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Dans la Brume électrique mise en ligne le Mercredi 29 avril 2009 Catégories : Film Rares sont les cinéastes made in France capables de se frayer un chemin de l'autre coté de l'Atlantique. Encore plus rares sont ceux capables d'échapper au rouleau compresseur dublockbuster insipide et d'imposer un cinéma personnel en dehors des sentiers battus. Rares mais pas inexistants. Bertrand Tavernier nous le rappelle grâce à son dernier film, un polar crépusculaire où il fait enfiler au grand Tommy Lee Jones le costume de Dave Robicheaux, inspecteur désabusé qui erre dans la moiteur fantastique d'un bayou de Louisanne. Maigret dans la Brume Dans une Louisiane post-apocalyptique qui porte encore les stigmates de l’ouragan Katrina, l’inspecteur Dave Robicheaux se veut le témoin quotidien de toutes les dérives criminelles de la région. Comme si l’ouragan avait emporté avec lui ce qu’il restait au Sud de bon sens, laissant une plaie grande ouverte aux infections. Un meurtre faisant preuve d’une particulière sauvagerie attire toute son attention, car il paraît faire remonter à la surface les blessures du passé. Comme personne ne semble se préoccuper du sort d’une prostituée, Robicheaux en fait une affaire personnelle et décide de remuer ciel et terre pour trouver le coupable. Seulement les ciels et terres en question (mafia du coin, lobbies industriels, factions ségrégationnistes et racistes) ne sont pas très enclins à être remués, et prêts à tout faire pour mettre notre héros sur la sellette. La tension est presque palpable sur la pellicule. Au fur et à mesure que Robicheaux avance et se rapproche de la vérité, la brume éléctrique dans laquelle il baigne métaphoriquement et littéralement s’épaissit et altère son jugement. Et c’est là la force de ce film qui donne toute sa signification au terme « adaptation cinématographique d’un roman ». Les angles d’attaque de la caméra, la photographie, la musique et surtout la direction des acteurs, tout est un relais parfait à l’écriture du livre. Le film illustre l’ambiance du polar de James Lee Burke . Il se transforme en une magnifique fresque fantomatique. L’irruption du fantastique, en la personne du Général fantôme et visionnaire, se fait dans la simplicité la plus déconcertante. Pas d’apparition inexpliquée, pas d’effet visuel en béquille pour le spectateur. Robicheaux entame la discussion le plus naturellement du monde avec ce revenant du bayou. C’est plus une causerie au coin du feu qu’un Gotika débridé. Et tant mieux, parce que c’est d’une efficacité à couper le souffle. N’oublions pas la prestation de Tommy Lee Jones, pierre angulaire de ce film. L’acteur ne joue pas Dave Robicheaux, il est Dave Robicheaux. Il fait valser avec lui la série d’acteur made in south, sans jamais s’imposer ni se faire oublier. Quel bonheur de le voir tenir tête à un John Goodman, mafieux obsédé et pétochard dans la droite ligne des rôles qui lui on confié les Coen . Tommy Lee Jones donne à Robicheaux toute la profondeur qu’il mérite sans jamais être opaque. Du coup, ce Maigret du Bayou laisse vite place au vrai héros de l’histoire : le Sud. L’histoire policière reste en supsens au profit de l’Histoire. S’ensuit un jeu de surimpression entre les différents événements qui ont marqué cette région, ce qui nous fait comprendre que le Sud est avant tout la somme de toute ses cicatrices. Le blues, musique de fond du film, n’est-il pas lui-même né d’une de ces blessures ? On dirait le Sud Du coup, dans ce Sud post-Katrina, on ne vit pas, on survit. Refuge, repli, confort et réconfort voilà ce que l’on cherche à tout prix et par tous les moyens. Certains par l’alcool et les prostituées, d’autres par le don de soi et la volonté de reconstruire ce qui a été détruit, ne serait-ce qu’en commençant par son propre jardin. Il y a cette scène magnifique de crépuscule où passé et futur se marient dans un clair-obscur des plus subtils : la femme de Robicheaux y repique une pousse d’arbre tout en chantant une berceuse cajun, alliant ainsi les promesses du futur et les vestiges du passé. Merveilleuse initiative de la part de Tavernier de transposer l’action du livre en 2008, plutôt que d’être fidèle au roman et la conserver dans les années 70 : la résonance n’en est que plus actuelle, et du coup, éternelle. Le Sud n’a de cesse de se détruire et se reconstruire. On voit donc bien que ce qui aurait pu être un polar de plus, ou encore un hymne à la performance d’un grand acteur vieillissant (vous savez, ces films annoncés comme géniaux et démentiels par la critique et qui finalement sont seulement des films corrects ?) se trouve être une déclaration d’amour littéraire et cinématographique à cette région. Tout nous y transporte : couleur, musique, paysage, accents (des américains eux-mêmes ont avoué avoir eu recours aux sous-titres) sont minutieusement choisis par Tavernieret Tommy Lee Jones lui-même (qui a insisté pour ne recruter que des acteurs originaires du Sud). Ce dernier aurait d’ailleurs confié à Tavernier(Interviewé par le 7/10 de France Inter le 18 avril) qu’il avait réussi à saisir sur la pellicule l’esprit du Sud. L’histoire d’amour entre Bertrand Tavernier et les États-Unis est une histoire de longue date, en témoigne son ouvrage consacré au cinéma américain de 45 à nos jours, Amis Américains, Entretiens avec les Grand Auteurs de Hollywood . Le dénouement de cette histoire se fait donc naturellement autour de l’ouvrage deJames Lee Burke, ou Tavernier peut enfin revenir à ses premières amours (voir le documentaire Mississipi Blues, tourné en 1982). Mémoire de nos Pairs Le Sud est donc rongé par trop d’Histoire (Guerre Civile, Grande Dépression, Katrina) et trop d’histoires (adultères, lynchages, unions inter-raciales, déficiences mentales). C’est dans ces porosités que refait surface le fantôme du général sécessionniste. Ce témoin du passé fonctionne comme une interface entre la petite histoire de Robicheaux et la grande Histoire de la région. C’est en quelque sorte le phare qui guide dans la brume épaissit. Il donne un sens, une direction au film : car il est aussi la voix du Sud qui s’écrie et qui s’écrit à la fois. Livres, films, acteurs, écrivains, fiction, vérité, tout se retrouve dans la bouche de ce Faulkner d’outre tombe dont on s’étonne à peine qu’il reprenne les mots de l’homme qui a le mieux peint le bruit et la fureur du Sud. Tavernier, Jones, et Burke à eux trois se posent comme les dignes successeurs du maître en nous montrant qu’effectivement « Le Sud n’est pas mort, il n’est même pas encore passé ».