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P. SILVIO MORENO, IVE LA CATHEDRALE DE TUNIS « Saint Vincent de Paul et Sainte Olive » UNE LECTURE CHRETIENNE DE SON HISTOIRE ET SA SYMBOLIQUE Tunis – 2018 Imprimatur et Nulla obstat R.P. Gustavo NIETO Supérieur général de l’IVE Edition de l’auteur P. Silvio G. Moreno, IVE 4, Rue d’Alger Tunis 1000 Archevêché de Tunis Premier édition 300 exemplaires Janvier 2018 – Imprimerie FINZI Tunis A Mgr Ilario Antoniazzi, actuel archevêque de Tunis. A nos “vieux palmiers” P. Michel Prignot et P. Fulvio Grazzini qui intercèdent pour nous et notre cathédrale auprès de Dieu dans l’Eglise Mère du ciel. Au P. Dominique Tommy Martin et P. Yvon Jutard témoignage vivant d’une église citoyenne et tunisienne TABLE DES MATIERES PREFACE................................................................................. 9 PRESENTATION..................................................................... 13 PARCOURS DE LA CATHEDRALE DE TUNIS ........................... 15 LEXIQUE ............................................................................... 17 1. LA CATHEDRALE DE TUNIS AUJOURD’HUI ...................... 25 a. Une façade majestueuse................................................25 b. La nef centrale ..............................................................26 c. L’abside (chœur et déambulatoire) ...............................27 2. SAINT VINCENT DE PAUL, PATRON ................................. 29 a. Biographie ....................................................................29 b. Saint Vincent de Paul prisonnier à Tunis .....................32 3. SAINTE OLIVE DE PALERME, CO-PATRONNE .................. 41 4. HISTORIQUE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS ................... 45 Cimetière et chapelle saint Antoine, abbé ........................45 Cathédrale provisoire .......................................................47 Transfert du cimetière ......................................................49 Restauration du siège archiépiscopal de Carthage ...........49 Première pierre de la cathédrale .......................................51 Plan de la nouvelle cathédrale ..........................................53 La construction de la cathédrale .......................................53 Monseigneur Combes et nouvelle adjudication ...............56 L’inauguration de la cathédrale ........................................57 Les vitraux de la cathédrale ..............................................58 L’aménagement de la cathédrale ......................................60 5 Les clochers et les cloches ............................................... 62 La décoration de la cathédrale ......................................... 64 Le jubilé de Mgr Combes ................................................ 66 Le pontificat de Mgr Lemaître ......................................... 66 Les orgues de la cathédrale .............................................. 68 La fresque de la cathédrale .............................................. 69 Mgr Lemaître et sainte Bernadette................................... 71 Le nouveau curé de la cathédrale ..................................... 72 Le pontificat de Mgr Gounot ........................................... 73 Baptistère de la cathédrale ............................................... 75 Première restauration de l’orgue ...................................... 78 Viste du Nonce Apostolique Angelo Roncalli ................. 79 La consécration de la cathédrale ...................................... 80 Le pontificat de Mgr Perrin ............................................. 81 Deuxième restauration de l’orgue .................................... 81 Les nouveaux vitraux de la cathédrale ............................. 82 L’Abbé Soudun, curé de la cathédrale ............................. 87 De la réforme de la cathédrale à nos jours ....................... 87 5. LA CRYPTE DE LA CATHEDRALE ..................................... 95 La mission des capucins de Tunis.................................... 95 6. CENTENAIRE DE LA CATHEDRALE ................................. 99 7. JEAN PAUL II A LA CATHEDRALE ................................. 103 8. LES RELIQUES ET LE RELIQUAIRE DE SAINT LOUIS A LA CATHEDRALE ..................................................................... 107 9. LA STATUE DE NOTRE DAME DE CARTHAGE ............... 113 Le bas-relief de la Sainte Vierge.................................... 113 6 Description du bas-relief de la Vierge ............................114 Datation du bas-relief de la Vierge .................................115 La statue de Notre Dame de Carthage ............................116 10. LES ORGUES DE LA CATHEDRALE ............................... 119 11. LA BASILIQUE CHRETIENNE DE HENCHIR HRIRIA. PLAN ARCHITECTURAL DE LA CATHEDRALE .............................. 123 12. LA CROIX DES CHANOINES DU CHAPITRE DE LA CATHEDRALE DE CARTHAGE ET DE TUNIS ....................... 127 13. LE LANGAGE SYMBOLIQUE DE LA CATHEDRALE ....... 135 Le langage symbolique et les églises .............................136 Le bâtiment porteur de sens............................................136 CONCLUSION ...................................................................... 143 7 PREFACE Ancien adolescent fidèle de la cathédrale avant d’en être jeune vicaire de 1958 à 1967 au temps de Mgr Champenois, je découvre dans le livre de mon homologue et jeune confrère d’aujourd’hui des informations sur beaucoup d’éléments de cette cathédrale dont je ne m’étais jamais douté ! De la crypte je n’avais jamais remarqué la plaque de marbre et tout le mystère que cette inscription nous révèle de l’affaire Plowman (Cf. p.95) ! Je ne connaissais que le local des scouts dont j’étais l’aumônier et la partie centrale où nous avons démarré avec l’abbé Fulvio Grazzini et quelques parents la catéchèse d’enfants handicapés mentaux de familles chrétiennes. Première expérience, lancée très modestement au plus profond de la cathédrale et dont on ne se doutait pas qu’elle donnerait naissance, par l’embrasement de l’Esprit Saint, à une vie associative à travers toute la Tunisie autour des personnes souffrant d’un handicap mental ! Dans la cathédrale elle-même, adolescent, je servais régulièrement la messe du mercredi avant de me rendre au lycée Carnot. La messe en semaine était dite par Mgr Champenois, à l’autel du Sacré-Cœur où j’aime me recueillir, lorsque je suis de passage à Tunis. Je revis toujours avec émotion le jour de mon ordination, il y a plus de 61 ans, au cœur de la cathédrale, à la croisée de la nef, du chœur, et du transept ! Mgr Perrin n’avait que moi à ordonner cette annéelà, mes camarades de Grand Séminaire étant tenus par leurs obligations militaires (j’en étais moi-même dispensé en raison de mes deux frères tués à la guerre). Lorsque je fus nommé vicaire, je retrouvai Yvon (abbé Yves Jutard) déjà ordonné depuis quatre ans, et jusqu’aujourd’hui nous aimons évoquer ce bon temps vécu 9 sous la houlette de Mgr Champenois dont nous apprécions la confiance totale qu’il nous accordait pour les taches qui nous étaient assignées. Avant l’année du Modus Vivendi (1964) et de la nationalisation des terres, le nombre des paroissiens restait encore élevé, l’administration des sacrements et le catéchisme nous prenait beaucoup de temps et la pastorale sur le terrain était spécifique au charisme et à la mission de chacun : Yvon se consacrait au monde populaire et au patronage de la rue du Pirée, moi j’avais les scouts et les personnes handicapées ainsi que la formation des catéchistes ; le curé recevait dans son bureau. Je me souviens d’une fois où des gens furieux (je ne sais plus pour quelle raison) sont venus le trouver ; il leur offrit des fauteuils et les invita à s’assoir, ils se calmèrent immédiatement… Nous étions tellement heureux, Yvon et moi, dans cette cathédrale, que nous n’hésitions pas à faire des farces à Policcino, le sacristain, comme : lui dissimuler les cordes des cloches pour voir la tête qu’il ferait en venant sonner l’angélus... ou descendre en corde de rappel du haut de la tribune pour lui faire croire que nous tombions du ciel ! J’admire le courage et la persévérance du Père Silvio pour avoir réalisé toutes les recherches en vue de rédiger ce livre sur la cathédrale, recherches qui concernent également l’histoire des premiers chrétiens et des différents sites d’époque antique qui s’offrent aujourd’hui aux visiteurs. Je lui sais gré à ce sujet de s’être intéressé à un guide réalisé par mon père à l’usage des touristes, guide portant sur les ruines romaines et plus particulièrement sur les vestiges chrétiens. Des fouilles ont eu lieu depuis, des recherches ont permis de nouvelles découvertes que le Père Silvio fait partager avec enthousiasme à tous les visiteurs désireux de découvrir sur le terrain l’histoire de l’Eglise de Tunisie du temps où celle-ci était l’Afrika. « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Cor, 3,10). Au 10 moment du « modus vivendi » qui, tout en laissant la cathédrale au culte, faisait perdre à l’Eglise de Tunisie la plus grande partie de ses autres lieux de culte, ce moment-là fut une grande épreuve pour les fidèles directement touchés, mais la parole de saint Paul était là pour nous aider à dépasser cette épreuve : c’était vrai, ce ne sont pas les murs des églises qui sont le vrai temple de Dieu, c’est chacun de nous, c’est même la vocation de tout être humain d’être appelé à devenir temple de Dieu ! Quand je vois notre belle cathédrale, quand je lis tout ce que le Père Silvio nous fait connaître de son histoire, de ses trésors actuels et de son harmonie, je me dis : « et dire que chaque être humain, si petit, si étranger, si pauvre, et si méprisé soit-il, chaque être humain est encore plus respectable, plus sacré et surtout plus objet d’AMOUR que la plus belle des cathédrales ». Merci Père Silvio de nous offrir ce superbe document sur la cathédrale Saint Vincent de Paul et Sainte Olive pour être chemin de croissance, maintenant et ici, dans notre vie de Foi, d’Espérance et de Charité ! Abbé Dominique Tommy-Martin Curé d’Ain Draham, Tunisie 11 PRESENTATION La cathédrale de Tunis avec ses 120 ans de vie (1897 2017) n’a rien d’une cathédrale triomphale. Derrière un porche de la fin du XIXème siècle, elle se présente extérieurement comme un monument simple en face de l’ambassade de France sur la nouvelle avenue Bourguiba. Extérieurement simple elle attire cependant toujours l’attention et invite à la visite. Et pour qui daigne y entrer, c’est un émerveillement : grandeur et mélange de styles. Pour qui prend le temps de l’étudier et de la lire, la cathédrale devient un véritable compendium d’histoire, d’art et d’archéologie. En 1975, l’abbé Roger Jamin, vicaire de la cathédrale, après avoir fouillé les archives du diocèse, a décrit avec détail l’historique de la cathédrale dans un document qui, malheureusement, n’a jamais été publié. Mais que de changements a subit la cathédrale jusqu’à nos jours ! Pour cette raison, nous avons essayé de faire une mise à jour du texte de Jamin, mais aussi d’ajouter, pour une vision complète de la cathédrale, les articles qui ont été publiés sur les œuvres d’art qui la composent et dont j’étais l’un des consultants. Pour cela nous remercions ceux qui ont autorisé la reproduction de leurs articles. Ce livret ne poursuis pas un objectif scientifique mais tout simplement de connaissance du lieu. Ceux donc qui voudront en savoir davantage pourront accéder directement aux archives du diocèse. Bref, dans le but d’aider les fidèles chrétiens et les visiteurs, nous avons : - situé la cathédrale au milieu de la ville de Tunis, - donné en abrégé son histoire depuis sa fondation, 13 - décrit les éléments les plus importants de la cathédrale en donnant les renseignements essentiels. Je suis donc heureux de pouvoir vous présenter ces pages sur la cathédrale de Tunis. Chaque jour j’y célèbre la messe et chaque jour des hommes et des femmes passent ses portes et trouvent la paix à l’intérieur de ses murs. Je crois certainement qu’aujourd’hui encore cette cathédrale rappelle à l’Église en Tunisie et aux tunisiens en général, la grande tradition historique et spirituelle dont elle est l’héritière et l’inspire de mettre le meilleur de ce patrimoine dans la construction d’une culture de la rencontre et du dialogue dans la paix et la fraternité. Bonne lecture et bonne visite ! P. Silvio Moreno, IVE Vicaire de la cathédrale de Tunis 14 PARCOURS DE LA CATHEDRALE DE TUNIS 15 16 LEXIQUE Ce petit vocabulaire1 peut être utile pour tous ceux qui d’une part, n’ont pas assez de connaissances symboliques, et d’autre part, ne partagent pas forcement la foi chrétienne. Autel : Table située dans le chœur de l’église catholique sur laquelle est célébrée l’Eucharistie, réel mémorial du repas du Jeudi Saint et du sacrifice de la Croix de Jésus-Christ. L’autel est consacré par l’évêque au cours de la dédicace de l’église. Abside : du latin absis (voûte, arcade), est la partie saillante en demi-cercle d’un bâtiment. Courante dans l’architecture romaine, cette forme se perpétue dans les églises chrétiennes, et termine le chœur généralement orienté vers l’est, soit par un hémicycle, soit par des pans coupés, soit par un mur plat : «... l’évêque, tenant l’évangile à la main, monta sur son trône qui s’élevait au fond du sanctuaire, en face du peuple. Les prêtres, assis à sa droite et à sa gauche, remplirent le demi-cercle de l’abside. Les diacres se rangèrent debout derrière eux ; la foule occupait le reste de l’église»2. Ambon : pupitre surélevé, placé à côté de l’autel d’une église. De l’ambon est proclamée la Parole de Dieu. Il est aussi utilisé pour la prédication. Baptistère : (du latin baptisterium «piscine») est un bâtiment chrétien spécifiquement destiné à pratiquer le baptême par immersion. Comportant une piscine baptismale ou une cuve baptismale. Normalement il est à l’intérieur d’une Les définitions ont été prises sur le site de la Conférence des Evêques de France, sauf cas de situations particulières. 2 Cf. CHATEAUBRIAND, F.-R., Les Martyrs ou le Triomphe de la religion chrétienne, t. 2, 1810, p. 199. 1 17 église ou d’une cathédrale. Ces édifices sont souvent de formes ronde ou polygonale. Basilique (chrétienne) : Quand le christianisme fut accepté en 313, Constantin concéda aux évêques plusieurs basiliques romaines, entre autres celle que le sénateur Lateranus avait fait construire au temps de Néron. Transformée en église, elle devint la première basilique de Saint Jean-de-Latran à Rome. C’est à partir de cette époque que le nom de basilique fut donné à certaines églises (anciennes basiliques romaines transformées ou constructions nouvelles établies sur le modèle romain). En Afrique il y aura un modèle particulier de basilique chrétienne3. Bénitier : Vasque disposée à l’entrée de l’église contenant l’eau bénite. En entrant dans l’église, les fidèles se signent, (font le signe de croix) après avoir trempé le bout des doigts dans l’eau du bénitier. L’eau bénite est un des sacramentaux. Cathédrale : Une cathédrale est, à l’origine, une église où se trouve le siège de l’évêque (la cathèdre en latin) ayant en charge un diocèse. Chapelle : Lieu dédié au culte chrétien. Une chapelle intérieure est une partie d’une église comportant un autel. Le plus souvent les chapelles sont situées sur les bas-côtés, on parle alors de chapelles latérales. Une chapelle peut être annexée à une église ou à un sanctuaire sans avoir nécessairement le titre de paroisse. Ou encore un lieu dans un établissement pour répondre aux besoins d’une communauté particulière (religieuse ou non). Quelle que soit la chapelle, elle doit toujours comporter un autel et l’exercice du culte est subordonné à l’autorité. Chrisme : est un symbole chrétien formé des deux lettres grecques X et P, la première apposée sur la seconde. Il s’agit des deux premières lettres du mot Χριστός (Christ). On 3 Cf. DUVAL, Noël, «Basilique chrétienne africaine», in Encyclopédie Berbère, p. 1371-1377. 18 le lit aussi parfois comme le monogramme du Christ, et on le trouve souvent accompagné des lettres Alpha et Oméga. Ces dernières lettres symbolisent le commencement et la fin de tout, étant la première et la dernière lettre de l’alphabet grec. Chœur : du latin chorus, chœur. Dans une église le chœur est le lieu où se trouve l’autel et où se déroulent les liturgies. Le mot chœur désigne aussi un groupe de chanteurs qui exécutent une œuvre musicale, chants liturgiques, polyphonies, chants profanes, etc. Christ : du grec χριστός / christos. Est la traduction du terme hébreu Messie, signifiant «l’oint du Seigneur», c’est-àdire une personne consacrée par une onction divine. Il désigne l’homme-Dieu Jésus de Nazareth, le Messie attendu et consacré par Dieu son Père. Pour cela les chrétiens l’appellent Jésus-Christ. Chapiteaux : Tête d’une colonne. Elle est habituellement sculptée. Chapitre : groupe des prêtres appelés chanoines, attachés à une cathédrale ou à une collégiale. Cette institution remonte au début du IXème siècle. Depuis Vatican II le rôle du chapitre se limite pour l’essentiel au domaine liturgique. D’autres fonctions peuvent lui être assignées par l’évêque. Crypte : L’étymologie du mot crypte (cacher) indique assez bien sa signification. Les premières cryptes (aussi appelées anciennement crutes, croutes ou grottes) ou grottes sacrées ont été taillées dans le roc ou maçonnées sous le sol, pour cacher aux yeux des profanes les tombeaux des martyrs ; plus tard, au-dessus on éleva des chapelles et de vastes églises ; puis on établit des cryptes sous les édifices destinés au culte pour y renfermer les corps des saints recueillis par la piété des fidèles4. Communion : du latin «uni avec» – désigne le lien spécifique d’union que nous avons avec une autre personne. Cf. DURAND, M. Paul, Rapport sur l’église et la crypte de Saint Martin au Val, à Chartres. Chartres, 1858. 4 19 Pour les chrétiens, il désigne aussi l’union avec Dieu qui se réalise au cours de l’eucharistie, lorsque sont partagés le pain et le vin, corps et sang de Jésus-Christ. La messe est le moment qui privilégie la communion entre tous. Croix grecque : les branches sont de même longueur et se croisent en leur milieu. Dernière Cène: nom donné par les chrétiens au dernier repas que Jésus prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi Saint, avant la pâque, peu de temps avant son arrestation, la veille de sa crucifixion, et trois jours avant sa résurrection. Après avoir mangé la Pâque avec eux, il institua l’Eucharistie et le sacerdoce en disant : «Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Faites ceci en mémoire de moi». Evêché : L’évêché est, dans la tradition chrétienne, une communauté que préside un évêque appelée «Église locale». L’évêché généralement comprend : le «siège épiscopal» d’un évêque : une cathédrale avec un baptistère ; un évêque successeur des apôtres ; les reliques des saints ; une tradition liturgique ; un peuple de fidèles et un territoire canonique (diocèse)5. Evêque : du latin episcopus, lui-même adapté du grec Eπίσκοπος / episkopos qui veut dire «surveillant», c’est-à-dire modérateur, tuteur, responsable d’une organisation ou d’une communauté. Le mot est plusieurs fois utilisé dans les lettres de saint Paul. Donc un évêque est celui qui a autorité apostolique (successeur des Apôtres de Jésus) sur une Église chrétienne locale. Les évêques assument à ce titre la succession des apôtres qui les ont établis à la tête d’une communauté chrétienne d’un territoire défini6. Église paroissiale : Pour les chrétiens une paroisse avec une église paroissiale est «une communauté précise de 5 Cf. JACQUEMET, G. Abbé, Tu es Petrus, encyclopédie populaire sur la Papauté. Paris, Bloud & Gay, 1934, p. 210-211. 6 Cf. CONCILE VATICAN II, Constitution Dogmatique «Lumen Gentium», n. 20-21. 20 fidèles qui est constituée d’une manière stable dans une Église particulière ou locale (diocèse), et dont la charge pastorale confiée au curé, comme à son pasteur propre, sous l’autorité de l’évêque diocésain» (canon du droit canonique n. 515). Fonts baptismaux : Cette expression désigne à la fois la cuve baptismale destinée à recevoir l’eau baptismale et le lieu où elle est placée. Dans la plupart des églises les fonts baptismaux sont placés dans une chapelle appelée baptistère. Liturgie : du grec λειτουργία/ leitourgía : «le service du peuple», est l’ensemble des rites, cérémonies et prières dédiés au culte public et officiel de l’Eglise, tels qu’ils sont définis selon les règles éventuellement codifiées dans les textes sacrés ou la tradition de l’Eglise7. Nef : Partie de l’église comprise entre le portail et le chœur. Au centre de l’église, elle est dite principale ; c’est le plus grand espace de l’ensemble ; c’est là que sont les fidèles. Narthex : Vestibule à l’entrée de l’église, avant la nef. Il servait entre autre à l’accueil des catéchumènes. Nonce apostolique : Agent diplomatique du Saint Siège, accrédité comme ambassadeur du pape auprès des États. Messe : appelée aussi Eucharistie, célébration du sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ présent sous les espèces du pain et du vin. L’Évêque et les prêtres sont les célébrants de l’Eucharistie. Le mot messe, déformation galloromaine de «missa», est au départ le participe passé du verbe latin «mittere» qui signifie «envoyer». A la fin des assemblées de prière eucharistique, le prêtre ou un diacre reprend cette expression «ite missa est» «Allez, c’est l’envoi» pouvant alors sous-entendre : Allez vivre votre mission de chrétien dans le monde. Prelature nullius : Mot latin employé dans le langage ecclésiastique. Concerne certains prélats n’ayant pas de juridiction épiscopale ordinaire. 7 Cf. BENOÎT XVI, L’esprit de la liturgie. Ad Solem, 2001. 21 Prêtre: du grec πρεσβύτερος/ presbiteros, qui signifie «ancien», est un homme chrétien qui reçoit au moment de son ordination, par l’imposition des mains de l’évêque, la mission de «rendre présent» le Christ parmi les gens, en particulier par des sacrements comme l’eucharistie (la messe), le sacrement de réconciliation ou du pardon (la confession), le sacrement des malades, en instruisant avec le catéchisme, en accueillant ou en guidant toutes les personnes qui s’adressent à lui. Primat d’Afrique : La primatie, du latin prima sedes episcoporum, est la dignité d’un «primat», évêque qui possède une suprématie sur tous les évêques et archevêques d’une région. Le terme désigne aussi l’étendue du ressort de la juridiction ecclésiastique du primat, et le siège de cette juridiction. L’Église cathédrale du primat reçoit le titre de «primatiale». Le plus ancien primat fut celui de Carthage, saint Cyprien, qui présidait aux églises du Nord de l’Afrique. On le trouve mentionné dans les synodes tenus dans cette ville en 390 et en 397. La juridiction de l’évêque de Carthage comme primat d’Afrique couvrait approximativement le diocèse d’Afrique qui comprenait les provinces de Maurétanie Césarienne, Numidie, Carthage, Byzacène et Tripolitaine. Procession : Cortège religieux plus ou moins solennel qui s’effectue en allant d’un lieu sacré à un autre et destinée à rappeler les bienfaits de Dieu et lui en rendre grâces, ou pour implorer son secours. Elle s’effectue en chantant et en priant. Reliques : Le mot «reliques» vient du latin reliquiae, qui signifie littéralement «ce qui reste» et qui était employé en particulier pour désigner les cendres ou le corps d’un mort. En français moderne, il est employé pour désigner le corps des saints, une partie de celui-ci, des objets qu’ils ont utilisés, auxquels l’Église rend un culte de simple vénération8. Vitrail : Composition translucide faite de pièces de verre, en général colorées, enchâssées dans des cadres de 8 Cf. MORENO, Silvio, «Le Reliquaire de la Cathédrale de Tunis», Tunis 2014, in www.blogcathedraletunis.com 22 plomb ; aujourd’hui cette technique coexiste avec d’autres plus récentes. Le vitrail peut être figuratif : représenter des scènes de vie et raconter une histoire ou abstrait : constitué de formes géométriques. Au Moyen Age, le vitrail avait un rôle important dans l’enseignement religieux des populations chrétiennes illettrées. En raison de son rapport particulier à la lumière il est riche de significations plus profondes, allégoriques, symboliques et morales. Transept : Nef transversale coupant la nef principale donnant ainsi la forme d’une croix latine. Plan le plus fréquent des églises occidentales. Tabernacle : Appelé aussi ‘Tente de la rencontre’ (Exode 33,7 – 29 ; 42). Durant le séjour des hébreux au désert, la tente était le sanctuaire transportable, lieu privilégié de la présence de Dieu parmi son peuple. Dans l’Eglise catholique le tabernacle est la petite armoire destinée, depuis le XVIème siècle, à conserver les hosties consacrées. Une petite lumière signale la présence de la réserve eucharistique. Sacristie : Lieu où l’on se prépare aux cérémonies, où l’on garde les divers objets utiles au culte : vases liturgiques (calice, ciboire, patène, ostensoir), ornements liturgiques, vêtements et linges liturgiques. 23 Cardinal Charles Martial LAVIGERIE (1825 - 1892), Archevêque de Carthage, Primat d’Afrique et fondateur de la cathédrale de Tunis 24 1. LA CATHEDRALE DE TUNIS AUJOURD’HUI Avant de rentrer dans l’histoire et la symbolique de notre cathédrale je voudrais donner, en suivant Mohamed Khaled Hizem9, une description actuelle du bâtiment et de son architecture. a. Une façade majestueuse La composition architecturale de la façade s’organise en trois registres verticaux, dont celui du milieu est encadré d’une monumentale arcade, couronnée d’une croix pattée. La partie inférieure du registre médian présente un porche à trois arcs reposant sur quatre groupes de deux colonnes, qui sont pourvues de chapiteaux très simples. Ceux-ci rappellent, quoique de manière plus austère, les chapiteaux de l’art byzantin. Les arcatures de la façade sont surmontées d’une splendide mosaïque, à fond doré, illustrant le Christ Pantocrator (signifiant «Christ en gloire»). Au-dessus de la mosaïque, le tympan du grand arc est garni d’une ample rosace, qui renferme une croix latine. L’arc est couronné d’une remarquable sculpture représentant Dieu Père éternel. Cette œuvre fut réalisée par le sculpteur italien Salvatore Figlia. Flanquant la moulure externe de cet arc, deux statues, l’une couronnée, l’autre aux yeux bandés, figurent respectivement les allégories de l’Église et de la Synagogue. Ce thème est ancien, et remonte au Moyen-Âge. Les registres latéraux se prolongent, verticalement, par deux clochers jumeaux coiffés en forme de tiare pontificale ; celles-ci s’achèvent par deux Je suivrais librement l’article sur la cathédrale de Tunis de Mohamed Khaled HIZEM, journaliste, avec qui j’ai travaillé intensément pour la rédaction de ce bel article et qui a été publié sur la Presse Magazine N° 1516, le 20 novembre 2016, p. 14-18. 9 25 grandes croix de Lorraine (c’était la croix de Nancy d’où le cardinal Lavigerie était évêque). b. La nef centrale La cathédrale de Tunis, épousant la forme d’une croix latine, mesure 75 mètres de long sur 32 mètres de large. Elle se compose de trois parties principales. La première, en rectangle allongé, est divisée en une nef centrale bordée de deux nefs latérales. La deuxième est représentée par le transept, qui est une nef transversale coupant l’édifice, lui conférant cet aspect en croix. Quant à la troisième, se prolongeant en abside (partie en demi-cercle), elle comprend le chœur et le déambulatoire. Son élévation consiste en trois niveaux : la crypte (Cf. p. 95), les grandes arcades avec des chaises et des bancs destinés aux fidèles et l’étage des tribunes avec les vitraux. Les ornements muraux consistent, essentiellement, dans des niches polychromes, dotées de frontons triangulaires, comportant des bas-reliefs qui représentent les 14 stations du chemin de croix de Jésus-Christ. Séparant la nef du chœur, le transept, qui accueille les chapelles du Sacré-Cœur et du Saint-Sacrement, est, admirablement, orné de deux ensembles de vitraux (Cf. p. 82). La chapelle du Saint-Sacrement est dotée d’une niche abritant la statue de Notre-Dame de Trapani, dévotion sicilienne, ainsi qu’un vitrail représentant saint Roche, patron de la ville de Tunis. Depuis la transformation de l’église en 1964 cette chapelle possède le tabernacle original de la cathédrale qui contient le Saint-Sacrement (les hosties consacrées, c’est-àdire le corps - le sang, l’âme et la divinité - du Christ). La croisée du transept est coiffée d’une coupole sur pendentifs restaurée en 1997. 26 c. L’abside (chœur et déambulatoire) Succédant au transept, l’abside (chœur et déambulatoire) est non seulement l’endroit le plus important de la cathédrale, mais également le plus richement orné. Ceci s’explique par le fait qu’il comporte l’autel majeur ou maître autel, où est célébrée l’Eucharistie (la messe). Disposé sur une estrade, l’autel majeur, daté de la fin du XIXème siècle, est réalisé en marbre clair, incrusté de marbres polychromes et agrémenté de six mosaïques imitant les panneaux de céramique tunisoise, garnis de vases et de rinceaux fleuris. L’autel est pourvu d’une table monumentale ayant près de quatre mètres de longueur. La décoration du chœur est très belle. Ce dernier est rythmé de neuf arcades, dont les colonnes sont pourvues des plus beaux chapiteaux de l’édifice. Les intrados des arcs sont sculptés de symboles eucharistiques (Cf. p. 136), inspirés d’ornements trouvés sur des lampes votives funéraires qui furent découvertes par le P. Louis Delattre, père blanc, dans les ruines des basiliques paléochrétiennes à Carthage. La partie en hémicycle s’agrémente d’un remarquable décor de fresques (Cf. p. 69). Au fond du chœur et depuis 1964 trône la belle statue en marbre blanc de Notre-Dame de Carthage (Cf. p. 113). Celle-ci, au-dessus de laquelle se trouve le grand crucifix installé en 2013, fut réalisée par Salvatore Figlia, le même artiste ayant sculpté le Père éternel de la façade. Autour du chœur, le déambulatoire se distingue par l’existence, sur ses murs, d’un bas-relief et de sept mosaïques récentes représentant de gauche à droite : la croix byzantine de Sbeïtla, les trois saints papes africains d’origine berbère, saint Victor Ier de Libye (189-198), saint Miltiade (311-314) et saint Gélase Ier (492-496), les deux saints papes Jean-Paul II et Jean XXIII qui ont visité la cathédrale, le premier en 1996 et le deuxième en tant que nonce apostolique à Paris en 1957, ainsi 27 que le baptême de saint Augustin et le bas-relief d’une croix byzantine avec le monogramme du Christ. Il est important de signaler aussi qu’outre la présence de diverses statues, parmi lesquelles figurent celles dédiées à saint Cyprien, évêque et martyr de Carthage, saint Vincent de Paul et sainte Olive, sainte Bernadette, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Joseph, le saint Curé d’Ars, saint Antoine de Padoue et Notre Dame de Lourdes, l’ameublement de la cathédrale comprend, entre autres, deux confessionnaux en bois, ainsi qu’un baptistère daté de 1941 et situé, actuellement, dans la chapelle du Sacré-Cœur (Cf. p.75). 28 2. SAINT VINCENT DE PAUL, PATRON DE LA CATHEDRALE DE TUNIS a. Biographie10 Sa naissance Saint Vincent de Paul naît dans une famille de paysans des Landes. C’est le 24 avril 1581 qu’il voit le jour, dans le village de Pouy, près de Dax. L’enfant est intelligent et il est orienté vers la prêtrise. A cette époque, être clerc c’est avoir une situation qui le met, lui et ses proches, à l’abri du besoin. A quinze ans, il part donc pour Toulouse étudier la théologie. Il est ordonné prêtre à dix-neuf ans, à Châteaul’Évêque, le 23 septembre 1600. Prêtre âgé d’à peine vingt ans, il part sans succès à la recherche d’un bénéfice ecclésiastique, notamment à Bordeaux, puis à Rome. Au cours d’un voyage, il est enlevé par des pirates turcs et réduit en esclavage à Tunis pendant deux ans. Libéré, il monte à Paris en 1608 et devient ami avec le secrétaire de l’ancienne reine, Marguerite de Valois. Celle-ci le nomme aumônier, chargé de distribuer ses libéralités. Il visite alors les pauvres malades de l’hôpital de la Charité et parcourt les salles où s’entassent les malheureux. Vincent est alors choqué par le scandale de la pauvreté. Rencontre avec les grands spirituels français Vers 1610, il rencontre Pierre de Bérulle qui fondera, l’année suivante, la congrégation de l’Oratoire de France. Vincent le prend comme conseiller spirituel. Il y rencontre François de Sales. Vincent traverse à cette période une profonde crise intérieure de doutes contre la foi. Bérulle l’invite à prendre une cure de campagne proche de Paris, à 10 Cf. ORSINI, Histoire de Saint Vincent de Paul, Paris, 1842 29 Clichy. Le jeune prêtre restaure l’église en mauvais état et se met avec enthousiasme au service spirituel de ses fidèles, visite les malades, prêche avec ardeur et cherche à rendre la foi à ses six cents paroissiens ruraux. L’année suivante, Bérulle lui procure la charge de précepteur chez PhilippeEmmanuel de Gondi, Général des galères, l’une des plus riches familles de France. La conversion 1617 est l’année où tout va basculer dans sa vie. Un jour de janvier, alors que Vincent accompagne madame de Gondi au château de Folleville, en Picardie, arrive la nouvelle qu’un paysan moribond désire le voir. Vincent accourt immédiatement au chevet du malade et lui fait faire une confession générale qui libère cet homme des fautes les plus graves de sa vie qu’il n’avait jamais avouées. Pour Vincent, c’est une révélation : il découvre la misère spirituelle des gens de la campagne qui représentent l’immense majorité de la population. À Folleville, près d’Amiens, Vincent prêche sur la confession générale et y invite les fidèles. L’affluence est telle qu’il faut appeler d’autres prêtres à la rescousse. En juillet, il se retrouve dans les Dombes, à Châtillon, comme curé. Là, c’est la misère corporelle des pauvres et le peu d’organisation des secours qu’il découvre. Pour y remédier, il crée la première Confrérie de la Charité, avec des dames de diverses conditions sociales. En 1619, Vincent est chargé de l’aumônerie générale des galères : les missions se feront aussi dans les bagnes ! Mais il n’a que des coopérateurs occasionnels et un homme seul ne peut suffire à la tâche. Le projet d’une association plus stable germe peu à peu. En 1625, grâce à la fortune des Gondi, il crée une société de prêtres missionnaires dont il sera le supérieur. Le but est simple : « Suivre le Christ évangélisateur des pauvres ». La Congrégation de la Mission sera approuvée par l’archevêque de Paris en 1626 et par Rome en 1633. Comme ils sont installés depuis 1632 dans l’ancienne léproserie de Saint30 Lazare, on appellera ces premiers missionnaires les lazaristes. La simplicité, l’humilité, la douceur, la mortification et le zèle sont, pour Vincent de Paul, les vertus principales de ces missionnaires : « Les cinq belles petites pierres avec lesquelles on peut vaincre l’infernal Goliath ». Au secours du clergé français En juillet 1628, la préoccupation de l’évêque de Beauvais face à l’ignorance des prêtres le pousse à inviter Vincent de Paul à réfléchir au meilleur moyen de régénérer le clergé de France. Il inaugure des retraites d’ordinands pour préparer les futurs prêtres à recevoir les ordres. En 1633, il met sur pied les Conférences des mardis, destinées aux prêtres souhaitant « s’entretenir des vertus et des fonctions de leur état ». En 1641, Vincent ouvre un grand séminaire à Annecy. Pour aider les Dames dans le service corporel des pauvres, de simples « filles de village » se sont présentées. Louise de Marillac les regroupe en novembre 1633 ; ce seront les Filles de la Charité (appelées aussi sœurs de SaintVincent-de-Paul). À partir de 1632, les guerres dévastent les provinces, la Lorraine d’abord, puis l’Ile-de-France, la Picardie, la Champagne. Monsieur Vincent y organise inlassablement les secours. Dès 1639, il se lance dans des fondations en Irlande et en Pologne. Les terres non chrétiennes l’appellent : l’Afrique du Nord, puis Madagascar. Le corps épuisé, il meurt, à 79 ans, le 27 septembre 1660. Sa mort est ressentie par tous comme celle d’un saint et une foule nombreuse, mêlant aristocrates et gens du peuple, se presse à ses obsèques. Vincent est béatifié, puis canonisé par le pape Benoît XIII en 1737 et déclaré patron des instituts de charité. 31 b. Saint Vincent de Paul prisonnier à Tunis « Cette misérable lettre »11 Tout ce que nous savons de la vie de Vincent durant les années 1605, 1606 et 1607, nous le devons à deux de ses lettres écrites le 24 juillet 1607 et le 28 février 1608, une depuis Avignon et l’autre depuis Rome. Nous transcrivons la première et plus importante. En 1605 saint Vincent de Paul, jeune prêtre, trouva qu’une personne qui lui portait beaucoup d’estime étant décédée pendant son absence l’avait institué son héritier et il fut obligé de se rendre à Marseille pour un petit recouvrement de fonds provenant de cette succession. Il se disposait à reprendre par terre le chemin de Toulouse lorsqu’un gentilhomme du Languedoc avec lequel il était logé lui conseilla de s’embarquer avec lui jusqu’à Narbonne en lui faisant valoir des motifs d’agrément et d’économie. La mer était belle le vent favorable ce petit trajet abrégeait le chemin et d’ailleurs c’était la volonté de Dieu qu’il en fût ainsi. Vincent de Paul céda sans se faire beaucoup presser et la felouque mit à la voile pour une destination qu’elle ne devait jamais atteindre. Laissons raconter saint Vincent lui-même cette étrange aventure dont il a fait le récit dans une lettre écrite d’Avignon le 24 juillet 1607 à M. de Comet le jeune, son ancien élève : « Je m’embarquai dit-il pour Narbonne afin d’y être plus tôt et d’épargner ou pour mieux dire afin de 11 Cf. ORSINI, Histoire de Saint Vincent de Paul, Paris, 1842, p. 23-29. TURBET-DELOF, Guy. ‘Saint Vincent de Paul a-t-il été esclave à Tunis ?’ In : Revue d’histoire de l’Église de France, tome 58, n°161, 1972. pp. 331340. L’histoire des lettres de la captivité a été racontée de nombreuses fois. On peut voir en particulier le récit de Louis Abelly, évêque de Rodez : La Vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, instituteur et premier supérieur général de la Congrégation de la Mission. Paris, 1664, l.1, c.4, p. 17-18). Le document fondamental se trouve en I, 1-2 ; VIII, 271, p. 513515). 32 n’y arriver jamais et de tout perdre. Le vent nous fut favorable autant qu’il fallait pour arriver ce jour-là à Narbonne, ce qui était faire cinquante lieues, si trois brigantins turcs, qui côtoyaient le golfe de Lyon pour attraper les barques qui venaient de Beaucaire, où il y avait une foire, ne nous eussent donné la chasse et attaqués si vivement que deux ou trois des nôtres étant tués et tout le reste blessé et moi-même qui eus un coup de flèche qui me servira d’ horloge tout le reste de ma vie, n’eussions été contraints de nous rendre à ces félons. Les premiers éclats de leur rage furent de mettre notre pilote en mille pièces, pour avoir perdu un des principaux des leurs, outre quatre ou cinq forçats que les nôtres tuèrent. Cela fait, ils nous enchaînèrent et après nous avoir grossièrement pansés, ils poursuivirent leur pointe, faisant mille voleries, et donnant néanmoins liberté à ceux qu’ils avoient volés, s’ils se rendaient sans combattre. Enfin, étant chargés de marchandises, ils prirent, au bout de sept ou huit jours, la route de Barbarie, tanière de voleurs sans aveu du Grand Turc. Etant arrivés à Tunis, ils nous exposèrent en vente avec un procès-verbal de notre capture, qu’ils disaient avoir été faite dans un navire espagnol, parce que sans ce mensonge nous aurions été délivrés par le consul que le roi tient en ce lieu-là pour rendre libre le commerce aux Français. Leur procédure à notre vente fut qu’après qu’ils nous eurent dépouillés, ils nous donnèrent à chacun une paire de caleçons, un hoqueton de lin avec une bonnette, et nous promenèrent dans la ville de Tunis où ils étaient venus expressément pour nous vendre. Nous ayant fait faire cinq ou six tours par la ville, la chaîne au cou, ils nous ramenèrent au bateau, afin que les marchands vinssent voir qui pouvait bien manger et qui non, et pour leur montrer que nos plaies 33 n’étaient point mortelles. Cela fait, ils nous ramenèrent à la place où les marchands nous vinrent visiter de même que l’on fait à l’achat d’un cheval ou d’un bœuf, nous faisant ouvrir la bouche pour voir nos dents, palpant nos côtés, sondant nos plaies, et nous faisant cheminer le pas, trotter et courir, puis lever des fardeaux, et puis lutter pour voir la force d’un chacun, et mille autres sortes de brutalités. Je fus vendu à un pêcheur qui fut contraint de se défaire bientôt de moi parce qu’il n y a rien qui me soit si contraire que la mer. Ce pécheur me vendit à un vieillard, médecin spagirique, souverain tireur de quintessences, homme fort humain et traitable, lequel avait travaillé cinquante ans à la recherche de la pierre philosophale. Il m’aimait fort, et se plaisait à m’entretenir de l’alchimie, et puis de sa loi à laquelle il faisait tous ses efforts pour m’attirer, me promettant de grandes richesses et tout son savoir. Dieu opéra toujours en moi une croyance assurée de ma délivrance par les prières assidues que je lui faisais et à la Vierge Marie par la seule intercession de laquelle je crois fermement avoir été délivré. L’espérance donc que j’avais de vous revoir, Monsieur, me fit être plus attentif à m’instruire du moyen de guérir de la gravelle, en quoi je lui voyais chaque jour faire des merveilles ; il me l’enseigna, et m’en fit même préparer et administrer les ingrédients. Oh ! combien de fois ai-je désiré depuis d’avoir été esclave avant la mort de monsieur votre frère, car je crois que si j’eusse eu le secret que je vous envoie maintenant, il ne serait pas mort de ce mal-là. Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de septembre 1605 jusqu’au mois d’août 1606 qu’il fut pris et mené au Grand Sultan afin de travailler pour lui ; mais en vain car il mourut de regret par les chemins. Il me laissa à un sien neveu, qui me revendit 34 bientôt après la mort de son oncle, parce qu’il ouït dire que M de Brèves, ambassadeur pour le roi en Turquie, venait avec bonnes et expresses patentes du GrandTurc, pour recouvrer tous les esclaves chrétiens. Un renégat de Nice ennemi de nature, m’acheta et m’emmena en son témat (ainsi s’appelle le bien que l’on tient comme métayer du Grand Seigneur ; car là le peuple n’a rien, tout est au sultan). Le témat de celuici était dans la montagne où le pays est extrêmement chaud et désert. Une des trois femmes qu’il avait était grecque chrétienne, mais schismatique ; une autre était turque, qui servit d’instrument à l’immense miséricorde de Dieu pour retirer son mari de l’apostasie et le remettre au giron de l’Église, et pour me délivrer de mon esclavage. Curieuse qu’elle était de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir tous les jours au champ où je fossoyais ; et un jour elle me commanda de chanter les louanges de mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodo cantabimus canticum Domini in terra aliéna, des enfants d’Israël, captifs en Babylone, me fit commencer, la larme à l’œil, le psaume Super flumina Babylonis, et puis le Salve Regina, et plusieurs autres choses en quoi elle prenait tant de plaisir que c’était merveille. Elle ne manqua pas de dire le soir à son mari qu’il avait eu tort de quitter sa religion, qu’elle estimait extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait des grandeurs de notre Dieu et pour quelques louanges que j’avais chantées en sa présence, en quoi elle disait avoir ressenti un tel plaisir, qu’elle ne croyait pas que le paradis de ses pères, et celui qu’elle espérait, fût accompagné de tant de joie qu’elle en avait ressenti pendant que je louais mon Dieu, concluant qu’il y avait en cela quelque merveille. Cette femme, comme une autre Caïphe ou comme l’ânesse de Balaam, fit tant par 35 ses discours que son mari me dit dès le lendemain, qu’il ne tenait qu’à une commodité que nous ne nous sauvassions en France, mais qu’il y donnerait tel remède dans peu de jours que Dieu en serait loué. Ce peu de jours dura dix mois, pendant lesquels il m’entretint en cette espérance, et au bout de ce temps-là, nous nous sauvâmes dans un petit esquif, et nous abordâmes à Aigues-Mortes le 28 de juin ; de là nous nous rendîmes bientôt après à Avignon, où le renégat se présenta la larme à l’œil et le sanglot au cœur, à monseigneur le vice-légat, qui le reçut publiquement dans l’église de Saint Pierre, à l’honneur de Dieu et à l’édification des assistants. Mon dit seigneur nous a retenus tous les deux pour nous mener à Rome, où il s’en ira aussitôt que son successeur sera venu. Il a promis au pénitent de le faire entrer à l’austère couvent des Fate-ben-Fratelli où il s’est voué, etc. ». Le style de cette lettre, certes, a vieilli, mais qu’elle est touchante de courage, de confiance en Dieu, de charité chrétienne. Elle n’indique que les faits principaux, et l’on y trouve déjà cette répugnance extrême à parler de soi, qui fut un des traits caractéristiques du caractère de saint Vincent. Il dut y avoir bien des regrets pour la patrie absente, bien des travaux, bien des douleurs au fond de ces évènements, dont on ne découvre pour ainsi dire que la cime. Mais s’il était homme de peu de mots il avait une longue et fidèle mémoire on s’en aperçut dans la suite lorsqu’il établit des missions dans les régences barbaresques. On n’a jamais mis en doute l’authenticité de ces lettres : nous possédons les originaux, de la main de Vincent et avec sa signature, et les chercheurs ont patiemment reconstruit l’histoire de leur conservation. Toutes les deux sont adressées à M. de Comet, frère de l’ancien protecteur de Vincent et continuateur du soutien au 36 jeune prêtre. Des archives de M. de Comet, elles passèrent à son gendre, Louis de Saint-Martin, seigneur d’Agès et avocat de la cour présidiale de Dax, marié avec Catherine de Comet et frère du chanoine Jean de Saint-Martin. Ensuite, le fils de Louis et de Catherine, César de Saint-Martin d’Agès, en hérita. C’est celui-ci qui, un jour, voulut mettre en ordre les papiers de son grand-père et qui les découvrit. Ceci arriva en 1658, alors que Vincent de Paul était déjà un personnage avec une renommée nationale et la réputation d’un saint. Le jeune Saint-Martin eut un frémissement d’émotion : il avait dans les mains la jeunesse du grand homme racontée par lui-même. Celui-ci se réjouirait sûrement de revoir ces vieux papiers qui racontaient l’aventure la plus excitante de sa longue vie ! Sans perdre de temps, il les communiqua à son oncle le chanoine. Le bon chanoine s’empressa d’écrire, à son tour, à Vincent de Paul en lui rendant compte de la trouvaille inespérée. Mais la réaction de Vincent fut bien différente de celle espérée : il la lut et la jeta au feu ; ensuite de quoi il écrivit à Jean de S. Martin pour le remercier de l’envoi de cette copie et pour réclamer avec une grande instance l’original auquel il réservait, in petto, le même destin. À ce moment et grâce à Dieu, d’autres personnes entrent en action. Le secrétaire du saint mit au courant de la chose les assistants du supérieur général de la Mission. On tint un conseil : il fallait à tout prix sauver ces lettres du péril imminent de la destruction et, pour cela, il fallait éviter qu’elles arrivent dans les mains de leur auteur. Ainsi le secrétaire coula furtivement un billet dans la lettre et pria Jean de S. Martin d’envoyer l’original à quelque autre qu’à Vincent de Paul, s’il tenait à ce qu’il ne fût pas perdu. Cela fut fait ainsi qu’il avait conseillé, et la lettre autographe fut remise au supérieur du séminaire des Bons Enfants, c’est par ce moyen qu’elle fut conservée à l’insu de saint Vincent. Sans cette précaution on eût toujours ignoré ce qui s’était passé pendant son esclavage, ce grand serviteur de Dieu n’en parlant jamais. 37 Cependant le pauvre ancien se lassait d’attendre. Il voyait la mort approcher et ces lettres étaient dans des mains étrangères, exposées à Dieu sait quelles dangereuses interprétations. Ainsi il écrivit de nouveau, le 18 mars 1660, au chanoine Saint-Martin : « Je vous conjure, par toutes les grâces qu’il a plu à Dieu de vous faire, de me faire celle de m’envoyer cette misérable lettre qui fait mention de la Turquie ; je parle de celle que M. d’Agès a trouvée parmi les papiers de M. son père. Je vous prie derechef, par les entrailles de Jésus-Christ Notre-Seigneur, de me faire au plus tôt la grâce que je vous demande». Émouvants accents qui ne pouvaient pas ne pas émouvoir le chanoine Saint-Martin : les lettres si ardemment réclamées étaient en sûreté depuis deux ans, dans les mains d’Alméras, premier assistant et ensuite successeur du saint. Vincent mourrait six mois plus tard sans avoir pu mettre la main sur ces papiers de jeunesse. Grâce à la pieuse machination du secrétaire, des assistants et du chanoine, elles étaient sauvées pour la postérité. Malgré l’authenticité de ces lettres, malheureusement depuis environ un demi-siècle, une violente bataille se livre autour d’elles. Dans un intéressant article paru dans la revue d’histoire de l’Eglise en France et titré «Saint Vincent de Paul a-t-il été esclave à Tunis ? », Monsieur Guy Turbet-Delof analyse et critique les Cahiers de Tunisie, dans leur numéro de 1965 (p. 53-83) qui ont eu l’idée de réunir trois études publiées en 1928, 1929 et 1936, dans lesquelles Pierre Grandchamp12, développant une intuition d’Antoine Redier, croyait pouvoir établir, grâce à une critique serrée des lettres de Vincent de 12 GRANDCHAMP, Pierre (né le 16/06/1875 à Vitrac et mort le 16/10/1964) effectue une carrière de Directeur de service à la Résidence de France à Tunis. Il publie de nombreux articles, tous consacrés à la politique, à l'économie et à l'histoire de la Tunisie. 38 Paul du 24 juillet 1607 et du 28 février 1608, le caractère «légendaire» du séjour que le fondateur des Lazaristes y disait avoir fait à Tunis, en 1605-1607. L’auteur soutient avec fondement qu’accepter cette thèse, comme le font les historiens les plus compétents, conduirait à voir en saint Vincent, ici du moins, un romancier, ou peu s’en faut. Mais il dit également qu’aucun des arguments de Pierre Grandchamp ne semble convaincant. Leur accumulation, pas davantage. Au contraire, Turbet-Delof considère les lettres en question, jusqu’à plus ample informé, comme ressortissant aux relations de voyage et aux récits de captivité non imaginaires. Mais une question nous vient à l’esprit : pourquoi Vincent de Paul voulait-il détruire ces lettres ? Nous pouvons trouver une première tentative de réponse à la fin de l’article, lorsque l’auteur affirme que l’attitude paradoxale de saint Vincent a donné lieu, de la part des contradicteurs de P. Grandchamp, à des explications diverses qui se ramènent, pratiquement, à deux. La première, qui se trouvait déjà chez Abelly, est reprise, entre autres, par Guichard : c’est l’humilité, vertu fondamentale de Vincent de Paul. Grandchamp l’a facilement réfutée. La seconde a été avancée par Pierre Coste, par Mgr Calvet, par Daniel- Rops : le souci (par crainte, sans doute, de l’Inquisition) de jeter un voile sur les expériences d’alchimie faites à Tunis en compagnie du vieux médecin. Or, Guichard a bien montré qu’il s’agissait d’innocents tours de magie blanche. Mais la réponse, la plus claire, nous la trouvons dans les deux explications proposées par l’auteur : 1. La première c’est la contradiction, historiquement très explicable, pourtant, que les contemporains de Vincent de Paul, ceux de 1658, n’auraient pas manqué de relever entre les «pièces noires » que la littérature lazariste versait alors au dossier barbaresque, et cette « pièce rose » qu’était, en somme, la lettre de 1606, où il n’est nullement question - sauf à propos des formalités dégradantes, mais classiques, de la vente aux 39 enchères - de mauvais traitements subis en Barbarie par le jeune captif, ni que son âme ou sa vertu aient été le moins du monde en danger. 2° La seconde explication, c’est le remords que dut éprouver saint Vincent, après sa «conversion» des années dix, d’avoir caché, lors de sa captivité, sa condition de prêtre : lui qui ne cessera d’exhorter les Lazaristes de Tunis et d’Alger à être jusqu’au bout des témoins du Christ. Telle fut même, quarante ans plus tard, sa constance à vouloir, son insistance à réclamer qu’il y eût à Tunis et Alger des prêtres libres, les prêtres esclaves étant trop souvent, selon, lui, « déréglés », et les sacrements délivrés par eux d’une validité suspecte. Pour cela l’auteur se demande si le rappel de ce séjour fait à Tunis, à l’âge de vingt-cinq ans, ne réveillait pas, en Vincent de Paul, le souvenir de quelque désordre désormais odieux au sage «instituteur » des prêtres de la Mission. La conclusion donc nous la laissons directement au professeur Turbet-Delof : « Quoi qu’il en soit, je ne vois aucune raison de suspecter les lettres de saint Vincent sur sa captivité. … Je ne jure de rien. Je ne dis pas non plus que tout s’est passé pour Vincent de Paul, à Tunis, comme il le raconte. J’affirme seulement que tout peut très bien s’être passé ainsi. Rien, dans le texte en question, ni en dehors, ne permet de le récuser comme témoignage. Ainsi, de deux choses l’une : ou bien Vincent de Paul a été esclave à Tunis en 1605-1607, ou bien il faut voir dans sa lettre du 24 juillet 1607 et dans son «postscriptum » du 28 février 1608 un faux de génie, sans commune mesure avec les sources, romanesques ou non, dont il aurait pu s’inspirer ». 40 3. SAINTE OLIVE DE PALERME, CO-PATRONNE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS Sa mystérieuse figure Le 10 juin l’Eglise célèbre la mémoire de sainte Olive de Palerme, vierge et martyre en Tunisie. Depuis 1890 et par la volonté du Cardinal Lavigerie elle est co-patronne de la cathédrale de Tunis ensemble avec saint Vincent de Paul. Parler de sainte Olive n’est pas chose aisée en raison des très faibles éléments historiques. Cependant nous pouvons avancer certains éléments sur lesquels la majorité des historiens s’accordent. Selon une première tradition, Olive aurait donc été de noble famille palermitaine. Chrétienne et zélée, elle allait réconforter les chrétiens apeurés par la lourde persécution organisée par le roi Vandale Genséric (Vème siècle). Elle aurait donc été exilée à Carthage (ou Tunis) pour lui faire perdre ses envies de prosélytisme. Elle n’avait que treize ans. L’autre tradition prétend qu’elle aurait plutôt vécu aux IXème - Xème siècles, lors de la domination musulmane, le sanguinaire Abd-Allah régnant sur la Sicile, et le non moins cruel Hibraim-’ibn-Ahmed étant gouverneur du royaume d’Afrique. Cette sainte avait la particularité d’être honorée par certains musulmans. La grande mosquée de la ville de Tunis s’appelle « la mosquée d’Olive », et c’est parmi les musulmans de cette ville que naquit le dicton : « Malheur à qui parle mal d’Olive, car Allah sûrement le punira ! ». Des recherches archéologiques ont par ailleurs confirmé que la mosquée a été construite sur les vestiges d’une basilique chrétienne, ce qui conforte la légende rapportée par Ibn Abi Dinar sur la présence du tombeau (ou 41 d’une mémoire) de sainte Olive à l’emplacement de la mosquée. Le plus sérieux des commentateurs de 1716 en Sicile, le P. Malatesta, affirme que Rocco Pirri, Fazello, Gaetani, Ferrari, Mongitori soutiennent qu’Olive est née à Palerme en 442, exilée en Tunisie en 454 et décapitée le 10 juin 463. Mais c’est seulement une hypothèse. Son culte est attesté dès le XIIIème siècle ; par le bréviaire « gallosiculo » de l’Eglise Palermitaine ; par un manuscrit de Termere Imerese en dialecte sicilien de la même époque ; par trois passions différentes mais malheureusement très peu historiques et contradictoires, et par le puits « de Olive » dans l’église paroissiale et couvent de frères minimes fondé par saint François de Paola (périphérie de Palerme). Le couvent des frères construit en 1518 a été l’objet de plusieurs apparitions de la sainte. En effet des frères minimes ont raconté avoir vu Olive plusieurs fois près du puits et dans le jardin du couvent en disant « Je suis Olive la protectrice de mon couvent ». C’est pour cela que l’on pense jusqu’à nos jours que le tombeau d’Olive est près du puits (aujourd’hui dans l’église paroissiale elle-même) ou dans les immédiations du couvent. Rien n’a été trouvé, mais il est vrai aussi que personne n’a pu pénétrer jusqu’au fond du puits pour découvrir la vérité. Quoi qu’il en soit sur les détails de sa vie, il est vrai et tout le monde est d’accord, qu’Olive a été une jeune fille martyre en Tunisie. Certainement sa plus grande vérité était la richesse de sa vie spirituelle et sa profonde relation avec Dieu. Olive, comme tant d’autres martyrs devant l’angoisse du destin qui l’attendait, s’unissait à l’espoir indestructible du tout proche Paradis et du salut éternel. En confirmant cette vérité saint Jean Chrysostome écrivait : « J’aime à lire les Actes des Martyrs ; mais j’avoue mon attrait particulier pour ceux qui retracent les combats qu’ont soutenus les femmes chrétiennes. 42 Plus faible est l’athlète, plus glorieuse est la victoire ; car c’est alors que l’ennemi voit venir sa défaite du côté même où jusqu’alors il triomphait… Au commencement, la femme pécha, et pour prix de son péché eut la mort en partage ; la martyre meurt, mais elle meurt pour ne pas pécher. Séduite par une promesse mensongère, la femme viola le précepte de Dieu ; pour ne pas enfreindre sa fidélité envers son divin bienfaiteur, la martyre sacrifie plutôt sa vie. Quelle excuse maintenant présentera l’homme pour se faire pardonner la mollesse, quand de simples femmes déploient un si mâle courage ; quand on les a vues, faibles et délicates… et, fortifiées par la grâce, remporter de si éclatantes victoires ? »13. Son histoire alors est une histoire qui donne force et courage. Une histoire qui nous réveille de notre indifférence religieuse. Une histoire, qui permet d’admirer le travail de la grâce de Dieu, de la véritable amitié avec lui, qui élève une créature humaine aux sommets de l’héroïsme. Il y a un mot courant aujourd’hui : mondanité… esprit bourgeois… esprit de commodité. Notre monde est un monde confortable… toutes les inventions actuelles sont pour notre plaisir et commodité… l’homme s’installe, et commence à naître en lui un esprit paresseux, individualiste, égoïste. Il apparait donc que l’héroïsme est difficile pour les chrétiens, cependant nous trouvons beaucoup de gens, de jeunes chrétiens, qui ne veulent pas se conformer à l’esprit du monde d’aujourd’hui, des âmes créées pour de grandes choses, des héros… pour eux, nous prions sainte Olive. La cathédrale de Tunis possède aujourd’hui, pour la première fois depuis plus de cent ans d’existence, une statue de sainte Olive, réalisée par un artiste sicilien, inaugurée par 13 Homélie, De diversis novi Testamenti locis. 43 l’évêque de Tunis Mgr Ilario Antoniazzi le dimanche 25 juin 2017. Ce beau projet est le fruit des efforts des pères de l’Institut du Verbe Incarné responsables de la cathédrale et du M. Ugo Russo, palermitain et dévot de la sainte, à qui je remercie pour m’avoir fourni les précieux données hagiographiques que nous reproduisons dans ces pages. Cette belle statue de sainte Olive, inspirée de l’art byzantin, fait face à celle de saint Vincent de Paul et toutes les deux gardent l’entrée de l’espace sacré le plus important de la cathédrale : le chœur. 44 4. HISTORIQUE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS L’histoire de la cathédrale de Tunis tient dans une courte période, puisqu’elle remonte seulement à 189014. Cimetière et chapelle saint Antoine, abbé La cathédrale est bâtie sur l’ancien cimetière « saint Antoine », qui fut donné au XVIIème siècle par les Beys de Tunis à la communauté catholique. D’abord destiné à l’inhumation des esclaves des bagnes, il devient par la suite le cimetière de la colonie européenne de Tunis. Le Père Jean Le Vacher (Lazariste), disciple de saint Vincent de Paul, Vicaire Apostolique et Consul de France à Tunis dès 1648, le fit entourer d’un mur et y édifie une chapelle sous le vocable de saint Antoine, abbé, en 1655 ou en 1659. Dans une lettre adressée au Président des Conférences de saint Vincent de Paul à Paris, et envoyée de Tunis le 10 14 Je suivrais librement pour ce long et principal chapitre du livre, avec quelques modifications et mises au jour, les notes dactylographiées que m’avait consignées le P. Michel Prignot (+2016), non-signées et non datées, qui ont été rédigées par l’Abbé Roger Jamin, vicaire à la cathédrale en 1975 et jamais publiées. Cependant dans les archives du diocèse on retrouve, signé de son nom, le résumé de la plupart des renseignements ici consignés. La bibliographie de ce chapitre et des différentes citations est la suivante : Archives de la Prélature : manuscrits « Farde – Tunis », intitulée juillet 1949 - du 1 au 18. Volumes reliés de la « Tunisie Catholique », « La Semaine paroissiale de Tunisie », « Bulletin de la Cathédrale », « Echo du diocèse de Carthage », « Echo de la Prélature », publications éditées à partir de 1908. Les Cahiers de Tunisie – T. XIX, N° 75-76, et 4° Trimestre 1971. SOUMILLE, P., Le Cimetière européen de Bab-El-Khadra et Tunis. Mgr. PONS, A., La nouvelle Église d’Afrique, Tunis, 1930. 45 Mars 1884, le Cardinal Lavigerie note : « J’ai retrouvé à Tunis un précieux souvenir de ce premier Vicaire Apostolique français... c’est une pierre consacrée par lui en 1659... cet autel sert aujourd’hui à l’ancien cimetière qui a été probablement dans le passé celui des esclaves ». Mais dans une autre note, il signale : « Le cimetière se trouve au même lieu au moins depuis deux siècles, car l’autel de la vieille chapelle qui existe encore est daté, et il porte la date de 1655 ». Cette première chapelle devient vite insuffisante, et elle est rebâtie en 1773-74, par le Père Sebastiano de Cortone, Préfet Apostolique de la mission des Capucins. Au vocable de saint Antoine, abbé, il ajoute celui de sainte Marguerite de Cortone, mais après le Père Sebastiano, la chapelle ne conserve que le nom de saint Antoine. En 1775, un règlement des sépultures précise que les adultes et les enfants esclaves, seront enterrés dans la chapelle, dans deux caveaux distincts ; seuls les négociants et les hommes libres seront ensevelis dans le terrain adjacent à la chapelle, chacun avec une tombe distincte. En raison de l’accroissement de la population européenne à Tunis, durant la première moitié du XIXème siècle, le cimetière saint Antoine devient vite insuffisant : sous l’Épiscopat de Mgr Fidèle Sutter (1843-1881), des travaux d’agrandissement sont entrepris sur un terrain qui constituait le jardin de la mission catholique. Au début du mois de Décembre 1850, le Bey Ahmed en fait donation au Prélat, et il lui écrit : « Louange à Dieu. Notre écrit est entre les mains de la personne vénérée, l’Évêque, le religieux, l’un des grands : il est adressé à son Excellence l’Évêque de la religion chrétienne. Nous avons acheté ces terrains de nos deniers et nous les avons destinés à servir de sépulture aux morts européens : les religions prescrivent la générosité et la bienveillance envers les hôtes. Ce jour donc, nous avons abandonné nos droits 46 sur ces terres, qui deviennent « Habous » du cimetière européen. Son Excellence en a pris possession pour cet usage. Que Dieu soit propice à tous ses serviteurs. Que celui aux mains duquel parviendra notre écrit ait à s’y conformer ». Le cimetière présente bientôt des conditions déplorables au point de vue de la salubrité publique et même du respect dû aux morts. On est obligé pour pourvoir aux sépultures, soit d’entasser les cadavres dans les terrains restés vacants, soit de les mettre pêle-mêle, dans des caveaux creusés sous la chapelle et autour des murs d’enceinte. Le public lui-même s’émeut de cet état de choses et des incidents se produisent entre Mgr Sutter et la population catholique de Tunis. La situation est demeurée la même lorsque Mgr Lavigerie prend possession au mois d’octobre 1881 du Vicariat Apostolique de la Tunisie, en remplacement de Mgr Sutter. Mais depuis la construction du Consulat de France, d’autres édifices se sont élevés dans le quartier de la Marine (actuelle Avenue Bourguiba), la présence d’un cimetière en cet endroit présente donc des inconvénients sérieux, tant pour la salubrité publique que pour l’extension de la ville. Le Ministre Roustan, se faisant le porte-parole des européens s’en ouvre à Mgr Lavigerie dès octobre 1881. Il lui rappelle les inutiles démarches entreprises auprès de Mgr Sutter, et il insiste pour obtenir une solution immédiate de la question. Après une visite au cimetière, le Prélat est convaincu de la nécessité de le supprimer, et dès le 9 Novembre 1881, il envoie au Consul de France une note contenant un projet d’arrêté beylical pour la translation des cimetières chrétiens. Cathédrale provisoire Une idée surtout pousse Mgr Lavigerie à obtenir l’édit beylical, il pense à la construction d’une nouvelle église qui 47 lui servirait de cathédrale. Déjà, le 29 Juillet, il écrit : « Tunis n’a pour une population de plus de 20.000 catholiques et que la chapelle exigüe des religieux capucins. Une église nouvelle donc est nécessaire ». À l’occasion de la fête de Noël 1881, il répète : « La ville européenne s’étend avec ses habitants nouveaux. Les distances deviennent difficiles à franchir. Aussi, pour une telle agglomération de chrétiens, une seule paroisse est-elle insuffisante ». Ce qu’il veut surtout, c’est une « église française » bien à lui. L’église de Sainte Croix appartient en effet aux capucins italiens et est considérée comme étant « l’église italienne ». Ainsi dès le 27 novembre 1881, il entreprend la construction d’une cathédrale provisoire, qui est inaugurée le dimanche 2 avril 1882. Au sujet de cette cathédrale provisoire, Lavigerie écrit, au printemps 1889, au Résident Général Massicault : « Il faut en effet, monsieur le Ministre, penser à pourvoir à la reconstruction de l’église provisoire de Tunis. C’est un simple hangar, comme vous le savez, et il a été construit en l’espace de 80 jours, à mes frais personnels, pour éviter à la France l’humiliation de n’avoir aucune église à Tunis et de faire célébrer ses cérémonies ou solennités dans l’église italienne des capucins ». Cette cathédrale provisoire était située à l’angle de la promenade de la Marine (Avenue Bourguiba) et de la rue d’Alger, sur une parcelle de jardin qui n’avait pas été transformée en cimetière par Mgr Sutter (aujourd’hui l’espace occupé par le ministère tunisien des femmes). Dès 1881, Mgr Lavigerie a l’intention de construire sur le même emplacement un presbytère pour son clergé et une maison qui lui servirait d’Évêché. 48 En effet, lors de sa nomination d’Administrateur Apostolique, il a fait appel à des « volontaires » du clergé séculier d’Alger. L’abbé Polomeni, curé de N.D. des Victoires à Alger, devient le premier curé de la cathédrale provisoire ; il est ensuite curé de Sfax. L’abbé Tournier, curé de la CitéBugeaud, devient chancelier, délégué au temporel. L’abbé Gazaniol, curé de Sainte Croix à Alger, ajoute bientôt à sa fonction de Vicaire Général, celle de curé de la cathédrale. Mgr Crussenmeyer est nommé « délégué de l’Administrateur Apostolique » ; poste qu’il occupe de 1882 à 1887. Transfert du cimetière L’établissement d’un clergé régional et la construction d’une église provisoire ne règlent pas pour autant la question du cimetière saint Antoine. Ayant rencontré des oppositions pour le transfert du cimetière dans un autre lieu de la part de familles propriétaires de concessions à saint Antoine, Mgr Lavigerie suggère à la fin de 1881, en février 1882 et en juin 1883, de décréter officiellement l’interdiction de toute nouvelle sépulture à saint Antoine. Il finit par obtenir satisfaction, tout d’abord de façon partielle, par le décret du 30 Juillet 1884, et de manière définitive par l’arrêté municipal du 7 Octobre 1885, qui prohibe toutes les inhumations dans les cimetières publics ou privés à l’intérieur de la ville de Tunis. Mais il faut attendre le 28 Avril 1891 pour que, par décision beylicale, le cimetière saint Antoine soit définitivement désaffecté. Il n’y a plus alors aucun inconvénient pour que l’autorité diocésaine à qui appartient l’emplacement, puisse y construire des bâtiments et particulièrement une cathédrale. Restauration du siège archiépiscopal de Carthage Le 16 avril 1882, Mgr Lavigerie est élevé au cardinalat. Peu de temps après sa promotion, il écrit à Léon XIII : 49 « Le plus beau jour de ma vie sera celui où, après avoir doté ce Vicariat de tout ce qui lui est nécessaire en institutions, en hommes et en argent, je pourrai aller me prosterner humblement aux pieds de Votre Sainteté, pour lui demander de relever le siège de Saint Cyprien, et de ressusciter la grande église de Carthage, après mille ans de mort ». Au consistoire du 10 Novembre 1884, Léon XIII déclare dans une allocution aux cardinaux : « Nous avons cru le moment venu de rendre à Carthage, par notre autorité, l’honneur de son siège archiépiscopal ». En même temps il faisait distribuer aux membres du Sacré-Collège, la Bulle « Materna Ecclesiae Caritas » dans laquelle il exprimait la suprématie séculaire du siège archiépiscopal de Carthage. Dans la lettre qui porte la nouvelle à son peuple, le Cardinal Lavigerie déclare : « L’Église métropolitaine sera provisoirement celle de saint Louis, en attendant la construction de la Basilique de Carthage, déjà commencée. Mais l’Église saint Vincent de Paul de Tunis reste à la disposition des Archevêques pour la célébration des offices pontificaux dans cette ville ». Il divise aussi le nouveau diocèse en trois archidiaconés ayant à leur tête un Vicaire général. Les trois premiers archidiacres sont : pour Carthage, l’abbé Tournier, pour Tunis, Mgr Grussenmeyer et pour Sfax, l’abbé Polomeni. La restauration du siège archiépiscopal de Carthage accomplie, le Cardinal songe à s’adjoindre un coadjuteur. Il s’adresse tout d’abord à Mgr Combes, Évêque de Constantine, son ancien Vicaire général d’Alger. Le peu d’enthousiasme manifesté par ce Prélat, mais surtout les difficultés que laissent entrevoir le Pape et le Gouvernement français pour son remplacement à Constantine, lui font abandonner ce projet. 50 Son choix se porte alors sur un prédicateur fort goûté en France : Mgr Jourdan de la Passadière, Évêque titulaire de Rosea. Comme pour préluder à l’instauration d’une province ecclésiastique en Tunisie, le Cardinal l’installe à Tunis, tandis que lui-même continue à résider à Carthage. Mgr Jourdan ne fait que passer, à peine reste-t-il un an en Afrique. Sa santé délicate, mais surtout la tutelle des deux Vicaires généraux du Cardinal, qui rétrécissent le champ de ses activités, avivent en lui la nostalgie des « chaires parisiennes ». Il quitte brusquement la Régence. À partir de là, les Vicaires généraux, Mgr Gazaniol pour le spirituel et Mgr Tournier pour le temporel, gèrent officiellement les affaires diocésaines. Première pierre de la cathédrale En 1890, le Cardinal Lavigerie sentant les approches de la mort, veut bénir lui-même la première pierre de la future cathédrale, qui sera ensuite posée à sa place définitive. Il annonce la cérémonie au début de mai à Mgr Gazaniol, curé de la cathédrale, en ces termes : « Mon cher curé, je vous prie de rappeler à vos paroissiens que la cérémonie de la bénédiction de la première pierre de l’Église pro-cathédrale définitive de Tunis15 doit avoir lieu le matin du dimanche 18 mai. Cette cérémonie suivra immédiatement celle de la clôture du concile régional de Carthage, qui aura lieu également dans votre église à 8h00 très précises du matin. Cette cérémonie aura lieu dans le chœur même de votre église à cause de l’impossibilité de placer cette Une pro-cathédrale est une église paroissiale qui, bien que n’ayant pas le statut d’église épiscopale, est destinée à accueillir l’évêque d’un diocèse. Elle sert donc temporairement de cathédrale ou de co-cathédrale. Elle joue le même rôle dans les juridictions missionnaires catholiques non habilitées à avoir une cathédrale, telles que les préfectures apostoliques ou les administrations apostoliques. 15 51 pierre à sa place définitive : elle se bornera par conséquent aux prières qui regardent la bénédiction de la pierre. Nos Seigneurs les Archevêques, Évêques et Prélats qui font partie de cette assemblée y assisteront sous ma présidence et prendront part avec moi à la bénédiction de la première pierre. Pour donner un caractère plus religieux encore à cette cérémonie, j’ai résolu de la faire accompagner d’un acte public de charité chrétienne, et je décide que la quête sera faite en faveur de l’œuvre de la crèche, ouverte sur votre paroisse, sous un haut et généreux patronage, qui accueillera également les enfants pauvres de toutes les nationalités. Vous voudrez bien, mon cher curé, la faire vous-même en personne, afin de la rendre plus fructueuse et de lui donner un témoignage plus visible de votre sympathie pastorale et de la mienne. J’espère que vos paroissiens répondront à cet appel avec leur générosité ordinaire, et je les bénis d’avance avec les sentiments les plus paternels. Vous voudrez bien lire la présente lettre au prône du dimanche 11 mai courant, et agréez l’expression nouvelle de tout mon affectueux dévouement ». La première pierre et les patrons de la cathédrale Le 18 Mai 1890, trois jours après les grandes cérémonies de la consécration de la Primatiale de Carthage, a lieu, dans l’église provisoire de Tunis, la bénédiction de la première pierre. Au cours de la cérémonie, le Cardinal Lavigerie demande au Résident général de donner le premier coup de marteau à la pierre nouvellement bénite. Ensuite, les douze Évêques présents à Tunis bénissent successivement la pierre. L’office se déroule en présence de quarante Évêques, Prélats et Chanoines. On lit en chaire une lettre pastorale qui donne comme titulaires à la future cathédrale un saint français : saint 52 Vincent de Paul, et une sainte italienne : sainte Olive, tous deux ayant vécu à Tunis, le premier comme esclave et la seconde comme captive et martyre. Dans l’esprit du Cardinal, ce double patronage symbolise l’union qui doit désormais exister entre les fidèles français et italiens résidant en Tunisie. Plan de la nouvelle cathédrale À la fin de 1891, le plan de la cathédrale de Tunis est mis en concours. Plusieurs architectes de Tunis et de Paris y prennent part. Le plan qui est retenu est celui de Monsieur Bonnet-Labranche, mais cet architecte ne semble pas avoir suffisamment étudié son devis, car, alors qu’il prévoyait une dépense de 475.000 francs auxquels s’ajoutaient 25.000 francs d’imprévus, en réalité, le prix de la construction va dépasser 1.700.000 francs, valeur or. Le plan de la cathédrale établi (c’est d’ailleurs le Cardinal lui-même qui en a choisi le dessin architectural en se référant aux ruines de la basilique découverte dans l’Henchir Rhiria, près de Béjà (Cf. p. 123). On procède à l’adjudication des travaux. Dix entrepreneurs sont admis à prendre connaissance des plans et des devis : ce sont MM. Cartier, Monnin, Chevalier, Ravotti, Rey frères, Ellal, Bevilacqua, Poupart, Bianchi et Graygnic. Après un intervalle de 15 jours, ils sont invités à envoyer à la chancellerie de l’Évêché leurs propositions, ainsi que les certificats prouvant leur compétence. La construction de la cathédrale Le 22 août 1892, une commission se réunit au salon de l’Archevêché, afin de procéder à l’adjudication des travaux de la cathédrale. Monsieur Cartier propose un rabais de 5 % et offre les garanties les plus sérieuses, celle en particulier de conduire les travaux jusqu’à leur terme, sans exiger autre chose qu’un léger intérêt pour les sommes qu’il avancerait en cas de besoin. Cartier, directeur d’une puissante société de 53 constructeurs de Paris, présente le détail des travaux exécutés par lui en France et à l’étranger. A Tunis, il a reconstruit le palais de la Résidence française et l’église grecque, à l’entière satisfaction des intéressés. Pour laisser une entière liberté aux membres de la commission, Mgr Gazaniol propose alors de procéder par vote secret, ce qui est rejeté, et le choix unanime se porte sur Monsieur Cartier. Le président approuve ce choix en exprimant le désir de le voir ratifier par l’autorité du CardinalArchevêque. Avant de se séparer, la commission émet le vœu que le chantier soit immédiatement mis en œuvre, afin que les pluies ne puissent nuire aux travaux de fondations. Le 29 août 1892, Mgr Gazaniol envoie le Rapport de la commission au Cardinal Lavigerie, il l’accompagne de ces mots : « Éminentissime Seigneur et très vénéré Père, j’ai l’honneur de vous envoyer sous ce pli le procèsverbal de la dernière séance du conseil archiépiscopal et le compte-rendu des travaux de la commission chargée d’examiner les propositions des entrepreneurs qui ont pris part au concours d’adjudication des travaux de construction de la cathédrale de Tunis. Comme votre Éminence pourra le constater, c’est Monsieur Cartier qui a été déclaré adjudicataire. Monsieur Cartier est installé à Tunis depuis plusieurs années, il y a construit plusieurs bâtiments importants, dont le pavillon de la Résidence française et l’église grecque ; et enfin, il nous fait des propositions dont votre Éminence pourra apprécier les avantages en parcourant l’acte de soumission que l’adjudicataire a fait parvenir à Mgr Tournier. J’ai fait joindre une copie de cette pièce au procès-verbal. J’ajoute que Monsieur Cartier est persona grata à la Résidence... ». 54 Les travaux sont bien vite commencés, et 2.133 troncs d’eucalyptus sont enfoncés dans le sol boueux, afin de lui donner la solidité du roc. Déjà, le 14 septembre 1892, Mgr Tournier peut écrire au Cardinal : « Aussitôt après l’approbation de votre Éminence, nous avons fait commencer les travaux de la cathédrale de Tunis, afin de pouvoir creuser les fondations avant l’arrivée des grandes pluies ». Dès le 28 septembre 1892, Mgr Gazaniol envoie au Cardinal un rapport sur l’avancement des travaux : « Daigne votre Éminence me permettre de lui adresser à la fin de chaque mois un petit rapport sur l’état des travaux de construction de la cathédrale. Je crois répondre ainsi à l’un de ses désirs. Dès que l’approbation de l’adjudication par votre Éminence a été connue, Monsieur Cartier a fait commencer les travaux. En ce moment, tous les corps des fosses libres ont été enlevés, tous les ossements soigneusement recueillis et transportés dans des caveaux existants sur l’emplacement de la future cathédrale. Les corps qui doivent être placés dans la crypte ont été déposés dans des caisses portant le numéro du registre. Les déblais de la crypte sont sur divers points à trois mètres de profondeur. Une grande partie des maçonneries des caveaux et de la chapelle saint Antoine sont enlevées. La pierre de taille pour les piliers et les socles de la crypte est commandée et doit être rendue sur le chantier au commencement d’octobre. Les bureaux de l’entreprise et les magasins sont en cours d’exécution, ils seront terminés à la fin de la semaine. Soixante-cinq ouvriers ont été occupés à ces différents travaux ». Le Cardinal Lavigerie n’a pu qu’assister au début de l’œuvre, il s’éteint à Saint Eugène, près d’Alger, le 26 novembre 1892. 55 Bien vite des difficultés surgissent. L’entrepreneur est rapidement en faillite, et c’est alors l’administration diocésaine qui prend sous sa surveillance directe l’achèvement des fondations de la crypte. Monseigneur Combes et nouvelle adjudication Préconisé au Consistoire du 15 juin 1893, Mgr Combes, Évêque de Constantine et nouveau Primat d’Afrique est solennellement intronisé dans la cathédrale de Carthage le 14 décembre 1893. Le même jour, il fait son entrée à Tunis. La crypte est alors terminée, mais les fondations de la cathédrale émergent seulement au niveau du parvis. Il faut se remettre à l’œuvre en concentrant tous les efforts aux assises de la façade, afin de leur donner la solidité du roc. Les difficultés financières s’accumulant, le diocèse se voit rapidement dans l’obligation pour faire face aux frais de construction de céder une partie de ses terrains. Les travaux de construction ayant été mis en veilleuse, sinon arrêtés, la remise en chantier de la cathédrale donne lieu à une remise en adjudication. Plusieurs entrepreneurs viennent présenter leur devis. Finalement, le choix se porte sur Monsieur Ramella, entrepreneur à Tunis, c’est lui qui devient l’adjudicataire des travaux. Le 4 juillet 1895, le contrat est signé entre Mgr Tournier agissant en qualité d’administrateur de l’Archevêché de Carthage et Monsieur Ramella, entrepreneur de travaux à Tunis. Dès octobre 1895, l’entrepreneur Ramella remet les travaux en chantier. On voit alors s’élever les piliers et les contreforts de l’édifice, faits d’une belle pierre à veine rose. La construction s’élève rapidement puisque déjà le 4 décembre 1895, l’architecte demande à la chancellerie qu’un quatrième acompte soit alloué à l’entrepreneur. Il faut des dépenses considérables pour arriver en quelques années à construire un vaste édifice sans tours, ni clochers, ni orgues, 56 ni sacristie, ni fonts baptismaux, mais dont la nécessité fait précipiter l’inauguration. L’inauguration de la cathédrale En la fête de Noël, le 25 décembre 1897, Mgr Combes livre au culte une cathédrale inachevée. La veille, il a procédé à la bénédiction de l’édifice, cérémonie très simple, en présence du seul clergé, mais qui permet désormais de célébrer la messe dans le sanctuaire. On est pourtant loin de la consécration, les niches réservées aux images des saints sont dépourvues de leurs icônes, l’autel majeur n’est pas encore paré de ses colonnes ioniques ni de son baldaquin. Le 25 décembre, Mgr Combes prend possession de la cathédrale. Il est entouré non seulement du clergé de Tunis, mais de tous les Pères Blancs, de l’Archiprêtre de Carthage et de Mgr Tournier, Évêque in partibus d’Hippo-Zarite. La cérémonie se déroule en présence du Résident Général entouré de ses maisons civiles et militaires et de tous les chefs de service du gouvernement du protectorat. Dès son entrée dans la cathédrale, Mgr Combes monte en chaire et donne lui-même lecture de son mandement de prise de possession. Il déclare notamment : « Qu’arrivé à Tunis à la fin de l’année 1893 et voyant les travaux de la future cathédrale suspendus, il s’est donné comme tâche de poursuivre l’œuvre commencée par le Cardinal Lavigerie, mais il ajoute que pour l’exécuter il faudrait le génie de celui qui l’a conçue... Après quatre années de travaux que le manque de ressources a parfois interrompus, nous avons couvert la cathédrale... La cathédrale, il faut maintenant l’animer de sculptures, de peintures, de vitraux... Vous le savez, nous sommes encore loin du terme, reste une étape à franchir et la plus longue, parce 57 que la dernière est toujours la plus fatigante... Dans le cours de l’entreprise, nous sommes arrivés aux deux tiers du chemin, et les dépenses durant le trajet montent au-delà d’un million. De cette somme, le 9/10° proviennent du diocèse : du diocèse réduit à se faire courtier de commerce, à placer le vin de son clos, à vendre ses dernières parcelles de terre, à chercher acquéreur du domaine de La Marsa, à se résigner au sacrifice total de l’héritage que lui avait laissé l’intelligente et hardie prévoyance de son illustre fondateur... Par ce simple aperçu, vous comprendrez que je puisse désespérer de voir jamais le couronnement de l’œuvre si je ne suis secouru... ». Cette lecture achevée, la messe pontificale commence. La Maîtrise des Pères Blancs de Carthage exécute la messe de Gounod. L’office terminé, la cathédrale est désormais ouverte au culte. L’appel de l’Archevêque est entendu et les travaux peuvent se poursuivre. Cependant bientôt surgit une difficulté nouvelle : la construction des deux clochers. Le poids prévu est trop lourd et on doit arrêter les travaux. Durant 10 ans, la cathédrale tronquée de ses deux clochers va présenter une forme disgracieuse. Dès 1901, les vitraux sont placés. Les vitraux de la cathédrale Des vitraux primitifs, il ne reste que la moitié, la guerre étant cause de la destruction de la plupart d’entre eux. Au fond de la nef, à droite en entrant, le vitrail représente saint Léon le Grand, premier Pape de ce nom, qui gouverne l’Église de 440 à 461. La seconde baie est occupée par saint Fulgence, l’illustre Évêque de Ruspe en Byzacène (région Est de la Tunisie) de 508 à 533. Il fut l’une des plus grandes gloires chrétiennes de son temps. Sainte Monique, la mère de saint Augustin, Évêque d’Hippone, a elle aussi sa 58 place dans la cathédrale. Le troisième vitrail la représente les mains jointes et la tête penchée dans une inclinaison méditative. À gauche, le premier vitrail au fond représente saint Benoît, abbé du Mont Cassin, et fondateur de l’Ordre des Bénédictins, 480-553. Dans le deuxième vitrail figure saint Eugène, il trouve sa place dans la cathédrale au titre d’Évêque de Carthage. Il fut élevé au siège de Carthage vers l’an 479. Exilé trois ans plus tard par Hunéric, il fut rappelé vers 497 par Gontamond pour connaître un nouvel exil sous Thrasimond. La chronique de Victor de Vita le fait mourir vers 505 au monastère de Viance près d’Albi, où sont vénérées ses reliques. La troisième baie représente sainte Anne enseignant la jeune Vierge Marie. Au-dessus de la galerie, à droite, saint Jean de Matha (1160-1213), fondateur des Trinitaires, rachète des provençaux captifs à Tunis. Le saint accompagné d’un de ses religieux est debout, il s’adresse à un chef musulman et indique la justesse de la rançon dont la pesée est faite sur une balance qu’un maure agenouillé tient suspendue. Le vitrail suivant représente le grand roi de France saint Louis (1214-1270) débarquant à Carthage. Les barons sous leurs lourds harnois de guerre, que recouvre en partie la tunique blanche, font face au roi, dont une des mains tient son pennon fleurdelisé, tandis que l’autre s’appuie sur son bouclier. Il est mort à Tunis. La troisième baie est occupée par saint Jean Baptiste de la Salle (1651-1719) dans le costume qu’il donna à son Institut. Sa main droite tient une feuille où sont tracés des caractères d’écriture, de la gauche, il attire à son côté un jeune garçon très attentif aux enseignements du maître. La galerie de gauche relate tout d’abord une scène biblique. Jésus répondant aux pharisiens qui l’interrogent au sujet de l’impôt : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui es à Dieu. Le deuxième vitrail retrace la scène de saint Vincent de Paul présentant à Richelieu des négociants français 59 esclaves à Tunis. L’apôtre de la charité montre au Cardinal le contrat signé avec le Bey de Tunis pour le rachat des captifs français. Richelieu, revêtu de la pourpre, est assis auprès d’une table. Derrière lui, les mains appuyées sur le dossier du fauteuil, se trouve celui qu’on a appelé l’éminence grise, le Père Joseph. Dans la troisième baie se trouve l’effigie de saint Bruno (1030-1101), fondateur de la Grande Chartreuse, dans un costume de laine blanche. Les mains jointes, il regarde devant lui dans une attitude de recueillement. La crosse abbatiale est retenue dans le pli de l’un de ses bras. Ces vitraux, dons des fidèles, sont l’œuvre du maîtreverrier, Bessac de Grenoble. Le pape émérite Benoit XVI disait aux Etats Unis : « …les vitraux qui inondent l’intérieur d’une lumière mystique. Vues de l’extérieur, ces fenêtres semblent sombres, lourdes et même lugubres. Mais quand on entre dans l’église, elles prennent soudain vie ; reflétant la lumière qui les traverse, elles révèlent toute leur splendeur. De nombreux écrivains ont utilisé l’image des vitraux pour illustrer le mystère de l’Église elle-même. Ce n’est que de l’intérieur, à partir de l’expérience de la foi et de la vie ecclésiale, que nous voyons l’Église telle qu’elle est vraiment : inondée de grâce, resplendissante de beauté, embellie des multiples dons de l’Esprit. Cela signifie que nous, qui vivons la vie de la grâce dans la communion de l’Église, sommes appelés à attirer tous les hommes à l’intérieur de ce mystère de lumière ». L’aménagement de la cathédrale Il faut aussi songer à la décoration de la cathédrale, Monsieur Le Mare, artiste peintre, pose sa candidature. Le 10 février 1906, il écrit à Mgr Tournier : 60 « Je vous accuse réception de votre lettre du 8 février courant. Je vous remercie d’avoir bien voulu appuyer ma dernière proposition auprès du Conseil de Fabrique. Je suis heureux qu’il ait agréé ma demande. Je me mets en devoir de me procurer les matériaux nécessaires au commencement du travail, et je vous adresserai dans quinze jours ou trois semaines la facture représentant le montant de mes premiers frais ». Le 26 novembre 1906, il écrit à Mgr Raoul qui, en 1902, a succédé comme curé de la cathédrale à l’abbé Bombard : « Puisque votre bienveillance m’a fait espérer de défendre ma cause devant le Conseil de Fabrique, afin d’en finir avec cette affaire de fresque, je vous serai reconnaissant de bien vouloir m’aviser du résultat par un mot, afin de n’avoir pas à vous importuner davantage. Mes idées sont les vôtres, car j’ai senti depuis longtemps que vous aviez compris l’importance de mes charges, et malgré tout, ma volonté d’atteindre un but digne, je crois, d’encouragement ». C’est le 29 mars 1908 que la lumière électrique brille pour la première fois dans la cathédrale. L’installation de ce nouveau mode d’éclairage a demandé plusieurs mois de travail. Sept lustres et deux appliques formant un total de quatre-vingt-dix bougies ornent le chœur. La table de communion est éclairée à chaque extrémité par deux appliques de cinq bougies. La nef principale est ornée de trois grands lustres, qui portent ensemble soixante-huit lumières. Chaque pilier de la nef, la chaire, la tribune et le grand orgue possèdent en outre cinquante bougies électriques. Tous ces appareils sont installés de façon à permettre plusieurs allumages séparés. Le tout est commandé par un poste central établi à la sacristie. 61 Les clochers et les cloches Le 13 mars 1910, la bénédiction des cloches est annoncée aux fidèles pour le jour des Rameaux. En attendant d’être transportées dans la nef où se fera le baptême, elles sont déposées sous le parvis. Au nombre de cinq, elles donnent comme notes : la, fa dièse, ré, si, la grave. Elles pèsent en tout 8.000 kgs et coûtent 40.000 frs rendues sur place. Sur le bourdon qui, à lui seul, pèse 3.600 kgs sont représentés les traits de Mgr Combes, Archevêque de Carthage, de Mgr Tournier, Évêque d’Hippo-zarite, de Mgr Poloméni, Évêque de Ruspe, de Mgr Pavy, vicaire général, de Mgr Raoul, curé de la cathédrale. Le nom des marraines, Mmes Bodoy, Bottessini, Abadie, Nani et Morel se lit en relief. Les clochers sont enfin terminés. C’est en 1908 que les tours de la cathédrale sont données en concours. Le jury réuni à Paris le 5 aout 1908 attribue le premier prix à Monsieur Louis Queyrel. « Ce projet, dit le rapport, se distingue principalement par une grande simplicité de composition et une bonne proportion de tours qui viennent heureusement compléter la façade existante, en conservant à l’ensemble une grande unité et une intéressante note d’art ». L’année suivante, le 17 mai 1909, l’administration diocésaine se réunit à l’archevêché pour adjuger les travaux ; la maison Allard, Clamens et Fourneron-bey est déclarée adjudicataire. Bientôt, on voit s’élever sur la cathédrale une forêt de madriers et aussi se balancer des tiges légères de fer de douze mètres de hauteur. C’est la première fois que du béton armé est employé pour édifier des tours de cathédrale. À la fin des travaux, la hauteur totale de l’édifice est portée à 52 mètres et le poids des deux clochers est approximativement de 700 tonnes. 62 Le clocher de gauche est appelé à recevoir le gros bourdon de 3.600 kgs et de 1 m 80 de diamètre, tandis que celui de droite abritera les quatre autres cloches. Le dimanche 20 mars 1910, la cathédrale est envahie par une foule d’environ 5.000 personnes avides de contempler la cérémonie du baptême des cloches. Mgr Combes fait son entrée dans le chœur entouré de Mgr Tournier, de Mgr Poloméni, de Mgr Teissier, vicaire général d’Alger, de Mgr Pavy, vicaire général de Carthage, de Monsieur Forconi, Secrétaire général de l’Archevêché, de Mgr Raoul, curé de la cathédrale, des Pères Delattre et Mallet, des curés et du clergé de la ville. Au milieu du transept, les cinq cloches revêtues de leurs robes baptismales sont suspendues à deux solides portiques. À côté de chacune d’elles ont pris place les parrains et marraines : Madame Bodoy et Monsieur Piétri, Madame Bottessini et Monsieur Rey, Madame Morel et Monsieur Imbert, Madame Nani et Monsieur Mac-Inerny, Madame Avadie et Monsieur Penfaillit. Tandis que la Schola des Pères Blancs chante les psaumes de la Pénitence, l’Archevêque bénit le sel et l’eau. Il descend ensuite vers les cloches dépouillées de leur robe baptismale, et, aidé de ses prêtres, il les lave. À l’extérieur, il les marque de l’huile des infirmes et sur le limbe intérieur, il fait l’onction du Saint-Chrême. Quand il a fini l’encensement, l’Archevêque met en mouvement l’énorme battant de 350 kgs du gros bourdon, et la voix d’airain éclate comme un coup de tonnerre sous les voûtes. La cérémonie terminée, le Primat d’Afrique monte en chaire. Dans son allocution, il félicite et remercie ceux qui ont travaillé à l’édification de la cathédrale. Il remercie particulièrement les marraines : « Pour nos cloches, le Seigneur vous inspire la généreuse pensée de les adopter, d’en devenir les mères spirituelles, les marraines. Cette pieuse et dévouée maternité, vous l’avez acceptée en esprit de 63 foi et avec un zèle qui m’a profondément ému. Déjà, je ne connais plus vos filleules que par vos noms : Pia, Marie, Pauline, Carmela, Rose... ». Dès que la cérémonie prend fin, on s’active aux travaux de placement de ces cloches. Elles ont été fondues par Messieurs Georges et Francisque Paccardin d’Annecy-leVieux. Elles pèsent respectivement : Marie, 3.600 kgs, Pia, 1.553 kgs, Pauline, 1.097 kgs, Carmela, 747 kgs 500, et Rose, 453 kgs. Pour la première fois, elles carillonnent l’Alléluia de Pâques 1910. La décoration de la cathédrale Les cloches installées, l’œuvre n’est pas pour autant terminée. Rapidement de nombreux ouvriers sous la direction de l’architecte Queyrel s’activent à achever la décoration extérieure de la cathédrale. Déjà en juin 1910, des marbres polychromes sont placés dans les colonnades, des faïences aux motifs religieux dominent le portail. Il ne reste plus qu’à placer au-dessus de l’entrée de l’église, la mosaïque qui occupera toute la largeur de la façade. Le 22 septembre 1911, la cathédrale fête les noces d’argent sacerdotales de Mgr Raoul, Vicaire Général et curé de la paroisse. Formé à l’école du Cardinal Lavigerie, l’abbé Raoul fut ordonné prêtre à Maison-Carrée, le 22 septembre 1886. En 1900, il devient Vicaire Général et curé de la cathédrale à la mort de l’abbé Bombard. Par cette manifestation, la paroisse voulait manifester son attachement à son curé. Le 6 octobre 1912, La semaine de Tunisie publie cet article : « Le chœur de notre cathédrale, contrairement à l’usage, possède dans son magnifique autel en onyx incrusté de mosaïques de Venise, un tabernacle où sont conservées les Saintes Espèces, et ce Maître-autel, depuis que l’imposante statue du Sacré-Cœur a trouvé 64 sa place au fond du sanctuaire, est devenu l’autel de la Confrérie du Sacré-Cœur. Celle-ci l’a déjà doté des riches candélabres qui l’ornent les jours de fête. Maintenant elle se préoccupe de lui préparer un cadre plus digne en faisant sculpter les chapiteaux à peine dégrossis des piliers et colonnes qui entourent le chœur et dont la vue contraste de façon choquante avec les fines ciselures et les mosaïques resplendissantes du Maître-autel. En ce moment, trente-cinq chapiteaux sont à peu près sculptés, mais ce travail ne représente pas le tiers de ce qui reste à faire. La Confrérie pourrat-elle mener à bonne fin une entreprise qui dépasse de beaucoup ses modestes ressources ? Oui, nous l’espérons et nous adressons un chaleureux appel à la générosité des fidèles qui, comme chrétiens, doivent avoir le zèle de la Maison de Dieu ». Le 29 décembre 1912, la Semaine de Tunisie lance un nouvel appel : « Les sculptures des chapiteaux et corniches du chœur sont presque terminées et l’on va s’occuper sous la direction éclairée de Mgr Raoul, Vicaire Général, de poser une teinte générale très légère sur la voûte. On abordera ensuite les colonnes principales dont la dureté rend l’opération assez couteuse. Il serait nécessaire que tous les catholiques qui s’intéressent à l’embellissement d’un des plus beaux monuments de Tunis, prennent à honneur d’aider à cette entreprise. On a profité de la présence des ouvriers pour faire agrandir l’abat-voix de la chaire dont la disposition primitive était défectueuse ». Au début de janvier 1913, les échafaudages qui masquaient les travaux de sculptures du chœur sont enlevés. Il reste enfin à terminer les chapiteaux des colonnes supportant les arcatures principales du chœur. 65 Le jubilé de Mgr Combes Dès le 30 mai 1914, la cathédrale prépare les fêtes du Jubilé sacerdotal de l’Archevêque, Mgr Combes. Pour offrir le plus de places possibles aux fidèles, un entrepreneur est chargé de construire des tribunes et des gradins autour du chœur et des nefs latérales. L’ornementation intérieure et extérieure de la cathédrale est également prévue. Pour perpétuer le souvenir de ces fêtes, le comité organisateur fait frapper à Paris 5.000 médailles commémoratives. La médaille de 3 cms de diamètre porte à l’avers l’effigie de N.D. de Carthage avec l’invocation « Santa Maria, adjuva nos » et au revers la Primatiale de Carthage avec cette inscription « Souvenir du jubilé du Primat d’Afrique – 1914 ». Août 1914. C’est la guerre. Dès lors les travaux de la cathédrale sont ralentis. Novembre 1918, la guerre a pris fin. Le dimanche 24 novembre, un « Te Deum » est chanté à la cathédrale. Les fidèles peuvent alors apprécier une décoration électrique qui rehausse les grandes lignes architecturales de la cathédrale et fait éclater les couleurs des drapeaux alliés, semés à profusion. Mgr Combes est entouré de Tournier et Poloméni, des chanoines de Carthage en chape et mitre, et de tout le clergé de Tunis. Le matin du samedi 19 juillet 1919, à gauche du transept (aujourd’hui chapelle du Saint-Sacrement), est béni le nouvel autel érigé en l’honneur de saint Vincent de Paul. Il remplace un autel provisoire construit en bois. Cet autel, conçu et dessiné par Monsieur Spiteri, a été exécuté par les ateliers Ramella. Le pontificat de Mgr Lemaître Le 18 septembre 1920, la Semaine Catholique de Tunisie annonce la nomination de Mgr Lemaître comme Archevêque-Coadjuteur de Carthage. 66 Le Prélat arrive à Tunis le mardi 26 octobre. Mgr Lemaître est intronisé solennellement dans la cathédrale de Tunis, le jour de la Toussaint 1920. Le défilé des confréries, des clercs de la Maitrise, du clergé de la cathédrale, du Chapitre métropolitain de Carthage précède le nouveau Pontife. Arrivé au pied de l’autel, Mgr Lemaître s’agenouille et remet ses Bulles pontificales à Mgr Poloméni, qui en fait aussitôt au clergé et au peuple la proclamation : « Benoît, Évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu, à nos chers fils les membres du Chapitre de l’église cathédrale de Carthage, salut et bénédiction apostolique. En ce jour, en vertu de la plénitude de Notre Pouvoir apostolique, Nous avons brisé les liens qui jusqu’ici attachaient notre Vénéré Frère, Alexis Lemaître, Évêque titulaire de Sitifis et Vicaire Apostolique du Sahara, à cette église de Sitifis, et Nous le relevons de sa charge de Vicaire Apostolique du Sahara... Pour des raisons de Nous connues, sur les conseils de Nos vénérables frères les Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine et toujours en vertu de Notre autorité apostolique, Nous constituons à perpétuité et irrévocablement celui qui vient d’être nommé Archevêque de Casaba, comme coadjuteur avec succession pour le gouvernement et l’administration du diocèse de Carthage, de Notre vénérable frère Barthélemy Clément Combes, Archevêque actuel de Carthage, lequel Nous a donné son consentement...». Dès son arrivée à Tunis, Mgr Lemaître manifeste le désir de fonder une maîtrise à la cathédrale et il en confie la direction à Monsieur Eugène Janssen, premier prix du conservatoire royal de Liège. Le 15 mai 1921, on annonce aux fidèles que de nouvelles orgues ont été commandées à la Maison Cavaillé, pour remplacer l’instrument vieilli et cent fois réparé, et dont 67 l’organiste, l’abbé Grevers, essaie de tirer le meilleur parti possible. Février 1922, Mgr Combes meurt. Le 12 mars 1922, Mgr Lemaître est intronisé solennellement dans la cathédrale de Tunis comme Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique. Partie de l’Évêché, la procession entre dans la cathédrale par la grande porte. En tête, marchent les Confréries, le séminaire, le clergé, les supérieurs du séminaire, les chanoines ave leurs mitres blanches, les quatre Évêques portant la crosse : Mgr Le Ruzic, Évêque de Madaura, Mgr Dupont, Évêque de Thibar, Mgr Poloméni, Évêque de Ruspe, Mgr Fournier, Évêque d’Hippone-Zarite. Arrivé à l’autel, le nouvel Archevêque s’agenouille devant les quatre Évêques et lit sa profession de foi. Ayant témoigné de son obédience envers le Saint Siège, le Pontife occupant pour la première fois le trône reçoit à son tour l’obédience de son clergé. Mgr Raoul célèbre ensuite la messe. En décembre 1922, le pallium16 rapporté de Rome par le Père Delpuch est remis à Mgr Lemaitre. Les orgues de la cathédrale Le 28 octobre 1923 a lieu la bénédiction des orgues. De son trône, le Primat donne la bénédiction. À peine est-elle terminée que Monsieur Righo, l’organiste, fait entendre une entrée majestueuse qui permet d’apprécier la puissance des nouvelles orgues et la beauté du son. Les orgues de la marque Mutin-Cavaillé-Coll ont été construites à Paris (Cf. p. 119). Par décision archiépiscopale en date du 26 septembre 1924, Mgr Raoul, curé de la cathédrale, est nommé Supérieur ecclésiastique diocésain des communautés religieuses, Mgr Bayonne est appelé à lui succéder à la cathédrale. 16 Le Pallium est un insigne que reçoivent tous les Archevêques résidentiels ; il est le symbole de leur union avec Rome et de leur dépendance vis à vis du Saint Siège. 68 La fresque de la cathédrale Dès le mois de mai 1927, des pourparlers sont entrepris dans le but de décorer la cathédrale. Le 27 mai 1927, Monsieur Guénard écrit à Mgr Lemaître : « Mon vieil ami, l’abbé Brun, m’a rapporté que vous seriez désireux d’avoir mon opinion sur Monsieur Le Mare, artiste peintre. Je suis tout à fait à l’aise, Monseigneur, pour répondre à votre désir, car je tiens Monsieur Le Mare pour un des artistes les plus probes, les plus modestes, les plus consciencieux qui soient. Il est plus : c’est un grand artiste et solide constructeur, connaissant à fond le dessin, capable de produire de grandes œuvres et peignant avec un sérieux rare du modelé, des valeurs et des nuances. C’est certainement pour Tunis une bonne fortune de posséder un pareil peintre dont la place est à Paris. Monsieur l’abbé Brun ne m’a pas confié vos projets, mais il m’a laissé entendre que vous seriez disposé à lui confier l’exécution d’un travail. Je crois que vous ne pourriez pas faire un meilleur choix... ». Les transactions ne trainent pas en longueur, puisque déjà le 5 octobre 1927, Monsieur Le Mare écrit à l’Archevêque : « J’ai l’honneur de vous adresser réception de la lettre datée du 25 septembre que votre Grandeur a bien voulu m’adresser elle-même. Empreinte d’un sentiment de religieuse sollicitude pour moi et les miens, cette lettre est un précieux encouragement dans l’exécution d’une œuvre dont le succès, s’il plait à Dieu, sera le plus beau couronnement de ma carrière. Nous sommes pleinement d’accord, Monseigneur, sur les conditions dans lesquelles s’effectuera le travail. Mes occupations professionnelles ne me permettront 69 pas de mener aussi rapidement que je le désirerais l’œuvre à entreprendre, mais je compte beaucoup sur votre grande indulgence. Votre bénédiction secondera mes efforts. Au retour de Monsieur l’abbé Brun et après création d’une commission devant laquelle j’exposerai mes projets, je commencerai aussitôt mes études de décoration. J’y apporterai tout mon zèle, toute ma foi ». Il faut effectivement attendre le mois de juin 1929 pour voir d’édifier dans le chœur les échafaudages qui permettront à Monsieur Le Mare, assisté de son gendre, Monsieur Dumas, professeur de dessin au lycée Carnot et d’un élève de l’école des Beaux-Arts, de dessiner et de peindre la fresque. Pressé par le Congrès Eucharistique de Carthage qui se profile, l’artiste compte beaucoup sur les trois mois de vacances officielles pour mener à bien son œuvre. La maladie vient déjouer ses projets et il doit partir en France pour rétablir sa santé et réparer ses forces. C’est alors Monsieur Dumas qui transpose les dessins de Monsieur Le Mare à grandeur d’exécution, de sorte que, lorsqu’il rentre de France, il peut reprendre immédiatement la palette. Le 4 mai 1930, en vertu d’un indult Pontifical, la cathédrale célèbre la solennité de saint Vincent de Paul, son Patron. C’est ce jour que choisit l’Archevêque pour procéder à la bénédiction de la fresque. La fresque de la voûte qui représente une surface sphérique de 130 m2 s’intitule « L’apothéose de saint Vincent de Paul ». L’artiste a voulu équilibrer trois idées, à trois époques différentes et dans un même cadre. À gauche, la Tunisie à l’arrivée du P. Jean Le Vacher (novembre 1647), lazariste et consul de France, son plaidoyer en faveur des esclaves auprès du Bey de Tunis et les soins donnés aux malheureux esclaves par les fils de saint Vincent de Paul. À droite, la Tunisie d’aujourd’hui, avec les filles de la Charité de saint Vincent de Paul qui ont préparé le terrain au 70 Cardinal Lavigerie, dont la statue se détache sur le fond. La représentation de la cathédrale, avec Mgr Combes, Mgr Poloméni et Mgr Lemaître qui en descend les marches à la suite d’une blanche procession. Au centre, l’apothéose de saint Vincent de Paul, sa montée vers le ciel où les anges l’accueillent. Les trois idées sont reliées entre elles de façon à former un ensemble, et il semble que l’artiste ait voulu exprimer une continuité et une unité historique lorsqu’il représente les murailles et les tours de la Kasbah, et leur faisant face, la cathédrale. La fresque se complète par des arcatures où figurent des martyrs et pères de l’Eglise africains des premiers siècles. Du 7 au 15 mai 1930 se célèbre le Congrès Eucharistique de Carthage. Le 7 mai, l’ouverture solennelle du Congrès a lieu sur le parvis de la cathédrale et sous la présidence du Cardinal Lépicier, Légat apostolique. Durant le Congrès, plus de 80 messes sont célébrées chaque jour à la cathédrale, notamment par de nombreux Évêques (la concélébration n’était pas autorisée). Mgr Lemaître et sainte Bernadette En 1934, la canonisation de sainte Bernadette Soubirous a une grande répercussion dans l’Église de Carthage, en effet, la guérison de Mgr Lemaître a été un des deux miracles reconnus, après une longue et minutieuse enquête, comme apportant un argument décisif à la cause de la sainteté de Bernadette. L’Archevêque, dès la canonisation décide d’élever dans un des nouveaux et des plus beaux quartiers de la périphérie tunisienne une église, que la piété populaire décore d’ailleurs du nom de Basilique, en l’honneur de la nouvelle sainte. 71 Le nouveau curé de la cathédrale Le 14 octobre 1934, l’abbé Rouvelet, curé-doyen de Bizerte, est nommé curé de la cathédrale de Tunis ; en même temps, il reçoit les insignes de Chanoine honoraire de la Primatiale de Carthage. Le dimanche 18 novembre 1934, a lieu à la cathédrale l’installation des nouveaux chanoines et du nouveau curé. Le rite d’installation terminé, Mgr Lemaître monte en chaire où il déclare que cette nomination est une réponse à la faveur que lui a faite sainte Bernadette en le guérissant, et que c’est le bouquet qu’il lui offre en témoignage de reconnaissance. De plus, l’année 1934, et plus spécialement au mois de novembre, se situe le cinquantième anniversaire de l’érection de l’Archidiocèse de Carthage par Léon XIII. Les chœurs de la Chapelle Sixtine, que dirige Mgr Casimiri, de passage à Tunis, donnent deux concerts religieux et liturgiques à la cathédrale, l’un le jeudi 15 avril 1936, et l’autre le dimanche 19 avril. C’est le jeudi 23 avril 1936 que la cathédrale fête le jubilé épiscopal des 25 ans de sacre de Mgr Lemaître. En juillet 1936, l’Archevêque fatigué doit faire un séjour en France. Il confie les pouvoirs de Vicaire Général à Mgr Rouvelet, curé de la cathédrale, et en son absence, à l’abbé Commarmond, secrétaire. Le 25 avril 1937, les chœurs et orchestres composés de 180 exécutants sous la direction de Maurice Babin chantent à la cathédrale la messe en Ut Majeur de Beethoven en faveur des orphelins de La Marsa. Aux premières mesures du Kyrie, les petits orphelins, vêtus sobrement d’un costume similaire, les bras croisés sur la poitrine, font leur entrée dans la cathédrale, provoquant un moment d’émotion. La fête du 15 août 1937 revêt un éclat particulier. Sur l’initiative du clergé et du Comité, les fidèles offrent à N.D. de Trapani deux couronnes en or, ornées de pierres précieuses, et cela, en souvenir du deuxième couronnement qui a eu lieu à 72 Trapani, et auquel ont participé 500 tunisiens. Les couronnes, l’une pour la Vierge et l’autre pour son Fils, ont été exécutées d’après l’original par le bijoutier Bianchi. Elles sont placées sur la tête de l’Enfant Jésus et sur celle de sa Mère le samedi 14 août par Mgr Esposito, chanoine de Vico Aquense, près de Naples. Quand le 15 août, elle sort dans les rues de Tunis, portée par les pêcheurs, elle est acclamée par des milliers de voix17. Le pontificat de Mgr Gounot La presse annonce le 29 août 1937, que le Pape a nommé comme Archevêque coadjuteur de Carthage, Mgr Charles Albert Gounot, lazariste. Mgr Gounot qui porte le titre d’Archevêque de Marcianopolis, est sacré Évêque le 28 octobre 1937, à la maison-mère de Saint Lazare à Paris, par le Cardinal Verdier, Archevêque de Paris. Mgr Gounot prend son premier contact avec la Tunisie le jeudi 18 novembre 1937. À l’arrivée, il se rend à la cathédrale pour mettre son ministère sous la protection de Dieu. Le mardi 23 novembre, Mgr Gounot est intronisé solennellement dans la cathédrale de Tunis en présence de nombreuses personnalités. Le 16 Janvier 1938, la cathédrale reçoit la visite des Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Le 24 janvier 1938, au soir, Mgr Raoul, Archidiacre de Carthage et ancien curé de la cathédrale, meurt dans la 79° année de son âge et la 52 ° de son sacerdoce. Le mercredi 29 juin 1938, Mgr Lemaître célèbre ses cinquante ans de sacerdoce. Au cours de la messe à la cathédrale, il ordonne prêtre un élève du grand séminaire, 17 La procession avec N.D. de Trapani, à Tunis, a été arrêtée en 1962, mais reprise symboliquement 55 ans après, le 15 août 2017 à la Goulette. 73 l’abbé Carrière. À cette occasion, il reçoit du Premier Ministre du Bey cette lettre : « Monseigneur, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ordination sacerdotale de Votre Grandeur, je vous prie de me permettre de vous adresser les vœux et souhaits ardents que je forme pour que le Très-haut vous conserve en excellente santé pendant de très longues années. Ces vœux sont d’autant plus sincères que vous êtes dans ce pays l’Éminent Grand Ami des musulmans auxquels vous avez toujours cherché à faire du bien. Son Altesse le Bey, mon auguste Souverain, qui a appris l’heureux évènement que toute la Tunisie fête aujourd’hui m’a fait l’honneur de me charger de faire parvenir à son grand ami Monseigneur l’Archevêque, à cette occasion, ses vœux très affectueux. Je vous prie d’agréer, Vénéré Monseigneur, la nouvelle assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement. Lakhoua, Premier Ministre de S.A. le Bey ». Après le décès de Mgr Lemaitre le 16 mai 1939, dans une lettre pastorale datée du 31 mai 1939, Mgr Gounot annonce au clergé sa prise de possession du siège archiépiscopal de Carthage. Tout de suite, c’est le prélude de la guerre. Le 1° octobre 1939, le Primat préside à la cathédrale la messe militaire, messe qui, en période de guerre, sera célébrée tous les dimanches à 11 heures 30. Le 31 décembre 1939, il est annoncé que, sur proposition de l’Archevêque, Mgr Rouvelet, curé de la cathédrale, est nommé par le Saint Siège, chanoine théologal du Chapitre. 74 Baptistère de la cathédrale Dès le 19 janvier 1941, la cathédrale possède un nouveau baptistère. Il est installé dans la chapelle de N.D. de Trapani, à l’entrée gauche de la cathédrale, et séparé d’elle par une grille (aujourd’hui boutique de la cathédrale). Le pied et la cuve des fonts baptismaux (aujourd’hui à la chapelle du Sacré-Cœur), taillés dans la même pierre que celle des piliers de la nef, sont l’œuvre de Monsieur Sauver Figlia, auquel la cathédrale doit déjà plusieurs œuvres, dont la statue de sainte Bernadette. Sur la cuve, on lit l’inscription « Fons vivus aqua regenerans unda purificans ». Elle est recouverte d’une plaque de bronze à deux couvercles et surmontée d’une croix ; ce travail est dû à Monsieur Schembri. Le 13 juin 1941, on apprend la nomination de Mgr Hervé Bazin, Vicaire Général, comme Chanoine titulaire et curé de la cathédrale de Tunis. Mgr Rouvelet devient premier Vicaire Général. Le dimanche 30 juin, Mgr Rouvelet procède à l’installation du nouveau curé dont, dans une homélie, il fait un brillant éloge. Le 10 novembre 1941, la cathédrale est munie d’un système de haut-parleurs. Poursuivant les démarches déjà entreprises par son prédécesseur auprès des Établissements Ducretet, Mgr Bazin demande qu’on procède à la pose de douze diffuseurs. Vu les difficultés du moment, il ne lui est pas possible d’obtenir plus d’un micro, qui, pour plus de commodité, est placé sur un pied mobile près de la Table Sainte. Sous la direction de Charles Boisard, le vendredi 27 mars 1942, le « Requiem » de Mozart est exécuté à la cathédrale. La manécanterie des Petits Chanteurs de Gabès, filiale des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, vient à Tunis, les 25 et 26 juillet 1942. À cette occasion, ils donnent un récital de chant dans la cathédrale. 75 Le dimanche 27 juin 1943, le général de Gaulle assiste officiellement à la messe à la cathédrale. À son arrivée, l’Archevêque le salue en ces termes : « Mon général, Je suis heureux et honoré de saluer, à l’entrée de ma cathédrale, respectueusement, et si vous le permettez, affectueusement, l’un des plus grands chefs de la Nation Française. Ministre de Dieu et chef spirituel, je n’ai jamais demandé aux gouvernants que le respect des droits de Dieu et de la conscience. Ma politique n’est que celle du Christ et de son Église : la recherche du bien commun, spirituel et matériel, dans l’obéissance à ceux que la Providence établit détenteurs du pouvoir temporel. Je demande à Dieu de vous bénir et de vous aider dans votre rude tâche de libération et d’organisation du pays. C’est à cette intention que la messe va se célébrer. Nous y porterons un souvenir reconnaissant et ému pour ceux qui ont sacrifié leur vie au salut de la Patrie, et, comme je vous le disais hier, suivant vos désirs, la prière qui montera de nos cœurs sera, avant tout, pour la France ». Dans ses remerciements, le général reconnaît le rôle social important de l’Église, qui aura dans la réorganisation française la grande place qu’elle mérite. Le 25 février 1944, une ordonnance archiépiscopale fixe la délimitation des paroisses de Tunis18. 18 Le territoire de la cathédrale est situé comme suit : partant du Sud-Est, Chemin de Fer T.G.M., avenue Bourguiba, avenue de Carthage (côté Ouest) jusqu’au Pont passant sur la ligne de Chemin de Fer. De ce Pont, une ligne laissant à l’Est la Gare et aboutissant à l’angle de la rue EsSadikia. Rue Es-Sadikia, rue de Russie, rue Al-Djazira, Porte de France, rue des Maltais, rue Bab-Souika, rue des Protestants jusqu’à l’embranchement sur la rue Tronja. La rue Tronja et ses impasses appartiennent à la cathédrale. De la jonction de la rue Tronja avec la rue des protestants, une ligne allant aboutir à l’angle de la rue Ed-Drayed, à 76 Le 29 juin, l’Archevêque confère l’ordination sacerdotale aux abbés de Fradel et Iacono, dans la cathédrale. De retour en Tunisie, pour donner une série de récitals, les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, sous la direction de l’abbé Maillet, se font entendre à la cathédrale le 15 avril 1945, au cours de deux messes. Mai 1945, c’est enfin la paix. Les paroissiens de la cathédrale fêtent le 1° juillet 1945, le 25° anniversaire de l’ordination sacerdotale de Mgr Hervé Bazin, leur curé. Le même jour, l’abbé Roch Namura, fils de la paroisse, monte à l’autel pour la première fois. En juillet 1946, la crypte de la cathédrale, inutilisée depuis longtemps est transformée en chapelle fermée, autour de laquelle sont distribués les différents locaux scouts de la paroisse. L’abbé Champenois, premier vicaire et aumônier des scouts, réalise ce tour de force, de faire effectuer une centaine de mille francs de travaux qui sont couverts par des chrétiens charitables. À la cathédrale encore, la salle des mariages (aujourd’hui l’actuelle sacristie), mal éclairée, est aménagée en un lieu coquet de réunion. Par décision épiscopale du 1 février 1947, Mgr Hervé Bazin, Vicaire Général, est nommé administrateur du Temporel diocésain et président de la commission des chantiers du diocèse de Carthage. L’abbé Champenois administre comme vicaire économe la paroisse de la cathédrale jusqu’à la nomination du curé. son embranchement sur la rue Bab-El-Khadra. Ensuite une diagonale partant de l’embranchement de la rue Ed-Drayed sur la rue Bab-El-Khadra, traversant cette rue et aboutissant à la rue El-Bechtaoui. Rue El-Bechtaoui, rue des Salines, avenue de Londres, avenue de Paris, rue Hoche et une ligne droite en prolongation de la rue Hoche et allant jusqu’au lac. 77 Première restauration de l’orgue Mai 1947, depuis plus d’un mois les orgues de la cathédrale se sont tues. En effet, une réparation ayant été reconnue nécessaire, c’est un facteur d’orgue de Casablanca, Monsieur Renevier, qui entreprend la restauration, travail considérable, car il faut sortir de l’orgue plus de 2.000 tuyaux, les nettoyer, en réparer les défauts, revoir entièrement les sommiers, la soufflerie, les soupapes, exercer un contrôle minutieux sur une mécanique compliquée et la régler. Reste enfin le travail le plus délicat, celui de replacer les tuyaux, de l’accorder et de faire l’harmonie totale de l’instrument. Dans une lettre pastorale datée du 13 juin 1947, Mgr Gounot annonce la nomination de Mgr Perrin, comme Évêque titulaire d’Utique et auxiliaire de Carthage, en ces termes : « Le Saint Père a daigné m’accorder le 11 juin dernier un auxiliaire dont l’élection réjouit mon cœur. J’ai la conviction que ce choix connu du public la veille même de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, fait aussi la joie de notre clergé et de tous ceux qui connaissent bien le nouvel élu. Dieu soit béni de l’insigne faveur dont bénéficie l’Église de Carthage ». Le 18 août 1947, l’abbé Guy Champenois est nommé curé de la cathédrale de Tunis. Le mardi 28 octobre 1947, la foule se presse devant la cathédrale, attendant l’ouverture des portes, pour assister à l’ordination épiscopale de Mgr Perrin. C’est un évènement peu commun, puisque, depuis 30 ans, il n’y a pas eu de sacre en Tunisie, le dernier étant celui de Mgr Leynaud, Archevêque d’Alger. Le 21 décembre 1947, la cathédrale fête les « noces d’argent » de Monsieur Rigo, organiste et directeur de la Maitrise archiépiscopale. 78 Le 11 juillet 1948, un jeune prêtre ordonné le 29 juin, l’abbé Cyrille Ogna, célèbre sa première grand’messe à la cathédrale. À l’occasion du passage des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, le dimanche 6 février 1949, vingt petits chanteurs de la cathédrale reçoivent leur aube des mains de l’abbé Maillet. Mgr Perrin préside la cérémonie. Viste du Nonce Apostolique Angelo Roncalli (pape saint Jean XXIII) Pour la première fois depuis sa restauration, le diocèse de Carthage reçoit la visite du Nonce Apostolique, en la personne de S.E. Mgr Ange Joseph Roncalli (future pape saint Jean XXIII). Mgr Roncalli, accompagné de Mgr Forni, premier auditeur de la nonciature, arrive en Tunisie, venant de Constantine, par la route, le 25 mars 1950. Le dimanche 26, dans la cathédrale de Tunis où se masse la foule des fidèles, Mgr Roncalli, précédé de Mgr Gounot et de Mgr Perrin, fait son entrée solennelle pour assister à la messe célébrée par Mgr Champenois. Les stalles du chœur sont occupées par les membres du Chapitre et un nombreux clergé. Dès que le Nonce est parvenu au trône, assisté d’Hervé Bazin et Verhas, l’office commence. À la fin de la cérémonie, Mgr Roncalli prend la parole, et s’adressant avec une grande simplicité à la foule, il commence par remercier la Tunisie pour son accueil, et en soulignant combien cette cérémonie était un acte d’union de la chrétienté autour du Souverain Pontife. Le Nonce Apostolique quitte alors l’église en bénissant la foule qui se presse sur son passage. Le 23 mai 1952 meurt le Maître Antoine Rigo, organiste de la cathédrale durant trente ans, Maître de chapelle et directeur-fondateur de la Maitrise archiépiscopale. L’absoute est donnée à la cathédrale par l’Archevêque. La cathédrale a vieilli au cours de la guerre ; les bombes tombées à la rue d’Athènes, au Palmarium et au 79 Casino, sont cause des fissures de la voûte et de la perte d’un grand nombre de vitraux. Des réparations sont nécessaires, mais il faut trouver des fonds. Tout est mis en œuvre et le mercredi 10 décembre 1952, sous le haut patronage de la Comtesse de Hautecloque et la présidence de Mgr Gounot, le Comte Léonce de Saint-Martin, titulaire des grandes orgues de N.D. de Paris, donne un récital au profit de la restauration de la cathédrale. La consécration de la cathédrale En 1953, la cathédrale a 56 ans d’existence et pourtant elle n’est pas encore consacrée. Mgr Gounot décide de fixer cette cérémonie le 23 mai. Le 2 au soir, le coffret contenant les reliques de saint Vincent de Paul, de saint Cyprien et de sainte Restitute, qui doivent être scellées dans l’autel majeur, sont déposées à la chapelle de l’Archevêché. Le samedi matin, 3 mai, à 7 heures, la cathédrale est complètement vide, les portes sont fermées, seul un diacre garde le sanctuaire. L’Archevêque, entouré des autres Prélats, Mgr Perrin, Mgr Duval, Évêque de Constantine, Mgr Mercier, Vicaire apostolique du Sahara, Mgr Pinier, Évêque auxiliaire d’Alger, le Père Slattery, supérieur général de la Congrégation de la Mission, se rend à la chapelle de l’Archevêché. La procession se forme et se rend sur le parvis de la cathédrale où sont chantées les litanies des Saints, à la fin desquelles Mgr Gounot bénit l’eau et le sel. Le Prélat fait ensuite par trois fois le tour de la cathédrale en aspergeant les murs d’eau bénite. Ce rite terminé, les portes s’ouvrent, et l’Archevêque accompagné de ses ministres et du maçon qui doit sceller les reliques dans l’autel, entre dans le sanctuaire. Il procède au rite de la consécration et la messe est chantée par le Père Slattery, supérieur général des lazaristes. La cérémonie de consécration est présidée par le Cardinal Roques, Archevêque de Rennes et Primat de Bretagne. 80 Le pontificat de Mgr Perrin Monseigneur Perrin, nommé Vicaire capitulaire du diocèse, annonce au clergé et aux fidèles le décès de Mgr Gounot en ces termes : « Notre vénéré et bien-aimé Archevêque s’est éteint dans la paix du Seigneur, le samedi 20 juin 1953, vers 9 heures du soir, après une courte maladie... Notre douleur est vive.... Nous perdons en lui un père très bon... ». Il a été inhumé à la Primatiale de Carthage. Le vendredi 30 octobre 1953, l’Agence France-Presse répand la nouvelle que Mgr Perrin, Vicaire capitulaire, est nommé Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique. Le dimanche 13 décembre, une douzaine de manéchantres reçoivent de la main de Mgr Perrin l’aube. Les 90 Petits Chanteurs, sous la direction de Monsieur Léon Petit, et accompagné à l’orgue par Monsieur Lejus, interprètent plusieurs motets polyphoniques de la Renaissance. La cérémonie publique de l’intronisation de Mgr Perrin se déroule en la cathédrale, le mardi 22 décembre 1953. Mgr Hervé Bazin, tourné face au peuple, donne lecture des Lettres apostoliques nommant Mgr Perrin Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique. Aussitôt après, tous les membres du clergé présents se rendent au trône et font acte d’obédience au nouvel Archevêque. La cérémonie se termine par le Te Deum. Deuxième restauration de l’orgue La restauration des orgues de la cathédrale est décidée en mars 1954, par Mgr Champenois, curé. Une visite minutieuse, faite par des experts qualifiés, a en effet révélé que des pièces vitales de l’instrument étaient usées ou cassées, qu’il y avait des fuites importantes dans les soufflets et que la poussière accumulée au cours des années atteignait à certains endroits un centimètre d’épaisseur. 81 Cet instrument est évalué à l’époque de 21 à 22 millions de francs, et de l’avis de personnes autorisées, comme Monsieur Paul Franck et le Comte de Saint-Martin, titulaire des grandes orgues de N.D. de Paris, il est considéré comme les plus belles orgues de l’Afrique. La remise en état est confiée à la Maison Merklen et Kühn de Lyon. Les travaux prennent plus d’un mois. Il faut en effet tout démonter, remplacer 3.000 écrous de cuir et plus de 300 soupapes, et coûtent la somme de 1.500.000 frs. Les nouveaux vitraux de la cathédrale Les vitraux abîmés par la guerre demandent de nombreuses réparations, et en février 1954, Mgr Champenois lance un appel à ses paroissiens. Il leur écrit : « ...J’ai pensé que nous pourrions, en unissant nos efforts, offrir une rose à la Vierge. ... Cette rose, c’est un Maïtre-Verrier de Grenoble, Monsieur Paul Monfollet, qui sera chargé de la réaliser. Elle remplacera la grande verrière qui se trouve dans le bras gauche du transept, du côté de l’autel de N.D. du MontCarmel, et représentera l’Assomption de Marie dans le ciel. Nous en profiterons pour changer les vitraux des quatre fenêtres qui entourent la Grande Rose, de façon à réaliser un ensemble harmonieux. D’ailleurs ces vitraux ont été abîmés sans doute par les bombardements de Tunis, ce qui provoque dans l’église de terribles courants d’air. Mais, comme le dit le proverbe : « Il n’y a pas de roses sans épines », c’est à dire, qu’il n’y a pas de joie sans peine. Le devis de cette tranche de travaux s’élève à environ 1.600.000 frs. Cela demande de notre part à tous un sérieux effort... ». 82 Les travaux de réalisation progressent rapidement, et dès janvier 1955, dans une interview, Monsieur Paul Montfollet déclare : « ... Pour la cathédrale de Tunis, enserrée dans les immeubles voisins, le sujet principal qui m’a guidé a été la lumière, thème s’adaptant à la fonction même du vitrail. Faire venir la lumière d’en-haut, des fenêtres de la haute nef. L’étude générale a été faite en ce sens, en partant de la tribune avec des couleurs assez soutenues bleues et or, pour arriver au chœur avec une lumière franche venant baigner l’autel majeur dans une atmosphère dorée. Les transepts n’apportent pas la grande lumière, mais des tâches colorées ; Chapelle de la Ste Vierge, bleues ; chapelle du Sacré-Cœur, rouges. Pour la haute nef, il est prévu l’emploi de plaques de verre très inégales, inspirées de plateaux du Moyenâge. Elles donneront les vibrations et l’intensité de lumière colorée recherchée. Présentement les vitraux de la chapelle de la Vierge sont en voie de finition et seront expédiés courant janvier. Il est probable que ces premiers vitraux, dont la grande fenêtre centrale représente l’Assomption de la Vierge, et les quatre autres de côté, qui apportent un jeu de lumière bleue surprendront par ce fait même. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une toute autre lumière viendra de la haute nef, et dirigera la clarté vers l’autel ». En avril 1954, la rosace est posée ainsi que les vitraux de côté représentant la Tour d’Ivoire et l’Arche d’Alliance et en mars 1957, Mgr Champenois annonce à ses paroissiens que le projet d’une rosace en l’honneur du Sacré-Cœur est à l’étude. Il fait appel à leur générosité et profite de l’occasion pour remercier les Bretons de Tunisie, qui ont donné près de 100.000 frs pour le vitrail de sainte Anne, et aussi les avocats de Tunis qui offrent le vitrail représentant saint Yves. 83 Pendant tout le mois de janvier 1959, un échafaudage d’une vingtaine de mètres de hauteur envahit le côté droit du transept. En effet, Monsieur Paul Monfollet, aidé de sa fille Françoise et d’une équipe de maçons, procède au démontage des anciens vitraux pour les remplacer au fur et à mesure par les nouveaux. Peu à peu, la grande rosace prend forme révélant le mystère de la Pentecôte, dans une harmonie de rouge et de jaune, avec quelques touches de bleu profond. Puis ce sont les quatre grandes fenêtres du transept à dominance rouge et vert, avec au centre, un motif discret symbolisant les quatre évangélistes. En mars 1959, les travaux sont terminés, et il est alors possible d’admirer l’ensemble de l’œuvre. À gauche, l’Assomption, la Vierge s’élève regardant le ciel, tandis que les anges, au-dessus d’elle, soulèvent la couronne destinée à son éternité. Sa longue robe s’attarde sur les disciples et les fidèles qui la voient partir vers l’inaccessible. À droite, le vitrail de la Pentecôte se lit un peu plus difficilement. Le Père dans un geste large enveloppe le Christ aux bras cloués à la croix. Du Christ se détache, sous sa forme de colombe, le vol de l’Esprit Saint. Les langues de feu déferlent sur les Apôtres prosternés, cependant qu’au milieu d’eux la Vierge étend les mains pour accueillir le rayon de l’Esprit. Dans la nef de droite, sont placés les vitraux représentant saint Yves, saint Michel Archange et sainte Anne. En octobre 1960, de chaque côté du déambulatoire, trois nouveaux vitraux sont placés. Leurs teintes de plus en plus riches, au fur et à mesure que l’on avance, conduisent au vitrail principal, celui de saint Vincent de Paul, placé derrière le maitre-autel. La statue de saint Vincent de Paul, qui surplombait le Maître-autel est déplacée, et le mur du fond abattu, afin de permettre de contempler le vitrail du patron de la cathédrale depuis le portail d’entrée19. En 2013 nous avons préféré remettre à nouveau le mur du fond du chœur mais avec le crucifix qui se trouvait au milieu de la nef centrale, redonnant 19 84 Le dimanche 23 juin 1961, Mgr Perrin célèbre à la cathédrale une messe pontificale à l’occasion du 25° anniversaire de son ordination sacerdotale. Le 24 septembre 1961, Mgr Hervé Bazin, curé de la cathédrale de 1941 à 1947, demande à être déchargé de son ministère. Durant 40 ans, il a travaillé en Tunisie. Il quitte le pays pour prendre sa retraite en France. Modus Vivendi et la cathédrale Après 8 ans de la déclaration de l’Independence (1956), le 31 décembre 1963, Mgr Perrin annonce à ses diocésains qu’il se réjouit, en tant qu’Archevêque, des négociations qui se sont ouvertes entre le Saint Siège et le nouveau Gouvernement Tunisien, au sujet du futur Statut du diocèse. Il se réjouit aussi de voir se normaliser les rapports de la communauté catholique avec un pays indépendant qui lui accorde l’hospitalité. Le 27 mai 1964, Mgr Champenois, curé de la cathédrale et Chanoine Titulaire de Carthage, fait ses adieux, et après 30 ans de ministère, quitte définitivement la Tunisie, pour rentrer en France. Ici nous nous posons la question : quelles étaient à cette époque-là les œuvres établies sur la paroisse de la cathédrale ? Voici un résumé de la réponse de Mgr Champenois parue dans le bulletin paroissiale de 1951, p. 241 et suivantes : Ames vaillantes (il y a trois groupes) Archiconfrérie du Sacré Cœur (Dames priantes) Archiconfrérie de N.D. du Mont Carmel Archiconfrérie de N.D. des Sept Douleurs Association des Enfants de Marie (quatre groupes) ainsi la primauté à Jésus-Christ rédempteur qui a sauvé les hommes par sa passion et sa résurrection. 85 Cercle Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (catéchisme de persévérance) Cœurs vaillants (un groupe à N.D. du Bon Conseil) Conférence de Saint Vincent de Paul Conférence de N.D. d’Afrique (visite des pauvres de toutes religions) Dames de Charité Dispensaire Saint Vincent Les enfants des Chœurs de la cathédrale Fourneau des Pauvres Guides de France Jeunesse ouvrière catholique Ligue féminine d’action catholique Louises de Marillac Maîtrise archiépiscopale Manécanterie des Petits chanteurs de la cathédrale Œuvre de la protection de la jeune fille Patronage (quatre groupes) Scouts de France (deux meutes, deux troupes) Le 27 juin 1964, avec un échange de notes diplomatiques entre le Cardinal Cicognani, Secrétaire d’Etat du Pape Paul VI et Monsieur Monji Slim, Secrétaire d’Etat aux Affaires Étrangères de la République Tunisienne, un « Modus Vivendi » est signé entre le Saint Siège et la Tunisie, concernant la situation juridique de l’Église catholique dans la République. Ceci change complètement la vie pastorale de la cathédrale. À la suite des accords, la cathédrale reste donc propriété de l’Eglise. Par bulle Pontificale, datée du 9 juillet 1964, le Saint Père nomme Mgr Perrin, jusqu’ici Archevêque de Carthage, Archevêque titulaire de Nova et Prélat nullius de Tunis. 86 L’Abbé Soudun, curé de la cathédrale Dès le 20 septembre 1964, l’abbé Louis Soudun est nommé curé de la cathédrale de Tunis. Peu de temps auparavant, un arrêté signé du Président de la Municipalité et daté du 12 septembre 1964, interdit sur toute l’étendue de la zone municipale le son des cloches des églises, pour quelque motif que ce soit. Le 28 décembre 1964, Mgr Perrin célèbre sa dernière messe officielle à la cathédrale. Pour la circonstance, il est entouré du Père Callens, Archevêque nommé et de neuf prêtres qui ont été choisis pour représenter l’ensemble du clergé de Tunisie : deux Vicaires généraux, Mgr Forzy et le P. Demeersman, les curés de la cathédrale, de Sfax et de Sousse, et les quatre délégués des religieux en service dans la Prélature. L’assistance très nombreuse veut manifester une dernière fois son attachement au Prélat qui, durant 17 ans, a présidé aux destinées de son Église. Mgr Perrin quitte la Tunisie le 30 janvier 1965. L’annonce officielle du successeur de Mgr Perrin est faite en janvier 1965 par lettre apostolique : « Paul, Évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu. À mes fils bien-aimés du clergé et du peuple (chrétien) de la ville et de la Prélature de Tunis, salut et bénédiction apostolique. Nous portons à votre connaissance que, usant de notre pouvoir et de notre autorité suprêmes, nous pourvoyons à votre Église devenue vacante par suite de la démission de votre Prélat ; notre vénérable frère Maurice Perrin. Celui que nous choisissons pour vous gouverner est notre fils bien-aimé Michel Callens... donné à Rome le 9 janvier 1965 ». De la réforme de la cathédrale à nos jours Dès la signature du Modus Vivendi, la cathédrale de Tunis devient le siège du Prélat et l’église-mère de la Prélature. Des nombreuses transformations sont apportées à 87 l’aménagement intérieur. Dès le mois de mars 1966, la chaire disparaît, le Maître-autel est masqué par des courtines, le siège du Prélat est placé face au peuple derrière un autel provisoire, les stalles des chanoines ont disparu, ainsi que le banc de communion en fer forgé. Immédiatement des travaux sont entrepris en vue de déplacer le Maître-autel. Le nouvel aménagement tend à ne pas modifier le style de la cathédrale. Dégagé de son Retable et du Tabernacle, l’ancien autel doit se présenter sous la forme d’une grande table constituée par une dalle de marbre posée sur un massif, où se retrouveront les six motifs de mosaïque. En septembre 1966, l’aménagement est terminé. Le déplacement de l’autel a nécessité de lourds travaux pour en supporter le poids. Il a fallu, en effet, renforcer les voutes de la Crypte. Le 9 octobre 1966, l’abbé Guy Iacono est nommé à la cathédrale dans le but d’assurer l’accueil de ceux qui sont dispersés ou isolés. Pour lui aménager un local où il puisse recevoir les visiteurs, la chapelle de N.D. de Trapani qui se trouvait à l’entrée de la cathédrale est transférée à l’intérieur de l’édifice, et le bureau d’accueil y est construit. En 1967, l’abbé Soudun donne sa démission de curé après vingt-quatre années d’activités en Tunisie, pour aller prendre un Ministère en France. Le 15 septembre 1967, il est remplacé comme curé de la cathédrale par l’abbé Paul Ménassian. Le 19 novembre de 1967, 200 paroissiens sont réunis par l’abbé Ménassian qui veut les faire réfléchir à leur vie de foi : quelles orientations nouvelles y a-t-il dans l’Eglise ? Changent-elles quelque chose à notre vie ? Quelles tensions existent entre les anciens paroissiens et les nouveaux (en général des coopérants) ? La conclusion est que l’Eglise est affaire de toute la communauté chrétienne. Le 27 juin 1970, l’abbé Ménassian quitte la cathédrale. L’abbé Guy Iacono lui succède comme curé. Par la suite, un intérim est assuré par Mgr Michel Callens de juin 1975 à 1977. Mgr Callens fut évêque Prélat de Tunis de 1965 à 1990. En 1980, a été formée une équipe de prêtres : Michel Prignot, Augustin 88 de Clebsatel et Joseph Pace. L’équipe sera aidée par d’autres prêtres ayant des fonctions autres que pastorales. L’équipe va constituer treize groupes pour animer les liturgies dominicales et prendre aussi d’autres responsabilités. Les groupes diminueront petit à petit, le temps de coopérants ne sera qu’un faible printemps, pour, finalement ne plus compter que des religieuses. Les treize se seront évaporés faute de paroissiens. La cathédrale réunira surtout les religieux, religieuses et les anciens paroissiens. Le P. Michel Prignot, vicaire économe, devient curé de juin 1977 à 2003. Décédé Mgr Callens, le P. Paul Geers assure le gouvernement de la Prélature pendant deux ans (1990 -1992). En 1992, pour la première fois, le saint pape Jean Paul II nomme Prélat de Tunis un évêque arabe : Mgr Fouad Twal d’origine jordanienne et le 31 mai 1995 il érige canoniquement le Diocèse de Tunis. C’est Mgr Twal qui invite en 2003 les religieux de l’Institut du Verbe Incarné pour s’occuper de la paroissecathédrale. Ainsi le P. Eugenio Elias, argentin, devient curé de 2003 à août 2009. Il est remplacé par le P. Sergio Perez, également argentin et religieux de l’Institut du Verbe Incarné, curé de septembre 2009 à juin 2018. En 2010 le P. Silvio Moreno de la même congrégation religieuse rejoint l’équipe de la cathédrale en tant que vicaire. Dates importantes de la cathédrale. Restauration de la cathédrale dans les années 90 notamment les vitraux par Mgr Fouad Twal. Ordinations sacerdotales à la cathédrale pour le diocèse de Tunis : en 1997 le P. Jawad Alamat, jordanien ; en 2004 Nicolas Lhernould, français et Otello Bisetto, italien ; en 2010 Gabriel Kitenge et en 2015 Albert Badiata, tous deux d’origine congolaise. Le 30 octobre 2005 installation du nouvel évêque de Tunis Mgr Maroun Lahham et le 22 mai 2010 élévation du diocèse au rang d’Archidiocèse par Benoit XVI nommant Mgr Lahham archevêque à titre personnel. En 2013, le 14 avril, installation du nouvel archevêque de Tunis, Mgr Ilario Antoniazzi, italien. 89 Le nouveau visage des fidèles de la cathédrale : Depuis 2003 le nombre de migrants à Tunis et notamment des jeunes africains subsahariens, est toujours en augmentation. Des milliers d’étudiants d’Afrique subsaharienne sont présents à Tunis. Les jeunes répertoriés dans les associations subsahariennes et présents dans tout le territoire tunisien sont plus de 6000. Ils proviennent de différents pays d’Afrique surtout francophone : Côte d’Ivoire, Cameroun, Congo, Bénin, Togo, Mali, Gabon, Burkina-Faso, Guinée, Centrafrique, etc. Ils arrivent en Tunisie pour des motivations différentes : études, football, clandestins et femme de ménage. Cela comporte aussi des difficultés très variées. La cathédrale de Tunis compte actuellement avec la présence de plus de 300 jeunes aux messes du weekend et environ de 150 engagés dans les activités de la paroisse. Nous avons créés un réseau d’activités pour eux qui se rapproche du modèle de leur paroisse au pays: Catéchèse, Servants de messe, Légion de Marie, Chorale, Mission populaire, Visite aux malades, Ecole de théâtre, etc. Ils participent aussi à d’autres services de charité notamment chez « Caritas diocésaine » et sont une aide précieuse pour leurs congénères (association du pays pour défendre leurs droits, mise en place de réseau de soutien moral et économique, etc.). Notre objectif est de leur donner des repères humains, moraux et spirituels (recollections, exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, direction spirituelle, rencontres universitaires de formation éthique solide et profonde, publications sur l’enseignement moral et social de l’Eglise). Nous voulons également qu’ils soient plus protagonistes dans la vie de nos églises en Tunisie. Nous voulons également donc leur offrir un espace physique pour se retrouver et s’exprimer, qui rende les changements moins traumatiques et qui aide à mieux faire le pont avec les nouvelles situations du pays. 90 Quelles sont les œuvres établies sur la paroisse de la cathédrale aujourd’hui ? Servants de Messe « Saint Tarcicius » : Il s’agit d’un groupe des jeunes garçons subsahariens. Leur rôle est donc d’aider le prêtre et l’évêque lors des célébrations liturgiques pour qu’elles soient dignes et belles. Groupe d’animation liturgique : ces jeunes organisent l’animation de la messe (lectures, prière universelle, offrandes, etc.). Chorale « N.D. de Carthage » : cette chorale qui est composée de nombreux jeunes subsahariens anime la célébration de la messe à travers les chants traditionnels, polyphoniques et classiques. Légion de Marie « N.D. Auxiliatrice » : groupe des garçons et filles subsahariennes qui cultivent une grande dévotion à la Vierge Marie surtout par la prière du chapelet quotidien et s’engagent à l’apostolat en faveur de plus démunis. Patronage « Saint Jean Bosco » : rencontre de tous les groupes de jeunes de la paroisse-cathédrale une fois par mois pour partager un moment d’amitié, de prière et de formation catholique. Groupe théâtral de la cathédrale : des jeunes subsahariens et tunisiens passionnés de théâtre se rencontrent pour donner des spectacles aux moments fort de l’année liturgique (Pâques, Noël, fête patronale, etc.). Groupe biblique « Saint Luc » : tous les 15 jours des jeunes subsahariens se réunissent pour la lecture, la compréhension et la méditation de la Parole de Dieu. Groupe d’Adoration et de louange qui assure une heure d’adoration eucharistique par semaine afin de prier pour les jeunes, les vocations sacerdotales et religieuses, etc. Groupe des catéchumènes : des jeunes adultes, surtout subsahariens, qui se préparent pendant deux ans pour recevoir les sacrements de l’initiation chrétienne. Résidence universitaire de garçons subsahariens « Saint Jean Paul II » et de filles subsahariennes « N.D. de Carthage » : des jeunes qui collaborent aux apostolats de la cathédrale sous la direction des religieux de l’Institut du Verbe Incarné. 91 92 93 94 5. LA CRYPTE DE LA CATHEDRALE Guillaume Plowman et la mission des capucins de Tunis20 Il est difficile d’imaginer que dans la nouvelle chapelle de la crypte de la cathédrale de Tunis se cache un souvenir de grande valeur pour l’histoire de la mission catholique en Tunisie. En face de l’autel et enfoncé dans le mur, nous observons une grande épitaphe de Guglielmus Ploruman, anglo britannicus. Parmi les louanges décernées à sa mémoire, par son fils Plowman, de même prénom, désigné sur le marbre par les termes de « Guglielmus junior », on relève le titre de consul à Tunis. Les Plowman, père et fils, furent en effet consuls à Tunis ; ils représentaient la Hollande, et leur nom fût mêlé à l’histoire de la mission des capucins de Tunis, notamment au lendemain des incidents de Tabarka. Lorsque Tabarka, avec ses établissements créés par les Loemellini, tomba aux mains d’Ali Pacha (1741), les malheureux chrétiens qui composaient la population de ce comptoir de corailleurs furent conduits en esclavage à Tunis. Au nombre de 842, ces captifs étaient dans le plus complet dénuement, certains presque nus, et tous épuisés. Le préfet apostolique, le P. Antonio de Novallera (chef de la mission des capucins de 1738 à 1744) pris de pitié essaya de secourir une si grande misère ; la situation financière peu brillante de la mission ne lui permit pas de faire des largesses. Devant l’indigence de ces nouveaux fidèles, Antonio de Novallera n’hésita pas pour leur venir en aide, à contracter un emprunt, donnant en gage l’argenterie, les 20 Nous suivons librement « La dépêche tunisienne » du 5 février 1935. Avec les notes de Marcel Gandolphe, professeur au lycée Carnot. 95 ornements et les chandeliers de son église, et même un reliquaire en cristal et argent, contenant une partie de la vraie croix. Il commit aussi l’imprudence de se servir des économies réalisées par les esclaves sur leurs salaires. Il se trouva alors dans une fâcheuse position, ne pouvant rembourser ces sommes qui lui avaient été confiées ; il eut à soutenir la colère des esclaves, qui n’hésitèrent pas à le menacer d’emprisonnement et même de mort. Le P. Antonio, victime de son bon cœur fut rappelé à Rome (1744). Mais avant de quitter Tunis, il contracta auprès de Guillaume Plowman, avec l’assentiment de Rome, un nouvel emprunt pour désintéresser les esclaves ; son successeur, le préfet Carlo Felice (1744-1747) fut obligé d’agir de même, tellement la mission des capucins était dans la gêne. Ce fut toujours Plowman qui vint en aide aux missionnaires capucins. Le hasard nous a permis de retrouver un reçu écrit de la main de Guillaume Plowman, attestant que toutes les sommes avancées par lui, avaient été remboursées, et que le dernier versement avait été effectué par le P. Lodovico d’Averna, préfet de 1747 à 1753. Ce reçu est ainsi rédigé en italien : « Tunisi le 4 xbre 1753. Noi Guglielmo Plowman dichiariamo essere pieno sodisfatto di tutto il débito contratto nella nostra casa consolare d’olanda, tanto dal P. Antonio da Novallera, quanto dal P. Carlo Felice d’Affori, amendue prefetti allora mediante; l’ultima sborso fattoci il P. Lodovico d’Averna attuale prefetto, sicche sequela di questa ci dichiariamo non avere altro pretenzione sulla missione de r.r.p.p. capuccini essistenti un questa citta, in fede di che la sottiscriviamo di nostro proprio pugno, nonche la siggilliamo colla marca ordinaria della nostra casa ». Gugmo Plowman Cachet de cire aux armes des Pays-Bas 96 « Tunis le 4 xbre 1753. Nous Guillaume Plowman, déclarons éteinte la dette contractée dans notre demeure consulaire de Hollande tant pour le P. Antoine de Novallera, que par le père Charles Félix d’Affori, tous deux préfets à cette époque ; le dernier remboursement fut effectué par le P. Louis d’Averna, préfet actuel, et par suite de ce paiement, nous déclarons n’avoir aucun droit sur la mission des révérends pères capucins, demeurant dans cette ville, en foi de quoi, non seulement nous écrivons cette reconnaissance de nos mains, mais nous la revêtons aussi du sceau habituel de notre maison ». Ce reçu attestant l’extinction des dettes des révérends pères capucins de la mission, résidant à Tunis, est intéressant à plusieurs points de vue. Il nous donne en premier lieu l’orthographe exacte de Plowman, dont le nom a été souvent déformé. Le P. Anselme des Arcs, qui a séjourné à Tunis de longues années, et qui ne quitta cette ville qu’en 1881, a mentionné dans son ouvrage « mémoires pour servir à l’histoire de la mission de capucins dans la régence de Tunis », l’aide apportée par Guillaume Plowman aux prêtres italiens. Mais Plowman est dénommé Ploruman et le marbre de la chapelle de la crypte de la cathédrale porte également le nom de Ploruman. L’épitaphe nous rappelle aussi que Guillaume Plowman est décédé à l’âge de 99 ans accomplis, en 1745, et que le monument a été élevé à la mémoire par « Guillaume Plowman junior ». L’acquit cité précédemment est daté du 4 décembre 1753, c’est donc Guillaume Plowman junior qui l’a signé. Enfin, le reçu de Guillaume Plowman précise qu’en 1753, le P. Lodovico d’Averna, préfet apostolique, était encore à Tunis, alors que le P. Anselme des Arcs, dans son ouvrage cité précédemment, fait finir son ministère en 1750. Les Plowman furent donc les bienfaiteurs de cette mission des capucins italiens de Tunis. Pour cela, nous les missionnaires en Tunisie, 97 ainsi que les catholiques de ce pays, nous devons leur être reconnaissant d’avoir permis à ces missionnaires capucins de continuer leur œuvre à Tunis. En visitant la chapelle de la crypte de la cathédrale, le marbre qui se trouve à droite (voir photo) ne sera plus donc pour les visiteurs et les fidèles qui jour après jours participent à la messe, une simple pierre froide, mais une invitation à la prière et à l’action de grâces. 98 6. CENTENAIRE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS Nous transcrivons ici quelques propos sur la cathédrale de Tunis écrits le 29 avril 1995 par le P. Michel Prignot, curé de la cathédrale de 1977 à 2003. Ces propos tirés de l’expérience du P. Michel, sont intéressants parce qu’ils nous décrivent une transition importante de la vie de la cathédrale qui va du protectorat, en passant par le Modus Vivendi, à l’époque de l’après Concile Vatican II. « La cathédrale est sur le point de fêter ses 100 ans d’existence. Les plus anciens se souviennent, avec parfois un peu de nostalgie, des grandes cérémonies qui se sont déroulées à l’abri de ses murs : Prédications de Carême (notamment celles faites par Mgr Pons), ordinations sacerdotales et confirmations, messes consulaires, procession du 15 août, etc... accompagnées de toutes les pompes familières à ces temps-là: chanoines mitrés dans tous leurs atours, enfants de chœur ensoutanés de rouge ou de noir, suisse en costume traditionnel, avec hallebarde et fauxmollets..., piliers drapés, grands tapis déroulés, chorales et grandes orgues, accompagnant les liturgies célébrées en latin. Il fallut attendre 1965 pour qu’un autre style se fasse jour, plus simple, moins grandiose, sans doute plus intérieur et recueilli ». « La fin de la guerre de 1940 a marqué, comme en bien d’autres endroits, l’amorce d’une évolution de la vie ecclésiale. Le Concile de Vatican II, tout d’abord, et plus tard les conditions nouvelles créées dans le pays par l’Indépendance, font donner à l’Eglise un style nouveau ». 99 « La pratique religieuse va diminuer considérablement, suivant les départs successifs d’une population qui était très liée au système économique et politique d’avant l’Indépendance ». « C’est ainsi que vont disparaître toutes les familles de militaires, suivies bientôt de celles liées à l’Administration. Avec elles, un certain nombre de personnes possédant un petit commerce, un petit atelier, va partir à son tour ». « Bien que les départs se fassent sans panique, chaque étape nouvelle de la décolonisation entrainera un nouvel exode : Autonomie interne (1955), indépendance (1956), départs de troupes en divers endroits du pays, Bizerte (1961), nationalisation des terres de colons (1964), guerre du Kippour (1967), pour n’en citer que quelques-unes ». « Si l’on ajoute la situation nouvelle créée pour l’Eglise par les accords signés entre le Gouvernement tunisien et le Vatican, ainsi que les mesures prises en faveur des rapatriés par la France et l’Italie, les retours sur l’Europe s’intensifient. La population pratiquante de la cathédrale va ainsi passer d’environ un millier en 1965 à quelques 300 en 1985, et 200 aujourd’hui. Il n’y a plus de catéchisme dans la paroisse depuis 15 ans, les rares enfants en âge d’être catéchisés ayant été confiés à la paroisse voisine. En dehors de quelques regroupements de type religieux (groupe de prière de Padre Pio, étude biblique, etc...), les seuls rassemblements qui vont demeurer seront les rassemblements liturgiques du Dimanche ». « La population chrétienne de la cathédrale va prendre de l’âge, jusqu’à arriver à ce jour à une moyenne tournant autour des 65-70 ans. Les familles disparaissent au profit des personnes âgées prenant leur retraite dans le pays qui les a vu naître, et des 100 religieuses qui constituent actuellement 20 à 25 % de la population pratiquante habituelle ». « Très majoritaire pendant longtemps, la population chrétienne native en Tunisie va être relayée par de nouveaux venus moins nombreux que par le passé, moins marqués par les évènements de l’Indépendance, plus naturellement prêts à accueillir les changements du temps, avec les risques aussi d’une rencontre plus superficielle avec le pays et ses habitants, population plus mouvante, souvent moins enracinée, mais ne manquant pas de générosité ». « La fraction la plus jeune est essentiellement constituée de jeunes africains venus en Tunisie pour y faire des études ». « A l’arrivée de Mgr Callens à la tête du diocèse, beaucoup de prêtres ont suivi le mouvement des paroissiens, estimant préférable d’aller se mettre au service des communautés chrétiennes en Europe, plutôt que de rester ici sans activité importante de type pastoral. De 215, au moment de l’Indépendance, leur nombre va diminuer des ¾ ». « Les activités pastorales classiques vont être progressivement relayées par d’autres engagements, plus en lien direct avec la réalité du pays construisant son Indépendance. Prêtres, religieuses, quelques laïcs, en nombre croissant, vont ainsi s’engager dans les institutions tunisiennes pour y apporter leur bonne volonté et leur compétence ». « […] La liturgie dominicale, devenue le principal lieu de ressourcement, va s’efforcer, avec plus ou moins de bonheur, d’apporter un accompagnement à ces divers types d’engagement ». « […] La paroisse de la cathédrale n’a sans doute plus aujourd’hui une très grande activité pastorale. La vie sacramentelle, hormis celle du rassemblement dominical, s’est considérablement 101 réduite, mais, elle demeure un lieu où se rencontrent le passé et l’avenir, un lieu qui se voudrait porteur d’une Bonne Nouvelle adressée aux frères de ce pays ». 102 7. SAINT JEAN PAUL II, A LA CATHEDRALE DE TUNIS Le dimanche 16 avril 1996 pour la première fois depuis les origines, un Pape est venu rendre visite à la Tunisie. Voici en quels termes le P. Michel Prignot nous raconte l’évènement21 : « Cet événement a bien sûr marqué très fort, en particulier pour la petite communauté chrétienne, mais aussi pour une part de la population tunisienne. Le Pape n’est pas tout à fait un inconnu du fait de la Télévision italienne où il apparaissait souvent au temps où la réception était possible ici, du fait aussi d’un certain nombre de ses interventions reprises par la presse sur divers sujets ». « […] Recevoir le Pape dans une visite officielle, c’est accueillir un chef d’État d’un genre particulier, avec tout ce que cela comporte de protocole, d’honneurs publics, de réceptions et de discours, de déploiement de police pour des raisons de sécurité, d’agitation de journalistes en quête de sensationnel, de frais divers et importants pour faire face à tout cela... ». « […] Cette visite a été une grande joie aussi. Derrière cet homme fatigué par les soucis, le travail et les activités, j’ai aperçu un frère avec lequel je porte une même foi, un Père qui a reçu mission de conforter ses enfants, et mon cœur s’est serré de tendresse devant ce vieil homme descendant difficilement de voiture, comme absent, le regard perdu dans un rêve. Que se 21 Article du P. Michel Prignot du 18 avril 1996. 103 passait-il dans cette tête ? La volonté d’être présent à la diversité du monde, la souffrance de voir le monde encore déchiré ou douloureux, le « souci des Églises » et le poids de l’Évangile... ». « C’est spontanément que ses pas allaient vers ceux qui étaient là sur la place pour l’applaudir, en un geste de bénédiction ou de caresse quand une tête d’enfant passait à portée de sa main ». « Remontant la longue allée centrale de la cathédrale, son sourire s’illuminait quand un petit bébé lui était présenté pour obtenir sa bénédiction. Pas de fatigue alors dans sa démarche, et pourtant ce n’est pas évident d’avancer ainsi pressé de toutes parts, protégé par une barrière symbolique et quelques gardes efficaces et discrets ». « La véritable joie, pour moi, a dès lors commencé avec la célébration eucharistique. Ce n’est pas que la messe soit plus valable quand le Saint Père est là, mais il est bon de pouvoir vivre cette communion, en présence de celui qu’on nomme à chaque liturgie : le nom prend corps et donc force. À travers lui, s’opère la rencontre avec toutes les communautés qui vivent dans l’univers, à commencer par celles d’Afrique du Nord, qui étaient représentées par leur Évêque. Il est bon d’ouvrir son regard au-delà des réalités de l’environnement immédiat ». « Oui, j’ai aimé cette messe belle et simple où la prière était plus importante que le rite qui la soutenait. J’ai aimé les chants que tout le monde reprenait, soutenu par une chorale au service du chant de la foule, et non présente pour donner son numéro. L’orgue aussi était de la fête, chantant beau sous les doigts d’un organiste mettant son art au service de la prière. C’était une messe de fête, où chacun joignait sa voix à celle de son voisin pour dire ensemble merci à Dieu ou présenter ses demandes en une prière 104 universelle. Comme bien souvent le français était coupé d’italien, d’arabe, de langage africain, de latin, d’espagnol ou d’anglais ; et l’usage de ces diverses langues était aussi un symbole ». « Ç’aurait pu être une « messe consulaire », ce fût simplement pour notre joie la prière d’une petite communauté autour de son Père et de ses frères aînés que sont les Évêques. J’aimais aussi que soit présent à cette prière le Métropolite Grec Orthodoxe, qui fêtait la Pâque en ce jour ». « […] Après la messe, le Pape s’est retiré pour se restaurer et reprendre quelque force, et nous aussi. J’ai eu le plaisir de pouvoir à nouveau le saluer alors qu’il partait pour accomplir la deuxième partie de son voyage : la rencontre avec les autorités du pays au Palais présidentiel. De cette visite, je n’ai entendu que des échos positifs, comme aussi de la prière qu’il a faite sur le chemin de l’aéroport à l’Amphithéâtre de Carthage, où furent martyrisées entre autres les saintes Perpétue et Félicité, il y a 18 siècles ». « Avec tous les frères et sœurs de ce pays, je considère comme un événement exceptionnel et peutêtre comme une grâce, ce passage du Saint Père. Il n’est pas sans signification que le Pape se rende présent à un pays modeste par la taille ou le nombre d’habitants, à une Église encore plus modeste, réduite à la valeur d’un signe au cœur de ce pays ». « J’ai notamment apprécié ce passage de l’homélie du Saint Père, disant : « Petit troupeau certes, mais divers par les langues, les cultures, les origines, vous êtes une image parlante de l’Église universelle. Par vos liens avec le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident, soyez ici des ferments d’unité et de solidarité. Par votre implantation dans ce pays accueillant, grâce à votre amitié fraternelle avec vos compagnons de travail ou vos 105 voisins de quartier, par vos échanges dans la vie de tous les jours comme dans la réflexion sur le sens de la vie et sur la situation du monde, laissez transparaître la grâce que vous avez reçue d’être disciples de Jésus Christ ! ». Certainement bien informé sur ce que nous nous efforçons de vivre au quotidien, le Saint Père en quelques paroles simples a apporté sa bénédiction à ceux qui le vivent, et mis en valeur ce qui est modeste et caché en cette terre, en cette Église […] ». Saint Jean Paul II et le P. Michel Prignot à l’entrée de la cathédrale de Tunis. 16 avril 1996 106 8. LES RELIQUES DES SAINTS ET LE RELIQUAIRE DE SAINT LOUIS A LA CATHEDRALE Le nouveau reliquaire de la cathédrale de Tunis que nous pouvons apprécier dans la nef latérale de gauche, a été inauguré le 28 septembre 2014 à l’occasion de la fête patronale de la cathédrale. A dire vrai il contient une bonne partie des reliques des saints qui autrefois ont été vénérées dans les différentes églises en Tunisie, pendant le protectorat et désormais désaffectées au culte ou désacralisées, comme aussi quelques-unes des reliques vénérées au Carmel de Carthage, aujourd’hui école et bibliothèque privée. Vu leur importance historique et religieuse pour notre diocèse et pour chaque chrétien, nous avons essayé pendant plusieurs mois d’une façon très modeste de restaurer les anciens reliquaires avec leurs reliques et de les mettre en valeur à l’intérieur de la cathédrale de même que le grand reliquaire de saint Louis Roi de France. Nous publions ici l’article de Jean-Christophe Palthey, spécialiste de l’histoire des ordres de chevalerie et de leurs marques d’honneur, la « phaléristique », sur le reliquaire de saint Louis. « Sur les pas de Saint Louis, le reliquaire de Carthage, chef-d’œuvre méconnu d’Armand-Caillat »22. 22 Extrait de : « Les Nouvelles de la Lieutenance de France », Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, janvier 2017, n° 83 ». L’auteur remercie dans cet article Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, le R.P. Silvio G. Moreno, vicaire de la Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul de Tunis, et MM. Bernard Berthod, Étienne Martin, Ulrich Münstermann et Adel Skhiri. 107 « Monumental et élancé, le reliquaire de Saint-Louis de Carthage illumine aujourd’hui discrètement de son or mat et de ses émaux polychromes la pénombre d’un collatéral de la cathédrale de Tunis. Ciselé par le célèbre orfèvre lyonnais Armand-Caillat23 ce chef d’œuvre, autrefois acclamé24, mérite un coup de projecteur ». « Revenons d’abord en 1884. Soutenu par la France qui vient d’imposer le régime du protectorat au bey de Tunis25, le cardinal Lavigerie26, alors archevêque d’Alger et vicaire apostolique de Tunis fait relever à son profit par Léon XIII le siège métropolitain de Carthage. Souhaitant rendre, après huit cents ans de sommeil, la première place à son siège archiépiscopal, le nouveau primat d’Afrique lance d’ambitieux projets. Le premier d’entre eux est la construction d’une cathédrale à Carthage. Elle prendra place sur la colline de Byrsa, devant la modeste chapelle construite par LouisPhilippe sur le lieu supposé de la mort de Saint Louis le 25 août 1270. Financée par l’Œuvre de Carthage du comte de Buisseret, qui fait appel aux descendants des compagnons de Saint Louis27, la cathédrale est achevée en 1890 et solennellement consacrée le 15 mai. Au centre de cette 23 Thomas Joseph Armand dit Armand-Caillat (1822-1901), de cet artiste inspiré, Bernard Berthod écrit dans son Dictionnaire des arts liturgiques « La grande originalité de son œuvre est sa portée spirituelle. L’objet devient un poème centré sur un thème ou une idée auquel concourent les scènes, les inscriptions, les couleurs, les gemmes et les formes». 24 Avant d’être installé à Carthage, il fut présenté à la Procure des Missions d’Afrique en 1887 et à l’exposition universelle de 1889. Un commentaire irremplaçable par l’Abbé Reure est consultable sur internet. Le reliquaire de Saint-Louis de Carthage, Lyon, imprimerie Mougin-Rusand, 1887. 25 Traité du Bardo 12 mai 1881. 26 Chevalier du Saint Sépulcre depuis 1859, il en arborait volontiers les insignes. Cf. l’article de M. Étienne Martin, À propos du portrait de Mgr Allemand-Lavigerie, évêque de Nancy, conservé à l’Évêché de Nancy et de Toul, Le Pays Lorrain, 90 (2009), 241-244. 27 Les armes de 234 souscripteurs, descendants de croisés, y sont toujours gravées dans le marbre sur les murs et les colonnes. 108 imposante basilique byzantino-mauresque, chacun admire alors ce reliquaire ». « En bronze doré partiellement émaillé, il est composé de trois registres distincts formant une sorte de pyramide et mesure plus de deux mètres vingt de haut par près d’un mètre quarante de large28. La base, soutenue par des dragons ailés, est un socle rectangulaire historié, au-dessus, deux anges agenouillés soutiennent à bout de bras une châsse en forme de Sainte-Chapelle ». « Les grands côtés du socle, structurés par les ailes des dragons, sont ornés de motifs floraux encadrant deux scènes de la vie de Saint Louis. Sur le devant, la dernière communion du roi malade, soutenu par son fils Philippe, derrière, ses adieux à sa femme Marguerite devant les remparts d’AiguesMortes. Sur les petits côtés, ciselés d’or sur fond noir, apparaissent les noms des donateurs, en tête desquelles le comte de Chambord et le comte de Paris29 ». « L’âme de l’œuvre est sa partie centrale, constituée par deux extraordinaires anges-chevaliers en costumes du XIIIe siècle. Celui de droite, symbole de la France chrétienne se tient sur un écu d’or à la croix de Jérusalem de gueules, et présente la couronne d’épines. Celui de gauche, figure de la France royale, sur un écu de France ancien bordé de gueules30, tient délicatement le sceptre royal (aujourd’hui disparu). Chacun Actuellement présenté sur une modeste structure métallique d’une cinquantaine de centimètres, il était dans la cathédrale de Carthage au sommet d’un imposant autel architecturé en marbre à deux étages, orné d’une dédicace débutant par les acclamations carolingiennes XPC : VINCIT : XPC : REGNAT : XPC : IMPERAT, derrière IN : HONOREM : S.LUDOVICI : FRANCORUM : REG, et sur les côtés EX : OSSIB : S.LUDOV / EX : PRÆC : S. LUDOV. L’ensemble devait alors mesurer plus de cinq mètres de haut. L’autel est toujours en place à Carthage. 29 Tous deux chevaliers du Saint Sépulcre, depuis 1822 et 1884. 30 Cette curieuse bordure de gueules est peut-être une volonté d’ArmandCaillat de représenter les armes d’Anjou, pour évoquer Charles d’Anjou, frère du roi. 28 109 porte une épée au côté et un manteau fleurdelysé recouvrant une partie de la cotte de mailles qui laisse saillir les muscles. Encadrés par leurs ailes, ils portent, à bout de bras sur un sudarium, un plateau sur lequel repose une Sainte-Chapelle aux vitraux émaillés, le reliquaire proprement dit, vide aujourd’hui ». « L’histoire des reliques qu’il contenait est connue. C’est une partie des viscères de Saint Louis rapportées en Sicile par son frère cadet Charles d’Anjou en 1270, conservées ensuite à l’abbaye de Monreale près de Palerme puis offerte par François II des Deux-Siciles au cardinal Lavigerie31. Elles sont vénérées à la cathédrale de Carthage jusqu’au modus vivendi conclu en 1964 entre le Saint-Siège et la République de Tunisie32. La majorité des biens de l’église est alors cédée à l’État tunisien. La cathédrale Saint-Louis est désaffectée33 et le reliquaire transféré à l’église Sainte-Jeanne-d’Arc de Tunis. En 1985, Mgr Callens, prélat de Tunis en extrait les reliques et les donne à l’évêché de Saint-Denis. Là, excepté pour un voyage à Saint-Louis du Missouri en août 1999 avec le prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, elles sont à peu près oubliées. Enfin, le 16 octobre 2011, en présence d’une délégation de chevaliers de l’ordre du Saint-Sépulcre, elles sont solennellement transférées à la cathédrale Saint-Louis de Versailles, où depuis, elles sont offertes à la vénération des fidèles ». « Quant au reliquaire d’Armand-Caillat, témoin de la brève restauration du primat d’Afrique, il est transféré en Ainsi qu’un petit morceau d’os du crâne ayant une autre origine. Les catholiques ayant massivement quitté la Tunisie après l’indépendance en 1956, le siège archiépiscopal de Carthage redevint un siège titulaire dont le premier bénéficiaire fut, en 1967, le cardinal Casaroli... signataire du modus vivendi. Après 1964, la Tunisie devint une prélature territoriale, érigée en diocèse en 1995, puis en archidiocèse en 2010. Mgr Ilario Antoniazi, ancien séminariste à Beit-Jala, est depuis 2013 archevêque de Tunis, il succède à Mgr Maroun Lahham. 33 C’est aujourd’hui un centre culturel appelé Acropolium. 31 32 110 1996, sur ordre de Mgr Fouad Twal, alors évêque de Tunis, à la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul [et Sainte Olive]. Aujourd’hui, mis en valeur au centre d’un important ensemble de reliques provenant des diverses églises désaffectées de Tunisie, il mérite une visite, car, vide, mais toujours admirable, il chante encore à celui qui l’écoute le poème du roi chrétien ». Le reliquaire de Saint Louis à la basilique de Carthage (gauche) et à la cathédrale de Tunis aujourd’hui (droite). 111 9. LA STATUE DE NOTRE DAME DE CARTHAGE Le visiteur qui voit le chœur de la cathédrale remarque immédiatement, derrière l’autel majeur et au-dessous du Christ crucifié, la figure imposante de la Vierge Marie sous le vocable de « Notre Dame de Carthage ». Nous savons que celle-ci a été entourée d’une immense dévotion à Carthage et dans toute la Tunisie, notamment pendant le protectorat. Pourquoi tant de dévotion ? Qui est N.D. de Carthage ? Quelle est son histoire ? D’où vient l’image actuelle à la cathédrale de Tunis ? Le bas-relief de la Sainte Vierge34 L’ancien bas-relief qui donne origine à l’actuelle statue de la Vierge possède trois caractéristiques : -Bas-relief de marbre blanc fouillé en 1881 dans les ruines de la basilique Damous el Karita35, mais malheureusement très mutilé. -Il nous offre d’une façon certaine l’image de la Mère de Dieu, peut-être la plus ancienne que le sol d’Afrique ait fourni jusqu’à nos jours. -Très probablement l’une des plus anciennes sculptures de la sainte Vierge dans l’Eglise (les premières représentations ce sont des peintures des catacombes à Rome pour la plupart du milieu du IIIème siècle). 34 Cf. MORENO, Silvio, Notre Dame de Carthage, archéologie, histoire et dévotion d’après les études du P. Delattre et P. Chales, missionnaires d’Afrique, Tunis, 2017. 35 Cf. MORENO, Silvio, Carthage Eternelle, Tunis, 2013, p. 77-82. 113 Description du bas-relief de la Vierge Le bas-relief, suivant la description du P. Delattre, montre la sainte Vierge offrant son divin Fils à l’adoration des Mages. Ceux-ci, par suite des graves mutilations qu’a subies le marbre, ont entièrement disparu36. Il ne reste donc de la scène religieuse que la Vierge et l’Enfant, un ange et deux prophètes. Toutes les têtes sont brisées et n’ont pas été retrouvées. La sainte Vierge est assise sur un trône d’honneur porté et orné par d’élégantes colonnettes37. Marie est représentée de trois quarts et tournée vers la gauche. Elle est vêtue d’une ample tunique. Sur sa tête, laissant dégager le front et la chevelure, un voile est posé. Il tombe sur les épaules38, les bras et le trône. L’enfant Jésus, tourné du même côté, est également vêtu d’une longue tunique et d’un manteau. Il est assis sur les 36 « Dans la partie qui était occupée par les Mages, raconte le P. Delattre, on voit encore trois pieds qui étaient chaussés. Des fragments de personnages et d’autres n’ont pu retrouver leur place. Deux mains étendues, couvertes d’un voile et portant une cassette ronde appartiennent assurément à un des Mages présentant son offrande. D’ailleurs ce bas-relief comportait deux scènes et nous en avons trouvé un second qui lui faisait pendant, et dont la scène supérieure est l’Annonciation de l’Ange aux bergers. Cela fait en tout quatre scènes. Les deux qui ont complètement disparu devaient représenter l’Annonciation et l’adoration des bergers », Cf. Delattre, Le culte de la Saint Vierge en Afrique, Paris, 1907, p. 5. 37 « Le trône se compose d’un large escabeau servant de support à un tabouret. Ces deux parties du trône sont ornées de fines colonnettes avec base et chapiteau. La tranche du plateau, aussi bien de l’escabeau que du tabouret, portent des rainures qui en font une sorte de corniche. Ce siège d’honneur si soigné dans ses détails, n’a ni dossier ni bras. La Sainte Vierge y est assise sur un épais coussin. Dans les plus anciennes images des catacombes la Saint Vierge portant l’Enfant Jésus est ainsi assise sur un siège d’honneur. Il en est de même dans les bas-reliefs des plus anciens sarcophages ». Cf. Delattre, Le culte…, p. 5. 38 Pour la grande statue en bois de N. D. de Carthage, le sculpteur n’a pas suivi exactement le dessin du bas-relief. Il a placé sur la pointe des épaules un manteau qui retombe sur le trône, et sur la tête un voile court qui chevauche sur le manteau. (Cf. P. Chales). 114 genoux de sa mère, plus sur le genou droit que sur le genou gauche. Le pied gauche apparaît sous le bas de la tunique. Le pied droit ne devait pas être visible. Outre la tête, l’avant-bras droit manque. Il devait être étendu en avant vers les Mages. Le bras gauche, replié devant la poitrine est bien conservé. La main tenait un objet qu’il est impossible de déterminer. La sainte Vierge tient l’enfant des deux mains, du côté droit par le bras près de l’épaule et du côté gauche à la hauteur des reins sous le bras. Derrière le trône, on voit deux prophètes, sans doute Isaïe et Michée. Ils sont debout, drapés dans leur pallium. On les dirait élevés de terre, les mains en avant dans l’attitude de la prière. Peut-être aussi la main droite, la seule qui soit conservée, indiquait-elle le ciel ou l’étoile qui accompagnait les mages. C’est ce que semble révéler sa direction oblique vers le sommet du bas-relief. En avant du groupe, l’ange, vêtu d’une longue tunique, se tient aussi debout. Il a les pieds chaussés de sandales. De ses ailes, la gauche seule subsiste. Tout le haut du corps a disparu, mais les amorces de la sculpture laissent deviner son attitude. C’est l’archange Gabriel présentant les Mages à Jésus et à Marie. Celle-ci, assise sur la cathedra, les pieds posés sur le suppedaneum, en signe d’honneur, sert elle-même de trône à Jésus qu’elle présente à l’adoration des personnages venus de l’Orient. L’Enfant-Dieu n’est pas représenté au moment de sa naissance, mais déjà âgé de plusieurs années. Le tableau se terminait à gauche par un arbre. Datation du bas-relief de la Vierge Ce bas-relief a été étudié en détail par le grand archéologue Jean Baptiste de Rossi, archéologue des catacombes romaines. Après l’avoir minutieusement décrit, il s’exprime ainsi : « Il s’agit de savoir s’il appartient à l’époque où l’Afrique, recouvrée par Justinien, demeura sous l’influence directe de Constantinople et de l’art byzantin, ou 115 bien au temps de l’Afrique romaine et chrétienne, lors de ses relations intimes, avec Rome et l’Occident latin». Jean Baptiste de Rossi répond à la question en appuyant son jugement de savantes comparaisons. Voici sa conclusion : le style du fragment carthaginois lui semble de la première période de la sculpture chrétienne au IVème siècle : « Certainement, dit-il, il n’appartient pas au style des sarcophages de Ravenne et de Venise, au temps de l’exarchat byzantin et de l’atelier du sculpteur Daniel et de son école »39. Il serait, en effet, difficile de citer une œuvre d’art byzantine que l’on puisse rapprocher de notre bas-relief. De plus, dit le P. Delattre, c’était l’usage dans l’Eglise byzantine de ne représenter Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sainte Vierge et les saints que par la peinture. « Cette magnifique pièce d’art, écrivait encore de Rossi au P. Delattre, ne provenant pas d’un sarcophage, mais d’un bas-relief de la basilique, a une valeur exceptionnelle et forme le plus bel échantillon connu de ce genre de représentation dans la sculpture chrétienne ». Malgré les difficultés à reconstituer l’originel, nous avons là une sculpture artistique représentant d’une façon certaine la sainte Vierge avec l’enfant Jésus et remontant selon toute probabilité pour le moins au IVème siècle. On y sent une expression et une vigueur de l’influence de traditions excellentes, influence qui disparaît au Vème siècle, mais qui correspond au règne de Constantin. La statue de Notre Dame de Carthage Quelle splendide statue de Notre-Dame de Carthage donnerait la Vierge en bas-relief reproduite seule et agrandie ! Cette sculpture de la Vierge fut un projet du P. Delattre et lui mérita les félicitations de tout le clergé diocésain. Le DE ROSSI, Jean Baptiste, Bulle d’Archéologie chrétienne, Rome, 18841885, p. 146. 39 116 sculpteur de Tunis déjà cité, Sauveur Figlia, entreprit le travail artistique. Et le 9 août 1914, à l’issue des vêpres, Mgr Forbes, évêque de Joliette, au Canada, délégué par Mgr Combes, bénit solennellement la superbe statue en marbre de carrare de Notre-Dame de Carthage et elle fut placée dans la chapelle gauche de la Primatiale de Carthage (Acropolium). Autrefois, dans l’ancienne sacristie de la Primatiale se trouvait une autre statue sculptée dans le bois qui était une copie exacte de la statue de marbre : elle s’adaptait sur un brancard pour être portée dans les processions. Toujours dans l’ancienne Primatiale se trouvait contre le pilier, à droite de l’autel de la Vierge, un beau petit basrelief (aujourd’hui à la Paroisse de la Marsa à Tunis). C’est une reconstitution partielle et exacte du bas-relief véritable, conservé aujourd’hui dans les réserves du Musée de Carthage dans la colline de Byrsa (malheureusement il n’est pas exposé au public). Il était placé là pour témoigner de l’origine antique et carthaginoise de la grande statue. La statue en marbre fut déplacée à la cathédrale de Tunis en 1964 après le modus vivendi entre le Saint-Siège et l’état tunisien. Les Byzantins et les Carthaginois chrétiens aimaient appeler Marie la « Mère de Dieu » (theotokos). Cette mission de la Maternité divine, que de toute éternité le Seigneur voulait lui conférer, est le fondement, la source de tous les privilèges, prérogatives et excellences de Marie, la raison de tous les dons reçus par Elle, la magnificence du Dieu Tout-Puissant. Et parce que Marie est la Mère de Jésus-Christ elle est aussi la Mère de tous ceux qui sont les membres de son corps mystique. La statue de Notre-Dame de Carthage nous rappelle toutes ces vérités, toutes ces grandeurs de notre céleste Mère. 117 10. LES ORGUES DE LA CATHEDRALE DE TUNIS40 « Un orgue Mutin-Cavaillé-Coll, commandé en 1921 et installé deux ans plus tard, est encore fièrement posé sur la tribune de la cathédrale de Tunis construite entre 1893 et 1897. Cet instrument de trois claviers de 56 notes et un pédalier de 30 marches se compose depuis l’origine de 33 jeux réels et 1853 tuyaux. Certains jeux de pédale sont empruntés au sommier de Grand-Orgue, d’autres fonctionnent par dédoublements pneumatiques à partir de deux jeux réels, comme sur le Mutin-Cavaillé-Coll (1918) de l’ancienne cathédrale d’Oran, en Algérie ». « La Tunisie Catholique (novembre 1923, pp. 714715) nous donne des précisons sur la cérémonie de bénédiction de l’orgue le 28 octobre 1923, dans un article consacré à l’inauguration des orgues de la cathédrale et de la XIVème année de la Messe des Hommes : « Dimanche dernier 28 octobre eurent lieu d’abord la bénédiction des orgues de la pro-cathédrale de Tunis par Mgr le Primat et leur inauguration, et aussitôt après, la première conférence de Mgr Pons pour cette quatorzième année. La bénédiction fut donnée par Monseigneur, avant la messe, de son trône pontifical, et à peine fut-elle terminée que l’organiste, M. Righo, fit entendre une entrée majestueuse. On put ainsi apprécier tout de suite la puissance des nouvelles orgues et la beauté du son. […] ». Nous publions l’article de Olivier Geoffroy apparut en avril 2013 sur le site http://www.musimem.com/orgues_en_Tunisie.htm. L’auteur remercie toutes les personnes qui ont apporté leur contribution à la rédaction de cet article : le P. Silvio Moreno, le P. Sergio Perez, Messieurs Marc Boulagnon, Jérôme Legrand, Michael Soto, organistes, ainsi que monsieur François Sabatier, directeur de la revue L’Orgue. 40 119 « C’est de la maison Cavaillé-Coll que sortent les orgues de la cathédrale de Tunis. Les orgues que nous possédions auparavant étaient les orgues d’accompagnement de Versailles, achetées par le Cardinal Lavigerie pour la cathédrale provisoire de ce temps-là et transportées ensuite dans la cathédrale actuelle: elles étaient bien inférieures à ce que les Tunisois veulent avoir dans la principale église de leur ville: aussi des réclamations avaient-elles été respectueusement adressées, que Mgr Pons avait d’ailleurs transmises et appuyées, au vénéré Mgr Combes: celui-ci déclara qu’il ouvrait un crédit de trente mille francs. Dès ce moment, l’achat de nouvelles orgues était donc une chose décidée, mais les choses n’allèrent pas aussi vite qu’on aurait souhaité et il fallut la vigoureuse impulsion de Mgr Lemaître pour réaliser ce vœu unanime de la population. Il fallut aussi naturellement augmenter beaucoup les crédits ouverts par Mgr Combes : les orgues que l’on vient d’inaugurer sont des Orgues de grande valeur. […] ». « Vers la communion, on entend un chœur sur le Psaume 150, composé par M. Righo, notre excellent organiste, chœur parfaitement exécuté par la maîtrise archiépiscopale. Il est d’une belle facture régulière et très religieux. On ne peut que louer à la fois le maestro et ses exécutants, et se réjouir de ce que peu à peu la maîtrise de Tunis arrivera à être tout à fait remarquable. Mais Paris ne s’est pas bâti en un jour, et aucune maîtrise non plus ». « Comme cela est précisé dans l’article relatant son inauguration, l’organiste titulaire est alors A. Rigo [nom parfois orthographié «Righo»] qui avait sans doute indirectement succédé à Mgr Emile Bayonne (organiste à partir de 1900 et durant une douzaine d’années) : « […] notre nouvel organiste, M. Righo. On sait qu’il nous vient d’Asie Mineure, à la suite des troubles de ce malheureux pays»41. 41 «La Maîtrise» in : La Tunisie Catholique, 1923, p. 267. 120 « Nous apprenons avec plaisir que Monsieur Rigo, le distingué organiste de la cathédrale de Tunis, et compositeur, a reçu le Nicham Iftikar : nous lui présentons nos sincères félicitations »42. « Un premier relevage fut réalisé en 1947 par le facteur Renevier de Casablanca. Léonce de Saint-Martin, organiste de Notre-Dame de Paris, qui joua cet instrument lors d’une tournée de concerts en Tunisie du 10 au 14 décembre 1952, le considérait comme l’un des plus beaux d’Afrique. Maurice et Marie-Madeleine Duruflé se produisirent également en concert sur cet orgue le 9 décembre 1954 dans des œuvres de Bach, Buxtehude, Haendel, Couperin, Franck, Widor, Vierne, Dupré et Duruflé ». « En mars 1954, une restauration de l’orgue fut réalisée par la maison Merklin et Kühn de Lyon qui remplaça notamment 3000 écrous de cuir et plus de 300 soupapes pour un coût s’élevant à 1 500 000 francs ». « En novembre 1992, l’organiste Marc Boulagnon, de passage à Tunis, réalisa un descriptif de l’instrument. Plusieurs informations contenues dans cet article en sont extraites. La tribune, très spacieuse, se trouve à 9 mètres du sol. L’accès se fait par la tour latérale, à droite en entrant, par un escalier très large ». « Le buffet se compose de quatre plate-faces ornées de tuyaux de métal et encadrées de deux tourelles latérales comportant – fait rare - des tuyaux de bois. Sur la console indépendante, deux tirants supplémentaires «tacet» sont ajoutés au niveau des gradins de jeux correspondant au récit et au pédalier. La transmission est mécanique, tant pour le tirage des jeux que pour la traction des notes, avec machine Barker pour le Grand-Orgue et les sommiers sont en chêne43 ». 42 «Distinction méritée» in : La Tunisie catholique, 21 et 28 septembre 1924, p. 673. 43 Voici la composition relevée par Marc Boulagnon en 1992 et qui n’a guère changé depuis l’origine : Grand – Orgue (56 notes) : Montre 16’, 121 « Dans le cadre des travaux de rénovation de la cathédrale, l’instrument bénéficia d’une nouvelle restauration menée en 1994-1995 par Laval-Thivolle et dont le couronnement fut le concert d’inauguration donné par Louis Robilliard les 15 et 16 novembre 1995: « Enfin, l’orgue installé en 1921 [sic] par le célèbre facteur parisien MutinCavaillé-Coll et récemment restauré, fait encore aujourd’hui de la cathédrale de Tunis un lieu prisé des artistes lyriques du monde entier comme des catholiques pratiquants de la région44 ». « L’orgue est très régulièrement joué durant les célébrations des messes dominicales et des concerts, en tant que soliste ou accompagnateur de chœurs et dans l’actualité c’est le facteur Bernard Cogez, de Tourcoing, qui en assure l’entretien annuel ». Une dernière restauration complète des soufflets de l’orgue a été faite par M. Cogez dans l’été 2017 et le 25 novembre 2017 a été inauguré par un concert de Juan de la Rubia, organiste titulaire de la basilique de la Sagrada Familia à Barcelone. bourdon 16’, montre 8’, bourdon 8’, flûte harmonique 8’, violoncelle 8’, prestant 4’, quinte 2 2/3, plein-jeu III rgs, bombarde 16’, trompette 8’, clairon 4’. Positif (56 notes) : Principal 8’, cor de nuit 8’, unda-maris 8’, flûte douce 4’, nazard 2 2/3’, flageolet 2’, tierce 1 3/5’, clarinette 8’. Récit expressif (56 notes) : Quintaton 16’, diapason 8’, flûte traversière 8’, viole de gambe 8’, éoline 8’ (jeu ondulant), flûte octaviante 4’, octavin 2’, trompette harmonique 8’, basson-hautbois 8’, voix humaine 8’, soprano harmonique 4’. Pédale (30 marches) : Grosse flûte 16’, soubasse 16’, flûte ouverte 8’, bourdon 8’, violonbasse 8’, flûte 4’, tuba magna 16’, trompette 8’, clairon 4’. Tir. I, II et III, acc. II/I, III/I en 16’ et 8’, III/II, anches I, III et péd, trémolo III, appel machine I. Grâce aux emprunts et extension, ce sont finalement 40 jeux qui sont obtenus à partir des 33 réels. 44 Cf. «La Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul» in Saisons tunisiennes, n°4, novembre 2012, p. 41. 122 11. LA BASILIQUE CHRETIENNE DE HENCHIR HRIRIA. PLAN ARCHITECTURAL DE LA CATHEDRALE DE TUNIS Dans mes nombreuses promenades pour la Tunisie ancienne et chrétienne, j’ai trouvé les ruines d’une grande basilique chrétienne qui a été le plan architectural, le modèle, de la cathédrale de Tunis. A 9 kilomètres à l’ouest de Béja, au lieu-dit HenchirRhiria, près de la piste d’Ain Draham, l’ancienne voie romaine de Vaga à Thabraca (Tabarka), traverse un étroit plateau qu’occupait à l’époque byzantine une agglomération de quelque importance, dont une basilique, des citernes et des restes de constructions diverses attestent encore l’existence45. Cette agglomération a persisté au moins jusqu’à la fin du VIème siècle, ainsi que le prouve l’inscription suivante, découverte au mois d’octobre 1910 près de la basilique : la forme caractéristique de certaines lettres ainsi que la nature des formules employées empêchent de la faire remonter à une époque antérieure : +AUREA FIDELIS IN PACE BIXIT ANNOS VIII MNS VIII DP SD VIII KL IVLIAS INSP M + Aurea fidelis in pace bixit annos octo, m(e)n(se)s octo, d(e)p(osita) S(ub) d(ie) octavo k(a)l(endas) Iulias. In sp(e) (?) m(ortua) (?) 45 Cf. MASSIGLI, René, Notes sur quelques monuments chrétiens de Tunisie. In : Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 32, 1912, pp. 1826. 123 Du chemin nous pouvons voir parfaitement la basilique en ruines, envahie par les chardons et les herbes sauvages ; des débris de toutes sortes s’y sont accumulés recouvrant en certains endroits le sol primitif ; l’ensemble est cependant assez bien conservé pour permettre une étude complète du monument. Mesurée extérieurement, la basilique a, dans ses plus grandes dimensions 19m, 13 de long et 22 de large, 14m, 18 et 13. Les murs sont construits avec grand soin en moellons de petit appareil disposés en assises régulières qu’interrompent de distance en distance des chaînages de pierres de taille présentant par endroits sur la façade extérieure des bossages très accusés ; solidement bâtis et d’une très grande épaisseur, ils se dressent encore à une hauteur qui dépasse 8 mètres en certains points. Trois portes percées dans la façade donnent accès au quadrutum populi (emplacement des fidèles) au fond duquel s’ouvre une très belle abside, orientée à l’est. Deux rangées de trois piliers à chacun desquels un autre correspondait le long des murs latéraux ou sur la face interne du mur de l’ouest et que reliaient des arcs, divisaient la salle en trois nefs, la nef centrale et les bas-côtés : d’un pilier à celui qui lui faisait face le long du mur, était jeté un arc doubleau. Enfin, pour remédier à la poussée trop forte qu’auraient exercée sur le mur de façade les deux rangées d’arcades, deux contreforts, inégaux du reste, les contrebutaient extérieurement. Quiconque se rend sur le site, sera immédiatement frappé de la position qu’occupent les deux sacristies, situées à droite et à gauche. Sans doute le diaconicum, destinée aux ministres de l’autel et la prothesis, destinée à recevoir les offrandes des fidèles. Au lieu d’encadrer l’abside, comme dans toutes les églises africaines, elles s’ouvrent sur les murs latéraux. Celle du nord, presque carrée, a deux portes et dont la plus étroite seule est voûtée. La sacristie sud est plus curieuse. On y pénètre par une porte dont le linteau est à 2m au-dessus du niveau actuel ; le mur sud-est étant 124 complètement détruit, sont creusées de niches demicylindriques, et voûtées en cul de four. Selon les archéologues tant que des fouilles n’auront pas été entreprises sur ce point, il sera difficile de dire à quelle destination elles répondaient. Cependant ce qui doit retenir l’attention, c’est la position même des sacristies. En effet, à mon avis, les chapelles latérales de la cathédrale de Tunis (aujourd’hui du SaintSacrement et du Sacré-Cœur) réalisent parfaitement l’idée de ces deux sacristies de l’ancienne basilique. Paul Monceaux a fait remarquer que cette position est «exceptionnelle dans l’architecture du pays » et que le transept ainsi dessiné est une anomalie en Afrique46. En effet, affirme M. Massigli, pareille position du diaconicum, et de la prothesis est sans exemple en Afrique et que c’est en Orient, en Syrie ou en Asie Mineure, que nous la retrouvons : Henchir-Rhiria rappelle de très près Kalat Sem’an et Daoulé. Nouvel exemple des rapports étroits qui unissent l’architecture africaine à l’architecture orientale. Cependant dans cette humble basilique, un autre détail attire encore l’attention. La présence d’un transept47 dans une église byzantine d’Afrique est assurément un fait curieux. Les archéologues affirment très justement que les monuments chrétiens de l’Afrique du Nord ressemblent beaucoup plus à ceux de la Syrie et de l’Egypte qu’à ceux de Rome où l’on trouve des transepts. Or, M. Massigli s’interroge : devonsnous admettre à cette théorie des corrections et que, dans certains cas, une influence romaine directe, a pu s’exercer ? Il répond négativement, en effet les recherches archéologiques et les différentes publications ont mises en lumière, parmi leurs plus importants résultats, celui de faire connaître l’existence en Asie Mineure d’églises à transepts : Sagalassos 46 Cf. MONCEAUX, Paul, Bulle de la Société des Antiquaires, 1908, p. 174-176. 47 Un transept se définit essentiellement : « un vaisseau central placé devant l’abside et de même hauteur que la nef centrale du quadratum ». Exactement comme nous le voyons à la cathédrale de Tunis. 125 (première ville antique de la Pisidie, Turquie), Gul-Bagtché (Turquie). Une origine orientale est donc ici encore très vraisemblable. 126 12. LA CROIX DES CHANOINES DU CHAPITRE DE LA CATHEDRALE DE CARTHAGE ET DE TUNIS Ce thème, issu d’un dialogue avec Jean-Christophe Palthey, déjà cité par rapport au reliquaire de saint Louis, touche indirectement la cathédrale de Tunis. Mais il me semble un complément historique important pour comprendre l’existence et la valeur des deux cathédrales en même temps : Carthage et Tunis. Puisque j’ai voulu laisser toute la discussion en entier, veuillez excuser la répétition de quelques éléments historiques déjà cités dans les pages précédentes. Révérend Père Silvio, Passionné d’histoire, je suis spécialiste de l’histoire des ordres de chevalerie et de leurs marques d’honneur, la « phaléristique ». …Je travaille actuellement avec le Dr. Bernard Berthod, conservateur du Musée de Fourvière à Lyon à un catalogue qui retracerait l’histoire de ces croix en France et en Afrique du Nord. Ainsi les chanoines de Carthage portaient-ils une croix obtenue par Mgr Lavigerie. Auriezvous quelques éléments sur celle-ci ? Savez-vous s’il existe plusieurs modèles de cette croix ? Jean-Christophe Palthey Cher ami, La réponse sur la croix du chapitre de la cathédrale de Carthage d’époque moderne se relie comme je l’avais imaginé à l’ancienne époque de Carthage. Le Cardinal Lavigerie avait à cœur le fait de redonner à Carthage sa splendeur première en faisant valoir à juste titre 127 la primauté de l’évêque de Carthage héritage reçu du grand évêque saint Cyprien. Sur la colline de Byrsa, à Carthage, là même où Didon, adoratrice de Baal et de Tanit, découpa une peau de bœuf en fines lanières pour délimiter l’étendue de Kart-Hadasch, là même où s’élevait le temple de Eschmoun et le Capitole Romain, le Cardinal conçut le projet dès 1882 d’édifier une cathédrale en l’honneur de saint Louis et de saint Cyprien, symbole de la résurrection glorieuse de l’antique et toujours belle Eglise de Carthage. Les plans du monument furent dessinés par l’abbé Pougnet, architecte diocésain, auteur également des plans de la cathédrale saint Vincent de Paul à Marseille. La première pierre provenant de la basilique de saint Cyprien au bord de la mer, fut posée le 11 mai 1884 et la consécration eut lieu le 27 août 1894. Immédiatement après la pose de la première pierre, le 4 novembre 1884 le souverain pontife Léon XIII avec sa lettre apostolique Materna Ecclesiae Caritas, De sede archiepiscopali Carthaginiensi restituenda, supprime l’administration apostolique de Tunis et restitue à Carthage la dignité d’archidiocèse : « Donc, après avoir considéré avec soin ce que Nous venons de rappeler, et après avoir pesé chaque chose à sa valeur, et aussi réclamé l’avis de la Sacrée Congrégation chargée de la propagande du nom chrétien, pour le bonheur de la société chrétienne, et surtout pour le salut et l’honneur des Africains, Nous rétablissons, par l’autorité de ces lettres, le siège archiépiscopal de Carthage. En conséquence, Nous ordonnons que les… temples, oratoires, pieux établissements, et avec tous leurs habitants catholiques de l’un et de l’autre sexe, passent de la puissance du vicaire apostolique de la Tunisie sous celle de 128 l’archevêque de Carthage, et lui obéissent à l’avenir»48. Dans cette lettre apostolique le Pape Léon XIII affirme avoir pris cette décision par la considération de la grandeur de la vie chrétienne à Carthage aux premiers siècles (pères de l’Eglise, martyrs, etc.). Il fonde aussi son argument sur la bulle de Léon IX qui confirma le 17 décembre 1053 aux évêques Thomas et Jean, la primauté de l’évêque de Carthage49. Léon XIII écrit : « Que Carthage ait présidé aux débuts de l’Eglise africaine, personne n’en doute. Les évêques de cette ville ont acquis de bonne heure une puissance qui primait celle des autres, et l’Eglise même de Carthage, comme on le voit dans saint Augustin, est appelée la tête de l’Afrique. En effet, telle était l’autorité des Pontifes carthaginois en Afrique, qu’ils connaissaient d’ordinaire des causes des Églises ; ils donnaient aussi des réponses aux évêques, envoyaient des légats au prince, ordonnaient les conciles de toutes les provinces. Sur ce sujet, le témoignage de Notre prédécesseur saint Léon IX est très honorable et très grave ; on lui demanda son avis sur le droit de l’archevêché de Carthage, et il répondit à l’évêque Thomas en ces termes : « Sans doute, après le Pontife romain, le premier archevêque et le métropolitain suprême de toute l’Afrique est l’évêque de Carthage : et il ne peut perdre, au profit d’aucun évêque en toute l’Afrique, le privilège une fois concédé par le Saint48 Cf. LEON XIII, Materna Ecclesiae Caritas. Version latin-français http://www.liberius.net/livres/Lettres_apostoliques_de_S._S._Leon_XIII_ (tome_2)_000000828.pdf 49 Cf. MUNIER, Charles, Le Pape Léon IX et « l’archevêque de Carthage» (JL 4304 et 4305). In : Revue des Sciences Religieuses, tome 76, fascicule 4, 2002. pp. 447-466. 129 Siège Apostolique et Romain ; mais il le gardera jusqu’à la fin des siècles et tant qu’on y invoquera le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit que Carthage gise abandonnée, soit qu’un jour elle revive en sa gloire ». Cela est clairement démontré par le concile du bienheureux martyr Cyprien, par les synodes d’Aurélius, par tous les conciles africains : et, ce qui est plus important encore, par les décrets de Nos vénérables prédécesseurs, les Pontifes Romains». Pour cela, le Cardinal Lavigerie lors de la construction de la cathédrale fit peindre au-dessus de galeries l’inscription mémorable de saint Léon IX en latin : « Sine dubio post romanum pontificem primus archiepiscopus et totius africae maximus metropolitanus est carthaginensis episcopus, sed obtinebit illud usque in finem soeculi et donec invocabitur in ea nomen Domini Nostri Iesu Christi, sive deserta jaceat Carthago, sive resurgat gloriosa aliquando ». Finalement, Léon XIII dans sa lettre apostolique demande à l’archevêque de Carthage entre autres choses, celle de constituer le plutôt possible un chapitre de la cathédrale : «…Qu’il établisse, le plus tôt possible, un chapitre de chanoines métropolitains, suivant les prescriptions des lois ecclésiastiques. — Que l’un des chanoines soit le premier dans le chapitre, et soit honoré de la dignité d’archidiacre ; que deux autres soient canoniquement élus pour remplir l’office, l’un de théologal, l’autre de pénitencier... ». Ainsi le Cardinal avec décret du 9 août 1885 établi un chapitre de la cathédrale avec son propre règlement disciplinaire, confirmé définitivement par Léon XIII avec décret de constitution le 14 août 1888. Or, dans les insignes des chanoines du chapitre, particulièrement dans la croix pensée par le Cardinal Lavigerie lui-même, il résuma à pérenne mémoire toute l’histoire que nous avons exposée ci-dessus. Ainsi au titre troisième du 130 règlement disciplinaire (1885) des chanoines du chapitre de la cathédrale de Carthage, nous lisons : « De l’habit de chœur et des insignes des chanoines de Carthage. Article 20 – L’habit de chœur des chanoines de Carthage pour les affaires ordinaires, sera le suivant : une soutane violette avec rochet brodé et camail en soie de la même couleur que la soutane. Sur le camail, ils porteront une croix d’or émaillée, à huit points, avec un médaillon double portant d’un côté l’image de saint Cyprien, et de l’autre ces paroles du Pape saint Léon IX : « Primus post Romanum Pontificem Archiepiscopus maximus totius Africae Metropolitanus ». Autour du médaillon sera gravé d’une part : « Leo P.P. Decimus Tertius instituit », et de l’autre part : « Karolus Cardinalis Lavigerie impretavit »50. Le 20 octobre 1915 Mgr Clément Combes, successeur de Lavigerie, supprime le chapitre de la cathédrale, mais immédiatement a été créé un nouveau avec les mêmes habits et insignes du chapitre précédent51. Providentiellement nous avons pu trouver un exemplaire de la croix du chapitre de la cathédrale de Carthage. D’après mes connaissances c’est l’unique exemplaire qui existe actuellement à Tunis. Cette croix a été inspirée à Monseigneur Lavigerie par celle du Chapitre de Nancy52 qu’il avait recrée, elle-même inspirée de la croix Cf. Archives de l’Archidiocèse de Tunisie : section chapitre de la Cathédrale de Carthage. 51 Cf. Ibid. 52 Revers de la croix de chapitre des chanoines de Nancy demandée par l'évêque Menjaud et octroyée le 28 mars 1857, en vermeil et émail, 61 x 73 mm de diamètre, fabrication de l’orfèvre Daubrée à Nancy, France, 2e moitié du XIXème siècle. 50 131 octroyée au XVIIIème siècle par Stanislas roi de Pologne et duc de Lorraine aux chanoines de Nancy. Le Cardinal Lavigerie fut évêque de Nancy et le plus jeune de France, en 1863. 2. Comment expliquez-vous la suppression du chapitre par Mgr Combes le 20 octobre 1915 et la création d’un nouveau, serait-ce lié au transfert du chapitre de Carthage vers la cathédrale de Tunis ? Réponse : Le chapitre de la cathédrale de Carthage n’a jamais était déplacé. La suppression du chapitre était due tout simplement à une réorganisation. En effet la lettre de Mgr Combes au clergé de son Diocèse a comme titre : « Réorganisation du chapitre primatial de Carthage ». Puis il écrit : « ... Le diocèse de Carthage ayant, par la grâce de Dieu, pris un développement considérable durant ces vingt dernières années, l’organisation et le fonctionnement du chapitre de l’église primatiale, tels qu’ils résultent des actes et conventions antérieures, ne semble plus répondre aux besoins actuels de cette 132 église. Il nous a donc paru très désirable de procéder à de nouveaux arrangements, qui permettent de donner à ce chapitre insigne un statut mieux en harmonie avec le droit commun et plus en rapport avec la situation du diocèse ». Et dans le décret d’institution du 20 octobre 1915 à l’article II, Benoit XV écrit : « Un nouveau chapitre est institué dans la Primatiale de Carthage qui sera composé d’un archidiacre et de sept chanoines ». Donc il fait référence clairement que le chapitre est celui de la Primatiale de Carthage (la cathédrale), à Carthage. Dans l’article IV du même décret, il affirme que « l’habit de chœur et les insignes des chanoines seront les mêmes que ceux qui sont indiqués dans l’ordonnance du 9 août 1885 c’est-à-dire... ». Il décrit ensuite l’habit et la croix des chanoines, tel que l’avait fait Lavigerie. 3. Cette idée soulève pour moi une tout autre question : pendant la période du protectorat comment se « répartissaient » les rôles entre la cathédrale de Carthage et celle de Tunis ? D’ailleurs portaient-elles toutes deux le titre de cathédrale ? Réponse : Pour bien comprendre la question des deux cathédrales et leur fonction il faut revenir à octobre 1881. C’est à ce moment que Mgr Lavigerie arrive à Tunis pour succéder à Mgr Fidele Sutter, capucin italien, âgé de 84 ans. En 1881 il n’y avait pas de diocèse, mais seulement un vicariat apostolique de la Tunisie. On comptait 40.000 italiens, alors que les français n’étaient que 700. Mgr Sutter n’avait donc pas de cathédrale. Il célébrait à l’église de sainte Croix, dans la Medina de Tunis, qui appartenait aux capucins. Mais le nombre de français augmente et Mgr Lavigerie pense à la construction d’une nouvelle église à Tunis qui lui servirait de cathédrale. 133 À l’occasion de la fête de Noël 1881, il répète : « La ville européenne s’étend avec ses habitants nouveaux. Les distances deviennent difficiles à franchir. Aussi, pour une telle agglomération de chrétiens, une seule paroisse est-elle insuffisante ». Le 27 novembre 1881, il entreprend la construction d’une cathédrale provisoire, qui est inaugurée le dimanche 2 avril 1882. Au consistoire du 10 Novembre 1884, Léon XIII déclare dans une allocution aux cardinaux : « Nous avons cru le moment venu de rendre à Carthage, par notre autorité, l’honneur de son siège archiépiscopal ». Dans la lettre qui porte la nouvelle à son peuple, le Cardinal Lavigerie déclare : « L’Église métropolitaine sera provisoirement celle de saint Louis (derrière l’actuelle basilique de Carthage, mais aujourd’hui détruite complétement), en attendant la construction de la Basilique de Carthage, déjà commencée. Mais l’Église saint Vincent de Paul de Tunis reste à la disposition des Archevêques pour la célébration des offices pontificaux dans cette ville ». Donc la cathédrale de Tunis reste pour ainsi dire une cathédrale auxiliaire ou pro-cathédrale, devenant Carthage le siège primatial et principal de l’archidiocèse. Il décide également à la fin de sa vie (1890) faire la construction de l’actuelle cathédrale de Tunis. Cela faisait partie de son projet original. L’archevêque normalement prenait possession des deux cathédrales : Carthage d’abord et puis celle de Tunis. Après l’indépendance de la Tunisie, la cathédrale de Carthage est supprimée ainsi que son chapitre. Donc la cathédrale de Tunis est laissée comme paroisse-cathédrale par le modus vivendi et l’archidiocèse de Carthage est réduit à ‘Prélature de Tunis’. En 2005 la Prélature est élevée au rang du diocèse de Tunis et en 2010 au rang d’archidiocèse. 134 13. LE LANGAGE SYMBOLIQUE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS Un jour que le poète allemand Henri Heine contemplait, avec ravissement, la magnifique cathédrale de Cologne, il lui échappa des lèvres cette phrase qui a été beaucoup répétée depuis : « Les anciens pouvaient bâtir, parce qu’ils avaient des dogmes, mais nous, nous n’avons que des opinions, avec lesquelles on ne peut pas bâtir…on ne bâtit pas des cathédrales avec des opinions ». En effet la cathédrale de Tunis est bâtie sur une pierre solide : la foi chrétienne. La construction d’une cathédrale est un art sacré. Et une cathédrale solide est toujours vivante. Il s’y passe des choses qui, pour le non averti, demeurent totalement inaperçues. Elle est la représentation de la colline sacrée du mystère de la Rédemption, du calvaire. Elle doit être ouverte à tous car c’est un endroit de prière et de spiritualité. Mais pour bien comprendre une cathédrale, et dans notre cas la cathédrale de Tunis, il faut savoir lire et découvrir sa symbolique53. La cathédrale de Tunis a la forme d’une croix latine. Elle est construite, sur trois niveaux : la Crypte puis le sol et les colonnes et enfin la voûte. L’Autel est le cœur de l’église et il doit être toujours fixe et en pierre. Il représente ainsi la table du sacrifice où le Christ pierre angulaire, victime et prêtre au même temps est immolé pour le salut de tous. Tout ce qui concerne la décoration de la cathédrale (tableaux, statués, vitraux, mosaïques, etc.) révèle un enseignement religieux qui permet à l’homme de se 53 Cf. SCHWARZ, Felix, Symbolique des cathédrales, Paris, 2003 ; FEUILLET, Michel, Lexique des symboles chrétiens ; collection Que saisje ? PUF, 2004. Vocabulaire de théologie biblique ; MORENO, Silvio, Symboles eucharistiques de Carthage, Tunis, 2016. 135 perfectionner intérieurement jusqu’à s’élever sur un plan supérieur, sacré. C’est une catéchèse vivante ! La symbolique de la cathédrale est inspirée donc par la spiritualité chrétienne. Autrement, elle perd toute sa valeur et ne devient qu’une simple œuvre architecturale. La cathédrale est une invitation à découvrir le sens caché de la réalité de l’homme sur terre, en adoptant une attitude intérieure, ouverte, contemplative. La cathédrale est un outil extraordinaire pour aider l’homme dans sa quête de la Vérité et de spiritualité. Le langage symbolique et les églises Les symboles sont présents dans les édifices religieux depuis l’antiquité. Les églises chrétiennes recèlent dans leur plan, leur construction, leur ornementation quantité de symboles. Nombre d’entre eux trouvent leur origine dans l’antiquité. Ainsi visiter une église et en comprendre la structure implique de connaître les bases qui ont présidé à sa construction ainsi que la signification de certaines représentations. Au-delà de ces généralités la symbolique est certainement présente dans de nombreux points de la construction ou du décor de la cathédrale de Tunis. Le bâtiment porteur de sens L’édifice est lui-même un symbole. Le clocher et sa hauteur est déjà significatif. Il signifie qu’en cet endroit, au cœur de la ville et du quartier musulman, se trouve la maison des chrétiens. Ses cloches, bien que silencieuses aujourd’hui, rappellent les devoirs religieux (par exemple l’angélus, l’annonce de l’office dominical, etc.). Le portail ouvre symboliquement pour les chrétiens la voie qui conduit au salut éternel. Les voûtes représentent la voûte céleste ; les murs portent un décor qui se veut enseignement ; la nef est le vaisseau qui protège l’homme durant son pèlerinage à l’image du navire qui protège les voyageurs des intempéries. C’est la 136 barque de l’évangile. Le mobilier liturgique est toujours porteur de sens : l’autel rappelle la dernière cène et le Christ lui-même, la chaire et l’ambon sont le lieu de proclamation de la Parole de Dieu, les fonts baptismaux : l’eau de la Vie éternelle, etc. a. Symboles géométriques : Pour comprendre les symboles géométriques de la cathédrale de Tunis, il faut se placer dans le contexte de l’époque des premières églises : au Moyen Âge les moyens de mesure et de tracé n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Les bâtisseurs d’alors disposaient d’outils très simples et les tracés sont réalisés avec un cordeau et consistent essentiellement en carrés, cercles et triangles. Le cercle : lors de la construction d’une église le maître d’œuvre commence par tracer un cercle qui délimite le premier espace de construction : l’espace entre le chœur et la nef. Ce cercle est appelé cercle primitif. En son centre le maître plante un bâton dont l’ombre, projetée au soleil levant, définit l’orientation de l’édifice : l’axe est-ouest. À midi l’ombre projetée indique la direction du nord. On dit qu’une église est orientée c’est-à-dire axée vers l’orient et non vers Jérusalem54. Le cercle est une figure géométrique parfaite, dessiné d’un seul trait, il n’a pas de commencement ni de fin. Il représente la totalité, l’unité, il est figure de l’incréé, symbole de Dieu55. Devant l’autel majeur et en dessous de la grande coupole de notre cathédrale vous noterez le cercle primitif. L’octogone : C’est une figure géométrique à huit côtés. « Octo » signifie étymologiquement « sept plus un». Dans le livre de la genèse (premier livre de la Bible) le huitième jour succède aux six jours de la Création et au septième, jour où Dieu se repose. Le Christ est ressuscité le huitième jour. Huit est donc le symbole de la résurrection. 54 Cette pratique tombe en désuétude après le Concile de Trente, certaines églises peuvent ne pas être orientées. 55 Certaines églises sont construites sur un plan circulaire. 137 L’octogone dans la construction d’une cathédrale constitue un lien entre le monde matériel et le monde spirituel. La figure de l’octogone matérialise le signe de la résurrection, de la vie nouvelle, de la renaissance par le baptême. Cela explique la forme octogonale de nombreux baptistères ou de fonts baptismaux dont celui de notre cathédrale. Le triangle : Le triangle représente la sainte Trinité. Dans l’art sculptural il est souvent représenté avec trois faisceaux de lumière et assez souvent il porte un œil en son centre, regard omniprésent, symbole de la connaissance divine. Ce symbole nous le trouvons tout particulièrement dans la cathédrale de Tunis dans la porte d’entrée derrière l’autel majeur. b. Symbolique des nombres : La symbolique des chiffres dans notre cathédrale, comme d’ailleurs pour les anciennes églises africaines, trouve son origine dans l’Orient ancien qui aimait la symbolique des nombres. La Bible ellemême confère à certains chiffres des emplois symboliques mais n’accorde à aucun un caractère sacré. Les chiffres ont pour fonction de donner du sens56. Ainsi par exemple : Le nombre 3 représente pour les chrétiens la Trinité ; elle est représentée par : un triangle équilatéral ; trois cercles entrecroisés ; le trèfle ;… saint-Patrick a évangélisé l’Irlande et il a notamment enseigné à ce peuple celte le mystère de la sainte Trinité en utilisant le symbole du trèfle. Plus largement il signifie aussi les trois vertus théologales (Foi, Espérance, Charité). Dans notre cathédrale la nef et les deux bas-côtés forment trois espaces. Un portail central et deux portails latéraux en façade annoncent la nef et les collatéraux. En élévation on retrouve trois niveaux : crypte, grande arcade et fenêtres hautes (vitraux). Le nombre 4 représente la terre, les quatre points cardinaux, les quatre saisons ainsi que les quatre vertus Cf. BROSSIER, François, professeur à l’Institut catholique de Paris, in Journal La Croix le 7 janvier 2012. 56 138 cardinales (Prudence, Force, Justice et Tempérance). La cathédrale même en forme de croix latine est composée de quatre branches. Le nombre 7 suggère un nombre assez considérable, il est le nombre parfait. Il est récurent dans l’Ancien Testament de la Bible : les sept jours de la création, le chandelier à sept branches, l’année jubilaire « Tu compteras sept semaines d’années, sept fois sept ans … ». Pierre doit « pardonner 77 fois 7 fois ». Il caractérise surtout le septième jour de la semaine jour du sabbat, jour saint par excellence. Normalement dans la liturgie il est permis de mettre à l’autel majeur 6 chandeliers avec la croix au centre. Le nombre 12 (3x4) est à rapprocher du nombre 7 (4+3) chacun est le produit ou la somme de 4 et 3. Douze correspond à des réalités terrestres selon une ascendance divine (3). C’est le nombre des heures, des mois, des tribus d’Israël. Dans l’Apocalypse on trouve les 12 gemmes. Les apôtres de Jésus-Christ sont douze. Ainsi on trouvera fréquemment dans nos églises des ensembles de douze colonnes soit autour du chœur soit pour la nef centrale comme par exemple dans la cathédrale de Tunis. c. La faune et flore de la cathédrale : Dans les écritures il est fréquent de trouver de références à la nature, psaumes et autres textes en sont riches ; les éléments sont objets d’enseignement : … Tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le Dragon (Ps 90). … Je suis pareil au pélican du désert comme le hibou sur ses ruines (Ps 102). Le Christ, dans ses discours, utilise souvent l’image d’animaux : moineaux (Math 10, 29) serpent, (Math. 10, 6) colombe (Math. 10, 16) brebis … ou de végétaux : vigne, sarments. On les retrouve dans différentes représentations picturales ou dans la statuaire. L’art roman est probablement le plus riche en reproductions animalières. En Afrique du Nord c’est surtout une caractéristique de l’époque byzantine. Dans les intrados de l’abside de la cathédrale de Tunis nous pouvons 139 apprécier beaucoup de bas-reliefs avec ce type de reproductions. Ils représentent les symboles eucharistiques du IVème au VIème siècle, retrouvés lors des excavations archéologiques à Carthage. Chacun a une signification symbolique : L’aigle : il est le roi des oiseaux, il vole très haut «jusqu’au firmament» il rappelle l’ascension du Christ. L’agneau : il est le symbole de l’innocence. JeanBaptiste dit de Jésus : Voici l’agneau qui enlève le péché du monde. L’agneau est souvent représenté de profil tenant une croix ou une bannière avec la croix. Le paon : selon la croyance populaire sa chair est incorruptible il est ainsi le symbole de la vie éternelle (immortalité). Les poissons : est employé par les premiers chrétiens pour désigner l’image du Christ, poisson en grec se dit ICHTUS et représente la première lettre de : Iesus Kristos Theou Yios Soster - Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur. La colombe : symbolise la paix en rappel du rameau apporté dans l’arche à Noé. Par sa blancheur elle est signe de pureté et représente l’âme humaine en grâce de Dieu. Dans le symbolisme chrétien elle représente aussi le Saint-Esprit : Comme il priait, le ciel s’ouvrit et l’Esprit Saint descendit sous une forme visible comme une colombe (Luc 3, 22). Le pélican : Il a la réputation de nourrir ses petits avec ses entrailles alors qu’il régurgite les aliments péchés et stockés dans son bec. Il est devenu le symbole du sacrifice du Christ pour l’humanité. Le lion : Il a pris la place de l’ours comme roi des animaux au XIIème siècle. Il est le symbole de la puissance. Dans l’Ancien Testament de la Bible la tribu la plus puissante est celle de Juda ; on cite le Lion de Juda. Le lion ailé est l’attribut de l’apôtre saint Marc. Il cite au début de son évangile Isaïe (40, 3) : une voix crie dans le désert. Le cerf : au Moyen Âge le cerf est considéré comme symbole de résurrection. Il est considéré comme un animal 140 vertueux. Le psaume 41 illumine sa figure : Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu. Croix de consécration de la cathédrale. Enfin, on peut voir sur les piliers, dans les murs de la cathédrale de Tunis, de petites croix peintes : ce sont les croix de la consécration de la cathédrale. Il ne faut pas les confondre avec le chemin de croix. Elles nous rappellent que l’édifice a été dédicacé, c’est-à-dire consacré. Lorsque l’on fête la dédicace d’une église, on fête sa consécration ou, en d’autres termes, le baptême de l’église. Ce jour correspond souvent à la fête du village : la ducasse, nom qui vient de dédicace. Ces croix sont normalement au nombre de douze. Elles sont peintes ou gravées sur les piliers de la nef et du chœur ou les murs s’il n’existe pas de piliers. Le jour de la dédicace l’évêque, car ce n’est que lui qui a autorité pour consacrer une église, a tracé une onction avec le saint chrême sur chacune des croix. Ce cérémonial rend « apte l’édifice à servir pour le culte, c’est-àdire à rendre visible le mystère de l’Eglise : l’assemblée des Pierres vivantes ». Douze croix pour symboliser les douze apôtres. 141 CONCLUSION Un lieu de culte, présence de Dieu, accessible à tous Comme dans toutes les églises catholiques, la vie religieuse au sein de la cathédrale de Tunis est centrée, chaque jour, par la célébration de la messe. La messe est dite tous les jours en français, le dimanche a lieu une messe en italien et les deuxièmes et troisièmes samedis du mois elle est dite respectivement en espagnol et arabe. Au cours de l’année, des moments liturgiques jalonnent, également, cette vie religieuse. Parmi ces derniers, on peut citer : le temps de l’Avent, précédant la fête de Noël, le temps de Carême, correspondant aux périodes de jeûne et d’abstinence des chrétiens, ainsi que le temps de Pâques, de Pentecôte, la fête Dieu et la fête patronale qui ouvre et conclue l’année pastorale de la cathédrale. Si la cathédrale de Tunis est le lieu principal du culte catholique de toute la Tunisie (car elle est la mater ecclésiae – mère des églises- du diocèse), elle n’est pas pour autant fermée aux individus ayant d’autres croyances. On ne peut que souligner l’accessibilité de ce temple chrétien à tous les visiteurs quelles que soient leurs origines et confessions. Ainsi, quiconque peut entrer et découvrir, à son aise, ses caractéristiques et sa religiosité et voir en quelque sorte un monde diffèrent. En effet, encore aujourd’hui, pour chaque visiteur, l’atmosphère et le calme de la cathédrale de Tunis contraste singulièrement avec le monde extérieur de l’avenue HabibBourguiba. La vie moderne et ses bruits semblent étrangers à un édifice qui n’est pas perçu comme démodé mais plutôt intemporel. Ainsi tout comme à ses débuts, la cathédrale 143 continue de répondre à sa double fonction : matérielle et spirituelle. Matérielle en tant que construction solide et protectrice, spirituelle en sa qualité de médiatrice entre le visible et l’invisible, entre Dieu et les hommes. La lecture correcte de la cathédrale de Tunis suppose donc la connaissance d’un langage historique et religieux qui ne s’improvise pas. Ces pages ont voulu justement accomplir cette mission. Malheureusement il y a souvent des lectures rapides et trop incomplètes. Prouesse technique ? Symbole émouvant d’une foi transcendante ? Lieu d’histoire ? Lieu de mémoire ? Lieu de prières ? Lieu de régénération ? Notre cathédrale est tout cela et bien plus encore car au-delà du peuple chrétien, premier destinataire, la cathédrale interpelle l’ensemble des visiteurs de la Tunisie et d’ailleurs. Avec elle et en elle se trouve résumée l’ultime étape de la destinée humaine : la comparution devant l’Eternel. La cathédrale de Tunis parle aux hommes par les symboles qui ornent la majesté et la simplicité de son architecture. Certes, elle reflète le savoir des hommes qui se sont associés pour la construire, mais elle se veut aussi et surtout témoignage et enseignement, illustration d’un ordre voulu par Dieu dans l’univers. Dans cette cathédrale catholique, comme d’ailleurs dans toutes les églises, l’homme est petit et se retrouve en face du mystère central de la foi chrétienne : Dieu fait homme, Jésus-Christ, qui a donné sa vie pour sauver les hommes. 144 S’est achevé d’imprimer le 8 janvier 2018 Solennité du Bapteme du Seigneur