L A
R É S I S T A N C E
S P I R I T U E L L E
LETTRE
LALA
LETTRE
N°3616
3631DU
DU
N°
23 AVRIL 2015
2015
8 JANVIER
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1,50
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Lettre à nos amis
du Sud
En Belgique, le vote a été rendu obligatoire
en 1893, au moment où tous les hommes
obtenaient le droit de vote (les sanctions
sont peu connues et très rarement
appliquées). Le devoir électoral s’impose,
comme le devoir fiscal ou le paiement de
sécurité sociale, comme une des pratiques
construisant le vivre-ensemble… Depuis lors,
et spécialement depuis l’abandon du vote
obligatoire aux Pays-Bas dans les années
1970, plusieurs partis politiques, notamment
les libéraux, demandent la suppression de
l’obligation de vote et le débat rebondit donc
de temps à autre. En moyenne, le total des
absents au vote, des votes blancs et des votes
nuls reste très stable, autour de 15 %.
Les sondages effectués les dernières années
tendent à montrer qu’entre 25 à 30 % des
électeurs n’iraient plus voter si le vote n’était
plus obligatoire, ce qui ramènerait un taux
de participation entre 55 et 60 %.
Des arguments de fond et des motivations
électorales parcourent le débat belge,
symétrique au débat français. Sur le fond,
la liberté d’un côté s’oppose au « cens caché »
de l’autre, au fait que, comme ailleurs,
les populations les plus motivées à aller voter
sont les plus diplômées, les revenus les plus
élevés ou, plus significativement – au-delà
des données objectives –, ceux qui ont le plus
le sentiment qu’ils peuvent « nouer les deux
bouts » à la fin du mois. Cette sélection
sociale des électeurs intéressés transforme
le débat politique qui risque de ne plus
s’adresser aux populations les plus faibles,
les moins insérées dans la société. Elle tend
à aggraver l’« apartheid social ». A contrario,
le besoin de motiver les électeurs à aller voter
oblige les candidats à argumenter pour
à la fois attirer les électeurs aux urnes
et les aimanter vers le programme de leur
parti, ce qui élargit leur discours vers
des dimensions plus civiques.
Dernière réflexion : toute modification du
système électoral en période préélectorale
est perçue par les électeurs comme
une manipulation malhonnête et risque
d’entraîner des réactions difficiles à prévoir
de la part de ceux-ci. Le meilleur argument
pour le vote obligatoire en Belgique, c’est qu’il
existe depuis plus de cent vingt ans. Il vaut
sans doute symétriquement pour la France…
Pierre VERJANS
Docteur en sciences politiques, professeur
à l’université de Liège et rédacteur en chef
de la revue internationale
Fédéralisme Régionalisme.
N° 3631 DU 23 AVRIL 2015
Quarante ans après la chute de Phnom Penh et la prise
de pouvoir des Khmers rouges de Pol Pot, TC relit son histoire
et tente de comprendre pourquoi, comme tant d’autres,
nous avons été aveugles. On trouvera page suivante
la chronologie des événements et des citations du journal.
Aveuglements…
I
l est une question sur laquelle les progressistes
ont du mal à se pencher, c’est celle de leur
soutien sans condition aux luttes pour l’indépendance des peuples colonisés ou dominés.
La lecture de tous les journaux de gauche, TC y
compris, est sur ce point édifiante. Le soutien
aux peuples des anciennes colonies fut parfois
aussi manichéen qu’avait été brutale leur répression. L’action révolutionnaire était absoute
de tout. Le mythe de la victime maximale jouait
à plein. Pourtant, ce n’est pas mettre en cause
la brutalité coloniale que de s’interroger sur
les formes aveugles d’un soutien qui, mieux
mesuré, aurait pu, même marginalement, influer
sur le cours de révolutions émancipatrices qui
se sont muées en systèmes politiques répressifs
sur leurs propres peuples.
Certes, lorsque les révolutions indochinoises,
puis algériennes, surviennent, on n’est encore
que peu instruits du goulag stalinien. La guerre
a glorifié, avec raison, l’héroïsme et la ténacité
du peuple des nations soviétiques. La monstruosité nazie occulte la lucidité de la plupart.
Sur fond de Guerre froide, toute mise en cause
de l’évolution des pays socialistes est une trahison. La dureté de la Guerre froide et l’idéologie
stupide et bornée des partisans du containment,
aux États-Unis comme en Europe, qui assimile
toute revendication d’indépendance à une rébellion communiste, expliquent, sans la justifier,
cette longue cécité.
Par ailleurs, le principe de non-ingérence impose
que les intellectuels et les courants politiques qui
soutiennent les luttes d’indépendance n’interviennent pas, sinon à la marge, dans les conflits
idéologiques des mouvements nationaux de
libération.
Ainsi, en janvier 1979, Georges Montaron peutil saluer l’entrée des Vietnamiens à Phnom Penh
et saluer la fin du régime sanguinaire de Pol Pot
sans tirer aucune leçon des raisons qui ont mené
à la tragédie et souhaiter un alignement du
Cambodge libéré sur le communisme « civilisé »
de la Chine et du Vietnam, comme si la
révolution cambodgienne n’était pas fille de
la Révolution culturelle chinoise…
Force est de constater que l’hostilité aux régimes
démocratiques de l’Occident, considérés comme
des trompe-l’œil par beaucoup de tiers-mondistes occidentaux, les a conduits à applaudir au
parti unique, aux assemblées nationales popu-
laires et au culte de l’homme fort. Devant l’isolement du pouvoir cambodgien et les premières
informations sur les violences, Claude Bourdet,
immense résistant s’il en fut, s’inquiète dans TC
du 29 avril 1976 : « Fallait-il être aussi dur ? »,
mais, accusant toujours « l’abominable Nixon
et l’abominable Kissinger », il ne peut envisager
le désastre génocidaire qui déjà s’annonce.
Les milliers d’étudiants qui sautillaient en criant :
« FNL à Saïgon, Khmers rouges à Phnom Penh »
pouvaient se tromper (ou être trompés), mais des
intellectuels avisés et démocrates ?… La question
est plus embarrassante.
La confusion s’est opérée entre le peuple et le
parti qui, d’avant-garde dans la lutte, devenait,
une fois au pouvoir, la pure et simple expression
de celui-ci. Par la suite, les réceptions sur le tarmac d’« amis » de la Révolution par de petites
filles tendant des bouquets, dans des aéroports
ornés des portraits des leaders, n’ont pas contribué à une prise de conscience lucide.
Mais, plus sûrement, ce qui a manqué, c’est
la conviction qu’aucune révolution, aucune
guerre d’indépendance, ne peut faire l’impasse
sur les droits de l’homme et la démocratie. Lisons les textes désespérés de Marceline Loridan,
la photographe inspirée de la révolution chinoise, ou encore les remords exigeants des époux
Lacouture à propos du Vietnam, ou les questions
insistantes de Pierre Vidal-Naquet sur les torturés d’El Harrach en 1966. En septembre 1979,
TC ouvre ses colonnes à José Osaba, mandaté
par le CCFD au Cambodge. Il évoque un
« cataclysme », un « Auschwitz au niveau d’un
peuple ». Dans un article voisin, à la même date,
TC relaie la dénonciation d’un nouveau totalitarisme… en Allemagne.
Il fallait soutenir les peuples, et ceux qui l’on fait
ont eu raison. Mais le rejet du modèle occidental annonçait aussi le despotisme politique,
l’enfouissement de l’individu dans le collectif…
et, au Cambodge, le génocide et ses 1,7 millions
de morts. Num Chea et Khieu Sampan, les chefs
khmers, ont été condamnés pour crime contre
l’humanité en 2014.
Retenons la leçon : les peuples doivent être soutenus, et non idolâtrés. Ce sont des humains et
des valeurs que l’on défend, pas des systèmes, ni
des fantasmes d’homme nouveau ou de société
parfaite.
Jean-Pierre MIGNARD
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 1
Il y a quarante ans…
Le 1er janvier 1975, l’armée des Khmers rouges lance l’offensive
finale et se rend maîtresse du Cambodge tandis que le régime de
Saïgon est en train de s’effondrer à la suite de l’offensive nordvietnamienne de mars 1975. Les Khmers entrent dans Phnom Penh
le 17 avril. La chute quasi simultanée de Phnom Penh et de Saïgon
(30 avril) est perçue par le monde entier comme la cuisante défaite
de l’impérialisme américain et la victoire des armées nationales de
libération portées par le souffle d’un communisme émancipateur.
Comme on le sait aujourd’hui, le régime qui s’installe à Phnom
Penh est l’un des plus sanguinaires que le monde ait connu.
Jeudi 29 avril 1976 :
« L’énigme cambodgienne »
Un an après la chute de Phnom Penh, les nouvelles
sont inquiétantes et la réalité concentrationnaire
du nouveau Cambodge est dévoilée. Claude
Bourdet avoue ne pas bien comprendre ce qui se
passe : « Ce qui se construit là-bas se fait dans l’isolement et le rejet de tout modèle occidental. » Aussi
Claude Bourdet cherche-t-il principalement à
éclairer la scène pour permettre au lecteur de
comprendre un jour.
Le contexte historique longuement expliqué permet de justifier le ressentiment de la population
contre les « collabos » à la solde des Américains qui
ont permis la destruction du Cambodge durant les
années de la république de Long Nol. Et, si les villes
ont été vidées de force, c’est parce qu’il était indispensable de « quadriller la population urbaine pour
y déceler les agents de l’ancien régime ». Un autre
élément explicatif de cet exode massif imposé par
la force est « l’hostilité profonde des paysans khmers
pour cette ville tentaculaire, étrangère, plus française
que cambodgienne ». Il regrette que les grandes puissances, au lieu d’aider ce régime inexpérimenté
à affronter les défis du développement, aient
contribué à son isolement.
Mais les faits sont là : « Personne ne nie plus l’envergure de l’effort de développement agricole et ses chances
de succès dans un pays fertile. » Claude Bourdet
se demande toutefois s’il « fallait être aussi dur » et
il invite les nouveaux dirigeants à ouvrir le pays
à des observateurs internationaux.
conflit armé entre deux pays communistes, premier
affrontement entre Moscou et Pékin. Il conclut que
ce conflit témoigne de la permanence du sentiment
national contre lequel le marxisme n’a rien pu faire
et lance un appel à un Cambodge indépendant.
C’EST À PARTIR DE SEPTEMBRE 1979
TC DÉCOUVRE LA TRAGÉDIE ...
QUE
Lundi 24 septembre 1979 :
« Le Cambodge se meurt »
Pierre Vilain reconnaît qu’avec l’occupation du
territoire par les armées vietnamiennes et l’ouverture du pays, on ne peut enfin plus rien cacher du
désastre. On estime désormais la population cambodgienne à 1,5 millions de personnes contre
7 millions avant l’arrivée de Pol Pot… Cet article
est un appel à l’aide pour la survie du peuple cambodgien, gravement menacée.
Suivront, tout au long du dernier trimestre 1979,
plusieurs articles sur la situation humanitaire dramatique du pays et le besoin d’organiser la solidarité internationale : en particulier, un témoignage
poignant de José Osaba, du CCFD.
Cependant, le journal ne cherchera pas à analyser
la dérive génocidaire du régime, ni ne reviendra sur
sa trop timide curiosité investigatrice.
Lundi 15 janvier 1979 :
« Le Cambodge sans Pol Pot »
TC ne publiera aucun papier sur le Cambodge
entre celui d’avril 1976 et celui du 15 janvier 1979,
signé Georges Montaron.
Il se réjouit de la chute de Pol Pot qu’il explique
très simplement : « Si le système mis en place par les
Khmers rouges s’est écroulé aussi rapidement, c’est qu’il
avait dressé contre lui la majorité du peuple cambodgien. » Mais le cœur de son article n’est pas consacré au régime de Pol Pot. Il s’intéresse surtout à la
guerre entre le Cambodge et le Vietnam, premier
Jean-Marc SALVANÈS
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Jeudi 24 avril 1975 :
« Le temps de la Charrue »
Erwin Ramedhan s’interroge sur les contours du
nouveau régime. Quel contexte, quels acteurs,
quelles institutions ? Il envisage la naissance de cette
nouvelle nation sous un jour favorable. Selon lui, la
droite pro-américaine disparue, les intérêts de classe
qui demeurent vont s’affaiblir avec le temps.
Il souligne que le Cambodge est un pays riche sur
le plan agricole, que les Khmers administrent déjà
avec succès depuis cinq ans plus de 60 % du territoire et ajoute que les traditions agricoles communautaires du pays sont favorables a l’instauration
d’une organisation collective.
Les observateurs attentifs du comportement des Khmers rouges
dans les portions du territoire national qu’ils ont contrôlées au fil
des années de lutte ne sont pas tous rassurés sur la suite des événements. Mais comment ne pas saluer d’abord cette jeune nation ?
La presse française fera longtemps crédit aux libérateurs. Cependant, dès avril 1976, Le Monde s’inquiète d’un pays « transformé
en vaste camp de concentration ». Puis les témoignages se succèdent
toujours plus accablants jusqu’à l’arrivée des Vietnamiens en
janvier 1979. Là éclate l’évidence, un génocide a été perpétré.
Quarante ans après, nous avons souhaité relire ce que TC en disait.
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N° 3631 DU 23 AVRIL 2015
Point de vue
Livres
Quelques jours après l’attentat terroriste au musée du Bardo,
l’édition 2015 du Forum social mondial s’est tenue à Tunis du 24
au 28 mars dernier en présence de plusieurs dizaines de milliers
de personnes venues de 120 pays. André Harreau, président
de l’Association des lecteurs de Témoignage chrétien, que nous
remercions de rejoindre les colonnes de la lettre de TC, y participait.
Les ombres
d’un Président
Avec les femmes du monde entier
«S
o ! so ! so !… Solidarité… avec les
femmes !… du monde entier ! »
C’est avec ce slogan, entendu des
dizaines de fois, lors du Forum des femmes, au
début du Forum social mondial (FSM) à Tunis,
que je me suis trouvé plongé dans l’ambiance
inoubliable de cette rencontre. Slogan repris, avec
beaucoup d’autres, l’après-midi du même jour,
lors de la marche de soutien au peuple tunisien,
entre la Médina et le musée du Bardo. Peu de
jours après l’attentat, il était très impressionnant
de participer avec des milliers de personnes du
monde entier, à cette marche exemplaire (sous
une pluie battante : je n’ai jamais été aussi trempé
de ma vie ; même mon passeport n’en est pas sorti
indemne !). Les femmes ! Oui, c’est pour moi le
souvenir le plus marquant de ce Forum, de rencontrer tant de femmes, souvent jeunes, venues
de 120 pays, investies, avec un tonus physique et
mental incroyable, dans des démarches de
résistance, de luttes non-violentes, contre les
puissants de la mondialisation financière, du
Mexique ou de l’Australie au Japon, en passant
par tous les continents, spécialement l’Afrique et
le Maghreb, très présents. J’y ai rencontré, par
exemple, des femmes sahraouies, au parcours universitaire remarquable, alors que leur peuple vit
Témoignage chrétien
élargit sa diffusion
en librairie
• Le supplément mensuel de TC est
disponible dans 200 librairies !
(au lieu de 85 précédemment).
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sur le supplément mensuel et sur
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et le distributeur Sodis, n’hésitez pas
à le leur proposer.
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contacter Laurence Patrice,
laurence.patrice@editionsatelier.com
abandonné de tous dans le Sud algérien. Et deux
jeunes femmes qui luttent contre l’implantation
de l’industrie chimique dans l’oasis de Chenini,
le lieu le plus pollué de Tunisie. Et ce collectif
de lutte contre l’exploitation du gaz de schiste qui
va polluer la nappe phréatique à In Salah, dans
le Sahara algérien.
J’ai participé à des ateliers. Celui de la Via Campesina, une organisation qui compte 200 millions
de petits paysans regroupés en 164 organisations
de 79 pays. Leurs luttes sont multiformes : contre
l’accaparement des terres, pour la viabilité économique de leurs exploitations, dans le respect
de la diversité biologique. Et c’est une femme
zimbabwéenne qui en est la présidente actuelle !
Un autre atelier sur le lobby des banques auprès
des parlementaires européens (1 700 lobbyistes
pour 400 parlementaires, et… quelques dizaines
d’experts bénévoles d’ONG, comme le Secours
catholique ou Attac). J’ai découvert que 5 000
ONG militent pour le climat dans la préparation
de la Conférence de Paris (Cop 21) de décembre
prochain.
Que de rencontres inoubliables ! Je pense à ce
médecin israélien qui soigne et défend les Palestiniens. À Jean Fontaine, ce Père blanc atypique,
parlant et écrivant couramment l’arabe, complètement immergé, avec une grande liberté de parole, dans la société tunisienne, spécialiste de la
littérature de ce pays, auteur, entre autres,
d’Écrivaines tunisiennes. À cette rencontre avec
des Tunisiens(ne)s, dans une sorte de « cafédébat », où il nous a été demandé de donner
notre avis sur leur révolution, et aussi de leur dire
si « nous étions Charlie »…
Enfin cette rencontre avec Alain Gresh, du
Monde diplomatique, sur la géopolitique du Maghreb, qui a dialogué avec deux jeunes étudiantes
tunisiennes sur le thème : est-il pertinent, raisonnable, de travailler ou pas, avec Ennahdha ?
La Tunisie ? Un peuple attachant, à la démocratie et à l’économie fragiles. On annonce 60 %
d’annulations de vacances ! Faites campagne sur
le thème : Tous en vacances en Tunisie ! Et n’ayez
pas peur : vers 22 heures, le 25 mars, Chokri,
chauffeur de taxi, est venu à mon hôtel, me rapporter mon portefeuille, oublié sur le siège arrière
de sa voiture !
André HARREAU
Fondé en 1941 dans la clandestinité par Pierre Chaillet (s.j.), Témoignage chrétien est édité par ETC SA au capital de 483960 �. Anciens directeurs : Pierre
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0144838288; redac@temoignagechretien.fr Pour joindre votre correspondant : composez le 01448382 suivi des deux chiffres indiqués entre parenthèses.
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Hérédia. Administratif/financier/RH : Annie Guillem (60). Développement : Laëtitia Girard (62). Directrice artistique : Françoise Perchenet (67). Secrétariat de
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N° 3631 DU 23 AVRIL 2015
N
ulles révélations explosives à attendre,
les ombres annoncées dans ce livre
ne sont pas la face cachée de François
Hollande, mais celles où il aime à se mouvoir.
Avec une plume acérée, parfois féroce, François
Bazin démonte et démontre le fonctionnement
de cet animal politique qui nous gouverne.
Le livre commence sur un constat sans appel,
la rupture entre François Hollande et les Français. « La rupture, la vraie, c’est quand les Français ne veulent plus rien entendre, quand leurs
attentes sont réduites à néant. » On ne saurait
mieux résumer l’état d’esprit des orphelins du
Président. Pourtant, en revisitant – à la ligne
près – la campagne présidentielle, l’auteur nous
rappelle à quel point le candidat, fort de sa légendaire prudence, n’a jamais rien promis. Ou
si peu. Même son célèbre : « Mon ennemi, c’est la
finance », qu’on lui reproche tant d’avoir bafoué,
Dire peu, mais en laissant
imaginer bien davantage.
On n’entend jamais aussi bien
que ce qu’on désire entendre
n’a jamais été prononcé. Le Bourget s’est
enflammé en entendant « mon ennemi, c’est
le monde de la finance ». La nuance est réelle, et
c’est peut-être ce qui caractérise le mieux
Hollande : dire peu, mais en laissant imaginer
bien davantage. On n’entend jamais aussi bien
que ce qu’on désire entendre et il le sait mieux
que quiconque. De même, son supposé virage
à la social-démocratie. Le revirement, qu’on voudrait honteux, n’en est pas un. Depuis 2006,
François Hollande s’en réclame, et ouvertement.
À tous ceux qui se demandent où va le Président,
quel est son projet, la réponse de François Bazin
est lapidaire : Hollande s’est porté candidat
contre Sarkozy et tout ce qu’il représentait, afin
de restaurer un ordre républicain, celui-là même
qui l’a toujours guidé et façonné.
De même, l’auteur explique par son histoire
politique, qui épouse au plus près celle du PS,
le goût du compromis et de la synthèse, marques
de fabrique de Hollande. Avec ce corollaire
aujourd’hui désastreux : l’explosion à la figure
du Président de tous les non-dits et les « non-arbitrages » du parti du candidat. Sans lignes fortes
sur les grands dossiers, européens comme intérieurs, incapable d’affronter directement ceux
qui rêvent d’un petit soir qui ne leur a jamais été
promis, le républicain semble bien nu. L’esprit
du 11 janvier, si souvent invoqué, poussera-t-il
le Président à forcer sa nature et à inventer un
renouveau républicain que l’auteur appelle de ses
vœux ? Réponse en cours.
Sophie BAJOS DE HÉRÉDIA
• Les ombres d’un Président, François Bazin,
éd. Plon, coll. « Actualités », mars 2015,
166 p., 14,90 �
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 3
Depuis plusieurs semaines désormais, les médias français bruissent de l’affaire de la nomination
de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège. De quoi s’agit-il ?
D’une pierre, deux François
L
e 1er mars dernier, l’ambassadeur Bruno
Joubert quitte normalement ses fonctions.
Dès la fin du mois de janvier, la diplomatie
française désigne Laurent Stefanini pour lui succéder. Il a toutes les qualités. Il a été premier
conseiller à la villa Bonaparte de 2001 à 2005,
chef du service des questions religieuses au Quai
d’Orsay et il est catholique pratiquant. Il est
recommandé à la fois par le cardinal Vingt-Trois
à Paris et le cardinal Tauran à Rome. Il est même
décoré de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, la
Légion d’honneur du Vatican. Et pourtant, le
Vatican, depuis maintenant près de trois mois,
oppose à cette nomination un silence obstiné qui,
en langage « vaticanesque », équivaut à un refus.
Pourquoi ? Laurent Stefanini, célibataire, est,
paraît-il, homosexuel. L’homme ne s’en vante ni
ne s’en cache, et le fait appartient rigoureusement
à sa vie privée. On ne devrait même pas l’évoquer.
Et, pourtant, c’est désormais un fait public et une
sorte d’incident diplomatique. Évidemment,
toute la presse reprend le fait dans les termes suivants : « Le pape François refuse un ambassadeur
homosexuel. » Fin des illusions : celui qui disait
« Qui suis-je pour juger » dévoile son vrai visage.
Rien n’a changé, le Vatican, et avec lui le catholicisme, sont toujours aussi ringards, intolérants,
hypocrites et homophobes.
Essayons cependant de décrypter l’affaire.
Première chose : la France a-t-elle commis un
impair ? Pas le moins du monde. La règle du
Vatican est de ne pas agréer les lettres de créance
d’un ambassadeur en « situation irrégulière ».
Traduire : divorcé et remarié, vivant en concubinage ou en union homosexuelle. Ce qui n’est nullement le cas du candidat français. Le problème
se situe donc ailleurs. On murmure que des
catholiques français de la mouvance de la « Manif
pour tous » auraient crié à Rome à la « provocation » de la part du gouvernement français et
contribué à bloquer le processus. C’est hélas plausible. On dit aussi que cette non-nomination est
un épisode de la bataille qui a lieu au Vatican
même. C’est l’administration vaticane, si malmenée par le pape, qui trouve là une bonne occasion de mettre le pape en fâcheuse posture
BIBLE
Le grand chêne tire sa vie de ses nombreuses et profondes racines : sans la vitalité de celles-ci, il dépérit et meurt.
En même temps, c’est le soleil et la lumière qu’il reçoit qui permettent la brillance de ses feuilles, sa beauté
de vieil arbre séculaire. Les sociétés modernes sont le fruit de la rencontre du passé et du présent, ouvrant ensemble vers l’avenir. Les écrits de nos ancêtres (Bhagavad-Gita, Bible, Iliade et Odyssée, Coran…) disent ce que
nous étions hier, montrent ce que nous sommes aujourd’hui et éclairent notre route pour demain.
Jean 10,11-18
En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le
berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix,
il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour
la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai
aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Leaders ou prédateurs ?
Il est fréquemment question dans la Bible de moutons, d’agneaux, de bergeries et de pasteurs (cf.
Is 49,23 ; Ez 34 ; Jr 23 ; Ps 23). De nos jours, c’est
avec un zest de romantisme que les urbains que
nous sommes imaginent cette réalité si éloignée de
nos préoccupations quotidiennes ! Les ruraux,
dans certaines régions, ont parfois encore la joie de
voir des moutons, autrement qu’en tranches sous
plastique au supermarché. Aux chrétiens, parfois,
il est rappelé que le bâton que porte l’évêque lors
des cérémonies religieuses (la crosse) est censé rappeler qu’il est le « pasteur » des chrétiens de son
diocèse. On parle aujourd’hui encore de la « pastorale » quand il s’agit dans une paroisse, un diocèse, de la politique à conduire pour évangéliser
un quartier, une population…
Bref, nous sommes bien loin du quotidien économique des contemporains de Jésus : la bergerie et
les moutons, la vigne et l’allégresse que donne le
4 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
vin, le blé et les poissons constituaient la base
de leur nourriture. Ils comprenaient alors, sans
avoir besoin d’une explication de texte, les paraboles qu’employait Jésus. C’était là leur monde,
leur économie, leurs préoccupations, leur richesse
probablement, l’essentiel de leurs conversations.
Relisez attentivement de qui est dit dans le texte
de Jean sur le berger. Sa mission pour faire paître
le troupeau, pour le protéger des prédateurs, pour
le conduire sur des lieux nourrissant, montre combien ce berger est attentif à ses bêtes. Il leur parle
et les connaît chacune par leur nom et, en retour,
elles-mêmes le connaissent et lui obéissent, parce
qu’il est le Bon Berger, et non pas quelque voleur
étranger au troupeau qui ne cherche, comme le
loup, que son intérêt personnel.
Ceci peut paraître bien éloigné de notre quotidien,
de nos préoccupations, de nos vies, et pourtant…
Le bureau, l’usine, le magasin, l’entreprise grande
d’hypocrisie, lui qui la fustige chez les membres
de la Curie. En effet, quoique l’ambassade de
France soit prestigieuse, il n’y pas de raisons de
croire que la nomination de l’ambassadeur passe
par le bureau du pape. C’est donc dans son administration que la chose a été bloquée. De son
côté, la France maintient son choix – et à raison –
par la voix de son porte-parole Stéphane Le Foll.
Le dossier va donc aller sur le bureau du pape…
ou la villa Bonaparte va rester vide.
Notre analyse ? Soyons clairs : nous soupçonnons
une collusion des milieux catholiques français les
plus figés et de la partie de la Curie la plus sclérosée pour mettre deux François en méchante
posture. En faisant passer le Français pour un
épouvantail antireligieux provocateur, on resserre
les rangs des catholiques de la droite identitaire
qui crient à la « cathophobie » ; en accusant le
Romain d’homophobie, on le coupe d’une opinion publique libérale qui jusque-là le soutenait.
Le piège est bien monté. N’en soyons pas étonnés : l’un et l’autre ont de farouches ennemis.
Christine PEDOTTI
ou petite, la ferme, le quartier ou l’immeuble où
nous habitons, notre pays, notre Europe, le monde
tout entier, n’est-ce pas là que se déroulent les jours
qui font nos vies aux uns et aux autres ? Peut-on
comparer la bergerie du temps de Jésus et les
sociétés que nous connaissons aujourd’hui ?
L’échelle est fort différente, mais les réalités profondes sont bien semblables. Les communautés qui
sont les nôtres – la famille, les relations amicales, les
lieux de travail ou associatifs, les syndicats de toute
sorte – ne sont-ce pas là des occasions de se rencontrer, d’échanger, de s’enrichir, des lieux de vie ?
On peut laisser le champ libre à tous les prédateurs
modernes qui ne connaissent rien ni personne si
ce n’est leurs intérêts de pouvoir et d’argent, ainsi
qu’aux profiteurs de parachutes dorés ou aux
actionnaires malhonnêtes. Les dictateurs ou petits
chefs qui décident tout seuls (ou entourés d’une
bande de coquins) du sort de leur peuple, de leur
entreprise, du travail ou du chômage de ceux dont
ils sont censés assurer en partie le quotidien, les
mercenaires de tout lieu et de tout poil, peut-on
les laisser aux commandes de nos sociétés et entreprises ? Accepterons-nous que la loi de la jungle
devienne le quotidien de nos vies ?
Chacun à sa façon et à son niveau, que ce soit dans
sa famille ou à l’Onu, est responsable de ceux auprès desquels il vit, par choix, par amour, par
hasard ou par nécessité. Nous sommes tous responsables de nos proches, comme le Petit Prince
l’était de sa rose. Tous nous sommes et berger et
brebis, tous nous portons l’avenir d’aujourd’hui
comme de demain. Un monde de brutes ou
un monde pacifié ? Un monde de frères et de
sœurs ou une vaste prison sans foi ni loi ? Une bergerie paisible au sein de laquelle il fait bon vivre, ou
une sorte de concentration d’hommes et de
femmes apeurés, proies de loups modernes ?
La lecture et la méditation de ce texte de Jean
peuvent guider nos choix, pour que chacun ait
« la vie en abondance ».
Bernard RIVIÈRE
N° 3631 DU 23 AVRIL 2015