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HIDAIR Isabelle, 2012. « L'École en Guyane et en Seine-Saint-Denis est-elle en danger ? », DontenwilleGerbaud A. (Coord.), Approches pluridisciplinaires des discours sur l’École en Seine-SaintDenis, Colloque des 1er et 2 avril 2011, IUFM de l’académie de créteil, Unversité Paris-Est Créteil, CRDP, pp. 113-129. L’école en Guyane et en Seine-Saint-Denis est-elle en danger ? Isabelle HIDAIR Anthropologue Maître de conférences en sciences de l’éducation IUFM-université de Guyane Depuis les débuts de la colonisation française, la Guyane a hérité d’une image négative. À chaque période historique correspond une stigmatisation créant alors une accumulation de stéréotypes dévalorisants. Le climat, la géographie et, surtout, la composition socioculturelle de la population sont souvent tenus pour responsables des maux guyanais, en particulier en matière d’« insécurité » et d’échec scolaire. Pourtant, il apparaît que le cas de la Guyane n’est pas unique en France. En effet, en comparant le profil socioéconomique de la Seine-Saint-Denis à celui de la Guyane, on constate que les difficultés rencontrées – l’échec scolaire, le turnover des enseignants et le chômage – se retrouvent mutatis mutandis dans ces deux départements. Afin de mieux comprendre les éléments qui unissent les départements de la SeineSaint-Denis et de la Guyane, l’étude est consacrée aux communes de Clichy-sous-Bois, Montfermeil, Aulnay-sous-Bois, pour le premier, et Cayenne, Rémire-Montjoly et Matoury1, pour le second. Les thèmes servant de base à l’analyse de l’image de l’École sont la démographie, l’emploi, la formation, la diversité sociolinguistique et les revendications – parfois violentes – des habitants. La lecture et la confrontation des images, des statistiques, des études socioéconomiques permettront de mieux comprendre les réalités et les enjeux de ces histoires, qui trouvent un écho dans l’échec de l’intégration des nouvelles générations de migrants, souvent accusées de faire « baisser le niveau » scolaire. Pour les anthropologues, le séjour sur le terrain et la posture de l’observation participante représentent un moyen classique – et méthodologiquement justifié – de recueil des données. Cette méthode de travail a pu être appliquée en Guyane, mais pas en Seine-Saint-Denis. Ainsi, afin de recueillir les propos des enseignants des deux départements, il a été décidé qu’il serait judicieux d’interroger – dans le cadre de futures enquêtes – les enseignants des premier et second degrés en poste en Guyane, mais ayant connu une expérience professionnelle dans cette région parisienne. En complément, la comparaison et l’analyse des images (presse écrite, audiovisuel, internet), ainsi que le recueil des statistiques et des études socio-économiques (Insee, sciences humaines) ont été nécessaires. L’étude ici proposée s’attachera, tout d’abord, à présenter la démographie à laquelle est fortement liée la question de l’immigration, puis nous verrons que cette thématique 1 Communes formant la zone géographique de l’Île de Cayenne. 1 migratoire se pose également en milieu scolaire et enfin, nous constaterons qu’elle est centrale à l’échelle des départements où le discours sécuritaire stigmatise les jeunes issus de l’immigration résidant dans ces départements. Guyane et Seine-Saint-Denis : des sœurs jumelles ? Tout d’abord, intéressons-nous au cas guyanais. Afin de démontrer le « retard » et confirmer les difficultés du département, les statistiques de la Guyane sont systématiquement comparées à celles de la France tout entière censée représenter le modèle à suivre, l’idéal à atteindre (Hidair, 2007). Or, il faut soulever l’incongruité de la pratique. Comment accepter la comparaison entre deux pays aux histoires, géographies, économies, problématiques scolaires... extrêmement distinctes ? La Guyane, c’est peut-être la France, mais ce n’est pas n’importe quelle province métropolitaine. La Guyane est française, à sa façon, et rappelons qu’il n’existe pas d’homogénéité, même sur le territoire national. L’enquête révèle que, s’il y a comparaison, elle devrait se limiter aux banlieues métropolitaines défavorisées. En effet, les statistiques démontrent la correspondance des profils socio-économiques entre certains départements d’outre-mer et banlieues parisiennes. Situées à l’est de la Seine-Saint-Denis, Clichy-sous-Bois (29 601 habitants au recensement de 1999) Montfermeil (26 381 habitants en 1999) et Aulnay-sous-Bois (78 517 habitants en 1999) sont à environ 15 kilomètres de Paris, de Roissy et de Marne-la-Vallée. L’ensemble des trois communes représentait 134 499 habitants en 1999. L’Île de Cayenne, quant à elle, rassemblait 50 594 habitants à la même période (recensement Insee 1999). Après une forte augmentation due à une vague migratoire entre 1975 et 1990, le nombre d’habitants se stabilise. À Clichy-sous-Bois et Montfermeil, la population a doublé en moins de trente ans, la tranche d’âge des moins de 25 ans représente respectivement 47 % et 43 % de la population totale et jusqu’à 50 % dans la cité des Bosquets. En Guyane, 53,49 % de la population de l’Île de Cayenne a moins de 29 ans (recensement Insee 1999)2. En outre, à Clichy-sous-Bois, le phénomène de rotation des habitants est très élevé. En effet, l’Insee l’évalue à 49 % entre deux recensements. Les familles dont le sort s’améliore s’en vont, ce qui maintient la tendance à la paupérisation. En Guyane, la rotation est aussi importante. Entre 1990 et 1999, près de 40 % des habitants résidaient dans un autre département. Ces déménagements s’expliquent par plusieurs facteurs : tout d’abord, le faible taux de propriété (40 %), puis l’immigration importante et enfin, la jeunesse de la population (Lhuillier & Quentier, 2000). Ainsi, le fait d’être locataire favorise les déménagements. Par ailleurs, les immigrés3 et les jeunes sont très mobiles. Concernant l’emploi, les trois premiers employeurs de Montfermeil sont des organismes publics : l’hôpital intercommunal, la mairie et la maison de retraite des Ormes. À Clichysous-Bois par exemple, les ouvriers (36,20 %) représentent plus du tiers des ménages. Pour plus du quart des ménages, la personne de référence est sans emploi. Les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 4,70 % (pourcentage en baisse : 24 %) En 1990, les taux de chômage étaient déjà parmi les plus élevés du département de la SeineSaint-Denis : environ 23,5 % pour ces trois communes. Dans l’Île de Cayenne, 45,5 % des actifs sont titulaires de la fonction publique et le chômage s’élève à 28,6 % (recensements Insee 2 En Guyane, les moins de 25 ans représentent 52 % au recensement de 1999. Par exemple, la présence d’un grand nombre de fonctionnaires parmi les métropolitains (sont appelés ainsi les Blancs nés en métropole) implique une forte mobilité géographique. En effet, l’Insee révèle que seulement 7 % d’entre eux – vivant en Guyane en 1990 – y résident toujours neuf ans plus tard (recensement 1999). 3 2 1999 et 2003) 4. Nous verrons que, aussi bien pour la Guyane que pour la Seine-Saint-Denis, la présence importante de populations immigrées, dans ces communes en particulier, confère une image très négative au département en général. La stigmatisation de certaines immigrations Les problèmes économiques et politiques des voisins guyaniens, surinamais et brésiliens en provenance des États de l’Amapá et du Pará poussent ceux-ci à trouver la Guyane plus attractive. Ainsi, les Guyanais véhiculent une image négative de leur pays du fait de l’immigration étrangère souvent présentée comme étant la principale cause d’« insécurité » et de « sous-développement ». Aujourd’hui, ils se font les relais de cette image misérabiliste et de cette obsession sécuritaire construite depuis le XVIIe siècle. Ces stéréotypes dévalorisants sont admis et transmis de génération en génération (Hidair, 2003) et ils ont pour vocation d’attirer l’attention de l’État français sur les problèmes économiques, sociaux, sanitaires, industriels, scolaires, mais également sur ceux de l’emploi et de la formation. Chaque vague migratoire en provenance des pays du Sud est accueillie défavorablement et jugée responsable de tous les maux. Pourtant, l’histoire nous montre que ce sont les mauvaises conditions d’exploitation5 de cette colonie qui sont à l’origine de nombreux problèmes persistants encore aujourd’hui (Hidair, 2003). Il en va de même, en Seine-Saint-Denis, où l’extension des bidonvilles, au cours de l’histoire urbaine, sociale et politique, est un exemple de la seconde moitié du XXe siècle qui a concerné des dizaines de milliers de personnes entre 1954 et 1974, contribuant ainsi à dresser une image négative (Perron & Pouvreau, 2011). Ces mauvaises conditions d’accueil ont un effet double : d’une part, les populations migrantes ne rencontrent pas les meilleures conditions d’intégration dans le département ; d’autre part, les stéréotypes négatifs vont se répandre, s’accentuer pour s’associer définitivement à l’image de ces départements. 29,6 % pour l’ensemble de la Guyane. Bouyer (1867), capitaine de frégate, a constaté à propos de la Guyane que « la colonie qui, remise sous la domination portugaise, prospéra mieux qu’elle ne l’eût fait sous la domination française, et que de 1809 à 1815 ce fut peut-être l’époque où s’adonnant exclusivement à la culture des terres, la Guyane se développa avec plus de tranquillité et arriva à son maximum de production agricole » (p. 65). Les colonisations réussies des autres Guyanes par les Anglais, les Espagnols et les Hollandais contredisent les thèses de l’irréductibilité du climat ou de la malédiction pesant sur la Guyane. Citons par exemple Bouyer qui ne tarit pas d’éloges quant au succès de la colonisation hollandaise de la Guyane voisine : « Paramaribo est une jolie ville américaine. La vie y est agréable et facile » (p. 310). 4 5 3 Des jeunes issus de l’immigration et peu qualifiés Carte 1 : Les bassins de scolarisation en Guyane Source : rectorat-Daric Insee L’académie de Guyane a été créée en 19966. En 2000, quatre bassins de formation ont été identifiés (Carte 1), animés par des inspecteurs ou des chefs d’établissements qui ont pour mission d’impulser les grandes orientations pédagogiques et de mutualiser les ressources mises en œuvre dans les établissements scolaires. Au cours des années 1990, le bassin de l’ouest a connu une très forte poussée démographique qui lui a permis d’être, après Cayenne, le deuxième pôle de scolarisation du département (Lermitus 2002). Depuis, la circonscription des fleuves, Oyapock et Maroni, a été ajoutée. En 1999, « plus de 7 200 immigrés de moins de 25 ans étaient scolarisés » (Atlas des populations immigrées en Guyane, Insee-ACSE, 2006, p. 21) . Cependant, leur taux de scolarisation de 54 % est inférieur de 11 points au taux régional7. En 2008, « 2 883 enfants de 6 à 16 ans ne sont pas scolarisés contre 2 625 à la rentrée précédente » (Michaud, 2009, p.40)8. À titre comparatif, il faut souligner que le taux de scolarisation des 16-29 ans, en 2003, était de 35 % en Guyane9, de 44 % aux Antilles et de 75 % en France hexagonale. Avec 68,8% de bacheliers à la session 2006, toutes sections confondues, le résultat de l’académie de la Guyane est le plus bas de France (ministère de l’éducation nationale). De plus, « la Guyane, qui se caractérise par de faibles niveaux de formation, attire une immigration peu qualifiée : elle compte une très forte proportion de personnes sans 6 Avant cette date, elle était intégrée au Rectorat des Antilles. Martinique, Guadeloupe et Guyane formant ainsi une seule et même académie. 7 Hormis les Surinamais, les jeunes immigrés sont en moyenne aussi souvent scolarisés que les autres (64 %). Les moins de 25 ans originaires d’Haïti sont les plus scolarisés (72 %). Ceux originaires de Chine le sont aussi à près de 64 %, les Brésiliens à 59 %, les jeunes immigrés originaires du Guyana et de Sainte-Lucie sont 54 % et 52 % à suivre une formation scolaire (Atlas 2006, p. 21). 8 « L’autre élément, aussi alarmant, concerne les 3 300 enfants de 3 à 5 ans non scolarisés » (Michaud, 2009). 9 Sur les 1 400 collégiens supplémentaires au cours de ces cinq dernières années, 86 % sont originaires du bassin de l’ouest, ce qui a entraîné l’ouverture de trois nouveaux collèges à Saint-Laurent-du-Maroni et Apatou. Dans les six mois qui ont suivi, il a été nécessaire de construire un quatrième collège à Saint-Laurentdu-Maroni et ce, avant la livraison du troisième (conseil général, 2005). 4 diplôme, mais aussi un faible nombre de diplômés du supérieur […] » (Atlas 2006, p.19)10. Plusieurs facteurs contribuent aux difficultés de scolarisation rencontrées : implantation géographique des écoles, manque d’infrastructures scolaires, nécessité du développement d’un enseignement secondaire, équipements insuffisants, problèmes de transports scolaires, écarts linguistico-culturels importants entre les enfants et l’école, dévalorisation de certaines zones par les enseignants et manque de qualification des enseignants en poste (rectoratDaric). Dans l’Île de Cayenne, 42,8 % de la population non scolarisée, de 15 ans ou plus, n’a aucun diplôme (recensement Insee 1999). 63 % des élèves du collège ont un retard scolaire d’au moins un an en 2002 et 33 % des élèves de troisième ont un retard de deux ans et plus (ministère de l’éducation nationale, 2007). Carte 2 : Académie de Créteil Source : http://www.ac-creteil.fr/academie-creteil.html L’académie de Créteil (Carte 2) couvre trois départements, la Seine-et-Marne, la SeineSaint-Denis et le Val-de-Marne. C’est la deuxième académie de France métropolitaine. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, l’Insee relève 32,8 % de non-diplômés parmi les 15 ans et plus. À Clichy-sous-Bois, plus du tiers des plus de 15 ans est sans diplôme. La population d’enfants en âge d’être scolarisés est équivalente à celle d’une ville de 50 000 habitants. Le taux de natalité est de 21,6 pour mille. La forte population jeune implique des besoins importants dans les domaines de la petite enfance et de l’éducation. Par ailleurs, tandis que le nombre de ménages tend à diminuer, y compris dans les zones urbaines sensibles, 21 % des ménages clichois sont composés de plus de 5 personnes. En Seine-SaintDenis, à peine 10 % des actifs disposent d'un niveau bac + 2, contre 40 % à Paris ou 30 % dans les Hauts-de-Seine. Le quotidien Le Monde analyse des données cartographiques de l’Observatoire départemental11 et juge que tous les indicateurs sont préoccupants : « Le nombre de jeunes sans le moindre diplôme est plus élevé. La proportion de diplômés de l’enseignement supérieur plus faible. Malgré le plan de rattrapage obtenu à la fin des années 1990 par les enseignants, avec la création de 3 000 postes – décidée par le ministre de l’éducation Claude Allègre – le département n’est pas parvenu à compenser les inégalités. Le plan de rattrapage n’a pas pu avoir d'effet. Il a uniquement permis de faire face à l’explosion du nombre de primo-arrivants dans le département. Il n’a en rien permis de briser les inégalités sociales qui sont Dans l’ensemble, 79,3 % des personnes âgées de plus de 15 ans issues de l’immigration n’ont aucun diplôme (Atlas 2006, p. 20-21). 11 Au sein de la Direction des Etudes et de l’Evaluation, l’Observatoire Départemental rassemble et analyse les données disponibles sur la population et la Seine-Saint-Denis, les territoires et leur environnement (http://cooperation-territoriale.seine-saint-denis.fr/-Observatoire-departemental-.html). 10 5 au cœur des retards scolaires », souligne Claude Bartolone, le président PS du conseil général » (Bronner, 2011). L’auteur conclut que « la faiblesse globale du niveau de formation (cf. tableau cidessous) explique le paradoxe d’un territoire dynamique sur le plan économique, en particulier dans les communes autour du Stade de France, mais qui continue de faire face à un chômage considérable. Si un grand nombre d’entreprises se sont installées, débouchant sur une hausse des emplois dans les années 2000, les habitants du département n’en ont que peu bénéficié » (Bronner, 2011). Tableau 1 : Résultats du baccalauréat Seine-Saint-Denis 2009 Général 76,6 % Technologique 71 % Professionnel 77,4 % Guyane 2008 75,2 % 60,7 % 67,3 % National 2009 87,2 % 81,7 % 85,7 % Sources : http://www.education.gouv.fr/cid4914/les-resultats-du-baccalaureat.html La question du turn-over des enseignants Concernant le turn-over des enseignants, en 2003 « près de la moitié des demandes de mutations émane des départements des trois académies de la région parisienne où le taux de participation au mouvement interdépartemental est nettement plus élevé que la moyenne nationale. Ainsi, 15 % des enseignants en poste dans l’académie de Créteil souhaitent quitter leur département d’affectation (24 % en Seine-Saint-Denis et 10 % dans le Val-de-Marne) […]. Le pourcentage de demandes de sorties est également élevé en Guyane (15 %) » (La mobilité interacadémique et interdépartementale des personnels d’éducation et d’orientation, MEN, 2007, p. 97). En Seine-Saint-Denis, du point de vue des élèves, « plus généralement, s’exprime le sentiment d’une relégation scolaire, le fait d’être cantonnés dans des “lycées pourris,” qui résulte de la compétition scolaire et de la volonté des établissements de sélectionner les meilleurs » (Cicchelli, Galland, Maillard & Misset, 2006). Il en va de même à Cayenne où l’avenir s’imagine ailleurs. Il existe une forte dévalorisation de la scolarisation en Guyane de la part de la population en général et des jeunes en particulier qui considèrent que le niveau est « très bas » et que le seul moyen d’assurer leur avenir est de quitter le département pour se rendre aux Antilles françaises ou en France (Hidair, 2003). Par ailleurs, en associant directement l’échec scolaire à l’origine sociale des élèves, les établissements de bon nombre de quartiers populaires sont perçus par les enseignants comme des purgatoires : En tenant le lien de causalité entre résultats scolaires et origine sociale des élèves comme incontournable, l’éducation nationale a contribué à dédouaner le corps enseignant de sa responsabilité dans l’accès de tous à la réussite scolaire. Dès lors, les parents comme les enseignants jugent les établissements à l’aune de l’image que leur donne leur recrutement social et sont particulièrement réactifs à tout fait ou rumeur confortant l’idée que les comportements des élèves issus des milieux les moins favorisés sont un handicap pour la réussite de ceux des classes moyennes et supérieures (Maresca & Poquet, 2003). Jean-Louis Auduc (2001), qui a mené une étude sur la stabilité des personnels enseignants et la situation des établissements, démontre une corrélation entre l’instabilité des 6 personnels et les résultats scolaires des élèves, qui est liée aussi aux populations fréquentant les établissements. L’auteur précise que : « Si la stabilité des personnels n’apparaît pas comme la réponse unique à l’amélioration du climat d’un établissement, son absence apparaît cependant comme un facteur d’aggravation des risques quand elle est liée à d’autres indices de précarité : taux faible de demi-pensionnaires, enclavement de l’établissement, nombre important d’élèves, etc. La stabilité des personnels permet de construire des projets dans la durée et d’accueillir les élèves dans un établissement que se sontapproprié ceux qui y travaillent. » L’auteur poursuit son analyse en préconisant la cumulation de différentes mesures– lesquelles pourraient aussi bien s’appliquer au cas guyanais – afin de stabiliser les personnels : – un travail sur les représentations, pour éviter une posture chez les jeunes enseignants de rejet « a priori » de la Seine-Saint-Denis ; – un accompagnement de la prise de fonction permettant une véritable adaptation à l’emploi ; – des mesures incitatives pour leur permettre de rester au moins entre cinq et sept ans dans les établissements ; – la diminution du nombre de non-titulaires et de nominations non définitives dans l’établissement. Plus loin, il étaye son propos en précisant que : « Ces mesures n’ont de sens que si elles sont articulées avec des décisions relevant des conseils généraux, comme la diminution de la taille des établissements ou une politique réelle de développement des cantines pouvant aller jusqu’à la gratuité et l’obligation pour certains établissements ; ou des mesures relevant des conseils régionaux et de l’État, comme le désenclavement de certains quartiers par un meilleur maillage des transports en commun. » En Guyane, les conditions particulières d’enseignement expliquent, en partie, l’important turn-over des équipes pédagogiques. Ce renouvellement régulier et rapide ne permet pas de former un nombre suffisant de professionnels adaptés aux particularités sociolinguistiques. En effet, d’après nos observations de terrain, la majorité des enseignants provient de la France métropolitaine et des Antilles françaises. D’une manière générale, le déficit de main-d’œuvre subi par la Guyane attire des travailleurs en provenance de l’étranger et d’autres départements français (Hidair 2007), mais il faut ajouter à cela, pour quelques-uns d’entre eux, la quête d’exotisme. En effet, la Guyane vue de l’Hexagone est souvent présentée comme un pays sauvage peuplé de « purs autochtones » 12 où « tout reste à faire » (Hidair 2007). Bien sûr, ces enseignants rêveurs se heurtent à la réalité moins idyllique du terrain. Progressivement, l’angoisse monte chez les nouvelles recrues qui, afin de parer à l’inconnu, s’échangent des a priori sur les écoles guyanaises. De plus, les enseignants natifs montrent peu d’intérêt pour les communes des circonscriptions du fleuve. À ce propos, l’analyse des données obtenues montre que la grande majorité des enseignants rencontrés a du mal à se défaire des préjugés. L’étude laisse apparaître qu’ils interprètent souvent les comportements des élèves à travers une grille de perception culturelle sclérosée (Hidair 2007). C’est ce que nous révèlent les propos de Mlle B.13 enseignante depuis 2006, âgée de 29 ans et exerçant sa profession dans l’Île de Cayenne au CE1. Elle a connu une expérience professionnelle à Saint-Laurent-du-Maroni, commune de l’ouest de la Guyane 12 Parues dans la presse locale et nationale, ces publicités mettent en scène la forêt guyanaise présentée comme « mystérieuse », « envoûtante », « étrange » et « captivante ». Ces images d’expéditions et de forêts vierges répondent aux fantasmes de pionniers, récurrents dans l’imaginaire occidental et font passer la Guyane pour un terrain de jeu à conquérir et non pas un pays où la matière grise est présente. L’énumération de la faune amazonienne est comparable à celle des « ethnies qui vivent le long du fleuve » : les noms cités font appel aux fantasmes d’aventuriers (Hidair 2003, p.127). 13 Corpus recueilli en novembre 2010, par Mlles Antoinette, Champlain, Desbiolles, Fleriag et Ly. 7 réputée pour accueillir de nombreux habitants de nationalité surinamaise parlant les langues créoles nenge et saamaka. « Personnellement, il y a/14 enfin les parents immigrés qui arrivaient avant s’investissaient beaucoup plus dans leur intégration et leur intégration passait par/ le fait que leur enfant aille à l’école et réussisse. Aujourd’hui,/ c’est pas péjoratif, mais ils arrivent ou / ils ont pas forcément envie de s’intégrer. On voit plus de gens qui sont recentrés sur eux-mêmes, recentrés sur leur communauté plutôt que la volonté de s’intégrer/ à la communauté créole 15, à la communauté guyanaise et ça se ressent aussi dans les classes. Mais c’est vrai qu’il y a une évolution aussi donc avant c’était les enfants qui étaient d’origine étrangère qui étaient en difficulté par rapport à la langue, etc., […]/ Elles [les difficultés] s’étendent même aux enfants qui sont d’origine créole parce que de toutes les façons, il y a aussi une démission aussi du côté des parents qui/ ne donnent pas à l’enfant l’envie de travailler, le goût de l’effort, etc. Les enfants vont à l’école parce qu’il faut aller à l’école. J’ai eu des enfants quand j’étais à Saint-Laurent16, je leur disais : “Mais/ pourquoi vous venez à l’école, qu’est-ce que vous voulez faire quand vous serez plus grand ?” etc. / La gamine m’a répondu : “je veux avoir des enfants et je veux toucher la CAF” et ce n’est pas de sa faute, c’est parce qu’elle voit/ que l’autre y arrive comme ça, pourquoi travailler alors qu’on sait que maman elle arrive pas et que papa il arrive à survivre alors qu’il reste à la maison. Donc ces enfants, ils ont cette image-là de gens qui démissionnent de leur vie sociale et ils se disent / que de toutes les façons, j’aurai peut-être pas une grande maison, mais j’aurai de quoi vivre donc ils n’ont pas le goût de se dire : “Ben je vais devenir médecin, je vais devenir avocat ou etc”. […] Un parent est allé voir le directeur : “Mais comment ça se fait que les maîtresses ne parlent pas le taki-taki ?17”. Alors que normalement vous arrivez dans un pays c’est à vous de vous intégrer, c’est à vous d’apprendre pour pouvoir communiquer pour pouvoir partager et la dame elle était outrée ! Et j’avais même une collègue d’origine noire marronne qui elle refusait systématiquement de leur parler en sranan tango qui leur parlait en français. » Prédominance de la langue française malgré le plurilinguisme Il est important de présenter la richesse du profil linguistique de ces départements afin de mieux comprendre la construction de cette image négative, mais aussi l’inadaptation de la plupart des enseignements dispensés. On parle plus de 70 langues à Clichy-sous-Bois, qui rassemble 33 % d’habitants de nationalité étrangère. En Guyane, cette population représente 29,6 % de l’ensemble (recensement Insee 1999). En matière d’enseignement interculturel, les représentations de la diversité sont symbolisées par des stéréotypes (Hidair & Chicot, 2008 ; Hidair & Éliville, 2010). En effet, deux modèles dominants sont proposés : d’une part, l’énumération des principaux groupes socioculturels18 juxtaposés et différenciés et, d’autre part, la convergence de ces derniers vers une culture de référence19. Le français n’est pas la langue maternelle de la majorité des enfants scolarisés en Guyane20. Ainsi, le modèle culturel est le même pour tous alors que dix 14 Les slashs « / » signalent les pauses. Groupe socioculturel proportionnellement le plus important en Guyane. Ce sont des descendants d’esclaves ayant adopté la culture française chrétienne. 16 Commune frontalière au Surinam. 17 Nom générique et péjoratif donné par les colons hollandais aux langues créoles nenge et saamaka. 18 J’utilise les termes « groupe socioculturel », car ils rendent compte de la dynamique interne aux groupes et des interactions entre les groupes qui se produisent lors des rencontres interculturelles. 19 Dans la bande dessinée Ti zouk de Boutard & Darl’Mat (2001), au lieu de rendre compte des interactions de la diversité, les auteures juxtaposent des groupes socioculturels dans un environnement occidental. La réalité se retrouve ainsi simplifiée et sclérosée. Ainsi, chaque groupe socioculturel se trouve porteur de caractéristiques propres et fixes. 20 Sur ce point, la linguiste Léglise (2004) souligne qu’en Guyane, « outre le français, langue officielle, on compte une dizaine de langues ayant les caractéristiques de citoyenneté et territorialité des langues régionales (Launey 1999, Camargo et al. 2003 cité par Léglise, 2004) : le créole guyanais, des langues amérindiennes (kali’na, wayana, wayampi, émerillon, arawak et palikur), des créoles de base lexicale anglaise (ou nenge sous 15 8 langues, en France, répondent aux critères de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, ce qui place ce département en deuxième position dans les départements et territoires d’outre-mer, juste après la Nouvelle-Calédonie. D’une façon générale, les langues maternelles sont absentes de la pédagogie des professeurs des écoles pour plusieurs raisons : manque de formateurs agréés en langues régionales dans les IUFM, locuteurs natifs minoritaires parmi les enseignants, réticences de certains à apprendre ces langues dévalorisées et désintérêt pour le sujet de la part de quelques inspecteurs d’académie. Alors que selon le linguiste Launey (Laboratoire de linguistique, 2001), « La présence de la langue maternelle à l’école donne des résultats plus satisfaisants que son absence systématique […]. Les élèves dont la langue maternelle est présente à l’école apprennent plus facilement et ont souvent des résultats meilleurs dans les matières qui mettent en jeu l’abstraction comme les langues étrangères ou les mathématiques. Si l’on entretient chez l’élève l’idée que sa langue est moins digne d’intérêt et de respect que la langue nationale, on affirme par là que la connaissance qu’il en a est sans valeur. […] Par cette exclusion symbolique, […] on construit d’emblée un handicap que peu d’élèves surmonteront. Si l’élève trouve dans sa classe l’aide nécessaire pour apprendre à construire et à structurer dans sa langue maternelle des opérations mentales et leurs expressions, il aura un meilleur accès aux connaissances de tout ordre, et plus généralement au plein exercice de la citoyenneté […]. » De plus, soulignons qu’il ne suffit pas d’enseigner la langue ou d’enseigner dans la langue pour adopter une démarche interculturelle, mais il faut prendre en compte le contexte social, historique, géographique, esthétique et économique des élèves. À ce sujet, AbdallahPretceille (1992, p.79) souligne que « Si l’apprentissage d’une langue était réduit à la seule acquisition de règles grammaticales, de structures syntaxiques et de vocabulaire, les progrès de la didactique permettraient de résoudre le problème. Nier la charge affective, sociale, symbolique des langues, c’est d’emblée s’enfermer dans la technologisation des enseignements et donc accepter de ne pas atteindre l’objectif de maîtrise du langage. » Ainsi, à l’histoire migratoire de ces départements sont associés la non-francophonie, l’échec scolaire, le chômage, la démographie galopante, mais aussi l’« insécurité ». L’« insécurité », outil de reconquête des territoires Rigouste (2004) analyse le langage des médias et met en évidence que les contenus sous-entendent que s’il y a un danger en France, celui-ci proviendrait des cités. Notons que ce discours est très similaire à celui qui est employé à propos de la Guyane et des différentes émeutes qui ont fait l’actualité (Hidair, 2003). La rhétorique médicale et le champ sémantique de la maladie sont des registres régulièrement mobilisés par la presse pour décrire les cités. La métaphore biologique de l’espace national prend la forme du corps humain, et les cités en sont les membres altérés. La gestion traumatologique de l’espace se retrouve dans la justification des interventions des forces de l’ordre, de la justice ou des services sociaux. Il faut soigner, suturer, réparer, voire amputer dans certains cas (Rigouste). Cette analyse permet de faire le lien avec le traitement réservé à la Guyane : « Comment ne pas penser aux discours hygiénistes, qui ont construit les images de l’espace populaire et soutenu sa médicalisation sous le Second Empire ? (…) On peut saisir l’espace malade et sa médicalisation comme un registre de discours disponible pour le contrôle et la soumission de l’espace, dont les modes d’expression dépendent d’une politique de la ville centralisée. La métaphore biologique établissant l’État et la capitale comme la tête du corps trois variantes dialectales : aluku, ndjuka et pamaka) et de base anglaise « relexifiée » partiellement en portugais (le saamaka) » ; et enfin, toutes les langues d’immigration comme le brésilien, l’anglais, l’espagnol, le néerlandais, le hakka, le shami, le hmong blanc… 9 national montre comment le jacobinisme, qui soutient la forme centralisée de l’État nation français, légitime aussi le contrôle de l’espace populaire. » (Rigouste, 2004) L’auteur poursuit son analyse en mettant en lumière que les thématiques de la chaleur et du feu sont un répertoire essentiel de la représentation des cités. Ces espaces sont présentés comme des lieux de « guerre civile » dans lesquels l’intervention des forces armées se justifie. Il s’agit désormais de pacifier ces territoires. Ainsi, « la “pacification” semble reformuler, sur les cités, les discours du contrôle de l’espace conçus dans la guerre coloniale, à propos de la ville et des populations colonisées ». Il faut donc remettre de l’ordre dans ces espaces par une prise en charge immédiate, même de force. De même, en Guyane, chaque émeute, chaque contestation mobilisant la plupart des partis politiques et des habitants, sont accompagnées de l’arrivée de contingents de gendarmes mobiles en provenance directe de la France métropolitaine. Ces départements représentent une menace pour l’harmonie de la nation. Les populations qui y vivent sont souvent jugées incapables de « s’intégrer », autrement dit d’assimiler totalement la culture dominante. À ce propos, rappelons que la plupart d’entre elles sont issues de vagues migratoires successives. Ainsi, « Le fantasme d’une colonisation inversée est un des axes principaux des discours d’extrême droite dans la société postcoloniale, mais il traverse sous forme de représentation de l’espace tout l’éventail politique de la presse dominante. Il traduit la réminiscence de discours et de pratiques du contrôle de l’espace forgés dans la guerre coloniale. Puisque l’espace de la menace est susceptible d’envahir tout le territoire, il faut quadriller, encadrer son débordement sur le territoire national […]. Une retraduction de l’idéologie colonisatrice donne au droit républicain toute légitimité pour la civilisation de cet espace. Des reformulations du discours paupériste croisent les images d’une colonisation inversée, pour inciter à contenir un espace envahissant et légitimer les antagonismes économiques, sociaux et politiques qu’il importe dans l’espace national et dans l’espace public » (Rigouste, 2004). Dans le même temps, face à cette volonté de reconquête, les auteurs Cicchelli, Galland, Maillard & Misset (2006), dans une étude consacrée à Aulnay-sous-Bois, constatent que dans le « rejet de l’action répressive de la police sur le territoire des cités, il semble y avoir, chez une partie des jeunes au moins, surtout des mineurs, une culture de l’illégalité associée au sentiment que l’action répressive de la police sur le territoire de la cité est illégitime ». Ainsi, les émeutes de novembre 2005 sont la manifestation de ce rejet. L’anthropologue Morice (2005) rappelle que le 20 juin 2005, à la suite d’un meurtre dans une ville de la région parisienne, le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, avait déclaré : « Je vais nettoyer la cité au Karcher. » Le 25 octobre, soit deux jours avant les émeutes, répondant à une mère de famille, il avait déclaré : « Vous en avez assez de cette racaille ? Eh ben je vais vous en débarrasser. » Selon l’anthropologue, « le mot “racaille”, qui est très injurieux, résume le mépris guerrier des autorités devant les enfants de l’immigration ». Ainsi, le 27 octobre 2005, les émeutes ont commencé à Clichy-sous-Bois pour s’étendre à d’autres quartiers de la Seine-Saint-Denis et départements de l’Île-de-France. Des actes de vandalismes suivis d’émeutes sont apparus dans d’autres banlieues pauvres du pays. L’état d’urgence a été déclaré le 8 novembre 2005, puis prolongé pour une durée de trois semaines. Selon, Morice elles ne sont pas un phénomène inattendu. En effet, « la situation explosive et la violence sporadique qui y règnent ont été maintes fois décrites par les éducateurs, travailleurs sociaux, policiers, ainsi que de nombreux sociologues ». 10 Il en va de même en Guyane où plusieurs épisodes de l’histoire21 rendent compte du rejet des forces de l’ordre. À ce propos, prenons l’exemple des émeutes de 1996. En novembre, la grève des lycéens – exigeant la création d’un rectorat, plus de personnel, plus d’infrastructures ainsi que la venue des ministres de l’éducation nationale, François Bayrou, et de l’outre-mer, Jean-Jacques de Péretti – tourne à l’émeute. Durant quatre nuits, des jeunes casseurs relayés par des militants indépendantistes affrontent les gendarmes mobiles dans les rues de Cayenne. De nombreux commerces, dont des bijouteries et des armureries, sont pillés, des voitures incendiées ainsi que le conseil régional. Sera aussi remarquée la tentative d’incendie de la villa du procureur de la République. Les indépendantistes profitent de cette situation pour exprimer leurs idées anticolonialistes et attribuent l’entière responsabilité des événements « aux autorités françaises et locales [les élus] » dans le journal France-Guyane (nov. 1996, p. 4). La « mission civilisatrice » de l’État décrite par Rigouste est perçue avec beaucoup d’acuité en Guyane où l’histoire est celle de la colonisation européenne. S’engage alors une résistance face à l’oppresseur, le dominant venu civiliser ces zones « sauvages » et « primitives ». Ainsi, « la presse légitime la civilisation de ces lieux, elle responsabilise le civilisé en le flattant, lui attribue un rôle paternaliste, l’intègre à la mission répressive de l’État et le détourne de ses propres contradictions » (Rigouste, 2004, p.79). Le discours sur les causes sociales de la violence est alors inversé par les médias qui incitent à opter pour la répression plutôt que pour la prévention. Ce renversement du discours légitime le délitement de l’État social et le retour à l’État pénal par la reformulation d’une idéologie civilisatrice (Rigouste, op.cit.). Conclusion Il apparaît que le cas de la Guyane est loin d’être unique et que ses problèmes sont loin d’êtres spécifiques. La distance qui sépare la Guyane de la France métropolitaine, si souvent présentée comme le principal générateur des problèmes socioéconomiques, est contestable si l’on considère le cas des banlieues parisiennes défavorisées qui sont seulement situées à 15 kilomètres de Paris. En effet, telles des sœurs jumelles la Guyane et la Seine-Saint-Denis, aux profils démographiques, culturels, sociologiques et économiques comparables, héritent d’une image fortement négative. Ce constat nous permet d’envisager que les raisons se situent plus dans l’échec du gouvernement français à enrichir ces zones en leur proposant des projets économiques adaptés. En effet, les habitants n’ont pas à leur disposition des outils pédagogiques indispensables à leur apprentissage. Ce sont des zones d’éducation déficitaires tant en matière d’infrastructures que de personnels. Il ressort, au fil de l’enquête, que les Guyanais acceptent ces stéréotypes négatifs pour mieux stigmatiser l’immigration qui ne leur convient pas. Ils nourrissent le désir inconscient de voir se concrétiser l’implantation d’une immigration jugée plus riche et plus prestigieuse en provenance d’Europe. De même, dans les banlieues parisiennes, l’origine culturelle des habitants est souvent présentée par les médias comme une source de difficultés d’insertion 22. La conséquence majeure est la stigmatisation des populations vivant dans ces communes, souvent accusées de ne pas faire d’efforts suffisants pour s’en sortir. Elles sont tenues pour Citons les manifestations contre la légion étrangère en 1962, les “nuits indépendantistes” de 1970, les émeutes raciales de 1983, les conflits sociaux de novembre 1996, avril et août 1997, mars 2000 et juillet 2002. À chaque fois, les émeutiers critiquent l’oppression de “l’État colonial” (Hidair, 2003). 22 En particulier les représentations de l’islam en France (Blanchard et Bancel, 1998) 21 11 seules responsables de leurs échecs et livrées à elles-mêmes, elles recourent parfois à la violence pour exprimer l’exclusion vécue au quotidien. En Guyane les clichés n’ont pas beaucoup évolué en 500 ans. Les idées reçues persistent : les pays du Sud sont en proie à la délinquance, les habitants y sont paresseux, sujets aux addictions et chefs de familles nombreuses (Hidair 2003 et 2007). Des journalistes viennent régulièrement confirmer ces stéréotypes23. En réalité, les violences, l’insécurité, la maind’œuvre clandestine, les épidémies, et autres reproches, concernent plus généralement les zones défavorisées de France et pas exclusivement les immigrés. Bibliographie ABDALLAH-PRETCEILLE M. (dir.) Quelle école pour quelle intégration ?, Paris, CNDPHachette Éducation, 1992. 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