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Leçon XXI La polyphonie selon Ducrot1 Patrick Dendale Universiteit Antwerpen GaP, Belgique Danielle Coltier Université du Maine LAM & CREM, France La théorisation ou modélisation des notions de polyphonie et de dialogisme en linguistique a sa source dans des réflexions qu’Oswald Ducrot publie dès les années 80 (Ducrot 1980, 1982, 1984a, 1984b, Anscombre & Ducrot 1983). En vingt ans, la théorie esquissée par Ducrot a connu une série de modifications. Celles-ci commencent avec Ducrot lui-même et se multiplient quand d’autres linguistes appliquent ses conceptions à l’analyse de phénomènes de langue (par exemple le conditionnel2) ou quand ils entreprennent de rethéoriser certains éléments de la théorie, par exemple pour la rendre applicable aux textes littéraires – cas de la ScaPoLine (Nølke, Fløttum & Norén 2004). Ce qu’on nomme théorie de la polyphonie n’est donc pas un bloc monolithique ; c’est un ensemble pluriel de cadres théoriques ou de théorisations, dont celle de Ducrot est clairement fondatrice, comme celle de Bakhtine (qui a été inspiratrice surtout de la théorie du dialogisme de Bres (Bres 2001, 2005 ; Bres e.a. 2005)). 1 Cette étude est une version remaniée et sensiblement augmentée des articles : Dendale & Coltier 2006, Dendale 2006, Dendale 2007. 2 Voir Abouda, Donaire, Korzen & Nølke, Haillet, Vuillaume (références dans Dendale & Tasmowski 2001) ou Kronning 2005. 311 1. Sources et texte de base Chez Ducrot, on trouve les premières références à la notion de polyphonie dans Les mots du discours (Ducrot e.a. : 19803). L’auteur revient sur la notion dans Anscombre & Ducrot (1983 : 174-179), dans Ducrot 1983, dans une étude sur Bally en 1986 (reprise dans Ducrot 1989), dans un article sur la modalité en 1993 (p. 114). Quinze années plus tard, dans « Quelques raisons de distinguer ‘locuteurs’ et ‘énonciateurs’ » (Ducrot 2001), il revient sur la notion d’énonciateur, qui, entre-temps, avait été éliminée dans la version scandinave de la théorie de la polyphonie. En 2009, Marion Carel et Oswald Ducrot publient une « Mise au point sur la polyphonie », qui fait la transition entre la théorie de la polyphonie de Ducrot et la « Théorie argumentative de la polyphonie4 » de Carel5. On y trouve, entre autres, un aperçu critique des interprétations « non voulues » de la polyphonie énonciative de Ducrot. C’est dans le chapitre VIII du livre Le Dire et le Dit (1984a), intitulé « Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation », que se trouve la première systématisation des réflexions polyphoniques, de ce que Ducrot appelle la « théorie polyphonique de l’énonciation » (1984a : 171) ou « théorie de la polyphonie » (Ducrot 1984a : 73). On peut considérer ce texte comme la « version standard » de la théorie (Anscombre 2019 : 19 ; Lescano 2016 : 6, n.1), différente sur certains points de ce que Ducrot disait en 1980. Ce chapitre VIII est la refonte de deux articles, Ducrot 1982 et 1984b, « remaniés, l’un et l’autre, pour le fond comme pour la forme » (1984a : 171n.)6. Si la notion de polyphonie apparaît à d’autres endroits de l’ouvrage Le Dire et le Dit (chap. VII), le chapitre VIII [reste] « le texte de référence pour qui cherche une bonne introduction à la polyphonie ducrotienne » (Nølke e.a. 2004 : 19). Le chapitre se présente comme une esquisse de théorie (bien loin de la modélisation quasi axiomatique que développeront les 3 Voir le chap. 1 (p. 44-55), l'annexe du chap. 2 (p. 91-92) et le chapitre annexe « Note sur la polyphonie et la construction des interlocuteurs » (p. 233-236). 4 Lescano (2016 : 6 et 9) en distingue deux versions, appelées « Première théorie argumentative de la polyphonie » et « Seconde théorie argumentative de la polyphonie », qu’il caractérise brièvement. 5 Voir les travaux de Carel (p.ex. 2001, 2002, 2008, 2011a, 2011b) et de Lescano (p.ex. 2008, 2009, 2016). 6 Voir, dans ces articles, des passages éclairants absents de Ducrot (1984b), p.ex. sur les énoncés sans locuteur (1982 : 76) et (1984b : 16). 312 polyphonistes scandinaves). Il s’agit, d’ailleurs, plus d’une théorie de l’énonciation que d’une théorie de la polyphonie (cf. Larcher 1998 : 207). La première partie de ce chapitre VIII (p.171-188) présente les principales notions de la discipline linguistique que Ducrot nomme pragmatique linguistique ou pragmatique sémantique (p.173), à savoir énonciation, énoncé, phrase et sens, signification. (Voir sous § 3.1). Ce n’est que dans la seconde partie (p.189-233) que l’auteur esquisse sa « théorie de la polyphonie » (p.173), dont l’objectif est de « contester − et, si possible, de remplacer − un postulat […], que les recherches sur le langage, depuis au moins deux siècles, prennent comme allant de soi » (p.171), à savoir « l’unicité du sujet parlant » (p.172) ou « l’unicité du sujet de l’énonciation » (p.189). Ce postulat – que Ducrot nomme aussi : thèse (p.191), théorie (p.189) ou préalable (p.171) − consiste à poser que « chaque énoncé possède un et un seul auteur », « fait entendre une seule voix » (p.171). Il conduit, pour Ducrot, à repousser « dans le domaine de l’anormal les exemples qui feraient apparaître une pluralité de points de vue juxtaposés ou imbriqués » (p.172). La théorie de la polyphonie entend, elle, donner une réalité et une place aux énoncés qui se caractérisent par la coprésence d’une pluralité de voix, de points de vue. 2. Origine et définition de la notion de polyphonie 2.1 Origine de la notion de polyphonie Le mot polyphonie se trouve chez Bakhtine dès 1929. Ducrot lui at-il emprunté la notion ? Pas sûr7. La première fois qu’il parle de polyphonie, Ducrot attribue la notion à « certains grammairiens », précisément Baylon & Fabre (1978)8, qui l’emploient dans leur Grammaire systématique de la langue française « à propos des mots que le locuteur ne prend pas à son compte, mais met, explicitement ou non, entre guillemets » (Ducrot 1980 : 44). En 1982, Ducrot réfère à 7 Voir sur ce point Olsen 2002, Nølke, Fløttum & Norén (2004 : 18, n.1.), Nowakowska (2005), Bres & Nowakowska (2007 : 104, n.1), Bres & Rosier (2007 : 244-248). 8 Pour Larcher (1998 : 204-206), ceux-ci empruntent sûrement la notion aux théoriciens du style indirect libre, dont Bakhtine fait partie (cf. Le marxisme et la philosophie du langage, chapitre 11). 313 Bakhtine comme à celui qui « a élaboré le concept de polyphonie » (1982 : 65 ; 1984a : 171) : La notion de polyphonie a été utilisée par Bakhtine pour qualifier une catégorie de romans, ceux de Dostoïevski p.ex., où coexistent une pluralité de modes narratifs différents, et qui donnent au lecteur l’impression que plusieurs narrateurs s’adressent à la fois à lui (1984b : 3). Mais sa lecture de Bakhtine paraît incomplète, quand il affirme : « [la] théorie de Bakhtine, à ma connaissance, a toujours été appliquée à des textes, c’est-à-dire à des suites d’énoncés, jamais aux énoncés dont ces textes sont constitués » (1984a : 171). Bakhtine utilise en effet deux termes russes correspondant respectivement à polyphonie et à dialogisme. Si polyphonie concerne bien les textes, dialogisme désigne « un principe qui gouverne toute pratique langagière, et au-delà, toute pratique humaine » (Nowakowska 2005 : 25-26) et donc aussi l’énoncé. Si Ducrot connaissait les textes de Bakhtine, comment se fait-il qu’il ait préféré le terme de polyphonie à celui de dialogisme ? Dialogisme lui eût mieux convenu, d’autant qu’il recourt bien à la notion de dialogue dans sa description des phénomènes polyphoniques9. Bref, pour Bres (1996 : 39) et Nowakowska (2005 : 27), « Ducrot (1984) et ses épigones […] parlent de polyphonie là où Bakhtine parle de dialogisme ». C’est que Bakhtine n’est sans doute pas l’inspirateur direct de Ducrot10. C’est plutôt Bally qui joue ce rôle, ce que montrent les propos suivants de Ducrot : C’est en lisant Bally, et spécialement le début de Linguistique générale et linguistique française (1er partie, 1er section), que j’ai été amené à esquisser une théorie linguistique de la polyphonie (Ducrot 1986 : 37, cf. aussi p. 13-14). 2.2. Définition de la notion de polyphonie La notion clef de polyphonie11 n’est définie nulle part explicitement par Ducrot (1984a). Au mieux trouve-t-on chez lui une 9 P. ex. dialogue interne, dialogue cristallisé dans 1984a : 198, 218 ; 1986 : 25. On trouve cristallisation du dialogue dès Ducrot 1980 (p.53). 10 Voir sur ce point les remarques dans Anscombre (2009 : 12). 11 Sept occurrences du nom polyphonie dans ce chapitre VII, cinq de l’adjectif polyphonique. 314 caractérisation de ce qu’il appelle une « conception polyphonique du sens » : [C]’est l’objet propre d’une conception polyphonique du sens que de montrer comment l’énoncé signale, dans son énonciation, la superposition de plusieurs voix. (1984a : 183) Cette caractérisation contient le terme de voix, terme fréquent dans Ducrot 1984a12 et récurrent aussi dans les traductions françaises de Bakhtine (p.ex. 1970 : 32). Or, ce terme est ambigu. Que sont ces voix ?13 S’agit-il, métonymiquement, des êtres ou personnages qui, selon l’énoncé, s’expriment dans l’énonciation (des instances énonciatives ou « êtres discursifs » donc) ? Les extraits suivants donnent à le croire : – « plusieurs voix parlent simultanément » (1984a : 171, n.i.) − « Quant à l’énonciateur E1 […] il est assimilé à un certain ON, à une voix collective, à l’intérieur de laquelle le locuteur est lui-même rangé » (p.231, n.i.)14 – « certains morphèmes et certaines constructions ont pour fonction spécifique de répartir la responsabilité de la parole entre différentes voix » (1984b : 3) Ou s’agit-il de points de vue, positions ou attitudes (Ducrot 1984a : 204) de ces êtres15, ce que suggèrent à leur tour les extraits suivants : 12 Quatorze occurrences du terme dans ce texte. D’après cette interprétation de Lescano, les voix seraient les énonciateurs : « un deuxième moment fondateur de la théorie de la polyphonie est celui de l’apparition des « voix » qui cohabitent à l’intérieur d’un énoncé, qui seront appelées « énonciateurs » (2016 : 5, n.i.). 14 Interprétation homologuée par la caractérisation suivante, donnée dans Ducrot (1980 : 44-45, n.i.) : Je parlerai au contraire d'interprétation polyphonique si l'acte illocutionnaire d'assertion au moyen duquel on caractérise l'énonciation est attribué à un personnage différent du locuteur L, où il est clairement question de personnages, c’est-à-dire d’instances énonciatives. Cf. aussi dans Kronning (1996 : 43) : « deux voix expriment chacune son pdv » et Kronning (2014 : 125) : « les ‘voix’ […] auxquelles ces contenus sémantiques [c’est-à-dire ceux des points de vue] sont attribués ». 15 Selon Fløttum, c'est ainsi que Nølke les interprète : « With a polyphonic conception of meaning, the aim is to demonstrate how utterances can signal the presence of several voices, or points of view in Nølke's terminology » (Fløttum 2001a : 118, n.i.). 13 315 – « D’où l’idée que le sens de l’énoncé […] peut y faire apparaître des voix qui ne sont pas celles d’un locuteur » (1984a : 04, n.i.) − « j’ai substitué l’expression ‘faire entendre une voix’ à leur16 expression originale qui est ‘mentionner un discours’ » (1984a : 210, n.i.)17 La conclusion théorique que l’on pourrait tirer de cette ambiguïté est que les critères de définition de la polyphonie ne sont pas suffisamment explicites pour permettre une identification sûre des phénomènes polyphoniques. La double interprétation possible du mot voix explique certaines variations ultérieures de la théorie de la polyphonie (ou du dialogisme). La théorie scandinave par exemple interprète voix comme points de vue, les polyphonistes scandinaves ayant supprimé la notion d’énonciateur dans leur cadre théorique (Fløttum 2001a) Ducrot (2001) proposera une caractérisation quelque peu plus « complète » de la polyphonie sous la forme de trois thèses qui, selon l’auteur, « se retrouve[nt] dans toutes les conceptions d’une polyphonie linguistique » : 1.« la distinction entre sujet parlant (producteur empirique) et locuteur » 2.le fait que « certains énoncés présentent simultanément plusieurs points de vue » 3.le fait que « le sens de l’énoncé peut attribuer au locuteur différentes attitudes [d’adhésion ou de non-adhésion] vis à vis [sic] de ce ou de ces points de vue » (2001 : 20) Présentons maintenant les principales notions qui font partie du cadre descriptif de la polyphonie (dont certaines ont d’ailleurs déjà été utilisées ci-dessus). 16 Dans la citation, Ducrot renvoie à Sperber & Wilson (1978), qui utilisent la notion de mention pour décrire l’ironie. 17 Cf. aussi, dans la « Mise au point », l’affirmation : « Une conception de la polyphonie […] qui n’est pas non plus la nôtre, consiste à […] comprendre la polyphonie comme la co-existence de plusieurs paroles à l’intérieur d’un seul énoncé, ce qui correspond à une interprétation presque littérale du mot ‘voix’ » (Carel & Ducrot 2009 : 34). Les auteurs y reconnaissent l’assimilation courante de voix à parole (plus proche sans doute de point de vue que de énonciateur), tout en rejetant cela comme un critère définitoire de la polyphonie, version Ducrot. 316 3. Principales notions du cadre descriptif de la théorie de la polyphonie 3.1. Rapide rappel des notions de base de la pragmatique intégrée 3.1.1. Énonciation La théorie de la polyphonie est une théorie de l’énonciation. Ducrot définit ce terme comme suit (1984a : 178 et suivantes) : « Ce que je désignerai par ce terme, c’est l’évènement constitué par l’apparition d’un énoncé. La réalisation d’un énoncé est en effet un événement historique » (p.179) ; « […] pour moi, c’est simplement le fait qu’un énoncé apparaisse » (p.179). Le concept d’énonciation « ne renferme pas en lui dès le départ, la notion de sujet parlant » (p.180) Au total, d’après ces éléments définitoires, l’énonciation est un événement historique fait de deux constituants, l’énoncé et son sens. De ce concept d’énonciation, Ducrot précise qu’il « ne renferme pas en lui dès le départ, la notion de sujet parlant » (1984a : 180-81), bien que le sens soit quelque chose que le sujet parlant cherche à communiquer. 3.1.2. Énoncé Le terme énoncé désigne « ce que produit un locuteur, ce qu’entend un auditeur » (Ducrot, 1980 : 7). C’est une « réalité concrète » (Ducrot, 1984a : 131), qui appartient, pour le linguiste, au domaine de l’observable : « Ce que le linguiste peut prendre pour observable, c’est l’énoncé » (1984a : 174). Cela vaut aussi pour le discours, dont l’énoncé fait partie (1984a : 174) étant « fragment de discours » (1984a : 177). L’énoncé doit être repéré (délimité) dans le flot du discours, un repérage qui n’a rien qui aille de soi, car il dépend du repérage de l’intention du sujet parlant. La segmentation d’un discours en énoncés relève de ce que Ducrot appelle les « hypothèses externes » de la théorie linguistique (1984a : 174). Pour lui, un énoncé, correspond à un « segment relativement autonome » par rapport à d’autres segments (1984a : 174-175). Segmenter un discours donné en énoncés c’est : 317 [A]dmettre que ce découpage reproduit la succession de choix « relativement autonomes » que le sujet parlant prétend avoir opérés. Dire qu’un discours constitue un seul énoncé, c’est, inversement, supposer que le sujet parlant l’a présenté comme l’objet d’un choix unique. (1984 : 175). Ce qui est illustré par la « suite » Mange pour vivre. S’agit-il d’un énoncé unique ou de deux énoncés successifs ? Ducrot en propose l’analyse suivante : Si cette suite est utilisée « pour inciter à la frugalité une personne trop gourmande […] le Mange ne constitue pas un énoncé, car il est choisi seulement afin de produire le message global : le sujet parlant n’a pas donné d’abord le conseil « Mange » auquel il aurait ensuite ajouté la spécification « pour vivre ». Mais si la même suite sert à conseiller un malade sans appétit de prendre quand même quelque nourriture, le Mange doit être compris comme un énoncé […] renforcé après coup par un second énoncé qui apporte un argument à l’appui du conseil précédent (1984a : 175). Dans la première intention prêtée au sujet parlant qui produit Mange pour vivre (« inciter à la frugalité donc, déconseiller de trop manger »), pour vivre est le constituant d’un énoncé qui, sans lui, serait incohérent18 ; par suite, ni pour vivre, ni mange n’ont d’autonomie et mange n’est pas un énoncé, mais une partie d’un énoncé qui contient aussi pour vivre. Dans la seconde (« inciter à manger »), énoncer mange se suffit à lui-même. Mange a le statut d’énoncé, comme l’a aussi pour vivre. 3.1.3. Sens À l’énoncé est associée une « valeur sémantique », que Ducrot étiquette sens (1980 : 7-8). Le sens est « quelque chose » que le sujet parlant cherche à communiquer à l’interlocuteur (1984a : 182 & 184). Le sens d’un énoncé n’est pas pour Ducrot un contenu, n’est pas ce que l’on nomme un sens littéral. Il consiste en une description ou qualification de l’énonciation (1984a : 182) : 18 Ou ironique. 318 [T]out énoncé apporte avec lui une qualification de son énonciation, qualification qui constitue pour moi, le sens de l’énoncé (1984a : 174). Tout comme l’énoncé lui-même, le sens de l’énoncé a le statut d’observable : [D]ans le travail du linguiste sémanticien, le sens appartient au domaine de l’observable, au domaine des faits : le fait que nous avons à expliquer c’est que tel énoncé ait tel(s) sens, c’est-à-dire qu’il ait telle(s) interprétation(s) . (1984a : 180, nos italiques). Une fois délimité dans le discours et affecté d’un sens, l’énoncé devient, pour le sémanticien, un observable concret, qu’il a pour tâche d’expliquer. 3.1.4. Phrase et signification De l’énoncé, objet concret, observable, se distingue, dans la théorie de Ducrot, la phrase, objet abstrait, théorique, qui sert à rendre compte de l’énoncé : J’entendrai par phrase, dans ce chapitre, une entité linguistique abstraite, purement théorique, en l’occurrence un ensemble de mots combinés selon les règles de la syntaxe, ensemble pris hors de toute situation de discours (Ducrot, 1980 : 7). [L]a phrase n’appartient pas, pour le linguiste, au domaine de l’observable, mais constitue une invention de la grammaire. Ce que le linguiste peut prendre pour observable, c’est l’énoncé, considéré comme la manifestation particulière, comme l’occurrence, hic et nunc d’une phrase. Supposons que deux personnes différentes disent : « Il fait beau » ou qu’une même personne le dise à deux moments différents : on se trouve en présence de deux énoncés différents, de deux observables différents, observables que la plupart des linguistes expliquent en décidant qu’il s’agit de deux occurrences de la même phrase française, définie comme une structure lexicale et syntaxique, et dont on suppose qu’elle leur est sous-jacente (Ducrot, 1984a : 174). La valeur sémantique attachée à la phrase est appelée signification (Ducrot, 1980 : 7-8). Elle est décrite en termes d’instructions : 319 Pour notre part, ce que nous entendons par signification (du mot ou de la phrase) est tout autre chose que le « sens littéral » […]. Car elle [la signification] n’est pas un constituant de l’énoncé, mais lui est au contraire complètement hétérogène. Elle contient surtout, selon nous, des instructions données à ceux qui devront interpréter un énoncé de la phrase, leur demandant de chercher dans la situation de discours tel ou tel type d’information et de l’utiliser de telle ou telle manière pour reconstruire le sens visé par le locuteur (Ducrot, 1980 : 12). Ces instructions, destinées « à ceux qui devront interpréter un énoncé de la phrase », posent des variables, que les personnes qui ont à interpréter l’énoncé doivent saturer (ou instancier) pour « reconstruire le sens visé par le locuteur » : [la signification] Je préfère la représenter comme un ensemble d’instructions données aux personnes qui ont à interpréter les énoncés de la phrase, instructions précisant quelles manœuvres accomplir pour associer un sens à ces énoncés. Connaître la signification de la phrase française sous-jacente a un énoncé « Il fait beau », c’est savoir ce qu’il faut faire, quand on est en présence de cet énoncé, pour l’interpréter. La signification contient donc par exemple une instruction demandant de chercher de quel endroit parle le locuteur et d’admettre que celui-ci affirme l’existence du beau temps dans cet endroit dont il est en train de parler. Ce qui explique qu’un énoncé du type « Il fait beau » ne puisse pas avoir pour sens qu’il y a du beau temps quelque part dans le monde, mais signifie toujours qu’il fait beau à Grenoble, ou à Paris, ou à Waterloo. De même, la signification d’une phrase au présent de l’indicatif prescrit à l’interprétant de déterminer une certaine période – qui peut être d’étendue très diverse, mais doit englober le moment de l’énonciation – et de rapporter à cette période l’assertion faite par le locuteur. (Ducrot, 1984a : 181). Toutes ces notions de base de la théorie de l’énonciation de Ducrot peuvent être résumées dans le tableau qui suit, où la phrase relève du système de la langue et l’énoncé, de l’utilisation du système (de la parole) : Système langue phrase signification 320 Utilisation du système parole énoncé sens 3.2. Notions de la théorie de la polyphonie Le postulat central de la théorie de la polyphonie de Ducrot est que ce qu’on appelle communément le sujet parlant désigne en général plusieurs instances énonciatives : le locuteur, l’énonciateur et le producteur empirique, distingués par des responsabilités différentes. 3.2.1. Le locuteur Le locuteur chez Ducrot est ce qu’il appelle un « être de discours » (ou « être discursif »), c’est-à-dire un être qui « existe seulement dans le sémantisme de l’énoncé » (2001 : 20), qui n’a pas d’existence extralinguistique. C’est un être qui est présenté « dans le sens même de l’énoncé » comme celui « à qui l’on doit imputer la responsabilité de cet énoncé » (1984 : 193) ou la « responsabilité de l’énonciation » (2001 : 20). Le locuteur « est désigné par les marques de la première personne (celui qui est le support des procès exprimés par un verbe dont le sujet est je, le propriétaire des objets qualifiés de miens, celui qui se trouve à l’endroit appelé ici » (Ducrot 1984a : 190) : (1) – Ah, je suis un imbécile, eh bien, tu vas voir… (Ducrot 1982 : 66, cf. aussi Ducrot 1984a : 191-192) (2) Jean m’a dit : « Je viendrai » (1984a : 196) Dans (1), le locuteur est inscrit dans l’énoncé par le pronom je. Dans (2), il y a deux pronoms de première personne dans un seul et même énoncé : m’ et je. Ils réfèrent à deux locuteurs différents, chacun responsable d’une énonciation distincte (1984 : 196 ; voir aussi plus loin, § 4.2), avec Je référant à Jean. Les responsabilités attribuées par l’énoncé au locuteur sont précisées dans Ducrot (2001) : celle « du choix des énonciateurs » (2001 : 21), celle des « attitudes [prises] vis-à-vis des énonciateurs19 » et celle « des indications sur l’identité des énonciateurs » (2001 : 21). Le locuteur peut même « faire intervenir un autre locuteur » (2001 : 33), notamment dans le rapport au discours direct ; dans lequel cas, on distinguera « locuteur rapportant » et « locuteur rapporté » (2001 : 33). « [I]l peut les donner comme ses porte-parole […], mais il peut aussi leur donner simplement son accord ou s’opposer à eux » (2001 : 21). 19 321 Une autre distinction faite par Ducrot à l’intérieur même du locuteur est celle entre locuteur en tant que tel (symbolisé par L) et locuteur en tant qu’être du monde (symbolisé par λ) (1984a : 199). Tous deux êtres de discours, λ et L n’existent pas dans le monde extralinguistique ; ils existent uniquement dans le discours, dans l’énoncé : λ est une personne « complète », « qui possède, entre autres propriétés, celle d’être l’origine de l’énoncé » (1984a : 199) ; c’est, pour le dire dans les termes d’Anscombre (2009 : 18), « la représentation linguistique de l’être du monde réel ». L est un être de discours qui est pris dans sa seule propriété d’être (et de se donner comme) l’origine de l’énoncé, le responsable de l’énonciation. Selon ces définitions, je dans (3)a réfère au locuteur-en-tant-qu’être-du-monde, λ (1984a : 200), alors que je dans (3)b réfère au locuteur-en-tant-que-tel, L, pris dans son activité d’énonciation20 : (3)a. Je suis triste b. Je te jure que c’est vrai Le statut du locuteur d’un énoncé est comparé par Ducrot (1984a : 207 ; 2001 : 39) à celui du narrateur d’un récit, tel que le conçoit Genette (1972), tout comme l’auteur du récit correspond au producteur empirique (voir plus loin, § 4.3.). 3.2.2. Les énonciateurs Les énonciateurs sont, tout comme le locuteur, des « êtres de discours », des instances à qui on n’attribue « aucune parole, au sens matériel du terme » (1984a : 204-205), mais auxquels le sens de l’énoncé attribue des points de vue : 20 Ducrot toutefois ne fait pas systématiquement la distinction entre les deux. Ainsi il écrit, à propos de l'échange − Où étais-tu la semaine dernière ? − La semaine dernière j'étais à Lyon : Si l’on note "L" l’individu à qui la question est adressée et qui articule la réponse, c’est bien L qui est désigné par je (c’est de L qu’il est dit qu’il était à Paris) et c’est encore L qui prend la responsabilité de l’acte d’affirmation véhiculé par l’énoncé. (1984a : 191) En appliquant la distinction qu’il fait et référant à son analyse de (3)a, nous aurions mis ici λ et non L. 322 Les énonciateurs « sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis ; s’ils ‘parlent’, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles » (1984a : 204). Les énonciateurs appartiennent « à l’image que l’énoncé donne de l’énonciation » (1984a : 204). Ils sont « des intermédiaires entre le locuteur et les points de vue » (2001 : 20). Dans la comparaison avec le récit, les énonciateurs dans l’énoncé correspondraient à ce que Genette (1972), dans la théorie de la narratologie, appelle « sujets focalisateurs » dans le récit (2001 : 39). Le recours par Ducrot au terme d’énonciateur peut étonner et luimême admet que ce terme « était très mal choisi » (2001 : 19). C’est que le mot énonciateur « évoque, par sa construction morphologique, l’idée d’un fabriquant [sic] de l’énoncé – alors qu’il est destiné à désigner, dans l’énoncé, une forme de subjectivité qui n’est justement pas celle du producteur de cet énoncé » (2001 : 19). N’empêche que Ducrot maintient le terme dans Ducrot (2001) et dans Carel & Ducrot (2009). Il finira par être abandonné dans la « seconde théorie argumentative de la polyphonie » de Carel (Lescano 2016 : 9), au profit des notions « angle de vue » et « Personne » (Lescano 2016 : 9). 3.2.3. Le producteur empirique Le producteur empirique (1984a : 172) ou auteur empirique (1984a : 193) de l’énoncé, appelé aussi « producteur de la parole » (1984a : 193) est « l’être psycho-sociologique à qui on attribue [l’] origine [de l’énoncé] » (Ducrot 2001 : 20), qui a physiquement produit l’énoncé, qui est donc « une personne extérieure à l’énoncé » (Ducrot 1984b : 15). Il appartient au monde extralinguistique. Ce n’est pas un être discursif et en tant que tel, selon Ducrot, la description linguistique n’a pas à le prendre en compte, car il ne s’inscrit pas comme une indication sémantique dans l’énoncé. Si l’énoncé réfère à son producteur, c’est toujours à travers le personnage du locuteur. En filant la comparaison avec le récit, le producteur empirique d’un énoncé correspond à l’écrivain, « personnage social » (2001 : 39), auteur d’un récit, non au narrateur. Il est important de noter que le terme de sujet parlant est utilisé par Ducrot tantôt pour désigner le producteur empirique, tantôt le 323 locuteur. Sujet parlant a ainsi chez Ducrot (1984a, 1984b et 1982) un double sens, tantôt hyperonyme (couvrant le producteur empirique, le locuteur et l’énonciateur), tantôt hyponyme (désignant uniquement le producteur empirique), ce qu’l’illustrent respectivement les extraits cités sous (i) et (ii) : (i) – Un préalable de « la linguistique moderne », « c’est l’unicité du sujet parlant » (1984a : 171, nos italiques et gras.) – « Le locuteur constitue donc le premier type de ‘sujet parlant’ » (1982 : 75, nos italiques) (ii) – « le locuteur (être de discours) a été distingué du sujet parlant (être empirique) » (1984a : 199, nos italiques et gras). – il ne faut pas confondre « le locuteur − qui, pour moi, est une fiction discursive − avec le sujet parlant − qui est un élément de l’expérience » (1984a : 198-199, nos italiques et gras). Dans Ducrot (1984a), sujet parlant est hyperonyme approximativement dans la première partie du chapitre (p.ex. p.171, 178, 190), lorsque Ducrot le prend au sens qu’il a chez les linguistiques à qui il entend s’opposer, et hyponyme dans la seconde partie du texte (p.ex. 1984a : 198, 199, 200, 206, etc.). Dans la seconde acception, il est parfois doublé d’un adjectif : effectif (1984a : 195), empirique (p.207) ou d’une apposition : « (être empirique) » (1984a : 199). Quand Ducrot revient sur sa théorie de la polyphonie en 2001, le terme sujet parlant n’est clairement plus qu’hyponyme, avec le sens de producteur empirique, les adjectifs empirique et réel pouvant désormais être mis entre parenthèses. 3.2.4. Point de vue Importante encore dans le métalangage de Ducrot (1984a) est la notion de point de vue (désormais pdv21), souvent associée par Ducrot à celles de position et d’attitude. Aucun de ces termes n’est défini de façon explicite. Un pdv pour Ducrot n’est pas un énoncé au sens d’une « suite de mots » (p.218), une « entité sémantique abstraite » (p.218), mais une « proposition au sens logique, c’est-à-dire […] un objet de 21 Ducrot n’a recours lui-même à cette abréviation – introduite par les polyphonistes scandinaves – que dans le seul texte tardif de 2001 (publié dans les documents de travail des polyphonistes scandinaves). 324 pensée » (p. 219), donc non nécessairement liée à un signifiant. Ainsi le pdv affirmatif sous-jacent à l’énoncé (4)a est (4)b, étant donné que l’énoncé qui y correspond littéralement n’existe pas : (4) a. Pierre n’a pas fait grand-chose (p.2 18) b. Pierre a fait plein de choses / a beaucoup travaillé Le pdv de Ducrot correspond approximativement à la proposition dans d’autres cadres théoriques, vériconditionnels. Ce choix terminologique de pdv s’explique par la conception anti-descriptiviste du rapport langue/réalité que Ducrot défend et par sa conception argumentative de la langue Ducrot : ce qu’on appelle idée, dictum, contenu propositionnel n’est constitué par rien d’autre, selon moi, que par une ou plusieurs prises de positions [sic] (Ducrot 1993 : 128). Tout contenu d’énoncé est nécessairement pour Ducrot un pdv, qu’il soit évaluatif, ou, à première vue purement descriptif, comme dans Paul a cessé de fumer. Les pdv peuvent entretenir des relations entre eux. Ducrot en distingue au moins trois types : juxtaposition, superposition et réaction à : Il y a polyphonie quand dans un énoncé il y a multiplicité de pdv qui « se juxtaposent, se superposent ou se répondent » (Ducrot 1986 : 26, nos gras) 4. Illustration de quelques phénomènes de polyphonie décrits par Ducrot Ducrot 1984a analyse comme polyphoniques des phénomènes langagiers aussi divers que : • • • • • l’écho imitatif et le discours rapporté direct – deux cas de « double énonciation » (1984a : 203) la négation le sens et fonctionnement de au contraire l’ironie (et l’auto-ironie) la présupposition 325 4.1. L’écho imitatif L’exemple pour nous le plus parlant de la théorie de la polyphonie de Ducrot est (5) : (5) – Ah ! je suis un imbécile, eh bien tu vas voir… (Ducrot 1982 : 66, cf. aussi Ducrot 1984 : 191-192) Le pronom je désigne le locuteur, celui que l’énoncé lui-même indique comme le responsable de sa propre production, mais il est clair qu’il y a peu de chances que le pdv exprimé par cet énoncé (Je suis un imbécile) puisse être considéré comme un pdv du locuteur (1984a : 172). L’enchaînement marquant le désaccord eh bien tu vas voir, et peut-être aussi l’interjection d’étonnement Ah sont à mettre sur le compte d’un énonciateur auquel s’identifie le locuteur, ce qui montre que le pdv doit être interprété comme celui d’un autre énonciateur. L’énoncé se présente comme une sorte de reprise en écho d’un pdv énoncé ou suggéré par quelqu’un d’autre et que le locuteur ne fait que reprendre, sans le cautionner. C’est une forme de reprise quelque peu comparable à celle-ci, plus directe, que Ducrot appelle « écho imitatif » (1984a : 197) : (6) A – « J’ai mal » B – « J’ai mal ; ne pense pas que tu vas m’attendrir comme ça » L’être de discours, à qui l’énoncé attribue le pdv de B, est un énonciateur. La présence simultanée, dans un seul et même énoncé, de deux points de vue, attribués à deux énonciateurs, est une première forme de polyphonie décrite par Ducrot. 4.2 Le discours rapporté direct Nous avons vu plus haut (§ 3.2.1) que dans le discours rapporté direct (DD) il peut y avoir dans un seul énoncé deux locuteurs, renvoyant à deux êtres différents, à travers deux pronoms de première personne non coréférentiels. C’est ainsi que dans (2), on n’a pas deux énoncés successifs, mais un seul énoncé, le segment Jean m’a dit ne 326 pouvant pas satisfaire l’exigence d’indépendance contenue dans la définition de l’énoncé de Ducrot (1984 : 196) (voir (3.1.2). Il est connu que le DD ne peut être décrit comme une forme de rapport de discours qui rapporte toujours les propos de façon littérale. Des exemples comme (7) et (8) montent qu’il n’est pas question de littéralité ou de correspondance de forme dans le DD : (7) Et Aïcha me souffla alors en arabe : « Je t’aime ». (8) En un mot, Pierre m’a dit « J’en ai assez » (1984a : 199) En effet, Je t’aime n’est pas de l’arabe, mais une traduction en français des propos originaux en arabe que Aïcha a tenus, et J’en ai assez est présenté par « en un mot » comme le résumé du discours que Pierre a tenu. Il n’y a donc pas littéralité. Le rapport en DD doit donc être caractérisé autrement. C’est ce que Ducrot fait en ayant recours aux notions introduites dans sa théorie de la polyphonie : On peut admettre […] que l’auteur du rapport, pour renseigner sur le discours original, met en scène, fait entendre, une parole dont il suppose simplement qu’elle a certains points communs avec celle sur laquelle il veut informer son interlocuteur. La vérité du rapport n’implique donc pas […] une conformité matérielle des paroles originales et des paroles qui apparaissent dans le discours du rapporteur (1984a : 199). Avec le DD, le locuteur met « en scène une parole fort différente, mais qui en conserve, ou même en accentue l’essentiel » (1984a : 199). C’est ce qu’on constate dans (7) et (8). Pour l’exactitude du discours, il suffit que la parole « manifeste effectivement certains traits saillants de la parole rapportée » (1984a : 199). La conclusion de cette caractérisation du DD est : « cela n’entraîne pas que sa vérité tienne à une correspondance littérale, terme à terme » (1984a : 199). La présence de plusieurs locuteurs dans un seul et même énoncé est une deuxième forme de polyphonie que prévoit Ducrot. 327 4.3. La négation Un deuxième phénomène polyphonique est la négation dite « polémique ». L’exemple suivant est tiré du vécu d’Oswald Ducrot22. Un jour quelqu’un lui dit, à la sortie d’un cours ou d’une conférence : (9) – Monsieur Ducrot, vous n’êtes pas paresseux ! La présence de la négation dans cet énoncé, toute réfutatrice qu’elle soit, n’empêche pas que le destinataire de l’affirmation a des chances d’être un peu froissé. C’est que la négation de ce contenu suggère que quelqu’un a pu dire ou croire le contenu positif correspondant, à savoir que O. Ducrot est paresseux. Ducrot a analysé la négation dans cet énoncé – qu’il appelle négation « polémique » − par le mécanisme de la polyphonie. Tout énoncé contenant une négation polémique, comme (9), fait entendre deux voix, la voix d’un énonciateur qui exprime un pdv positif et la voix d’un second énonciateur qui réfute ce pdv positif et montre ainsi qu’il adhère au pdv négatif. C’est par son caractère intrinsèquement polyphonique – où l’on entend toujours non seulement le pdv négatif mais aussi le pdv positif, tenu par un autre énonciateur – que cet énoncé a quelque chose de virtuellement choquant ou vexant. Le comportement du pronom anaphorique le permet de montrer la co-présence des deux pdv – le pdv positif et le pdv négatif – dans un énoncé négatif : (10) a. Ce mur n’est pas blanc. Je te l’avais dit. b. Ce mur n’est pas blanc. Je le croyais pourtant. Dans (10) a, le pronom le reprend le pdv négatif « Ce mur n’est pas blanc » (ce qui donne : Je t’avais dit que ce mur n’est pas blanc) ; dans (10) b., il reprend le pdv positif « Ce mur est blanc » (ce qui donne : Je croyais que ce mur était blanc). Si on postule qu’un énoncé contenant une négation polémique est polyphonique et qu’il contient donc dans sa structure deux pdv, l’un positif, l’autre négatif, attribuables à deux Anecdote qu'Oswald Ducrot nous a racontée en juin 2004, lors d’une interview à Paris sur sa théorie de la polyphonie. 22 328 énonciateurs distincts, on peut expliquer que le pronom le, selon les cas, peut référer soit à l’un soit à l’autre de ces deux pdv. Aux exemples sous (10), on ajoutera celui d’Anscombre (1990 : 102) ; le pronom anaphorique cette fois-ci est ça ; l’énoncé est ambigu, ambiguïté qu’explique la théorie polyphonique : (11) Pierre ne viendra pas, parce que ça m’embête. Ça peut référer à qu’il vienne ou à qu’il ne vienne pas. Dans le premier cas, Pierre s’abstient de venir parce que sa venue ne ferait pas plaisir au locuteur (inscrit dans l’énoncé par ma) ; dans le second cas, il s’abstient de venir pour « embêter » justement le locuteur, sachant que celui-ci voudrait qu’il vienne.23 4.4. Au contraire et le dialogue cristallisé L’utilité de la notion de polyphonie peut être justifiée par l’analyse de au contraire. Considérons l’exemple suivant : (12) Paul n’est pas intelligent, au contraire, il est très bête. Dans (12), au contraire, à première vue, semble relier deux segments qui ne sont pas de sens contraire : il n’est pas intelligent et il est très bête. Si on met ces contenus dans un dialogue, l’emploi de au contraire semble plus facilement justifiable par rapport à son sens lexical. Dans (13), le locuteur B, en désaccord avec ce que vient de dire le locuteur A, s’oppose au pdv de ce dernier par l’emploi de la locution au contraire, qui sert à qualifier effectivement de « contraires » les pdv de A « Paul est intelligent » et de B « Paul est très bête » : (13) A – Paul est intelligent B – Au contraire, il est très bête L’hypothèse polyphonique ramène en fait l’emploi de au contraire de (12) à celui de (13) et postule que l’énoncé (12) contient un microdialogue cristallisé entre deux énonciateurs, semblable au dialogue qu’on a dans (13) : un premier énonciateur qui soutient le pdv Paul est 23 Pour une réflexion critique sur l’analyse polyphonique de la négation, voir Larrivée 2011. 329 intelligent et un second énonciateur, qui s’oppose au pdv du premier en qualifiant Paul de pas intelligent ou de très bête. La négation dans la première partie de (12) est une négation polémique, qui est déjà polyphonique en soi. Au contraire confirme cette analyse en prenant appui sur le pdv positif sous-jacent à la première partie niée de la phrase (pdv que la négation s’appliquait déjà à rejeter), plutôt qu’en niant la première proposition (négative) de la phrase. Au contraire lie donc des pdv et non des propositions. 4.5. L’ironie et l’auto-ironie antiphrastiques Par ironie « antiphrastique », on entend l’ironie qui consiste à dire P pour que l’interlocuteur comprenne non-P. C’est dire par exemple (14), quand on avait annoncé la veille que Pierre viendrait le lendemain et que l’interlocuteur a refusé de le croire, il peut alors dire, en montrant Pierre effectivement présent : (14) Vous voyez, Pierre n’est pas venu me voir. (1984a : 211) L’exemple (14) est analysé par Ducrot comme suit : Cette énonciation ironique dont je prends la responsabilité en tant que locuteur (c’est moi que désigne le me), je la présente comme l’expression d’un point de vue absurde, absurdité dont l’énonciateur n’est pas moi, et risque même, dans ce cas, d’être vous (c’est cette assimilation de l’énonciateur à l’allocutaire qui rend ici l’ironie agressive) je vous fais soutenir, en présence de Pierre, que Pierre n’est pas là. (1984a : 211). On sait combien il est parfois difficile de détecter si les propos de quelqu’un sont sérieux ou ironiques. Cela tient au fait que l’ironie n’est pas marquée24 ouvertement, comme l’est par exemple la négation. Ainsi (15), (15) Oh, mais ça c’est sympa ! Sauf dans certaines tournures spécialisées du type : C’est du joli, Excusez du peu, etc. (Ducrot 184 : 221 ; voir aussi Ducrot e.a. 1980 : 120). 24 330 peut être ambigu dans certains contextes entre une lecture négative (ironie antiphrastique) et une lecture positive. Un énoncé négatif comme ça n’est pas sympathique en revanche dit explicitement que ce n’est pas sympathique (encore qu’il puisse se prêter aussi à une lecture ironique antiphrastique – cas de figure de polyphonie complexe). Cela s’explique assez bien par l’analyse polyphonique de l’ironie proposée par Ducrot (qui s’inspire de celle de Sperber & Wilson (1978)). Dans l’ironie, pour Ducrot, « le locuteur ‘fait entendre’ un discours absurde », mais « comme le discours de quelqu’un d’autre » (1984a : 210) et sans que l’énoncé ne porte de marque d’un rapport de discours (comme dans le discours rapporté direct ou indirect). L’ironie s’analyse donc « polyphoniquement » comme suit : Parler de façon ironique, cela revient, pour un locuteur L, à présenter l’énonciation comme exprimant la position d’un énonciateur E, position dont on sait par ailleurs que le locuteur L n’en prend pas la responsabilité et, bien plus, qu’il la tient pour absurde. Tout en étant donné comme le responsable de l’énonciation, L n’est pas assimilé à E, origine du point de vue exprimé dans l’énonciation (1984 : 211). Dans l’ironie, L met donc en scène un énonciateur qui défend un pdv absurde que L refuse (Ducrot 2001), mais sans que L mette pour cela en scène un autre énonciateur (identifié à lui-même par exemple), qui s’opposerait explicitement au point de vue de l’énonciateur absurde (par exemple au moyen de la négation ne pas). C’est la réalité extralinguistique qui montrera que le pdv est absurde. C’est cela justement qui rend l’ironie difficilement repérable parfois : il n’est pas toujours évident de voir si des éléments de la réalité contredisent le pdv (l’intonation peut toutefois aider). Si tel n’est pas le cas, l’énoncé est tout simplement interprété comme un pdv sérieux pris en charge par l’énonciateur auquel s’identifie le locuteur. Dans l’analyse polyphonique, l’ironie se distingue de la négation : dans la première, L ne met en scène qu’un seul énonciateur, celui qui défend le pdv absurde, et laisse à la réalité extralinguistique le soin de nier le pdv ; dans la seconde, un pdv est explicitement nié. Dans l’auto-ironie, le locuteur se moque de lui-même. Ainsi un locuteur qui avait prédit qu’il pleuvrait aujourd’hui, constatant qu’il fait un temps magnifique, peut se moquer de ses compétences météorologiques et dire, en montrant le ciel bleu : 331 (16) « Vous voyez bien, il pleut ». L’analyse polyphonique que propose Ducrot mobilise les notions de locuteur λ et locuteur L : L’énonciateur ridicule est ici assimilé à moi-même, ce qui semble contredire la description de l’ironie proposée tout à l’heure. En fait, la solution est immédiate dès qu’on accepte la distinction de L [le locuteur-en-tant-que-tel] et de λ [le locuteur-en-tant-que-être-dumonde] […]. L’être à qui L, responsable de l’énonciation, et d’elle seule, assimile le sujet énonciateur du point de vue absurde, c’est λ, le météorologue ignorant qui s’est mêlé de prévoir le temps sans en être capable. Mais justement L, en tant qu’il est le responsable de l’énonciation, et choisit l’énoncé, ne choisit pas de faire acte de météorologue : ce qu’il est censé faire, c’est un acte de moquerie, et cela en présentant une prévision accomplie par un énonciateur dont il se distancie à l’intérieur de son propre discours (même s’il doit s’identifier à lui dans le monde). D’où l’intérêt stratégique de l’autoironie : L tire profit des bêtises de λ, profit dont λ bénéficie ensuite par contrecoup, puisque L est une de ses multiples figures (1984a : 212-213). 4.6. La présupposition La présupposition se prête, elle aussi, un « traitement polyphonique » dans Ducrot 1984a, alors que jusque-là l’auteur y avait vu un acte illocutoire de présupposition (1984a : 190). Prenons l’exemple classique : (17) Pierre a cessé de fumer. Voici l’analyse que propose Ducrot : Je dirais qu’il [= le locuteur] présente deux énonciateurs, E1 et E2, responsables, respectivement, des contenus présupposé et posé. L’énonciateur E2 est assimilé au locuteur, ce qui permet d’accomplir un acte d’affirmation. Quant à l’énonciateur E1, celui selon qui Pierre fumait autrefois, il est assimilé à un certain ON, à une voix collective, à l’intérieur de laquelle le locuteur est lui-même rangé (j’utilise sur ce point les idées de Berrendonner, 1981, chap. II). Ainsi, au niveau des énonciateurs, il n’y a donc pas d’acte de présupposition. Mais l’énoncé sert néanmoins à 332 accomplir cet acte, d’une façon dérivée, dans la mesure où il fait entendre une voix collective dénonçant les erreurs passées de Pierre. La présupposition entrerait ainsi dans la même catégorie que les actes de moquerie ou de concession (1984a : 231). 4.7. Que conclure de ces illustrations d’analyses polyphoniques ? Ces analyses polyphoniques dessinent, nous semble-t-il, les contours de ce que l’on pourrait appeler des types de polyphonie, types distingués en fonction de la pluralité des instances énonciatives ? Nous distinguerions : • la polyphonie à deux énonciateurs. C’est le cas de la présupposition, de la négation polémique et de l’emploi de au contraire. Le locuteur met en scène deux énonciateurs « défendant » chacun un pdv. L’un de ces énonciateurs est assimilé au locuteur ; • la polyphonie à un seul énonciateur, qui défend un pdv auquel ne se rallie pas le locuteur, qui n’est en quelque sorte que le « metteur en scène » de cet énonciateur. C’est, selon Ducrot, le cas de l’ironie et de l’auto-ironie. Le locuteur ne s’identifie explicitement à aucun énonciateur ; • la polyphonie à deux locuteurs. C’est le cas du discours direct et de l’écho imitatif. 5. Variantes et mutations de la théorie La version « standard » (1984a) de la théorie de la polyphonie de Ducrot résulte de diverses mutations de versions antérieures. Les énonciateurs, responsables d’actes de langage en 1980, 1982 et 1984b, sont responsables de pdv, positions ou attitudes en 1984a. La distinction entre destinataire (« personne censée être l’objet des actes illocutoires », 1980 : 233) et allocutaire (« personne à qui l’énonciation est censée adressée »), faite en 1980, n’est plus utilisée dans 1984a. L’opposition polyphonie et discours rapporté (direct et indirect) (1980 : 44) est abandonnée en 1984a, où le DR entre dans les phénomènes de polyphonie. Enfin, est abandonnée également, la distinction entre énoncé-type et énoncé tout court, correspondant à l’occurrence d’un énoncé-type (p.ex. Ducrot, 1980 : 12-13). 333 Bibliographie ANSCOMBRE, J.-C. ; DUCROT, O. L’argumentation dans la langue, Mardaga, 1983. ANSCOMBRE J.-C. « Thème, espace discursif et représentations événementielle », in Anscombre, J.-C & Zaccaria, G. (éds), 1990, Fonctionalisme et Pragmatique. À propos de la notion de thème, Milan, Unicopli, 1990, p. 43-150. ANSCOMBRE, J.-C. « La comédie de la polyphonie et ses personnages », Langue française, 164, 2009, p. 11-30. BAKHTINE, M. [1977], Le marxisme et la philosophie du langage, Minuit, 1929. BAKHTINE, M. La poétique de Dostoïevski, Seuil,1970. BALLY, C. (4e éd.), Linguistique générale et linguistique française, Francke,1965. BAYLON C. ; FABRE, P. 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Qualquer parte desta obra pode ser reproduzida, transmitida ou arquivada desde que levados em conta os direitos das autoras e dos autores. Louise Behe ; Marion Carel ; Corentin Denuc ; Julio Cesar Machado [Orgs.] Cours de sémantique argumentative. São Carlos : Pedro & João Editores, 2021. 520xp. ISBN : 978-65-5869-307-9 [Digital] 1.Sémantique argumentative. 2. Cours. 3. Linguistique . I. Título. CDD – 410 Capa : Petricor Design com pintura de Vyacheslav Saikov. Ano: 2000. Título: "Dialogue" Diagramação : Diany Akiko Lee Editores : Pedro Amaro de Moura Brito & João Rodrigo de Moura Brito Conselho Científico da Pedro & João Editores : Augusto Ponzio (Bari/Itália); João Wanderley Geraldi (Unicamp/ Brasil); Hélio Márcio Pajeú (UFPE/Brasil); Maria Isabel de Moura (UFSCar/Brasil); Maria da Piedade Resende da Costa (UFSCar/Brasil); Valdemir Miotello (UFSCar/Brasil); Ana Cláudia Bortolozzi (UNESP/ Bauru/Brasil); Mariangela Lima de Almeida (UFES/Brasil); José Kuiava (UNIOESTE/Brasil); Marisol Barenco de Mello (UFF/Brasil); Camila Caracelli Scherma (UFFS/Brasil); Luís Fernando Soares Zuin (USP/Brasil). Pedro & João Editores www.pedroejoaoeditores.com.br 13568-878 – São Carlos – SP 2021 4 COURS DE SÉMANTIQUE ARGUMENTATIVE PARTIE 1 : CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES SUR LA SÉMANTIQUE ARGUMENTATIVE Préface : La Sémantique argumentative – Marion Carel Leçon I Horizons de la signification Luiz Francisco Dias Leçon II Terminologie générale de la Sémantique Argumentative Oswald Ducrot Leçon III Sens, signification et référence Oswald Ducrot Leçon IV L’analyse du mot « porte » Oswald Ducrot Leçon V Comment classer les discours ? Oswald Ducrot Leçon VI La délocutivité Oswald Ducrot 11 21 41 51 57 65 73 PARTIE 2 : LA THÉORIE DES BLOCS SÉMANTIQUES (TBS) Leçon VII Les concepts d’aspect (normatif et transgressif), et d’argumentation (interne et externe) Lauro Gomes, Cristiane Dall’ Cortivo Lebler Leçon VIII Les relations entre aspects argumentatifs : les concepts de conversion, réciprocité et transposition Claudio Primo Delanoy Leçon IX La structure du texte et les éléments de la cohésion textuelle Giorgio Christopulos Leçon X Les concepts d'emplois constitutifs, emplois caractérisants, emplois singularisants, et la notion de décalage Giorgio Christopulos 85 101 111 119 5 Leçon XI Les quasi-blocs Marion Carel Leçon XII Le paradoxe Kohei Kida 125 135 PARTIE 3 : LA PRÉSUPPOSITION Leçon XIII La présupposition dans l’ADL Ana Lúcia Tinoco Cabral 147 Leçon XIV La présupposition dans la TBS Marion Carel 163 PARTIE 4 : LA CONJONCTION MAIS Leçon XV La conjonction mais discutée selon la vision des contextes d’usage Maria Helena de Moura Neves 177 Leçon XVI « Mais » selon Ducrot versus « mais » selon Carel : une comparaison critique et théorique Julio Cesar Machado 209 PARTIE 5 : LA GRADUALITÉ Leçon XVII Le modificateur déréalisant, le modificateur réalisant, le modificateur surréalisant et l’internalisateur María Marta García Negroni 231 Leçon XVIII La gradualité, une constante dans la Sémantique Argumentative Tânia Maris de Azevedo 245 Leçon XIX Gradualité et changement de sens Louise Behe 259 PARTIE 6 : L’ÉNONCIATION Leçon XX 6 Dictum et Modus : Débats historiques, nouvelles approches et analyses de la subjectivité dans la langue Marta Tordesillas 269 Leçon XXI La polyphonie selon Ducrot Patrick Dendale, Danielle Coltier 311 Leçon XXII L'ancien concept de l'énonciateur María Marta García Negroni 337 Leçon XXIII L’énonciation linguistique : fonctions textuelles, modes énonciatifs, et argumentations énonciatives Marion Carel 349 PARTIE 7 : AU-DELÀ DE LA SÉMANTIQUE LINGUISTIQUE Leçon XXIV Le langage gestuel et la gestualité du langage Carlos Vogt 375 Leçon XXV Lecture (alphabétisation et littérisme) : brèves réflexions basées sur des concepts de la Sémantique Argumentative Neiva M. Tebaldi Gomes 391 Leçon XXVI Sémantique argumentative et conflictualité politique : le concept de programme Zoé Camus, Alfredo Lescano 401 Leçon XXVII L’action en disant et l’attribution Corentin Denuc 415 PARTIE 8 : DES LIMITES THÉORIQUES : LES RELATIONS POSSIBLES ENTRE D'AUTRES AUTEURS ET LA SÉMANTIQUE ARGUMENTATIVE Leçon XXVIII La présence de Saussure dans l’Argumentation dans la Langue Leci Borges Barbisan la Théorie de 427 Leçon XXIX La question de l’énoncé chez Foucault et Ducrot Julio Cesar Machado, Jocenilson Ribeiro 437 Leçon XXX La Sémantique Argumentative et ses relations avec la Théorie du Langage d’Émile Benveniste Carmem Luci da Costa Silva 467 Leçon XXXI La théorie des actes de langage et la Sémantique Argumentative María Marta García Negroni 491 7 Leçon XXXII 8 Ducrot et Maingueneau : distanciations Samuel Ponsoni rapprochements et 505