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15 Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ? Les caves à niches semi-circulaires au niveau du sol Rémi Auvertin Le propos de cet article est issu d’une réflexion, menée au cours de ma thèse de doctorat1, sur le contexte de construction des habitations romaines dans les agglomérations de Gaule septentrionale, entre le Ier et IIIe s. apr. J.-C. L’analyse systématique des techniques et des manières d’habiter pose un constat d’hétérogénéité : une même conception globale de ce qui doit constituer un habitat s’oppose à une extrême diversité des techniques et des matériaux observés d’un site à l’autre, y compris dans des agglomérations voisines. Une plus forte homogénéité des pratiques architecturales peut apparaître au sein d’un même quartier : les propriétaires s’équipent d’une cave ou d’une pièce chauffée à peu près au même moment, disposent leur pièce au même endroit que leurs voisins ; une partie des techniques sont partagées par les maisons contemporaines. La spécificité du corpus, les agglomérations secondaires et les chefslieux, impliquait néanmoins un biais important dans l’interprétation de cette dialectique entre homogénéité et hétérogénéité, celui de la discontinuité spatiale, mais également chronologique. La rupture interprétative ne se limite pas à la seule analyse technique de la construction domestique, mais s’étend à son interprétation sociale et économique. Face à l’état de conservation minime des structures domestiques fouillées entre Seine et Rhin, les questions du processus de formation des répertoires architecturaux et des acteurs de la construction semblent irrésolubles. L’ethnographie et la comparaison historique, notamment avec la période moderne, suggèrent plusieurs possibilités : l’autoconstruction, la participation de la communauté, l’emploi d’artisans pour tout ou partie du chantier2. Bien que les corporations de charpentiers ou les artisans de la pierre soient bien documentés en Gaule3, la réalité de l’activité de construction domestique nous échappe complètement. De ce fait, l’analyse des pratiques architecturales devrait être réalisée à l’échelle locale, en confrontant les données urbaines, semi-urbaines et rurales de manière à multiplier les données comparables et à cartographier minutieusement les pratiques, en termes de plans, de modules métriques, de choix et de mise en œuvre des matériaux, de manière à en expliciter les mécanismes sociaux et économiques. Le travail à réaliser est dantesque, mais le propos de cet article est beaucoup plus modeste : il s’agit de proposer la caractérisation d’une pratique architecturale restreinte à la Gaule septentrionale, la cave à abside. De telles caves sont connues depuis le début du XXe s., notamment à Bavay, et ont été remises au devant de la scène par l’actualité archéologique4. En partant d’une catégorie architecturale rare mais facilement identifiable, et localisée à une échelle micro-régionale, nous souhaitons questionner l’homogénéité du bâti et la notion de tradition architecturale : des caves caractérisées par le même élément inhabituel dans la construction domestique, l’abside, manifestent-elles des similitudes en termes de dimensions, de techniques ou de matériaux ? En termes de micro-histoire et de micro-sociologie de la construction domestique, l’usage de la niche est-elle l’indice de l’activité d’artisans spécialisés, d’une diffusion de savoir-faire ou d’un phénomène d’imitation5 ? Typologie et distribution Le modèle architectural ici caractérisé se distingue par la présence de grandes niches semi-circulaires, voûtées en cul-de-four ou couvertes d’un linteau et ouvrant depuis le niveau du sol (fig. 1). Le 4 Notamment CLERGET, CLOTUCHE, TEYSSEIRE & TIXADOR 2012. 5 Je souhaite remercier X. Deru de m’avoir signalé la spécificité de ce modèle architectural et de m’avoir donné accès aux données inédites de sa fouille des « Quatre Bornes » aux Rues-des-Vignes. Je remercie également Christine Louvion et le Service archéologique départemental du Nord pour m’avoir fourni la documentation inédite des fouilles du « Contournement de Cambrai » et les photographies d’une cave de Bavay. 1 AUVERTIN 2018. 2 ZIMMERMANN 1998. 3 Par exemple BOULANGER & MOULIS 2018, p. 163-166. SIGNA • 8 • 2019 16 RÉMI AUVERTIN Fig. 1. Cave à absides multiples. Paroi occidentale de la cave 3 du site 4 du « Contournement sud de Cambrai » (CAM1) (© Service archéologique départemental du Nord). dépouillement des caves romaines de la moitié nord de la France et de Belgique a permis d’en identifier vingt-cinq exemplaires répartis sur quinze sites, conduisant ainsi à vérifier leur relative rareté ; le modèle est complètement absent dans l’est de la France et en Allemagne. Les caves retenues sont globalement mal documentées, qu’elles soient peu publiées, observées lors de fouilles anciennes (BAV1 à 4, IWU) ou inédites (CAM1 à 3 et RUE4). À quelques exceptions près (ATH, PHI, FAM3, ROU), l’habitat associé n’est pas conservé. Parmi les caves à absides, le nombre et la disposition des niches permettent de distinguer trois variantes plus ou moins marquées (fig. 2 et 3) : • Les caves à absides multiples (type 1). Les longues parois de la cave sont aménagées de deux à trois absides. Le mur ouvrant sur l’escalier n’est pas équipé, tandis que le mur lui faisant face possède une à trois absides. • Les caves à deux ou trois absides (type 2). Deux à trois parois sont aménagées d’une abside. SIGNA • Certaines caves présentent deux niches inscrites dans une seule paroi (ROU, FAM3). • Les caves dotées d’une abside unique (type 3). L’abside est aménagée dans le mur ouvrant sur l’escalier ou dans le mur qui lui fait face. Les caves des deux premières variantes affichent une forte tendance à la symétrie : la distribution est généralement régie par deux axes de symétrie longitudinal et latéral ; les absides sont centrées ou régulièrement distribuées le long de la paroi. Néanmoins, la symétrie reste un principe directeur, rompu parfois dans le type 1 (GRA ; deuxième niveau de PHI, une cave par ailleurs dotée d’une extension), souvent dans le type 2 (décentrement des niches dans ARR2 ; symétrie seulement partielle dans RUE2). Ces variantes morphologiques ne sont pas imperméables, mais représentent plutôt des tendances architecturales. Ainsi certaines caves se situent-elles en limite des deux premières variantes : c’est le cas d’une cave des environs de Cambrai, CAM2, plus proche morphologiquement du type 2, mais que le 8 • 2019 Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ? 17 2 3 Fig. 2. Typologie des caves à absides : type 1. Redessiné d’après MACHUT & TUFFREAU-LIBRE 1991, p. 160, fig. 2 (GRA) ; JACQUES 1981, p. 31, fig. 6 (BOU) ; BIÉVELET 1976, pl. XCII (BAV3) ; DELMAIRE 1996, p. 374, fig. 142 ; BIÉVELET 1976, pl. XC (BAV4) ; GUILLEMAIN 1967 (ATH) ; BIÉVELET 1976, pl. LXXXIX (BAV2) ; HURTRELLE & JACQUES 1984, p. 269 (ARR1) ; BIÉVELET 1976, pl. XCI (BAV1). (CAM1 et 2 © Service archéologique départemental du Nord). Fig. 3. Typologie des caves à absides : types 2 et 3. Redessiné d’après HARNAY 1984, p. 27, fig. 12 (RUE3) ; HURTRELLE & JACQUES 1984, p. 272 (ARR2) ; DEMOLON, POULAIN & LEHMANN 1978, p. 5, fig. 1 (RUE2) ; ROGER 2002 (FAM3) ; MILLEREUX-LE-BECHENNEC 2001, p. 21 (CHA) ; ROLLET, DERU 2005, p. 45, fig. 25 (VIL) ; CAUCHEMÉ 1902 (ETI). (RUE4 : © X. Deru. CAM3 : © Service archéologique départemental du Nord). nombre de niche conduit à classer dans le type 1. Qui plus est, les trois types ainsi délimités ne prennent pas en compte la diversité des aménagements secondaires de la paroi. Certaines caves disposent ainsi de soupiraux (ARR2, ATH, PHI, RUE3, CAM3) ou de petites niches de forme plus habituelle, inscrites à mi-hauteur de la paroi et généralement placées dans le mur ouvrant sur l’escalier (RUE2, RUE3, CAM3). L’organisation des parois en deux niveaux est une pratique récurrente dans les types 1 (ARR1, BAV1?, BAV2, FAM2, GRA, PHI) et 2 (CAM3, RUE2 et 3), bien que sa fréquence soit difficile à estimer au regard de l’arasement des structures : dans ces caves, le premier niveau rassemble les niches absidiales tandis que le second niveau est aménagé de plus petites niches à fond plat, disposées dans le prolongement des absides ; un éventuel soupirail peut être restreint au deuxième niveau (CAM3, ATH, GRA), ou ouvrir la totalité du mur (PHI). Un regard sur la distribution géographique de ces caves (fig. 4) rend compte de la place centrale tenue SIGNA • par les chefs-lieux de Bavay et d’Arras. Le chef-lieu des Nerviens, les agglomérations secondaires des Rues-des-Vignes et de Famars et les environs de l’agglomération romaine de Cambrai concentrent la majorité des caves recensées, bien que ces dernières apparaissent également dans quelques établissements ruraux des cités des Nerviens, des Atrébates, des Viromanduens et des Tongres. Si les deux premières variantes affichent une distribution assez similaire, la troisième apparaît comme une pratique périphérique, tant d’un point de vue spatial que quantitatif : elle ne détermine pas un territoire cohérent et caractérise des sites éloignés de la concentration principale ou des installations de faible qualité6 (RUE4). Enfin peut-on signaler quelques cas spécifiques. L’agglomération romaine de Beaumont6 Quelques rares caves à abside unique peuvent être repérées hors de notre aire d’étude, en Angleterre (PERRING 1989, p. 285) ou à Vertault (BÉNARD 2016, p. 190), sans sembler relever d’une tradition architecturale cohérente. 8 • 2019 18 RÉMI AUVERTIN 1. Absides multiples 2. Deux à quatres absides 3. Abside unique Variante indéterminée Autres types sans absides Chefs-lieux Fig. 4. Distribution des caves à absides. En gris sont figurés les sites livrant des caves sans abside. Carte réalisée avec le SIG ABG. sur-Oise conserve une cave à absides multiples ; le site se trouve nettement en marge de l’aire de répartition des caves à absides, mais ne semble pas se rattacher à une autre tradition architecturale, par exemple propre à la Lyonnaise7. L’agglomération de Cuignières livre quant à elle deux caves à absides voûtées8, appuyées sur des banquettes de calcaire hautes de 0,50 m. Bien qu’assimilables au type 1, les caves de ces deux sites, indiquées sur la carte de distribution par un losange, n’ont pas été retenues dans l’inventaire. par la littérature scientifique et que des relevés pierre à pierre aient été fréquemment réalisés. Les caves sont systématiquement maçonnées, employant un blocage de grès et/ou de calcaire et un parement ; seule une petite cave des Rues-des-Vignes possède une abside et des parois non renforcées9 (RUE4). Du point de vue de la technique, des matériaux comme du décor, les caves à absides affichent une forte hétérogénéité. Il est possible tout du moins de séparer deux grandes tendances, qui ne recoupent pas le classement morphologique. La première, exemplarisée par les caves de Bavay, présente des parements polychromes associant moellons de calcaire ou de grès et arases de tuiles. Ces dernières soulignent la base de voûtes en cul-de-four ou démarquent deux niveaux d’élévation (BAV1, FAM2) ; la tuile est aussi utilisée pour combler les interstices (ARR1, GRA). Un troisième matériau Techniques de construction Si les caves évoquées sont assez souvent récupérées (ARR2, HEN, BOU) ou arasées (BAV1, 3, 4 ; CAM1 à 3), la qualité globale des parois conservées explique que ces structures soient relativement bien décrites 9 La pratique, mal documentée en Gaule septentrionale, trouve un point de comparaison dans la cave 4 du secteur N de Braives (BRULET 1990, p. 24). 7 VERMEERSCH 2007. 8 JACQUINEZ 1972, p. 43 et 50 (caves 2 et 11). SIGNA • 8 • 2019 Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ? (grès ou tuf ) peut être éventuellement associé dans des jeux chromatiques (PHI, FAM1). Le parement, régulier, peut faire varier les modules : gros grès en première assise (FAM1), diminution progressive des dimensions des moellons en partie haute (GRA, FAM2), etc. Les moellons sont liés à la terre ou au mortier. Dans ce deuxième cas, le mortier blanc peut être tiré au fer (FAM1, HEN) et peint en rouge (FAM1). Les absides, voûtées en cul-de-four, sont soulignées dans la paroi par des arcs en plein cintre formés de claveaux de calcaires, alternant parfois avec de la terre cuite ; l’extrados peut être souligné par des tuiles posées sur chant (GRA, FAM1 et 2, ARR1, BAV1 à 3). Les jambages font souvent l’objet d’un traitement spécifique (moellons taillés pour prolonger l’arc dans BAV1 et 2, rupture chromatique dans PHI). Le décor varie fortement : plusieurs caves séparent deux niveaux d’élévation par une corniche moulurée (GRA, HEN, BAV2) ; les décors muraux réalisés par alternance de matériaux (PHI, ATH) et les demi-colonnes et pilastres sont plus rares (BAV2 et 3). Les enduits muraux sont rarement attestés mais existent (FAM1, HEN). Cette première tendance illustre parfaitement l’ambivalence de la construction domestique : elle reflète une idée commune du décor et des éléments constitutifs de la cave ; la réalisation affiche au contraire une nette diversité. La deuxième tendance recouvre des parements généralement tout aussi soignés, mais qui n’emploient pas la terre cuite. Les absides, au lieu d’être voûtées en cul-de-four, sont couvertes d’un linteau de grès (CAM3, RUE2 et 3) servant de base à de petites niches inscrites dans un deuxième registre. Les deux niveaux peuvent être ici aussi séparés par une corniche moulurée (ARR2 ou CAM1). Chaque cave présente néanmoins ses particularités : RUE2 affiche un petit décor de croix en terre cuite ; RUE3 emploie des piliers monolithiques pour délimiter les jambages des absides et renforcer les points structurels les plus fragiles. D’autres caves échappent à ces tendances. Une cave des Rues-des-Vignes, déjà mentionnée, ne possède qu’un seul mur maçonné équipé d’un soupirail (RUE4). À Saint-Étienne-Roilaye, la cave répond à d’autres traditions architecturales bien documentées dans la forêt de Compiègne, interrompant le parement par des piliers en grand appareil (ETI). Enfin, le sol des caves à absides est formé de limon ou d’argile, seuls (CAM3) ou complétés de craie damée (GRA, HEN, RUE2 et 4) ; il s’agit généralement du simple fond du creusement. Seules deux caves (BAV4 et FAM1) disposent d’une chape de mortier fondée. SIGNA • 19 Face à la diversité constatée, il paraît difficile d’identifier des caves réalisées par les mêmes mains. Seules les caves fouillées au sud de Cambrai (CAM1 à 3) ainsi que certaines caves des Rues-des-Vignes (RUE2 et 3) réunissent des similitudes typologiques (absides centrées) et techniques (parement d’un seul matériau, absides couvertes d’un linteau plutôt que d’un cul-de-four) à une proximité spatiale. Ce petit groupe de structures pourrait témoigner soit de l’activité d’une même équipe d’artisans, soit d’une tradition architecturale suffisamment forte pour induire un phénomène d’imitation important. Dimensions Les dimensions des caves à absides sont reportées dans le diagramme fig. 5, par type. De manière à jauger la spécificité de ces données dans la construction septentrionale, ces mesures sont confrontées dans ce même diagramme à celles d’autres caves issues de contextes urbains et ruraux. Les données comparatives urbaines sont reprises de ma thèse, qui offre un jeu de 115 caves de pierre dont les dimensions sont publiées, appartenant aux agglomérations entre Seine et Rhin10. Elles peuvent être complétées par les données récemment collectées par G. Fonck au cours d’un mémoire de master11, ajoutant une trentaine de caves provenant d’établissements ruraux de Gaule Belgique à l’ensemble de comparaison. On constate immédiatement l’absence d’un module commun aux caves à absides, mais également la distribution tout à fait normale de ces mesures en comparaison de celles observées plus généralement dans la construction septentrionale ; aucune des caves à absides ne s’inscrit dans les extrêmes supérieurs ou inférieurs. Les superficies se dispersent entre 5,2 et 23 m² (méd. 11,735 m² et moy. 11,69 m²). Le rapport longueur/largeur oscille entre 1 et 1,65, manifestant toutefois une préférence pour les formats carrés (moy. 1,24 ; méd. 1,18). On peut noter que le groupe de caves homogènes proches de Cambrai, précédemment signalé, manifeste également des superficies très variables allant de 5 à 15 m². Les dimensions des niches, quant à elles, sont partiellement normées (fig. 6 et 7). En marge d’un module récurrent (l. 0,60-0,80 m ; P. 0,35-0,40 m) très largement suivi, quelques rares caves présentent des niches disproportionnées : à Athies, une abside 10 AUVERTIN 2018, vol. 1, p. 103-142 et annexes. 11 FONCK 2017. 8 • 2019 20 RÉMI AUVERTIN 5 6 7 Fig. 5. Diagramme des longueurs/largeurs des caves à absides, confrontées aux dimensions d’un échantillon de référence (AUVERTIN 2018 et FONCK 2017). Fig. 6. Diagramme des diamètres des absides. Fig. 7. Diagramme des profondeurs des absides. de près de 2 m de large participe à un jeu de symétrie avec le soupirail et accentue la monumentalisation de la pièce, tandis que la niche de la cave de Ville-surLumes fonctionne comme un véritable prolongement de l’espace souterrain, occupant la moitié de la paroi ouvrant sur l’escalier. Quelques exceptions mises de côté (ATH, BAV3), les absides d’une même cave présentent des dimensions similaires. Les hauteurs de niches, rarement conservées, oscillent entre 0,85 m et 1,15 m. Cette observation sur les absides contraste avec le panorama jusqu’ici établi : le seul invariant des caves considérées, la niche absidiale, est également l’élément le plus standardisé. SIGNA • Fonctions Au regard des contextes lacunaires de découverte, la fonction comme le mode d’intégration à l’habitat nous échappe majoritairement. Le constat sur les fonctions rejoint celui fait pour la majorité des caves du nord de la Gaule : la rareté des indices matériels, la destruction, la récupération restreignent toute détermination fonctionnelle. Les caves étudiées ne sont pas pour autant dénuées d’aménagements, notamment liés à la gestion de l’eau. Deux caves de Bavay sont équipées d’un puisard central cuvelé en calcaire (BAV3 et 4), de même qu’une cave de Ville-sur-Lumes où le creusement est connecté à une canalisation (VIL). Un drain traverse également 8 • 2019 Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ? latéralement une petite cave des Rues-des-Vignes (RUE4). La découverte, relativement rare dans notre corpus, de logements de céramiques suggère que les niches absidiales puissent être dédiées au stockage. Deux caves, à Cambrai et aux Rues-des-Vignes, en fournissent le témoignage direct : des creusements sont aménagés au centre exact de l’ouverture des absides (fig. 3 ; quatre absides sur quatre à RUE1, trois absides sur quatre à CAM3)12. Les mêmes aménagements peuvent être observés dans la cave de Beaumont-sur-Oise, périphérique au corpus13, ou dans les caves de Cuignières, dont les banquettes sont pourvues d’un trou par niche. Cette attribution fonctionnelle ne doit probablement pas être systématique : les creusements au sol sont absents de la majorité des caves à absides publiées, tandis que la cave de Bourlon paraît présenter un nombre important de logements qui ne sont jamais en lien avec les niches (BOU). Néanmoins, une fonction première de stockage pourrait expliquer la stabilité des dimensions des absides, éventuellement réfléchies pour accueillir les plus grandes formes d’amphore : une niche de 0,60-0,80 m à l’ouverture permettrait de loger au maximum une Dressel 20. Conclusion : un modèle rayonnant ? L’examen des caves à abside, initialement motivé par la recherche d’une forme d’homogénéité dans l’architecture domestique, conduit à nouveau à constater l’extrême hétérogénéité de la construction septentrionale. Cet état des lieux permet néanmoins quelques propositions interprétatives. Il rend compte de plusieurs traditions architecturales imbriquées, se différenciant par la morphologie générale de la cave ou par le traitement des parois. Bien que la cave à absides soit une pratique régionale dans laquelle Bavay semble jouer un rôle spécifique, l’architecture ne peut pas pour autant être perçue comme un critère ethnique et qualifiée de « nervienne » ou d’« atrébate ». La distribution spatiale rend ainsi nettement compte de la perméabilité des limites de cité ; tout au plus pourrait-on suggérer le caractère central de l’Escaut dans la formation d’une tradition architecturale micro-régionale, partagée par les Ruesdes-Vignes et les environs de Cambrai. L’hétérogénéité des pratiques illustre de fait la part évidente du local dans la construction domestique. L’accessibilité des matériaux et la variabilité des qualités des pierres (calcaires tendres, « pierre bleue » ou grès) en donne une explication partielle, mais insuffisante : la variabilité de traitement de parois employant des matériaux équivalents (à Bavay par exemple) ou de la grammaire décorative suggère de maximiser le rôle de l’individu dans les choix techniques et esthétiques. Cette même diversité témoigne probablement de l’absence d’artisans spécialisés dans la seule construction de pièces enterrées : la diversité des plans et des techniques invalide l’idée d’un même patron répété par des équipes itinérantes. Si artisans du bâti il y a, il s’agit plus vraisemblablement d’ouvriers polyvalents employés dans la construction courante. La diffusion rayonnante des répertoires architecturaux et des savoir-faire serait-elle ainsi plus le fait des propriétaires que d’artisans itinérants ? Les exemplaires les plus aboutis, à niches multiples et en opus mixtum, sont observés à Bavay et Arras, les chefs-lieux, à Famars, une grande agglomération, ainsi que dans des villae de prestige. Les exemplaires les plus frustres ou à abside unique, au contraire, se dispersent autour de ce premier noyau. Faut-il y voir un phénomène d’émulation, caractéristique des pratiques de consommation observées dans les sociétés Datation Alors que la datation des caves relève de manière générale d’un exercice difficile, les conditions de découverte des structures du corpus suppriment toute possibilité de dater les caves à absides, si ce n’est par quelques datations d’abandon (notamment PHI et CHA au IVe s. ou BOU à la fin du IIe ou au IIIe s.). L’absence de datation est une contrainte considérable à l’interprétation historique et sociale du phénomène architectural : la pratique constructive, même si elle est étonnamment restreinte dans l’espace et représentée par un faible nombre de constructions, n’a pas la même signification si elle se produit durant une génération ou si elle s’étale sur deux siècles. 12 De manière plus anecdotique, la fonction de stockage est également attestée à Hénin-Beaumont par un dépôt de tuiles, installé dans un angle de la cave HEN, à proximité d’une abside (GEOFFROY & THOQUENNE 1996, p. 143 et fig. 5). Dans le registre fonctionnel, on peut également signaler le remploi funéraire de la cave BAV3 (DELMAIRE 2011, p. 300). 13 VERMEERSCH 2007, p. 117, fig. 12. SIGNA • 21 8 • 2019 22 RÉMI AUVERTIN Commune Lieu-dit Bibliographie Athies Bois Saint-Jean Guillemain 1967 Hôtel du Conseil général Hurtrelle & Jacques 1984, p. 268-269 Caves à absides multiples ATH ARR1 Arras BAV1 Bavay Rue Pierre Mathieu Biévelet 1976, p. 214 BAV2 Bavay Rue des Soupirs Biévelet 1976, p. 207 BAV3 Bavay Sablière Lenglet Biévelet 1976, p. 300-302 BAV4 Bavay Sablière Mathieu Biévelet 1976, p. 300 BOU Bourlon La Maladrerie Jacques 1981 CAM1 Cambrai Contournement sud de Cambrai, site 3, cave 3 Loridant, Herbin, Louvion & Ménard 2008. Cave inédite. CAM2 Cambrai Contournement sud de Cambrai, site 3, cave 4 Loridant, Herbin, Louvion & Ménard 2008. Cave inédite. FAM1 Famars AB161-162 Vanbrugghe 1989 FAM2 Famars Technopôle, bâtiment 100 Clerget, Clotuche, Teysseire & Tixador 2012 ; Clotuche 2013, p. 118-120 GRA Graincourt-lès-Havrincourt L’arbre-chaud Machut & Tuffreau-Libre 1991 ; Lebrun 1974 HEN Hénin-Beaumont ZAC du Bord des Eaux Geoffroy & Thoquenne 1996 PHI Philippeville/Neuville Les Machenées Archéophil 1993, p. 108109 ; Cattelain, Venant, Cosyns. et al. 2012-2013 RUE1 Rues-des-Vignes Parcelle 158 Delmaire 1996, p. 374 ARR2 Arras Clinique du Bon secours Hurtrelle & Jacques 1984, p. 271-272 CAM3 Cambrai Contournement sud de Cambrai, site 4 Loridant, Herbin, Louvion & Ménard 2008. Cave inédite. FAM3 Famars Rhonelle, cave S 95 ? Roger 2002, p. 20-24 Rue haute Demolon, Poulain & Lehmann 1978 Caves à deux ou trois absides RUE2 Rues-des-Vignes RUE3 Rues-des-Vignes Vallée de Vinchy Harnay 1984 ROU Rouvroy Le Village Hosdez & Chaidron 2008 CHA Charleville-Mézières Le Theux Millereux-Le-Bechennec 2001 RUE4 Rues-des-Vignes Les Quatre Bornes, cave 384 Fouille inédite de l’Université de Lille, X. Deru, 2000-2007 ETI Saint-Étienne-Roilaye Mont-Berny Cauchemé 1902, cave n° 1 VIL Ville-sur-Lumes Sarteaux, Cave V Rollet, Deru 2005, p. 44 Iwuy Perwaix Dehaisnes & Bontemps 1888 Caves à abside unique Variante indéterminée IWU Tab. 1. Inventaire des caves à absides de Gaule septentrionale. Sont figurés en italique les plans très lacunaires dont l’attribution typologique est hypothétique. SIGNA • 8 • 2019 Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ? 23 pré-industrielles14 ? Une diffusion par le boucheà-oreille, ou la copie de modèles personnellement observés par le propriétaire ou par les constructeurs ? Cette idée semble compatible avec l’imbrications des différents répertoires morphologiques avec absides, mais également sans15. En l’absence de chronologies précises, le modèle diffusionniste reste toutefois une vue de l’esprit et doit être probablement complexifié : les architectures de caves simples peuvent être aussi bien antérieures ou contemporaines aux architectures les plus complexes. L’étude d’une pratique architecturale localisée, anecdotique à l’échelle de l’Empire, montre bien le potentiel de l’échelle micro-régionale dans l’analyse des processus socio-économiques de la construction domestique. Il ne s’agit toutefois ici que d’une pièce d’un puzzle, destiné à être complété sur le long terme par la confrontation d’autres formes architecturales, caves, hypocaustes ou fondations. Brulet R., 1990. Braives gallo-romain. 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