre processus d’identification se trouve imbriqué dans un rapport d’altérité et
d’assignations sociales (Devereux, 1972 ; Augé, 1999).
Aussi, l’ancrage européen des musulmans suggère de nouvelles modalités de croire et de construction du rapport
à l’héritage islamique, parce qu’il résulte d’un processus migratoire qui a distancié géographiquement les
générations de musulmans de leurs pays d’origine et des référentiels dans lesquels ils sont baignés. Dans un tel
cadre, la pratique de l’islam perd son « évidence sociale » (Roy, 2002).
C’est également à l’issue de cette migration que survient le rapport à l’altérité à laquelle se confronte le croyant.
De là s’amorcent tant la déconstruction que la redécouverte de la foi puisque de nombreux musulmans
témoignent avoir entamé une « démarche de réflexivité une fois arrivés en Belgique ». Selon les individus, cette
démarche n’évolue pas de la même manière. Certains évoquent avoir opéré une démarche de déconstruction de
ce qu’ils prenaient pour acquis tandis que d’autres ont été renforcés dans leur foi ; certains évoquant tout
simplement que c’est depuis qu’ils vivent en Belgique qu’ils se sont intéressés à leur religion plus en profondeur.
22
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Mais la plupart précisent que la confrontation à un autre environnement les a invités à développer une approche
critique des sources théologiques et des informations dont ils disposaient. Nour explique que lorsqu’elle vivait en
Tunisie, la religion allait « de soi », car elle baignait tout l’environnement. Elle « suivait la voie de ses parents »,
mais « depuis qu’elle a quitté la Tunisie », elle voit l’islam autrement et l’adapte à sa vie.
Particulièrement, les personnes de la première génération ont été bercées dans un environnement musulman
avant de poursuivre leur socialisation en Belgique. Mohamed explique qu’il est « musulman de par son
héritage » et que son islam s’est nourri de ce que ses parents lui ont transmis au pays. L’islam qu’il connaissait
avant son arrivée était lié à son foyer et aux histoires qui lui étaient racontées. Pourtant, l’image qu’il « se faisait
de l’islam s’est confrontée au regard de l’autre, une fois arrivé en Belgique ». Les personnes de la deuxième
génération se situent, quant à eux, à mi-chemin entre une éducation religieuse familiale basée sur l’oralité et de
nouvelles méthodes d’apprentissage plus scolaires et médiatiques.
Ainsi, les musulmans réalisent qu’un autre islam que ceux qu’ils ont toujours vécu existe. Ils intériorisent une
tradition à travers un schéma parental avant de se trouver dans la nécessité de le revisiter, malgré eux, en
contexte belge. Tissa relate que l’éducation qu’elle a reçue était essentiellement basée sur la participation aux
fêtes communautaires : « on fêtait le ramadan, et célébrait les fêtes traditionnelles ». En contexte minoritaire, la
religion est valorisée en tant qu’ancrage communautaire, dans le sens où elle permet la perpétuation de l’héritage
culturel tout en se heurtant à un cheminement de foi de plus en plus individualisé et moins encadré par
l’environnement. Vivre dans une société sécularisée dont la vie sociale n’est pas régulée par le religieux permet
aux musulmans de se questionner sur leur identité et de se singulariser en dehors des habitudes communautaires.
Ridouane explique que depuis son arrivée en Belgique, « il a pris du recul » et appris à « utiliser [sa] foi dans la
sphère privée », alors que ce n’était pas le cas dans son pays d’origine où il la vivait simplement par le climat qui
se dégageait de la communauté.
Autrement dit, alors que l’islam s’est reproduit de génération en génération, ses référents sont bousculés et les
« allants de soi » progressivement réinterprétés. Des auteurs soulignent qu’un processus d’intégration est déjà en
cours. Elle se caractérise à la fois par le « déclin des pratiques et des croyances et par une imbrication plus
étroite entre l’identité religieuse et l’identité nationale » (Bouzar, 2003 ; mais également : de Lavergne, 2003 ;
Venel, 2004). Toutefois, la foi semble se renforcer à travers le processus migratoire (Tournier, 2013). C’est l’un
des paradoxes qui traverse la confrontation avec l’altérité en contexte postmigratoire, il débouche à une forme
d’émancipation spirituelle et individuelle d’une part, et à plus de loyauté à la tradition, d’autre part.
La transmission de la culture religieuse
Dans un tel contexte de remise en question, la transmission de l’islam aux générations nées en immigration n’est
pas aisée. Elle exige ses espaces de négociation intrapersonnels, intragroupaux et intergroupaux (A. Manço,
2006). Il en est ainsi de l’éducation religieuse, tour à tour familiale, sociale et scolaire.
Au sein du foyer, la controverse peut se déclarer : les parents peuvent ne pas partager les mêmes visions de
l’islam ou une même origine culturelle et religieuse. Cela les invite à négocier leurs bagages culturels et à
concilier leurs univers respectifs dans le cadre de l’éducation de leurs enfants.
En couple mixte avec un musulman, Mathilde (confession catholique, forum sur le couple), explique que cette
recherche de conciliation l’a amenée à investiguer et mieux connaître le sens des pratiques religieuses, tel que le
baptême : « on est tous les deux de confessions différentes, ça fait vraiment travailler l’intérieur. Je peux te dire
qu’un moment donné..., comme dans tout couple, il y a des conciliations, mais nous on fait des conciliations
aussi à ce niveau-là. Je me serais marié avec un chrétien, probablement qu’on ne se serait pas posé des
questions à propos du baptême en lui-même. »
Les couples, mixtes ou non, s’alignent sur l’importance de donner des outils à leurs enfants pour qu’ils puissent
cheminer individuellement. La plupart d’entre eux valorisent la spiritualité, le rapport à Dieu, dans l’éducation
qu’ils transmettent à leurs enfants, plutôt que les aspects dogmatiques et cultuels. Ces parents préfèrent laisser
leurs enfants s’approprier en douceur la religion, afin qu’ils comprennent pourquoi leurs parents font ce qu’ils
font : prières, abattage rituel, jeûne du mois de Ramadan, etc. Ce choix s’inscrit aussi en décalage par rapport à
l’éducation religieuse qu’ils ont eux-mêmes reçue et qui ne se caractérise pas par une démarche pédagogique
d’explicitation. Par ailleurs, les parents rencontrés orientent leur éducation en mettant au premier plan le bienêtre de l’enfant. Comme en témoigne Mohamed, père de six enfants, les parents n’ont pas de méthode pour
apprendre aux enfants à être musulmans. Ce qui prime, pour lui, c’est l’aptitude du parent à pouvoir
« accompagner ses enfants dans tous ses gestes de la vie » afin que les pratiques puissent être comprises dans
leurs finalités.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Quoi qu’il en soit, il semble que fait de partager la même tradition culturelle soit un facteur facilitant au sein du
couple que cela soit dans la conciliation ou dans la compréhension du respect de certains interdits, même si les
familiarités culturelles n’effacent pas les questionnements de fonds sur la construction identitaire des enfants.
L’ensemble des parents expriment, par exemple, de l’inquiétude quant au risque de voir leurs enfants ne pas
trouver de compromis entre leurs appartenances et restent sans repères stables pour se construire.
L’altérité peut aussi se présenter dans le foyer familial par l’enfant qui, dans son cheminement, en viendrait à ne
pas suivre la même religion que ses parents ou à ne pas être croyant. La réflexion porte alors sur la réception
qu’ont des parents quant au choix de leurs enfants de ne pas être musulman, d’être attiré par une autre religion ou
d’être athée. Les débats montrent que les parents adoptent alors des attitudes relativement analogues. La majorité
d’entre eux estiment important qu’une vision du monde commune puisse exister entre les membres de la famille.
C’est pour cette raison qu’une grande partie des musulmans rencontrés déclarent qu’ils leur seraient difficile de
voir finalement leurs enfants emprunter un autre chemin que le leur, même s’ils valorisent tous que ceux-ci
jouissent de leur liberté individuelle. Dans pareil cas, avant d’entrer dans une phase d’acceptation, les parents
auraient besoin d’un travail personnel pour résoudre cette déchirure, en regard de l’attachement qu’ils portent à
leur religion. C’est notamment le cas de Sana et d’Anissa, toutes deux mamans de deux enfants. Ces dernières
évoquent que « les premiers moments qu’une maman vit avec son enfant ne sont ni religieux ni islamiques. Ils
sont tout simplement humains ». C’est donc d’abord l’amour qu’elles portent qui prime et non pas que leurs
enfants suivent la même religion qu’elles. Elles accepteraient leurs choix, par respect pour eux et pour ne pas
risquer de casser le lien qui les unit, une fois qu’elles sont passées au-dessus du sentiment d’avoir été blessées.
Sana explique cette blessure par son profond attachement à l’existence de Dieu et qu’elle aurait des difficultés à
résoudre le fait que ses enfants n’y croient pas comme elle.
« Imposer à mon enfant ce que moi je pense être le plus juste, cela paraît contradictoire avec ce que moi j’ai fait puisque moi je ne vis pas
le même islam de mes parents. Mais le changement de religion c’est vrai que pour moi, dans mon for intérieur, si je suis toute ma vie la
personne que je suis maintenant, je le vivrai mal, mais c’est un problème que je dois résoudre avec moi-même. Mais j’avoue (...) que pour
moi ce sera très dur au niveau personnel. Je suis un être humain, je suis profondément attachée à l’existence de Dieu, j’y crois
profondément, donc pour moi en mon for intérieur, ce sera extrêmement compliqué à résoudre » (Sana, confession musulmane, forum sur
la parentalité).
Anissa, quant à elle, transmet à ses enfants ce qu’elle pense nécessaire pour qu’ils soient heureux. Si ces derniers
en venaient à ne pas suivre la religion, elle serait aussi blessée dans un premier temps, car elle se demanderait
s’il y a quelque chose qui pose problème, sans pour autant en arriver à les rejeter. En outre, la transmission de la
religion prend racine dans la conviction parentale selon laquelle il s’agit d’un vecteur permettant d’apporter le
meilleur aux enfants. Comme en témoigne une autre maman de confession musulmane, « l’islam apporte
tellement de bienfaits que je trouve important de le transmettre à ses enfants afin qu’ils puissent eux aussi en
bénéficier. »
« Je suis maman et donc, personnellement, c’est important de transmettre ; ne pas transmettre pour transmettre, mais surtout parce que
l’islam m’a apporté des choses et ça m’a permis de me ressourcer. Donc c’est comme par rapport à l’alimentation (...). Il ne s’agit pas
d’obliger ou de contraindre notre enfant parce que nous, nous avons appris ainsi, mais parce que ça nous a apporté du bonheur. Voilà, ça
a déclenché pas mal de choses, cette discussion. » (Interpellation du public, forum sur la parentalité).
Un socle de convictions communes est une question qui se pose au sein de chaque foyer, quelle que soit la
conviction envisagée. Cela se pose donc aussi dans le cas où l’enfant aurait choisi de se convertir à l’islam, dans
une famille athée. Par exemple, Anissa souligne que des parents non musulmans de son entourage ont vécu
difficilement la conversion de leurs enfants. Même si les parents acceptent leurs enfants et font passer leur amour
avant autre chose, cette déchirure reste présente. Néanmoins, tous les parents ne fonctionnent pas de la même
façon. Certains, par exemple, ont décidé de ne pas du tout pousser les enfants à la croyance, comme en témoigne
Tissa. Celle-ci évoque qu’elle et son mari n’ont pas trouvé nécessaire de transmettre les bases de la croyance
musulmane à leurs enfants, car pour elle ce cheminement est avant tout intime et personnel. Elle explique qu’elle
trouverait ça dommage d’entrer en conflit avec ses enfants eux pour des questions de choix religieux.
Les parents immigrés « souhaitent transmettre des valeurs liées à la religion et au pays d’origine à leurs
enfants » (Fortin, LeBlanc et Le Gall, 2008, 102 ; Maréchal, 2003). Quelle que soit la position adoptée par les
parents et la confession qui est la leur, l’enjeu de l’éducation religieuse entre parents et enfants se situe à michemin entre la liberté individuelle et le partage d’un monde commun qui faciliterait l’ordre des relations.
La confrontation des différences se joue aussi dans le cadre de la transmission religieuse hors du foyer. L’école
est un lieu de socialisation qui peut bousculer les choix parentaux en matière d’éducation. Dans ce cas, c’est la
sphère publique qui s’invite dans la transmission religieuse privée.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Les parents expliquent que c’est à l’école que leurs enfants ont découvert qu’ils étaient porteurs d’une identité
spécifique1. C’est par le regard que l’autre pose, du professeur aux élèves, qu’ils se trouvent confrontés à leur
appartenance ethnoreligieuse. L’école est le lieu où les enfants se socialisent et passent a priori le plus de temps
en dehors de la sphère familiale. Ils y sont instruits et sont aussi confrontés à d’autres enfants, d’autres modes de
rapports au religieux, au langage, bref, à toute une série de normes scolaires qui sont généralement le reflet des
normes culturelles dominantes dans une société donnée (Verhoeven, 2012).
Dans le cas de Mathilde, en couple mixte avec Abdel, les enfants ont été baignés dans deux religions et ont
cheminé là-dedans. À l’école, leur fils aîné a été renvoyé à son image de Maghrébin. Ce dernier a été choqué et a
souffert d’avoir été dénigré pour son appartenance, d’autant plus qu’il « n’avait jamais perçu la différence
comme quelque chose de négatif » ou comme une barrière dans la relation entre ses parents.
Les parents invités aux forums expliquent qu’il leur est de plus en plus difficile de garantir leur rôle de
transmission dans une société où les discriminations et les stigmatisations à l’égard de leur groupe
d’appartenance existent et surviennent dans les espaces de socialisation et dans les médias. Par exemple, alors
qu’Umai (confession musulmane, forum sur le couple) et son épouse avaient aussi opté pour ne pas éduquer
leurs enfants à travers les dogmes en leur laissant le choix de cheminer, l’école les a amené à reconsidérer ce
choix. Lorsqu’ils ont constaté que leurs enfants revenaient à la maison avec des prières catholiques, alors qu’ils
s’abstiennent de rentrer dans cette logique d’apprentissage avec eux, ils ont décidé de les inscrire à l’école
coranique afin de « contrebalancer », tout en poursuivant le schéma éducationnel qu’ils s’étaient accordés à
suivre.
Par ailleurs, la sphère scolaire participe à des interrogations et des questionnements sur la religiosité des
musulmans, que cela soit dans le cadre des contacts avec les pairs ou par le biais des savoirs qui y sont enseignés
et débattus. De nouveau, les musulmans ne réagissent pas de la même manière par rapport aux relations qu’ils
entretiennent avec des non-musulmans ni n’ont vécu les mêmes expériences qui ont participé d’une remise en
réflexion de leurs convictions. Par exemple, Hanane explique que la nature de ses études, la psychologie, a
favorisé sa remise en question des « allants de soi » sur l’islam. Son parcours l’a amené à cheminer et à
progressivement passer d’une « démarche pratiquante sans sens derrière », à une approche spirituelle et éloignée
du dogme islamique.
« Alors, j’ai été pratiquante tout un temps, et puis à l’aune de mon adolescence, j’ai eu un questionnement où voilà, je jeûnais, je priais
cinq fois par jour parce qu’il fallait le faire, donc je le faisais, mais intérieurement, il ne se passait rien. C’était pratiquer sans sens
derrière. Puis finalement, j’ai eu la chance de suivre des études en psychologie, je dis “chance” parce que ce parcours vous oblige à vous
regarder, vous oblige à travailler sur vous-mêmes et à cheminer » (Hanane, croyante, forum sur le travail).
Dans sa situation, ce sont ses études en psychologie qui ont participé à ce qu’elle entame une démarche de
déconstruction sur « qui elle était ». Au-delà de la nature des études, le degré mixité qui compose
l’environnement scolaire influence les relations entre pairs et le sentiment d’appartenance que nourrit le
musulman à son milieu. Plus l’école est homogène en termes de profils socio-économiques et d’origine
ethnoculturelle, plus l’individu minoritaire développe un sentiment « d’être différent ». Ce fut le cas d’Osman
qui était en primaire dans une école « très blanche » et dans laquelle « il ne se sentait pas rejeté, mais vraiment
différent des autres » parce qu’il était le seul étranger. Alors que, durant ses secondaires, le milieu était plus
mixte et s’y sentait mieux. À partir de ce sentiment d’étrangeté, les musulmans développent des remises en
question. Celles-ci sont renforcées quand les autres élèves ou étudiants en viennent à leur poser des questions sur
leur religion.
Cette dynamique peut susciter recherche et curiosité des musulmans pour leur religion. Cette confrontation ne
prend pas toujours une tonalité négative et l’accent d’une stigmatisation. Elle peut être vue, au contraire, comme
un incitant à reconsidérer des savoirs pensés acquis. Ce fut, entre autres, le cas de Lisa qui a passé ses années
d’études avec des condisciples non musulmans et avec lesquels elle a souvent échangé. Cela a été un
enrichissement pour elle parce que toutes les questions posées l’ont « poussée à aller chercher des réponses ».
La sphère scolaire permet, pour finir, d’accéder à des lectures très différentes du religieux, d’être créatif et de
négocier ses vécus avec la majorité non musulmane. Comme nous l’avons souligné à travers le registre de
l’altérité, la stratégie identitaire prend sens dans un processus continu de conjugaison et d’interaction entre
environnements (sociaux), projets individuels et/ou familiaux, d’une part, et capacités d’action, d’autre part
(Taboada-Leonetti 1990).
1
Ça a aussi été le cas de Mohamed (confession musulmane, forum sur la parentalité). Un jour, à l’école on professeur
l’interpelle sur la politique iranienne en lui disant « vous êtes musulmans hein vous, vous voyez ce qui se passe avec
Khomeiny et l’Iran ? » alors que Mohamed, adolescent, de son côté, n’avait pas connaissance de quoi il s’agissait. Il
explique que c’est « la première fois qu’il s’est rendu compte que les gens le voient comme musulman ».
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Les figures de l’autorité islamique
Il s’agit dans cette partie de rendre compte de la multiplicité des référentiels et des formes d’autorité qui
structurent l’islam sunnite et son rapport aux nouveaux modes de transmission religieuse.
Depuis sa reconnaissance en 1974, l’institutionnalisation de l’islam a toujours été un défi. Et non sans raison : la
désignation d’une autorité en islam sunnite en raison de l’absence de « clergé » reste une question complexe,
notamment lorsqu’il s’agit de fédérer un pluralisme d’islam. Plus particulièrement, le fait que l’islam soit
« transplanté » en Belgique (Dassetto et Bastenier, 1984) par le biais des migrations implique la recherche de
référentiels et charrie la linéarité de la transmission familiale que nous avons abordée ci-devant. Aux références
parentales se surajoutent d’autres types de socialisations « volontaires » (Roy, 2002, 133) qui viennent infléchir
sur la construction identitaire des musulmans parce qu’elles « sont source d’appartenances et de projets » (Fortin,
LeBlanc et Le Gall, 2008, 106). En raison de la globalisation, d’autres modes de socialisation, tels que les
médias, mais aussi les liens entre pairs prennent en effet une place importante.
La globalisation des images qui traversent les frontières et les barrières culturelles par le biais de la bulle internet
et la diversité d’informations qu’elle délivre ne sont donc pas sans impact sur la dimension religieuse. Les
figures d’autorités religieuses mettent en scène un « islam 2.0 » particulièrement charismatique et sont influentes
auprès des nouvelles générations (Roy, 2002). Ces nouvelles dynamiques reconfigurent continuellement le
« marché du religieux » et la position de ses représentants en quête de légitimité, au détriment parfois des sources
d’autorité plus traditionnelles, comme la famille.
La construction identitaire des musulmans dépend aussi des autorités disponibles et sur lesquelles ils peuvent se
baser pour légitimer le contenu de la foi, de la spiritualité, des règles de droit, etc. Cela signifie qu’il existe des
repères pour identifier qui sont les agents garants de cette légitimité ; des critères qui font référence. Il peut s’agir
du poids de penseurs et de théologiens qui font consensus, il peut s’agir du degré charismatique des
transmetteurs, de leur statut ou de leur proximité/filiation vis-à-vis du prophète Mohamed et de leurs qualités
intrinsèques.
Par exemple, Ibrahim explique qu’après s’être converti à l’islam il a eu besoin de rechercher des références qui
puissent le guider et le conseiller sur ce qu’il convient de faire pour être en accord avec les préceptes de l’islam.
Même s’il n’était pas d’accord avec l’imam qu’il avait alors rencontré, il estime qu’il se devait de suivre son avis
en raison son apparence islamique (port de la barbe, du kamis) et la force des informations avancée pour
expliquer ses propos (hadiths – paroles et gestes du prophète). L’islam se trouve donc structuré par des autorités
dont la légitimité est renvoyée au degré d’expression religieuse. Celle-ci peut être perçue par le biais de codes
vestimentaires qui témoignent d’une orthodoxie religieuse et d’un discours qui illustre une connaissance
d’éléments théologiques qui font déjà preuve d’autorité dans la tradition islamique.
Cela étant, certains musulmans rencontrés restent critiques vis-à-vis des imams. Ils déplorent le fait que ceux-ci
ne parlent pas la langue du pays et qu’ils ne sont généralement pas en phase avec les réalités du contexte
postmigratoire. Il n’est donc pas toujours facile « de faire son marché » parce qu’il existe « peu de personnes qui
portent un discours qui fasse sens et en prise par rapport à la société », nous disent notamment les jeunes. Ceci
est d’autant plus complexe que l’accès aux sources et leur compréhension demandent énormément de savoir et
une maîtrise assidue de l’arabe littéraire. Ce qui ne permet pas aisément de développer un rapport individuel au
Coran, sans que ne soient sollicités des conseils venus d’autres individus.
Pour poser un choix en adéquation aux préceptes coraniques, il est conseillé de s’enrichir de plusieurs avis ; de
les contrebalancer pour ensuite décider. Ce fut le cas de Lisa qui, dans son parcours, a souvent été découragée à
suivre des études en droit, car certaines personnes lui ont indiqué que cette démarche « serait incompatible avec
le statut de la musulmane ». Face à cela, Lisa insiste sur l’importance d’aller se renseigner un peu partout pour se
fonder un avis personnel, et ce, notamment dans un contexte où « des gens s’autoproclament (…) détenteurs
d’une (…) vérité ».
La multiplication des sources d’autorité semble être à la fois un facteur qui déstabilise et insécurise le croyant
dans sa quête de vérité puisque des contradictions peuvent apparaître, à la fois cela peut être un stimulant
poussant le croyant à une démarche de comparaison nécessaire à un choix individualisé.
Qui plus est, la construction identitaire des musulmans dépend aussi du contenu de la pensée musulmane
véhiculée. Bien qu’il existe une multiplicité de sources qui puissent représenter l’islam, le contenu n’est pas
valorisé dans sa pluralité. Une vision monolithique de l’islam tend à être défendue et visibilisée, au détriment
d’autres islams qui ne font pas toujours consensus.
Certaines tendances tendent à uniformiser le discours islamique qui se veut avant tout normatif. Les livres et
ouvrages en vente en librairies semblent se cloisonner, d’après les musulmans rencontrés à l’occasion des
forums, autour d’une lecture spécifique de l’islam qui serait davantage axé sur le respect des règles islamiques,
l’importance du halal (et du haram), afin de devenir un.e bon.ne musulman.e. Cette tendance normative se
retrouve aussi sur la toile pour occuper une place dominante. Nos interlocuteurs regrettent que l’offre soit saturée
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
par une idéologie qui promeut des normes pouvant pousser au sectarisme. C’est la raison pour laquelle Lisa,
notamment, valorise le pluralisme en partant chercher réponses à ses questions auprès de plusieurs autorités :
« La plupart des librairies religieuses islamiques proposent plus ou moins le même type d’ouvrages et on est fort dans l’idéologie. La
plupart des cours sont proposés à Bruxelles sont plus ou moins de la même tendance et c’est parfois sectaire... » (Lisa, confession
musulmane, forum sur les jeunes).
Cette idéologie à laquelle des croyants, notamment jeunes, peuvent accrocher facilement valorise l’importance
du respect des règles, en appuyant sur la crainte et la culpabilité. Ce type d’ouvrages et les sujets qui y sont
traités réfèrent à la fin du monde et renvoient à un rapport à Dieu particulier, teinté de peur. Bien qu’il ne
s’agisse pas de juger quel est le bon ou le mauvais islam, les jeunes rencontrés étant passés par des moments de
conflits intérieurs valorisent la pluralité des sources sur lesquelles se baser. Cela leur a permis de faire la part des
choses entre différentes tendances, et se positionner en connaissance de cause. Pour Ibrahim, il est important de
questionner de l’image qui est donnée de la religion et du message de Dieu au sein même des références mises à
disposition. Écouter le discours consiste alors à discriminer si la relation à Dieu est véhiculée en tant qu’objet de
peur ou si elle est partagée comme un message de paix et d’amour.
« Ce qui est important aussi, c’est qu’il faut se poser la question comment se construire... c’est qu’il n’y a pas de mauvais islam, je veux
dire sauf celui qui pousse à tuer des gens, etc., évidemment. Mais il faut se poser la question... il faut vous dire que oui la religion c’est la
paix, l’amour, etc., et il faut écouter les discours. Et si les gens, ce qu’ils vous racontent, ils vous parlent de peur, “crains Dieu, etc.”, et
s’il n’y a pas d’amour, en gros c’est erroné. Il faut se dire pourquoi je dois avoir peur pour aimer Dieu. Et il faut toujours avoir cette
réflexion... » (Ibrahim, converti, forum sur les jeunes).
En effet, l’orientation du discours faisant autorité colore la manière dont le fidèle voit Dieu : il vient nourrir les
sentiments qu’il éprouve vis-à-vis de son Créateur, ainsi que son rapport au texte sacré. Les demandes et les
attentes actuelles des croyants vis-à-vis du discours d’autorité permettent de donner une indication de l’état
d’esprit dans lequel ils se situent et du rapport à l’islam qu’ils privilégient. L’enjeu des représentants en islam
pose d’une part la question de l’offre en termes de figure de légitimité et du contenu que ces discours reflètent.
Par ailleurs, elle renvoie à la question de la demande qui témoigne des aspirations, des besoins et des
dynamiques identitaires des musulmans. On peut noter, à cet égard, l’existence d’une tension entre la multiplicité
croissante des figures d’autorité, d’un côté, et l’homogénéisation des discours véhiculés, de l’autre.
Le registre de la géopolitique
La place de la géopolitique dans le développement identitaire des musulmans de Belgique renvoie à
l’interférence d’événements globaux de nature politique en lien avec le monde islamique et à leur médiatisation
(Robertson, 1995).
Les revendications et le répertoire religieux mobilisés pour justifier des actes de violence au nom de l’islam et
d’autres événements violents au sein de pays à majorité musulmane font polémiques dans les pays occidentaux.
Ils participent à la stigmatisation des musulmans, même si ceux-ci sont presque toujours très éloignés des réalités
en question. L’assimilation entre les musulmans « d’ici » avec les événements qui se déroulent dans les pays du
Proche et du Moyen-Orient impacte les interactions. D’après les musulmans participant aux forums, cette
confusion amène à un changement dans les représentations des non-musulmans. Ces derniers commencent à
percevoir comme menaçants leurs concitoyens musulmans. Le phénomène n’est pas nouveau et remonte à la
crise pétrolière de 1973. Toutefois, il va en s’aggravant en lien avec les guerres qui frappent le monde musulman
ces dernières décennies, ainsi que la médiatisation désormais instantanée des faits violents via les réseaux
sociaux, d’ailleurs abondamment exploités par les terroristes eux-mêmes. Comme l’explique Tissa dans son
témoignage, les « Belges de souche » adoptaient des postures de sympathie envers les musulmans avant les
années 70-80 et les musulmans n’entendaient pas parler de l’islam en termes de brutalité, avant la crise pétrolière
et l’arrivée de Khomeiny au pouvoir.
Certains musulmans de Belgique commencent alors à faire l’objet d’amalgames et de comportements
désagréables de la part de non-musulmans, les renvoyant comme coresponsables de ce qui se passe dans tel ou
tel coin du monde. Cette manière de les catégoriser témoigne d’une vision du musulman en tant qu’étranger et
est indépendante du contexte dans lequel il vit en réalité (Cesari, 2004 ; Helly, 2004). Les images auxquelles sont
renvoyés les musulmans en fonction de la géopolitique alimentent également le sentiment de rejet qu’ils peuvent
vivre, puisqu’ils ne se sentent pas considérés comme un citoyen belge à part entière.
Dans mesure où les représentations collectives du musulman se nourrissent d’événements à caractère violent, la
construction d’un sentiment d’appartenance à cette religion se complexifie. La société occidentale elle-même se
heurte à des sentiments de fracture par rapport à cette question. Après les attentats perpétrés aux États-Unis, le
11 septembre 2001, Sana explique que son père dit regretter d’être venu en Europe. Le climat ambiant détériore
le sentiment de légitimité ou d’être chez soi et reconnu dans la vie de beaucoup de musulmans d’Europe. Les
événements géopolitiques, et plus spécifiquement les attentats et brutalités menés par des groupes terroristes
islamistes, peuvent aussi inférer sur le rapport que le musulman construit à sa religion.
« Alors, par rapport aux questions que l’on pose à la suite des attentats, j’ai vraiment eu une période où tout ce qui était stigmatisation,
islamophobie me faisait très peur, mais vraiment, et donc j’avais encore peur d’être jugée, etc., et comment ça allait se passer. » (Violette,
convertie, forum sur les jeunes).
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
On constate que la préoccupation d’être stigmatisé se pérennise de génération en génération (Jamoulle, 2013).
« Il y a quand même un sentiment de ne pas être chez soi, de ne pas être reconnu, ne pas être légitime ce qui fait qu’on va ailleurs pour
chercher un meilleur avenir et moi je ne veux pas que mes enfants soient affectés par cela. Mais ce poids de ce qui se passe ailleurs qu’on
a tendance à coller en permanence sur les musulmans, je ne veux pas qu’ils le ressentent, je ne veux pas qu’ils le vivent. Je veux qu’ils
soient fiers, dans le sens noble du terme, de l’islam. Mais je veux qu’ils soient complètement chez eux ici » (Sana, confession musulmane,
forum sur la parentalité).
De leur côté, les non-musulmans sont en recherche d’interlocuteurs pour partager leurs interrogations légitimes.
Cette « responsabilité » d’être musulman se joue dans leur capacité à déployer un argumentaire et échanger sur
des questions politiques complexes qui les dépassent. Comme l’explique un travailleur de terrain athée, « suite à
certains événements (…) on peut pas trouver un représentant d’une communauté [puisqu’il] n’y en a pas dans la
communauté musulmane », ce sont alors les musulmans eux-mêmes qui sont sollicités pour y répondre.
« Le fait de venir vers vous et vous poser des questions sur les attentats, sur le choix du foulard, sur ce qui se passe au Proche-Orient…
Ma question est comment en tant que jeune on arrive à se construire quand très tôt on est amené à se positionner sur des questionnements
politiques qui en fait nous dépasse (...) On ne peut pas trouver un représentant ? Alors, on va trouver des jeunes dans les quartiers et les
apostropher. Le jeune n’a pas les ressources pour pouvoir répondre (...) Les questions politiques viennent s’immiscer dans le religieux »
(Interpellation du public, forum sur les jeunes).
Certains musulmans (ou personnes considérées comme telles) peuvent alors en arriver à un rapport conflictuel
face à cette interférence de la dimension politique dans leur vécu. C’est notamment le cas de Violette et Ibrahim,
tous deux convertis à l’islam. Ibrahim explique qu’il s’est converti à l’islam il y a cinq ou six ans. « C’est qu’en
rentrant dans l’islam [qu’il s’est] revêtu d’une responsabilité » qu’il n’avait pas choisie, notamment sur le fait
de devoir s’expliquer sur les attentats. Ceci prend une tonalité d’autant plus importante que dans « son vécu
personnel. [L’islam est] vécu vraiment comme une expérience, un cheminement intime, de l’ordre du privé » et
non pas en résonance avec ce qui se joue au niveau politique. Il vit l’impression d’avoir un poids sur lui depuis
sa conversion, comme s’il avait le devoir se justifier pour des choses qui n’ont rien à voir avec ses propres
expériences de l’islam.
Discriminations au fil des générations
Ce troisième axe d’analyse des débats tenus lors des forums concerne les discriminations dont sont la cible les
différentes générations de musulmans en Belgique. Il s’agit de mettre en exergue quelles sont leurs singularités
en fonction de la génération concernée (jeunes, personnes en âge d’activité, personnes âgées) et du champ dans
lequel elles s’inscrivent (école, rue, lieu de travail, etc.). Étant donné que les discriminations à l’égard des
musulmans peuvent parfois survenir dans des champs divers, pour des motifs transversaux (le port du voile, par
exemple), nous soulignons que les catégories générationnelles ainsi mobilisées ne sont pas clivées les unes par
rapport aux autres, mais le sont dans la continuité que constitue la trajectoire de chaque citoyen.
Sentiment d’exclusion et rejets réactifs parmi les jeunes générations : comment construire la paix ?
« Au niveau des quartiers, c’est vrai, les jeunes ont tendance à se diriger vers des visions “pour” ou “contre”. C’est aussi une manière
d’exister dans une société qui refuse les diversités. Avant d’être pacifiste, j’ai connu certains trucs bizarres. Quand tu es “jeune des
quartiers”, que tu sois noir, arabe, les gens pensent que tu es un problème. Quand tu te fais contrôler par les flics, et que les personnes
blanches qui sont avec toi ne le se sont pas, c’est une chose parmi tant d’autres » (Ibrahim, converti, forum sur les jeunes).
Contrairement aux premières générations devant négocier leur héritage culturel à l’aune de leur installation dans
la société d’accueil, les jeunes musulmans issus de l’immigration, dont des Belges de fait. À l’inverse de leurs
parents (ou grands-parents) immigrés soucieux de « ne pas faire de bruit », rester invisibles dans la société
d’accueil, pensant un jour « rentrer chez eux », les jeunes issus de l’immigration s’inscrivent souvent dans une
dynamique de reconnaissance personnelle et de groupe ; ils revendiquent de leur identité musulmane (Arara et
Sylin, 2018). Ils refusent de « raser les murs », de museler l’expression de leur identité, dont leur religion. Ils
estiment « être chez eux » et comptent bien « ne pas se cacher ». Tissa, maman de trois enfants, expliquent que la
dimension religieuse est un repère pour ces jeunes tout en étant un élément qui permet d’évaluer leur degré de
conflictualité avec la société. En effet, en raison de leur « apparence musulmane » ou « faciès arabe », en raison
du quartier où ils habitent, de l’école qu’ils fréquentent, etc. certains de ces jeunes n’ont pas le sentiment d’être
considérés et traités dans l’espace public et médiatique, sur les marchés scolaires, du travail, du logement, etc.,
de la même manière que la majorité de leurs concitoyens.
Les discriminations que vivent les jeunes en question les amènent à développer un sentiment de rejet par rapport
à la société dans laquelle ils sont nés (Bouhout, 2015). Ce sentiment se construit sur base d’une histoire familiale
caractérisée par des blessures liées à l’estime de soi et à des discriminations récurrentes structurant la mémoire
collective (Jamoulle, 2013). Tous ces phénomènes de racisme se cristallisent et se renforcent notamment à la
période de l’adolescence (Conne, 2012). L’adolescence est de fait un moment particulier puisque c’est à cette
période que des questions existentielles et identitaires se lèvent et peuvent entrer en tension avec
l’environnement.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Ceci impacte évidemment leur sentiment d’appartenance et leur propension à développer un rapport de
revendication, voire de défiance, vis-à-vis de leur société. Lorsque ce sentiment de ne pas être reconnu comme
citoyen belge est présent et ne se résout pas, les jeunes tendent à développer un rapport identitaire fort à leur
religion. Ils ont du mal à trouver leur place dans l’environnement social et articulent à la religion leur raison
d’exister.
À mesure où les jeunes développent un sentiment de révolte par rapport aux injustices qui leur sont faites ou
faites à leurs proches et à leur « communauté », leur vécu de l’islam devient identitaire et vindicatif, destiné à
s’opposer à ce qui est ressenti comme une oppression ou à faire exister leurs idéaux.
« Je pense que quand on vit cette forme de violence quotidienne en se disant que nous sommes un problème et qu’il n’y a que très peu de
personnes qui nous valorisent et ce sont des religieux. On en arrive simplement à n’exister que par cette porte religieuse. À l’exclusion de
toute autre forme d’existence sociale » (Participant au forum jeunesse).
Ayant vécu dans des quartiers populaires, Ibrahim explique également que les jeunes ont généralement tendance
à « se diriger vers des visions d’islam “pour” ou “contre” », tracées de façon binaire. Puisqu’ils sont perçus
comme un « problème » par les institutions et les acteurs faisant autorité, ainsi qu’au sein des médias, ils
cherchent une valorisation auprès d’autres figures et auprès de leurs pairs. Cette voie de délimitation du religieux
entre ce qui est « permis » et ce qui est « interdit » est une manière de réinjecter du sens dans leur vie tout en
s’offrant un référentiel sécurisant. La religion agit comme un « mode d’emploi » et permet de se distinguer en
appartenant au groupe de musulmans qui suivent le « bon » islam. Ces marquages identitaires confirment encore
la frontière entre un « nous » et un « eux » et conduit à une survalorisation de la dimension communautaire et à
un rejet graduel de tout ce qui n’est pas « nous ».
Cet appel pour un « islam, voie de salut » conduit ainsi vers un sentiment d’appartenance fort et opposé aux nonmusulmans, voire à d’autres musulmans qui ne suivent pas la religion de façon aussi rigoureuse et normée,
comme le signale une jeune de confession musulmane présente dans le public du forum sur les jeunes : « c’est
comme si ces jeunes de quartiers populaires avaient tendance à être attirés par la religion par la porte de
culpabilité, dans l’idée qu’ils se doivent réparer les péchés qu’ils ont commis. L’islam permet de rompre avec ce
qu’ils étaient avant : leurs difficultés, l’exclusion ressentie et les erreurs commises ».
La plupart des jeunes rencontrés reconnaissent, en effet, être passés par un islam de « postures » avant d’accéder
à un vécu religieux plus apaisé et réflexif et de concilier la multiplicité des facettes qui sont les leurs. Ainsi, un
jeune au sein du public évoque ne plus se sentir obligé de choisir entre les qualificatifs « musulman »,
« marocain » et « belge », envisagées précédemment comme compatibles. Cet islam apaisé est le résultat d’une
conciliation progressive entre deux référentiels culturels. Il est aussi le résultat de conquêtes successives que les
jeunes sont en mesure de faire dans leurs trajectoires en termes d’accès à des diplômes, à des emplois, à diverses
formes de reconnaissances dans la société et au sein de pairs de toute origine. Ces jeunes doivent vivre des
réussites en lieu et place des injustices et inégalités vécues intensément dans certaines localités reléguées, afin de
développer des identifications positives.
« Mes enfants vers 15, 16, 17 ans étaient énormément dans le débat. Ils disaient “on n’a rien à cacher”. Pour eux être musulman... c’était
quelque chose de tout à fait naturel. Et le fait de s’exprimer et de pouvoir porter le voile, par exemple, ça faisait partie de leurs repères, de
leur culture, alors que nous moins… Ils me disaient “je suis belge de culture musulmane, je pratique ma foi, je n’ai pas à me justifier”. On
a eu aussi ce débat : l’islam, la foi, poser les actes... voilà. Devenu adulte, je pense qu’ils sont beaucoup plus apaisés » (Tissa, confession
musulmane, forum sur la parentalité).
Une religiosité qui bouscule la participation des musulmans à l’emploi
Pourtant les discriminations subsistent lorsque les musulmans deviennent adultes et entrent sur le marché de
l’emploi. Le monitoring socio-économique menée par le Service public fédéral Emploi (2015) souligne une
surreprésentation des personnes d’origine étrangère touchées par des inégalités dans le monde du travail. Le
travail de lutte contre les discriminations d’UNIA (2017) montre, par ailleurs, l’importance des discriminations
pour motifs religieux (foulard islamique) et la difficulté de mettre en place des aménagements raisonnables, afin
de réconcilier vie professionnelle et pratique religieuse. L’articulation difficile, pour certains croyants, entre
l’identité religieuse et la participation économique par le travail, donne ainsi lieu à des formes d’engagements
sociaux.
La religion islamique est pour les musulmans une ressource spirituelle. Elle peut notamment être un facteur
stimulant dans la démarche d’accès au travail, dans l’orientation professionnelle et la construction du sens que
les musulmans donnent à leur emploi (Jonlet, 2010). Certains participants musulmans aux forums expliquent que
leur religion a toujours été centrale dans le choix de leurs études, dans leur orientation professionnelle et dans le
sens qu’ils donnent à leurs actions plus généralement. En islam, le travail est en soi une valeur largement
valorisée et permet selon eux de « contribuer à la société (...) de se sentir utile ». Selon Khankhan, par exemple,
la religion met en avant « l’idée de faire le bien, de s’occuper de son prochain » parce que ce souci leur permet
tout autant de « se rapprocher de Dieu ». Pour autant, son choix de travailler dans le social ne se résume pas au
fait même d’être musulman, mais parce que l’islam nourrit sa motivation au quotidien.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
« L’islam a eu une importance dans ma sphère professionnelle, une orientation tout à fait en accord ma personnalité, ma sensibilité...
Comme dans toutes les religions, il y a l’idée de faire le bien, de s’occuper de son prochain, et de se dire que l’on s’approche de Dieu en
aidant son prochain. Du coup, je me suis orientée vers l’humanitaire. Et au fil des années, je me suis rendu compte que ce n’est pas parce
que j’étais musulmane que j’étais sensible à ça, mais parce que j’avais un besoin de me sentir utile, de contribuer à la société. Et donc à la
lecture de ça, j’étais aussi nourrie par ma personne » (Khankhan, confession musulmane, forum sur le travail).
Ce sont les valeurs à la base de leur spiritualité qui guident les musulmans à entreprendre certaines missions et à
s’engager pour des causes qu’ils estiment justes. Hanane explique qu’elle souhaitait d’emblée voir transparaître
dans ses tâches une forme d’humanisme, ce qu’elle a pu trouver dans son rôle de médiatrice sociale. En tâchant
de concilier et de médier les réalités entre employeurs et travailleurs dans le monde de l’entreprise, elle estime
participer à un meilleur vivre-ensemble. C’est aussi le cas de Ridouane qui travaille dans le domaine des luttes
contre les discriminations et de la promotion de la diversité par le biais de l’éducation permanente.
Le sentiment religieux peut aussi entrer directement en relation avec le monde du travail à travers les pratiques
religieuses. Au-delà de leur intériorité, les musulmans négocient publiquement leur foi en choisissant ou non de
la manifester dans le milieu professionnel. Ce choix dépend du rapport que le croyant développe par rapport à
l’islam, et ce, selon différents critères (Adam et Rea, 2010 ; Jonlet, 2010) :
- le degré/l’intensité de pratiques exécutées par le croyant ;
- le type/la nature de la pratique ou du rituel ;
- l’attachement/l’importance que le croyant accorde à sa pratique ;
- l’accueil et l’impact de ses pratiques sur le lieu de travail.
D’un côté, certains musulmans ne pratiquent pas sur le milieu du travail, soit parce qu’ils se considèrent avant
tout croyants et peu pratiquants et qu’ils n’en sentent pas le besoin, soit parce qu’ils sont pratiquants, mais
estiment que la religion doit rester dans la sphère privée. D’un autre côté, il y a des musulmans qui souhaitent
pratiquer leur culte sur leur lieu de travail ou aménager leur espace-temps de travail pour permettre le suivi de
certains rites ou devoirs religieux. Ces personnes se définissent comme croyantes et pratiquantes, bien qu’il
puisse exister des divergences quant à l’importance des pratiques à suivre, dépendamment de la hiérarchie
opérée par le croyant (Jonlet, 2010). Dans ce cas de figure, soit le contexte influence les possibilités et les
conditions dans lesquelles le croyant peut ou non pratiquer, soit la capacité du croyant à assouplir son rapport au
religieux.
Ridouane explique reléguer sa pratique religieuse dans la sphère privée. Pourtant, il témoigne avoir pu
« aménager [son] horaire de travail » pour « le vendredi après-midi [où il] va à la Mosquée ». Il a donc un cadre
de travail où il lui est loisible d’aménager son temps de travail pour un rite qu’il décide de suivre. Concernant les
prières, par contre, il explique que l’islam offre la possibilité au croyant de déplacer les deux prières de la
journée et de les faire chez lui, ce qu’il fait lui-même. Néanmoins, pour d’autres musulmans souhaitant pratiquer,
il arrive que le cadre du travail ne permette pas de tels aménagements ou que la politique de neutralité, le
règlement d’intérieur et les législations en vigueur interdisent la manifestation de signes religieux et/ou la
pratique du culte. Les réactions des musulmans peuvent alors varier. Certains préféreront obéir tandis que
d’autres tâcheront de pratiquer à défaut de l’interdit appliqué. C’est notamment le cas de Khankhan qui explique
qu’elle suit ses envies et besoins, « même si ce n’est pas permis ». Elle doit le « faire discrètement » afin de ne
pas être remarquée, elle vit « ces moments avec stress ». Pour cette raison, témoigne-t-elle, elle ne pourra jamais
rester longtemps dans un lieu de travail où elle ne pourrait « pas être elle-même ».
Ces exemples laissent entendre l’utilité d’une médiation religieuse dans le champ de l’emploi. La survenance de
« problèmes » relatifs à la gestion de la diversité religieuse sur le lieu de travail suppose en amont que le
musulman soit demandeur pour pratiquer sa religion sur le lieu de travail. Cela suppose également que
l’entreprise ne souhaite pas prendre en compte un aménagement. Il est dès lors important de considérer les
enjeux de la gestion de la diversité religieuse en emploi afin de positiver les rapports réciproques entre
musulmans et non-musulmans.
La conciliation de demandes à caractère religieux en milieu professionnel s’appréhende généralement par la voie
procédurière. L’examen de la recevabilité de la demande prendra appui sur des règles de droit. Il s’agira de
trouver un équilibre entre les différents aspects juridiques allant des matières liées aux discriminations à la
législation de travail en passant par des considérations sur la liberté de conscience (Adam et Rea, 2010 ; Jonlet,
2010). Il est en effet nécessaire de « trouver un équilibre entre droits fondamentaux, dont la liberté religieuse
(…) et contrat de travail ». De plus, l’aménagement doit être équitable par rapport aux autres travailleurs qui
n’ont pas des demandes à caractère religieux, insiste Lotfi (confession musulmane, forum sur le travail).
Pourtant, il est aussi avancé que cette entrée juridique ne permet pas toujours de médier les désaccords,
notamment dans le cadre de rapports de force inégaux entre employeurs et travailleurs, du bien-être des
travailleurs et de la cohésion de l’équipe. Les données juridiques ne sont donc pas les seules dont il faut tenir
compte. Malgré l’existence d’un cadre légal antidiscrimination, celui-ci ne prévoit pas comment l’employeur
doit s’y prendre pour gérer la diversité religieuse. En tant que dépositaire d’une demande ou d’une situation à
gérer sur le plan religieux, l’employeur se trouve dans l’impératif de devoir réagir et de poser un choix
30
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
argumenté. La gestion du religieux nécessite une approche « au cas par cas » puisqu’il n’existe pas « de règles
communes pour gérer ces situations ». Le fait que ces demandes surviennent dans une société sécularisée, d’une
part, et dans un contexte où l’islam, plus particulièrement, est dépeint par des images de terrorisme, d’autre part,
rend ces requêtes incomprises, désuètes, voire dangereuses.
Comme le met en avant Hanane qui travaille dans un service spécialiste de la diversité en entreprise, il existerait
une « impossibilité du culte », dans le sens où le religieux, et singulièrement l’islam, se perçoit comme quelque
chose de tabou qu’il s’agirait de cacher. Il convient alors de considérer les questions de la laïcité et de la
neutralité. Sachant que la première n’est pas l’abstraction de religions et philosophies, mais la possibilité de leur
coexistence et à la seconde seuls l’Etat et ses représentants y sont tenus, en principe. Dans ce cadre, une des
méthodes utilisées est celle prônée par Dounia Bouzar1, nommé « Plus Grand Dénominateur Commun » qui rend
possible de pallier l’« impossible du religieux » en milieu de travail en tâchant de trouver une solution qui
réponde à des universaux où tant le fidèle que le non-croyant puissent trouver un égal intérêt.
« On part du principe que dans le registre du culte, il faut prendre le dénominateur commun, c’est-à-dire ce qui correspond à tout le
monde. Par exemple, convenir d’une pièce où tout le monde puisse se détendre et méditer (éventuellement en priant) et non d’une petite
mosquée qui ne servira qu’à une minorité de travailleurs. Par rapport au voile, on peut se dire “OK, on va faire des mini foulards avec le
badge de l’entreprise”, sans marques religieuses apparentes… » (Hanane, croyante, forum sur le travail).
Dans tous les cas, la négociation du religieux suppose d’éviter que des conflits n’apparaissent sur le lieu de
travail, de même que des divisions au sein de l’équipe, où chacun doit jouir du respect de son point de vue.
Le voile (en formation ou au travail) est dans doute une des thématiques les plus redoutables en cette matière, car
il fait intervenir des enjeux d’intersectionnalité (diversité culturelle/diversité de genre). Les débats sur l’islam,
comme dans le cas de ces forums, se trouvent saturés par cette problématique. Or, celle-ci a pour conséquence
que de nombreuses femmes musulmanes se trouvent discriminées et privées de leur autonomie et de leur
participation à la société, à travers le travail. En effet, avant même de parler d’aménagements, des
discriminations peuvent survenir en amont, lors de l’embauche. La question demande dès lors d’adopter une
lecture les discriminations à l’aune d’une approche qui croise le genre et la religion.
« J’ai eu un entretien pour un poste de coordinatrice. Ravie de mon CV, la responsable m’a donné un rendez-vous dans les 24 heures. Elle
a demandé, au téléphone : “vous êtes compétente, mais nous sommes une association laïque et mixte, est-ce que vous vous habillez
normalement ?” j’ai trouvé ça violent... Donc voilà, c’est une tournure, maladroite, mais qui en dit long... » (Khankhan, confession
musulmane, forum sur travail).
La visibilité du voile agit sur les musulmanes pratiquantes tel un stigmate. D’autres participantes témoignent que
leurs collègues ont changé de regard sur elles et réagissent différemment depuis qu’elles ont décidé de porter le
voile. Les difficultés que les femmes musulmanes voilées rencontrent peuvent induire en retour un effet pervers
d’autodiscrimination, parce qu’elles en arrivent à anticiper la survenance de discriminations et vont s’orienter
vers d’autres filières professionnelles, voire privilégier des jobs communautaires ou ne pas travailler du tout. Ce
fut le cas de Khankhan qui estime « avoir eu du mal à trouver une place avec son voile ». Elle en avait assez
d’être à chaque fois renvoyée à sa différence, comme si ces qualités professionnelles valaient moins qu’un tissu.
D’autres femmes musulmanes ont obstinément décidé de travailler entre coreligionnaires, afin de pouvoir être
elles-mêmes, alors même qu’elles regrettent l’absence de mixité qui en résulte.
« Je me suis dirigée vers un boulot communautaire par facilité, parce que j’avais des difficultés à trouver une place avec mon voile. Cela
m’a mené vers des conditions de travail qui n’étaient pas acceptables, avec des barèmes inférieurs. J’ai dû prendre beaucoup sur moi.
J’aurais voulu être valorisée pour mes compétences » (Khankhan, confession musulmane, forum sur le travail).
Invisibilité des aînés et déni de leurs besoins face à la finitude
Alors que l’avenir des jeunes musulmans et la question de leur construction identitaire sont des sujets largement
débattus, notamment en raison du phénomène de radicalisation, les enjeux du vieillissement et de la gestion de la
diversité dans le champ des soins et de l’aide aux personnes âgées semblent plutôt mis de côté. Le thème du
vieillissement fut également la séance la moins suivie de la série de forums. Cela ne signifie pas pour autant que
ce secteur ne connaît pas de difficultés et inégalités.
Le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie demandent de considérer la gestion de
la dépendance des aînés, leur accompagnement pour des soins ou l’aide ménagère au quotidien. En dehors du
soutien à domicile sous diverses formes, cet accueil est également envisagé dans une institution de soins et/ou de
repos.
1
www.bouzar-expertises.fr.
31
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
La prise en charge des aînés migrants est actuellement caractérisée par une aide familiale et communautaire
importante qui vient pallier à leur éventuelle situation de dépendance physique ou mentale. Les personnes âgées
sont, en effet, généralement prises en charge par leurs enfants ou leur belle-famille. Alors que cette solidarité
intracommunautaire est plutôt valorisée et perçue par les non-musulmans comme étant une tradition culturelle,
les musulmans présents aux forums expliquent qu’il s’agit surtout d’une solution par défaut. Yvette, travailleuse
auprès de personnes âgées, remarque, en revanche, que les personnes âgées qui vont en maison de repos le font
souvent en raison d’un tissu familial absent ou fragilisé, incapable de proposer des liens de solidarité, à moins
que la dépendance soit telle qu’un accompagnement professionnel est nécessaire. L’arrivée des femmes sur le
marché de l’emploi participe aussi au placement des personnes âgées au sein d’infrastructures. Même si
l’institutionnalisation n’est, de fait, pas perçue positivement ou ne se trouve pas être un mode
d’accompagnement privilégié par les familles musulmanes, il arrive un moment où celles-ci ne peuvent pas faire
sans le soutien de professionnels.
« C’est complexe. L’idéal serait une société où l’homme et la femme ne travaillent pas 30-40 heures par semaine, sans possibilité de voir
leur enfant ni les personnes âgées. Est-ce une bonne politique de vouloir absolument promouvoir des carrières complètes jusqu’à un âge
avancé et ainsi de payer la solidarité envers ses propres parents et enfants ? » (Interpellation du public, forum sur le vieillissement).
Cette tension entre modes de solidarité collective et privée transcende les frontières culturelles, car la situation
concerne toute famille, quelle que soit la conviction. Il est attendu des institutions qu’elles puissent accueillir les
spécificités et répondre aux besoins, y compris celles en matière de spiritualité. Pourtant ce type
d’aménagements ne se fait généralement pas, rendant souvent le choix de l’institutionnalisation impossible.
L’idée selon laquelle la solidarité communautaire est une coutume s’avère erronée ; c’est un « mythe que les
musulmans souhaitent casser ». Si les attentes, par exemple, religieuses trouvaient réponse par des
aménagements au sein des structures d’accueil et de soins, sans doute les solidarités intracommunautaires
n’auraient-elles pas leur fonction actuelle. On parle de la nourriture halal, des lieux de prière, etc. Toutes choses
qui, selon les familles présentes à la séance « vieillissement », améliorent le quotidien de leurs aînés et leur
permettent de se sentir à l’aise.
De surcroît, à mesure que les personnes âgées musulmanes vieillissent et ressentent leur finitude, elles se
raccrochent à leur religion et lui accordent plus d’importance. Les aînés seraient ainsi plus pratiquants au
quotidien que les groupes d’âge plus jeunes, pris notamment par des responsabilités professionnelles. Les enfants
de migrants âgés relatent que ces derniers tentent de « se rapprocher de Dieu et cristallisent leur quotidien
autour de rituels et de récitations de sourates apprises par cœur ». La finitude anime ainsi le fidèle vieillissant
dans sa démarche spirituelle et l’invite à se recentrer sur sa foi. Dans ces circonstances, tout écart aux rites et
habitudes est une souffrance. C’est la raison pour laquelle les personnes âgées musulmanes sont peu enclines à
entrer en maison de repos si les conditions de leur bien-être spirituel ne sont pas assurées, si leurs besoins
linguistiques ne sont pas pris en compte. Ayant interrogé de nombreux aînés dans le cadre de son travail relatif
aux discriminations, Ridouane témoigne qu’ils tiennent tous à leur religion et veulent continuer à la pratiquer.
Pour ces personnes, en dehors du domicile, la mosquée est une source d’épanouissement, de ressourcement et
surtout de lien social. Ce lieu de socialisation structuré autour de la foi islamique et localisé au sein de leur
quartier est un espace de rencontre permettant aux personnes âgées de sortir de leur isolement, même si la
fréquentation concerne essentiellement les hommes. Pour les enfants d’aînés, le rôle des mosquées est d’autant
plus important durant cette période de la vie.
« Ils vont à la mosquée et encore heureux qu’il y a des mosquées, ils y mènent des activités, des visites… C’est important, pour faire
bouger cette population migrante âgée isolée » (Ridouane, confession musulmane, forum sur le vieillissement).
Contrairement aux générations plus jeunes, les aînés musulmans ont une très faible capacité d’action collective.
Elles ne manifestent pas leurs demandes d’aménagements ou leur mécontentement lorsqu’il n’y en a pas. Il ne
leur est pas aisé de s’exprimer dans l’arène publique et de porter leurs revendications ouvertement. D’ailleurs,
nous n’en avons pas trouvé pour venir aux forums et présenter directement leur point de vue. Certaines,
d’ailleurs, ne préfèrent pas prendre parole et tombent dans une forme de fatalisme. Cette réalité s’explique en
partie en raison de leur analphabétisme, du manque de maîtrise en français ou néerlandais, de l’isolement dans
lequel ils vivent et de leur faible participation sociale, puisque cette dernière se structure principalement autour
du travail et de la formation.
Ouvriers retraités, la non-reconnaissance de leur identité cultuelle et leur invisibilité sociale conduisent à des
inégalités en défaveur de cette population de premiers immigrés. Ces inégalités sont aggravées en raison de leur
installation dans des quartiers populaires et paupérisés. Leur impossible prise en charge institutionnelle constitue
ainsi un obstacle rendant plus complexe l’organisation de la famille de leurs enfants.
Pour autant, cette invisibilité ne peut excuser l’absence de reconnaissance qui leur est due. Ridouane explique
que la non-reconnaissance de leurs besoins spécifiques renforce cette invisibilité sociale et les blesse dans leur
estime de soi. C’est alors que la place de l’islam s’éclaire d’un jour nouveau pour ces personnes et leur famille
en tant que valeur refuge ultime.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Amorcer un processus de reconnaissance à l’égard des personnes âgées musulmanes, entre autres, demande de se
départir d’une vision monolithique du vieillissement, supposant que les aînés « sont tous pareils ». Il s’agit de
considérer la question dans la pluralité des situations vécues par les personnes âgées (et leur famille) et les
spécificités qui sont les leurs, comme pour le cas des migrants âgés.
Reconnaître les particularités des migrants âgés suppose que soient repensées les modalités de gestion des
dimensions linguistiques, culturelles et religieuses au sein des réseaux professionnels du soin et de l’accueil
(modalités des relations d’aide et de soin, gouvernance de la diversité, règlement d’ordre intérieur, politique
d’embauche, etc.). D’après les acteurs de terrain, l’inclusion de la diversité religieuse dans un cadre juridique
concernant ces établissements permettrait de contrer les discriminations qui sont faites à ces aînés, dans le cadre
d’une lutte plus globale pour la liberté religieuse. Ce besoin de reconnaissance vaut également pour d’autres
motifs, comme leur précarité d’existence.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Évaluation des forums
L’évaluation de la réception et de l’impact d’un projet participatif tel que les « forums citoyens » demande de
recueillir l’avis de ceux qui y ont participé et de ceux qui l’ont mené, afin d’en estimer la plus-value. Sachant
que les forums s’intègrent dans le cadre de l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire », l’évaluation doit
également tenir compte des apports de cette exposition. C’est la raison pour laquelle nous mobilisons plusieurs
approches de façon à de mesurer les forces et les limites des forums tant comme outil de construction de
connaissances sur les interactions autour de la minorité musulmane que comme outil d’éducation permanente
visant le dépassement des stéréotypes croisés entre populations musulmanes ou non, dans une Belgique
multiculturelle. Ces angles de lecture sont :
- L’auto-évaluation de l’exposition par l’équipe de Tempora à partir d’éléments compilés : une revue de presse, des statistiques des visites,
un livre d’or, des courriers reçus de la part de visiteurs ou non, des procès-verbaux de réunion d’équipe et des échanges avec les principaux
responsables de l’exposition.
- L’évaluation des motivations des visiteurs et leurs représentations de l’exposition réalisée par Ophélie Boulanger pour le centre de
recherche CISMOC de l’Université Catholique de Louvain (N = 150 visiteurs).
- Enfin, l’évaluation quantitative et qualitative des forums participatifs menée par l’IRFAM au moyen d’un questionnaire d’opinion distribué
aux participants lors des six forums, des interviews réalisés avec plusieurs témoins, ainsi que les échanges avec les animateurs des
rencontres.
- Pour terminer, des échanges ont eu lieu avec plusieurs des témoins après la fin des forums qui ont, par exemple, pu lire et commenter la
présente étude en primeur.
La réception de l’exposition à partir des documents de Tempora et du CISMOC
La vaste documentation comprenant des extraits de presse et des sites web montre que l’exposition a été relayée
abondamment à travers :
-
Le Net et les réseaux sociaux (la page Facebook de Tempora, essentiellement, et différents événements organisés sur ces réseaux) ;
La presse écrite (mensuels, quotidiens, etc.) — articles et publicités ;
Les campagnes publicitaires dans les lieux publics de Bruxelles et dans les gares belges, entre autres ;
Des émissions de radio et de télévision ;
Etc.
À partir des informations collectées dans le dossier de presse de Tempora, on peut voir que l’exposition a été
relayée avec justesse et précision par la presse belge, dans la mesure où la phraséologie utilisée est généralement
celle communiquée par le service de communication de Tempora. Par ailleurs, on compte plus d’une dizaine de
recensions d’articles de presse.
Les articles abordent principalement des aspects objectifs et descriptifs concernant l’exposition. Il s’agit pour la
plupart d’informations brutes destinées à informer le futur visiteur sur le parcours de l’exposition, mais aussi des
informations qui font le « retour » sur certaines activités et moments clés. À titre d’exemple, Le Soir1 et la RTBF2
relatent principalement le message de l’exposition, de même que son histoire et les raisons de son existence.
L’article du Soir développe également la visite des jeunes de Molenbeek et leurs retours sur l’exposition :
sentiment de reconnaissance et découverte de ce que leurs propres racines ont pu apporter à l’Europe.
Des analyses et critiques sont rares. La plupart des publications s’attèlent à une description, sans construction
argumentative particulière. Notons toutefois un article du Vif3, un des seuls à proposer une forme de critique plus
développée : l’auteure y pointe que si l’exposition s’attache à retracer un passé conflictuel, celle-ci le fait au
travers d’une esthétique travaillée qui en ferait presque oublier les blessures et tensions qui animèrent chrétiens
et musulmans à l’époque médiévale et les traces des colonisations à l’époque contemporaine. De ces critiques,
certains éléments peuvent être corroborés à partir de la recherche effectuée par Boulanger (à paraître) : il s’agit
de la tendance à édulcorer la violence de certaines rencontres au travers des choix tant esthétiques qu’historiques.
L’exposition semble, par ailleurs, mettre l’accent sur le processus migratoire et le vivre-ensemble plus dans une
démarche d’espoir et de perspective que de mémoire des tragédies passées ou présentes. C’est notamment le cas
de la partie de l’exposition consacrée aux décolonisations et aux œuvres contemporaines. Pour cette dernière
partie du parcours, « plutôt que d’afficher les problématiques actuelles de manière peut-être jugée trop violente
ou culpabilisante, les organisateurs ont préféré y mettre des œuvres sur lesquelles il faut réfléchir pour en
1
2
3
www.lesoir.be/114069/article/2017-09-14/lislam-cest-aussi-leur-histoire.
www.rtbf.be/culture/dossier/a-vous-de-voir/detail_l-islam-c-est-aussi-notre-histoire-l-europe-et-ses-heritagesmusulmans?id=9702517 et www.rtbf.be/musiq3/actualite/a-la-une/detail_musiq-3-soutient-l-exposition-islam-c-est-aussinotre-histoire?id=9709724.
www.levif.be/actualite/belgique/l-islam-c-est-votre-histoire/article-normal-729591.html.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
comprendre le sens, et celui-ci n’est pas immuable » ni uniforme, puisqu’il dépend du caractère de chacun et de
la réflexion portée par le visiteur (Boulanger, à paraître, 8).
Le côté dépassionné de l’exposition a effectivement été souligné par certains visiteurs, même si son objectivité
suffit à ce qu’elle ait été positivement reçue, notamment, par les communautés musulmanes qui ont été la voir et
qui n’ont pas relevé outre mesure l’occultation du caractère violent des rencontres retracées, d’autant que les
visites guidées permettaient à cet égard d’apporter des éléments complémentaires de temporalité et de
spécificités guerrières (Boulanger, à paraître, 9).
Aussi, si la communication publique de l’exposition a certes été soulevée de façon positive par la presse
nationale, c’est sans compter la présence d’articles sensationnalistes, parfois publiés de l’étranger, et de
commentaires à tendance raciste et islamophobe présent sur les réseaux sociaux (Facebook, notamment) et
présents dans les courriels adressés aux organisateurs. Bien que ces commentaires soient marginaux, il est
intéressant de noter qu’ils distillent l’idée selon laquelle l’organisation d’une telle exposition est synonyme d’une
forme d’islamisation de la société occidentale. S’ajoute à cela un climat plus global, un « ras-le-bol » sur le fait
d’entendre parler d’islam. Boulanger (à paraître, 10) relate, par exemple, que « le Parti populaire a publié un
article1 sur son site “Le peuple”, indiquant que l’exposition était un très bel effort de propagande islamiste ».
L’auteure poursuit qu’« en lisant l’article et au vu de son utilisation du conditionnel, il est évident que cet article
a été rédigé par quelqu’un n’ayant pas vu l’exposition ».
D’après les organisateurs, la saturation médiatique sur la question du radicalisme islamiste et les attentats
terroristes récents n’ont pas été des facteurs facilitant l’acceptation de l’organisation d’une telle exposition. Si le
climat général de l’exposition rend compte d’un « trop-plein » d’islam sur la scène médiatique, influençant la
propension des visiteurs à venir s’y intéresser plus en profondeur, d’autres facteurs indépendants de l’actualité
doivent également être pris en ligne de compte.
Notons par exemple l’ancrage spatial de l’exposition : celle-ci était localisée en plein Bruxelles-ville (rue de
l’Écuyer) qui, bien qu’étant à proximité de la Gare Centrale, se trouvait au sein d’un bâtiment peu connu (espace
Vandenborght) des visiteurs. Notons aussi la communication mobilisée par Tempora. Les organisateurs
expliquent qu’autant le titre que l’affiche de l’exposition ne leur ont pas permis de transmettre un message
suffisamment univoque à destination du grand public. Le titre choisi et les photos de l’affiche ont en effet suscité
plus d’interrogation et d’incompréhension que n’ont été des adjuvants. De plus, le terme « Islam » mentionné
dans le titre semble avoir parfois été un frein : Boulanger (à paraître, 10-11) explique que les organisateurs ont
conscience que ce choix de titre les a sûrement coupés d’un public qui se serait arrêté à l’utilisation de ce mot,
mais encore plus, des artistes ont refusé de participer à l’exposition parce qu’ils ne voulaient pas être associés à
la religion. Le titre a fait beaucoup débat, mais c’était le seul qui permettait de tout réunir sous un même nom en
gardant la griffe de Tempora (la série « C’est aussi notre histoire »), il a été validé par le comité international
préparant l’exposition2.
Statistiques des visites
Malgré une vaste campagne d’information, les responsables de Tempora reconnaissent que leur objectif en
termes de nombre de visiteurs n’a pas pu être rencontré. Près de 40 000 personnes ont visité l’exposition sur les
60 000 visiteurs attendus3. Par ailleurs, plus de 5000 visiteurs sur ce total sont des visiteurs non payants (jeunes
des associations ou des écoles, participants aux forums ou autres activités durant l’exposition) auxquels
s’ajoutent près de 10 000 autres visiteurs ayant bénéficié d’un prix d’entrée modique grâce au support du
dispositif « Article 27 » qui œuvre pour la participation à la culture des publics les plus démunis (bénéficiaires
d’aide sociale, publics en formation professionnelle, demandeurs d’asile, etc.)4. Ce taux de visiteurs
subventionnés est exceptionnel dans l’expérience de Tempora et se justifie par le soutien financier que ce projet
a reçu de la part de l’UE. En effet, l’une des finalités assignées au projet par le commanditaire est la promotion
d’un dialogue interculturel entre Européens musulmans et non-musulmans. Cela suppose que les deux groupes
fréquentent l’exposition. Ainsi, ce soutien financier et d’autres aménagements (partenariats avec écoles et
associations, forums de l’IRFAM et mailing ciblé dans le tissu associatif bruxellois, par exemple) ont permis une
1
2
3
4
http://lepeuple.be/lislam-cest-aussi-notre-histoire/85201.
Isabelle Benoit, coordinatrice internationale de l’initiative, rappelle que lors de sa présentation à Sofia, il n’a pas été
possible de prononcer le mot islam une seule fois et que le titre de l’exposition a été modifié également. Selon I. Benoit, en
Bulgarie, il existe un tabou envers la religion musulmane explicable par le contexte postcommuniste, la difficulté
d’organiser le culte en raison de la présence de différents courants et d’une grande minorité musulmane, ainsi que des
confusions entre identités religieuses et politiques (www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=404).
A titre comparatif, l’exposition « Pompéi » à Bruxelles contemporaine de celle sur l’Islam, également orchestrée par
Tempora a attiré 100 000 visiteurs.
Ces avantages ont principalement bénéficié aux personnes issues de la Région bruxelloise. Les fonds sociaux ont plus été
mobilisés du côté francophone que du côté néerlandophone.
35
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
démocratisation culturelle, en offrant notamment la possibilité à des jeunes de quartiers plus populaires ou à des
femmes immigrées en alphabétisation de visiter l’exposition, etc. Selon le témoignage des responsables de
Tempora, le public populaire et issu de l’immigration fréquente rarement les expositions qu’ils organisent :
« Tous les jours, nous avions des groupes de femmes avec foulard ou des familles musulmanes, nous n’avons pas
l’habitude de ce public. »
En cinq mois (de septembre 2017 à janvier 2018), Tempora recense un total de 36 831 visiteurs.
Tendanciellement, les débuts de l’exposition ont été caractérisés par une moindre participation : les deux
premiers mois ont accueilli environ 26 % du total des visiteurs, alors que le mois janvier 2018 totalise à lui seul
33 % des visiteurs (mois gratuit pour les groupes scolaires).
On apprend dans les chiffres de Tempora que les visiteurs sont issus de 55 pays dont la grande majorité vient de
Belgique (90 %). Parmi l’ensemble des visiteurs domiciliés en Belgique, près de la moitié sont de la Région de
Bruxelles (45 %) qui est donc largement surreprésentée par rapport à son poids démographique1. Si la Flandre est
sous-représentée par rapport à son poids démographique (24 % de visiteurs), avec un visiteur sur trois, le taux de
visiteurs wallons correspond bien au poids démographique de leur région. La répartition de ces derniers montre
qu’ils sont issus principalement de l’axe Brabant wallon, Namur, Luxembourg. Comparativement, les Provinces
de Liège et du Hainaut sont sous-représentées parmi les visiteurs.
Près d’un visiteur sur trois fut un élève participant à une visite scolaire. C’est le groupe le plus important parmi
les catégories de visiteurs. Environ 20 % des visiteurs furent des adultes de plus de 26 ans visitant à titre
individuel et 10 % visiteurs adultes venus en groupe. La catégorie des jeunes de 6 ans à 26 ans (carte d’étudiant)
venus à titre individuel ou en famille représente 5 % visiteurs environ. Nombreux furent les professeurs
(733 personnes) à être venus à l’exposition sans être accompagné de leur classe (carte d’enseignant).
Motivations et représentations des visiteurs
L’objectif de Boulanger (à paraître) fut d’évaluer si l’exposition a réussi son pari d’influer sur les imaginaires
des citoyens et si elle a permis de susciter des réflexions sur le vivre-ensemble. La chercheure a en effet procédé
à une évaluation auprès de 150 personnes choisies au hasard, à la fin de la visite de l’exposition, au travers d’un
questionnaire standardisé destiné à sonder l’avis des visiteurs. À l’instar des données qui ressortent des
statistiques de Tempora, la majorité des répondants sont des personnes adultes, âgées de 50 ans et plus (32 %)
comparativement aux répondants adolescents (25 %), âgés de 19 ans et moins, la plupart du temps sont venus par
l’intermédiaire d’une institution. Pour Boulanger (à paraître, 12), il s’agit d’un public avant tout « scolaire » dans
la mesure où ces derniers ne sont pas venus de leur propre chef, mais ont participé à l’exposition à l’initiative de
leur école. L’étude corrobore également la présence de répondants résidants principalement à Bruxelles (40 %)
comparativement aux autres localités. Ces informations permettent de considérer l’échantillon de cette étude
comme représentatif de l’ensemble des visiteurs.
L’enquête montre que les visiteurs questionnés sont des personnes intéressées et ouvertes à l’apprentissage, et
dans la même mesure, éloignées de sentiment négatif à l’égard de l’islam. En effet, 75 % du panel interrogé
« estime avoir un intérêt et beaucoup se considèrent être curieux (53 %) et avoir des questionnements (33 %) liés
à la thématique » (Boulanger, à paraître, 12). Les analyses indiquent toutefois que peu de changements s’opèrent
après la visite, par rapport aux représentations que les visiteurs se faisaient de l’islam avant de découvrir
l’exposition. En revanche, les personnes qui étaient en « questionnement à propos de l’islam et des musulmans »
trouvent réponse, car cette catégorie passe de 33 % avant la visite à 21 % après. De même, les personnes pensant
que l’islam est une « source d’épanouissement » passent de 23 % avant la visite à 40 % après la visite.
L’exposition a sans doute attiré des personnes d’ores et déjà intéressées par la problématique, mais les conforte
aussi en ce sens, par son message pacifique, dans le bien-fondé de cet intérêt.
L’exposition suscite également des critiques. Par exemple, l’absence d’une dimension à proprement parler
religieuse dans l’exposition — en dehors de la période abrahamique — interroge les répondants (entre autres
enseignants) n’ayant pas eu de visites guidées (Boulanger, à paraître, 10). C’est pourquoi, ces personnes estiment
le terme « Islam » indiqué dans le titre est peu probant pour désigner une exposition se rapportant à la dimension
civilisationnelle. Certains répondants déplorent aussi l’omission du rapport religion/violence qui si, elle n’est pas
absente, est traité de manière discrète. Les organisateurs soutiennent ce choix : ils n’avaient pas pour objectif de
réaliser une exposition centrée sur la religion — chose qu’ils ont commise précédemment (exposition « Dieux,
mode d’emploi »2) — ni de crisper le visiteur avec un regard sensationnel sur la violence. Au contraire, l’objet
est de montrer la proximité des cultures et postures à travers un regard sur la civilisation partagée.
1
2
La municipalité de Bruxelles-ville (localisation de l’exposition) comptabilise, à elle seule, la moitié des visiteurs bruxellois
(47 %).
www.rfi.fr/france/20121025-dieux-mode-emploi-elie-barnavi-contre-le-fanatisme-religieux-petit-palais.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Le caractère pacifique de l’exposition est justement pointé par une minorité de visiteurs, estimant qu’elle sousestime la difficulté du « vivre-ensemble » entre musulmans et non-musulmans. Même si cela reste marginal, le
choix d’un contenu distant, abstrait et pacifiste, non orienté vers la religion amène à ce que certains visiteurs
développent ce type de frustrations, voire de colère en fin de visite (Boulanger, à paraître, 13-14). Par ailleurs,
retracer le passé commun des civilisations ne peut que moyennement éclairer le point de vue de ceux qui
souffrent de difficultés relationnelles ici et maintenant. Aussi, la participation aux forums proposés par l’IRFAM
se révèle être une possibilité de dépassement des problèmes évoqués par cette minorité de visiteurs.
La recherche de Boulanger montre que la perspective des avis change dès lors que l’on s’intéresse uniquement
aux répondants qui se sont déclarés être de confession musulmane. En effet, si l’exposition n’a pas eu d’effet
significatif sur la déconstruction des préjugés au niveau des visiteurs en général, elle a néanmoins été un vecteur
de reconnaissance sociale particulièrement important pour les musulmans venus la découvrir, soit pour un tiers
des répondants du panel.
Il ressort de leurs témoignages un sentiment de fierté, même si ce dernier doit être articulé à des aspects
différents de l’exposition. D’autres sentiments reviennent également dans le discours des visiteurs musulmans,
tels que le fait de se sentir « rassurés » par rapport à son appartenance, mais également par rapport à l’accueil
que reçoit cette appartenance en Europe. D’autres musulmans apprécient également l’exposition, car elle est un
moyen pour pouvoir « se raconter » et « se remémorer ».
À l’issue de l’étude, Boulanger conclut en marquant une série de tensions entre les objectifs de l’exposition et les
représentations récoltées auprès de l’échantillon de visiteurs. Si l’acte culturel et politique posé par Tempora et
ses partenaires a le mérite d’ouvrir un processus de réflexions et une prise de conscience de la part des visiteurs,
grâce, par exemple, aux œuvres contemporaines exposées finement choisies, c’est sans compter que ces
dernières sont reçues et interprétées différemment par un public très hétéroclite en termes de bagages, de
référentiels et de convictions. Ceci signifie que l’exposition a permis aux visiteurs de sortir avec des certitudes
renforcées qu’ils aient des a priori positifs par rapport aux métissages culturels (la majorité) ou, au contraire,
qu’ils ne croient pas en cet idéal pacifique (la minorité) : « l’exposition attire principalement des visiteurs qui
sont ouverts à la discussion, et surtout déjà convaincus de l’importance du vivre-ensemble et de la tolérance. Ils
trouvent dans l’exposition une vision qui leur correspond ce qui les conforte dans leurs idées. Les personnes
s’aventurant dans l’exposition qui ne partagent pas spécialement ces convictions en sortent démunies et avec
une impression de mensonge parce qu’ils n’ont pas trouvé de discours auxquels raccrocher leurs idées. Par
contre, l’exposition, de par son titre et sa thématique, ne touche pas un public qui ne souhaite pas en discuter,
que ce soit par non-intérêt ou parce que leurs positions ne permettent pas le débat » (Boulanger, à paraître, 16).
Apports et limites du dispositif « forum » pour Tempora et l’IRFAM
L’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire » se propose comme un acte politique dont les lignes directrices
ont été validées par l’UE. Durant la négociation du financement européen, Tempora a dû prendre en
considération des remarques de l’UE. Un des motifs de révision fut le renforcement de la dimension
« participative » de l’exposition.
Cette dimension comprend la présence de nombreux spécialistes issus de pays (membres ou associés à l’UE)
concernés par une population musulmane importante au sein du comité scientifique du projet qui a été inauguré
en Bosnie et exposé également en Bulgarie. Elle comprend également les efforts faits, notamment à Bruxelles,
pour permettre l’accès à la population musulmane. Les résultats présentés précédemment montrent que cette
attente a été rencontrée. Enfin, le volet participatif, c’est aussi accueillir dans l’enceinte de l’exposition une
palette d’activités socioculturelles, scientifiques et artistiques permettant l’interactivité avec des publics
diversifiés, comme les jeunes, par exemple. Parmi ces activités se situent les forums de l’IRFAM grâce à
auxquelles les visiteurs s’engagent en tant que citoyens, témoignent, s’expriment et échangent.
Selon cette perspective, il ne suffit pas de proposer des sources matérielles et immatérielles retraçant le passé
commun de l’Islam et de l’Europe. Pour que puissent se réaliser les conditions d’un meilleur vivre-ensemble,
faut-il encore que des formes de dialogue puissent être proposées aux visiteurs afin d’approfondir les débats et
les rencontres entre acteurs d’horizons divers.
C’est la raison pour laquelle les forums organisés par l’IRFAM montrent la religion comme quelque chose qui se
vit au quotidien par des citoyens qui, par ailleurs, ont les mêmes préoccupations que d’autres citoyens, adeptes
d’autres religions ou d’aucune croyance religieuse. Boulanger (à paraître, 11) note : « le fait de choisir d’exposer
la religion au travers de vécus, d’évolutions, de réflexions personnelles, comme les forums permettent de la voir,
de montrer la pluralité de l’être musulman, ce qui serait difficile au travers d’objets ». Les forums offrent ainsi
un espace de débat et de rencontre. D’après l’auteure, ils ont permis de rendre ce débat démocratique et ont
incarné le versant « participatif » de l’exposition. « L’exposition donne la possibilité d’utiliser cet espace pour
prendre place dans le débat, que ce soit de façon personnelle par une simple réflexion, des engagements ou bien
37
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
grâce aux forums, en entrant en débat avec des personnes aux avis multiples. Et c’est surtout au moyen de ce
fabuleux outil de partage que sont les forums que le débat est possible » (Boulanger, à paraître, 17).
L’exposition a avant tout été vue comme un espace artistique destiné à développer le savoir et la prise de
conscience à travers l’apprentissage de nouvelles connaissances à propos des héritages communs entre l’Islam et
l’Europe. Cet élément semble avoir été très majoritairement perçu par les répondants à l’enquête de Boulanger,
ce qui peut sous-entendre que les attentes liées à cette dimension d’apprentissage ont été rencontrées. Par contre,
les forums ont été complémentaires, dans la mesure où ils ont pu révéler l’intention politique de l’exposition par
l’espace de débat contradictoire proposé.
De plus, la dimension religieuse, généralement considérée comme absente de l’exposition, trouve dans les
forums la possibilité de son expression et de sa valorisation par le biais de récits et d’échanges citoyens.
Autrement dit, les forums offrent un espace au sein duquel les aspects plus conflictuels et plus religieux de la
présence musulmane en Belgique ont l’occasion d’être débattus, même si cette activité en parallèle de
l’exposition n’a pu évidemment accueillir qu’une partie numériquement marginale des visiteurs. Qui plus est, les
participants aux forums étaient principalement présents sous invitation. Peu de personnes sont venues de façon
spontanée, sans doute parce que la portée et l’intérêt de ces derniers n’ont pas été reçus comme tels par les
visiteurs et ce, malgré le tarif préférentiel qui a été proposé pour les six séances organisées.
En tant qu’entreprise privée, Tempora vise le « grand public ». D’après la coordinatrice internationale du projet
sur l’islam, le but de l’exposition a également été d’élargir le public habitué aux expositions vers un autre groupe
moins habitué des lieux culturels comme les jeunes de quartiers populaires de Bruxelles, spécifiquement ceux
marqués par une présence musulmane. Selon Isabelle Benoit, ce but a été atteint grâce aux partenariats tissés,
notamment avec l’aide de l’Institut de Recherche, de Formation et d’Action sur les Migrations. Nous pouvons
ainsi soutenir — au regard des chiffres de fréquentation — que les forums ont permis, à côté des visites scolaires
et des associations de jeunes et d’alphabétisation, que cette exposition accueille un public de non-habitués. Ceci
était d’autant plus important que les organisateurs souhaitaient à travers cette exposition leur permettre de se
sentir valorisés dans leur identité et susciter chez eux le sentiment de « faire société ensemble ».
Pour l’IRFAM, cette volonté d’élargir qualitativement le public des lieux culturels résonne favorablement. En
effet, cet institut de formation continue et d’éducation permanente tente depuis des années, par divers procédés,
d’élargir le public des débats sur la présence et l’inclusion des populations issues des migrations au sein nos
sociétés. Par exemple, l’IRFAM, situé au sein de nombreux partenariats, tente de diffuser ses contenus à travers
la mise en scène de pièces de théâtre1, des expositions de peintures2, des émissions de radios associatives3, voire
la publication et la diffusion d’un roman4, ainsi que des campagnes de sensibilisation5. La collaboration avec
Tempora croise, pour l’IRFAM, cette préoccupation pour l’élargissement et la convergence des publics. Cet
élargissement passe nécessairement par la diversification des méthodes de diffusion et de sensibilisation. Dans ce
cadre, les expositions thématiques et interactives, comme les conçoit Tempora, sont certainement une approche
intéressante pour autant que la dimension participative permette à des rencontres entre publics diversifiés d’y
avoir lieu. Cette attente a pu être rencontrée tant par l’exposition dans son ensemble qu’au sein des forums
organisés par l’IRFAM. Toutefois, une des limites du projet fut, comme le montre également l’évaluation du
CISMOC, la présence majoritaire d’un public, certes culturellement diversifié, mais convaincu du bien-fondé du
débat citoyen sur la question de l’inclusion sociale au-delà des diversités. Aussi, l’idéal de toucher massivement
un public non convaincu par ce principe démocratique et pluraliste, afin de l’informer, le sensibiliser et de
l’inciter à envisager les réalités par d’autres biais, attend toujours son printemps.
Évaluation des forums en tant que tels
Pour évaluer le dispositif « forums citoyens », l’équipe de l’IRFAM a construit un questionnaire destiné à
recueillir l’avis des participants. Cette échelle tient compte de différents éléments en lien avec les forums, leur
forme et leur contenu :
- L’intérêt général des forums ;
- L’organisation matérielle des forums ;
- La qualité de l’animation et de la médiation ;
- La pertinence des témoins choisis ;
- La pertinence des échanges entre les témoins ;
- La pertinence des échanges avec le public.
1
2
3
4
5
www.irfam.org/index.php?articleID=22&themeID=9.
www.irfam.org/index.php?articleID=23&themeID=9.
http://radio27.be/index.php/replays/item/175-colloque-diversite-de-la-peur-a-l-apport-du-migrant.
www.irfam.org/index.php?articleID=67&themeID=9.
www.diversitewallonie.be.
38
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Deux questions ouvertes complètent cet outil, afin d’apporter une interprétation aux appréciations. La première
est destinée à recueillir leurs suggestions en vue d’améliorer la configuration de ce type de forums, la seconde
vise à recueillir leurs éventuelles propositions de suite à donner au dispositif.
À la fin de chaque forum, des fiches d’évaluation ont été distribuées aux participants désireux d’y répondre. Il
n’y a donc ni échantillonnage a priori, ni d’obligation à participer à ce formulaire évaluatif. Ceci implique que
nous n’avons pas de correspondance entre la participation aux forums et la participation à l’évaluation. Certains
forums comme celui sur la jeunesse ou sur le marché de l’emploi ont eu les plus fortes participations (entre 80 et
60 personnes), mais ont pourtant un taux de réponses aux questionnaires faible. Ce qui crée un problème de
représentativité. Néanmoins, nous pouvons soutenir que les résultats recouvrent assez bien le profil des
participants dès lors que l’on s’attarde à prendre en compte les forums dans leur totalité.
Nous avons eu au total 134 répondants, sachant que sur l’ensemble des forums nous comptabilisons la
présence 280 participants (en dehors des animateurs et des témoins). Ainsi, près de la moitié des participants ont
rempli l’évaluation. Par ailleurs, les moments de partage informel avec les participants, à l’issue des forums
(visite de l’expo, goûter), ont également permis de recueillir les points de vue des participants sans passer par le
questionnaire.
L’ensemble des résultats comprend des retours positifs quant aux forums. Tout d’abord, la majorité de
répondants soutient l’intérêt des forums (79 % d’avis positifs). Cela met en avant leur bien-fondé et leur raison
d’être, notamment la pertinence d’un espace de paroles. La plupart des répondants mettent en effet en avant
l’utilité de ce type de dispositifs, car ils permettent de valoriser le débat entre citoyens, dans un cadre intimiste et
non polémique. Les répondants valorisent également le fond des discussions, ainsi que les orientations
thématiques choisies. Les dimensions envisagées par les forums sont importantes dans la vie des citoyens,
quelles que soient leurs convictions. C’est une chose souvent ignorée, dès lors que l’on parle de religion.
Envisager des champs tels que l’emploi ou le vieillissement permet d’attirer l’attention sur les liens d’intérêts
entre citoyens, des liens autres que religieux. L’artifice permet de mettre ainsi de conscientiser les participants
sur les multiples définitions de la notion de citoyenneté. Ainsi, de nombreux participants aux forums espèrent
que de tels dispositifs seront proposés dans d’autres lieux, que ces forums seront actés au travers d’une
publication et de recommandations pouvant soutenir les intervenants socio-éducatifs dans leurs pratiques
professionnelles. En effet, il faut mentionner le regret d’une minorité de participants (entre 8 et 13 %) quant à
l’absence, durant les forums, de suggestions plus pratiques et de pistes de solution à propos des problèmes
soulevés durant les échanges.
La qualité de l’animation a, elle aussi, rencontré une large majorité d’avis positifs (85 %). Peu de commentaires
sont laissés en appui à cette évaluation positive. Des remarques ont néanmoins été faites et incitent l’équipe à
améliorer son intervention. Par exemple, certains participants estiment que l’animation a pu laisser les débats
s’éloigner des thématiques annoncées au détriment d’un approfondissement. Des personnes étaient, par exemple,
désireuses que des éléments de conclusions soient plus soulignés ou que des notions plus complexes expliquées à
la lumière de références scientifiques. En effet, les anecdotes amenées par les témoins ont parfois été trop
longues.
La question portant sur la pertinence du choix des témoins rencontre aussi un taux d’avis positifs appréciable
(74 %). Toutefois, un cinquième des répondants témoigne d’une appréciation moins positive par rapport à
l’échantillonnage opéré. La question de la sélection des témoins a d’ailleurs traversé l’ensemble des forums et
rend compte d’un enjeu récurrent lorsque l’on débat de l’islam, comme nous l’avons déjà vu. Un autre point de
tension transversal aux forums a notamment est le « manque de diversité » (ou non) par rapport aux profils des
témoins. D’après certains participants, en effet, il aurait été préférable d’avoir des personnes « moins policés »,
avec des rapports aux religieux moins sereins et des histoires de vie avec davantage « de problèmes » pour des
« débats plus spectaculaires ». Par exemple, le profil attendu pour le forum jeunesse était, pour certains, des
jeunes de quartier encore en crise identitaire, pour la parentalité, des familles avec davantage de difficultés, etc.
Plus globalement, des personnes du public s’attendaient à voir des profils de musulmans « plus traditionnels » et
attachés à leur religion, « plus pratiquants », voire « plus radicaux ». Tel n’était évidemment pas l’objectif de ces
forums. L’objet islam a demandé une attention particulière, en raison du risque de polarisation et a orienté la
composition et l’organisation des forums. Par contre, les remarques récoltées montrent également que le procédé
qui consiste à recueillir des trajectoires personnelles est unanimement apprécié, car ce sont des choses que l’on
« entend moins souvent ». Le général ne se loge-t-il pas au cœur du particulier ?
39
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
La pertinence des échanges entre témoins ou entre témoins et public a aussi récolté un taux d’avis positifs dans
les sept sur dix (72 %). La principale remarque négative soulignée pour ces deux items est le manque de temps
pour les échanges. Certains répondants se sentent frustrés : les échanges avec la salle auraient pu occuper plus
d’espace dans l’organisation des forums, tant, estime-t-on, les questions-réponses avec les témoins ont été
positives ; certains proposant même plus de temps pour les débats au détriment de la visite de l’exposition !
L’équipe d’animation partage la même frustration tout en sachant que la question du temps est insoluble
beaucoup de choses importantes devant avoir lieu sur un seul après-midi. Certes, certaines questions peuvent être
posées à l’avance et guider d’emblée les forums, mais considérons cette frustration comme la preuve de l’utilité
du dispositif forum.
Enfin, en ce qui concerne l’organisation matérielle des forums, 83 % des participants se déclarent satisfaits.
Quelques remarques sont épinglées afin d’éclairer les avis plus mitigés. Elles concernent l’absence de places
suffisantes, la sonorisation et l’aération. Ces éléments logistiques dépendants du local ont trouvé réponse au fur
et à mesure des de l’avancée de l’exposition, grâce au support apporté par Tempora.
40
Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Enjeux transversaux et position de l’IRFAM en guise de conclusion
À l’issue de ce projet de forums sur l’islam, ont été mises en exergue différentes balises théoriques
circonscrivant un état des lieux de méthodes de dialogue interculturel, elles-mêmes inscrites dans des dispositifs
socio-éducatifs. Si ces méthodes permettent de souligner l’importance d’une éducation non formelle dans le
cadre d’un processus de débat démocratique relatif à l’islam, les conjonctures contextuelles et le climat ambiant
dépassent bien souvent les réalités de terrain, poussant constamment les acteurs à s’interroger sur leurs pratiques
professionnelles. C’est pourquoi il a été essentiel de préciser le cadre méthodologique et empirique de notre
dispositif avant de présenter l’analyse des échanges et des enjeux qui s’y sont dégagés. Dans ce cadre, la place
particulière que les forums occupent au sein de l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire » fut importante
à préciser. En effet, le cadre de notre projet n’est pas étranger à l’intention politique d’endiguer la haine, les
marques de rejet et d’incompréhension réciproque qui peuvent obstruer les relations de qualité entre personnes
de confession musulmane ou non, en rehaussant le débat et en offrant un espace où le citoyen peut s’exprimer, en
tant qu’acteur social sur un devenir commun.
Aussi, notre dispositif a eu pour dessein de proposer un espace de discussions, à l’image de « forums
populaires », en mobilisant l’outil sociologique « focus group » de façon informelle et élargie. Il fut ainsi proposé
aux participants de converser sur un sujet particulièrement sensible et de revoir des représentations collectives
souvent trop généralisantes. Les témoignages diffusés lors des forums rendent ainsi compte de trajectoires de vie
de musulmans belges et du rapport qu’ils ont construit avec l’altérité. Ces témoignages distillent aussi le point de
vue de citoyens non musulmans. Les débats issus de ces rencontres permettent alors d’égrener différents facteurs
auxquels être attentifs lorsque l’on appréhende la diversité religieuse, et la place de la présence musulmane plus
spécifiquement dans notre société. Enfin, est proposée une évaluation multiniveaux susceptibles d’éclairer les
effets et les attentes des acteurs sociaux par rapport à un tel objet et à dégager des points d’attention dans la
construction ultérieure de dispositif de ce type. À présent, il s’agit de conclure en soulignant les éléments
sociologiques ressortis des échanges, ainsi que les zones d’ombre sur lesquelles il serait intéressant de se pencher
ultérieurement.
Revenons sur les enjeux qui ont traversé les forums. Ils nous permettent de proposer des pistes en termes de
travail social et éducatif.
Force est de constater que l’ancrage de la communauté musulmane dans un contexte majoritaire non musulman
confronte cette population au doute. L’acculturation avec la société d’accueil amène indubitablement à des
hésitations et mixages dans le rapport aux croyances religieuses que cette population développe. Ces croyances
et rites sont héritées des parents et des grands-parents, travailleurs immigrés, dont le rapport au sacré découle
plus de traditions culturelles que d’une éducation religieuse systématique. Les certitudes qu’ils transmettent sont
dès lors forgées au fil de leur histoire et sont ancrées dans un contexte éloigné à celui dans lequel vivent leurs
enfants, destinataires de cette transmission familiale, même si cette dernière peut faire intervenir des institutions
plus élargies, comme des mosquées fondées en Belgique par des pères de famille immigrés (Arara, 2018)
L’inadaptation ou le caractère peu fonctionnel de cette religiosité en contexte occidental est une source de
difficulté pour les jeunes nés en immigration qui tentent de forger une identité culturelle et religieuse en accord
avec leurs préoccupations relevant, notamment, de l’insertion sociale et économique. Ces difficultés
s’alourdissent encore quand les jeunes nés en immigration deviennent parents, à leur tour, et sont chargés de
transmettre le sens et la forme de la religion à leurs propres enfants. De nombreux témoignages issus des forums
relatent ce doute et la gestion qui en est faite par les personnes concernées.
On sent ce groupe issu de l’immigration — et en particulier ceux venus débattre aux forums de l’IRFAM —
désireux de développer un rapport nouveau à la religion. En effet, la religiosité n’est pas figée une fois pour
toutes et se trouve habitée d’un sens différent en fonction de l’état psychosocial et les conditions socioéconomiques des croyants. Le rapport au religieux peut ainsi varier selon les facteurs relevés dans l’analyse des
débats. S’agissant de musulmans vivant en Belgique, ces facteurs peuvent être la place occupée par le croyant
dans sa communauté d’appartenance, la manière dont cet ancrage croise les besoins de réalisation de l’individu,
les rapports qu’il nourrit avec des non-musulmans, les autorités musulmanes auxquelles il s’identifie et, enfin,
last but not least, les facteurs géopolitiques qui bousculent le rapport à l’islam, renvoyant le musulman à ce qui
se passe ailleurs, sans rapport avec son quotidien, si bien que la religion devient un poids.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
En effet, la congruence de ces différents facteurs participe à ce que les musulmans rencontrent en Europe des
discriminations tout au long de leurs trajectoires. Selon les générations, avons-nous vu, les supports et les freins
rencontrés diffèrent, ce qui demande à ce qu’un travail socio-éducatif et d’accompagnement puisse être décliné
en fonction des de réalités vécues.
La situation des jeunes pose essentiellement des enjeux quant à leur recherche de référentiels et l’importance des
groupes de pairs dans leur construction identitaire, l’insécurité qui habite la période de l’adolescence, le
sentiment de rejet qui taraude certains d’entre eux et les difficultés de transmission amènent à ce que ces derniers
se tournent vers une logique d’opposition et construisent ainsi un islam normatif.
De leur côté, les adultes de la communauté musulmane sont à la fois défiés par les conditions de vie d’une classe
ouvrière et par la difficulté de transmettre un héritage culturel et religieux dans le contexte actuel de scepticisme
envers les communautés musulmanes.
Enfin, les aînés musulmans, les personnes primo-migrantes des années 60, font aujourd’hui face à la finitude qui
les recentre sur la pratique religieuse dans une société où pratiquement aucun service dédié au grand âge n’a
prévu d’intégrer le respect des rituels et des interdits musulmans dans son cahier de charges. La responsabilité de
ces personnes revient dès lors à leur communauté et en particulier à leurs enfants, soit la catégorie « adultes »
mentionnée ci-devant.
Il importe pourtant, dans un État de droit qui admet la liberté de conscience et de la pratique religieuse, que les
inégalités et discriminations évoquées soient combattues. Il importe également que la communauté musulmane,
comme toute communauté, renoue avec un rapport serein vis-à-vis de sa religion afin d’assurer à tout citoyen un
vivre-ensemble harmonieux dans une société riche de ses diversités.
L’IRFAM, en tant qu’institut de recherche, de formation continue et d’éducation permanente soutient que le
travail socio-éducatif et l’action socioculturelle développés dans notre pays offre la possibilité de contribuer à la
construction d’un environnement de qualité afin de rendre effectif l’inclusion sociale de la communauté
musulmane. Toutefois, afin de répondre de cette finalité le travail social et culturel mentionné — qui n’est que le
reflet sur le terrain des politiques éducatives, sociales et culturelles locales — doit, à tout le moins, viser les
éléments suivants.
Pour ce qui est de la jeunesse musulmane, des objectifs les plus particuliers aux finalités les plus générales :
- Proposer une écoute bienveillante des difficultés et besoins spirituels des jeunes musulmans et de leurs proches ;
- Prendre appui sur la force des liens entre pairs et des centres d’intérêts communs pour développer des espaces de dialogue en groupes
d’horizons divers ;
- Prendre appui sur des intervenants de terrain proches des jeunes pour développer un travail de réseau ;
- Orienter ces jeunes à rechercher leurs sources d’information auprès d’une pluralité de personnes et d’institutions ;
- Développer les capacités critiques des jeunes ;
- Offrir aux jeunes par des voies appropriées des grilles de lecture pour une compréhension globale des enjeux géopolitiques qui les affectent
particulièrement ;
- Impliquer les jeunes dans des projets concrets porteurs de sens et susceptibles de les faire réfléchir sur leurs idéaux et la place qu’ils
occupent en société ;
- Promouvoir des écoles et des espaces de socialisation aux publics diversifiés pour permettre aux jeunes d’apercevoir leurs identités et
appartenances multiples et de se rendre compte des relégations et ségrégations ethniques ambiantes afin qu’ils agissent pour une société
plus inclusive ;
- Recentrer l’éducation formelle et informelle autour de leur objectif de démocratie et d’égalité afin de permettre à l’ensemble des jeunes d’y
puiser une source de valorisation et d’émancipation ;
- Impliquer fortement le monde des médias et des entreprises dans ces activités, afin non seulement qu’ils puissent s’y ressourcer, mais aussi
afin qu’ils puissent mettre leurs moyens au service d’une société inclusive, soit une société qui prône un discours et un agir d’ouverture et
de valorisation envers les diversités (Manço, 2015).
Pour ce qui est de la catégorie « adultes » :
- Favoriser des espaces de dialogue et d’(in)formation au sein des écoles, des lieux culturels et cultuels, de l’animation des quartiers, etc.
afin que les héritages spirituels des familiaux puissent « se raconter », s’apprécier réciproquement et accéder à une « reconnaissance
sociale » ;
- Entendre, dénoncer et combattre par des voies juridiques les discriminations qu’ils sont amenés à rencontrer, notamment dans le cadre
professionnel, en adéquation avec leur identité religieuse ;
- Favoriser le développement d’une posture de médiation dans les milieux de travail, de formation et de participation sociale impliquant ces
adultes, notamment un dispositif permettant d’intégrer les demandes d’accommodements à la gestion d’un commun dénominateur de façon
à ce que les avancées profitent à tout citoyen dans une « approche intersectionnelle » autour d’une préoccupation partagée d’égalité ;
- Identifier les difficultés de transmission culturelle de ces parents face aux inégalités et frustrations vécues par leurs enfants, les aider à
rester des modèles positifs ;
- Insérer les parents de la communauté musulmane à la gestion des diversités au sein des institutions scolaires ou de jeunesse fréquentés par
leurs enfants (comités de parents, comités d’avis, etc.), afin que la socialisation primaire (ou familiale) et secondaire (ou institutionnelle)
puissent se renforcer mutuellement et non s’opposer.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Pour ce qui est de la catégorie « aînés », particulièrement occultée dans les débats publics consacrés à l’islam :
- Éclairer par des recherches les zones d’ombre qui subsistent autour des personnes âgées migrantes ;
- Offrir des espaces de parole internes et/ou externes aux institutions de soins, destinés à recueillir les histoires de vie des personnes âgées de
toute origine, dans une démarche de mémoire et de reconnaissance sociale ;
- Réfléchir à des dispositifs de formation continue et initiale concernant la diversité religieuse et culturelle pour intervenants du secteur de
l’aide aux personnes ;
- Envisager des aménagements raisonnables au sein des institutions de repos et/ou de soins afin de prendre en considération les besoins
spirituels des personnes âgées migrantes, notamment, musulmanes ;
- Imaginer des dispositifs au sein des quartiers populaires afin de favoriser l’accueil des personnes âgées en famille et de valoriser ces
personnes ;
- Prendre davantage en compte les réalités spécifiques des pensionnés migrants âgés : par exemple, tenir compte des pratiques de vie faites
de va-et-vient entre le pays d’origine et la Belgique ;
- Assurer la visibilité des enjeux relatifs au vieillissement, en général, et celui des personnes âgées immigrées, en particulier, afin d’orienter
les politiques publiques ;
- Contribuer au devoir de mémoire : illustrer la contribution des immigrés âgés à l’histoire de la Belgique.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Annexe pratique :
L’outil « forum » comme dispositif d’animation au service de l’inclusion sociale
À l’issue de cette expérience de dialogue sur l’islam en contexte de polarisation, évaluons les apports et les
limites de l’outil forum qui a servi de paradigme méthodologique.
Les recommandations pratiques proposées ci-dessous s’inscrivent en filigrane de l’évaluation effectuée à l’issue
de l’expérience. Elles ne peuvent épouser sans adaptation les modalités de construction d’autres forums : celui-ci
dépend, entre autres, de la thématique choisie, des finalités que l’on se destine à atteindre, des moyens mis à
disposition et du contexte du travail.
L’organisation des forums, comme tout espace de débat participatif, demande à ce que soit répondues trois
questions simples : qui, quoi et comment (Berger, 2009).
Tout d’abord se pose la question de qui sera l’interlocuteur prenant part au dialogue. Dans une volonté
d’éducation permanente, les principaux intéressés auxquels s’adressent les forums peuvent être de plusieurs
ordres :
- Il s’agit directement des citoyens concernés par une problématique donnée, si les finalités visent une démarche d’émancipation et
d’expression populaire ;
- Il s’agit d’intervenants de terrain, dans une démarche de sensibilisation, de déconstruction et d’échanges sur les représentations des acteurs
et de partage de « bonnes pratiques » ;
- Il s’agit, enfin, du « grand public », dans la mesure où la démarche vise une large sensibilisation sur une thématique particulière.
La réponse à la question qui peut aussi combiner diverses possibilités. Tel fut le cas du présent travail qui tout en
s’adressant au grand public, dans le cadre d’une exposition sur l’islam ouvert à tous, a réuni un panel de
personnes concernées face à un public essentiellement formé d’intervenants de terrains ou d’agents
multiplicateurs.
Choisir c’est renoncer. Aucun choix n’est universel ni parfait. Par exemple, le choix de témoins effectué dans le
cadre de la présente expérience n’a pas rencontré l’ensemble des attentes des participants aux forums : volonté
d’entendre plus de « jeunes de quartiers », aspiration à débattre avec des « musulmans orthodoxes », etc.
Le choix des acteurs du dialogue dépend, bien entendu, des objectifs de ce dernier.
Voici quelques recommandations en termes de composition de panels et d’échantillonnage :
- Évaluer les attentes des participants (si ceux-ci sont déterminés à l’avance) et orienter en fonction de cela le choix des témoins, dans la
mesure du possible ;
- Considérer l’hétérogénéité du panel de témoins en tachant d’y inclure des interlocuteurs avec des positions antagonistes ;
- Accompagner les témoins en amont de la prise de parole (surtout si l’on se destine à offrir une prise de parole à des personnes en situation
de vulnérabilité) ;
- Introduire dans le débat la question de la pluralité et mettre en avant les différences entre des parcours de vie des témoins ;
- Introduire dans le débat la question de la représentativité et mettre en avant le caractère exemplatif des parcours de vie des témoins.
Ce sur quoi porte le forum est la seconde étape de la réflexion méthodologique. Dans le cas présent, les
thématiques choisies avaient pour objectif principal de retracer la vie quotidienne des musulmans et leurs
trajectoires à partir des rôles sociaux qu’ils occupent en société. L’intention était de ne pas d’aborder de front des
problématiques religieuses, une monnaie courante dans les débats publics sur l’islam, mais de retracer les enjeux
communs qui traversent la vie des citoyens musulmans comme non-musulmans, à des moments charnières de
leur existence : jeunesse, mariage, emploi, vieillesse.
Nous constatons que ce choix fut particulièrement valorisé par les participants parce qu’il a notamment permis
d’exhumer des tensions particulièrement intimes et de les lier à des enjeux transversaux de la société
contemporaine : déliquescence des modes de transmission traditionnels, angoisses et crises de sens des jeunes
générations, poids des normes culturelles dominantes, influence de la globalisation des informations sur les
subjectivités individuelles, etc.).
Toutefois, ces thématiques ont parfois manqué de centralité et certaines auraient mérité d’être croisées par des
avis d’experts et de professionnels permettant d’emblée aux participants de rattacher des pistes de solutions
pratiques aux problèmes abordés. À cet égard, nous suggérons plusieurs recommandations, quel que soit le
thème désigné pour le forum :
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
- Ancrer les forums dans une dynamique narrative basée sur des témoignages individuels en tachant de comparer les expériences de vie des
témoins pour en retracer les défis communs ;
- Prévoir en amont des échanges susceptibles d’identifier des sous-thématiques clés et cadrer les échanges afin de ne pas s’éloigner des
sujets principaux ;
- Articuler les thèmes choisis aux réalités rencontrées par les publics visés, les institutions ou les activités qui les concernent, etc. ;
- Dans la mesure du possible, proposer aux participants d’adresser à l’avance certaines de leurs questions et interrogations aux organisateurs
afin que ces dernières soient prises en ligne de compte dans l’animation ;
- Prévoir un temps plus ou moins équivalent pour les échanges avec la salle et pour les témoignages afin d’insuffler de l’interactivité entre
les témoins et les participants ;
- Soigner l’animation et l’illustration des débats, articuler aux témoignages des données objectives susceptibles d’étayer et/ou d’affiner les
réalités telles qu’elles sont racontées (éventuellement par un document distribué), proposer un temps de parole à un expert afin de
commenter les témoignages, faire des liens entre diverses sources et prise de parole, proposer des synthèses, relancer les questions clés.
Enfin, penchons-nous sur la manière dont peut être pensé le déroulement des forums, autrement dit le comment.
En amont des forums, nous l’avons déjà précisé, un travail d’identification des acteurs et des thématiques doit
avoir lieu, ainsi qu’une concertation et une préparation avec les témoins ou intervenants principaux. Ceci peut se
mettre en œuvre à travers des rencontres individuelles ou par des séances collectives. Une répétition générale,
notamment, constitue un important pour la cohésion du groupe et la facilitation des prises de parole.
Si un déroulé précis du forum doit exister, il s’agit de l’appliquer avec souplesse compte tenu des aléas liés à ce
genre de rencontres (retards, problème de matériel, intensité des échanges que l’on ne coupe pas, respect de
l’équité entre prises de parole, etc.). Le déroulé et les règles de prise de parole doivent être expliqués aux
participants d’entrée de jeu.
Si, somme souvent, le forum proposé de concert avec un autre événement culturel, comme une exposition, la
projection d’un film, une pièce de théâtre, l’exposé d’un expert, etc., il est intéressant de créer des liens concrets
entre l’élément culturel et l’élément « débat » de la séance. Une façon de faire est que les témoins puissent se
positionner par rapport à l’objet culturel proposé aux participants en général avant le forum. Toutefois, dans
notre cas la visite de l’exposition a eu lieu après les débats suscitant quelques critiques. Chaque composition a
ses avantages et désavantages à juger au cas par cas. Pour terminer, des pauses et/ou un verre final permettent à
l’assemblée de poursuivre la rencontre dans une ambiance informelle, occasion pour les organisateurs de glaner
des impressions afin d’alimenter l’évaluation par ailleurs soutenue par un questionnaire. Voici une synthèse de
ces conseils :
- Organiser des moments de rencontre préalable au projet de forums, afin que les participants puissent se connaître et tisser des liens
confiance ;
- Proposer des forums sur un temps long, avec des moments de rencontres étalées sur plusieurs semaines afin de permettre au débat de mûrir
et les protagonistes de se connaître mieux ;
- Articuler les forums à d’autres diffusions (conférences, séminaires, événements culturels, etc.) portant sur les enjeux débattus…
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Présentation de l’IRFAM
« La cohésion sociale par la valorisation des diversités »
L’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM) est un organisme ressource et
d’éducation permanente créé en 1996 par des intervenants et des chercheurs, au service des professionnels de
l’action sociale, de l’éducation, du développement culturel et économique. Il vise, par une approche
interdisciplinaire, à construire des liens entre la recherche et les interventions dans le domaine de l’intégration et
du développement, ainsi que la lutte contre les discriminations.
Les objectifs de l’institut sont :
– Informer sur les mécanismes discriminatoires en tant que facteurs d’exclusion et de violence ;
– Promouvoir les relations interculturelles en tant qu’instruments d’une intégration et d’un développement de
qualité ;
– Susciter un développement identitaire positif parmi les personnes victimes d’exclusions et de violences ;
– Contribuer à la mise en place de mécanismes démocratiques favorisant la gestion positive des différences
socioculturelles et le développement durable.
Les moyens de l’IRFAM sont la sensibilisation, la formation et l’accompagnement, ainsi que la mise en réseau
d’intervenants sociaux, de responsables associatifs et de décideurs politiques. L’institut anime également des
processus de recherche-développement et d’évaluation, de même que diverses publications sur les
problématiques du développement socio-économique, de l’exclusion et de la gestion des conflits socioculturels.
Les domaines d’intervention de l’IRFAM sont :
– L’évolution des communautés immigrées ou issues de l’immigration et, en particulier, l’observation des
processus d’intégration psychosociale et de la dynamique des identités culturelles ;
– Les liens entre migrations et développement tant dans les espaces d’origine que dans les espaces d’accueil ;
– Le développement des politiques et des méthodes d’intervention sociopédagogique et interculturelle :
formation, accompagnement et évaluation des équipes de terrain, des réalisations pratiques, etc.
Trois thématiques majeures préoccupent l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations :
- La gouvernance locale des diversités et la gestion des conflits par le développement local, le dialogue
interculturel et l’éducation à la diversité dans ses multiples formes ;
- L’insertion socioprofessionnelle et la valorisation des compétences des migrants et des personnes issues des
migrations ;
- La participation des migrants aux actions de solidarité internationale et la gestion des flux migratoires.
L’institut est soutenu par divers échelons de pouvoir en Belgique.
De vocation internationale, l’IRFAM est également soutenu par l’Union européenne. L’institut a des
représentations au Togo, au Bénin, en Turquie et en Grèce, ainsi qu’en République tchèque. Des partenariats le
lient à de nombreux organismes en Europe, en Afrique et au Canada.
En tant qu’association d’éducation permanente visant la valorisation des diversités, l’IRFAM gère la collection
« Compétences Interculturelles » des éditions de l’Harmattan (Paris) et diffuse sur le net une lettre trimestrielle
intitulée Diversités et Citoyennetés.
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Dialoguer sur l’islam en contexte de polarisation – M. Devries – IRFAM
Photos : IRFAM
© Tous droits réservés — IRFAM — Liège — 2018
ISBN : 978-2-9600970-3-0
EAN : 9 782 960 097 030