Vita Latina
Saint Augustin et l'astrologie : à propos des Confessions IV, 3,4
Béatrice Bakhouche
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Bakhouche Béatrice. Saint Augustin et l'astrologie : à propos des Confessions IV, 3,4. In: Vita Latina, N°154, 1999. pp. 54-62;
doi : https://doi.org/10.3406/vita.1999.1050
https://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_1999_num_154_1_1050
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Saint Augustin et l'astrologie :
à propos des Confessions IV, 3, 4
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LES CONNAISSANCES D'AUGUSTIN EN ASTROLOGIE
II faut d'abord inverser les rapports chronologiques entre astrologie et astronomie
institués par A. Solignac. Il est bien évident en effet que, si l'astronome n'a que faire de
54
prédictions astrales - encore que bien des astronomes, de l'Antiquité aux Temps
Modernes, aient lié les deux activités -, l'astrologue, lui, a besoin d'un minimum de
connaissances en astronomie pour pouvoir tirer des horoscopes. Celles-ci, il est vrai,
sont réduites à un niveau élémentaire, si on compare les textes latins d'astronomie aux
traités des astronomes grecs. Mais faut-il les comparer ? Ceux-ci sont des textes
ceux-là des outils de vulgarisation.
Comment apprenait-on en effet l'astronomie à Rome ? Au niveau élémentaire,
de la science des astres était véhiculé par l'étude du poème du Grec Aratus,
Les Phénomènes, qui se limitait à une description de la sphère céleste (par le biais d'une
représentation figurée du ciel) avec ses principaux cercles (tropiques, équateur, écliptique...); à l'évocation des constellations - rien sur les planètes - et de leurs levers
concomitants avec les différents signes du Zodiaque (les paranatellonta); enfin, à des
de nature astro-météorologique. A un niveau supérieur, l'astronomie, comme
les autres sciences de ce que Boèce appellera le Quadrivium, sert de propédeutique à la
lecture des textes philosophiques et, si on s'intéresse ici à l'explication des éclipses ou
du mouvement complexe des planètes, on en rend compte de façon très générale, sans
jamais entrer dans les détails des calculs. C'est ce qu'on trouve chez des auteurs qui se
révèlent être à peu près contemporains d'Augustin, comme Calcidius, auteur d'un
au « Timée » de Platon et qui a vécu, comme Augustin, à Milan, à la fin du IVe
siècle, et comme les Africains Macrobe, auteur d'un Commentaire au « Songe de
Scipion », et Martianus Capella qui a écrit, au début du Ve siècle, une œuvre étrange avec
l'évocation, précisément, de tout le cursus scolaire - les Noces de Philologie et
Mercure(6). Ils offrent tous un pâle reflet de l'état de la science. . . au temps d'Hipparque.
Augustin devait avoir le même bagage scientifique. On peut s'en convaincre par un
du livre V des Confessions, où il rapporte aux « philosophes », de façon insistante,
les découvertes des secrets de la nature comme l'explication et la prévision des éclipses :
. . . multa inuenerunt et praenuntiauerunt ante multos annos, defectus luminarium
solis et lunae, quo die, qua hora, quanta ex parte futuri essent, et non eosfefellit numerus, et itafactum est, ut praenuntiauerunt. Et scripserunt régulas indagatas, et leguntur
hodie atque ex eis praenuntiatur, quo anno et quo mense anni et quo die mensis et qua
hora diei et quota parte luminis sui defectura sit luna uel sol : et itafiet, ut praenuntiatur,
«... ils ont fait bien des découvertes, et annoncé bien des années à l'avance les
éclipses des luminaires que sont le Soleil et la Lune, ainsi que le jour, l'heure, le degré
de ces éclipses à venir. Le calcul ne les a pas trompés : cela s'est produit comme ils
l'avaient annoncé. Ils ont transcrit les lois qu'ils avaient scrutées; on les lit aujourd'hui,
et c'est d'après elles qu'on annonce à l'avance l'année, le mois de l'année, le jour du
mois, l'heure du jour, le degré d'éclipsé de lumière de la Lune ou du Soleil. Et cela se
produira comme annoncé. » (V, 3,4).
En astronomie en tout cas, il en savait assez pour se rendre compte des insuffisances
du manichéisme en matière de cosmologie (7).
Quant à l'astrologie, il est fort peu probable qu'Augustin n'en ait eu qu'une vague
teinture. Trois passages des Confessions le prouvent : d'abord l'aveu fait à Vindicianus
de ses multiples lectures (IV, 3,5). Les qualités intellectuelles d'Augustin conduisent à
55
penser que, n'en déplaise à A. Mandouze, le futur évêque d'Hippone possédait plus
qu'une « certaine initiation à l'astrologie ». D maîtrisait, vraisemblablement, ce mode
de divination au point d'être capable d'en faire profession : son ami Vindicianus,
arguant de son propre exemple, n'évoque-t-il pas cette possibilité :
« At tu » inquit « quo te in hominibus sustentas, rhetoricam tenes, hanc autem fallaciam libero studio, non necessitate rei familiaris sectaris. Quo magis mihi te oportet de
illa credere, qui eam tamperfecte discere elaboraui, quam ex sola uiuere uolui, »
« "Mais toi", me disait-il, "pour gagner ta vie dans la société, tu as ta profession de
rhéteur, et, si tu poursuis ce faux savoir, c'est librement et par goût, non par besoin
de ressources. Raison de plus pour t'en remettre à moi sur ces questions que j'ai
laborieusement étudiées à fond au point d'en vouloir vivre exlusivement." » (IV, 3,5) ?
Bien plus, au livre VII, un ami, Firminus, vient effectivement lui demander une
consultation astrologique.
S'il ne fait pas état de ses connaissances en matière astrale - qu'il s'agisse
ou d'astrologie -, c'est que, dans l'ensemble, il aborde ce thème dans un contexte
polémique. Dans le De diversis quaestionibus cependant, écrit entre 386 et 396, c'est-àdire - au plus tôt - après sa désaffection de l'astrologie, il évoque les divisions et
du cercle zodiacal qui sont d'une grande importance pour les prédictions :
In constellationibus autem notari partes, quales trecentas sexaginta dicunt habere
signiferum circulum : motum autem coeli per imam horamfieri in quindecim partibus,
ut tanta mora quindecim partes oriantur, quantam tenet una hora. Quae partes singulae sexaginta minutas habere dicuntur. Minutas autem minutarum iam in
de quibus futura praedicere se dicunt, non inueniunt.
« Dans les constellations, on repère des divisions, telles les trois cent soixante que,
disent-ils [scil. les astrologues], compte le Zodiaque; mais le mouvement horaire du ciel en
parcourt quinze, c'est-à-dire qu'il progresse de quinze degrés dans le temps mesuré par
une heure : à chacun de ces degrés on attribue soixante minutes, mais les secondes, ils ne
les apprécient pas dans les constellations dont ils prétendent tirer leurs prédictions. » (8).
LES RAISONS D'UN ATTACHEMENT DURABLE
Les indications chronologiques qui jalonnent les Confessions permettent de constater
qu'Augustin s'est intéressé très tôt à l'astrologie, dès sa première jeunesse, et que son
intérêt a excédé l'époque de son attachement au manichéisme :
Per idem tempus annorum nouem, ab undeuicesimo anno aetatis meae usque ad
duodetricensimum. . .
« Durant cette même période de neuf années là (9), de ma dix-neuvième à ma vingthuitième année. .. » (IV, 1,1).
Il justifie ce goût à la fois par le prestige des auteurs de traités d'astrologie et par
l'apparente rationalité de leurs méthodes :
56
...me amplius ipsorum auctorum mouebat auctoritas et nullum certum quale quaerebam documentum adhuc inueneram, quo mihi sine ambiguitate appareret, quae ab
eis consultis uera dicerentur, forte uel sorte, non arte inspectorum siderum dici.
« J'étais bien plus impressionné par l'autorité des auteurs mêmes de ces traités, et
puis je n'avais pas encore trouvé la forme de preuve irréfutable que je cherchais, qui me
ferait voir sans ambiguïté que, lorsque au cours des consultations ils disaient un fait
avéré, c'était au sort et non à l'art d'observer les astres qu'ils le devaient » (IV, 3,6).
En dépit des mises en garde et de la volonté de dissuasion manifestées par ses amis
Vindicianus et Nébridius (IV, 3,5), il continuera encore quelques années à étudier et,
sans doute aussi, à pratiquer cette pseudo-science : son éloignement définitif est signalé
au livre VII comme déjà réalisé :
Iam etiam mathematicorumfallaces diuinationes et inpia deliramenta reieceram
« J'avais déjà aussi rejeté les fallacieuses divinations et les délires impies des
» (VII, 6,8).
Les reconstructions de P. Courcelle (10) permettent de dater le début du livre VII de
l'année 386. Si Augustin s'est alors totalement détaché de l'astrologie, cet éloignement
est sans doute assez récent pour que tout le chapitre 7 soit consacré à l'évocation de
l'événement déclenchant.
L'attrait pour les prédictions astrales se sera donc exercé pendant une douzaine
d'années! Cela peut paraître long à notre époque où, après des siècles de condamnation
de l'astrologie par l'Eglise, nous jugerions incroyable qu'un prêtre eût pu d'abord être
astrologue. Il n'en allait pas de même au ive siècle, dans un monde saturé par
: que ce soit la culture, la religion ou le politique, la croyance dans la prédestination
astrale irrigue tous les domaines de la vie publique. Même le christianisme n'échappe
pas à la contagion. C'est ainsi que les Priscillianistes substituaient les douze patriarches
aux constellations zodiacales, et voyaient dans les astres des êtres doués d'intelligence,
qui auraient participé à la faute d'Adam et à la rédemption. Il faut attendre le tout début
du ve siècle pour que le concile de Tolède condamne cette hérésie - sans effet
puisque, plus de 150 ans plus tard, le concile de Braga jettera une nouvelle fois le
même anathème sur ceux qui mêlent croyance chrétienne et croyance astrale (11).
A la différence des vaines superstitions du peuple qui court les faiseurs
Augustin, paradoxalement, justifie son attrait pour ce genre de divination en
soulignant, comme on l'a vu plus haut, son aspect logique et rationnel.
LA PLACE DE L'ASTROLOGIE DANS LA QUETE PHILOSOPHIQUE
ET RELIGIEUSE D'AUGUSTIN
II n'est pas sans intérêt de relever dans quels contextes apparaissent les passages
consacrés à l'astrologie : au livre IV, Augustin dresse ironiquement le bilan des neuf
années où il a été auditeur dans le manichéisme. Au livre suivant, le même thème est
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abordé à l'occasion de la rencontre avec le Manichéen Faustus de Milève : les élucubrations des Manichéens concernant la création du monde ne résistent pas aux
- précisément - d'Augustin en astronomie :
Libri quippe eorumpleni sunt longissimis fabulis de caelo et sideribus et sole et luna
« C'est que sur le ciel, les astres, le Soleil et la Lune, leurs livres sont pleins de
fables interminables » (V, 7,12).
Pour l'heure, ce sont ses connaissances scientifiques qui permettent à Augustin de
critiquer un système cosmique qu'il juge avec perplexité :
Sed tamen nondum liquido conpereram utrum etiam secundum eius uerba uicissitudines longiorum et breuiorum dierum atque noctium et ipsius noctis et diei et deliquia
luminum et si quid eius modi in aliis libris legeram, posset exponi, ut, si forte posset
incertum quidem mihi fieret utrum ita se res haberet an ita, sed adfidem meam illius
auctoritatem propter creditam sanctitatem praeponerem.
« Malgré tout, je n'avais pas encore tiré au clair si la doctrine même de Mani
d'exposer une théorie sur l'alternance de jours et de nuits plus longs ou plus
courts, et l'alternance même du jour et de la nuit, ainsi que les éclipses des astres et les
phénomènes de ce genre que j'avais étudiés dans d'autres ouvrages; si bien que, à
que cela fût possible, tout en manquant de certitude - la réalité correspondait-elle
à la théorie ou pas ? -, j'aurais mis en avant, pour établir ma croyance, l'autorité de
Mani à cause de la sainteté qu'on lui prêtait » (V, 5,9),
avant de les rejeter comme irrecevables.
Mais le pire est l'implication de ces théories astrales erronées dans la doctrine du salut :
Obest autem si hoc ad ipsam doctrinae pietatis formant pertinere arbitretur et pertinacius affirmare audeat quod ignorât.
« Mais ce serait dommageable de croire que ces questions touchent à l'essence
même de la doctrine religieuse et d'oser affirmer avec quelque entêtement ce qu'il [scil.
Mani] ignore » (V, 5,9).
C'est en effet que les Manichéens croyaient que « la vie de chaque homme était
par la conjonction des planètes et des étoiles au moment de sa naissance et que,
comme les démons présidaient aux mouvements des planètes, les seules ressources
contre eux étaient l'astrologie et la religion » (12) : si les deux sont ainsi liées, saper les
fondements erronés de la première, c'est détruire la seconde.
L'évocation de l'astrologie est souvent liée, dans les Confessions, au problème du
libre arbitre et à celui du mal, questions auxquelles les Manichéens apportent également
des réponses, réponses proches du déterminisme astral et qui, aux yeux d'Augustin, ne
sont guère satisfaisantes.
Au livre VII, l'astrologie réapparaît dans le cadre de la polémique antimanichéenne :
influencé par les sermons d'Ambroise, Augustin réfléchit en effet - sans succès - à la
façon dont il opposera à ses frères d'hier, aux Manichéens, la question de la liberté de
58
l'homme qui est au centre de sa quête et à laquelle ils apportent une réponse
:
Et intendebam ut cernerem quod audiebam, liberum uoluntatis arbitrium causant
esse ut maie face remus, et rectum iudicium tuum ut pateremur, et eam liquidam cernere
non ualebam
« Et je fixais mon attention pour bien cerner l'objet des paroles que j'entendais :
c'est le libre arbitre de la volonté qui est la cause du mal agi, et ton juste châtimet [scil.
celui de Dieu] celle du mal subi. Et cette cause, je n'étais pas capable de la saisir
» (VII, 3,5).
Il rencontre les mêmes difficultés, exprimées avec insistance, avec le problème du
mal:
... non tenebam explicitam et enodatam causam mali
« Mais je n'avais pas d'explication ni de solution concernant l'origine du mal » (VII,
3,4), et plus loin :
Et quaerebam unde malum, et maie quaerebam et in ipsa inquisitione mea non uidebam malum
« Et je cherchais d'où vient le mal, et je cherchais mal, et je ne voyais pas le mal
dans mon enquête même » (VII, 5,7),
et encore, après s'être définitivement détaché de l'astrologie :
... quaerebam aestuans unde sit malum
«... je menais mon enquête fiévreuse sur l'origine du mal » (VII, 7,1 1).
A ces deux questions cardinales, les réponses manichéennes ne satisfaisaient pas
Augustin. Or l'astrologie était partie prenante dans le système dualiste de Mani. Mais,
même après s'être détaché de celui-ci, Augustin reste fidèle à celle-là, dans l'état de
vacuité où il se trouve, dans l'attente de réponses plus satisfaisantes, car aux problèmes
de la liberté et du mal, l'astrologie avait la solution : la négation. Liberté et origine du
mal : voilà bien deux questions en effet qu'elle évacuait. Quand le destin est scellé
d'avance, où est la liberté de l'homme ? Quand le destin est scellé d'avance, que
l'homme agisse bien ou mal, il n'engage pas sa responsabilité puisque ses actions sont
pré-déterminées par les configurations astrales. A cette aune, l'homme perd à la fois et
sa liberté et sa responsabilité, situation refusée par Augustin.
Dans ces années de quête, Augustin, un temps séduit par leur système de pensée, lie
manichéisme et astrologie dans les réponses - proches sinon conjointes - que les deux
apportaient à son questionnement éthique. Tenté quelque temps par les croyances
de nature gnostique - puisque le salut dépendait de la révélation d'une
connaissance -, et par les idées astrologiques de nature quelque peu hermétique puisque réservées à un petit nombre de savants initiés (13) -, Augustin est finalement
contraint de reconnaître qu'il s'est fourvoyé.
59
LA CRITIQUE DE L'ASTROLOGIE
Les attaques contre la divination astrale se révéleront, dans les écrits d'Augustin,
d'une acrimonie proportionnelle à la force de son ancien attachement.
L'élément décisif qui l'a définitivement éloigné de cette pseudo-science est le récit
que lui fait un de ses amis Firminus en VII, 6,8 : sa mère et une servante conçoivent et
accouchent de deux garçons exactement au même moment. Le père, amateur
établit les horoscopes, ou plutôt leur horoscope commun, alors que leurs conditions
sociales bien différentes vouaient d'emblée les deux bébés à des destins différents. Ces
déterminismes autres qu'astraux donnent à réfléchir au futur évêque d'Hippone :
... inîendi considerationem in eos qui gemini nascuntur
« Je concentrai donc ma réflexion sur les naissances de jumeaux » (VII, 6,10).
Or l'argument des jumeaux était presque un lieu commun de la littérature
Si Ambroise l'exploite dans un des sermons de Y Hexameron (IV, 14), Cicéron
déjà en parlait dans le De diuinatione (II, 43,90), et Augustin y reviendra dans le De
diuersis quaestionibus (LXXXIII, 45) :
Conceptus autem geminorum quoniam uno concubitu ejficitur, attestantibus medicis,
quorum disciplina multo est certior atque manifestior, tam paruo puncto temporis
contingit ut in duas minutas minutarum non tendatur. Vnde ergo in geminis tanta diuersitas actionum, et euentuum, et uoluntatum, quos necesse est eamdem constellationem
conceptionalem habere, et amborum unam constellationem dari mathematico, tamquam unius hominis ?
« Or la conception des jumeaux, s' effectuant par un seul acte, de l'avis des médecins
(dont la science est bien plus sûre et plus claire), a lieu dans un temps si court qu'il
n'atteint pas deux secondes. D'où vient alors chez les jumeaux tant de diversité dans les
actions et les événements et les vouloirs, eux qui ont bien dû avoir la même
de conception, et à eux deux une seul constellation à offrir à l'astrologue, comme
pour un seul homme ? » (14).
Une quinzaine d'années plus tard, dans la Cité de Dieu, la critique est toujours
et le ton encore plus incisif. Mais l'argumentation diffère : l' évêque d'Hippone met
dos à dos la génethlialogie, c'est-à-dire la technique horoscopique, et l'astrologie
ou catarchique : si toute la vie du natif se lit dans la configuration astrale au
moment de sa naissance, à quoi bon consulter le ciel pour choisir le moment opportun
pour entreprendre quelque action que ce soit. Ce moment lui aussi était prévu :
An potest homo, quod ei iam constitutum est, diei electione mutare, et quod ipse in
eligendo die constituent, nonpoterit ab alia potestate mutari ?
« L'homme peut-il donc, par le choix de tel jour, changer la destinée qui lui est
tandis que celle qu'il s'assigne à lui-même par ce choix ne peut être modifiée par
aucune autre puissance ? » (V, 7) (15).
60
La passion avec laquelle Augustin combat maintenant l'astrologie lui en fait voir
partout :
Deinde si soli homines, non autem omnia quae sub caelo sunt, constellationibus
subiacent, cur aliter eligunt dies accommodatos ponendis uitibus uel arboribus uel
segetibus, alios dies pecoribus uel domandis uel admittendis maribus, quibus equarum
uel boumfetentur armenta, et cetera huius modi ?
« D'ailleurs s'il n'y a que les hommes à être assujettis aux astres, et non pas tout ce
qui existe sous le ciel, pourquoi choisit-on certains jours comme appropriés à la
des vignes, des arbres et aux ensemencements; certains jours pour le dressage des
animaux, pour les saillies grâce auxquelles se développent les troupeaux de juments et
de bœufs, etc. ? » (ibid.).
Certes ces rapports entre le ciel et la terre peuvent être lus dans une perspective
déterministe, mais, concernant les productions agricoles, on peut les interpréter
selon une approche calendaire ou saisonnière. Longtemps en effet, et même bien
après l'adoption du calendrier julien, les paysans utilisaient des calendriers agricoles ou
parapegmes, sur lesquels les différents moments de l'année - que celle-ci soit divisée
en quatre ou huit saisons - étaient liés, le plus souvent, à des levers ou couchers stellaires : les références astrales étaient donc simplement des indications de nature
et des repères calendaires.
Enfin, une douzaine d'années plus tard, dans le De doctrina Christiana, tout en
en garde contre les dangers d'une dérive astrologique, Augustin présente
comme la science du temps : il souligne l'intérêt que l'on a à connaître la
des phénomènes célestes, et surtout lie le cours de la Lune au calcul de la date de
Pâques - à placer après la Pleine Lune qui suit l'équinoxe de printemps :
Sicut autem plurimis notus est lunae cursus, qui etiam ad passionem Domini
anniuersariae celebrandam solemniter adhibetur...
« Beaucoup de gens, certes, connaissent le cours de la Lune qui sert à déterminer, pour
le célébrer solennellement, l'anniversaire de la Passion du Seigneur » (II, 29,46) (16).
De la science des astres, le prédicateur ne retient désormais que l'astronomie qui
l'intéresse, par son apport scientifique, uniquement pour l'établissement du calendrier
liturgique, tant les relents sulfureux de l'astrologie pèsent encore sur sa réflexion et ont,
à ses yeux, perverti la science des astres.
L'analyse de l'évolution de ses croyances astrologiques - de l'adhésion au divorce
en passant par le doute - est emblématique de la façon dont Augustin procède : dans les
Confessions, au livre IV, son attachement à l'égard de l'astrologie est attaqué par ses
amis Vindicianus et Nébridius. Leurs arguments ont-ils fissuré la croyance
d'Augustin ? Toujours est-il que les mêmes amis sont convoqués au livre VII quand
Augustin confesse son éloignement définitif d'avec ses pratiques d'antan.
On a l'impression d'une véritable construction symphonique où le retour du même
thème ne se fait jamais à l'identique, mais sert paradoxalement à souligner les diffé61
rents signes de l'évolution et de la maturation de la pensée augustinienne, et à ponctuer
les étapes de sa marche vers la vérité et vers Dieu.
Cela est également vrai d'une œuvre à l'autre : Augustin approfondit sans cesse sa
réflexion dont les différents textes retenus dans le cadre de la présente étude n'offrent
qu'un mince échantillon. Et il est également important d'être attentif à la chronologie
des écrits pour apprécier la pensée augustinienne dans son devenir et son évolution
constante.
Béatrice BAKHOUCHE
Université Paul- Valéry
MONTPELLIER III
ADNOTATIONES
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
62
Pour les citations des Confessions, j'utilise la traduction de P. Cambronne dans l'édition des
Confessions précédées de Dialogues philosophiques, Œuvres I, sous la direction de L.
Jerphagnon, Gallimard 1998. Dans la phrase citée ici, la traduction rend compte avec
du jeu de mots entre plane etplani.
Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris 1983, p. 250-251.
Saint Augustin, l 'aventure de la raison et de la grâce, Paris 1968, p. 99.
Les Confessions I-VII, éd. Desclée de Brouwer, Bruges 1962, introduction p. 90.
Cf. P. Courcelle, Recherches sur les « Confessions » de Saint Augustin, Paris 1950, c. 1.
Cf. mon ouvrage, Les textes latins d'astronomie, un maillon dans la chaîne du savoir,
Peeters, Louvain 1996, p. 29-43.
Cf. Conf V, 4,6.
De div. quaest. LXXXHI, q. 45, 2, in Mélanges doctrinaux, éd. G. Bardy, J.A. Beckaert, J.
Boutet, Desclée de Brouwer, Bruges 1952 (p. 121).
P. Courcelle {op. cit. p. 78) compte en fait 10 ans.
Op. cit. p. 96-103.
Cf. Bouché-Leclercq, L'astrologie grecque, Paris 1899, p. 623 n.l, 624 n.l et p. 625 ; H. de
La Ville de Mirmont, « L'ASTROLOGIE CHEZ LES GALLO-ROMAINS, VIII. Les
attaques contre l'astrologie dans les œuvres de saint Prosper d'Aquitaine », R.E.A. 9, 1907,
p. 71-82.
J. J. O'Meara, op. cit. p. 80.
Dans sa Mathesis, Firmicus Maternus précise à maintes reprises quels enseignements, dans
son exposé, s'adressent spécifiquement au néophyte, ce qui implique plusieurs degrés de
savoir comme dans les initiations.
Ed. G. Bardy, LA. Beckaert, J. Boutet (cf. supra n. 8).
La Cité de Dieu tome I, éd. P. de Labriolle, Garnier, Paris 1965.
Le Magistère chrétien, éd. G. Combes et J. Farges, Desclée de Brouwer, Bruges 1949 (p.
309).