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Vita Latina Octavius Academicus ? Béatrice Bakhouche Citer ce document / Cite this document : Bakhouche Béatrice. Octavius Academicus ?. In: Vita Latina, N°150, 1998. pp. 38-43; doi : https://doi.org/10.3406/vita.1998.1013 https://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_1998_num_150_1_1013 Fichier pdf généré le 28/03/2018 Octavius Academicus ? à Cicéron différences. Je calque - que (1), àn'a dessein pour pas essayer manqué le titre d'établir de de cette souligner étude entreJ.sur l'Arpinate Beaujeu celui du dans et travail Minucius son édition que C.Félix Lévy - mais les a consacré aussi les Certes, c'est un truisme - un simple coup d'œil à Y Index nominum nous en - de noter, dans Y Octavius, l'absence totale de citations scripturaires et l'abondance, en revanche, des références à la philosophie antique et spécialement à l'œuvre de Platon. Il n'st guère besoin, dès lors, de rappeler que c'est en philosophe plus qu'en chrétien qu'Octavius cherche à convaincre le païen Cécilius de ses erreurs. Les parallèles avec les textes de Cicéron - pour la physique - et Sénèque - pour l'éthique - abondent dans les notes critiques de J. Beaujeu ; pourtant, on peut se demander si Minucius Félix est totalement tributaire de cette tradition latine ou s'il se nourrit à d'autres sources. Trois points retiendront ici notre attention : la structure du dialogue, les thèmes abordés par les deux interlocuteurs et, par là, les sources exploitées ou, à tout le moins, les confluences à défaut de filiation. La structure de l'œuvre L' Octavius est la seule œuvre de la littérature apologétique à se présenter sous forme de dialogue. Or ce genre littéraire est largement représenté dans l'œuvre philosophique de Cicéron qui se plaît à confronter de cette façon des thèses différentes, des points de vue opposés. La mise en scène de la discussion entre amis a également été rapprochée 38 d'un passage d'Aulu-Gelle (2). Certes, les circonstances sont les mêmes : une promenade à Ostie. Mais, entre les deux textes, quelle différence ! À une brièveté proche d'une certaine raideur dans les Nuits Attiques s'oppose la luxuriance d'une description qui ne se contente pas de camper le décor : les caractères des trois amis sont déjà brossés à gros traits, et Minucius Félix ne néglige pas ces pages d'introduction qui, comme dans les dialogues platoniciens, permettent à la fois de justifier et de la conversation à venir. D'autre part, comme chez Platon, les tenants des deux thèses en présence ne sont pas les seuls à intervenir dans la conversation : la discussion est en effet arbitrée par un des personnages - Marcus, l'auteur lui-même -, mise en scène qu'on ne rencontre nulle part dans la tradition latine, nulle part chez Cicéron, mais qu'Aulu-Gelle exploite également dans le texte déjà cité. Si on prend garde que, dans VOctavius comme dans les Nuits Attiques, l'arbitre intervient pour mettre en garde ses interlocuteurs ici contre le risque de « misologie », là contre les séductions des argutiae, on est enclin à en déduire, comme J. Beaujeu, une « filiation littéraire, solidement établie » (3) entre Aulu-Gelle et Minucius Félix. Il faut néanmoins nuancer cette conclusion. Il n'est certes pas interdit de penser que l'auteur de Y Octavius se soit inspiré des Nuits Attiques pour le schéma général, mais les différences sont significatives. La technique du dialogue était particulièrement goûtée des sceptiques, car elle permettait de renvoyer dos à dos les interlocuteurs et justifier la suspension du ; mais, si l'arbitre d'Aulu-Gelle, Favorinus, est sceptique, la position de la Nouvelle Académie, défendue par Cécilius chez Minucius Félix, est combattue par Octavius, de même que par l'arbitre Marcus dont Cécilius déplore d'ailleurs le manque d'objectivité (4). On ne saurait dès lors imaginer que l'apologiste ait emprunté une technique de discussion à ceux-là mêmes qu'il veut convaincre d'erreur. S'il y a emprunt, ce n'est donc pas à la Nouvelle Académie, mais à l'Académie, voire à Platon lui-même. De fait, l'intervention de l'arbitre (14, 4-7) s'inspire au moins autant de Platon que des Nuits Attiques, et plus précisément du passage du Phédon (88-90) où Socrate met en garde ses interlocuteurs contre le leurre d'arguments spécieux, à tel point même que J.-P. Waltzing a pensé que l'apologiste chrétien s'est inspiré directement du texte platonicien : « L'auteur de l' Octavius lisait donc Platon. Les dialogues de Platon lui étaient assez familiers pour qu'ayant besoin d'une transition, d'un intermède, il songeât à le prendre à Platon. Il devient probable dès lors que les autres passages où Platon est cité, ont aussi été directement empruntés au Timée, au Banquet et à la République » (5). Sans aller jusqu'à cette conclusion extrême sur laquelle je reviendrai plus loin, il est vraisemblable en tout cas que Minucius est plus proche du maître de l'Académie que de ses épigones latins. 39 Les idées Ce n'est cependant pas seulement dans sa forme dialogique mais aussi dans son contenu qu'on peut trouver de nouveaux liens entre YOctavius et l'héritage platonicien. Rappelons que l'exposé de Cécilius offre deux volets : dans le premier, il présente ses idées en matières de physique... et de religion ; à quoi vient s'ajouter une attaque virulente contre le christianisme sur un double plan, métaphysique et éthique. Octavius, dans sa réponse, reprend point par point les arguments de son adversaire et son discours se développe lui aussi selon les mêmes axes, le premier d'ordre philosophique (physique) et le second d'ordre religieux. Si la riposte du chrétien aux attaques du païen contre sa religion suit de très près l'argumentation de Cécilius, il n'en est pas de même pour la discussion philosophique au sein de laquelle il introduit des excursus, si bien que cette partie est - paradoxalement - beaucoup plus longue que la seconde (6). Les deux protagonistes se réfèrent l'un et l'autre à Platon, mais pas de façon univoque. Attachons-nous à étudier leurs idées sur le monde. Le païen Cécilius affiche d'emblée un scepticisme radical : ...nullum negotium est patefacere omnia in rébus humanis dubia, incerta, suspensa magisque omnia uerisimilia quam uera. Les homéotéleutes donnent à cette énumération les allures d'une litanie qui martèle plus fortement encore l'incertitude fondamentale, le doute total de l'homme sur le monde ; et le terme de suspensa n'est naturellement pas sans évoquer l'énoxii de la Nouvelle Académie. Or ce scepticisme ne débouche pas, comme on pourrait s'y attendre, sur un désengagement de la cité, sur un certain mépris de la chose publique. Au contraire même, tant Cécilius apparaît, en dépit de son doute fondamental, soucieux de préserver - en l'occurrence en matière religieuse - le mos maiorum, car il a, dit-il, fait ses preuves. Ce conformisme surprenant est, semble-t-il, une rémanence de ce que C. Lévy appelle le mos Academicus (7), moyen de concilier la curiosité intellectuelle et les missions de la nobilitas. L'analyse qui est faite ici de l'époque cicéronienne vaut sans doute encore là, dans les siècles qui ont suivi, en particulier pour la nobilitas provinciale à laquelle appartient l'Africain Cécilius. Octavius, de son côté, récuse longuement et passionnément la physique naturaliste, voire matérialiste, des sceptiques qui, comme Cécilius, ne font aucune place à la Providence. Dans sa réfutation de la philosophie de son interlocuteur, il aborde essentiellement deux thèmes : celui de la Providence et celui des démons. Esquivant le débat sur l'origine du monde, il privilégie le spectacle d'une nature où tout est cohaerentia, conexa, concatenata (8), et en conclut que cette harmonie est le signe d'une organisation divine : Quid enim potest esse tam apertum, tam confessum tamque perspicuum, cum oculos in caelum sustuleris et quae sunt infra circaque lustraueris, quam esse aliquod numen praestantissimae mentis, quo omnis natura inspiretur, moueatur, alatur, gubernetur ? (9) 40 Plus loin, prenant à témoin (presque) tous les philosophes païens, il offre un vaste catalogue de références, d'abord de façon chronologique, puis par ordre d'importance : c'est ainsi que, de 19, 3 à 19, 8, il passe brièvement en revue les idées des sapientes de Thaïes à Épicure, puis, dans la seconde partie, se succèdent Aristote, les stoïciens et Platon. Deux points méritent d'attirer notre attention : d'abord la place qu'occupe Platon, ensuite l'organisation du catalogue. Le maître de l'Académie occupe manifestement le sommet de la pyramide ; c'est la référence absolue, de même que le Timée qui était systématiquement cité, dans l'Antiquité, comme le dialogue de référence en matière de physique : Platoni itaque in Timaeo deus est ipso suo nomine mundi parens, artifex animae, caelestium terrenorumque fabricator... (10) Ainsi centré sur un consensus monothéiste, Octavius peut conclure au paragraphe suivant : Eademfere et ista, quae nostra sunt. On le voit, les différences (cf. fere) sont volontairement gommées, et Platon apparaît presque comme un génial précurseur du christianisme. D'autre part, le catalogue des philosophes ressortit à un genre très particulier : le genre doxographique. Il s'agit de vulgarisation philosophique comme on en a des témoins, dans la littérature grecque, avec, par exemple, les Placita philosophorum de Diogène Laërce : à propos d'un thème particulier, que ce soit la création du monde, ou l'âme ou la Providence ou les démons, l'auteur passe rapidement en revue un groupe de philosophes jugés mineurs et dont les idées sont très brièvement évoquées, puis il aborde le point de vue d' Aristote et des stoïciens (leur ordre peut être inversé), avant de terminer par Platon dont la pensée n'est jamais sujette à la moindre discussion ou contestation. C'est dire qu'une telle technique exégétique relève du domaine scolaire ; c'est vraisemblablement pour des étudiants en philosophie (ou des néophytes) que sont conçus ces panoramas qui assèchent la pensée originelle et originale en une sorte de vulgate transmise de génération en génération. On retrouve d'ailleurs cette même structure chez un auteur tardif comme le médio-platonicien Calcidius (IVe siècle) qui, dans son Commentaire au Timée précisément, multiplie les références doxographiques de ce genre, quand il entreprend de traiter tel ou tel point de la pensée platonicienne. Ainsi le catalogue des philosophes, dans V Octavius, ressortit plus au domaine de l'école - école platonicienne, cela va sans dire, étant donné la place éminente qu'occupe le Maître ! - qu'il ne démarque, comme le pense J. Beaujeu, le De natura deorum. Quant aux démons, voici la définition qu' Octavius attribue à Platon : Vult enim esse substantiam inter mortalem immortalemque, id est inter corpus et spiritum, mediam, terreni ponderis et caelestis leuitatis admixtione concretam (11). Dans le Banquet auquel se réfère explicitement notre orateur, on lit tout simplement : . . .«al yàp nâv xo Saipoviov \iEraiù èon 6eoû Kai OvïitoO (12). Et, dans la tradition platonicienne tardive, cette définition d'intermédiaire, donnée sur le plan ontologique par Platon, a été glosée, comme dans Y Octavius, en termes 41 corporels et spatiaux : l'expression de Minucius Félix est proche de celle d'Apulée dans le De deo Socratis (9, 140 sqq.) alors que, dans le De Platone et eius dogmate, il s'en tient à une stricte présentation des démons entre les hommes et les dieux supérieurs (13). Ces parallèles nous éloignent considérablement de Cicéron et nous invitent à nous demander s'il est pertinent de considérer l'Arpinate comme la source essentielle de Minucius Félix pour les passages étudiés. La tradition platonicienne À la lumière de ce qui précède, la dette de l'auteur de YOctavius à l'égard de Cicéron est sans doute plus mince que ne le suppose J. Beaujeu (14). La preuve la plus éclatante en est le catalogue des philosophes : certes, dans le De natura deorum I (10-15, 25-41), l'épicurien Velléius passe lui aussi en revue tous les philosophes, mais en énumérant tous les penseurs antérieurs à Épicure pour souligner leurs contradictions et leurs erreurs à propos de la divinité. C'est la perspective strictement opposée qu'adopte le platonicien Octavius : au mépris de la chronologie, il distribue ses références de façon à garder le Maître pour la fin, et s'attache, lui, à montrer le consensus général sur l'existence d'un être unique et transcendant. On a vu par ailleurs que, sur les démons, l'exposé du chrétien Octavius est très proche de celui d'Apulée. Ce n'est pas le seul point de contact avec cet auteur : en 18, 5 en effet, l'identification de la Providence avec un roi, est déjà exprimée par Platon, comme le rappelle Apulée dans son Apologie (15). Plus loin, en 18, 8, l'expression de la transcendance absolue de Dieu, qui ne peut être appréhendé ni par les sens ni par l'esprit, n'est pas sans rappeler encore le même auteur : ...neque loco neque tempore neque uice ulla comprehensus eoque paucis cogitabilis, nemini effabilis (16). Quand, en 19, 14, Octavius cite le Timée de Platon en ces termes : Pîatoni itaque in Timaeo deus est ipso suo nomine mundi parens, artifex animae, caelestium terrenorumque fabricator, quem et inuenire difficile prae nimia et incredibili potestate et, cum inueneris, in publicum dicere impossibile praefatur, ce n'est pas tout à fait une traduction de Tim. 28c qu'il propose : artifex animae se réfère en effet à la psychologie et caelestium terrenorumque fabricator à la création des êtres vivants et de l'homme en particulier. C'est plutôt une sorte de résumé très condensé du dialogue, tel qu'on pouvait sans doute le trouver dans les doxographies. Apulée, en tout cas, ne s'exprime pas autrement (17). Enfin, il n'est pas impossible que le démarcage du Phédon, dans l'intermède de l'arbitre Marcus, ne s'inspire du dialogue platonicien par l'intermédiaire d'une traduction latine ; or il semble, si l'on en croit le témoignage de Sidoine Apollinaire, qu'Apulée ait donné une version de ce dialogue (18). 42 Au terme de cette étude, il est donc possible de rattacher les exposés de physique d'Octavius à une tradition nettement platonicienne. Les convergences avec divers passages d'Apulée nous amènent à définir ses sources comme médio-platoniciennes. D'autre part, la façon de synthétiser les pensées à l'extrême paraît révéler l'utilisation de doxographies : cette littérature de vulgarisation philosophique facilite, certes, la recherche de références, mais, en même temps, conduit à un certain appauvrissement de la pensée, à un certain dessèchement qui peut être compensé, comme chez Minucius Félix, par le brillant de l'expression et la mise en œuvre des multiples ressources de la rhétorique. Béatrice BAKHOUCHE Université Paul- Valéry Montpellier III ADNOTATIONES 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. Cicero Academicus, Recherches sur les Académiques et sur la philosophie cicéronienne, École française de Rome, 1992. Nuits Attiques, XVm, 1 . Introduction, p. xxn. Octavius, 15, 1. « Minucius Félix et Platon », in Mélanges Boissier, 1903, p. 455-460 [p. 460], Voir introduction, p. vm-xm ; I), Cécilius 5-8, 3 (7 pages) // Octavius 16, 5-28, 6 (28 pages ; II) Cécilius 8, 4-13, 4 (8 pages) // Octavius 28, 738, 7 (18 pages). O. c, p. 75. Octavius, 17, 2. Octavius, 17, 4. Octavius, 19, 14. Octavius, 16, 12. Banquet, 202e. De Plat. 11, 204-205 ; cf. également Calcidius, In Tim., c. 131. Cf. introduction, p. xxxn-xxxni. Apol. 64, 5 ; cf. Platon, Épître H, 312e. Apol. 64, 7. Cf. De deo Socr. 3, 124 et De Plat. 5, 190. Cf. St. Gersh, Middle platonism and neoplatonism, Notre-Dame, 1986, p. 11-12. 43