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L A R É S I S T A N C E S P I R I T U E L L E LETTRE LALA LETTRE N°3616 3631DU DU N° 23 AVRIL 2015 2015 8 JANVIER 1,50� 1,50 www.temoignagechretien.fr Lettre à nos amis du Sud En Belgique, le vote a été rendu obligatoire en 1893, au moment où tous les hommes obtenaient le droit de vote (les sanctions sont peu connues et très rarement appliquées). Le devoir électoral s’impose, comme le devoir fiscal ou le paiement de sécurité sociale, comme une des pratiques construisant le vivre-ensemble… Depuis lors, et spécialement depuis l’abandon du vote obligatoire aux Pays-Bas dans les années 1970, plusieurs partis politiques, notamment les libéraux, demandent la suppression de l’obligation de vote et le débat rebondit donc de temps à autre. En moyenne, le total des absents au vote, des votes blancs et des votes nuls reste très stable, autour de 15 %. Les sondages effectués les dernières années tendent à montrer qu’entre 25 à 30 % des électeurs n’iraient plus voter si le vote n’était plus obligatoire, ce qui ramènerait un taux de participation entre 55 et 60 %. Des arguments de fond et des motivations électorales parcourent le débat belge, symétrique au débat français. Sur le fond, la liberté d’un côté s’oppose au « cens caché » de l’autre, au fait que, comme ailleurs, les populations les plus motivées à aller voter sont les plus diplômées, les revenus les plus élevés ou, plus significativement – au-delà des données objectives –, ceux qui ont le plus le sentiment qu’ils peuvent « nouer les deux bouts » à la fin du mois. Cette sélection sociale des électeurs intéressés transforme le débat politique qui risque de ne plus s’adresser aux populations les plus faibles, les moins insérées dans la société. Elle tend à aggraver l’« apartheid social ». A contrario, le besoin de motiver les électeurs à aller voter oblige les candidats à argumenter pour à la fois attirer les électeurs aux urnes et les aimanter vers le programme de leur parti, ce qui élargit leur discours vers des dimensions plus civiques. Dernière réflexion : toute modification du système électoral en période préélectorale est perçue par les électeurs comme une manipulation malhonnête et risque d’entraîner des réactions difficiles à prévoir de la part de ceux-ci. Le meilleur argument pour le vote obligatoire en Belgique, c’est qu’il existe depuis plus de cent vingt ans. Il vaut sans doute symétriquement pour la France… Pierre VERJANS Docteur en sciences politiques, professeur à l’université de Liège et rédacteur en chef de la revue internationale Fédéralisme Régionalisme. N° 3631 DU 23 AVRIL 2015 Quarante ans après la chute de Phnom Penh et la prise de pouvoir des Khmers rouges de Pol Pot, TC relit son histoire et tente de comprendre pourquoi, comme tant d’autres, nous avons été aveugles. On trouvera page suivante la chronologie des événements et des citations du journal. Aveuglements… I l est une question sur laquelle les progressistes ont du mal à se pencher, c’est celle de leur soutien sans condition aux luttes pour l’indépendance des peuples colonisés ou dominés. La lecture de tous les journaux de gauche, TC y compris, est sur ce point édifiante. Le soutien aux peuples des anciennes colonies fut parfois aussi manichéen qu’avait été brutale leur répression. L’action révolutionnaire était absoute de tout. Le mythe de la victime maximale jouait à plein. Pourtant, ce n’est pas mettre en cause la brutalité coloniale que de s’interroger sur les formes aveugles d’un soutien qui, mieux mesuré, aurait pu, même marginalement, influer sur le cours de révolutions émancipatrices qui se sont muées en systèmes politiques répressifs sur leurs propres peuples. Certes, lorsque les révolutions indochinoises, puis algériennes, surviennent, on n’est encore que peu instruits du goulag stalinien. La guerre a glorifié, avec raison, l’héroïsme et la ténacité du peuple des nations soviétiques. La monstruosité nazie occulte la lucidité de la plupart. Sur fond de Guerre froide, toute mise en cause de l’évolution des pays socialistes est une trahison. La dureté de la Guerre froide et l’idéologie stupide et bornée des partisans du containment, aux États-Unis comme en Europe, qui assimile toute revendication d’indépendance à une rébellion communiste, expliquent, sans la justifier, cette longue cécité. Par ailleurs, le principe de non-ingérence impose que les intellectuels et les courants politiques qui soutiennent les luttes d’indépendance n’interviennent pas, sinon à la marge, dans les conflits idéologiques des mouvements nationaux de libération. Ainsi, en janvier 1979, Georges Montaron peutil saluer l’entrée des Vietnamiens à Phnom Penh et saluer la fin du régime sanguinaire de Pol Pot sans tirer aucune leçon des raisons qui ont mené à la tragédie et souhaiter un alignement du Cambodge libéré sur le communisme « civilisé » de la Chine et du Vietnam, comme si la révolution cambodgienne n’était pas fille de la Révolution culturelle chinoise… Force est de constater que l’hostilité aux régimes démocratiques de l’Occident, considérés comme des trompe-l’œil par beaucoup de tiers-mondistes occidentaux, les a conduits à applaudir au parti unique, aux assemblées nationales popu- laires et au culte de l’homme fort. Devant l’isolement du pouvoir cambodgien et les premières informations sur les violences, Claude Bourdet, immense résistant s’il en fut, s’inquiète dans TC du 29 avril 1976 : « Fallait-il être aussi dur ? », mais, accusant toujours « l’abominable Nixon et l’abominable Kissinger », il ne peut envisager le désastre génocidaire qui déjà s’annonce. Les milliers d’étudiants qui sautillaient en criant : « FNL à Saïgon, Khmers rouges à Phnom Penh » pouvaient se tromper (ou être trompés), mais des intellectuels avisés et démocrates ?… La question est plus embarrassante. La confusion s’est opérée entre le peuple et le parti qui, d’avant-garde dans la lutte, devenait, une fois au pouvoir, la pure et simple expression de celui-ci. Par la suite, les réceptions sur le tarmac d’« amis » de la Révolution par de petites filles tendant des bouquets, dans des aéroports ornés des portraits des leaders, n’ont pas contribué à une prise de conscience lucide. Mais, plus sûrement, ce qui a manqué, c’est la conviction qu’aucune révolution, aucune guerre d’indépendance, ne peut faire l’impasse sur les droits de l’homme et la démocratie. Lisons les textes désespérés de Marceline Loridan, la photographe inspirée de la révolution chinoise, ou encore les remords exigeants des époux Lacouture à propos du Vietnam, ou les questions insistantes de Pierre Vidal-Naquet sur les torturés d’El Harrach en 1966. En septembre 1979, TC ouvre ses colonnes à José Osaba, mandaté par le CCFD au Cambodge. Il évoque un « cataclysme », un « Auschwitz au niveau d’un peuple ». Dans un article voisin, à la même date, TC relaie la dénonciation d’un nouveau totalitarisme… en Allemagne. Il fallait soutenir les peuples, et ceux qui l’on fait ont eu raison. Mais le rejet du modèle occidental annonçait aussi le despotisme politique, l’enfouissement de l’individu dans le collectif… et, au Cambodge, le génocide et ses 1,7 millions de morts. Num Chea et Khieu Sampan, les chefs khmers, ont été condamnés pour crime contre l’humanité en 2014. Retenons la leçon : les peuples doivent être soutenus, et non idolâtrés. Ce sont des humains et des valeurs que l’on défend, pas des systèmes, ni des fantasmes d’homme nouveau ou de société parfaite. Jean-Pierre MIGNARD TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 1 Il y a quarante ans… Le 1er janvier 1975, l’armée des Khmers rouges lance l’offensive finale et se rend maîtresse du Cambodge tandis que le régime de Saïgon est en train de s’effondrer à la suite de l’offensive nordvietnamienne de mars 1975. Les Khmers entrent dans Phnom Penh le 17 avril. La chute quasi simultanée de Phnom Penh et de Saïgon (30 avril) est perçue par le monde entier comme la cuisante défaite de l’impérialisme américain et la victoire des armées nationales de libération portées par le souffle d’un communisme émancipateur. Comme on le sait aujourd’hui, le régime qui s’installe à Phnom Penh est l’un des plus sanguinaires que le monde ait connu. Jeudi 29 avril 1976 : « L’énigme cambodgienne » Un an après la chute de Phnom Penh, les nouvelles sont inquiétantes et la réalité concentrationnaire du nouveau Cambodge est dévoilée. Claude Bourdet avoue ne pas bien comprendre ce qui se passe : « Ce qui se construit là-bas se fait dans l’isolement et le rejet de tout modèle occidental. » Aussi Claude Bourdet cherche-t-il principalement à éclairer la scène pour permettre au lecteur de comprendre un jour. Le contexte historique longuement expliqué permet de justifier le ressentiment de la population contre les « collabos » à la solde des Américains qui ont permis la destruction du Cambodge durant les années de la république de Long Nol. Et, si les villes ont été vidées de force, c’est parce qu’il était indispensable de « quadriller la population urbaine pour y déceler les agents de l’ancien régime ». Un autre élément explicatif de cet exode massif imposé par la force est « l’hostilité profonde des paysans khmers pour cette ville tentaculaire, étrangère, plus française que cambodgienne ». Il regrette que les grandes puissances, au lieu d’aider ce régime inexpérimenté à affronter les défis du développement, aient contribué à son isolement. Mais les faits sont là : « Personne ne nie plus l’envergure de l’effort de développement agricole et ses chances de succès dans un pays fertile. » Claude Bourdet se demande toutefois s’il « fallait être aussi dur » et il invite les nouveaux dirigeants à ouvrir le pays à des observateurs internationaux. conflit armé entre deux pays communistes, premier affrontement entre Moscou et Pékin. Il conclut que ce conflit témoigne de la permanence du sentiment national contre lequel le marxisme n’a rien pu faire et lance un appel à un Cambodge indépendant. C’EST À PARTIR DE SEPTEMBRE 1979 TC DÉCOUVRE LA TRAGÉDIE ... QUE Lundi 24 septembre 1979 : « Le Cambodge se meurt » Pierre Vilain reconnaît qu’avec l’occupation du territoire par les armées vietnamiennes et l’ouverture du pays, on ne peut enfin plus rien cacher du désastre. On estime désormais la population cambodgienne à 1,5 millions de personnes contre 7 millions avant l’arrivée de Pol Pot… Cet article est un appel à l’aide pour la survie du peuple cambodgien, gravement menacée. Suivront, tout au long du dernier trimestre 1979, plusieurs articles sur la situation humanitaire dramatique du pays et le besoin d’organiser la solidarité internationale : en particulier, un témoignage poignant de José Osaba, du CCFD. Cependant, le journal ne cherchera pas à analyser la dérive génocidaire du régime, ni ne reviendra sur sa trop timide curiosité investigatrice. Lundi 15 janvier 1979 : « Le Cambodge sans Pol Pot » TC ne publiera aucun papier sur le Cambodge entre celui d’avril 1976 et celui du 15 janvier 1979, signé Georges Montaron. Il se réjouit de la chute de Pol Pot qu’il explique très simplement : « Si le système mis en place par les Khmers rouges s’est écroulé aussi rapidement, c’est qu’il avait dressé contre lui la majorité du peuple cambodgien. » Mais le cœur de son article n’est pas consacré au régime de Pol Pot. Il s’intéresse surtout à la guerre entre le Cambodge et le Vietnam, premier Jean-Marc SALVANÈS ABONNEZ-VOUS À TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN ❑ ❑ ❑ ❑ par prélèvement automatique étudiants, titulaires de minima sociaux, chômeurs (accès internet compris durant la durée d’abonnement) PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE Envoyez ce coupon, accompagné d’un RIB ou d’un RIP, à Témoignage chrétien, Bureau B 1380, 60643 Chantilly. Tél. : 03 44 62 43 83 Code établissement Clé RIB Code guichet 1 an (47 nos, 11 suppléments mensuels) 6 mois (24 nos, 6 suppléments mensuels) 3 mois (12 nos, 3 suppléments mensuels) 135 € 68 € 38 € 1 an, spécial petit budget (47 nos, 11 suppléments mensuels) 85 € étudiants, titulaires de minima sociaux, chômeurs Adresse Organisme créancier : SA Éditions du Témoignage chrétien, 28, rue Raymond-Losserand, 75014 Paris. RCS Paris B 582 130 670 N° national d’émetteur : 388487 Code postal Téléphone Courriel Ville Parrainé par (facultatif) ............................................................................................................... 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Quel contexte, quels acteurs, quelles institutions ? Il envisage la naissance de cette nouvelle nation sous un jour favorable. Selon lui, la droite pro-américaine disparue, les intérêts de classe qui demeurent vont s’affaiblir avec le temps. Il souligne que le Cambodge est un pays riche sur le plan agricole, que les Khmers administrent déjà avec succès depuis cinq ans plus de 60 % du territoire et ajoute que les traditions agricoles communautaires du pays sont favorables a l’instauration d’une organisation collective. Les observateurs attentifs du comportement des Khmers rouges dans les portions du territoire national qu’ils ont contrôlées au fil des années de lutte ne sont pas tous rassurés sur la suite des événements. Mais comment ne pas saluer d’abord cette jeune nation ? La presse française fera longtemps crédit aux libérateurs. Cependant, dès avril 1976, Le Monde s’inquiète d’un pays « transformé en vaste camp de concentration ». Puis les témoignages se succèdent toujours plus accablants jusqu’à l’arrivée des Vietnamiens en janvier 1979. Là éclate l’évidence, un génocide a été perpétré. Quarante ans après, nous avons souhaité relire ce que TC en disait. Coupon à renvoyer, accompagné de votre règlement, à : Témoignage chrétien, Bureau B 1380, 60643 Chantilly. Tél. : 03 44 62 43 83 Offre valable pour la France. Pour l’étranger, nous consulter au (33) 1 44 83 82 62 ou sur temoignagechretien.fr N° 3631 DU 23 AVRIL 2015 Point de vue Livres Quelques jours après l’attentat terroriste au musée du Bardo, l’édition 2015 du Forum social mondial s’est tenue à Tunis du 24 au 28 mars dernier en présence de plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de 120 pays. André Harreau, président de l’Association des lecteurs de Témoignage chrétien, que nous remercions de rejoindre les colonnes de la lettre de TC, y participait. Les ombres d’un Président Avec les femmes du monde entier «S o ! so ! so !… Solidarité… avec les femmes !… du monde entier ! » C’est avec ce slogan, entendu des dizaines de fois, lors du Forum des femmes, au début du Forum social mondial (FSM) à Tunis, que je me suis trouvé plongé dans l’ambiance inoubliable de cette rencontre. Slogan repris, avec beaucoup d’autres, l’après-midi du même jour, lors de la marche de soutien au peuple tunisien, entre la Médina et le musée du Bardo. Peu de jours après l’attentat, il était très impressionnant de participer avec des milliers de personnes du monde entier, à cette marche exemplaire (sous une pluie battante : je n’ai jamais été aussi trempé de ma vie ; même mon passeport n’en est pas sorti indemne !). Les femmes ! Oui, c’est pour moi le souvenir le plus marquant de ce Forum, de rencontrer tant de femmes, souvent jeunes, venues de 120 pays, investies, avec un tonus physique et mental incroyable, dans des démarches de résistance, de luttes non-violentes, contre les puissants de la mondialisation financière, du Mexique ou de l’Australie au Japon, en passant par tous les continents, spécialement l’Afrique et le Maghreb, très présents. J’y ai rencontré, par exemple, des femmes sahraouies, au parcours universitaire remarquable, alors que leur peuple vit Témoignage chrétien élargit sa diffusion en librairie • Le supplément mensuel de TC est disponible dans 200 librairies ! (au lieu de 85 précédemment). • Vous trouverez la liste des librairies sur le supplément mensuel et sur le site de Témoignage chrétien : www.temoignagechretien.fr • Si vous souhaitez que d’autres librairies le diffusent via le diffuseur Sofedis et le distributeur Sodis, n’hésitez pas à le leur proposer. Pour tout renseignement : contacter Laurence Patrice, laurence.patrice@editionsatelier.com abandonné de tous dans le Sud algérien. Et deux jeunes femmes qui luttent contre l’implantation de l’industrie chimique dans l’oasis de Chenini, le lieu le plus pollué de Tunisie. Et ce collectif de lutte contre l’exploitation du gaz de schiste qui va polluer la nappe phréatique à In Salah, dans le Sahara algérien. J’ai participé à des ateliers. Celui de la Via Campesina, une organisation qui compte 200 millions de petits paysans regroupés en 164 organisations de 79 pays. Leurs luttes sont multiformes : contre l’accaparement des terres, pour la viabilité économique de leurs exploitations, dans le respect de la diversité biologique. Et c’est une femme zimbabwéenne qui en est la présidente actuelle ! Un autre atelier sur le lobby des banques auprès des parlementaires européens (1 700 lobbyistes pour 400 parlementaires, et… quelques dizaines d’experts bénévoles d’ONG, comme le Secours catholique ou Attac). J’ai découvert que 5 000 ONG militent pour le climat dans la préparation de la Conférence de Paris (Cop 21) de décembre prochain. Que de rencontres inoubliables ! Je pense à ce médecin israélien qui soigne et défend les Palestiniens. À Jean Fontaine, ce Père blanc atypique, parlant et écrivant couramment l’arabe, complètement immergé, avec une grande liberté de parole, dans la société tunisienne, spécialiste de la littérature de ce pays, auteur, entre autres, d’Écrivaines tunisiennes. À cette rencontre avec des Tunisiens(ne)s, dans une sorte de « cafédébat », où il nous a été demandé de donner notre avis sur leur révolution, et aussi de leur dire si « nous étions Charlie »… Enfin cette rencontre avec Alain Gresh, du Monde diplomatique, sur la géopolitique du Maghreb, qui a dialogué avec deux jeunes étudiantes tunisiennes sur le thème : est-il pertinent, raisonnable, de travailler ou pas, avec Ennahdha ? La Tunisie ? Un peuple attachant, à la démocratie et à l’économie fragiles. On annonce 60 % d’annulations de vacances ! Faites campagne sur le thème : Tous en vacances en Tunisie ! Et n’ayez pas peur : vers 22 heures, le 25 mars, Chokri, chauffeur de taxi, est venu à mon hôtel, me rapporter mon portefeuille, oublié sur le siège arrière de sa voiture ! André HARREAU Fondé en 1941 dans la clandestinité par Pierre Chaillet (s.j.), Témoignage chrétien est édité par ETC SA au capital de 483960 �. Anciens directeurs : Pierre Chaillet, Georges Montaron, Bernard Ginisty, Michel Cool, Jacques Maillot, Hubert Debbasch. 28 rue Raymond-Losserand, 75014 Paris. Tél. : 0144838282; fax: 0144838288; redac@temoignagechretien.fr Pour joindre votre correspondant : composez le 01448382 suivi des deux chiffres indiqués entre parenthèses. Courriels : initialeduprenom.nom@temoignagechretien.fr Directeur de la publication : Bernard Stéphan. Codirecteurs de la rédaction : Bernard Stéphan, JeanPierre Mignard. Comité éditorial : Bernard Stéphan, Jean-Pierre Mignard, Christine Pedotti, Pascal Percq. Secrétaire générale de la rédaction : Sophie Bajos de Hérédia. Administratif/financier/RH : Annie Guillem (60). Développement : Laëtitia Girard (62). Directrice artistique : Françoise Perchenet (67). Secrétariat de rédaction : Olivier Pradel. Ont collaboré à ce numéro : André Harreau, Bernard Rivière, Pierre Verjans. Publicité: Comédiance, 5 rue Pleyel – Immeuble Calliope, BP 229, 93523 Saint-Denis Cedex – Éric Trehel, 0149227449, trehel@comediance.fr Diffusion, abonnements : Témoignage chrétien, Bureau B 1380, 60643 Chantilly – 0344624383. Vente au numéro/VPC : Annie Guillem (60) – a.guillem@temoignagechretien.fr Diffusion librairie : Laurence Patrice – laurence.patrice@editionsatelier.com. Conception graphique: Françoise Perchenet. Imprimerie: Imprimerie de Champagne, Langres (France). N°ISSN: 02441462. N°CPPAP : 0318 C 82904. N° 3631 DU 23 AVRIL 2015 N ulles révélations explosives à attendre, les ombres annoncées dans ce livre ne sont pas la face cachée de François Hollande, mais celles où il aime à se mouvoir. Avec une plume acérée, parfois féroce, François Bazin démonte et démontre le fonctionnement de cet animal politique qui nous gouverne. Le livre commence sur un constat sans appel, la rupture entre François Hollande et les Français. « La rupture, la vraie, c’est quand les Français ne veulent plus rien entendre, quand leurs attentes sont réduites à néant. » On ne saurait mieux résumer l’état d’esprit des orphelins du Président. Pourtant, en revisitant – à la ligne près – la campagne présidentielle, l’auteur nous rappelle à quel point le candidat, fort de sa légendaire prudence, n’a jamais rien promis. Ou si peu. Même son célèbre : « Mon ennemi, c’est la finance », qu’on lui reproche tant d’avoir bafoué, Dire peu, mais en laissant imaginer bien davantage. On n’entend jamais aussi bien que ce qu’on désire entendre n’a jamais été prononcé. Le Bourget s’est enflammé en entendant « mon ennemi, c’est le monde de la finance ». La nuance est réelle, et c’est peut-être ce qui caractérise le mieux Hollande : dire peu, mais en laissant imaginer bien davantage. On n’entend jamais aussi bien que ce qu’on désire entendre et il le sait mieux que quiconque. De même, son supposé virage à la social-démocratie. Le revirement, qu’on voudrait honteux, n’en est pas un. Depuis 2006, François Hollande s’en réclame, et ouvertement. À tous ceux qui se demandent où va le Président, quel est son projet, la réponse de François Bazin est lapidaire : Hollande s’est porté candidat contre Sarkozy et tout ce qu’il représentait, afin de restaurer un ordre républicain, celui-là même qui l’a toujours guidé et façonné. De même, l’auteur explique par son histoire politique, qui épouse au plus près celle du PS, le goût du compromis et de la synthèse, marques de fabrique de Hollande. Avec ce corollaire aujourd’hui désastreux : l’explosion à la figure du Président de tous les non-dits et les « non-arbitrages » du parti du candidat. Sans lignes fortes sur les grands dossiers, européens comme intérieurs, incapable d’affronter directement ceux qui rêvent d’un petit soir qui ne leur a jamais été promis, le républicain semble bien nu. L’esprit du 11 janvier, si souvent invoqué, poussera-t-il le Président à forcer sa nature et à inventer un renouveau républicain que l’auteur appelle de ses vœux ? Réponse en cours. Sophie BAJOS DE HÉRÉDIA • Les ombres d’un Président, François Bazin, éd. Plon, coll. « Actualités », mars 2015, 166 p., 14,90 � TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 3 Depuis plusieurs semaines désormais, les médias français bruissent de l’affaire de la nomination de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège. De quoi s’agit-il ? D’une pierre, deux François L e 1er mars dernier, l’ambassadeur Bruno Joubert quitte normalement ses fonctions. Dès la fin du mois de janvier, la diplomatie française désigne Laurent Stefanini pour lui succéder. Il a toutes les qualités. Il a été premier conseiller à la villa Bonaparte de 2001 à 2005, chef du service des questions religieuses au Quai d’Orsay et il est catholique pratiquant. Il est recommandé à la fois par le cardinal Vingt-Trois à Paris et le cardinal Tauran à Rome. Il est même décoré de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, la Légion d’honneur du Vatican. Et pourtant, le Vatican, depuis maintenant près de trois mois, oppose à cette nomination un silence obstiné qui, en langage « vaticanesque », équivaut à un refus. Pourquoi ? Laurent Stefanini, célibataire, est, paraît-il, homosexuel. L’homme ne s’en vante ni ne s’en cache, et le fait appartient rigoureusement à sa vie privée. On ne devrait même pas l’évoquer. Et, pourtant, c’est désormais un fait public et une sorte d’incident diplomatique. Évidemment, toute la presse reprend le fait dans les termes suivants : « Le pape François refuse un ambassadeur homosexuel. » Fin des illusions : celui qui disait « Qui suis-je pour juger » dévoile son vrai visage. Rien n’a changé, le Vatican, et avec lui le catholicisme, sont toujours aussi ringards, intolérants, hypocrites et homophobes. Essayons cependant de décrypter l’affaire. Première chose : la France a-t-elle commis un impair ? Pas le moins du monde. La règle du Vatican est de ne pas agréer les lettres de créance d’un ambassadeur en « situation irrégulière ». Traduire : divorcé et remarié, vivant en concubinage ou en union homosexuelle. Ce qui n’est nullement le cas du candidat français. Le problème se situe donc ailleurs. On murmure que des catholiques français de la mouvance de la « Manif pour tous » auraient crié à Rome à la « provocation » de la part du gouvernement français et contribué à bloquer le processus. C’est hélas plausible. On dit aussi que cette non-nomination est un épisode de la bataille qui a lieu au Vatican même. C’est l’administration vaticane, si malmenée par le pape, qui trouve là une bonne occasion de mettre le pape en fâcheuse posture BIBLE Le grand chêne tire sa vie de ses nombreuses et profondes racines : sans la vitalité de celles-ci, il dépérit et meurt. En même temps, c’est le soleil et la lumière qu’il reçoit qui permettent la brillance de ses feuilles, sa beauté de vieil arbre séculaire. Les sociétés modernes sont le fruit de la rencontre du passé et du présent, ouvrant ensemble vers l’avenir. Les écrits de nos ancêtres (Bhagavad-Gita, Bible, Iliade et Odyssée, Coran…) disent ce que nous étions hier, montrent ce que nous sommes aujourd’hui et éclairent notre route pour demain. Jean 10,11-18 En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix, il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. » Leaders ou prédateurs ? Il est fréquemment question dans la Bible de moutons, d’agneaux, de bergeries et de pasteurs (cf. Is 49,23 ; Ez 34 ; Jr 23 ; Ps 23). De nos jours, c’est avec un zest de romantisme que les urbains que nous sommes imaginent cette réalité si éloignée de nos préoccupations quotidiennes ! Les ruraux, dans certaines régions, ont parfois encore la joie de voir des moutons, autrement qu’en tranches sous plastique au supermarché. Aux chrétiens, parfois, il est rappelé que le bâton que porte l’évêque lors des cérémonies religieuses (la crosse) est censé rappeler qu’il est le « pasteur » des chrétiens de son diocèse. On parle aujourd’hui encore de la « pastorale » quand il s’agit dans une paroisse, un diocèse, de la politique à conduire pour évangéliser un quartier, une population… Bref, nous sommes bien loin du quotidien économique des contemporains de Jésus : la bergerie et les moutons, la vigne et l’allégresse que donne le 4 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN vin, le blé et les poissons constituaient la base de leur nourriture. Ils comprenaient alors, sans avoir besoin d’une explication de texte, les paraboles qu’employait Jésus. C’était là leur monde, leur économie, leurs préoccupations, leur richesse probablement, l’essentiel de leurs conversations. Relisez attentivement de qui est dit dans le texte de Jean sur le berger. Sa mission pour faire paître le troupeau, pour le protéger des prédateurs, pour le conduire sur des lieux nourrissant, montre combien ce berger est attentif à ses bêtes. Il leur parle et les connaît chacune par leur nom et, en retour, elles-mêmes le connaissent et lui obéissent, parce qu’il est le Bon Berger, et non pas quelque voleur étranger au troupeau qui ne cherche, comme le loup, que son intérêt personnel. Ceci peut paraître bien éloigné de notre quotidien, de nos préoccupations, de nos vies, et pourtant… Le bureau, l’usine, le magasin, l’entreprise grande d’hypocrisie, lui qui la fustige chez les membres de la Curie. En effet, quoique l’ambassade de France soit prestigieuse, il n’y pas de raisons de croire que la nomination de l’ambassadeur passe par le bureau du pape. C’est donc dans son administration que la chose a été bloquée. De son côté, la France maintient son choix – et à raison – par la voix de son porte-parole Stéphane Le Foll. Le dossier va donc aller sur le bureau du pape… ou la villa Bonaparte va rester vide. Notre analyse ? Soyons clairs : nous soupçonnons une collusion des milieux catholiques français les plus figés et de la partie de la Curie la plus sclérosée pour mettre deux François en méchante posture. En faisant passer le Français pour un épouvantail antireligieux provocateur, on resserre les rangs des catholiques de la droite identitaire qui crient à la « cathophobie » ; en accusant le Romain d’homophobie, on le coupe d’une opinion publique libérale qui jusque-là le soutenait. Le piège est bien monté. N’en soyons pas étonnés : l’un et l’autre ont de farouches ennemis. Christine PEDOTTI ou petite, la ferme, le quartier ou l’immeuble où nous habitons, notre pays, notre Europe, le monde tout entier, n’est-ce pas là que se déroulent les jours qui font nos vies aux uns et aux autres ? Peut-on comparer la bergerie du temps de Jésus et les sociétés que nous connaissons aujourd’hui ? L’échelle est fort différente, mais les réalités profondes sont bien semblables. Les communautés qui sont les nôtres – la famille, les relations amicales, les lieux de travail ou associatifs, les syndicats de toute sorte – ne sont-ce pas là des occasions de se rencontrer, d’échanger, de s’enrichir, des lieux de vie ? On peut laisser le champ libre à tous les prédateurs modernes qui ne connaissent rien ni personne si ce n’est leurs intérêts de pouvoir et d’argent, ainsi qu’aux profiteurs de parachutes dorés ou aux actionnaires malhonnêtes. Les dictateurs ou petits chefs qui décident tout seuls (ou entourés d’une bande de coquins) du sort de leur peuple, de leur entreprise, du travail ou du chômage de ceux dont ils sont censés assurer en partie le quotidien, les mercenaires de tout lieu et de tout poil, peut-on les laisser aux commandes de nos sociétés et entreprises ? Accepterons-nous que la loi de la jungle devienne le quotidien de nos vies ? Chacun à sa façon et à son niveau, que ce soit dans sa famille ou à l’Onu, est responsable de ceux auprès desquels il vit, par choix, par amour, par hasard ou par nécessité. Nous sommes tous responsables de nos proches, comme le Petit Prince l’était de sa rose. Tous nous sommes et berger et brebis, tous nous portons l’avenir d’aujourd’hui comme de demain. Un monde de brutes ou un monde pacifié ? Un monde de frères et de sœurs ou une vaste prison sans foi ni loi ? Une bergerie paisible au sein de laquelle il fait bon vivre, ou une sorte de concentration d’hommes et de femmes apeurés, proies de loups modernes ? La lecture et la méditation de ce texte de Jean peuvent guider nos choix, pour que chacun ait « la vie en abondance ». Bernard RIVIÈRE N° 3631 DU 23 AVRIL 2015