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N°3-3ème année Décembre 2021 -� K A F O U D A L 1 1 1 ISSN 2 6 6 3 - 7 5 9 6 Revue des Sciences Sociales de l'Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo EDITORIAL La Science de tout temps a toujours été, d’abord l’apanage des initiés. Elle devient accessible à la communauté soit de manière didactique soit à travers les solutions et/ou résultat qu’elle met à la disposition de cette communauté. Cette caractéristique, qui est valable pour les périodes de l’histoire, permet à présent de faire un parallèle entre un lieu de rituel Senoufo dénommé le Kafoudal et une revue scientifique. Conçu pour accueillir des évènements exceptionnels lors du rite initiatique du poro, elle peut abriter, à la demande d’un tiers et à titre exceptionnel, des cérémonies de non-initiés. Passé cette dérogation, cette place redevient sacrée et privée. Un symbole pour une revue scientifique qui à l’origine est une initiative privée mais qui sert de plateforme de publicisation et de publication à toutes les personnes intéressées. Quoi de mieux pour désigner une revue dont la vocation est de contribuer à assurer une meilleure visibilité des résultats des recherches universitaires. Ces résultats issus des publications et des réflexions des universitaires, restent un défi majeur et permettent d’établir un lien avec le Kafoudal. Ainsi, cette revue se positionne comme une lucarne pour aider à la prise de décision des acteurs politiques dans l’exécution des programmes de gouvernance et de développement aux niveaux étatique et local. Elle vise avant tout à servir de lieu d’expression pour tous ceux qui conduisent des recherches pour nourrir la science. La revue Kafoudal est pluridisciplinaire et publie, à ce titre, des recherches originales de Géographie, de Sociologie, d’Anthropologie, d’Histoire, d’Économie, de Droit, de Science Politique. Elle accepte, également, des comptes rendus de lecture. « KAFOUDAL » LA REVUE DES SCIENCES SOCIALES DE L’UNIVERSITE PELEFORO GON COULIBALY CONSEIL SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL -Alphonse Yapi-Diahou, Professeur titulaire de Géographie (Université Paris 8) Cel : 0033668032480 ; Email : yapi_diahou@yahoo.fr -Jérôme Aloko-N’guessan, Directeur de Recherches à l’Université Felix Houphouët-Boigny, email : poitoucharente@gmail.com -Koffie-Bikpo Céline Yolande, Professeur titulaire de Géographie (Université Félix Houphouët-Boigny), email : bikpoceline@yahoo.fr -Brou Emile Koffi, Professeur Titulaire de Géographie (Université Alassane Ouattara, UFR CMS) -Da Dapola Evariste Constant, Professeur titulaire de Géographie à l’Université Ouaga 1 Professeur Joseph Ki–Zerbo (Burkina Faso), 06 BP : 9800 Ouagadougou 06, E- mail : evaristeda@gmail.com -Maïga Alkassoum, Professeur Titulaire de Sociologie, Université Ouaga I Professeur Joseph Ki Zerbo (Burkina Faso) -Diomandé Dramane, Professeur titulaire d’Hydrobiologie, Université Peleforo Gon Coulibaly) -Dedy Seri Faustin, Maitre de Recherche de Sociologie, Université Félix Houphouët-Boigny -Edinam Kola, Professeur Titulaire de Géographie, Université de Lomé (Togo), email : edikola@yahoo.fr -Anoh Kouassi Paul, professeur titulaire de Géographie, Université Félix Houphouët-Boigny, email : anohpaul@yahoo.fr -Maurice Boniface Mengho, Géographe ruraliste, Professeur titulaire, (Université de Brazzaville (République du Congo), BP 13 097 Brazzaville, email : maumautina@gmail.com -Koné Issiaka, Professeur Titulaire de Socio-Anthropologie des Organisations (Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa), BP 150 Daloa, email : koneissiaka1@gmail.com -Dossou Guedegbe Odile, Professeur Titulaire des Universités (CAMES)Doyen de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales (FASHS)Université d'AbomeyCalavi (Bénin) -Machikou Nadine, Professeure titulaire de Science Politique, Université Yaoundé 2 (Cameroun) -Assi Kaudjhis Joseph, Professeur Titulaire de Géographie (Université Alassane Ouattara) -Yoro Blé Marcel, Professeur Titulaire d’Anthropologie et de Sociologie, Université Félix Houphouët-Boigny -N’Goran François, Directeur de Recherche de Sociologie, Université Alassane Ouattara -Gbodje Sékré Alphonse, Professeur titulaire d’histoire, Université Peleforo Gon Coulibaly, email : sekrealphonse@yahoo.fr, Cel : 47649099 COMITÉ ÉDITORIAL Directeur de Publication Prof Brou Emile Koffi (Université Alassane Ouattara, UFR CMS) Cel. : (225) 05 92 89 93 ; email : koffi_brou@yahoo.fr Rédacteur en Chef Konan Kouamé Hyacinthe Rédacteurs en Chef Adjoints Guehi Zagocky Euloge Kra Kouadio Joseph Correspondance : revuekafoudal@gmail.com konanhyacinth@gmail.com https://www.univ-pcg.edu.ci Comité de lecture international -Aboubakar Kissira, Maitre de conférences de Géographie, université de Parakou (Benin) -ALLA Della André, Maître de conférences de Géographie, Université Félix Houphouët Boigny de Cocody (Côte d’Ivoire) -Akou Loba Franck Valérie, Maitre de Conférences, Université Felix HouphouëtBoigny, (Côte d’Ivoire) -Koffi Yao Jean Julius, Maitre de Conférences, Université Alassane Ouattara, (Côte d’Ivoire) -Nassa Dadié Axel Désiré, Maitre de Conférences, Géographie, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Côte d’Ivoire) -Diakité Moussa, Maitre de Conférences, Géographie, Université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) -Mazou Hilaire, Maitre de Conférences de Sociologie, Université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) -Yassi Assi Gilbert, Maitre de Conférences de Géographie, École Normale Supérieure, (Côte d’Ivoire) -Gnabro Ouakoubo Gaston, Maitre de Conférences, Histoire, Université Peleforo Gon Coulibaly Korhogo (Côte d’Ivoire) -Dayoro Zoguehi Kevin, Maitre de Conférences de Sociologie, Université Felix Houphouët- Boigny, (Côte d’Ivoire) Université Felix Houphouët- Boigny, (Côte d’Ivoire) -Kouassi Siméon, Maitre de Conférences d’Archéologie, Université Felix Houphouët- Boigny, (Côte d’Ivoire) -Moundza Patrice, Maitre de Conférences, Géographie, Université Marien N’Gouabi (Congo) -Kouamé Atta, Maitre de Conférences, Anthropologie Biologique, Université Felix Houphouët- Boigny, (Côte d’Ivoire) -Djané Kabran Aristide, Maitre-assistant, Socio Anthropologie Université Peleforo Gon Coulibaly Korhogo (Côte d’Ivoire) -Kessé Blé Adolphe, Maitre-assistant, Science Politique, Université Peleforo Gon Coulibaly Korhogo (Côte d’Ivoire) -Koffi Yeboué Stéphane Koissy, Maitre-assistant, Géographie, Université Peleforo Gon Coulibaly Korhogo (Côte d’Ivoire) 1. Note aux contributeurs La Revue des Sciences Sociales de l’Université Peleforo Gon Coulibaly « Kafoudal » est fondée en 2018. Kafoudal est un espace de diffusion de travaux originaux des Sciences Sociales. Elle publie des articles originaux, rédigés en français, non publiés auparavant et non soumis pour publication dans une autre revue. Les normes qui suivent sont conformes à celles adoptées par le Comité Technique Spécialisé (CTS) de Lettres et sciences humaines/CAMES. Les contributeurs doivent s’y conformer. 1.1. Les manuscrits Un projet de texte soumis à évaluation, doit comporter un titre (Book Antiqua, taille 12, Lettres capitales, Gras), la signature (Prénom(s) et NOM (s) de l’auteur ou des auteurs, l’institution d’attache), l’adresse électronique de (des) auteur(s), le résumé en français (250 mots), les mots-clés (cinq), le résumé en anglais (du même volume), les keywords (même nombre que les mots-clés). Le résumé doit synthétiser la problématique, la méthodologie et les principaux résultats. Le manuscrit doit respecter la structuration habituelle du texte scientifique : Introduction (Problématique ; Hypothèse compris) ; Approche (Méthodologie) ; Résultats ; Analyse des Résultats ; Discussion ; Conclusion ; Références bibliographiques (s’il s’agit d’une recherche expérimentale ou empirique). Les notes infrapaginales, numérotées en chiffres arabes et continu, sont rédigées en taille 10 (Book antiqua). Réduire au maximum le nombre de notes infrapaginales. Écrire les noms scientifiques et les mots empruntés à d’autres langues que celle de l’article en italique (Adansonia digitata). Le volume du projet d’article (texte à rédiger dans le logiciel Word, Book antiqua, taille 12, interligne 1.5) doit être de 30 000 à 40 000 caractères (espaces compris). Les titres des sections du texte doivent être numérotés de la façon suivante : 1. Premier niveau, premier titre (Book antiqua 12 gras) 1.1. Deuxième niveau (Book antiqua 12 gras italique) 1.2.1. Troisième niveau (Book antiqua 12 italique sans le gras) 1.2. Les illustrations Les tableaux, les cartes, les figures, les graphiques, les schémas et les photos doivent être numérotés (numérotation continue) en chiffres arabes selon l’ordre de leur apparition dans le texte. Ils doivent comporter un titre concis, placé au-dessus de l’élément d’illustration (centré). La source (centrée) est indiquée au-dessous de l’élément d’illustration (Taille 10). Ces éléments d’illustration doivent être : i. annoncés, ii. Insérés, iii. Commentés dans le corps du texte. La présentation des illustrations : figures, cartes, graphiques, etc. doit respecter le miroir de la revue. Ces documents doivent porter la mention de la source, de l’année et de l’échelle (pour les cartes). 2. Notes et références 2.1. Les passages cités sont présentés entre guillemets. Lorsque la phrase citant et la citation dépasse trois lignes, il faut aller à la ligne, pour présenter la citation (interligne 1) en retrait, en diminuant la taille de police d’un point. 2.2. Les références de citation sont intégrées au texte citant, selon les cas, ainsi qu’il suit : - Initiale (s) du Prénom ou des Prénoms et Nom de l’auteur, année de publication, pages citées (B. A. SY. 2008, p. 18) ; - Initiale (s) du Prénom ou des Prénoms et Nom de l’Auteur (année de publication, pages citées). Exemples: - En effet, le but poursuivi par M. Ascher (1998, p. 223), est «d’élargir l’histoire des mathématiques de telle sorte qu’elle acquière une perspective multiculturelle et globale (…)» - Pour dire plus amplement ce qu’est cette capacité de la société civile, qui dans son déploiement effectif, atteste qu’elle peut porter le développement et l’histoire, S. B. Diagne (1991, p. 2) écrit : Qu’on ne s’y trompe pas : de toute manière, les populations ont toujours su opposer à la philosophie de l’encadrement et à son volontarisme leurs propres stratégies de contournements. Celles-là, par exemple, sont lisibles dans le dynamisme, ou à tout le moins, dans la créativité dont sait preuve ce que l’on désigne sous le nom de secteur informel et à qui il faudra donner l’appellation positive d’économie populaire. - Le philosophe ivoirien a raison, dans une certaine mesure, de lire, dans ce choc déstabilisateur, le processus du sous-développement. Ainsi qu’il le dit : Le processus du sousdéveloppement résultant de ce choc est vécu concrètement par les populations concernées comme une crise globale : crise socio-économique (exploitation brutale, chômage permanent, exode accéléré et douloureux), mais aussi crise socioculturelle et de civilisation traduisant une impréparation socio-historique et une inadaptation des cultures et des comportements humains aux formes de vie imposées par les technologies étrangères. (S. Diakité, 1985, p. 105). 2.3. Les sources historiques, les références d’informations orales et les notes explicatives sont numérotées en continue et présentées en bas de page. 2.4. Les divers éléments d’une référence bibliographique sont présentés comme suit : Nom et Prénom (s) de l’auteur, Année de publication, Titre, Lieu de publication, Éditeur, pages (p.) pour les articles et les chapitres d’ouvrage. Le titre d’un article est présenté entre guillemets, celui d’un ouvrage, d’un mémoire ou d’une thèse, d’un rapport, d’une revue ou d’un journal est présenté en italique. Dans la zone Éditeur, on indique la Maison d’édition (pour un ouvrage), le Nom et le numéro/volume de la revue (pour un article). Au cas où un ouvrage est une traduction et/ou une réédition, il faut préciser après le titre le nom du traducteur et/ou l’édition (ex : 2nde éd.). 2.5. Les références bibliographiques sont présentées par ordre alphabétique des noms d’auteur. Par exemple : Références bibliographiques AMIN Samir, 1996, Les défis de la mondialisation, Paris, L’Harmattan. AUDARD Cathérine, 2009, Qu’est-ce que le libéralisme ? Éthique, politique, société, Paris, Gallimard. BERGER Gaston, 1967, L’homme moderne et son éducation, Paris, PUF. DIAGNE Souleymane Bachir, 2003, « Islam et philosophie. Leçons d’une rencontre », Diogène, 202, p. 145-151. DIAKITE Sidiki, 1985, Violence technologique et développement. La question africaine du développement, Paris, L’Harmattan. Pour les travaux en ligne ajouter l’adresse électronique (URL). 3. Nota bene 3.1. Le non-respect des normes éditoriales entraîne le rejet d’un projet d’article. 3.2. Tous les prénoms des auteurs doivent être entièrement écrits dans la bibliographie. 3.3. Pagination des articles et chapitres d’ouvrage, écrire p.2-45, par exemple et non pp.2-45. 3.4. En cas de co-publication, citer tous les co-auteurs. 3.5. Éviter de faire des retraits au moment de débuter les paragraphes, observer plutôt un espace. 3.6. Plan : Introduction (Problématique, Hypothèse), Méthodologie (Approche), Résultats, Analyse des résultats, Discussion, Conclusion, Références Bibliographiques Résumé : dans le résumé, l’auteur fera apparaître le contexte, l’objectif, faire une esquisse de la méthode et des résultats obtenus. Traduire le résumé en Anglais (y compris le titre de l’article) Introduction : doit comporter un bon croquis de localisation du secteur de l’étude pour les contributeurs géographes. Outils et méthodes : (Méthodologie/Approche), l’auteur expose uniquement ce qui est outils et méthodes Résultats : l’auteur expose ses résultats, qui sont issus de la méthodologie annoncée dans Outils et méthodes (pas les résultats d’autres chercheurs). L’Analyse des résultats traduit l'explication de la relation entre les différentes variables objet de l’article ; le point "R" présente le résultat issu de l'élaboration (traitement) de l'information sur les variables. Discussion : la discussion est placée avant la conclusion ; la conclusion devra alors être courte. Dans cette discussion, confronter les résultats de votre étude avec ceux des travaux antérieurs, pour dégager différences et similitudes, dans le sens d’une validation scientifique de vos résultats. La discussion est le lieu où le contributeur dit ce qu’il pense des résultats obtenus, il discute les résultats ; c’est une partie importante qui peut occuper jusqu’à plus deux pages. Le plan classique est également accepté. Enfin, les auteurs sont entièrement responsables du contenu de leurs contributions. La Revue Kafoudal reçoit en continu les contributions et paraît deux fois dans l’année : juin et décembre. Le nombre d’instructions pour accepter une contribution est de 1 (une) au moins. Un article accepté pour publication dans Kafoudal exige de ses auteurs une contribution financière de 40 000f, représentant les frais d’instruction et de publication. « Les opinions exprimées dans les différents articles sont celles de leurs auteurs et nullement de Kafoudal ». La r e vue d e s Sc ie nc es So c i a le s « Kaf o uda l » Secrétariat : Unité de Formation et de Recherche des Sciences Sociales Université Peleforo Gon Coulibaly, Korhogo, 1328 Korhogo, Côte d’Ivoire ISSN : 2663-7596 Cel : +225 07 255 083 E-mail : revuekafoudal@gmail.com SOMMAIRE GEOGRAPHIE BOLOU Gbitry Abel: L’IMPACT DES ACTIVITES ECONOMIQUES NON AGRICOLES SUR LA DYNAMIQUE TERRITORIALE DE LA COMMUNE DE BEDIALA (CENTREOUEST DE LA COTE D’IVOIRE) .........................................................................................1-17 KRA Kouadio Joseph, KOUADIO Adou François, COULIBALY Ismaïla, TUO Setchon : LES COLLECTIVITES DECENTRALISEES DE CÔTE D’IVOIRE A l’EPREUVE DE L’EQUIPEMENT SCOLAIRE DES TERRITOIRES : CAS DU CONSEIL REGIONAL DE LA BAGOUE ....................................................................................................................18-37 Foussata DAGNOGO, Koffi KOSSONOU, Abou DIABAGATE: COMMUNALISATION ET MUTATIONS DES ESPACES RURAUX DE BONDOUKOU ...................................................................................................................................................38-55 GOGOUA Gbamain Eric DINDJI Médé Roger SORO Kadola Paul : GESTION DE DECHETS SOLIDES MENAGERS ET ASSIMILES (DSMA) DANS LES MARCHES PUBLICS DE KORHOGO .....................................................................................................56-74 GOULIA Vlangny Jean-Baptiste, ADOMON Abodou Athanase: APPROCHE DIFFERENCIEE DE RESTRUCTURATION DES TERRITORIAUX MARGINAUX PAR LE PLAN D’URBANISME DE DETAIL A SOUSSONOUBOUGOU DANS LA COMMUNE DE BOUAKE (CÔTE D’IVOIRE)..........................................................................................75-96 Kouamé Komoé, ALOKO-N’Guessan Jérôme: LE CROU-B ET L’INTEGRATION DES ETUDIANTS DANS LA VILLE UNIVERSITAIRE DE BOUAKE .................................97-115 SOCIO-ANTHROPOLOGIE Ramané KABORÉ, Wendtoin KANGAMBEGA: ASSOCIATIONS ET DEVELOPPEMENT LOCAL AU BURKINA FASO : UNE ANALYSE DES JEUX D’ACTEURS AUTOUR DES ACTIONS DE DEVELOPPEMENT DE L’ASSOCIATION NABRABOGO ....................................................................................................................116-142 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Seindira MAGNINI, Seydou SANOU: ANALYSE DES RAPPORTS ENTRE SAVOIRS TECHNIQUES PAYSANS ET SAVOIRS TECHNICO-SCIENTIFIQUES DANS LES INITIATIVES DE DEVELOPPEMENT : CAS DES PROJETS ICODE ET MOLOPAGA DANS LA COMMUNE RURALE DE BAMA AU BURKINA FASO .........................143-167 ETTIEN Ablan Anne-Marie, SILUE Donakpo, SIZI Wolou Rachel Francesca : FACTEURS EXPLICATIFS DE LA NON FREQUENTATION DES CENTRES DE SANTE DURANT LA GROSSESSE ET DES COMPLICATIONS A L’ACCOUCHEMENT A KORHOGO (COTE-D’IVOIRE)........................................................................................168-186 Jean-Marie Nicaise GBAHOUI: LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA BAISSE DU TAUX DE PARTICIPATION DES ETABLISSEMENTS SECONDAIRES AUX COMPETITIONS OISSU DANS LA COMMUNE DE BOUAKE (REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE)............................................................................................................................187-201 HISTOIRE Kouadio Adolphe N’GORAN: ETUDE SOCIOECONOMIQUE D’UNE COMMUNAUTEETRANGERE A BOUAKE : CAS DES LIBANAIS, (1935-2011) ..202-218 KOUAME Hermann: LE COLLEGE MODERNE CATHOLIQUE FRANCO-CANADIEN DE DALOA : DES ORIGINES A LA CRISE (1947-1973) ..............................................219-238 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 L’IMPACT DES ACTIVITES ECONOMIQUES NON AGRICOLES SUR LA DYNAMIQUE TERRITORIALE DE LA COMMUNE DE BEDIALA (CENTREOUEST DE LA COTE D’IVOIRE) BOLOU Gbitry Abel Enseignant-Chercheur, Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa, gbitry2007@yahoo.fr Résumé : Chef-lieu de Sous-préfecture et de Commune, respectivement en 1980 et en 2005, Bédiala présente les traits caractéristiques d’une localité sémi-urbaine avec une carence en infrastructures de base. Les potentialités agricoles et les flux migratoires dont les effets fondent les espoirs à générer des activités économiques non agricoles, capables de soutenir et d’accompagner le projet urbain de ladite localité, semblent indiquer le contraire. La présente étude vise à analyser l’impact des activités économiques non agricoles sur la dynamique territoriale de la commune de Bédiala. Pour ce faire, l’étude a fait appel à une recherche documentaire et à une enquête de terrain. L’étude révèle que les activités économiques non agricoles pratiquées à Bédiala sont certes diverses (le commerce des produits manufacturés, le commerce dans le secteur de l’alimentation, les services marchands privés et les unités artisanales de transformation), mais plus rythmées par les influences rurales. Cette situation est à la base de l’enracinement du commerce informel (85%) et temporaire (61%). En définitive, les activités économiques non agricoles ont un faible impact sur le développement local de Bédiala. Mots clés : Bédiala, activité économique non agricole, gouvernance urbaine, développement local. Abstract: Bédiala, the capital of a sub-prefecture and a commune in 1980 and 2005 respectively, has the characteristics of a semi-urban locality with a lack of basic infrastructure. The agricultural potential and the migratory flows, the effects of which are the basis for hopes of generating non-agricultural economic activities capable of supporting and accompanying the urban project of the said locality, seem to indicate the contrary. This study aims to analyze the impact of non-agricultural economic activities on the territorial dynamics of the commune of Bédiala. To do this, the study used documentary research and a field survey. The study reveals that the non-agricultural economic activities practiced in Bédiala are certainly diverse (trade in manufactured goods, trade in the food sector, private market services and artisanal processing units), but are more influenced by the rural environment. This situation is the basis for the entrenchment of informal (85%) and temporary (61%) trade. In short, nonagricultural economic activities have little impact on local development in Bédiala. Key words: Bédiala, non-agricultural economic activity, urban governance, local development. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 1 Introduction La communalisation a été introduite en Côte d’Ivoire dès les années 1914. Ainsi, Grand Bassam fut érigé en Commune le 31 décembre 1914 et Abidjan le 29 octobre 1915 (A.A. Hauhouot, 2002 p 47). Le processus de décentralisation qui a atteint sa vitesse de croisière à partir de 1980, continue de sonner dans l’esprit des populations, potentiellement bénéficiaires, comme le rapprochement du développement ou l’accès à une vie moderne voire urbaine. Cette conception de la communalisation n’est pas utopique puisque les différentes lois créant et organisant les communes, telle que la loi organique n° 80-1180 du 17 octobre 1980 et la loi n° 2003-208 du 07 juillet 2003, mettent un accent particulier sur leurs missions à promouvoir le développement local dans divers domaines. En outre, l’un des pans du développement local dans les communes est la réalisation d’infrastructures et d’équipements modernes à même de favoriser l’émergence des activités économiques à dominance non agricole pour générer une économie urbaine susceptible de propulser l’entité décentralisée. A l’instar de la plupart des localités dans les pays en développement, les activités non agricoles ainsi que le revenu obtenu de ces activités occupent une place importante dans le développement durable et la réduction de la pauvreté des zones semi urbaines (FAO, 1998, p. 289). En Côte d’Ivoire, ce prisme de la communalisation qui promeut le développement urbain est porté par de grandes villes telles qu’Abidjan, Bouaké, Daloa, Korhogo et Yamoussoukro. Au-delà d’une dizaine de villes, les autres présentent des profils sémi-urbains à forte empreinte de ruralité. Dans cette catégorie, les localités de tailles moyennes (moins de 100 mille habitants) situées dans le centre-ouest forestier de la Côte d’Ivoire sont particulièrement concernées vu leur état de développement à dominance agraire. Du coup, la capacité des activités économiques non agricoles à impacter la dynamique territoriale des chefs-lieux de communes fait débat. C’est dans ce contexte que la Commune de Bédiala apparaît comme un champ d’investigation pour cerner cette préoccupation centrale. Ce cheflieu de Sous-préfecture depuis 1980 et commune en 2005 a pour avantage comparatif sa proximité avec Daloa (soit 25 Km de ce Chef-lieu de Région) et ses atouts naturels du fait de sa situation en zone forestière. Bien que bénéficiant de potentialités agricoles remarquables, cette étude veut évaluer l’impact des activités économiques non agricoles sur la dynamique territoriale de Bédiala. Pour atteindre cet objectif principal, il importe de : - dresser le profil des activités économiques non agricoles de la localité, montrer l’impact de ces activités économiques non agricoles sur la dynamique territoriale Bédiala. L’hypothèse émise est que le faible niveau des activités économiques non agricoles contribue à maintenir la commune dans un retard de développement territorial. La vérification de cette hypothèse conceptuelle nécessite l’usage de matériel approprié et une approche méthodique. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 2 1. Méthode et Matériels 1.1. Zone d’étude La présentation de la zone d’étude est illustrée par la figure 1. Figure 1 : Présentation de la zone d’étude Source : BNETD, 2014 Réalisation : BOLOU et KOUAO Située dans la région du Haut-Sassandra, la localité de Bédiala est l’une des 5 Souspréfectures de Daloa, Chef-lieu de région. Erigée en sous-préfecture en 1980 et en commune en 2005, Bédiala s’étend sur une superficie de 1 129 km2 avec une population qui s’élève à 81 193 habitants dont 35 % vivent dans la commune soit 52 776 habitants (INS, 2014, p7). 1.2. Matériels Pour l’enquête de terrain, nous avons eu recours aux cartes topographiques de l’ensemble sous-préfectoral et communal au 1/5000. Un GPS (Global Positionning System) Garmin 62 a été également utile pour l’enregistrement des coordonnées géographiques des sites économiques. Un appareil de prise de vues et un bloc-notes ont été également utilisés. Des guides d’entretiens et des questionnaires ont également été élaborés. Enfin, les données démographiques sont celles issues du RGPH-2014. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 3 1.3. Méthodes de collecte des données La collecte des données s’est reposée sur deux principales (02) approches à savoir la recherche documentaire et l’enquête de terrain. La recherche documentaire a consisté à consulter des ouvrages et travaux antérieurs, portant sur le profil des activités économiques non agricoles dans les chefs-lieux de commune et les politiques de communalisation en Afrique subsaharienne. Ces informations ont surtout été utiles pour cerner la place de cette catégorie d’activités et son impact réel sur la vitalité des communes érigées par les pouvoirs publics. Pour y parvenir la documentation a été consultée essentiellement dans les bibliothèques de l’Université Félix HouphouëtBoigny (UFHB) d’Abidjan Cocody, de l’Institut de Géographie Tropicale (IGT), du Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP), de l’Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération (IFRSDC) d’Abidjan, de l’Institut Français d’Abidjan (IFA). Les archives administratives portant sur la communalisation de la mairie de Bédiala, et les données démographiques (Institut National de la Statistique-INS-) ont été aussi consultées. Des données ont également été recueillies sur des sites internet. Quant à l’enquête de terrain, elle a mobilisé plusieurs techniques dont l’observation directe qui a permis d’identifier la localisation des espaces marchands, des activités économiques non agricoles, leur nature et état. Les informations sur les services marchands et la configuration du paysage communal de Bédiala, étaient également visées par cette approche. Cette technique a été combinée avec l’inventaire, qui a consisté à dénombrer les activités économiques non agricole (Services marchands, commerce des produits artisanaux et industriels). Des entretiens ont également eu lieu avec des responsables. Il s’agit notamment de Madame le Sous-préfet, du Secrétaire Général de la Mairie, de 4 responsables d’associations (Président des commerçants de la commune, Présidente des femmes, Président des jeunes, Représentant des communautés de l’espace CEDEAO) et le chef central de la chefferie traditionnelle de Bédiala. L’enquête par questionnaire a été adressée à 250 opérateurs économiques du secteur non agricoles dont 100 exercent d’une manière permanente et 150 à des périodes variantes (hebdomadairement, saisonnière, occasionnellement). Le grand marché, les services privés marchands et les différents points de ventes d’articles divers dans le noyau urbain de la commune ont été investigués. Cet échantillon découle de la méthode non probabiliste-accidentelle, tenant compte des cibles effectivement présentes et disposées à se soumettre aux questionnaires. Au total, ce sont 257 personnes qui ont été interrogées au cours de cette enquête qui a débuté en 2018 et qui a pris fin en 2020. La méthodologie de recherche a permis d’aboutir aux résultats ci-après. 2. Résultats 2.1. Une diversité d’activités économiques non agricoles, imbibées par les influences rurales à Bédiala Le paysage économique de Bédiala enregistre plusieurs activités non agricoles. Toutefois, les plus importantes sont orientées vers le besoin du milieu agricole. Ce sont le commerce des produits manufacturés (27%), le commerce dans le secteur de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 4 l’alimentation (45%), les services marchands privés (15 %) et les unités de transformation (13%) (nos enquêtes de terrain, Août 2018) . 2.1.1. Le commerce de produits manufacturés essentiellement destinés au monde rural Les produits manufacturés ou industrialisés commercialisés à Bédiala proviennent majoritairement d’Abidjan en transitant par Daloa. Les observations faites, ressortent 5 principales catégories de ces produits manufacturés (Voir figure 2). Figure 2 : Répartition des catégories de produits manufacturés commercialisés à Bédiala Autres; 9% Produits phytosanitaires ; 16% Electroménager s; 21% Vêtements et accessoires; 13% Equipements agricoles (bottes, machettes, pioches, fourches, etc); 41% Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. Il ressort de l’analyse de cette figure que le paysage commercial de Bédiala est dominé à 41% par le commerce des équipements agricoles rudimentaires. Ensuite, vient le commerce des appareils électroménagers (21%), les produits phytosanitaires (16%) et les vêtements-accessoires (13%). En somme, les produits manufacturés intervenant directement dans le domaine agricole sont estimés à 57% de l’offre. Ces chiffres mettant en exergue la finalité agraire de ces produits manufacturés intriguent pour une commune dont le fonctionnement devrait refléter une tendance à l’urbanisation et à la tertiairisation. Par ailleurs, le commerce de l’alimentation et l’informel (activité peu structurée et menée de façon spontanée) sont très prégnant dans cet environnement économique. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 5 2.1.2. Une floraison des secteurs du commerce de l’alimentation et de services marchands privés endogènes -Le commerce de l’alimentation Le secteur de l’alimentation se décline en 5 sous-secteurs (Tableau 1). Tableau 1 : Répartition de catégories d’activités commerciales liées au secteur de l’alimentation Nature des activités Proportions (%) 14 11 Restauration traditionnelle Commerce de viandes, poissons congelés et assimilés Vivrier Produits de l’élevage traditionnel Autres Total 47 20 8 100 Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. Le secteur de l’alimentation est dominé par le commerce du vivrier (47%), suivi de celui des produits de l’élevage (20%), de la restauration traditionnelle (14%) et du commerce de viandes-poissons congelés (11%). La commercialisation importante du vivrier met en exergue une production locale significative et une main d’œuvre endogène abondante. Une analyse de la provenance de la matière première de ces différentes activités indique qu’elles proviennent à 95% des campements et villages à proximité de Bédiala contre 5% qui s’approvisionnent à Daloa en viandes et en poissons congelés. Plusieurs services marchands privés d’utilité locale sont implantés à Bédiala (Tableau 2). - Les services marchands privés endogènes Tableau 2 : Répartition des services marchands selon leur typologie Type de services marchands Kiosques à café Dépôt de pharmacie Station-service essence Cliniques privées Boulangeries Hôtels Maquis- buvette Points de mobile money Boutiques de quartier Autres Total Proportion (%) 13 1 1 3 2 4 23 15 32 6 100 Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 6 Les boutiques de quartiers tenues à 70% par les mauritaniens constituent les services marchands privés dominants (32%), suivis des maquis-buvettes (23%), des points de mobile money (15%) et des kiosques à café (13%). Les boutiques de quartiers et les maquis-buvettes sont donc les activités phares des services marchands à Bédiala. Cette configuration dénote de la faiblesse du niveau des activités de services à hautes valeurs ajoutées dans ce chef-lieu de commune. A cela, il faut ajouter quelques microunités du secteur de transformation artisanales. 2.1.3. La transformation artisanale des produits locaux La transformation artisanale des produits locaux comprend dans le cas de cette étude l’activité des machines telles que les décortiqueuses ou broyeuses. Celles qui prédominent à Bédiala sont les décortiqueuses de riz, de café ainsi que les broyeuses de manioc. Il y a également les broyeuses à usage multiple (tomate, arachide, gingembre, céréales, etc.). Le tableau 3 met en exergue leur répartition. Tableau 3 : Répartition des machines pour la transformation artisanale des produits locaux Type de machine Proportions (%) Broyeuse de manioc 28 Décortiqueuse de riz 22 Décortiqueuse de café 7 Broyeuse à usage pluriel 40 Autres 3 Total 100 Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. Les décortiqueuses et broyeuses d’aliments sont répandues dans l’univers économiques de Bédiala. Ainsi, les broyeuses à usage multiples sont les plus importantes pour une proportion de 40%, suivies de celles spécialisées dans le broyage du manioc (28%). La pâte de manioc obtenue est exportée à 75% vers Abidjan, San-Pedro et Daloa. Les décortiqueuses de riz paddy sont estimées à 22%. Les décortiqueuses de café représentent 7% de l’ensemble, traduisant la chute nette de la production de la culture dans la sous-préfecture de Bédiala. Les données relatives à la typologie des activités économiques non agricoles révèlent une prédominance des activités traditionnelles à faible valeur ajoutées et essentiellement au service du monde rural. Quel en est l’impact sur le développement territorial de Bédiala ? 2.2. L’impact des activités non agricoles sur le développement territorial de Bédiala 2.2.1. Faiblesse des recettes municipales et faiblesse des investissements infrastructurels La faiblesse des recettes municipales issues des activités économiques non agricoles induit une insuffisance des investissements infrastructurels. La commune de Bédiala génère peu de ressources financières propres pouvant propulser son développement. Le tableau 4 présente les programmes triennaux de 2014 à 2022 de la mairie. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 7 Tableau 4 : Programmes triennaux de 2014 à 2022 2014-2016 125 491 000 393 029 000 2017-2019 113 917 000 125 298 000 Fonds propres (FCFA) Subvention de l’Etat (FCFA) Total 518 520 000 239 215 000 Source : Mairie de Bédiala, 2014-2021, projections 2022. 2020-2022 34 500 000 283 674 000 318 174 000 L’analyse du tableau 4 montre que moins de 50% du budget de fonctionnement de la Mairie de Bédiala provient des fonds propres ; essentiellement tirés des taxes communales. Sur la période 2014-2016, les fonds propres représentaient 24,20% de l’ensemble du budget, sur la période 2017-2019, ils étaient évalués à 47,62% du budget total et enfin sur la période 2020-2022, ils ont chuté à 10,84% du budget total. La plus grande proportion du Budget provient toujours des subventions de l’Etat. Les œuvres sociales sont généralement financées sur fonds propres tandis que les dépenses d’équipements et de fonctionnement sont absorbées par les subventions étatiques. La commune dispose de peu de ressources financières pour autofinancer ses infrastructures modernes. Ce déficit en ressources financière est dû aussi au faible niveau des activités économiques non agricoles dans le paysage communal de Bédiala (Voir Photo 1). Photo 1 : Voie principale de la commune bordée par des activités économiques non agricoles Source : BOLOU G. Abel, Novembre 2019. La photo 1 montre la voie principale (non bitumée) de Bédiala. Elle est insuffisamment occupée par les activités économiques non agricoles ; en dehors de quelques magasins et lieux de restauration. Au-delà de la voirie, c’est tout le paysage communal qui souffre d’un déficit en investissements infrastructurels. Du coup, la modernisation de Bédiala est contrariée par ces indicateurs de grand bourg (Voir photo 2). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 8 Photo 2 : Vue panoramique de la structuration paysagère de la commune de Bédiala Source : BOLOU G. Abel, photo prise en novembre 2019 Une vue à partir des collines qui l’entourent permet de réaliser l’étalement sans trame cohérente de Bédiala. Cette donne si elle perdure compromettra l’implantation des activités économiques non agricoles, surtout que celles qui existent ont du mal à se développer. Selon nos enquêtes de terrain de 2018, les revenus générés par ses activités servent à 85% à la subsistance de la famille (alimentation, soins et scolarisation), 10% dans l’investissement immobilier et 5% pour accroitre le capital initial. 2.2.2. Les défis de développement des activités économiques non agricoles 2.2.2.1. La prédominance des activités économiques informelles et précaires - Des équipements et infrastructures majoritairement informels 70% des équipements et infrastructures sont faits de matériaux précaires (vieilles tôles, bois déjà usagers, vieux plastiques) et 30% de matériaux traditionnels (briques en banco, toiture en paille). La teneur des matériaux utilisés dans la construction des équipements dépend de la nature de l’activité économique (Tableau 5). Tableau 5 : Les équipements mobilisés selon la nature des activités économiques pratiquées Nature des équipements Nature des activités économiques non agricoles Etals, hangar fait de vieilles tôles, de bois usagers et de plastiques, à même le sol, à ciel ouvert Etals, hangar fait de vieilles tôles, de Vivriers, maraîchers, produits des élevages Proportion (%) de matériaux informels et/ou précaires contenus dans l’ensemble 100 Produits 97 phytosanitaires, La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 9 bois usagers et de plastiques, conteneur artisanal, à même le sol, à ciel ouvert Mixité des équipements : hangar fait de vieilles tôles, de bois usagers et de plastiques, locaux faits de mûrs en banco et/ou de briques en dur, conteneur artisanal Mixité des équipements : locaux faits de mûrs en banco et/ou de briques en dur, conteneur artisanal vêtements et accessoires Restauration traditionnelle, Maquisbuvette, Kiosques à café 95 Commerce de viandes et poissons congelés, décortiqueuses, cliniques privées, dépôt de pharmacie, boulangeries, boutiques de quartiers, un hotel Locaux faits de Station-service briques en dur essence, hôtels Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. 60 00 Pour une commune à vocation urbaine, les équipements et les infrastructures des locaux des activités économiques non agricoles contrastent avec la modernité. En dehors de la station-service à essence et de 3 hôtels (KM, Grâce et Zékinan) construits en dur, les autres activités économiques non agricoles combinent l’utilisation de matériaux modernes (en dur) et précaires (en banco). C’est le cas de l’hôtel « Cocotier » qui est bâti avec des briques en banco couvert de ciment. Enfin de compte, les équipements et les infrastructures de construction sont constitués à 70% de matériaux précaires et informels contre 15% de matériaux de standing moyen. - Des activités économiques non agricoles saisonnières ou accidentelles De nos investigations, il ressort que les opérateurs économiques de Bédiala dans leur majorité exercent dans ce secteur de façon temporaire (Voir Figure 3). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 10 Figure 3 : Périodicité de la pratique des activités économiques non agricoles 45% Proportions 41% 40% 35% 27% 30% 25% 21% 20% 15% 11% 10% 5% 0% Une fois par Selon les saisons Occasionnellement Permanemment semaine (le jour du de l’année marché) Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. Périodicité Seuls 21% des acteurs économiques interrogés exercent les activités de façon permanente. Pour les 79% restant, 41% les pratiquent hebdomadairement, 27% occasionnellement et 11% selon les différentes saisons de l’année. Cette temporalité dans l’exercice des activités dénote d’une pratique hasardeuse et d’une absence de professionnalisme. Ces raisons expliquent la précarité des équipements et infrastructures économiques. Par ailleurs, ces activités économiques sont reléguées au second plan par rapport à une autre ; considérée comme la principale (Nos enquêtes de terrain, 2018). - Une absence de spécialisation dans la pratique des activités L’une des raisons de la faible organisation des activités économiques non agricoles par les opérateurs, résiderait dans l’absence de spécialisation (Voir Tableau 5). Tableau 6 : Répartition des opérateurs économiques selon la pratique d’une autre activité Autres activités pratiquées Fonctionnaire, agent de l’Etat, retraité Agriculteurs Ouvriers, hommes de métiers, ménagères Etudiants, élèves, en quête d’emplois Aucune activité secondaire Total Source : Nos enquêtes de terrain, Août 2018. Proportions (%) 31 35 20 8 6 100 94% des enquêtés exercent une autre activité en dehors de l’activité économique non agricole qu’ils exercent. Dans cette catégorie, 35% ont pour activité secondaire l’agriculture ; 31 % sont fonctionnaires et 20% sont des ouvriers, des hommes de métiers, des ménagères et 8% des personnes en quête d’emplois. Ils les considèrent La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 11 comme des sources de revenus secondaires. Cette situation explique l’absence de volonté de professionnaliser l’activité en l’organisant. C’est pourquoi 37 % sont déclarées auprès des autorités municipales et seulement 7 % auprès des services des impôts (nos enquêtes de terrain, mairie et impôts, 2019). Concernant leur niveau d’instruction, nos enquêtes de terrain en 2018 révèlent que, 35% n’en ont pas, 11% l’instruction coranique, 29% primaire, 18% secondaire et 7% le niveau universitaire. Seuls 2% ont reçu une formation formelle convenant au secteur d’activité, contre 98% qui ont appris directement dont 67% avec un parent et 31% avec des proches (amis, co-religieux, collègues.). Des données qui précèdent, il ressort que l’immersion dans l’activité sans formation véritable et un niveau d’instruction dans l’ensemble bas est une faiblesse dans son organisation. Au-delà de ce dysfonctionnement, le faible niveau de développement de la commune de Bédiala contrarie la modernisation des activités économiques non agricoles. 2.2.2.2. Un développement endogène à mettre aux normes de standards modernes L’essor d’activités économiques non agricoles dans une localité nécessite un environnement infrastructurel de base pour inciter et maintenir leur décollage. Dans ce domaine, l’écart est prononcé par rapport aux communes modernes. De prime abord, l’occupation du sol à Bédiala laisse entrevoir un espace communal majoritairement agraire et dominé par la végétation naturelle (Voir figure 2). A Bédiala, seulement 4,62% de l’espace communal (soit 93,19 hectares) est occupé par le bâti. Quant aux champs et vergers, ils représentent 39,30% de l’occupation du sol, soit 793,17 hectares (Sentinel 2-B, 2014). Figure 4: un espace communal majoritairement agraire et naturel Source : Image Sentinel 2-B, 2014 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Réalisation : BOLOU et KOUAO Page 12 La forêt et les espaces verts pris ensemble, occupent 52,52% du sol, soit 1059,88 hectares. Toutefois, certaines précisions sont nécessaires. Ainsi, la forêt à elle seule couvre 45,06% et le sol nu 3,56% de l’espace communal (Sentinel 2-B, 2014). A la lumière de ce qui précède, Bédiala présente les caractéristiques d’une localité foncièrement agraire, rurale et peu développée. Cette situation entrave l’éclosion des activités économiques non agricoles. L’état des infrastructures et équipements méritent analyse pour cerner leur impact sur l’implantation des activités économiques non agricoles. - Des infrastructures et équipements, limitant l’implantation des activités économiques non agricoles De nos résultats précédents, il ressort que toutes les voies de circulation dans la commune de Bédiala ne sont pas bitumées. De plus, elles sont impraticables en plusieurs endroits. Pour 98% des opérateurs économiques enquêtés, cette donne est bien l’une des réalités qui les refroidie leur élan de moderniser leurs activités. Quant aux autres (2%), ils n’y voient pas de problème. Le raccordement des ménages aux réseaux d’électricité et d’eau est peu reluisant pour favoriser un décollage des activités économiques non agricoles. La commune enregistre 1 011 abonnés au réseau du service1 public d’eau potable ; soit 1,91% de la population communale (consulté au près du détaché de la SODECI de Bédiala) et 2 005 abonnés au réseau du service2 public d’électricité ; soit 3,79% de cette même population (consulté au près du détaché de la CIE de Bédiala). Ces données sont faibles et à l’origine des désagréments (Nos enquêtes de terrain, 2018). En effet, dans plusieurs quartiers, les habitations sont raccordées au réseau électrique par le biais de branchements illégaux et anarchiques. Cependant, concernant l’eau potable, des investissements ont été consentis pour améliorer son accessibilité aux populations. A ce propos, sur la période 2017-2018, les gestionnaires de la ville ont permis la mise en service du château et l’extension progressive du réseau dans la ville. - Une insuffisance des services publics sous représentés, limitant l’implantation d’activités modernes Les services publics comprennent la sous-préfecture, le poste de gendarmerie, le centre de santé urbain, la mairie et le secteur de l’éducation/formation comprenant 11 établissements dont une école maternelle, 4 collèges dont 3 privés et 6 écoles primaires dont 5 publiques. La faible représentativité des services publics à Bédiala contraint près de 51% des opérateurs économiques de nombreux déplacements à Daloa, chef-lieu de région pour des opportunités d’affaires. 1 2 Service public concédé par l’Etat de Côte d’Ivoire à la Société de Distribution d’Eau de Côte d’Ivoire (SODECI). Service public assuré par la Compagnie Ivoirienne d’Electricité (CIE) pour le compte de l’Etat de Côte d’Ivoire. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 13 Discussion Le territoire communal est le lieu où s’exercent les actions de développement (A. Adomon, 2015 ; p. 58). C’est fort de cette réalité que la présente étude s’est fixé comme but d’évaluer l’impact des activités économiques non agricoles sur le développement territorial de Bédiala. La commune de Bédiala se distingue par la diversité de ses activités économiques non agricoles. Ce sont le commerce des produits manufacturés (27%), le commerce dans le secteur de l’alimentation (45%), les services marchands privés (15 %) et les unités de transformation (13%). Si l’on tient compte du secteur du commerce dans sa diversité, c’est 72% des activités non agricoles. Cette prédominance des activités commerciales est confortée par les résultats de G.P. Guélé, 2019. p.114, qui indiquent que ces activités estimées à 75,78% dans la ville de Oumé et à 78,18% dans la localité de Diégonéfla, toutes deux situées au Centre-ouest de la Côte d’Ivoire. Ces localités sont marquées par leur aspect rural. Bédiala l’est davantage, car ses activités non agricoles sont le plus souvent orientées au service du monde rural. C’est le cas du commerce de l’alimentation où 47% des acteurs enquêtés commercialisent le vivrier et la maraîchère, alors que 20% sont dans la vente des produits de l’élevage traditionnel. Au niveau des unités de transformation artisanales, 92% sont spécialisés dans le broyage de certains produits vivriers (manioc) et maraîchers ( tomates, gingembre) et 8% dans le décorticage de café. Dans les bassins « ruraux » des pays développés tel que la France, la structuration de l’économie y est tout autre. Selon le RAPPORT IGAS N°RM2009-102P / CGAAER N°1883, 2009, p18, trois grands types d’activités se démarquent. Ce sont « L’économie résidentielle », domine à 56% dans l’ensemble des bassins, elle regroupe les activités essentiellement destinées à satisfaire les besoins des populations locales : services aux particuliers et commerce de détail, activités financières et immobilières, services administratifs. Elle est suivie de « L’économie industrielle », dominant à 9,70% l’ensemble des bassins. Ces bassins sont pour la plupart animés par un « pôle d’emploi de l’espace rural », dont certains ont hérité des industries diverses anciennement et fortement implantées en milieu rural. Enfin, vient « L’économie agro-alimentaire » avec 34 ,30%. Si le profil des activités économiques de Bédiala est loin de ceux des bassins « ruraux » en France c’est surement le fait d’un ensemble de difficultés qui contrarient leur modernisation. Les obstacles à l’émergence des activités économiques non agricoles modernes sont pluriels à Bédiala. L’enquête a révélé une organisation structurellement informelle et précaire. 70% des équipements et infrastructures sont faits de matériaux précaires (vieilles tôles, bois déjà usagers, vieux plastiques) et/ou 30% de matériaux traditionnels (briques en banco, toiture en paille). Par ailleurs, 79% des opérateurs enquêtés exercent les activités économiques de façon temporaire (hebdomadairement, saisonnièrement et occasionnellement). Ces caractéristiques sont conformes à celles mises en exergue dans le rapport du BIT, 2002, p 2. Ce rapport souligne que dans les pays en développement et en transition, le travail à domicile, le travail dans les ateliers clandestins et celui effectué par les travailleurs autonomes ou occasionnels constituent la règle plutôt que l’exception. Pour cette raison, souvent, la législation du travail ne les reconnaît pas, ne les protège non plus et ils ne bénéficient d’aucune protection sociale. Il précise en sa page 18, qu’en La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 14 Afrique subsaharienne, le secteur informel représente les 3/4 de l’emploi non agricole en 2002, contre environ 2/3 il y a dix ans. Par ailleurs, le faible niveau de développement endogène de Bédiala compromet l’implantation massive des activités économiques modernes. Le manque criard d’infrastructures et d’équipements est dénoncé par tous les opérateurs économiques qui estiment que cette situation contrarie la modernisation des activités non agricoles. Cette situation est jugée inacceptable par les opérateurs qui trouvent que Bédiala est à 25 km d’une métropole régionale (Daloa). Cela contraste avec le rayonnement des périphéries en France. Dans certaines villes de ce pays développé, la périphérie capte jusqu’à 80% du marché (ADCF, 2012 :11). Mais, la particularité de ce pays est que l’implantation des activités économiques est préalablement l’objet d’une planification urbaine contrairement à la majorité des villes africaines. C’est à juste titre que F. Luc., 2014, p 5 indiquait que le découpage territorial ne doit pas être une œuvre politique. Ce sont malheureusement les politiques qui décident de façon arbitraire sans tenir compte des réalités locales, faisant des localités comme Bédiala, dépourvues du minimum infrastructurel des communes. Ce contexte territorial contrarie énormément l’émergence des activités économiques non agricoles modernes. C’est au regard de cela que BIT,op cite, p.84, a souligné que le manque de gouvernance était un problème clé sous-jacent à l’informalité. Le profil des activités économiques non agricoles contrarient le rayonnement de Bédiala en tant que commune. Le caractère informel (peu structuré et temporaire) de la majorité des activités fait qu’elles contribuent faiblement au budget de la municipalité. Celle-ci en retour investit peu dans la réalisation des infrastructures et des équipements socio-économiques, maintenant davantage les opérateurs économiques dans l’informalité et l’informalisation des activités non agricoles. Ce résultat est conforme à (F. Dureau, 2004, p 87) pour qui la prédominance des matériaux précaires et/ou traditionnels dans les constructions des équipements et infrastructures économiques s’explique en partie par l’accessibilité de leur coût et par la faiblesse des revenus des ménages. A Bédiala, cette situation contribue à maintenir le paysage communal dans la précarité et la ruralité. C’est pourquoi, le RAPPORT IGAS N°RM2009-102P / CGAAER N°1883, op cite, p.52 révèle que, faute de dynamisation importée d’une ville voisine, ou du fait de l’absence ou d’insuffisance des acteurs locaux capables de générer une dynamique locale, entraînant progressivement le développement local endogène, le cumul des handicaps contribue à former des territoires de « relégation » Aujourd’hui Bédiala de par sa réalité socio-économique semble être dans ce cas. Conclusion L’étude du profil des activités économiques non agricoles et leur incidence a montré qu’elles sont majoritairement informelles et/ou précaires. Elles contribuent davantage à la précarité, à l’informalité et à la ruralité du paysage communal, compromettant ainsi l’attractivité socio-économique de ladite commune. Le manque d’organisation des opérateurs économiques a été relevé comme un obstacle majeur à la professionnalisation des activités, auquel s’ajoute la léthargie des cadres locaux et des autorités municipales face à la faiblesse de la répartition des équipements et La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 15 infrastructures modernes. Les activités économiques non agricoles constituent une véritable chance de modernisation de la commune de Bédiala si les opérateurs économiques, les populations, les cadres, les autorités municipales et étatiques synchronisent leur vision du développement. Références bibliographiques ADCF, 2012, Urbanisme commercial, une implication croissante des communautés mais un cadre juridique à repenser. France, Etude –ADCF. ADOMON Abodou Athanase., 2015, Bilan de la politique de décentralisation en Côte d’Ivoire : Cas des communes d’Alépé, de Taabo et de Yopougon, Thèse unique en géographie, Université Félix Houphouët Boigny, IGT, 343 p. BIT, 2002, Travail décent et économie informelle, Rapport VI, Conférence internationale du Travail, 90ème session (Genève, 2002), 146 p. DUREAU Françoise, 2004. « Croissance et dynamiques urbaines dans les pays du Sud » in Ferry Benoît (ed.), Gautier Arlette (ed.), Samuel O. (ed.), Golaz V. (ed.), Hamelin Philippe (ed.). La situation dans les pays du Sud : synthèse et ensemble des contributions de chercheurs des institutions de recherches partenaires, Nogent-surMarne (FRA) ; New York : CEPED ; ONU, pp 203-225. FAO, 1998, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture : Les revenus ruraux non agricoles dans les pays en développement, 371 p. GUELE Gué Pierre, 2019, « Activités économiques et développement régional : Le département d’Oumé à la croisée des chemins », La problématique du développement dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire : Eléments de diagnostic et de réflexions, sous la direction de Valery AKOU LOBA et Abel GBITRY BOLOU, Archives nationales de Côte d’Ivoire, Abidjan, pp 109-121. HAUHOUOT Asseypo Antoine, 2002, Développement, aménagement, régionalisation en Côte d'Ivoire, EDUCI, Abidjan-Côte d’Ivoire, 364 p. LUC Florent, 2014, Le découpage territorial ne doit pas être une œuvre politique, In journal lemonde.https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/07/ledecoupageterritorial-ne-doit-pas-etre-une-uvrepolitique_4361782_3232.html RAPPORT IGAS N°RM2009-102P / CGAAER N°1883, 2009, « Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural » République de France, Tome 1, 218 p. Références portant sur des lois organiques Loi n°80-1180 du 17 octobre 1980, relative à l’organisation municipale, http://www.dgddl.interieur.gouv.ci/index.php?page=search; visité le 22 mai 2020 : Site Officiel de La Direction Générale de la Décentralisation et du Développement Local. Loi n°2003-208 du 7 juillet 2003, portant transfert et répartition de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales ; http://www.dgddl.interieur.gouv.ci/index.php?page=search, visité le 22 mai 2020 : La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 16 Site Officiel de La Direction Générale de la Décentralisation et du Développement Local. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 17 LES COLLECTIVITES DECENTRALISEES DE CÔTE D’IVOIRE A l’EPREUVE DE L’EQUIPEMENT SCOLAIRE DES TERRITOIRES : CAS DU CONSEIL REGIONAL DE LA BAGOUE KRA Kouadio Joseph Enseignant-Chercheur, Université Peleforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire) krajoseph@yahoo.fr KOUADIO Adou François Enseignant-Chercheur, Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire) koyestekoi@yahoo.fr COULIBALY Ismaïla Doctorant, Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire) Institut de Géographie Tropicale coulxmo@gmail.com TUO Setchon Université Peleforo Gon Coulibaly (Korhogo, Côte d’Ivoire) gninimin@gmail.com Résumé Dans le souci de promouvoir l’éducation pour tous, la politique scolaire en Côte d’Ivoire met l’accent sur la dotation des territoires en équipements scolaires et d’accompagnement. Dans le cadre de cette politique scolaire, l’Etat a transféré aux collectivités décentralisées des prérogatives en matière d’équipements scolaires. Parmi ces collectivités, celle de la région décentralisée de la Bagoué au nord du pays a placé l’école au rang de ses priorités stratégiques. L’objectif de cet article est d’analyser le rôle du conseil régional dans l’équipement du territoire en structures scolaires. A cet effet, les recherches documentaires et les enquêtes de terrain ont montré que les actions du conseil régional ont permis une véritable révolution scolaire qui se traduit par la construction de nombreuses salles de classes équipées en tables-bancs, des logements d’instituteurs et des cantines scolaires avec pour corollaire une amélioration significative des taux de réussite aux examens et de scolarisation. La volonté politique régionale qui a permis de réduire le déficit en équipements scolaires montre que la décentralisation régionale peut jouer un rôle décisif dans la politique éducative nationale. Mots clés : Bagoué, éducation, équipements scolaires, Conseil régional, volonté politique. Abstract With the aim of promote education for all, the school policy in Côte.d'ivoire stresses the equipment of the territories out of school facilities and accompaniment. Within La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 18 the framework of this school policy, the State transferred to the communities decentralized from the prerogatives as regards school facilities. Among these communities, that of the decentralized area of Bagoué in the north of the country placed the school at the row of its strategic priorities. The objective of this article is to analyze the role of the regional Council in the equipment of the territory of school structures. To this end, the information retrievals and the investigations of ground showed that the actions of the regional Council allowed a true school revolution which results in the construction of many school canteen and equipped into tablebenches, residences classrooms of teachers with for corollary a significant improvement of the rates of success to the examinations and schooling. The regional political good-will which made it possible to reduce the deficit out of school facilities shows that decentralization area can play a decisive role in the national educational policy. Key words : Bagoué, education, the regional Council, school facilities, political goodwill. INTRODUCTION L’éducation et la formation sont des conditions fondamentales pour impulser le développement des Etats. Les autorités politiques et administratives de la Côte d’Ivoire ont fait sienne cette idée. En effet, la volonté politique affichée de scolariser à 100 % les enfants, manifestée par le Gouvernement ivoirien, a permis à l‘Etat d’accorder une grande priorité au développement du système éducatif dès son accession à l’indépendance en 1960 (G. L. SIKA, 2011, p.64). Ainsi, dans le cadre du mot d’ordre « Ivoirien, l’égal des citoyens des pays développés à l’horizon 2000 », les plans de développement en général et celui de 1976 à 1980, en particulier, ont inscrit l’éducation et la santé au rang des priorités. Au cours de toutes les décennies, l’éducation s’est attribuée, en moyenne entre 30 et 40 % du Produit National Brut ( A. A. HAUHOUOT, 2002, p. 164). Dans le contexte économique favorable de 1960 à 1980, l’Etat central a donc fait des efforts pour financer directement la réalisation des équipements scolaires sur le territoire national. Mais, à partir de 1980, la crise économique qui a entrainé une reforme dans la gouvernance du pays va promouvoir la décentralisation. En plus, la crise militaro-politique que traverse le pays a accentué les inégalités de scolarisation. Plus d’un million d’élèves ont été privés d’école depuis l’éclatement de la crise le 19 septembre 2002 (Ministère du plan et du développement, 2010, p. 160). Toutes les régions du nord ont été impactées par cette La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 19 crise. S’il est vrai que l’Etat va mettre en place des programmes d’urgence dans lesquels les équipements scolaires tiennent une place importante, il n’en demeure pas moins que dans le cadre de la décentralisation, les communes et les régions créés ont une mission d’éducation dans leurs circonscriptions respectives. Cette mission suppose la construction d’établissements scolaires. Ainsi, la nouvelle politique éducative envisagée par la deuxième République en 2000 accorde la priorité à l’enseignement primaire sans négliger les autres niveaux d’enseignement. L’Etat ivoirien prévoit, en outre, de prolonger son action aux collectivités décentralisées (conseils régionaux, conseils généraux, conseils municipaux) auxquelles ont été transférées des prérogatives ainsi que des moyens de construction et d’entretien des établissements d’enseignement publics (G. L. SIKA, op. cit., p.66). Au demeurant, selon la manière dont elle est conçue, et en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque système éducatif, la décentralisation peut avoir des effets différents sur l’efficacité des systèmes éducatifs (N. HENAFF, 2003, p. 178). Dans ce cas, chaque collectivité décentralisée doit construire sa stratégie éducative pour impacter positivement son territoire. C’est dans ce contexte, que depuis sa prise de fonction le 17 juin 2013, le conseil régional de la Bagoué a engagé une dynamique de développement local. A travers sa politique de gestion participative, 162 villages de la Région ont été invités à présenter leurs besoins de manière hiérarchique. Tous ont identifié l’école comme leur première priorité. Le conseil régional de la Bagoué s’est donc engagé à s’approprier cette préoccupation de sa population estimée à 375 687 habitants (INS, RGPH, 2014). Et ce, d’autant plus qu’au niveau de l’éducation, la scolarisation est faible au Nord (M. TOURE, 2004, p.280). A cet effet, force est de constater que les disparités Nord-Sud au niveau de la scolarisation invitent voire obligent le conseil régional de la Bagoué à investir dans la scolarisation. Dans ce contexte, comment le conseil régional de la Bagoué peut-il relever le défi de l’équipement scolaire dans la région ? L’analyse des efforts du conseil régional couvre la première mandature qui s’étend de 2013 à 2018. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 20 METHODES DE COLLECTE DES INFORMATIONS Les méthodes utilisées pour collecter les données sont la recherche documentaire et les enquêtes de terrain. La recherche documentaire a permis de consulter le programme triennal et surtout les comptes administratifs du Président du conseil régional à la Direction Générale de la Décentralisation et du Développement Local (DGDL). Le programme triennal renseigne sur les équipements scolaires programmés dans les différentes localités tandis que le compte administratif donne des informations précises sur les établissements scolaires effectivement réalisés ou réhabilités. Ces informations sont complétées par des données de la Direction régionale de l’éducation nationale (DREN). Les enquêtes de terrain se limitent à l’observation directe de l’état des établissements scolaires et à des entretiens avec les responsables du conseil régional en charge de l’éducation et de la formation sans oublier les autorités scolaires (Direction d’école, Inspecteur de l’Enseignement primaire, Directeur régional) et les chefs coutumiers ou traditionnels. 1.Etat des lieux des equipements scolaires avant la mise en place du conseil regional L’état et le déficit flagrant des équipements y compris les résultats scolaires lors de la prise de fonction du Conseil régional laisse paraître un portrait peu reluisant. 1.1 Des équipements scolaires en mauvais état Les infrastructures scolaires observés sont dans un mauvais état. Certaines infrastructures sont complètement détruites tandis que d’autres sont dans un état de dégradation très avancée. Des murs vétustes dépourvus de toitures, des plafonds ou tableaux décollés, des tables-bancs abîmées, des salles trouées non crépies ni peintes et sans électricité, des salles non terrassées et sans fenêtres et des bâtiments aux portes abîmées sont les signes révélateurs du mauvais état des infrastructures d’éducation de la région de la Bagoué. Quand les équipements ne sont pas détruits, délabrés, ou inachevés alors c’est la nature qui pose problème. La nature des équipements est variable selon que l’environnement dispose. Dans certains villages une salle de classe est égale à l’addition de tables-bancs, de feuilles de palmiers surmontées par de la paille. Ce genre de salle est vulnérable au climat le moins La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 21 susceptible de nuisance. Ailleurs l’équivalent d’une salle est un bâtiment en terre rouge battue coiffé de feuilles de tôle (photo i). Là encore il faut souligner que les tables-bancs détériorés sont remplacés par des bidons jaunes jadis contenant de l’huile. Ce type de salles soumet l’école aux variations climatiques et à l’insécurité. Source : conseil régional de la Bagoué, 2014 Photo no1 : Une salle en 2013 avec une feuille de tôle arrachée et des bidons comme bancs Cette précarité de l’équipement scolaire se renforce avec la fabrique de salles avec de la paille (photo ii). Ces types d’écoles en paille, montrant la précarité des équipements, sont répandues en Afrique. C’est le cas au Niger où le Programme Sectoriel de l’Education et de la formation (PSEF) révèle que 40 % des élèves étudient dans des classes de fortune construites en paillote ou en d’autres matériaux précaires (Fonds commun sectoriel de l’éducation, 2020, p. 1). Pis encore, ces écoles en paille qui sont des dangers à cause de l’insécurité surtout du risque incendie sont considérées comme des « tombes ou des cerceuils inflammables ». C’est ce drame qui a frappé le Niger dans une école de paille de Maradi le 08 novembre 2021 où un incendie a entrainé la mort de 25 enfants et 14 blessés dont 5 dans un état grave. Ce tragique évènement qui a endeuillé le Niger a obligé le Conseil des Ministres à La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 22 interdire les classes en paillote sur toute l’étendue du territoire1. Si l’offre en équipement scolaire n’est pas précaire dans certaines zones ou localités, elle est insuffisante. Cette insuffisance entraine le développement du secteur privé éducatif. C’est la cas dans les zones périphériques de la ville de Ouagadougou. Dans ces zones de Ouagadougou, l’offre scolaire est insuffisante et essentiellement privée. Déjà en 2002, Baux et al. (2002 : 35), dans leurs travaux sur l’offre et la demande d’éducation à Ouagadougou, faisaient le même constat lorsqu’ils écrivaient : « les zones périphériques disposent généralement d’une offre scolaire insuffisante en regard du potentiel d’enfants à scolariser ; situation qui est inverse dans les quartiers centraux » (D. Boly, 2017, 172). Dans ce contexte, ces zones périphériques présentent une situation d’insuffisance souvent comparable au milieu rural. Photo no2 : Une salle de classe paillée dans la Bagoué avant 2013 Source : conseil régional de la Bagoué, 2014 1.2 Un déficit flagrant des équipements scolaires et du personnel d’éducation La nature des équipements et leur état montrent clairement qu’il y a des insuffisances. Qu’ils s’agissent des tables-bancs, des salles de classes, du matériel didactique, des cantines, de l’électrification ou de l’adduction en eau potable ou 1 Conseil des Ministres du 08 Novembre 2021 au Niger La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 23 encore des logements des enseignants, le déficit est manifeste. Le manque d’enseignant ne fait qu’exacerber la situation. En effet, la crise militaro-politique avec pour corollaire l’abandon des écoles par les enseignants a rendu informel l’encadrement scolaire et pédagogique. Ces sont des enseignants bénévoles qui ont tenu des classes pour donner une lueur d’espoir aux enfants. Malgré le rédeploiement post-crise des enseignants, les statisques d’encadrement pédagogique sont inférieures à 50 %. 2.Les actions du conseil régional en faveur de l’equipement scolaire du territoire Pour relever le niveau des élèves et la qualité de l’enseignement, le conseil régional a investi la majeure partie de son budget d’investissement de 2013-2017 dans l’éducation. Ainsi ce sont 1 628 000 000 f CFA soit 62 % du budget consacré à ce secteur. Cet engagement s’est exprimé par plusieurs actions concrètes sur le terrain. 2.1 Les actions de réhabilitation Les travaux de réhabilitations concernent les salles et les logements des instituteurs. Le nombre de bâtiments varie selon que l’on soit au primaire ou au secondaire. 2.1.1 Les actions de réhabilitations des écoles primaires Au niveau du primaire, quarante-six (46) salles de classes d’une valeur de 147 000 000 f CFA ont été réhabilitées dans les localités et sous-préfectures (s/p) suivantes : M’Bélé (s/p de Tengrela), Poundiou (s/p de Siempurgo), Nongana (s/p de Baya), Blédiéméné (s/p de Kolia), Poniakélé (s/p de Gbon), Sienrè (s/p de Kasséré), Tianasso (s/p de Sianhala) et Zanasso 2 (s/p de Sianhala), Ziasso (s/p de Gbon), Douasso (s/p de Sianhala), Tabakoroni (S/P de Kouto), Tiébi, Fimbiasso. Il y a également neuf (9) logements de maîtres d’un coût de 48 000 000 f CFA qui ont été réhabilitées à Ganaoni (2), Féni (2), Mahalé (s/p de Gbon), Nongana (s/p de Baya), Sienrè (s/p de Kasséré), Lomara (s/p de Kanakono), Pongafré (S/P de Kasséré), Kébi (S/P de Boundiali) (voir carte i). 2.1.2 Les réhabilitations des établissements secondaires Au niveau du secondaire 52 000 000 f CFA ont été consacrés à la réhabilitation de trente (30) salles de classe dans le collège de Kasséré et le lycée moderne de Tengrela (voir voir carte no1). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 24 Carte no1 : Localisation des salles de classes réhabilitées 2.2 Les nouvelles constructions d’établissements scolaires Les constructions prennent en compte les salles de classe, les cantines, les logements des instituteurs et les bureaux. L’importance des investissements est fonction du niveau. 2.2.1 Les nouvelles écoles primaires construites Les constructions réalisées sont : -Soixante-neuf (69) salles de classes pour un coût de 488 000 000 f CFA. Elles ont vu le jour dans les localités et sous-préfectures (s /p) suivantes : Zouanégué (s/p de Kasséré), Niguédougou (s/p de Boundiali), Tiendérimé (s/p de Tengrela), Katiendé (s/p de Siempurgo), Bougoula (s/p de Blésségué), Zaguinasso (s/p de Kouto), Gbini (s/p de Blésségué), Nangbélékaha (s/p de Siempurgo), Tiempa (S/P de Tengrela), La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 25 Beniasso (S/P de Débété), Ganaoni, Blésségué, Papara, Sokoura, Nagakaha, Dendarasso, San, Danzourou, Zaguinasso. -Vingt (20) cantines scolaires évaluées à 94 000 000 f CFA. Les bénéficiaires sont les populations des localités et sous-préfectures (s /p) suivantes : Kantara (s/p de Kolia), Tounvré (s/p de Gbon), Koulousson (s/p de Tengrela), Popo (s/p de Kanakono), Karakpo (s/p de Ganaoni), Koffré, N’Dara, Niempurgué, Sianhala, Samorrossoba, Pourou, Débété. -Vingt-deux (22) logements sociaux ont été construits pour améliorer les conditions de travail des instituteurs des espaces œcoumènes suivants : Ganaoni, Toungboli (s/p de Kasséré), Zouanégué (s/p de Kasséré), Tiendérimé (s/p de Tengrela), Kotou (s/p de Tengrela), M’bia (s/p de Boundiali), Guinguéréni (s/p de Boundiali), Bolondo (s/p de Ganaoni), Niguedougou (S/P de Boundiali), Bougoula (S/P de Blésségué), Lafi (S/P de Kasséré), Nangbélekaha (s/p de Siempurgo), Katiendé, Katièrè, Yébéguinavovo, Tomba, Kapégué, Kokari. Cet investissement s’élève à 246 000 000 f CFA. 2.2.2 Les nouveaux établissements secondaires Au secondaire, ce sont 24 salles de classes soit six (6) bâtiments de quatre (4) salles chacun qui ont été bâtis. A cela s’ajoute la construction de bureaux. La répartition des bâtiments se fait comme suit : Lycée de Boundiali (2), Lycée de Gbon (1), collège de Kolia (1), Lycée Ziguitié de Kouto (1), Collège base 4 en construction à Kanakono (1) en cours. L’ensemble de ces réalisations a nécessité un investissement de 200 000 000 f CFA (voir carte no2). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 26 Carte no2 : Localisation des nouvelles salles de classes construites 2.3 Les actions en faveur des equipements internes et d’accompagnement de la scolarisation régionale Il s’agit ici des équipements comme les tables-bancs, du matériel informatique et de bureau ainsi que des cantines scolaires et des logements de maîtres. Ces équipements rendent opérationnelles les salles de classes construites et encouragent la scolarisation. 2.3.1 Les actions en faveur des équipements de travail et administratives 2.3.1.1 La distribution des tables-bancs Pour que les salles de classes construites soient en mesure d’offrir les conditions d’apprentissage, il faut les doter de tables-bancs. A cet effet, ce sont au total 3500 tables-bancs qui ont été distribués dont 2950 tables-bancs pour le primaire et 550 pour le secondaire. Ces tables-bancs ont mobilisé 103 000 000 f CFA (photo iii). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 27 Photo iii : Les tables-bancs offerts aux trois départements Source : Conseil régional de la Bagoué, 2014 En plus de tables-bancs, le conseil régional de la Bagoué a doté tous les établissements secondaires, l’Inspection de l’Enseignement Primaire (IEP), l’antenne pédagogique et le Directeur régional de l’Education nationale de vingt (20) ordinateurs et de dix (10) imprimantes. L’action se voit aussi dans la distribution de meubles bureautiques pour servir de support de travail de socle aux matériels informatiques reçus préalablement. Les actions du conseil ne s’arrêtent pas à ce niveau. Il accorde des subventions aux établissements scolaires pour organiser des journées d’excellence ou de méritocratie scolaire, journées au cours desquelles les meilleurs élèves sont célébrés. Durant la célébration, des ordinateurs, des tablettes ou matériels livresques sont remis aux élèves méritants. Le conseil régional octroie des bons de réduction à la scolarisation pour soutenir les familles démunies ou les orphelins. Si tout le monde n’a pas accès aux bons de réduction, les kits scolaires sont distribués aux élèves de toutes les classes sociales. Il s’agit souvent de cahiers, de stylos à billes, d’ensemble géométrique et d’un sac à dos pour contenir les autres éléments du kit scolaire. Jusqu’ici, nous voyons à quel point le conseil régional intervient dans le secteur de l’éducation. Il contribue à créer les La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 28 conditions d’une bonne organisation des examens de fin d’année scolaire. Cette contribution se traduit dans la prise en charge du transport et de l’aménagement des tables- bancs dans les centres d’examens. Par ailleurs, le conseil est intervenu dans la résolution d’un conflit scolaire portant sur la localisation d’un site de construction d’une école primaire à Kanakono. En effet, un conflit d’intérêt entre Sénoufo et Malinké est survenu à Kanakono quand le conseil a décidé d’y construire une école. Cette tension s’explique par le fait que la majorité des équipements se trouvent au quartier Malinké et pour cette énième fois les autochtones Sénoufo ont voulu que l’école soit construite dans leur quartier : c’est le nerf de la mésentente. Conscients des risques que pourraient causer un conflit intercommunautaire, le conseil régional et la Direction régionale de l’Education Nationale ont dépêché une mission d’intermédiation pour calmer les esprits et trouvé un site qui arrange les deux communautés. 2.3.1.2 La construction d’équipements d’accompagnement Il s’agit des cantines scolaires et des logements de maîtres. Le conseil régional soucieux de la prise en compte de la variable alimentaire dans le processus de scolarisation, a investi dans la construction de cantines scolaires. Ce souci du conseil se justifie par l’impact positif de la présence des cantines dans les écoles. Les travaux de plusieurs chercheurs et institutions de développement ont fait ce constat. A cet effet, depuis 1989, le gouvernement ivoirien a conclu un accord avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM) visant à mettre en place un Programme national d’alimentation scolaire. Ce programme initié avec la construction de 277 cantines a atteint 4 000 en 2004, quinze ans après, soit un taux de couverture de 50 % (Direction Nationale des Cantines Scolaires, 2006, p.2). Selon cette Direction, les études d’impact révèlent que la construction d’une cantine dans une école a pour effet, dans les deux ans qui suivent, une évolution du taux de scolarisation de l’ordre de 15 %, une réduction de moitié des taux d’abandon et de redoublement et un accroissement des taux de réussite de 15 %. (Direction Nationale des Cantines Scolaires, op. cit., p.7). Au Sénégal, le gouvernement a également compris que combattre la faim à l’école est une dimension importante de toute politique éducative (Consortium pour le La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 29 recherche économique et sociale, 2008, p.4). Le Sénégal adopte ainsi cette stratégie des cantines scolaires pour accélérer la scolarisation primaire. Au demeurant, l’approvisionnement des cantines influence le taux de fréquentation de l’école par les élèves. A cet effet, lorsque les cantines sont approvisionnées, les élèves viennent régulièrement à l’école. Mais dès qu’il y a rupture de stock, les absences se multiplient (K.Touré, 2017, p. 243). Dans ce contexte, cet auteur constate que l’impact des cantines scolaires dans le primaire est limité par la faible couverture nationale et les dysfonctionnements qui caractérisent leur gestion. Par conséquent, un programme intégré de pérennisation des cantines scolaires (PIP/CS) a été mis en place en côte d’Ivoire pour accompagner la scolarisation et même lutter contre la pauvreté rurale. Avec le succès de ce programme dont la Côte d’Ivoire est la pionnière, des bailleurs de fonds (Japon, Canada, PNUD, etc.) ont décidé de soutenir l’alimentation scolaire. En Afrique, le Togo, le Congo-Brazzaville et la Guinée ont manifesté leur intérêt pour ce type de projet scolaire. A la clôture de la Journée Africaine de l’Alimentation Scolaire (JAAS), le 1er Mars 2019 à Abidjan le VicePrésident de la République de Côte d’Ivoire affirmait : « Avec plus d’un million d’écoliers qui prennent des repas chauds, le budget au programme sur les six dernières années est estimé à 16,2 milliards de F CFA ». Le conseil régional a compris cette importance des cantines scolaires dans une région où le taux de scolarisation est faible et l’insécurité alimentaire post-crise était une réalité. Selon les Directeurs d’écoles primaires interrogés dans cette région, les cantines scolaires sont un puissant instrument pour éviter les abandons scolaires et d’encouragement des parents élèves à maintenir leurs enfants à l’école. Ainsi, le conseil a construit dix (10) cantines dans les localités suivantes : Débété, N’Dara, Samorossoba, Kofré, Sanhala, Tounvré, Niempurgué, Karakpo, Pourrou et Popo (voir carte no3). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 30 Carte no3 : Localisation des cantines scolaires construites A ces cantines s’ajoutent les logements des instituteurs pour améliorer leurs conditions de vie. Ces sont quinze villages qui sont équipés en logements : Kapégué, Kokari, Tienderime, Kotou, Bougoula, Toungboli, Tomba, Lafing, Bolonda, Kadiendé, Katéné, M’Bia, Guinguéréni, Niguèdougou, Ganoni (voir carte no4). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 31 Carte no 4 : Localisation des logements de maîtres construits 3. Les effets des actions scolaires du conseil regional 3.1 Une amélioration significative des taux de réussite scolaire En effet, la plupart des résultats scolaires étaient en deçà de la moyenne nationale en 2013 date de la prise de fonction du Conseil régional. Pour le baccalauréat et le Brevet d’Etudes du Premier Cycle, on avait respectivement 30,48 % et 31,14 % en 2013 contre des moyennes nationales respectives de 33,58 % et 40,14 %. Le primaire enregistrait un taux très instable pour les années 2011, 2012, 2013 qui ont respectivement des taux de 51,60 % ; 32,30 % et 65,02 % contre une moyenne nationale d’environ 70 %. Les efforts consentis par le Conseil régional dans le cadre de la redynamisation du secteur éducatif a conduit inéluctablement à améliorer les résultats scolaires. Ce La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 32 succès s’est traduit par des taux de réussite élevés aux différents examens de ces quatre dernières années à compter de 2014 (voir tableau i). Tableau i : L’évolution du taux de réussite scolaire dans la région de la Bagoué de 2014 à 2017 Examen CEPE Statistiques 2014 2015 2016 2017 Inscrits 1792 1621 1786 1897 Présents 1777 1603 1778 1889 Admis 1627 1523 1753 1852 91,56 % 95,00 % 98,59 92,04 % Inscrits 1454 1482 1542 2584 Présents 1432 1465 1512 2564 Admis 1095 1091 1115 2095 76,47 % 79,32 % 73,74 % 81,71 % Inscrits 1181 1032 1066 1402 Présents 1159 1022 1058 1392 401 501 438 696 34,60 % 49,90 % 41,40 % 50,00 % Pourcentage BEPC Pourcentage BAC Admis Pourcentage Source : Direction régionale de l’Education, 2018 D’après cette figure, nous pouvons constater que depuis l’engagement conseil régional, les bons résultats traduisent une révolution scolaire. Au niveau du CEPE, le taux excelle entre 91 % et 99 %. Ailleurs dans le secondaire, ce taux oscille entre 73 % et 82 % pour le BEPC tandis qu’au BAC, il varie entre 34 % et 50 %. Hormis ces trois niveaux, les résultats ont été généralement améliorés dans la Bagoué, démontrant ainsi que le système éducatif dans la région se perfectionne au fur et à mesure. La place de première occupée au plan national par la région de la Bagoué au BEPC en 2017 est un exploit qui s’explique par la volonté du conseil de faire de l’école une priorité. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 33 3.2 Une croissance spectaculaire du taux de scolarisation La construction et la réhabilitation des salles de classes, la distribution de tablesbancs, de kits scolaires et les subventions à l’inscription ont permis une augmentation fulgurante du taux de scolarité dans les écoles de la Bagoué. Ainsi d’un taux de scolarisation de 35 % en 2013, l’on est passé à 71,2 % en 2017 soit le double du taux de 2013 (voir figure i). Dans ce contexte, la scolarisation des jeunes filles a connu des progrès salutaires. Figure i : Evolution du nombre d’élèves inscrits dans la région de la Bagoué de 2003 à 2018 45000 Nombre d'élèves 40000 35000 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 2013 2014 2015 2016 2017 2018 ELEVES URBAINS 28355 25096 25272 34579 38077 40528 ELEVES RURAUX 15197 23454 25475 25566 28642 31463 Années et table des données de représentation ELEVES URBAINS ELEVES RURAUX Source : Direction régionale de l’Education Nationale, 2018 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 34 Selon les enquêtes menées, les équipements d’accompagnement notamment les logements de maîtres, les cantines scolaires construites y compris le désenclavement avec l’aménagement de la route bitumée Boundiali-Tengrela par l’Etat ont joué un rôle dans cette révolution scolaire impulsée par le Conseil régional. Malgré les efforts consentis par le Conseil régional, la proportion d’enfants réfusés pour capacité d’accueil insuffante est de 77 % en milieu rural et 90,9 % au niveau urbain (Ministère de l’Education nationale, 2018, p. 53) et 2,3 % des élèves doivent parcourir entre 3 et 5 km pour arriver à l’école (Ministère de l’Education nationale, op. cit., p. 56). Il y a également d’autres aspects à prendre en compte dans l’indice d’équipement des établissements scolaires notamment les latrines ou toillettes et le raccordement aux réseaux d’eau, d’électricité et d’internet. Le conseil régional en est conscient mais l’insuffisance des moyens oriente les investissements scolaires vers les urgences et les priorités. Conclusion Le conseil régional de la Bagoué a été très actif dans la dotation de son territoire en équipements scolaires. Les efforts menés dans un contexte de sous-équipement scolaire post-crise se traduisent par la mobilisation d’importants investissements dans la construction de salles de classe, de logements de maîtres, de cantines scolaires sans oublier les équipements internes notamment les tables-bancs, le matériel informatique et de bureau. Si les salles de classes construites marquent actuellement le territoire, il n’en demeure pas moins que les cantines scolaires ont été d’un apport remarquable dans la lutte contre les abandons scolaires et les progrès notables réalisés dans les taux de réussite et de scolarisation. La région de la Bagoué commence ainsi un processus de révolution scolaire à encourager. L’exploitation des avantages de la coopération décentralisée par le conseil régional peut aider à pérenniser cette révolution scolaire. Par ailleurs, les mutuelles et associations de développement sans oublier les fondations privées et les cadres de la région doivent accompagner les actions et les efforts d’ équipement scolaire et d’éducation du conseil régional. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 35 Références bibliographiques BOLY Dramane, 2017, Les inégalités scolaires au primaire à Ouagadougou dans les années 2000, Thèse de Doctorat, Université Paris-Descartes, CEPED/UMR 196, 365 p. CONSORTIUM POUR LE RECHERCHE ECONOMIQUE ET SOCIALE, 2008, Evaluation de l’impact des programmes de cantines scolaires sur les performances des écoles primaires rurales au Sénégal, Dakar, 76 p. DIRECTION NATIONALE DES CANTINES SCOLAIRES, 2006, Programme intégré de pérennisation des cantines scolaires, Porte d’entrée du développement local, Ministère de l’Education nationale, Abidjan, 10 p. 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La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 37 COMMUNALISATION ET TRANSFORMATION DES ESPACES RURAUX DE BONDOUKOU Foussata DAGNOGO Maître assistant,, Université Peleforo Gon COULIBALY, Korhogo, fouss105@yahoo.fr Koffi KOSSONOU Docteur, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY, Equipe de Recherche Espace Système et Prospective (ERESP), Institut de Géographie Tropicale, Abidjan (Côte d’Ivoire) kossonoukoffi70@gmail.com Abou DIABAGATE Maître de Conférences, Université Félix HOUPHOUET-BOIGNY, Equipe de Recherche Espace Système et Prospective (ERESP), Institut de Géographie Tropicale, Abidjan (Côte d’Ivoire) aboudiaba76@yahoo.fr Résumé Les relations ville-campagnes sont un domaine d’étude exploré dans diverses régions à travers le monde. Elles fournissent une multitude d’informations quant aux influences réciproques pouvant exister entre la ville et la campagne. Baptisée, à raison, « ville aux mille mosquées », la ville de Bondoukou au Nord-est de la Côte d’Ivoire, forme depuis 1980, avec une douzaine de villages et campements, la commune de Bondoukou. Les villages de Soko, Abéma, Wolékéi et Koké sont les principales localités périphériques de cet espace. Du fait de la proximité et de l’appartenance à une même circonscription administrative, ces localités rurales entretiennent des relations étroites avec la ville qui ne sont pas sans profits pour elles. C’est dans ce contexte que se pose aujourd’hui la question du rôle de la communalisation dans la transformation du milieu rural. À partir de données quantitatives et qualitatives collectées entre 2018 et 2019, cet article montre que la communalisation a certes apporté un peu de modernisation dans les villages mais son action reste limitée dans transformation du milieu rural. Mots clés : Bondoukou, commune, relations, périphéries, transformation. Abstract City-countryside relationships is a field of study explored in various regions around the world. They provide important information about the reciprocal influences existing between the city and the countryside. Baptized, rightly, "city of a thousand mosques", the city of Bondoukou in north-eastern Côte d'Ivoire, forms since 1980, with a dozen villages and camps, the town of Bondoukou. The villages of Soko, Abema, Wolekéi and Koké are the main tenants of this space. Because of the La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 38 proximity and belonging in the same administrative district, these rural localities have had a very close relationship with the city which is not without benefits for them. It is in this context that the question arises today of the role of communalization in the transformation of the rural environment. Based on quantitative and qualitative data collected between 2018 and 2019, this article shows that communalization has certainly brought a little modernization in the villages, but its action remains limited in the transformation of the rural environment. Keywords: Bondoukou, town, relations, peripheries, transformation. Introduction La décentralisation se définit comme un mouvement de réforme politique et administrative permettant de céder, en nombre variable et selon différents dosages, des fonctions, des responsabilités, des ressources, des pouvoirs politiques et budgétaires aux échelons inférieurs de l’État, que sont : les régions, les districts, les municipalités ou les organes émanant de la décentralisation de l’autorité centrale (M. Soumahoro, 2015) 1. Elle a pour objet de donner aux collectivités locales (régions communes, et communautés rurales) les capacités pour leur développement économique et social, notamment en renforçant leur autonomie vis-à-vis du pouvoir central et de favoriser, par la même occasion, un système dans lequel les responsabilités sont partagées aussi bien par le pouvoir central que par les populations locales censées être les bénéficiaires (M. Soumahoro, 2015, p.52). La communalisation est une politique de décentralisation qui consiste à créer des communes. Ces entités territoriales sont de petites tailles et dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Les communes en Côte d’Ivoire débordent généralement le cadre strictement urbain jusque dans un rayon de 10 à 15 km pour regrouper les villages ou hameaux environnants. En Côte d’Ivoire, dans le cadre de la communalisation, en plus de la ville, la commune se doit d’intervenir dans les villages pour améliorer les conditions de vie des populations rurales. Avec l’autonomie financière prévue, cette politique vise non 1 Cet article de M. Maclean a été cité par Moustapha Soumahoro dans Espaces et sociétés 2015/1-2 (n° 160-161), pages 51 à 66. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 39 seulement à réduire la grande dépendance des villes périphériques vis à vis d’Abidjan, la capitale économique mais aussi à faire des villes de l’intérieur des pôles et des animatrices de développement économique et social dans les villages. Dans cet environnement, la ville n’est pas une entité isolée dans l’espace géographique placé sous son commandement. Elle entretient de multiples relations avec son arrière-pays rural dont l’intensité dépend du dynamisme économique et social de la ville ellemême, de la richesse de l’arrière-pays rural et surtout des voies et moyens de transport et de communication (G. K. Nyassogbo, 2003, p.1). Aujourd’hui, les résultats de cette politique de communalisation sont mitigés. Si certaines villes ont plus ou moins réussi ce pari, d’autres par contre peinent à polariser et surtout à apporter la modernisation dans les villages environnants. Dans ce contexte, une analyse des conséquences des relations ville-campagnes dans la transformation du milieu rural dans la commune de Bondoukou peut s’avérer nécessaire et pertinente. La ville de Bondoukou au nord-est de la Côte d’Ivoire, forme aujourd’hui, avec une douzaine de villages et campements, la commune de Bondoukou. Les villages de Soko, Abéma, Wolékéi et Koké sont les principales localités périphériques de cet espace. Du fait de la proximité et de l’appartenance à une même circonscription administrative, ces localités rurales entretiennent des relations très étroites avec la ville qui ne sont pas sans profits pour elles. Dans ce contexte, quel est l’apport de la commune de Bondoukou dans les mutations observées dans les localités rurales ? Pour répondre à cette question, il s’agira d’abord de décrire les caractéristiques fondamentales de la commune de Bondoukou. Ensuite, il sera question d’identifier la nature et l’intensité des relations entre la ville de Bondoukou et les villages environnants. Enfin, la dernière partie sera consacrée à analyser des conséquences de l’action communale dans la transformation économique, sociale et spatiale des villages communaux. 1-Caractéristiques du milieu physique et humain de la commune de Bondoukou De façon générale, le développement des communes dépend aussi des atouts humains que du milieu physique. La ville de Bondoukou, comme toutes les autres villes de la Côte d’Ivoire, entretient des relations avec son hinterland de sorte à La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 40 former une seule entité géographique dont il convient de dégager les caractéristiques. 1.1-DES CARACTERISTIQUES PHYSIQUES RELATIVEMENT BONNES Créée par la loi n°78-07 du 09 janvier 1978 portant institution de Communes de plein exercice en Côte d’Ivoire, la commune de Bondoukou ne fut fonctionnelle qu’en 1981. Cette commune s’étend sur une superficie de 10.000 km² dont 924 km² urbanisés 2. La partie rurale de la commune est composée de douze villages à savoir : Abema, Assiman, Dua Kouamé, Goly, Guimini, Motiamo, Sanguéhi, Soko, Takoutou, Wélékéi, Zanzan 1 et Zanzan 2 et de six campements qui sont : Alladougou, Digoweri, Kongodjan, Sama, Tagba 1 et 2. Sur le plan national, Bondoukou est l’une des plus vieilles villes du pays. Capitale de la région du Gontougo, elle est située au nord-est de la Côte d’Ivoire, à environ 420 kilomètres d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. La région du Gontougo est composée de cinq départements à savoir : le département de Bondoukou, de Tanda, de Transua, de Koun-fao et de Sandégué. Le département éponyme est, quant à lui, composé des sous-préfectures de Bondoukou, Soro-Bango, Appimandoum, Pinda-Boroko, Tabagne et Gouméré. Le relief de la commune de Bondoukou est relativement plat. La végétation est une alternance de savanes arborées et de forêts galeries. On a une forêt au sud et à l’est de la commune tandis qu’au nord se trouve une savane arbustive. Sur le plan topographique, la commune de Bondoukou se situe dans le versant Sud d’un plateau découpé dans ses parties Est et Ouest par un marigot principal : le Wamo et ses affluents qui tarissent en saison sèche. Les plaines alluviales occupent 9,4 % de l’espace régional. Avec un climat relativement sec, la commune de Bondoukou est située dans la zone chaude et ensoleillée de la Côte d’Ivoire. Ce faisant, pendant la brume (période d’harmattan), de décembre à février, les températures avoisinent 40°C la journée et 35°C la nuit. C’est la période la plus chaude de l’année. Par ailleurs, depuis 10 ans, la distribution de la pluviométrie est pratiquement mauvaise avec une moyenne annuelle inférieure à 1200 mm de pluie et des saisons sèches de 2 http://www.mairiebondoukou.com/IMG/pdf/monographie_de_bondoukou_1.pdf La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 41 plus en plus régulières de 8 mois dans l’année. Avec cette pluviométrie non satisfaisante, cette zone constitue la partie de la Côte d’Ivoire la moins arrosée. Les sols y sont jugés médiocres et la couverture végétale est fortement dégradée. 1.2-UNE POPULATION COMMUNALE INEGALEMENT REPARTIE Devenue aujourd’hui district, un faible poids démographique caractérise la région du Zanzan. Avec 11,8 % de la superficie du territoire national, cette région n’est occupée que par 934 952 habitants, soit 4,1 % de la population totale ivoirienne (RGPH, 2014). La région a une densité moyenne de 24,5 hbt/ km² alors que la moyenne nationale est de 70,5 hbt/km². Cette population régionale est aussi inégalement répartie. Le secteur autour Bouna est le moins peuplé avec 10 habitants au km². Le secteur départemental de Bonkoukou est de 50 hbt/ km² tandis que dans la zone Sud de la région (Kounfao, Transua, Assuéfry), la densité dépasse la moyenne nationale (RGPH, 2014). Selon ce dernier recensement, la population communale totale était estimée à 117 453 habitants. La ville de Bondoukou compte, à elle seule, 88 783 habitants soit 75,59% de la population communale. La répartition par village au sein de la commune révèle également des disparités. Le village de Soko est le plus peuplé avec une population de 6 501 habitants suivi de Motiamo avec 1779 habitants. Le village de Guimini a la plus petite population avec seulement 347, soit 0,30 % de la population. 1.3-UNE COMMUNE A FONCTIONS VARIEES A l’instar des autres villes, la ville de Bondoukou se différencie de son environnement rural par ses services et sa fonction urbaine. Une énumération des fonctions urbaines et rurales est donc nécessaire pour mieux comprendre le fonctionnement de la commune. -Bondoukou : une ville de services Chef-lieu de région, Bondoukou abrite les services publics, parapublics et privés régionaux et départementaux. Les services publics concernent entre autres : la préfecture, la sous-préfecture, la mairie, la direction générale du trésor et de la comptabilité publique, l’Office de Commercialisation des Produits Vivriers (OCPV), l'Agence Nationale d'Appui au Développement Rural (ANADER), la préfecture de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 42 police, le commissariat de police, le peloton mobile de gendarmerie, un poste de douane, un camp militaire, l’inspection primaire publique, l’Institut d’Hygiène Publique (INHP), l’Hôpital psychiatrique, le centre médico-scolaire, le district sanitaire et surtout le Centre Hospitalier Régional (CHR). A côté de ces services, on compte de nombreux services parapublics à savoir : la Société de Distribution d'Eau de Côte d'Ivoire (SODECI), la Compagnie Ivoirienne d’Electricité (CIE), CI-Télécom et la poste. Quant aux services privés, ils concernent les agences de sociétés de réseau téléphonique (Orange, MTN, Moov), les coopératives, les banques (SGBCI, COBACI, Banque Atlantique), les microfinances (CPZ, CMEC, COOPEC, CNCE), les assurances, quelques entreprises économiques (une scierie, quatre boulangeries). On y trouve aussi plusieurs équipements hôteliers qui souffrent par contre d’un manque de qualité au niveau des services3. En plus de ces services, on note une forte présence d’établissements scolaires. En 2010 par exemple, le nombre d’élèves était déjà estimé à 16 440, soit 1/3 de la population communale. Ce sont le lycée moderne public, le lycée moderne privé, le collège moderne public, cinq collèges modernes privés, un centre de Formation professionnelle. L’activité industrielle à Bondoukou est extrêmement faible avec une seule usine de transformation de bois, une société d’extraction de minerai (manganèse). L’artisanat et le secteur informel sont les secteurs les plus diversifiés de l’économie dans la commune. Ils s’étendent des métiers du bâtiment aux métiers du bois en passant par ceux du textile, des métaux à ceux du cuir. Leur part dans l’assiette communale est estimée à environ 24 millions par an. On note également de nombreuses stations et boutiques de type bazar (magasin où l’on vend toutes sortes d’articles telles que : les quincailleries, les produits phytosanitaires), de type mauritanien, où se trouvent les biens de consommation courante (huile, savon, riz, lait, etc.), de type alimentation, même type que le type mauritanien mais structuré et spacieux et se localise dans centre-ville. En ce qui concerne les activités informelles, la ville possède un grand marché. Ce dernier regroupe l’essentiel des activités commerciales informelles. On y trouve une large gamme de produits issus de la production locale (les vivriers et les 3 Enquêtes de terrain 2019 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 43 cultures d’exportation) auxquels s’ajoutent les produits manufacturés : produits cosmétiques, pagnes, tissus, vélo, appareils électroménagers, chaussures, friperie, etc. Enfin, on a les magasins de stockage qui stockent les produits agricoles (anacarde, igname en général). L’activité agricole urbaine est faible à Bondoukou. Environ 10% seulement de la population exercent cette activité qui concernent les produits vivriers, les cultures maraîchères comme la salade, le chou, la tomate, aubergine, le gombo, etc.4 . On trouve également dans la ville des champs d’ignames et de manioc. Ces cultures sont pratiquées dans des lots non bâtis de la ville ou dans les bas-fonds. En plus de ces activités agricoles, il existe au sein de la ville des activités pastorales (porcins, bovins, volaille). -Un milieu rural essentiellement agricole Dans les villages, la seule structure d’encadrement agricole est l’ANADER. Toutefois, l’encadrement technique et financier de l’ANADER, au sein de la commune, reste insuffisant. Seulement 23.5% des paysans de la commune en bénéficient5. Ce faisant, les techniques culturales restent dans l’ensemble traditionnelles avec une agriculture itinérante et extensive. L’agriculture est essentiellement composée de cultures de rentes (l’anacarde), de cultures vivrières (l’igname6, le maïs, le taro, la banane plantain, le manioc) et de cultures maraichères (gombos, tomates, piments, aubergines, etc.). A cela, il faut ajouter l’élevage qui malheureusement est pratiqué par très peu de personnes. On constate que la commune de Bondoukou bénéficie des conditions physiques et humaines favorables à son développement. Le relief est peu accidenté, la pluviométrie est relativement abondante et la population est jeune à l’instar de l’ensemble du pays (RGPH, 2014). Sur le plan administratif et économique, la ville de Bondoukou en plus de nombreux services publics, parapublics et privés qu’elle offre 4 http://www.mairiebondoukou.com/I MG/pdf/monographie_de_bondoukou_1.pdf http://www.mairiebondoukou.com/IMG/pdf/monographie_de_bondoukou_1.pdf 6 Bondoukou est l’un des marchés les plus importants de l’igname en Côte d’Ivoire. Selon l’Institut National de la Statistique, elle occupe près de 70% de la population active communale. 5 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 44 aux citadins et aux ruraux, possède des équipements et infrastructures économiques capables de satisfaire le milieu rural. Ce dernier, aussi par sa fonction agricole, est un atout pour le développement des activités commerciales avec la ville. Cette différenciation des fonctions entre la ville et les villages est source de relations diverses entre les deux milieux. 2-Importance des relations ville-campagnes et de l’action communale dans les villages Dans la commune de Bondoukou, la ville et les villages entretiennent diverses relations à intensités variables. Ces relations sont analysées sur les plans économiques, administratifs et scolaires mais aussi sociaux et culturels. 2.1-NATURE DES RELATIONS ENTRE LA VILLE DE BONDONKOU ET SON HINTERLAND -Des relations économiques réciproques La réponse paysanne à la demande urbaine croissante en Côte d’Ivoire se traduit par le développement dans le Nord de systèmes de production fondés sur la culture de l'igname précoce, particulièrement rémunératrice, et dans le Sud par l'association des vivriers et du couple café-cacao, qui permet, à la fois, aux cultivateurs d'assurer la subsistance de la cellule familiale, de produire les denrées les plus rentables et d'augmenter leurs revenus en nourrissant les villes (J. L. Chaléard et A. Dubresson, 1989, p. 285). La ville de Bondoukou adresse aux villages de sa périphérie une demande en produits agricoles qu’elle ne peut produire par elle-même. Il s’agit principalement de produits vivriers (igname, maïs, banane, manioc, différents fruits et maraichers). Pour répondre à cette demande sans cesse croissante et parfois exigeante, les populations rurales se concentrent plus sur les cultures saisonnières, beaucoup plus rentables. Dans ce contexte, les terres marécageuses, les bas-fonds, et les rives des retenues d’eau deviennent des centres d’intérêt en raison de leur valeur agronomique. Toutefois, les cultures pérennes comme l’anacarde et le cacao ne sont pas oubliées. Des centrales d’achat sont installées dans la ville, permettant aux paysans ruraux d’écouler leurs productions. Selon l’INS7 (2012), l’agriculture est le 7 Institut National de la Statistique de Côte d’Ivoire La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 45 premier secteur d’occupation de la population active communale de Bondoukou avec plus de 70% de celle-ci. Les jours de marché, les produits agricoles sont encore plus importants en ville car de nombreux habitants des villages profitent pour envoyer leurs produits agricoles stockés durant toute la semaine. Le marché de Bondoukou est, en effet, un marché à caractère quotidien avec une forte affluence le dimanche considéré comme le jour du marché. Photo 1 : Etales d’ignames au marché de Bondoukou Cliché : K. Kossonou, 2019 Dans le sens inverse, les populations trouvent dans la ville, les produits manufacturés provenant des industries de la capitale économique mais aussi les produits d’importation composés de produits alimentaires, des tenues vestimentaires, des produits pétroliers, etc. Les opérateurs économiques installés à Bondoukou (les commerçants surtout) trouvent ainsi en ces populations rurales, un marché de consommation appréciable. Les périodes de rentrée scolaire et de traite de la noix de cajou constituent pour eux des moments de "bonheur". La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 46 Figure 1 : Echanges entre la ville de Bondoukou et les villages communaux Produits agricoles d’exportation (anacarde, cacao) Cultures vivrières (igname, taro, manioc, banane plantain, maïs) et Maraîchères (tomates, aubergines, choux, …), animaux. Villages communaux Ville de Bondoukou Mouvement de personnes Biens de consommation (huile, sel, bouillon, etc.), Produits manufacturés (pétrole, torche, radio, vélo, chaussure, pile, etc.) Produits phytosanitaires. Source : Enquêtes de terrain, 2019 -Bondoukou, centre d’émanation du pouvoir administratif et pôle scolaire En plus d’être chef-lieu de commune, Bondoukou est également la capitale régionale du Gontougo. Son influence administrative va donc au-delà de l’aire communale. La ville abrite, de ce fait, les services départementaux et régionaux des démembrements de l’administration publique. La ville reste la seule alternative pour les élèves des villages communaux admis en 6ème. Car l’enseignement dispensé dans les villages ne va pas au-delà de la classe de CM2. Une grande partie des élèves orientés dans la ville vient ainsi chez des tuteurs. -Des relations sociales et culturelles ancestrales La ville est le creuset de peuplement de diverses sociétés d’origines variées. Les habitants de la commune de Bondoukou sont d’une hétérogénéité extraordinaire à l’image du melting-pot réussi par l’ensemble de la région. En effet, outre les peuples autochtones constitués de Gbin ; Dioula ; Nafana ; Koulango et Abron, la ville abrite une forte proportion des peuples des autres régions du pays et une communauté étrangère conséquente. Si le peuplement primitif de la ville est fait de Gbin, Lohron La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 47 et Dioula, les Koulangos, Nafanas et Abrons dans la ville sont en réalité des immigrés des villages de la périphérie proche ou lointaine à l’image des localités de l’espace communal. Ces derniers n’ont guère renié leurs origines et de ce fait entretiennent des relations étroites avec leurs parents restés dans les villages. Cela se manifeste, dans les deux sens, par des mouvements de personnes pour des motifs variés : visites ; funérailles ; mariages ; baptêmes, ... La nomenclature des quartiers est révélatrice de cet état de fait. En effet, quinze (15) des quarante (40) quartiers que compte la ville représentent les grandes familles à l’origine du peuplement. Aussi, certains villages renferment des sites et monuments touristiques qui font l’objet d’attraction de la population urbaine. On peut citer, entre autres, les singes sacrés de Soko, les potières de Motiamo, la cour royale du roi Pinango à Ouélékéi, etc. Ces atouts touristiques, inscrits au patrimoine historique communal, font l’objet d’attention particulière de la part du Maire et de son équipe. La fête de Kouroubi qui sanctionne la fin du mois de Ramadan chez les musulmans est d’une popularité sans pareille dans la région. Ce faisant, elle mobilise enfants, jeunes et vieux des villages chaque année, à la même période. Entre la ville et les localités de sa périphérie, existent donc des liens forts liés à l’histoire et à la richesse culturelle de chaque entité. 2.2-INTENSITE DES RELATIONS ENTRE BONDOUKOU ET SA PERIPHERIE RURALE Cette intensité se mesure à travers l’ampleur des mouvements quotidiens ou hebdomadaires entre la ville et les villages. Elle se mesure également à travers les quantités de productions agricoles commercialisées par les populations rurales. L’ampleur des mouvements de populations des villages vers la ville est fonction des jours de la semaine comme le témoigne le tableau I ci-après. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 48 Tableau I : Mouvements des ruraux selon le motif Vente Abéma Soko Solliciter de Se Visite un Simple Autr produi rendre de service promena es ts à parents administr agricol l’hôpita es l Total de atif Dimanche 52 12 08 02* 06 07 87 Jeudi 10 08 03 12 01 04 38 Dimanche 61 04 12 01* 04 21 103 Jeudi 02 09 11 04 16 50 08 Source : Nos enquêtes, Août 2019 *Pour un contentieux à la police A travers l’exemple des villages de Soko et Abéma, pris ici comme localités témoins, on constate que les mouvements des ruraux vers la ville sont plus intenses les dimanches quelle que soit la localité. La vente de produits agricoles est de loin le motif le plus présent (60% des déplacements). S’agissant des jours ordinaires comme les jeudis, une différence peut être observée entre les deux localités témoins : Abema, dépourvu d’infrastructure sanitaire, se trouve dans l’obligation de solliciter les centres de santé de la ville. D’où le nombre non négligeable de mouvements pour les motifs de santé et de sollicitude de service administratif. Soko, par contre, dispose d’un Centre de Santé Urbain (CSU) pourvu en médecin. Les structures sanitaires de la ville de Bondoukou ne sont sollicitées dans ces conditions qu’en cas de situations graves. L’intensité des mouvements pendulaires entre la ville et les villages, nous amène à parler de mouvement pendulaire dans la mesure où les ruraux ne viennent pas en ville pour y rester. Un pied dedans, un pied dehors comme le disaient J.L. Chaléard et A. Dubresson (1989, p.288), nulle part le paysan n'est véritablement coupé de la ville et nul citadin n'est sans rapport avec la campagne : les deux mondes s'interpénètrent. Dans la ville de Bondoukou, certains citadins ont leurs champs d’anacardes ou leur plantation de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 49 cacao dans les villages communaux qu’ils relient de façon saisonnière. La ville de Bondoukou offre également aux populations rurales les services dont elles sont en droit de bénéficier pour l’établissement de leurs documents administratifs, pour régler des contentieux, pour des loisirs, pour le paiement de factures etc. Pendant la rentrée, les villages se vident d’une partie de leurs jeunes (collégiens et lycéens) au profit de la ville. Les élèves ayant un tuteur en ville ne vont dans leur village respectif que les samedis ou les jours fériés. Les autres qui n’ont pas eu la chance d’avoir un tuteur ou un foyer rallient quotidiennement la ville à vélo. Figure 2 : Secteur communal de Bondoukou N Source : Kossonou, 2019 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Réalisation : Dagnogo Page 50 3-Rôle de la commune dans la transformation des villages Les différentes mutations intervenues dans les villages de la périphérie de la ville de Bondoukou, le sont plus par le fait des relations qui lient ces localités rurales à la ville et peu aux actions communales. Ces transformations sont physiques, économiques mais aussi sociales. 3.1-UNE INTERVENTION COMMUNALE LIMITEE DANS LES VILLAGES MALGRE… A l’instar des autres communes ivoiriennes, la commune de Bondoukou a connu depuis sa création, divers projets de développement. Cependant, les actions communales restent limitées dans les villages et ne concernent que le domaine scolaire, (réhabilitation de classes d’écoles primaires, construction de logements de maître), sanitaire (construction d’un préau à la morgue municipal et octroi de matériels aux centres de santé de Soko par exemple entre 2013 et 2018), le lotissement et l’adduction d’eau. Les mutations observées dans les villages sont en majorité l’œuvre d’autres acteurs de développement (Cadre, conseil régional ou départemental, relation ville/campagnes)8. …Des paysages villageois en modernisation Comparés à leur état primitif, les villages de la commune, chacun à son rythme certes, amorcent leur chemin vers le développement avec ou sans l’action municipale. Les éléments visibles de cette transformation sont, entre autres, la disposition orthogonale des rues (lotissement) ; des habitations construites avec du matériel relativement moderne (la maison en banco est un lointain souvenir) ; la présence de l’électricité entrainant un équipement des maisons (présence de télévision, de réfrigérateur, d’antenne parabolique). Au niveau architectural, l’habitat de cour, identité culturelle, est abandonné au profit de l’habitat individuel ou villa dotée de clôture avec toilettes intégrées. Ce qui contraste fortement avec les coutumes qui voudraient que la grande famille vive sous le même toit afin de faciliter le partage du repas et resserrer ainsi les liens familiaux. Le village de Soko, par exemple, dispose de certains services socio-collectifs de base. En effet, depuis 1970, le village est connecté au réseau d’électricité suivi d’une extension en 2002 à 8 Enquêtes de terrain 2019 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 51 l’actif de la mairie. Aussi, note-t-on la présence de deux châteaux d’eau construits, pour le premier, à la faveur des projets FIAU et le second à l’initiative de donateurs chinois avec toutefois une participation des populations locales à hauteur de cinq millions de francs CFA (5 000 000 F CFA). Le village enregistre également la présence de trois écoles primaires, d’un Centre de Santé Urbain (CSU), d’une aire de jeu et d’un marché couvert. Tous ces acquis ont radicalement transformé le mode de vie des populations dont une frange non moins importante s’initie dans des activités autres qu’agricoles. A Abéma, par contre, les populations attendent avec impatience la construction d’un château d’eau. En attendant, elles doivent se contenter des pompes hydrauliques vieilles de plusieurs décennies et d’un forage mis en service en 2018. Le village est peu pourvu en infrastructures : seule l’école primaire, construite dans les années 1983 à la faveur des projets FRAR, fait office d’infrastructure à laquelle on peut ajouter un terrain de jeu réalisé par les populations elles-mêmes. Il faut noter que l’hydraulique villageoise émane d’une politique de l’Etat qui est d’équiper tous les villages d’au moins une pompe villageoise. L’électrification et le téléphone sont le fait de services parapublics en collaboration avec l’Etat (avec son projet étatique d’électrification de tous les villages). Sur les douze villages de la commune, seuls trois bénéficient de l’électrification. Il s’agit des villages de Soko, d’Abéma et de Ouélékéi. …Des mutations économiques visibles Les activités économiques dans les localités rurales de l’espace communal connaissent de réelles mutations. Les activités agricoles sont orientées vers la production de cultures saisonnières en réponse à la demande exprimée par la ville de Bondoukou, chef-lieu également de la commune. Ainsi, en dehors de l’anacarde, culture pérenne régionale, les jeunes paysans se sont lancés dans la pratique de cultures maraîchères (tomate, aubergine, piment, gombo, ...). D’autres s’investissent dans la production de charbon ou du « koutoukou » (la liqueur locale faite à base de vin de palme). Ces dernières activités sont les secteurs dans lesquels les écoliers convergent pendant les vacances afin de faire face à leurs différents frais scolaires 9. A 9 Nous a confié le président des jeunes d’Abéma (enquête de terrain 2019). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 52 Abema, en plus de l’agriculture, les populations s’adonnent à d’autres activités pour augmenter leurs revenus (boutique, point de vente d’essence rencontrés çà et là). Dans le village de Soko, par contre, on note une existence d’activités tertiaires nonobstant la primauté des travaux champêtres (Cf. Tableau II). Tableau II : Inventaire des principales activités économiques non agricoles à Soko Salon Maqui Activité de s s coiffur cave e Effectifs 11 02 Cabine et s téléph Resta Vente Vente Kiosqu Répar Bout u- de essence e a i- rants matérie à café tions ques o- ls niques. constru / ction vélos 06 03 de 01 moto 08 03 07 16 Source : Enquêtes, Août 2019 La tertiarisation gagne peu à peu l’économie du village de Soko qui, plus qu’à Abéma, bénéficie de sa position frontalière. Cette localisation lui ouvre plus d’opportunités qu’à l’appartenance à l’aire communale. Toutefois, la proximité avec la ville de Bondoukou lui vaut le privilège d’accueillir une population non moins importante d’immigrés qui sont plus présents dans le commerce d’essence, pièces détachées pour engins à deux roues et dans les salons de coiffure et boutiques. …Des transformations sociales incontestables C’est au niveau social que les transformations sont plus frappantes, parfois à l’encontre des coutumes et traditions : la vie sociétale s’est fortement effritée au profit de la promotion de l’individualisme. Les valeurs morales telles que la solidarité, le respect des anciens, la tolérance sont des vertus rares dans les villages comme c’est le cas dans les villes. Tout porte à croire, au vu de cela, que la ville influence négativement les localités rurales de sa périphérie. Cependant, les comportements nouveaux importés de la ville par les villageois, leurs sont parfois bénéfiques comme c’est le cas du gaz butane intégré dans le mode de cuisson des aliments ; des habitudes alimentaires de plus en plus élargies aux produits industriels commercialisés en ville (sardine, pâtes alimentaires, couscous, ...). Tout cela est La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 53 considéré par les villageois comme une évolution positive mais est plus lié aux relations villes-campagnes qu’à l’action communale10. 3.2-DES ROUTES COMMUNALES TOUJOURS EN MAUVAIS ETATS La ville de Bondoukou est liée à Tanda et à Bouna par la route nationale A1. En dehors de cette voie, la ville est reliée à son environnement rural par des routes en terres et des pistes (Figure 2). A part les villages situés sur cette route bitumée comme Goli, Koké et Alladougou, les liaisons par la route entre Bondoukou et les autres villages de la commune sont difficiles. Pour ce faire, la marche et les engins à deux roues sont les moyens les plus utilisés. A part quelques actions isolées comme les reprofilages "opportunistes" à la veille d’élections, la commune intervient très peu dans la réhabilitation des voies. A Abéma et à Soko par exemple, les véhicules de transport en commun observés proviennent des localités de la sous-préfecture. Ces localités bénéficient, en effet, d’entretiens routiers de la part du Conseil général. Ainsi, à Soko on trouve une gare informelle d’une dizaine de véhicules. Pour les autres villages de la commune, du fait de l’état de la route, c’est seulement les jours de marché que des motos-taxis circulent régulièrement entre la ville et les villages. Conclusion Au terme de cette recherche, les relations entre la ville de Bondoukou et sa périphérie ainsi que les actions communales menées dans les localités rurales intégrées au périmètre communal ont été relativement analysées. Les relations qui lient les deux milieux sont essentiellement d’ordre administratif, économique, social et culturel. L’intensité des déplacements entre les habitants de la ville et ceux des villages communaux interdit de parler d’exode rural au sens strict, mais plutôt de mouvements pendulaires. L’influence urbaine par de nombreux facteurs a été déterminante dans la diffusion de certaines innovations dans les villages. Elle a créé des besoins nouveaux qui ont incité, à des degrés divers, les habitants des localités rurales de la commune à adopter des comportements nouveaux pour se procurer de l’argent et des biens 10 Enquêtes de terrain 2019 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 54 nécessaires à leur satisfaction. La communalisation a certes apporté un peu de modernisation et d’amélioration des conditions de vie dans les villages grâce à la construction d’écoles primaires, de logements de maître, etc., mais son action reste limitée du fait, selon les autorités municipales, de son budget jugé insuffisant. La fin de cette étude permet ainsi d’affirmer que les limites de la gestion communale et l’insuffisance des investissements ne permettent guère à la population rurale de Bondoukou de bénéficier d’un cadre de vie suffisamment agréable comme le font croire certains candidats lors des campagnes électorales municipales. Bibliographie CHALEARD J.-L., DUBRESSON A. (1989) « Un pied dedans, un pied dehors : à propos du rural et de l’urbain en Côte d’Ivoire », collectif, tropique, lieux, liens, Paris, Orstom, pp. 277-290. INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (2014), Recensement Général de la Population et de l’Habitat INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (2014), Répertoire des localités : Région du GONTOUGO, 50 p. KOSSONOU K. (2019), Scolarisation et urbanisation dans le Zanzan, thèse unique, Université Félix Houphouët Boigny, Cocody, 369 pages. NYASSOGBO G. K. (2003) « Relations ville-campagne et développement local, Les Cahiers d’Outre-Mer », n° 224, Paysannerie africaines et développement, 10 p. SOUMAHORO M. (2015), « Construction, reconstruction territoriale et décentralisation en Côte d’Ivoire (2002-2009) », Espaces et sociétés, vol. 160-161, no. 1, pp. 51-66. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 55 GESTION DE DECHETS SOLIDES MENAGERS ET ASSIMILES (DSMA) DANS LES MARCHES PUBLICS DE KORHOGO GOGOUA Gbamain Eric Enseignant-chercheur, Université Peleforo GON Coulibaly de Korhogo gogouagbamaineric@gmail.com DINDJI Médé Roger Enseignant-chercheur, Université Peleforo GON Coulibaly de Korhogo/LaboVST dindjiroger@gmail.com SORO Kadola Paul Étudiant en Master II de Géographie, Université Peleforo GON Coulibaly de Korhogo soropaul90@gmail.com RESUME Les marchés publics de Korhogo sont très prégnants dans le rayonnement économique de cette capitale régionale. En effet, ils permettent le ravitaillement en aliments, biens et services aux populations. Ils sont également pourvoyeurs d’emplois. Paradoxalement, ils sont des espaces de fortes productions de déchets qui nécessitent le traitement adéquat au risque de dégrader l’environnement urbain. L’objectif de cette étude est d’analyser les pratiques de gestion des déchets solides ménagers et assimilés (DSMA) des marchés publics de Korhogo. L’approche méthodologique intègre une recherche documentaire, des observations et des enquêtes de terrain menées auprès des personnes et entités ressources en août et septembre 2020. Les résultats révèlent que quatre types de déchets sont produits dans ces marchés. Leur gestion est le fruit d’une collaboration entre pouvoir public (régulation, équipements viaires), opérateurs privés (collecte, transport et mise en décharge) et société civile locale (pré-collecte et renforcement de capacité). Mots clés : Korhogo, gestion, pouvoir public, DSMA, marché public, développement durable. ABSTRACT The public markets of Korhogo are very significant in the economic influence of this regional capital. Indeed, the allow the provision of food, goods and services to the populations. They are also job providers. Paradoxically, the are areas of high waste production which require adequate treatment at risk of damaging the urban environment. The objective of this study is to analyze the management practices of solid household and similar waste (SHSW) produced of public markets of Korhogo. The methodological approach integrates documentary research, observations and field surveys carried out among resource people and entities in August and September 2021. The results reveal that four types of waste are produced in the markets. Their management is the result of collaboration betwen public authorities (regulation, road equipement), private operators (collection, transport and landfill) and local civil society (pre-collection and capacity building). Keywords : Korhogo, management, public power, SHSW, public market, sustainable development. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 56 INTRODUCTION La gestion des déchets ménagers solides reste une préoccupation majeure pour les municipalités africaines de manière générale (S. A. WARI, 2007 ; p. 2) et pour celles de la Côte d’Ivoire en particulier. Celles-ci rencontrent d’importantes difficultés pour assurer correctement ce service sous la pression de trois grandes contraintes : la législation en la matière instable, la forte croissance de la population et l’étalement urbain. Depuis 1980, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans un processus de décentralisation. Selon les normes en la matière, la responsabilité de la gestion des déchets est conférée aux municipalités. Or, sur le terrain la réalité n’est pas toujours le cas (M. R. DINDJI, 2013 ; p. 153). En effet, suivant les désidératas du pouvoir central ; principal instigateur de ce mode de gestion, cette responsabilité est passée d’une entité à une autre : la ville d’Abidjan, les communes, le district, l’ANASUR1, etc. Aussi, la forte croissance de la population urbaine exige-t-elle des pouvoirs publics la production de services (transport, santé, éducation, logement, eau potable, etc.) adéquats pour la satisfaction optimale des besoins d’une telle population de plus en plus exigeante. Parallèlement, une telle situation influe sur l’évolution des modes de consommation qui se traduit par une augmentation des volumes de déchets. A l’image de ce qui se perçoit dans les marchés publics de Korhogo, cadre de cette étude. En fait, depuis la fin de la crise post-électorale (Avril 2011), cette ville-capitale du nord de la Côte d’Ivoire est en plein essor économique et social. À l’instar, des autres villes du pays, elle regorge plusieurs (grands, intermédiaires et petits) marchés où de quantités importantes de biens et services de toute nature sont fournis. En outre, ces marchés regroupent plusieurs activités anthropiques qui inéluctablement génèrent des déchets qui sont sources de pollution et de dégradation de l’environnement (W. G. AMINA, 2007 ; p. 10). On observe également une insalubrité généralisée notamment dans les secteurs où sont commercialisés les produits vivriers. Ces secteurs sont des endroits où stagnent en permanence les ordures et les eaux usées qui proviennent des produits vivriers tandis que le secteur des produits manufacturés reste relativement propre. Ces Agence Nationale de la Salubrité Urbaine crée en 2007 et remplacée quelques années après par l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED). 1 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 57 constats sur l’état de l’environnement de ces marchés suscitent plusieurs questionnements : Comment se fait la gestion des déchets solides ménagers et assimilés (DSMA) dans les marchés publics de la ville de Korhogo ? Comment se présentent les différents déchets produits dans ces marchés ? L’objectif de la présente réflexion est d’analyser les pratiques de gestion des déchets des marchés publics de la ville de Korhogo. Figure 1 : Localisation du cadre d’étude 1. Cadre d’étude et méthodologie L’espace global sur lequel s’est déroulée notre étude est la ville de Korhogo. Korhogo est une ville située au nord de la Côte d’Ivoire ; à environ 600 Kms d’Abidjan la capitale économique (Voir figure 1). Considérée comme la 4ème plus grande ville du pays après Abidjan, Bouaké et Daloa (RGPH, 1998 et 2014), cette La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 58 ville regorge un certain nombre de potentialités qui conforte sa place primordiale dans le niveau économique ivoirien. À ce titre, Korhogo constitue un pôle majeur du nord de la Côte d’Ivoire. Elle connait une forte croissance spatiale et une forte densité de sa population ; dues au redéploiement de l’administration depuis 2011, à l’ouverture d’une Université publique, à la proximité de la mine de Tongon, etc. La densité de sa population est estimée à plus de 200 habitants/km² alors que la moyenne nationale est de 36 habitants/km². Cette forte croissance laisse croire une attractivité vis-à-vis de ses périphéries et ce grâce à ses nombreux marchés urbains. Les marchés de la ville ont connu une évolution depuis les années 1970 avec des caractéristiques spécifiques. Ces marchés sont les principaux supports des activités commerciales d’une part et des lieux de productions de quantités importantes de déchets d’autre part. Lesquels nécessitent une gestion convenable pour préserver l’environnement urbain. La collecte de données s’est appuyée sur une recherche documentaire, des observations et une enquête de terrain. La recherche documentaire a consisté à l’exploitation de sources bibliographiques, statistiques et cartographiques. Quant à l’enquête de terrain, elle s’est déroulée en deux phases. La première phase s’est faite en août 2020. Elle correspond à la saison de pluie. La seconde phase correspond à la saison sèche. C’est-à-dire en septembre 2020. Concrètement, elle a consisté à la tenue d’entretiens et l’administration d’un questionnaire auprès des personnes ressources : gestionnaires urbains, commerçants, populations, opérateurs de collecte, etc. Au total 120 personnes ont été interviewées pour l’atteinte des objectifs fixés à cette recherche. Les données recueillies concernent les points suivants : les caractéristiques et le fonctionnement des activités économiques, la dégradation de l’environnement, la typologie des déchets produits, l’organisation fonctionnelle des marchés, les stratégies de collecte des déchets. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 59 Tableau 1 : Récapitulatif des cibles de l’enquête de terrain Nomination Effectif Pouvoir public (mairie, ANAGED) 20 Opérateurs privés (agents GI2E et MERCORMA CI) 25 Société civile locale (ARK, groupements de prés collecteurs) 20 Commerçants (alimentation, vestimentaire, vivrier, cosmétique, 40 volaille, etc.) Autres 15 TOTAL 120 Source : Nos enquêtes de terrain, 2020. 2. Résultats et discussion 2.1 Typologie des déchets produits dans les marchés publics de Korhogo Les déchets produits dans les différents marchés publics de Korhogo peuvent être rangés en quatre catégories : déchets agricoles, ménagers, animaux et industriels. 2.1.1 Les déchets agricoles Les déchets provenant des marchés sont composés de bios déchets. Ce type de déchets est soumis à l’obligation de collecte et de valorisation du pouvoir public. Ils se décomposent très rapidement à cause des matières trop flexibles et biodégradables qui les composent. Nous en avons plusieurs composantes, dont les déchets agricoles. Qu’entendre par déchet agricole ? Les déchets agricoles sont des déchets issus de l’utilisation de produits agricoles dans les marchés. Les déchets agricoles se présentent sous plusieurs formes : peaux de patates, d’ignames, de bananes, de choux, de carottes, etc. (Nos enquêtes de terrain, 2021). À la suite des déchets agricoles viennent les déchets ménagers. 2.1.2 Les déchets ménagers Il s’agit de déchets produits par les ménages. Ils sont composés des ordures ménagères collectées dans le cadre du ramassage organisé par les gestionnaires urbains, de déchets volumineux collectés de porte à porte, soit réceptionnés dans une installation à la disposition des ménages, de déblais et gravats produits par les La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 60 ménages réceptionnés dans les déchèteries ou des dépôts réservés aux seuls déchets inertes. Ce type de déchets est produit dans tous les marchés de la ville, malgré leur spécificité. À ce type, s’ajoutent les déchets animaux. 2.1.3 Les déchets animaux Ce type de déchets est perceptible dans des marchés spécifiques ; caractérisés par la vente d’espèces de même nature. Ainsi, à Korhogo, ces déchets sont fortement produits au marché de volaille, de bétail et de poisson d’eau douce (Voir figure 2). Ils sont constitués de fumier et de feuilles mortes servent de matières organiques nécessaires à l’enrichissement des sols cultivables et à l’amendement des cultures. À la suite des déchets animaux viennent les déchets industriels. Figure 2 : Répartition des déchets dans les marchés publics selon leur typologie La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 61 2.1.4 Les déchets industriels Ils sont classés en trois grandes catégories selon leur niveau de pollution. Suivant cet indicateur, nous avons les déchets industriels spéciaux (DIS), les déchets industriels banals (DIB) et les déchets industriels inertes (DII). Ainsi, les DIS sont les déchets industriels qui contiennent des éléments polluants en concentration plus ou moins forte présentant certains risques pour la santé de l’homme et l’environnement. Par contre, les DIB sont des déchets industriels assimilés aux déchets ménagers. Ils sont constitués de déchets non dangereux et non inertes. Ils ont les mêmes composants que les déchets ménagers. Par ailleurs, le traitement et l’élimination de ces déchets sont ouverts par le même plan départemental que celui des déchets ménagers. Les DII se rapportent aux déchets industriels non susceptibles d’évolution physique, chimique ou biologique importante. Ils sont essentiellement constitués de déblais et de gravats et ne doivent pas être mélangés avec les autres déchets. La pollution du milieu de vie provient des huiles usées, de la poussière, des produits chimiques, de matériaux biodégradables et des dépôts électrolytiques. Ces produits génèrent des gaz toxiques dangereux pour l’homme et son milieu. Il en résulte que les 12 marchés que compte la ville de Korhogo ne sont guère épargnés de la menace des différentes catégories de déchets suscités. En effet, ces marchés sont ornés de déchets métamorphosés en ordures très répugnantes pour les populations marchandes. Elles sont constituées essentiellement d’ordures ménagères et de déchets animaux. La figure 2 présente la cartographie de la typologie des déchets dans les marchés de la ville de Korhogo. À l’analyse, il ressort en plusieurs observations. Les déchets ménagers sont la catégorie la plus partagée par tous les marchés. En seconde position viennent les déchets animaux. En fin de classification viennent les déchets ménagers, puisque faiblement produits dans les marchés de la ville. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette inégale répartition des types de déchets. En effet, il existe des marchés particuliers comme celui de la volaille. Mais, ces espaces sont tenus par l’homme. Et il y a donc recours pour ses consommables existentiels : cartons, balayures, boites de conserve, sachets plastiques ; issus de la consommation de produits manufacturés, etc. Quant aux déchets industriels, ils sont moins produits en raison de l’insuffisance d’unités industrielles dans la ville. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 62 Les déchets produits dans les marchés publics de Korhogo ont un impact sur la qualité du cadre de vie des populations et l’esthétique paysagère marchande. Raison pour laquelle, ils font l’objet de plusieurs pratiques de gestion. Qu’en est-il concrètement ? 2.2 Une gestion collaborative des déchets des marchés publics à Korhogo La gestion des déchets désigne l’ensemble des opérations et moyens mis en œuvre pour limiter, recycler, valoriser ou éliminer les déchets. En d’autres termes, elle comprend des opérations de prévention, de pré collecte, de collecte, de transport et toute opération de tri et de traitement afin de réduire leurs effets sur la santé humaine. Elle concerne tous types de déchets, qu’ils soient solides, liquides ou gazeux. L’analyse de la gestion de déchets générés dans les marchés de Korhogo repose sur deux indicateurs : la réalité de la gestion des déchets dans les marchés urbains et surtout le cadre institutionnel de la collecte de déchets à Korhogo. 2.2.1 Un cadre institutionnel de gestion inclusive de déchets à Korhogo Avant 2007, le District d’Abidjan avait l’exclusivité de la gestion des déchets sur leurs territoires ; à savoir : la sélection des différents opérateurs de collecte d’une part et ; la supervision de la collecte, du transport et de la mise en décharge effective des ordures d’autre part (DINDJI, 2013 ; p. 155). Mais, en 2007 après la création de l’Agence Nationale de la Salubrité Urbaine (ANASUR), les collectivités territoriales seront dessaisies de cette prérogative sur leurs territoires (Voir tableau 1). Ce qui sous-entend que sur ces deux périodes, la gestion des déchets dans les villes ivoiriennes est passée d’un cadre institutionnel décentralisé à un cadre centralisé. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 63 Tableau 1 : Modalités d’application des dispositions de la loi n° 2003-208 du 7 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’État aux collectivités territoriales dans le cadre d’une coopération entre l’ANASUR et les collectivités territoriales Article abrogé Collectivité Prérogatives retirées à Compétences territoriale la collectivité par actuelles de la concernée l’Ord. Du collectivité 4 oct. 2007 territoriale en matière (compétences actuelles de salubrité urbaine de l’ANASUR) -Art.15 (4/b) : Art. 15 (7/g) relatif à la La pré collecte des protection de ordures ménagères, le (…) l’entretien des l’environnement et la transport des déchets voies de aux postes de communication et groupage des réseaux divers Art. 15 (7/h) relatif à la La réalisation et la d’intérêt communal protection de gestion des centres de (…) l’environnement et la compostage des gestion des ressources déchets gestion des ressources naturelles La Commune -Art. 15 (7/i) : l’entretien des naturelles Art. 15 (7/j) relatif à la La lutte contre caniveaux, des voies protection de l’insalubrité, la et lieux publics, des l’environnement et la pollution et les espaces verts et gestion des ressources nuisances au niveau marchés naturelles communal Source : Inspiré de DINDJI, 2013 citant ANASUR, 2007. Après 10 ans d’exercice, l’ANASUR a été remplacée par l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED2). 2 La création de cet organe est adossée au Décret N°2017-692 du 25 Octobre 2017 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de l’établissement public à création industriel et commercial, dénommé (ANAGED). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 64 Tableau 3 : Modalités d’application des dispositions de la loi n° 2003-208 du 7 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’État aux collectivités territoriales dans le cadre de la coopération entre l’ANAGED et les collectivités territoriales Collectivité Prérogatives retirées à Article abrogé territoriale la collectivité par le Compétences concernée décret N°2017-692 du actuelles de la 25 oct. 2017 portant collectivité création de territoriale en matière l’ANAGED de salubrité urbaine Art. 15 (7/g) relatif à la Contribuer à protection de l’élaboration et à la l’environnement et la mise en œuvre des L'appui à la gestion gestion des ressources programmes de des ordures naturelles gestion de tous types ménagères et des de déchets solides en déchets, et à la lutte mettant l’accent sur la contre l’insalubrité, valorisation des la pollution et les déchets en vue de nuisances. La Commune - Art.11 (7/f) : promouvoir une économie circulaire Art. 15 (7/h) relatif à la Réguler la gestion de protection de tous types de déchets l’environnement et la solides gestion des ressources -Art. 11 (7/f) : naturelles L'appui à la gestion Art. 15 (7/j) relatif à la Procéder à la des ordures protection de délégation du service ménagères et des l’environnement et la public de propreté déchets, et à la lutte gestion des ressources incluant la collecte, le contre l’insalubrité, La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 65 naturelles transport, la la pollution et les valorisation, nuisances. l’élimination des déchets ainsi que le nettoiement dans les régions et communes de Côte d'Ivoire Sources : Décret n°2017-692 du 25 octobre 2017 et Loi n°2003-208 du 07 juillet 2003. À la lecture des tableaux 1 et 2, à l’ANAGED sont assignées trois principales missions. Ainsi, la première est de réguler la gestion de tous types de déchets solides en Côte d’Ivoire. Ensuite, elle doit être associée à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes de gestion de tous types de déchets solides en mettant l’accent sur la valorisation des déchets en vue de promouvoir une économie circulaire. Elle doit donc inscrire cette gestion dans une dynamique de préservation de l’environnement. Enfin, il lui est conseillé de procéder à la délégation du service public de propreté incluant la collecte, le transport, la valorisation, l’élimination des déchets ainsi que le nettoiement dans les régions et communes de Côte d'Ivoire. En somme, l’ANAGED garde les mêmes prérogatives institutionnelles et juridiques que l’ANASUR. Quant aux collectivités territoriales ; notamment les communes elles sont naturellement impliquées dans la gestion des déchets de leurs territoires. Toutefois, leurs tâches sont réduites à créer les conditions optimales d'évacuations des déchets. Parmi ces conditions figure l'entretien des caniveaux, des voies, des lieux publics, des espaces verts et marchés (DINDJI, 2013 ; p. 156). Pour ce qui concerne la gestion des déchets des marchés publics de Korhogo, d’autres acteurs sont associés à ces deux entités institutionnelles. 2.2.2 Une pluralité d’acteurs associés à la gestion des déchets des marchés publics Les parties impliquées dans la politique locale de gestion de déchets ; particulièrement ceux des marchés publics sont les suivants : l’ANAGED, la mairie, les opérateurs privés, la société civile et les ONG. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 66 2.2.2.1 L’action municipale soutenue par la société civile locale Par société civile, nous entendons les associations de populations dont le Groupement des Acteurs de la Propreté (GAP), FAFA Service et le Groupement de Femmes Volontaires (GFV). La municipalité locale bénéficie de la collaboration de ces associations pour la pré-collecte des déchets tant dans les ménages que dans les marchés publics de la ville. Ce sont donc des groupements de services engagés pour la salubrité et l’assainissement urbain. Leur action sur le terrain se fait sous la supervision et le regard bienveillant de la mairie (Nos enquêtes, 2020). Elle leur accorde l’autorisation d’exercer et contrôle leur activité. Ces groupements de pré-collecteurs sont très actifs sur le terrain, puisqu’ils couvrent toute la ville. Ils travaillent tous les jours de la semaine pour aider les populations dans la réduction de la prolifération des ordures. Sur le terrain, ils sont organisés en équipes de travail. Ces équipes se répartissent les tâches suivantes : le balayage de la voirie, l’entretien des caniveaux et la pré-collecte des ordures dans les marchés. Pour ce faire, le personnel dispose d’un certain équipement de protection individuelle : gants, blouses, brouettes, etc. Ces équipements sont renouvelés une seule fois par an (Mairie de Korhogo, 2021). De nos investigations, il ressort que près de 85 personnes (dont 56 femmes et 29 hommes) sont actives au sein de ces groupements de prés-collecteurs de Korhogo. Ces groupements sont rémunérés doublement. Ils sont payés directement par les ménages ; y compris les commerçants des marchés. Les coûts mensuels varient d’un espace à un autre ; 500 FCFA ou 1000 FCFA/ménage/mois. Ils reçoivent également des contributions financières de l’opérateur de collecte GI2E, c’est-à-dire Groupement Ivoire EcoEnvironnement. 2.2.1.2 Les opérateurs privés À Korhogo, deux opérateurs privés sont impliqués dans la politique de gestion des déchets. Il s’agit du Groupement Ivoire Eco-Environnement (GI2E) et MECOMAR CI. Dans le cycle de gestion de déchets, ces deux opérateurs interviennent pour la collecte après que les déchets soient regroupés. C’est-à-dire déversés au point de groupage par les groupements de prés-collecteurs. L’intervention de ces deux opérateurs repose sur un contrat partenarial ; passé par le pouvoir public par le biais La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 67 de l’ANAGED (Voir tableau 2). Ce contrat couvre 5 ans et est renouvelable (Nos enquêtes de terrain, 2021). 2.2.1.3 L’Animation Rurale de Korhogo (ARK) ; une ONG de formation et de promotion humaine L’ARK est une organisation non gouvernementale ; née de l’initiative de l’archidiocèse de Korhogo en 1972. Elle se destine dans sa vision au développement de l’auto promotion communautaire. Ses objectifs sont les suivants : contribuer de manière durable au renforcement des capacités des organisations paysannes, contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales, favoriser le développement économique et social de la femme en milieu rural. Concrètement pour l’atteinte de ses objectifs et surtout permettre une gestion durable déchets, elle organise des ateliers et séminaires de formation en rapport avec cette thématique (Nos enquêtes de terrain, 2020). 2.2.3 Les pratiques de gestion des déchets des marchés publics à Korhogo Elle désigne l’ensemble des opérations qui partent des points de groupage au traitement des déchets à la décharge. Ces opérations regroupent la pré-collecte, la collecte, le transport, l’extermination, l’incinération, l’enfouissement et même la valorisation des déchets. La pré-collecte Elle consiste « à ramasser les déchets solides issus des zones de production et à les acheminer avec des moyens matériels adaptés vers des points de regroupement (centres de groupage compris) tels que bennes et containers ; disposés aux abords des voies accessibles aux véhicules de collecte » (DINDJI, 2013 ; p. 157). En clair, il s’agit d’évacuer les déchets du lieu de production au lieu de leur prise en charge par les services de collecte. Les marchés de la ville de Korhogo connaissent cette méthode. Cette stratégie relève de la responsabilité des structures privées en collaboration avec les groupements de prés collecteurs autorisés par la municipalité. Elle consiste en un apport volontaire des ordures vers les Bacs à ordures installés à l’entrée des marchés. Ce qui se fait rarement, car les populations n’ayant aucune notion du principe de la salubrité La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 68 préfèrent les déverser dans les caniveaux et même aux alentours des bacs à ordures (Photos 1 et 2). Une autre difficulté est à relever à ce niveau de la gestion des déchets. En effet, les marchés manquent cruellement de poubelles de proximité pouvant faciliter les prés-collecteurs dans cette tâche. Photo 1 : Vue d’ordures enfouies dans un caniveau Photo 2 : Vue d’ordures déversées hors bac Cliché : Soro, Novembre 2020. Cliché : Soro, Novembre 2020. La collecte L’organisation de la collecte est un maillon essentiel dans le processus de gestion des déchets ; conditionnée en amont par la typologie des déchets et en aval par le mode de traitement. Selon le Code (ivoirien) de l’environnement 3 , la collecte se définit comme « toute opération de ramassage des déchets en vue de leur transport vers une installation de traitement des déchets ». L’opération de collecte débute lorsque le service d’enlèvement prend en charge les déchets. À Korhogo, la collecte des ordures dans les marchés est assurée principalement par deux entreprises privées : GI2E et MECOMAR CI. Comme outils de travail, ces opérateurs de collecte ont recours à plusieurs types d’engins pour l’acheminement des déchets vers la décharge ; notamment les camions tasseurs, des bacs à ordures (Photo 2). Les ordures sont mises en décharge sur un site ; situé à une dizaine de kilomètres de la ville de Korhogo. 3 Lequel est mentionné dans la Loi n°96-766 du 03 Octobre 1996 portant Code de l’Environnement. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 69 Traitement des déchets en décharge : entre enfouissement et récupération Suivant une règlementation stricte, l’enfouissement consiste à stocker les déchets dans des conditions très contrôlées afin de maîtriser leur impact sur l’environnement. Pour ce qui concerne notre étude, l’enfouissement des ordures se fait hors de la ville. Une fois en décharge, les ordures sont exposées au soleil et à l’air libre. Cette décharge est interdite d’accès aux populations. Dans ces conditions les déchets sont soumis à une incinération intensive et quotidienne. Toutefois, une fois en décharge, les déchets font l’objet de tris volontaires effectués par les populations riveraines pour plusieurs usages. Les objets récupérés sont des bidons, des bouteilles, tout objet réutilisable. 3. DISCUSSION Le premier résultat de la présente étude fait une classification en quatre catégories des DSMA produits dans les marchés publics de la ville de Korhogo. Une classification de déchets se retrouve dans les études de ces différents auteurs : S. A. WARI (2012), N. KERSTENNE (2016) et W. G. AMINA (2007). Toutefois, cette catégorisation diffère d’un auteur à l’autre quoique les réalités soient parfois les mêmes. Ainsi, pour W. G. AMINA (2007 ; p. 33), plusieurs familles de déchets sont produites en fonction de l’activité à l’origine des déchets. Ils proviennent des ménages, des marchés, de l’abattoir, des artisanats, des centres de santé, des restaurants, des bars, des écoles, des entreprises, etc. À Pouytenga, localité du Burkina Faso où l’étude a été conduite, « ils proviennent des ménages, des marchés, de l’abattoir, des artisanats, des centres de santé, des restaurants, des bars, des écoles, des entreprises, etc. ». À ce propos, nos résultats sont plus proches de ceux de S. A. WARI (2012 ; p. 15). Ainsi, dans sa classification, il distingue des déchets domestiques (ordures ménagères), agricoles et industriels. Il précise surtout que « les déchets domestiques et agricoles sont essentiellement constitués de matière organique (biodégradable), en revanche, les déchets industriels (Industries minières, métallurgiques...) renferment des résidus fondamentalement non biodégradables mêmes inaltérables et des substances dont la toxicité est importante ». Quant à N. KERSTENNE (2016 ; p. 32), il appuie sa classification des déchets sur deux indicateurs : la nature et l’origine. Ainsi, suivant la nature, cet auteur détermine La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 70 trois types de déchets : dangereux, non dangereux et inertes. Ainsi, « un déchet dangereux est un déchet qui présente un risque pour l’environnement ou la santé humaine. Un déchet est considéré comme dangereux s’il comporte, ou s’il est susceptible de générer après élimination une substance comportant au moins une des caractéristiques suivantes : explosif, comburant, inflammable, irritant, nocif, toxique, écotoxique, cancérogène, corrosif, infectieux, mutagène et sensibilisant 4 . À l’inverse, les déchets non-dangereux ne présentent aucune de ces caractéristiques. Quant aux déchets inertes, ils occupent une classe isolée de par leur caractère spécifique. Ces déchets « ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune autre réaction physique ou chimique avec l’environnement. Ils ne sont pas biodégradables et ne se décomposent pas au contact d’autres matières 5 ». Ils proviennent principalement des activités de construction et de démolition (déblais, gravats, plâtre, sable, etc.). Les déchets inertes peuvent être dangereux, comme les déchets d’amiante, ou non-dangereux ». En outre, concernant la gestion proprement dite des déchets, cette question est évoquée par les auteurs suscités et M. R. DINDJI (2013). Cependant, pour certains le cadre juridique et institutionnel de gestion des déchets est différent de celui décrit dans notre étude. Comme le souligne ce propos de W. G. AMINA (2007 ; p. 30) : « La gestion des déchets solides est placée sous la responsabilité de la Municipalité. (…) Dans la législation de la municipalité de Pouytenga, le service chargé de la gestion des déchets solides et l'assainissement est le Service Technique Municipal ». Dans la ville de N’Djamena ; cadre d’étude de S. A. WARI (2012 ; p. 17), la collecte des déchets est également assurée par les bennes de la mairie. Il en résulte que dans les localités/pays d’étude de ces deux auteurs, la décentralisation est pleinement affirmée, puisque les autorités municipales assurent l’entière responsabilité de la gestion des déchets de leurs territoires. Ce qui n’est pas le cas en Côte d’Ivoire, puisque cette gestion est conduite par le pouvoir central par le biais d’un organe sous tutelle du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable. Néanmoins, cette gestion municipale (à Pouytenga et N’Djamena) présente de grandes insuffisances. En effet, la collecte n’est pas régulière et les ordures sont parfois déversées à même le sol. Ce 4 5 Nola KERTENNE, 2016, citant directive 2008/98/CE, 2008. Nola KERTENNE, 2016, citant Andrieu, Ghewy, Mathery, & Nicklaus, 2012, p. 10. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 71 qui entraine une dégradation de l’environnement urbain et des risques sanitaires sur la vie des populations. CONCLUSION Que retenir de cette étude qui ambitionnait analyser la gestion des déchets solides ménagers et assimilés (DSMA) dans les marchés publics de Korhogo ? La ville de Korhogo compte une dizaine de marchés qui répondent à plusieurs fonctions. Ils sont des lieux d’approvisionnement en produits divers. Ils sont également des lieux d’emplois pour une grande partie de la population. Ce qui en fait des grands espaces de production de déchets de toute nature. A ce propos, l’étude a en identifié quatre catégories : déchets agricoles, ménagers, animaux et industriels. La gestion de ces déchets est intégrée à la politique urbaine en la matière. Dans cette politique, entités publiques, opérateurs privés et société civile locale travaillent en collaboration ; chaque partie jouant sa partition. Ainsi, la municipalité sélectionne et supervise le travail des groupements associatifs ; en charge de la pré-collecte. Elle assure également l’entretien des voiries et des caniveaux. Quant aux entreprises de collecte (GI2E et MECOMAR CI), elles reçoivent leur cahier des charges de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED) ; organe gouvernemental en charge de la gestion des déchets au niveau national. Chaque entité en fonction des moyens mis à disposition joue pleinement son rôle. Raison pour laquelle depuis 2016, la ville de Korhogo a été classée première en termes d’assainissement et de propreté selon un rapport du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable. Toutefois, certaines insuffisances représentent des risques sanitaires et environnementaux ; notamment l’absence de poubelles dans les marchés, la mauvaise implication des populations dans la gestion des déchets et la proximité de la décharge des lieux d’habitation. Ces insuffisances représentent les défis à relever par les gestionnaires urbains afin de parvenir à une gestion durable des déchets à Korhogo. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 72 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES AKE OHOUO Ferdinand, 2016, « Facteurs de développement des activités commerciales sur les marchés d’Abidjan », In European Scientific Journal, February 2016, vol. 12, N°4, pp. 302-321, ISNN (P) : 1857-7881. 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Laboratoire Ville, Société, Territoire (LaboVST), jibgoulia@yahoo.fr ADOMON Abodou Athanase Université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo (Côte d’Ivoire) atahanaseadomon@yahoo.fr/ athanaseadomon@upgc.edu.ci Résumé Soussonoubougou, situé en plein cœur de Bouaké, est un quartier vivant aux marges des normes urbaines : 90,57% de l’habitat est en banco amélioré ; 75,59% des chefs de ménage s’alimentent en eau de puits et 94,87% de ceux-ci ont un revenu inférieur au SMIC (salaire minimum = 60.000f CFA) en Côte d’Ivoire. C’est donc un quartier sous intégré et sous équipé dont les conditions et cadre de vie des populations contraste avec les quartiers adjacents. Malheureusement depuis les années 1980, l’absence de régularisation foncière et d’une stratégie locale de restructuration des espaces marginaux dans la commune ont aggravé la dégradation du cadre urbain à Soussonoubougou. D’où la nécessité d’un PUd capable d’identifier les besoins prioritaires des populations afin de favoriser l’accès aux services urbains de base et l’axe Djézoukouamékro–Odiennékourani, une voie d’accès à Soussonoubougou. L’objectif de l’article est de montrer que le PUd est une approche différenciée de restructuration des quartiers marginaux. Trois axes structurent cet article. Le premier met en évidence la marginalité de Soussonoubougou. Le second fait l’Etat des lieux des différentes pratiques de restructuration appliquées par l’Etat en Côte d’Ivoire. Le troisième axe présente le PUd comme une approche différenciée de restructuration de Soussonoubougou. Mots clé : Restructuration et approche différenciée, gouvernance et Plan d’urbanisme de détail, marginalité, commune. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 75 1. Introduction Le développement accentué des quartiers marginaux en Côte d’Ivoire ne laisse indifférent aucun gestionnaire urbain. Autrefois, les quartiers marginaux n’étaient visibles que dans la métropole abidjanaise du pays. Aujourd’hui, les villes secondaires comme Bouaké connaissent ce phénomène grandissant des quartiers marginaux. L’implantation de diverses unités industrielles, surtout textiles et l’intensité des activités commerciales soutenues par la gare ferroviaire ont fait de cette seconde ville, une importante zone de migration. Tout comme Abidjan, Bouaké accueille une masse importante de migrants aussi bien ivoiriens qu’étrangers venus pour des lendemains meilleurs (Taux de migrants). Cependant, la crise économique des années 1980 qui frappe durablement la Côte d’Ivoire et la concurrence asiatique dans la production du coton contrarient les objectifs des migrants (des entreprises et des licenciements massifs) et engendrent de nombreuses difficultés dont celle de la pénurie de logements. Ils se créent alors des quartiers plus ou moins en grande précarité aux marges des villes, créant des fronts sauvages d'urbanisation (Marc, 1973). Les populations s’y installent librement mais illégalement. Or initialement, l’Etat ivoirien avait élaboré et mis en œuvre un ensemble de politiques sociales pour favoriser le développement du logement et l’accès des populations aux infrastructures de base. L’ordonnance n°77-615 du 24 août 1977 portant restructuration urbaine a été prise à cet effet. Malgré cet arsenal juridique et les moyens financiers, matériels et humains importants déployés, la problématique des quartiers précaires n’a toujours pas été résolue de manière efficace (Boliga, 2006). En effet, l’offre foncière et la production d’habitat se sont avérées trop faibles par rapport à la demande et trop coûteuse par rapport aux capacités d’investissement d’une fraction importante de la population urbaine relevant des catégories sociales défavorisées. Par ailleurs, les différentes opérations de restructuration initiées dans la ville d’Abidjan n’ont pas été relayées sur toute l’étendue du territoire ivoirien. L’atelier sous régional organisé par le ministère de la Construction et de l’Urbanisme et le Programme de Gestion Urbaine en 1994 n’a pas pu aider à définir une stratégie nationale de restructuration des espaces en marge des villes. D’après la littérature, à La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 76 l’exception du Sénégal et du Cameroun, très peu de pays ont pu capitaliser leurs expériences pour élaborer une politique nationale de restructuration des quartiers précaires à même d’encadrer la mise en œuvre des programmes envisagés. A Bouaké, Soussonoubougou comme Banco 1 et 2 et bien d’autres quartiers sous équipés et sous intégrés, n’ont cessé de proliférer au regard de l’absence des réponses étatiques et communales. Soussonoubougou à la différence des autres quartiers précaires, est situé au cœur de la ville de Bouaké (Figure 1). Il contraste donc avec les quartiers adjacents. D’où la nécessité d’élaborer ou de trouver des solutions à la précarité des espaces marginaux. L’approche différenciée est l’une des solution qui permet d’adapter l’opération de restructuration à la réalité de ces différents espaces. Elle différencie individuellement l’aménagement de chaque quartier marginal. L’objectif de l’article est de montrer que le PUd est une approche différenciée de restructuration des quartiers marginaux. En d’autres termes, comment un Plan d’Urbanisme différencié (PUd) peut être une stratégie de restructuration des quartiers marginaux face à la pluralité des territoires marginaux dans la commune de Bouaké notamment à Soussonoubougou ? Trois axes structurent cet article. Le premier met en évidence la marginalité de Soussonoubougou. Le second fait l’Etat des lieux des différentes pratiques de restructuration appliquées par l’Etat en Côte d’Ivoire. Le troisième axe présente le PUd comme une approche différenciée de restructuration de Soussonoubougou. Source : Schéma Directeur d’Urbanisme de Bouaké, 2017 Conception : Les auteurs Figure 1 : Localisation de Soussonoubougou dans la commune de Bouaké La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 77 2. Méthodologie La méthode de collecte des informations se base sur l’utilisation à la fois de la démarche qualitative et quantitative. La méthode qualitative nous (a permis) permet de (définir) qualifier clairement les conditions et cadre de vie des populations Soussonoubougou. Les techniques employées pour mener à bien cette démarche sont la recherche documentaire, l’observation de terrain et l’entretien. La méthode quantitative (a permis) permet quant à elle (d’identifier) de faire ressortir (distinctement) clairement les niveaux d’instruction, d’accès aux services urbains base (eau, électricité, assainissement), le niveau de revenus ainsi que la proportion des types de logement (modernes, traditionnelles, précaires) des habitants de Soussonoubougou. Nous avons mis à contribution dans cette démarche, la recherche documentaire pour faire l’état des lieux des connaissances sur les pratiques de restructuration appliquées ici et ailleurs d’une part ; et d’autre part procéder à une enquête d’opinion avec un (le questionnaire sont les techniques utilisées. Le questionnaire a été) administré à un échantillon de 115 chefs de ménages. 3. Résultats et discussion 3.1. Le particularisme de la marginalité de Soussonoubougou, un quartier au cœur de Bouaké. Un quartier marginal se définit comme celui qui n’est pas essentiel ou principal et qui, du fait de certaines carences, ne s’intègre pas à l’agglomération urbaine. Les milieux marginalisés correspondent aux milieux oubliés sur lesquels l’information est rare, non disponible (Courade, 1983). Ce sont donc des espaces le plus souvent sommairement aménagés. Certains auteurs les assimilent aux quartiers taudifiés, sous-équipés, surpeuplés et en marge des normes urbaines. C’est dans ce contexte que Marc (1973) estime qu’un quartier sous-équipé est dans une certaine mesure un quartier marginal. 3.1.1. La marginalité spatiale et urbanistique de Soussonoubougou Le processus d’implantation de Soussonoubougou est à l’écart des normes urbanistiques. Soussonoubougou cumule dans une grande majorité les caractéristiques d’implantation des quartiers précaires ou marginaux: localisation le La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 78 long d’une voie ferrée, localisation dans le voisinage d’une zone industrielle, localisation à proximité des basfonds. Quant aux modes d’implantation, On y dénote une inobservance des procédures foncières en vigueur, notamment l’absence de permis de construire et l’absence de lotissement. Ils vont de l’invasion organisée à l’occupation individuelle En l’absence d’un plan de lotissement, la trame viaire à l’intérieur des quartiers est grandement dominée par un axe principal non bitumé et des sentiers. La desserte de l’intérieur se fait par un cheminement correspondant aux espaces libres entre les constructions. La disposition des habitations empêche une régularité du tracé des rues. La mobilité des biens et des personnes se trouve fortement réduite. C’est la croix et la bannière à chaque urgence sanitaire pour les habitants de Soussonoubougou. Cette situation est l’un des traits caractéristiques des espaces marginaux. L’assainissement de Soussonoubougou est rendu difficile du fait de la faiblesse présence des équipements dédiés. L’enquête de terrain révèle que la gestion des eaux de pluie est essentiellement caractérisée par l’infiltration. 85,22% des chefs de ménage interrogés avouent ne rien faire pour l’évacuation des eaux de pluie. Ces eaux s’échappent des concessions de manière naturelle. 5,22% affirment que les eaux de pluie s’évacuent à travers les caniveaux qui jouxtent leurs concessions. Enfin, 9,56% des chefs de manage indiquent que l’évacuation des eaux de pluie se fait à la fois par infiltration naturelle et écoulement dans les caniveaux. Concernant les eaux usées, 85,22% des chefs de ménage déversent ces eaux dans la rue. Les dépotoirs sauvages constituent l’essentiel mode de gestion des ordures solides domestiques comme l’affirment 37, 17% des enquêtés. Le service urbain de la mairie représente seulement 5,31% des modes de gestion de ces ordures. 15,93% des chefs de ménage brûlent à l’air libre les ordures ménagères. Enfin, les latrines traditionnelles (fosse simple) sont implantées à 82,61% dans les concessions de Soussonoubougou. A Soussonoubougou, le cadre de de vie urbain se caractérise par la précarité des logements. L’habitat en banco amélioré (90,57%) constitue le principal mode de logement des populations de Soussonoubougou. 6,60% seulement des chefs de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 79 ménage habitent dans des logements modernes. 2,83% des habitants de Soussonoubougou dorment dans des habitations en banco. Le développement de l’habitat en banco est fortement lié à la pénurie en logements adaptés aux couches sociales à faibles revenus et à la forte immigration des populations rurales et étrangères dans la ville de Bouaké. D’après le PUG (1994), l’installation des populations dans la ville est satisfaite par les lotissements privés coutumiers, la squattérisassions des réserves foncières de l’Etat et la construction d’habitat hors norme. D’une manière générale, l’habitat économique mono familial adopté et imposé par l’Etat y est quasiment inexistant. Cela signifie que les permis de construire qui accompagnent les choix opérés par l’Etat en matière d’urbanisme sont ignorés alors que le modèle d’urbanisme promu par l’Etat ivoirien s’est voulu résolument moderne. Pour ce faire, les villes se caractérisent par l’utilisation, d’une part, des matériaux de construction armés de ciment, d’un plan parcellaire, de la présence d’un réseau de voirie et d’équipements de base. Le zonage et le lotissement définissent les fonctions urbaines, toute construction procédant de la mise en œuvre de matériaux conventionnels. Par ailleurs, le faible accès à l’adduction en eau potable traduit également la marginalité de Soussonoubougou. A ce propos, la majorité des chefs de ménages (75,59%) ont pour source d’approvisionnement en eau les puits (Photo 1). 19,70% de ceux-ci combinent l’utilisation de l’eau de puits et l’eau de pluie. Seulement 1,57% est connectée au réseau d’adduction d’eau distribuée par la SODECI (Société de Distribution d’Eau de Côte d’Ivoire). 1,57% des enquêtés utilise à la fois l’eau de la SODECI et l’eau de pluie. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 80 Cliché : Goulia, 2021 Photo 1 : Recours au puits comme mode d’accès à l’eau potable Quant à l’électricité, la majorité des populations y ont accès avec des moyens de fortune car la distribution de l’énergie électrique se limite à l’orée du quartier. D’après les résultats de l’enquête de terrain 52,17% des chefs de ménage souhaitent que le réseau d’électricité s’étende à l’ensemble du quartier de Soussonoubougou. Parmi ces derniers, 33, 91% suggèrent que l’Etat subventionne leur accès au réseau électrique compte tenu de leurs faibles revenus (inférieurs au SMIC). D’autres soit 22,61% des chefs ménages proposent à la fois une extension du réseau électrique et une subvention de l’Etat. Enfin comme pour tous les quartiers marginaux, Soussonoubougou est marqué par une pauvreté en équipements et surtout en équipements de superstructure. Outre le collège d’enseignement général "La Renaissance" et deux cliniques privées, Soussonoubougou n’abrite aucun autre équipement résidentiel. Le manque d’équipement fait de Soussonoubougou un quartier essentiellement dortoir avec une forte dépendance des quartiers voisins où sont implantés l’ensemble des équipements urbains. Au total, il faut noter avec (Blary ,1995) citée par Yapi-Diahou (2003) que les quartiers marginaux caractérisent « de nouvelles territorialités, perturbatrices de l’ordre La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 81 urbain, lieux privilégiés des exilés de la croissance et défi constant à toute gestion urbaine conventionnelle ». 3.1.2 La marginalité sociologique de Soussonoubougou Sur le plan social, la marginalité de Soussonoubougou s’appréhende à travers le revenu. En effet, 94,87% des chefs de ménage ont un revenu en deçà du salaire minimum de Côte d’Ivoire (SMIC), soit 60 000 FCFA. 3,84% des chefs de ménages ont le double du SMIC. Et 1,28% des enquêtés estiment avoir un revenu mensuel trois fois supérieur au SMIC. Corrélativement au revenu et au SMIC, 94,87% des chefs de ménage prennent un seul repas par jour. 3,84% prend deux repas par jour et 1, 28% trois repas par jour. Ces réponses concernent 78 chefs de ménage, soit 67, 83% sur les 115 interrogés pour cette étude. Pour les autres, notamment les 32,17%, la question du revenu est un tabou, d’où le silence. En outre, le commerce informel constitue la principale source de revenu des chefs de ménage, soit 70,43%. Cette activité est suivie par l’artisanat qui regroupe 18,26% des chefs de ménage. 6,09% des chefs de ménage sont des agriculteurs. Enfin 5,22% exercent une diversité d’activités informelles (gardiennage, chasseur traditionnel ou Dozo, tradi-praticien ou herboriste, etc.). La marginalité sociale à Soussonoubougou est appréhendée également à travers le niveau d’instruction. 52,47% des chefs de ménage sont analphabètes contre 21,78% d’alphabètes tandis que 25,74% ont une instruction coranique. Le taux d’analphabétisme à Soussonoubougou est supérieur au taux national qui est de 43,8%. Par ailleurs, le niveau d’instruction dans les différents types d’enseignement à Soussonoubougou est peu élevé. Seulement 14,85% des chefs de ménages ont fait l’école primaire. 3,96% des chefs de ménage ont suivi l’enseignement Secondaire. Moins de 3% (2,97%) ont un niveau supérieur. Au niveau national, selon le Ministère d’Etat, Ministère du Plan et du Développement (2006), 42,8 % Ivoiriens ont le niveau primaire, 31,5 % le niveau secondaire 1er cycle, 16,8 % le niveau du secondaire 2ème cycle et 7,7 % le niveau du supérieur. L’insalubrité de l’espace met en évidence les conditions d’hygiène et de vie indécentes dans lesquelles vivent les populations de Soussonoubougou. La plupart n’ont pas l’accès aux services de base notamment aux services d’assainissement. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 82 Eaux noires et grises, déchets solides constituent le décor quotidien de Soussonoubougou. 3.2. Les politiques nationales de restructuration des quartiers marginaux en Côte d’Ivoire Nombre d’urbanistes affirment que le principal objectif de la restructuration est de favoriser l’intégration urbaine des habitants des quartiers sous-équipés, de statut précaire ou légal, par plusieurs types d’actions visant à améliorer l’accès aux services urbains de base (voirie, drainage, distribution d’eau, distribution d’électricité, etc.) ; à mettre en place les conditions de la sécurité foncière ; à favoriser le développement des activités économiques et à promouvoir le développement communautaire Selon Boliga (2006), en Côte d’Ivoire, plusieurs types d’actions ont été menés entre 1980 et 2005. L’analyse de ces actions permet d’identifier deux méthodes d’intervention des pouvoirs publics à savoir la méthode dite répressive (démolition des habitations précaires à l’aide de bulldozers, déguerpissement des populations, interventions policières musclées…) et la méthode dite sociale et humaine (consultation et implication des populations dans les procédures de régularisation sans déplacement d’habitants) 3.2.1. La politique du "Bulldozer" En Côte d’Ivoire, la restructuration des quartiers précaire a pour fondement l’ordonnance n°77-615 du 24 août 1977. Pendant les deux premières décennies de l’indépendance, les quartiers faisant objet de restructuration étaient ceux qui avaient un aménagement sommaire et presque pas équipés. Leur environnement avait subi de profondes dégradations au point que les conditions d’hygiène et de vie étaient rendues extrêmement difficiles et précaires (PUG, 1994). Hormis ces quartiers, les autres espaces marginaux (sans aménagement sommaire) subissaient la "fureur" du bulldozer et leur traitement classique était de les laisser sans équipements d’infrastructures et de proximité en attendant que des déguerpissements décident de les rayer de la ville en lieu et place des habitats de standing ou des équipements d’intérêt urbain (PGU, 1994). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 83 En effet, l’État souhaite faire des villes la vitrine de sa réussite économique et de la puissance de sa souveraineté. Selon Dembélé Ousmane (1997) « Les maisons traditionnelles en banco et banco amélioré, les modes d’habiter collectifs dérivés des cultures ethniques locales, sont déclarés non éligibles dans la ville. Les nouveaux choix urbains sont en faveur de l’habitat de standing, des villas et des HLM qui promeuvent un mode d’habiter individuel ». Pour Houphouët-Boigny (1965), « I1 faut faire grand et beau pour tous... parce que ce à quoi nous aspirons, ce n’est pas l’égalité dans la misère mais l’égalité dans la prospérité ». Pour atteindre cet objectif, l’Etat ivoirien, applique la politique du Bulldozer qui se pratique sous d‘autres cieux comme au Brésil. Les opérations de restructuration se font donc en Côte d’Ivoire par l’utilisation du Bulldozer qui détruit massivement l’habitat précaire de type bidonville. Elles s’accompagnent de transferts des populations visées vers de lointains quartiers marginalisés. 3.2.2. L’intégration des quartiers précaires au projet urbain Ivoirien Historiquement, les premières expériences de restructuration des quartiers précaires ont été le fait des Projets de Développement Urbain (PDU) financés par la Banque Mondiale. Pour la première fois dans l’histoire urbaine ivoirienne, l’Etat consentait à intégrer dans le système officiel urbain en général et de la métropole en particulier, des quartiers spontanés de types bidonvilles ou marginaux (Programme de Gestion Urbaine, 1994). Les opérations de restructuration visaient à résorber une partie des quartiers précaires de la ville d’Abidjan par leur intégration au tissu urbain. Les premières opérations concernaient les quartiers Abobo, Adjamé/Liberté/Fraternité, Adjamé/Bramakoté et Port Bouët 2. Par la suite, ont été engagés, à partir de 1982, deux projets pilotes sur Daloa et Korhogo. D’après Boliga (2006), dans la deuxième moitié des années 1980, pour permettre aux pouvoirs publics de réussir ses opérations de régularisation et donner une dimension sociale aux déguerpissements, la Banque Mondiale est intervenue financièrement. Son objectif, était de permettre le relogement, dans un habitat social et légal, d’une grande partie des populations déguerpies. L’une des actions phares de la Banque Mondiale, fut l’opération Biabou 1 qui a consisté à reloger les habitants du quartier Washington (Cocody) dans un autre quartier. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 84 A Aboisso aussi, la restructuration du quartier Sokoura a été engagée à partir de 1987 dans le cadre d’un accord entre l’USAID avec la participation de la coopération française. Par ailleurs d’après le PUG (Programme de Gestion Urbaine), la restructuration des quartiers marginaux obéit aux critères de l’appréciation du niveau des infrastructures et équipements existants ; de l’examen de la classe des revenus de la population du quartier ; une topographie suffisamment favorable à l’habitat économique ; des possibilités réelles de densification après aménagement ; de l’existante immédiate ou projetée à court terme d’infrastructures primaires et d’équipements sociaux servant au quartier et situés dans le quartier lui-même, soit dans le quartier voisin. L’innovation dans la nouvelle stratégie de restructuration des quartiers marginaux est l’introduction dans le mode de financement d’une participation des populations par le paiement du tiers du coût des réseaux secondaires installés dans le quartier. Selon le Programme Participatif d’Amélioration des Bidonvilles (PPAB, 2015) en Côte d’Ivoire, c’est à partir de 1992, qu’une approche basée sur la méthode participative de la restructuration des quartiers précaires a été expérimentée dans les Bidonvilles de Remblai 1 & 2, Zoé Bruno, Grand Campement, Divo 1 & 2 et Aklomianbla dans la commune de Koumassi. Ce même programme résume la procédure de restructuration des quartiers marginaux ou précaire en 6 étapes : 1- l’Etat prescrit et approuve le plan de restructuration par décret ; 2- le Ministère chargé de l’Urbanisme met à disposition des lots ou parcelles en cas de recasement, délivre également les actes de propriété ; 3- un organisme (Etablissement public ou société d’économie mixte) est chargé de la conduite des opérations ; 4- les services des recettes domaniales sont chargés du recouvrement de la contribution des bénéficiaires ; 5- les bénéficiaires apparaissent comme des individus non organisés sous forme de personne(s) morale(s) et contribuent au financement de la restructuration ; 6- une commission paritaire est chargée du règlement des conflits. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 85 Face aux insuffisances des réponses, le PUd est proposé comme une solution efficiente de restructuration des quartiers marginaux. 3.3. Le PUd comme une approche différenciée de restructuration de Soussonoubougou 3.3.1. Présentation du Plan d’Urbanisme de détail (PUd) Le PUd est un document de planification et de réglementation de l’occupation de l’espace urbain. Son institution d’urbanisme en Côte d’Ivoire remonte à la loi n° 62253 du 31 juillet 1962 relative aux plans d'urbanisme. C’est un instrument de planification directrice à la fois opposable et contraignant. Le PUd contribue à la formulation du règlement particulier d’urbanisme qui canalise et contrôle l’occupation des sols (via la délivrance des autorisations d’urbanisme opérationnel : permis de construire, de démolir, etc.). En effet, dans le cadre des orientations des schémas directeurs ou plans directeurs, le PUd fixe les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols. Il délimite les zones d’urbanisation et détermine les zones d’affectation des sols selon l’usage principal qui doit être fait ou la nature des activités dominantes qui peuvent y être exercées. Dans cette dynamique, le PUd fixe pour chaque zone d’affectation, en fonction de la capacité des équipements collectifs existants ou en cours de réalisation, un coefficient d’occupation du sol qui détermine la densité de construction à admettre. En outre, il définit les règles concernant le droit d’implanter des constructions, leur destination, leur nature, leur aspect extérieur, leurs dimensionnements et l’aménagement de leurs abords. C’est ici qu’apparait le caractère opposable du PUd à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux : construction d’habitation, implantation des équipements, déroulement des activités, etc. Relativement à la circulation des biens et des personnes, le PUd précise le tracé et les caractéristiques des principales voies de circulation à conserver, à modifier ou à créer. La pertinence d’un PUd réside dans une bonne connaissance de l’organisation de l’espace, de l’occupation du sol et aux conditions d’utilisation du sol (statut juridique La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 86 des terrains, des espaces libres, des contraintes naturelles du site, des problèmes environnementaux, etc.) ainsi qu’aux principaux problèmes liés à l’urbanisation. 3.3.2. L’approche différenciée de Soussonoubougou par l’élaboration d’un PUd 3.3.2.1. L’identification des besoins prioritaires des populations de Soussonoubougou Afin que les populations de Soussonoubougou adhèrent à la restructuration de leur quartier par l’élaboration d’un PUd, la première démarche qu’il convient d’entamer est l’identification de leurs besoins réels. Aujourd’hui, il est admis que l’absence d’adhésion des populations dans la réalisation des projets met grandement en péril le développement des phases ultérieures des projets, voire leur réussite. Ainsi le diagnostic urbain a mis en évidence les besoins des populations de Soussonoubougou. Le tableau 1 ci-après indique par ordre de priorité les besoins à satisfaire des populations de Soussonoubougou. Tableau 1 : Hiérarchisation des besoins de la population de Soussonoubougou Besoins Rang Proportions (%) Accès à la propriété foncière 1 97 Ouverture de voies 2 94 Adduction d'eau potable 3 90 Electrification 4 87 Gestion des ordures ménagères 5 83 6 80 Drainage des eaux de pluie et usées Source: Enquêtes de terrain, Mars 2021 A l’analyse du tableau 1, être propriétaires des terres sur lesquelles ils ont déjà bâti passe en première position (97%) de leurs besoins à satisfaire. Or toutes les tentatives initiées depuis le début des années 1980 sont restées sans succès en croire les enquêtés. L’élaboration d’un plan parcellaire par le PUd est une aubaine pour les habitants de Soussonoubougou de voir leur rêve se réaliser. Le besoin secondaire à combler est le désenclavement et la fluidité de la mobilité à l’intérieur du quartier. 94% de la population en fait une préoccupation constante. L’ouverture des voies permettra de dessiner une trame urbaine en cohérence avec le milieu adjacent et un espace urbain organisé. La circulation à l’intérieur de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 87 Soussonoubougou se fait essentiellement par des sentiers passant entre des habitations presque mitoyennes. Ce qui a pour conséquence le développement des taxis-motos en lieu place des taxis-autos. L’adduction d’eau en 3ème position. Comme indiqué plus haut, 75,59% des chefs de ménages s’approvisionnent en eau de puits. Les populations sont obligées d’aller chercher de l’eau dans des puits allant jusqu’à 17 m de profondeur. L’accès à l’électricité vient en quatrième position (87%). L’éclairage public et l’alimentation énergétique domestique sont des services fortement réclamés par les habitants de Soussonoubougou. Les habitants désapprouvent leur exclusion du programme présidentiel « Un ménage, un compteur ou électricité pour tous ». Il s’agit en effet d’un programme qui offre aux demandeurs de puissance souscrite 1,1 kVA ou 5 ampères l'accès immédiat à un kit ''branchement social'' après l'acquittement d'un apport initial de 1 000 F CFA. La gestion des ordures (83%) est la cinquième priorité des populations de Soussonoubougou. Du fait de l’absence d’un réseau de voirie, les services de ramassage des ordures ménagères de la mairie n’y sont pas fournis. La présidente de l’association des femmes (Koné Kadidiatou) a révélé que plusieurs ménages parcourent 500 m à 1km avant d’accéder à l’unique bac déposé à l’entrée Sud du quartier. Le drainage des eaux usées et de pluies constitue la 6ème priorité des ménages (80%). L’écoulement de ces eaux est régulier devant les concessions. Les habitants sont obligés de les enjamber avant d’entrer ou de sortir de chez eux. L’absence d’équipement d’assainissement est donc une préoccupation de grande importance pour les habitants de Soussonoubougou. Comme on peut le constater, L’identification des besoins des populations de Soussonoubougou est une étape nécessaire dans la restructuration de ce quartier marginal car permet d’adopter un plan d’amélioration qui tient compte des besoins des bénéficiaires et individualise sa restructuration. A ce propos, le président Houphouët-Boigny disait en 1965 que « la finalité de la politique de l’Etat a toujours et sera toujours l’homme, l’homme que les gouvernants veulent voir s’élever chaque La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 88 jour davantage, voir améliorer son niveau de vie et faire parvenir, grâce à leurs actions constructibles, à l’égalité avec les hommes les plus évolués de la terre ». 3.3.2.2. L’aménagement de l’axe principal Djézoukouamékro – Odiennékourani L’axe Djézoukouamékro – Odiennékourani constitue la voie de pénétration EstOuest de Soussonoubougou. Celui-ci est en terre battue et très peu carrossable. Son emprise varie en fonction du positionnement des habitations et des activités économiques. Il est nécessaire d’aménager l’axe Est-Ouest reliant directement le quartier Djézoukouamékro au quartier Odiennékourani pour une véritable restructuration de Soussonoubougou. En effet, la voirie demeure l’infrastructure qui a le pouvoir entrainant de transformer Soussonoubougou. Surtout, elle participera grandement à son désenclavement. Les opérations d’aménagement de la voirie permettront d’adapter les normes de l’axe principal de desserte aux besoins des populations. Pour ce faire, il faut identifier les futurs utilisateurs et usages pour lesquels l’opération est menée. Concernant les habitants de Soussonoubougou, l’axe principal a pour fonction primordiale la circulation des biens et des personnes donc de désenclavement. Elle assure la connexion inter-quartier notamment avec les quartiers de Djézoukouamékro et d’Odiennékourani. L’aménagement de la voirie assurera également une communication sociale plus aisée entre les différentes populations de la ville de Bouaké et surtout entres les quartiers adjacents. De plus, l’aménagement de l’axe Djézoukouamékro – Odiennékourani facilitera l’accès aux services urbains tel le ramassage des ordures ménagères et la vidange des fosses septiques, le développement des activités et des échanges ainsi que l’implantation des réseaux (eau et électricité, caniveaux). En Outre, afin de minimiser les impacts de l’aménagement de cet axe sur les logements et de réduire les coûts d’indemnisation et de recasement, les emprises de cette voie doivent être celles d’une voie secondaire, c’est-à-dire entre 8 et 10 m. En plus, elles permettront d’organiser à la fois le stationnement et l’accès aux logements ainsi que la desserte des transports en commun (taxis-motos, Gbaka). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 89 Au total, pour que le Plan d’Urbanisme de détail apparaisse véritablement comme une approche différenciée de restructuration pour Soussonoubougou, une synergie d’action doit être mise entre les spécialistes en infrastructures surtout en voiries et réseaux divers, les architectes-paysagistes, les urbanistes, les socio-économistes et les experts en environnement. De leurs actions communes seront définies les prescriptions techniques en matière d’aménagement de la voirie (axe Djézoukouamékro – Odiennékourani), notamment en ce qui concerne son profil en large, ses aménagements au niveau des intersections et la prise en compte de tous les modes de déplacement (y compris le transport en commun, les 2-roues et les piétons). Cette communion d’action favorisera une adaptation des espaces publics où se rencontreront et vivront les habitants de Soussonoubougou soient adaptés au milieu humain et au milieu qui les entourent. 3.3.2.3 La modernisation de l’habitat et l’accès aux services urbains de base La qualité de vie est conditionnée par l’établissement d’un équilibre entre les différents quartiers et catégories de population en matière d’urbanisme et des services urbains. Pour Ingallina (2001), la qualité veut dire amélioration des conditions de vie pour tous, par une action sur l’habitat (développement, réhabilitation des logements existants). Or à Soussonoubougou l’habitat est en banco amélioré (90,57%). Ce type d’habitat utilise certes des matériaux modernes (tôle, ciment), mais le bâti reste traditionnel. Il est contraste donc avec le modèle urbain étatique et les quartiers adjacents. De plus, les commodités résidentielles y sont insuffisantes. Pour une parfaite intégration de Soussonoubougou à l’ensemble urbain de Bouaké, le PUd devra, dans le règlement d’urbanisme, définir clairement les types de construction et partant de leur nature, leurs aspects extérieurs, leur dimensions et l’aménagement de leurs abords. L’architecture de Soussonoubougou épousera alors celle voulue par l’Etat. La promotion d’une approche architecturale et paysagère de Soussonoubougou soucieuse de l’identité culturelle de la ville de Bouaké reste une préoccupation permanente pour les gestionnaires de cette ville. En effet, après l’indépendance, l’État ivoirien décide de promouvoir un modèle de qualité, axé sur le confort, dans le champ de l’habitat à loyer modéré. Le choix de ce La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 90 modèle n’était pas neutre. Il devait, en effet, permettre à l’habitat de participer à une image florissante des villes tout en améliorant le cadre de vie des familles ivoiriennes (Soumahoro Christelle, 1997). Le type de logement imposé est une habitation individuelle en rez-de- chaussée doté d’une petite cours et construite en bande. Le désordre et l’étroitesse des rues engendrés par le resserrement des habitations disparaitront avec les règlements définis par le PUd. De ce fait avec la restructuration de Soussonoubougou, la menée d’eau potable et l’électrification seront plus aisée. De même, l’assainissement sera possible et les habitants pourront ainsi accéder aux services urbains de base tel que le ramassage des ordures par la mairie. L’une des conséquences majeures du recours au PUd est l’intégration et la fin de la marginalité de Soussonoubougou. Les habitants pourront bénéficier des politiques sociales (tel l’électricité pour tous) définies par l’Etat. En somme, le PUd vient renforcer l’implantation des équipements résidentiels pour l’épanouissement des populations de Soussonoubougou. Pour cela, il doit s’atteler à identifier les infrastructures et les superstructures qui seront en mesure de répondre aux besoins des populations. D’après l’enquête de terrain, les populations réclament pour les jeunes des aires de jeux et un foyer polyvalent. En effet contrairement aux demandes habituelles relatives à la santé et à l’éducation, les populations estiment que l’absence des aires de jeux et de foyer polyvalent accentue la marginalité de la population d’une manière générale et des jeunes en particulier. De plus, le PUd devra identifier également les actions pour accompagner le processus de développement économique Soussonoubougou. 3.3.2.4 L’élaboration d’un règlement d’urbanisme particulier pour l’occupation du sol à Soussonoubougou L’élaboration d’un PUd s’achève par celle d’un règlement d’urbanisme. Le règlement d’urbanisme est un document planification urbaine qui a pour objet d’encadrer la forme bâtie dans un périmètre donné. Il met l’accent sur la qualité du cadre de vie. Il permettra de mettre en valeur les qualités architecturales, urbanistiques et paysagères de Soussonoubougou. L’avantage de ce plan est de participer à la bonne intégration des projets communaux sur le territoire de Soussonoubougou. De même, il s’agit de garantir la qualité des intérieurs d’îlots loin La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 91 du désordre des bâtiments et des activités existant actuellement. En plus, le règlement protégera à l’avenir les valeurs d’ensemble et le bâti. En effet, au regard de la loi n° 62-253 du 31 juillet 1962 relative aux plans d'urbanisme, cet instrument de planification fixera les règles générales d’aménagement et de construction applicable à Soussonoubougou. Pour ce faire, dans le cadre de la restructuration de ce quartier précaire, le PUd s’attellera à définir les différentes zones d’affectation du sol. Dans chacune des zones sera défini le coefficient maximum d’utilisation du sol. A cet effet, le resserrement des habitations qui empêche toute circulation à l’intérieur du quartier disparaitra au profit d’une voirie bien hiérarchisée. Les sentiers feront place des rues praticables tant par les taxi-motos que les taxi-autos. Les zones d’habitation seront clairement définies. Il en sera de même pour les zones d’activités et d’entrepôt ainsi de protection. En effet, l’étalement de Soussonoubougou atteint les basfonds dans ses parties Sud et nord-Est. Conclusion Situé au cœur de la ville de Bouaké, le quartier Soussonoubougou contraste avec les quartiers adjacents. C’est un quartier sous intégré et sous équipé au plan spatial et social. Les conditions et cadre de vie des populations y sont marqués par la précarité et par la pauvreté. Toutes les tentatives de régularisation foncière initiées pat les autorités locales depuis 1980, n’ont pu aboutir. Dans ce contexte, le PUd se positionne comme une approche différenciée et individualisée pour la rénovation de Soussonoubougou. Il s’attèlera à identifier les besoins prioritaires des populations, à aménager l’axe Djézoukouamékro – Odiennékourani, unique à moderniser l’habitat et à favoriser l’accès aux services urbains de base. Enfin, l’élaboration d’un règlement d’urbanisme permet d’encadrer l’occupation du sol. Références bibliographiques BOLIGA Zéphirin, Politiques publiques et gestion urbaine : bilan des actions de régularisation des quartiers précaires du district d’Abidjan, Revue Ivoirienne d'Anthropologie et de Sociologie KASA BYA KASA, n°9 – 2006, pp 125-140 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 92 DEMBELE Ousmane, (1997), « Le modèle d’urbanisme ivoirien face à la crise économique : observation à propos de l’habitat métropolitain », in, Le modèle ivoirien en questions : crises, ajustements, recompositions, KHARTALA-ORSTOM, Paris, pp.483513. DJAH Armand Josué, 2013, Développement urbain et problème de logement en Côte d’Ivoire : le cas de la ville de Lakota, thèse de doctorat unique, Université Félix Houphouët-Boigny, IGT, 415 p. INGALLINA Patrizia, 2008, Le projet urbain, Que sais-je, 3è édition, PUF, Paris, 128 p Programme de Gestion urbaine, 1991, Fonctionnement des marchés fonciers dans les villes secondaires de Côte d’ivoire, 64 P VERNIERE Marc, 1973, Villes africaines, Cahiers d'études africaines, vol. 13, n°51, pp. 587-605 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 93 LE CROU-B ET L’INTEGRATION DES ETUDIANTS DANS LA VILLE UNIVERSITAIRE DE BOUAKE Kouamé Komoé Komoe_kouame@yahoo.fr ALOKO-N’Guessan Jérôme poitucharente2@yahoo.fr Université Felix Houphouët Boigny- Cocody- Côte d’ivoire Résumé Deuxième ville de la Côte d’Ivoire par sa population (536189 habitants), Bouaké est un pôle d’attraction et de fixation de population. Elle a gardé une place prépondérante dans l’armature urbaine du pays. Pour ce faire, elle connaît un important mouvement migratoire depuis 1992 pour sa population estudiantine. Il est généralement admis que les migrations internes étudiantes sont dues à l’incapacité des structures d’enseignement locale à satisfaire une demande de plus en plus importante de formation. Mais, s’il est vrai qu’il existe un lien entre le mouvement étudiant des régions d’accueil et la faiblesse d’opportunité de formation de leur région d’origine, il reste vrai aussi que malgré le relatif développement des structures de formation en Côte d’Ivoire, on observe une croissance des flux migratoires étudiants vers les villes de l’intérieur dont Bouaké. C’est pour mettre en lumière les niveaux d’intervention du CROU de Bouaké dans la vie étudiante que cette étude est menée. L’objectif visé est donc de mesurer le degré d’intégration de ces jeunes apprenants sur leur lieu de formation en rapport avec les modes de gouvernance du CROU-B, acteur institutionnel important de socialisation. L’approche se base donc sur l’analyse des pratiques des acteurs, les dispositifs d’aides sociales, en mobilisant des techniques classiques de production de données (enquêtes par questionnaire et par entretiens). Les résultats révèlent qu’il y a une diversité de politiques intégratives (logement, aides sociales, culturel et sportif). Mots clés : Intégration, Etudiants, niveaux d’intervention, CROU-B, Bouaké, flux migratoires. Abstract As the second most populated city of Côte d’Ivoire, (536189 in habitants), Bouaké is a center of attraction and fixation of the population. It has kept a predominant place in the country’s urban frame work. In this way, it is experiencing a signifiant migratory movement since 1992 for its students population. It is generally accepted that the infernal migrations of students are due the inhability of the local educational structures to satify an increasingly important demand for trauning. It is not only true that there is link between movement of students in the hosts regions and a lower training opportunes of their regions of origin, but it is also true that in spite of the relative development of training structures in Côte d’Ivoire, we note an increase in the migration flow of students towand the cities of inner country namely Bouaké. It is to highlight the level of intervention of the CROU of Bouaké in the studentlife that this work has been conducted. So the target objecteiv is to measure the level of integration of these young learners on their training area related to the governance modes of CROU-B, important institutional actor of socialization. So the approach is based on the analysis of the practies of the actors, the social assistance systems, ley La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 97 mobilizing the classic techniques of production of data ( surveys by questionnaire and interviews). The resultsreveal that there is a variety of integratives policies (lodging, social aids, cultural and sporting). Key words : integration, students, level of intervention, migration flow. Introduction Dans la société de l’information et du savoir, l’accès à la connaissance est devenu un facteur décisif de compétitivité territoriale. Par l’attractivité qu’elles suscitent tant auprès des populations que des entreprises, par les réseaux qu’elles créent, par les images qu’elles véhiculent, les universités sont désormais un enjeu prioritaire dans les stratégies de développement des villes et régions, (DATAR, 1998). Elles constituent donc un vecteur incontournable de la centralité urbaine. Dans ce contexte, les jeunes jouent un rôle clé dans la redistribution de la population sur le territoire. Les études sont alors des périodes particulièrement propices à la mobilité géographique (BARON, 2003). La migration pour études constitue une réelle question d’actualité au regard de l’augmentation du nombre d’étudiants et des enjeux mis au-devant de la scène du fait notamment de cet essor et de la multiplication des lieux de formation sur le territoire national. Ainsi, l’étude des migrations apparaît de plus en plus essentielle dans la mesure où la qualification des populations est devenue un enjeu majeur de l’organisation et surtout du fonctionnement de nos sociétés et nos territoires qui les abritent. D’ailleurs tous les travaux s’accordent pour considérer que l’économie contemporaine fonde son dynamisme sur la connaissance. Il est donc nécessaire de disposer en interne, dans les territoires, des savoirs et des compétences adéquate (Bouabdallah, 2003). Ces éléments expliquent et justifient le bien-fondé d’une étude sur l’intégration des étudiants dans leur ville de formation. La situation de la ville de Bouaké n’échappe pas à cette réalité. En effet, Bouaké a gardé une place prépondérante dans l’armature urbaine du pays malgré les crises politico- militaires de 2002 et de 2011 traduites par l’occupation de Bouaké et son contrôle par les forces opposées au pouvoir central, les déplacements de populations et les destructions de biens immobiliers. En dépit de ce tableau sombre, Bouaké a gardé son rang de seconde métropole urbaine de la Côte d’Ivoire. La notoriété et le prestige dont jouissent certains établissements de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 98 formation de cette ville, expliquent en partie la motivation des étudiants à les fréquenter. Il est essentiel de s’assurer que cette mobilité se fasse dans des conditions qui permettent réellement la transmission du savoir. Mais, nous assistons à Bouaké à une dégradation progressive des conditions de vie et de travail des étudiants (précarité financière, inexistence d’infrastructures de loisirs, etc…). Cette étude s’inscrit dans la problématique de l’intégration des étudiants en mobilité nationale dans la ville de Bouaké en Côte d’Ivoire. Ainsi, Il convient de s’intéresser aux mesures qui sont mises en œuvre par le CROU de Bouaké (CROU-B) afin que les étudiants en mobilité aient tous les outils nécessaires à leur épanouissement. Car, pour favoriser l’intégration d’un étudiant dans son environnement, et, par voie de conséquence, la performance universitaire de cet étudiant, plusieurs mobilisations sont nécessaires dont celle des Centres Régionaux des œuvres universitaires (CROUS). A Bouaké, le degré d’intégration de ces jeunes apprenants sur leur lieu de formation est en rapport avec les modes de gouvernance du CROU-B, acteur institutionnel important de socialisation. 1-Méthodologie 1.1-cadre spatial de l’étude Deux raisons principales ont milité pour le choix de la ville de Bouaké comme cadre spatial de la présente étude : les raisons démographiques et les raisons sociopolitiques. Située dans le centre de la Côte d’Ivoire, Bouaké est la deuxième plus grande ville du pays après Abidjan. Dès l’indépendance, elle est promue comme pôle urbain d’équilibre centre-nord de la Côte d’Ivoire et devient rapidement une destination africaine et ivoirienne. En effet, la mise en service du chemin de fer dès 1912, y a favorisé l’affluence de migrants de travailleurs. Elle est la seconde grande ville à la fois par son étendue géographique (plus de 72 km2) et par l’importance de sa population qui est de 536189 habitants d’après le recensement de 2014 (RGPH,2014). La population a dû croitre depuis ce recensement, et surtout avec la reprise économique consécutive au retour de la paix dans cette ville La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 99 qui fut pendant une décennie environ (2002-2011) le bastion de la rébellion armée qui divisa la Côte d’Ivoire en deux zones géographiques. La politique de décentralisation ouvre pour cette collectivité locale les perspectives d’une autonomie en matière de décision. Et puis, face à la saturation des établissements universitaires d’Abidjan, c’est surtout à cette ville qu’il échoit de recevoir nombre d’étudiants en provenance d’autres localités de la Côte d’Ivoire. Dès lors, l’intérêt de ce centre urbain procède de son rayonnement scolaire et universitaire. La figure 1 présente le cadre spatial de l’étude. Figure 1 : Carte de localisation de la ville de Bouaké La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 100 Conformément à l’objectif de la recherche, la méthode adoptée s’appuie sur une synthèse de la littérature scientifique des écrits portant sur l’intégration en milieu universitaire. Elle associe également trois procédés empiriques de recherche pour la collecte de données. Il s’agit de l’observation directe de terrain, des enquêtes par questionnaires et des interviews semi-directifs. En effet, les enquêtes par questionnaires ont concerné 400 étudiants déterminés par la méthode des quotas. Elle s’appuie aussi sur une enquête qualitative qui a été menée au moyen d’entrevues semi-dirigés auprès de 30 étudiants, choisis de façon aléatoire, demeurant dans leur nouveau milieu au moment de l’enquête auprès de ces jeunes de 17 à 34 ans. Les enquêtes nous ont permis de comprendre et apprécier les actions initiées par les acteurs institutionnels et socio-économiques en faveur des populations étudiantes et de mesurer le degré d’intégration de la population estudiantine dans la ville de Bouaké.  Description de la méthode utilisée pour déterminer les 400 étudiants Trois facteurs déterminent la taille de l’échantillon pour une enquête faite dans la population : -La prévalence estimative de la variable étudiée ; -Le niveau de confiance visé ; -La marge d’erreur acceptable. Pour un modèle d’enquête fondé sur un échantillon aléatoire simple, on peut calculer 𝑡2. :𝑝 (1 − 𝑝) la taille d’échantillon requise en appliquant la formule suivante 𝑛 = 𝑒2 Où n = Taille de l’échantillon requise t = Niveau de confiance à 95% (avec une valeur type de 1,96) p = Proportion estimée. L’hypothèse choisie est p = 0,5 e = Marge d’erreur ou niveau de précision à 5% e = 0,05 ; 𝑛 = (0,95)2.0,5 (1 − 0,5) (0,05)2 n = 384,16 soit n = 385 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 101 La taille de l’échantillon est 385 mais pour convenance personnelle, nous l’avons arrondie à 400. Cet échantillon est reparti dans le tableau suivant : Tableau 01 : Répartition de l’échantillon d’enquête par sexe et par type d’établissement Etudiantes Etudiants Types Population Echantillon d’établissements mère retenu Population mère Echantillon retenu N % n % Grandes écoles 2934 64 16 3558 78 19 Universités 3642 80 20 8131 178 45 Total 6576 144 36 11689 256 64 Source : Kouamé Komoé, 2016 Le tableau 01 indique la répartition de l’échantillon en fonction de la structure de la population mère par sexe et par type d’établissement. En effet, pour une population d’une taille de 18 265 étudiants et pour un échantillon de taille 𝑛 = 400 étudiants, les structures des deux ensembles doivent être identiques. La structure de la population ressort d’une répartition des individus (étudiants) par sexe et par types d’établissements. Ainsi notre questionnaire a été adressé à 142 étudiants (soit 36 %) des grandes Ecoles (64 filles et 78 garçons) et 258 étudiants (64%) des universités dont 80 filles et 178 garçons. La figure 2 montre la répartition des étudiants enquêtés par quartiers à Bouaké. Figure 2 : Répartition des étudiants enquêtés par quartiers à Bouaké La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 102 2- Résultats 2-1 -Organisation, fonctionnement et mission du Centre Régional des Ouvres Universitaires de Bouaké (CROU-B) Les conditions de vie des étudiants sont aujourd’hui primordiales pour le développement de l’enseignement supérieur, et pour la réussite des étudiants. Les enjeux sociaux, universitaires, économiques qu’elles concentrent autour d’elles, démontrent le rôle des acteurs publics en charge de ce secteur. Parmi ceux-ci, les CROUS occupent depuis quelques années une place de premier plan. Dans le souci de la décentralisation qui a vu la création de l’université de Bouaké, le décret N° 97-21 du 15 Janvier 1997 crée le CROU de Bouaké. Ce décret en détermine les attributions, l’organisation et le fonctionnement. Le CROU-B est placé sous la tutelle du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. La photo 1 donne un aperçu du CROU de Bouaké, la structure de gestion des problèmes étudiants. Cliché : Kouamé Komoé,2016 Photo 1 : Bâtiment principal du CROU de Bouaké Selon l’article 3 du titre I du décret 97-23 du 15 janvier 1997, le CROU-B fournit des prestations sociales qui portent sur le logement, la restauration, les actions sociales, culturelles et sportives. Il soutient également les initiatives de nature à améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants. C’est un acteur incontournable sur le champ de la vie étudiante. Il est chargé : -d’assurer la gestion des résidences universitaires, des restaurants universitaires et des services qui s’y rattachent ; La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 103 -d’assurer les soins de santé aux étudiants ; - de développer les activités sportives et culturelles au profit des étudiants ; -de développer et de soutenir toutes initiatives de nature à améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants. 2-2- Le CROU-B : un acteur institutionnel avec une diversité de politiques intégratives La question de l’intégration des étudiants, surtout avec une situation économique affaiblie par l’insuffisance des ressources et les nombreuses dépenses inhérentes à la vie étudiante, demeure capitale. A Bouaké, le CROU-B, essaie de créer un environnement social favorable aux étudiants pour leur épanouissement et cela dans plusieurs domaines ou services (hébergement, social, restauration, culturel et sportif). 2-2-1 L’action du CROU-B dans sa mission d’hébergement face à l’augmentation rapide des effectifs étudiants Le logement est une préoccupation centrale dans la vie de l’étudiant. Il est une condition importante de la réussite des études et de sa qualité de vie. La demande est bien souvent supérieure à l’offre. C’est un sujet qui, à l’instar de beaucoup d’autres questions relatives à la situation des étudiants, relève essentiellement de la compétence du Centre Régional des Œuvres Universitaires de Bouaké. Cette institution propose diverses offres de résidences aux étudiants (tableau2). Tableau 2 : Répartition des étudiants de l’UAO selon le nombre de bâtiments, le type de chambre et le nombre de lits N° Résidences Nombre Chambres disponibles de bâtiments Individuelles Doubles Superposés Total LITS 1 Campus 1 9 195 120 120 435 915 2 Campus 2 A 4 84 88 75 247 560 3 Campus 2 B 4 84 44 150 278 772 4 Cité forestière 6 16 212 0 228 440 TOTAL 23 379 464 345 1188 2687 Source : Nos enquêtes ; 2019 Au regard du tableau 2, plusieurs résidences sont présentes sur plusieurs sites du territoire urbain. Mais ces résidences ne présentent pas toutes la même capacité d’accueil et les offres. Les différents types de logements sont repartis entre des rési- La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 104 dences publiques et des résidences privées, chacune présentant des caractéristiques particulières. Les résidences publiques sont plus grandes en termes de capacité. Elles sont localisées sur le campus 1, le campus 2 à la sortie ouest de la ville et la cité forestière située dans le quartier Nimbo. En matière de logement étudiant, le Crou-B a en charge un parc de 2724 lits (capacités) dont 2687 disponibles à la rentrée 2015-2016 (service hébergement UAO, 2016). Ces lits sont repartis comme suit : Campus 1 : 920 lits ; Campus 2 : 1334 lits ; Cité forestière : 460 lits. Le parc social du Crou- B en matière de logement est composé aussi de résidences privées. Les cités privées sont des bâtiments trouvés dans les espaces urbains grâce à l’appui des collectivités locales. Elles sont soit rénovées, adaptées ou construites pour la condition étudiante dans le cadre de bonnes études. Ce sont les résidences de : -La cité Sainte Marie, située au commerce dans l’entourage immédiat du centre culturel Jacques Aka avec 92 lits. C’est une cité de filles. -La cité de la paix située à Air France 2 (non loin du commissariat), 42 lits. -La cité américaine (village baptiste) située sur la route de Brobo, au quartier Kennedy à 15 km du campus 1 de l’UAO avec une capacité de 150 lits dont 92 garçons et 58 filles. -La cité du Lac localisée au corridor Sud avec 20 chambres. Elle permet le logement des enseignants chercheurs vacataires, des particuliers universitaires, des personnels des Ministères de passage dans la ville de Bouaké. Ces résidences ont la particularité de proposer des chambres plus coûteuses de 10000 à 25000 Fcfa selon les types de chambre. Ces résidences privées toutes confondues ont une capacité d’environ 400 places contre 2724 lits aujourd’hui pour le parc locatif public soit près de 89% pour les résidences publiques et 11% pour le parc locatif privé. Ces cités privées sont localisées dans la ville mais elles restent toutes éloignées de nuisances sonores que peut produire le centre commercial. Ce quartier reste le plus proche de ces centres d’hébergement, ce qui permet aux étudiants de bénéficier de services offerts par ce centre à leur vie universitaire. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 105 Le logement étudiant est un réel enjeu : l’augmentation rapide des effectifs étudiants, 20000 en 2020 pour 2724 lits, ce qui fait un ratio d’un lit pour 07 étudiants. L’offre privée insuffisamment développée fait que la ville de Bouaké a du mal à maîtriser le développement du logement étudiant. Si le logement n’a pas toujours rimé avec une offre suffisante, la situation doit évoluer pour le bonheur des étudiants surtout dans les domaines sociaux. 2-2-2-Une politique sociale insuffisante dans le processus d’intégration des étudiants Cette activité de services relève d’une mission traditionnelle du CROU-B et correspond à une aide de l’Etat permettant aux étudiants d’accéder à des services collectifs dont le coût de production est financé par les pouvoirs publics. Il poursuit une mission de service public à caractère social, en offrant des prestations à prix réduit. Plusieurs aspects seront examinés : les actions en matière de restauration, l’attribution de bourses et les autres aides sociales. 2-2-2-1-L’utilisation limitée des restaurants universitaires La présence des restaurants universitaires sur les sites des campus est un atout capital dans la vie étudiante. Les étudiants des différents établissements supérieurs de Bouaké utilisent ces espaces pour leur alimentation. La figure 2 montre la relative fréquentation des restaurants par les étudiants. Figure 2 : Le recours limité au service de restauration Cas de non reponse Jamais De temps en temps Rarement Regulièrement 0 10 20 30 40 50 Source : Nos enquêtes, 2019 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 106 L’analyse de l’accès aux services de restauration par les étudiants montre qu’au moins 40% déclarent utiliser ce service régulièrement, 34, 9% disent s’y rendre de temps en temps, 16% y ont recours rarement et 8,2% disent ne jamais s’y rendre. Ces services offrent l’avantage d’être ouverts tous les jours de 11h30 à 14h pour le déjeuner et de 17h30 à 19h 30 pour le diner. Ce qui permet aux étudiants logés en chambre universitaire (campus 1 et campus 2), tous situés à proximité, d’avoir à disposition un mode de restauration peu coûteux (coût du ticket 200 Fcfa). Le CROU-B propose 1250 places pour les services de restauration reparties sur plusieurs sites (campus 1 et 2, cité forestière, cité américaine). Il existe également un restaurant privé annexe, situé sur le campus 1, qui offre ses services à toute la communauté universitaire. Mais cette structure annexe présente l’inconvénient d’être peu accessible aux étudiants car il faut débourser en moyenne 500 à 1000 Fcfa pour un repas. Pour bénéficier des prestations des restaurants universitaires, l’étudiant doit entrer en possession de la carte multiservices dénommée Restocard. Elle permet de régler les repas dans les restaurants et cafétérias universitaires à l’aide du porte-monnaie électronique et de bénéficier des prestations du CROU-B. Désormais, les étudiants paient directement leurs repas avec la carte tout en bénéficiant automatiquement du tarif étudiant (200 Fcfa). Pour utiliser cette carte, l’étudiant doit la charger à l’aide d’un ticket de recharge contre espèces (minimum 1000 Fcfa). Selon nos sources, à l’avenir, elle permettra d’obtenir des réductions sur de nombreux services, équipements municipaux (musées, piscines, théâtres, transports en commun…). La restauration universitaire occupe une place relativement importante dans la vie des étudiants. Dans l’ensemble, plus de 40% des utilisateurs sondés restent satisfaits de la présence de ces restaurants sur les campus, leur proximité pour nombre d’étudiants et leur tarification à caractère social. L’analyse des points d’appréciation de la restauration universitaire fait ressortir comme points positifs (satisfaisants), par ordre décroissant le prix (81,33%), les heures et jours d’ouverture (76,47%), et la quantité de nourriture (55,85%). En revanche, certains postes posent encore problème parce que le taux d’insatisfaits paraît élevé : la qualité des repas 53,67%, le temps d’attente 68,85%, la qualité de l’accueil La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 107 65, 53%. Mais, de façon générale, on note une satisfaction moyenne de 54,26% contre 45,73% d’insatisfaits. En conclusion, Grâce à ce service, les étudiants bénéficient d’une aide importante et à moindre coût dans leur cursus au regard de l’insuffisance de leurs moyens financiers. Outre la restauration, on observe un autre service d’accompagnement, la bourse et les aides sociales. 2-2-2-3-L’attribution de bourses et prestations sociales du CROU-B face à la massification du nombre d’étudiants Généralement en Côte d’Ivoire, la majorité des étudiants ne sont pas boursiers (GUEDE, 2019). Octroyée aux étudiants dits les plus méritants selon certains critères, la bourse ou l’aide, même si elle apparaît insuffisante dans bien des cas, semble être une bouffée d’oxygène pour nombre d’entre eux. A l’échelle de l’UAO, on a enregistré neuf mille sept cent vingt-sept (9727) bénéficiaires dont 920 filles et 2042 garçons, soit 16,62 % du niveau national c’est-à-dire dix- sept mille huit cent dix-sept (17817) bénéficiaires1. Les résultats de nos enquêtes démontrent que 18% des répondants disent recevoir de l’aide de l’Etat au travers du CROU-B. Au plan national, selon le MESRS (2019), l’enveloppe budgétaire allouée aux bourses en 2015 qui était de 7 milliards, est passée à 16 milliards en 2019, soit une augmentation de 119,81% pour une population de 210000 étudiants soit 18% de bénéficiaires. L’aide publique ou institutionnelle est donc faible. A l’échelle nationale comme locale, la liste des bénéficiaires d’une bourse d’études est proposée par la commission nationale d’attribution de bourse en fonction des critères suivants : le mérite académique, la durée de scolarité, l’âge et le sexe des postulants, la situation socioéconomique des parents et un quota annuel est réservé aux handicapés physiques. Nos enquêtes révèlent également que les contraintes liées à la bourse des étudiants sont nombreuses : retard dans le paiement des bourses sur le cours de l’année ou à la fin de l’année. Souvent, ces ressources sont utilisées pour faire face à des dépenses 1 Seidou Diaby (Directeur des bourses du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique) in Fraternité Matin du lundi 13 Février 2017 p. 6/ MESRS in Fraternité Matin du vendredi 17 Mai 2019 p. 8. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 108 extra-universitaires. Le tableau 3 dresse un bilan des prestations sociales du CROU-B de 2012 à 2015. Tableau 03 : Bilan des activités du service social du CROU de Bouaké de 2012 à 2015 Désignation 2012 2013 2014 2015 Total Aides financières 43 143 143 89 418 Bourses handicapées et cas sociaux 122 116 116 78 432 Logements handicapés et cas sociaux 0 0 96 2 98 Annulations d’années académiques 20 17 17 19 73 Décès d’étudiants 0 4 7 9 20 Transfert d’université 0 3 7 5 15 Exonération de scolarité 9 5 17 3 34 Toxicomanie 6 7 10 3 26 Epilepsie 7 5 6 2 20 Syndrome de stress post- traumatique 4 15 15 15 49 Cas de dépression 4 7 9 6 26 215 324 443 231 1213 Total Source : Service social du CROU de Bouaké, 2012 -2015 Il ressort de nos enquêtes que de 2012 à 2015, 1213 étudiants ont été accueillis, enregistrés et écoutés au cours des permanences du service social. Au vu du tableau3, les demandes sont pour la plupart des demandes d’aide financière (418), de bourses et secours financiers c’est-à-dire cas sociaux et handicapés (432), de logement (98), d’annulation d’années académiques et syndrome de stress (49). L’enquête a révélé que malgré les difficultés (manque de véhicule de liaison, insuffisance de l’outil informatique…), les acteurs du CROU-B s’emploient à mieux répondre aux attentes des étudiants. Selon Koné Youssouf, Responsable du Service social de cette institution on note l’apport appréciable des structures partenaires dans la gestion des dépenses des étudiants. En effet, ces structures ont accepté de réduire de moitié pour les étudiants leurs prestations. C’est le cas de l’hôpital psychiatrique de N’gattakro pour les cas de dépression, de toxicomanie et de syndrome de stress post traumatique, de l’hôpital Saint Camille de Nimbo des cas d’étudiants souffrants de problèmes ophtalmologiques. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 109 L’enquête fait ressortir quelques questions sensibles souvent récurrentes qui doivent faire l’objet de politiques spécifiques de la part des acteurs publics (prise en charge des étudiants, restauration…). Mais les services d’accompagnement des étudiants au sein de l’institution universitaire (CROU-B) ne semblent pas satisfaire pleinement. En définitive, l’enquête a montré que les différents dispositifs d’aides sociales en place sont limités. 2-3- Une offre culturelle et de loisirs encore faible Nos enquêtes permettent de présenter quelques chiffres clés sur l’implication des étudiants dans les pratiques culturelles et sportives et leur rythme de fréquentation. Elles permettent d’évaluer la contribution du CROU de Bouaké dans la vie étudiante. Les chiffres sont les suivants :  Concernant les pratiques culturelles  30,75% des étudiants déclarent pratiquer une activité culturelle. Parmi eux :  55,30% des étudiants le font dans le cadre d’une association  35% des étudiants le font dans le cadre universitaire  17,9% des étudiants le font de font individuelle  Concernant le rythme de fréquentation  69,25% des étudiants visitent les espaces récréatifs et s’adonnent aux détentes.  8% des étudiants déclarent participer aux séances de théâtre  3,5% des étudiants font des sorties pour le cinéma. Notre questionnaire d’enquête a révélé que la proportion des étudiants pratiquant une activité culturelle est relativement faible : 30,75% contre 69,25% qui n’en pratiquent pas. La proportion moyenne d’étudiants pratiquant les activités artistiques et culturelles dans le cadre d’une association ou dans le cadre universitaire s’explique en partie par le nombre important d’association sur le campus de l’UAO. En effet, dans l’exercice de sa mission, le Service socio-culturel du CROU-B travaille régulièrement avec le Centre CASUOA qui coordonne d’une part les activités des clubs et associations (54 associations) et d’autre part d’élaborer et faire exécuter les programmes d’animation culturelle. Parmi ces structures associatives, il y a des clubs artistiques (Pom-Pom girls Woyo plus) et des clubs à caractère social (Association des étudiants Dan de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 110 l’UAO, Association des étudiants de Bounkani). (Source : Service socio-culturel du CROU-B 2019). Par contre, les structures d’accueil hors cours sont pour l’instant inexistantes sur les campus. En outre, il y a un manque de salle de spectacle et de répétition et une contribution limitée du CROU-B aux associations qui souvent s’autofinancent. Le CROU de Bouaké est un acteur tout de même important dans le domaine socio culturel. Dans l’exercice de sa mission, le Service socio-culturel du CROU-B travaille avec le CASUAO (Centre Culturel, Artistique et Sportif de l’Université Alassane Ouattara. Le CROU-B subventionne ou soutient l’organisation ou le développement des initiatives étudiantes permettant un meilleur fonctionnement de ces activités socio-culturelles en milieu universitaire. 3-Discussion L’accès au logement pour les étudiants est l’une des problématiques récurrentes dans les villes universitaires de Côte d’Ivoire. A Bouaké, les étudiants ne sont pas majoritairement logés par le centre des œuvres universitaires en raison des faibles capacités d’hébergement des résidences universitaires. Cette réalité constitue un facteur bloquant l’intégration étudiante. Dans ce sens, (Merlin,1996), souligne que « la généralisation de la solution de campus universitaires péri-urbains, surtout lorsqu’ils ne sont pas correctement desservis, est probablement un facteur qui renforce la coupure entre la ville et l’université et détériore les rapports de l’université avec son environnement, tant sur le plan physique que sur celui des relations, privant ainsi la population des retombées notamment culturelles et sociales de cette dernière ». Cette multiplicité de sites a constitué un obstacle au bon déroulement des enseignements et peut être à la qualité des infrastructures qu’offrent les sites en location. Pour (Pougnat, 2000), la cité universitaire est le lieu par excellence de l’insertion des nouveaux venus dans le milieu des étudiants. De la même manière, Renaudat (1998), dans son étude sur les étudiants africains à Bordeaux explique que le campus et les cités universitaires sont propices à l’intégration. Pour ces auteurs, le campus apporte aux étudiants un cadre favorable aux études, une vie propice aux relations de voisinage et à une socialisation plus importante. La pratique des institutions doit donc viser à attirer « meilleur » en leur proposant des conditions d’étude favorisées. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 111 Si cette situation est observable dans la quasi-totalité des universités ivoiriennes, ce n’est pas le cas en Tunisie ou Khalbous (2018) soulignait que dans ce pays, un étudiant sur quatre à accès aux foyers universitaires. Les trois offices des œuvres universitaires gèrent 63000 lits avec 250000 étudiants. La situation paraît satisfaisante alors en Tunisie. Ainsi, le logement constitue un enjeu pour les universités et œuvres universitaires. Cette idée est soutenue par les résultats de l’enquête menée par De Berny en 2006. Elle mentionne que l’« hébergement est un enjeu très important en ile-deFrance » dans la mesure où un logement autonome et de bonne qualité peut être considéré par tous comme un des critères d’une intégration étudiante réussie. Mais l’accès au logement n’est pas la seule variable garantissant une intégration étudiante. Dans le milieu universitaire, les aides font partie des offres sociales dans le but d’améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants. En ce qui concerne la bourse, Waraba-dah-dji (2010) démontre que la majorité des étudiants ne sont pas boursiers. Pour Guédé (2019), l’UAO enregistrait 1700 étudiants boursiers en 2014 soit 11, 42% de l’effectif total des étudiants dans cette université. Ces chiffres se rapprochent des résultats de nos enquêtes (16% de bénéficiaires en 2016). Alors que l’enveloppe budgétaire allouée aux bourses en 2015 était de sept (7 milliards), elle est passée à 16 milliards en 2018 soit une augmentation de 119%. Malgré tout, ce taux est insuffisant contrairement à la situation observable en Tunisie où 100 mille bourses sont données aux étudiants soit 42 % d’étudiants qui en bénéficient (Khalbous, 2018). Dans une région ou le taux de boursiers est élevé la question sociale est néanmoins centrale. Dans ce sens De Verny (2006) évoque le plan social mis en place en Île-deFrance pour l’amélioration des conditions de vie des étudiants. Les ressources financières restent indéniablement capitales pour réussir les études. L’action sociale se poursuit sur l’intervention du CROU-B dans la restauration et les sollicitations sociales. L’étude a montré une satisfaction moyenne de 54,26% contre 45,73% d’insatisfaits au niveau de la restauration. Ces tendances observées au niveau local se vérifient au niveau national. Selon la D.P.E- MESRS (2015), la capacité d’accueil des restaurants universitaires ivoiriens s’élève à 7136 places pour 4 957149 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 112 plats servis par an. Cette situation n’est pas observable en Tunisie où 15 millions de repas par/ an sont offerts et 72000 repas/Jour (Khalbous, 2018). Au plan social, l’ampleur du dispositif reste encore limitée même s’il est perçu par les étudiants comme utiles et nécessaires. En réalité, la politique de modernisation ou d’extension engagée par les pouvoirs publics doit s’nscrire sur le cours terme dans une logique d’optimisation de ces prestations. Pour les autorités universitaires, il s’agira de mettre en place une politique volontariste d’approche qualitative. Nos enquêtes ont évalué les pratiques culturelles et de loisirs dans la ville de Bouaké et l’état des équipements sur les campus. Comme on a pu le constater, les étudiants pratiquent leur sport dans plusieurs cadres (Association, universitaire, individuelle). Mais l’offre demeure insuffisante pour l’intégration socio-culturelle des étudiants. De façon générale, dans les universités ivoiriennes les offres d’équipements pouvant permettre une vie socio-culturelle étudiante reste insuffisante ou de mauvaise qualité. C’est le cas de l’UAO qui ne dispose pas d’infrastructures culturelle et sportive. Malgré la mobilisation de quelques moyens matériels et humains, l’existence d’associations, la culture et le sport n’apparaissent pas comme un véritable facteur de dynamisme et d’intégration. Sur les campus, les étudiants fréquentent le site le jour et le quittent dès la fin des cours c’est-à-dire qu’il n’y a pas une véritable vie sociale sur les campus après les cours. Cela est confirmé par Hagard (2010), qui indique que le lien qui unit les usagers au territoire qui les accueille est d’un « rapport minimaliste, simplifié, voire médiocre, des universitaires au campus ». Alors que les espaces universitaires doivent -être de véritables lieux culturels où existeraient des salles de spectacles, où des associations organiseraient constamment des expositions, conférences, débats, spectacles sur le campus. Dans le cadre de l’animation de la vie culturelle, dans un sens contraire, De Verny (déjà cité) précise que plus de 200 évènements sont organisés chaque année à Rennes 1 et Rennes 2 par l’intermédiaire des nombreuses associations d’étudiants. Elles disposent de nombreux équipements dédiés à commencer par les auditoriums et des espaces d’expositions, ce qui permet d’accueillir près de 40000 spectateurs. Aussi, l’internet par exemple est un bien de consommation culturelle mais difficilement accessible sur les campus. A ce titre, Guédé (2019) soulignait « En 2015, le wifi du cam- La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 113 pus 2 de l’université Alassane OUATTARA émettait à une distance d’environ 20m. La couverture Internet émise à partir d’un boitier wifi était instable. Entre 010mètres, la réception était forte. De 10-15 mètres, la réception était moyenne. De 1520 mètres, il observait une mauvaise réception. Celui du campus 1 émettait à 300m et était aussi instable. De 0-40 m, le signal est fort, de 40-90m, on a une réception moyenne et de 90-300m, la réception était faible » (GUEDE, 2019). On constate ainsi une inégale distribution du wifi entre les campus 1 et 2 qui s’explique par une différence au niveau du matériel d’installation du wifi. Pour profiter du wifi, les étudiants sont souvent regroupés à proximité de l’émetteur wifi. Au regard de cette situation, nous comprenons mieux les étudiants lorsque 31,1% d’entre eux affirment que les salles informatiques ne sont pas des lieux de connexion. Le développement d’une offre culturelle et sportive présente des enjeux importants. L’offre doit s’adresser de manière cohérente a l’ensemble des publics et des membres de la communauté universitaire. Conclusion Nos axes de réflexion répondent à la problématique de l’intégration de la population estudiantine dans l’espace universitaire et dans la ville d’étude, avec le sentiment, confirmé par nos enquêtes d’une implication importante dans le local. Cette intégration a été accompagnée par le CROU-B au travers de ses actions de prestations sociales qui portent sur le logement, la restauration, les actions sociales, culturelles et les bourses. Au vu des résultats obtenus, force est de constater que les ressources du CROU-B ne sont pas suffisantes pour permettre une intégration totale des étudiants dans leur ville d’accueil. Les actions de cette institution permettent néanmoins aux étudiants de s’adapter ou de s’épanouir quelque peu. C’est pourquoi le CROU-B doit jouer à fonds sur les partenariats avec les acteurs privés et renforcer, mieux cibler ses dispositifs d’aides (cartes multi-services…), car dans une université où le taux de boursiers est faible, la question sociale est centrale. Du côté des étudiants, les activités sont trop éclatées, en plusieurs petits groupes (54 associations), alors qu’ils auraient pu fusionner pour mieux être organisés, encadrés. Dans ce contexte, l’intervention des collectivités, des villes s’avère nécessaire car de nombreux étudiants se trouvent dans des situations problématiques (précarité financière, déplacements longs, travail La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 114 d’appoint, inexistence d’aires de jeux etc.…). Face à ce constat, la prise en compte de la vie étudiante par les collectivités apparait nécessaire pour soutenir les actions du CROU-B. Les résultats ici exposés montrent l’urgence d’intervenir de façon efficace pour une intégration réussie des étudiants. Références bibliographiques Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise : (AUDIAR, 2016), le poids économique des universités rennaises. Observatoire Enseignement Supérieur, Recherche, Innovation et vie étudiante. 24p. BARON Myriam, CARO Patrice, PERRET Cathy Amet Xavier, 2003, Mobilités géographiques étudiantes et qualifications des territoires : quelles disparités interrégionales, Besançon, premier rapport de recherche. Convention de recherche, Datar, 162 p. BOUABDALLAH Khaleb, ROCHETTE Jean Antoine, 2003, l’impact de l’université Jean Monnet sur l’économie locale. Université Jean Monnet 2003 89 p. 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La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 115 ASSOCIATIONS ET DEVELOPPEMENT LOCAL AU BURKINA FASO : UNE ANALYSE DES JEUX D’ACTEURS AUTOUR DES ACTIONS DE DEVELOPPEMENT DE L’ASSOCIATION NABRABOGO Ramané KABORÉ Université Joseph KI-ZERBO, Ouagadougou, Burkina Faso Email : ramaneka@hotmail.com Wendtoin KANGAMBEGA Université Joseph KI-ZERBO, Ouagadougou, Burkina Faso Email : kwendtoin@yahoo.fr Résumé : L’article s’intéresse aux actions de développement d’une association de droit français, « Association Nabrabogo », impliquée dans l’amélioration des conditions de vie (eau, santé, éducation, microcrédit, etc.) des populations du village de Nabrabogo situé dans la commune urbaine de Boussé (région du Plateau central). Mais ces actions dont la mise en œuvre s’appuie sur une collaboration active entre l’Association Nabrabogo et les acteurs associatifs locaux sont l’objet de nombreuses dérives dans l’arène locale. L’article propose une analyse micro-politique des jeux, négociations et manœuvres d'acteurs suscités par et autour de l’offre d’interventions de cette association. Les résultats indiquent que si la plupart des interventions de développement de l’Association Nabrabogo visent à réaliser des infrastructures afin d’assurer aux populations villageoises l’accès aux services de base, elles sont soumises à des stratégies locales de réinterprétations et de détournements qui induisent sur le terrain frustrations, rivalités, tensions et conflits entre les deux principaux groupes sociopolitiques villageois (gens du pouvoir et gens de la terre) qui composent la société locale. La production des données pour la réalisation de cette étude s’est faite suivant la méthode de recherche qualitative de la socio-anthropologie. Mots-clés : action de développement, jeux d’acteurs, gens du pouvoir, gens de la terre, conflits, Association Nabrabogo Abstract: The article focuses on the development actions of an association under French law, “Association Nabrabogo”, involved in improving the living conditions (water, health, education, microcredit, etc.) of the populations of the village of Nabrabogo, located in the urban municipality of Boussé (Central Plateau region). But these actions, the implementation of which is based on active collaboration between the Nabrabogo Association and local associative actors, are the subject of numerous abuses in the local arena. The article offers a micro-political analysis of the games, negotiations and maneuvers of actors aroused by and around the intervention offer of this association. The results show that although most of the development interventions of the Nabrabogo Association aim to build infrastructures in order to ensure village populations access to basic services, they are subject to local strategies of reinterpretation and diversion which lead to the field of frustrations, rivalries, tensions and conflicts between the two main village La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 116 sociopolitical groups (people of power and people of the land) which make up the local society. The production of data for the realization of this study was done according to the qualitative research method of socio-anthropology. Keywords: development action, actor games, people of power, people of the land, conflicts, Nabrabogo Association Introduction Depuis la fin des années 1980, on assiste, dans le champ du développement, à une prolifération de structures associatives et d’ONG dans de nombreux pays africains. Ce « boom » associatif est largement encouragé par les institutions d’aide. Il s’inscrit dans le contexte d’une critique radicale du modèle de l’État « développeur » à travers l’adoption des plans d’ajustement structurel ou la promotion de la "bonne gouvernance", de l’ouverture politique permise par les transitions démocratiques, de la crise de l’emploi (Lavigne Delville, 2018, p. 88 ; Pirotte et Poncelet, 2002, p.73 ; Bierschenk, Chauveau et Olivier de Sardan, 2000). Au tournant du millénaire est apparu un nouveau cadre international de l'aide au développement. Ce cadre est articulé autour d'objectifs globaux visant prioritairement à la réduction de la pauvreté dans le monde et faisant appel à un développement plus participatif, avec notamment de nouveaux rapports entre les gouvernements locaux et les organisations de développement (Pirotte, 2018, p.39). Considérées comme « plus souples, plus adaptables, plus proches des populations, ces organisations auraient donc la charge de démocratiser le développement, de le rendre plus efficace, d'en restituer l'initiative et le contrôle aux couches les plus éloignées des organes de direction de la société nationale » (Pirotte et Poncelet, 2002, p.76). Mais au rebours de cette valorisation des organisations associatives de la part des institutions d’aide, de nombreux travaux venant des chercheurs en sciences sociales sont extrêmement critiques. Ils y voient des structures opportunistes cherchant à capter la rente de l’aide dans une logique d’accumulation ou des complices des politiques néolibérales de l’aide internationale (Lavigne Delville, 2018, p. 88 ; 2015). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 117 Au Burkina Faso, si l’apparition des associations de développement date du début des années 1970 et 1980 pour répondre aux besoins de redistribution de l'aide internationale d'urgence en contexte de famine et de sécheresse (Pirotte et Poncelet, 2002, p.78), l’intervention croissante des associations dans le champ des interventions économiques et sociales pour le développement est un fait aujourd’hui largement établi. Comme le souligne Enée (2010), la réputation du Burkina en matière de quantité d’ONG, d’associations locales, de jumelages, de groupements villageois et de projets en tous genres ne semble plus à faire. Ce mouvement est d’autant plus important que 1’État, faute de moyens, n’est plus en mesure d’assurer les fonctions essentielles comme l’éducation, la santé ou la sécurité dans des conditions satisfaisantes. Ainsi, on voit se créer et se multiplier, en milieu rural, des associations locales de développement, des associations de ressortissants et de développement de tel village, de telle commune ou de telle province. Dans les années 2000, on évalue à plus de 10 000 le nombre des associations locales. La recherche qui soutient cet article porte sur les actions de développement d’une association de droit français, « Association Nabrabogo » (AN), engagée en première ligne dans l’amélioration des conditions de vie (eau, santé, éducation, microcrédit, etc.) des populations du village de Nabrabogo (commune urbaine de Boussé située dans le Plateau central). Mais ces actions, dont le déploiement sur le terrain repose sur l’approche participative, sont soumises à de nombreuses dérives dans l’arène locale. Comme l’a montré, il y a déjà longtemps, la socio-anthropologie du développement en rupture avec une idéologie du développement qui met en avant le consensus, la communauté villageoise n’est ni homogène ni consensuelle. Elle est, comme toute société, traversée par des tensions et conflits, des rapports de force, d’intérêts divergents entre groupes sociaux et/ou statutaires (castes, lignages, groupes d’âges, sexes), de hiérarchies et d’inégalités (Olivier de Sardan, 1995 ; Jacob et Lavigne Delville, 2019). Ainsi, les actions de développement de l’AN, avec leurs enjeux politiques, économiques et sociaux, se trouvent insérées dans les stratégies et représentations locales et sont l’objet d’"appropriations" particulières de la part des différents acteurs en fonction de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 118 leurs grilles d’interprétation, des enjeux locaux, des opportunités de captage de ressources pour ces enjeux locaux ou pour des stratégies personnelles (Olivier de Sardan, 1995, 2021 ; Lavigne Delville, 2016, p. 21). L’objectif de l’article est de proposer une analyse micro-politique des jeux, négociations et manœuvres d'acteurs suscités par et autour de l’offre d’interventions de cette association. Les questions que nous nous posons à travers le présent texte sont les suivantes : Dans quelle mesure le contexte sociopolitique influe-t-il sur les dynamiques d’intervention de développement ? Comment l’Association Nabrabogo mobilise-t-elle les acteurs associatifs autour de son offre d’intervention et comment ces acteurs jouentils leur rôle ? Comment cette offre active ou réactive-t-elle les oppositions entre les différents groupes sociaux qui composent la société locale ? Comment les acteurs gèrent et s’approprient-ils cette offre ? Après avoir rappelé la méthodologie de l’étude, l’article montre que l’AN opère dans un champ sociopolitique complexe qui a une histoire d’interventions extérieures derrière lui et qui n’est pas étrangère aux réactions que les acteurs développent à l’égard des interventions de cette Association. Il décrit ensuite le dispositif d’intervention de l’AN qui repose sur une collaboration active avec les acteurs associatifs locaux censés garantir la participation des différentes catégories d’acteurs et une appropriation des actions qui les concernent. Il présente également les opérations de transformation du milieu social local entreprises par l’Association en vue d’inscrire le village dans une certaine dynamique du développement ou de modernité. Il souligne aussi que ces actions sont des processus sociaux constitutifs d’enjeux importants, et tissés d’interactions, de rivalités et de tensions entre les différents groupes d’acteurs. Il met enfin en discussion la question de l’illusion communautariste et de la neutralité qui imprègne l’intervention de développement. I-Méthodologie de l’étude Notre étude étant qualitative, nous n’avons pas eu recours à une technique statistique d’échantillonnage. Nous avons plutôt cherché à construire un échantillon raisonné basé sur la diversification au maximum des enquêtés, tout en tenant compte de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 119 l’hétérogénéité des positions sociales des acteurs qui composent la population d’étude. Il s’agit de 5 responsables coutumiers et religieux, 3 membres du Comité villageois (CV), 3 membres de l’Association des Jeunes Ressortissants de Nabrabogo pour le Développement (AJRND), 1 représentant de l’AN, 15 membres des cinq lignages qui composent le village (nakomse/gens du pouvoir tengbise/gens de la terre, yoyoose/maîtres du vent, youmba/griots de la cour royale, poéssé/gens du pardon), 2 responsables des femmes, 4 jeunes, un membre du groupe des femmes gestionnaires des moulins à grains, deux présidents d’autres associations ou ONG intervenant à Nabrabogo. Au total, nous nous sommes entretenus avec 34 personnes relevant de ces différents groupes sociaux. Les principales techniques de collecte de données qualitatives que nous avons mobilisées pour mener notre recherche sont les entretiens, l’observation et la recherche documentaire. Les entretiens semi-directifs et informels (bavardages et conversations impromptues) nous ont été utiles pour recouper les points de vue et les attitudes de ces différentes catégories d’acteurs au sujet des actions de développement de l’AN. Ils ont permis aux enquêtés de s’exprimer dans leur propre voix, plutôt que de se conformer à des catégories et les conditions qui leur sont imposées par d’autres » (Sofaer, 1999, p. 1105). L’observation directe, quant à elle, nous a permis de comprendre plus que ce que les gens disent à propos des rivalités qui s’expriment autour des infrastructures et équipements de l’AN, de porter notre attention sur ces infrastructures et leurs lieux de réalisations et les interactions entre les acteurs. Enfin, la recherche documentaire nous a conduit à consulter particulièrement les travaux anthropologiques classiques et historiques et les travaux relevant de la socio-anthropologie du développement. II- Résultats et analyses 2.1 L’arène politico-développementiste locale La zone de l’étude est située dans la province du Kourwéogo au Centre-Nord du Burkina Faso, à une quarantaine de kilomètres de Ouagadougou, la capitale. Les habitants du village de Nabrabogo sont des Moose. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 120 Le contexte sociopolitique est marqué par la disjonction historique entre la détention du pouvoir politique par la noblesse moaga (gens du pouvoir) et le contrôle de l’autorité foncière et religieuse par les groupes autochtones conquis (gens de la terre/tengbise). Pour autant, les deux sphères de pouvoir sont imbriquées et interdépendantes, en particulier parce que les gens de la terre sont parties prenantes des processus de succession et de désignation de la chefferie politique. Il est significatif à cet égard de souligner qu’à son intronisation, le chef de village doive fonder la légitimité de son pouvoir sur le sacré de la terre en obtenant un certain nombre d’interventions rituelles du maître de terre. En plus de ces deux groupes, on y distingue des « maîtres du vent » ou « faiseurs de pluie » (yoyoose) des griots de la cour royale (« youmba ou balamba »), des gens du pardon ou juges (« poéssé »). L’organisation territoriale qui prévaut dans ce village s’appuie sur le quartier (saka). Chaque quartier permet d’identifier à la fois l’espace et le groupe domestique qui l’occupe. Pour Izard, le quartier demeure l’unité de peuplement par excellence ; c’est à travers l’histoire des quartiers bien plus que des lignages, précisément parce qu’ils participent à la fois de l’organisation lignagère et l’organisation villageoise, que se manifeste et se reproduit l’identité collective (2003, p. 82). Le village de Nabrabogo est ainsi divisé en cinq quartiers (sakse, sg. saka), qui sont des unités résidentielles lignagèrement homogènes correspondant à des segments localisés de patrilignages maximaux (buudu) (Izard, 1971, p.157): Nakombgo et Ritégué (quartier des gens du pouvoir et des gens du pardon), Mouguinissin (quartier des gens de la terre), Zan (quartier des maîtres du vent), Palagré (quartier des griots de la cour royale). Ces divisions ou hiérarchies statutaires demeurent vivaces et continuent de structurer les rapports entre lignages malgré l’importance des transformations sociopolitiques contemporaines. Du point de vue de la gouvernance locale, les chefferies traditionnelles de Nabrabogo (chefferie du village, chefferie de la terre) coexistent avec diverses instances politicolégales, à la base d’un fort pluralisme institutionnel. On peut citer entre autres le conseil villageois de développement (CVD) qui est le représentant de l’administration à La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 121 l’échelon villageois, les divers comités, groupements ou associations créés par les projets de développement, les services techniques de l’État, l’association de ressortissants, etc. Bien qu’ayant perdu son titre de représentant officiel de l’État au profit du CVD, la chefferie politique continue d’exercer une influence sur le cours de la vie politique, économique et sociale locale. Bénéficiant de la reconnaissance, du respect et de la considération au sein des populations villageoises, elle s’impose de fait comme un interlocuteur incontournable de l’État et des projets de développement qui l’impliquent dans leurs activités. Par exemple, ceux-ci l’informent au préalable des actions envisagées, à travers sa consultation à propos de certains choix importants ou ont recours à ses services de médiateur dans l’arbitrage de conflits entre acteurs locaux bénéficiaires du projet de développement (Ouédraogo, 2006, p. 10 et 18). Dans certains cas, la chefferie traditionnelle parvient à investir les projets de développement à travers un noyautage, sur une base familiale, des bureaux ou comités qui vont contrôler l'accès aux ressources apportées par ces projets (Olivier de Sardan, 1999, p.156). Cette stratégie lui permet de préserver l’ordre existant et de tirer profit de la gestion de ces équipements. Ce qui constitue un enjeu important dans le cadre des nouvelles recompositions sociales (Baron et Bonnassieu, 2011, p.22). C’est dans cette configuration sociopolitique structurée autour des rapports de pouvoir et d’inégalités que s’inscrivent les interventions de développement. Dans ces conditions, les risques d’appropriation et de détournement des interventions par les détenteurs du pouvoir ne sont pas négligeables. Pour Edja, si les développeurs n’ont pas la possibilité d’apprécier jusqu’à quel point le leadership traditionnel et d’autres formes de pouvoir en milieu rural doivent être sollicités comme moyens au service des projets, les risques sont grands que s’opère une récupération rapide des ressources du développement participatif en faveur du renforcement des rapports de pouvoir déjà existants à l’échelle locale (2000, p.144). Si l’on considère le cas du projet américain dont l’intervention à Nabrabogo date des années 1980, la famille royale s’est appuyée sur un de ses membres dont l’activité de courtage a favorisé l’arrivée de ce projet au village pour l’investir et l’orienter dans un sens favorable à ses intérêts. Plus concrètement, celle-ci a fait réaliser La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 122 les infrastructures communautaires uniquement dans son quartier (forage, moulin) au détriment des autres quartiers et détourné ou accaparé à son avantage les ressources matérielles (charrue, charrette,) et financières générées par ce projet. Comme nous le verrons, cette gestion privée des ressources de ce projet par la famille royale est source de frustrations et influe, de nos jours, de façon significative sur la manière dont les autres lignages réagissent aux interventions des projets de développement dans le village. 2.2 Intervention de développement de l’Association Nabrabogo et coalition de structures associatives L’Association Nabrabogo (AN) a été créée le 24 août 1998 sous l’impulsion d’un ressortissant du village de Nabrabogo vivant en France. Cette création est intervenue à une époque où la quête par les émigrés des appuis pour financer des actions dans leur village (école, dispensaire, puits, magasin coopératif, jardin maraîcher, etc.) est une constante des communautés de ressortissants en France (Lavigne Delville, 2000, p.171). Elle est régie en France sous le statut d'association de loi 1901 ou de fondation d'utilité publique. Il s'agit d'une appellation attribuée selon les critères suivants : l'origine privée de sa constitution, le but non lucratif de ses actions, l'indépendance financière, la neutralité politique et la notion d'intérêt public. L’AN est composée essentiellement de jeunes bénévoles français. Dans un esprit de substitution aux insuffisances de l’État dans le domaine du développement local, l’AN base son intervention sur quatre axes d’action de développement : l’eau, la santé, l’éducation et les activités génératrices de revenus. Sa démarche d’intervention repose sur une logique de développement participatif soumis à la logique des besoins des populations villageoises. Hostile à la logique d’assistanat qui sous-tend généralement les projets de développement, l’enjeu pour l’AN est de donner aux populations les moyens d’être maîtres de leur destin, d’accroître leurs marges de manœuvre et leurs pouvoirs, de les amener à s’approprier véritablement les actions qui les concernent. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 123 En outre, conformément à son statut, l’AN se considère comme une organisation porteuse d’équité dont les membres font preuve de cette capacité à faire une place en eux pour l’intérêt général (Jacob et Lavigne Delville, 2019, p. 133). Pour cela, elle entend rester une intervention neutre et au-dessus de la mêlée. Alors que les gens de la terre entendent l’instrumentaliser pour renforcer leur position en lui enjoignant d’aider d’abord les membres de son lignage d’appartenance avant de se préoccuper du bien-être de l’ensemble de la communauté villageoise, elle oppose un refus de trancher entre les différents groupes sociaux. L’AN s’investit également dans la mobilisation d’acteurs locaux (chefferies coutumières, responsables associatifs, élites villageoises) dont la contribution et le soutien lui paraissent nécessaires à la réussite de ses objectifs. Après des négociations auprès de ces acteurs afin de les convaincre de la rejoindre et de porter le projet avec elle au nom du développement du village qu’ils sont censés tous partager, elle réussit à mettre en place un dispositif organisationnel dédié à la mise en œuvre de ses actions qui s’appuie sur un partenariat stratégique avec deux associations locales : l’Association des jeunes ressortissants de Nabrabogo pour le développement (AJRND) et le Comité villageois (CV). D’abord, l’AJRND : elle connait une existence officielle depuis 2001 et a son siège à Ouagadougou, la capitale. L’AJRND se veut une association de l’ensemble des natifs du village de Nabrabogo vivant dans la capitale. Son bureau est composé de 12 membres. L’AJRND est le produit de l’action de jeunes ressortissants à la capitale (fonctionnaires, cadres, intellectuels, étudiants) qui se sentent le devoir de s’impliquer dans le développement de leur localité en participant à la quête de projets de développement. Quant au Comité villageois (CV), il est créé en Août 2002 dans le sillage des actions de développement impulsées par l’AN. Cette création vise à surmonter les multiples mésententes que les lignages ou quartiers entretiennent entre eux autour des interventions des projets de développement et particulièrement celles de l’AN. Le CV est supposé être l’âme de l’organisation villageoise autour de ces actions de développement : le lieu de prise des décisions initiales, le réceptacle et le lieu de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 124 résolution de toutes les questions qui peuvent être soulevées à son sujet (M. Mathieu, 2002, p.145). En bref, il joue le rôle d’un "porte-parole" qui est censé représenter les populations villageoises et parler à leur place. Le CV est composé de 29 personnes dont 7 viennent du quartier Mouguinissin, 10 de Nakombgo, 5 de Palagré et 7 de Zan. Dans ce CV, une charge honorifique est confiée au chef du village (président d’honneur) qui est issu du quartier Nakombgo, à des fins de légitimation de ses activités aux yeux de la société locale. Cette composition du bureau a fait l’objet de nombreuses tractations, implicites ou explicites, pour arriver à refléter l’équilibre des rapports de force entre les parties prenantes et être représentatif. Elle se fonde sur un double critère de représentativité géographique et sociale (sont présents les représentants des quartiers, des lignages, des autorités coutumières). 24 réunions conduites par l’AJRND ont ainsi été nécessaires pour mettre en place ce CV. Mais mettant en avant la dimension villageoise, le CV se pose aussi comme une communauté de dépassement des clivages de quartier (Lavigne Delville, 2000, p. 179). Dans le processus de mise en œuvre des microprojets de l’AN, il s’opère de facto une sorte de division du travail dont les grandes lignes sont les suivantes : D’un côté, la coordination des acteurs et des ressources financières et matérielles nécessaires aux actions de développement incombe à l’AN. C’est elle qui joue le rôle de bailleur de fonds. Dans cette perspective, elle adopte une stratégie de mobilisation de ressources pour le développement orientée vers la recherche forcenée de ressources. Elle collecte les fonds à travers d’une part, la soumission des demandes de financement auprès des particuliers et des partenaires privés et d’autre part, l’organisation de soirées, de concerts, de spectacles, de tombola, etc. En plus des moyens financiers, l’AN mobilise auprès d’un certain nombre de partenaires les compétences techniques nécessaires à la réalisation de certaines infrastructures socio-économiques. Elle joue, à cet égard, le rôle de courtier en développement à l’échelle de la France, qui draine des microprojets de développement vers le village de Nabrabogo : forage, dispensaire, moulin, micro-crédit, etc. En faisant la preuve sur le terrain qu’elle amène des réalisations concrètes qui sont des apports visibles, et dont la valeur symbolique est très importante aux yeux des La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 125 populations locales, parce qu’elle apporte le développement, les membres de l’AN, et particulièrement leur principal leader, détiennent le leadership dans le jeu du développement local. Ainsi, ces micro-projets tout en permettant à ce dernier de réaffirmer son attachement au village lui confèrent un certain capital symbolique, c’està-dire une espèce d’avance, d’escompte, de créance, que la croyance du groupe peut seule accorder à ceux qui donnent le plus de garanties matérielles et symboliques (Bourdieu, 1980, p. 201-202). De l’autre, les associations locales, créées dans l’objectif de faire la chasse aux projets de développement mais qui éprouvent des difficultés d’accès à la rente matérielle des bailleurs de fonds à travers leurs propres relations, assurent la médiation entre l’AN et les populations locales. Elles représentent la population locale et en expriment les besoins et doléances vis-à-vis de l’AN. Elles ont également pour mission de susciter et d’organiser le consensus, de mobiliser les villageois pour des tâches d’intérêt public, dont les chantiers collectifs pour les infrastructures (école, forage, dispensaire) sont la meilleure illustration. Par exemple, l’AJRND dont certains membres ont une relative maîtrise de la conception de projets en phase avec les modes de la coopération au développement s’occupe de la rédaction des projets sur la base du recueil des avis et suggestions du CV et de leur transmission auprès de l’AN. Elle est censée veiller à ce que les besoins identifiés avec le CV reflètent les préoccupations des populations locales et qu’aucun acteur, au sein du CV ou de la chefferie politique, par exemple, n’impose sa volonté ou fasse valoir ses intérêts personnels au détriment de l’intérêt général. De longues négociations sont souvent nécessaires au sein et entre les trois associations pour tenter de construire avec les populations un consensus sur les actions à mener dans le village et sur leurs lieux d’implantation. Elle entreprend aussi les démarches administratives nécessaires à l’implantation des projets et organise les chantiers de construction d’infrastructures en sélectionnant les entreprises de construction et bâtiment et en achetant les matériaux de construction. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 126 Enfin, elle est chargée d’assurer la durabilité des infrastructures mises en place à travers leur bon fonctionnement et leur entretien. Car trop souvent, les bénéficiaires des interventions de développement jouent le rôle qui leur est affecté le temps du financement, lorsque les incitations financières d’un côté, la pression politique de l’autre, sont là (Jacob et Lavigne Delville, 2019, p. 114). D’une certaine façon, l’AJRND et le CV permettent non seulement à l’AN d’avoir un suivi et un appui sur place de ses projets mais aussi d’assurer leur pérennisation en confiant aux acteurs locaux leur gestion. Réciproquement, l’AN leur permet de participer au développement de leur localité. Ainsi, il s’avère clairement que les rapports entre l’AN et les associations locales sont établis sur la base d’intérêts réciproques. 2.3 Présentation des actions de développement de l’Association Nabrabogo De sa création à 1998, de nombreuses réalisations faites à Nabrabogo sont à inscrire à l’actif de l’AN : forage, moulin, centre de santé communautaire, microcrédit, logements pour enseignants, etc. En se positionnant sur le registre des infrastructures et des équipements (et donc sous un angle essentiellement « technique »), l’AN vise non seulement à satisfaire les besoins essentiels des populations villageoises mais aussi à inscrire le village dans la modernité. Nous décrirons successivement chacune de ces actions. 2. 3.1. Le microcrédit La pratique de microcrédit consiste en de prêts de petites sommes d’argent, contre intérêts, à des personnes ou des groupes, en vue d’établir une activité productive. À cet effet, un comité de gestion est créé. Il est composé de membres de l’AJRND, de ceux du CV et d’une consultante d’une structure de microcrédit basée à Ouagadougou. Ce comité examine les dossiers de demande de prêts financiers, accorde ou non les prêts et assure le suivi, le conseil et le recouvrement de l’argent qui est prêté. Il anime des séances de sensibilisation à la population et particulièrement aux bénéficiaires de microcrédit afin de les inciter à une bonne gestion de leur argent. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 127 2. 3.2 Le moulin L’AN a également financé l’achat et l’implantation d’un moulin à grains au profit des femmes du village qui sont victimes de lourdes souffrances physique causées par les corvées de pilage du mil, du sorgho en encore du maïs. Et c’est la raison pour laquelle, elles ont accueilli favorablement l’installation du moulin en participant physiquement à sa réalisation. Après l’installation du moulin, un comité de gestion a été mis en place. Ce mécanisme de gestion mis en place par les femmes vise à assurer la transparence et à leur permettre de s’impliquer et de s’approprier cette unité de transformation. 2.3.3 L’eau À Nabrabogo, l’eau constitue une préoccupation majeure des populations du fait de sa rareté et des difficultés à la mobiliser. L’objectif de l’AN dans ce domaine est d’améliorer durablement leur accès à l’eau potable par l’implantation d’un forage équipé d’une pompe à motricité humaine. Ce forage vient augmenter les sources d’accès à l’eau dans le village et leur permet de se s’approvisionner plus rapidement en eau et de se vaquer à d’autres occupations. Les environs immédiats du forage ont été aménagés pour assurer l’hygiène autour de l’ouvrage et pour fournir des moyens d’utilisation de l’eau (abreuvoirs, etc.). La maintenance été déléguée à un comité de gestion locaux, chargé d’assurer l’entretien et la maintenance de l’infrastructure. 2. 3.4 La santé L’AN, qui place la santé au cœur de son offre d’intervention, va accéder à la demande des populations dans ce domaine en construisant un centre de santé. Il est constitué d’un dispensaire, d’une maternité et de logements pour le personnel soignant. La raison qui a poussé l’AN à mettre en place un centre de santé est de rendre les services de santé accessibles à la population de Nabrabogo. En effet, celle-ci devait parcourir huit à douze kms pour bénéficier des soins primaires. En plus des soins de santé offerts, la population bénéficie des séances de sensibilisation de la part des agents de santé. Pour favoriser la fréquentation du centre de santé par la population, l’AN a équipé le centre en matériels et en consommables médicaux tels que des médicaments, gants, mobiliers de bureau La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 128 (tables, chaises), etc. L’AN a également fourni les ressources liées au fonctionnement du centre de santé. Ces appuis ont permis de réduire les coûts et les difficultés d’accès aux services de soins. 2. 3.5 L’éducation Depuis 1999, l’école primaire de Nabrabogo bénéficie de la part de l’AN d’une prise en charge annuelle des besoins en fournitures scolaires des élèves. De même, les difficultés qu’ont de nombreux parents à prendre en charge les frais de scolarité de leurs enfants ont conduit l’AN à proposer la gratuité de la scolarité pour chaque élève. Cette gratuité scolaire incite des parents qui ont des enfants en âge de scolarisation et qui n’ont pas pu les scolariser par manque de moyens financiers à pouvoir le faire. Au niveau de la cantine scolaire, l’aide de l’AN permet de renouveler régulièrement le stock de vivres pour permettre d’assurer le repas journalier de chaque élève pendant les jours de cours. Les interventions de l’AN ont aussi porté sur la construction d’un logement pour les enseignants et la réparation des toitures des logements existants. Des toilettes publiques ont également été construites de même que la réfection des bâtiments scolaires. Des salles de cours ont été équipées en tables-bancs neufs. Tandis que les tables-bancs vétustes ont été réparés. 2.4 Jeux d’acteurs autour des actions de développement Si la plupart des interventions de développement de l’AN visent à réaliser des infrastructures afin d’assurer aux populations villageoises l’accès aux services de base (centre de santé, moulin, eau potable, éducation), selon une approche participative, elles sont cependant loin d’être apolitiques et neutres, au sens où elles sont porteuses d’enjeux sociaux et politiques locaux. En effet, ces interventions sont soumises à des stratégies locales de réinterprétations et de détournements qui induisent sur le terrain frustrations, rivalités, tensions et conflits entre différentes catégories d’acteurs. Car chacun des acteurs parties prenantes de l’intervention de développement a ses conceptions, ses logiques, ses priorités, ses intérêts, et la convergence sur l’intervention La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 129 ne traduit souvent qu’un recoupement partiel de ces conceptions et intérêts (Jacob et Lavigne Delville, 2019, p. 40). Comme le rappelle, à juste titre, Bierschenk, une intervention de développement consiste en une arène sociale. Et cette arène fonctionne au travers des interactions entre intérêts des groupes, stratégies, normes, conflits, compromis, etc. (2007, p. 34). 2. 4.1 L’usage local du microcrédit L’intervention de l’AN à travers le projet de microcrédit vise à réduire la pauvreté dans le village en permettant notamment aux populations de créer ou de renforcer des activités génératrices de revenus. Cependant, la mise en œuvre des activités du microcrédit engendre des stratégies de contournement des règles par les bénéficiaires concernant l’utilisation de l’argent emprunté. Ils adoptent des pratiques mieux adaptées au contexte local, ou à leurs intérêts. Dans un environnement où l’urgence du quotidien remet fréquemment en cause les prévisions, l’idée d’investir en vue d’un bénéfice dans un futur plus ou moins lointain ne va pas de soi (Soriat, 2016, p. 179). Alors que les prêts sont accordés pour des activités génératrices de revenus, certains bénéficiaires s’en servent à des fins « non productives », c’est-à-dire ne générant pas de revenu direct. En d’autres termes, ces derniers utilisent les sommes empruntées pour effectuer des dépenses d’ordre social (paiement de la scolarité de leurs enfants, achat de vivres, financement de funérailles), prendre en charge les frais des condiments, la mouture des céréales, assurer les achats de produits manufacturés, l’habillement, etc. Dans un contexte social rural assistancialisé, le microcrédit est perçu par un grand nombre de ces acteurs, et pas seulement par les bénéficiaires, comme un don gratuit voire une manne venant de l’AN qu’il s’agit de capter. Comme ils le disent, les prêts contractés constituent une « aide, un don non remboursable ». D’autres ne parviennent pas à rembourser leur crédit ou à respecter les échéances de remboursement fixées. En plus de cela, l’insuffisance des ressources financières ne permet pas d’accorder les prêts financiers à l’ensemble des membres de la communauté villageoise. Comme le relève un membre du comité villageois : « Il y a seulement 74 personnes qui ont bénéficié du financement du microcrédit ». Cette situation constitue une source d’importantes de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 130 tensions et de jalousies entre les différents acteurs qui interviennent dans le domaine du crédit. Ces différentes difficultés vont conduire à une suspension de l’activité après deux années de mise en œuvre, par manque de moyens financiers 2.4.2 Les rivalités inter-lignagères autour de l’emplacement des infrastructures collectives La détermination des lieux d’implantation des infrastructures collectives à Nabrabogo, comme nous le verrons, donne lieu à de nombreuses tractations et tensions entre les gens du pouvoir et les gens de la terre du fait de l’importance de l’enjeu que revêtent ces infrastructures dans le cadre des nouvelles recompositions sociales. En effet, bénéficier de ces infrastructures permet le maintien de la grandeur politique du quartier ou du lignage dans des contextes de concurrence entre communautés. Le cas de l’implantation du moulin. Alors que les gens du pouvoir cherchent à l’implanter dans leur quartier (en bordure de la route nationale), comme par le passé, les gens de la terre s’y opposent en proposant comme lieu d’implantation du moulin, les environs du marché. Deux raisons sous-tendent cette contre-proposition. D’une part, le marché constitue un lieu relativement neutre, très fréquenté, ouvert sans restriction d’accès à tous. D’autre part, du point de vue financier, il est plus rentable de l’implanter dans un tel endroit qui draine tous les jours et particulièrement les jours de marché une clientèle relativement importante au profit du moulin. Face à cette situation, il s’en suit des négociations conduites par l’AJRD et le CV qui ont permis d’obtenir un compromis parmi les parties prenantes sur l’implantation du moulin dans les environs du marché. Sur la base de ce compromis, un propriétaire terrien appartenant au lignage des gens de la terre propose spontanément de céder son terrain pour son implantation. À travers une telle proposition, le cédant entend mettre en avant plusieurs objectifs et intérêts, dont certains sont explicites (par exemple, montrer la volonté de son lignage de voir le moulin s’implanter dans leur quartier), et d’autres implicites mais pas moins légitimes : accéder au capital d’influence et de pouvoir conféré par cette cession foncière et en profiter pour se faire recruter comme un meunier ou un gardien du moulin ou pour se faire dispenser de tout paiement pour la mouture des céréales de sa famille. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 131 Le lieu d’implantation du centre de santé communautaire. Dans ce cas, deux propositions concurrentes concernant le choix de ce lieu s’affrontent également. L’une portée par les gens du pouvoir entend imposer la construction du centre dans l’ancien emplacement du Poste de Santé Primaire (PSP) qui se trouve dans leur quartier. Ce PSP construit dans les années 1984 mais actuellement en ruine est situé non loin de leur quartier. L’autre proposition soutenue par les gens de la terre préconise sa construction dans une clairière située à proximité de l’école primaire. Cette situation ouvre la voie à des réunions de concertation d’une part entre les membres du CV eux-mêmes divisés autour de ces deux propositions et d’autre part, entre chacun des membres de ce CV avec les représentants de son quartier. Pour autant, ces concertations ne réussissent pas à faire prévaloir une décision consensuelle parmi les différentes catégories de la population locale. Tirant argument des difficultés des populations et leurs associations à s’accorder sur le choix du site d’implantation du centre, le président du CV, un neveu du chef de village, manœuvre habilement pour le présenter comme la dernière instance habilitée à trancher sur cette question, et pour l’imposer, in fine, comme la seule instance disposant d’une légitimité et d’une autorité suffisantes lui permettant de s’imposer à toutes les autres instances (notamment l’AJRND et le CV). Ainsi, lors d’une rencontre publique qui regroupe l’ensemble des habitants du village (y compris les ressortissants non-résidents) et des partenaires techniques français, il lui demande de décider du lieu d’implantation du centre. Celui-ci indique sans surprise l’ancien emplacement du PSP. Cette décision est très mal vécue par les gens de la terre qui la considèrent comme un passage en force inacceptable. Elle les oblige à recourir au rapport de force pour imposer leur quartier comme lieu d’implantation du centre. Certes sur le champ et devant le chef de village, aucun acteur n’y manifeste une opposition publique non pas forcément par crainte de l’autorité coutumière mais surtout parce que prendre la parole pour contredire, et plus encore critiquer publiquement la décision du chef, qui plus est devant des étrangers, apparaît comme une conduite malséante, largement stigmatisée (Olivier de Sardan et al., 2014, p. 114). Mais par la suite, des groupuscules de jeunes des lignages des gens de la terre se La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 132 forment et menacent d’en découdre avec les gens du pouvoir, si le chef ne renonce pas à sa décision d’implanter le centre dans l’ancien emplacement du poste de santé primaire (menaces d’agression contre). Encouragés par l’attitude des jeunes, les vieux du lignage des gens de la terre expriment ouvertement leur hostilité à la décision du chef. Ils décident que le lieu d’implantation est celui proposé par leur camp, tout en faisant planer la menace d’un affrontement entre les deux groupes sociaux. Devant cette situation potentiellement explosive, les gens du pouvoir adoptent des stratégies indirectes pour tenter d’orienter à leur avantage les rapports de force plutôt que de se mettre en position d’opposition frontale avec les gens de la terre. Ainsi, pour endiguer la fronde des gens de la terre, ils s’inscrivent dans une démarche d’apaisement en leur concédant l’implantation du centre dans leur quartier. Mais parallèlement, ils multiplient les formes de contre-attaques plus ou moins invisibles pour mettre en échec le projet : désintérêt, refus d’assister à la cérémonie de lancement officiel des travaux de construction du centre ou d’y participer physiquement, dénigrement (« même si vous voulez, construisez la maternité dans le ciel, et les chauves-souris vont y fréquenter », ironise S.A, un vieux du quartier des gens du pouvoir), révolte des manœuvres sous-payés par l’entrepreneur (un membre de la famille royale). L’emplacement du forage. Ici, des rivalités se sont fortement exprimées entre les deux lignages en raison notamment des accusations portées contre la famille royale d’avoir détourné et implanté dans son quartier les deux premiers forages offerts au village par des bailleurs de fonds via les projets de développement. Mais le recours aux arguments techniques (hydrogéologiques) par les prospecteurs de nappe a permis de négocier avec les protagonistes une décision qui se veut consensuelle sur le lieu d’implantation du forage. C’est ainsi que le quartier des gens de la terre où ces techniciens ont observé une faible profondeur de la nappe phréatique est choisi comme l’emplacement de ce forage. Dans le contexte de l’époque où le mode de gestion privilégié des infrastructures hydrauliques villageoises mises en place en milieu rural africain est « communautaire », le comité villageois impulse la création d’un comité de gestion du forage censé assurer sa maintenance et sa durabilité. Mais ce comité peine à assurer la maintenance de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 133 l’ouvrage, du fait du manque de consensus local autour du recouvrement des cotisations qu’il a initié avec l’apparition des premières pannes du forage. Car, si l’idée d’une cotisation est acceptée par certains acteurs locaux, elle déclenche, en revanche, une vive protestation parmi les nombreux autres usagers (en grand nombre les gens du pouvoir, au minimum les membres des autres lignages) qui la rejettent soit en arguant que son entretien et sa réparation incombent à l’AN qui a financé son implantation soit en invoquant leur indigence. Ils estiment, à défaut, que c’est le problème du comité villageois ou de l’AJRND. 2.5 L’intervention de développement : l’illusion de la neutralité et la sousestimation des clivages internes La mobilisation de l’aide au développement reste une fonction importante des associations de développement qui, à cet égard, jouent bien le rôle de courtiers en développement à l’échelle nationale et internationale (Bierschenk et al., 2000). C’est ce qu’illustre l’expérience de l’AN. Mais la démarche d’intervention de ces associations est souvent sous-tendue par la présomption de la neutralité largement remise en cause par de nombreux travaux. En effet, la neutralité affichée des objectifs des interventions de développement n’empêche pas que se réalise de manière presque invisible des opérations politiques très sensibles (Ferguson, 1994 ; Olivier de Sardan, 1995, 2021 ; Lavigne Delville, 2015). Colin et al., (2009) corroborent cette hypothèse de la "fiction de la neutralité" et soutiennent que « quel que soit l’appareillage technique sur lequel il s’appuie, le dispositif d'intervention n'est pas un vecteur neutre. Il assure sa mise en application en fonction de ses logiques et marges de manœuvre propres, et constitue ainsi une interface au travers de laquelle il peut subir des transformations par rapport à sa formulation initiale » (2009, p. 30). Ce jeu de l’antipolitique que Darbon qualifie de "morbide" (2003, p.139) pose plus de questions qu’il n’en résout. Nous n’en retiendrons que deux ici. La première postule implicitement l’homogénéité de la société et sousestime, ce faisant, les clivages internes, les tensions et conflits, les rapports de force qui y sont prégnantes. Pour Mouffe, « an anti-political vision which refuses to acknowledge antagonistic dimension constitutive of the “political” (…) contributes to exacerbating the La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 134 antagonistic potential existing in society » (2005, p. 2). La deuxième accrédite l’idée que les différents acteurs ne poursuivent aucune stratégie personnelle et se contentent d’appliquer les projets ou de subir passivement les effets des interventions de développement. Cet argument est critiquable, car il méconnait la capacité de ces acteurs à s’adapter à la nouvelle structure d’opportunités induite par la mise en œuvre des projets de développement. Rappelons que les différentes catégories d’acteurs ne constituent pas des groupes homogènes. À l’intérieur de chacune d’elles se déploient des stratégies individuelles et collectives variées qui découlent de la position sociale de chacun, des atouts dont il dispose et des contraintes qui pèsent sur lui, etc. Certains des groupes sociaux qui parmi les populations bénéficiaires possèdent une meilleure connaissance du jeu et disposent de réseaux sociaux propres peuvent se réserver, à l’insu de ces promoteurs, l’usage exclusif des ressources (Bako-Arifari et Le Meur, 2001, p. 269). Dans le cas de l’AN, nous voyons, par exemple, comment les actions de développement qu’elle apporte participent à la modification de l’équilibre des relations de pouvoir locales à travers les stratégies d’instrumentalisation de ces actions auxquelles se livrent les différents acteurs individuels et collectifs. Ainsi, au-delà de la rhétorique de légitimation qui la fait apparaître comme uniquement motivée par la préoccupation du bien-être de la communauté locale, l’AN tire parti de ses actions de développement pour se faire une place dans le jeu local, gagner de la reconnaissance sociale et une position de « monopole du développement légitime » (Bierschenk et al., 2000, p. 31). Parallèlement, les acteurs du jeu politique villageois (notamment les associations locales) avec lesquels l’AN noue des alliances pour assurer l’efficacité de son courtage et lever les risques d’hostilité constituent un groupe stratégique important qui gagne aussi en influence, en notoriété et en visibilité auprès des acteurs de développement. Par ailleurs, ces interventions activent ou réactivent des rivalités et tensions entre les deux principaux groupes stratégiques (gens du pouvoir versus gens de la terre) par le fait que l’accès d’une communauté ou d’un quartier à des infrastructures, comme le forage ou le centre La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 135 de santé communautaire, constitue un marqueur de la grandeur politique du quartier (Jacob et Lavigne Delville, 2019, p.100). Dans un contexte de concurrence entre communautés, disposer, aux yeux des gens de la terre, ces infrastructures dans leur quartier permet d’annihiler leur handicap face au quartier royal, d’accéder à la grandeur locale et d’être en position dominante dans le champ sociopolitique local. Cela leur permet également de prendre leur revanche après les frustrations accumulées au cours des dernières années du fait de la propension de la famille royale locale à accaparer à son profit les interventions de développement dans le village. Pour ces gens de la terre, il n’est plus question d’observer des attitudes d’effacement, de soumission ou de résignation devant la volonté du lignage des gens du pouvoir d’implanter les infrastructures dans le quartier royal. Selon un membre de ce lignage : « Certaines personnes ne sont plus d’accord pour que tout ce qui est infrastructure, réalisation soit uniquement dans un seul quartier ». Surtout que les rapports de force semblent tourner en leur faveur, et cela pour deux raisons. D’une part, à la différence des projets précédents (notamment le "projet américain"), ces micro-projets sont le fruit du courtage en développement d’un fils du lignage des gens de la terre. D’autre part, il y a les conduites de transgression, par le chef de l’époque, des interdits qui ont considérablement affaibli son autorité auprès des gens de la terre. D’abord, sur un registre coutumier, ce chef n’est pas considéré comme un chef légitime aux yeux des gens de la terre puisqu’il n’a pas été rituellement intronisé par la chefferie de terre de Nabrabogo. Selon Bonnet (1982, p. 91), si le chef de terre est placé sous l’autorité politique du chef de village, ce dernier ne peut exercer son pouvoir sans le concours du second qui assure sa légitimation, c’est-à-dire sans la dimension sacrée et mystique attribuée au pouvoir dans la société moaga. Comme le souligne aussi Halpougdou (2004, cité in Ouédraogo, 2006, p.15), « tout pouvoir [traditionnel] est dénué de sens et de réalité sans l’investiture des ancêtres, c’est-à-dire sans la dimension sacrée et mystique attribuée au pouvoir dans ces sociétés ». Ensuite, il lui est reproché d’avoir tué des crocodiles qui sont l’objet de totem chez la famille royale de Boussé, chef-lieu de la province de Kourwéogo dont fait partie Nabrabogo. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 136 Au fond, ces conflits de localisation sont des conflits entre groupes sur qui représente le collectif. D’une part, la chefferie politique qui dit représenter le village et qui estime qu’il n'y a pas de raisons que les infrastructures ne soient pas implantées chez elle. D’autre part, la chefferie de terre qui fait valoir les mêmes revendications. Mais la décrédibilisation de la chefferie politique fait qu'elle n'est plus en situation d'imposer sa vision du commun. Car cette chefferie se voit dénier sa capacité à s’imposer comme une partie qui représente le tout, qui édicte ses lois au tout, qui doit recevoir en priorité les ressources externes et les infrastructures parce que c'est elle qui est apte à savoir comment ces ressources externes et ces infrastructures doivent pouvoir bénéficier à l'ensemble de la population. Conclusion Faisant la preuve de sa capacité à porter et mettre en place des projets de développement, grâce à un travail de mobilisation des ressources financières externes et de constitution dans son orbite d’une coalition d’acteurs qui l’appui, l’Association Nabrabogo est devenue un nouveau pôle structurant du champ du développement local. Elle définit et mène des actions qui influent sur les dynamiques socioéconomiques des populations concernées. Alors que la rhétorique développementiste voit parfois dans les réalisations d’infrastructures et d’équipements (forage, moulin, centre médical, école, etc.) des interventions purement techniques et apolitiques destinées à la satisfaction des besoins fondamentaux exprimés par les populations, nous montrons, au contraire, que ces infrastructures constituent des enjeux et des ressources, objets de multiples intérêts politiques et sociaux de la part des différents groupes d’acteurs. D’une part, les associations locales (le CV et l’ANJRD), interlocutrices privilégiées de l’AN, cherchent, à travers ces micro-projets, à entrer dans les chaînes d’intermédiation et de redistribution de l’aide pour y constituer leurs ressources et probablement pour le pouvoir que permet le contrôle de ces ressources. En même temps, en ne disposant pas de réseaux propres dans le milieu du développement, elles voient leur marge de manœuvre réduite dans le contexte des rapports de force locaux et servent surtout de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 137 relais à l’AN en facilitant la mobilisation des populations pour les actions de développement qu’elle impulse. Pour autant, de tels efforts de participation de leur part ne sont pas sans répondre à une quête de reconnaissance sociale au sein la société locale. D’autre part, ces micro-projets mettent en évidence les problèmes de clivages, de conflits, de rapports de force et de relations de pouvoir qui traversent la communauté villageoise de Nabrabogo. Ils ouvrent le champ à des stratégies croisées ou contradictoires de la part de deux principaux groupes sociopolitiques (gens du pouvoir versus gens de la terre) qui composent la société locale dans leurs tentatives d’appropriation et de récupération des infrastructures fournies par l’AN, les unes visant à réaffirmer leurs hiérarchies sociopolitiques, les autres visant à les remettre en cause et à affirmer les leurs. Comme le disent J-P Jacob et Ph. Lavigne Delville (2019), bénéficier d’infrastructures et d’équipements est un enjeu important dans les rivalités entre les communautés locales en ce qu’elles constituent un marqueur de la grandeur politique et un dispositif de classement social. Dès lors que certains quartiers ont obtenu des infrastructures, ceux qui n’en ont pas sont relégués à un statut secondaire. La grandeur locale d’une communauté ne paraît possible à maintenir qu’en obtenant les mêmes avantages, à même de lui permettre de rester en concurrence avec d’autres collectivités. Finalement, ces rivalités rendent compte d’une crise de la hiérarchie et du holisme. Cette hiérarchie usuelle étant contestée dans sa capacité à s'occuper des intérêts du collectif parce que certains acteurs ont commis des erreurs ou enfreint des interdits. Ces résultats incitent à davantage tenir compte de la diversité des situations, en rendant compte de la pluralité des acteurs, en s’interrogeant sur l’incidence des dispositifs de développement sur les configurations institutionnelles locales et la façon dont leur gestion légitime ou disqualifie les différentes instances dans la régulation du champ sociopolitique, en repérant et en identifiant les conflits (qu’ils soient ou non suscités par ces dispositifs). 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La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 142 ANALYSE DES RAPPORTS ENTRE SAVOIRS TECHNIQUES PAYSANS ET SAVOIRS TECHNICO-SCIENTIFIQUES DANS LES INITIATIVES DE DEVELOPPEMENT : CAS DES PROJETS ICODE ET MOLOPAGA DANS LA COMMUNE RURALE DE BAMA AU BURKINA FASO Seindira MAGNINI Enseignant chercheur au Département de Sociologie, Université Joseph KI-ZERBO mseindira@yahoo.fr Seydou SANOU Doctorant au Département de Sociologie, Université Joseph KI-ZERBO RESUME La dialectique savoirs techniques locaux et savoirs technico-scientifiques est à l’œuvre dans toute initiative de développement en milieu rural fondée sur la résorption d’une situation d’insatisfaction. L’étude réalisée dans la commune de Bama dans la région des Hauts Bassins au Burkina Faso s’est penchée sur les rapports à la fois complémentaires et conflictuels de ces 2 types de savoir. Les discours des acteurs de terrain posent la valorisation des savoirs paysans comme une condition de l’ancrage social des initiatives de développement. Mais dans les pratiques du développement, il est des facteurs qui rendent problématique cette valorisation de ces connaissances dont le principal est que le savoir endogène intègre à la fois le technique, le symbolique et le supranaturel. Dans ce contexte, la réussite d’un projet tient avant tout à son acceptation sociale qui implique la prise en compte de la diversité organisationnelle et culturelle qui caractérise le milieu. On note en effet qu’à la faveur des politiques de déconcentration et de décentralisation en cours, les paysans découvrent et expérimentent de nouvelles institutions qui progressivement s’insèrent dans l’architecture organisationnelle des villages. Tenir compte de ces institutions et des cultures et sous-cultures locales permet de lever certains obstacles. L’étude fait ressortir le fait que la participation paysanne n’est pas nécessairement subordonnée à la valorisation des savoirs et pratiques paysans par les projets. Ce qui La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 143 importe aux yeux des paysans c’est que le projet puisse répondre à un besoin réel de leur existence et que les solutions proposées (qu’elles soient issues de la science moderne ou de tout autre source) puissent permettre de lever ou, à tout le moins, d’atténuer les effets des contraintes sociales, économiques ou environnementales auxquelles ils sont confrontés. Mots clés : Savoir technique, acteurs de développement, projet de développement, initiative de développement Introduction Au Burkina Faso où l’agriculture occupe 86% de la population active et contribue pour 40% au produit intérieur brut (MAHRH, 2011), les efforts étatiques vont principalement dans deux sens : d’une part, la création de centres de formation et de recherche agronomique et d’autre part la mise en place de programmes de soutien aux paysanneries. Par ailleurs, dans un contexte de décentralisation, l’interventionnisme de l’Etat dans les villages est de plus supplanté par l’émergence de nouveaux acteurs de développement, notamment les collectivités locales et les ONG. Cependant, la conception du développement rural a longtemps reposé sur la distinction et la distribution des rôles entre deux mondes : un monde savant (chercheurs, techniciens, hommes politiques) chargé de produire le savoir et un monde non-savant (les paysans) qui doit recevoir et appliquer le savoir (CT/PIIP, 2003). Pour Olivier de Sardan (2001), les savoirs paysans couvrent tous les domaines de la pratique sociale en milieu rural. Ainsi, dans le cadre des interventions-développement, lorsqu’un projet entreprend d’introduire des transformations dans un domaine quelconque du monde rural, il y trouve des savoirs qui régulent déjà les comportements et les pratiques dont il faut tenir compte. Afin de dégager les similitudes et les différences qui existent entre les savoirs technico scientifiques et les savoirs techniques paysans, Olivier de Sardan (2001) a identifié les caractéristiques fondamentales des savoirs paysans, à savoir i) qu’ils sont des réservoirs de connaissances orientées sur l’action et couvrent tous les pans de la vie sociale, ii) qu’ils sont des ensembles de La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 144 significations au travers desquels les paysans donnent sens à leurs pratiques, iii) qu’ils évoluent et se transforment, iv) que leur distribution obéit aux clivages de sexe, de statut, de milieu social proche et enfin, v) qu’ils ne constituent pas un ensemble intégré à tel point qu’on puisse parler à leur sujet de système. Selon Olivier de Sardan (2001) toute initiative de développement met en rapport « deux univers culturels différents (celui des développeurs et celui des développés) ayant chacun leur système de pensées et d’actions ». Si tant est que tous les domaines de la vie sociale sont couverts par les savoirs locaux, quels types de rapports ces savoirs entretiennent-ils avec les savoirs à caractère technico- scientifique diffusés par les développeurs ? La littérature disponible fournit deux ordres de réponse à cette question : des rapports de complémentarité et des rapports conflictuels. Les interactions entre un projet et une population se déroulent dans un contexte (social, économique, culturel, politique, écologique) dont la prise en compte est indispensable pour la viabilité et l’encrage social du projet. Pourtant, jusqu’à une époque récente sinon actuelle, les projets de développement intervenaient dans une logique paternaliste avec pour but de faire adopter aux populations rurales des techniques forgées dans d’autres aires culturelles. Cette situation est liée à la hiérarchie que l’on établit systématiquement entre science (savoir occidental) et ethnoscience (les savoirs des autres, les autres savoirs). En effet, la science occidentale depuis sa naissance a été érigée en modèle unique de rationalité avec pour corollaire la dépréciation des savoirs des autres. Ses découvertes sont censées avoir une vocation universelle. Cet impérialisme de la science serait dans une certaine mesure responsable de l’échec de nombreux projets de développement initiés au profit du monde rural. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 145 Mais depuis quelques années, les savoirs et techniques paysans, longtemps ignorés ou négligés, bénéficient d’une réhabilitation qui les positionne comme une alternative susceptible d’impulser le développement dans les zones rurales. Selon Bromberger (1986 : 02) : « L'inflation d'intérêt pour cette frange de la connaissance procède sans doute des difficultés qu'éprouvent aujourd'hui nos sociétés à gérer leurs relations avec la nature et la culture : crise dans le rapport à l'environnement, crise de la connaissance positiviste, crise dans la transmission unilatérale des savoirs et reconnaissance de la pluralité des procédures — sinon des mécanismes — cognitifs, crise des identités qui se décomposent et se recomposent ». Ainsi, le recours aux savoirs et techniques paysans de gestion et de production est perçu au sein de la communauté internationale comme une solution possible. Au regard de l’importance de la place qu’ils occupent parmi les dispositifs d’intervention-développement en milieu rural, les projets de développement sont devenus aujourd’hui l’espace privilégié de contact entre savoirs paysans et savoirs scientifiques. Partant du constat de ce regain d’intérêt dont ils sont l’objet, une approche empirique des savoirs paysans dans le champ développementaliste nous paraît nécessaire. Pour ce faire, nous nous sommes posé la question suivante : quelle place les savoirs techniques paysans occupent-ils dans les initiatives de développement rural au Burkina Faso ? Problématique La thématique des savoirs techniques paysans offre un vaste champ d’investigation susceptible d’intéresser à la fois les sciences sociales, agronomiques et médicales. En général, les analyses sur ces savoirs portent sur leur utilité, leurs spécificités, la nécessité de leur préservation ou non, la problématique de leur protection juridique en tant que propriété intellectuelle des paysans, ou encore leur rapport avec le savoir moderne. Sous ce dernier angle d’approche, des recherches empiriques indiquent que dans La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 146 le cadre des projets de développement initiés au profit du monde rural, les savoirs des populations bénéficiaires sont en général tenus en médiocre estime par les développeurs. Et, du reste, les projets arrivent chez les paysans déjà tout ficelés. Ainsi, Olivier de Sardan (2006 : 03) parle de « projets parachutés ». Pour Lavigne Delville (1992 : 02) : « Si les projets d'animation rurale des années 55 ‑ 60 avaient pour but de faire émerger les priorités des paysans, les réunions "d'animation" dans les projets n'ont en général d'autre but que de tenter de convaincre les paysans du bien-fondé des projets qui les concernent, à les faire adhérer à des programmes déjà définis et sur lesquels ils n'ont pas leur mot à dire. » En Afrique, la conception ethnocentrique et évolutionniste des sociétés, notamment pendant la période coloniale et même longtemps après, n’a pas permis la valorisation des savoirs des populations trop vite jugés archaïques et inaptes au développement. Le développement, dans ce contexte, se conçoit comme le triomphe de la rationalité scientifique et technique. En effet, l’histoire du progrès de la pensée montre que, depuis son avènement, la science fut considérée comme le paradigme de la rationalité. Cependant, les échecs enregistrés par les projets exclusivement conçus sur un modèle technico-scientifique et les multiples stratégies de résistance développées par les populations dites cibles à leur égard vont conduire les acteurs de développement à reconsidérer leur mode d’intervention en milieu rural. Cette remise en question aboutit à la prise de conscience que le développement ne peut pas se réduire à un simple transfert de savoir et de technologie. Aussi, la remise en cause des fondements théoriques du développement suite à l’échec des politiques macro-économiques pousse-t-elle les Etats africains à explorer d’autres voies de développement, parmi lesquelles figure en bonne place la décentralisation. Mais malgré cette réhabilitation des savoirs techniques paysans - du moins dans les pratiques discursives - certains auteurs, à l’instar de Tcha-Koura (1995), La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 147 estiment que la récurrence des concepts d’«autopromotion paysanne», de «développement participatif» ou de «développement endogène» dans les discours des développeurs n’est qu’une rhétorique populiste par laquelle ceux-ci tentent de se faire une crédibilité auprès des bailleurs de fonds et de légitimer leurs actions aux yeux des populations cibles. Car sur le terrain les logiques d’intervention de ces projets révèlent qu’il ne s’agit que de « (…) constructions intellectuelles déconnectées de toute réalité locale » (Hamelin 1991 : 365). E n effet, dans bien des cas, ces projets définissent a priori les techniques paysannes comme n’étant pas des solutions viables dans les opérations de modernisation et, de ce fait, s’activent à substituer à ces savoirs jugés archaïques des savoirs à caractère technico-scientifique. Les recherches consacrées à la problématique des savoirs paysans au Burkina Faso s’orientent principalement dans deux sens. D’une part, elles s’efforcent de rendre compte de l’efficacité et de l’utilité des connaissances des populations rurales en prônant, du même coup, la nécessité de leur intégration ( Marzouk, 1991) dans la conception et l’exécution des projets de développement. D’autre part, elles mettent en exergue le caractère évolutif (Dupré, 1991), syncrétique de ces savoirs, battant ainsi en brèche la thèse selon laquelle les savoirs des paysans sont traditionnels et patrimoniaux. Si au niveau international la nécessité de préserver et de valoriser les savoirs et techniques paysans est reconnue, il importe de saisir, au-delà des discours, leurs forces et leurs limites dans des contextes précis de développement pour une meilleure articulation avec les savoirs technico-scientifiques au profit des populations rurales. De façon spécifique, la question qui sert de fil conducteur à cette étude se décline en deux préoccupations, à savoir : interroger les facteurs déterminants de l’intégration des savoirs techniques paysans dans les initiatives de développement d’une part et de l’autre les formes de participation réservées aux paysans dans les projets de développement. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 148 Approche méthodologique La commune rurale de Bama dont l’important potentiel hydro-agricole attire de nombreux investisseurs et promoteurs d’initiatives de développement a servi de site pour la réalisation de l’étude qui a concerné les projets ICODE (Initiatives Communautaires pour la promotion des Droits de l’Enfant) et Molopaga dont l’objectif est de contribuer à la promotion de l’agriculture familiale et à l’accès des ménages à une alimentation durable à Badara et à Lanfièra. Disposant d’une plaine rizicole de près de 1300 ha elle occupe aussi et surtout une position stratégique dans la recherche de la sécurité alimentaire. A ce titre, elle fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’Etat central qui y développe des projets d’appui au monde rural. L’intérêt scientifique de cette enquête auprès de 2 projets réside dans l’analyse des différences d’approches des techniques paysannes selon qu’il s’agisse d’un projet financé par des fonds publics ou d’une ONG ou encore selon le domaine d’intervention du projet. Cette étude menée entre mars et juin 2020 a ciblé deux catégories d’acteurs dans les deux projets, notamment les initiateurs de ces projets et les bénéficiaires (paysans). En adoptant une démarche qualitative, elle a suivi la méthode du choix raisonné pour constituer l’échantillon d’enquête. Pour la collecte des données empiriques, le guide d’entretien semi- directif a été privilégié. Il a de ce fait permis aux enquêtés d’exprimer librement leurs opinions sur les stratégies et choix qu’ils opèrent au sein des initiatives de développement mais également d’évoquer des expériences vécues avec d’autres projets de développement. Le principe qui a sous-tendu l’administration de nos guides d’entretien a été la recherche de la diversité des opinions à travers l’hétérogénéité des informateurs. Le principe de saturation des données a été retenu comme repère de couverture des cibles. En définitive, au terme de l’enquête, nous avons pu nous entretenir avec vingtsix (26) personnes au total ; composées à la fois de paysans (21 personnes), de responsables des projets (02 personnes) et de personnes-ressources (03 personnes). La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 149 Présentation des initiatives de développement Le bas-fond aménagé de Lanfièra a été réalisé grâce au soutien financier du PNGT II (Deuxième Programme National de Gestion des Terroirs) et l’appui technique de l’INERA. La collaboration entre la commune de Bama et ces deux structures pour l’aménagement de la plaine rizicole remonte à l’année 2009. Cependant, selon Ouattara (2012) le choix de Lanfièra n’a pas été aisé d’autant plus que d’autres villages de la commune souhaitaient bénéficier de la même réalisation. En amont de l’aménagement du bas-fond, et pour s’assurer de l’acceptation sociale et de la rentabilité économique de l’ouvrage, des études sociologiques, techniques et économiques ont été menées par les partenaires au développement de la commune. Selon un agent technique d’agriculture en service à Bama, les études ont été menées dans une approche participative. Ce qui a permis aux paysans de participer à la fixation des objectifs. Christian Relief and Development Organization, en abrégé CREDO, est une ONG chrétienne de secours et de développement qui met en œuvre le projet Initiatives Communautaires pour la promotion des Droits de l’Enfant (ICODE) dont le but est de promouvoir les droits de l’enfant dans la commune rurale de Bama. Ses méthodes sont la sensibilisation de la population, la formation des membres des organisations paysannes, les échanges avec les responsables des organisations locales, associations, religieux, politiques, etc. L’approche adoptée par le projet est basée sur la responsabilisation des populations dans la défense et la protection des droits de l’enfant. Quant au projet Molopaga, il est mis également en œuvre par CREDO pour contribuer à la promotion de l’agriculture familiale et à l’accès des ménages à une alimentation durable dans la commune rurale de Bama. La finalité est de permettre aux familles les plus pauvres de la commune de sortir de la sous-alimentation et d’assurer aux paysans un revenu digne. La population cible du projet Molopaga est constituée des ménages/familles les plus vulnérables de la commune de Bama dont le nombre est estimé à plus de 500. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 150 Prise en compte des savoirs techniques paysans comme condition de réussite des initiatives de développement De façon générale, les personnes interrogées dans le cadre de cette étude soutiennent que l’intervention extérieure doit se fonder sur la valorisation des savoirs et techniques paysans dans le domaine concerné. Pour elles, en effet, la prise en compte de ces savoirs par les opérateurs de développement présente de nombreux avantages. Ainsi, la prise en compte des savoirs techniques paysans est perçue par nombre de nos enquêtés comme une condition préalable et nécessaire à l’acceptation sociale des initiatives de développement concernant les paysans. Par conséquent, la conception des projets doit se faire de façon participative (c’est- à -dire en y associant les paysans) et être ouverte autant que possible aux initiatives et savoirs paysans. Pour un responsable du PNGT II, structure intervenant dans la commune de Bama, en amont des projets de développement « Il faut faire le diagnostic de la situation du village de façon participative et chercher à identifier les savoirs et savoir-faire locaux qui peuvent contribuer au développement et les y associer. Le développement doit venir d’en bas et non d’en haut. Le développement fait à partir de savoirs et savoir-faire locaux est durable. Tout développement imposé à partir d’un paquet technologique extérieur n’est pas durable ». Cette approche du développement a le mérite de faciliter la communication entre agents de développement et population-cible et, en conséquence, de faciliter la compréhension des idées et pratiques nouvelles que le projet entend distiller au sein de ladite population. Il faut rappeler que le jargon scientifique souvent utilisé par le personnel des projets de développement n’est pas toujours accessible à la population paysanne. Pour B.S, agent technique d’agriculture, la prise en compte du savoir paysan favorise « (…) la maîtrise du projet par les paysans, leur donne l’envie de participer ». Dans l’univers des sciences sociales, ils sont nombreux les chercheurs qui La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 151 soutiennent cette thèse et militent dans leurs écrits pour une valorisation des savoirfaire paysans ou, en tout état de cause, la recherche d’un niveau de cohérence, de complémentarité entre savoirs scientifiques et savoirs paysans dans les initiatives de développement local. Et à ce sujet, Dialla (2005 : 04) traduit très bien la pensée des auteurs de ce courant : « C’est pour n’avoir pas pris en compte les aspects bénéfiques des savoirs locaux que bon nombre de projets initiés dans les pays en développement n’ont pas connu le succès attendu ». De plus, l’intégration des savoirs paysans dans un projet de développement vise son adaptation aux réalités locales et participe donc d’une sorte de ‘’naturalisation’’ du projet. Ainsi, le paysan ne se sent pas étranger au projet ou plutôt ne perçoit pas le projet comme une intrusion étrangère dans son milieu. Cette position est d’autant plus soutenable que les populations rurales ne sont pas habituées aux ruptures brusques dans le fonctionnement de leurs sociétés. Les dynamiques à l’œuvre dans les sociétés rurales s’inscrivent, en effet, dans la logique de mutations où le changement se réalise dans la durée. Partant, leur proposer un paquet technologique, du ‘’prêt-à-porter’’, les prédispose à adopter vis-à-vis du projet une attitude de méfiance, voire de rejet pur et simple. S.L, lui aussi agent technique d’agriculture, soutient dans ce sens que : « La prise en compte des techniques de production paysannes permet au paysan de se sentir concerné, facilite la participation. C’est comme on le dit : on ne développe pas, on se développe. Le développement ne se réduit pas à son aspect technique, il faut tenir compte des réalités sociologiques du milieu ». En effet, tout savoir-faire ou technique est sous-tendu par une logique sociale et Marzouk (1991) précise que l’opposition de logiques entre divers groupes sociaux dans un projet de développement peut engendrer une situation de résistance. Il s’appuie en fait sur l’exemple sénégalais où la confrontation entre logiques scientifiques et logiques paysannes à propos des schémas de construction des ouvrages hydrauliques au début des années 1960 conçus et construits uniquement suivant un modèle technicoscientifique a provoqué l’échec de ces ouvrages. La nécessaire prise en compte des savoirs techniques paysans trouve sa La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 152 justification, selon certains de nos interlocuteurs, dans le fait que les savoirs technicoscientifiques dans la mesure où ils demandent beaucoup de précision et de rigueur dans leur application, peuvent également conduire à des stratégies de rejet ou de contournement de la part de la population paysanne vis-à-vis des actions du projet. En effet, les connaissances issues des stations de recherche se révèlent souvent trop « pénibles » et trop « lourdes » pour les paysans. Cette prise de position si elle paraît légitime, elle ne signifie cependant pas que le monde rural est dépourvu d’instruments ou d’unités de mesure. Mais en général, les savoirs qu’apportent les projets ont été forgés dans des contextes culturels différents et de ce fait n’entrent pas forcement dans les systèmes des valeurs des populations auxquelles ils sont destinés. Toute chose qui rend problématique leur insertion dans les systèmes culturels locaux. En effet, comme nous l’apprend Guillaud (1991 : 357) : « Toute technique nouvelle, avant son adoption, est évaluée sous l’angle non seulement de son efficacité, mais aussi de sa signification sociale ». De plus, leur maîtrise requiert des paysans un long moment d’apprentissage. Au regard de toutes ces considérations et pour donner plus de chance de succès aux initiatives de développement local certains de nos enquêtés estiment qu’il est plus raisonnable d’asseoir leurs bases sur les savoirs déjà existants. En matière des droits de l’enfant, D.M. (H, 39 ans) un paysan du village de Badara soutient qu’« il est difficile de renoncer à ses vieilles habitudes. Il faut travailler à valoriser les connaissances déjà existantes sinon les nouvelles connaissances nous embrouillent ». Pour lui, « Quand on marche et qu’on trébuche, cela accélère la marche ». Tout projet accepté par les paysans est celui dans lequel ceux-ci se retrouvent, c’est- à -dire celui qui intègre le mieux leurs connaissances. Au demeurant, le savoir scientifique n’est pas toujours une négation ou une antinomie du savoir paysan. Au contraire, à certains égards ces deux types de savoir peuvent se rencontrer et même s’accorder sur les mêmes choix. C’est cette idée qui ressort des propos suivants de D. I, un responsable communal de Bama : « Les paysans ici avaient pour habitude de choisir les plus grosses graines de leur récolte de maïs comme La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 153 semences pour la saison suivante, quand les vulgarisateurs sont arrivés, cette même connaissance a été enseignée ». A l’analyse, les représentations construites autour des savoirs techniques paysans posent la prise en compte de ces derniers et leur valorisation comme une des clés de réussite des initiatives de développement rural. Cependant, il existe dans les faits des facteurs qui se posent en obstacles à la valorisation des savoirs techniques paysans dans les projets de développement. Quels sont donc ces facteurs ? Les facteurs de blocage de la prise en compte des savoirs techniques paysans dans les initiatives de développement Le caractère rudimentaire des méthodes de production paysannes : Ce facteur limite la prise en compte des savoirs paysans dans les projets de développement initiés en milieu rural. En effet, malgré l’introduction des cultures commerciales et les multiples efforts de modernisation entrepris par l’Etat et des ONG, les méthodes de production paysannes dans la commune rurale de Bama restent largement inspirées des pratiques traditionnelles. Ainsi, les paysans de Lanfièra nous expliquent qu’en matière de production du riz, les semis consistaient pour eux à jeter les graines de riz à la volée. A la suite des nouvelles techniques (repiquage ou semis du riz en lignes) vulgarisées à la faveur de l’aménagement du bas-fond, il s’est avéré que cette technique traditionnelle limitait considérablement la productivité du riz. Car les nouvelles techniques favorisent davantage la croissance des plants de riz. De même, à Badara, les paysans nous expliquent qu’avant le projet Molopaga, ils effectuaient leurs semis de maïs de façon éparse. Mais le projet Molopaga a insisté sur le fait qu’il fallait désormais faire les semis en lignes. Là encore, les paysans retiennent que la productivité a augmenté. Par ailleurs, selon B.S, agent technique d’agriculture, dans leur grande majorité les paysans continuent d’utiliser un outillage traditionnel composé pour l’essentiel de la houe, la daba, la faucille. Dans ces conditions, le travail s’exécute manuellement car ces outils ne sont qu’un prolongement des membres. Cela limite donc considérablement les capacités de production des unités de production. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 154 Aussi, à cause des contraintes liées au temps et au budget, les projets s’appuient-ils sur des connaissances scientifiques car la valorisation des savoir-faire paysans engendre une lenteur dans l’exécution du projet. B.S, agent technique d’agriculture, relève en effet, que compte tenu de leur caractère rudimentaire, la valorisation des connaissances locales implique un « (…) remodelage et une réadaptation des anciennes méthodes de production » aux objectifs des projets qui, la plupart du temps, visent l’augmentation de la productivité agricole. L’inadaptation des savoirs paysans à la pluviométrie actuelle : Les systèmes agricoles paysans sont loin d’être statiques et immuables. Ils sont au contraire dynamiques en ce sens que les paysans sont toujours orientés vers la recherche de connaissances susceptibles d’accroître leur adaptabilité à un écosystème en perpétuelle évolution. Dans un contexte mondial de changement climatique leur espoir repose sur la science moderne qui, selon eux, est plus apte à leur fournir des solutions à même d’accroître leur capacité de résilience aux effets de ce phénomène. Les propos de S.B (H, 60 ans), exploitant de la plaine rizicole du village de Lanfièra sont illustratifs de ce sentiment d’impuissance des paysans face au phénomène de changement climatique : « Maintenant les pluies commencent tard et s’arrêtent tôt, nous avons donc besoin de semences améliorées sinon nous ne pouvons pas produire ». Abondant dans le même sens, T.H (H, 42 ans) du projet Molopaga du village de Badara formule la requête suivante : « Si la météo pouvait nous donner des indications sur la période où les pluies commencent et sur la période où elles prendront fin, cela nous aiderait beaucoup dans nos activités agricoles ». Ces propos d’enquêtés révèlent que les pratiques paysannes ainsi que les savoirs d’intelligibilité qui leur sont associés ne leur fournissent pas toujours la clé pour maîtriser tous les phénomènes naturels qui se succèdent dans leur milieu. La variabilité des savoirs locaux et conflit de génération : Selon Olivier de Sardan (2001 : 145) : « Les savoirs populaires techniques sont variables, multiples, hétérogènes, et inégalement répartis, selon le sexe, l’âge, le statut, le milieu social proche, la trajectoire La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 155 personnelle ». Notre population d’enquête ne fait pas exception à cette règle et la variable qui semble déterminante dans la distribution des savoirs sur les droits de l’enfant en son sein est bien « la trajectoire individuelle ». Si au moment de notre passage dans le village, les membres de l’AJDB (ayant reçu une formation sur les droits de l’enfant) semblaient être au même niveau d’informations sur les droits de l’enfant, il n’en a cependant pas toujours été ainsi. En effet, ceux de nos enquêtés ayant été scolarisés ou alphabétisés soutiennent qu’ils connaissaient les droits de l’enfant bien avant l’avènement du projet ICODE. D.M (H, 39 ans), de niveau d’instruction primaire, affirme : « Le CREDO ne nous a rien appris de nouveau. Ici les droits de l’enfant sont connus mais les gens ne les respectent pas ». A l’opposé, les personnes non scolarisées (elles sont de loin les plus nombreuses), elles, n’en avaient que des connaissances vagues sinon étriquées. On peut, dans ce sens, soutenir que l’introduction des droits de l’enfant constitue véritablement une innovation sociale qui redéfinit les rapports parents/enfants et qui remet en cause la conception traditionnelle de l’enfant. Car comme le soutiennent nombre de nos enquêtés : « nous ne savions pas que l’enfant c’est toute personne de moins de 18 ans ». Pour ces derniers les droits de l’enfant se résumaient à « l’acte de naissance », ou « l’amener au centre de santé en cas de maladie », ou encore « le mettre à l’école ». En effet, si la cellule familiale et l’environnement social proche constituent le lieu où l’individu acquiert les premières connaissances (notamment celles relatives aux systèmes de valeurs de ses groupes d’appartenance), l’école quant à elle procure à ceux qui y vont un autre type de savoir (scientifique) qui n’est pas toujours compatible avec ceux acquis dans les premières instances de socialisation. De ce point de vue, l’école se révèle être un grand moteur de changement social dont l’impact sur les mentalités et les comportements est très décisif. Par ailleurs, on constate un conflit de générations sur la conception des savoirs. La description d’un quelconque savoir doit tenir compte, comme le précise Vidal (1991), de la position de savoir, c’est- à -dire une situation d’ensemble qui donne La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 156 naissance au savoir et qui préside à son utilisation. Sur la question des droits de l’enfant, en effet, les jeunes estiment que les aînés se réfèrent à la tradition pour denier certains droits aux enfants. Ainsi, pour eux les connaissances que les vieux tentent de leur imposer doivent être soumises à un examen critique avant toute adoption. Du reste, selon eux, la manière dont les parents éduquent les enfants doit changer. Pour K.I (H, 32 ans) du village de Badara « Les parents soumettent leurs enfants à des travaux pénibles comme les travaux champêtres. Or, quand tu vois un jeune qui n’a pas eu à faire des travaux pénibles pendant le bas-âge, il a un physique meilleur à celui qui a été soumis à ces travaux ». Ce traditionalisme des vieux est maintes fois dénoncé par les enquêtés qui voient en la tradition un instrument dont les vieux se servent pour légitimer les rapports de domination qu’ils entretiennent avec eux. A ce sujet, les propos suivants de O.M (H, 46 ans), moniteur d’alphabétisation sont on ne peut plus édifiants : « En matière des droits de l’enfant, il faut se méfier des anciennes connaissances. Par exemple, chez nous les moose, il est interdit à la jeune fille de consommer des œufs sous peine de malheur. Aujourd’hui, avec les informations que j’ai reçues du projet, je me rends compte que c’est une façon d’opprimer la femme. Le projet nous a même appris à faire de la bouillie à base d’œufs pour les bébés. Si le bébé est une fille, est-ce qu’il faut refuser de lui donner cette bouillie ? Donc toute parole ancienne n’est pas une ancienne vérité ! » Beaucoup de nos interlocuteurs sont de cet avis et proposent pour la bonne marche des initiatives de développement une analyse critique des connaissances locales pour ne retenir et valoriser que celles qui revêtent une certaine utilité sociale. De même, comme nous le fait remarquer S.L, agent des services de l’agriculture, dans les projets de développement les savoirs des catégories dominées, c’est- à -dire les cadets et les femmes, ne sont pas pris en compte. Car, très souvent, les projets utilisent les notables ou les personnes dites ressources pour s’informer sur la composition sociologique du milieu où l’intervention doit avoir lieu. Ainsi, les personnes en position de domination font passer leurs savoirs et leurs valeurs La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 157 comme étant ceux partagés par tous, confortant du même coup leur position de domination. Mais au-delà de ce constat, il convient aussi de s’interroger sur le lien entre l’intégration des savoirs techniques paysans et la réussite des initiatives de développement local. Participation paysanne et réussite des initiatives de développement Problématique de la valorisation des savoirs techniques paysans L’enquête de terrain révèle que les paysans ne posent pas d’emblée la valorisation des techniques locales comme condition de leur participation à une initiative de développement. Il en est même parmi les paysans qui affirment sans ambages leur préférence pour les techniques et savoirs scientifiques. Mais, comme le précise Buijsrogge (1989), cette science moderne que les paysans demandent ne saurait devenir plus efficace sans une appropriation réelle et une mise en œuvre effective par eux. La préférence de ces paysans pour la science moderne est liée au fait que les moyens de production dont ils disposent sont de moins en moins adaptés aux contraintes auxquelles ils se trouvent être confrontés. Il ressort donc de l’enquête que plusieurs raisons militent en faveur de l’adoption des techniques modernes. Les techniques modernes augmentent la productivité agricole. L’INERA à travers la pédagogie du champ-école a appris aux paysans de Lanfièra de nouvelles techniques de production de riz, notamment le semis ou le repiquage du riz en lignes par opposition à une pratique qui était largement répandue dans la population paysanne : la jetée des graines de riz à la volée. Selon l’agent technique d’agriculture, chef de plaine de Bama, la technique du repiquage en lignes est nettement plus avantageuse que l’ancienne technique en ce qu’elle facilite le binage des rizières et favorise la croissance du riz. S.L (H, 64 ans) un producteur de riz du village de Lanfièra corrobore ce point de vue en ces termes : « (…) les techniques apportées par La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 158 le projet sont plus efficaces que nos anciennes pratiques. Par exemple lorsqu’un agriculteur jette ses semences de riz à la volée et un autre sème en lignes, le second fera de meilleures récoltes ». Les techniques scientifiques réalisent ce qui est impossible aux techniques paysannes. Les paysans expliquent que l’aménagement du bas-fond a permis la récupération et la revalorisation de terres autrefois considérées comme incultes et improductives et par conséquent abandonnées par leurs propriétaires. Ils ajoutent que ces terres sont redevenues arables au point que les anciens propriétaires ont manifesté leur volonté de les récupérer, ce qui n’a pas été possible car après aménagement elles ont été attribuées à d’autres exploitants. Certains paysans trouvent que les techniques nouvellement adoptées par eux sont plus respectueuses vis-à-vis de l’environnement. Les techniques agricoles anciennement adoptées par les paysans de la localité avec l’introduction des cultures commerciales (le coton surtout) ont conduit les paysans à emblaver des superficies de plus en plus grandes en vue de réaliser le maximum de profit possible. En effet, tout comme Baco et al. (2007 : 03) ont pu l’observer dans le contexte béninois, « L’introduction du coton provoque des réorganisations techniques et de nouvelles logiques de production, qui remodèlent le système de culture paysan reposant sur des pratiques rudimentaires peu productives, et peu rentables ». Il va sans dire que cette agriculture de type extensif constitue une sérieuse menace contre la biodiversité locale et contribue énormément à la désertification. Du reste, cette réalité n’échappe pas à l’entendement de certains paysans qui se réjouissent de ce que, dans le cadre du projet Molopaga, ils ont appris de nouvelles techniques agricoles qui leur permettent de faire d’importants rendements sur de petites superficies notamment par l’apport de la fumure organique. Les techniques nouvelles réduisent le temps de travail : En prônant la réduction des superficies et l’utilisation d’intrants agricoles comme la fumure organique, les engrais chimiques et les herbicides pour augmenter la productivité, le projet Molopaga contribue à la réduction de la force de travail et du temps de travail. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 159 Le projet a en effet pu démontrer aux paysans qu’il est possible de récolter de grandes quantités en fournissant peu d’effort physique par l’utilisation de savoirs et techniques scientifiques et la réduction des espaces de production. Les connaissances scientifiques sont plus adaptées à la pluviométrie actuelle. A Lanfièra tout comme à Badara les paysans soutiennent que les espèces traditionnelles (à cycle long) qu’ils exploitaient s’accommodent mal avec les changements qui s’observent au niveau de la pluviométrie. Toute chose qui est préjudiciable à leur situation alimentaire déjà précaire. Pour eux, les semences améliorées (riz ou maïs) à cycle de production court que leur proposent les vulgarisateurs se présentent comme une alternative aux caprices pluviométriques. Si les projets bénéficient au bout du compte d’une adhésion des paysans, quels sont donc les niveaux de participation et les modes d’implication des paysans aux différentes initiatives de développement mises en place à leur intention ? Les formes de participation paysannes aux initiatives de développement Le thème de la participation est omniprésent aujourd’hui dans les discours des institutions internationales ainsi que des agents de développement sur le terrain. Lavigne Delville (1992) souligne que le terme ‘’participation’’ est ambigu et peut revêtir plusieurs formes selon la nature et le degré d’implication des populations. L’enquête de terrain illustre bien cette diversité des formes de participation dans les actions de développement. Ce chapitre est consacré à la présentation des différentes formes de participation paysanne observées dans les initiatives de développement qui font l’objet de cette étude. Les paragraphes qui suivent sont développés autour des thématiques suivants : l’implication des paysans dans la définition des objectifs et la réalisation des activités d’implantation du projet ; la responsabilisation des paysans dans le suivi- évaluation des projets ; responsabilisation paysanne dans la vulgarisation des connaissances nouvelles ; l’application des techniques nouvelles, la participation féminine dans les projets de développement. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 160 L’implication des paysans dans la définition des objectifs et la réalisation des activités d’implantation du projet La création d’entités territoriales décentralisées au Burkina Faso devenues fonctionnelles avec la mise en place des conseils municipaux et régionaux en 2006 a marqué un tournant dans le mode d’intervention du PNGT II. A sa première phase (2001-2007), en effet, le programme intervenait directement au niveau des villages. A partir de la deuxième phase (2007-2013) les collectivités décentralisées ont été choisies comme étant le niveau d’intervention le plus pertinent. Le changement du niveau d’intervention a une conséquence directe sur le mode d’implication paysanne. L’appui au paysannat se fait désormais à travers le soutien à la mise en œuvre des plans communaux et régionaux de développement. En termes plus clairs, il revient à ces collectivités décentralisées de réaliser le diagnostic de la situation des différents villages en fonction duquel ils élaborent leurs plans de développement avant de solliciter l’appui du PNGT II pour l’exécution de ces plans. Selon les techniciens d’agriculture rencontrés à Bama, l’intervention du PNGT II à Lanfièra procède d’une réponse aux sollicitations des paysans eux-mêmes. Ils expliquent qu’en amont de la réalisation du bas-fond aménagé de Lanfièra ce sont les services d’agriculture qui ont mené des études pour évaluer les potentialités de ce village et sa capacité à abriter un tel ouvrage. Ensuite, ils ont indiqué aux paysans les terrains qui sont favorables. Puis, par l’animation, ils ont fait émerger les priorités des paysans. Ces besoins ont été transmis sous forme de procès-verbal de palabre à la mairie qui est habilité à rechercher des partenaires pour la réalisation des besoins ainsi formulés. En outre, pour la réalisation de l’ouvrage la main d’œuvre locale de même que des matériaux locaux (notamment les pierres) ont été mobilisés. Les paysans réunis au sein d’un groupement disent avoir assuré la collecte des pierres devant servir à la construction des cordons pierreux. Les activités d’aménagement du basfond ont connu une implication de la population bénéficiaire d’autant que c’est elle La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 161 qui s’est chargée de la construction des cages et des diguettes dans le respect des normes définies par les techniciens. Ces constats confortent l’idée de Lavigne Deville (1992 : 02) selon laquelle : « Dans bien des projets d'aménagement, on demande aux populations de "participer" en main-d’œuvre aux travaux, cette "participation" étant censée (outre diminuer le budget) favoriser l'appropriation de l'ouvrage ». L’aménagement du bas-fond se révèle être finalement être une initiative pertinente car il procède d’une volonté paysanne et, de ce point de vue, il répond aux besoins exprimés par les paysans eux-mêmes. Outre l’association des paysans à la définition des objectifs du projet, la mobilisation de la main d’œuvre locale a joué un rôle déterminant dans l’appropriation du projet par ses destinataires. L’exemple d’un autre aménagement réalisé dans le même village de Lanfièra en 2012 est très illustratif à ce sujet. Selon l’agent technique d’agriculture, chef de zone hors plaine de Bama, en vue de réaliser l’autosuffisance alimentaire et lutter contre la pauvreté, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) a aménagé dans le village de Lanfièra une superficie de 60 hectares pour la production du riz pluvial. A cet effet, des intrants (semences et engrais) ont même été distribués aux paysans. Mais quelques années après, le constat est désolant : aucun paysan n’a exploité la parcelle qui lui avait été attribuée. Sur la question, S.K (H, 65 ans), un vieil exploitant de la plaine aménagée par le PNGT II, par ailleurs attributaire d’une parcelle sur les 60 hectares de la FAO donne sa version : « Les gens d’ici n’ont pas participé aux travaux d’implantation du projet. Ils ont amené des étrangers alors qu’il y a des gens ici qui peuvent faire le travail. Ils ont commencé à faire des puits ce n’était même pas encore fini et ils ont commencé à emporter les sacs de ciment pour les vendre aux commerçants. Lorsque nous avons voulu comprendre ils ont dit que nous n’avions pas notre mot à dire. Tout cela parce que nous n’avons pas d’enfants qui ont fait de longues études. Nous sommes considérés comme des aveugles. On n’a pas le choix, on est obligé de suivre. L’aveugle va ou on le mène. » Cet exemple montre à quel point ces paysans attachent du prix à leur La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 162 participation aux activités d’implantation du projet. Dans ce cas concret ce ne sont ni les moyens financiers ni les moyens techniques qui ont fait défaut. Ce qui est en cause ici c’est précisément une mauvaise connaissance de la population locale qui demande à être consultée, mieux à être associée à toutes les étapes des initiatives qui engagent leur devenir. Conclusion Plusieurs études en sciences sociales (sociologie, anthropologie, ethnologie, géographie humaine, etc.) ont abordé la problématique des savoirs et techniques paysans en rapport avec le développement. Pour la plupart, ces études s’attèlent à démontrer l’utilité et la capacité de ces savoirs à impulser les actions de développement. La présente étude marque une rupture avec les débats sur l’utilité ou non des savoirs techniques paysans. L’objectif principal de cette étude était de contribuer à une meilleure intelligibilité des modes d’utilisation des savoirs techniques paysans et des savoirs technico-scientifiques dans la conception et l’exécution des initiatives de développement rural. Au plan des représentations sociales, les opinions sont favorables à une valorisation des techniques locales dans les initiatives de développement rural. Notamment, pour les intervenants extérieurs, le développement n’est possible que s’il intègre ou s’appuie sur les savoirs locaux. Pour eux, cette approche du développement rural, qui consiste à mobiliser et valoriser les ressources cognitives et techniques locales, a la vertu de faciliter la communication entre intervenants extérieurs et population locale, d’adapter le projet aux réalités locales, et de constituer in fine un catalyseur de la participation paysanne aux actions de développement. Dans cette optique, le développement durable est celui qui est issu d’une volonté endogène. L’apport extérieur ne serait qu’un accompagnement visant la valorisation des connaissances locales et l’accroissement de leur efficacité à travers des procédés scientifiques. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 163 Si les discours sont favorables à une intégration des techniques paysannes dans les opérations de développement, il reste que la combinaison d’un certain nombre de facteurs limite considérablement la concrétisation de cette volonté manifeste de fonder le développement rural sur les connaissances locales. Il s’agit, tout d’abord, de l’incapacité des savoirs et techniques paysans à faire face à un certain nombre de contraintes qui pèsent actuellement sur le monde paysan. Dans le secteur agricole, par exemple, les savoirs paysans semblent être limités pour fournir des réponses appropriées aux phénomènes de la désertification et de l’érosion des sols mais aussi et surtout de la raréfaction des pluies et de leur mauvaise répartition dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, les résultats de cette étude montrent que la prise en compte et la valorisation des savoirs techniques paysans ne sont pas une condition suffisante ni même nécessaire de réussite des projets de développement. Ce qui importe, c’est avant tout la connaissance sociologique du milieu qui permet de mettre en place des stratégies d’intervention efficaces. La prise en compte des services déconcentrés de l’Etat, l’implication des autorités traditionnelles et communales ont permis au projet ICODE de lever dans une certaine mesure les obstacles du milieu social. En outre, la participation paysanne qui, elle, détermine nécessairement la réussite des projets, n’est pas liée à la prise en compte des connaissances locales. L’adhésion des populations au projet les concernant viendrait avant tout de l’intérêt que le projet revêt à leurs yeux. De ce point de vue, ce qui est en jeu c’est la pertinence du projet ; c’est-à-dire sa capacité à apporter une réponse appropriée à un besoin ressenti par les populations. Ainsi, selon les enquêtés, l’engouement suscité par la plaine de rizicole de Lanfièra et le projet Molopaga de Badara tiendrait au fait que ces deux initiatives contribuent à combattre la pauvreté et le déficit alimentaire. Pour ce qui est du projet ICODE, né du constat d’une situation jugée négative par des acteurs extérieurs, la mobilisation des populations vient de la capacité des initiateurs du projet qui ont su mettre en place une stratégie de communication qui s’attache à montrer aux populations les La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 164 ‘’bonnes raisons’’ de s’engager dans une dynamique de changement. Quant aux formes de participation paysanne, elles varient d’une initiative de développement à l’autre. Elles vont de l’association des paysans à la planification du projet au suivi-évaluation en passant par l’étape de l’exécution des activités programmées. Le projet de réalisation de la plaine de Lanfièra a connu une participation paysanne à tous les niveaux. Dès la phase de planification, la population locale a pu exprimer ses besoins et attentes vis-à-vis du projet. De plus, la réalisation des travaux d’aménagement du bas-fond a mobilisé la main-d’œuvre locale notamment pour ce qui concerne la collecte des pierres et la construction des digues et cages. Il ressort également une autonomisation des paysans dans la gestion de la plaine. Un comité de gestion composé uniquement de paysans assure le suivi et l’évaluation des activités de production dans la plaine. Toute recherche scientifique est une suspension. Il est donc évident que d’autres aspects de la problématique des savoirs techniques (paysans ou scientifiques) mobilisés dans les initiatives de développement restent à explorer. Il conviendrait, par exemple, dans le prolongement et l’approfondissement de cette recherche, à travers une approche qui combine l’analyse des discours et l’observation ethnographique, de s’intéresser à la façon dont les innovations techniques introduites par une « dynamique du dehors » affectent durablement les systèmes de production paysans BIBLIOGRAPHIE BONFIGLIOLI Angelo M., « Mobilité et survie. Les pasteurs sahéliens face au changement de leur environnement », p. 237-252 in Savoirs paysans et développement, sous la direction de DUPRE Georges, Paris, Karthala-ORSTOM, 1991, 524 pages. BUIJSROGGE Piet, Initiatives paysannes en Afrique de l’ouest, Paris, L’Harmattan, 1989, 220 pages. BURKINA FASO, « Document de stratégie de développement rural à l’horizon 2015 », La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 165 2004, 99 pages. COMMUNE DE BAMA, « Rapport final Plan communal de développement de la commune rurale de Bama 2014- 2018 », 2013, 66 pages. 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Les facteurs responsables de ces complications sont souvent attribués aux causes médicales dont les hémorragies sévères, les infections, les complications de l’avortement, etc., (OMS, 2014), puis le VIH/SIDA, le paludisme, la tuberculose et l’anémie, etc.; (Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, 2015). Cependant, il est donné de constater que le taux d’abandon des consultations prénatales à Korhogo est passé de 70% en 2012 à 80% en 2013, (AIP, 2013). Aussi, le taux de complication durant la grossesse et à accouchement est passé de 23% en 2016 à 27% en 2017 (Donnée de l’enquête de terrain, 2017). Ces chiffres indiquent que les femmes de ce milieu s’éloignent des centres de santé durant la période de grossesse. Ce qui constitue un facteur de risques sanitaires. Dès lors, cette étude analyse les déterminants socioculturels qui limitent la fréquentation et l’utilisation des centres de santé par les femmes à Korhogo. L’approche mixte a permis de réaliser 18 entretiens avec des personnes ressources et administrer un questionnaire standardisé auprès de 81 parturientes mères d’au moins un enfant et 73 femmes porteuse d’une grossesse. Les résultats indiquent que des déterminants sociaux, économiques et culturels expliquent la non fréquentation des centres de santé et sont à l’origine des complications durant la grossesse et à l’accouchement. Par ailleurs, les femmes recourent plus à la médecine de tradition locale culturellement valorisée et qui La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 168 répond plus à leur besoin de santé. Les centres de santé doivent donc adapter leurs pratiques aux exigences culturelles des communautés et surtout améliorer la relation thérapeutique soignant/soigné. Mots clés: Complications, grossesse, déterminants, centre de santé, Korhogo. Abstract Complications during pregnancy and childbirth are the cause of many maternal, neonatal, and infant deaths that remain a public health problem. The factors responsible for these complications are often attributed to medical causes including severe bleeding, infections, abortion complications, etc., (WHO, 2014), followed by HIV/AIDS, malaria, tuberculosis and anemia, etc.; (Ministry of Health and Public Hygiene, 2015). However, it is given to note that the rate of abandonment of prenatal consultations in Korhogo has increased from 70% in 2012 to 80% in 2013, (AIP, 2013). Also, the complication rate during pregnancy and at delivery increased from 23% in 2016 to 27% in 2017 (Field survey data, 2017). These figures indicate that women in this setting are moving away from health centers during the pregnancy period. This constitutes a health risk factor. Therefore, this study analyzes the socio-cultural determinants that limit women's attendance and use of health centers in Korhogo. The mixed-methods approach involved conducting 18 interviews with resource persons and administering a standardized questionnaire to 81 parturient mothers of at least one child and 73 women with a pregnancy. The results indicate that social, economic and cultural determinants explain the nonattendance of health centers and are at the origin of complications during pregnancy and childbirth. In addition, women rely more on culturally valued traditional local medicine, which is more relevant to their health needs. Health centers must therefore adapt their practices to the cultural requirements of the communities and, above all, improve the therapeutic relationship between the health care provider and the patient. Keys words: Complications, pregnancy, determinants, health center, Korhogo Introduction La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 169 Les complications durant la grossesse et à l’accouchement ont très souvent été attribuées à des causes médicales occultant les facteurs socio-culturels, les représentations et idéologies des populations. Or selon Goubo S. (2013, 14), « Notre santé dépend de notre vision du monde en ce sens que nos comportements sont orientés par notre logique culturelle représentée par nos croyances, nos attitudes, nos attentes : les normes qui nous ont été inculquées par notre éducation (morale et religieuse); la santé se trouve donc dans la culture ». Fainzang S. (2000) relève dans ses travaux que l’attachement aux pratiques ancestrales, mythes et croyances construit culturellement les pratiques des individus, quand les facteurs socioculturels et socio-économiques influencent l'itinéraire thérapeutique des individus et agissent sur leur santé, selon Kpatchavi C. A. (1999). Les complications durant la grossesse et à l’accouchement constituent en effet les causes majeures de mortalités maternelles, néonatales et infantiles qui demeurent un problème de santé publique. Dans leurs différents travaux sur les complications durant la grossesse, Tiembré et al. (2010) soutiennent que le suivi de la grossesse est nécessaire afin d’identifier d’éventuels risques et améliorer le pronostic. Adjamagbo A. et Guillaume A. (2001) soutient pour sa part que la santé de la reproduction fait partie des priorités de développement des institutions internationales et nationales de tous les pays. En effet, la santé de la reproduction est : «le bien-être général tant physique que mental et social, de la personne humaine, pour tout ce qui concerne l’appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement et non pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité […] ainsi que le droit d’accéder à des services de santé qui permettent aux femmes de mener à bien leur grossesse et l’accouchement et donnent aux couples toutes les chances d’avoir un enfant en bonne santé, etc. Les services de santé de reproduction renvoient à l’ensemble des méthodes, techniques et services qui contribuent à la santé et au bien-être en matière de procréation en prévenant et résolvant les problèmes qui peuvent se poser dans ce domaine» (Nations Unies, 2014, 65). C’est dans ce sens que l’OMS (2008) invite les différents pays à combler les fossés existants entre les capacités et la qualité des systèmes de santé, mais surtout à lever les obstacles liés à l’accès aux services communautaires. L’Afrique en effet, se distingue des autres continents par des taux élevés de mortalité maternelle. En La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 170 Afrique subsaharienne, en particulier, le taux de mortalité maternelle demeure élevé malgré la tendance à la baisse. Il est passé de 987 à 546 pour 100 000 naissances vivantes entre 1990 et 2015 contre 385 à 216 dans le monde, (OMS, 2015, p. 4). En Côte d’Ivoire, les taux de mortalité maternelle sont passés de 745 en 1990 à 645 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2015 soit une évolution de 13,4% en 25 ans et un taux annuel de 0,6 % contre 44 % au niveau mondial (Plan National de Développement Sanitaire (2016, p. 17). Le Rapport de la Mortalité Maternelle (OMS, 2015) estimait le taux de mortalité maternelle à 645 décès pour 100 000 naissances vivantes au niveau national contre 546 pour l’Afrique Subsaharienne. Le pays se situe derrière la Mauritanie avec 602 décès, le Cameroun avec 596 décès, le Mali avec 587 décès, le Niger avec 553, la Guinée-Bissau avec 549 et le Kenya avec 510. Selon l’Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDS-MICS) Côte d’Ivoire (2011-2012, p. 325), pour 1000 naissances vivantes au cours des sept années précédant l’enquête, près de 6,14, soit six femmes sont décédées pendant la grossesse, pendant l'accouchement ou dans les deux mois suivant l'accouchement. Ces décès de femmes avant, pendant et après la grossesse sont dus aux hémorragies graves, aux infections, aux avortements pratiqués dans de mauvaises conditions de sécurité, aux troubles de l’hypertension (pré-éclampsie et éclampsie) et aux complications médicales comme les cardiopathies, le diabète ou le VIH/sida. A cela s’ajoutent certaines insuffisances liées à la faible application des directives sur les Soins Obstétricaux et Néonataux d’Urgence (SONU), à la faiblesse du plateau technique puis à l’insuffisance liées à l’organisation et à la gestion des services intégrés de santé maternelle au niveau national. Pour pallier à ces insuffisances, la Commission Nationale de la Condition de la Femme a entrepris en 2015 l’examen des efforts entrepris sur la condition des femmes et l’évaluation de l’impact de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’Action de Beijing de 1995 ainsi que des textes issus de la 23 ème session extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 2000. Cela a conduit à renforcer les actions en faveur de la santé maternelle. Cependant, les femmes résistent encore à la fréquentation des centres de santé à Korhogo. Selon les données collectées sur le terrain, le taux de complication lors la grossesse et à l’accouchement La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 171 est passé de 23% en 2016 à 27% en 2017 et le taux d’abandon des consultations prénatales est passé de 70% à 80% entre 2012-2013 (Agence Ivoirienne de Presse, 2013). Cette étude socio anthropologique analyse les facteurs explicatifs des complications lors de la grossesse et à l’accouchement chez les femmes Sénoufo de Korhogo (Côted’Ivoire) en vue d’améliorer et promouvoir la santé de la reproduction. Quelles sont les représentations construites autour des soins de santé maternelle qui limitent la fréquentation des centres de santé et favorisent les complications durant la grossesse et à l’accouchement? 1- Méthodologie Cette étude a été menée dans la ville de Korhogo plus précisément au Centre Hospitalier Régional (CHR) et au centre de Protection Maternelle Infantile (PMI). En effet, le CHR est le centre hospitalier qui accueille la majorité des patients de la commune ainsi que ceux des zones rurales et localités environnantes. C’est un établissement qui offre la majorité des services de soins de santé dont le service gynéco-obstétrique. Ce service gère toutes les affections liées à la grossesse jusqu’à l’accouchement et après l’accouchement. En matière de sous-unité, il possède une unité de consultation prénatale et postnatale, un bloc opératoire, une unité de dépistage du cancer du col de l’utérus, une salle d’accouchement et d’une suite d’accouchement pour répondre aux besoins surtout des femmes. Le centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI) quant à elle est un centre de santé chargé de la protection de la mère et de l’enfant. Elle est née conformément aux objectifs de l’OMS de réduire la morbidité et la mortalité maternelle et infantile et promouvoir la santé maternelle. A Korhogo, la PMI mène des actions de prévention, de suivi et de protection médico-sociale en faveur des femmes enceintes, des mères et des enfants de 0-6 ans. En effet, la politique de la gratuité des soins liés à la prise en charge de la grossesse, de l’accouchement et de la petite enfance dans les centres de santé publics conduit de nombreuses populations notamment les femmes à s’y rendent pour assurer le suivi de leur grossesse, la naissance de leur bébé et l’accompagnement après l’accouchement. Ces centres de santé connaissent de l’affluence liés aux services La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 172 offerts mais aussi certaines difficultés par rapport à l’offre de soins au sein des services. Basée sur une approche mixte, l’étude s’est réalisé à l’aide de 18 entretiens avec des sages-femmes et des responsables des Consultations Prénatales (CPN). Aussi, des tradipraticiens, guérisseurs, naturothérapeutes et matrones ont été également interrogés pour collecter les données qualitatives. Par ailleurs, un questionnaire standardisé a été administré auprès de 81 mères et 73 femmes portant une grossesse dans la collecte des donnés quantitatives. Nous avons procédé à un dépouillement manuel des données qualitatives par la transcription suivi d’un tri thématique pour sélectionner des verbatims pour l’analyse. Les données quantitatives ont été soumises à l’analyse statistique par l’intermédiaire du logiciel SPSS 20. La méthode dialectique a permis de mettre en exergue les déterminants socioculturels qui limitent la fréquentation des centres de santé et favorisent les complications durant la grossesse et à l’accouchement. 2- Résultats Les résultats mettent en exergue les déterminants socioculturels qui limitent la fréquentation et l’utilisation des centres de santé par les femmes à Korhogo et le recours aux thérapies alternatives. 2-1- Déterminants socioculturels qui limitent l’accès aux centres de santé Les déterminants socioculturels qui limitent l’accès aux centres de santé sont liés à l’accessibilité géographique; économique; sociale et culturelle. 2-1-1- Accessibilité aux centres de santé Les centres de santé sont confrontés à certaines difficultés dont l’insuffisance de ressources humaines selon les sujets enquêtés qui limite leur accès. En effet, le nombre de médecins chargé d’assurer la prise en charge est insuffisant au regard de l’effectif des patientes en consultation. Ce qui justifie les propos de T. A., 29 ans, couturière : « nous sommes nombreuses à venir pour les soins mais ceux qui nous soignent sont pas beaucoup (seulement deux et un seul permanent). Il y a aussi celles qui viennent La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 173 d’autres villages très souvent pour des cas d’urgences. Avec tout ça on nous demande de venir aux consultations, sincèrement c’est énervant ». Cette insuffisance de personnels soignants, qui fait que les femmes plus de temps dans les salles d’attente lors des consultations prénatales, constitue également une source de démotivation à la consultation. Ce que confirment les affirmations de K. S., ménagère, 28 ans: « ce n’est pas facile, vraiment il faut revoir ça. Tu viens vite mais on ne te reçoit pas vite. Le docteur peut venir vous dire qu’il a une urgence donc il s’en va. Et là encore c’est lorsqu’il vous a considéré. Vraiment tout ça c’est compliqué, est ce que cela peut encourager à aller se faire consulter. On souffre sincèrement ». Le ratio soignants/soignés a un impact négatif sur les prestations et la motivation à la fréquentation des centres de santé. En effet, le nombre élevé de patientes reçu en consultation prénatale et postnatale oblige le personnel de santé à réduire le temps consacré à chaque parturiente afin de consulter le plus grand nombre voire toutes celles qui sont présentes. Car certaines parturientes viennent des zones rurales ou d’autres localités pour des examens médicaux, l’échographie, la radiologie, etc. La distance pour atteindre le centre de santé le plus proche et le ratio de 2 935 femmes en âge de procréer par sage femme constituent une source de démotivation pour 54% des sujets enquêtés et les agents de santé également. La démotivation des ressources humaines est consécutive aux carences du secteur public à cause de la vétusté des équipements, d’un plateau technique inadapté, des difficiles conditions de travail qui entravent le bon déroulement des prestations. Cette difficulté liée aux ressources humaines n’est pas seulement due aux conditions de vie et de travail mais surtout à une inégale répartition au plan national, régional et local, mais aussi à leur insuffisance de formations adaptées aux évolutions. 2-1-2- Accessibilité économique La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 174 La pauvreté qui favorise l’inaccessibilité aux soins de santé limitent l’accès des femmes aux consultations prénatales. En effet, la majorité des sujets enquêtés soutiennent avoir un faible pouvoir d’achat. Car, 60% s’adonnent à la culture et à la commercialisation des produits agricoles surtout les maraîchers et 35% au petit commerce. C’est pourquoi, ils ne peuvent pas faire face aisément aux différents coûts des prestations liés à la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement. Car sur le terrain, la réalité de la politique de gratuité des soins durant la grossesse et à l’accouchement n’est pas effective. Toutes les prestations de soins entre autre la consultation, les examens médicaux, les médicaments, etc., nécessitent une contribution financière très souvent hors de portée des parturientes. Du premier trimestre de la grossesse jusqu’à la 14ème semaine d’aménorrhée incluse, quatre Consultation Prénatale (CPN) au moins sont recommandées pour les grossesses qui évoluent normalement. Cependant, du fait de leur faible pourvoir d’achat et en l’absence d’une assurance médicale, les femmes ne disposent pas de ressources suffisantes pour faire les quatre CPN, les examens prescrits, les échographiques et acheter les médicaments. Le témoignage de S. S., commerçante, 31 ans en est une illustration: «Qui ne veut pas aller à l’hôpital ? C’est l’argent qui fait défaut. Les prix des échographies dépendent, ce n’est pas fixé et il faut avoir au moins 10 000f. Vraiment ce n’est pas facile pour nous. Car les médicaments de l’hôpital sont chers. Souvent tu veux bien partir mais tu n’as pas les moyens pour acheter les médicaments qu’on va te demander. En plus de ça, même la consultation tu vas la payer». Par ailleurs, la majorité des sujets enquêtés dépendent de l’autorité familiale. Cette dépendance des femmes fait que la prise de décision de la consultation prénatale revient en dernier essor à leur conjoint. C’est ce que souligne T. A, ménagère, 33 ans: «mon mari refuse qu’un homme m’examine. Il dit qu’il n’acceptera jamais que sa femme soit suivie par un autre homme. Il est préférable d’aller chez les matrones loin des yeux des hommes». Aussi, le manque de moyens financiers adéquats et la distance parcourue pour atteindre le centre de santé le plus proche, amènent les femmes à accoucher à domicile. En effet, la politique de la gratuité des soins durant la grossesse et à La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 175 l’accouchement n’exclue pas le paiement de frais annexes. Cette politique inculquée dans la conscience collective fait que les sujets enquêtés acceptent difficilement le paiement de la contribution financière qui leur est demandé pour l’acquisition des soins dans les centres de santé. C’est ce qui justifie les propos de O. A., 35 ans, vendeuse: « à l’hôpital, on nous a dit qu’on a des soins gratuits quand on est enceinte, mais c’est faux. En réalité il n’y a rien, on paye tout et puis c’est cher. Moi, soit je reste à la maison ou bien je vais payer les feuilles pour boire». Les sujets enquêtés ne comprennent pas qu’en même temps qu’on prône la gratuité des soins durant la grossesse et à l’accouchement, ils doivent payer pour se faire soigner. La dégradation de leur pouvoir d’achat (ménages à majorité agricole) explique cette réticence. Toute chose qui contribue à limiter la fréquentation des centres de santé. 2-1-3- Accessibilité sociale Le faible niveau d’instruction, les mariages précoces et les pressions familiales et sociales sont autant de facteurs favorables aux complications durant la grossesse et à l’accouchement. En effet, 72% des sujets enquêtés sont analphabètes et soutiennent ne pas disposer d’informations sur les consultations pré et postnatale. Aussi, les difficultés de communication liées au problème de langue pendant les consultations influencent l’accès à l’information. Les différentes démarches administratives lors des consultations constituent selon les sujets enquêtés des tracasseries de plus comme l’affirme C. F., commerçante, 30 ans: « Quand tu vas à l’hôpital, on te dit fait ceci, fait cela. Va là-bas, viens ici, il y’a trop de démarches, moi tout ça la me fatigue ». Cette situation fait que les femmes refusent de se faire consulter dans les centres de santé. Un bon niveau d’instruction est un facteur favorable à la compréhension de l’intérêt des consultations prénatale, car plus le niveau d’instruction est élevé plus les femmes pendant la grossesse acceptent et respectent les prescriptions liées au suivi de celle-ci. L’analphabétisme et l’ignorance rendent les femmes négligentes et ignorantes des risques auxquels elles s’exposent ainsi que leurs bébés. Une sage-femme, 15 ans d’activité, affirme : La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 176 « Lorsque tu demandes aux femmes si elles font leurs consultations et payent leurs médicaments, elles te répondent oui. Maintenant quand tu regardes dans leurs carnets de santé tu vois que c’est faux. Cela à des répercussions sur leur santé et celle du bébé. Et l’excuse qu’elles trouvent c’est que j’étais aux funérailles ou bien je devais aller au champ». Dans le cas de la prévalence au VIH Sida par exemple, cette autre sage-femme exerçant depuis 10 ans soutient: « l’ignorance tue plus les enfants des femmes enceintes quand celles-ci sont séropositives que la maladie (VIH Sida) elle-même ». Les sujets enquêtés qui ont un faible niveau d’instruction sont plus attentives aux informations véhiculées dans leur environnement social surtout celles relative au choix de l’offre de soins. Les expériences vécues et racontées par l’environnement familial et social sont autant de facteurs qui orientent le choix de l’offre de santé. Dans l’incapacité de prendre des initiatives du fait de la vulnérabilité liée à leur état de santé, les femmes se laissent généralement influencer par leur entourage. Au niveau de l’âge, les jeunes filles ayant moins de 18 ans et les femmes après 35 ans (45% des sujets enquêtés), qui contractent une grossesse, courent le risque de connaître des complications durant la grossesse et à l’accouchement. C’est ce qu’explique toujours cette Sage-femme, 15 ans d’activité: « une femme ayant plus de 35 ans court le risque de complications lors de l’accouchement ». Cette autre Sage-femme, 7 ans d’activité soutient : « dans ce travail, nous voyons tout. J’ai reçu des filles qui vraiment sont très petites. Mais, selon elle, une fille qui atteint la puberté est en âge de se marier donc de procréer ». Pour limiter les risques, le personnel de santé recourt parfois à la violence durant les prestations de soins surtout pendant l’accouchement pour amener les femmes à fournir plus d’efforts afin de préserver leur vie ainsi que celle de leur bébé. Une sagefemme, 26 ans d’activité, affirme raconte: « Une femme est venue accoucher et c’était sa première grossesse. Elle avait du mal à pousser, je l’ai incitée pour qu’elle pousse mais elle n’y arrivait pas. Or, plus ça dure, plus c’est compliqué et souvent nous sommes fatiguées. J’étais obligée de lui dire certaines paroles et la taper pour susciter en elle l’énervement. Et ça marcher parce que suite à cela, elle a accouché et a sauvé son bébé ». La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 177 Ces pratiques, qui selon le personnel de santé sont salutaires, constituent pour les sujets enquêtés un facteur qui les amènent à éviter les consultations prénatales et à surtout à ne pas fréquenter les centres de santé. Car comme le soutient S. S., 45 ans, chauffeur: « A l’hôpital, il y a des sages-femmes qui sont méchantes. Tu vas laisser ta femme y aller surtout pour accoucher et elles vont lui dire des paroles qui ne sont pas bien à entendre, pourtant elle souffre déjà. C’est pas la peine.», Ou encore: « Les sages-femmes ne savent pas parler aux gens. Tu as mal et elles te jettent au visage: tu n’es pas seule ici donc on n’a pas de temps à perdre. Si tu ne veux pas pousser, tu vas rester là, on va ailleurs. Or tu faisais exprès», K. D., Elève, 25 ans. Le non-respect des prescriptions médicales et surtout l’absence de planification des naissances oblige le personnel soignant à user parfois de stratégies (propos désobligeants vis-à-vis des patients) que les sujets enquêtés désapprouvent parce que jugés violents et dévalorisants. Ce en vue de limiter les complications durant la grossesse et à l’accouchement. Cette sage-femme en activité depuis 7 ans affirme : « les parturientes ne comprennent pas tout ce qu’on leur dit. Elles pensent être encore au temps jadis. Elles ont un bébé et elle portent une nouvelle grossesse, pourtant elles ne suivent pas bien les soins prescris et trouvent toujours des justificatifs ». L’attitude et certains propos tenus par certains agents de santé lors des prestations de soins contribuent à éloigner les femmes des centres de santé. 2-1-4- Pesanteurs culturels L’attachement à la culture qui valorise les pratiques ancestrales, mythes et croyances permettent de comprendre ce qui construit les comportements des individus. Les interdits et prescriptions alimentaires dans le suivi de la grossesse et les pratiques tel que le lévirat, l’excision, les mariages précoce et forcé et le recours à la médecine traditionnelle, observées dans certaines communautés, sont favorables aux complications durant la grossesse et à l’accouchement. La majorité des sujets enquêtés accorde la priorité la médecine traditionnelle en cas d’affections. Ils soutiennent que les guérisseurs, tradipraticiens et matrones sont plus disponibles et attentionnés. C’est le cas de B. K., 27 ans, coiffeuse qui soutient en ces termes : « Les gens de l’hôpital ne sont pas solidaires. Tu es malade, tu vas te soigner et c’est La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 178 tout, le reste importe peu. Alors que les tradipraticiens eux te suivent, te rendent visite. Ils sont vraiment gentils». Les enquêtés recourent également à cette médecine du fait de son accessibilité et de ses modalités de règlement des frais de traitement. Ainsi S. K., 45 ans, agricultrice, affirme: « La médecine traditionnelle est ma préférence parce que là au moins on ne te dira pas que les médicaments manquent, on peut avoir les feuilles en un rien de temps partout en brousse ou les acheter avec les gens». La disponibilité et l’accessibilité aux soins traditionnels du fait de ses frais jugés abordables et la possibilité de se procurer les plantes médicinales dans la nature est une source de motivation qui conduit les femmes à lui accorder la priorité. De plus, cette médecine fait intervenir une triple dimension médicale, sociale et spirituelle dans la prise en charge des patients. Et les femmes durant la grossesse ont besoin de cette triple assistance, qu’elle affirme retrouver chez les praticiens de la médecine traditionnelle, afin de la mener à bien jusqu’à son terme. C’est pourquoi il faut toujours, selon eux pérenniser les connaissances de la médecine traditionnelle et préserver ses acquis. Cependant, cette médecine fait intervenir, lors des traitements, des habitudes et interdits alimentaires qui limitent les possibilités alimentaires des femmes surtout durant la grossesse. Ces restrictions alimentaires durant cette période sont souvent à l’origine de complications. Par ailleurs, la peur de la césarienne pratiquée en cas de complication lors de l’accouchement est également un autre motif qui limite la fréquentation des centres de santé. Selon les enquêtés, le personnel de santé a recourt régulièrement à cette pratique lors des accouchements pour se procurer de l’argent. Car, affirment t-ils, même quand il n’y a pas de complications et que l’accouchement peut se faire normalement, le personnel de santé recourt à cette pratique. D’où les propos de cette matrone, 20 ans d’expérience: « Il n’y a pas d’accouchement aujourd’hui à l’hôpital sans césarienne. C’est ce qui est à la mode et puis c’est cher. Avec tous les soins qui l’accompagnent, ce n’est pas moins de 250.000 F CFA, tout cela c’est de l’argent». Aussi K. D., Elève, 25 ans révèle: « Quand l’accouchement ne révèle pas de complications, alors il n y La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 179 a pas de problème, on peut aller accoucher à l’hôpital. Mais, si c’est le contraire, on cherche ailleurs pour faciliter l’accouchement». Des préjugés sont donc construits autour de la césarienne par les sujets enquêtés au point qu’ils ne réalisent pas les biens fondés de cette technique médicale. En effet, selon eux, une femme qui subit une telle intervention devient invalide et incompétente. Elle perd toutes ses forces et capacités physiques et ne dispose plus d’aptitudes nécessaires pour assumer ses responsabilités dans son ménage. Elle est méprisée et marginalisée par son entourage et sa famille, comme le soutient T. M., ménagère 45 ans: « Toutes tes amies accouchent bien et toi on te déchire. Toi-même comment tu vas te sentir ? A plus forte raison tes parents et ton mari surtout. C’est vrai tu as accouchée, mais c’est une déception. Quand c’est comme ça, on t’interdit de faire certaines choses. C’est comme si ce que les autres peuvent faire toi tu n’y arrives pas». Cette situation amène les femmes et leurs familles à privilégier l’accouchement à domicile assisté par les matrones faisant fi des risques auxquels ils s’exposent. Les difficultés financières qui limitent l’accès des femmes aux consultations prénatale et certaines perceptions socioculturelles sont autant de raisons qui amènent les sujets enquêtés à s’éloigner des centres de santé pour recourir à la médecine traditionnelle locale. 2-2- Recours à la médecine traditionnelle locale 2-2-1- Automédication Pendant la période de grossesse, les femmes ont recourt soit à des produits pharmaceutiques ou à des plantes médicinales grâce aux connaissances qu’elles disposent à partir d’expériences vécues ou de conseils prodigués par des proches et l’entourage. Pour ce qui concerne les produits pharmaceutiques, les sujets enquêtés soutiennent qu’elles ont la possibilité de se procurer les mêmes produits prescrits dans les centres de santé (dont les prix sont souvent hors de leur portée dans les pharmacies), à des prix qui leur sont abordables sur les marchés. Ils préfèrent se les procurer à ces La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 180 endroits parce que leurs expériences ont montré que ces médicaments donnent les mêmes résultats de traitement. Quant aux plantes médicinales, elles existent dans l’environnement des sujets enquêtés. Ils peuvent s’en procurer à tout moment selon leur besoin chez les herboristes sur les marchés, les tradipraticiens ou dans la nature. Elles font partie de leur patrimoine culturel et ont relevé leur efficacité de traitement dans leur milieu. Leur disponibilité et leur accessibilité financière amènent les sujets enquêtés à les utiliser soit à titre préventif ou curatif surtout durant la grossesse contre les éventuelles affections. D’où le témoigne de G. A., 33 ans, commerçante: « Quand je suis enceinte et que j’ai un malaise, je paye des feuilles au marché avec les femmes. Je les fais bouillir et je bois. Elles te soignent rapidement et c’est moins chères. Tu payes seulement entre 100 et 500 frs CFA. Tu es sûr qu’on peut rentrer à l’hôpital avec cette somme-là ? Là-bas si tu n’as pas la somme demandée, tu dégages». Certaines plantes médicinales permettent également de se protéger contre les mauvais sorts et les malédictions durant cette période où les femmes sont très vulnérables selon C. B., 39 ans, restauratrice: « Médicament indigénat c’est naturel, quand tu bois même tu sens que ça te soigne et puis c’est très efficace. Tu peux avoir ça à tout moment. Non seulement ça soigne le mal que tu as mais ce qu’on peut te lancer que tu ne sais pas». L’efficacité de la médecine traditionnelle prônée et valorisée au sein de leur communauté conduise les sujets enquêtés à recourir à cette médecine locale volontairement ou avec l’encouragement de l’entourage familial ou social, pour satisfaire leur besoin de santé. 2-2-2- Guérisseurs traditionnels locaux La césarienne est le moyen le plus sûr pour limiter les risques en cas de complications à l’accouchement. Cependant, la majorité des enquêtés refusent de recourir à cette pratique qu’ils jugent coûteuse et invalidante. Ils choisissent de se faire suivre et traiter par les guérisseurs locaux qui selon eux disposent d’expériences efficaces en matière de traitements. Ces derniers utilisent un large éventail de soins traditionnels qui font appel au savoir-faire traditionnel et aux connaissances des vertus thérapeutiques des plantes La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 181 et des parties d’animaux. Ils administrent plusieurs sortes de soins (décoctions, lavements, massages, etc.) à leurs patientes à l’aide de plantes médicinales ( feuilles, écorces, racines, sèves, etc.) qu’ils se procurent dans la nature (brousse) ou sur le marché. C’est une médecine de proximité qui fait partie intégrante de leur patrimoine socioculturel. En ce sens, « La vieille qui vend les médicaments est très gentille. Il arrive dès fois où je n’ai rien mais elle a pitié. Elle me donne un peu de médicament pour me soigner ou bien je vais payer les feuilles pour boire. », O. A., 35 ans, vendeuse. La majorité des parturientes affirme apprécier le traitement administré par les guérisseurs parce qu’ils sont plus attentionnés pendant les traitements. Aussi, en plus de soigner le mal dont ils souffrent, les guérisseurs se chargent également de rechercher les origines des maladies naturelles mais surtout de celles dites surnaturelles ou mystiques. Les parturientes apprécient cette thérapie et se l’approprient parce qu’elle répond à leur besoin de santé. De plus, les guérisseurs traditionnels locaux accordent à leurs patientes une assistance régulière durant la grossesse, pendant et après l’accouchement. Ils effectuent des visites au domicile des patients pour s’enquérir de leur état pendant le traitement, exprimer leur compassion ou remplacer le traitement si nécessaire. Ce geste contribue à la guérison du patient. A ce titre B. K, 27 ans, ménagère, affirme : « Les gens de l’hôpital ne sont pas solidaires. Tu es malade, tu vas te soigner et c’est tout, le reste importe peu. Alors que les tradipraticiens eux te suivent, te rendent visite. Ils sont vraiment gentils». Lors de l’accouchement à domicile également, les femmes bénéficient de l’assistance (sacrifices, prières, compassions, etc.) de la part des matrones mais aussi des membres de leur famille. Toute chose qui les met en confiance même quand des complications surviennent. 3-Discussion La période de grossesse ne se déroule pas toujours normalement. La femme a pour ce faire besoin d’être accompagnée à travers un certain nombre d’actions ou de pratiques garantie par les professionnels de la santé. C’est dans ce sens que Tiembré et al. (2010) soutiennent que le suivi de la grossesse est nécessaire afin d’identifier d’éventuels risques et améliorer le pronostic. La consultation prénatale est une La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 182 occasion idéale pour identifier ces risques. Cependant, des déterminants sociaux, économiques et culturelles limitent la fréquentation et l’utilisation des services de santé par les femmes sénoufo de Korhogo, entravant le bon déroulement de la consultation prénatale. Ces dernières recourent à l’assistance des praticiens de la médecine traditionnelle locale au détriment des professionnels des centres de santé. En effet, la distance pour atteindre le centre de santé le plus proche et surtout le ratio soignant-soigné, soit 2935 femmes en âge de procréer par sage femme, constituent un facteur limitant la fréquentation et l’utilisation des centres de santé par les femmes. Au plan économique, les femmes ne disposent pas de revenus suffisants car elles s’adonnent à la culture et à la commercialisation des produits maraîchers et au petit commerce. Du fait de leur faible pouvoir d’achat, elles manquent de moyens financiers pour assurer la prise en charge (examens médicaux, achats de médicaments, etc.) de la grossesse dans les centres de santé. Au sein du ménage, le choix de l’itinéraire thérapeutique des femmes est très souvent orienté par la famille et l’entourage. Lors des épisodes de maladies ou en cas de grossesse, le recours aux soins biomédicaux requiert l’accord préalable du conjoint (Adjamagbo et Guillaume, 2001). Aussi, les déterminants sociaux liés entre autre à un faible niveau d’instruction et aux pressions de l’entourage influencent le choix en matière de services de soins et de prise en charge de la grossesse chez les femmes. De plus, on assiste à une démotivation des ressources humaines du fait des difficiles conditions de travail liées à la vétusté des équipements, à un plateau technique inadapté, à l’absence de formation continue d’une part et d’autre part à une inégale répartition des ressources humaines dont la majorité se concentre dans les grandes agglomérations. Le contexte culturel est marqué par la priorité accordée à la médecine traditionnelle dans le traitement des affections. Cette médecine encrée dans le patrimoine culturel de cette communauté satisfait plus aux besoins de santé par son mode de traitement et ses modalité de paiement. Dans son étude sur les représentations et idéologies des complications, Fainzang S. (2001) révèle que l’attachement à la culture, aux pratiques ancestrales, aux mythes et aux croyances permet de comprendre ce qui construit culturellement les pratiques des individus. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 183 Kpatchavi C. A. (1999), quant à lui, démontre que les facteurs socioculturels et socioéconomiques influencent fortement l'itinéraire thérapeutique des individus et agissent sur la santé du malade de façon positive ou négative. C’est dans le même ordre d’idée que Goubo S. (2013) soutient que « Notre santé dépend de notre vision du monde en ce sens que nos comportements sont orientés par notre logique culturelle représentée par nos croyances, nos attitudes, nos attentes : les normes qui nous ont été inculquées par notre éducation (morale et religieuse); la santé se trouve donc dans la culture ». Les professionnels de la santé doivent s’informer sur les ressources culturelles locales (coutumes et interdits) pour mieux adapter leurs pratiques aux besoins des communautés. Aussi, dans l’optique d’améliorer la santé de la reproduction en général et la santé maternelle en particulier, il faut combler les fossés existants entre les capacités et la qualité des systèmes de santé, mais surtout lever les obstacles empêchant l’accès aux services de santé par les communautés (OMS, 2008). Conclusion L’importance de la santé pour le développement a conduit la Côte d’Ivoire a en faire une priorité à travers des actions basées sur l’accélération des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et les valeurs et principes du PNDS. Ce en vue d’influencer les décisions et actions en faveur de la santé et du bien-être. Cependant, la demande et l’utilisation des centres de santé demeurent encore limitées par des barrières financières, l’éloignement des centres de santé et les facteurs socioculturels. Malgré les résultats significatifs de la médecine moderne, elle peine à améliorer le taux de fréquentation des services dans certaines communautés. En effet, durant la grossesse et à l’accouchement, les femmes à Korhogo recourent aux pratiques de la médecine traditionnelle locale qui répond plus à leurs besoins de soins. Dans cette société, les populations demeurent attachée à leur culture et surtout à sa médecine. Ainsi, la perpétuation et la pérennisation de cette médecine reste un défi majeur à relever. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 184 Aussi, certains comportements développés par les agents de santé pendant les pratiques thérapeutiques surtout lors des consultations prénatales expliquent la réticence des femmes à la fréquentation des centres de santé. La médecine moderne doit donc adapter ses pratiques aux exigences culturelles des communautés et améliorer la relation thérapeutique soignant/soigné. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ADJAMAGBO Agnès et GUILLAUME Agnès , 2001, La santé de la reproduction en milieu rural ivoirien, Autrepart n° 19, p 11-27. 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Organisation Mondiale de la Santé, 2004, Santé génésique, Cinquante-Septième Assemblée Mondiale de la Santé, Rapport du Secrétariat, p 4. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 186 LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA BAISSE DU TAUX DE PARTICIPATION DES ETABLISSEMENTS SECONDAIRES AUX COMPETITIONS OISSU DANS LA COMMUNE DE BOUAKE (REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE). Jean-Marie Nicaise GBAHOUI Sociologue de l’éducation, Attaché de Recherches au CRD. Université Alassane Ouattara de Bouaké. gbahouinicaise@gmail.com Résumé La présente étude portant sur les déterminants sociaux de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU, s’est déroulée dans la commune de Bouaké. Elle révèle également notre contribution à la résorption des problèmes sociaux liés à la baisse du taux de participation aux compétitions scolaires. Pour atteindre notre objectif, nous avons administré un guide d’entretien semi-directif aux acteurs du système éducatif et opté pour l’analyse des données mixte. Ainsi, nos hypothèses de recherche ont été vérifiées à la lumière de la théorie de l’acteur rationnel de Max Weber. Les résultats de cette recherche indiquent que les enjeux économiques et les problèmes structurels sont les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU. Mots Clés : déterminants sociaux, baisse du taux de participation, compétition OISSU. Abstract This work on the social determinant of the drop in the participation rate of secondary schools in OISSU competition took place in the commune of Bouaké. It also reveals our contribution to the reduction of social problems linked to the drop in the participation rate in school competition. To achieve our goal, we administered a semi-structured interview guide to stakeholders in the education system and opted for mixed data analsis. Thus, our research hypotheses have been verified in the light of Max Weber ractional actor theory. The results of this research indicate that economic issues and structural problems are the explanatory factors for the drop in the participation rate of secondary schools in OISSU competitions. Keywords : Social determinants, lower participation rate, OISSU competition. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 187 Introduction Les activités physiques et sportives (APS) sont passées en moins d’un siècle, d’activités confidentielles à un fait de société difficilement contournable dans la vie quotidienne de l’homme (Laure et Falcoz, 2004). Vu les rôles qu’on lui attribue, le sport dans son ensemble est devenu un besoin fondamental et vital dans la construction des sociétés, dans tous les domaines qui soient. C’est logiquement qu’il intègre le système éducatif formel en vue de rendre complète la formation des élèves. L’introduction du sport dans l’école ivoirienne est un héritage de la colonisation (Odjo, 1982). L’indépendance acquise, la Côte d’Ivoire à travers ses dirigeants, s’est engagée dans une logique de consolidation de la place de l’EPS (Education Physique et Sportive) dans le système éducatif du pays. L’Etat de Côte d’Ivoire a ouvert l’Institut National de la Jeunesse et du Sport (INJS) en 1961, pour la formation des professionnels de l’EPS. Parallèlement à la formation des enseignants, les établissements se sont dotés d’infrastructures sportives (Djissa,1989). La création de l’Office Ivoirien du Sport Scolaire et Universitaire (OISSU) par le décret numéro 62-41 du 09 février 1962 répond à cette logique de dynamisation de l’Education Physique et Sportive à l’école. A cette dernière institution, il est confié l’organisation des compétitions scolaires et universitaires. Il convient de noter que de tout le système éducatif ivoirien, l’enseignement secondaire a bénéficié d’une attention particulière en matière d’APS (Diasson,1980). Les infrastructures y sont construites et les enseignants issus de l’INJS y sont affectés pour la formation des élèves. C’est dans cette logique structurelle que des athlètes de renom vont être détectés, puis représenter la Côte d’Ivoire à des compétitions sportives internationales. En 1963, le jeune Gaoussou Koné (17 ans) détecté aux compétitions de l’OISSU, s’est révélé au monde en se qualifiant pour la finale des 100 mètres lors des jeux de l’amitié organisés en Côte d’Ivoire. Une année plus tard, il devient le premier Africain finaliste des 100 mètres des jeux olympiques (JO) à Tokyo où il se classe sixième. En 1965, aux premiers jeux africains de Brazzaville, il est double lauréat des 100 et 200 mètres. Ces résultats motivants des années 60 ont été des signes d’un bon démarrage de l’EPS et des structures s’y affairant comme l’OISSU. Ce constat va justifier la suite des reformes visant à améliorer la pratique de l’EPS à l’école. En 1974, la circulaire La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 188 MJEPS/DEPS/N°204 du 25 Mai 1974 instaure diverses dispositions pour faciliter et promouvoir l’EPS. Cette circulaire institue la création d’un Centre d’Entraînement Sportif (CES) dans chaque établissement, avec un horaire hebdomadaire de quatre heures de pratique. C’est le lieu de regrouper et de permettre à tous les élèves, titulaires d’une licence ou non, de participer à l’OISSU. La circulaire fera par ailleurs la promotion et l’installation de sections sportives dites « sections sport-études » au sein des établissements. Celles-ci vont être expérimentées à partir de l’année scolaire 1975-1976 dans cinq établissements secondaires. Comme on peut s’en rendre compte, beaucoup de dispositions ont accompagné la mise en place de l’EPS depuis les indépendances. Pour autant, les résultats obtenus par l’EPS n’ont pas suffi à rassurer totalement les autorités. Lors d’un séminaire d’information et de réflexion sur le sport scolaire en 1980, Laurent Dona Fologo, alors ministre chargé des sports, affirmait dans son discours d’ouverture ce qui suit : « il ne faut pas craindre de bousculer les habitudes et de déranger les positions tranquilles et statiques, source de routine, de paresse et de léthargie ». Le ministre prévenait, appelait à la vigilance et pointait ainsi du doigt des comportements qui pouvaient freiner la progression de l’EPS. Au bout de cinq années d’expérimentation des sections sport-études dans les établissements secondaires d’Abidjan, de Bingerville et de Bouaké, une évaluation a permis de constater que dans les lycées et collèges concernés, les résultats scolaires et sportifs des élèves se sont améliorés (Namago,1981). A Bouaké, le lycée des jeunes filles comportait 07 sections. Grâce à ses sections sport-études, ledit lycée s’est imposé au handball en sport civil en étant trois (03) fois champion de Côte d’Ivoire (1981,1983,1984) et deuxième en 1982. L’équipe du lycée en question a également été trois (03) fois championne d’Afrique des clubs d’Handball en catégorie junior (Koné, 1992). Ces constats montraient bien que les structures mises en place pour la pratique de l’EPS au secondaire, ont donné satisfaction au plan sportif et scolaire au sein des établissements. En 1977, la loi n°77-584 du 18 Août 1977 insiste en son article 5 sur l’obligation de la pratique de l’EPS dans les établissements : « les activités physiques et sportives constituent une obligation et font partie intégrante de l’éducation ». Ainsi, entre 1978 et 1988, les taux de participation aux compétitions de l’OISSU se présentent La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 189 comme suit : 87,9 % au cours de l’année scolaire1978-1979 ; 88,7 % au cours de l’année 1981-1982 ; 84,7 % pour l’année 1984-1985 et 77,8 % pour l’année scolaire 1987-1988 (Kouabenan,2006). Le taux moyen de participation des établissements aux compétitions OISSU entre 1978 et 1988 est supérieur à 80 %. De 1960 à 1990, l’EPS a donc connu plusieurs aménagements et donné quelques résultats positifs. Elle a fait l’objet de plusieurs décisions politiques et est à la base de construction d’infrastructures sportives dans les établissements secondaires. L’EPS a aussi contribué à travers les Centres d’Entraînements Sportifs (CES) et les sections sport-études, à l’amélioration des résultats scolaires. Dans les lycées qui ont été retenus pour le test des sections sport-études en effet, les taux de réussite se situaient entre 90 % et 95 % (Koné, op.cit.). Aussi, l’EPS contribuait à une émulation sportive au sein des établissements à travers les compétitions OISSU. Les taux élevés de participation des établissements aux compétitions OISSU sont la preuve d’une mobilisation et d’un engouement des établissements, notamment des chefs d’établissements, des enseignants et des élèves, autour du sport à l’école entre 1960 et 1990. En 1988, on comptait 27181 élèves sportifs licenciés en Côte d’Ivoire (Djissa, op.cit.). L’EPS, jusqu’en 1990, continuait de mobiliser et de motiver les acteurs du système éducatif à travers toutes ses implications et les possibilités qu’elle offrait. Dix ans plus tard, soit à partir des années 2000, l’EPS connait une stagnation voire une relégation au second plan par rapport aux autres disciplines au sein des établissements. Une enquête exploratoire réalisée dans des établissements secondaires d’Abidjan dans le cadre de la présente étude au cours de l’année 2013-2014, a permis de constater que l’EPS ne bénéficie plus de la même attention dans l’éducation secondaire depuis quelques années. Au plan compétitif, les sections sport-études qui ont fait leur preuve au plan scolaire et sportif n’existent plus. L’expérience impliquant le suivi des élèves sportifs et qui s’était avérée positive entre 1975 et 1985 (au vu de l’amélioration simultanée des résultats scolaires et sportifs) n’a paradoxalement pas été poursuivie. Elle a été abandonnée impliquant par conséquent un manque de suivi sportif des élèves au sein des établissements. En effet, l’on observe une baisse globale du taux de participation des écoles aux compétitions OISSU. Le taux moyen de participation qui était supérieur à 80 % dans les années 80, n’atteint plus les 50 % La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 190 depuis les années 2000. Selon les chiffres de la direction de l’OISSU (2014), ce taux de participation vacille entre 3 % ET 40 %. Il était de 19 % en 2001, de 37,6 % en 2005 (Kouabenan,op.cit.). En comparant les moyens des dernières statistiques (de 2001 à 2013) aux données d’avant les années 2000 (le taux de participation des établissements avoisinait les (80 %.), l’on peut affirmer qu’on assiste à un rabais considérable du taux d’engagement des écoles secondaires aux compétitions OISSU. Il ressort des explorations dans les lycées et collèges, une démotivation des acteurs du système éducatif secondaire à prendre part aux échéances de l’OISSU. Selon le bilan de l’OISSU de la saison 2012-2013, les administrations scolaires et les enseignants accordent de moins en moins d’importance aux compétitions organisées par l’OISSU. En vue d’encourager la pratique du sport et la participation des établissements aux compétitions de l’OISSU, la direction a mise en place en 2013 un appui à l’équipement et à la réhabilitation des infrastructures sportives des établissements vainqueurs des compétitions et initiés des stages de formation pour les enseignants encadreurs des élèves sportifs (sous-direction des compétitions de l’OISSU,2014). Cependant, l’on a constaté que ces mesures n’ont suffi à intéresser les chefs d’établissements et les enseignants à l’OISSU. Depuis un moment ce taux vacille entre 3 et 40 %, largement inférieur à la moyenne de 50 %. En 2011 (contexte post-crise en Côte d’Ivoire), ce taux a régressé et se situait entre 3 et 5 %. Ce taux est monté à 17 % puis en 2013 à 21 % (sous-direction des compétitions de l’OISSU, 2014). Au niveau de Bouaké, le taux de participation des établissements aux compétitions de l’OISSU se situait à 27 % en 2019, loin des objectifs de la sous-direction des compétitions de l’OISSU. Dans la plupart des établissements secondaires de Bouaké, sur 11 enseignants d’EPS, seulement 03 se préoccupent des compétitions OISSU, soit à peine 30 % et les autres enseignants ne sont pas intéressés par ces activités. Par ricochet, les élèves sont moins intéressés par les compétitions scolaires comme en témoigne l’évolution du nombre d’élèves licenciés. Selon le bilan des activités de l’OISSU (2013-2014), le taux de participation des établissements et le nombre de licenciés par localité reste encore faible et se situe en deçà des attentes, au-delà de la densité de la carte scolaire. Dans les trois (03) établissements secondaires privés visités à Bouaké, l’OISSU passe inaperçu. D’après le La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 191 programme annuel reçu des administrations de ces collèges (année scolaire 2018-2019), l’OISSU ne fait pas partie des activités de l’année. Sous ce rapport, l’objectif général de la présente étude est de déterminer les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU. Spécifiquement, cette étude consiste à :  Identifier les différents acteurs impliqués dans la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU  Relever selon les acteurs, les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU 1. Matériels et Méthodes La présente étude se base sur les données d’une enquête qualitative qui a été menée dans la région du GBEKE (Bouaké). Celles-ci ont été recueillies au moyen d’entretien semi-directif et d’une recherche documentaire. Les entretiens ont porté sur les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU. Les entrevues ont été réalisés en 2020 auprès de 22 établissements secondaires (publics et privés) sur un total de 106 établissements des directions régionales de l’éducation nationale et de l’enseignement technique de Bouaké. Cet échantillon est réparti entre les deux directions régionales en fonction de leur effectif respectif. Ces effectifs sont : 22 chefs d’établissements, 22 professeurs d’EPS et 22 élèves. La taille de l’échantillon a été obtenue sur la base de calcul du taux de représentativité selon Javeau1. Calcul du taux de représentativité Tr : (n/N) *100 n : taille de l’échantillon N : Population-Mère Tr : taux de représentativité Tr : (22/106) *100 : 20,75 % soit 21 % 1 Estimation de taille de l’échantillon selon Javeau, 1987. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 192 Les entrevues ont été enregistrées et retranscrites. Les données provenant des échanges avec les enquêtés ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Enfin, la recherche documentaire a consisté à l’exploitation des données de la littérature sur les questions liées à la pratique du sport dans les établissements secondaires. 2. Résultats et analyses Présentation des résultats Tableau 01 : implication des enjeux économiques dans la baisse du taux de participation selon les avis des acteurs. Enjeux économiques Oui Non Total Chefs d’établissements Professeurs d’EPS Elèves total 12 20 15 47 10 02 07 19 22 22 22 66 Source : (nos enquêtes, 2020) ENJEUX ECONOMIQUES non 68 91 oui 9 32 45 55 2.1 CHEFS D'ÉTABLISSEMENTS PROFS D'EPS ELÈVES Histogramme 01 : implication des enjeux économiques dans la baisse du taux de participation selon les avis des acteurs La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 193 Il ressort de cet histogramme ci-dessus que la majorité des acteurs pensent que la faible participation dépend des enjeux économiques (voir histogramme 01). Cependant, une minorité des acteurs pensent que cela est dû à d’autres facteurs comme les problèmes structurels, les problèmes sécuritaires. Nous pouvons affirmer que les avis des acteurs sont divergents. Tableau 02 : implication des problèmes structurels dans la baisse du taux de participation selon les avis des acteurs Problèmes structurels Oui Non Total Chefs d’établissements Professeurs d’EPS Elèves total 22 14 07 43 00 08 15 23 22 22 22 66 Source : (nos enquêtes, 2020) PROBLEMES STRUCTURELS non 32 0 36 64 68 100 oui CHEFS D'ÉTABLISSEMENTS PROFESSEURS D'EPS ELÈVES Histogramme 02 : implication des problèmes structurels dans la baisse du taux de participation selon les avis des acteurs. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 194 Il ressort de cet histogramme ci-dessus que la plupart des acteurs pensent que la faible participation est due aux problèmes structurels. Tous les chefs d’établissements interrogés pensent que cela est dû réellement aux problèmes structurels pendant que la majorité des élèves attribuent çà à d’autres facteurs (voir histogramme 02). 2.2 Interprétation des résultats Au niveau des enjeux économiques, les acteurs cherchent à maximiser leur intérêt, selon la théorie de Max Weber, l’homme est à la recherche d’une finalité, d’un gain. Les élèves en participant espèrent gagner un trophée mais aussi de l’argent comme l’indique un élève « quand on joue à l’OISSU et qu’on gagne à la finale, on ne nous donne rien, même pas une petite coupe, ni de l’argent, si ce n’est pas tee-shirt seulement et un ballon. » ces propos confirment que les élèves attendent leurs intérêts en participant. Quant aux enseignants, ils espèrent aussi un gain mais en terme de valeur, de considération et de la promotion de leurs élèves. Comme le souligne un enseignant « avant, on voyait les joueurs de l’OISSU sélectionnés pour être dans les clubs, mais maintenant c’est très rare alors que nous prenons notre temps pour faire des entrainements pendant que certains collègues sont dans leurs affaires et à la fin rien, pareille pour les élèves, pendant que leurs amis sont entrain de bosser, eux ils viennent à l’entraînement et à la fin, on ne gagne rien de bon, c’est décourageant. » Pour les chefs d’établissements, si l’objectif n’est pas de récupérer tout l’argent investi dans les activités sportives, espèrent aussi attendre en retour un gain satisfaisant comme l’indique un chef d’établissement « j’ai investi dans le sport en 2018 une somme de 02 millions et on remporte, on me ramène deux ballons comme récompense, vraiment j’étais abattu. J’ai vite compris que ce n’est pas une activité où il faut investir, même si on n’attend pas qu’on restitue nos montants investis mais il faut donner des récompenses raisonnables aux participants comme on le voyait dans le passé pour que tout le monde soit heureux. » Les chefs d’établissements participent pour représenter leurs établissements en termes de valeur et de façon symbolique. Une manière pour eux de montrer leur dynamisme et faire la promotion de leurs établissements. La rationalité de Max Weber en terme de valeur est impliquée ici. Concernant les problèmes structurels, les élèves déplorent toujours leurs conditions de déplacement pour les compétitions, conditions d’hébergement et aussi les arbitres qui La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 195 officient les matchs. Comme affirme un élève « qu’en 2016, nous étions qualifiés pour la finale à Yamoussoukro, d’abord nous sommes partis en massa, qui s’est gâté 02 fois sur la route, on a dormi au centre diocésain. Il restait 06 lits alors que nous étions 15 joueurs, d’autres ont dormi par terre et le lendemain, quand on jouait, les arbitres ont trichés pour donner aux gens de Yamoussoukro. » Les encadreurs trouvent que les conditions d’organisations sont très pénibles comme le dit un enseignant d’EPS « d’abord une inadéquation entre le calendrier de l’OISSU et celui de nos écoles. Pas de programme, ils débarquent un jour et ils nous font savoir qu’on joue dans deux semaines. Souvent ça coïncide avec la période de devoirs de niveau de certains de nos joueurs et tu es obligés de jouer sans tes meilleurs joueurs parfois, ça nous décourage et aussi les élèves. Un élève qui s’entraîne pendant plusieurs mois qui n’arrive pas à jouer la compétition pour laquelle il s’est entraîner, ça décourage ». Pour ce qui concerne les chefs d’établissements, ils trouvent qu’il y a un conflit de compétence et que les organisateurs de l’OISSU ne prennent pas leurs activités au sérieux. Ils pensent que c’est la tricherie que l’OISSU montre aux enfants comme le souligne un chef d’établissement que « en 2017, l’OISSU est venu nous voir que comme nous sommes pour la plupart en phase finale les années précédentes, cette année à cause des différentes grèves des fonctionnaires, on va prendre votre équipe directement pour jouer la finale. Je dis comment ça, c’est pour apprendre quelles valeurs aux élèves si ce n’est ne pas la tricherie, je suis désolé. Je décline l’offre et c’est comme ça nous sommes séparés mais ils ont joué leurs finales avec d’autres établissements qui ont accepté cette facilité, cette tricherie. Ici, nous prônons l’excellence ». En plus de ces facteurs, d’autres existent mais ne sont pas trop significatif comme les facteurs sanitaires et les facteurs sécuritaires. Au vue de ces résultats, nous pouvons conclure que tous les acteurs sont unanimes que les problèmes structurels les démotivent donc agissent sur le taux de participation. 3. Discussion La prise en compte des enjeux économiques et des problèmes structurels de l’OISSU, comme base de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions, nous permet d’apporter à la sociologie en générale un certain nombre La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 196 d’informations qui pourrait concourir à une compréhension du faible taux de participation des compétitions OISSU. L’objectif de notre étude est d’identifier les facteurs explicatifs du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions de l’OISSU. Pour l’atteindre, nous avons formuler deux objectifs spécifiques à savoir : identifier les différents acteurs impliqués et relever selon les acteurs les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation. Pour réaliser ces objectifs, nous avons élaborés des hypothèses de travail. Ainsi, notre hypothèse générale affirme que les enjeux économiques et les problèmes structurelles de l’OISSU sont les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des compétitions OISSU. De cette hypothèse, nous avons déduis deux hypothèses spécifiques qui affirme respectivement que les avis des acteurs sur la baisse du taux de participation sont divergents et la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions de l’OISSU s’explique surtout par des enjeux économiques et des problèmes structurels de l’OISSU. Au terme de ces travaux, les résultats obtenus confirment nos prédictions. En d’autres termes, cette étude nous montre que les enjeux économiques et les problèmes structurels de l’OISSU sont les facteurs explicatifs de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions de l’OISSU. Ces résultats convergent vers certains travaux existants dans le domaine des sciences sociales. Concernant les enjeux économiques comme facteur de la baisse du taux de participation aux compétitions OISSU, nos travaux se justifient à travers ceux de Mahaman (2010) qui affirme que le sport scolaire à connue une inertie dans les années 1992 à cause des problèmes financiers. Il va plus loin en disant que sans les moyens financiers, il ne peut pas y avoir une bonne organisation des compétitions scolaires. Donc tant que le gain ou la finalité des acteurs n’est pas satisfaits, il ne peut pas y avoir un bon taux de participation des compétitions scolaires dans la commune de Bouaké. Quant à l’implication des problèmes structurels dans la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU, nos travaux convergent vers Tizié et Al (2017) dans une approche socio-historique et stratégique estiment que les conflits de compétences entre les structures en charge du sport scolaire sont des La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 197 facteurs identifiés de l’échec de l’animation du sport à l’école. Nous pouvons dire que tant qu’il y a conflit de compétence, on aura toujours une mauvaise organisation du sport scolaire et un faible taux de participants. L’OISSU doit motiver les participants et les encadreurs en donnant des récompenses de valeurs. L’OISSU doit améliorer l’organisation des compétitions concernant le déplacement des participants, l’hébergement, la restauration pendant les compétitions scolaires. Une parfaite collaboration entre L’OISSU et le ministère en charge de l’éducation nationale. Diffuser les matchs sur une chaîne nationale pour faire la publicité des athlètes. Reprendre les partenariats avec les anciens sponsors afin que ceux-ci apportent des récompenses aux participants. Les chefs d’établissements doivent apporter un appui financier conséquent pour le bon déroulement des entraînements sportifs afin que les encadreurs motivent les participants. Le ministère en charge de l’éducation nationale doit dégager des horaires pour les entraînements sportifs parce que la plupart des horaires sont réservés aux devoirs de classe, soit disant que les autres matières sont plus importantes que l’activité sportive. Conclusion Nous avons mis en évidence, au cours de cette investigation, les déterminants sociaux de la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU. Nous avons formulé à cet effet, une problématique dont la question principale de départ est de savoir si les déterminants sociaux ont-ils une influence sur la baisse du taux de participation des établissements secondaires aux compétitions OISSU. Pour mieux cerner ce problème, nous avons émis deux hypothèses qui sont les suivantes : cette baisse s’explique par les enjeux économiques, ensuite démontrer que les problèmes structurels de l’OISSU l’influence également. Dans cette lancée, nous avons utilisé la méthode exploratoire en vue de la collecte des données sur le terrain, et à partir de méthode aléatoire, nous avons procédé à l’échantillonnage et nous avons obtenu un échantillon de 22 établissements sur les 106. Ce qui donne un taux de représentativité de 20,75 % soit 21 %. Les résultats obtenus ont été présentés, analysés et interprétés. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 198 Nos hypothèses ont été validées, les enjeux économiques et les problèmes structurels sont les facteurs explicatifs du phénomène. Cependant d’autres facteurs contribuent également à cette baisse comme les facteurs sanitaires et les facteurs sécuritaires. Cette étude à caractère exploratoire nécessite une étude approfondie qui va chercher le lien entre les enjeux économiques impliqués et le taux de participation. L’étude se limite comme une présentation des avis d’opinion des acteurs sur la baisse du taux de participation. Cela ne suffit pas en réalité. Des études plus approfondies nécessitant le calcul d’un lien entre les moyens financiers et le taux de participation s’impose. Bibliographie Bini, K, R. (2016). 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Cet article vise à montrer l’évolution des activités socio-économique des Libanais à Bouaké. Dès leur arrivée dans la localité, ils ont joué un rôle d’interface entre le monde africain et européen avant d’être des acteurs économiques majeurs du pays. Au lendemain de l’indépendance, ils se sont orientés vers le commerce du tissu, de l’habillement, des matériaux, des épices et de l’immobilier. Leurs investissements sont destinés à l’industrie agroalimentaire et sidérurgique de la ville de Bouaké. Les opérateurs libanais investissent aussi dans les œuvres caritatives et activités socio-culturelles de Bouaké. Cependant, le déclenchement de la crise militaro-politique de septembre 2002 a provoqué la fuite des Libanais en direction d’Abidjan. A la fin de la crise en 2011, quelques-uns regagnèrent de nouveau la ville dans le cadre de la reconstruction et de la relance économique. Mots-clés : Activités socio-économiques, Bouaké, commerce, industrie, Libanais. Abstract : Present in Africa and particularly in Côte d'Ivoire since the beginning of French colonisation, Lebanese settled themselves first of all in the coastal towns and then in the ones of the forest areas within the country, especially Bouaké. This article aims at showing the socio-economic progress of Lebanese in Bouaké, crossroads town, from the colonisation time to the post-crisis reconstruction. As soon as they arrived in this area, the levantines worked as an interface between the African people and Europeans before being an essential community. In the aftermath of independence, they move on the trade of fabric, clothes, materials, spices and building. Their capital investments are for food industry and the steel industry of the city. The Lebanese businessmen are involved in the charity and the socio-cultural activities of Bouaké. However, the break of the military political crisis of september 2002 to provoke the flight of the Lebanesein order to take refuge in Abidjan like the other populations. When the crisis ends in 2011, some of them return to the city again for the reconstruction and the economic recovery. Keywords: Bouaké, industry, Lebanese, Socioeconomic activities, trade. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 202 INTRODUCTION Fondée en 1858 et située à environ 400 km du littoral ivoirien, la ville de Bouaké devient un poste militaire1 en 1898 et chef -lieu du cercle du Baoulé-Nord en 1901.De par sa situation géographique, Bouaké, en tant que deuxième ville de la Côte d’Ivoire,demeure l’un des principaux centres commerciaux de l’Afrique noire francophone (P. Janin 200, p.177). Au niveau démographique, Bouaké est une ville cosmopolite peuplée d’une forte diaspora de peuples venus du Nord de la Côte d’Ivoire et également d’une importante population étrangère de l’Afrique de l’ouest2 (P. Janin 2001, p.177). Ainsi en 1998, sa population était estimée à 800.000 habitants. Loin d’être parmi les plus fortes communautés étrangères établies à Bouaké,le peuple libanais limité par l’essaimage d’une dizaine de familles constituait l’un des acteurs du rayonnement économique et social de la ville de Bouaké (P. Janin 2001, p.179). L’objectifde cette étude est d’analyser l’évolution des activités socioéconomiques des Libanais dans la ville de Bouaké. Cet article a pour intérêt de comprendre comment les Libanais ont participé au rayonnement de Bouaké. Les Libanais dont l’installation en Afrique subsaharienne remonte au début du XXè siècle, s’étaient établis d’abord sur les villes côtières ivoiriennesavant de poursuivre leur périple à l’intérieur du continent (K. A. N’goran, 2018, p.76). Mais l’avènement des premiers libanais à Bouaké eut lieu au début des années 1920 avec une communauté estimée à quatre (4) personnes (S. A. Gbodjé, 2015, p. 341). Le cadre chronologique dans lequel s’inscrit cette étude part de 1935 à 2011. En 1935, les Libanais à Bouaké créèrent l’Amitié Franco-Libano-Syrienne3 pour montrer leur adhésion aux intérêts français. Quant à l’année 2011, elle marque le retour progressif de ces Libanais à Bouaké, après 11 années de crise militaro-politique4. Dans quelle mesure les Libanais ont-ils contribué à l’expansion socioéconomique de la ville de Bouaké ? Cette interrogation donne à réfléchir sur la 1Il est l’œuvre du capitaine Bénoît. Pierre Janin indique qu’en 1988, les nordistes composés de Sénoufo et de Dioula représentaient en 1988, 60% de la population contre 30% de baoulé, Pierre Janin, op.cit. p.177. 3France Afrique Noire, 22 octobre 1935,Le Syndicat corporatif énonce la réunion d’amitié franco-libanosyrienne à Bouaké. 4Cette situation marque le début de la partition de la Côte d’Ivoire. Bouaké est érigé en capitale de la partie du pays sous contrôle de la rébellion dirigée par Soro Kigbafori Guillaume. Elle est vidée de sa population et de nombreux opérateurs économiques descendent à Abidjan, capitale du territoire administrée par Laurent Gbagbo, le président démocratiquement élu. 2 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 203 participation des Libanais à l’essor économique et social de cette cité marchande de la Côte d’Ivoire. L’examen de cette question a conduit à exploiter des sources orales et imprimées ainsi que des ouvrages sur la ville de Bouaké et surtout sur des immigrés libanais installés en Côte d’Ivoire. L’exploitation de ces sources est étayée par des informations recueillies dans le cadre d’entretiens sur les Libanais et leurs activités socioéconomiques dans l’histoire de la ville de Bouaké. Pour mieux cerner l’action socioéconomique des Libanais à Bouaké au cours de la période 1935-2011, cette étude se propose d’abord d’étudier leurs activités économiques menées par les Libanais pendant la colonisation à Bouaké, ensuite, de montrer leur contribution dans le développement économique et social de 1960 à 2002, enfin d’analyser l’impact de la crise militaro-politique sur ces derniers et leurs tentatives de retour dans cette localité. 1. L’INSTALLATION DES LIBANAIS A BOUAKE ET LA MISE EN PLACE DES ACTIVITES DE 1940-1960 Parler des activités libanaises à Bouaké pendant la période coloniale, revient d’abord à étudier l’histoire des premiers Libanais à Bouaké. Enfin, nous montrerons la consolidation socioéconomique de cette communauté au cours des années 1940. 1-1. L’arrivée des Libanais à Bouaké, (1935-1940) La ville de Bouaké a toujours été une région importante pour les immigrés libanais. Comme indiqué plus haut, leur présence remonte à la période coloniale. Elle a été possible grâce à la réalisation des infrastructures et à la position géographique. Au niveau infrastructurel, déjà le 20 avril 1912, le chemin de fer atteignit la ville de Bouaké (P.Castella et al, 1970), la reliant ainsi aux zones côtières5. Aussi, les routes précoloniales relièrent-t-elle Bouaké et les localités de la zone forestière dans le cadre des échanges commerciaux entre le pays sahélien et la basse-côte (J. Tricart, 1956,p.220). Au niveau des produits commerciaux, la région était une zone 5 La gare ferroviaire a été inaugurée et Bouaké demeura 11 ans le terminus de cette ligne en raison de la première Guerre Mondiale. Voie ferrée principale et embranchements sont rejoints dans d'autres régions par des routes, elles-mêmes prolongées par des pistes. Celles-ci, petit à petit, reçoivent une chaussée et deviennent des routes La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 204 productrice de palmistes6 et de coton. Elle était aussi un véritable débouché pour les produits africains et européens. Dès lors, elle devint une plaque tournante dans les activités commerciales. En 1921, on dénombrait trois (03) Libanais (S. A. Gbodjé, 2015, p. 289). Cependant, jusqu’en 1920, la ville de Bouaké représentait pour les Libanais un important centre commercial de passage pour eux. En effet, du Soudan français, chargés de beurre de karité et du poisson ils venaient, à Bouaké, chercher les produits comme de la kola pour l’expédier à leurs compatriotes7 établis au Sénégal, au Nigéria et en Guinée française (E. Safa, 1961, p.125). Les Libanais s’installèrent à demeure à Bouaké. Ils devinrent des intermédiaires entre les commerçants locaux et européens. Par la suite, ils détrônèrent les commerçants africains8 en particulier les dioula et constituèrent une véritable concurrence du commerce européen. Cela fut possible grâce à leurs stratégies commerciales novatrices. Assurément, ces stratégies s’observèrent à travers leur facilité de motilité et le commerce de détail (S. A. Gbodjé, 2015, p.132). En général, traits d’union entre les maisons commerciales européennes9et la clientèle locale, ils achetèrent notamment aux sociétés de gros ou demi-gros, les articles manufacturés et les revendirent aux Africains. En retour, ces commerçants libanais proposèrent les produits tropicaux aux maisons de commerce moyennant des petits bénéfices substantiels (E. Safa, 1961, p.126). Ainsi, à partir des années 1930, ils excellèrent dans le commerce de traite et la concurrence tourna à l’avantage des Libanais, en raison de la panoplie de charges à supporter: hébergement des caravanes de traite et divers présents. C’est en ce moment qu’ils ouvrirent des boutiques afin d’y vendre des tissus. Mais, là encore, ils devancèrent les commerçants français (S. A. Gbodjé, 2015, p. 132). Ils devinrent maîtres du commerce dans la ville de Bouaké et ses environs. Certains d’entre eux furent choisis comme agents de commerce européens. Le commerçant non seulement coûtait peu cher, mais aussi il pouvait s’adapter aux conditions d’existence très 6 2 à 3000 tonnes de palmiste ce qui représente 8 à 9 000 tonnes de noix, de quoi faire fonctionner 8 à 9 appareils à raisons de 100 tonnes/mois. 7 Qui se chargent de l’écouler à l’extérieur. 8 Composés d’Apolloniens, de Sénégalais, de Libériens, de Fantis et d’Ashantis, surtout de Dioula. 9 Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest (CFAO), Compagnie Industrielle et Commerciale de Côte d’Ivoire (CICCI), Compagnie française de la Côte d’Ivoire (CFCI), Héritier de Tessières Bouaké. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 205 pénibles de la brousse (E. Safa, 1961, p.126). Les autres qui disposaient d’une autonomie financière détournèrent la clientèle française. Ces commerçants français poussèrent par conséquent les maisons de commerce à les combattre par la hausse des patentes ou des taxes sur les marchés (S. A. Gbodjé, 2015, p.134). Cependant, cette campagne contre leurs intérêts ne les ébranla guère, elle renforça plutôt leur présence dans cette localité. Ainsi en 1936, le nombre d’immigrés libanais à Bouaké et ses environs fut de 27 membres. L’augmentation du nombre des membres de la colonie fut possible grâce à leurs femmes et des membres de leur communauté dont ils sollicitèrent l’aide pour leur développement de l’activité commerciale (K. A. N’goran, 2018, p.90). Les membres les plus connus de cette communauté furent entre autres Kamal Ben Youssef, Cobti, Faouzzi Rahel, Sahyoun Joseph. Ils étaient spécialisés dans le commerce de tissus et de divers produits du Moyen-Orient et de l’Europe (S. A. Gbodjé, 2015, p. 129). Ce dynamisme commercial libanais à Bouaké se poursuivit des années 1940 jusqu’en 1960. Les surfaces de vente sont localisées au Commerce10au rez de chaussée des maisons à étage comme dans toutes les villes du pays. Outre le Commerce, les quartiers résidentiels comme Kennedy, Air France étaient leur zone d’habitation11. 1. 2. La mise en œuvre des activités commerciales et consolidation de la communauté libanaise (1940-1960) Les Libanais devinrent l’un des groupes socioéconomiques à Bouaké. Au niveau économique, durant la seconde Guerre Mondiale,ils se positionnèrentcomme une force économique. En effet, en contact à la fois avec leurs compatriotes des autres régions de la Côte d’Ivoire et ceux de l’extérieur, ces descendants de Phéniciens12 évoluèrent entre les Européens et les Africains. Ils s’approvisionnèrent auprès des commerçants13 établis à Grand-Bassam, à Abidjan et à Dabou qui leur fournirent des articles ou marchandises européennes et des produits locaux comme le cola. De Bouaké, les traitants libanais achetèrent aux producteurs africains la presque totalité 10 Centre des affaires de la ville. Charles Haroun, 72 ans, entrepreneur et dirigeant d’association sportive, Abidjan, Zone industrielle de Vridicanal, Dreyfus Commodities, avril 2015. 12 Peuple antique originaire des cités de Phénicie, région qui correspond approximativement au Liban actuel, entre 1200 et 300 av. J.-C. 13 Les familles comme Mansour, Fakhry, Borro Haddad, Rustom, Bechara et Gemayel étaient les principaux fournisseurs. 11 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 206 de la production des colas de la subdivision de Toumodi et celle de Daloa. Ils réalisèrent sur ces achats et le transport de ce produit d’importants bénéfices en dépit des pertes occasionnées par les difficultés de conservation14. Durant la seconde Guerre Mondiale, les commerçants éprouvèrent des difficultés à exercer leurs activités d’import-export. Les ravitaillements en marchandises exotiques et l’évacuation des produits tropicaux se faisaient difficilement car les mers étaient occupées sans la limitation de la circulation. Les importateurs et exportateurs libanais établis à Bouaké, notamment Moukarzel Badih et son frère15 et Boudaher Antoine n’échappèrent pas à cette situation économique embarrassante. Les fortunes des frères Moukarzel, constituées d’immeubles, d’affaires commerciales et en espèces se cumulaient à environ 5 millions de francs. Quant à la fortune de Boudaher Antoine, commerçant, transporteur et exportateur de cola, elle se chiffrait à 1,5 million de francs16. Ces montants doivent être pris avec assez de précaution, car ils peuvent être soit sous-évalués, soit majorés. Dans les échanges commerciaux entre la Côte d’Ivoire et les autres territoires français, notamment le Sénégal et surtout dans le cadre du commerce du cola, les Libanais exploitèrent les voies routières reliant la Côte d’Ivoire et le Soudan. Dès lors, Bouaké attira de nombreux Libanais qui s’y installèrent. Des commerçants résidant en Guinée française, au Soudan français et au Sénégal renforcèrent la communauté libanaise de Bouaké (C. Bierwirth, 1999, p. 86). C’est le cas de Moukharzel Rahal17qui quitta le Soudan afin de prêter mains fortes à son frère Badih en 1943 et de Hesné Saloum qui immigra à Bouaké en 1950. Il créa une section du comité fraternel en Côte d’Ivoire un an plus tard lorsqu’il s’établit à Bouaké pour l’expansion de leur commerce et pour défendre les intérêts de ses compatriotes. Aussi les Libanais avaient-ils des rapports constants avec leurs compatriotes installés dans les colonies frontalières de la Côte d’Ivoire comme la Gold Coast. Ces relations étroites permirent d’étendre leurs affaires car cela fut une opportunité pour se ravitailler en 14 XVII-4-16 (1729) Affaires économiques, n°712 A.E. les relations avec la Syrie et le Liban-Correspondanceenvois de fonds, le gouverneur de la Côte d’Ivoire à Monsieur le président de la Chambre de Commerce à Abidjan, le 17 octobre 1945. 15 Moukarzel Rahal. 16 ANCI, XVII-4-16 (1729 : situation économique des Libanais en AOF, 1945, Liste de commerçants Libanais et syriens ayant des intérêts en Côte d’Ivoire. 17 Fondateur du Comité Fraternel Libano-Syrien en 1937, à Mopti au Soudan français. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 207 marchandises. La Gold Coast fut l’une des alternatives choisies par les frères Mouakarzel. Parfois l’issue de ce moyen n’était pas certaine car les auteurs étaient l’objet de poursuites judiciaires. Bouaké devint l’une des zones commerciales, les plus importantes des Libanais. En 1945, le nombre de Libanais à Bouaké était estimé à une cinquantaine de membres. En 1946, la population libanaise atteignit 63 membres sur un effectif total de 975. Ainsi, Bouaké constituait le cinquième foyer de peuplement derrière Abidjan, Agboville, Grand-Lahou et Daloa comptaient respectivement 427, 123, 87et 79 personnes (S. Kojok, 2002, p.307). L’éclosion levantine à Bouaké se poursuit au lendemain de l’indépendance où ils procédèrent à la diversification de leurs activités à travers la création d’unités industrielles. 2. LA DIVERSIFICATION DES ACTIVITES DES LIBANAIS, (1960-2002) Au lendemain de l’indépendance jusqu’en 2002 date du déclenchement de la crise militaro-politique. Les activités des Libanais de Bouaké s’articulèrent autour des activités commerciales, industrielles et socio-culturelles. 2 .1 L’implication des Libanais dans le commerce et l’industrie A la veille de l’indépendance, l’économie ivoirienne était fortement dominée par les produits de traite. Pour diversifier l’économie, les autorités politiques entreprirent une politique de réformes incitatives des capitaux privés à travers l’élaboration d’un code d’investissement en septembre 195918. Les Libanais saisirent cette opportunité pour asseoir leur positionnement économique et social dans le pays en particulier à Bouaké. Ils continuèrent leurs activités en évoluant entre les commerçants africains et les maisons de commerce européennes. Ils œuvrèrent à la fois dans le commerce de gros et dans le détail. Les grossistes libanais détinrent la commercialisation des produits textiles et de l’habillement. Ils s’approvisionnaient chez les grossistes européens de la région, ou directement à Abidjan, chez leurs compatriotes comme Kharat Emile19. Ils les revendaient aux colporteurs et détaillants 18 Décret n°59-134 du 3 septembre 1959, déterminant le régime des investissements privés dans la République de Côte d’Ivoire (JORCI) 1959, pp. 823-826. 19 Entretiens répétitifs réalisés en français avec Georges Naklé, 62 ans et restaurateur à la Fondation Atef Omaïs, Plateau à Abidjan, octobre 2016. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 208 africains20 qui faisaient la distribution en détail à l’extérieur de la ville (P. Castella al,1970, p. 42) et leur faisaient du crédit. Le remboursement de ce crédit n’est garanti que par la confiance et permit aux commerçants libanais de réaliser de bonnes affaires (L. Chaû, 1966, p. 43). En plus du commerce des produits textiles, les Orientais monopolisèrent au même titre que les sociétés commerciales européennes le commerce des cultures industrielles telles21 que le café, le cacao et bien d’autres. Selon Houssam Saloum22, les traitants libanais achetaient les produits agricoles provenant aussi bien des localités environnantes que celles de Daoukro, Dimbokro, Ouellé, Bocanda.Il faut noter que sur 24 grandes entreprises qui assuraient la commercialisation des produits agricoles d’exportation, sept (7) étaient la propriété des Libanais (L. Chaû, 1966, p.69). En plus des produits agricoles, les Libanais interviennent dans le commerce des boissons gazeuses, de l’épicerie et des produits de la quincaillerie23, et de mercerie et sont des représentants des firmes d’automobiles comme Mercedes Benz et Honda (C. Bierwirth 1999, p.90). Par ailleurs, dans les années 1960, ils s’intéressèrent à l’industrie qui est encore à l’état embryonnaire. Cependant ces interventions au niveau des investissements industriels sont peu importantes. Limitées par quelques fabriques, nous pouvons citer les Mobiliers Métalliques de Bouaké (MMB) mise en œuvre en 1965. Les MMB24 sont la propriété de la famille Ashkar. Les Libanais ont investi dans les industries agroalimentaires, notamment la boulangerie. En effet, sur les quatre (08) boulangeries modernes qui opéraient à Bouaké entre 1965 à 1972, (04) d’entre elles étaient dotées en moyenne de deux(02) fours et appartenaient aux familles Daher, Moukarzel, Bejani, Goussoub, Asmar25.Toutefois les Libanais participaient de Ceux qui vendent leurs articles au marché de tissu, ont été victimes d’un incendie, 27 janvier 1977, fraternité matin, du 03 mars 1973. 21 A l’exception du caoutchouc, du palmier à huile, du cola dont la commercialisation est aux mains des compagnies européennes et des Africains pour le cola. 22 Entretien réalisé en français avec Houssam Saloum, 66 ans, entrepreneur, Abidjan-Marcory Cap sud, avril 2015. 23 Les matériaux de construction, de plomberie, 24 Elle était spécialisée dans la fabrication des mobiliers métalliques et des produits de ferronnerie destinés à la ville de Bouaké et ses environs. 25 JORCI (Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire), 1972, Liste des boulangeries industrielles autorisées en plein droit, p.1387. 20 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 209 manière active aux activités socioculturelles.Ainsi grâce à leur forte présence au quartier commerce, l’une de ses rues fut baptisée le Liban au cours des années 198026. 2 .2. La contribution des Libanais au rayonnement du sport et aux activités culturelles à Bouaké Les Libanais ont marqué de leur empreinte la vie socioculturelle en Côte d’Ivoire. Au niveau du sport ivoirien, ils furent l’un des principaux animateurs. La région de Bouaké a bénéficié de l’engagement des Libanais en faveur du sport. La famille Abinader, par exemple, s’investissait dans plusieurs disciplines sportives à Bouaké. Cet engagement en faveur du sport débute en 1965 avec le père Antoine Abinader. Ses fils Guy et Roger lui emboîtèrent le pas et créèrent l’équipe féminine de handball de la ville avant d’assurer le parrainage de la fédération ivoirienne de cyclisme et de boxe. Roger fonda et présida l’Association Sportive des Clubs de Bouaké Abinader (ASCB). En 1984, la section handball de son association remporta à Brazzaville la coupe féminine d’Afrique des clubs27 champions.Son abnégation au service du sport ivoirien lui permit de remporter le prix de meilleur dirigeant du sport ivoirien en 1985 (G. Baillet, 1984, p. 12). D’autres familles comme Saloum, ont contribué au développement du sport notamment les sports de combat. Ainsi cette famille créa le Club Joseph Farah28, spécialisé dans le karaté29. Zarour Nino fut porté à la tête du Rallye club de Bouaké, en juillet 199030 Outre le sport, les Libanais s’impliquèrent dans la valorisation d’autres secteurs de divertissement. D’abord au niveau de la cinématographie, ils disposèrent de grandes salles de cinéma pour la projection de films. Les Levantins comme Gemayel et Haddad détinrent les cinémas REX, VOX et Centre Ivoire (K. L. Yao, 2016, p.256). Aussi furent-ils propriétaires des restaurants comme l’Oriental, Palmas31 et des jeux de pétanque. Par ailleurs, ils furent des mécènes des œuvres sociales. Ils participèrent 26 Houssam Saloum, déjà cité. Roger Abinader et ses joueuses ont reçu les honneurs des autorités ivoiriennes avec la présence du Grand chancelier Germain Gadeau et les ministres Fologo et Jean Jacques Béchio. Les filles d’Abinader ont reçu chacune 7millions de Francs CFA de la part des autorités ivoiriennes. 28 Ancien président de l’associative de Bouaké. 29 Houssam Saloum, déjà cité. 30 Eby Kam, Rallye Club de Bouaké, M. Zarour à la barre, in Fraternité matin 26 juillet 1990, p. 12. 31 Après la création du centre universitaire de Bouaké en 1992, dans les soucis de canaliser les étudiants, les autorités compétentes avaient demandé à Houssam Saloum de les laisser accéder librement son restaurant et bar. 27 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 210 à la construction des écoles, des centres culturels et à l’équipement des infrastructures socioéconomiques. Lors du deuxième congrès de l’Union libanaise Culturelle Mondiale (ULCM) à Bouaké en janvier 1983, démarrèrent les travaux de construction d’un centre culturel ivoiro-libanais32 d’une valeur de 120 millions de francs CFA.Notons que les destinées de la section de l’ULCM de Bouaké d’une cinquantaine de membres étaient présidées par Joseph Dégram (K.Kiniboa, 1983, p. 9). Outre les actions sociales coordonnées par l’ULCM, en tant que membres des clubs de services comme le «Rotary Club » et individuellement, les Libanais apportèrent assistance à l’association des étudiants handicapés et associèrent leur image aux œuvres de bienfaisance dans la ville de Bouaké33. Il importe de noter que les Libanais ont contribué au rayonnement économique de Bouaké et de sa région de 1935 à 2002. C’est pourquoi en guise de reconnaissance les autorités municipales baptisèrent officiellement l’une des rues du quartier Commerce dans les années 1980 « la rue du Liban»34. Toutefois, avec l’avènement de la crise militaro-politique, ces réalisations socio-économiques tombèrent en ruines. 3. L’IMPACT DE LA CRISE SOCIO-POLITIQUE SUR LES LIBANAIS DE BOUAKE ET LA TENTATIVE DE REPRISE DES ACTIVITES ECONOMIQUES A BOUAKE, (2002-2011) Le déclenchement de la crise militaro-politique en 2002 est un tournant décisif dans l’histoire des populations résidant dans les villes sous contrôle de la rébellion. Un coup d’Etat manqué qui s’est transformé en une rébellion armé, engendre une incidence sur les acteurs économiques notamment les Libanais. Face à cette situation d’insécurité, les Libanais s’organisèrent pour rebondir. 3.1. Les conséquences socio-économiques de la crise militaro-politique sur les acteurs économiques libanais, (2002-2007) Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire se réveilla par un coup d’Etat. Les 3 régions militaires notamment à Abidjan, Bouaké et Korhogo furent attaquées simultanément. Après avoir été chassés d’Abidjan, les insurgés s’établirent à Bouaké Ce centre devrait comprendre une bibliothèque, une salle de conférence, une salle d’exposition, une salle des fêtes, et des terrains de football, basketball, volleyball et de tennis ainsi qu’un dispensaire. 33 Houssam Saloum, déjà cité. Nos enquêtes ne nous pas confirmé l’existence d’un tel centre. 34 Jusqu’en 2015, elle était la seule rue du centre des affaires non encore bitumée. 32 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 211 qui devint quelques semaines plus tard le bastion de la rébellion. La situation sécuritaire s’ensuivit et devint chaotique et préoccupante. L’on assista dans les villes occupées par la rébellion à toutes sortes d’actes de vandalisme, d’assassinat, de pillages, de désolation auxquelles il faut ajouter l’imminence des combats entre mutins et éléments des forces armées loyalistes. Face à cet état de fait, ces villes assiégées du Centre-Nord comme Korhogo et Bouaké se vidèrent de leurs populations. La situation des Américains, Français et Libanais, devenant préoccupante, 800 soldats français, 200 soldats américains et des Britanniques furent mobilisés pour évacuer 2000 de leurs ressortissants à Bouaké et quelques centaines à Korhogo entre les 25 et 29 septembre 2002 (P.Leymarie, 2002).Parmi les Libanais, ceux ayant acquis la nationalité des puissances occidentales bénéficièrent de meilleures conditions d’évacuation de l’intervention humanitaire d’un détachement des Forces françaises basées à Bouaké pour Abidjan. C’est le cas par exemple de la famille Saloum qui a pu bénéficier du secours des Français35.Toutefois, malgré l’exposition des populations et de leurs biens à la merci d’éventuels pillards et vandales, certains commerçants risquèrent leur vie et rouvrirent leurs boutiques et magasins tenus par quelques Libanais, Marocains et Sénégalais3637Les supermarchés Société Commerciale du Centre-Ouest (SOCOCE) et Compagnie de Distribution en Côte d’Ivoire (CDCI), rachetée par le promoteur libanais de supermarché Yasser Ezzedine, firent autant. (M.Diallo, 2003, p.15) avant de se refermer les quelques mois plus tard38. La crise militaro-politique désagrégea les structures administratives et politiques. Les zones Centre et Nord du pays échappèrent à l’autorité de l’Etat et Bouaké qui devint la capitale de la rébellion fut le théâtre de nombreux affrontements. Le détachement d’un contingent ouest africain sous les auspices du Nigéria qui aboutit à un cessez-le-feu ne put garantir la sécurité dans ces zones (P.Leymarie, 2002,https://www.monde-diplomatique.fr/carnet). 35 Houssam Saloum, déjà cité. Entretien réalisé en février 2016 à Bouaké, avec Kouakou Kouassi Bertin, instituteur, âgé de 55 ans. Il est resté à Bouaké durant toute la période de crise. 37 Notons que 584 Sénégalais ont été rapatriés à Dakar (Evénement du 29 septembre 2002) 38 Entretien réalisé en janvier 2018 à Broukro (Bouaké) avec Kouakou Kouassi, âgé de 65 ans, employé de commerce à la retraite. 36 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 212 L’économie ne demeure pas en reste. Tous les circuits productifs et commerciaux étaient en ruine. En effet, les principales voies de communication qui reliaient régulièrement Bouaké aux régions du Sud du pays et celles du Nord et les pays sahéliens étaient fermées à l’exception de la seule ligne ferroviaire Régie Abidjan-Niger39 (RAN) qui continuait d’assurer le trafic tant bien que mal entre le Sud et le Nord du pays. Les camions venant du Burkina Faso, et du Mali qui traversaient tout le pays, pour se ravitailler au Port d’Abidjan, étaient obligés soit de transiter par le Ghana afin de rallier Abidjan, soit de se rabattre sur le Ghana et le Togo(D. Samson, 2003, p.1).Ces voies de communication fonctionnaient difficilement à cause des tracasseries40.Par conséquent, les Libanais descendirent vers le Sud et principalement à Abidjan. Si certains parmi eux parvinrent à se réorganiser dans d’autres régions, d’autres furent obligés de migrer vers d’autres pays africains 41qui offraient des opportunités intéressantes. D’autres encore, les personnes du 3ème âge, à la retraite, qui vivaient généralement des fruits de leurs durs labeurs, furent obligés de rentrer au Liban. Avec le départ des locataires, Hesné Saloum et son épouse qui vivaient des revenus de leurs biens immobiliers, rejoignirent un proche parent à Las Palmas en Grande Canarie42.Les négociations entamées depuis octobre 2002 qui débouchèrent sur différents accords de paix permirent de restaurer progressivement l’autorité de l’Etat et le retour des opérateurs économiques à partir de mars 2007. 3 .2 Le retour sous fonds de méfiance,(2007-2011) Le retour à la normalisation s’est fait progressivement avec l’accalmie et l’autorité de l’Etat dans les zones CNO43,en mars 2007. On assista au retour des opérateurs économiques libanais, notamment les commerçants en premier pour rejoindre leurs compatriotes restés dans ces zones CNO durant la guerre (M. Diallo, 2003, p.15). Ils avaient pour objectif de constater l’ampleur des dégâts de leurs locaux. 39 Dont la gestion est assurée par la Sitarail (Société Internationale de Transport par Rail (SITARAIL) Les forces loyalistes, les groupes armés d’autodéfense, les Forces Armées des Forces nouvelles 41 Ghana, Angola, République démocratique du Congo, Afrique du Sud. 42 Houssam Saloum, déjà cité. 43 Centre Nord-Ouest. Il s’agit des localités assiégées par la rébellion de 2002 à 2011. 40 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 213 Cette situation des Libanais réinstallés à Abidjan fut aggravée par les événements de novembre 200444 où les jeunes survoltés s’en prirent aux intérêts des Occidentaux y compris ceux de certains Libanais. En effet, la haine contre les étrangers est née dans les années 1980 où la vie politico-économique était chaotique. Les étrangers furent considérés comme les envahisseurs et la source des difficultés des Ivoiriens et la cible de nombreuses attaques (E. Kadet, 1993, p.4) Les ressortissants libanais ne furent aucunement épargnés. Evoluant en général individuellement ou regroupés en famille et communauté, les immigrés libanais ne bénéficièrent pas de l’assistance de leurs autorités politiques contrairement aux ressortissants européens45. Ils se trouvent ainsi démunis face aux événements. Par centaines, femmes et enfants ont trouvé refuge au Sénégal, au Ghana, ou au Liban (F. Douat, 2004, p.198). Malgré ces situations difficiles, certains résistèrent pour ne pas abandonner 30 ans de vie, d’autres levantins risquèrent leur peau en gardant leur sang-froid (F. Douat, 2004,p.198). Pour faire face aux différents préjugés, défendre leurs intérêts et constituer un groupe de pression, les hommes d’affaires libanais fondèrent leur propre chambre consulaire dénommée : CCILCI 46 commerce en 2009.Elle fédéra 273 sociétés, qui réalisaient 1 600 milliards de F CFA de chiffres d’affaires, employaient 300 000 salariés et leur contribution aux recettes fiscales était de 8 % au PIB du pays et de 15 % en 2013 (J. Clémençot, 2017, p.84). La fin de la crise post-électorale de 2011 instaura un climat des affaires favorable et dans le cadre de la relance économique et la reconstruction du pays, la Côte d’Ivoire attira de milliers d’investisseurs étrangers. Principaux acteurs économiques, les Libanais font leur retour à Bouaké. Ainsi, en juin 2011, Issam Fakhry, homme d’affaires opérant dans le secteur de la grande distribution, rouvrit un mini- hypermarché de sa Société Commerciale du Centre Ouest (J. E. Adingra, 2011, http://news.abidjan.net/h/402820.html). Il s’en est suivi la réouverture des Qui bénéficient de secours et d’évacuation de la part des autorités françaises par le biais des forces présentes à l’étranger. 45 Ils sont encadrés et sont et soutenus par leurs dirigeants. 46 Chambre de Commerce et d’Industrie Libanaise dont le siège local est logé au 2 è étage de l’immeuble Orca Deco. Son actuel directeur Général est Michel Rustom. 44 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 214 supermarchés Bon prix, CDCI (Compagnie de Distribution de Côte d’Ivoire47en 2012 et de Bernarbé48 en 2013. CONCLUSION Discrets avant la première Guerre Mondiale, les Libanais se font remarquer par leurs aptitudes et techniques commerciales entre 1920 et 1939. Ils devinrent une communauté économique et sociale qui évinça les commerçants africains surtout Dioula et bouscula la suprématie des maisons de commerce françaises. Ils furent parfois considérés comme les fossoyeurs des intérêts français. Pendant la seconde Guerre mondiale, ces levantins constituèrent une véritable communauté d’intérêt à part entière qui participa non seulement aux activités économiques, mais également apportason soutien à la France libre à travers des dons et demeura un point de départ dans la défense des intérêts de toute la communauté levantine de Côte d’Ivoire. Au lendemain de l’indépendance, les commerçants procédèrent à une légère mutation dans leurs actions. Ils maintenaient et consolidaient cette position d’acteurs économiques et de mécènes jusqu’à la crise socio-économique de 2002. Ces Libanais quittèrent la ville de Bouaké. Certains y revenaient après le retour à la normalité, d’autres y renoncèrent. Les Libanais ont été un maillon essentiel de la modernisation de Bouaké. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE SOURCES Sources orales Naklé Georges, restaurateur âgé de 62 ans, entretiens répétitifs réalisés en français à la Fondation Atef Omaïs, Plateau à Abidjan, octobre 2016. Haroun Charles, 75 ans, entrepreneur et dirigeant d’association sportive, Abidjan, Zone industrielle de Vridi-canal, Dreyfus Commodities, avril 2015. Houssam Saloum, âgé de 66 ans, entrepreneur, (ancien déplacé de guerre) entretien réalisé en français à Abidjan-Marcory Cap sud, avril 2015. Elle est la nouvelle appellation de la Compagnie Française de Côte d’Ivoire en 1989, filiale de Unilever. La CDCI a été rachetée le 21 octobre 2002. 48 Société d’outillage, matériaux de construction, distribution automobile, transformation de cacao etd’un chiffre d’affaires qui dépasserait 500 millions d’euros, Bernabé, propriété du groupe lyonnais Descours et Cabaud, fut rachetée en 2003 par le Groupe Yeshi, propriété d’Abdul Hussein Beydoun et d’une famille éthiopienne Mekbebe. 47 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 215 Kouakou Kouassi, âgé de 65 ans, employé de commerce à la retraite, entretien réalisé en janvier 2018 à Broukro (Bouaké). Kouakou Kouassi Bertin, âgé de 55 ans instituteur, Entretien réalisé en février 2016 à Bouaké. Sources des Archives Nationales de Côte d’Ivoire (ANCI) et imprimées ANCI: XVII-4-16 (1729) Affaires économiques, n°712 A.E. les relations avec la Syrie et le Liban-Correspondance-envois de fonds, le gouverneur de la Côte d’Ivoire à Monsieur le président de la Chambre de Commerce à Abidjan, le 17 octobre 1945. ANCI: (XVII-4-16 (1729), Rapport politique économique sur les Libano-syriens: Des associations d’ordre politique furent créées au cours des années 1940. France Afrique Noire 22 octobre 1935,Le Syndicat corporatif énonce la réunion d’amitié franco-libano-syrienne à Bouaké. JORCI 1972, (Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire), 1972, Liste des boulangeries industrielles autorisées en plein droit, p.1387. Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (République de Côte d’Ivoire), Côte d’Ivoire en chiffres 80-81, p. 198. 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La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 217 TRICART Jean., 1956, Les échanges entre la zone forestière de Côte d'Ivoire et les savanes soudaniennes, inCahiers d'outre-mer. n°35, 9e année, Juillet-septembre 1956. pp. 209-238. YAO Koffi Léon, 2016, Les Syro-Libanais dans le commerce colonial de 1907 à 1960, Bouaké, Université Alassane Ouattara de Bouaké, Thèse Unique de Doctorat, Histoire. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 218 LE COLLEGE MODERNE CATHOLIQUE FRANCO-CANADIEN DE DALOA : DES ORIGINES A LA CRISE (1947-1973) KOUAME Hermann Docteur en histoire moderne et contemporaine hermannkouame24@gmail.com Résumé Cet article retrace la génèse de l’enseignement secondaire en Côte d’ivoire en 1947 à travers la fondation du collège moderne catholique franco-canadien de Daloa. Il montre aussi l’importance de cette école dans la Côte d’Ivoire coloniale et postcoloniale et analyse surtout les raisons de sa nationalisation « controversée» en 1973 par l’Etat ivoirien. Cette étude est un récueil de témoignages oraux, de récits et d’informations provenant d’archives d’institutions. Mots clés : collège, missionnaires, crises, Etat, nationalisation, Abstract This article traces the origin of secondary education in Côte d'Ivoire in 1947 through the founding of the Franco-Canadian Catholic college of Daloa. It also shows the importance of this school after Côte d’Ivoire independence’s of and especially analyzes the reasons for its "controversial" nationalization in 1973 by the Ivorian authorities. This study is a collection of testimonies, stories and information from the archives of institutions. Key words: school, missionaries, crises, state, nationalization Introduction Au moment des indépendances, devenir des écoles confessionnelles catholiques sous-entendu la gestion de l’héritage scolaire missionnaire, devient une question suffisamment sensible à l’échelle du continent africain pour que les récents États s’en saisissent. Selon Delanoë (2004, p.3), on distingue deux attitudes inverses des Etats africains à l'égard de l’héritage missionnaire: la reconduction des écoles chrétiennes ou leur nationalisation. En Côte d’Ivoire, contrairement à la situation vécue dans La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 219 d’autres pays1, les écoles chrétiennes, principalement catholiques, firent l’objet d’une prise en charge spécifique et non “d’une nationalisation” (E.Delanoë, 2004; p.4). La nationalisation est une transformation forcée des structures privées en structures publiques. En clair, il s'agit d'une mainmise définitive de l’Etat sur ces écoles fondées par les missionnaires catholiques. Le président Houphouët souhaitait garder de bons rapports avec le clergé et c’est pourquoi il annexa, en effet, les écoles confessionnelles catholiques au système de l’enseignement public. En 1947, l’enseignement secondaire est instauré en Côte d’Ivoire avec la création du Collège moderne catholique canadien de Daloa. Cet établissement secondaire fut la première structure éducative à prendre en charge les élèves après leur cycle primaire. Cette école a eu le privilège de former les premières élites et cadres sur le sol ivoirien2. Cependant, les débuts des années 70 furent très délicats pour les responsables de cette école. De violentes revendications et des contestations internes prennent de plus en plus de l’ampleur et menacent sa fermeture. L’Etat ivoirien décida de venir en aide aux responsables de cette école. Mais, contre toute attente, les autorités nationales procèdent à la « nationalisation » de l’établissement contre l’avis du clergé catholique. Les responsables religieux pointaient du doigt la responsabilité des autorités politiques ivoiriennes qu’ils accusent de « complicité » et aussi d’avoir planifié savamment la crise au sein de l’établissement. La nationalisation a été faite au Bénin, en République Centrafricaine, au Congo Brazzaville, en Éthiopie, au Nigeria, en Tanzanie et au Mozambique. Cette nationalisation n’avait pas une même ampleur et n’a pas été faite au même moment. Au Congo Brazzaville, l’instruction fut déclarée en 1965 un devoir de l’État et toute école devint d’office un établissement public où l’enseignement dispensé devait respecter toutes les doctrines philosophiques et religieuses. En Éthiopie et en Somalie, les écoles autorisées par l’État ne devaient pas garder un caractère confessionnel. Ainsi, les missionnaires pouvaient rester avec les écoles non enregistrées et non subventionnées. En Tanzanie, à l’indépendance, les écoles des missionnaires furent intégrées dans le système éducatif national avec les subsides. Après la déclaration d’Arusha en 1966, l’enseignement privé fut soumis à un strict contrôle et en 1973, les écoles primaires furent nationalisées. Dans certains pays les missionnaires ont volontiers cédé leurs écoles 2 Le collège moderne catholique de Daloa existe toujours dans l'esprit de ses anciens pensionnaires. Ceux-ci se souviennent toujours de leur passé et continuent de maintenir toujours la flamme de la solidarité et de la fraternité, à travers l'amicale des anciens du collège moderne catholique de Daloa l'A.C.M.C.D (Amicale des anciens du collège moderne de Daloa). On nombre des élites formées au sein de cet établissement, on peut citer entre autres, Alphonse Djédjé Mady ministre de la santé, M. Emile Guiriéoulou ministre de la fonction publique, M. Bras Canon, M. Alain Gauze et Gérôme Gauze, M. Pierre Kipré, qui fut Ministre de l’Education Nationale. 1 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 220 À travers cette étude, nous avons bien voulu revenir sur cette “épineuse affaire » qui opposa l’Etat ivoirien aux dirigeants catholiques. De prime abord, il est important de montrer comment les missionnaires catholiques sont parvenus à instaurer l’enseignement secondaire dans la colonie de Côte d’Ivoire en 1947. Cette étude ouvre aussi une réflexion sur les ambitions réelles des dirigeants ivoiriens qui disent vouloir maintenir intact le statut des écoles catholiques mais dans l’autre sens selon (Delanoë, 2004; p.5) font peser sur l’enseignement catholique les contraintes d'une nationalisation à l'inverse. En d’autres termes, les autorités ivoiriennes firent entrer l’enseignement catholique dans un régime scolaire national au point de lui ôter toute marge de manœuvre sur le plan financier et pédagogique provoquant ainsi des crises. Cette étude soulève le problème de la politique ivoirienne à l'égard des institutions scolaires catholiques pionnières de la scolarisation en Côte d’Ivoire. Cette politique fut-elle de “bonne foi” ou selon (E. Delanoë, 2004; p.5) serait “un cadeau empoisonné” pour l’église? Cette préoccupation mériterait d’être élucidée à travers l’étude du cas particulier du collège moderne catholique canadien de Daloa. Pour la réalisation de cette étude, nous avons eu recours aux témoignages oraux et à des données statistiques de l’église catholique sur cet établissement. Notre bibliographie a porté sur l’histoire en géneral de l’école en Côte d’Ivoire. Notre étude a été structurée en trois parties : Nous montrons d’abord l’instauration de l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire et en particulier à Daloa par les missionnaires français et canadiens et, ensuite les raisons de la crise entre l’Etat ivoirien et les responsables religieux et enfin l’intervention de l’Etat, les solutions proposées et les conséquences. 1. L’instauration de l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire de 1947 par les missionnaires catholiques Le système scolaire ivoirien avant 1947 comprenait uniquement le cycle primaire. À l’initiative des missionnaires catholiques, l’enseignement secondaire est en 1947 à sa première expérimentation dans la colonie de Côte d’Ivoire. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 221 1.1 Les difficultés de mobilité des apprenants en Côte d’Ivoire avant 1947 Le cycle primaire constituait le seul parcours scolaire avant 1947 pour tout écolier de la colonie de Côte d’Ivoire. Après l’obtention du certificat d’étude du premier cycle, la possibilité lui est donnée de poursuivre ses études secondaires à Dakar. Cependant, plusieurs diplômés ne bénéficiant pas de bourses d’étude pour les écoles secondaires de l’AOF durent interrompre leurs études après leur CEPE (Certificat d'Étude Élémentaire et Primaire). Pour étudier à l’école normale supérieure de William Ponty de Dakar pour les garçons et le collège Rupestre pour les filles, il fallait figurer parmi les meilleurs à l’examen du CEPE. L’autre alternative pour les diplômés du CEPE était d’intégrer une école primaire secondaire (EPS) pour le diplôme d’instituteur. Là encore, les diplômés des EPS rencontrèrent des difficultés à trouver un emploi et furent obligés d’abandonner leur formation pour retourner à la terre. Face à cette situation, le nombre de cadres dans l’administration coloniale était insuffisant (H. Gamble, 2010, p.153). L’enseignement secondaire ne fut pas en effet, une priorité pour le colonisateur qui avait dû compter sur la collaboration des missionnaires catholiques pour implanter les premières institutions scolaires primaires. La mission que s’était assignée l’administration coloniale était de permettre aux colonisés d’apprendre à lire et à écrire (J-Y, Martin, 2003, p.20). En clair, pour le colonisateur, l’enseignement secondaire n’était pas nécessaire. L’obtention du CEPE signifiait pour la plupart de jeunes, la fin de leur parcours scolaire or ceux-ci nourrissait l’ambition de poursuivre loin leurs études. Les missionnaires catholiques au premier rang dans l’action éducative pour ce qui est du primaire ne voulaient pas s’engager dans cette aventure pour la simple raison que cela demanderait d’importants fonds. L’administration coloniale qui avait confié l’éducation des jeunes aux clergés catholiques n’envisageait pas à son tour la création d’un établissement scolaire secondaire en dehors de celui de l’AOF (H. Gamble, 2010, p.135). Tous ces facteurs ne permettaient pas l'émergence d’un enseignement secondaire en Côte d’Ivoire. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 222 2. La reconversion du petit séminaire de Daloa et la première expérimentation de l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire L’enseignement secondaire est institué en Côte d’Ivoire en 1947. C’est à Daloa dans une localité du centre-ouest du pays que des missionnaires français firent la première expérimentation3. Soulignons que l’idée de départ ne fut pas de mettre en place une structure qui allait réabsorber le flux des admis au CEPE. Ce fut Monseigneur Kirmann, missionnaire catholique qui décida en 1940 de créer un petit séminaire à Daloa sans toutefois consulter le clergé catholique. Le petit séminaire est une école de niveau secondaire qui forme aussi bien les futurs prêtres que des élèves laïcs. C’était le seul moyen d’instruction des enfants vivant en campagne, et dont l’église prenait en charge les années d’études secondaires, en proposant aux meilleurs d’accéder au grand séminaire. Monseigneur Kirmann parvint à réunir des moyens et se lança dans cette aventure avec l’aide le père Curutchet et le frère Octave4. Cependant, les évêques de Côte d’Ivoire décident de ne garder qu’un seul petit séminaire5. Bingerville est choisi comme séminaire inter vicarial. Mgr Kirmann décida alors de fermer le petit séminaire de Daloa et de le transformer en collège. Il devint le directeur du premier collège catholique du pays et nomma le père Curutchet comme supérieur et économe6. La création du collège était motivée par trois raisons majeures. Mgr Kirmann voulait d’abord former des instituteurs ivoiriens destinés aux écoles catholiques, ensuite préparer une élite intellectuelle pour l’ouest de la Côte d’Ivoire, région C’est au début du deuxième semestre de 1936 que les Pères Tranchant et Favier sont arrivés à Daloa. Avant 1940, le Vicariat Apostolique de Sassandra, couvrait le territoire des diocèses actuels de Gagnoa, Daloa, Man et Odienné. Mgr Kirmann est nommé vicaire apostolique de 1940 à 1955. Il résida successivement à Sassandra, Gagnoa et Daloa. En 1942, les Sœurs Notre Dame des Apôtres arrivèrent à leur tour à Daloa. 4 Le père Curutchet fut chargé de mobiliser les ressources nécessaires pour la réalisation de ce séminaire et se lance dans la construction avec l’aide du frère Octave. Le père Curutchet assuma toutes les responsabilités, soutenu par le père Myard. En 1947, le père Quignon et trois abbés africains venus terminer leur théologie à Daloa étaient chargés de donner des cours aux élèves du petit séminaire. 5 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 6 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 3 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 223 négligée7 par l’administration coloniale et enfin éveiller des vocations sacerdotales. Le père Panis mis tout son énergie et son savoir-faire, au service de ce projet visionnaire8. Il dirigea de main-maître le collège de 1949 à 1957 galvanisant les professeurs (prêtres de la société missionnaire africaine et laïcs missionnaires) et les élèves qui conservaient longtemps, la nostalgie de l’esprit familial qui animait l’établissement9. En octobre 1948, le collège catholique de Daloa ouvre ses portes avec 17 élèves. Tout le monde ne comprend pas au début, l’idée de vouloir un « collège ». Certains pensent qu’il est préférable d’ouvrir un’’ cours normal supérieur’’ pour former uniquement des instituteurs. Mais le Père Quignon qui est chargé des études, ne démordait pas : il faut voir loin et ouvrir un établissement qui prépare d’abord au BEPC, puis dans un second temps au baccalauréat, au lieu de se limiter à un brevet élémentaire dans le style d’une E.P.S (Enseignement Primaire Supérieur) pour une prise en charge correcte et pense plutôt à une école secondaire normale. Or à cette époque, l’administration coloniale pensait au’’ cours normal’’ plutôt qu'au collège secondaire10. À partir de 1948, un autre parcours devint possible : les élèves certifiés peuvent être orientés, au titre de « boursier vicarial », vers l’École normale du diocèse de Daloa afin d’y obtenir le Brevet d’Étude (BE) ou, à défaut, des titres inférieurs de moniteur du cadre secondaire ou encore de moniteur auxiliaire. Au plan structurel, le collège moderne catholique canadien étant une reconversion du petit séminaire de Daloa en institution scolaire, l'établissement dispose donc d’importantes infrastructures. Ce fut l’un de ses atouts majeurs. Le collège fut bâti sur plusieurs hectares. Il dispose de 15 bâtiments pouvant accueillir près de 2000 élèves. Le collège fut la première structure éducative disposant d’un internat en Côte d’Ivoire. Cet internat a permis d’accueillir des apprenants venant de diverses Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 8 L’excellent travail du père Panis dans ce collège lui vaut d’être promu commandeur du mérite du ministère de l’éducation nationale le 27 mars 1972. 9 Les élèves lui donnent le surnom de colosse, qui lui resta attaché. Aimant la chasse et les grandes espaces, il allait chasser les singes pour améliorer l’ordinaire des élèves et les porcs errant aux abords du collège. 10 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 7 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 224 localités de la Côte d’Ivoire. Les premiers élèves étaient des élèves issus des écoles catholiques du diocèse de Gagnoa (C. Assande, 2005, p. 30). Puis peu à peu, l’établissement s’est ouvert à toutes les régions du pays. L’idée était de permettre à ce que cette immense bâtisse scolaire puisse être suffisamment exploitée. L’établissement disposait d’une chapelle pour les cultes. Les apprenants recevaient des cours de catéchisme en plus de leur formation ordinaire. Des terrains de sport permettaient aux apprenants et à leur formateur de se divertir. Cet établissement scolaire offrait un luxe à ces élèves habitués à la vie de campagne. L’établissement avait ouvert en 1948 avec 17 élèves. L’effectif a évolué par la suite de 101 en 1950 et 187 élèves en 1953 (E. Delanoë,2005, p.4). Au plan éducatif, la formation était dispensée par des missionnaires catholiques. Le nombre important de missionnaires affectés dans cet établissement étaient de 07 en 1954. Le père Maurice Duquesne en 1949 est affecté au vicariat apostolique de Sassandra, en Côte-d’Ivoire11. Monseigneur Kirmann qui a besoin de professeurs diplômés et qualifiés dans les matières scientifiques le nomme au collège catholique de Daloa. En juin 1947, le père Bouchiez alors sous la responsabilité de monseigneur Kirmann est nommé professeur de français à Daloa. En 1949, le Père Louis Panis prit la direction du collège catholique qu’il cumula avec ses fonctions de directeur de l’enseignement du vicariat et celle de professeur de sciences physique, de géographie et de français pour combler le deficit d’enseignants. Il demeure comme professeur ainsi que le père Guillo. Ensuite, le Père Maurice Duquesne arrive de Tourcoing pour enseigner les mathématiques. En 1950, le premier cycle est bouclé. Ce qui nécessite un nouveau professeur, le Père Louis Perochaud qui débarque de France fut chargé, en plus de sa classe régulière, d’organiser le football au collège. En fin d’année, le père Quignon accompagne ses 8 élèves à Abidjan pour le B.E.P.C. Mais pas un seul n’avait été admis. Il faudra attendre la session d’octobre pour permettre à Benoît Doué de sauver l’honneur du collège et de devenir ainsi son premier breveté. Mais à la fin de l’année scolaire 1952-1953, le collège accueillait ses premiers lauriers puisque 11Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 225 sur seize (16) élèves présentés au B.E.P.C., onze (11) d’entre eux obtiennent leur diplôme. Le collège était maintenant bien lancé et commença a joué son rôle dans toute l’immense région de l’ouest totalement dépourvue d’établissement secondaire grâce aux dévouements et l’abnégation du père Panis. Le père Panis mis toute son énergie et son savoir faire, au service de ce projet visionnaire. Il dirigea de main de maître le collège de 1949 à 1957 galvanisant les professeurs (prêtres de la société missionnaire africaine et laïcs missionnaires) et les élèves qui conservaient longtemps, la nostalgie de l’esprit familial qui animait l’établissement12. À son sujet, le conseil provincial écrit : « Se préoccupe du recrutement de séminaristes parmi les élèves ; très zélé pour l’apostolat auprès des chrétiens comme auprès des païens ; très bon pour les petits et les pauvres ; bien attaché à la société, s’est toujours bien acquitté de ses fonctions ; s’est occupé des œuvres de la jeunesse étudiante ; bon administrateur dans l’organisation et la marche de son collège : exerce dignement les fonctions sacerdotales ; semble s’être montré très prudent dans l’administration du collège ; homme de volonté ;rien à lui reprocher sur la conduite13.» Le collège moderne catholique de Daloa faisait la fierté de tout le pays à telle enseigne que l'école accueillit le 20 Juin 1954 des invités de marques venues s'imprégner de l’immense réalisation des missionnaires catholiques. Ce sont CornutGentil, Haut commissaire de la république à Dakar, Monsieur Mesmer, Gouverneur de la Côte d’Ivoire et Houphouët Boigny, Député qui sont dans les murs du collège : visites, discours, réceptions et inauguration du centre culturel (maison de jeunes) ont meublé cette journée mémorable (C. Assande, 2005, p. 66). L’excellent travail du père Panis dans ce collège lui valut d’être promu commandeur du mérite du ministère de l’éducation nationale le 27 mars 1972. Le Les élèves lui donnent le surnom de colosse, qui lui resta rattaché. Aimant la chasse et les grands espaces, il allait chasser les singes pour améliorer l’ordinaire des élèves et les porcs errant aux abords du collège. 13 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 12 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 226 père Panis est déchargé du collège en 1957, deux années après le décès du père Kirmann. Il est nommé en 1962 directeur diocésain des écoles catholiques14. Les responsables songeaient désormais à l’ouverture des classes préparatoires à l’examen du baccalauréat avec la réussite de ses élèves au BEPC. Il fallait donc plus de ressources financières et humaines. En 1957, les difficultés apparaissent avec l’absence des deux pionniers du collège. Le collège avait fonctionné grâce au fonds récoltés par le père Kirmann. Le clergé catholique n’ayant pas donné son accord pour l’ouverture d’un collège secondaire s’était abstenu de lui venir en aide. Face à cette situation, ses dirigeants décidèrent de se tourner vers l'extérieur pour obtenir le soutien d’autres congrégations religieuses. C’est ainsi que les dirigeants de cette école sollicitent la mission des frères du Sacré-Cœur15. Trois frères, Roger Fortier (Lévis), Fernand Pigeon (Léo-Marie) et Hervé Provencher (Louis-Albert) prennent la direction du collège-École normale de la ville épiscopale de Daloa (J-C Ethier, 2009, p.232). Le frère Roger Fortier occupa la direction du collège de 1957 à 1962. Le frère Bertrand Clautier occupa ce poste durant deux années et fut remplacé par le frère Jean Paul Longpré de 1964 à 1962. Ferdinand Pigeon dirigea le collège de 1969 à 1973. La mission des frères du Sacré-Cœur consista à aménager l’enseignement secondaire catholique à Daloa (J-C Ethier, 2009, p.232). Ils s'efforcent d’instruire leurs enseignants dans le domaine de la pédagogie, bien que cette formation ne se fasse nécessairement sur le terrain. À ces innovations, s’ajoutent le recrutement des laïcs pour pallier le déficit des enseignants16. 2. Les raisons de la crise entre l’Etat ivoirien et les responsables du Collège moderne catholique canadien de Daloa Le Collège moderne catholique canadien d'antan calme et paisible fait face en ces débuts des années 1970 à des troubles internes. Ces crises à multiples répétitions interpellent l’Etat ivoirien dont la responsabilité n’est pas à ignorer. Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 15 En juillet 1957, le conseil provincial canadien du Sacré-Cœur de Montréal avait fondé une mission en terre africaine, en Côte d’ivoire. Elle avait depuis quatorze ans la responsabilité de la mission d’Haïti. La province a fait ordonner des frères au sacerdoce pour répondre aux besoins des œuvres. 16 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 14 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 227 2.1 Les incessantes grèves des élèves L’une des grandes difficultés auxquelles étaient confrontées les missionnaires du Sacré-Cœur était les grèves à répétition des élèves pour exiger un meilleur traitement de la part de leur responsable. Pour une raison ou une autre, les cours étaient interrompus par les élèves, même pour des prétextes les plus banals. À cette époque, c’est le seul établissement secondaire en Côte d’Ivoire qui était en proie à de multiples perturbations. L’Etat commençait cependant à être exacerbé par cette situation. En effet, les premiers missionnaires français s’étaient efforcés de maintenir des rapports cordiaux avec les apprenants. Lesquels rapports étaient fondés sur une familiarité entre les missionnaires français et les élèves. Pour ces canadiens qui foulaient le sol du collège Moderne Canadien, l'expérience en Afrique était nouvelle. Ils avaient opté pour un encadrement plus rigide. Au sein du collège, le missionnaire blanc était perçu comme un colon17. Les corvées et les sanctions apparaissent désormais comme des injustices. Les mouvements d’humeur des élèves devenaient le quotidien du collège. Les responsables de cet établissement ne manquaient pas de voir derrière ces troubles, l’influence du communisme18. Cette instabilité chronique était parvenue aux oreilles du ministère de l’éducation nationale qui commencèrent à s’en lasser. Le ministère de l’éducation nationale avait émis des avertissements à l’endroit des dirigeants de l’établissement19. Le point culminant de tous ces mouvements de grève est l'éruption d’un reptile dans le réfectoire de l’établissement. Les élèves profitaient de la situation pour instaurer une grève générale. Le ministère de l’éducation nationale se saisit donc de l’affaire et, cependant, désavoue publiquement les responsables religieux (P. Dago, 2006, p.150). Pour les autorités politiques, la gestion de l’établissement échappe à ses responsables et jugent bien fondées les revendications des élèves. Une prise de position que digèrent mal les responsables religieux. Or, le gouvernement ivoirien avait adopté le décret n° 72-746 du 24 novembre 1972 portant organisation des associations de jeunesse et d’éducation populaire. C’est en vertu de cette loi que l’Etat accordait le droit aux élèves de cet établissement de manifester pour leurs intérêts propres. Entretien réalisé auprès de Monsieur Irié bi Zaouli à Daloa le 12/09/2021 Entretien réalisé auprès de Monsieur Irié bi Zaouli à Daloa le 12/09/2021 19 Entretien réalisé auprès de Monsieur Irié bi Zaouli à Daloa le 12/09/2021 17 18 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 228 2.2 La grève des enseignants due aux disparités salariales L’une des réformes entreprises élaborées par les missionnaires catholiques canadiens à leur arrivée fut de recruter des enseignants laïcs. Le personnel enseignant était donc composé de professeurs expatriés et de locaux. Les enseignants canadiens percevaient directement leur salaire mensuel du conseil provincial tandis que leurs collègues locaux étaient payés à partir des dons recueillis par la mission des frères du Sacré-Cœur. Mais, il existait une grande disparité entre les salaires. Les enseignants canadiens touchaient plus que leurs homologues pour le même boulot. Cela était perçu comme une discrimination. Les laïcs exigeaient que leurs salaires soient conformes à ceux des canadiens. Leur revendication fut marquée aussi par des arrêts intempestifs des cours20. Par ailleurs, le conseil provincial décida de surseoir le versement de ses fonds alloués au fonctionnement du collège moderne catholique de Daloa21. Les laïcs ont été les plus affectés par cette décision. Ils ne percevaient plus leurs salaires. Cette situation causa une fois de plus l’arrêt des cours et une révolte des élèves. Afin d’empêcher la fermeture de l’établissement, L’Etat ivoirien décida de voler au secours de ses enseignants en leur reversant leurs salaires. Le ministre de l’éducation nationale qualifiait une fois de plus les responsables de cette école de « mauvais dirigeants ». « Du point de vue de l’Église et de l’État, n’est-il pas important, devant l’urgence des problèmes scolaires, de s’engager sans retard dans une procédure qui règle les questions de fond, au lieu de maintenir des palliatifs impropres à éviter quelque ultérieur et tragique affrontement » 22 3. L’intervention de l’Etat ivoirien, les solutions proposées et les conséquences Face à la grave crise qui secoue les écoles confessionnelles en général, l’Etat ivoirien décida de mettre en place une nouvelle législation pour leur venir en aide. Cependant, celle-ci s'avère inefficace et intensifia la crise. Entretien réalisé auprès de M Tapé Groguhé à Daloa le 15/09/2020 Cette mesure concernait tous les établissements soutenus par les frères du Sacré Coeur à cette époque. 22 Quelques questions et réflexions suggérées par la note proposée au conseil presbytéral sur l’enseignement catholique,YAPI, 24 mai 1973. Archives de l’archidiocèse d’Abidjan, Rome et Abidjan 20 21 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 229 3.1 L’intensification de la crise et l’intervention de l’Etat ivoirien En 1970, le gouvernement ivoirien décide de revaloriser les salaires du public et du privé. Mais, comme il n’accompagna pas cette revalorisation d’une hausse des subventions accordées à l’enseignement privé, l’écart entre les revenus des types d’établissement se creusa. Cette situation fut vécue comme un drame, douloureusement ressenti par le clergé ivoirien qui refuse l’application de cette mesure. L’écart se creusa encore entre le salaire des enseignants du public et ceux du privé, ce qui accentua leur mécontentement. À cela, s’ajoute l’irrégularité dans le versement des subventions de la part de l’État aux écoles confessionnelles, ce qui cause un retard dans le paiement des salaires. L’École confessionnelle, en effet, n’apparaissait plus, du côté européen, comme le vecteur privilégié de l’évangélisation. D’où la fin des subventions extérieures. Tout le système éducatif catholique plongea dans le chaos. Les conséquences ont été une fragilisation de l’enseignement catholique23. Davantage exposés aux revendications des enseignants, les responsables du collège moderne canadien de Daloa se trouvèrent dans une position délicate vis-à-vis de leurs employés. Cette épreuve de force rendit la rentrée scolaire de l’année 1972-1973 particulièrement tendue24. Les incessantes grèves poussèrent le ministère de l’éducation nationale à s’impliquer dans le règlement de la crise. Il fallait éviter une année blanche aux élèves de cet établissement. Surtout que le collège accueillait aussi des élèves originaires de la sous région. D’où la nécessité de trouver des voies et moyens pour éviter que ce mythique établissement scolaire ne sombre. L’Etat décida alors de s’impliquer dans les négociations entre les parties belligérantes afin de sauver ce collège25. Le ministère de l’éducation nationale par le biais de la direction de l’enseignement national entama des pourparlers avec les responsables du collège représenté par Mgr Les prélats ivoiriens obtinrent alors d’un Houphouët Boigny une promesse d’aide extraordinaire chiffrée à 200 millions de francs CFA. Effectivement versée en 1971, cette aide ne fut pas reconduite par les pouvoirs publics à la rentrée scolaire suivante, en dépit des démarches répétées des évêques. De surcroît, le gouvernement ivoirien pratiqua des coupes de 10 % dans les subventions normalement versées au cours de l’année scolaire 1971-1972, ce qui ne manqua de provoquer des déséquilibres budgétaires à l’intérieur des établissements catholiques, et une rupture des crédits et des découverts auparavant concédés à leur avantage par les sociétés bancaires. 24 Entretien auprès de M. Tagro Bolou à Daloa le 23/08/2020 25 Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 23 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 230 Rouanet26. L’ultime espoir pour sauver cette école fut pour les missionnaires une aide financière plus consistante pour faire face aux nombreuses charges. En effet, en vertu de la nouvelle législation scolaire, l’Etat décida d’affecter des élèves dans les établissements privés pour faire face à la forte demande en éducation 27. L’Etat avait contraint les établissements confessionnels à absorber le flux important d’élèves 28. Ce qui avait alourdi les charges de ces écoles qui demandaient plus d’aide de la part de l’Etat et le versement régulier des subventions pour faire face aux dépenses. Les établissements secondaires hébergeant des boursiers reçoivent annuellement une subvention de 4000 F CFA par élève bénéficiaire d’une bourse entière d’internat. Cependant, les responsables religieux qui espéraient mieux de la part des autorités doivent faire face à des accusations de fraudes. Selon la direction de l’éducation qui avait procédé à une inspection par ses services estime surévalué l’effectif des élèves que compte l’établissement. Pour elle, le collège percevait des subventions pour des élèves exclus. Face à l’ampleur des grèves, le ministère rejeta la responsabilité sur les dirigeants de l’établissement qu’il accuse d’être à l’origine des troubles du fait de la mauvaise gestion des fonds qui leur était alloué. Devant les troubles qui perturbent le fonctionnement du collège, l’Etat n’hésita pas à prendre partie pour les grévistes. (P. Dago, 2006, p.150) Les responsables religieux bien entendu ne purent guère bénéficier du soutien de la part des autorités ivoiriennes. La solution qui leur fut proposée de transférer la gestion de l’établissement à l’Etat de Côte d’Ivoire. Cette solution s’apparente donc à une « nationalisation ». Mgr Rouanet, commis à la tâche des négociations était exacerbé par les accusations portées par les autorités ivoiriennes contre les responsables de l’institution scolaire. Face à la pression à la fois interne et externe qu’il subissait, il décida de céder aux exigences du pouvoir politique sans toutefois Archive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 27 Au lendemain des indépendances, le président Houphouët-Boigny, décida de se servir du réseau scolaire catholique pour pallier les insuffisances du secteur public. De ce fait, il autorisa les dirigeants des écoles catholiques à demander une subvention publique pour leurs écoles, à condition que ces écoles reçoivent des élèves normalement scolarisés dans les écoles publiques lesquelles, faute de place, n’étaient pas du tout en mesure de les accueillir. 28 Les établissements secondaires accueillirent les élèves affectés par le Ministère de l’Éducation Nationale en raison de 30 par classe au premier cycle et 20 par classe au second cycle. 26 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 231 informer les autres évêques29. Ce fut un événement très douloureux pour lui, lorsque, en 1973, les circonstances l'obligèrent à remettre au gouvernement le collège et il reçut de nombreuses critiques pour cette décision. D'où sa démission soudaine en 197430. En juin 1974, il écrit au Conseil provincial : « Je pars après 25 ans d'Afrique. Le départ sera douloureux. Je pense que vous n'en doutez pas. J'estime en conscience que c'est mon devoir ; ( …) Le Saint-Siège ne m'a pas demandé mon avis avant de me nommer évêque de Daloa, je ne lui demande pas son avis pour démissionner.31 » Cette décision de Mgr Rouanet de céder l’établissement à l’Etat de Côte d’Ivoire ternit ses rapports avec les autres évêques. Ainsi, il donna sa démission car ne supportant plus les reproches de ses pairs à son égard. Dans l'autre sens, l’Etat s’appropria le collège moderne canadien pour en faire le lycée moderne de Daloa. Ce fut la fin de l’ère des missionnaires canadiens. L’attitude de l’Etat ivoirien dans la gestion de cette crise donna lieu à diverses interprétations. L’Etat vit en cette crise une occasion pour avoir la mainmise sur cette école qui pouvait accueillir un nombre important d’élèves. 3.2 Le “mauvais procès” des responsables religieux contre l’Etat ivoirien La nationalisation du collège moderne catholique canadien par l’Etat ivoirien a été vue de mauvais œil par les responsables religieux. Il est juste de souligner que le maintien du statut des écoles catholiques au lendemain des indépendances fit l’objet de débat au sein même du clergé. Cette question avait soulevé une confrontation à la tribune du Conseil presbytéral d’Abidjan32 en 17 mai 1973 au cours de laquelle un missionnaire européen avait souligné : « Reconnaître, à l’intérieur de l’Église, le bien- Archive de la société des Missions africains in https://defunts.smainternational.info Archive de la société des Missions africains in https://defunts.smainternational.info 31 Archive de la société des Missions africains in https://defunts.smainternational.info 32 Au début des années soixante-dix, à la tribune du conseil presbytéral d’Abidjan, les missionnaires européens et les prélats ivoiriens confrontaient en deux discours leurs points de vue au sujet du devenir des écoles catholiques. Ce Conseil presbytéral a été installé par Mgr Yago dans les années 1960. Il est composé en 1970 de certains missionnaires européens en place depuis la période coloniale et d’autres missionnaires en place depuis 1960. Des prêtres ivoiriens en faisaient partie. Ce conseil représentait un organe de consultation pour le haut-clergé ivoirien. 29 30 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 232 fondé d’une nationalisation »33. Le souhait du Conseil presbytéral resta sans suite et se heurta, au contraire, aux décisions des évêques ivoiriens, devenus majoritaires à la Conférence épiscopale. Les arguments avancés par les partisans d’une remise à l’État des écoles confessionnelles sont jugés irrecevables par les évêques ivoiriens34. Pour (E. Delanoë, 2004, p. 11), aux yeux de ce prêtre, l’appropriation des écoles catholiques par les prélats ivoiriens sert de prétexte pour dénoncer un surcroît de pouvoir acquis au moyen d’une institutionnalisation forte de l’école au sein de l’espace public et dans l’ordre religieux. Une telle appropriation des écoles catholiques montre à quel point le contrôle de ces écoles constituait à l'époque un moyen d’accéder à des positions dominantes au sein du champ religieux mais aussi dans la structure du pouvoir national. L’opposition entre les missionnaires présents en Côte d’Ivoire se durcit et devint plus radicale. Pour les missionnaires européens, l’école n’était plus un vecteur d’évangélisation depuis les indépendances raison pour laquelle ils ont toujours soutenu l'intégration des écoles catholiques héritées de la colonisation au système de l’éducation nationale. Surtout, il fallait pour le clergé catholique redorer l’image du prêtre accusé de “profiter de l’argent” de l’Etat destiné les écoles (E. Delanoë ; 2004, p. 14). Les évêques ivoiriens souhaitaient malgré tout sauvegarder un réseau d’écoles contre l’avis de certains missionnaires occidentaux. La charge du missionnaire européen et la riposte de l’évêque ivoirien jettent une vive lumière sur des prises de position relatives à l’école catholique, à un tournant crucial et incertain de son histoire. L’épisode de l’histoire de l’école catholique marque une étape capitale dans l’histoire des transformations du champ religieux en Côte d’Ivoire. En effet, durant la décennie de l’indépendance, la mise en présence de missionnaires européens aux profils si opposés et des prélats ivoiriens a eu pour conséquence la création de rapports de force à l’intérieur de l’Église jusqu’alors impensables, jamais expérimentés; la nationalisation du collège moderne catholique de Daloa à l’époque sous les projecteurs. Nommé évêque à Daloa en novembre 1975, Monseigneur Pierre Marie KOTY, précédemment directeur d’école et professeur au Eric Delanoe ne précise par le nom de l’auteur de cette affirmation. Mais il indique fait allusion à Pierre Collet et aux autres missionnaires occidentaux qui se sont toujours opposés au maintien des écoles catholiques. 34 Note de l’évêque auxiliaire d’Abidjan, Mgr Yapi, contre l’étatisation et pour l’intégration des écoles catholiques au système scolaire national 33 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 233 petit séminaire de Bingerville, essaya, avec l’aide des cadres issus du collège, de redonner l’école à la mission catholique. Le gouvernement avait donné son accord. Mais les religieux espagnols (Frères des écoles chrétiennes) devant reprendre l’école n’étant pas en nombre suffisant, l’Etat remis en cause la subvention qui devait accompagner l’opération. Une dernière tentative avec les Frères Piaristes pour récupérer l’école resta sans suite car les dirigeants des écoles eux-mêmes se voyaient incapable de gérer l’école sans cette subvention que l’Etat devait donner (P. Dago, 1992, p.150). Conclusion En résumé, cette étude contribue à la connaissance de l’histoire de la mise en place de l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire à travers l’œuvre des missionnaires français et canadiens à Daloa. Le mythique collège moderne catholique canadien de Daloa cependant est confronté dans le tournant des années 1970 à des troubles internes dans un contexte de crise généralisée des écoles confessionnelles en Côte d’Ivoire. Une crise qui justifiait une intervention de la part de l’Etat et qui pourrait expliquer un revirement dans sa politique annoncée de préserver intact le statut des écoles confessionnelles catholiques. Cette étude conclut que l’Etat ivoirien, n’est pas l’instigateur de la nationalisation du collège moderne catholique de Daloa. Les autorités ivoiriennes ont été sollicitées par les missionnaires européens pour prendre en charge l’établissement contre le gré des évêques africains. Il ne s’agit pas d’une nationalisation forcée de l’institution scolaire comme l’on peut le penser. 1. Sources et bibliographie 1. Sources 1.1 Sources orales Entretien réalisé auprès de Tapé Groguhé, 65 ans, enseignant rétraité à Daloa le 12/09/2021 Entretien réalisé auprès de Irié Bi Zaouli, 73 ans, comptable retraité, à Daloa le 17/07/2021 Entretien auprès de Yoro Bauza, 81 ans, agent de poste rétraité, résident à Daloa le 18/10/2020 La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 234 Entretien auprès de Seri Bolou, 78 ans, directeur d’école rétraité, résident à Daloa le 20/09/2020 Entretien auprès de Kone Dognime Daloa, ouvrier agricole, résident à Daloa le 15/08/2020 1.2 Sources d’archives Archive provenant du diocèse de DaloaArchive de Société des Missions Africaines consultée sur le site http://archive.wikiwix.com le 12/05/2021 1.1 Sources imprimées AKE (J), Aux sources des vocations sacerdotales de l’Eglise Catholique de Cote d’Ivoire, Abidjan, 1995 ASSANDE (K.C.C), Diocèse de Daloa 50 ans d’évangélisation, 1955-2005, service diocésain de communication, 1996 BOGUI (N.P), La conférence épiscopale de Cote d’Ivoire et son activité de formation de l’Eglise en Cote d’Ivoire, Rome, 1989. DAGO (A.P), le centenaire de l’enseignement catholique de Cote d’Ivoire, les grandes étapes de 1895 à 1995, Anyama, 1995 2. Bibliographie AKOTO (Y.P), De l’école à la nation, Abidjan, 1979. AKOTO (Y.P) et GINESTE (R), Cent ans d’enseignement en Cote d’Ivoire, Tome2, Abidjan, 1988. AKOTO (Y.P) et GINESTE (R), Cent ans d’enseignement en Cote d’Ivoire, Abidjan, 1987. CONGREGATION POUR L’ECOLE CATHOLIQUE, Dimension religieuse de l’éducation dans l’école catholique. Eléments de réflexion de révision, Paris, 1972. DAGO (A.P), Aux origines de l’Enseignement Catholique de Cote d’Ivoire de (1895-1922), Edition UCAO, 2006 CHARLES (P), Le pourquoi de l’enseignement dans les missions in l’éducation chrétienne aux missions, 11eme semaines de missiologie, Louvain, 1933. LANOUE (E), L’école Catholique en Cote d’Ivoire 1945-2005, Politique, religion et fait scolaire en Afrique, MSHA, 2006. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 235 SOSOO (L), L’enseignement en Cote d’Ivoire depuis les origines jusqu’en 1954, Abidjan, 1981 YAO BI (E), L’Eglise catholique en Cote d’Ivoire : influence du catholicisme sur la société ivoirienne pendant la période précédant l’indépendance, 1930-1960, Paris, 1991. YAO BI (E), Cote d’Ivoire un siècle du catholicisme, Abidjan, 2009. La revue des Sciences Sociales « Kafoudal » N°9 Décembre 2021 Page 236