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Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens
et des Atrébates ? Les caves à niches semi-circulaires au niveau du sol
Rémi Auvertin
Le propos de cet article est issu d’une réflexion, menée
au cours de ma thèse de doctorat1, sur le contexte
de construction des habitations romaines dans les
agglomérations de Gaule septentrionale, entre le Ier
et IIIe s. apr. J.-C.
L’analyse systématique des techniques et des
manières d’habiter pose un constat d’hétérogénéité :
une même conception globale de ce qui doit
constituer un habitat s’oppose à une extrême
diversité des techniques et des matériaux observés
d’un site à l’autre, y compris dans des agglomérations
voisines. Une plus forte homogénéité des pratiques
architecturales peut apparaître au sein d’un même
quartier : les propriétaires s’équipent d’une cave ou
d’une pièce chauffée à peu près au même moment,
disposent leur pièce au même endroit que leurs
voisins ; une partie des techniques sont partagées
par les maisons contemporaines. La spécificité du
corpus, les agglomérations secondaires et les chefslieux, impliquait néanmoins un biais important dans
l’interprétation de cette dialectique entre homogénéité
et hétérogénéité, celui de la discontinuité spatiale,
mais également chronologique.
La rupture interprétative ne se limite pas à la seule
analyse technique de la construction domestique,
mais s’étend à son interprétation sociale et
économique. Face à l’état de conservation minime
des structures domestiques fouillées entre Seine
et Rhin, les questions du processus de formation
des répertoires architecturaux et des acteurs de la
construction semblent irrésolubles. L’ethnographie et
la comparaison historique, notamment avec la période
moderne, suggèrent plusieurs possibilités : l’autoconstruction, la participation de la communauté,
l’emploi d’artisans pour tout ou partie du chantier2.
Bien que les corporations de charpentiers ou les
artisans de la pierre soient bien documentés en
Gaule3, la réalité de l’activité de construction
domestique nous échappe complètement.
De ce fait, l’analyse des pratiques architecturales
devrait être réalisée à l’échelle locale, en confrontant
les données urbaines, semi-urbaines et rurales de
manière à multiplier les données comparables et
à cartographier minutieusement les pratiques, en
termes de plans, de modules métriques, de choix et
de mise en œuvre des matériaux, de manière à en
expliciter les mécanismes sociaux et économiques.
Le travail à réaliser est dantesque, mais le propos
de cet article est beaucoup plus modeste : il s’agit
de proposer la caractérisation d’une pratique
architecturale restreinte à la Gaule septentrionale,
la cave à abside. De telles caves sont connues
depuis le début du XXe s., notamment à Bavay, et
ont été remises au devant de la scène par l’actualité
archéologique4.
En partant d’une catégorie architecturale rare mais
facilement identifiable, et localisée à une échelle
micro-régionale, nous souhaitons questionner
l’homogénéité du bâti et la notion de tradition
architecturale : des caves caractérisées par le même
élément inhabituel dans la construction domestique,
l’abside, manifestent-elles des similitudes en termes
de dimensions, de techniques ou de matériaux ?
En termes de micro-histoire et de micro-sociologie
de la construction domestique, l’usage de la niche
est-elle l’indice de l’activité d’artisans spécialisés,
d’une diffusion de savoir-faire ou d’un phénomène
d’imitation5 ?
Typologie et distribution
Le modèle architectural ici caractérisé se distingue
par la présence de grandes niches semi-circulaires,
voûtées en cul-de-four ou couvertes d’un linteau
et ouvrant depuis le niveau du sol (fig. 1). Le
4 Notamment CLERGET, CLOTUCHE, TEYSSEIRE & TIXADOR 2012.
5 Je souhaite remercier X. Deru de m’avoir signalé la spécificité
de ce modèle architectural et de m’avoir donné accès aux
données inédites de sa fouille des « Quatre Bornes » aux
Rues-des-Vignes. Je remercie également Christine Louvion
et le Service archéologique départemental du Nord pour
m’avoir fourni la documentation inédite des fouilles du
« Contournement de Cambrai » et les photographies d’une
cave de Bavay.
1 AUVERTIN 2018.
2 ZIMMERMANN 1998.
3 Par exemple BOULANGER & MOULIS 2018, p. 163-166.
SIGNA
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RÉMI AUVERTIN
Fig. 1. Cave à absides multiples. Paroi occidentale de la cave 3 du site 4 du « Contournement sud de Cambrai » (CAM1)
(© Service archéologique départemental du Nord).
dépouillement des caves romaines de la moitié nord
de la France et de Belgique a permis d’en identifier
vingt-cinq exemplaires répartis sur quinze sites,
conduisant ainsi à vérifier leur relative rareté ; le
modèle est complètement absent dans l’est de la
France et en Allemagne. Les caves retenues sont
globalement mal documentées, qu’elles soient peu
publiées, observées lors de fouilles anciennes (BAV1
à 4, IWU) ou inédites (CAM1 à 3 et RUE4). À
quelques exceptions près (ATH, PHI, FAM3, ROU),
l’habitat associé n’est pas conservé.
Parmi les caves à absides, le nombre et la disposition
des niches permettent de distinguer trois variantes
plus ou moins marquées (fig. 2 et 3) :
• Les caves à absides multiples (type 1). Les longues
parois de la cave sont aménagées de deux à trois
absides. Le mur ouvrant sur l’escalier n’est pas
équipé, tandis que le mur lui faisant face possède
une à trois absides.
• Les caves à deux ou trois absides (type 2). Deux
à trois parois sont aménagées d’une abside.
SIGNA
•
Certaines caves présentent deux niches inscrites
dans une seule paroi (ROU, FAM3).
• Les caves dotées d’une abside unique (type 3).
L’abside est aménagée dans le mur ouvrant sur
l’escalier ou dans le mur qui lui fait face.
Les caves des deux premières variantes affichent
une forte tendance à la symétrie : la distribution
est généralement régie par deux axes de symétrie
longitudinal et latéral ; les absides sont centrées
ou régulièrement distribuées le long de la paroi.
Néanmoins, la symétrie reste un principe directeur,
rompu parfois dans le type 1 (GRA ; deuxième niveau
de PHI, une cave par ailleurs dotée d’une extension),
souvent dans le type 2 (décentrement des niches dans
ARR2 ; symétrie seulement partielle dans RUE2).
Ces variantes morphologiques ne sont pas
imperméables, mais représentent plutôt des tendances
architecturales. Ainsi certaines caves se situent-elles
en limite des deux premières variantes : c’est le cas
d’une cave des environs de Cambrai, CAM2, plus
proche morphologiquement du type 2, mais que le
8
•
2019
Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ?
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2
3
Fig. 2. Typologie des caves à absides : type 1. Redessiné d’après MACHUT & TUFFREAU-LIBRE 1991, p. 160, fig. 2 (GRA) ; JACQUES
1981, p. 31, fig. 6 (BOU) ; BIÉVELET 1976, pl. XCII (BAV3) ; DELMAIRE 1996, p. 374, fig. 142 ; BIÉVELET 1976, pl. XC (BAV4) ; GUILLEMAIN
1967 (ATH) ; BIÉVELET 1976, pl. LXXXIX (BAV2) ; HURTRELLE & JACQUES 1984, p. 269 (ARR1) ; BIÉVELET 1976, pl. XCI (BAV1). (CAM1
et 2 © Service archéologique départemental du Nord).
Fig. 3. Typologie des caves à absides : types 2 et 3. Redessiné d’après HARNAY 1984, p. 27, fig. 12 (RUE3) ; HURTRELLE & JACQUES
1984, p. 272 (ARR2) ; DEMOLON, POULAIN & LEHMANN 1978, p. 5, fig. 1 (RUE2) ; ROGER 2002 (FAM3) ; MILLEREUX-LE-BECHENNEC 2001,
p. 21 (CHA) ; ROLLET, DERU 2005, p. 45, fig. 25 (VIL) ; CAUCHEMÉ 1902 (ETI). (RUE4 : © X. Deru. CAM3 : © Service archéologique
départemental du Nord).
nombre de niche conduit à classer dans le type 1. Qui
plus est, les trois types ainsi délimités ne prennent pas
en compte la diversité des aménagements secondaires
de la paroi. Certaines caves disposent ainsi de
soupiraux (ARR2, ATH, PHI, RUE3, CAM3) ou
de petites niches de forme plus habituelle, inscrites à
mi-hauteur de la paroi et généralement placées dans
le mur ouvrant sur l’escalier (RUE2, RUE3, CAM3).
L’organisation des parois en deux niveaux est une
pratique récurrente dans les types 1 (ARR1, BAV1?,
BAV2, FAM2, GRA, PHI) et 2 (CAM3, RUE2 et 3),
bien que sa fréquence soit difficile à estimer au regard
de l’arasement des structures : dans ces caves, le
premier niveau rassemble les niches absidiales tandis
que le second niveau est aménagé de plus petites
niches à fond plat, disposées dans le prolongement
des absides ; un éventuel soupirail peut être restreint
au deuxième niveau (CAM3, ATH, GRA), ou ouvrir
la totalité du mur (PHI).
Un regard sur la distribution géographique de ces
caves (fig. 4) rend compte de la place centrale tenue
SIGNA
•
par les chefs-lieux de Bavay et d’Arras. Le chef-lieu
des Nerviens, les agglomérations secondaires des
Rues-des-Vignes et de Famars et les environs de
l’agglomération romaine de Cambrai concentrent la
majorité des caves recensées, bien que ces dernières
apparaissent également dans quelques établissements
ruraux des cités des Nerviens, des Atrébates, des
Viromanduens et des Tongres. Si les deux premières
variantes affichent une distribution assez similaire, la
troisième apparaît comme une pratique périphérique,
tant d’un point de vue spatial que quantitatif : elle ne
détermine pas un territoire cohérent et caractérise des
sites éloignés de la concentration principale ou des
installations de faible qualité6 (RUE4).
Enfin
peut-on
signaler
quelques
cas
spécifiques. L’agglomération romaine de Beaumont6 Quelques rares caves à abside unique peuvent être repérées
hors de notre aire d’étude, en Angleterre (PERRING 1989, p. 285)
ou à Vertault (BÉNARD 2016, p. 190), sans sembler relever d’une
tradition architecturale cohérente.
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RÉMI AUVERTIN
1. Absides multiples
2. Deux à quatres absides
3. Abside unique
Variante indéterminée
Autres types sans absides
Chefs-lieux
Fig. 4. Distribution des caves à absides. En gris sont figurés les sites livrant des caves sans abside. Carte réalisée avec le
SIG ABG.
sur-Oise conserve une cave à absides multiples ; le site
se trouve nettement en marge de l’aire de répartition
des caves à absides, mais ne semble pas se rattacher à
une autre tradition architecturale, par exemple propre
à la Lyonnaise7. L’agglomération de Cuignières livre
quant à elle deux caves à absides voûtées8, appuyées
sur des banquettes de calcaire hautes de 0,50 m. Bien
qu’assimilables au type 1, les caves de ces deux sites,
indiquées sur la carte de distribution par un losange,
n’ont pas été retenues dans l’inventaire.
par la littérature scientifique et que des relevés pierre
à pierre aient été fréquemment réalisés. Les caves sont
systématiquement maçonnées, employant un blocage
de grès et/ou de calcaire et un parement ; seule une
petite cave des Rues-des-Vignes possède une abside
et des parois non renforcées9 (RUE4).
Du point de vue de la technique, des matériaux
comme du décor, les caves à absides affichent une
forte hétérogénéité. Il est possible tout du moins de
séparer deux grandes tendances, qui ne recoupent
pas le classement morphologique. La première,
exemplarisée par les caves de Bavay, présente des
parements polychromes associant moellons de
calcaire ou de grès et arases de tuiles. Ces dernières
soulignent la base de voûtes en cul-de-four ou
démarquent deux niveaux d’élévation (BAV1,
FAM2) ; la tuile est aussi utilisée pour combler les
interstices (ARR1, GRA). Un troisième matériau
Techniques de construction
Si les caves évoquées sont assez souvent récupérées
(ARR2, HEN, BOU) ou arasées (BAV1, 3, 4 ; CAM1
à 3), la qualité globale des parois conservées explique
que ces structures soient relativement bien décrites
9 La pratique, mal documentée en Gaule septentrionale,
trouve un point de comparaison dans la cave 4 du secteur N
de Braives (BRULET 1990, p. 24).
7 VERMEERSCH 2007.
8 JACQUINEZ 1972, p. 43 et 50 (caves 2 et 11).
SIGNA
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Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ?
(grès ou tuf ) peut être éventuellement associé dans
des jeux chromatiques (PHI, FAM1). Le parement,
régulier, peut faire varier les modules : gros grès en
première assise (FAM1), diminution progressive
des dimensions des moellons en partie haute (GRA,
FAM2), etc. Les moellons sont liés à la terre ou au
mortier. Dans ce deuxième cas, le mortier blanc
peut être tiré au fer (FAM1, HEN) et peint en rouge
(FAM1). Les absides, voûtées en cul-de-four, sont
soulignées dans la paroi par des arcs en plein cintre
formés de claveaux de calcaires, alternant parfois
avec de la terre cuite ; l’extrados peut être souligné
par des tuiles posées sur chant (GRA, FAM1 et 2,
ARR1, BAV1 à 3). Les jambages font souvent l’objet
d’un traitement spécifique (moellons taillés pour
prolonger l’arc dans BAV1 et 2, rupture chromatique
dans PHI). Le décor varie fortement : plusieurs caves
séparent deux niveaux d’élévation par une corniche
moulurée (GRA, HEN, BAV2) ; les décors muraux
réalisés par alternance de matériaux (PHI, ATH) et
les demi-colonnes et pilastres sont plus rares (BAV2
et 3). Les enduits muraux sont rarement attestés mais
existent (FAM1, HEN).
Cette première tendance illustre parfaitement
l’ambivalence de la construction domestique : elle
reflète une idée commune du décor et des éléments
constitutifs de la cave ; la réalisation affiche au
contraire une nette diversité.
La deuxième tendance recouvre des parements
généralement tout aussi soignés, mais qui n’emploient
pas la terre cuite. Les absides, au lieu d’être voûtées
en cul-de-four, sont couvertes d’un linteau de grès
(CAM3, RUE2 et 3) servant de base à de petites
niches inscrites dans un deuxième registre. Les
deux niveaux peuvent être ici aussi séparés par une
corniche moulurée (ARR2 ou CAM1). Chaque cave
présente néanmoins ses particularités : RUE2 affiche
un petit décor de croix en terre cuite ; RUE3 emploie
des piliers monolithiques pour délimiter les jambages
des absides et renforcer les points structurels les
plus fragiles.
D’autres caves échappent à ces tendances. Une cave
des Rues-des-Vignes, déjà mentionnée, ne possède
qu’un seul mur maçonné équipé d’un soupirail
(RUE4). À Saint-Étienne-Roilaye, la cave répond à
d’autres traditions architecturales bien documentées
dans la forêt de Compiègne, interrompant le
parement par des piliers en grand appareil (ETI).
Enfin, le sol des caves à absides est formé de limon ou
d’argile, seuls (CAM3) ou complétés de craie damée
(GRA, HEN, RUE2 et 4) ; il s’agit généralement du
simple fond du creusement. Seules deux caves (BAV4
et FAM1) disposent d’une chape de mortier fondée.
SIGNA
•
19
Face à la diversité constatée, il paraît difficile
d’identifier des caves réalisées par les mêmes mains.
Seules les caves fouillées au sud de Cambrai (CAM1
à 3) ainsi que certaines caves des Rues-des-Vignes
(RUE2 et 3) réunissent des similitudes typologiques
(absides centrées) et techniques (parement d’un
seul matériau, absides couvertes d’un linteau plutôt
que d’un cul-de-four) à une proximité spatiale. Ce
petit groupe de structures pourrait témoigner soit de
l’activité d’une même équipe d’artisans, soit d’une
tradition architecturale suffisamment forte pour
induire un phénomène d’imitation important.
Dimensions
Les dimensions des caves à absides sont reportées dans
le diagramme fig. 5, par type. De manière à jauger
la spécificité de ces données dans la construction
septentrionale, ces mesures sont confrontées dans
ce même diagramme à celles d’autres caves issues de
contextes urbains et ruraux. Les données comparatives
urbaines sont reprises de ma thèse, qui offre un jeu
de 115 caves de pierre dont les dimensions sont
publiées, appartenant aux agglomérations entre
Seine et Rhin10. Elles peuvent être complétées par les
données récemment collectées par G. Fonck au cours
d’un mémoire de master11, ajoutant une trentaine de
caves provenant d’établissements ruraux de Gaule
Belgique à l’ensemble de comparaison.
On constate immédiatement l’absence d’un module
commun aux caves à absides, mais également la
distribution tout à fait normale de ces mesures en
comparaison de celles observées plus généralement
dans la construction septentrionale ; aucune des caves
à absides ne s’inscrit dans les extrêmes supérieurs
ou inférieurs. Les superficies se dispersent entre 5,2
et 23 m² (méd. 11,735 m² et moy. 11,69 m²). Le
rapport longueur/largeur oscille entre 1 et 1,65,
manifestant toutefois une préférence pour les formats
carrés (moy. 1,24 ; méd. 1,18). On peut noter que
le groupe de caves homogènes proches de Cambrai,
précédemment signalé, manifeste également des
superficies très variables allant de 5 à 15 m².
Les dimensions des niches, quant à elles, sont
partiellement normées (fig. 6 et 7). En marge d’un
module récurrent (l. 0,60-0,80 m ; P. 0,35-0,40 m)
très largement suivi, quelques rares caves présentent
des niches disproportionnées : à Athies, une abside
10 AUVERTIN 2018, vol. 1, p. 103-142 et annexes.
11 FONCK 2017.
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RÉMI AUVERTIN
5
6
7
Fig. 5. Diagramme des longueurs/largeurs des caves à absides, confrontées aux dimensions d’un échantillon de
référence (AUVERTIN 2018 et FONCK 2017).
Fig. 6. Diagramme des diamètres des absides.
Fig. 7. Diagramme des profondeurs des absides.
de près de 2 m de large participe à un jeu de symétrie
avec le soupirail et accentue la monumentalisation de
la pièce, tandis que la niche de la cave de Ville-surLumes fonctionne comme un véritable prolongement
de l’espace souterrain, occupant la moitié de la paroi
ouvrant sur l’escalier. Quelques exceptions mises de
côté (ATH, BAV3), les absides d’une même cave
présentent des dimensions similaires. Les hauteurs de
niches, rarement conservées, oscillent entre 0,85 m
et 1,15 m.
Cette observation sur les absides contraste avec
le panorama jusqu’ici établi : le seul invariant des
caves considérées, la niche absidiale, est également
l’élément le plus standardisé.
SIGNA
•
Fonctions
Au regard des contextes lacunaires de découverte, la
fonction comme le mode d’intégration à l’habitat
nous échappe majoritairement. Le constat sur les
fonctions rejoint celui fait pour la majorité des caves
du nord de la Gaule : la rareté des indices matériels,
la destruction, la récupération restreignent toute
détermination fonctionnelle. Les caves étudiées ne
sont pas pour autant dénuées d’aménagements,
notamment liés à la gestion de l’eau. Deux caves
de Bavay sont équipées d’un puisard central cuvelé
en calcaire (BAV3 et 4), de même qu’une cave de
Ville-sur-Lumes où le creusement est connecté à
une canalisation (VIL). Un drain traverse également
8
•
2019
Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ?
latéralement une petite cave des Rues-des-Vignes
(RUE4).
La découverte, relativement rare dans notre corpus,
de logements de céramiques suggère que les niches
absidiales puissent être dédiées au stockage. Deux
caves, à Cambrai et aux Rues-des-Vignes, en
fournissent le témoignage direct : des creusements
sont aménagés au centre exact de l’ouverture des
absides (fig. 3 ; quatre absides sur quatre à RUE1,
trois absides sur quatre à CAM3)12. Les mêmes
aménagements peuvent être observés dans la cave
de Beaumont-sur-Oise, périphérique au corpus13,
ou dans les caves de Cuignières, dont les banquettes
sont pourvues d’un trou par niche. Cette attribution
fonctionnelle ne doit probablement pas être
systématique : les creusements au sol sont absents
de la majorité des caves à absides publiées, tandis
que la cave de Bourlon paraît présenter un nombre
important de logements qui ne sont jamais en lien
avec les niches (BOU). Néanmoins, une fonction
première de stockage pourrait expliquer la stabilité
des dimensions des absides, éventuellement réfléchies
pour accueillir les plus grandes formes d’amphore :
une niche de 0,60-0,80 m à l’ouverture permettrait
de loger au maximum une Dressel 20.
Conclusion : un modèle rayonnant ?
L’examen des caves à abside, initialement motivé
par la recherche d’une forme d’homogénéité dans
l’architecture domestique, conduit à nouveau à
constater l’extrême hétérogénéité de la construction
septentrionale.
Cet état des lieux permet néanmoins quelques
propositions interprétatives. Il rend compte de
plusieurs traditions architecturales imbriquées, se
différenciant par la morphologie générale de la cave
ou par le traitement des parois. Bien que la cave à
absides soit une pratique régionale dans laquelle
Bavay semble jouer un rôle spécifique, l’architecture
ne peut pas pour autant être perçue comme un
critère ethnique et qualifiée de « nervienne » ou
d’« atrébate ». La distribution spatiale rend ainsi
nettement compte de la perméabilité des limites de
cité ; tout au plus pourrait-on suggérer le caractère
central de l’Escaut dans la formation d’une tradition
architecturale micro-régionale, partagée par les Ruesdes-Vignes et les environs de Cambrai.
L’hétérogénéité des pratiques illustre de fait la part
évidente du local dans la construction domestique.
L’accessibilité des matériaux et la variabilité des
qualités des pierres (calcaires tendres, « pierre bleue »
ou grès) en donne une explication partielle, mais
insuffisante : la variabilité de traitement de parois
employant des matériaux équivalents (à Bavay par
exemple) ou de la grammaire décorative suggère
de maximiser le rôle de l’individu dans les choix
techniques et esthétiques.
Cette même diversité témoigne probablement
de l’absence d’artisans spécialisés dans la seule
construction de pièces enterrées : la diversité des plans
et des techniques invalide l’idée d’un même patron
répété par des équipes itinérantes. Si artisans du bâti
il y a, il s’agit plus vraisemblablement d’ouvriers
polyvalents employés dans la construction courante.
La
diffusion
rayonnante
des
répertoires
architecturaux et des savoir-faire serait-elle ainsi plus
le fait des propriétaires que d’artisans itinérants ?
Les exemplaires les plus aboutis, à niches multiples
et en opus mixtum, sont observés à Bavay et Arras,
les chefs-lieux, à Famars, une grande agglomération,
ainsi que dans des villae de prestige. Les exemplaires
les plus frustres ou à abside unique, au contraire,
se dispersent autour de ce premier noyau. Faut-il y
voir un phénomène d’émulation, caractéristique des
pratiques de consommation observées dans les sociétés
Datation
Alors que la datation des caves relève de manière
générale d’un exercice difficile, les conditions de
découverte des structures du corpus suppriment
toute possibilité de dater les caves à absides, si ce n’est
par quelques datations d’abandon (notamment PHI
et CHA au IVe s. ou BOU à la fin du IIe ou au IIIe s.).
L’absence de datation est une contrainte considérable
à l’interprétation historique et sociale du phénomène
architectural : la pratique constructive, même si
elle est étonnamment restreinte dans l’espace et
représentée par un faible nombre de constructions,
n’a pas la même signification si elle se produit durant
une génération ou si elle s’étale sur deux siècles.
12 De manière plus anecdotique, la fonction de stockage est
également attestée à Hénin-Beaumont par un dépôt de tuiles,
installé dans un angle de la cave HEN, à proximité d’une abside
(GEOFFROY & THOQUENNE 1996, p. 143 et fig. 5). Dans le registre
fonctionnel, on peut également signaler le remploi funéraire
de la cave BAV3 (DELMAIRE 2011, p. 300).
13 VERMEERSCH 2007, p. 117, fig. 12.
SIGNA
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8
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2019
22
RÉMI AUVERTIN
Commune
Lieu-dit
Bibliographie
Athies
Bois Saint-Jean
Guillemain 1967
Hôtel du Conseil général
Hurtrelle & Jacques 1984,
p. 268-269
Caves à absides multiples
ATH
ARR1
Arras
BAV1
Bavay
Rue Pierre Mathieu
Biévelet 1976, p. 214
BAV2
Bavay
Rue des Soupirs
Biévelet 1976, p. 207
BAV3
Bavay
Sablière Lenglet
Biévelet 1976, p. 300-302
BAV4
Bavay
Sablière Mathieu
Biévelet 1976, p. 300
BOU
Bourlon
La Maladrerie
Jacques 1981
CAM1
Cambrai
Contournement sud de
Cambrai, site 3, cave 3
Loridant, Herbin, Louvion
& Ménard 2008. Cave
inédite.
CAM2
Cambrai
Contournement sud de
Cambrai, site 3, cave 4
Loridant, Herbin, Louvion
& Ménard 2008. Cave
inédite.
FAM1
Famars
AB161-162
Vanbrugghe 1989
FAM2
Famars
Technopôle, bâtiment 100
Clerget, Clotuche,
Teysseire & Tixador 2012 ;
Clotuche 2013, p. 118-120
GRA
Graincourt-lès-Havrincourt
L’arbre-chaud
Machut & Tuffreau-Libre
1991 ; Lebrun 1974
HEN
Hénin-Beaumont
ZAC du Bord des Eaux
Geoffroy & Thoquenne
1996
PHI
Philippeville/Neuville
Les Machenées
Archéophil 1993, p. 108109 ; Cattelain, Venant,
Cosyns. et al. 2012-2013
RUE1
Rues-des-Vignes
Parcelle 158
Delmaire 1996, p. 374
ARR2
Arras
Clinique du Bon secours
Hurtrelle & Jacques 1984,
p. 271-272
CAM3
Cambrai
Contournement sud de
Cambrai, site 4
Loridant, Herbin, Louvion
& Ménard 2008. Cave
inédite.
FAM3
Famars
Rhonelle, cave S 95 ?
Roger 2002, p. 20-24
Rue haute
Demolon, Poulain &
Lehmann 1978
Caves à deux ou trois absides
RUE2
Rues-des-Vignes
RUE3
Rues-des-Vignes
Vallée de Vinchy
Harnay 1984
ROU
Rouvroy
Le Village
Hosdez & Chaidron 2008
CHA
Charleville-Mézières
Le Theux
Millereux-Le-Bechennec
2001
RUE4
Rues-des-Vignes
Les Quatre Bornes, cave 384
Fouille inédite de l’Université
de Lille, X. Deru, 2000-2007
ETI
Saint-Étienne-Roilaye
Mont-Berny
Cauchemé 1902, cave n° 1
VIL
Ville-sur-Lumes
Sarteaux, Cave V
Rollet, Deru 2005, p. 44
Iwuy
Perwaix
Dehaisnes & Bontemps
1888
Caves à abside unique
Variante indéterminée
IWU
Tab. 1. Inventaire des caves à absides de Gaule septentrionale. Sont figurés en italique les plans très lacunaires dont
l’attribution typologique est hypothétique.
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Une tradition architecturale locale centrée sur les cités des Nerviens et des Atrébates ?
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pré-industrielles14 ? Une diffusion par le boucheà-oreille, ou la copie de modèles personnellement
observés par le propriétaire ou par les constructeurs ?
Cette idée semble compatible avec l’imbrications des
différents répertoires morphologiques avec absides,
mais également sans15. En l’absence de chronologies
précises, le modèle diffusionniste reste toutefois une
vue de l’esprit et doit être probablement complexifié :
les architectures de caves simples peuvent être aussi
bien antérieures ou contemporaines aux architectures
les plus complexes.
L’étude d’une pratique architecturale localisée,
anecdotique à l’échelle de l’Empire, montre bien le
potentiel de l’échelle micro-régionale dans l’analyse
des processus socio-économiques de la construction
domestique. Il ne s’agit toutefois ici que d’une pièce
d’un puzzle, destiné à être complété sur le long terme
par la confrontation d’autres formes architecturales,
caves, hypocaustes ou fondations.
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14 Voir notamment DOUGLAS & ISHERWOOD [2008] ou WALLACEHADRILL 1994, p. 143-147.
15 Ainsi la cave des « Hallots » à Ruitz dispose-t-elle d’un
deuxième niveau à petites niches et corniche, assez similaire à
ce que l’on rencontre dans les caves à absides (DELEPIERRE 2006).
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