Genre et travail social, un enjeu pour l’intervention
collective
Cathy Bousquet
To cite this version:
Cathy Bousquet. Genre et travail social, un enjeu pour l’intervention collective. Sociologie. Conservatoire national des arts et metiers - CNAM, 2018. Français. NNT : 2018CNAM1203. tel-02002289
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Submitted on 31 Jan 2019
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ÉCOLE DOCTORALE ABBÉ GRÉGOIRE
Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique
THÈSE de DOCTORAT
présentée par :
Cathy BOUSQUET
soutenue le : 10 décembre 2018
pour obtenir le grade de : Docteure du Conservatoire National des Arts et Métiers
Discipline/ Spécialité : Sociologie, Démographie / Sociologie - Travail social
Genre et travail social, un enjeu pour
l'intervention collective
THÈSE co-dirigée par :
Monsieur JAEGER Marcel
Monsieur GIRAUD Olivier
Professeur Émerite, Cnam.
Directeur de recherche, Cnam.
RAPPORTEURS :
Madame BRESSON Maryse
Monsieur GARDET Mathias
Professeur de sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin.
Professeur de sciences de l’éducation, Université Paris 8.
JURY :
Madame BRESSON Maryse
Madame DELLA SUDDA Magali
Madame ZASK Joëlle
Présidente du jury, Professeure de sociologie, Université de
Versailles Saint-Quentin, rapporteure
Chargée de recherche, CNRS, Centre Emile Durkheim, Bordeaux
Maître de conférence à l’Université d’Aix-Marseille
Aux étudiant.e.s rencontré.e.s
dans leur parcours de formati on en travail social,
à celles et ceux qui engageront ces formati ons dans les années à venir.
2
Remerciements
Mes remerciements vont à toutes celles et ceux qui de près ou de loin ont suivi cette
aventure de thèse ! Une fois de plus, j’ai mesuré que le premier pas ne dit pas forcément la
suite et que l’ignorance de la réalité, du chemin à parcourir est parfois nécessaire pour
avancer. Ce qui fait avancer c’est plus sûrement le sens de ce que l’on fait comme l’exprime
Marcel Mauss lors de sa leçon inaugurale au Collège de France (1931), « Le seul but de
Durkheim, de ceux qui l’ont précédé : Saint-Simon, Comte, Stuart Mills, Spencer, Wundt, le
seul but de ceux qui l’ont suivi, c’est de donner à tous, le sens du social, le sens de la
nouveauté et de la dignité du règne social, coïncidant avec la nouveauté et sans doute
faisant la dignité du règne humain » (Mauss, présenté par Bert, 2012). Je le redis ici sans la
rencontre avec des étudiant.e.s en travail social, leurs questionnements inédits, ce travail
n’aurait pas commencé.
Pour l’entrée dans ce chemin et sa continuité malgré les embûches, je remercie sincèrement
Marcel Jaeger et Olivier Giraud, mes co-directeurs de thèse si complémentaires et si précieux
pour leurs commentaires aiguillonnants, leur soutien sans faille jusqu’à la dernière relecture.
Mes pensées vont ensuite vers mes pairs dans cette aventure. Je pense particulièrement à
mes collègues du séminaire des doctorant.e.s et aux membres du LaboISIC qui ont
accompagné ce travail dans les intérêts partagés mais aussi dans les questions et les doutes !
A ceux là s’ajoutent les membres du Lise, tout particulièrement l’équipe administrative Annie-France Aucaucou, Zaëra Mariaux et Audrey Lefèvre- et les membres de l’axe Genre. La
première m’a toujours permis de disposer d’un cadre de travail opérationnel, de pauses
accueillantes ou réconfortantes. Parmi les suivants, certain.e.s ont été de sûres ressources,
attentives et attentifs à mon travail, à sa progression, je leur adresse toute ma
reconnaissance, sans pouvoir tout.e.s les nommer.
3
J’adresse un merci tout particulier à Céline Fèvres, Gwenaëlle Perrier, Christine Pont, Carole
Marmet, Léa Lima, Aurélie Gonnet, Quentin Chapus, Murielle Matus, Samuel Zarka, Éléanor
Breton, Ferrucio Ricciardi, Marie Mercat-Bruns, Arnaud Chevalier.
Dans ces remerciements, j’associe aussi mes ami.e.s de la vie hors thèse, les discutant.e.s de
St Paul et Montarnaud, les festoyeur.e.s-marcheurs/ses du Canigou, les dîners de citoyennes,
les ami.e.s bilingues et plus, les membres de ma famille parfois lassé.e.s mais toujours
encourageant.e.s avec une mention spéciale pour Jean qui a déployé pendant ces années ses
talents de cuisinier, de chauffeur, de S.O.S et sûrement plus… et une mention tout aussi
spéciale pour Alex qui a su me sortir de tous les méandres informatiques.
Et puis une dernière pensée va vers les montagnes du Queyras et des Pyrénées si chères à
mes rêves, à mon équilibre et qui m’ont donné l’endurance des temps difficiles !
4
Résumé
A partir d’une analyse des conditions historiques qui ont favorisé l’émergence du travail
social laïc, la dominante des femmes dans ce champ professionnel prend un autre sens. Le
traitement séparé de la question de la solidarité entre intervention politique d’une part et
intervention dans un quotidien de vie d’autre part apparaît et devient une clé de lecture de
cette institutionnalisation.
Cette scission se comprend en considérant simultanément l’emprise du genre dans la
construction de cette action publique, et la mise à l’écart de la vulnérabilité comme condition
intrinsèque des vies humaines. De ce fait, la solidarité comme loi organique
d’interdépendance est malmenée, l’exercice de la citoyenneté politique occulté et la
dimension collective du travail social empêchée.
Cette compréhension éclaire les questions contemporaines mises en débat : action
collective, développement social, solidarités actives, participation des personnes
accompagnées. Elle contribue à enrichir le travail de refondation en cours au-delà des
questions dévolues aux temps et espaces de formations des professionnel.le.s concerné.e.s
pour impacter toute la chaîne des politiques de solidarité aux différentes échelles de
compétences.
Mots clés : citoyenneté politique – émancipation - solidarité inconditionnelle - vulnérabilité
humaine - travail des femmes – développement social.
5
Résumé en anglais
Through an analysis of historical conditions that contributed to the emergence of secular
social work, the predominance of women in this area of professional activity takes on a
different significance. Treating separately the question of solidarity between political
intervention on the one hand, and intervention in daily life on the other becomes apparent
and provides a key to understanding this institutionalisation.
This division can be understood by examining simultaneously the influence of gender in the
construction of this public action, and the marginalisation of vulnerability as an intrinsic
condition of human life. As a consequence, solidarity as an organisational principle of
interrelationship is undermined, exercise of political citizenship is suppressed and the
collective dimension of social work is impeded.
This understanding clarifies the contemporary issues under debate : collective action, social
development, active solidarity, participation of supported individuals. It contributes to
enriching and expanding the ongoing reform beyond the questions of times and venues for
training the professionals (m/f) concerned, impacting the chain of solidarity policies at the
different levels of competence.
Keywords: political citizenship – emancipation - unconditional solidarity - human
vulnerability – women’s labour – social development.
6
Table des matières
Remerciements...........................................................................................................................3
Résumé........................................................................................................................................5
Résumé en anglais.......................................................................................................................6
Table des matières......................................................................................................................7
Index des tableaux......................................................................................................................9
Index des encadrés....................................................................................................................10
Liste des annexes.......................................................................................................................11
Introduction..............................................................................................................................12
Présentation du sujet...........................................................................................................13
Les éléments de contexte.....................................................................................................15
Le cadre d’analyse retenu.....................................................................................................19
Méthodologie de la recherche.............................................................................................31
Enjeu du projet et posture de recherche.............................................................................39
Première partie Le travail social mis en perspective par le genre............................................44
Introduction première partie....................................................................................................45
1. Travail social et État social, une configuration simultanée..................................................52
1.1. Les pionnières du travail social contemporain..............................................................59
1.2. L’État social, quelle invention ?.....................................................................................70
1.3. Quel travail social dans l’État social ?............................................................................77
2. Prépondérance du féminin dans le travail social, quelles logiques ?...................................93
2.1. Comprendre la centralité des sphères séparées...........................................................95
2.2. L'exercice différé et différent de la citoyenneté politique..........................................105
2.3. Les théories du care, un changement de perspective ?..............................................113
3. Travail social contemporain et organisation par le genre, quels enjeux ?..........................121
3.1. La professionnalisation du champ et sa gouvernance, un enjeu démocratique........123
3.2. Le croisement des logiques individuelles et des logiques collectives, un enjeu
politique.............................................................................................................................146
3.3. Ce que disent les chiffres, un enjeu de société...........................................................157
7
Deuxième partie Le travail social, des choix genrés inscrits dans une histoire collective......174
Introduction deuxième partie.................................................................................................175
4. L'émergence d'un travail social laïc au féminin, un conflit fondateur................................184
4.1. Une action collective initiée par des femmes.............................................................187
4.2. Le procès de Marie Jeanne Bassot..............................................................................196
4.3. Une émancipation passée sous silence.......................................................................209
5. La participation collective dans un espace professionnel au féminin................................214
5.1. L'intervention collective du travail social en débats...................................................216
5.2. L'égalité de relation dans les espaces d'intervention collective en travail social.......235
5.3. Les cadres collectifs d'émancipation du sujet.............................................................249
6. La formation professionnelle à l'épreuve du genre............................................................264
6.1. L'intervention collective pour quelle perspective professionnelle ?...........................267
6.2. La formation au DEIS, pour quel encadrement ?........................................................278
6.3. Quel management du social pour un développement durable ?...............................288
Conclusion...............................................................................................................................306
Bibliographie...........................................................................................................................319
Rapports consultés.............................................................................................................334
Sites web consultés............................................................................................................335
Annexes...................................................................................................................................338
8
Index des tableaux
Tableau 1 : Les composantes structurantes du champ social par période.............................131
Tableau 2 : Exemples d'interventions collectives en travail social..........................................220
Tableau 3 : Formulations par niveau de formation de la référence à l'exercice de la
citoyenneté politique..............................................................................................................270
Tableau 4 : Construction d'un savoir agir collectif par la formation en valeur comparée......276
Tableau 5 : Formation DEIS/ Motivations par items et par ordre de priorité.........................281
Tableau 6 : Répartition Femmes / Hommes selon les items et la priorité énoncée...............283
Tableau 7 : Répartition F/H par durée d'exercice professionnel et par items........................284
Tableau 8 : Répartition des étudiant.e.s selon la formation à l'encadrement /DRESS...........287
Tableau 9 : Répartition F/H dans les postes d'encadrement ou de coordination et durée
d'activité..................................................................................................................................288
9
Index des encadrés
Encadré 1 : Exemple de la Politique de la Ville.......................................................................129
Encadré 2 : La création du diplôme d'étude et d’ingénierie sociale.......................................139
Encadré 3 : Concertation locale à propos des ABCD de l'Égalité............................................171
Encadré 4 : Déposition du Général Bassot, mars 1909...........................................................203
Encadré 5 : L'ISIC : approche par les champs..........................................................................217
10
Liste des annexes
Annexes...................................................................................................................................338
Annexe 1 Les instances d’UNAFORIS..................................................................................339
Annexe 2 Les diplômes et formations du travail social......................................................341
Annexe 3 Extraits de presse nationale : journal L’AURORE................................................343
Extraits de presse régionale : journal L’ÉCLAIR..................................................................344
Annexe 4 Axe de recherche N°2 du PREFIS - LR.................................................................345
Annexe 5 Les institutions facilitantes.................................................................................347
Annexe 6 S’autoriser à........................................................................................................354
Annexe 7 Formation - sensibilisation au collectif...............................................................356
Annexe 8 Questionnaire des étudiant.e.s DEIS..................................................................359
Annexe 9 Mobilisation des ressources en intervention collective.....................................360
11
Introduction
12
Présentation du sujet
Notre thèse traite la question des interventions collectives dans le travail social aux prises
avec le genre. Sous cet angle, la question de la citoyenneté politique et celle de son exercice
deviennent centrales. Elles conduisent à réexaminer le cadre politique et professionnel du
travail social dans une perspective démocratique.
Pour réaliser l’analyse de cette question complexe, notre travail est organisé en deux
grandes parties. La première partie assoit les dimension principales de la problématique
autour des trois chapitres. Le premier chapitre insiste sur la configuration simultanée du
travail social et de l’État social. Le deuxième questionne la prépondérance du féminin à partir
de l’organisation séparée des sphères publiques et privées. Le troisième examine les
conséquences de cette construction séparée dans la professionnalisation de ce champ
d’intervention.
La seconde partie rapporte des analyses originales qui éclairent la problématique à partir de
trois études organisées de façon progressive et complémentaire présentées en chapitres
distincts. Le premier chapitre revient sur l’initiative des fondatrices du travail social laïc et le
conflit généré. Le deuxième trace les effets contemporains d’un croisement des parties
prenantes de cette action publique au sein d’un dispositif de recherche. Le troisième et
dernier chapitre de la thèse analyse la prise en compte de l’intervention collective dans les
formations actuelles du travail social aux différents niveaux de cette intervention sociale.
Plusieurs hypothèses de travail guident notre réflexion d’ensemble :
1) les interventions collectives impliquent nécessairement (y compris dans le cas de
directives institutionnelles) des initiatives professionnelles ou des postures
impliquées : sont-elles porteuses d’une conception démocratique contributive qui
s’émancipe du cadre institutionnel pour le transformer de l’intérieur ? Ceci pourrait
attester de la continuité des transgressions à l’ordre social du genre et d’un processus
d’émancipation individuel et collectif.
2) les interventions collectives sont aussi le lieu d’initiatives rendues possibles par des
professionnel.e.s, elles renvoient à une conception politique des interventions
13
sociales, au sens de l’égal potentiel contributif de tout un.e chacun.e dans un espace
démocratique :
- soit ce potentiel contributif n’est pas prévu/n’a pas de place dans le cadre des
interventions institutionnelles, cette absence est source de tensions voire de conflits
pour des individus, un corps professionnel. La prise en compte ou l’expression de ces
tensions ouvre nécessairement vers des perspectives de transformation
institutionnelle. Quelle dissolution de l’asymétrie ou des hiérarchies existantes
tracent-elles ?
- soit ce potentiel est reconnu/inscrit dans le cadre institutionnel (exemple des
centres sociaux), au-delà de cette inscription à quelles conditions participe-t-il d’une
transformation institutionnelle ?
3) les interventions collectives s'appuient sur des initiatives qui se réfèrent à des
pratiques de citoyenneté politique au-delà de la seule citoyenneté sociale ; elles sont
le fruit d’une capacité de mobilisation de ressources y compris par l’usage du conflit
(apprentissage, expérimentation, médiation) et se heurtent à des injonctions
politiques internes stoppant les initiatives d’un travail majoritairement féminin
(organisation fortement hiérarchisée - préférence à l’individualisme des procédures gestion du temps et planification des tâches). Est-il possible de préciser, dans l’arène
temporelle d’une action collective, la nature des décisions et des activités en
interactions comme des révélateurs des rapports de pouvoir, contributifs ou non ?
Cette description vient-elle confirmer ou infirmer la continuité des rapports de genre
entre actrices et acteurs au sein d’une politique publique et leur articulation ?
Ces hypothèses de travail ont déterminé les terrains d’observations et orienté les analyses
tantôt institutionnelles tantôt microsociales pour tenter de saisir les dynamiques en cours.
Du point de vue méthodologique, notre analyse combine une analyse critique de la
trajectoire de l'Etat social français au prisme de la citoyenneté en suivant deux axes majeurs :
une étude socio-historique d'une dynamique historique représentative du cœur de notre
problématique, des analyses plus contemporaines portant sur l’effectivité de cet exercice
14
dans les différentes temporalités du contexte professionnel (élaboration, intervention,
recherche).
En terme de résultats, cette thèse montre que :
a. le travail social est un processus collectif qui concerne les conceptions politiques de
la solidarité nationale, le fait de professionnel.e.s missionné.e.s, conjugués et associés
au potentiel contributif d’individus-citoyen.ne.s d’une société inclusive ou d’égalitérelation.
b. pour se déployer, le travail social nécessite de considérer la citoyenneté politique
de tout.es personnes comme la clé d’agencement d’un développement social et
contribue ainsi à l’effectivité du principe d’égalité constitutionnelle en dehors de toute
hiérarchisation.
c. le travail social en tant qu’acteur des politiques publiques doit prendre en compte
l’héritage de la division sexuée dans les sphères publiques privées pour dépasser les
disqualifications contemporaines reconduites et œuvrer à une généralisation de la
conception démocratique des interventions sociales.
Ces résultats considérés, l’ensemble du processus de transformation sociale est activé dans le
sens d’un progrès social pour tout.es avec le renouvellement d’une possible émancipation
individuelle et collective.
Dans la suite de cette introduction, nous procédons à une contextualisation de notre
question de recherche ainsi qu'à une présentation des enjeux politiques et professionnels de
la thèse qui constituent des fondations à notre réflexion.
Les éléments de contexte
Le point de départ de ce sujet est une pré-recherche initiée autour d’une meilleure
compréhension des débats contemporains sur le défaut présumé de pratiques
professionnelles du travail Social en matière « d’interventions collectives » (Rapport IGAS,
15
2005), autrement dit les Interventions sociales d’intérêt collectif, nommées « ISIC » dans le
jargon professionnel. Le problème ainsi formulé invitait à rechercher dans l’histoire les traces
de pratiques collectives ou leur absence. Cette étape a débouché très rapidement sur ce que
nous pouvons nommer « un silence de l'histoire » selon la formule de Michelle Perrot
(1998). Dès lors, la mobilisation du genre comme cadre d'analyse s'est imposée pour
s’appliquer à ce travail au fort taux d’emplois féminins. Notre analyse vise à renouveler les
compréhensions habituelles du travail social et les orientations actuelles. Pour ce faire nous
avons retenu l’intervention collective comme fil conducteur de notre recherche sur le travail
social.
En ce qui concerne le sens de l'intervention collective en travail social (quelle source ?
quelle légitimité ? quelles pratiques ?), différentes communications ont eu lieu au sein du
travail social tantôt dans des dimensions prospectives (CSTS 1998 et 2010), tantôt dans des
dimensions critiques (IGAS 2005), plus récemment dans des dimensions stratégiques (EGTS
2015, UNAFORIS 2017). A cette question singulière s'ajoute à un faisceau de questions
discutant les finalités du travail social ou issues du travail social lui-même. A titre
d'illustration, nous pouvons citer le manifeste des directeurs généraux des services (DGS) de
département d'avril 2012 intitulé L'action sociale : boulet financier ou renouveau de la
solidarité, ou l'ouvrage collectif plus ancien (2005) dirigé par Jacques Ion, Le travail social en
débat[s].
De son côté, le travail social en tant qu'activité professionnelle émerge en France au
début du 20ème siècle. Ses fondements historiques « Les Maisons sociales » (1899-1909) se
situent à l'aube des années 1900 entre l'Œuvre sociale de Popincourt (1894-1898) avec
Marie Gahéry inspirée des settlements anglo-saxons et les résidences sociales (1910-1945)
développées par Marie-Jeanne Bassot. Une continuité entre les trois structures initiales a été
mise à jour par Jacques Eloy (2012) et après consultation des archives nous l'avons adoptée à
notre tour. Cette consultation des archives des fondatrices et la littérature déjà produite nous
ont permis de mettre l'accent sur des éléments fondateurs de cette initiative qui nous
paraissaient participer du climat novateur de la période :
- une initiative portée par un mouvement de femmes,
16
- intervenir en direct dans « la lutte contre la pauvreté »,
- la volonté de « transformer les rapports sociaux » (se démarquer de l'héritage de la
charité),
- une pensée mobilisant la dynamique de « réseaux » (perçue par nous comme une
action systémique).
La conception des « Maisons sociales » repose sur l'implication des personnes porteuses de
l’initiative et des personnes destinataires de l’initiative dans une dimension contributive
pensée comme source égale d’autonomie et d’émancipation. Dans cette perspective, « les
travailleuses sociales » entendent utiliser leurs capacités propres dans des postures « de
traduction » ou « de médiation » telles que nous les référençons actuellement.
La reformulation des initiatives ainsi faite s’appuie sur la terminologie rencontrée dans les
débats du temps précité, avec notamment l'émergence de la notion de solidarité, visibilise la
dimension politique en actes, signale l'attention portée aux croisements des publics pour
permettre l'apport des sciences nouvelles voulus par les fondatrices mais aussi leur capacité
à mobiliser des personnes d'horizons divers. L'idée de solidarité introduite ici s’élabore tout
au long du 19è siècle (Blais, 2007) et
s’inscrit dans une conception égalitaire de la
démocratie. On peut dire que cet idéal sert de référentiel au cadre politique français
(Pigenet-Tartakowsky, 2012). Cet ancrage vaut aussi pour les fondatrices des Maisons
sociales.
Ce bref tour d’horizon souligne l'enchevêtrement de rapports sociaux complexes
construits au fil du temps dans une démocratie égalitaire où l'autonomie du sujet, son
développement, sa présence sont déployés selon une citoyenneté construite et pensée dans
un référentiel masculin. Dans ce contexte, c'est la dimension politique du travail social que
nous avons choisie d'explorer avec la possibilité ou non de participer à la citoyenneté
politique pour les personnes concernées, c’est-à-dire toutes personnes participant à cette
action publique tout au long de sa mise en œuvre : conception – décision – réalisation évaluation.
17
Comment cet exercice s'exprime, est rendu possible au sein du travail social ? L’absence de
droits politiques des fondatrices structure-t-elle encore aujourd’hui la question des
interventions collectives en travail social ? En faisant dialoguer des points de vue différents
voire antagonistes, est-il possible de dépasser les récits sur le travail social habituellement
présenté dans une dualité entre un contrôle social et un idéal d'émancipation et le plus
souvent référé à partir de 1945 comme seuil d’instauration de la protection sociale en
France.
Consciente de ce contexte, notre proposition de recherche ne s'est pour autant saisie ni de
l'un ni de l'autre dans un choix univoque ou pour les faire dialoguer. Elle concerne le travail
social d'un point de vue circulaire à partir de l'exercice commun de la citoyenneté et de sa
définition - en France -. Comment concevoir (et former à) un travail social qui soit lui-même
émancipé de cette dualité ? Cette question est certainement un écho à la question
contemporaine de la refondation de ce même travail. Elle est plus en amont, la recherche et
la compréhension d’un « passé inaccompli » selon l'expression de Michèle Riot-Sarcey (2016)
à partir de la dimension politique du travail social, identifiée autour de l'égalité
démocratique et d’une solidarité inconditionnelle peu présentes ou travaillées en formation,
en développement social, une fois rappelés les énoncés de valeurs républicaines et
humanistes. Que peuvent nous apporter ces liens construits par l’histoire collective dans un
présent professionnel au sein d’une action publique ? Quelles seraient les continuités ou les
ruptures nécessaires à considérer vis à vis de l’émergence du travail social laïc ?
Ainsi la compréhension du contexte fondateur des initiatives collectives à la source du
travail social nous a conduit à élargir notre question de recherche à partir de l’idée nouvelle
de solidarité telle qu’elle s’est constituée (Blais, 2007). Nous recherchons quelle(s)
construction(s), abandon(s) ou renouvellement(s) ont abouti aux interventions collectives
telles qu’elles sont formulées actuellement. En quoi sont-elles le reflet de la créativité
politique de personnes actrices, de l’expression de la capacité de personnes-sujets ? Quel(s)
lien(s) pouvons-nous reconstituer à partir de la notion de solidarité, telle qu'elle s'est
imposée aux yeux des premières travailleuses sociales ? Quel mouvement est à l’œuvre en
considérant l'absence de droits politiques des porteuses de l'initiative ? En quoi la solidarité
18
renouvelle le cadre politique du vivre en démocratie pour des personnes « sans droits
politiques » ? Que peut nous apprendre ce mouvement de femmes fondatrices d’une
intervention sociale du point de vue de la créativité de l’agir dans les rapports sociaux d’une
temporalité donnée, dans le dépassement des rapports de genre ? Du démarrage de
l'initiative des Maisons sociales aux cadres institutionnels contemporains des politiques
publiques de solidarité, que comprenons-nous des continuités de la pensée initiale et de
l’action entreprise sans dissocier l’une et l’autre, la pensée est déjà un agir (Arendt, 1958,
Dumez, 2007) ?
De cet élargissement de la question de recherche, nous étudions comment le travail
social laïc créé principalement par des femmes sur la base d’un référentiel démocratique est
une transcription de la pensée politique de la solidarité impactée par un ordre social du
genre inscrit dans la généalogie de cette politique publique. A cette fin, nous présentons
maintenant le cadre d'analyse mobilisé à partir des concepts de solidarité, de genre et
d’action publique en indiquant comment nous pensons leurs articulations de l’émergence du
travail social laïc à la professionnalisation contemporaine.
Le cadre d’analyse retenu
a) l’idée nouvelle de solidarité
Poser comme premier cadre d’analyse des interventions collectives en travail social la
solidarité, fait référence à la construction sociohistorique et aide à rechercher comment
cette notion constitue un point de référence pour le démarrage du travail social laïc que nous
étudions. En effet selon l’approche de la sociologie des problèmes publics, « Si les membres
d’une société n’énoncent pas de jugements de valeur sur une situation qui leur semble
insupportable ou indésirable, alors il n’y a pas de problème social » (Fuller et Myers, 1941,
cités par Cefaï, 1996. ).
La notion de solidarité que nous avons retenue comme première entrée, si elle
alimente les controverses d’aujourd’hui dans les débats politiques, la construction des
politiques publiques, les relations entre citoyen.ne.s, alimente aussi les débats tout au long
19
du 19ème siècle dans un contexte où les pluralités de pensées sont vives et nombreuses.
Selon Michel Pigenet et Danièle Tartakowsky dans une Histoire des mouvements sociaux en
France de 1814 à nos jours (2012), ce contexte est hérité des combats inachevés ou réactivés
de la Révolution française. Concernant la période, les mêmes auteurs parlent de
« surpolitisation des mobilisations sociales » comme source « d'un volontarisme politique,
d'origine républicaine » qui imprègne toutes les opinions, allant jusqu'à singulariser
l'industrialisation à la française au sein de l'Europe occidentale. Il s'agit de trouver, au plan
politique, les éléments de fondations encore inédits entre des individus libres et égaux en
droits et la réalité d'une appartenance collective en société. Comment conjuguer le respect
de la liberté individuelle et la compréhension de nécessaires et justes relations collectives ?
Ainsi apparaît formulée une question structurelle entre « démocratie libérale » (au sens du
compromis sociopolitique hérité de la Révolution française, respectueux de la petite
propriété paysanne autant qu'artisanale ou commerciale) et « justice sociale ». Comment
résoudre ce problème qui est repéré comme le ciment obligé de la société et qui alimente les
débats tout au long du 19ème siècle en France ? Cette question qui se trouve redoublée par
les effets de la seconde industrialisation, pointe comment « l'intérêt de quelques-uns se
révèle en contradiction avec l'amélioration du sort du plus grand nombre » (Blais, 2007). Elle
cherche à établir un « rééquilibrage pacifié de l'asymétrie dont pâtissent les salariés face à
leurs employeurs » (Pigenet, Tartakowsky, 2012) ?
C’est dans ce contexte sociopolitique que se constitue une émancipation nouvelle,
caractéristique de cette période : s'émanciper de la conception religieuse « du vivre
ensemble » pour concevoir une version laïque fondée sur l'apport des sciences et en
s'appuyant sur une philosophie du progrès. La question politique ou dit autrement « le lien
social » formulé par Pierre Leroux, en 1840 veut poser « la notion de solidarité comme
substitut moderne de la charité chrétienne » (Leroux, 1863, cité par Blais, 2007). Il la définit
alors comme une donnée commune au genre humain. Chaque individu en fait l’expérience à
différents âges de la vie. C'est elle qui lie les êtres entre eux par la reconnaissance de « la
dette sociale » comme inhérente à tout individu au-delà de ses appartenances héritées ou
choisies.
20
La reconnaissance de ce lien existant entre les individus reprend et déplace la notion
de contrat du siècle des Lumières (Rousseau) : le contrat n'est plus ce qui permet de tenir
« la société » d'individus libres, il est ce qui permet « la vie individuelle » reconnue par
nature dépendante du milieu environnant. Ce renversement pose la solidarité comme une loi
organique et exprime « le drame de l’esseulement et de la finitude des humains privés de ce
lien » (Blais, 2007). C’est cette compréhension de la solidarité et son acception qui appellent
alors une organisation politique correspondante, indépendante de tout dogme, capable
d'exprimer et de soutenir ce lien. La solidarité est une manifestation de l’interdépendance
qui existe entre des sujets libres.
Cette définition conduit à formuler plusieurs théorisations d’une démocratie sociale
selon une succession de points de vue qui se croisent et s'affrontent autour de trois
questions : qu'est-ce qui tient une société ? Comment s’attaquer au problème de la misère ?
Comment retrouver l'unité perdue entre les individus ? Les réponses s’énoncent autour de la
définition de la morale, du progrès, du contrat entre les individus :
- la morale : est-elle le fruit d'une conscience collective laïque, une forme d'évolution
de la société vers une science sociale ou une transcendance externe, un héritage et
une référence d'ordre religieuse ;
- l'unité du genre humain et le progrès : pour les uns (républicains réformistes) ce qui
va transformer la société vers une vie plus harmonieuse, pour d'autres (socialistes), il
est révélateur de la lutte à mener entre des classes sociales. Ce qui se joue entre ces
opposants, c'est la question de l'unité politique entre frères : un seul peuple issu de la
Révolution dans une unité sociale ou division sociale de classes.
- la nature du contrat entre les individus et les générations : est-elle d'un ordre moral,
d'une volonté individuelle, d'un droit nouveau : le droit social ? La transformation du
fait social de solidarité en principe de moral ou de droit porte le débat sur la base
initialement admise de reconnaissance de l'individu : les différents courants adoptent
tous le principe de la liberté individuelle et s'emparent du besoin d'éducation pour
transmettre cette nouvelle conscience. Les uns, tel Ferdinand Brunetière dans Sortir
du culte du moi (1898), le font au profit d’une éducation « morale » qui sacrifie
21
l'intérêt particulier à un intérêt général, d’autres prônent une éducation « sociale »,
première face à la primauté des droits de la personne, de sa valeur intangible sur
ceux de la collectivité à l’exemple d’Henri Michel dans Former à devenir des
personnes (1901). Cette bataille sert ainsi de premier énoncé aux difficultés qui
surgissent face à la traduction concrète du principe d'égalité entre les personnes.
- le rôle et la place de l'État : l'État en tant qu'organe structurant de la société est
encore en cours d'élaboration. Son rôle n'est pas figé et là encore les débats
s’énoncent entre différentes conceptions de l'État. Un axe plus autoritaire où l’État
serait au-dessus des individus, Jean Izoulet (1895) défend cette ligne d’une hiérarchie
ouverte mais organisationnelle entre les personnes et qui serait contrôlée par une
élite. Un axe régulateur et interventionniste où l’État s’appuie sur des contrats établis
entre individus mais est aussi le garant d'une dimension communautaire entre tous
les individus dans le temps, c’est la thèse de sociologie d’Émile Durkheim (1893). Un
autre axe développe une fonction d'arbitre entre individus dans un État de droits
(proposition de Léon Bourgeois, 1896) ou encore un État actif mais libéral soumis au
droit sans pouvoir de domination de l'individu (selon Léon Duguit, 1901).
Ainsi le « passé inaccompli » que nous rappelons ici autour de la constitution de la
solidarité publique sert de fond conceptuel à notre sujet de recherche dans une perspective
contemporaine. Le travail de conception pacifique et égalitaire d’une démocratie sociale
initié durant la IIIème République, est celui qui a présidé à l’émergence des Maisons sociales
et à laquelle leurs fondatrices se rattachent par leurs choix d’intervention. Ce faisant, il
précise le processus de création d’un travail social laïc qui s’inscrit dans un cadre
démocratique avec sa propre logique d’action que nous citons ici : « S’émanciper d’une
organisation sociale et construire conjointement une autre réponse aux questions de lutte
contre la pauvreté en substituant à la notion ‘’de lutte des classes’’, celle de ‘’pénétration
mutuelle des classes’’. Cette formulation est issue du Programme des Maisons sociales
signée par Mme Piérard, 21 mars 1903 (Guiraud, Rupp 1978).
22
La question sociale du 19ème siècle - la lutte contre la pauvreté - présentée comme
une question commune est alors conçue comme une question politique. Peu à peu, cette
question évolue sous un registre juridique, par le biais de l’Etat social, pour devenir le
registre majoritaire que nous connaissons aujourd’hui. Cette évolution ne fait pas disparaître
la question sociale mais la complexifie entre différents cadres institutionnels : le cadre
démocratique ou politique, le cadre administratif social et juridique de l’Etat, celui des
politiques publiques et des acteurs intentionnels. Nous la retrouvons morcelée dans des
discours qui interrogent tantôt la responsabilité des individus dans la société, tantôt la
réduction ou pas de l’Etat social, ou encore le coût des politiques publiques notamment de
solidarité. Ceci conduit à nous référer en deuxième lieu au cadre des politiques publiques.
b) le cadre des politiques publiques
En considérant la complexité de la question sociale, nous pouvons prendre appui sur la
démarche d’analyse des politiques publiques proposée par Peter Knoepfel et al (2001) qui
identifie plusieurs champs d’analyse (interprétation du rôle de l’État - explication du
fonctionnement de l’action publique et de la multiplicité des acteurs – évaluation des effets
par rapport au problème collectif ciblé) tout en se situant dans une science de l’action. Cette
démarche propose une approche empirique du système politico-administratif en
considérant :
- la logique d’action comme le point de départ constituant l’arène des acteurs,
- l’influence des institutions sur le comportement des acteurs et sur les résultats de
l’action publique,
- les ressources mobilisées par les acteurs pour faire valoir leurs intérêts.
Elle conduit à interpréter « les politiques publiques comme un enchaînement de décisions ou
d'activités résultant d'interactions structurées et répétées entre différents acteurs, publics et
privés, impliqués à divers titres dans l'émergence, la formulation et la résolution d'un
problème défini politiquement comme public » (Knoepfel, Larrue, Varone, 2006).
Depuis la période que nous avons qualifiée d’initiale pour le travail social laïc, nous
sommes passés d’un système d’actrices et d'acteurs initiateurs d’une intervention publique
23
collective, à un système politico-administratif de politiques publiques pensées comme une
succession d’actions collectives pour résoudre un problème social. C’est dans ce système que
sont positionnés aujourd’hui le travail social et ses parties prenantes : les actrices et acteurs
des politiques publiques au sein desquelles nous incluons « les publics » (Knoepfel, 2006 –
Zask, 2011).
Pour Daniel Cefaï dans son article La construction des problèmes publics. Définitions
de situations dans des arènes publiques (1996), les « acteurs collectifs » se constituent et
sont constitués par les activités collectives qu’ils réalisent dans une dynamique de
construction. En cela il rejoint la dimension contributive de la démocratie formulée par Joëlle
Zask que nous présenterons plus loin. Le passage à la problématisation collective de la
situation permet d’en révéler les controverses et de lui conférer une dimension publique au
sein d’une arène « temporelle ». De plus dans cette conception, les acteurs réunis par la
situation (acteurs collectifs) sont porteurs de compétences qu’ils vont partager :
« [ils]partagent la compétence de se rapporter aux mêmes réserves d’expérience et
ressources d’expression […] Ces réserves d’expérience et ces ressources d’expression
ne sont toutefois pas à entendre comme un système unifié de significations, mais
plutôt comme des « boîtes à outils » ou comme « des répertoires de schèmes » [...]
ou mieux, comme les matrices d’une compréhension commune » (Cefaï, 1996).
L'auteur prolonge sa pensée en attribuant au « procès de publicisation […] une forme
d’institution propre au régime démocratique », dont il est nécessaire d’en retenir les
« possibilités politiques ». Il est alors envisageable d’observer et de décrire ces activités
collectives et les pratiques qu’elles impliquent comme des usages référés à des conduites
démocratiques au sens d’une culture d’appartenance. Ceci nous amène à retenir le cadre
démocratique comme un élément de structuration de ces activités et à le définir comme le
cadre culturel de référence. Cela impliquera de vérifier si ce cadre de référence est présent et
comment dans les interventions collectives en travail social. Mais poursuivons préalablement
en précisant cette « culture commune de la démocratie ».
Tenir cet autre fil de notre problématique, nous conduit à mobiliser différents
auteur.e.s parfois classés contradictoires. En premier lieu, nous faisons référence aux travaux
24
de Marcel Gauchet cité par Yves Bonny dans Modernité avancée ou postmodernité qui fait de
la démocratie, un élément constitutif de la modernité et marque notre façon de faire société.
La démocratie est « un objet multidimensionnel, au carrefour de la philosophie politique, de
l’Histoire, de la sociologie et de la psychologie » dont il s’agit de « repérer les manifestations
et les transformations historiques ». Comme idéal type, la démocratie moderne est « à la fois
un énoncé de régime politique, un imaginaire social et une culture ordinaire ». C'est ce qui
rend la société démocratique difficile à vivre : « Loin d’être réconciliée avec elle-même, la
société démocratique est travaillée par l’altérité et par la division et c’est à travers la manière
dont elle réussit à intégrer cette composante inéliminable d’elle-même qu’elle peut accéder
à la maturité » (Bonny, 2004)
Ce constat fait le lien avec les nombreuses controverses contemporaines entre
démocratie représentative, démocratie participative. Ce qui nous a incité à utiliser le travail
de clarification réalisé par Joëlle Zask (2011) qu’elle formule sous le terme de démocratie
contributive. Son travail est particulièrement éclairant pour les trois dimensions de la
participation -prendre part, contribuer, bénéficier- qu’elle analyse et décline comme devant
s’articuler pour constituer cette forme démocratique où la participation devient
« authentique » : « La démocratie […] appelée ici “contributive” se préoccupe en priorité des
processus menant à l’émergence des intérêts publics, à la naissance des problématiques
sociales, à la fabrication des motifs d’action publique » (Zask, 2011, p 216).
L’exploration de cette forme démocratique permet de faire des liens avec des usages
et des pratiques qui ont cours dans le vocable actuel des interventions collectives en travail
social- s’impliquer, s’associer, coopérer- pour en citer quelques-uns.
Dans la dimension de prendre part, ce que nous retenons avec intérêt, c’est la nécessaire et
libre implication des personnes, des individus sans laquelle l’action collective n’a pas lieu :
« S’associer ne signifie […] pas partager un bien commun, mais produire en
commun quelque chose qui, ultérieurement et de diverses façons, est apprécié par
chacun des participants et s’offre à lui (prendre une part) comme une ressource
supplémentaire d’individuation » (p 89).
25
La deuxième dimension – contribuer – est une version de « faire société » et sert à interroger
le cadre démocratique à partir de la notion de coopération. Celle-ci se réalise :
« Lorsque des êtres humains apportent à leur groupe des éléments en propre
qu’ils peuvent percevoir comme la preuve ou la marque de leur existence sociale, et
qui favorisent l’évolution du groupe vers une adaptation et une recomposition du
commun en fonction des contributions multiformes et singulières des individus » (p
153).
Ce à quoi l’auteure, en référence à Hannah Arendt, ajoute le caractère non optionnel de cette
contribution : « supprimer la dimension contributive de l’existence, c’est supprimer
l’homme». Cette dimension des contributions ouvre sur la question de la constitution des
opinions publiques, de leur représentation et de l’incapacité souvent prêtée aux individus en
matière d’intérêt commun.
La troisième dimension - bénéficier - fait lien avec le concept de solidarité présenté
précédemment sous l’angle de la justice sociale. Quelle mise à disposition dans
l’environnement des personnes des ressources d’individuation, cette fois-ci en référence à
Amartya Sen et non des seuls dispositifs de redistribution ? Cette attention réintroduit
l’initiative des individus comme capacité humaine et comme dynamique créative de
chacun.e au sein du processus d’individuation. Il s’agit là de repérer ce qui dans
l’environnement des individus sert de soutien à des initiatives personnelles, à la créativité
contributive d’autrui, à rendre possible des interactions sources de « conditions renouvelées
de coexistence ».
Nous reviendrons dans le déroulement de notre analyse sur ces différentes étapes telle que
précisées par l’auteure. Ce qui apparaît ici c’est la dimension relationnelle qui sous-tend cet
ensemble. Les trois dimensions font processus de participation pour l’auteure ou encore
« l’interdépendance entre individuation et socialisation » telle que nous l’examinons dans la
première partie de notre recherche. Cette interdépendance implique selon Joëlle Zask, « que
les individus accèdent à la vie sociale et à ses multiples règles par l’intermédiaire de leur
participation, c’est-à-dire par l’intermédiaire de l’expérience personnelle qu’ils en font ».
26
Chacune des dimensions ainsi comprise permet de rendre opérationnel le concept de
démocratie sur le terrain d’enquête que constitue l’exercice du travail social contemporain
dans les interventions collectives. Il fait lien avec le présupposé des travailleuses sociales
dans leur initiative de départ : l’idéal démocratique impose d’intégrer les citoyens, tous les
citoyens, dans « la fabrication des motifs de l’action publique » (Zask, 2011).
Nous ajoutons à cette présentation croisée des références de Joëlle Zask et Daniel
Cefaï, que ces auteur.e.s partagent une même filiation avec John Dewey autour de sa
compréhension de la constitution d’un ou des publics dans la formulation publique d’un
problème. Il s’agit donc pour notre recherche de comprendre cette constitution d’un collectif
au sens d’un public actif et non captif au sein d’une intervention professionnelle. Comment
cette logique d’intégration des personnes est-elle présente, perceptible aujourd’hui ? Ou
encore qu'est-ce qui la fait disparaître de la vie collective ? Pour cela nous proposons de
retenir « la créativité des personnes » comme l’expression d’une participation politique des
personnes au sens du « contribuer à » formulé par Joëlle Zask, et d’examiner cette
expression comme un indicateur du processus démocratique présent ou pas au sein de la
mise en œuvre des interventions collectives du travail social. Comment cette créativité
s’exprime-t-elle dans les activités collectives ? De qui est-elle l’apanage ? Quels en sont les
obstacles ? Dans cette perspective, nous précisons en quoi le genre intéresse notre question
de recherche et comment il constitue une composante de notre problématique.
c) Le concept de genre et le travail social
Le genre a fait quelques « unes » d’actualité autour des questions de parité, d’identité, de
conjugalité, d’éducation pour citer les plus vives. Pour autant du côté du travail social, il est
plutôt perçu absent voire dénié (Bessin, 2009 ; Bayer, 2013). Pour notre part l’intérêt pour les
études de genre est venu de la confrontation quotidienne à cet univers d’emplois à
dominante quasi exclusivement féminine et l’atout promotionnel constaté des candidats
masculins dans le secteur, atout qui est même défini comme un mécanisme singulier de
progression « l’escalator de verre », dans les études consacrées au genre et travail (Christiane
27
Williams, The glass escalator : Hidden Advantages for Men in the “Female” professions,
Social Problems, 1992, citée par Bereni et al., 2012).
Si quelques lectures (Héritier, 1996, 2002) et colloques, L’autorité a-t-elle un sexe ?
de la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE, 2007) ont
permis d’accéder à des éléments de connaissance, c’est l'entrée par l'approche sociohistorique du sujet de thèse qui a rendu déterminante l'analyse par le genre.
La notion de citoyenneté « différenciée » fait partie a minima des acquis d’une culture
historique, d’une éducation féministe, elle ne constitue pas toujours un savoir permettant de
penser les constats du quotidien. C’est donc le travail de recherche sur l’émergence du travail
social et sa contextualisation que nous présentons en première partie de cette thèse qui a
conduit à étayer ces compréhensions, ces analyses du point de vue du genre. Ce concept
désigne à la fois le rapport social construit entre les sexes et le système ‘’diviseur’’ de ces
catégories établies qu’il contribue à produire : « le système sexué [..] produit une bipartition
hiérarchisée entre les hommes et les femmes et entre les valeurs et les représentations qui
leur sont associées » (Béréni, Chauvin, Jaunait et Revillard, 2012). Cette perspective permet
de mettre en relation des faits, des pratiques au-delà de leur seule temporalité historique et
de les analyser du point de vue du rapport social qui régit les personnes, en tant que sujets
féminins ou sujets masculins, pour envisager leurs effets du point de vue de l’égalité entre
individus-sujets d’un même Etat, d’une même société, d’une même culture d’appartenance.
En effet, l’un des apports majeurs des études de genre réside dans la capacité
d’opérationnaliser la notion d’égalité ou de traitement différencié entre femmes et hommes.
En utilisant la focale du genre, il devient possible de tenir assemblée la double entrée
précédemment énoncée : l’idéal démocratique d’égale considération des personnes et son
institutionnalisation dans les politiques publiques de solidarité.
Les études de genre montrent les effets de l’éducation et de la socialisation dans les
orientations professionnelles, les filières de formation et les métiers, tout autant que les
effets « système » des rapports sociaux de sexes. Ces savoirs modifient la construction des
problèmes que nous pensons poser une fois pour toutes. Dans le champ du travail social
28
deux axes paraissent à considérer pour avancer en compréhension. Ces deux axes, de nature
différente, impactent le concept de citoyenneté.
Le premier concerne la spécificité du processus d’accès à la citoyenneté politique des
femmes (Marquès-Pereira, 2003). Cette particularité du processus concerne les personnes
dans leur dynamique d’individuation et les constitue à la fois comme groupe social. En même
temps, il s’agit de considérer les articulations pour ces personnes – les femmes - entre les
dimensions politiques et les dimensions sociales de la citoyenneté. Cela conduit à interroger
les rapports sociaux et les rapports politiques produits/inscrits dans le travail social au regard
de cette dimension pour examiner ce qui a changé/change dans ces rapports sociaux. Peuton alors considérer des évolutions ou non entre la période fondatrice et la période actuelle
pour ces « actrices/acteurs professionnel.le.s », pour les « publics cibles » des politiques
publiques ?
Le deuxième axe concerne le caractère inachevé de « notre » démocratie, souvent
pensée comme système accompli. A cet égard, l’État parfois qualifié de « Providence » est
pourtant mis en crise et sert de révélateur des limites à l’étatisation du social pour
renouveler les questions de participation de tous aux définitions des problèmes publics.
Aussi les ressources déjà produites par les analyses de genre seront mobilisées pour étudier
au sein du travail social, les incidences de la dimension politique de la citoyenneté.
Il s’agit d’examiner à une échelle microsociale, celle des interventions collectives en
travail social, comment la structuration du travail social a intégré, intègre et reproduit les
inégalités, les asymétries qui viennent contrecarrer l’idéal démocratique de référence.
Comment ces reproductions « se distribuent » aux différentes échelles de mise en œuvre des
politiques publiques soit dans la « construction historique de l’ordre politique », soit dans les
rapports
de
pouvoir
qui
organisent
les
interventions
sociales,
soit
dans
les
représentations/assignations des actrices et acteurs ?
Cette question est importante à regarder du point de vue du vivre ensemble inclusif
énoncé dans l’idéal démocratique et dans l’idéal du travail social. Il ne s’agit pas ici de
formuler une question naïve ou béotienne mais de tenter d’interroger ce qui est
régulièrement reconduit sans perspective de transformation institutionnelle ou dit
29
autrement « en quoi les rapports de genre impactent le travail social ? » au-delà de données
statistiques genrées des publics, des interventions, des emplois (Rapport DGCS 2014). Cet
énoncé ne méconnait pas les possibles « intersections » qui pourraient permettre de
s’extraire d’un travail social seul porteur de la charge de reproduction des inégalités sans l’en
dispenser pour autant. Il s’agit de discerner dans l’organisation par le genre du travail social,
ce qui constitue les héritages d’une institutionnalisation et leur reconduction par toutes les
parties prenantes faute d’un travail d’analyse et de « construction différente » des problèmes
publics par des citoyen.ne.s parties prenantes d’une démocratie contributive. En cela, le
travail social comme entité ne se différencie pas d'autres secteurs de la société concernant
l'actualité du renouvellement du jeu démocratique institué. Peut-être est-ce le moyen
d’écrire une nouvelle manière de s'interroger à plusieurs voix sur la définition et l'action des
professionnel.le.s de la cohésion sociale ?
Pour conclure la présentation de notre problématique, cette recherche nous permet
de nous décentrer de la question directe et actuelle de la participation qui domine depuis
quelques temps les discours sur le travail social et qui concerne particulièrement la
participation « des usagers ». Nous souhaitons interroger les cadres du possible du point de
vue des initiatives de toutes les actrices et acteurs du système d’action institué en
privilégiant l’observation par l’entrée des pratiques professionnelles.
Les hypothèses que nous avons formulées (Des interventions collectives porteuses d’une
contribution démocratique ? lieu d’initiatives créatrices ? mobilisatrices au sein d’un rapport
social de genre ?) servent à guider notre travail de recueil de données et à constituer les
ressources à partir des interventions professionnelles situées dans des cadres institutionnels
et des temporalités propres dans des interactions avec un public et l’encadrement des
interventions au sens large du travail social. Les analyses produites visent à préciser le réel de
la part de citoyenneté mobilisée de part et d’autre dans les pratiques. Les observations
réunies constituent à terme des indicateurs du potentiel de création et de transformation
sociale des pratiques d’interventions collectives en contexte démocratique et contribuent à
documenter les analyses de genre pour le secteur.
30
Méthodologie de la recherche
Nous précisons la démarche méthodologique élaborée au fur et à mesure de la maturation
du projet de recherche pour rester en adéquation avec le cadre d’analyse posé à
l’intersection du travail social et du genre.
Depuis plusieurs années déjà, le débat scientifique s’est élargi en matière de
conception de la recherche concernant les dimensions d’objectivation, de distanciation et
d’implication. Ces questions restent toutes présentes et alimentent les postures de
recherche, les positions de travail avec des acteurs extérieurs au champ académique. Le
champ du travail social n’échappe pas à ce questionnement qui est au cœur de nombreux
débats et travaux. Citons pour exemples la conférence de consensus sur la recherche et le
travail social (2013), le 9ème séminaire tenu en 2012 sur la recherche participative à propos
de la question sociale en Europe du Centre européen de ressources pour la recherche en
travail social/ European Research Center Social Work (CERTS/ERCSW), Appel pour le
développement des recherches participatives en croisement des savoirs (ATD-CnamOdenore, 2016).
Pour notre part, c’est la reconnaissance d’une posture impliquée au sens proposé par
Éric Fassin (1998) qui nous a servi d’ancrage aux différentes étapes du travail de recherche
face aux choix à engager. Cette posture « se présente comme l’association d’une proximité
de l’action et d’une distance dans l’analyse ». C’est ainsi que la proximité dans l’action
correspond à ce que nous nommons notre présence de longue durée dans le champ de
l’action sociale soit à des postes opérationnels, soit plus récemment au sein d’un
établissement de formation de dimension régionale qui permet d’activer des croisements de
situations entre des institutions du secteur, des professionnel.les, des personnes-sujets de
ces interventions, des étudiant.es, des cadres de formation. Ce cadre de travail a constitué
un premier espace pour penser un cadre de recherche approprié au secteur « connu » et
souhaiter activer une nécessaire distanciation de l’objet de recherche. Ceci est devenu
particulièrement crucial avec l’implication dans une démarche de recherche-action
31
construite en 2006 dans le croisement d’un milieu professionnel et d’un lieu d’apprentissage
professionnel à distance du milieu académique et connu sous le nom de LaboISIC. Distance
involontaire au démarrage puis représentative d’une frontière entre le monde de la
formation professionnelle et celui de l’université.
Dans ce contexte de place incertaine, au sens d’une recherche construite sans
chercheur.e académique et sans financement de recherche, l’inscription individuelle dans un
projet de recherche doctorale a constitué une première étape pour conforter une démarche
méthodologique collective déjà existante et la formaliser dans un registre académique. Cette
inscription a pris sens et forme avec l’ouverture au Cnam d’un doctorat de sociologie
mention travail social et confirmait le lien de proximité avec l’objet de recherche par
l’existence de la Chaire de travail social ouverte en 2001. Ce travail a donc pu se développer
par la mobilisation d’un accompagnement multiple : le titulaire de la Chaire du travail social,
la direction du laboratoire interdisciplinaire de Sociologie économique (Lise-CNRS) et ses
membres dont le séminaire des doctorant.es et ses responsables d’année, les responsables
ou membres de l’axe de recherche genre, droit, discriminations (Axe G2D), sans oublier la
communauté des membres du LaboISIC.
Ce préambule établi, la méthodologie de la recherche a pu se mettre en place en
tenant compte du point de vue adopté sur notre objet de recherche, à la fois impliqué et
multidisciplinaire, à la fois solitaire (comme tout parcours doctoral) et collectif comme l’objet
de recherche lui-même s’est révélé. Cependant en tant que chercheure, nous ne pouvons
faire abstraction nous-même d’une individualité construite à l’intersection de plusieurs
rapports sociaux, c’est à dire partant d’une inscription multiple dans la recherche engagée
(exemples : sujet féminin, professionnelle, citoyenne féministe). C’est donc à partir d’une
connaissance située que s’est construite notre manière de faire de la recherche, c’est à dire à
partir d’une volonté de développer une pensée critique adossée au refus d’un
assujettissement de la part professionnelle dans l’histoire du travail social.
Notre intérêt pour l’histoire peut s’apparenter à ce que Marcel Jaeger a présenté en
2013 dans un article intitulé Épistémologie et philosophie de l’histoire du travail social,
32
soulignant le recours à l’histoire dans ce qui pourrait être une recherche d’explications
compréhensives mais aussi dans une forme de contribution pour le futur :
« L’histoire est convoquée pour donner des clés de compréhension
d’événements dont l’assimilation est parfois jugée impossible (les formes
d’extermination radicales). Plus souvent, elle aide à penser des chocs inattendus, les
renversements de tendances, les « décisions absurdes ». Mais elle contribue aussi à
comprendre des mouvements sur la longue durée, des tournants dans les cultures
professionnelles, dans l’organisation des dispositifs de l’action sociale et médicosociale ».
Et celui-ci d’ajouter qu’il « existe une responsabilité collective pour réaliser le pari de
transformer les individus et les relations entre eux ». Face à cette intention, le silence pour ce
champ d’activités sur la compréhension des rapports de genre nous interpelle pour
questionner « le principe d’organisation de la société » dans un « dépassement de la
différence, de la maîtrise des divisions internes, d’un nouveau rapport à l’altérité » (Jaeger,
2013). C’est la lecture genrée de l’histoire des fondatrices (Bousquet, 2015) que nous
souhaitions réaliser qui a nous a conduit à nous intéresser à la sociohistoire, c’est à dire à
retrouver les traces d’une fondation dans les relations sociales de son temps en comprenant
les relations de pouvoir et les conflits par la force symbolique du langage et du pouvoir de
nommer (Noiriel, 2008).
Ainsi puisque l’idée de transformation sociale formulée par les fondatrices, nommées
travailleuses sociales, repose sur une volonté d’intervenir dans la question sociale, comment
comprendre que cette conception soit devenue invisible, insaisissable au point de scinder
dans le langage « travail social » et « intervention sociale », de fixer le regard sur les seules
postures professionnelles ? Comme l’indique Gérard Noiriel, « Les individus qui détiennent le
privilège de définir les identités, les problèmes et les normes du monde social imposent ainsi
les enjeux que doivent prendre en considération tous les acteurs de la société ». C’est donc
par l’attention à l’historicité que notre méthodologie devait avancer tout en offrant une
grande marge de liberté pour avancer dans l’enquête et faire apparaître les différents
niveaux de relations en jeu.
33
Le premier obstacle que nous avons dû résoudre était la notion de comparaison soustendue dans notre analyse. En effet comment établir une comparaison entre des périodes
aux contextes éloignés et perçus principalement dans leur différence ? La même
interrogation s’appliquait vis à vis des actrices et acteurs considérés, si deux mondes
pouvaient être pensés séparés entre l’action des femmes et des hommes au début du XXème
siècle, le sens commun actuel impose l’idée d’une mixité partout présente ou possible. C’est
en inventoriant le recueil de données disponibles et celui accessible que l’analyse des
discours s’est imposée comme une donnée avec ses variables dans le temps. Par la diversité
des sources existantes et par les productions continuées dans les interactions observées, ce
recueil contribuait à la crédibilité de la recherche.
L’analyse des discours retenue s’écarte de la théorie linguistique pour considérer son
apport en terme de sociologie de la connaissance. Les discours ne sont plus étudiés du point
de vue de la production des éléments linguistiques mais du point de vue de la production et
de la circulation du savoir et des connaissances ou des pratiques sociales du pouvoir/savoir
dans une perspective constructiviste (Keller, 2005 ; Paveau, 2015). Ceci mobilise un
répertoire interprétatif, « que l’on peut retrouver (reconstruire) à travers l’analyse des
données textuelles concrètes en étudiant les séquences de phrases ou les éléments d’un
texte » (Keller, 2005)
Le choix de l’analyse des discours s’est inscrit en complète congruence avec la
question méthodologique à résoudre et la perspective de genre qui est à la fois une donnée
des réalités sociales constituant le monde et une manière d’analyser la réalité observée (ici le
travail social) au-delà de la quantification de données sexuées. Les discours étudiés peuvent
rendre compte de cette double attention, au sens de porter les signes d’une réalité et offrir
l’opportunité d’une déconstruction. Cet exercice a paru facilitateur de l’observation
souhaitée dans notre problématique : interroger les cadres du possible du point de vue des
initiatives des actrices et acteurs en privilégiant l’observation par l’entrée des pratiques
professionnelles. Il s’est avéré particulièrement productif dans l’examen des verbatim
34
utilisés : audition de Madame La Baronne Piérard (1906), minutes du procès de Marie Jeanne
Bassot (1909), questionnaire des étudiant.es en DEIS (2016-2018).
L’intérêt de cette « méthode » selon Reiner Keller, de ce « programme de recherche »
selon Marie-Anne Paveau, est de permettre de lier dans une même attention « les discours »
et « les acteurs sociaux » concernés par l’objet de recherche pour organiser en conséquence
l’analyse des données de la recherche empirique. Cette proposition nous a permis
d’organiser au sein de nos recueils de données successifs, un fil conducteur issu de notre
problématique, à savoir : comment se formulent à chaque période et pour différentes parties
prenantes, l’initiative collective de femmes et leur place dans les actions considérées.
Cette analyse transversale a constitué l’ossature de la recherche et a été
particulièrement productive en permettant d’ouvrir des liens avec d’autres travaux de
recherche aboutis ou en débats. Nous pensons particulièrement aux liens avec les travaux de
la sociologie pragmatique. Cette trame a ainsi été confrontée, enrichie, réorientée au fur et à
mesure des observations participantes, des lectures, des discussions de chercheur.e.s dont
les apports sont réintroduits au fil de l’écriture de cette recherche.
Il convient encore de préciser ce que nous avons retenu au titre de « discours », dans
la construction de notre corpus d’analyse et sur quoi repose le choix de faire dialoguer à
distance les éléments recueillis. En ce qui concerne les éléments de discours, nous allons les
indiquer pour chaque période considérée puisque cela constitue de fait la première unité
d’étude. Cependant, pour chacune nous avons retenu comme discours, des paroles tenues
dans des entretiens, des témoignages oraux ou écrits de personnes concernées, des exposés
dans des espaces de communications, des articles de presse, des écrits publiés qu’ils
prennent la forme d'articles de presse, de rapports, ou d’ouvrages édités issus de
communautés scientifiques, de personnes qualifiées. C’est cette diversité des matériaux qui
nous a permis de mettre en visibilité le contexte de chaque période et de lui donner une
épaisseur propre pour rendre compte du réel des questions examinées.
Pour la période des fondatrices, nous avons consulté et mis en relation des sources
d’archives : le fonds d’archives enregistré aux archives départementales des Hauts de Seine
35
et consulté à la Résidence sociale de Levallois Péret, la Revue ANNALES du Musée Social
(N°1, janvier 1906), la copie des minutes du procès de Marie-Jeanne Bassot qui avait été
réalisée par Jacques Eloy, les journaux de la presse quotidienne ou hebdomadaire soit qu’ils
aient été présents dans le fonds d’archives soit consultés en ligne.
Pour la période contemporaine, plusieurs sources tout aussi diverses ont alimenté le
corpus contemporain : les séances du LaboISIC mentionné plus haut et qui font l’objet d’une
présentation détaillée à la fois comme terrain d’observation et comme espace de
contribution aux données de la recherche, des interviews lors de congrès ou séminaires, des
questionnaires auprès d’étudiant.es en formation, des sites de présentation de l’action
publique, des rapports de groupes de travail publiés, des articles de presse, des articles de
chercheur.e.s.
A l’approche par les discours, nous avons ajouté le référentiel de l’expérimentation
collective comme second point d’appui de nos observations. Dans la continuité des analyses
produites par Joëlle Zask que nous avons présentées dans le cadre d’analyse, l’expérience est
un moyen d’accès à la vie sociale et à ses multiples règles. Il nous a semblé que ce référentiel
pouvait constituer un point d’appui commun aux différents éléments de la recherche. C'est
ainsi que les actions sociales réalisées ou en cours ont constitué des espaces d'observation
des interactions possibles et de leur finalité au sein d'ensembles plus vastes, reliant
différents niveaux d'échelles de décision et de gouvernance.
Dans cette perspective, les situations retenues comme études de cas de la seconde
partie servent à éclairer telle ou telle part des mécanismes mis en évidence en première
partie. Elles sont des expérimentations du travail d'émancipation à l’œuvre dans la société.
En diversifiant les situations étudiées, nous nous sommes confrontées à des sources
différenciées et dans différentes temporalités. Ceci nous a conduit à établir les éléments
communs d'investigation : le motif de l'action du point de vue de la solidarité et de l'égalité
entre « tous », le travail d'émancipation individuelle et collective, les liens entre dépendanceinterdépendance-autonomie. Ensuite, ce sont les variantes observées dans les références et
dans leurs usages qui permettent de préciser les continuités, les mutations ou les ruptures
36
actuelles. Ce sont les trois dimensions « conjointes » de la participation formulées par Joëlle
Zask (prendre part-contribuer-bénéficier) qui nous ont aidé à rendre opérationnel le concept
de démocratie sur le terrain d’enquête que constitue l’exercice du travail social contemporain
dans les interventions collectives. Elles ont aussi servi à rappeler les contradictions présentes
face à l’idéal du travail social ou de la participation démocratique que nous avons
rencontrées.
De nos observations et de nos lectures, la question de la participation de « tous » a
été régulièrement énoncée comme le cœur de l'intervention professionnelle. Nous avons dû
travailler ce potentiel attendu et reconnu de chaque individu mais aussi la conception des
relations entre les parties prenantes des actions.
Comme a pu l'étudier Jacques Ion, ce sont les formes d'engagement qui se modifient
dans la vie publique et la participation politique qui change d'expression (Ion, 2012).
S'inscrivant en faux vis à vis des penseurs d'une montée de l'individualisme, il explique
comment au sein des mutations de notre société (engagement syndical, mouvements
sociaux, Les Indignés), ce sont les pratiques d'engagement individuel qui se sont diversifiées
modifiant par là ou les interrogeant, les pratiques de leadership, d'encadrement.
L'engagement d'aujourd'hui prend les formes de l'implication plutôt que celles de l'adhésion
(au sens idéologique ou des contraintes réglementaires). Ainsi cela se traduit notamment
dans la notion de temps, de durée avec la recherche d'une efficacité immédiate.
L'engagement qualifié de pragmatique par Jacques Ion, modifie le rapport aux autres, les
liens de solidarité, le rapport au politique. Détaché de ses appartenances collectives
(statutaires, géographiques), l'individu-réflexif actuel n'en est pas moins un être social (voir
le développement des réseaux sociaux), capable d'engagement politique conduisant à une
critique en actes de l'ordre social (exemple avec Les Enfants de Don Quichotte, les
mobilisations concernant l'accueil des demandeurs d'asile). Ainsi ce sont les successions de
mobilisations qui font bouger l'héritage politique, ré-ouvrent « d'autres voies de
politisation » là où la sphère politique représentait l'aboutissement d'un engagement, une
suprématie du pouvoir politique. De plus, ces nouvelles implications « tout azimut »
d'individus-citoyens reconstruisent la notion de bien-commun dans un quotidien reliant
37
« des individus libres et égaux de manifester leur pluralité », là où la notion d'intérêt général
est parfois brandie par « ceux qui ont le monopole du pouvoir de la représentation» (Ion,
2012).
Cette analyse a constitué un nouvel appui pour notre recherche en terme de relations
entre des individus-citoyens et en terme de référence à une capacité d'action en commun. Le
fait d'un écart de pouvoir démocratique constitue une nouvelle source d'inégalité où se
creuse un rejet mutuel du politique, soit par dénigrement, soit par élitisme. C'est dans cette
absence ou la disparition d'un possible « prendre part » à l'espace politique démocratique
que s'effrite la dimension politique de l'égalité démocratique avec le risque du
développement d'une « égalité de proximité », c'est-à-dire une égalité entre proches, entre
« identiques ». Nous avons retenu cette compréhension pour trouver les éléments
permettant de formuler une solidarité nationale, une action sociale pour « tous » incluant la
dimension politique commune reconnue pour chacun.e au terme de cette recherche.
In fine, l’historicité reconstruite par la méthodologie a été productive. Le sens mis à
jour a pu être utilisé pour éclairer les effets du genre à différents niveaux de l’action publique
étudiée et en regard des données accessibles : sur le plan de l’initiative entre les parties
prenantes des actions locales, sur le plan de la participation politique aux différentes échelles
de décision, sur le plan des référentiels de formation des agents. L’ensemble des données
réunies ont été confrontées au cadre théorique retenu et aux ressources disciplinaires
(statistiques, genre et politique, genre et professionnalisation, etc.) pour reconsidérer les
participations sociales, politiques et professionnelles au sein de cette action publique
constituée par le travail social.
La présentation des données a été maintenue dans des configurations échelonnées
dans le temps pour rendre visible les rapports singuliers entre les personnes mobilisées dans
cette action, notamment les rapports de genre tels qu’ils sont incorporés dans les modes
d’agir mais aussi dans les organisations et les modes de pensée.
Cet ensemble permet de restituer notre recherche selon une organisation en deux
axes dialogiques : une première partie traite des référentiels structurants cette action pour
38
produire une intelligibilité du travail social à l’épreuve du genre, une seconde partie examine
trois configurations de cette action qui diffèrent dans le temps et dans les espaces pour
appréhender les mises en acte ainsi produites, l’horizon atteignable du point de vue d’une
société démocratique et solidaire.
Enjeu du projet et posture de recherche
A partir d'une approche sociohistorique et genrée de la genèse du travail social laïc, la
compréhension du jeu des actrices initiales est modifiée, la contribution à la pensée sociale
fondée sur la notion de solidarité apparaît nettement. Une autre compréhension du travail
social émerge : une action collective aux multiples dimensions dont la dimension politique
préexiste à la dimension sociale quasi-exclusive que nous connaissons aujourd'hui. L’initiative
réalisée interroge l’ordre social existant, déclenche un conflit où s’entremêlent laïcisation de
la charité et enjeux politiques, rapports de genre versant émancipation des femmes. Cette
démarche inscrite dans le début du XXème siècle, dans le même temps que la constitution
de l’État social est révélatrice d’une histoire singulière, individuelle et collective aux côtés des
grands acteurs retenus par l’Histoire.
Partant de cette compréhension, notre approche sociologique du travail social
interroge les héritages présents et les constructions permises dans différentes facettes de
cette action. Sont ainsi examinés les liens avec l’État social, les références de solidarité et les
services de care, la professionnalisation du secteur et de son encadrement, en tenant
compte de l’accès différencié et différé à la citoyenneté politique des femmes. Cette clé de
lecture permet de porter attention aux potentiels d'émancipation collective à partir du
champ du travail social et de reconfigurer la notion d’intervention collective. La
compréhension des raisons d'agir en collectif (enjeu démocratique pour tous) et des modes
d'agir (participation politique de tous) sont la base d’un développement social situé dans une
perspective démocratique.
39
L’ensemble des vies humaines qu’elles soient considérées au plan individuel ou
collectif sont concernées par les interventions sociales sur un territoire, de même
potentiellement chaque personne de la société de référence. Comme nous le rappelons dans
le cours des différents chapitres de cette recherche, le secteur professionnel concerne un
nombre important de personnes, soit au titre des interventions (plus d'un million deux de
salariés) soit au titre des services mis à disposition dans les différents registres de cette
action publique. Il peut s'agir de petits enfants et de leurs parents, de personnes
vieillissantes, d'autres en situation de handicap, d'autres encore ayant besoin de protection
éducative, sociale, judiciaire ou d'une intervention solidaire pour faire face à une situation de
rupture qu'elle soit familiale, conjugale, de santé, d'emploi ou de logement. Nul ne peut se
déclarer à l’écart de cet existant.
De la place d'un établissement régional de formation, cette diversité est démultipliée
quasi à l'infini sur le territoire d'intervention et renvoie à l'image d'une fourmilière en
activité. Cette image est intéressante pour la densité qu'elle signale, l'incessant travail des
ouvrières, comme la taille modeste de chaque action malgré l'ampleur de certaines
réalisations. Sans connaître ou comprendre tous les rouages d'une fourmilière, c'est la
dimension collective de l'assemblage réalisé qui est visible. Cette observation n'est pas une
analogie pour parler du travail social mais une image utile pour exprimer la dimension
collective toujours présente au côté d'une existence individuelle bien réelle. Cette image
permet de regarder les interventions collectives en travail social, non comme un savoir-faire
individuel dont la somme produirait des actions en collectif ou collectives mais plutôt comme
une manière d'être et d'exister qui porte attention à d'autres, semblables ou différents. Cette
manière d'être est donc aussi potentiellement une manière d'agir.
Notre projet de recherche est le résultat de cette attention comme du
questionnement régulier d'étudiant.e.s en travail social, le côtoiement de professionnel.le.s
et de formatrices ou formateurs dans la recherche commune de réponses appropriables. Il
est aussi l'impossible acceptation d'une défaillance collective attachée aux professionnel.le.s
en matière de travail social collectif, ce qui reviendrait à prendre pour vrai le manque de
savoir agir en collectif de ces professionnel.le.s en activité. Du lieu d'un espace de formation,
40
cette assertion ne tient pas, il fallait donc chercher d'autres motifs des faiblesses inventoriées
ou des inégalités territoriales.
Une première tentative s'est traduite par une participation au cadre collectif de la
commission du Conseil supérieur du travail social (CSTS) mandaté à cet effet en 2008 par la
Secrétaire d’État à la solidarité, Valérie Létard. Ce travail a donné lieu à une publication à
laquelle nous faisons référence pour une part dans cette recherche. D'un autre côté, la
commande (et le rapport réalisé sur une échéance courte) ne permettait pas une recherche
en tant que telle. Cette limite est venue soutenir notre engagement sur une durée longue
pour apporter de nouveaux éclairages à la question. Nommée Intervention sociale d'intérêt
collectif (ISIC) par le CSTS (1998, 2010), reformulée Intervention sociale collective et
communautaire (ISCC) par l'Union nationale des acteurs de formation et de recherche en
intervention sociale (UNAFORIS, 2017), notre projet n'est pas de définir une nouvelle fois
cette intervention mais de la discuter comme telle en la resituant dans une histoire du travail
social. La recherche des enjeux existants autour de cette intervention selon qui commande
ou gouverne ces réalisations conduit à rendre compte de points de vue minorés ou peu
étudiés. Pour cela nous avons choisi le temps long d'une recherche doctorale pour tenter de
saisir les articulations entre les différentes séquences produites à chaque strate de cette
action publique et en nous attachant à trouver les éléments de fluidité, de circulation entre
les parties prenantes.
La question de la transmission « active » des fondements du travail social et leur mise
au travail dans les référentiels d'action professionnelle sont à terme concernés. Cet enjeu
ainsi compris interroge les actrices et les acteurs de ces interventions tout au long de la
chaîne d'action du point de vue de cette égalité démocratique. Cette approche en amène
une autre, celle des études de genre encore largement étrangère aux discours du travail
social en France, à ses grilles d'analyse, à ses conséquences en terme de transformation
sociale. En effet en dépit des inégalités salariales et de la moindre rémunération des travaux
féminins, le secteur social continue à être investi majoritairement par des femmes. Selon les
formulations empruntées à Elsa Gallerand et Danièle Kergoat (2008) : il ne s'agit plus là de
41
considérer ces personnes comme « enfermées dans le cercle vicieux de la domination de
genre » mais de comprendre le levier collectif qui permet de tenir à distance les
dominations, les expressions de mépris, les subordinations hiérarchisées. Que peut donc
nous apprendre l'étude des interventions collectives dans un rapport de genre sur la société
salariale qui est nôtre ? Sous cet angle, la question de l’encadrement des interventions relève
d’une tournure particulière où se croisent et se heurtent la conception hiérarchisée du travail
salarié alliée au contrôle de gestion des activités, avec la valorisation de la place des
personnes bénéficiaires des interventions.
Au terme de cette recherche, les compréhensions gagnées et les éclairages possibles
en terme de réussite collective, c’est à dire de l’émancipation de toutes et tous, débouchent
sur la nécessaire considération politique des interventions collectives. C’est à dire sur leur
capacité à construire collectivement/politiquement les problèmes publics de ce temps.
Nous terminons cette introduction par la présentation de l’écriture inclusive utilisée
dans cette restitution. Cette option ouverte par le Haut Conseil pour l’Égalité entre les
Femmes et les Hommes avec la publication du Guide pratique pour une communication
publique sans stéréotype de sexe (octobre 2015) est la confirmation d’une préoccupation
ancienne comme le signale Mathieu Arbogast dans La rédaction non-sexiste et inclusive dans
la recherche : enjeux et modalités pratiques (INED, 2017).
Dans ce document au-delà de la démarche de féminisation des noms de fonction,
l’auteur présente l’écriture inclusive au service de trois types d’enjeux : « la visibilité des
femmes et du féminin, la minoration et la péjoration, mais aussi le contenu sémantique
(général ou particulier) qui découle des formulations et de la mise en forme du discours ».
L’écriture inclusive est proposée comme rééquilibrage du regard et de la pensée, à ce titre
elle représente un complément aux avancées de notre recherche. Loin d’être un manifeste,
ce choix est un essai de mise en cohérence avec le déplacement du regard proposé tout au
long de notre travail. Cette option prise au moment de la restitution de la recherche participe
de l’étude réalisée et impose une attention aux formulations utilisées. Ainsi écrire « les élus »
au masculin pluriel vient signifier une prépondérance effective à l’instant considéré et dans
42
une configuration qui évolue lentement. Consciente de l’étonnement voire du dérangement
que cette écriture peut susciter, nous pensons que sa lecture est l’occasion d’essayer une
perspective nouvelle sans pour autant imposer une nouvelle norme. Cet exercice invite
seulement à quitter l’assurance de « l’automaticité » pour considérer les pluralités, les
diversités présentes.
43
Première partie
Le travail social mis en perspective par le
genre
44
Introduction première partie
Ces dernières années le travail social a fait l'objet d'une attention importante avec une
succession de travaux engagés au niveau gouvernemental. Le point de départ peut se situer
dans la Conférence nationale contre la pauvreté de 2012 qualifiée par le Conseil économique
social environnemental de « débat citoyen essentiel » (CESE, 2012) et placée sous l'égide des
vingt-cinq ans anniversaire de la déclaration de Joseph Wresinski : « Là où des hommes sont
condamnés à vivre la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter
est un devoir sacré » (Rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale, CESE
2012). À l'issue de cette concertation, a été établi un plan pluriannuel contre la pauvreté
(Comité interministériel de lutte contre l'exclusion, CILE du 22 janvier 2013) annonçant parmi
trois axes de réforme, celui de « Coordonner l’action sociale et valoriser ses acteurs ». La
mise en œuvre des États généraux du travail social (EGTS) de septembre 2013 à octobre 2015
et leur conclusion, est venue concrétiser cette orientation en vue de donner au
gouvernement les moyens de préparer un plan d’action pour le travail social.
45
Cette « activité » qui nous le voyons, s'échelonne sur plusieurs années, a mobilisé de
nombreuses actrices et acteurs à différentes échelles de l'action publique. Elle a été
largement suivie par la presse spécialisée, les différentes fédérations et instances collégiales
nationales et locales concernées. La multiplicité des voix exprimées et entendues rend
compte de l'intérêt présent et du débat démocratique ainsi engagé.
Dans ce contexte, notre travail de recherche a tenté de s'extraire de cette actualité
dynamique pour s'efforcer d'étudier les continuités historiques des questions soulevées, leur
abandon ou leur reprise contemporaine. Cependant si l'approche sociohistorique est
régulièrement mobilisée par les chercheur.e.s contemporain.e.s, le genre n'est pas mobilisé
comme grille d'analyse (Bessin, 2005, 2009, 2013). C'est pourquoi notre première partie
examine l'émergence du travail social dans le contexte sociopolitique du début du XXème
siècle en intégrant la place des rapports de genre afin de saisir ce qu’il peut recouvrir dans le
contexte contemporain, et ainsi ajouter une compréhension aux écarts et défauts supposés
actuellement.
Comme cela est régulièrement énoncé, le travail social a partie liée avec les
références de solidarité et d'assistance, de lutte contre la pauvreté. Sa version
professionnelle est attachée à la constitution de l’État social tel que Robert Castel l'a formulé
(1995). Nous proposons d'étudier ces différents liens à partir d’une approche sociohistorique. Ceci revient à croiser dans une démarche empirique l'étude des éléments
historiques avérés, relatés et l'analyse de leur mise en œuvre par les actrices et les acteurs
de ces situations pour tenter d'en saisir au mieux le sens, les intentions dans leur contexte
(Noiriel, 2008). La démarche retenue considère l'importance de la fabrication des faits par
leurs auteur.e.s, leur dimension relationnelle, émotionnelle dans la période considérée tout
en permettant la critique et la comparaison entre les sources ainsi répertoriées.
Le travail de contextualisation une fois réalisé autorise une mise en relations des
pratiques ou des références entre périodes différentes et distanciées. Il sert de point d'appui
à la construction du questionnement annoncé car il permet d'identifier des liens qui relient
les êtres du passé et ceux du présent au-delà des modifications de contexte. La socio-histoire
46
s'intéresse particulièrement aux relations à distance ou dit autrement, aux domaines
d'activités qui mettent en relation des individus dans des configurations, des groupements
spécifiques. Par cette approche méthodologique, il est possible de se dégager des bornes
chronologiques pour à partir de «l'historicité du monde dans lequel nous vivons, [pour]
mieux comprendre comment le passé pèse sur le présent» (Noiriel, 2008, p.3). La
compréhension de la genèse du travail social doit nous permettre de renouer avec les
dynamiques qui ont présidé à son émergence.
C'est ainsi que nous pouvons accéder aux éléments nécessaires à une analyse genrée
de cette histoire, des situations et des processus. Nous souhaitons par cette approche
disposer des éléments qui nous permettent de mettre particulièrement l'accent sur les
rapports de pouvoirs au sein des relations entre individus et sur les conflits à l’œuvre en
termes de domination sociale, de solidarité sociale ou de pouvoir symbolique par la force du
langage comme médiation sociale incontournable. En effet le genre est le système qui
oriente les rapports sociaux des femmes et des hommes de toute société dans une
dimension séparatrice et hiérarchique. Les gender studies ou la perspective de genre,
permettent l'étude des relations humaines entre les femmes et les hommes du fait
d'assignations sexuées et servent à en comprendre les impacts notamment dans
l'organisation de chaque secteur d’activités. Cette perspective relationnelle n'est pas la seule
dimension des études de genre que nous mobilisons dans ce travail. Nous en présentons ici
rapidement les quatre dimensions retenues comme socle commun à une approche par le
genre :
- La première dimension demande de quitter la pensée essentialiste qui détermine
pour chaque sexe une orientation sociale, une orientation professionnelle, toutes capacités
connues comme ''naturelles'' avec pour conséquence leur impossible transformation ou
mutation au risque d’entraîner la dégénérescence du sujet voire de la société toute entière.
Un exemple peut rendre compte de cette crainte dans les propos éducatifs tenus aux
premiers âges de l’enfance, « ne pleure pas comme une fille » ou « ne te conduit pas comme
un garçon manqué ». L’une comme l’autre de ces expressions témoigne des places fixées à
47
tenir comme des dérèglements supposés à transgresser des conduites. Cependant depuis
longtemps déjà, des études ont montré le caractère fluctuant de ces traits et par là leur
construction sociale, c'est-à-dire leur attachement à une culture donnée. Si l’ouvrage de la
pédagogue Elena Giovanni Belotti, Du côté des petites filles, ou l’interpellation de Simone De
Beauvoir « On ne naît pas femmes, on le devient » figurent dans les références classiques,
Histoire des larmes, de Anne Vincent-Buffault est intéressant pour illustrer à propos du
caractère social d’un trait émotionnel - les larmes- la ponctuation temporelle sexuée qui
varie au gré des environnements culturels de chaque époque.
- La seconde dimension examine les relations construites dans cette bipartition du genre et
met en évidence les caractères d’opposition attachés à chaque sexe. Il ne serait pas possible
d’être tantôt d’un type de caractère ou tantôt de l’autre, voire de disposer de deux traits de
caractères antagonistes à la fois puisque les caractères au sens d’attribut sont affectés selon
le sexe. Ceci nous conduit à une pensée pré-organisée imperceptible au sens d’une absence
d’interrogation, ou d’une absence de choix possible en situation ou dans les organisations.
Pour prendre des exemples concrets, cela oblige à opter « une fois pour toutes » avec
un modèle comportemental ou avec un axe de présentation de soi conforme aux
représentations en vigueur. Les exemples ainsi sexués les plus classiques dans le monde du
travail seraient les attitudes d’exécution, voire de soumission ou de rendre service du côté
des femmes et les attitudes de prise d’initiatives, d’opposition au sens de compétition
possible prises par les hommes.
De ce fait, les attitudes ainsi établies ont contribué et contribuent par la répétition à forger
un système relationnel comme norme de référence, norme d’usage que peu d’espaces ou
d’institutions proposent de discuter dans le feu de l’action comme dans des espaces réflexifs.
Un tel type de questionnement commence dans certains espaces de travail ou entreprises
qui se saisissent des questions de discriminations ou d'égalité professionnelle avec des
incidences réelles dans les organisations actuelles. Ici nous ne parlons pas de substitution
d’un cadre de pensée par un autre, nous pensons à la mise en œuvre d’un cadre réflexif sous
l’angle du genre. (NB : à ce titre l'expérience engagée avec les ABCD de l’égalité et les
48
réactions produites sont significatives des freins à l’œuvre et des ouvertures possibles par les
actrices et les acteurs concerné.e.s).
₋ La troisième piste d’analyse concerne explicitement l’axe des rapports de pouvoirs mis en
œuvre ou issus des assignations précédentes, qu’elles soient historiques, matérielles ou
symboliques. Le genre ainsi identifié, crée et institue une asymétrie ou une hiérarchie selon
les espaces entre les personnes au nom de leur sexe et avant toute autre forme de
catégorisation sociale. Quels que soient les courants de pensée retenus et leurs concepts,
qu’il s’agisse d’exploitation, de domination, de moindre valeur ou d’ordre hétérosexué, le
système de genre constitue un rapport de pouvoir en propre, plus ou moins incorporé par
chacun.e selon ses divers lieux d’appartenance. Ceci conduit à préciser les pratiques
présentes au sein d’autres rapports sociaux, eux-mêmes porteurs de rapports de pouvoirs.
- Ainsi une quatrième dimension, étudie les intersections entre des situations sociales
différentes mobilisant des constructions identitaires de sources multiples (classe, âge, race,
etc…). Cette dernière approche permet de nommer d'autres rapports de pouvoir,
notamment entre femmes et leurs effets cumulatifs comme leur pluralité selon les points de
vue situés. Pour exemple nous prenons la situation du service domestique au domicile.
L'organisation du domestique, héritée du 19ème siècle, a vu sa structuration perdre un pan
entier d'activité (la domesticité d'apparat) après la guerre de 14-18, en partie par le nonretour des hommes dans ces emplois et se poursuivre entre femmes, là où le domicile
présentait une responsabilité séparée mais conjointe (Fraisse, 2009). Cette partition était
déjà porteuse de la division sexuée du travail : la taxe pour l'emploi des domestiques (1920)
est le double pour les hommes de celle pour les femmes sauf à prouver que l'emploi d'Un
domestique est nécessaire pour une situation personnelle difficile, ce qui revient à le
déclasser dans la catégorie des tâches domestiques. Le service « surplus » apparenté au luxe
et principalement réalisé par des hommes (cocher-chauffeur, portier, maître d'hôtel)
disparaît, le service «nécessaire» indispensable est maintenu renforçant d'une part une
méconnaissance du travail produit et l'invisibilité du cadre de travail d'autre part.
La professionnalisation ainsi construite dans des duos de femmes peut aussi devenir
duel au sein d'une hiérarchie sociale. Les débats sur la reconnaissance professionnelle, le
49
souci de la valorisation de l'aide apportée se sont faits sans questionner les usages ou les
rôles, sans analyser les fondements des services rendus et ainsi répartis, ce qui nécessiterait
aujourd'hui un examen attentif dans une perspective démocratique.
Sur les bases ainsi présentées, cette première partie est centrée sur une analyse du
travail social tel que nous en héritons et tel qu'il est constitué, elle se décline en trois
chapitres.
Dans le premier chapitre, nous présentons les éléments rassemblés sur la période de genèse
du travail social, leur articulation avec l’État social et ce, dès leur construction respective.
Cette première interaction constitue la dimension historique de ce champ d'intervention et
vient montrer les attachements construits entre les deux pôles d'action. Elle inscrit cette
création dans la dynamique des mouvements sociaux qui constitue les sociétés modernes et
comme forme d'activité politique (Touraine, 1984).
Le second chapitre complète les premières compréhensions engagées par la sociohistoire du travail social en utilisant les apports des études de genre déjà produites à propos
de la question de l'exercice de la citoyenneté politique. C'est donc cette approche qui est
développée pour apporter une autre lecture des assemblages réalisés et éclairer la
dimension politique du travail social annoncée dans notre problématique. Cette politisation
que nous postulons est à rechercher dans « un désencastrement de pratiques et de
représentations jadis encapsulées dans d'autres activités sociales, pour obéir à des logiques
propres » (Della Sudda, 2013, p 409).
Le troisième chapitre examine l'actualité du champ professionnel à partir des
données statistiques du travail social. Il poursuit ainsi l'étude des logiques à l’œuvre dans la
division sexuée du travail et du politique. La référence à la division sexuée du travail et son
usage dans le langage courant comme dans cette recherche s'inscrit dans le champ des
études de genre que ce soit de manière explicite ou implicite. Ce faisant, il permet de tenir le
fil de cet « implicite qui place les hommes au centre des récits de la politisation » (Della
Sudda, 2013) et de revenir sur les dimensions collectives du travail social. Ces dimensions
passent par la professionnalisation comme facteur majeur des évolutions en termes de
normes et de cadres d'interventions.
50
Ces trois analyses constituent autant de points d'appui à notre projet de recherche
qui propose de lier perspective historique et construction socio-politique du travail social
dans des rapports sociaux de genre.
51
1. Travail social et État social, une configuration
simultanée
Le travail social renvoie à un secteur d'activités multiples et variées pour nos contemporains
et nous-mêmes, à une histoire encore partielle (Prost, 2004) dont nous avons retracé les
racines dans ce premier chapitre. De même, le terme d’État social abonde dans les
références ou les discours, sans que les liens entre ces deux notions soient forcément établis,
connus. Pour autant, leur émergence est simultanée et s'ancre sur un même faisceau de
conditions socio-historiques pour se concrétiser au début du XXème siècle.
Cette configuration simultanée que nous annonçons, engage une entrée dans la
situation proposée selon le modèle praxéologique des arènes publiques retenu par Cefaï
(1996). C'est dire que le problème que nous examinons est « construit, stabilisé, thématisé et
interprété dans des cadres et des trames de pertinences qui ont cours dans un horizon
d'interactions et d’inter-locutions » (Della Sudda, 2013, p 409). Ceci est aussi le moyen de
souligner notre propre participation à ce « faisceau de visées intentionnelles » qui réunit les
chercheur.e.s, les professionnel.le.s, les publics et autres actrices et acteurs de la situation
étudiée. Ces intentions, leur mise en mots, en récits constituent sa réalité et sa légitimité.
Elles autorisent la recherche d'une rétroactivité entre les contextes, les actrices et les acteurs
et les faits observés.
Au commencement de cette recherche, il est nécessaire de présenter le terme de
travail social dont l’usage courant aujourd’hui masque la diversité et la pluralité des histoires.
De prime abord, le travail social est un vocable commun et utile pour désigner un champ
d'activités et une multiplicité d'interventions qui ont à voir avec l'action publique. Si les
compréhensions et la terminologie mobilisée varient avec la diversité des actrices et acteurs,
il importe d'en rechercher les éléments de définition.
52
Du côté de la puissance publique et pour la Direction générale de la cohésion sociale
(DGCS) quatre grands domaines sont retenus pour décrire le travail social qualifié
d’appellation générique (DGCS, 2014, p 13) : l’aide et l’assistance, l’éducation spécialisée,
l’animation, l’accueil à domicile. C'est cette diversité des secteurs d’exercice qui confère au
terme générique une pluralité d’emplois et d’activités, allant des postes les moins voire pas
qualifiés à toute la palette des qualifications d’encadrements ou de recherche. Il se déploie
aussi dans une diversité d’institutions et en direction de publics ou de populations variées
qui parcourent les différents âges de la vie: accueil et soins aux jeunes enfants, protection de
l’enfance, aide aux personnes adultes dans des situations parentales, de sans-abris ou de
précarité ou encore de violences conjugales, accompagnement de situations liées au
vieillissement ou au handicap. Par ailleurs le panorama de ce champ professionnel ainsi
figuré, implique un croisement avec nombre de politiques publiques qui sont autant de
portes d’entrées des domaines cités. L’ensemble est donc loin de constituer un secteur
homogène et un groupe professionnel unique comme nous le verrons au fur et à mesure de
cette recherche.
Cette perception se retrouve dans les données chiffrées du secteur qui ont du mal à
conserver des unités de mesure à l’identique dans le temps. Ainsi en 2002, la Direction de la
recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) comptabilisait 600 000
travailleurs sociaux hors travail à domicile. En 2011, ce chiffre est porté à 1,2 million mais ne
comptabilise pas les animatrices et les animateurs sociaux et socioculturels (Marquier, 2014).
Cependant ce rapport ne fournit aucun élément de répartition femmes/hommes dans
chaque secteur ou emplois alors que la Direction de l'animation de la recherche, des études
et des statistiques (DARES) publie en 2013, un état des lieux de la « ségrégation
professionnelle » toujours actif et signale particulièrement l’impact du développement d’un
des secteurs du travail social : « la croissance des métiers d’aide à la personne et de la santé,
pour la plupart largement féminisés, a renforcé la ségrégation».
Du côté des professionnel.le.s, et des institutions du travail social, plusieurs
références ont cours. On peut ainsi commencer en citant la définition de l'ONU (1959) :
53
« Le travail social est une activité visant à aider à l’adaptation réciproque des
individus et de leur milieu social, cet objectif est atteint par l’utilisation de techniques
et de méthodes destinées à permettre aux individus, aux groupes, aux collectivités de
faire face à leurs besoins, de résoudre les problèmes que pose leur adaptation à une
société en évolution, grâce à une action coopérative, d’améliorer les conditions
économiques et sociales ».
La «globalisation» que donne à entendre le terme est aussi présente dans la
définition internationale adoptée lors de l'assemblée générale de Melbourne (2014) par
l'Association internationale des travailleurs sociaux (IASSW) :
« Le travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut
le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir et la
libération des personnes. Les principes de justice sociale, de droit de la personne, de
responsabilité sociale collective et de respect des diversités, sont au cœur du travail
social. Étayé par les théories du travail social, des sciences sociales, des sciences
humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes
et les structures à relever les défis de la vie et agit pour améliorer le bien-être de
tous ».
Cette orientation concerne « la prise en compte des personnes, de toutes les
personnes » sans discrimination dont la finalité est de participer pour faire société. L’énoncé
de cette nouvelle définition (la précédente datait de 2000), utilisée dans la présentation du
Plan d'action gouvernemental en faveur du travail social en France (octobre 2015) a été le
point de départ d'une définition « française » inscrite dans le Code de l'action sociale et des
familles (mai 2017) :
« Le travail social vise à permettre l'accès des personnes à l'ensemble des
droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine
citoyenneté. Dans un but d'émancipation, d'accès à l'autonomie, de protection et de
participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des
54
approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social
et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des
personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement. A cette fin, le travail
social regroupe un ensemble de pratiques professionnelles qui s'inscrit dans un
champ pluridisciplinaire et interdisciplinaire. Il s'appuie sur des principes éthiques et
déontologiques, sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur
les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs
issus de l'expérience des personnes bénéficiant d'un accompagnement social, cellesci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins. Il se fonde sur la
relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le
respect de la dignité de cette dernière. Le travail social s'exerce dans le cadre des
principes de solidarité, de justice sociale et prend en considération la diversité des
personnes bénéficiant d'un accompagnement social ».
Ces énoncés sont à compléter de formulations sur le travail social énoncé en d'autres
occasions et énonçant les obligations socio-politiques d’un tel travail. C'est ainsi que nous
avons retenu l'avis du Conseil Économique et Social. Celui-ci s'était autosaisi d'une question
sur les mutations du travail social et avait produit un rapport en 2000 resté d'actualité quant
à ses conclusions en justifiant ainsi sa communication :
« Cet avis a l’ambition d’éclairer les pouvoirs publics, les travailleurs sociaux,
mais aussi la collectivité tout entière, quant aux évolutions qui sont nécessaires au
travail social pour que chacun se voit reconnaître effectivement ce qu’il ne doit jamais
perdre : ses droits fondamentaux et son égale dignité de femme ou d’homme ».
Voici la formulation du travail social qu'il donnait en démarrage de ses propos :
« Le travail social a pour vocation première d’aider à ce qu’une personne, une
famille ou un groupe de personnes ait accès aux droits que la société lui confère et
crée ou recrée des liens sociaux. C’est à partir des attentes du bénéficiaire, de ses
problèmes, de la perception qu’il a de son propre devenir, de ses potentialités visibles
55
ou à faire émerger que doit se développer le travail social. Celui-ci devra lui permettre
de devenir l’acteur de sa relation avec la société et de la réappropriation de ses droits.
Cette affirmation est puissante de conséquences sur ce que doit devenir le travail
social et sur les efforts que doivent poursuivre pour certains, accomplir pour d’autres,
les décideurs et les intervenants sociaux. Les objectifs de l’action sociale doivent
s’articuler autour des aptitudes, motivations et besoins réels de la personne. Les
dispositifs doivent y répondre de façon pertinente. […] Toutes ces orientations sont,
par nature, antagonistes avec toute politique inspirée par une volonté de rétablir une
certaine forme de contrôle social. L’affirmation indispensable de ce principe, on le
voit, impose la détermination d’une démarche globale nouvelle et la mise en œuvre
d’adaptations profondes, dont une partie seulement est, pour l’heure, engagée ».
(CES, 2000, p 5-6)
Nous pouvons considérer que cet avis se retrouve décliné dans la loi dite loi 2002- 2,
du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale, article L 451-1 du code de l’action sociale et des
familles, voire qu’il l’a favorisée :
L'action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre
interministériel, l'autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale,
l'exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. Elle
repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous
les groupes sociaux, en particulier des personnes handicapées et des personnes
âgées, des personnes et des familles vulnérables, en situation de précarité ou de
pauvreté, et sur la mise à leur disposition de prestations en espèces ou en nature. Elle
est mise en œuvre par l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements
publics, les organismes de sécurité sociale, les associations ainsi que par les
institutions sociales et médico-sociales au sens de l'article L.311-1.
Cet ensemble de références permet de situer le cadre politique des interventions du
travail social, de rappeler les fondements qui motivent ces actions, d’indiquer les
orientations que cela implique en faveur des personnes ou des collectifs en vue de leur prise
56
en compte dans les différents domaines et aspects de la vie en société. Un certain nombre de
mots clés et de verbes d’action se dégagent de ces communications et servent à décliner les
attendus du côté des professionnel.le.s comme du côté des structures et de leur organisation
en termes de capacités, de moyens et de compétences. Les termes parlent d’adaptation
réciproque, de relation entre les personnes, d’action coopérative, de droits fondamentaux,
d’égale dignité des femmes et des hommes, d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de
démarche globale nouvelle, de principes, de connaissances/savoirs éprouvé.e.s. Les verbes
disent promouvoir le changement, agir pour améliorer le bien-être de tous, prévenir les
exclusions, corriger les effets, mettre en œuvre, exercer une pleine citoyenneté. Chaque
secteur d'action sociale ou médico-social est concerné sans oublier celui de la formation des
intervenant.e.s :
Les formations sociales contribuent à la qualification et à la promotion des
professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la lutte contre
les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la
perte d'autonomie, des handicaps ou des inadaptations, dans la prévention de la
prostitution et l'identification des situations de prostitution, de proxénétisme et de
traite des êtres humains et dans la promotion du droit au logement, de la cohésion
sociale et du développement social (article L 451-1).
Cette déclinaison se retrouve dans les différents niveaux de territoires et pour
exemple, voici ce que le site de la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la
cohésion sociale (DRJSCS) de la Guadeloupe mentionne à propos des métiers du social :
Les professionnels de l’action sociale ont à être engagés dans la lutte contre
les exclusions et contre la maltraitance, dans la prévention et la compensation de la
perte d’autonomie, des handicaps, des inadaptations, et dans la promotion de la
cohésion sociale et du développement social.
Cette succession de sources permet de montrer les appropriations nécessaires du
terme de travail social aux différents niveaux d'intervention, les ressorts et la déclinaison
57
dans des registres d'actions ou d'intentions entre actrices et acteurs différent.e.s au sein d'un
même ensemble sociétal. La lecture attentive souligne le caractère politique de chacun des
domaines de vie (individuel ou collectif) concerné en énonçant les parties prenantes de cette
action publique : État, collectivités territoriales, établissements publics, organismes de
sécurité sociale, associations, institutions sociales et médico-sociales. Mais c’est dans le
registre de la formation qu’est décliné en creux le mal-être de vies dans la société : les
exclusions, la maltraitance, la perte d’autonomie, les handicaps et les inadaptations, la
prostitution, la traite des humains. Ce qui dans le passé était recouvert par le terme de «
fléaux sociaux » et qu’aujourd’hui le terme de société inclusive tend à reconsidérer comme
nous le présentons au chapitre 5. Cette analyse textuelle autorise à signaler un premier écart
entre le périmètre « généralisant » de l’action publique ainsi énoncée et inscrite dans des
politiques publiques et la concrétude des situations identifiées, vécues par les personnes
concernées et celles qui les accompagnent dans les face à face du quotidien. Pour autant, cet
écart entre un idéal visé et le réel des vies est aussi ce qui englobe dans une indifférenciation
toutes les parties prenantes de cette action et qui les réunit dans une appartenance
collective.
D’autre part, la diversité d'actions et d'intervenant.e.s est une des constantes
principales du travail social. Elle peut s'expliquer par la diversité des besoins concourant à
l'égale dignité des femmes et des hommes, elle nécessite un approfondissement de ce qui a
constitué le point de départ de cet horizon commun de travail, elle contrarie une pensée
actuelle souvent dominante intellectuellement, qui vise à fixer des modèles, des répétitions
au sein d'une vision centralisatrice et gestionnaire. Nous avons donc recherché quelques
repères sur les différentes branches qui ont servi à constituer ce champ d’intervention pour
permettre cette compréhension et confirmer la diversité du secteur concerné par cette
recherche.
58
1.1. Les pionnières du travail social contemporain
A grands traits, il est important de nommer ces éléments d’histoire qui constituent
aujourd’hui la palette d’activités énoncée et un pan important de l’action publique. D’une
manière générale, la configuration du champ professionnel du travail social se fait au
lendemain de la seconde Guerre mondiale. Ce sont donc les filiations des actions sociales qui
précèdent que nous avons retenues et que nous présentons ici. Celles qui émergent tout au
long du XIXème et au début du XXème. Les autres viennent s’ajouter ensuite pour compléter,
diversifier ou développer de nouveaux groupes professionnels. Pour saisir cette histoire dans
sa diversité, nous nous sommes référés à Roger-Henri Guerrand et Marie-Antoinette Rupp
(1978), Emmanuel Jovelin (2008) et Henri Pascal (2014). Ce mouvement de création se
poursuit encore aujourd’hui et l’on peut prendre pour exemple récent, celui des auxiliaires
de vie scolaire (AVS) qui se sont mis.e.s en place avec la reprise de la scolarisation
généralisée en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap (2015).
Le premier corps professionnel que nous pouvons citer est celui des éducatrices et
éducateurs de jeunes enfants issu de l’invention des jardins d’enfants importée d’Allemagne.
Cette pratique à la fois sociale et éducative s’inscrit dans le développement des sciences
expérimentales et de l’observation comme méthode scientifique, elle s’intéresse aux
premières années du développement de l’enfant. Ensuite viennent les conseillères en
économie sociale familiale dont on peut dire qu’elles se développent sur la même période
avec le courant des médecins hygiénistes et cible l’éducation des jeunes filles. Par un
enseignement ménager spécialement dédié, il s’agit de divulguer au sein des foyers la vision
positiviste de la science, d’intervenir par la science pour le progrès social. Le troisième et
dernier groupe professionnel à apparaître sur la période, est celui des travailleuses sociales
avec la transposition de l’exemple des settlements en Angleterre. Ces premières
professionnelles ambitionnent d’intervenir sur la question sociale au sein des quartiers
ouvriers à partir de résidences sociales. Simultanément, plusieurs formes vont se déployer en
lien avec des écoles de formation « d'assistance sociale» développant chacune une mise en
œuvre spécifique : visiteuses, travailleuses sociales, résidentes. Leur regroupement est à
59
l’origine de la création des assistantes sociales et de la terminologie devenue prépondérante
de «travail social» après la seconde guerre mondiale.
1.1.1. Les jardinières d'enfants
Cette appellation est issue des travaux d'un pédagogue allemand, Friedrich Fröbel (17821852), connu comme le premier concepteur d'une méthode d'éveil et de développement des
jeunes enfants à partir de soins « savants » portés aux enfants par des mères dont la
qualification doit dépasser l'intuition dont il s'est lui-même inspiré. A partir de nombreuses
observations des interactions entre mère et enfant, il a formulé les capacités propres du
jeune enfant en matière de découverte, de créativité et d'expérimentation. Ce potentiel
identifié lui a permis de formuler une proposition pour une éducation avertie, favorable au
développement des capacités des jeunes enfants introduisant la théorie du jeu comme
méthode d'apprentissage. On lui doit la conception des jardins d'enfants comme lieu
intermédiaire entre la sphère privée des familles et la sphère publique des écoles, les
kindergarten. Cette proposition élaborée en Allemagne dans l'effervescence des années 1840
cible les femmes, principales responsables de l'éducation des jeunes enfants avant l'école.
Pour autant sa compréhension de l'éveil du jeune enfant lui fait cibler (sans succès) au-delà
des éducatrices, instituteurs et institutrices. Cette méthode va se diffuser en France, auprès
du public féminin, par l'intermédiaire des salons où se rejoignent jeunes femmes et femmes
de l'aristocratie ou de la bourgeoisie qui s'intéressent aux idées nouvelles de leur temps.
Signalons ici sur la base des études actuelles croisant genre et socio-histoire, que ces salons à
dominante féminine sont dans la société de l'époque, des lieux d'accès et de diffusion des
savoirs, des lieux de débats équivalents des clubs masculins, et ont joué un rôle important
dans « l'éducation collective » des femmes à la vie publique et politique (Della Sudda, 2013).
C'est ainsi que plusieurs sources relatent les initiatives engagées autour de la première
enfance. Au sein de la fondation de l'Union familiale de Charonne située à Paris dans le
11ème créée par Marie Gahéry (dont nous reparlerons plus loin) et le Marquis de
Beauregard, la création d'une garderie à l'attention des enfants de 3-6 ans est considérée
comme le 1er jardin d'enfants selon la méthode Fröbel en 1908 (Le Capitaine, Karpowick,
60
2014). La même année, c'est une autre œuvre dirigée par l'Abbé Viollet sous le nom de
Moulin vert à Paris qui implante un jardin d'enfants confié à Émilie Brandt, diplômée de la
Pestalozzi-Fröbel Haus de Berlin. Des initiatives similaires vont se développer en d'autres
lieux du territoire français (Alsace avec le collège Lucie Berger de Strasbourg, Haute Marne à
Thivet), une association -l'Union Fröbelienne française- se crée en 1910 sous l'impulsion
d'Adèle Fanta. Toutes ces initiatives mêlent plusieurs logiques : l'attention aux idées neuves
(en pédagogie, et avec la naissance de la psychologie), la sensibilisation par des autorités
publiques (les salons comme diffusion des savoirs scientifiques, exemple pour la méthode
Fröbel), leur appropriation par des femmes « responsables » de l'éducation première des
enfants, le tout mêlant assignation au rôle féminin et occasion d'émancipation et
d'autonomie.
En effet, les orientations de Friedrich Fröbel sont claires, tout en s'adressant aux
femmes et à leurs responsabilités premières (la charge d'éduquer les jeunes enfants), il s'agit
de les professionnaliser, d'apprendre le geste juste et à propos et pour cela apprendre à
observer et acquérir des savoirs nécessaires (sciences naturelles - mathématiques, arts). En
cela, il va trouver un écho auprès de la population féminine de son entourage qui saura se
saisir de cette opportunité de qualification et d'accès à une activité indépendante valorisée
et valorisable puisque relevant des attributions sociales de leur temps. En même temps, il
déclenche un mouvement d'opposition à ses idées nouvelles dans son pays en venant
rompre le monopole de l'éducation des maîtres d'école, profession principalement
masculine.
En France, plusieurs tendances vont se croiser et s'opposer ou se rejoindre: le refus
d'intégrer ce courant éducatif dans « les maternelles » naissantes au nom d'un esprit
patriotique et d'un rejet de la logique allemande; le développement des jardins d'enfants en
premier lieu comme outil d'éducation populaire et sociale dans les quartiers ouvriers; des
jardins d'enfants comme étape préscolaire au sein d'établissements publics ou privés
s'adressant à un public plutôt privilégié (Le Capitaine, Karpowick, 2014 p 39). Ces deux
derniers types de jardins d'enfants vont se réunir, tout au moins s'associer en matière de
61
conception pédagogique et de volonté de se démarquer du modèle scolaire pour développer
une journée de l'enfant selon le modèle Fröbelien et pour développer la formation de
jardinières d'enfants. Celle-ci ne sera considérée et reprise par la puissance publique qu'au
lendemain de la seconde guerre mondiale (novembre 1945) pour devenir en 1973 diplôme
d’État d'éducatrice-éducateur de jeunes enfants (EJE).
1.1.2. Les monitrices d’enseignement ménager
Historiquement, le métier de conseillère d’enseignement ménager peut remonter à l’Ancien
Régime et aux premiers enseignements ménagers, c'est-à-dire aux apprentissages pour tenir
une maison, voire une maisonnée, destinés aux jeunes filles nobles sans fortune. La
transformation du terme et des orientations se fera sous deux impulsions, la reconnaissance
post-révolution française d’un droit aux secours publics inscrite dans la Constitution française
de 1791 : « Il sera créé et organisé un établissement général de Secours publics, pour élever
les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres
valides qui n’auraient pu s’en procurer », et l’enseignement de savoirs scientifiques pour
permettre l’éducation des familles et des ménages aux bienfaits du progrès selon la vision
positiviste du XIXème. Le contexte culturel et politique est alors fortement attaché aux vertus
de la scolarisation et l’accès aux savoirs fait partie de l’idéal démocratique (Souriac, 1996).
Après l’initiative de quelques villes pionnières du Nord de la France (Tourcoing,
Carvin, Lens) financées par la Société des Mines, la première école d'enseignement ménager
est ouverte à Reims en 1873 par Amélie Doyen-Doublié avant d’être inscrit dans les
programmes d’enseignement primaire des filles sous le vocable d’économie domestique
(Remondière, Rougagnou, Refalo, 2011). Si l’enseignement ménager comme savoir technique
et moral de la vie quotidienne cible les filles et les jeunes filles, « futures mères de famille »,
il s’agit bien comme le précise sa créatrice de permettre le développement de l’éducation des
femmes « des classes laborieuses » comme son testament en porte la mention. La dotation
qu’elle fait à la ville de Reims doit servir pour organiser un prix récompensant la meilleure
auteure « d’un traité d’une femme laïque, à vulgariser dans les classes laborieuses les
62
préceptes de l’économie domestique et de l’accomplissement des devoirs familiaux». Cette
intention est particulièrement retracée par Sandrine Roll dans son article intitulé Former les
mères de demain : le projet d’Anna Thieck, une participante au concours Doyen-Doublié de
1899. L'éducation ménagère est l’objet d’une attention constante dans tous les traités
d’instruction de la période, « leur originalité est contenue dans l'affirmation que la science
du ménage ne s'apprend pas toute seule, qu'elle n'est pas innée chez la femme» (Roll, 2009,
p 153).
Les promotrices de cet enseignement domestique en font un « instrument en faveur
de l’autonomie des femmes » (p 155) où celles-ci tout en glorifiant leur rôle de mère et la
responsabilité qui lui est attachée, « peuvent acquérir les moyens d’une vie
économiquement et intellectuellement autonome » (p 167).
Le paradoxe de l'éducation ménagère est aussi souligné par d'autres auteur.e.s. Ainsi
selon François Aballéa, Isabelle Benjamin et François Ménard (2003), les savoirs techniques
constitués tout au long du XIXème et particulièrement au début du XXème, sont reconnus
comme devant faire « l'objet d'un apprentissage tout comme le font les règles de l'art des
métiers industriels ou artisanaux, […] ce corps de doctrine du domestique renvoie
historiquement à l'aristocratie et à la bourgeoisie mais se développe à destination des classes
laborieuses, qu'elles soient ouvrières et urbaines, ou agricoles et rurales… dans le contexte
du capitalisme naissant » pour un maintien en bonne santé des forces de travail. Pour autant,
le travail d'historienne de Sandrine Roll sur l'enseignement ménager met en évidence des
engagements de femmes « sur la place des femmes dans les sphères professionnelles et
publiques, [qui] contribuent à la définition des pratiques sociales et des normes de genre » .
Elle tente ainsi « de montrer de quelle manière des femmes peuvent faire évoluer les normes
de genre tout en étant productrices de ces mêmes normes ».
Une autre figure féminine en faveur de cet enseignement toujours dans le tournant
de ce début du XXème siècle est à citer, la pédagogue Augusta Moll-Weiss (1863-1946) qui
en 1904, après une première expérience à Bordeaux, fonde l’École des mères, rue
Miromesnil à Paris (8ème arr.) Sandrine Roll indique dans son étude « comment une femme,
63
en transférant les prérogatives privées dans la sphère publique, réussit à s’impliquer comme
agente de changements politiques » et comment la pensée « des promotrices de cet
enseignement est souvent éloignée de la conception qu’en ont les contemporains
familialistes et moralisateurs ». Si, Augusta Moll-Weiss la directrice de l’École des mères
partage en partie cette conception, estimant que l’enseignement ménager scientifique et
rationnel permettra de préserver l’ordre social, elle ajoute une dimension personnelle en
déclarant qu’elle n’envisage pas de former uniquement des « fées du logis ».
Elle cherche davantage à renouveler la manière de concevoir les activités ménagères,
en souhaitant que les élèves apprennent des méthodes pour gérer et rationaliser leur travail
domestique. Son objectif est de lutter contre l’enfermement de la « femme dans un ‘pot-aufeu’ » en œuvrant pour une professionnalisation des tâches ménagères et maternelles.
L’enseignement ménager est également pour elle une façon d’obtenir une plus grande
reconnaissance du rôle de la « femme moderne ». L’École des mères sert de première étape
à l’activité sociale de la femme. Il ne s’agit pas ici de charité, ni même de philanthropie, mais
bien plus de réformes qui impliquent connaissance, culture et responsabilité. Dans ce cadre,
l’une des principales cibles de ses interventions est « l’enfance handicapée », dont l’étude est
intégrée dans les programmes à partir de 1908. L’enseignement professé aux jeunes filles
intéressées se distingue par sa modernité. Les élèves suivent un programme d’études
médico-pédagogiques établi par les médecins, promoteurs de l’éducation nouvelle, Jean
Philippe et Paul Boncourt, et visitent des cliniques. À cette première approche de la
puériculture, Augusta Moll-Weiss adjoint quelques leçons de droit».
En conclusion, Sandrine Roll indique comment cette instruction fait sortir les activités
du « souci des autres » du domaine exclusif du privé et confère à ces tâches une
reconnaissance sociale et professionnelle. Ainsi, les filles qui ont suivi les enseignements
d’Augusta Moll-Weiss et qui ont appris à devenir des « monitrices sociales » acquièrent-elles
un accès à la citoyenneté sociale et économique ». Par ces différentes orientations, cette
deuxième
«
filière
»
de
professionnalisation
s'énonce
comme
une
première
professionnalisation de la question sociale et des femmes sur le territoire national.
64
Ces quelques références permettent de souligner la similitude des démarches initiales
dans le même contexte socio-historique : s'engager dans les débats publics et prendre part,
par la construction de savoirs liés aux savoirs scientifiques émergents, ouvrir des voies de
professionnalisation permettant une émancipation des femmes plus ou moins affirmée de la
sphère privée à la sphère publique. Ici le premier diplôme, monitrice d'enseignement
ménager, valorisant cet enseignement sera créé en 1942, suivi en 1960 de la création du BTS
de conseillère ménagère, pour aboutir en 1973 au diplôme de conseiller.ère en économie
familiale sociale.
1.1.3. Les travailleuses sociales
Cette troisième branche initiale d'action sociale trouve ses fondements historiques dans les «
Maisons sociales » (1899-1909), situées à l'aube des années 1900 entre l'Œuvre sociale de
Popincourt (1894-1898) avec Marie Gahéry et le Marquis de Beauregard inspirée des
settlements anglo-saxons et les résidences sociales (1910-1945) développées par MarieJeanne Bassot. Une continuité entre les trois structures initiales a été mise à jour par Jacques
Eloy (2012) et après consultation des archives, nous l'avons adoptée à notre tour. Cette
consultation des archives des pionnières et la littérature déjà produite sur le sujet
permettent de mettre l'accent sur la méthode et les hypothèses de travail expérimentées
dans chaque maison sociale.
La méthode retenue par les résidentes, travailleuses sociales, consiste à apporter par
l'action, la preuve d'une conception nouvelle d'une intervention, elle-même transformatrice
des liens sociaux. Les hypothèses de cette transformation et de sa faisabilité sont clairement
énoncées dans différents interviews et documents d'archives des sources consultées : la
proximité permanente avec les personnes concernées, l'utilisation et la diffusion des savoirs
scientifiques, la considération et le respect du point de vue des personnes aidées, la
perméabilité des classes sociales. Sur la base d'une proximité créée avec les familles, leur
cadre de vie, leurs charges, une diversité d'actions simultanées sont mobilisées et
constituent un programme d'intervention : permanences de « secrétariat du peuple »,
65
garderies périscolaires et aide aux devoirs, consultations médicales, bureaux de placements,
conférences populaires sur les bases « d'une éducation nouvelle », cours d’instruction
ménagère, mais aussi cours variés de solfège, de couture, d'anglais, et des visites, des
démarches, l'animation de cercles, de causeries, d'après-midi récréatives. « Il y a aussi l’abri
temporaire pour les enfants des faubourgs dont les mères sont hospitalisées, un sanatorium
pour enfants à Salies de Béarn, une école ménagère à Bolbec, une blanchisserie à Clichy, un
orphelinat à Saint Servan » (ANNALES, Musée Social, janvier 1906).
Cette énumération résume l'entreprise d'une façon opérationnelle. Il s'agit
d'organiser un développement du quartier par un accès aux savoirs, aux capacités
disponibles en dehors du quartier qui rend possible leur appropriation tout en respectant le
point de départ des familles :
« La Maison sociale ne croit pas être arrivée à son plein développement ; elle
estime même l'avoir à peine commencé, et chacun de ses pas en avant lui permet de
découvrir une nouvelle et vaste étendue du champ à féconder par cette merveilleuse action
de présence qu'elle a faite sienne. Dans l'ordre moral, la confiance inspirée aux masses par
l'élite, d'où qu'elle vienne et quelle que soit son origine, d'une part, la connaissance
réciproque des individus et des milieux, de l'autre, sont les bases sur lesquelles, solidement
appuyée, elle peut agir avec une efficacité toujours plus grande. Dans l'ordre social, elle
répandra tout d'abord l'esprit d'association, le sentiment des groupements nécessaires à
toutes les institutions mutualistes, syndicales ou coopératives. Dans l'ordre économique, elle
se propose d'étendre ses essais d'éducation professionnelle et d'organisation du travail. Les
maisons de famille et les habitations populaires sont aussi au premier rang de ses
préoccupations. La « Maison sociale » sera ainsi de plus en plus le foyer commun de l'ouvrier,
non pas pour amoindrir les foyers familiaux, mais au contraire pour donner à leurs éléments
une cohésion plus forte en les associant à une même vie intellectuelle et morale ». (Annales
du Musée Social, janvier 1906)
66
Cette formulation et ses objectifs sont ceux, dans les termes de leur temps, d'une
recherche d'un égal développement humain et d'un accès aux savoirs de tous dans une
conception démocratique. La question de l’élite, source de la connaissance est bien la
caractéristique de l’époque quel que soit le domaine d'activité, tant dans sa version
philosophique que politique et culturelle. Pour autant l'objectif est celui d’un accès aux
savoirs par l’éducation pour permettre l’intelligence des choix, la compréhension des
situations et leur transformation, comme nous l'avons rappelé pour les deux précédentes
branches initiales du travail social. Cette orientation s'affirme à une période où la diffusion
des savoirs et la généralisation de l’école à tous et à toutes et surtout l’accès à
l’enseignement supérieur n’est pas encore une égale possibilité pour tous et toutes.
Dans cette création, un autre élément de transformation du cadre dominant est
présent. Celui de la distance prise par ces femmes vis à vis de la charité religieuse pour
s’engager dans la charité laïque, c'est-à-dire sans objectif confessionnel ce qui n’exclut pas la
liberté de religion. Pour Apolline De Gourlet,
« Dans les quartiers pauvres, habités presque exclusivement par la classe
ouvrière, où le riche ne pénètre qu'à l'état de patron considéré comme antagoniste, pour ne
pas dire plus, où l'action intellectuelle ne se fait jamais sentir aux adultes et l'action morale à
ceux-là seulement que soucient les questions confessionnelles, la « Maison sociale » installe
des centres de résidence ».
La Présidente, Madame la Baronne de Piérard, présente « la Maison Sociale » comme
indépendante de tout groupement politique ou religieux ». Mademoiselle Le Fer de la Motte
à qui il est fait le reproche de « l'absence du Décalogue comme base de la Maison Sociale »,
répond :
« Si la Maison Sociale était une œuvre d'enseignement, elle serait
effectivement répréhensible d'ignorer le Décalogue. Mais elle se cantonne dans les choses
d'ordre matériel. Elle peut même, étant donné la grande variété de ses membres, être un
terrain de rencontre pour ceux qui ignorent le Décalogue et pour ceux qui le vivent ».
67
Ainsi, ces initiatrices affirment leur inscription dans la laïcisation de la question
sociale environnante, privilégiant (au-delà de leurs convictions religieuses) un engagement
de citoyennes responsables dans un environnement démocrate et républicain. Cet
engagement que nous examinons en deuxième partie de recherche est une caractéristique
de ces personnalités capables d'ouvrir de nouvelles voies et de nouvelles pratiques.
Cette dernière création est d'emblée une action sociale globale, signalée comme telle
par différents auteurs (Guerrand, Rupp, 1978 ; Eloy, 2012 ; Pascal, 2014). En effet comme les
autres engagements d'action sociale, celle-ci cherche à transformer les situations, les
problèmes en s'attaquant aux sources des difficultés pour les comprendre, en modifier les
causes. De plus ce projet d'intervention est déterminé à agir sur les différentes facettes d'une
vie sociale prenant pour pilier le système familial. C'est à ce titre qu'il est reconnu comme un
élément fondateur majeur de la pensée du travail social et de ses différentes interventions.
Pour autant ce courant promoteur de plusieurs écoles de formation « d'action sociale » qui
ont perduré jusqu'à aujourd’hui devra attendre 1932 - et donc bien après les infirmières
visiteuses en 1922 - pour obtenir l'institutionnalisation du diplôme d'assistante sociale
(Jovelin, 2008 ; Pascal, 2014).
En conclusion de cette présentation de chacune des branches initiales du travail
social, soulignons la convergence des démarches. Chaque développement s'appuie sur une
théorie pour fonder et promouvoir l'action entreprise et engage simultanément un processus
de formation pour « faire du social » : la théorie du jeu pour la méthode fröbelienne et les
jardinières d'enfants, l'apprentissage de savoirs techniques et scientifiques pour l'économie
domestique, la théorie de la proximité par la résidence pour les travailleuses sociales. Ces
initiatives sont portées ou portent principalement sur les femmes, à ce titre il est nécessaire
de réexaminer les compréhensions, les fonctionnements étudiés à partir du concept de
genre et de son historicité (Bereni, Revillard, 2012 ; Marquès Pereira, 2003) pour étudier
comment un mouvement de femmes en contexte, c'est-à-dire y compris dominé ou
subordonné, arrive à construire, innover, échapper aux cadres établis, et à quel prix ? Ceci
68
constitue une nouvelle écriture et conduit à une autre représentation de la participation
dans l’Histoire. Cela nécessite de regarder simultanément, les organisations, les
combinaisons, les reconfigurations qui surgissent du côté des structures qui portent
l’agencement social et son renouvellement. La difficulté dans cet exercice étant de ne pas
recouvrir d’un savoir dominant contemporain les pensées et faits du passé ou celles des
pratiques actuelles. Pour ce faire, nous garderons en tête le terme de « pionnières » données
à ces actrices par les précédentes recherches sur la partie historique (Durand, Marec, 2004 ;
Fayet Scribe, 1994), terme qui vient dire la nouveauté des gestes, des pratiques là où une
ségrégation pré-existe au sens de ségrégation professionnelle ou sexe des métiers utilisés
dans la terminologie contemporaine.
Pour sa part, Christine Rater-Garcette insiste sur le moment de la séparation de
l'Église et de l’État (1905) comme étape déterminante pour la mise en route d'un courant de
professionnalisation du travail social (Rater-Garcette, 1996). Cette auteure montre comment
les femmes ont investi ce champ pour théoriser et définir elles-mêmes une action sociale
issue à la fois de la doctrine sociale de l'Église catholique et de l'action syndicale. Cette
approche est confirmée par d'autres études sur le sujet montrant le caractère hermétique du
mouvement ouvrier à l'égard des femmes (Diedolt- Fouché, 2003). Ces auteures soulignent
de leur côté dans le cadre des travaux de commémoration du centenaire de la loi 1901,
comment cette institutionnalisation du droit d'association fut l'occasion :
« pour les femmes d'exister en tant que citoyennes désireuses de faire
entendre leurs voix et leurs positions sur le changement social à une époque où elles
n'avaient pas les droits civiques. Leur présence dans les associations - dont elles sont
souvent les fondatrices- leur a permis de sortir de la sphère privée pour entrer dans
la sphère publique. Les femmes ont utilisé l'association comme une passerelle entre
ces deux mondes très compartimentés » (Diebolt E., Fouche N., 2003, p 47-48).
La présentation de l'action des pionnières d'un social « public » est le point de départ
de notre sujet et sera poursuivi au fur et à mesure des développements de la recherche.
Cette première étape éclaire leurs initiatives sous l'angle de l'innovation conceptuelle et sous
69
l'angle de leur engagement dans les débats et savoirs des élites. Elle implique maintenant
une présentation de l’État social comme institution indissociable de cette socio-histoire pour
saisir les croisements ou les imbrications avant d'en comprendre les effets du point de vue de
l'action citoyenne initiale.
Pour la suite de cette recherche, nous retenons comme référence principale l'action
des travailleuses sociales et des maisons sociales en raison du caractère généraliste signalé
qui inclut les garderies de jeunes enfants selon les méthodes nouvelles, l'enseignement
ménager des filles comme les services aux adultes des familles.
1.2. L’État social, quelle invention ?
Les premiers éléments de structuration d’un travail social au sein des quartiers ouvriers de la
capitale constituent le panorama initial de cette création auquel est associée celle de l’État
social. Cette émergence est examinée à son tour comme l'organe structurant des relations
entre des individus par un droit « commun ». L'État social est à la fois une forme
d'institutionnalisation du cadre démocratique et l'instrument d'un dialogue entre la société
et sa gouvernance. « A l'âge des nations, le politique remplace le principe religieux ou
dynastique pour unir les hommes. Dans toute nation démocratique, le politique institue le
social » (Schnapper, 1994). C’est ainsi que l’État social est une orientation au sein des États
nations. Pour la France, elle résulte d'une institutionnalisation de la solidarité à la fin du
XIXème siècle. Cette transformation est le fruit d’un long travail tout au long du XIXème qui
veut poursuivre et reprendre le compromis sociopolitique de la révolution française avec les
effets des deux périodes d’industrialisation (Pigenet, Tartakowsky, 2012). Cette réactivation
peut se formuler autour de deux axes :
- 1789 : le temps de la déclaration des droits de l'Homme, c'est le pacte républicain
libéral qui institue le respect de la petite propriété paysanne, artisanale, commerciale ;
70
- 1848 : la question posée dite question sociale concerne le droit au travail des
ouvriers qui doit compléter les droits de l'Homme.
Nous sommes là face à un enjeu sociopolitique où la recherche de la paix sociale
passe par la lutte contre la misère. Tout le monde discute de cet impossible : « trouver les
éléments de fondations entre des individus reconnus libres et égaux en droits et la réalité
d’une appartenance collective en société» comme l’explique Marie Claude Blais (2007, p 7595), ce qui prendra forme sous le nom de lien social. Sur cette même période qui a vu
émerger les figures et les lignes d’action d’un futur travail social, un mouvement anime
particulièrement la société française : « Confrontés aux bouleversements et aux tensions qui,
irréductibles aux clivages politiques, contribuent néanmoins à les attiser, les contemporains
s'interrogent sur les conditions du « vivre ensemble » et de la cohésion nationale » (Pigenet,
Tartakowsky, 2012, p. 192). Cette recherche commune est aussi signalée par Robert Durand
(2004, p 15) : « Partout des hommes et des femmes réfléchissent, imaginent, débattent,
écrivent : les idées et les problématiques se renouvellent ». Concrètement, il faut agir sur les
effets de la seconde industrialisation où « l’intérêt de quelques-uns se révèle en
contradiction avec l’amélioration du sort du plus grand nombre », c'est-à-dire sur les
conditions de vie des ouvriers et ouvrières, des enfants et établir un « rééquilibrage pacifié
de l'asymétrie dont pâtissent les salariés face à leurs employeurs » (Pigenet, Tartakowsky,
2012, p 184). C’est ainsi que se construit la notion de solidarité retenue en introduction dans
notre problématique.
Des travaux des auteurs précités (Blais, Pigenet, Tartakowsky), nous avons retenu trois
éléments qui vont converger dans l’émergence de l’État social, pour guider la compréhension
des sources consultées sur le travail social de cette période. Deux sont plus particulièrement
mis en évidence par Marie Claude Blais (2007, p 12-13). Il s’agit premièrement de la volonté
initiale de Pierre Leroux très représentative du contexte : « la notion de solidarité comme
substitut moderne de la charité chrétienne », deuxièmement du développement de l'idée de
solidarité qui s'effectue aux carrefours de deux processus présidant à la formation des
sciences sociales : « la transposition séculière des idées religieuses et l'appropriation
71
spéculative des idées scientifiques ». Ce second point concernant la formation des sciences
sociales est important aussi du point de vue de la structuration de ce deuxième champ sur
laquelle nous reviendrons ultérieurement avec les apports de Alice Le Goff (2013) et de
Hélène Charron (2010) en matière de structuration par le genre. Retenons simplement à cet
endroit que les deux champs émergent simultanément.
Le troisième élément est celui d'une toile de fond formulée par Michel Pigenet et
Danièle Tartakowsky. Au prix d'une succession d’engagements politiques, la IIIe République
- en son temps - a fait la preuve de sa capacité à établir et maintenir l'ordre, la paix sociale,
souhaitée comme horizon commun. C'est l'objectif par exemple de la loi de 1884 autorisant
et encadrant l'activité syndicale. La mise en œuvre de ce droit permet de conserver
l'orientation libérale de la République face aux poussées socialistes marxistes. Sur l'ensemble
du territoire national, l’action politique gouvernementale installe une pacification de la
participation populaire issue de la Révolution.
Pour autant les oppositions politiques existantes sont fortes entre une ligne de clivage
(mais pas de partage) autour des combats pour la laïcité qui renvoie à la liberté religieuse et
instaure un gouvernement des sujets/des personnes en dehors de toute autorité ou
conviction religieuse et les modèles divergent. Le contexte politique dans son ensemble voit
s’installer progressivement une césure entre « cadres républicains » et mouvements
populaires ou émeutes porteurs/porteuses d'un volontarisme politique liant différentes
composantes émancipatrices. Selon Michel Pigenet et Danielle Tartakowsky (2012, p.182),
deux conceptions s'affrontent au sein du camp républicain :
- pour les uns, « Les restrictions posées à l'action politique collective renvoient aux
certitudes dominantes selon lesquelles le suffrage universel et les libertés élémentaires
reconnues fondent l'unique cadre acceptable, et par suite légal, d'expressions d'opinions que
seuls des citoyens indépendants et éclairés seraient aptes à formuler » ;
- pour les autres, « Une autre tradition, héritée de la sans-culotterie et remise au goût
du jour par la Commune, érige la démocratie directe et le mandat impératif au rang
d'alternative institutionnelle. Accordée aux idéaux et aux pratiques associationnistes de
72
nombreux ouvriers et artisans parisiens, cette dernière séduit de larges pans du radicalisme.
[…], l'un de ses principaux atouts tient à sa compatibilité avec les mobilisations collectives,
vecteurs et partenaires de l'initiative politique ».
Dans ce contexte, soulignons que les dimensions du « politique » et du « social » ne
sont pas encore séparées, les deux sont pensées et liées dans les mouvements collectifs dits
« populaires » (et non « sociaux » dans le parler d'aujourd’hui). C'est petit à petit que le
processus libéral de construction du social va se mettre en place et borner pour un temps le
social à la sphère du travail.
Ainsi l'installation de la IIIème République se stabilise politiquement en canalisant les
mobilisations sociales par des lois démocratiques tout au long des années 1880 : éducation
scolaire - liberté de la presse, de réunions publiques (dans un local clos et couvert) reconnaissance légale des syndicats professionnels. Cette ligne politique signe la fin des
barricades, installe la république parlementaire et prépare de nouvelles pratiques « les
stratégies électorales » ( Pigenet, Tartakowsky, 2012).
Ce souhait, ce besoin de pacification « fraternelle » est une dimension de la question
commune même si les formulations sont diverses. Les propos rapportés par Paul Acker
(1907, p. 419), journaliste à la Revue des Deux Mondes, de l’une des pionnières du travail
social, Marie Gahéry précédemment citée, vont dans le même sens illustrant cette intention
volontaire :
« Je suis arrivée à Paris en 1887, j'étais originaire de Normandie et d'une
famille universitaire. J'avais une nature très indépendante, j'ai beaucoup travaillé et
beaucoup voyagé. Les attentats anarchistes qui se produisirent alors jetèrent en mon esprit
un grand trouble… J'étais pleine d'horreur pour les misérables qui les avaient commis et
cependant je ne pouvais m'empêcher d'admirer le mépris qu'ils avaient de leur existence.
Elevés autrement, n'auraient-ils pas employé la même énergie pour le bien ? […] Ainsi ce
furent les anarchistes qui éveillèrent en moi le sens social. [...] Toutefois je pensais qu'on ne
pouvait rien faire, si l'on ne vivait pas au milieu du peuple de sa vie même ».
73
Rappelons dans ce contexte que l’absence de droits politiques est la règle pour les
femmes et donc le suffrage universel auquel il est fait référence, ne les concerne pas. Ce qui
n’empêche pas leur intervention dans l’espace public comme ce fut le cas pour les
travailleuses sociales, intervention qualifiée par Évelyne Diebold (1999, p.13) de « jeu subtil »
à partir des associations vis-à-vis « des pouvoirs structurés ». C’est donc sur ce fond
profondément politique que s’édifie la conception d’un État social d’abord nommé et pensé
comme État Providence. D’inspiration anglo-saxonne (Welfare State), l’État Providence est
conçu comme celui qui pourvoit au bien-être de chacun comme Etat protecteur
(Rosanvallon, 1981).
Deux courants de pensée ont étayé la conception d’un État social : l’un politique, c’est
le solidarisme de Léon Bourgeois, l’autre scientifique, c’est la méthode sociologique par
Émile Durkheim. Chacun apporte des réponses en matière de rôle et conception de l’État, ils
constituent les bases de son institutionnalisation aujourd'hui profondément discutée.
Dans le contexte et les débats rappelés, Léon Bourgeois (1851-1925), juriste,
politicien et démocrate libéral, courant des radicaux, fait face à deux courants de pensée :
premièrement résister à la doctrine naissante du socialisme marxiste (lutte conflictuelle des
classes sociales) en proposant une alternative sous la forme « d'une union démocratique
sociale » et tout aussi clairement se démarquer de la doctrine religieuse jugée obscurantiste
ou dogmatique. Il propose la construction d'un État social, c'est-à-dire la mise en place d'une
fonction de régulateur et de garant de la solidarité entre des individus égaux en droits
sociaux bien qu'héritiers de liens inégaux. En cela, il s’inscrit dans la lignée de la pensée
positiviste du siècle (expliquer et résoudre les problèmes par les sciences) et par cet appui
sur les sciences, il lui est possible d'expliquer la solidarité par le principe d'une loi naturelle
qui préexiste à la condition humaine, qu'il appartiendra d'explorer, d'étudier et d'analyser
pour en comprendre les mécanismes/les effets mais ultérieurement. Conclure à la solidarité
comme nécessité, c'est la loi naturelle d'interdépendance. Dans cette perspective, « les
droits » des individus sont émancipateurs et précèdent « leurs devoirs ». Léon Bourgeois se
démarque ici d’Auguste Comte qui défendait la primeur des devoirs des individus sur les
droits et s’affranchit de cet héritage. Le vecteur de la solidarité selon Bourgeois, c’est
74
l'association entre les personnes : « concours et coordinations des forces » dans des actes
réfléchis et volontaires. Léon Bourgeois veut soutenir la conscience moderne volontaire dans
la réalisation de l'idée de justice, se référant pour cela « au fait de l'acte libre » de Kant. Sa
vision est celle de porter une réponse politique à la lutte contre la misère :
- par la référence à l'acte libre de l’individu, il est possible et nécessaire d'intervenir
dans l'ordre naturel pour créer un nouvel ordre,
- par le travail de la raison, il est possible d'échapper à l'inéluctable, de sortir de la loi
des séries, de modifier les déterminismes naturels.
Ainsi il promeut un programme politique de réformes au service de droits individuels
et de droits sociaux porteurs d'émancipation et d'une visée égalitaire entre les individus. Ce
raisonnement était nécessaire pour élargir la portée de la loi naturelle d'interdépendance
(théorie darwinienne de l'évolution vitale) à la loi organique volontaire puisque la première
repose sur la notion d'instinct. Mais ce n’est pas encore suffisant. Si la loi naturelle permet de
rendre compte de la diversité, des emboîtements d'éléments homogènes et hétérogènes,
c'est aussi la porte ouverte « au laisser-faire » ou au « conservatisme objectif » tels que se
formulent les débats et les enjeux politiques autour de cette élaboration de la notion de
solidarité. La loi naturelle sert l'idée de progrès chère à la théorie scientifique de l'évolution
mais il faut encore distinguer la vie humaine de la vie animale par la conscience d'une
dimension supérieure des organismes « sociaux » et l'adoption d'un point de vue «unanime»
qui soutienne la perspective recherchée d’une union. Léon Bourgeois ajoute alors à ses
fondations l’apport du philosophe Alfred Fouillée, puisée dans son livre La Science sociale
contemporaine (1880, élaboration d'un droit idéaliste et normatif). Il reprend à son compte
son développement d’« une justice réparative nécessaire aux exigences de la fraternité » :
« Il y a un droit qui naît de la violation du droit, c'est celui de la réparation. Il y
a toujours une certaine somme d'injustice générale qui est imputable non à tel ou tel
homme en particulier, mais à la société toute entière et qui est souvent le legs du
passé. De là, la nécessité de la justice réparative ». (Blais, 2007, p. 31).
75
A la suite de cet énoncé, Léon Bourgeois souligne le besoin qu’il y a de
reconnaissance de la dette sociale selon deux voies : la voie d’un droit protecteur et garant
entre les individus, la voie de l’éducation des consciences. Cela ne s'improvise pas, il y faut un
travail d'éducation, de connaissance réciproque. Ainsi la doctrine est construite, son
existence ainsi assemblée apporte la preuve qu’un compromis politique est possible.
Parallèlement la proposition d’Émile Durkheim (1858-1917), philosophe puis
fondateur des bases de la méthode sociologique, vise à agir « techniquement » comme
scientifique sur les phénomènes sociaux et pour cela il lui faut comprendre et éclairer « leurs
mécaniques ». Ce qu'il fait en comparant les sociétés sur la base des liens qui régissent les
rapports entre les individus, et il établit ainsi les éléments constitutifs de toute société :
- les modes d'organisation entre les membres des sociétés jusqu'à identifier la
division du travail comme lien de solidarité et comme indicateur supérieur d'organisation. Ce
constat ne l'empêche pas d'interroger les éléments positifs et négatifs de cette solidarité
(division anomique ou division contrainte) et de parler de corps social malade dans ce
dernier cas : « Si la division du travail ne produit pas de solidarité, c'est que les relations des
organes ne sont pas réglementées » (cité par Blais).
- les règles de droit qui permettent au fur et à mesure de l'évolution morale des
sociétés d'élever le besoin de justice entre ses membres. Son analyse met en évidence le
passage d'un droit répressif « pénal » (centré sur la sanction dans un rappel des références
collectives) à un droit « régulateur » ou droit contractuel, qui entérine des relations
contractuelles entre des individus, qualifié aussi de restitutif puisque les conséquences
pèsent sur le maintien ou la restauration du lien.
- le désir de vivre ensemble, d'association entre individus permet la charité au sens de
sociabilité (différent de la dimension religieuse) et préexiste à tout système politicojuridique. Ce sentiment d'appartenance peut se construire, s'entretenir, se transmettre par
l'éducation. La sociabilité elle-même est une capacité à développer car elle sert d'assise au
droit contractuel.
76
Pour Émile Durkheim, s'il établit une différenciation entre deux types d'organisation
(soit sur la base du lien de similitude qu'il nomme solidarité mécanique, soit sur la base d'un
lien de différenciation où dans ce cas, la division du travail joue le rôle d'union entre ses
membres, c'est la solidarité organique), il y a bien un continuum de solidarité qui s'exerce
entre les deux modèles, dans chaque cas, elle existe et elle s'organise.
Les références et compréhensions rappelées ici (celles de Léon Bourgeois, et celles
d'Émile Durkheim) sont essentielles à connaître pour saisir la constitution de l’État social
comme processus et comme réponse à la recherche collective sur la question sociale
formulée dans une perspective d'égalité. Cette perspective, nous l’avons rappelée, est alors
l'horizon politique commun issu de 1789 en matière de revendication, d'espérance humaine,
et de foi au progrès. La remarque qui s'impose aujourd'hui, c'est la transformation de cet
objet commun en tant que postulat fondateur des liens qui régissent les rapports entre les
individus dans une démocratie (Rosanvallon, 2011). Selon les auteur.e.s contemporain.e.s, les
explications sont à rechercher dans l'aboutissement de la modernité démocratique nommé
encore l'individualisation démocratique (Gauchet, 2017), dans l'abandon de l'égalité pour la
bataille des inégalités (Rosanvallon, 2011), d'autres encore dans le renoncement à la liberté
révolutionnaire et à ses utopies (Riot-Sarcey, 2016). Nous ne manquerons pas de préciser
dans les développements de cette recherche les liens que nous établissons avec ces
différentes options contemporaines. Auparavant, il nous faut préciser les liens entre État
social et travail social et leurs transformations réciproques.
1.3. Quel travail social dans l’État social ?
Préciser davantage ces constructions nécessite de scander les périodes et les positions des
différent.e.s actrices et acteurs pour chacune. Au tournant du XXe siècle, nous l'avons vu
l’État social est au cœur des débats politiques et porté par ceux nommés aujourd'hui « des
Grands Hommes » du fait soit de leur invention, soit de leur engagement, soit de leur
ingéniosité et bien souvent de cet ensemble réuni et reconnu. Ce sont les études féministes
77
puis les études de genre qui peu à peu ont changé les regards et la compréhension sur les
mécanismes à l’œuvre dans les différentes strates des sociétés en matière d'égalité entre les
femmes et les hommes. Ces études ont permis de revisiter les analyses classiques des
sciences sociales. Elles ont renouvelé les compréhensions produites par l'histoire et l'étude
des différentes périodes comme l'historiographie des femmes et de la République en France
(Rennes, 2011, 2016).
C'est ainsi que les premières chercheuses féministes ont démystifié « la prétendue
neutralité de l’État, [et repéré] en son sein les espaces d'où pouvait émaner le changement »
(Jenson, 2013, p. 227) et les représentations de la citoyenneté (Marquès-Peirera, 2003,
2013). Il nous faut intégrer ces analyses pour lire les constructions séparées et pour autant
liées du travail social et de l’État social. Retenons de cette première étape et de la période
des pionnières (1900-1914), l'émergence d'un travail social volontairement transformateur
des réalités sociales, des représentations et des rôles traditionnels des femmes mais aussi
entre les hommes et les femmes. Ces dernières s'invitent dans l'espace public de la question
sociale et formulent des propositions et des expérimentations à la hauteur de la culture
positiviste et républicaine de leur environnement.
1.3.1. La lente institutionnalisation du travail social
Ce mouvement de femmes nécessite leur engagement complet dans des questions multiples
de la vie sociale et politique au même titre que leurs homologues masculins - citoyens
politiques - qui ne peut se fondre dans la qualification d'initiative bénévole (Pascal, 2014).
Retenons aussi comment ces fondatrices ont saisi et associé dès le démarrage de leurs
actions l'enjeu des professionnalisations comme assise de leurs initiatives citoyennes.
Chacune des branches que nous avons présenté s'appuie sur des formations que l'on peut
repérer qualifiante ou professionnalisante selon les âges, les tentatives. Une autre
observation concernant cette période propice aux innovations est à signaler en lien avec les
différences de statuts masculins et féminins.
78
Simultanément au secteur social que nous étudions, se développe le secteur sanitaire
et la lutte contre ce qui constitue les fléaux sociaux cités par tous, la mortalité infantile et la
tuberculose. Nous avons vu et nous l'indiquons à nouveau, l'action sociale et l'action
sanitaire se croisent au sein des « maisons sociales ». Pour l'une, les interventions vont
davantage viser la prévention, pour l'autre il s'agit bien de soins et de curatif. Dans le secteur
sanitaire, il faut conserver à l'esprit l'existence d'un corps médical masculin déjà constitué.
Ce sont les médecins qui créent les premiers dispensaires avec des visiteuses et mobilisent
les municipalités (Lille – Paris – Marseille). Cette pré-existence et la constitution d'une
république au masculin (Marquès-Pereira, 2003) peut expliquer la prépondérance citée
précédemment des diplômes reconnus aux infirmières dans l'histoire des professions
féminines.
Du côté du social, il s'agit de créer les registres d'action et de les faire reconnaître
dans une période où le rôle de l’État est lui-même encore en phase de constitution. Ce
mouvement se fond et s'adosse à la première vague du féminisme qui se structure depuis les
années 1860 et devient « indissociable des progrès du libéralisme et de la démocratisation»
sous la IIIème République (Rennes, 2011). Pour ces femmes, au côté des droits politiques, il
s'agit de revendiquer le droit de travailler. Leurs voix se font entendre dans différents espaces
(congrès, conférences, salons) dont la presse féministe a transmis les échos favorables et la
presse satirique les moqueries.
Cette dynamique française sera interrompue par deux conflits de nature différente
mais qui vont jouer dans le même sens. L'un au démarrage individuel et privé - le procès
engagé par Marie-Jeanne Bassot à l'encontre des membres de sa famille va concerner
l'ensemble des « maisons sociales » et leur réseau - ; le second, la Première guerre mondiale,
mobilise l'union sacrée des forces de la Nation et stoppe les velléités émancipatrices. De
nombreux travaux ont montré l'effort de guerre des femmes lors du premier conflit mondial
et les transformations ou ruptures qui sont attachées à cette période, notamment en
matières de traumatisme et de retour aux valeurs traditionnelles (Morin-Rotureau, 2004).
Concernant le travail social, le travail de relecture de « l'affaire Bassot » qui lie socio-histoire
79
et genre est à faire et constitue un des terrains de cette recherche, présenté en seconde
partie. Cet épisode recèle selon Roger-Henri Guerrand et Marie-Antoinette Rupp
précédemment cités, les éléments du mouvement féministe chez les travailleuses sociales.
Mouvement qui sera clos après le congrès des institutions d'assistance et d'hygiène sociale
de juillet 1921, « les autorités sociales et spirituelles leur feront comprendre que le vote
familial- système où le père dispose de la voix de ses enfants - est le seul conforme à l'idéal
de paix sociale – par la restauration de la famille nombreuse » (Guerrand, Rupp, 1978, p. 5657). Lors de ce congrès, les participant.e.s avaient formulé au côté des vœux en faveur de la
loi sur les assurances sociales, celui sur le vote des femmes.
Il est donc nécessaire de noter le changement introduit avec la guerre 14-18 et
l'entrée dans une seconde étape pour le développement du travail social. Le gouvernement
peu présent dans la constitution initiale crée l'École des surintendantes de France (1914) et
fixe leur fonction : « s'occuper du bien-être physique et moral des ouvriers à l'exclusion de
toute technique intéressant le travail et le salaire » (Jovelin, 2008). Les responsabilités
associatives sont occupées par des hommes, les discours sur la confessionnalisation du
travail social et familialiste reprennent le pas (Guerrand, Rupp, 1978). Ils sont aussi le fait
d'une stratégie de reconquête du social par l’Église Catholique (Pascal, 2014).
Si les écoles de « travailleuses sociales » de la première période conservent leur
autonomie, et décident de se regrouper dans « un comité d'entente » (1927), leur objectif
sera de poursuivre le travail de reconnaissance professionnelle rejetée par le Conseil
Supérieur de l'Assistance publique en 1924. Le 1er congrès international de service social qui
a lieu à Paris en juillet 1928, confirme l'existence et le fonctionnement de réseaux entre
femmes sur le travail social (Il réunit des participantes des USA, d'Angleterre, d'Allemagne,
…). En 1932, après un an de travail d'une commission d'étude nommée par le ministre de la
santé publique, « est institué un brevet de capacité professionnelle permettant de porter le
titre d'assistant ou d'assistante de service social diplômé de l'État français » (Pascal, 2014, p
86). Le rapport présenté par le ministre de la santé publique fait alors référence à la diversité
des « services sociaux » déjà existants « dans la grande industrie, le haut commerce, les
administrations, les institutions de prévoyance sociale » et parle de « leurs assistantes » qui «
80
contribuent avec succès au relèvement du niveau social des familles de leur ressort, en
faisant œuvre d'éducation et de préservation dans les domaines de l'assistance, de l'hygiène,
de la santé et de la vie sociale en général» (Pascal, 2014). Cette seconde période d'après
première guerre mondiale, débouche sur un mouvement d'organisation « des services » et «
des formations » du travail social par la puissance publique.
Cette création que nous avons qualifiée de « dynamique française » n'est pas isolée,
un détour par les États Unis apporte un regard d'extériorité à cette situation tout en révélant
les similitudes.
En effet sur la même période (fin XIXème début du XXème), la ville de Chicago connaît
une expansion industrielle et économique, source de nombreux conflits sociaux entre
anciens et nouveaux migrants et pouvoirs locaux (Le Goff, 2013). Un « Mouvement
progressiste » se développe pour « améliorer les conditions de vie et de travail de la
population, démocratiser l'accès à l'éducation, favoriser le dialogue entre les différents
groupes sociaux et ethniques » (Le Goff, 2013, p.13). Ce mouvement correspond à une
sécularisation du mouvement évangélique et une partie des actrices et acteurs se recrute au
sein de l'Université qui vient d'être créée. Ainsi en est-il de Jane Adams, jeune femme issue
d'une famille aisée, élevée par un père veuf et partisan du mouvement progressiste. Ce
parcours déjà singulier prend son extension à la suite du décès de son père, elle va voyager
en Europe et visiter l'un des premiers settlements (Toynbee Hall) à Londres. C'est cette
expérience, ce qui va l'inciter à initier à son tour une telle démarche à Chicago en utilisant les
ressources léguées par son père. Comme le précise Alice Le Goff, la fondation de la résidence
de Hull House (1889) «ne répond à aucun programme idéologique prédéfini que ce soit sur
le plan politique ou religieux. Il s'agit de venir en aide aux habitants du quartier par des
offres de services adaptés, de la crèche au cours du soir en passant par les clubs artistiques »
(Le Goff, 2013, p 16).
Au-delà de cette similitude entre les inspirations des fondatrices des travailleuses
sociales, l'auteure présente la reconnaissance en son temps de la démarche de Jane Adams,
les liens avec l'Université de Chicago et les contributions réciproques entre pragmatiques
universitaires (James, Dewey, Mead) et pragmatiques activistes (Adams) avant de souligner à
81
son tour la prépondérance qui a suivi de créer une distinction entre « enquêtes
sociologiques » et « enquêtes sociales », dans la pensée de Jane Adams, il n'est pas question
de séparer théorie et pratique. A l’opposé, pour les responsables de l'université, il s'agit « du
souci de marquer plus clairement la scientificité de la discipline toute nouvelle qu'est alors la
sociologie » (Le Goff, 2013, p 21).
Ainsi sur la même période, la « question sociale » a été l'objet d'observations et
d'initiatives multiples tant sur le plan académique que pragmatique dans des contextes aux
références démocratiques. Cette brève comparaison est utile pour rappeler comment les
contextes culturels ont influé sur les recherches et sur les pratiques que nous examinons.
Poursuivons donc cette étude du travail social dans la situation démocratique française en
examinant les liens établis entre l’État et le travail social.
1.3.2. L’État social régulateur du travail social
Après les fondements relus et contextués du travail social, il est nécessaire de préciser en
quelques traits ce qu'est l’État social une fois installé. Pour cela nous nous nous sommes
référés principalement aux travaux de Robert Castel (1995) sur Les métamorphoses de la
question sociale. Dans cet ouvrage qui réalise une fresque historique de la condition du
travail et de la civilisation qui en découle, Robert Castel montre comment l'installation de
l’État social et son rôle ont déterminé le devenir d'une société développée, « moderne », il
en détermine ainsi les traits principaux :
« Il faut un acteur central pour conduire ces stratégies, obliger les partenaires
à accepter des objectifs raisonnables, veiller au respect des compromis. L' État social
est cet acteur. […] Mais au fur et à mesure qu'il se renforce, il s'élève à l'ambition de
conduire le progrès. […] Tout Etat moderne est sans doute peu ou prou obligé de
« faire du social » pour pallier certains dysfonctionnements criants, assurer un
minimum de cohésion entre les groupes sociaux, etc. Mais c'est à travers l'idéal
82
social-démocrate que l’État social se pose comme le principe de gouvernement de la
société, la force motrice qui doit prendre en charge l'amélioration progressive de la
condition de tous. (Castel, 1995, p. 125).
À côté de cette proposition, il nous paraît intéressant d'ajouter l'analyse de
Christophe Ramaux (2007) qui invite à ne pas perdre de vue au-delà du fonctionnement de
l’État social, la nature proprement politique de cette construction qui vise la réalisation
d’un mieux-être social. Ce mécanisme et son renforcement sont particulièrement à l’œuvre
au lendemain de la seconde guerre mondiale dans les volontés de reconstruction et d'union
d'une France à rebâtir et dans les années de croissance qui vont suivre.
Avec la prise en main des réglementations, des formations, des financements, les
services sociaux acquièrent cette nécessaire condition du « pour tous» impulsée par l’État
après 1945. En même temps, dans cette institutionnalisation et son orchestration
centralisée, disparaît la place pour les capacités conceptuelles, observatrices et constructives
de savoirs des actrices et acteurs professionnel.le.s. qui prévalaient dans la première période.
Dans cette configuration d'après-guerre, plusieurs logiques s'entrechoquent reconstruction, développement, modernisation - et imprègnent la société française dans son
ensemble, le tout sur fond d'adhésion maintenue dans la foi au progrès comme modèle de
développement social pour tous. Ajoutons dans la suite des remarques précédentes, la
construction d'un État neutre au sens de l'invisibilité des rôles et des places différenciées
voire inégales des citoyen.ne.s, construction ignorante de cette question qui semble
particulièrement résolue par l'attribution du droit de vote aux citoyennes françaises (avril
1944). C’est donc dans et sur cette structuration que se développent et s’institutionnalisent
les différentes branches du travail social telles que nous les avons extraites « des archives »
et présentées en début de chapitre auxquelles sont ajoutées les branches éducatives
(enfance inadaptée et éducation surveillée).
Du point de vue du travail social, on peut préciser que cet enchâssement dans l’État
social conduit à interrompre « les procès en justification » des actions et à un
83
développement d'un activisme de missions, la loi du 8 avril 1946 « vient souligner le
caractère de service public du service social » (Castel, 1995, p 122) et en énumère les
missions :
« Surveillance à domicile des femmes enceintes et des nourrissons ;
protection sanitaire et sociale des enfants d'âge pré-scolaire et scolaire ; organisation
des dispensaires anti-tuberculeux ; lutte contre les maladies vénériennes ; prévention
des drames familiaux dus à l'alcoolisme ; orientation des familles vers des droits
sociaux ; aide aux indigents, aux infirmes et aux enfants en danger » (Guerrand, Rupp,
1974).
Le tournant est pris d'une action sociale légale généralisée, d'une mise en place de
dispositifs communs, règlements. Dans le contexte de l’État social installé - du lendemain de
la seconde Guerre mondiale et jusqu’à la veille des années 8O - le travail social par ses
différentes branches est un des bras armés de la protection sociale, de la solidarité publique,
de la médiation entre des individus hétérogènes de la société, de la redistribution de la
croissance vers des biens ou des services collectifs. Sous l'égide de l’État, les services sociaux
diversifiés et éparpillés sur le territoire, vont devoir se coordonner (décret du 7 janvier 1959).
L’État, premier régulateur de l'action sociale, confie à ses services départementaux
l'obligation de création d'un service social unique (circulaire du 26 mars 1965).
Pour autant la question reste posée de comprendre davantage les effets de cette
généralisation dans le processus que nous étudions. Que devient l'action sociale conçue à
partir d'une « proximité relationnelle » comme source de compréhension des besoins, accès
aux savoirs et aux progrès pour tous ? Cette dimension centrale dans les pensées initiales
participe d'une égale dignité humaine. Force est de constater qu'elle se perd dans l'étape
d'institutionnalisation du travail social et de normalisation des premières formations. Ce
passage à l'administration des services sociaux par l’État, correspond pour Emmanuel Jovelin
à la fonctionnarisation du service social (Jovelin, 2008). Plusieurs auteurs ont analysé ou
critiqué cette période d’un État social technocratique, planificateur seul régulateur des
84
« partenaires sociaux » sans laisser place à la délibération ou à la participation des citoyens
(Verdès-Leroux, 1978 ; Donzelot, 1984 ; Castel, 1995).
Si les subordinations du travail social à l’État social sont ainsi mentionnées, qu'en estil des compréhensions des subordinations culturelles collectives ? Comment interroger et
déconstruire ce qui relève d'une forme de nationalisation de l'action sociale associée à une
standardisation des réponses là où s'était inventée la pluralité dialogique des réponses ?
Comment penser une action sociale démocratique, c'est-à-dire qui soit issue d'une
participation au processus de différent.e.s actrices et acteurs - au sens d'une contribution
politique possible, (Zask, 2011)- ? Au plan global, il est utile de rappeler qu'il a fallu une
succession de crises (la crise sociale de mai 68, le Mouvement de Libération des Femmes, la
crise économique des années 70 avec le 1er choc pétrolier) pour que perce un profond
mouvement de déstabilisation de cette première structuration de l’État social à la française
et que de nouvelles analyses se fassent entendre notamment dans une recherche de
décentralisation et de déconcentration des pouvoirs.
Le questionnement politique par un gouvernement « revient » à propos du travail
social avec l'arrivée du premier gouvernement de gauche de la Vème république et par la
voix de la ministre de la Solidarité Nationale, Nicole Questiaux en 1982 (gouvernement
Mauroy). Ce discours-circulaire (28 mai 1982) retenu depuis comme l'adresse aux
travailleurs sociaux, est le premier intitulé « orientations principales sur le travail social » par
un gouvernement de la République, et le seul de cette nature jusqu'à celui très récent du
Premier ministre – Manuel Valls – le 2 septembre 2015. De l'un à l'autre de ces discours, il est
également question de la solidarité nationale, de l'engagement des professionnels dans ce
travail et de leurs formations, de la citoyenneté de chacun.e (usagers, jeunes, ...) pour un
« développement de la démocratie » (Questiaux, 1982), « pour l’Égalité » (Valls, 2015). La
première circulaire a fait date pour les transformations annoncées et la fermeté du
diagnostic :
« Les institutions d’action sociale sont des outils dont se dotent la collectivité
nationale et les collectivités locales pour prendre en charge les problèmes sociaux.
85
Nous devons alors veiller à ce qu’elles n’assurent pas, par un mouvement propre, leur
auto-croissance sans relation nécessaire avec les besoins. Les aspects quantitatifs ne
constituent pas, en soi, une réforme à tout. […] Une action sociale, inscrite dans une
démarche de solidarité et de démocratie, doit donc être recentrée sur ses
bénéficiaires. […] Encore faut-il inventer, à la disposition de ces projets individuels et
collectifs, des outils souples et pertinents, plus orientés à reprendre en compte les
besoins des populations qu’à se développer selon une logique propre. L’hétérogénéité
des besoins et la diversité des modalités du travail social ne sauraient bien
évidemment être négligées. Il ne peut y avoir un modèle unique et réducteur de
l’action sociale. [...] La piste a été tracée, d’une action sociale réellement libératrice. Il
faut maintenant passer délibérément de l’expérimentation à une pratique reconnue
et commune » (Questiaux, 1982).
Malgré la force du propos et la précisions des éléments concernés (innovation,
organisation, formation) les transformations énoncées et les résultats ne sont pas à la
hauteur des attentes. Trente années séparent les deux interventions politiques et les
remarques soulignent les mêmes difficultés : investissement et usure des professionnel.le.s ;
valeurs républicaines et garantie des droits pour chaque con-citoyen.ne ; maquis des
dispositifs sociaux ; rapprocher le travail social des autres sphères d'intervention publique ;
repenser le système de formation, initiale comme continue ; ouvrir un champ de recherche
universitaire à part entière.
Sur cette même durée (années 80/années 2010), il convient de signaler les nombreux
travaux et publications qui ont ponctué la période et chercher leur écho dans notre société
en lien avec la notoriété de leurs auteurs, les militantismes, les médiatisations de tel ou tel
rapport, l'arrivée d'une nouvelle crise. Cette liste risquerait de rester inachevée avant de
parvenir à réunir chercheurs, politiques et nouveaux collectifs (comme les apports du
Mouvement ATD mais aussi les différents groupements d'alerte – ACLEFEU, Pas sans nous ou de veille sociale - ALERTE), associations professionnelles, syndicats de salariés ou
d'employeurs, actrices et acteurs de ces questions. Pour notre part, issue de ce champ et
86
l'ayant traversé de plusieurs places nous tentons de le regarder avec la distance des outils de
la recherche. Nous retenons d'interroger comment se croise cette diversité non pas dans leur
simple opposition mais dans le jeu démocratique institué, les évolutions entre maturation et
crise.
Que vient signifier chaque expression des places occupées, des places possibles voire
autorisées dans la vie sociale chargée d'une multitudes d'institutions, de services ? La
diversité des sources de paroles est elle-même un facteur de cette démocratie : élu.e.s –
gouvernement – professionnel.le.s – cadres des institutions – « usagers » – syndicats
professionnels – associations d'usagers ou de professionnel.le.s – collectifs. Citons à ce
propos Michel Autès, qui propose de regarder le travail social comme « mode d'intervention
de la société sur elle-même » (Autès, 1996, p.1) qui ne peut être « assigné à une fonction
sociale particulière » et de préciser, cet ensemble d’intervenants sociaux « se ressemblent
par leur commune proximité avec les diverses figures de l'altérité au sein d'une société où il
faut, malgré tout, faire cohésion ? Ou faire lien, ce qui est la même chose ». Ainsi, il s'agit
dans ces liens de regarder qui parle, qui fait parler, qui associe, s'associe (à propos du travail
social en France sans méconnaître les perspectives internationales) et pour en dire quoi ?
A titre d'illustrations, nous présentons quelques unes des références significatives que
nous avons retenues pour ces mises en perspective. Tout d'abord des publications régulières
d'un même chercheur sur le travail social, puis deux communications émanant d'une
instance politique du travail social, l'Assemblée des départements de France et celle des
dirigeants de cette même action, les Directeurs généraux des services des départements :
- Jacques Ion, sociologue, appartient à la catégorie des chercheurs, il publie
régulièrement les résultats de ses travaux dont une part importante suit les évolutions du
travail social en France. Les titres de ses ouvrages et leurs contenus sont évocateurs des
questions partagées par les différentes parties prenantes que nous avons évoquées. A partir
de trois d'entre eux, il est possible de suivre la chronologie des questions telle que nous les
avons retracées : Le travail social à l'épreuve du territoire (1990), Le travail social au singulier
(1998, 2006), Le travail social en débat[s] (2005). Le premier présente les initiatives mises en
87
œuvre localement par l’État dans la lignée de la circulaire Questiaux (1982) et se termine sur
la mise en valeur de la question de l'enjeu politique pour l'efficience du travail social :
« Car à défaut de puissants soutiens locaux, devient plus que jamais
indispensable l'appui du « haut », c'est-à-dire l'affirmation d'une volonté nationale, le souffle
d'un projet explicite. A défaut de quoi, la tâche quotidienne se révèle à coup sûr épuisante et
vaine, et insensée la pratique professionnelle, s'il s'agit de créer du lien social sans autre sens
qu'une nouvelle technologie sociale » . (Ion, 1990, p. 159)
Le second ouvrage a bénéficié d'un sous-titre dans sa deuxième édition, « La fin du
travail social ? ». Il s'agit pour l'auteur de mettre l'accent sur la transformation des appuis
collectifs dont bénéficiait l'agir professionnel et sur la place croissante du processus
d'individuation engageant l'émancipation des collectifs. Ainsi il interroge le déplacement du
social vers de nouveaux services « d'aide à la personne » et invite à un reformatage du
champ considéré, cet ensemble de constats signifie le resurgissement de La question sociale
toute entière « qui n'interpelle pas seulement les praticiens de terrain, mais la politique
évidemment, voire la sociologie elle-même ! » (Ion, 2006, p. 132). Quant au troisième
ouvrage, il préfigure à sa manière l'annonce des États généraux du travail social présenté en
introduction de cette première partie. En même temps qu'il souligne la multiplicité et le
nombre de prises de positions, il dresse un vaste panorama des questions du travail social de
cette décennie et du renouvellement des inégalités. Il intéresse notre recherche par le souci
d'interroger les questions que pose le travail social, « plutôt que d'évaluer il faut penser
l'activité de connaissance davantage comme contribuant à multiplier les éclairages » (Ion,
2005, p. 19).
- Du côté de la puissance publique, les sources émanant des Départements
permettent de disposer de deux déclarations sur la même période à l'égard du travail social.
Le premier texte est en fait un rapport publié en 1993 par l'Assemblée des Présidents de
Conseils Généraux et manifeste les difficiles relations entre élus et professionnel.le.s - en
particulier « les assistantes sociales » - à qui il est reproché :
88
« d'avoir du mal à s'affirmer comme travailleurs sociaux, représentants de
l'institution départementale […] une tendance à se situer en détenteur d'une mission
de service public du seul fait de la possession d'un diplôme […] Cette vision
traditionnelle semble être entretenue par l'enseignement dispensé dans les écoles
et par certains chercheurs en sciences sociales et auteurs publiés dans la presse
professionnelle ».
Ce court extrait manifeste les attentes et les déceptions du côté des nouveaux
responsables de l'action sociale décentralisée – les élu.e.s des Conseils généraux- et cible
principalement les professionnel.le.s et le registre de la formation. Plus récemment la
communication, L’action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité, (2012) des
Directeurs Généraux des Services des Départements, propose une nécessaire et impérieuse
reprise en main du pilotage de l'action sociale dans le contexte de crise économique
récurrente et de restriction budgétaire :
« En mettant au cœur de notre action les ressources des usagers de l’action
sociale, en menant une politique ambitieuse de développement social qui met sur un
territoire toutes les politiques et tous les acteurs au service d’un projet de maillage
social, en travaillant à notre mesure à l’émergence de nouvelles sécurités
économiques, les Départements peuvent jouer leur rôle d’acteurs du développement
sur leur territoire, et non de simples distributeurs de prestations sociales. Ils
contribueront ainsi à rétablir le nécessaire équilibre entre les trois piliers qui fondent
notre pacte social : la reconnaissance de droits sociaux aux individus, l’exigence de
mobilisation des personnes en regard de ces droits, la nécessaire implication de la
société et des acteurs locaux au sens large pour promouvoir le vivre ensemble ».
Cette déclaration est bien une orientation de politique générale de l'action sociale
décentralisée dans laquelle les professionnel.le.s du travail social ont une place importante
mais aux côtés de bien d'autres actrices et acteurs du territoire. Si les auteurs ne manquent
pas de renouveler des orientations en matière de formation, leur vœu est aussi dans une
implication réelle des Départements au sein des établissements de formation, au titre de
89
chef de file de l'action sociale comme l'institue la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et la
loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. A ce titre, leurs attendus
relève des points d'attention comme une nécessité dans les formations initiales et
continues :
« Inscrire leur action quotidienne en meilleure articulation avec tous les
acteurs des politiques publiques. […] Deux dimensions en particulier devraient faire
l’objet de formations étoffées : les actions collectives et le travail en partenariat. Ces
modalités sont en effet des clés indispensables à la réussite d’un projet de
développement local efficient ».
Ainsi cette première analyse du travail social français et de ses articulations avec l’État
social, nous a conduit à ce qui constitue maintenant l'action sociale basée sur le principe
« national » de la notion de solidarité. Cette référence collective concerne un ensemble de
relations dans la durée et d'orientations susceptibles de bouger, d'évoluer avec la société
toute entière pour constituer l'action sociale décentralisée. La mise en évidence de ce
mouvement comme une constante des liens politiques qui relient les citoyen.ne.s en
démocratie est une concrétisation de l'égalité politique, égalité souvent qualifiée d'abstraite
voire connotée d'immatérielle. Par l'approche relationnelle il est possible de rendre compte
de cette dimension. C'est cette concrétisation que nous nous proposons d'énoncer comme
pratique du travail social. Ceci requiert d'approfondir les mises en relation, les tensions qui
s'expriment au sein de l'arène constituée par le travail social autour du principe d'égalité.
Comment les liens politiques de la solidarité ainsi énoncés sont-ils partagés, compris, visibles
ou refusés pour chaque partie prenante ? En quoi les rapports de pouvoirs existants
viennent-ils stopper ce mouvement ?
En concluant ce chapitre, des précisions de langage s'avèrent nécessaires. Nous avons
commencé par parler du travail social comme d'un champ d'activités, nous avons fait
90
apparaître au fil du temps la multiplicité des actrices et acteurs impliqué.e.s par et dans ces
actions. Il nous faut retenir que le travail social est une part de l'action sociale telle qu'elle
est définie aujourd'hui dans le code de l'action sociale et des familles, que ce champ
concerne une pluralité de professionnel.le.s. mais aussi de nombreuses autres catégories de
personnes que la sociologie a classées et nommées de différentes façons dans sa propre
chronologie. Le terme de travail social est tour à tour employé pour désigner cet ensemble
d'interventions sociales conduites au sein d'une multiplicité d'actions publiques et pour
l'ensemble des différentes catégories d'acteurs (au sens sociologique) ou groupes de
professionnel.le.s qui les mettent en œuvre. Ces derniers sont parfois les premiers à
revendiquer cette appellation dans une tentative de contrôle des actions ou de monopole ?
Pour la suite de ce travail, le terme de travail social sera utilisé pour parler du secteur
d'activités ou de l'action publique elle-même au sens d'un collectif d'acteurs et d'actions.
Lorsqu'il s'agira de la dimension des personnes, c'est la qualité ou la qualification des
personnes qui sera indiquée. En lien avec la perspective historique engagée, il est possible de
poser la commune légitimité de ces interventions dans une histoire politique de l’État social.
Le travail social dans sa définition contemporaine a une portée universelle, il s'agit
d'un travail qui concerne tous les individus qui composent la société au sens de sa cohésion
sociale, et qui est référencé à une conception politique pacifique des rapports sociaux. Cette
conception politique est celle fondée sur des principes démocratiques qui se singularisent
selon les États nationaux.
En France, nous l'avons rappelé, cette dimension est première dans l'imaginaire
collectif et construite sur la base de l'égalité politique entre les personnes. Dans ce sens,
nous postulons que cette dimension politique impacte le travail social et affecte les relations
et les pratiques de chaque actrice et acteur de cette action collective au sein de l’État social.
De cette manière, elle peut s'ajouter à la classification proposée par Michel Autès (1996)
concernant l'ensemble des intervenants sociaux. Dans les différences énoncées entre
métiers ou groupes professionnels qu'il qualifie d'irréductibles, il retient trois dimensions
communes qui fondent leur action : « une dimension symbolique, une dimension éthique, et
91
une dimension qui relève de l'expérience ». Pour sa part, cette thèse examine
particulièrement la dimension politique du travail social, identifiée autour de l'égalité
démocratique.
Le pas suivant de cette recherche va interroger une autre facette de cette activité :
« la prépondérance du féminin » souvent énoncée et de plus en plus questionnée (« L'Igas
plaide pour que les hommes soient plus nombreux dans les métiers sanitaires et sociaux »,
Article TSA du 2 mai 2017). En même temps que nous indiquons cette formulation, il
convient de préciser qu'elle ne s'applique pas uniformément à tous les registres d'action du
travail social mais qu'elle concerne plus particulièrement la professionnalisation et ce qui est
nommé parfois le front office (Hardy, 2014) au sein des services. Pour autant ce qui apparaît
comme une particularité, peut résonner comme une contradiction avec l'égalité
démocratique énoncée ci-dessus par la constitution d'un domaine réservé. C'est pourquoi, le
chapitre suivant examine précisément cette dominante du féminin dans le travail social.
92
2. Prépondérance du féminin dans le travail social,
quelles logiques ?
S’intéresser de près au travail social ou y travailler, oblige à constater la forte féminisation
des métiers qui s'y rattachent et à questionner cette réalité qui domine quel que soit le
secteur d’activités. Selon le rapport de la DARES, « En 2010, les femmes sont majoritaires
dans presque toutes les professions sociales et, au total, elles représentent près de neuf
travailleurs sociaux sur dix » (MASSP, 2014). Ces constats sont de plus en plus une source de
débats selon trois registres principaux : une historicité du travail social qui interroge la
division sexuée du travail ; une approche par l’éthique du care qui met l'accent sur
l’invisibilité d’activités sociales complexes pour reconsidérer leur statut ; une transformation
de la professionnalisation de ses agents qui passe par l’ouverture à une mixité réelle des
métiers.
Pour tenter d'éclairer ces débats, nous avons choisi de faire dialoguer l’historicité de
la citoyenneté avec l'éthique du care. Ces deux dimensions peuvent-elles conduire à de
nouvelles compréhensions de cette division du travail au-delà de l'héritage d’une division
sexuée du travail ? L’analyse de la construction historique d'un ordre sexué de la société
peut-elle déboucher sur d’autres indicateurs de transformations possibles, déjà à l’œuvre ?
Quel(s) verrou(x) du point de vue de l'égalité politique, précédemment énoncée, peut-on
identifier entre une période fondatrice d’un travail social laïc professionnalisé et une période
contemporaine où l’égalité des droits entre les sexes est proclamée ?
C'est pourquoi l'analyse conduite dans ce chapitre se détache du travail engagé par
les États Généraux du travail social (2013-2015), et toujours d'actualité, sur la refondation du
travail social en lien avec « la gouvernance territoriale de l'action sociale » et la volonté «
d'une modernisation des dispositifs de formation ». Ce travail de recherche ne méconnaît
pas le contexte présent que nous avons présenté en introduction. En nous éloignant
93
momentanément des travaux en cours pour explorer dans une longue durée ce qu'est le
travail social sous l'éclairage du genre, nous escomptons accéder à de nouvelles
compréhensions des enjeux actuels. Ainsi la question de la dominante des femmes dans ce
secteur professionnel est replacée dans l'ensemble des registres d'action du travail social et
dans une perspective démocratique. Cette dernière sert en dernier ressort d'horizon
commun pour tenir assemblées les questions posées dans ce travail de recherche. Les
registres d'action se déploient quant à eux de l'intervention à la conception, en passant par
l'évaluation.
Partant de la focale du genre, notre approche sociologique du travail social interroge
dans différents contextes, à différentes échelles, les héritages présents et les constructions
permises, d'un point de vue collectif et à partir des personnes. Que se passe-t-il réellement
dans les rapports sociaux selon la période étudiée entre les hommes et les femmes qui
autorise à parler de rapport de genre, de leur ignorance, voire de leur déni par une société
toute entière ? A partir de la focale du genre, il est possible de mettre à distance les
pratiques professionnelles, les conduites d'actrices et d'acteurs, de suspendre le jugement
pour examiner les interférences avec le cadre matériel et symbolique institué.
Pour le travail social dont l'objectif principal est d'articuler « égalité des personnes» et
« transformation du corps social » par l'action sociale (Chapitre 1), le genre est à la fois une
donnée et un champ d'analyse : donnée par la dominante du secteur en emplois féminins et
la quasi absence d'emplois masculins, champ d'analyse pour rendre compte des processus à
l’œuvre en termes d'écarts dans l’égale considération des personnes tant dans le cadre
relationnel que dans le cadre institutionnel existant. Ces éléments d'analyse rappelés, ce
chapitre étudie ce qui rend possible la préférence du féminin en situant la construction du
travail social à l’intersection d'un ensemble de rapports sociaux dont les rapports de genre.
L'émergence et la structuration de ce secteur se sont faites dans la lenteur et la
diversité par des personnes, voire des personnalités, qui ont porté pour la société entière un
regard sur des situations particulières présentes à leurs yeux et révélatrices de profondes
injustices, de souffrances ou d'absence de considération (de soins, de développement) en
94
contradiction avec les valeurs qu’une société humaine se reconnaît qu’elle soit d’origine
religieuse ou républicaine. Cette recherche collective peut se retrouver en particulier dans
l'histoire de la solidarité telle qu'elle nous a été transmise (Durand, 2004 - Blais, 2007Pigenet, Tartakowsky, 2012). Mais cette lente émergence a suivi d’autres fondements
sociétaux et s’est inscrite dans leurs propres assemblages comme nous avons pu l'examiner à
propos de l’État social au chapitre précédent.
C'est ainsi que ce chapitre décline les éléments de ce que nous appelons la
construction historique d'un ordre sexué de la société, identifiés à partir des apports des
études de genre existantes. Ceci nous conduit dans un premier point à nous intéresser plus
particulièrement à la question dite « des sphères séparées » pour interroger tour à tour, le
partage du pouvoir et la citoyenneté politique des femmes ; ce qui amène à revenir aux
conditions d'exercice de la citoyenneté pour examiner l'apport des théories du care vis à vis
du travail social et du vivre ensemble en société.
Avec cet ensemble d'analyses, c'est la compréhension du travail social qui est
modifiée et que nous resituons à l’intersection d'un ensemble de rapports sociaux dont les
rapports de genre.
2.1. Comprendre la centralité des sphères séparées
Si le travail social est constitué aujourd'hui de plusieurs branches (aide et assistance,
éducation spécialisée, animation, accueil à domicile), toutes ses activités concernent des
interventions vers, avec ou pour des personnes. Ce trait principal rattache ce secteur
d’activités au secteur des services dans l’économie des échanges marchands. Pour autant
l’ensemble de ces activités ne relèvent pas du seul secteur économique au sens d'un
développement de services en réponse à des besoins, voire en création d'une offre
favorisant le développement économique d'un secteur. C'est une autre division que la
catégorie économique « des services » qui a retenu notre questionnement, nous souhaitons
95
examiner celle de la séparation des sphères publiques et privées et leur dévolution à un sexe
en particulier pour éclairer l'accès à la citoyenneté politique des femmes.
2.1.1. L'héritage d'une séparation sexuée de la communauté nationale
La formulation de « la centralité de la séparation entre sphère publique et privée » est
reprise de Bérangère Marquès-Pereira dans son ouvrage de 2003 sur la citoyenneté politique
des femmes. Porter attention à cette construction qui constitue une matrice de pensée et
d'organisation dans le temps long de l’histoire, est nécessaire pour saisir la structuration d’un
travail social qui s’est faite à l’intérieur d’un système préexistant, le genre, lui-même
producteur de structures pour partie prédéfinies comme le formule Joan Scott :
« Les préoccupations théoriques relatives au genre comme catégorie d’analyse
n’ont émergé qu’à la fin du XXe siècle. Elles sont absentes de la majeure partie des
théories sociales formulées depuis le XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle. En fait,
certaines de ces théories ont bâti leur logique sur des analogies avec l’opposition
masculin/féminin, d’autres ont reconnu une “question féminine”, d’autres encore se
sont préoccupées de la formation de l’identité sexuelle subjective, mais le genre,
comme moyen de parler de systèmes de rapports sociaux ou entre les sexes n’avait
pas apparu » (Scott, 1988, p 54).
Il nous faut donc examiner cet environnement englobant pour comprendre les
innovations, les prises de risque des actrices et des acteurs de la période initiale puis de la
période contemporaine, sans croire que le seul changement d’époque permet de s’affranchir
de ses mœurs, de ses lois explicites ou implicites.
Se référer aux différentes dimensions d’analyse du genre est à cet égard un point
d’appui pour engager une relecture des assemblages réalisés et proposer de nouvelles pistes
de travail comme le précise à nouveau Joan Scott :
96
« Pour faire surgir le sens, nous avons besoin de traiter le sujet individuel aussi
bien que l’organisation sociale et d’articuler la nature de leur interrelation, car tous
deux ont une importance cruciale pour comprendre comment fonctionne le genre,
comment survient le changement. Enfin, nous avons besoin de remplacer la notion
d’un pouvoir social unifié, cohérent et centralisé par quelque chose qui soit proche du
concept foucaldien de pouvoir, entendu comme des constellations dispersées de
rapports inégaux, constituées par le discours dans des “champs de forces” sociaux »
(Scott, 1998, p 55).
C'est ainsi que pour décrire et se référer à la séparation symbolique et matérielle qui
a conduit à la construction de deux sphères sociales au sens de deux espaces de vie et de
relations - la sphère privée ou domestique et la sphère publique ou démocratique - nous
reprenons ici plusieurs des études de genre et féministes déjà produites depuis les années
1980, période retenue de leur institutionnalisation universitaire (Bereni et al, 2012).
La division indiquée qui parait à beaucoup comme une répartition naturelle de rôles,
c'est-à-dire en partie liée à des penchants propre à chaque sexe, émerge tout au long du
XVIIIème siècle. Elle est le fruit d’un courant de pensées porté par les milieux bourgeois et
urbains et présenté comme l’idéal moderne (dans la lignée des écrits de Rousseau qui ont
précédé la révolution de 1789). Cependant ce courant n’est pas l’apanage de tous les milieux
sociaux, ni de toutes les femmes. Différentes études ont montré que ce modèle fonctionnel
prend forme et oriente l’histoire politique, particulièrement en France où les figures du pater
familias et du citoyen fusionnent pour devenir ainsi le modèle du sujet politique de référence
(Fraisse, 2001- Verjus, 2002- Marquès-Pereira, 2003).
Ainsi ce qui depuis plusieurs décennies fait l'objet d'une contestation - le monopole
masculin du pouvoir politique – dans une conception de sujets égaux en démocratie
moderne, repose sur la théorie du contrat social selon Rousseau qui articule une double
logique : citoyenneté et souveraineté, attachées à deux espaces opposés (Bereni et al, 2012,
p 218). Un espace public objet de l'action étatique qui nécessite l'implication et
l'engagement du citoyen dans la communauté politique ; un espace privé référé aux
97
dimensions sociales et économiques d'un individu citoyen libre et autonome sans nuire à
autrui.
Cette séparation des espaces ainsi théorisée et construite ne considère pas les
dimensions domestiques et familiales portées par les femmes comme un allant de soi. Ce
faisant elle les renvoie à leur assignation à des fonctions spécifiques au sein de la sphère
privée. C'est cette représentation et l'organisation qui en découle, qui conduit à une éviction
des femmes de l'espace public au sens de participation au pouvoir politique. Elle a comme
conséquence une symbolisation durable des femmes au privé-domestique dans l'ordre
politique et dans les discours qu'il produit plus que dans les activités économiques en tant
que telles. Ainsi s'est construite une norme de genre qui conduit « à une spécialisation des
rôles ratifiée par la société et naturalisée par l'histoire » (Bereni and all, 2012, p 107-108).
Cette norme s'apprend et se transmet par la socialisation familiale et les pratiques
sexuées référées à chaque espace et elle est aussi adoptée sans discussion par l’État Social
tout au long de son émergence et encore aujourd'hui comme l'étudie actuellement Hélène
Périvier : « Les politiques publiques visant à contenir la misère s'appuient sur les rôles
sociaux attribués à chacun des deux sexes »(Périvier, 2016). C'est cet ordonnancement que
nous devons avoir à l'esprit pour comprendre la logique des sphères séparées et permettre
son questionnement avec les outils d'analyse propres aux études de genre.
La vision politique « du monde » ainsi instituée et sa représentation conduisent à ce
qui apparaît comme un partage du pouvoir : les unes « régnant » sur le domaine privé, la
sphère domestique, les autres sur la sphère publique lieu de la vie démocratique ; partage
qui se double d’une séparation d’activités entre les espaces : les activités liées à l’intérieur du
domicile et celles liées à la vie à l’extérieur du domicile.
C'est cette séparation qui fait de l'absence des femmes dans les débats publiques et
politiques une norme légitime sans qu'il y ait explicitement d'interdits promulgués au sens
d'une démocratie exclusive et non excluante formulée par Geneviève Fraisse (2001). Cette
séparation fonctionne par division de l'espace en deux catégories. Une catégorie, le sexe
féminin, a la charge durable, dans les représentations ou dans les faits du monde moderne,
98
de la vie domestique ; une autre catégorie, le sexe masculin, a la charge tout aussi durable de
la vie publique, ce qui a constitué un monopole masculin du pouvoir politique.
Cette analyse des attributions de rôles conduit à une assignation des places et vaut
pour les deux sexes au regard des deux sphères séparées. Chaque sexe se trouve associé à un
espace particulier. Cette division des espaces se retrouve et se reproduit au sein de la
représentation du monde du travail et de son organisation sous le nom de division sexuée du
travail : l'un qualifié de productif et principalement assimilé aux situations de travail salarié,
l'autre de reproductif et englobant les tâches éducatives et domestiques.
Cependant cet ordonnancement étudié sous l'angle du genre n'est pas seulement
une séparation, il est aussi une intégration de rapports de pouvoir signifiants des valeurs
différentes au profit des travaux masculins (Kergoat, 2000). Dans cette analyse, les rapports
hommes et femmes ne sont plus dans une complémentarité fonctionnelle telle que retenue
par la théorie des sphères séparées. La division ainsi établie dans la sphère du travail est
source d'inégalités économiques et d'inégalités relationnelles. Les inégalités économiques
sont régulièrement publiées en termes de filières de choix, filières d'emplois et
rémunérations qui y sont attachées :
« Malgré la hausse de la part des femmes dans beaucoup de professions, leur
répartition selon les métiers reste très différente de celle des hommes et globalement
moins diversifiée : en 2006, dix familles professionnelles regroupent près de la moitié
des emplois occupés par les femmes (46,4 %), alors que les dix premières familles
professionnelles exercées par les hommes ne rassemblent qu’à peine un tiers de leurs
emplois (32,9 %). […] parmi les dix secteurs où les femmes sont majoritaires, figurent
essentiellement des services (éducation, santé et action sociale, services personnels,
en tête) et seulement trois secteurs industriels (habillement, pharmacie et textile). Au
contraire, les dix secteurs où plus de 80 % des emplois sont occupés par des hommes,
sont, en dehors du commerce-réparation automobile, tous industriels (construction,
équipement mécanique, métallurgie, automobile…)» (Meron, 2008).
99
Au sein du travail domestique « gratuit », ce qui est mis en évidence, c'est la
subordination des femmes aux hommes et son « caractère injuste par l'échange d'une
disponibilité infinie contre un entretien non garanti » (Delphy, 1998, cité par Bereni and all,
2012). Cet apport des féministes matérialistes permet d'étudier la sphère privée plus souvent
nommée « la famille » ou « le/les ménage(s) » et de questionner les représentations
protectrices ou « idéales » de ces structures comme celles des politiques sociales.
Cette part de l'organisation sociale et son rôle structurant dans les relations sont
rarement mis à distance ou interrogé dans la construction d'une politique publique ou
considéré dans le travail social et ses interventions. Un exemple phare de cette situation peut
être rappelé avec le projet d'ABCD de l'Égalité. Rarement une politique d'Égalité des chances
avait tenté une telle prise en compte des phénomènes éducatifs et sociaux dans une
perspective transformatrice de la socialisation de genre. Indépendamment des jeux
d'actrices et d'acteurs dans cette arène, les manifestations et leurs résultats ont montré le
déficit de compréhension et d'enjeux durables pour notre société.
C'est ainsi qu'un angle aveugle reste à explorer tant du côté des rôles attendus,
confiés que des relations à l'œuvre. Pour l'heure, la question paraît dissoute ou inabordable
dans le contexte contemporain. Pourtant il s'agit bien à terme de la question de l'égalité du
pouvoir d'agir dans la société où nous demeurons et vivons. C'est donc du côté du pouvoir
démocratique que nous poursuivons notre recherche.
2.1.2. L'illusion d'un partage du pouvoir démocratique
L'examen que nous venons de présenter de l'héritage des sphères séparées est le point de
départ de l'analyse du partage du pouvoir démocratique. Comme le formule de son côté
Françoise Héritier, nous héritons collectivement, par transmission culturelle entre autre, de
ces habitus à des mondes séparés, à des qualités séparées, à des rôles séparés :
« [...] le travail qui a été conduit clairement depuis quelques décennies et qui
continue de l’être, porte non sur la sexualité mais sur la constitution d’identités dites
de « genre » : ces identités correspondent aux normes voulues par toute société,
100
toute culture et sont reprises à leur compte par les individus. Ces normes ne sont pas
exprimées nécessairement de manière consciente – c’est d’ailleurs un des objectifs de
la recherche de les désigner – mais elles le sont dans les mots, les regards, les gestes,
les contacts, les comportements, les attitudes, qui sont différenciés » (Héritier,
audition au Sénat octobre 2011).
Interroger cette construction socio-politique dans le temps long de l'histoire, c'est
sortir de l'illusion d'un partage des pouvoirs, d'une organisation sociale « paritaire » à partir
d'une répartition des rôles. C'est aussi interroger l'exercice du pouvoir. Doit-on parler de
partage, de participation, de contribution ? A partir du déséquilibre d'influence et de pouvoir
entre les deux sphères précédemment explicité, il est possible de comprendre et d'identifier
des fonctionnements séparés mais aussi les formes d'invisibilités des rapports de pouvoir. La
réflexion à distance sur ces constructions, ces expériences cumulées permet d'entrevoir les
interactions réalisées, celles ayant conduit notamment à des organisations « en l'absence
de » et conduisant à des exclusions des systèmes de décisions, des systèmes d'orientation du
monde qu'il est possible de discuter en conservant à l'esprit le cadre démocratique comme
cadre culturel de référence.
Pour illustrer les effets durables de la notion de partage du pouvoir dans un
référentiel de deux sphères séparées, nous avons retenu l'exemple de l'autorité parentale tel
qu'il a été mis en évidence par Jacqueline Costa Leroux (2007). L’autorité parentale en tant
qu'énoncé juridique date de la loi du 4 juin 1974, elle-même remaniée le 4 mars 2002. Ce
texte de loi signe la fin officielle du pater familias et substitue à la puissance paternelle une
autorité conjointe ou autorité exercée en commun. Ce n’est pas un partage mais une
accession des femmes à l’égalité en droit dans la famille et la naissance du père citoyen. C'est
donc seulement depuis une quarantaine d'années que l’autorité des parents est reconnue
comme un bien commun aux pères ET aux mères et demande un exercice conjoint. Cette
vision de l’autorité est fondatrice, sa prescription n’est pas en premier lieu pour les parents
mais pour les enfants. Son but concerne et ouvre sur les droits de l’enfant.
101
L’autorité parentale ainsi définie n’est pas un partage où chacun.e aurait une partie
d'un pouvoir sur autrui, une moitié d’autorité mais une responsabilité entière pour chacun.e.
au sein d'une communauté « la famille ». Autrement dit, la mère est en direct, le père est en
direct de l’enfant. Dans ce schéma relationnel, il n’y a plus lieu d’instituer une séparation de
l’un.e pour accéder à l’autre. Il s’agit d’un mouvement de démocratisation familiale qui est le
moteur d’une famille nouvelle : ‘’la famille démocratique’’ où l’égalité est entre deux
individus également adultes, où l’enfant est également reconnu comme sujet de droit. Ce
principe démocratique d’égalité a mis deux cents ans à exister dans la loi sous l’appellation
‘’d’autorité parentale’’. Ce n’est pas un pouvoir souverain partagé mais un ensemble de droits
établis qui confère des responsabilités - c'est-à-dire des droits et des devoirs - dans une
communauté de citoyen.ne.s. eux-mêmes en dialogue avec l’État et réciproquement
(Schnapper, 2003).
Ce principe d'une autorité commune illustre de mon point de vue une manière d'être
en démocratie dans un côte à côte vis à vis d'un projet commun au sens formulé par Joëlle
Zask dans la démocratie contributive (Zask, 2011). Ce modèle d'autorité est peu audible ou
peu référencé dans la construction des rapports sociaux existants plus empreints de pouvoir
sur autrui ou de hiérarchie entre les personnes. C'est cette évolution que nous nous
attachons à examiner dans les situations contemporaines pour rechercher sa présence ou
non dans les relations sociales mises en scène par le travail social dans des actions
collectives.
Cette analyse atteste déjà d’une transformation en cours dans nos différents systèmes
relationnels. Cela suppose encore une modification des schémas de pensée et pour tous
l’abandon de la référence classique attachée à une hiérarchie de type pyramidale comme
référentiel décisionnel dominant. A cette condition des redistributions de pouvoir sont
possibles pour des opérationnalités plus complexes et circulaires, voire incertaines. Ce
qu’Edgar Morin énonce ainsi :
« [...] la réforme de pensée nécessite une réforme des institutions qui
nécessite elle-même une réforme de pensée. Il s'agit de transformer ce cercle vicieux
102
en circuit productif. La condition est que puisse apparaître quelque part une déviance
fructueuse qui permette d'essaimer et de devenir une tendance » (Morin, 1998).
Dans cette configuration, il s’agit de concevoir une(des) autorité(s) au sens
démocratique qui s'exerce(nt) dans un système intégrant un continuum d'activités et des
espaces de régulations. C'est-à-dire selon Joëlle Zask un système qui permet d'expérimenter
des accords entre des choix d'actions et non par consensus ou par décision à la majorité ou à
l'unanimité : « Si ''prendre part'' peut accompagner un accord reposant sur un consensus
intellectuel, en revanche ''contribuer'' s'accompagne nécessairement d'un accord de type
pratique ''entre les activités'' » (Zask, 2011, p 183). Ces activités se justifient entre elles par
leur capacité combinatoire au service de l'idée, du projet visé. Au final, c'est
l'expérimentation au sens d'une mise à l'épreuve pratique qui atteste de l'adéquation ou pas
à la (les) question(s) posée(s) ou à résoudre. L'intérêt de cette combinaison pratique est aussi
dans l'association permise des divergences ou des controverses dès le point de départ de
l'action envisagée :
« L'unanimité des idées que requiert un consensus n'est pas nécessaire à la
formation d'un accord ''entre les activités'' dont l'atteinte est mieux assurée par
l'intermédiaire d'une pluralité de points de vue convergents et d'une pluralité
d'intervenants individuels ou associés » (Zask, 2011, p 191).
Ainsi adopter ce déplacement pragmatique (au sens de Dewey) de la délibération et
de la décision permet de faire cohabiter du différent et de penser en dehors d'une hiérarchie
entre des individus, des discours.
Cette manière de contribuer est une manière neuve de participer au jeu
démocratique et renouvelle les conceptions et les organisations démocratiques héritées. Elle
se fait par l'acceptation de l'avis des personnes impliquées et provoque de fait leur
intégration dans la délibération et dans la prise de décision sur la situation. Cette pratique
privilégie la contribution des personnes présentes au détriment des délégations ou d'un
pouvoir différé. Elle correspond aux observations réalisées à différents moments de cette
recherche et paraît révélatrice d'une maturité démocratique ou d'un pouvoir collectif
103
émancipateur. Elle peut s'exprimer dans des situations de rapport salarial comme dans des
situations d'interventions sociales. Pour illustration, je retranscris ici les éléments d'une
situation observée dans une séance de travail en centre de formation :
« Conviée à rejoindre une réunion programmée par des cadres
pédagogiques avec leur homologue du centre de documentation pour échanger sur
les ressources mobilisées et mutualisables, j'observe un singulier déroulé. Il me faut
un peu de temps pour comprendre que d'une séance collaborative entre pairs et à
leur initiative (message de la documentaliste), la réunion se déroule avec un ordre du
jour fixé sur un point d'étape des séquences pédagogiques précédentes et les
préparatifs à venir où chaque cadre est invité.e à s'exprimer sur le sujet. La présence
du responsable N+1, un cadre masculin, a vraisemblablement redistribué les rôles et
les échanges. C'est lui qui organise les échanges et dirige les questions. Le sujet étant
épuisé, au moment où il clôt la séance, une voix s'élève pour demander si une autre
date est prenable pour « échanger sur les pratiques et les manières de faire dans ces
modules de configurations particulières et nouvelles ». Réponse laconique, « non, il
n'y a pas d'autre date», il se lève et quitte le lieu. Quelques échanges ont alors lieu
entre « collègues » pour confirmer leur souhait et leur volonté de maintenir un temps
de travail entre « elles » : un seul cadre pédagogique est masculin , il se trouve en
accord avec la démarche. Une autre cadre prend le parti du cadre N+1 et déclare « sa
réaction normale » et « sa présence tout aussi légitime sur la thématique ». Le seul
désaccord est sur le temps et l'espace octroyé à ces questions et un possible débat
« entre soi ». Pour les responsables pédagogiques, « cela n'est jamais à l'ordre du jour
[des réunions encadrées], seules sont traitées les questions de planning et
d'organisation ». En conclusion, le groupe des cadres pédagogiques décident de
prendre une nouvelle date « entre soi » pour échanger sur leurs manières de faire »
(notes de carnet de bord mars 2017).
Cette brève situation retrace les croisements de logiques de faire en collectif
d'adultes « responsables » mais pas forcément « autorisés à », dans une organisation où le
104
principe hiérarchique vaut sur tous les autres quelle que soit la temporalité. Ce point de vue
sera particulièrement étudié dans des exemples de situations collectives du travail social
dans la seconde partie de cette thèse. Comment se décide l'avancée de l'action, les
orientations au fil du temps ?
Pour autant, cette dimension de l'expérience collective comme fondement d'un
pouvoir politique démocratique est présente dans l'histoire et précisément dans les
processus d'accés à la citoyenneté politique des femmes selon Marquès Pereira (2003).
Comprendre cette expérience et sa mise en action nous permet d'élargir les analyses
précédentes et nous l'avons intégrée dans notre modèle d'analyse.
2.2. L'exercice différé et différent de la citoyenneté politique
La citoyenneté politique n'est pas un objet de recherche en soi avant les années 80 et même
2000 en France. Cette problématique émerge à la lumière du genre pour rendre compte de
l'accès différencié des hommes et des femmes à la citoyenneté et son caractère androcentré.
Auparavant ce qui domine, c'est le caractère universel d'un citoyen abstrait fondé sur
la reconnaissance d'individus-sujets membres d'une communauté politique autoproclamée.
D'une part la séparation du privé et du politique que nous avons présenté précédemment, a
inscrit dans la généalogie des relations État-Citoyen une exclusion des femmes depuis la
révolution de 1789. D'autre part, la citoyenneté est possible, à partir d'une dynamique
d'individuation attachée à chaque personne. Il s'agit pour chaque individu libéré
d'appartenances collectives ou sociales de se considérer et d'être considéré unique et libre
par l’État et devant la loi.
Cette reconnaissance n'existe pas pour les femmes, non pas comme l'indique
Geneviève Fraisse (2001) par un interdit ou une loi mais par effet de la représentation et de
la conceptualisation de l'espace politique dans la logique des sphères séparées. Dès lors quel
est le parcours possible d'individuation des femmes, nécessairement différent des hommes
105
du fait de la symbolisation attribuée et non d'une différence de nature entre les sexes ?
Quels sont les chemins possibles d'accès à la citoyenneté politique en l'absence d'interdit
explicite.
2.2.1. L 'expérience collective de la citoyenneté politique par les femmes
Les recherches que nous avons citées ont eu pour conséquences d'interroger le caractère
neutre du concept de citoyenneté tout en ouvrant un champ d'exploration :
« De telles recherches auraient toutes les chances de faire de la citoyenneté
des femmes un problème non pas spécifique ou particulier mais symptomatique de
processus par lesquels la visibilité, tout comme l'invisibilité des rapports sociaux sont
agissantes dans le champ politique » (Marquès-Pereira, 2003).
Cette remarque toute contemporaine est néanmoins un écho à la formulation de
Condorcet (1793) à propos de son engagement pour la citoyenneté des femmes : « Si vous
n’établissez pas l’égalité entre les femmes et les hommes, vous ne pourrez pas l’établir entre
les peuples ». Ainsi nous avançons sur cette compréhension de l'accès à la citoyenneté des
femmes.
Comment se fait le passage pour les femmes, de sujet assujetti à celui d'individucitoyen.ne ? Si nous reprenons le parcours politique des hommes dans sa construction
historique, nous comprenons que « l'arrachement à l'état de nature » fonde l'entrée en
politique, le contrat social (Rousseau, 1762) entre les individus-citoyens. Cette construction
ayant été dissociée pour « les femmes », pour y accéder elles doivent devenir à leur tour
« sujets ». Cela implique de gagner cette reconnaissance et pour cela de s'émanciper de
« l'état de nature », comme de l'état de dépendance inscrit dans l'ordre politique par des
hommes, et de « prendre part » à l'espace public pour reprendre la terminologie de Joëlle
Zask. Ce mouvement complet entraîne lui-même des modifications, des changements dans la
communauté des citoyen-nes tout entière. Dans cette mise en mouvement, ce sont les
places qui changent mais aussi les représentations des un.e.s sur les autres comme sur soimême. Ce que rencontre chaque individu-sujet dans ces transformations c'est aussi les
106
tensions, les conflits lié.e.s à ce dérangement. Il(s) ou elle(s) vont les rencontrer soit dans
leur dimension collective (ce qui est convenu pour tous), soit dans leur dimension
individuelle (le désaccord dans un rapport duo-duel), soit dans une conjugaison des deux.
Cette « bataille » pour l'égale citoyenneté s'est nécessairement construite dans ces
tensions du fait entre autre de ce décalage temporel d'accès à la citoyenneté politique et de
l'avance de « pouvoir démocratique » des unes sur les autres. Une sédimentation des
pensées de genre est venue prendre place dans les rapports sociaux. Pour autant c'est parce
que la citoyenneté est déclarée « universelle » que sa réalité est discutable, discutée dans
ses apories, « L'universalisme proclamé en parlant le langage de la liberté, de l'égalité, de
l'autonomie offrira les instruments d'un discours et d'une pratique d'émancipation que les
femmes mettront à profit » (Marques-Pereira, 2003).
L'accès des femmes au statut de sujet est donc le point de départ de ce processus,
c'est-à-dire la possibilité d'exister en dehors des statuts de mère, filles, épouses dans une
libre disposition de soi. Parcours ou aventure qui ne va pas de soi dans le contexte postrévolutionnaire - les femmes sont sensées être sous la puissance masculine du père ou du
mari ou dans une communauté religieuse – ni dans le code civil du XIXème qui leur attribut
un statut de mineures. Période où la vocation des femmes, leur destinée, est d'abord d'être
épouse et mère dans l'ordre social, comme dans le service de la nation. C'est ainsi que l'état
de célibat peut rendre compte de cette conquête de femmes tout au long du XIXème et du
XXème siècle pour témoigner de leur capacité matérielle, de leur droit moral et social à une
existence, à avoir une vie indépendante.
Le travail de Geneviève Guilpain (2012) sur le célibat des femmes du XVIIème au
XXIème siècle et plus particulièrement des femmes laïques rend compte de cette singularité
et de cette « pierre angulaire de nos sociétés » qui n'a « jamais vraiment eu le droit de cité ».
Un célibat volontaire, librement choisit que Marie Jo Bonnet (2012) inscrit dans la lignée des
femmes émancipées des Lumières par des femmes de la modernité post-révolutionnaire. Un
célibat qui n'est ni la conséquence de l'absence de mariage en raison d'une dépendance à la
famille ou d'une absence possible d'appariement, ni le choix d'un engagement au motif
107
religieux, mais qui représente selon Geneviève Guilpain une raison d'émancipation, une voie
nouvelle possible pour les personnes du sexe féminin, en dehors du service gratuit à autrui
(les soins à la famille) ou de la maternité (la reproduction de la famille et de la nation). Ainsi
cette conception nouvelle d'un célibat pour les femmes «afin de pouvoir un jour prendre une
part active aux combats que tout homme courageux doit livrer aux abus monstrueux qui
déshonorent l'espèce humaine » se tente bien comme une trajectoire nouvelle
d'émancipation des rôles assignés.
Simultanément des prises d'initiatives collectives vont apparaître identifiées comme
une subversion du modèle en place. Organisées par des femmes « en tant que femmes et
entre femmes », ces initiatives se font à la frontière des deux espaces - privé et publicprincipalement sur des engagements sociaux ou civiques. Ces actions viennent offrir un
terrain concret pour essayer et faire coexister un mélange de statuts « féminins ». Les
assignations de célibataires par défaut, « vielles filles » ou en attente de ( sous -entendu
« jeune fille à marier ») sont ainsi transgressées individuellement et collectivement par
l'association de femmes mariées et de femmes « célibataires engagées dans des voies
professionnelles et existentielles ». Ces transgressions mobilisent conjointement plusieurs
dimensions des personnes-sujets : des dimensions intimes sur leur devenir, des dimensions
sociales et économiques avec la mise en œuvre des professionnalisations ( exemple du travail
social) ce qui va permettre une émancipation pour des femmes et une certaine remise en
cause de l'institution du mariage.
Ce qui caractérise cette phase d'émancipation, c'est la réalisation collective des
transgressions par des collectifs de femmes. Ce point est mis en évidence par différent.e.s
auteur.e.s (Marquès-Peirera, 2003 ; Marquès-Peirera, Pfefferkorn, 2011 ; Guilpain, 2012) qui
insistent aussi sur l'articulation dans ce processus des dynamiques entre subjectivation
politique et subjectivation sociale. Pour voir et comprendre ce mouvement collectif
d'émancipation, il est nécessaire de reconnaître l'entrée en politique des femmes par cet
engagement social issu de la sphère privée, référé à des assignations elles-mêmes
transformées par cette irruption dans l'espace public, même à la marge. Cette lecture
proprement genrée de la prise en main par des femmes d'une construction de leur identité
108
politique est à faire nôtre pour poursuivre la compréhension des initiatives ainsi portées et
se défaire d'une lecture androcentrée des créations ainsi produites sur cette période, lecture
qui affecte en partie une certaine critique de ces professions aujourd'hui.
C'est ainsi que pour la suite de cette recherche, nous retenons et examinons les
interventions collectives en travail social comme une suite à distance de la subversion du
modèle des sphères séparées par des actions collectives principalement de femmes et entre
femmes, en situation de subordination. Il faut souligner à cet endroit comment la recherche
et donc la posture de chercheuse adoptée, à la fois partie prenante de ce secteur d'activité,
de son histoire et à la fois distanciée par les observations et les grilles d'analyse mobilisées
est nécessaire et nous paraît une réelle possibilité d'apporter une compréhension aux
systèmes en place, hérités ou reproduits tant le quotidien de ce secteur est peu propice à
produire ces détours.
Pour conclure cette compréhension de l'historicité de la division sexuée et ses effets,
il nous est nécessaire de nous intéresser aux éléments de référence qui constituent la
citoyenneté au sens moderne et ses mobilisations d'usage, ce que nous abordons dans le
point suivant.
109
2.2.2. La conception moderne de citoyenneté
Tout d'abord nous avons repris plusieurs analyses des conceptualisations de la citoyenneté
moderne. Le travail reconnu de classification de Marshall Thomas Humphrey (1992),
sociologue et historien britannique, a servi une première compréhension historique et
politique de la citoyenneté. C'est par l'ajout de droits et des droits sociaux successifs
(développement de la protection sociale) que se développe l'usage plein et entier du statut
de citoyen et que se modifient les relations des citoyens dans ses rapports vis à vis de l 'Etat.
Mais la classification réalisée, si elle montre la construction dynamique et évolutive de la
citoyenneté se trouve qualifiée « gender blinded » par les dernières avancées de recherches
pluridisciplinaires ( Gautier, Heinen, 1993).
Une autre approche tout aussi dynamique est proposée par Dominique Schnapper
(2000) qui stipule que « La citoyenneté moderne n'est pas une essence, donnée une fois
pour toutes, mais une histoire ». Cette formulation est une attention à distinguer la
citoyenneté moderne comme une reconnaissance accordée à tous, c'est sa dimension
universelle, et l'exercice politique de la citoyenneté qui est réservé à certains. Cet exercice
que nous nommons dans cette thèse citoyenneté politique est ce que nous examinons
particulièrement dans notre recherche. La dialectique entre les deux dimensions signalées
par Dominique Schnapper est une dialectique entre l'inclusion toujours possible à envisager
et l'exclusion comme épreuve pour celles et ceux qui la vivent ; comme contradiction avec la
déclaration universelle qui permet l'abstraction des différences et l'admission de tous à la
communauté des citoyen.ne.s. Cette dialectique est déjà bien développée par Bérengère
Marquès-Pereira (2003).
En second lieu et en lien avec le sujet de cette thèse (le sens du travail social dans une
perspective de genre), nous retenons la configuration actuelle de la citoyenneté et les
interrogations qu'elle suscite du point de vue des droits qui lui sont associés (Schnapper,
2000). Pour rappel, on a coutume d'énoncer et de dissocier les droits-liberté et les droitscréances. Les uns référés à la citoyenneté politique, les autres à la citoyenneté sociale, ces
derniers étant issus des premiers par décision légitime de la communauté politique de son
« contrat social ». Le débat est ouvert aujourd’hui sur cette répartition-séparation des droits,
110
soit pour un maintien en l'état, soit pour faire évoluer les droits économiques et sociaux au
rang des droits politiques.
Cette question s'inscrit bien sûr dans l'actualité de nos environnements sociopolitiques contemporains et la compréhension du sens et de l'importance des droits
économiques et sociaux pour un possible et réel exercice des droits politiques sans oublier la
valeur y compris formelle des droits-libertés. Elle intéresse cette recherche par le rappel
qu'elle porte d'une séparation entre deux grandes dimensions de la citoyenneté. Cette
séparation porte-t-elle à sa manière la trace de la logique des sphères séparées ? Que
peuvent éclairer les dynamiques de subjectivation portées par les femmes et leur articulation
entre sujet politique et sujet social ? La mise en œuvre de l’État social conçu pour donner un
contenu concret aux droits-libertés repose non pas sur le seul contrat social politique (notion
de contrat du siècle des Lumières à la manière de Rousseau) mais sur le contrat de solidarité,
contrat nécessaire à la vie d'individus reconnus par nature dépendant du milieu environnant
(Leroux, 1863 – Bourgeois, 1896), dimension que nous nous sommes attachés à développer
dans le chapitre précédent.
Ainsi le rôle de la solidarité comme fondement de l’État social est une manifestation
de l'interdépendance reconnue qui existe entre des sujets libres d'une même société. Elle
rend compte d'une autre réalité : la souveraineté collective du citoyen et donc le pouvoir
politique des droits-libertés ne supprime pas l'ensemble des références ou des
appartenances particulières, ni ne suppriment les inégalités sociales et économiques.
Que disent les agencements de solidarité dans l’État social des rapports sociaux
retenus, des rapports de pouvoirs toujours à l'œuvre entre chose publique et chose privée ?
La prise publique et donc politique de la solidarité par l’État social a-t-elle pour autant
universalisé l'action au sens d'une abstraction des particularismes des individus ? Ou doit-on
reprendre la formulation de Robert Castel (1995) à l'égard du travail social – une
subordination à l’État social – et reposer par la même la question du maintien d'une
citoyenneté « passive » de second rang par l’État social lui même? Il nous faut rappeler ici le
sens défini par les premiers révolutionnaires et la Constitution de 1791 : les citoyens
111
« actifs » désignent ceux qui bénéficiaient de l'exercice politique des autres, les citoyens
« passifs » exclus du plein exercice, donc du droit de vote (Schnapper, 2000).
Si cette continuité d'existence d'une citoyenneté passive perdure, comment s'est
tissée cette histoire, comment se mettent en place ces pratiques à rebours d'une
émancipation de tous et de toutes telle que nous l'avons esquissée? C'est donc en reprenant
les prémices de cette histoire du travail social que nous déterminerons les impacts des
sphères séparées, des qualités naturelles assignées aux femmes mais aussi les initiatives, les
divergences sur les pratiques en usage, les expériences tentées dans ce parcours de
construction d'elles-mêmes et de collectifs en postulant de leur volonté pleine et entière
d'accéder à la citoyenneté politique.
C'est dans cette perspective et en cohérence avec les propos de Joan Scott ci-dessous,
que les liens avec la construction de l’État social et ses évolutions seront rappelés chaque fois
que nécessaire.
« Comment pouvons-nous rendre compte, à l’intérieur de cette théorie
[division sexuelle du travail], de l’association persistante de la masculinité avec le
pouvoir, de ce que des valeurs plus hautes sont investies dans la virilité plutôt que
dans la féminité ? […] Je pense que nous ne le pouvons pas sans une certaine
attention aux systèmes symboliques, c’est-à-dire aux façons dont les sociétés
représentent le genre, s’en servent pour articuler les règles de relations sociales ou
pour construire le sens de l’expérience. Sans le sens il n’y a pas d’expérience, sans
processus de signification, il n’y a pas de sens (ce qui ne veut pas dire que le langage
est tout, mais qu’une théorie qui ne le prend pas en considération ne saurait saisir les
rôles puissants que les symboles, les métaphores et les concepts jouent dans la
définition de la personnalité et de l’histoire humaine » (Scott, 1998, p 51).
Comme nous l'avons signalé en différents points, le différé de citoyenneté des
femmes est inscrit tantôt dans une différenciation de nature, tantôt dans une opposition de
rôles construisant tour à tour une incapacité ou une impossibilité de fait. Si cet état de fait
est particulièrement ébranlé dans la période contemporaine, il n'est pour autant pas résolu
112
comme en témoigne par exemple l'inégal accès des femmes à la représentation politique de
la communauté des citoyen.ne.s comme aux plus hautes fonctions politiques. Ce contexte
est porteur de nouvelles approches théoriques qui proposent de faire entendre les voix des
femmes dans l'espace public, dans les dimensions politiques du vivre ensemble.
C'est pourquoi nous allons nous intéresser maintenant aux théories du care et
examiner leur croisement avec les fonctionnements du travail social.
2.3. Les théories du care, un changement de perspective ?
C'est par un jeu de langage que nous introduisons cette dernière partie de chapitre qui nous
permet de faire entendre la complexité présente : après avoir longuement exploré les voies
d'accès à la citoyenneté politique des femmes, le care s'intéresse à la dimension laissée pour
compte du travail des femmes et donc à leur voix dans la vie collective.
Les principales théoriciennes du care viennent des USA, et sont Carol Gilligan,
première critique féministe des courants de pensée de la psychologie du développement
moral (1982, traduction en français en 1986, nouvelle édition 2008) et Joan Tronto, qui
analyse sa portée politique dans les sociétés occidentales contemporaines (1993, traduction
en français 2009).
La première publication de Carol Gilligan, s'appuie sur une analyse du développement
moral qui met en évidence une différence de « stades » entre les femmes et les hommes et
ce faisant, discute la théorie de Kolberg sur le développement moral comme porteur d'un
biais de genre. Son titre, Une voix différente, veut donner « une voix différente aux aspects
de l'expérience ni parlés, ni vus […] Mais aussi faire émerger ce qui est souvent une voix
dissociée ou une voix étouffée chez les hommes » (Gilligan, 2009).
Son travail permet de remettre en scène, dans l'espace public, les éléments de la vie
humaine absents de la discussion publique et donc in fine des enjeux politiques.
113
2.3.1. La division politique du vivre ensemble
Décrire ou définir le care ne peut se faire sans ce préalable qui fonde une question première :
interroger l'absence de cette prise en compte dans les principes démocratiques, ce qui rend
la démocratie prisonnière des hiérarchies de genre que l'on retrouve formulées par le
concept de patriarcat. La reconnaissance de cette différence d'expériences, construites dans
des situations différentes et majoritairement dans des sphères séparées, produit des
connaissances, des savoirs différents et non la différence des sexes. La construction de la
morale produite à partir de l'expérience de l'attention et du soin à autrui modifie le
développement moral et la compréhension des responsabilités et des rapports
humains. C'est cette expérience mise en évidence par Carol Gilligan qui lui permet de
dépasser les catégorisations habituelles :
« Le care et le caring ne sont pas des questions de femmes ! Ce sont des
préoccupations humaines. Il faut avancer vers la prise en compte des vraies
questions, à savoir : comment les questions de justice et de droits croisent les
questions de care et de responsabilité. L’injonction morale de ne pas opprimer – ne
pas exercer injustement un pouvoir ou abuser des autres – est indissociable de
l’injonction morale de ne pas abandonner – ne pas agir de façon inconsidérée et
négligente, ne pas trahir, y compris vous-même. Dès lors qu’il est clair que la voix
différente est une voix relationnelle qui résiste aux hiérarchies patriarcales » (Gilligan,
2009, p 76).
C'est pourquoi, cet examen fait aussi place à une éthique nouvelle qu'il convient de
considérer dans la perspective démocratique que nous avons retenue :
« [...] Dans une société et une culture démocratiques, basées sur l’égalité des
voix et le débat ouvert, le care est par contre une éthique féministe : une éthique
conduisant à une démocratie libérée du patriarcat et des maux qui lui sont associés,
le racisme, le sexisme, l’homophobie, et d’autres formes d’intolérance et d’absence
de care. Une éthique féministe du care est une voix différente parce que c’est une
114
voix qui ne véhicule pas les normes et les valeurs du patriarcat ; c’est une voix qui
n’est pas gouvernée par la dichotomie et la hiérarchie du genre, mais qui articule les
normes et les valeurs démocratiques ». (Gilligan, 2009, p 77).
Dans cette différence observée et analysée, il existe une série d'expériences et
d'activités qui consistent à apporter une réponse concrète aux besoins des autres, non pas
sur une logique de la raison mais sur une logique de mobilisation de relations personnelles
situées dans le temps (Molinier, Laugier, Paperman, 2009). Ainsi les conditions de la vie
humaine en société peuvent et doivent se discuter en considérant ce double apprentissage
et le réunir pour une vie humainement soutenable et dépasser le monde des sphères
séparées.
Cette perspective est clairement analysée et présentée par Naïma Hamrouni dans sa
thèse de philosophie politique (2012). Son travail insiste sur cette invisibilité du travail du
care comme une construction fondatrice du monde du travail principalement salarié, isolé de
la vie quotidienne par le jeu des valeurs et ayant donné aux hommes entre eux l'illusion d'un
pacte réussi de négociation par le droit du travail et le droit syndical.
Le système politique repose sur l'acceptation tacite de l'ignorance du travail du care
utile et nécessaire au maintien du care rendu aux indépendants (Hamrouni 2012). De plus
son travail montre comment l'indépendance de l'ère moderne fait partie de la hiérarchie de
genre héritée, d'un idéal construit peu à peu :
« La dépendance qui, dans la société préindustrielle, caractérisait une relation
sociale normale vécue par la vaste majorité de la population est alors devenue un
trait de caractère individuel déviant, méprisable et stigmatisé. […] À travers la lutte
des travailleurs salariés, l’indépendance économique est venue inclure l’idéal du «
salaire familial masculin », un salaire suffisant versé exclusivement à l’homme ouvrier
pour soutenir sa femme et leurs enfants. Alors que le travail salarié est
progressivement devenu la norme (et, de plus en plus, la condition déterminante de
l’accès à l’indépendance sous la nouvelle sémantique industrielle), les exclus du
travail salarié deviendraient les figures typiques de la dépendance. L’une des
115
conséquences inévitables de la dichotomie conceptuelle indépendance/dépendance
dans le contexte culturel de la montée de l’idéologie du travail salarié dans la seconde
moitié du 19e siècle serait l’invisibilisation et la dévaluation du travail de care des
femmes. Les femmes allaient passer du statut de «partenaires» (ce qu’elles étaient à
l’époque préindustrielle, alors que la famille était encore le principal lieu de
l’économie) à celui de dépendantes, voire, de « parasites » ( Hamrouni, 2012).
Or donc, qu'est-ce que le care, le travail du care ? La suite de cette présentation du
travail du care prolonge les ouvrages déjà cités et s’enrichit du séminaire « La dimension
sociétale de la notion de service » avec Pascale Molinier et Corinne Gaudart au CNAM en
2015. Selon les auteures françaises (Molinier, Laugier, Patterman, 2009)), la traduction par le
soin tronque le care de certaines de ses dimensions, notamment celle de médiation, en le
cantonnant à une dimension curative et au champ de la philosophie du soin. Le care se
présente à la fois comme une théorie et comme une pratique. C'est une notion applicable à
tous les domaines d'activité, raison pour laquelle elles ne traduisent par le terme « soin » qui
est souvent proposé en France et conservent la terminologie de care.
Cette pratique recouvre ce qui concoure à l'entretien, le renouvellement et le
maintien de la vie. Ce que Joan Tronto formule ainsi « nous pouvons reconnaître le care
lorsqu’une pratique a pour but le maintien, la perpétuation ou la réparation du monde »
(Tronto, 2008, p 245-246). Ceci produit une série d'expériences et d'activités qu'il s'agit
d'entendre comme un ensemble d'activités permanentes et quotidiennes au-delà des
questions de soins ou de handicaps ou de situations vulnérables. Aussi nommée « éthique du
care », cette pratique correspond à la dimension concrète du souci de l'autre à la fois par sa
matérialité et par des attitudes appropriées, attitudes qui se développent dans la pratique,
l'exercice de cette attention dans une relation. Par cet ancrage dans une relation, l'éthique
du care ainsi énoncée diffère de l'éthique de la justice fondée sur la raison « en droits et en
règles ». Joan Tronto ajoute ensuite une déclinaison de ce qu'est ou pourrait être un « bon
care » entre quatre phases, chacune nécessaire. Le « caring about » met l'accent sur
l'attention pour reconnaître un besoin ; le « taking care of » est le fait d'assumer la
responsabilité de prendre en charge ce besoin ; le « care-giving », le fait de prodiguer
116
concrètement avec compétence un soin ; le « care-receiving » qui offre une capacité de
réponse à la personne concernée. Cet ensemble constitue la grammaire éthique d'un bon
care.
La mise en évidence de l'éthique du care appelle un nouvel examen de l'organisation
de la vie en société et des modèles à l’œuvre. Le care comme travail ou travail gratuit ne peut
s'envisager au XIXème siècle. Principalement associé au travail féminisé dans l'espace privé, il
est invisibilisé, exclu de l'organisation qui se met en place autour d'une division du travail et
du modèle de la technicité auquel s'ajoute aujourd'hui le modèle de la gestion, du
management. Dès lors comment faire sens à ces activités « aux savoirs-faire discrets »
(Molinier 2015) ? Selon Pascale Molinier, il s'agit de recourir à une polyglossie [Ce terme
évoque le fait d'être polyglotte mais pour tout un groupe humain et non pas pour un
individu], et non à une polyphonie, pour conjuguer les potentiels et entendre chaque
langage en l’occurrence dans son exemple, la bientraitance du care et la bientraitance
gestionnaire (Molinier 2015). L’intérêt de cette proposition est de mettre en évidence la
prépondérance actuelle d'un langage sur l'autre, d'un pouvoir qui s'exerce au détriment d'un
bien commun visé : « la bientraitance » dans l'exemple retenu, elle nous montre comment il
s'agit de penser autrement les modèles existants.
Précisons que « l'invisibilité » nommée ne renvoie pas à l'inexistence de savoirs faire,
d'apprentissage ou de transmissions de métiers. Cette compréhension demande de passer
par une narrativité du travail qui révèle la mise en œuvre collective (pour faire face, pour
s'organiser) du travail de care. Il y a donc des apprentissages qui ne peuvent être figés à des
formes, à des techniques et qui mettent en scène des arbitrages permanents. Cette
compréhension du care explique la demande de mobilisation de plusieurs intervenant.e.s et
oblige à « penser des dispositifs de transmission où tout n'est pas déterminé à l'avance »
(Gaudart, 2015).
117
Pour conclure sur cette présentation d'un care qui nous concerne tous, en ce sens
qu'il révèle précisément les interdépendances communes à toute vie humaine dans ce
monde vulnérable, au-delà des débats qui ont été produits ici ou là sur des divergences entre
Carol Gillican et Joan Tronto, nous retenons leur convergence dans une perspective politique
du care pour comprendre la dimension nécessairement politique d'une visibilité du care.
Démarche qu'a poursuivi Naïma Hamrouni (dans son travail de thèse déjà cité) en discutant
plus avant le modèle de citoyenneté et la norme de référence que nous avons présentés
précédemment :
« La construction du concept de sujet libre et indépendant ne représentait pas
la réalité de l’expérience vécue par les femmes, ni celle des domestiques ou des
esclaves, toutes ces personnes laissées en marge de la citoyenneté. […] Loin d’être
une position comme une autre qui pourrait en toute justice être convoitée par
quiconque, la position d’indépendance présentée comme idéal normatif dans les
théories dominantes est plus précisément la position atteinte par un groupe restreint
de personnes qui a su s’accaparer le pouvoir et s’en réserver le monopole exclusif en
se déchargeant du care. Le degré d’indépendance possible à atteindre par une
personne dépend directement de son rapport au care et lui correspond.
L’indépendance n’est ni une condition naturelle non méritée ni le produit du mérite
personnel. Elle ne reflète pas un trait de caractère ou une attitude. L’indépendance
est un statut social » (Hamrouni, 2012).
Par cette mise en évidence, la question du pouvoir au sein des rapports sociaux
devient la question première et rend sa pleine dimension politique à toute vie sociale. Pour
conclure l'analyse, Naïma Hamrouni propose d'adopter le care comme « service rendu »
pour mettre en évidence les rapports sociaux de sexe qui permettent son existence et
distinguer un care libre qu'elle propose de nommer « care sans réserve ». Cette distinction
serait la seule issue pour sortir les femmes du cycle de la domination et de sa reproduction
avec ses disparités de classes, de race, d'origines nationales.
118
Cette contribution aux débats vient ici en écho aux questions ouvertes par les
différences de citoyenneté entre les femmes et les hommes mais aussi entre des femmes
elles-mêmes comme nous l'avons signalé plus haut dans ce chapitre.
Considérer alors cette éthique de la responsabilité, les pratiques du care, c'est aussi
une manière de voir et de décrire des engagements assignés du fait du développement
moral auquel il conduit, dont il est la source. Cette autre version du quotidien, de la réalité
des relations dans une société est une dimension commune avec des attendus du travail
social. Cette compréhension éclaire les formes d'engagement attachés à certains métiers et
les divergences qui peuvent sourdre entre les professionnel.le.s. Considérer cette éthique
comme constitutive de conduites professionnelles revient à modifier la question des
engagements « personnels » au travail et la prédominance des logiques gestionnaires sur
lesquelles nous reviendront dans la seconde partie de cette recherche.
Au final, nous retenons de cette exploration du travail du care et des publications
récentes étudiées, les dimensions relationnelles d'attention à autrui, la capacité à exister en
tant qu'espace ou modalité de résistance à un ordre autoritaire, d'un monde où les
dimensions de marchandisation, de primauté de l'économique, de la gestion sont premières.
Ces éléments sont à la fois une source de compréhension à l'identique d'une partie de la
structuration du travail social.
Regarder ces pratiques comme des espaces de résistance, est une compréhension qui
mérite attention dans le contexte contemporain :
« L’injonction morale de ne pas opprimer – ne pas exercer injustement un
pouvoir ou abuser des autres – est indissociable de l’injonction morale de ne pas
abandonner – ne pas agir de façon inconsidérée et négligente, ne pas trahir, y
compris vous-même. Dès lors qu’il est clair que la voix différente est une voix
relationnelle qui résiste aux hiérarchies patriarcales, il devient possible de saisir les
raisons des diverses erreurs de compréhension et de traduction de mon travail, et de
voir que ces mécompréhensions reflètent l’assimilation de mon travail précisément
aux normes et aux valeurs de genre que je critiquais » (Gilligan, 2009).
119
Nous pouvons donc conclure en retenant des analyses du care reprises ici, qu'elles
ouvrent un potentiel de subversion du modèle contemporain basé sur l'accès de tous à
l'indépendance, à l'autonomie. Il ne s'agit pas ici d'une version édulcorée d'une assignation
de genre au domicile (Joan Tronto critique à cet égard la romance qui peut être attachée à
ces relations) ou de « bons soins » sentimentaux à autrui mais d'une résistance à l'injustice
de ce monde (Molinier et Paperman, 2013).
L'ensemble du chapitre permet quant à lui d'éclairer les trajectoires et les
expériences séparées des femmes et des hommes dans la société et les effets en termes
d'asymétrie de genre. A l'issue de ces différentes approches, il est possible de retenir le
fonctionnement séparé de la citoyenneté politique entre des citoyens du sexe masculin et
des citoyennes du sexe féminin. Ceci impacte en termes de hiérarchie des valeurs et des
places, le fonctionnement quotidien et politique de la société dans une division du vivre
ensemble.
C'est cette situation – l'exercice différé et différent dans l'histoire commune de la
citoyenneté politique – que nous retenons comme une clé de lecture des initiatives
individuelles et collectives agies au sein de l'action publique, et que nous proposons de
considérer particulièrement dans les situations à dominante féminine. Cette attention sera
donc poursuivie à l'égard du travail social contemporain et des pratiques d'interventions
collectives de ce champ.
La mise en lumière des services à autrui et leurs multiples dimensions - morale politique - professionnelle - conduisent à étudier particulièrement les effets de la
professionnalisation dans ses interactions et ses enjeux. Que représente la mise en
professionnalisation de ces activités ? Quelles sont les logiques de cette dynamique dans un
système d’action publique ? La professionnalisation permet-elle le contournement du
système de genre tel que nous l'avons identifié ? Vient-elle confirmer ou accentuer la
ségrégation sexuée ?
120
Nous allons donc examiner comment les dynamiques de professionnalisation
saisissent le travail social, leurs différents sens et les relations avec les dimensions politiques
du secteur telles que nous avons pu les identifier dans les chapitres précédents.
121
3. Travail social contemporain et organisation par le
genre, quels enjeux ?
Le travail social tel que nous l'avons analysé au cours des deux chapitres précédents
correspond aux deux facettes principales de cette activité : le travail social comme pensée
politique des liens de solidarités dans une démocratie ; le travail social comme secteur
professionnel aux multiples activités. Si nous voulons explorer plus avant le potentiel
émancipateur de cette activité, il nous faut comprendre les articulations ou les
cloisonnements entre ces deux facettes.
Dans le système culturel occidental et particulièrement en France, la tendance est à la
séparation entre théorisation et pratique ce qui conduit à une dichotomie ou même à une
rupture entre les espaces de pensées, les lieux de conception et de mise en œuvre. Il en va
de même pour le travail social et l'on peut ajouter que cette séparation se redouble des
séparations que nous avons étudiées précédemment : la logique des sphères séparées
concernant la participation des femmes et des hommes à la construction et à la gestion de la
cité ; le différé et la différence d'accès à la citoyenneté politique des femmes et des hommes.
Autour de la logique des sphères séparées, nous avons hérité et construit une
organisation mentale, symbolique et matérielle, porteuse d'une rupture continuée dans le
temps. Cette rupture et bi-partition affecte particulièrement les femmes et les hommes dans
les orientations d'activités et des professions aujourd'hui et se traduit dans la ségrégation
des métiers, dans les rôles sociaux.
« Nous vivons un temps paradoxal et contrasté, qui empêche toute
généralisation. […] Tout d’abord, il est vrai que la féminisation du monde du travail a
continué en dépit de la crise économique et de la montée du chômage : 6,7 millions
de femmes étaient actives en 1962, elles sont 12,1 millions aujourd’hui. Dans le
même espace de temps, le nombre d’hommes salariés n’est passé que de 12,6 à 14,2
122
millions. On a donc assisté en quarante ans à un rééquilibrage quantitatif. ... En
réalité, les métiers demeurent très sexués et les femmes sont surtout venues
renforcer des métiers déjà très féminisés. Quelques métiers très qualifiés font
exception, comme la médecine, le journalisme ou la magistrature, où les femmes
occupent désormais une bonne place. Pour le reste, la concentration des emplois
féminins s’est aggravée » (Maruani, 2005).
La concentration, ou ségrégation des métiers, sera étudiée à partir des données
chiffrées, mais dans un premier temps nous allons examiner les dynamiques de la
professionnalisation telle que la sociologie des groupes professionnels les explicite
aujourd'hui (Vezinat, 2016). Ce qui nous intéresse dans cette approche, c'est le regard porté
sur les processus mis en jeu, auquel nous ajoutons l'étude du genre présent. Les liens
mobilisés en matière de lutte pour la reconnaissance sociale impliquent à la fois la dimension
historique d'acquisition (achevée ou non) de la qualité de profession comme les interactions
entre dimension individuelle et collective au sein d'un groupe professionnel et dans ses
rapports avec l'utilité sociale acquise ou en redéfinition. De ce fait, Nadège Vézinat situe les
avancées de la sociologie des groupes professionnels par rapport à la sociologie des
professions comme un cadre d'analyse pertinent dans le système politico-administratif
français où le salariat reste la situation dominante et la question du statut prédominante.
Cette conception invite à se déplacer dans différentes échelles d'analyse (microméso-macro) pour croiser l'activité réelle de ce champ, la régulation de l'emploi, le
positionnement du travail sur le marché en lien avec les mouvements d'institutionnalisation
et de désinstitutionnalisation en cours. Dans cette perspective, ce chapitre présente trois
ressources : l'analyse des différentes régulations du secteur et la question de sa
gouvernance se présente comme un point clé de notre problématique ; dans un secteur
emprunt de subordination, cette compréhension impacte particulièrement les logiques
individuelles et les logiques collectives d'emplois à dominante féminine ; l'analyse des
données chiffrées constitue la photographie du champ au sens où elle fige les activités sur un
123
temps pour mieux en saisir les réalités présentes et celles passées sous silence et permettre
ainsi une vue d'ensemble d'un terrain habituellement morcelé.
3.1. La professionnalisation du champ et sa gouvernance, un
enjeu démocratique
Après la focale à partir de la question sociale et sur la notion de solidarité formulées
conjointement au tournant du XXème siècle, ce sont les évolutions contemporaines de la
professionnalisation du champ qui sont à examiner dans les débats actuels pour clore notre
mise en perspective du travail social. Ces évolutions et les débats qui les accompagnent
s'articulent autour de la place de l’État social (ACOFIS, Colloque Marseille 2011), celle de la
prépondérance du marché (Chauvière, 2007 – Gory and all., 2009, 2017), elles s'inscrivent
dans les modifications en cours des représentations et des conceptions de la solidarité
(Castel, Duvoux, 2013).
Le bien fondé de l’État social et des solidarités est discuté (Séminaire du Cédias,
Demain, quelles politiques sociales de solidarité ? 2009-2012), la figure du pauvre réapparaît
entre versant sacré et versant maudit. L'un renoue avec la notion de pauvre méritant et la
part de commune humanité (au sens de potentiel ou de risque d'être pauvre), l'autre versant
représente les déméritants, les fraudeurs, les indignes du commun qui sont un poids pour la
société, qu'il convient de dénoncer. Ce faisant c'est la notion même de solidarité qui est
transformée, puisque la division sociale entre les personnes est posée en amont de la
commune appartenance, du droit inconditionnel de chaque être humain à faire société, de la
commune égalité de condition humaine (vulnérabilité, aléas de la vie, ...).
Dans ce contexte, la professionnalisation du secteur c'est-à-dire le projet d'une
intervention qualifiée devient un enjeu démocratique puisque cette activité porte ou non la
question de la subordination des droits, de la citoyenneté. C'est donc la professionnalisation
comme enjeu collectif qu'il convient d'approfondir.
124
3.1.1. Les dynamiques de professionnalisation
Si le terme de professionnalisation est un vocable familier aujourd’hui, il répond à de
multiples usages qui occupent un pan important des débats publics tantôt comme remède,
tantôt comme injonction ou comme incontournable des trajectoires de vies. Il n’en a pas
toujours été ainsi et cette multiplicité nécessite des clarifications en lien avec notre
recherche. Il s'agit à la fois d'en comprendre les apports théoriques et de les mobiliser dans
la perspective qui est la nôtre. Ce que formulent ainsi les auteurs de l'ouvrage « La
professionnalisation mise en objet » :
« La professionnalisation est considérée comme un folk concept (Becker,
1962), dont il convient à la fois de saisir la variété des significations de sens commun
et des usages sociaux, et de proposer des théorisations cohérentes inscrites dans des
paradigmes pluriels et explicites » (Demazière, Roquet, Wittorski, 2012).
Le terme apparaît en lui-même au tournant du XXème, il sert à préciser et fixer une
activité regroupant des individus sur un marché libre et participe ainsi de la division du
travail dans l'espace économique et social. Particulièrement développés du côté de la
sociologie américaine, deux courants dominent ces analyses. Le courant fonctionnaliste avec
les travaux de Parsons sur les professions instituées, et le courant interactionniste de la
seconde école de Chicago qui se distingue des questions de statut pour s'intéresser à toutes
sortes de métiers et mettre l'accent sur les organisations du travail. En France des travaux
plus récents sur la notion ont établi des infléchissements avec le modèle des corps d’État.
Citant Raymond Bourdoncle (1993), Richard Wittorski précise que le modèle français se
différencie du modèle libéral anglo-saxon. Il s'apparente à :
« […] une lutte politique pour contrôler les places dans une hiérarchie étatique
élitiste (modèle des corps d’état) ou la constitution d'une communauté de pairs
(modèle des confréries). […] L’enjeu est donc ici la mise en reconnaissance de soi dans
l’environnement à des fins de conquête d’une meilleure place dans une hiérarchie
étatique » (Wittorski, 2008).
125
Cette première présentation de la notion et des débats suscités au sein des sciences
sociales acte de la mise en visibilité d'acteurs et de l'enjeu politique du travail de
reconnaissance ainsi engagé pour soi (statut social et place dans la société), pour autrui
(utilité sociale). Les différentes théories de la professionnalisation intéressent notre sujet
dans la mesure où elles viennent croiser les analyses des chapitres précédents sur les
dynamiques d'actrices et d'acteurs au travail pour faire émerger un champ d'action - les
métiers du social - au sein d'une société donnée. Chacune d'elles éclaire les dynamiques
observables et permet de comprendre les logiques à l’œuvre dans une temporalité précise,
ce que nous étudions maintenant.
Nous l'avons montré dans le chapitre 1, la mise en reconnaissance des activités du
travail social et leur institutionnalisation sont passées par la mise en place de formations et
leur reconnaissance par l’État. La première constitution de groupes professionnels s'est donc
faite « classiquement » entre reconnaissance de savoirs (leur construction et leur
transmission) et délimitation d'un champ d'exercice, le tout porté très rapidement par une
association « professionnelle » pour chaque branche d'activité. Cette dynamique
professionnelle collective est première dans le processus de constitution du secteur, elle
illustre la définition donnée par Lise Demailly :
« On entendra par professionnalisation les modes de construction sociale
autrement dit les processus qui transforment une collection d'individus à la fois en un
groupe spécialisé dans la division du travail et en un acteur collectif » (Demailly, 2008,
p 78).
Cette approche est particulièrement stimulante pour notre sujet car elle indique
l'articulation explicite entre l'organisation sociale du travail et sa division, et la dimension
collective pour développer ce qu'elle nomme l'autonomie et la solidarité du groupe. Cette
définition qui permet de développer ce qu'elle qualifie d'axiomatique pluraliste ou française,
conduit à préciser la constitution des groupes professionnels, ce sont :
126
« […] des ensembles d'individus occupant objectivement des places
semblables dans la division technique et sociale du travail, ces groupes ayant pour
leurs membres une existence subjective plus ou moins présente, disposant d'une
organisation interne et de capacités d'interventions externes plus ou moins fortes, sur
la base de principes de structuration divers. La mention du plus ou moins est
importante : elle évoque la force du processus de professionnalisation, qui peut être
de degrés inégaux » (Demailly, 2008).
Faire référence à cette construction et à sa théorisation outre de signaler le caractère
malléable des groupes professionnels, attire l'attention sur la diversité des modes de
construction selon les contextes organisationnels et historiques, là où les représentations ou
les discours peuvent faire penser à une homogénéité d'un champ , ici le champ social. Cette
théorisation correspond à la recherche que nous menons autour de la mise en valeur des
activités du travail social, elle permet de rendre compte du phénomène de
professionnalisation entre la potentialité de constituer un groupe et son inscription dans
l'espace social.
Les critères énoncés dans cette identification permettent aussi de situer ces
constitutions « comme de simples cas particuliers d'un phénomène social plus général : la
tendance générale à la constitution d'acteurs collectifs - plus ou moins consistants et
dynamiques- » en fonction d'une proximité extraorganisationnelle et extraterritoriale pour ce
qui concerne le travail (Demailly, 2008).
Pour Richard Wittorski, c'est l'analyse sous l'angle des forces en présence qui prévaut
selon trois formes d'assemblages entre actrices et acteurs distinct.e.s. L'une constitue la
professionnalisation-profession comme constitution d'un groupe social autonome, l'autre
représente la professionnalisation-efficacité du travail et concerne l'accompagnement de la
flexibilité du travail, la troisième correspond à la professionnalisation-formation et œuvre à la
fabrication d'un.e professionnel.le par la formation. Quelle que soit la dynamique, elle
« relève avant tout d'une intention sociale ».
127
Selon cet auteur, la professionnalisation fait « l’objet d’une charge idéologique forte.
[...] elle renvoie à des enjeux qui se différencient en fonction des groupes d’acteurs qui la
promeuvent (société, individus, groupes professionnels ou organisations)» (Wittorski, 2008).
Pour sa part, Nadège Vezinat précise la configuration applicable à chaque secteur
d'activités. Pour chaque secteur, un espace professionnel se constitue au sein duquel une
chaîne d'acteurs est identifiable : « les professionnels eux-mêmes, les destinataires de
l'activité, les instances étatiques, les lieux de formations, les organisations employeuses »,
chaque catégorie jouant son rôle dans le développement des groupes professionnels « par le
biais de différents modes de gouvernance » (Vezinat, 2016, p 95-96). Cette dernière
observation constitue « l'enjeu central actuel » et oriente les analyses vers les régulations
ainsi produites au sein de processus multiples et particulièrement mobiles.
A partir d'analyses empiriques, la part d'autonomie dont dispose le groupe de
professionnels reste un indicateur commun pour évaluer le processus de professionnalisation
à l’œuvre ou ses transformations pour les individus et leur groupe. Ensuite les jeux d'alliance
entre acteurs de l'espace professionnel permettent d'identifier les régulations qui s'opèrent
et celles qui se heurtent.
C'est donc cette dimension de gouvernance que nous avons particulièrement retenue
pour présenter l'organisation actuelle du secteur. Organisation que nous regardons selon la
focale introduite par Didier Demazières qui présente la professionnalisation selon deux
versants. Soit le versant « par le bas » où c'est le groupe de professionnels qui définit les
contours de la professionnalisation sous l'influence de l'institution de travail ; soit le versant
« par le haut », où les influences externes (managériales, économiques) sont prépondérantes
dans le pilotage ou la mise en œuvre de la professionnalisation.
Ce deuxième versant ouvre des perspectives d'analyse au croisement des institutions
et des sujets sans déterminer une fois pour toutes la valeur de telle ou telle logique. Ainsi
selon si « la professionnalisation par le haut est associable à une déprofessionnalisation, soit
à une perte de l'expertise des travailleurs » ou si elle est « synonyme d'opportunité
d'amélioration de travail et de redistribution de la division du travail », la perception des
128
transformations pour les personnes n'est pas identique et le point de vue des acteurs
professionnels est conservé (Demazières, 2012).
Au final, cet ensemble de points de vue présentés permet de saisir la diversité
professionnelle telle qu'elle s'exprime dans un secteur d'activités. A partir d'analyses
empiriques, la part d'autonomie dont disposent le groupe de professionnels reste un
indicateur commun pour évaluer le processus de professionnalisation à l’œuvre ou ses
transformations pour les individus et leur groupe. Ensuite les jeux d'alliance entre acteurs de
l'espace professionnel permettent d'identifier les régulations qui s'opèrent et celles qui se
heurtent.
Dans le secteur social, il est possible de repérer au fil du temps l'émergence de
nouveaux groupes professionnels correspondants à de nouveaux segments d'activités. Ces
nouveaux segments viennent s'ajouter aux spécialités précédentes soit du fait de l'évolution
des politiques publiques (exemple de la Politique de la Ville, encadré ci-dessous), soit du fait
du travail de reconnaissance d'un groupe de professionnels (exemple des médiatrices et
médiateurs ou actuellement des travailleurs sociaux en commissariat et gendarmerie), soit
du fait des organisations employeurs (exemple du DEAVS), soit du fait des centres de
formations (exemple des cadres intermédiaires) et parfois de convergences de plusieurs de
ces forces. Pour autant, il s'agit bien dans un premier temps de mutation ou d'évolution et
non de construction ex nihilo d'un nouveau groupe.
129
Encadré 1 : Exemple de la Politique de la Ville
L'exemple de la Politique de la ville initiée par l’État (1988), permet de clarifier l'émergence de
« nouveaux » groupes professionnels et la juxtaposition de la terminologie d'intervention sociale au
côté ou à la place du travail social. Ce travail a été réalisé au sein du programme de recherche de la
Mire (2000) et présenté à plusieurs occasions : « Ainsi donc, les « nouvelles réalités », les nouvelles
politiques auraient besoin de nouveaux professionnels, car les travailleurs sociaux ne disposeraient
pas des compétences nécessaires » (Autès, 1998). Pour autant les observations sur sept départements
français ont montré leur présence, « Les postes créés par les nouvelles politiques publiques sont très
souvent occupés par des professionnels du travail social, notamment les animateurs et les
conseillères. Mais les éducateurs et les assistantes sociales sont loin d'être absents. [...]. les
travailleurs sociaux sont même souvent les concepteurs et les managers de ces politiques,[...]
notamment au sein des villes qui ont développé leur système d'action sociale locale » (Autès, 1998, p
70-72). Ainsi les « métiers de la ville » constituent un nouvel espace professionnel investi par des
professionnel.le.s du travail social et par des diplômés de l'Université.
Cette enquête a aussi permis de révéler l'importance voire la dominante « d'intervenants » de
niveau V et IV au lieu de la seule représentation des niveau III. Ensemble ils vont fabriquer un nouveau
secteur d'intervention sociale et contribuer au développement d'un nouveau marché de la formation.
Simultanément dans les établissements sociaux et médico-sociaux ou les services dits
périphériques au premier cercle du travail social décrit pour la période précédente (2), de nouvelles
fonctions ou missions se déploient sous l'impulsion d'employeurs soucieux de s'adapter à de
nouvelles situations, de nouvelles demandes.
Ce mouvement est repérable selon deux dynamiques particulières, soit la nouvelle
activité s'inscrit dans ce qu'on peut appeler la généalogie du groupe initial en constituant
une bifurcation possible, une spécialisation, soit elle s'affranchit de ce premier ensemble
pour s'inscrire dans un nouvel espace professionnel où se croisent des institutions différentes
des premières et identifier une part de marché à créer, à investir (Vezinat, 2016). Cette
distinction confirme la compréhension des diversifications des exercices professionnels par le
jeu des régulations qui s'y opèrent.
130
3.1.2. L'analyse par les modes de régulation
L'étude des dynamiques professionnelles peut éclairer la structuration du travail social selon
l'antériorité des groupes qui le constitue et leur mode de régulation dominante. Nous avons
retenu quatre périodes de gouvernance pour mettre en évidence les transformations issues
de ces jeux de régulation. Pour cette analyse nous nous sommes inspirés de la classification
selon le mode de gouvernance établit par Lennart Svensson (2010) et cité par Nadège
Vézinat (2016, p 96). Il s'agit de quatre formes de gouvernance idéal-typiques –
professionnelle, organisationnelle, administrative, par le marché - qui servent à désigner
pour chaque configuration, le groupe d'acteurs qui peut ainsi prendre l'ascendant sur les
autres.
Cette classification par le mode de gouvernance nous permet de rendre compte des
changements à l’œuvre dans des interactions réunissant les actrices et acteurs de l'État
social, du marché des professions, de la mise en œuvre de la solidarité et les personnes
concernées. C'est ce que nous présentons maintenant en gardant à l'esprit que la dominante
d'un mode de régulation n'exclut pas la cohabitation avec les formes qui l'ont précédée.
Nous présentons dans le tableau ci-dessous les composantes clés du champ professionnel et
leur structuration principale qui s'en dégagent pour chaque période. Ces structurations qui
cohabitent font la complexité du système actuel entre acteurs et participent aux
« nouvelles » conceptions de la solidarité. Pourtant le diagnostic semble là aussi avoir été
posé de longue date :
« Les tensions entre acteurs peuvent avoir des aspects négatifs, dans la
mesure où elles pourraient être le signe d'une domination indue d'un acteur sur un
autre : mais elles peuvent inversement être lues positivement comme moyen de
conserver un équilibre utile entre des formes de logiques également légitimes,
comme un rempart face à des dérives propres à chacune des logiques. En ce sens, on
peut considérer que la survie du champ social exige le maintien d'un équilibre des
forces, sans que l'une ou l'autre des forces soient écrasées » (Bertaux, Schleret,
Bernardi, in Chopart 2000, p 227).
131
Tableau 1 : Les composantes structurantes du champ social par période
Période
Initiative
Légitimation
Régulation
dominante
Dimension de solidarité
principale
Période 1
Organisations
Expertise
professionnelles professionnelle
et
et État
associations
d'usagers
Logique
Un lien constituant entre les
professionnelle
individus et une valeur
par
domaine partagée
réglementaire en
cours
d'élaboration
Période 2
État central
État
central Logique
Une politique nationale dans
organisateur
organisationnelle une société de croissance
par mission qui se
marie avec les
logiques
professionnelles
par secteur
Période 3
Dirigeants
politiques et
institutionnels
État central et
Élus
départementaux
ou communaux
Logique
organisationnelle
et
managériale
dans
une
recherche
de
rationalisation
Période 4
Marché
territorial local
et
Établissements
de formation
État central et
Élus
départementaux
ou communaux
et Employeurs
Logique
Un motif d'activation de la
institutionnelle
participation individuelle
qui s'appuie sur
une
logique
gestionnaire des
compétences
Un budget à maîtriser dans
les dépenses publiques, une
charge
pas
toujours
efficiente
- La première période (1) que nous qualifions de première institutionnalisation « par
le bas » selon la formulation de Didier Demazières s'apparente à ce qui a été nommé par
Emmanuel Jovelin, l'étape de la fonctionnarisation (Jovelin, 2008). Dans cette période au
132
lendemain de la seconde guerre mondiale, se conjuguent auto-gouvernance professionnelle
et régulation par l’État dans un contexte politico-administratif fort de l’État providence. Cela
correspond dans la classification de Lennart Svensson à la gouvernance professionnelle ou à
une période de forte autonomie des groupes professionnels, en capacité de dialoguer et de
peser dans le rapport avec les autres acteurs.
Cette période est liée à la fois aux dynamiques en présence directement issues de la
première structuration du travail social dans une diversité d'axes d'intervention et de
services publics (hôpitaux, municipalités, tribunaux pour enfants) ou privés (services sociaux,
centres sociaux, associations et écoles de formation), au contexte d'après-guerre et d'unité
nationale autour de la reconstruction du pays, d'une volonté collective à traduire
politiquement pour prendre soin de la population dans son ensemble.
De fait, l’État est directement saisi pour valider ou reconnaître au coup par coup des
ensembles préexistants par les dynamiques associatives présentes en nombre sur le
territoire et selon les liens avec les politiques publiques de l'après-guerre : boom
démographique et prévention maternelle et périnatale (nommée PMI par l'ordonnance du 2
novembre 1945, Protection maternelle et infantile), mise en place de la Sécurité sociale et
intégration de la branche famille (Plan général de Pierre Laroque, 1945-1946), création de la
protection de l'enfance délinquante (ordonnance du 2 février 1945).
On peut retenir de cette période une organisation de missions et de services par
domaine réglementaire : code de la famille et de l'aide sociale (CFAS, transformé en Code de
l'action sociale et des familles en 2000), code de la santé publique, code du logement code
du travail, codes civil et pénal. Durant cette période de planification économique et sociale, il
n'y a pas au point de départ la création d'une administration nationale de l'action sociale. Le
premier gouvernement instaurant un ministère de l'action sociale le fera en 1953.
L'absence d'une politique de structuration territoriale et nationale des interventions
sociales est peu mise en question dans les différentes études sur le sujet. Plusieurs
explications peuvent être avancées au stade de notre recherche, la multiplicité d'initiatives
d'actions sociales laïques présente comme plusieurs héritages invisibles : une pré-histoire
mêlant initiatives publiques portées principalement par des femmes en contexte de rupture
133
avec la charité religieuse, le choix de l'éducation comme ciment culturel et social confié à
l'école républicaine, la conviction d'un droit social structurant mis en œuvre par l’État social
naissant de la IIIème République, la rupture créée par les deux périodes de guerre ?
Toujours est-il qu'il n'existe pas pour la période de schéma d'ensemble de l'action
sociale nationale et territoriale (celui-ci n'interviendra qu'avec la mise en œuvre des
circonscriptions d'action sociale de 1964). C'est donc par les premières organisations
professionnelles et les associations d'usagers (principalement les parents d'enfants
handicapés) que se développent les services et les formations se réclamant d'une « utilité
publique » ou en ayant obtenu la reconnaissance par l’État.
Ainsi vont cohabiter des actions en faveur de la jeunesse (Foyers de jeunes
travailleurs, FJT), de sa protection (Éducation surveillée au sein du Ministère de la Justice), de
son éducation (Diplôme privé des jardinières d'enfants ou Diplôme d'état d'éducateurs
spécialisés de l'enfance inadaptée), des actions en faveur des familles (développement des
centres sociaux associatifs ou municipaux recevant des financements de la CNAF), du
logement, de la santé.
Il convient de retenir qu'il n' y a pas non plus de modèle unique de construction audelà d'une conjugaison recherchée entre un besoin (ou l'identification d'un problème social),
la qualification des intervenant.e.s, l'inscription dans une politique publique. Cette
hétérogénéité va se retrouver dans les unités fédératrices, tantôt sous le label d'un service
(exemples : la Fédération des centres sociaux, les services de l'aide sociale) tantôt sous le
label d'un public (Union nationale des Familles, Sauvegarde de l'Enfance). Cet ensemble s'il
témoigne de la diversité des initiatives et des implications civiles et associatives au côté de
l’État est aussi la source d'une construction hétérogène des professionnalités. Celles-ci
peuvent venir selon la sociologie des professions d'un groupe d'individus qui s'attachent à
faire reconnaître son expertise, ses savoirs-faire, elle peut aussi venir d'usagers
« commanditaires » de l'intervention comme dans la situation des parents qui se sont
regroupés autour de l'enfance inadaptée.
Ainsi la première institutionnalisation des services sociaux apparaît plutôt comme une
régulation conjointe entre initiative privée et État social dans une forte dépendance à l’État
134
et aux politiques publiques. Par initiative privée, il faut retenir celle des groupes
professionnels constitués et celle des personnes concernées par les demandes éducatives.
Les associations régionales de Sauvegarde de l'enfance reconnues comme organismes semipublics en 1945 illustrent particulièrement cette configuration. Leur transformation en
Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptée (CREAI) en 1964 correspond à la
fois à la reconnaissance d'une capacité d'expertise auprès de la puissance publique et à la
volonté de réglementer et de contenir leurs initiatives « privées ».
- La seconde période politico-administrative (2) que nous avons située autour des
années 70, correspond à la montée en puissance de l’État comme maître d’œuvre de la
politique sociale. A l'inverse de la période précédente, il s'agit pour l’État de structurer et
d'orienter l'action sociale à partir de dispositifs publics. Cette période s'inscrit dans la
continuité des années de croissance économique qui a précédé, où l’État s'attache par
différentes lois à parachever un dispositif national d'action publique. Les différentes lois de
1975 impactent la santé, le handicap mais aussi l'école, la formation continue.
Du côté du travail social et de l'action sociale, on voit l’État faire converger la création
de certifications professionnelles, une direction centrale de l'action sociale (DAS, 1970) et
une sous-direction des professions sociales et du travail social. Plusieurs nouveaux diplômes
sont créés : délégués à la tutelle, conseillères en économie sociale familiale (ancienne
monitrice d'enseignement ménager), éducateurs techniques spécialisés, brevet d'aptitude à
l'animation socio-éducative, certificat d'aptitude professionnelle à l'animation socioéducative, certificat d'aptitude aux fonctions de moniteurs-éducateurs, diplôme d'aide
médico-psychologique, diplôme d’État de jardinières d'enfants.
C'est la période où le développement des secteurs d'intervention va s'équilibrer
autour de trois grands pôles : l'assistance sociale, l'enfance inadaptée, l'action socioculturelle
(Monrose, 2000). Il est intéressant d'avoir en mémoire les structures principales qui ont
composé le paysage de cette action sociale. En voici, une rapide énumération :
- du côté de « l'assistance sociale », elle se répartie sur l'ensemble du territoire entre
les services déconcentrés de l 'Etat – DASS et circonscription d'action sanitaire et sociale - et
135
l'action des communes par leurs bureaux d'aide sociale (ce qui se nomme aujourd'hui CCAS),
les services dits spécialisés d'organismes de protection sociale : CPAM, MSA, CAF , SNCF,
Caisse des mines, ...
- du côté des prises en charge éducative, les établissements sont nombreux et
principalement gérés par des associations, la comptabilité publique les a classés soit du côté
du handicap avec un financement de la sécurité sociale (les instituts médico-pédagogiques et
les instituts de rééducation) soit du côté des difficultés sociales avec un financement Etat (les
maisons d'enfants, foyers, pouponnières, maisons maternelles, clubs et équipes de
prévention).
- du côté de l'animation, si certaines des structures précédentes du secteur social et
médico-social ont pu s'adjoindre des fonctions d'animateurs, c'est surtout les centres
sociaux, les foyers d'hébergement, les maisons de jeunes, les foyers ruraux, … Ces
professionnel.les qui interviennent auprès des populations sur les bases de l'éducation
populaire ont été labellisés par le Ministère de la jeunesse dans une dimension sociale et
culturelle, nommée animation socio-éducative, au sein des territoires ruraux ou urbains
(nouvelles cités par exemple).
Si de la période précédente (1) subsiste, la diversité des structures et donc des
employeurs (associatifs, fonction publique, services de protection sociale), l'ordonnancement
des régimes d'intervention et des statuts sont désormais fixés pour tous dans des cadres
réglementaires : soit du côté de publics destinataires des interventions, soit du côté des
cadres d'emplois et des conditions d'exercice des métiers, soit du côté salarial (convention
collective du secteur social ou médico-social1, fonction publique de référence). Cette
administration du secteur par l'État n'entraîne pas pour autant une disparition des services
existants : « Le secteur privé continue, bien évidemment à exister mais il sera contrôlé, placé
sous la tutelle administrative serrée des Directions départementales des affaires sanitaires et
sociales crées en 1964 » (Astier, 2010, p 44).
Dans cette volonté d'homogénéisation d'un secteur très diversifié, les professionnelles du travail social sont soumis aux paradoxes d'un exercice individualisé et individuel d'une
136
mission par essence collective (Autès, 1999). La mise en œuvre de la solidarité par l’État
social cloisonne les professions à partir de chacun des trois pôles ciblés : les assistantes
sociales sont principalement dans l'accès aux droits des personnes et le diagnostic des
situations problématiques ; les éducateurs spécialisés centrés sur la prise en charge
individualisée des jeunes en majorité au sein d'établissements ; les animateurs conservent la
dimension collective principalement autour de l'organisation des loisirs de la jeunesse sur les
bases de l'éducation populaire.
Isabelle Astier (2010) relève une unification administrative de surface jusque dans les
années 1980 et d'une absence de perméabilité entre les fonctions. Sur cette période (2), la
gouvernance du travail social est principalement le fait des acteurs administratifs dans un
lien entretenu avec les organisations professionnelles.
- Une troisième période (3) succède à la précédente dans la continuité des
dynamiques « par le haut », elle s'est construite à partir des années 80. Le changement de
gouvernement en 1980 introduit une première étape de décentralisation de l'action sociale,
ce qui a pour effet d'entraîner une reconfiguration de la chaîne des acteurs du secteur. D'un
côté, le transfert d'une part des compétences de l'action sociale aux départements (1982) est
pris très au sérieux par les autorités politiques et administratives qui vont s'employer à
intervenir, orienter et réorganiser l'existant « au nom de la décentralisation ». D'un autre
côté, la confrontation au chômage de masse, la première crise des banlieues, la question de
l'insertion sociale et professionnelle des jeunes (Les Minguettes, 1981), qui constituent
autant d'aspects des nouvelles questions sociales vont inciter l’État à conserver une part de
maîtrise d’œuvre de l'intervention sociale et à s'engager dans des politiques dites
transversales où il tente de remobiliser à ses côtés communes, départements, régions.
Cette période va ainsi contribuer à la complexification du champ professionnel
précédemment institué :
« Le pilotage des politiques sociales se dilue dans l'interministérialité et le
partenariat local. La Direction de l'action sociale qui constituait pratiquement le pôle
unique en la matière jusqu'au début des années 80, se voit disputer ses prérogatives
137
par de multiples administrations de mission développant des logiques spécifiques et
des nouvelles compétences. [...] Il n'y a plus un interlocuteur unique, mais une
multitude de décideurs aux attentes croisées, voire contradictoires » (Chopart 2000,
p3).
Ceci a conduit à un morcellement de l'identité professionnelle des travailleurs
sociaux. Plusieurs auteurs situent la question de la disqualification des travailleurs sociaux au
moment de ce transfert de l'action sociale aux élus locaux introduit par la première loi de
décentralisation (Aballéa 1996, Chopart 2000,). A l'occasion d'une étude sur les territoires
publics et privés du service social à partir des assistants sociaux d'un département, Claudie
Rey met l'accent sur la déstabilisation des relations entre acteurs, du fait des changements
de statuts et de la modification des rapports de pouvoirs entre décideurs (élus
majoritairement masculins) et professionnel-les (travailleurs sociaux majoritairement
féminins) :
« Dans ce contexte, la structuration des services sociaux départementaux est
devenue un enjeu politique, gestionnaire et social. Elle suscite de nombreuses
questions dont les principales ont trait à la répartition des pouvoirs et des domaines
d’intervention (entre l’État et les collectivités territoriales, entre les élus locaux et les
salariés de la Fonction publique territoriale, entre les différents métiers du secteur
social), aux conceptions du service public et des usagers » (Rey, 2009).
La régulation s'instaure entre les nouveaux décideurs de l'action sociale et les
organisateurs des interventions. La prépondérance prise par les fonctions employeurs dans
ce contexte d'action publique locale et de nouvelle gestion priorise les règles du
management et d'un encadrement hiérarchique, renvoyant formellement les références
professionnelles au second plan.
C'est ainsi que plusieurs débats et axes d'analyses prennent place dans le contexte de
cette double conduite des « affaires sociales » qu'il est possible de formuler aujourd'hui
selon deux dimensions : la question de la compétence des professionnel.les référencé.e.s
avec l'émergence de nouveaux professionnels aux côtés de professionnels « anciens » ; la
138
question de l'encadrement des professionnel.les, de la conduite et des méthodes de l'action
sociale, du travail social.
A partir de l'exemple de la Politique de la ville initiée par l’État (1988) présenté dans
l'encadré précédent, nous avons signalé l'antagonisme construit entre anciens et nouveaux
professionnels et la mise en cause des professionnalités sur la base d'une ignorance du
travail social réel et de ses adaptations régulières (Autès, 1988- Chopart, 2000). Si
l'identification des besoins/des problèmes et la conception des réponses a changé d'échelon
professionnel (passage au niveau directionnel ou managérial), la segmentation des
interventions est maintenue par la logique des missions réparties entre institutions et par les
différents niveaux de compétences politiques qui fractionnent les réponses en matière
d'intervenants. Six grandes logiques sont énoncées par Dominique Beynier et Jean-Noël
Chopart dans le programme de recherche de la MIRE (2000) : « l'intervention à domicile,
l'insertion sociale, le développement local, le travail d'interface, les auxiliaires administratifs
et l'encadrement ». Face à cette multiplicité, les acteurs de la formation développent une
place à part entière dans le champ professionnel et s'inscrivent peu à peu comme de
nouveaux interlocuteurs dans la chaîne d'acteurs.
Dans ce contexte de décentralisation « immédiate », l'action sociale se fragmente
tant techniquement que politiquement. Cette perception est partagée tout au long de la
chaîne des actrices et acteurs, la création du diplôme d'étude et d’ingénierie sociale, DEIS,
peut être retenue comme une tentative de réponse collective pour sortir de la segmentation
identifiée. La présentation de cette construction dans l'encadré ci-dessous illustre la
transition qui se dessine avec la période suivante (4). Elle rend compte de l'analyse partagée
sur la période (3) décrite et révèle la mise en tension du côté des intervenants
professionnels.
139
Encadré 2 : La création du diplôme d'étude et d’ingénierie sociale
C'est à la Commission Professionnelle Consultative (CPC) du travail social et de l'intervention
sociale, qu'a été remis le mandat de création du DEIS (2006). Marc de Montalembert rapporte : « La
volonté délibérée était de faire participer ce diplôme à la création d’un espace entre les directions des
affaires financières et les directions des ressources humaines, particulièrement en ces temps de
groupements de coopération et de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens » (Montalembert,
2011, p 8). Dans le même temps Isabelle Kittel, chargée de mission à la Direction générale de la
cohésion sociale (2010), indique : « D’une façon générale, il y avait également la perspective que ce
référentiel devait favoriser le passage d’une attractivité jusque-là essentiellement laissée à l’initiative
individuelle à une attractivité construite sur des besoins de compétences identifiés, donc davantage
portée par les employeurs » (Kittel, 2011, p 28).
Les différents points de vue vont dans le sens d'un pilotage par le haut du secteur et confirment
l'analyse énoncée précédemment de Richard Wittorski : le groupe professionnel n'est plus le principal
acteur des règles instituées, ni le maître du jeu sur l'activité à réaliser. Patrick Dubéchot décrit à son
tour la mise en œuvre des cadres de l'intervention sociale : « le DEIS a été envisagé par ses promoteurs
comme l’un des instruments d’accompagnement de l’évolution des modes d’intervention sociale »
(Dubéchot, 2011, p 61). Par cette indication, il introduit ce qu'il qualifie de « décalage » des pratiques
gestionnaires du secteur professionnel présent au démarrage des années 2000, qu'il s'agisse des
collectivités territoriales ou des établissements et des services sociaux et médico-sociaux à propos de
certains emplois liés à l’encadrement : « Les responsables associatifs, d’établissements ou de services
préfèrent encore confier les activités d’ingénierie et les missions d’expertise à des cabinets extérieurs. Il
manque du côté de ces opérateurs une politique de gestion des emplois et des compétences [...] un
corps professionnel d’experts intégrés au fonctionnement même des organisations ». Il situe son propos
en lien avec les mutations économiques et sociales des années 80. Pour lui, l'émergence du paradigme
d'approche globale entraîne l'émergence de politiques territorialisées qui se veulent en rupture avec les
logiques de segmentation et d'administration verticale et appellent des pratiques transversales : « Les
traits essentiels de cette réflexion consistent à rompre avec un mode d’autorité qui ne procède plus
seulement d’une logique de subordination ou d’une structure d’autorité de type hiérarchique […] Un
point d’observation réside dans la manière de penser les relations hiérarchiques/fonctionnelles,
verticales/transversales […] et d’identifier, le cas échéant, la coexistence de différentes logiques
organisationnelles » (Dubéchot, 2011, p 66).
140
L'approche organisationnelle est à compléter des observations de Michel Autès commentant ce
point de vue de l'adaptation ou de la non-adaptation des compétences professionnelles par les
évolutions des transformations des politiques publiques : « Ce mouvement est d'autant plus remarquable
qu'il se produit à rebours de ce qui se passe dans les métiers des services marchands et même
industriels, où on valorise au contraire les dimensions relationnelles des métiers, l'implication et
l'autonomie des professionnels, la réduction des niveaux hiérarchiques au profit des modèles
d'organisation qualifiante du travail. Dans les métiers du social, on suit le chemin inverse, en séparant
fonctions de conception et fonctions d’exécution, en spécialisant des professionnels sur des tâches
étroites, en taylorisant l'organisation du travail d'après des modèles de technicisation qui rompent avec
les dimensions relationnelles et d'action globale qui ont constitué le cœur du travail » (Autès, 1998, p
74).
Ainsi les deux auteurs s'accordent sur la période de rupture et sur l'approche globale, même si
leurs propos diffèrent dans les analyses.
- Une nouvelle période (4) est établie avec les années 2000, qui confirme l'introduction et la
prégnance des références aux logiques de marché : le social est durablement inscrit comme
une charge dans le système économique néolibéral et dans une subordination à la sphère
économique. Cette conception entraîne une modification des fondements de la solidarité au
sein de l’État social et se cumule aux nouvelles règles de la gestion publique (New
management public). La référence aux règles du marché prend le pas sur la notion de service
public. La solidarité n'est plus pensée comme un droit, « le rejet de l’assistance est devenu,
au cours des années 2000, un élément structurant du débat politique et des représentations
sociales en France » (Duvoux, 2012, p 10). Sur fond de crise économique et d'accroissement
du chômage, de nouveaux critères sont introduits au sein des politiques publiques en termes
de référentiels d'évaluation et de contributions actives des bénéficiaires des interventions
sociales (Castel, Duvoux, 2013).
Dans ce contexte, le principe de l'intervention sociale inscrit comme dimension
« organique » de l’État social à la française est considérablement affaibli (Chauvière 2010). La
prise en compte des besoins sociaux et leurs définitions font l'objet de renégociation et
141
redistribuent les alliances entre acteurs. Les destinataires des services sociaux présentés
comme régulateurs in fine des actions deviennent eux-mêmes l'enjeu de ces alliances selon
qui les mobilise et à quel titre comme s'est attaché à le souligner Michel Chauvière :
« Concrètement, depuis la décentralisation, les nouveaux pivots de l’action ne
sont plus les professionnels mais des programmes à durée limitée et à géométrie
variable, mis en œuvre par des opérateurs soumis à des régulations politiques de
proximité et à la concurrence, avec raréfaction des ressources. Dans le même sens, la
loi 2002-2 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale reste muette sur les
professionnels en tant que tels, se contentant de réguler leurs nouvelles sujétions et
obligations » (Chauvière, 2010, p 24).
Le gouvernement des politiques publiques du secteur est lui-même premier dans la
régulation du marché local (au plan national comme territorial du social), il s'oriente tantôt
du côté d'une politique de l'emploi en raison des gisements que le secteur est supposé
comporter, tantôt du côté d'une politique sociale en fonction des différentes points
d'attention aux populations (Famille- Personnes Âgées) et à leur prise en charge (prestationssoins-règles de sécurité- …).
Entre les deux, se développe le marché des emplois de services mêlant toute la
palette
des
considérations
de
soins
aux
personnes
et
celle
des
objectifs
budgétaires/gestionnaires (sans que la question politique d'un « 5ème risque » n'ait pu
aboutir1). Ce marché avait été une hypothèse identifiée par la MIRE (2000), sous le terme de
« marchés territoriaux du social » en réunissant deux concepts : le concept de gouvernance
(concerne la construction locale de l'action publique) et le concept de marché ouvert
(concerne la gestion des emplois). Ces deux notions sont utilisées dans le cadre de la
restructuration des politiques publiques en tenant compte de la logique des territoires
(Maurel, 2000, p 50-51).
Avec la prégnance du marché et de ces acteurs principaux, c'est la
déprofessionnalisation du secteur qui est repérable plus que sa déqualification dans une
confrontation entre logique de qualification et logique de compétences. L'accroissement des
142
métiers de niveaux IV et V, réduit d'autant le poids des organisations professionnelles
constituées autour des niveaux III. Celles-ci ne sont plus en position d'intervenir sur la
régulation « des prises en charge », sur la définition des besoins sociaux, leur mobilisation
est centrée sur la définition des actes professionnels, le maintien d'une expertise et les
conditions d'exercice des services rendus.
Les références professionnelles, parfois contradictoires, en termes de contributions
aux conceptions de la solidarité, aux enjeux de définitions et de mise en œuvre de l'action
sociale ne sont plus attendues des acteurs « du haut ». Ces différents éléments sont
désormais du ressort de l'encadrement du travail social en lien avec le niveau politique et
employeur. La séparation entre le niveau conceptuel et le niveau des interventions qui avait
résisté aux segmentations diverses est devenue « opérationnelle » comme l'indique Nadège
Vézinat (2016, p 112) :
« Parce que les modes opératoires sont conçus par des ingénieurs ou des
managers, ils donnent lieu à une normativité imposée qui inscrit le managerialisme
dans une sorte de filiation taylorienne tandis que le professionnalisme s'appuie
d'abord sur les savoirs-faire des professionnels et une normativité collectivement
partagée car transmise par des pairs ».
La régulation « d'en haut » demande aux premiers protagonistes de l'intervention
sociale (professionnel.le.s-personnes concerné.e.s) d'agir de manière concertée aux deux
endroits où ils et elles « se rencontrent » : l'espace professionnel de l'intervention sociale qui
est le lieu de cette rencontre, l'espace de la formation qui est un lieu ouvert à la construction
des savoirs professionnels, à la transmission des connaissances, à leur mise en perspective
critique d'usage.
Si elles sont bienvenues au plan démocratique, ces nouvelles directives centrées sur
la qualité du service, sur la relation aux personnes destinataires de l'intervention, sur la place
faite aux destinataires des interventions dans les formations, dans les pratiques
professionnelles mobilisent les discours et les orientations sans que les niveaux politiques ou
organisationnels des services soient impactés par la même incitation à reconsidérer les
143
pratiques et les fonctionnements dans les mêmes temporalités. Ils conduisent à la
considération principale du duo institué et institutionnalisé du « professionnel-usager ».
D'un autre côté, plusieurs exemples présents dans la presse professionnelle ou les
colloques soulignent le recentrage des professionnel.le.s ou des groupes professionnels qui
participent au processus en se le réappropriant (Demailly, 2008 - Vézinat, 2016). Celui des
techniciens et techniciennes de l'intervention sociale familiale (TISF) peut illustrer le
mouvement d'une quasi disparition jusqu'à un retour par l’insertion progressive, quasi au cas
par cas, dans le système « flou », c'est-à-dire l'instauration d'un marché territorial activant
l'usage ou le non usage de cette professionnalité par les employeurs au sein de chaque
institution. Le groupe des assistants sociaux de commissariats et de gendarmeries qui a
constitué sa propre association (l'Association Nationale d'Interventions Sociales en
Commissariat et Gendarmerie, ANISCG, 2003) rend compte de l'émergence d'un nouvel
espace professionnel investi à son tour par des professionnels de formation et d'horizons
différents. De leur côté, des responsables de service d'action sociale de grandes ou
moyennes villes rappellent leurs rencontres au quotidien avec les habitant.e.s et
« discutent » les discours sur l'absence de prise en compte « des usagers », des
professionnel.le.s « encadrants » de l'action sociale communale relatent leur divergence avec
les élus sur les motifs de la participation des personnes concernées dans une scission entre
« participation citoyenne » et « rappel des devoirs » (LaboISIC 2017 à Montpellier, Colloque
ODENORE 2017 à Grenoble).
Pour conclure cette analyse de la professionnalisation par les régulations, si aucune
période n'a définitivement disparue au profit d'une autre, la période actuelle en France, se
caractérise par la dominante de deux niveaux d'échelle de régulation, l'un au plan local et
régional, l'autre au plan national. Le secteur social est passé d'un système relativement figé
entre organisations professionnelles et organisations employeurs sous la régulation de l’État
à un système plus flou sur les territoires où s'entrecroisent rapports sociaux et jeux d'acteurs
au sein des nouveaux cadres réglementaires.
144
Au plan local et régional, l'organisation des services dépend principalement des offres
sur un marché régional à « budget fermé » sous la pression conjointe des employeurs et des
lieux de formations. Les rapports de pouvoir conjuguent les registres de la qualification et de
l'employabilité dans un contexte où le marché de l'emploi est un baromètre puissant du
modèle économique actuel en particulier dans ce secteur à fort potentiel d'emploi local.
Cette reconfiguration a été identifiée par les organismes de formation existants et a
donné lieu à un travail de réorganisation entre les établissements de formation agréés de
travail social (EFTS). Une nouvelle fédération a été créée au plan national (UNAFORIS, 2012)
tout en proposant des plateformes de coopération au plan régional au regard des nouvelles
compétences des Régions en matière de formation (Annexe 1). A côté de ce regroupement
stratégique, signalons la présence d'autres acteurs de la formation pour le secteur qui
mêlent formation initiale, formation continue et spécialisations. Ainsi, certains diplômes en
travail social sont proposés par les universités (DUT aux carrières sociales, licences
professionnelles ou Masters), des formations continues ou thématiques et spécifiques
d'encadrement sont organisées par le secteur de la fonction publique (CNFPT et ENACT). Aux
côtés de ces grands opérateurs, différentes structures (Cabinets, associations, …) proposent
des formations sur mesure et sur sites aux organisations employeurs en lien avec les
thématiques et les préoccupations émergentes. Ces dernier.e.s moins institutionnalisé.es
utilisent l'actualité des questions sociales et des réseaux pour intervenir en direct auprès des
équipes et des institutions à partir de leur projet. A titre d’exemple citons l’Association
Nationale pour le Développement de l’Approche Développement du Pouvoir d'agir (AndaDPA, 2009). Ce positionnement au croisement des besoins des employeurs et des
professionnels illustre le potentiel de marges de création par le marché au sein des
formations.
Le second effet de ce niveau local de décision est celui de « la proximité » : proximité
politique voulue par les premiers acteurs de la décentralisation de l'action sociale, proximité
des besoins en veillant aux services adaptés et attendus par les destinataires, proximité de la
réclamation et des ajustements ''tout azimut''. Autant de motifs de « proximité » qui ne sont
pas forcément convergents entre eux faute d'une perspective commune d'action en travail
145
social. L'énoncé du « Département, chef de file de l'action sociale » dans la loi NOTRE reste le
plus souvent traversé par les représentations hiérarchiques présentes entres catégories
d'acteurs. Cet inachevé est présenté dans le rapport « Gouvernance des politiques de
solidarité » de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale : « Il faut
concrètement mieux définir ce que recouvre cette notion de « chef de file», en l’élargissant à
une approche plus globale du développement social territorialisé, en précisant aussi le cadre
de concertation dans lequel elle s’exerce. Il faut également que les départements puissent
jouer l’exemplarité en décloisonnant dans leur propre sphère d’interventions » (Dinet,
Thierry, 2012).
Au plan national, les négociations s'effectuent entre groupes d'acteurs que nous
pouvons qualifier de fédérés (Villes, Régions, Associations ou fédérations des personnes
concernées, des organisations de services, des établissements de formation) et l’État encore
principal détenteur du pouvoir d'édicter la règle, les règles du secteur.
La double dynamique présentée et la variabilité des composantes du champ par
territoire conduisent à une pluralité des modes d'exercice des métiers de la solidarité
« nationale ». Pour mémoire, l'analyse rapportée par l'équipe de recherche de la MIRE
signalait déjà cette forte disparité :
« les instances dirigeantes ne sont pas homogènes et ne développent pas toutes aux
mêmes degrés les mêmes tendances […] selon ces secteurs, les professionnels
réagissent plus ou moins activement face à ces modifications des politiques de leurs
employeurs » (Chopart, 2000, p 222).
L'analyse ainsi réalisée souligne la bi-partition des régulations à l'échelle politique
(élus et décideurs) entre le territoire national et le territoire local mais aussi le processus de
transformation par le haut qui prédomine. Son objet (les pratiques professionnelles en
formation initiale ou dans les services), le groupe d'actrices et acteurs cible (les
professionnel.le.s), illustrent la régulation à l’œuvre qui se concentrent sur les enjeux
organisationnels. Ce contexte est peu propice à produire et mettre en œuvre une solidarité
nationale, de Droit et de services, qui soit aussi une politique publique de citoyens
146
assemblés. C'est la dimension politique globale qui s'affaiblit faute de savoir clarifier les
tensions et les enjeux des différents niveaux.
Les changements d'échelle préconisés par Nadège Vézinat pour saisir les effets de
chaque niveau dans le système du monde professionnel de référence ont éclairé notre
problématique. Nous poursuivons l'analyse en recherchant les effets cumulés du genre au
sein du travail social - disparité de la représentation des femmes et des hommes dans les
assemblées politiques et les sphères de décisions, plafond de verre ou escalator de verre
dans les organisations et les institutions de travail, sexuation des métiers à l'entrée en
formation - afin d'examiner plus avant le système professionnel ainsi assemblé. Pour ce faire
nous revenons sur la préférence du féminin dans le secteur du travail social (CH2), pour
rechercher les liens et les compromis, les tensions entre subordination et autonomie dans
l'exercice d'un travail social émancipateur ou non des personnes concernées et des
professionnel.les. du secteur.
3.2. Le croisement des logiques individuelles et des logiques
collectives, un enjeu politique
L'analyse de la professionnalisation du travail social que nous avons présenté, a permis
d'éclairer les enjeux présents par groupe d'actrices et d'acteurs. « Ce déplacement de focale
qui resserre l'analyse sur le niveau intermédiaire de groupes, d'espaces ou de marchés
professionnels déterminés montre que, même en dehors des grandes classes sociales et du
niveau macrosociologique, il demeure du collectif » (Vezinat, 2016). C'est donc à partir de
cette constante du collectif et des « niveaux inter-reliés » ((celui de l'Etat, de l'organisation
du secteur professionnel, des personnes) que nous poursuivons notre travail de recherche
entre « intérêt individuel » des sujets professionnels et « intérêt collectif du groupe
d'appartenance » qui constituent les logiques professionnelles. Selon François Aballéa :
« Il est habituel d’opposer les logiques professionnelles et les logiques
institutionnelles. Les premières réfèrent à la capacité du groupe professionnel à
147
définir d’une façon autonome les règles de l’art du métier et ses références
normatives et éthiques ainsi qu’à en assurer le respect. Les secondes s’inscrivent dans
un rapport de subordination et de soumission du professionnel à l’institution qui
l’emploie et lui impose ses objectifs, ses valeurs, sa culture » (Aballéa, 2014).
C'est ainsi que choisissant d'explorer plus avant les logiques des actrices et acteurs
professionnels, il est important de conserver une référence aux cadres institutionnels
présents. Nous l'avons rappelé précédemment, le processus de professionnalisation du
secteur s'est appuyé sur l’État pour acquérir reconnaissance et légitimité et gagner en
autonomie et indépendance (notamment vis à vis de l'Église). Cette première légitimité
construite par le bas, si elle persiste au plan de ce qui caractérise un groupe professionnel
(son objet, ses interventions pratiques, ses valeurs), se trouve fortement concurrencée
aujourd'hui à chacun de ces niveaux.
Du point de vue de l'analyse sociologique des professions, la capacité à créer et à
mettre en place des formations est souvent considérée comme l'acte fondateur d'une
profession, cette capacité initiale des fondatrices des différentes branches du travail social
(début du XXème siècle, voir CH1) s'est trouvée de fait partagée lors la reconnaissance par
l’État (période 1) puis diluée voire a disparu par la séparation des rôles (période 2et 3) et la
montée en puissance d'autres acteurs (période 4) dont ceux de la formation comme nous
l'avons indiqué.
Le pouvoir instituant de l’État sur cet objet a été transféré majoritairement aux
Départements et aux Régions au fur et à mesure des lois de décentralisation (1982, 2004,
2015), le pouvoir central conservant la dimension législative et certifiante. Cette dimension
réglementaire de l’État s'appuie toujours sur la part d'expertise et de dialogue avec les
groupes professionnels. Mais cette première légitimité, « historique », n'est pas
« nécessaire » aux autres groupes d'acteurs situés au plan local comme nous l'avons indiqué,
puisqu'ils sont centrés sur les dimensions du marché dans un lien entre services rendus ou à
offrir, et production d'une main d’œuvre qualifiée sur un territoire.
148
Cette redistribution de l'attention en cours sur le marché de l'emploi et le marché de
la formation contribue à la transformation de l'environnement politique de la solidarité. Ainsi
ce que François Aballéa a qualifié de « confiance partagée » dans la construction initiale n'est
plus la complète réalité. La dynamique a changé :
« [son] origine dans la similitude des principes et des valeurs professées par le
groupe professionnel et l’institution de référence. […] Les principes et les valeurs
étaient pour une large part partagés de part et d’autre, voire co-produits »
(Aballéa, 2013).
Ce premier constat autour de la dissonance des valeurs se formule dans une
fragmentation de la perspective initiale (la solidarité entre tous) en plusieurs parties, ou
segments de pensées et d'actions dont « les inter-relations » ne sont plus lisibles voire
recherchées. C'est cette dissonance que nous explorons maintenant au sein des logiques
collectives d'une part et des logiques individuelles ensuite.
Au plan collectif, la fragmentation nommée, est présente dans le morcellement actuel
qui s'exprime par la diversité des angles d'analyses produites sur le sujet, à propos du travail
social. Tantôt la question du travail social est exprimée du côté d'une crise identitaire et du
malaise de ses professionnel.le.s, tantôt du côté des coûts de ces interventions et d'une
responsabilité vis à vis de populations devenues dépendantes, tantôt ce sont les questions
de la recherche en travail social qui animent les débats, tantôt la nécessité d'une refondation
ou encore des appels aux changements de pratiques (l'intervention collective,
l'empowerment, la participation des usagers). Cette énumération reflète les différentes
prises actuelles du sujet « travail social » qui peuvent être reliées aux différentes formes de
pouvoir présentes et revendiquées (autonomie professionnelle, financement public,
légitimité de la production des savoirs, orientations institutionnelles et politiques,
employeurs).
Les différentes organisations professionnelles font référence à ces tensions et rendent
compte chacune pour leur part de ces déplacements en termes de « mise à l'écart des
149
débats ». Ces points de vue sont présentés maintenant comme l'expression actuelle de
différents groupes professionnels.
L'Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), une des plus récentes
(2008) s'inscrit dans une filiation à l'association qui a précédé (ANEJI, 1947- 1993. Pour
l'ONES, c'est la volonté de définir et qualifier l’éducation spécialisée qui est le moteur d'une
recréation d'un espace professionnel de débats et de délibération permettant à
l'organisation d'être l'organe représentatif de la profession :
« Ce vide que l’ANEJI avait laissé derrière elle n’a pas été comblé. Il manquait
aux éducateurs une voix qui puisse faire valoir leur point de vue dans la sphère
publique et ce déficit a pu laisser le champ libre à une dévalorisation progressive du
métier par certains bateleurs politiques. Mais, il manquait surtout un espace où les
éducateurs puissent se retrouver pour échanger. Notre profession est morcelée entre
de très nombreux champs d’interventions qui ne se recoupent pas » (ONES, 2009).
Du côté de l'économie sociale familiale, l'Association France ESF (Économie Sociale
Familiale) est aussi le résultat d'une restructuration d'une organisation précédente, la
Fédération nationale des professionnels en économie sociale familiale. Pour ces membres,
l'objectif était de « s'adapter aux évolutions du contexte et d'offrir une image cohérente de
la profession » (France ESF, 1997).
Pour l'Association nationale des assistants de services sociaux (ANAS), dont la
continuité d’existence est tenue depuis 1944, c'est l'impossible accès à l'instance de
consultation nationale, le Conseil supérieur du travail social (CSTS), institué en 1982 par
Nicole Questiaux, qui est discuté :
« les décideurs et employeurs auront plus de poids qu’auparavant. Ceci au
moment où des enjeux forts bousculent le champ de la formation, où la règle
institutionnelle tente de s'imposer comme seule référence possible, où la logique
gestionnaire pèse de tout son poids sur les réalités professionnelles et les publics
[...] » (ANAS, 2010).
150
Cependant depuis juillet 2016, le Haut conseil en travail social (HCTS) a succédé au
CSTS en tant qu'instance interministérielle et plusieurs organisations professionnelles ont
obtenu de siéger. Sont ainsi représentés les assistantes et assistants sociaux, (ANAS) ; les
éducatrices et éducateurs spécialisés, (ONES) ; les éducatrices et éducateurs de jeunes
enfants, (FNEJE) ; les conseillères et conseillers en économie sociale familiale, France ESF ; les
médiatrices et médiateurs sociaux, France MÉDIATION ; les directrices et directeurs d’action
sanitaire et sociale, (ANCASD), et les directrices et directeurs d'action sociale et de santé des
départements (ANDASS).
Pour la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE), c'est la
nécessaire concertation et cohérence des forces entre échelon ministériel et autorité
départementale (services de PMI) qui a mobilisé les prises de positions. Il s'agissait d'agir sur
les inégalités « réglementaires locales » pour accompagner et répondre de manière égale
d'un territoire à l'autre, et ce dans la durée, aux besoins d'accueil des jeunes enfants (FNEJE,
AG 2017). Sur cette voie, un travail de concertation piloté par les ministères a semble-t-il
abouti pour la satisfaction des différentes parties. Cette situation témoigne d'un possible
dialogue
entre
légitimité
professionnelle,
légitimité
réglementaire
et
légitimité
organisationnelle des services rendus.
Créée en 2008, l'association France médiation est un nouveau réseau qui regroupe les
acteurs de professionnels de la médiation sociale dont la reconnaissance a été actée par les
différents opérateurs publics de de la Politique de la ville. En effet, ce réseau a montré sa
force et sa capacité d'action collective en réalisant sur l'année 2007, une évaluation collective
sur l'utilité sociale de la médiation sociale dans les territoires de leurs interventions
(quartiers urbains ou secteurs ruraux).
Cette diversité des organisations converge vers une fonction interlocutrice à
l'encontre des pouvoirs publics, perçus par les organisations professionnelles comme
principaux ordonnateurs du travail social. Ce positionnement des organisations
professionnelles bien qu'inscrit dans un rapport de dépendance, correspond à ce que nous
avons énoncé comme une des dimensions de la participation démocratique définie par Joëlle
151
Zask, c'est-à-dire la possibilité et la volonté de « prendre part » à la construction collective.
Dans ce cadre, le commun est à regarder non pas,
« comme une entité extérieure aux mouvements de sa création et de sa
reprise par les uns ou par les autres, le commun au sens participatif ne peut être que
cette zone fluctuante dont les contours sont définis par l'assemblage des positions
personnelles et dont seule une reconstitution historique peut donner une idée
précise » (Zask, 2011, p 174).
Il permet l'instauration d'un espace collectif repérable et mobilisable à des degrés
divers par des individus professionnels. Nous entendons par là, la diversité de référencement
qui peut aller de la simple connaissance, à la référence symbolique en passant par l'adhésion
militante. L'existence de ce type d'appartenance constitue un point d'appui valant pour tous
au sens d'un horizon collectif présent, un potentiel commun à disposition.
Ce premier constat autour de la place d'une fonction collective d'interlocution autour
des valeurs et du sens de l'intervention professionnelle joue aussi comme garantie
individuelle commune aux groupes professionnels, à chacun de leur membre. Cette fonction
mise en évidence montre une première continuité entre logique collective et logique
individuelle pour les membres du groupe professionnel.
D'autres dimensions de la professionnalisation ont aussi évolué. Parmi elles, la finalité
de l'intervention sociale et l'orientation de ses missions ont subi la principale transformation.
Ainsi que l'a indiqué Isabelle Astier, il y a un « renversement » de la notion de dette sociale
du principe de solidarité, ce n'est plus la société qui a le principal devoir et donc la
responsabilité collective vis à vis de sujets isolés nommés les individus, ces sujets, les
personnes elle-mêmes sont appelées « individuellement » à faire preuve de leur contribution
(Astier, 2007).
C'est bien d'un renversement de perspective politique dont il est question ici,
perspective qui n'est pas discutée en tant que telle « par » et « entre » les différents groupes
d'acteurs comme l'avait mentionné Robert Castel en son temps (Castel, 1995). La
152
transformation des conceptions de l'intervention sociale dans une perspective de solidarité
active, modifie de fait les manières de faire et d'agir des professionnel.le.s avec les personnes
concernées (Castel, 2009). Elle rend cruciale le point nodal de cette intervention : l'accès aux
droits des personnes dans une dimension d'égale considération de la personne. Comment
interagir avec l'autre dans cette injonction paradoxale qui fait de l'autre un sujet égal/un
sujet de droit et rendre effectif l'accès à des droits qui lui font défaut, voire à des droits
réparateurs, à des droits de « seconde chance » ?
C'est dans ce contexte et sur cette question centrale du travail social telle qu'elle est
formulée au plan professionnel que se renouvelle le questionnement politique du travail
social aujourd'hui. A cet endroit plusieurs remarques s'imposent : si la dimension politique
des enjeux est saisie par les différentes organisations professionnelles au sens du repérage
des acteurs et de leur rôle comme de la tentative de participer aux décisions, qu'en est-il
d'une stratégie « politique » des organisations elles-mêmes ?
La question d'une fédération de ce groupe d'acteurs se pose pour peser dans les
débats politiques au-delà d'une position « défensive » des critères de l'intervention sociale et
de ses valeurs. Il apparaît que ce niveau d'intervention n'est pas mobilisé « collectivement »
par les organisations professionnelles sans qu'il soit possible de préciser davantage si cette
absence est le reflet d'une subordination inscrite dans la construction des politiques
publiques, dans la construction genrée des professions, dans la division du travail au sens de
ses segmentations, dans la jeunesse de certaines associations professionnelles, dans le
croisement de plusieurs de ces logiques ? Il paraît important de signaler les formes
collectives de réseaux institutionnels qui existent en nombre et par segments soit de
missions (FAS, UNIOPS, Collectif de l'IAE…), soit d'associations ou de coordinations de
personnes concernées (ATD, Pas Sans Nous, UNAPEI , …). L'absence de forme collective
reliant la diversité professionnelle au plan local comme au plan national résonne d'autant
dans le contexte actuel.
Le morcellement des discussions, des lieux d'interpellation possible servent de
révélateur de l'absence d'unité et de pensée collective de l'intervention sociale entre les
groupes d'actrices et d'acteurs de cette action publique. Au regard des organisations
153
professionnelles, l'absence de fédération ou de plateforme commune du secteur questionne
sur la volonté ou la capacité à sortir d'une juxtaposition des forces sous le regard de tutelles
historiquement construites. La comparaison avec d'autres secteurs professionnels serait à ce
titre un terrain d'investigation possible mais n'a pu être envisagée dans ce temps de
recherche. Ainsi l'évolution du paradigme « d'éducation nationale » ou celui du droit à la
santé et de l'accès aux soins de tous pourraient constituer des éléments d'éclairage des
débats actuels sur le travail social et l'avenir de la solidarité, tant les questions de définitions
communes (au sens d'orientation politique), de professionnalisation du secteur et les
conditions d'accès des personnes traversent simultanément ces champs (Gori, 2017).
Au plan individuel, c'est le constat autour de la question des valeurs et du sens de
l'intervention sociale pour les professionnels et pour les personnes concernées qui retient
notre attention. Cet attachement, bien que morcelé, nous sert de point de repère pour
décrypter les pratiques sociales à l'intérieur de la sphère du travail social tel que Danièle
Kergoat a pu le réaliser à propos de l'univers des ouvrières (Kergoat, 1978).
A partir des liens établis entre la connaissance de l'univers de travail, les pratiques
d'emplois et de mobilité professionnelle dans le salariat, c'est-à-dire l'ensemble des
« mécanismes sociaux de domination », il est possible de « dire le redoublement dans le
temps et dans l'espace des caractéristiques sociales propres au travail féminin » qu'il soit
salarié ou domestique. Pour le travail social, ces mécanismes existent entre stratification,
hiérarchisation sexuée, management administratif de régulation, critique de l'autonomie des
professionnel.le.s par les autorités politiques, cloisonnement des statuts et des filières.
C'est ainsi que l'opposition parfois présentée ou mobilisée entre catégories
professionnelles est aussi une tension entre deux modèles d'organisation du travail : un
modèle qui serait a-hiérarchique, hérité des premiers groupements de femmes sur un mode
collaboratif au sens où les contributions de chaque participant.e.s sont attendues dans une
perspective égalitariste ; un modèle managérial fondé sur une organisation hiérarchique du
travail, au sens d'un ordonnancement entre décision et exécution d'un travail professionnel.
A propos de cette différenciation des modèles, il est nécessaire de rappeler l'ancienneté du
terme « collaboratif ». S'il apparaît aujourd'hui en force dans les discours, que ce soit à
154
propos du travail, de l'économie, des modes de gouvernance, de la recherche, la notion est
ancienne au sens des pratiques collaboratives. Nous le prenons ici au sens pragmatique, « Ce
terme est plutôt utilisé pour désigner les différentes formes de partenariat impliquant la
coopération entre des acteurs sociaux, intervenants et chercheurs principalement »
(Lefrançois, 1997, p 82). Ainsi se référer à deux modèles d'organisation du travail correspond
à la multiplicité des configurations du travail contemporain, ce qui renouvelle les analyses du
travail selon le point de vue adopté, notamment en termes de rapports sociaux (Dujarier et
all, 2016).
A l'intérieur de la sphère du travail social, les tensions repérées s'expriment dans
deux directions. Une tension par le haut autour de la « préférence » du féminin est
l'expression conjuguée de la sexuation des filières d'emplois et de la stagnation des mobilités
professionnelles (« plafond de verre » ou « escalator de verre » précédemment cités), une
tension par le bas qui privilégie le maintien de pratiques concertées et coopératives propres
aux principes d'action du travail social et à ses définitions.
Cette analyse par les tensions à l’œuvre est à enrichir des travaux plus récents de
Danièle Kergoat et Elsa Galerand sur « le rapport paradoxal que nombre de femmes
entretiennent au travail salarié », pour parvenir « parfois à construire un rapport positif au
travail bien qu'il soit fortement dévalorisé » (Galerand, Kergoat, 2008, p68). Cette approche
nous parait convergente avec les analyses du travail du care présentée au chapitre
précédent. Préalablement, il est nécessaire de redire qu'il s'agit là d'approfondir la question
des sphères séparées au sein du travail social. Pour ce faire, nous retenons comme vrai le
postulat de la dominante féminine construite, organisée et reconduite dans et par le système
politique androcentré hérité.
Dans l’univers du travail social, les professionnels masculins présents en minorité,
peuvent investir ces emplois selon plusieurs trajectoires : participer à des valeurs politiques
et/ou humanistes de la solidarité, accéder à un emploi ouvert et « prometteur » sur le
marché de l'emploi local. Quel que soit le motif initial, ils auront l'opportunité dans le
déroulement de leur trajectoire professionnelle de conjuguer mobilité, promotion,
155
engagement professionnel, conciliation vie privée/vie publique dans une confrontation à des
choix (Ferrand, 2005 – Bessin, 2005 – Causer and all, 2007).
Du côté des professionnelles, l'entrée dans les métiers est plus facilement considérée
comme un « allant de soi » du fait de l'environnement sociohistorique, les expressions
d'engagement « participatif » sont formulées et attendues sans qu'elles soient valorisées
comme des contributions au plan politique, la tendance commune et collective est à la
naturalisation du processus sans véritable interrogation. Les opportunités de mobilité ou de
promotion sont moindres en proportion, en offre directe, en conciliation vie privée/vie
publique puisque les choix sont quasi établis avant l'entrée dans le secteur professionnel
(Duru-Bellat, 1990 ; Vouillot, 2007).
C'est cette dichotomie des trajectoires sociales dans une sphère professionnelle qui
invite à reprendre l'indissociation public-privé des femmes et la spécificité des rapports au
travail qui en résulte, selon Danièle Kergoat et Elsa Galerand (2008).
« Pour notre part, nous pensons que l'hypothèse de l'intériorisation des rôles
est insuffisante pour expliquer les pratiques. Il faut faire intervenir la construction
active, par certaines femmes, d'une représentation de ce qu'est – ou devrait être – le
travail» (Galerand, Kergoat, 2008, p 73).
Le travail professionnel n'est pas à lui seul émancipateur malgré l'accès à des parts
d'autonomie (spatiale-temporelle-financière…). Il est surtout, pour certaines femmes, la
possibilité de valoriser des savoirs faire, des compétences acquises dans le travail
domestique en les transférant dans la sphère professionnelle. Cette transformation des
valeurs et de leur lieu d'usage constitue une spécificité qualifiée de continuité pour les
femmes et seulement pour elles entre travail domestique et travail salarié. Cette continuité
sert « des formes positives d'investissement au travail » particulièrement dans les travaux du
care où la continuité matérielle des tâches requièrent conjointement des savoirs faire et des
savoirs être psychologiques appris ou expérimentés.
La
compréhension
des
mécanismes
« de
non-disjonction »
des
sphères
professionnelles et domestiques ne sert pas « à enfermer les dominées dans la domination »
156
par une explication d'une tolérance à des places disqualifiées ou de moins grande valence
dans le monde professionnel, pour ces auteurs, elle est une manière :
« de prendre au sérieux ce que disent les femmes de leur travail, de les
considérer comme sujet probable de résistances au travail et non comme objet
d'analyse pour penser l'aliénation au travail : les conditions de leur situation sont
aussi celles de leur émancipation» (Galerand, Kergoat, 2008, p 77).
L’analyse en termes de logique individuelle - pour certaines femmes - fait lien pour
nous avec les effets sur les personnes au plan individuel énoncés par Claude Dubar. De notre
point de vue, il y a concomitance des logiques et convergence des analyses vis à vis de
personnes-sujets. L'examen du processus de professionnalisation des premières travailleuses
sociales comme des candidat.e.s contemporain.e.s rend visible la construction d’un parcours
de professionnalisation comme processus d'intégration dans le corps social.
Ce processus d'intégration dans le corps social est reconnu aujourd'hui, au point
qu'un mouvement de professionnalisation est inscrit dans les politiques publiques tant
comme potentiel d’inclusion d’une jeunesse que comme processus de maintien dans
l’emploi tout au long de la vie de sujets actifs. Dans la continuité des dynamiques des
groupes professionnels, Claude Dubar (1991) a mis en évidence la notion d’identité attachée
et produite par cette appartenance, ces structurations. Ainsi il parle de socialisation
professionnelle pour définir les identités au travail. Ces identités ne sont pas de simples
mécanismes psychologiques mais conjuguent un double processus d'appartenance et
d'attribution dans des jeux de négociation et renégociation.
Cet assemblage lie des processus biographiques d’une identité pour soi à des
mécanismes structurels de reconnaissance d'identité pour autrui et implique des processus
relationnels de reconnaissance d'identité par autrui. C'est ainsi que l'importance des
interactions avec d'autres acteurs et l'environnement social et institutionnel de l'individu est
mise en évidence et met en jeu un processus de transformation, versus subjectivation des
personnes impliquées. Il y a un travail de transformation/construction des identités, tant
157
vécues que subies. Cette production/construction permet une double reconnaissance ellemême collective : celle d’un entre-soi à la manière d’un corps (au sens premier de corps
d’État que nous avions indiqué) ou en regard d’une activité égale ou de même nature et celle
reconnue par autrui vis-à-vis desquels l'activité s’exerce.
En conclusion, le processus de constitution d'un groupe professionnel « même au
féminin » s'inscrit dans une étape d'émancipation collective, de mise en visibilité d'activités.
Il acte de la construction d'un dialogue entre le travail de la sphère domestique à la sphère
du public professionnel et politique. Il met en mouvement des personnes dans « un travail
utile socialement, bref, un travail dans lequel on se sente exister, qui redonne une cohérence
globale à la vie » (Galerand, Kergoat, 2008, p 74). D'un autre côté « l'assignation
dissymétrique » des hommes et des femmes au travail gratuit de la sphère domestique est
souvent formulée comme un problème de socialisation différenciée et la continuité d'une
éducation genrée. Cette seule référence omet la construction politique des temporalités de
vie selon le référentiel de l'emploi établit au masculin. Cette analyse issue des travaux de
Joan Acker (1990) veut indiquer comment les « critères » de l'emploi tels que le temps plein,
la disponibilité au travail, l'absence de contraintes liées au travail domestique ou éducatif
familial, sont une intégration de références pensées au masculin. À ce stade de notre
recherche, il nous faut considérer à ces éléments de compréhensions comme un frein aux
dynamiques émancipatoires recherchées par le travail social.
La présentation que nous ajoutons maintenant des données chiffrées vient compléter
cette vision « statique » du secteur professionnel. Elle est nécessaire pour étayer si besoin
est à partir d'autres bases les constats formulés précédemment.
3.3. Ce que disent les chiffres, un enjeu de société
Les chiffres utilisés sont ceux obtenus à partir des activités de service, ils sont issus du
rapport de la DRESS publié en 2014 sur la base des sources INSEE 2011. Ils permettent de
158
situer l'importance du secteur social en emplois sur l'ensemble du territoire. En 2011, le
nombre de travailleurs sociaux en activité (14 diplômes selon la classification du Code de
l’action sociale et des familles, CASF, Article L.451-1, Livre IV, Titre V, Annexe 2) peut être
établi à 1,2 millions de personnes, soit 1,7 millions de salariés en incluant des personnels
hors travailleurs sociaux (professions paramédicales, éducation, administratives). Cette
première donnée permet de souligner le poids représenté par ce secteur. A titre indicatif, les
secteurs grands pourvoyeurs de mains d’œuvre que sont en France, le tourisme et le
bâtiment offrent respectivement 1,310 millions d'emplois en France métropolitaine (sources
2011, INSEE et HORECA1) et 1,265 millions de salariés (source 2017 Action BTP). Sur la même
période, une publication INSEE à propos de la Région Nord-Pas-de-Calais, aujourd'hui Hauts
de France, indiquait pour sa part :
« Plus d'un actif sur dix, en général une femme, est un professionnel de santé
ou du travail social. [...] Ces 168 000 professionnels représentent 11,4 % de l'emploi
total régional, part très légèrement supérieure à la moyenne nationale hors Île-deFrance, soit à titre de comparaison deux fois plus que de professionnels de
l'enseignement » (INSEE, Profils 2010).
C'est le secteur des services à la personne (tout public) qui est actuellement le
principal employeur avec 40 % de particuliers employeurs (assistantes maternelles ou aides à
domicile). Puis le domaine de la prise en charge des personnes âgées est le plus important en
matière d'emplois, 53 % des professionnel.le.s, soit 383 000 personnes. Ce secteur - quelle
que soit la catégorie d'employeurs (particuliers, associatifs, collectivités, entreprises privées)se caractérise par la pratique importante du temps partiel comme en témoigne l'écart entre
le nombre d'emplois et le chiffre traduit en Équivalent Temps Plein (ETP). Pour le secteur des
personnes âgées et dans les structures prestataires, 330 000 emplois correspondent à 197
000 ETP, les données du secteur particuliers-employeurs ne sont pas connues.
Le deuxième secteur important par les effectifs est celui du « handicap » avec 123000
salariés soit 109 000 ETP. C'est un secteur assez diversifié du point de vue des emplois : aides
médico-psychologiques,
moniteurs-éducateurs,
éducateurs
spécialisés,
éducateurs
159
techniques, éducateurs techniques spécialisés, moniteurs d'ateliers. Puis vient le secteur
concernant « la prise en charge des personnes en difficultés sociales » avec 51 000 salariés
(soit 48 000 ETP). Ce secteur condense une part importante de professionnels de l’éducation
spécialisée : 51 % des éducateurs spécialisés et 22 % des moniteurs éducateurs auxquels
peuvent s'ajouter 30 000 éducateurs spécialisés travaillant directement pour les collectivités
locales. Dans une enquête plus ancienne (Beynier, 2006), ce secteur était désigné comme
concentrant les postes les plus qualifiés : 9 salariés sur 10 ayant un diplôme équivalent à Bac
+2 (niveaux I, II, III) les assistants sociaux représentaient près de 80 % de ces métiers. Cette
comparaison des sources INSEE à 5 ans d'intervalle ( 2006-2011) confirme le commentaire de
Rémy Marquier :
« Figure emblématique du travail social, les assistants de service social – plus
communément appelés assistantes sociales – ne représentent qu’une minorité des
travailleurs sociaux : 5 % environ, pour 5 % des ETP. Les CESF, quant à eux, ne
représentent que 1 % des emplois et 1 % des ETP » (Marquier, 2014, p 4).
Enfin le secteur « d'accueil des jeunes enfants » correspond à 55 000 salariés (soit
37000 ETP). Rappelons que cet ensemble de professionnel.le.s intervient à partir de
structures ou d'établissements. Ainsi le réel de « la prise en charge des jeunes enfants » se
répartit officiellement entre 33 000 assistantes maternelles en crèches familiales, 14 000
éducatrices de jeunes enfants dans des établissements d'accueil (EAJE) et 308 000
assistantes maternelles employés par des particuliers, chiffres auxquels il conviendrait
d'ajouter les données des congés parentaux pour identifier l'ensemble de ces «prises en
charge ».
Si l'on poursuit maintenant l'analyse morphologique des activités, on observe un
étalement des professions élevé entre les différents diplômes du travail social : 61 %
correspondent à des niveaux Vbis et VI (Brevet, Certificat ou sans diplôme, et V (CAP et BEP),
12 % au niveau IV (baccalauréat), 23 % au niveau III (bac+2), et 4 % au niveau II (au moins
bac+3). Les classifications dans le monde professionnel se sont faites sur la base d'une
hiérarchisation des tâches issues de la division scientifique du travail dont la taylorisation
160
constitue une traduction, une mise en ordre. Les arrêtés Parodi (1946) en constituent
l'institutionnalisation et la première mise en œuvre. Ils sont aussi la trace de cette culture de
la hiérarchisation des catégories professionnelles importée du monde de l'industrie et du
rôle de L’État dans ces négociations (Castel, 1995 – Saglio, 2007). L'autre
classification
de
référence est celle des catégories socio-professionnelles (CSP) de l’Insee.
Ces classifications permettent de positionner un emploi dans une grille à partir des
données de qualification (niveau de diplôme) mais pas nécessairement d'en fixer la valeur,
cette part étant renvoyée aux négociations professionnelles. Ce qui nous intéresse ici c'est de
regarder comment dans les secteurs du travail social se répartissent et se développent les
catégories, ce qui constitue la hiérarchisation de ces catégories et une forme d'encadrement
du travail social. En effet le phénomène de hiérarchisation est repéré comme « une
permanence entre les pays » et rend compte « d'un continuum hiérarchisé des positions
sociales » (Vezinat, 2016, p 89).
Dans un premier temps, nous avons retenu la double dynamique des professions du
point de vue de leur capacité d'intégration sociale des individus et de leur capacité
d'exclusion dans les groupes professionnels, nous portons maintenant l'attention sur les
possibilités et modalités d'entrée au sein du secteur. Cette orientation s'appuie sur l'énoncé
de Nadège Vezinat, « Le groupe professionnel n’existe pas comme un donné mais comme
une construction sociale à étudier grâce à une analyse historique des processus qui
l'affectent et des acteurs qui le gouvernent ». Parmi les différents « principes organisateurs »
identifiés (Demazière, Gadéa, 2009), deux constituent principalement des motifs de la
ségrégation professionnelle, la qualification et le genre, examinons ces éléments à l’œuvre
aujourd'hui dans le secteur professionnel.
Concernant la concentration des emplois, Monique Meron rappelle la stagnation des
évolutions dans l'emploi entre les femmes et les hommes en indiquant les nuances
actuelles :
161
« Malgré la hausse de la part des femmes dans beaucoup de professions, leur
répartition selon les métiers reste très différente de celle des hommes et globalement
moins diversifiée […] Hommes et femmes ne travaillent pas non plus dans les mêmes
secteurs d’activité » (Meron, DARES, 2008).
Les dix secteurs majoritairement féminins répertoriés « invariants » depuis de
nombreuses années sont dans les secteurs des services (éducation, santé et action sociale,
services personnels) et seuls l'habillement, la pharmacie et le textile sont des secteurs
industriels. A l'inverse, « les dix secteurs où plus de 80 % des emplois sont occupés par des
hommes, sont, en dehors du commerce-réparation automobile, tous industriels
(construction, équipement mécanique, métallurgie, automobile…) » (Meron, DARES, 2008).
En poursuivant l'examen des données à partir de la classification par niveaux de
formation (niveau VI à niveau I), l'exploration montre des transformations en fonction des
niveaux de qualification et de l'âge qui vont vers une concentration de la ségrégation
indiquée :
« Les hommes et les femmes les plus diplômés et les plus jeunes occupent des
emplois de plus en plus similaires contrairement aux moins diplômés et aux plus âgés
où la différence de répartition par métier s’est renforcée aux cours des deux dernières
décennies. [...] En 2002, ce sont les postes d’assistants maternels et d’agents
d’entretien qui contribuent le plus à la ségrégation comme à la concentration des
emplois féminins des plus âgés ; en effet, les emplois familiaux et de service à la
personne, très féminisés, ont pris beaucoup d’importance au fil du temps,
notamment dans cette tranche d’âge » (Meron, Okba, Viney, 2006).
Ces constats se croisent avec l'enquête sur « Les intervenantes à domicile des
personnes fragilisées » de la DREES :
« En 2008, 515 000 intervenantes travaillent au domicile des personnes
fragilisées selon différents modes d’exercice : en emploi direct, en mode mandataire,
salariées d’organismes prestataires ou sous plusieurs modes à la fois. Elles ont en
162
moyenne 45 ans et celles qui sont en emploi direct sont un peu plus âgées que les
autres (47 ans). En revanche les différences de formation sont plus marquées selon
leur mode d’exercice : les salariées d’organismes prestataires disposent plus souvent
d’un diplôme en relation avec le métier d’aide à domicile tandis que 85 % de celles
qui exercent en emploi direct n’ont aucun diplôme du secteur sanitaire et social.
L’emploi du temps des aides à domicile est souvent variable d’une semaine à l’autre.
Moins d’un tiers occupe l’emploi d’aide à domicile à temps complet » (Marquier,
2008).
Pour les premiers niveaux de qualification, l'absence d'obligation de diplôme pour
exercer ou le passage par l'agrément départemental sur la base de reconnaissance de
capacités validées (pour les assistantes maternelles) constitue le premier principe d'accès à
l'emploi. Ainsi le secteur des services à la personne qui concentre les emplois féminins, peu
ou pas qualifiés, à temps partiel, représente pour la main d’œuvre féminine potentielle un
chemin d'accès à l'emploi, de manière similaire au secteur des agents d'entretien comme l'a
montré l'enquête de Florence Aubenas à propos des emplois par les agences d'intérim et les
sociétés de nettoyage (Aubenas, 2011).
Cet ensemble de données confirment les observations de l'éducation des filles et
celles de la socialisation scolaire sexuée qui installe une ségrégation sexuée au fil du temps
de l'école (Duru-Bellat, 2004). Les modalités d'accès à l'emploi permettent de saisir la
ségrégation sexuée construite dans un temps long et qui se reproduit entre métiers
d'hommes et métiers de femmes. Cette ségrégation se tisse entre reconnaissance de qualités
valant entrée dans l'emploi et attribution de ces qualités comme valeurs (attachées aux
femmes) ou comme expériences (dites d'activités féminines).
L'absence de barrière formelle d'accès à l'emploi du point de vue des candidates
rejoint la propension à sous-évaluer des capacités, des potentiels et la reconnaissance
implicite de savoirs naturels dévolus aux femmes par elles-mêmes et par les référentiels
culturels. Cet implicite constitue un ensemble de présupposés qui conduit des femmes à
privilégier des emplois compatibles avec leur rôle familial ou ses exigences, ce que Marie
163
Duru-Bellat a qualifié de complexe de Cendrillon (Duru-Bellat, 1990). Ce même ensemble
constitue de l'autre côté, des « critères » excluant dans une projection de métiers d'hommes.
A ce stade la continuité des sphères séparées se trouvent reconduite dans la
professionnalisation du secteur et les propos de Margaret Maruani citée en début de
chapitre raisonnent à nouveau : « On a donc assisté en quarante ans à un rééquilibrage
quantitatif. [...] En réalité, les métiers demeurent très sexués et les femmes sont surtout
venues renforcer des métiers déjà très féminisés ».
Le constat est donc celui d'un maintien des secteurs « historiques » entre les femmes
et les hommes. La dimension structurante du genre dans ces secteurs n'est pas interrogée
tant dans son aspect qualifiant que dans son aspect hiérarchique, ce qui est la situation du
travail social en particulier (Bessin, 2005-2009).
Les hiérarchies des positions sociales qui s'expriment à l'intérieur d'un groupe
professionnel ou entre groupes professionnels se mêlent aux hiérarchies de genre. Elles
servent de moteur pour définir des pratiques et les faire reconnaître dans le monde du
travail. Ces dynamiques contribuent à structurer l'espace professionnel, ses stratifications et
son institutionnalisation.
Aussi après avoir examiné l'entrée « par le bas » dans le secteur professionnel, il
importe d'examiner les données disponibles en matière d'encadrement.
Hakima Mounir (2011-2012) à propos des chefs de service du travail social et le genre
(2013), rappelle l'existence du « plafond de verre » (Laufer, 2005). Cette expression sert à
désigner les inégalités hiérarchiques : « Dans une profession donnée, les femmes sont de
moins en moins présentes au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie, et elles ont
très rares aux postes de plus haut niveau » (cité par Bereni et all, 2013, p 205). Son enquête
commentée souligne les similitudes des chiffres avec d'autres secteurs d'emplois :
« 90 % des professions sociales qui interviennent directement auprès des
publics (assistants de service social et métiers de la petite enfance, DREES 2007) sont
des femmes, la proportion s'équilibre dès qu'on atteint le niveau de chef de service et
s'inverse dans les postes de direction. […] Dans notre échantillon, les femmes mettent
164
en moyenne 12 ans avant de devenir chef de service, les hommes six ans » (Mounir,
2013).
Ce deuxième différentiel est un mécanisme décrit par Christine Williams comme «un
escalator de verre » qui joue en faveur des minorités masculines au sein de professions à
dominante féminine (Bereni et all, 2013). C'est-à-dire qu'à l'inverse de leurs collègues
femmes d'un même secteur, ils ne rencontrent aucun obstacle dans leur déroulement de
carrière et sont même sollicités pour progresser. Ce mécanisme renforce les inégalités
statutaires et hiérarchiques au fur et à mesure des postes présents dans la classification et
dans les postes de plus haut niveau. L'analyse de Caroline Helfter (2011) conduit aux mêmes
tendances :
« En termes d'encadrement, la division sexuée est sans doute moins nette
dans le social qu'elle peut l'être ailleurs. Cependant, le taux des femmes directrices
ou chefs de service ne reflète pas leur prépondérance globale - ni le fait que les
femmes sont aussi souvent que les hommes titulaires d'un diplôme universitaire de
niveau I ou II ».
De son côté, Patrick Dubéchot (2010) comptabilise deux tiers des postes de direction
occupés par des hommes sauf en ce qui concerne la petite enfance où les femmes dirigent à
97 % les établissements. Dans le secteur des personnes âgées, les hommes dirigeants le sont
à 86 %, à 72 % pour l'enfance en situation de handicap, à 65 % dans la protection de
l'enfance. Côté chefs de service, tous secteurs confondus, les hommes sont présents à 61 %.
Par ailleurs, la construction de l'encadrement de ce champ professionnel vient
compléter ce tour d'horizon. Plusieurs sources d'information sont disponibles, soit par les
diplômes existants, soit par les travaux portants sur la présentation de ces fonctions.
L'entrée par la formation et les diplômes indique trois possibilités de certification des
cadres du social et leurs référentiels : le Certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et
de responsable d'unité d'interventions sociale (CAFERUIS), de niveau II pour devenir chef de
service ou piloter des projets de service ; le Certificat d'aptitude aux fonctions de directeur
165
d'établissement ou de service d'intervention sociale (CAFDES), niveau I destiné aux
directeurs ; le Diplôme d’État d'ingénierie sociale (DEIS), niveau I destiné à former des cadres
experts des politiques sociales, de l'action sociale et médico-sociale.
L'architecture des formations de cadre dans le champ social, a fait l'objet d'une
rétrospective et constitue une deuxième source de présentation à partir d'un séminaire
conjoint entre les fédérations des centres de formation (AFORTS, GNI), et le Réseau
universitaire des formations sociales (RUFS) en 2010. Une première communication venue de
Paule Sanchou et Geneviève Crespo indique comment les pionnières de ces activités sont
avant tout dans « des fonctions de cadres développeurs et organisateurs […] ayant eu
l'initiative des premières structures … et des premières formes de professionnalisation du
travail social », pour signaler tout aussitôt comment la première qualification reconnue
(1938) sera majoritairement « femme » et établi dans un lien direct avec les personnes
vulnérables, sans la reconnaissance d'un niveau cadre ou ingénieur.
C'est la réglementation, le cadre juridique seul qui sert de cadrage des activités.
Ensuite, « Il faudra attendre 20 ans (1956) pour voir apparaître les premières formations
dites de perfectionnement destinées pour partie aux encadrants, et quarante ans (1978)
pour que le Diplôme supérieur de travail social soit créé » (Sanchou, Crespo, 2011).
En conclusion, les données d'activités du secteur professionnel mettent en évidence
deux aspects : un premier qui met l'accent sur le lien direct des emplois avec les politiques
publiques ou les réglementations, un second qui met en évidence la dominante quasi
exclusive d'emplois féminins. Retenons que le premier niveau de qualification (niveau VI,
sans diplôme ; niveau V, CAP – BEP avant l’année terminale), concentre le plus d'emplois du
travail social, faiblement ou non qualifié au sens statutaire, et gardons en mémoire les
volumes : 515 000 intervenantes à domicile (les hommes de cette profession représentent 2
% et gagnent un tiers de plus que les femmes, DREES 2008) ; 468 000 personnes en emplois
directs par des particuliers (tout public) (DREES 2011) ; 383 000 personnes employées par
166
des structures uniquement en direction des personnes âgées dont 87 % sont en situation de
dépendance. Globalement, ce sont les interventions à domicile qui sont réparties le plus
également sur le territoire et qui bénéficient d'une croissance soutenue, +7 % en 2008,
(DARES), ce qui n'est pas le cas des autres domaines d'activités. Ce dernier constat est à
rapprocher des analyses du care du chapitre 2 en matière de services et d'attitudes qui
concourent à l'entretien, le renouvellement et le maintien de la vie.
La non-reconnaissance des compétences nécessaires aux différentes fonctions et
l'absence de valorisation signalées par les analystes sont des traits caractéristiques de
l'emploi féminin commun à d'autres secteurs (Maruani, Nicole, 1989).
Dans cette continuité, les questions de requalification des niveaux III, situés à
« bac+2 » malgré trois ans de formation post-bac sont une illustration de ces empêchements
en termes de « pouvoir» du genre. Cet objet de revendications de longue date (passage au
niveau L) inscrit dans les mesures du Plan gouvernemental en faveur du travail social et du
développement social (2015) précédemment cité ne s'applique qu'aux futur.e.s diplômé.e.s
entrant en formation en septembre 2017 sans effet rétroactif.
Au final, l'état des lieux ainsi dressé fait écho aux questions de régulation du secteur
professionnel analysées plus haut et à la faible capacité de « participation » des groupes
professionnels. La structuration du secteur se conclut provisoirement sous cet angle de la
hiérarchisation des compétences par le genre. Comment ces éléments peuvent-ils « se
dissoudre » selon l'expression de Françoise Héritier non pas dans une invisibilité de microsituations mais dans une sortie de la ségrégation ignorée et par là reconduite ? C'est cette
question clairement formulée à l'issue de ce chapitre qui ouvre les perspectives de la suite de
notre recherche.
167
Conclusion première partie
Cette étude nous a permis de revenir sur les éléments précurseurs d'un travail social laïc et
sur le contexte qui a orienté la société dans son ensemble, des actrices et des acteurs en
particulier. La compréhension de l'émergence de la notion de solidarité et sa mise à l'épreuve
au sein du travail social et par l’État social, constituent les éléments clés de cette histoire.
La prise de la question sociale par l’action publique, c’est à dire la mise en œuvre de la
solidarité pour toutes et tous, fait se croiser émancipation individuelle et émancipation
collective d’un groupe social particulier (des femmes en devenir sujets) et celle d’un corps
social dans son entier. Le mouvement d’émancipation engagé par ces femmes implique une
dialectique entre individu et collectif et révèle la part historiquement collective de l’accès à la
citoyenneté des femmes (Marquès Pereira, 2003). Il rend compte de la transgression
collective engagée pour l’accès à la professionnalisation et permet de saisir la difficile
autonomie conquise dans ce champ et une part des enjeux des régulations actuelles.
Par ailleurs les éléments mis à jour au début du XXème siècle rejoignent la période
actuelle par « la frénésie des débats » et nous pouvons dire que le sujet « solidarité » est de
nouveau dans toutes les discussions politiques. Comme l'indique de son côté Nicolas
Duvoux : « Le rejet de l’assistance est devenu, au cours des années 2000, un élément
structurant du débat politique et des représentations sociales en France » (Duvoux, 2012, p
10). La vivacité des questions et des oppositions sont bien présentes même si celles-ci se
sont renouvelées avec par exemple les débats sur un revenu minimum ou sur un revenu de
base.
Sur fond de crise économique et d'accroissement du chômage, de nouveaux critères
sont introduits au sein des politiques publiques en termes de référentiels d'évaluation et de
contributions actives des bénéficiaires des interventions sociales (Castel, Duvoux, 2013). La
référence aux règles du marché a pris le pas sur la notion de lien social. Il ne s'agit plus
maintenant comme lors de la première période de construire la notion pour faire société
« tous ensemble », option à partir de laquelle science et gouvernance « se réunissent » et
168
tentent de faire tenir des pensées différentes. Il s'agit de déconstruire la notion soit pour
l'enrichir et lui permettre de renouer dans le contexte actuel avec l'idée politique de l'égalité
des citoyen.ne.s., soit pour d'autres de rompre avec cette préséance et ses conséquences
jugées négatives pour la marche de l'économie (Supiot, 2010 - Rosanvallon, 2011). Les
affrontements qui s'expriment concernent la notion de solidarité elle même et le fondement
de l'égalité entre tous les citoyens.ne.s.
Après la période de relative stabilisation par l’État social et la construction de la
protection sociale sous le générique « d’État Providence », la disharmonie reprend le dessus
entre les tenants d'une économie dominant les débats et les orientations politiques, et les
tenants d'une politique garante d'une égalité régulatrice des inégalités sociales et
économiques. Le débat formulé aujourd'hui associe et remplace « solidarité » par
« assistance » selon deux versants, l'assistance qui produit de la dépendance, l'assistance qui
produit de l'autonomie. Dans les deux cas, cette formulation conduit à une référence
implicite à des manques et seulement à eux ; elle gomme et méconnait la compréhension de
la solidarité comme une donnée vitale humaine qui est la source d'un droit issu du droit des
obligations, de l'expérience de l'espèce humaine et de ses égarements pouvant conduire à
des conflits mondiaux (Arendt, 2009 - Supiot, 2010). C'est donc la dimension même
d'interdépendance qui demande à être travaillée et reliée au principe d'égalité.
La dimension d'égalité démocratique a été explorée par Pierre Rosanvallon et étudiée
dans notre monde contemporain, en termes de relations . Pour lui, il s'agit ni plus ni moins
de reconceptualiser « l'esprit révolutionnaire de l'égalité, articulé autour des principes de
similarité, d'indépendance et de citoyenneté », pour les adapter aux transformations
contemporaines. C'est ainsi qu'il propose de retenir de nouveaux mots d'ordre permettant
d'élargir la conception de citoyenneté : la singularité comme expression du développement
et de l'attachement au processus d'individuation ; la réciprocité des échanges dans un
monde où les interactions sont quotidiennes entre les personnes ; la communalité pour
rendre compte du caractère communautaire, social de la citoyenneté au-delà de la
dimension juridique.
169
Dans ce travail, il se réfère à l'essence de la démocratie grecque à savoir, «
l'organisation délibérée d'une vie commune entre des gens différents » et la mise à distance
du principe homogénéité. Ainsi l'auteur dépasse l'ordre hiérarchique dominant qui préexiste
dans les assemblages étudiés. En s'inscrivant dans la perspective de Jacques Dérida, il
propose « de penser une altérité sans différence hiérarchique pour reconstituer la
démocratie ». C'est ce qui le conduit à réduire les catégories de relations avec autrui en
contexte, c'est-à-dire par des citoyens singuliers assemblés. Dans ce cadre démocratique, il
est possible de développer simultanément et d’optimiser trois formes de relations :
« l'affirmation des singularités, l'attention à la réciprocité, le développement de la
communalité », en précisant qu'aucune d'elles n'entrent en concurrence et qu'elles sont
donc cumulatives (Rosanvallon, 2011, p 405).
Cette formulation, qu'il appelle « l'égalité-relation » permet de rendre compte du
caractère composite de l'égalité comme cela peut se faire de certains matériaux ou se dire de
certaines roches non naturelles. Ces compositions sont des assemblages ou des alliages qui
ont des propriétés intéressantes et durables (exemple la céramique). Ce n'est pas anodin de
souligner le caractère durable des procédures d'association ni de renouer de cette façon avec
les compréhensions scientifiques des sciences de la nature et des techniques. Ce sont ces
apports qui ont servi à Emile Durkheim pour penser en termes d'unité organique la vie en
société.
En conclusion, adopter la déclinaison de Pierre Rosanvallon, c'est retenir que l'égalité
démocratique est autant une forme de vie sociale qui permet la liberté des sujets (l'égalitérelation) qu'une question de justice individuelle, justice qui oscille dans notre monde
contemporain entre deux pôles, égalité-distribution et égalité-redistribution. Pour autant les
trois facettes de ce qu'il formule dans une théorie générale de l'égalité nécessite bien un
ordonnancement. Les deux pôles de la justice individuelle sont eux en situation de
concurrence. L'un, égalité-distribution, postule d'une mise à disposition de ressources de
manière équitable pour tous et institutionnalise à terme le mérite individuel comme base
légitime d'inégalités en négligeant les formes sociétales des inégalités (exemples actuels : les
questions urbaines et certaines zones rurales) ; l'autre pôle, égalité-redistribution, repose sur
170
l'acception philosophique et politique d'individus interdépendants dans une société, tous
héritiers d'un déjà là, la notion de citoyens-solidaires à la manière de Léon Bourgeois.
Dans cette mise en débats de la justice individuelle, c'est la primauté de l'individu sur
le commun, la pensée « séparatrice » qui prévaut dans un monde où les interdépendances
individuelles et collectives sont pourtant reconnues. A l'inverse, nous reprenons l'approche
cohésive proposée dans l'égalité-relation pour la continuité de construction qu'elle permet
d'établir avec notre recherche (discussion des sphères séparées, hiérarchie de genre). Pour
tenir ce modèle, en connaissance de la dualité de la justice individuelle, cela oblige à
positionner l'égalité-relation comme principe premier et universel avant l'égalité-distribution
et l'égalité-redistribution. Le ré-ordonnancement formulé par Pierre Rosanvallon rend la
compensation possible, comprise par la première des égalités, l'égalité de relation. Elle
reprend le postulat initial de la dette sociale pour tout un.e chacun.e dans une société
donnée (voir chapitre 1-1-3). Cette obligation est prise dans une perspective de
généralisation, de partage philosophique et culturel car la notion d'égalité-relation
(empruntée et développée à partir de l'observation des liens d'amitié), existe déjà en tant
que telle en plusieurs lieux de la société (voir par exemple Les créatifs culturels, Worms,
2006).
De cette première partie (logique des sphères séparées, citoyenneté politique, travail
du care, préséance du Droit), nous apportons des éléments à ce travail de discussion en
partie sous l'angle du genre pour reconsidérer les deux composantes présentes dans la
notion de solidarité et qui lui sont inséparables : l'interdépendance des personnes-sujets,
l'égalité entre « tous ». Cet exercice de la solidarité se pense entre les membres de la
communauté nationale comme premier cercle et se confronte à l’égale dignité des femmes
et des hommes reconnue au-delà des frontières nationales ou communautaires.
Le caractère androcentré des assemblages réalisés au sein des différentes
constructions historiques du travail social et de l’État social comme dans l'ensemble des
institutions républicaines, invite à produire un nouvel examen des réalisations. C'est ainsi
que la fonction de solidarité nationale et son organisation dans les politiques publiques
171
peuvent être examinées. Les avancées se font aujourd'hui du côté de la lutte contre les
stéréotypes et les discriminations avec le risque d'une nouvelle normalisation des rapports
sociaux. Les fondements de ces mécanismes et leurs effets du point de vue de la démocratie
ne font pas partie du bagage culturel commun. Les liens avec l'histoire politique des sphères
séparées sont absents au profit de débats pour ou contre « le genre ». L’exemple rapporté
dans l’encadré ci-dessous illustre cette difficulté.
Encadré 3 : Concertation locale à propos des ABCD de l'Égalité
A la rentrée 2014, les « mères » d'une école de quartier en ZUS découvre que leurs enfants vont
expérimenter le projet des ABCD de l'Égalité. Mises devant le fait accompli et devant les livres utilisés par
les enfants (un imagier où garçons et filles jouent ensemble avec une image de jupe habillant un garçon),
elles contestent d'être « territoire et objet » de cette expérimentation. Pour quoi faire ? Que va-t-on
faire ? Qui peut leur expliquer et leur demander leur avis ?
L'inspecteur contacté répond que c'est un ordre qu'il n'a pas d'explication, que ce n'est pas lui qui décide.
Les parents se retournent vers l'éducateur de rue sollicité à son tour sur ce caractère « expérimental » du
quartier, de la population, sur l'absence de consultation des personnes. L'éducateur relate son ignorance
du sujet et son incapacité à répondre aux questions formulées mais comment il a été saisi « par les
mères » comme interlocuteur de la question et comment il s’est trouvé chargé d'ouvrir le débat,
d'organiser la rencontre avec les responsables locaux.
Ici la proximité et la connaissance mutuelle entre travailleur social et habitant.e.s ont servi à créer un
temps de dialogue entre « destinataires » d'une politique publique et « responsables ». Les références
relationnelles ont été premières dans la mise en œuvre d'une communication indépendamment de la
question « des savoirs » (Récit d'expérience, DEIS 2016).
Notre recherche sur le genre et le travail social nous conduit à porter l'attention sur
les « pratiques sociales inédites », ces pratiques sont nécessairement collectives pour
s'inscrire dans une subversion du modèle dominant. Dans la continuité des analyses réalisées
par Elsa Galerand et Danièle Kergoat, la subversion implique de rompre avec la dichotomie
172
travail salarié/travail domestique car de leur point de vue « le travail est le seul champ social
où se nouent véritablement ces deux univers du privé et du public » et tout particulièrement
dans « les pratiques des femmes travailleuses ».
C'est donc dans cette perspective que nous avons souhaité poursuivre notre travail de
recherche concernant le genre et le travail social, un enjeu pour l'intervention collective en
travail social. Des pratiques sociales subversives des premières travailleuses sociales aux
pratiques sociales collectives contemporaines et potentiellement inaudibles, nous souhaitons
étudier le fonctionnement de l'univers professionnel des solidarités dans un monde du
travail construit par le genre.
A partir de réalisations concrètes, nous allons examiner les assemblages réalisés :
Quelle(s) continuité (s) de la solidarité politique comme résultat d'une double volonté
collective divisée par le genre (masculine dans l’État social, féminine dans l'intervention
sociale) ? La ségrégation professionnelle « ignorée », au sens de laisser pour compte,
conduit-elle à d'autres ségrégations « invisibles » ? Du point de vue du genre, l'intégration
d'un modèle masculin de l'emploi est-elle la seule voie possible ou peut-on percevoir des
formes de résistances voire imaginer de nouvelles conceptions ?
Rappelons que la mise en œuvre de la solidarité pour tous, telle que nous l'avons
étudiée au chapitre 1 est une orientation de nature politique. Elle oblige au nom de l'idéal
démocratique, à rechercher et trouver les conditions de l'association politique des individus
à cette pensée, à sa traduction, faute de quoi elle ne peut produire une solidarité
républicaine. La solidarité politique qui s'est construite avec et dans l’État social, est mise en
œuvre comme conséquence de l'égalité retenue entre les membres de la société. A ce titre,
elle est à la fois une pensée au sens d'une représentation de l'autre/des autres différent.e.s
et une action de traduction et de visibilité de cette pensée. Il y a donc un travail de
construction et d'alimentation permanent de ces différentes facettes. Ce travail qui est au
fondement du travail social, est parfois dispersé ou tronqué dans les mises en œuvre
segmentées et institutionnalisées actuelles. Ceci dit il ne s'agit pas de mettre en cause le seul
fonctionnement institutionnel mais de poursuivre la compréhension des mécanismes
173
séparateurs, diviseurs des pensées installées dans des hiérarchies successives et des actions
produites en conséquence.
Parler de solidarité politique, c'est convenir sur les pas de Marie-Claude Blais, qu'audelà de l'usage polyvalent du terme où chacun.e peut arguer d'une solidarité de fait et de
choix individuels, il y a lieu de poursuivre le travail d'explicitation de cette référence et sa
traduction possible en us et coutumes dans la communauté politique de notre époque. La
solidarité comme lien social, c'est-à-dire lien politique entre des individus, implique une
conception de l'égalité citoyenne entre tous les sujets, qu'ils soient porteurs ou sujets
destinataires de l’initiative sociale. Ce fut le moteur et les obstacles des premières Maisons
sociales dans leur époque sur lesquelles nous allons revenir dans une des études ci-après. Le
développement et le passage par l’État d'une solidarité nationale a permis de travailler le
versant d'une solidarité de droit et non plus du seul fait libre et privé pour « tous ». Dans
cette mise en œuvre, il est possible d'identifier « après coup » les impasses ou les
manquements, au sens de l'expérimentation démocratique ainsi réalisée (Zask, 2011). Ces
limites ne doivent pas nous conduire à rejeter l'ensemble mais à remettre l'ouvrage sur le
métier pour aller plus loin dans la réalisation de l'idéal démocratique .
174
Deuxième partie
Le travail social, des choix genrés inscrits dans
une histoire collective
175
Introduction deuxième partie
Plusieurs questions se croisent autour du travail social et de son objet, après avoir exploré un
ancrage dans la notion de solidarité, l’inscription dans l’État social, les raisons d'une
dominante d'emplois féminins, il est possible de poursuivre le travail de recherche en
associant aux questions de départ les rapports de genre tels que nous les avons croisés au fil
de la première partie de ce travail. En nous basant sur les analyses des trois points de repère
retenus (émergence de l'action sociale laïque – construction genrée de l'espace politique –
professionnalisation des intervenant.e.s), nous pouvons suivre le mouvement dynamique de
la fabrication du travail social. Cette mise en mouvement se déroule à plusieurs niveaux, à
plusieurs échelles et fait la complexité du travail social et des politiques de solidarité.
Dans cette perspective, il s'agit de comprendre les effets (tant négatifs que positifs)
d'une prédominance étatique et perçus comme tels par les tenants de cette action comme
par ces opposants. Pour cela, ce sont les différentes dimensions de la participation
démocratique (prendre part - contribuer - bénéficier) de tout un.e chacun.e que nous
recherchons comme source d’autonomie et d’émancipation.
Cette conception implique de reconnaître à chacun.e la capacité de prendre part et
de recevoir une part au titre de la citoyenneté politique reconnue à tous. Séquencer ces
possibilités, les différer, c'est déjà morceler, différer le potentiel politique de contribution de
chacun.e au tout, qu'il soit de la nation, du public, de la cité. Il ne peut y avoir dans cette
perspective de préalables, la participation démocratique ne peut se concevoir dans une
succession de conduites justifiant a posteriori le statut de citoyen ou de contributeur.
L'égalité entre tous est un a priori non discriminant, fondateur d'une possible voix
délibérante et participante. C'est ainsi que chaque dimension de la participation
démocratique est nécessaire au tout.
Notre posture de chercheure tantôt impliquée, tantôt mise à distance dans un
secteur professionnel à dominante féminine, nous a permis d’observer comment la
résolution des questions sociales, leurs évolutions dans ces dernières décennies ou leurs
176
impasses, sont visibles par chacun-e, et pas seulement par les professionnel-les du travail
social. A partir de ce constat, il est possible de souligner la continuité du questionnement
partagé par les membres de la société malgré les cloisonnements opérés successivement
dans le temps et la non résolution de la question sociale formulée au cours du XIXème siècle
et ses transformations successives. De cette formulation est née la complexité de l'action
sociale que nous avons étudiée en première partie de la thèse, ceci nous permet de retenir la
diversité des actrices et des acteurs présent.e.s dans des échelles d'interventions différentes
et en situation d'interdépendance quasi constante.
Après avoir renouvelé la compréhension de cette complexité, nous avons choisi de
poursuivre l'exploration des mécanismes identifiés (par la prise en compte des rapports de
genre) en repartant de territoires d'action des intervenant.e.s. Cette seconde approche
permet de croiser l'analyse d'actions réalisées ou en cours avec les éléments de
connaissance retenus en première partie pour progresser dans la production d’une
connaissance située.
Pour engager cette seconde phase de la recherche, nous avons repris les apports de
Joëlle Zask sur la méthode expérimentale selon John Dewey en matière d’État démocratique.
Dans cette méthode, il s'agit de considérer « le public » comme actif aux questions qui le
concerne, un public constitué d'individus hétérogènes au plan des statuts, des idées, du
rapport à la situation commune. L’hétérogénéité est par ailleurs un trait constitutif d'une
démocratie comme le précise de son côté Pierre Rosanvallon, « Un groupement humain qui
ne se pense que sous les espèces d'une homogénéité donnée, quels qu'en soient les
ressorts, n'est pas seulement non démocratique, il est aussi non politique ». (Rosanvallon,
2011, p 388). A cet égard, la description de la condition humaine par Hannah Arendt, fait de
la pluralité humaine la condition de toute vie politique et inscrit l'action humaine comme
conséquence de cette pluralité :
« L'action serait un luxe superflu, une intervention capricieuse dans les lois
générales du comportement, si les hommes étaient la reproduction à l'infini d'un seul
177
et unique modèle, si leur nature ou leur essence était toujours la même, aussi
prévisible que l'essence ou la nature d'un objet quelconque. (Arendt, 2009, p 42)
L'action humaine est alors prise au sens d'une liberté politique propre à chaque
individu-citoyen.ne. Cette considération fait lien avec la référence à John Dewey et sa
conception « d'un public » telle que Joëlle Zask la présente. Dans cette conception politique,
il ne s'agit nullement d'un public assemblé et représenté de manière passive ou captive
« face » à un ou des élu.e.s, il s'agit d'admettre le potentiel participatif d'individus assemblés
à des questions qui les concernent et qui motivent leur ré-union. Cette formulation déplace
les représentations concernant la légitimité politique, la capacité de jugement et
d'appréciation des enjeux en dehors d'une élite ou d'un temps donné pour considérer les
aptitudes à former des jugements politiques non pas comme des conditions antécédentes,
mais dérivant d’activités à la fois sociales et cognitives (Zask, 2008, p 170).
Cette primauté du public acteur et divers - comme préalable de participation converge avec les observations réunies ici à partir du travail social et repose sur l’acception
de l'exercice de la citoyenneté pour chacun.e. De ce fait, nous avons retenue cette donnée
comme une caractéristique constitutive des entités collectives étudiées au sein des
interventions sociales, ce qui peut constituer par ailleurs une réponse aux questions de
méthodologie de l'intervention collective en travail social : « Soit un public se constitue à
travers l’acquisition par ses membres des compétences requises pour localiser, en toute
indépendance, leurs intérêts partageables, soit il n’y a pas de public » (Zask, 2008).
Selon Joëlle Zask, le principe de l'expérimentation collective est contributif pour
chacun.e et pour l'ensemble car l'action existe, se déroule dès lors qu'elle repose sur la
formation d'un accord « entre des activités » diverses pour constituer des « formes
d'associations satisfaisantes et solides ». En conclusion, le public existe, se constitue dans un
double mouvement. Il se rend visible lui même par sa capacité associative et dispose alors
d'un pouvoir dans l’État. Pour cette auteure, « c'est aussi de cette manière que les membres
du public peuvent individuellement reconstituer la cohérence de leur existence » (p196) et
avoir prise sur les interdépendances locales ou planétaires. Ces analyses concordent avec
l’approche des interventions collectives en travail social telles que nous avons pu les
178
entendre formuler et les étudier au sein d'un espace de recherche collaboratif co-construit à
partir d'un centre de formation en travail social (voir plus loin la présentation du LaboISIC).
Ces co-constructions observées constituent le premier lien de continuité avec le
présupposé des travailleuses sociales étudié au chapitre 1, que nous rappelons ici : « C'est le
travail de conception pacifique et égalitaire d’une démocratie sociale initié durant la IIIème
République, qui a présidé à l’émergence des Maisons sociales et à laquelle leurs fondatrices
se rattachent par leurs choix d’intervention. Le processus de création d’un travail social laïc
s'est inscrit dans le cadre démocratique avec sa propre logique d’action : s’émanciper d’une
organisation sociale et construire conjointement une autre réponse ». Cette orientation
audacieuse est issue de l'idéal démocratique pris comme référence commune, idéal pris au
sérieux qui impose d’intégrer les citoyens, tous les citoyens, dans la fabrication des motifs de
l’action publique (Zask, 2011).
Cette compréhension est devenue vive et expresse dans certaines configurations
contemporaines. Par exemple face à la revendication de jeunes de certains quartiers urbains
qui s’expriment sur le droit au respect. Dans ces contextes et en s'inscrivant dans la
perspective énoncée, agir ou réagir sur les conséquences des manquements à l'une des parts
de la participation nécessite de s'assurer de l'assemblage préexistant ou de sa réalité locale
dans tel ou tel bassin de vie. Cela peut devenir, ce que Jo Siegel qualifie de Haute Exigence
Démocratique (2013) ou encore d'ambition pragmatique. Nos organisations institutionnelles
et leurs articulations permettent-elles d'agir et d'inter-agir comme des individus-citoyens
d'une nation démocratique dans laquelle chaque sujet est le dépositaire d'un pouvoir d'agir
effectif, d'un droit d'intervention collective ? Ou sommes- nous d'abord des élémentshumains et indifférenciés dans des dispositifs, des organisations qui prévalent et dominent
tout un chacun.e ? Un exemple de femmes, parents d'élèves réunis en collectif local pour
réclamer la mixité sociale dans les écoles de leur quartier peut faire écho à ce
questionnement à propos de la carte scolaire des collèges (Revue de presse 2015). Ces
parents d'élèves, des femmes preneuses de paroles dont une majorité porte un foulard,
n'ont pu accéder dans un premier temps aux différentes autorités publiques responsables
179
des établissements et des orientations scolaires. La presse a titré en demandant qui était
derrière ces femmes, supposition jugée méprisante pour elles, « parce qu'on est des
femmes, on ne saurait parler ou penser en notre nom propre ? » (carnet de bord, janvier
2018). Dans un premier temps, les enseignant.e.s du secteur concerné ont été isolé.e.s,
empêché.e.s de communication avec les parents. Peu ou pas de professionnel.le.s du social
sont allés vers ces parents pour les rencontrer, les écouter et soutenir une volonté d'agir sur
leur quotidien jusqu'à l'ouverture d'un dialogue avec les responsables concernés. Cet
exemple illustre à sa manière le constat d'une action sociale absente du quotidien des vies,
c'est-à-dire qui prenne part à la construction du problème, à la question sociale qui s'exprime
dans l’espace public.
A côté de ce constat, la position d'observatrice impliquée pouvait rendre compte
d'actions inter-actives et participantes. C'est sur ce type d'observations que nous avons
construit la seconde partie de cette thèse pour faire apparaître les conditions de réalisation,
les freins rencontrés, les empêchements à leur développement. Comment ces actions,
identifiées au démarrage comme des actions collectives, rendent-elles compte des éléments
retenus et cités plus haut : un point de vue solidaire basé sur l'égalité entre « tous », un
travail d'émancipation, des liens d'interdépendance ? Cette présentation de situations
d'actions sociales et les analyses développées dans cette seconde partie, nous permettent de
contribuer à la connaissance déjà produite en matière de modes « d’organisation sociale et
de leurs transformations. Elle est plus précisément partie intégrante de la sociologie
politique, dans la mesure où elle a pour but d’analyser les modes d’exercice du pouvoir et de
la domination dans leur dimension politique » (Dubois, 2009).
En effet, les compréhensions produites dans la première partie ont permis d'éclairer
les dynamiques d'actrices et d'acteurs au sein d'une arène politique en construction, en prise
avec les dimensions politiques de la solidarité. Cet ensemble de relations font système dans
un monde social pensé à partir de hiérarchies organisatrices que nous avons énoncées :
hiérarchie de genre, hiérarchie des emplois, hiérarchie de normes. Aujourd'hui ces
différentes hiérarchies aussi identifiées comme des dominations, de l'économie sur le
politique, du masculin sur le féminin, de l'encadrement sur les professionnel.les (auxquelles
180
pourraient s'ajouter celle de l'âge, de l'origine…) sont les premiers supports dans nos
organisations sociales et dans nos modes de pensée des inégalités démocratiques, c'est-àdire politique. Ainsi nous pouvons constater une dérive vers la dominante d'une égalité de
droits au sens où tout peut être une question de « droit à » et donc soumis à réglementation
commune, là où la question première est de s'associer toutes et tous en personnes-sujets
égales pour convenir, décider d'une politique commune « de la cité », de « la nation».
Cette dérive peut se formuler dans la définition de l'intérêt supérieur, dans la capacité
à dire le bien commun pour tous, dans le droit à décider pour la collectivité, et l'absence de
prise en compte d'individus-sujets qui souhaitent participer politiquement aux décisions qui
les concernent. Au fil du temps de ces constructions, les individus-sujets n'ont pas tous
bénéficié du même pouvoir d'exercice de la citoyenneté politique ou n'en bénéficient pas
encore. Nous l'avons rappelé en ce qui concerne la citoyenneté politique des femmes
(chapitre 2), c'est aussi la situation d'un certain nombre de résidents étrangers sur le
territoire national.
L’élargissement de la notion d'égalité, ou l'égalité-relation formulée par Pierre
Rosanvallon (2011), a été et est mise en œuvre de manière pragmatique avant d'être
théorisée, c'est ce que la première étude des Maisons sociales sur les fondements du travail
social a mis à jour. Elle en est la marque initiale et contribue ainsi au travail de construction
démocratique à reprendre et à continuer dans les perspectives réalistes empruntées à
chacune des références présentées (Ion, 2012. Rosanvallon, 2011. Zask, 2011).
Dans l'étude socio-historique tant du point de vue d'un État social que des initiatives
convergentes en faveur d’un travail social, les dynamiques à l’œuvre rendent compte d’une
matrice commune, et de la perception partagée d'une société démocratique à construire. audelà de ces assemblages tentés en commun pour faire société, nous avons discerné des
points de tensions ou des compromis. C'est pourquoi nous avons souhaité approfondir
l'enquête sur différents niveaux d'actions et dans des temporalités différentes pour examiner
les transformations engagées, celles encore à venir. Comment autour de la notion de
solidarité fondée sur une égalité de relation, se pensent et se transforment les relations de
181
genre, l'accès à la citoyenneté politique pour tous, la professionnalisation du travail social ?
Ces trois registres d'analyse ont été identifiés comme faisant système à l'issue de notre
première partie. Nous avons postulé qu'une approche microsociale des situations pouvait
être porteuse à son tour de compréhensions de ces phénomènes dans le contexte
contemporain. Cette analyse est développée dans les chapitres qui suivent.
Le chapitre 4 reprend l'expérience des Maisons sociales au début du XXème siècle. Il permet
d'éclairer les liens entre les conceptions démocratiques de la solidarité, de l'égalité entre
tous et leur mise en acte. A travers ces histoires singulières, c'est l'émancipation des sujets
mais aussi leur promotion qui émergent comme première conséquence d'une participation
politique. Cette dimension est particulièrement présente dans cette construction initiale.
Le chapitre 5 étudie plus précisément la nature et la forme actuelles des actions collectives
en travail social du point de vue des personnes impliquées : professionnel.le.s, public
concerné, commanditaires. Cette analyse conduite à partir d'un espace de recherche-action
illustre les prises d'autonomie possible et rend compte d'écarts en matière de construction
démocratique ou de participation politique. Ces éléments font échos aux analyses d'Elsa
Galerand et Danièle Kergoat concernant la construction d'un dialogue entre le travail de la
sphère domestique à la sphère du public présenté au chapitre 3-2.
Le chapitre 6 revient sur la question de la professionnalisation dans une tension entre la
dimension fonctionnelle représentée par la structuration des formations et la dimension
politique qui intègre une créativité continuée au service du travail du social. Cette étude
s'appuie particulièrement sur l'analyse des capabilités à l'intervention collective du secteur
professionnel et de son management. L'examen de trajectoires d'étudiant.e.s en cours de
formation au DEIS (diplôme de cadre du social présenté au chapitre 3), les itinéraires et les
perspectives actuelles de ces candidat.e.s à l'encadrement du travail social, constituent un
indicateur des axes de structuration actifs du secteur professionnel.
L'ensemble de ces trois analyses spécifiques met en perspective les questions
travaillées en première partie de la recherche. Grâce aux apports récents des études de
182
genre, l'identification des rapports de genre dans les différents niveaux de structuration du
travail social et dans les interventions contemporaines est accessible. C'est ainsi que le
chapitre 4 réexamine les éléments fondateurs de l'intervention sociale au début du XXème
siècle, alors que les chapitres 5 et 6 étudient des configurations contemporaines de cette
intervention publique. Le choix particulier de conserver une diversité des temporalités
étudiées s'explique par différents motifs. Comme nous l'indiquions au commencement de
cette première partie, le passé pèse sur le présent, si les rapports sociaux de genre au sens
académique actuel sont absents des préoccupations théoriques et politiques du contexte
initial ainsi que nous l'a rappelé Joan Scott (1988), ces rapports singuliers entres les
personnes sont présents et ont constitué une manière de penser, d'agir, de décider. Aussi le
déplacement dans les différentes temporalités permet de soutenir la question du genre telle
que nous l'avons mise à jour pour notre sujet tout au long du chapitre 2, et correspond à la
construction méthodologique de notre recherche.
En effet il est communément admis en France, que l'égalité entre les femmes et les
hommes est une affaire réglée avec la mise aux normes des libertés individuelles des femmes
(droit de vote des femmes en 1944, droit d'exercer une activité professionnelle sans l'accord
de leur mari en 1965, droit à la contraception en 1967, à l'avortement en 1975). Pour autant,
cette égalité présumée constitue un champ d'études, il est aujourd'hui possible d'éclairer
sous un jour nouveau des phénomènes a priori étrangers aux questions de genre ou réputés
neutres du point de vue du genre. Ainsi en est-il de la solidarité et de ses mises en œuvres
dans un État où les lois ont instauré l'égalité entre tous.
La première partie de cette thèse a rappelé à la fois les apports des femmes à la
construction de la solidarité nationale en même temps que leur exclusion de la citoyenneté
politique. Ce premier point est une contribution aux connaissances que nous pouvons aussi
qualifier d'élargissement des perspectives au-delà des seules références androcentrées dans
la mémoire collective concernant la solidarité laïque, avec principalement comme auteurs les
figures d’Émile Durkheim et de Léon Bougeois. Le second travail abordé maintenant,
concerne la mise à jour empirique d'inégalités pensées en termes de genre (au plan matériel
183
comme au plan symbolique). Ainsi il est possible de présenter une lecture renouvelée des
rapports sociaux établis dans le cadre du travail social et de comprendre à partir de l'exemple
de cette action publique et de ce secteur professionnel, comment notre modèle social est
encore emprunt de conceptions « traditionnelles », notamment en matière de rapports de
pouvoirs, peu enclines aux transformations sociales.
184
4. L'émergence d'un travail social laïc au féminin, un
conflit fondateur
L'étude de l'émergence de l'action sociale laïque au tournant du XXème siècle, débouche
rapidement sur l'histoire d'un conflit, l'Affaire Bassot. Ce procès est peu connu bien qu'il
signe l'acte d'émancipation d'une jeune femme « rebelle à l'autorité de ses parents ».
Nommée dans un premier ouvrage qui tente une « brève histoire du service social en
France », cette filiation est par trop révolutionnaire, si bien que « cet acte inqualifiable » est
par la suite « systématiquement occulté » dans les écoles de Service Social (Guerrand, Rupp,
1978). De même les résonances féministes de ces premières initiatives sont ignorées. Ce
n'est qu'en 2001 qu'un nouvel examen du conflit fait l'objet d'une présentation lors d'un
colloque à l'initiative de l'association « Mémoires vives - Centres sociaux ». A cette occasion
Brigitte Bouquet reprend l'étude du procès pour en présenter les enjeux du point de vue des
représentations de l'époque (Bouquet 2004). De son côté, Françoise Tétard signale lors de ce
même colloque, comment les esprits ont adopté « le consensus du silence » sur l'événement
pour sauver l'essentiel : la création de « l'entraide sociale » par des travailleuses sociales
attentives aux personnes comme à leur communauté de vie. Les silences de l'Histoire selon
l'expression de Michèle Perrot (1998), sont associés au scandale du procès dans une époque.
Ces recherches ne font pas encore de liens avec les études de genre. C'est pourquoi la
transmission du silence sur cette fondation et le conflit qui s'y rattache, constituent un motif
de croisement avec les questions rencontrées en première partie.
Si le conflit est une donnée de la vie humaine, sa présence est révélatrice de
différences et peut être un outil de lecture de la transformation à l’œuvre, de la volonté de
renforcer une position (Rapport Médiation communautaire et transformation sociale, 2005).
Mais le scandale ou l'affaire sont aujourd'hui considérés par certains auteurs comme un
« moment de transformation sociale en soi » (De Blic et Lemieux, 2005) ou une épreuve par
185
la transgression des valeurs qu'il implique (Boltanski, Chiapello, 1999). C'est donc sur les
conseils de Federico Taragoni lors d'un séminaire de doctorant-es (2016) que j'ai utilisé les
archives consultées pour formaliser ce qui pouvait constituer pour les actrices concernées,
les différentes logiques de l'émancipation associées au genre, à la citoyenneté politique et
sociale. Par la mise à jour des espaces de tensions, des articulations tentées et les
contradictions potentielles entre les différentes logiques rencontrées en même temps, il est
possible de repérer les compromis, les renoncements voire les abandons. Sous cet angle
particulier, l'étude du scandale que constitue le procès de Marie Jeanne Bassot nommé par
la presse « l'Affaire Bassot » permet de mesurer les expressions et les réactions du point de
vue de l'émancipation en jeu.
Découvrir que l'émergence du travail social à son démarrage est associée à un conflit
qui va prendre une dimension publique, modifie la compréhension première d'une création
novatrice en soi et invite à considérer l'initiative au-delà des actions mises en œuvre. La
notion de conflit dès lors qu'elle s'invite dans cette histoire nécessite de s'intéresser aux
relations en jeu, d'en élargir le spectre de compréhension pour revenir sur les transgressions
à l’œuvre et les rapports de pouvoir au sein de l'initiative décrite en première partie (CH 1).
En ajoutant les rapports de genre à la lecture de l'émergence du travail social (au
début du XXème siècle), il s'agit de reconsidérer plus précisément « la tentative
d'émancipation collective » réalisée et l'ambition énoncée : vouloir construire une autre
réponse aux questions de lutte contre la pauvreté. Si l'invention d'un nouveau mode d'action
est bien identifiée par différents auteurs (Guerrand et Rupp, 1978. Rater-Garcette, 1996.
Jovelin, 2008. Eloy, 2012), l'impact des rapports de genre dans cette innovation est peu
étudié.
L'émancipation des personnes qui concerne les sujets en propre, est aussi l'affaire
d'un « tout collectif » tel qu'il représente et autorise cette émancipation. Ce qu’Étienne
Balibar formule par « on ne saurait concevoir un devenir citoyen du sujet (le sujet comme
être en commun) sans penser du même coup un devenir sujet du citoyen (le citoyen
émancipé dans un processus de subjectivation) » (Balibar, 2012). C'est ainsi que nous avons
186
rassemblé les éléments du conflit fondateur entre les différentes parties impliquées comme
autant d'éléments de contexte pour analyser les débats qui entourent ces évènements selon
trois dimensions : initiative sociale et initiative politique ; principe d'action et savoirs
mobilisés ; autonomie des sujets féminins sur la période.
La consultation des archives a été déterminante et révélatrice de la diversité des
commentaires et réactions : enthousiasmes, questionnements scientifiques et conflits.
Indépendamment des faits tels que l'approche socio-historique pouvait les établir, nous
sommes passés d'une recherche d'éléments de réalisations à une étude de la diversité des
discours pour saisir les dimensions relationnelles dans cette construction.
Dès lors, en intégrant le genre dans cette analyse nous abordons des perspectives
inédites et nous tentons de renouveler la compréhension de mécanismes historicisés. Quelle
part ces pionnières ont-elles prise dans l'histoire de la solidarité (sa pensée, sa mise en
œuvre) ? Quels savoirs de nature politique sont expérimentés, issus de ces
expériences malgré l'absence de droit politique de ces citoyennes ? L'approche de la
situation initiale, telle que nous l'avons reconstituée sous l'angle du genre, nous a permis de
nous défaire des représentations principales d'un travail social intervenant sur/vers autrui
pour reconsidérer la simultanéité des émancipations engagées : celles pour autrui, celles
pour soi. Cette compréhension fait sens avec la formulation que nous avons relevé de
Federico Taragoni (2013):
« Les concepts d’émancipation et de subjectivation politique désignent une
même dialectique indépassable entre l’individuel et le collectif : on devient sujet
politique et l’on s’émancipe dès lors que l’on remet en question les certitudes
phénoménologiques ancrées dans un certain rapport au monde, socialement produit
et engageant des corps, des identités, des découpages de lieux et de temps ».
Ainsi nous quittons les points de vue sectoriels pour examiner le système qui réunit
les actrices et les acteurs et les possibilités de jeu entre les parties constituées au sein d’une
même entité « démocratique » constituant un public. Ceci nous engage à étudier tant
187
l'Affaire Bassot que le processus de socialisation politique des actrices impliquées. Les récits
successifs et leur interprétation contextuée montrent la mobilisation collective réalisée par
ces femmes sur la période étudiée et les engagements réalisés. À partir de la constitution du
travail social, c'est aussi la multiplicité des appartenances pour une personne-sujet qui
apparaît et la place des rapports de genre présents dans cette structuration comme dans
l'ensemble du monde social. Ce travail s'ajoute aux analyses ayant permis de sortir du nonpolitique un certain nombres d'actions sociales féminines. Il souligne le rôle de ces
expériences pour la suite de l'histoire politique et de l’État social (Bereni, Revillard, 2012 Della Sudda, 2013).
L'étude de ce chapitre se base sur la consultation des archives des fondatrices des
maisons sociales, c'est-à-dire sur une période qui peut être regardée comme celle d'un
premier assemblage d'expériences volontairement capitalisées par les actrices. Elle met
l'accent sur les éléments caractéristiques de cette structuration. Une fois les traits de cette
initiative rappelés, il s'agit d'examiner le procès de Marie Jeanne Bassot sous l'angle du
scandale produit puis ignoré.
4.1. Une action collective initiée par des femmes
En première partie (chapitre 1-2), nous avons rappelé les débats du tout début du 20ème
siècle et les oppositions politiques fortes autour des combats pour la laïcité qui renvoie à la
liberté religieuse (c'est-à-dire instaure un gouvernement des sujets/des personnes en dehors
de toute autorité ou conviction religieuse) et les modèles divergents entre lutte des classes
sur la base des conflits d’intérêts et recherche de cohésion sociale (dans une perspective de
pacification des oppositions et de sortie des conflits sanglants de la Commune de 1870).
Dans ce contexte, nous avons présenté les deux constructions parfaitement identifiées et
transmises jusqu'à nos jours pour installer la paix sociale et la justice sociale : l’approche
politique de Léon Bourgeois, l'approche technique et scientifique d’Émile Durkheim.
A ces deux approches, il convient maintenant d'ajouter l'approche opérationnelle des
travailleuses sociales, fondatrices du travail social. Une approche qui a été fondue dans
188
l'institutionnalisation d'un État social androcentré (chapitre 2) et que nous tentons de
dégager du « bloc de représentations qui les recouvrent et qu'il faut nécessairement
analyser » (Perrot, 1998). En cela il s'agit de comprendre la mobilisation des personnes
impliquées au-delà de leur seule appartenance sociale, ou de leur conviction religieuse ou
encore de leur catégorie sexuée pour les regarder agir comme des actrices à part entière
ayant une intelligence des situations rencontrées et exprimant une volonté d'intervention
dans la sphère publique. Il s'agit aussi de repérer comment les actions commencées
simultanément avec la première phase d’institutionnalisation de l’Etat social, se heurtent aux
questions de légitimités de leurs auteures.
La recherche d'Hélène Charron sur Les formes de l'illégitimité intellectuelle des
femmes dans le champ des sciences sociales françaises entre 1890 et 1940 éclaire cette
dimension (Charron, 2009). Ce travail sur la période montre comment les sciences sociales à
leur démarrage utilisent et tiennent à distance les contributions et expérimentations
féminines du début du XXème siècle. Nous pouvons retrouver cette analyse dans l'examen
de l'article du numéro de La Réforme sociale du 16 mars 1906 qui s'applique à notre sujet. Il
rend compte de l'audition de deux des fondatrices des Maisons sociales – La Présidente de
l'association, Madame la Baronne Piérard et Madame Le Fer de La Motte - par la Société
d’études et d’économie sociale lors de sa séance du 15 janvier 1906. Le texte consulté est
une transcription de cette audition, des propos tenus comme des échanges qui ont suivi.
Pour Madame la Baronne Piérard qui fait l’exposé, ses propos indiquent la conscience
de la reconnaissance en jeu :
« C’est pour notre groupe, un honneur très apprécié dont il vous remercie. […]
Il vous remercie encore de lui permettre de s’exprimer[…] et il me semble qu’en
venant vous parler de la Maison Sociale, je vous exprime un des faits dont à l’exemple
de votre fondateur Le Play, vous recherchez l’étude et vous chercher à dégager des
lois ».
189
Son discours exprime avec finesse la conscience de leur action et de leur contribution
à la question sociale dans toute son actualité. Son exposé très descriptif des actions, s'il
s'attache à dire la petitesse et la simplicité de l'entreprise n’en est pas moins assuré :
« La Maison sociale est maintenant - légalement- une association ayant pour
but l’éducation et l’assistance sociale, et, dans le fait, un centre d’action créé dans les
quartiers populeux, si lointains, si étrangers même aux nôtres ».
La référence explicite au cadre légal tout nouveau de l’association 1901 indique leur
légitimité à penser et agir et l’assurance de cette action : « son œuvre, juste, récemment
créée est déjà faite pourtant, car l’idée juste et vraie, quand elle a pu s’incarner, devient vite
riche de réalités qui sont sa preuve ». C’est ainsi que l’énoncé des propos paraissent
modestes mais les faits sont affirmés et sans équivoque possible, la Présidente poursuit
sachant tenir le double discours d'un rôle « modeste » et de points de vue construits
attestant de savoirs mobilisés sur la famille, de l'étude qu'implique la compréhension des
phénomènes sociaux :
« Je voudrais vous rendre sensible la simplicité de sa conception en vous
disant les modes nombreux de ses réalisations, mais devant cette tâche qui me
trouve si novice, j’aurais reculé Messieurs, si je ne savais votre bienveillance. […] La
famille est la première unité sociale que nous voulons reconstituer, aider, et c’est la
Maison qui centralise et abrite la vie de la famille. […] Au point jugé le plus central
d’un quartier, près des écoles, là où les voyages de découvertes ont révélé le plus
d’enfants. […] Épreuves du sentiment, angoisse du travail, inquiétudes de santé, pour
lui répondre efficacement, il faut que le cœur sache des mots utiles qu’il a demandés
à l’intelligence. Il faut être initié aux problèmes de la vie ouvrière, aux mille faces de
la question du travail, pour cela les enquêtes sociales commencées dans chaque
maison sont précieuses et, après avoir documenté les résidentes, serviront à tous ».
L'action ainsi engagée n'est pas de la seule bonne volonté, elle mobilise et implique
de la méthode et un travail de l'intelligence ».
190
Un autre article issu de la Revue des deux mondes signé de Paul Acker, intitulé
« Œuvres sociales des femmes » rend compte de plusieurs interviews de personnalités
(Melle Chaptal ; Mme Edwards-Pilliet) dont celui de Madame la Baronne Piérard. Il insiste sur
l'implantation réalisée de manière continue au sein du faubourg et la confiance qui s'établit
par la permanence des relations. L'auteur rapporte ensuite un propos de Madame Piérard où
celle-ci termine sa présentation de l'organisation des maisons par la référence à Louise
Michel, « Nous avons peut-être réalisé la Maison du peuple que rêvait Louise Michel ». Cette
source confirme l'implication et le lien des créatrices avec les idées de leur temps.
Les sources étudiées nous permettent de relever les convergences sur l'utilisation des
idées nouvelles et l'invention pratique qui en découle. Elles étayent la compréhension du
contexte des fondatrices tout en illustrant les termes précédemment cités de « démocratie
mono sexuée et masculine » ou encore de sphères séparées : celle politique et publique
d’une intelligence du monde et celle des pratiques sociales renvoyées au privé et aux affaires
domestiques. Comme y invitait J Scott, cette analyse fait émerger le fonctionnement du
genre dans les discours tenus entre « petites » et « grandes actions », entre personnes
« mineures » et « grands hommes ». Le travail laborieux qui a présidé à l'émergence de
l'action sociale est ainsi densifié et devient contemporain des sciences sociales comme de
l'État social.
L'Œuvre sociale établie sous le nom de Maisons sociales, cherche explicitement à
construire des liens de solidarité entre des personnes de milieux sociaux aisés, bénéficiant de
l'accès aux savoirs de leur temps et des personnes des quartiers ouvriers de Paris, ne
disposant pas des mêmes ressources : « A l'avare charité de la visite, au voyage du quartier
riche au quartier pauvre, à l'aumône d'une heure prise dans une vie distraite par mille autres
soucis, on a substitué un admirable appareil de solidarité » (Guerrand R-H et Rupp M-A,
1978, p 30).
Cette présentation faite à partir de l’étude des archives citées est proche des
revendications ou recherches contemporaines de mixité sociale, la formulation connue est
« la recherche de l'amélioration de la vie de tous par la pénétration mutuelle des classes ».
191
C'est sous le tout nouveau statut de la loi 1901, le 13 sept 1905, que se créent les Maisons
sociales. Leur statut précise les actions et initiatives dont « l'inspiration et la direction sont
absolument indépendantes de toutes les associations politiques ou religieuses, de toutes les
ligues et de tous les partis » (Audition de Madame la Baronne Piérard, 1906). Cette
orientation présente dans la démarche rejoint les propos de Léon Bourgeois affirmant que le
vecteur de la solidarité, c’est l'association entre les personnes pour « un concours et une
coordination des forces » dans des actes réfléchis et volontaires (Blais, 2007). En ce sens,
cette action est une œuvre de solidarité pensée et agit collectivement. En voici maintenant
les caractéristiques formalisées à partir des sources consultées.
4.1.1. Une approche pragmatique dont la méthode et les hypothèses de
travail sont issues d'expériences successives
De l'Œuvre sociale (1894-1898) à la Résidence sociale (1913) en passant par les Maisons
sociales (1899-1909), des femmes veulent par leur intervention, apporter la preuve d'une
possible transformation des liens sociaux, et cherchent à attester par l'action d'une faisabilité
de cette cohésion sociale. La continuité des liens et des expériences entre les trois
formulations a été présentée par Jacques Eloy dans plusieurs exposés et publications (Eloy,
2004, 2012). Il s'est attaché à étudier cette continuité et à souligner les éléments de
méthode à travers les discours des personnes impliquées dans chacune des réalisations.
Pour notre part, nous avons privilégié les « maisons sociales » que nous avons
identifiées comme charnières dans cette innovation pragmatique. Elles reposent sur un
fonctionnement clairement énoncé par les fondatrices elles-mêmes dans les sources
étudiées : la proximité permanente avec les personnes concernées, l'utilisation et la diffusion
des savoirs scientifiques nouveaux, la considération et le respect du point de vue des
personnes aidées, la perméabilité entre les classes sociales. Sur la base d'une proximité avec
les familles, leur cadre de vie, leurs charges, une diversité d'actions simultanées vont être
mobilisées et constituées le programme des Maisons Sociales : permanences de « secrétariat
192
du peuple », garderies scolaires, consultations médicales, conférences populaires sur les
bases « d'une éducation nouvelle ».
Cette description est établie en différents lieux : dans les salons qui constituent des
lieux d'éducation collective des femmes (voir chapitre 1), auprès de la Société d’études et
d’économie sociale, dans différentes revues (La revue des deux Mondes, La Française, Le
Conseil des femmes). La méthode d'implantation est énoncée comme telle : des voyages de
découvertes, la recherche d'un point jugé central pour le quartier, la proximité des écoles et
la présence d'enfants en nombre. Ensuite vient l'installation proprement dite :
« Nous cherchons et emménageons d'abord deux salles très grandes, vites
garnies de tables et de bancs : c'est la garderie où les enfants sont reçus à la sortie
des classes pour faire leurs devoirs, et qui devient le soir salle de cours, de
conférence, de fête ; à côté d'elle un bureau, de petites pièces ; les résidentes s'y
campent avec tout le pittoresque d'une installation où le goût et l'imagination
remplacent bien des choses ».
Puis c'est la spécificité de l'action qui est nommée :
« Mais ce qui constitue l'originalité propre de la Maison sociale, c'est la
résidence organisée : je viens de vous en dire les éléments : autour des résidentes,
ces maîtresses de maisons, se groupent tous ceux qu'elles aident ou stimulent ».
(Audition de Madame la Baronne Piérard, 1906)
Dans les différents discours rédigés par les actrices comme dans leurs interviews, la
philosophie de l'action est toujours rappelée : partage et diffusion des savoirs dans un
principe de liberté des personnes. Ainsi,
« Au premier rang de ses principes, la Maison sociale met le respect de la
liberté d'autrui. Elle sait combien est douloureuse cette sensibilité du peuple qui si
souvent s'exaspère, et de laquelle jaillissent des mots comme celui-ci : « je croyais
que quand on est pauvre, il faut toujours faire que ce qu'on ne veut pas ».
193
Cette adresse reçue et citée par la Présidente lors de son audition marque cette
volonté de conjuguer choix d'intervention et respect de l'autre. Le choix de privilégier
l'éducation des enfants pour un avenir meilleur dans le respect des parents se fait dans la
demande et la considération de leur avis.
4.1.2. Un travail en réseau basé sur une approche globale de la vie des
familles sur un quartier entendu comme un territoire de vie
L'approche globale comprend les conditions de logement et de vie familiale, les conditions
de travail, les conditions de santé et les conditions éducatives. Pour cela, les « résidentes »
vont effectivement intervenir sur l'ensemble des dimensions de la cellule familiale retenue
nous l'avons dit comme « première unité sociale », par ces pionnières et considérée dans les
approches scientifiques comme la base de la société. Elles ont parfaitement saisi l'enjeu de
l'éducation des jeunes générations et proposent une aide aux devoirs et des apprentissages
divers (cours de couture, de chants et d'anglais).
A cela s'ajoutent les soins et hygiène en matière de santé des populations et des
consultations médicales et infantiles. A ce travail qu'elles qualifient de proximité, elles
ajoutent des recueils de données sur le quotidien des familles. Tout un travail d'observation
et de transcription dans le but de découvrir, d'inventorier les mécanismes observés, les
modifier et aussi de former de futures intervenantes.
Cette approche reconsidère la vision des questions de pauvreté précédemment
classée en pauvreté dangereuse et pauvreté méritante, elle témoigne d'une démarche qui
s'affranchit des codes précédents et veut enrichir la conception organique de la société
moderne. Elle s'inscrit dans la conception politique de ce temps : la recherche de l'égalité en
société, ce qui s'exprime dans faire « œuvre de réorganisation sociale, non un foyer de
propagande religieuse » selon la présentation d'Apolline de Gourlet en 1904 dans le journal
de l'Action populaire.
194
Le modèle tranche avec la vision instituée et héritée de l'action sociale charitable
comme avec la place des femmes dans cette mise en œuvre. En effet le modèle hérité
fonctionne avec une place assignée de femmes de la bourgeoisie ou de la vieille noblesse,
c'est-à-dire des classes dirigeantes, dans des actions ponctuelles de bienfaisance vers des
classes pauvres sans perspective attendue de transformation sociale. Cette différence de
perspective associée à une différence de rôle et de temporalité pour les femmes constitue
une rupture et l'innovation instituée par la création des maisons sociales.
Un troisième et dernier point caractérise cette mise en œuvre. Il s'agit de la
mobilisation de leurs relations, de leurs interventions pour établir des circulations soit vers
l'extérieur des quartiers d'interventions (travail, financement, …) soit vers l'intérieur en
faisant pénétrer dans les quartiers les progrès de la médecine, les activités éducatives et
culturelles. A cet effet, elles organisent des consultations médicales dans les Maisons sociales
et invitent des « étudiants masculins » à tenir des conférences sur leurs sujets d'études ou à
partager des « causeries ».
Leur conception de la liberté comme première égalité entre les personnes se traduit
dans l'organisation par l'initiative des résidentes, laissant toute latitude à chaque maison. Cet
élément fait partie des points de présentation de leur action soulignés par les fondatrices
elles-mêmes, et figure comme un nouvel inattendu dans la recherche. Dans leur présentation
ou les interviews, elles attirent l'attention sur cet attachement à l'indépendance et à
l'autonomie entre les maisons comme le signe d'une volonté et d'une donnée organisatrice
nécessaire à chaque Maison. Cela est rapporté par un journaliste de la Revue des Deux
Mondes :
« Au reste, chaque maison sociale, s'adaptant aux besoins du quartier où elle
est installée, a son originalité propre. Celle de Ménilmontant a organisé un abri où
elle recueille les petites filles de trois à quatorze ans pendant une maladie des
parents, un chômage forcé » (Acker, 1907).
195
De son côté, Louis Dausset, conseiller municipal de la ville de Paris, s'exprime lors de
l'Assemblée générale de l'association (14 juin 1904) et précise la philosophie des maisons
sociales qui de son point de vue rendent « l'action nécessaire et sa vie durable », ce qu'il
nomme la manifestation d'une nouvelle forme de conscience sociale :
« Non seulement elles (les résidentes) sont désintéressées au sens le plus
noble, mais, libres elles-mêmes, elles ont au plus haut point le respect de la liberté
d'autrui. Voilà le fait, le fait social que je dois examiner et étudier devant vous. Il ne
s'agit pas, vous le sentez bien, d'un autre office d'assistance ni de quelque fondation
charitable qui viendrait dans chaque quartier s'ajouter aux institutions de
bienfaisance laïque ou confessionnelle ».
Les créatrices des maisons sociales sont des personnes qui lient autonomie et liberté
des sujets pour elles-mêmes comme pour les habitant.e.s des quartiers ouvriers. Cette
lecture est possible en conservant la distance avec le référentiel assistanciel issu de la
protection sociale et de la généralisation des politiques d'insertion. Dans cette période
initiale, il s'agit d'un trait du siècle précédent qui se poursuit et qui cherche la marque
moderne d'une égalité de relation entre les personnes encore à réaliser, à manifester dans
une vision politique qui cherche à unir tous les citoyens.
Des caractéristiques que nous indiquions du point de vue de l'approche globale
découle une compréhension de l'égalité recherchée. Leur engagement est celui d'une égalité
de relation basée sur les relations de voisinage, d'amitié libre et volontaire. Cette conception
croise l'analyse de Pierre Rosanvallon présentée en introduction de cette seconde partie.
Leur action est une traduction de leur recherche empirique pour une « réorganisation
sociale ». Cette compréhension attestée par l'étude des archives est sûrement difficile à
reconnaître à partir d'une pensée contemporaine qui privilégie le progrès comme une
marche en avant toujours possible et peine à imaginer des avancées écartées ou oubliées
dans les créations précédentes. Pour notre part, cette compréhension de la primauté d'une
égale liberté dans une égalité de relation illustre les conceptions développées dans les
analyses de Pierre Rosanvallon. Elles confortent l'ancrage de la création des Maisons sociales
196
dans un travail de résolution des inégalités en se référant au principe de liberté entre les
personnes, au sens de Kant, comme point commun entre les personnes. La liberté de la
volonté est directement héritée de la Révolution Française et de la pensée philosophique de
Kant.
Une dernière donnée est à considérer dans cette approche égalitaire « moderne »,
c'est un autre dépassement de l'assignation sexuée dans une œuvre « sociale ». Cette
intention est bien inscrite dans le projet et attend son développement. C'est Monsieur
Dausset qui en témoigne cette fois, lors de l'audition à la Société d'économie sociale (SES, 15
janvier 1906) : « Aussi faut-il espérer que dans l'avenir, il y aura deux Maisons sociales côte à
côte avec chacune des résidents de chaque sexe. Pour le moment, beaucoup de jeunes gens
ont formé des cercles qui se distinguent des patronages : car les jeunes gens du monde
comme les ouvriers y viennent au même titre pour y donner et recevoir un enseignement
mutuel. On y fait des lectures, de la musique, on y échange des connaissances ». Ce dernier
point confirme la vision d'ensemble de cette action sociale et les perspectives d'avenir déjà
pensées.
4.2. Le procès de Marie Jeanne Bassot
En différents traits nous avons pu nommer une action collective publique au féminin et
montrer comment elle constitue une réelle nouveauté dans l'univers républicain de la IIIème
République. L'interrogation du projet d'intervention sur la pauvreté se double d'une
modification simultanée des rôles et statuts assignés par le fait de l'autonomie manifestée
par ces jeunes femmes et par la proximité instituée entre jeunes gens et jeunes femmes au
sein des Maisons Sociales.
C'est peut-être cet effet qui est le plus difficilement tolérable du point de vue des
mentalités en place et de la vision paternaliste (Guerrand, Rupp, 1978). C'est ce qui va
provoquer les oppositions violentes soit dans l'entre-soi de ce qui se réfère à la sphère privée
- catholicisme traditionnel face aux modernistes, autorité parentale contre la liberté d'une
197
jeune femme majeure (Bouquet, 2004)- soit dans le contexte socio-politique de ce qui
correspond au domaine public – installation de la laïcité, transformation de l'action sociale.
C'est ainsi que cet évènement fait scandale par la transgression que constitue l'appel
à la justice « publique » d'une affaire supposée de famille (convictions religieuses et relations
parents-enfants) qu'il serait d'usage de régler dans l'espace privé. Cette « première » que
nous découvrons dans l'examen des archives de presse (Annexe 3) et dans l’étude des
minutes du procès, dessine à la fois l'initiative volontaire et émancipatrice de personnes
concernées et révèle le mouvement collectif à l’œuvre. Le scandale est à la fois dans cette
publicisation et nous le verrons dans la contradiction sociale et politique qu'il dénonce à
savoir l'impossible accès à la liberté pour une jeune femme majeure.
Les précisions que nous apportons ici sur la notion de scandale et la transformation
en affaire se réfèrent aux travaux de Damien De Blic et Cyril Lemieux cités en début de
chapitre. Ils invitent à considérer le scandale sous l'angle anthropologique. Il s'agit de se
défaire de la vision pathologique ou d'épiphénomène pour envisager les raisons sérieuses de
s'indigner et « saisir positivement les logiques de la dénonciation et de la provocation
publique » (De Blic, Lemieux, 2005).
Ainsi le scandale au sens de son universalité humaine, est une manière d'agir en
société. Cette manière d'agir est porteuse de risque car la mise à jour dans l'espace public
n'est aucunement une garantie de résolution de la question ouverte. À ce titre, elle exprime
avant tout la transgression engagée par rapport à un état des lieux « dominant » et le désir
d'une prise en compte différente par la société jusque-là non réalisée ou impossible. La prise
de risque correspond à l'incertitude du/des résultats et lui confère le sens d'épreuve. Le
scandale peut prendre trois directions : soit il est « avéré » à travers l'unanimité du jugement
public, soit c'est un « non-lieu », soit il se transforme en affaire, c'est-à-dire en partition du
public en deux camps. C'est pourquoi les auteurs retiennent le scandale comme le moment
même d'une transformation sociale :
« Le scandale, malgré hâtives conclusions, ne laisse jamais les choses en l’état.
[…] il conduit à des repositionnements, à une redistribution des cartes
198
institutionnelles, voire à des remises en cause brutales des rapports institués. Raison
pour laquelle le chercheur doit faire l’effort de le saisir sous sa dimension
performative ou, pour mieux dire, instituante ».
C'est ainsi que nous avons étudié ces éléments de l'histoire du travail social et
compris les mobilisations d'actrices dans une dimension politique instituante. Cette
perspective est venue compléter ce que nous avions retenu des mobilisations collectives au
chapitre 1 où nous les avions présentées comme « des vecteurs et des partenaires de
l'initiative politique » d'après l'étude des mouvements sociaux en France de Michel Pigenet
et Danielle Tartakowsky (2012).
A partir de ces deux approches, nous sommes invité.e.s à élargir le regard et à
interroger la transformation de nature politique engagée. Qu'est-ce qui dans la création des
maisons sociales et leurs pratiques reconnues comme fondatrices du travail social a été
tenté, empêché, abouti ? En d'autres termes, que disent les parties en présence d'un droit à
l'initiative collective, de l'associationnisme ouvert par la Loi de 1901 pour de jeunes
personnes majeures du sexe féminin en 1909 ? Si le contexte de violences à l'égard de Marie
Jeanne Bassot est attesté à plusieurs reprises, nous pouvons souligner l'exercice d'une
volonté et d'une distanciation dont elle fait preuve pour conserver la détermination face à
son choix d'action. Pour autant, Marie-Jeanne Bassot (1878-1935) comme ses compagnes,
Mathilde Girault (1883-1973), Apolline de Gourlet(1869-1952), Marie Diemer (1877-1938)
pour ne citer que les pionnières sont quasi inconnues de l'histoire politique française comme
des professionnel-les d'aujourd'hui.
4.2.1. Les faits ou l'histoire singulière de Marie Jeanne Bassot
Le nom de Marie-Jeanne Bassot est associé à l'histoire du travail social et des centres
sociaux, mais son entrée dans le monde adulte et les démarrages de sa vie publique sont peu
connus. Elle est née en 1878 et décédée en 1935. Son contexte social et familial est celui
d'une famille de la haute bourgeoisie du début du 20ème siècle. À ce titre elle a reçu une
éducation supérieure, ce qui n'est pas la généralité pour les filles et jeunes femmes de son
199
époque1 dans une période où les femmes n'ont pas de droit politique. « J'ai été élevée
absolument à la maison, en suivant des cours, en ayant d'excellentes leçons de musique, de
langues étrangères, etc... » (Mademoiselle Bassot, audience du 2 mars 1909). Comme
l'indique l'historienne Marie-Josèphe Bonnet si la République veut soustraire les filles à
l'influence de l’Église (loi Camille Sée de 1871 sur l'enseignement secondaire des filles), elle
ne s'en donnera pas les moyens (Bonnet, 2012, p 64-65).
L'éducation de Marie-Jeanne Bassot, dernière fille d’une fratrie de 5 enfants, est
centrée sur la famille, catholique par tradition. Marie-Jeanne Bassot est « pensée» par son
environnement comme la jeune fille de la maison qui doit s'occuper de la tenue de la
maison, de l'attention et des soins aux personnes qui la composent :
« J'ai une sœur aînée, mariée depuis 6 ans à Monsieur Léon Bertrand,
professeur de géographie à l’École Normale. Elle a deux charmants enfants et se
trouve heureuse. J'ai trois frères plus jeunes que moi : l'un a été malade dès sa
naissance et n'a pas un développement cérébral normal, il vit chez mes parents. Le
second a 24 ans et sort de l'Institut agronomique cette année ; le troisième a à peine
18 ans et se prépare à l’École Polytechnique, il a jusqu'ici toujours suivi les cours du
lycée comme externe, revenant le soir chez mes parents » (Mademoiselle Bassot,
audience du 2 mars 1909).
Ses parents sont déjà âgés au moment des faits dont il est question : un père de 67
ans, général et directeur des services géographique de l'armée, une mère de 60 ans au foyer
et souffrante. Pour autant, Marie-Jeanne Bassot alors âgée elle même d'une vingtaine
d'année mais pas encore majeure, a d’autres idées, d'autres ambitions comme elle l'exprime
lors du procès :
« Il me semblait que j'avais en moi un monde qu'ils ne comprendraient jamais.
Je ne luttais pas car j'avais très fort le respect de l'autorité paternelle et le goût de
l'harmonie, mais je gardais envers et contre tout mon indépendance de cœur et
d'esprit ».
1
pour rappel l'accès à l'éducation publique secondaire des filles n'existe que depuis 1880- Loi de Camille See
200
Elle sort, assiste à des conférences, s'intéresse aux débats de son temps qui animent
la société, débats présentés précédemment et tout particulièrement aux réunions
concernant les Maisons Sociales (voir à ce sujet chapitre 1, le rôle des salons dans l'éducation
collective des femmes).
Désireuse de s'engager comme « résidente sociale », c'est ainsi que se nomment les
jeunes femmes qui décident de vivre à temps plein dans une résidence de proximité aux
côtés des familles ouvrières des quartiers ouvriers de Paris, elle se confronte et se heurte à
ses parents. Elle va devoir résister à l'organisation pensée pour elle contre sa volonté en
tentant patience et négociation. Elle attend en retour compréhension et liberté d'action :
cela va durer 4 ans. De 1903 à 1905, ses parents qui s'opposent à sa liberté de choix de vie, à
son engagement dans la société, vont la séquestrer à Nice, là où réside professionnellement
son père, puis la faire enlever et interner à Genève (1907), l'accusant tantôt de folle, tantôt
de mœurs dévoyées :
- soit parce qu'elle serait soumise à l'autorité d'une autre femme (Mercédès De La
Motte ancienne religieuse d'une congrégation),
- soit parce qu'elle fréquente dans ces activités des jeunes hommes engagés dans la
même cause.
C'est en 1909 que Marie-Jeanne Bassot intente un procès à ses parents pour faire
valoir son droit au libre choix, c'est-à-dire « mener ma vie d'une façon utile » (Déclaration à
l'audience du 2 mars 1909, p34). Le procès fait débat et scandale, toute la presse relaie
l'affaire. Lorsqu'à l'issue de multiples audiences, son père déclare enfin qu'elle n'est pas folle,
Marie-Jeanne Bassot retire sa plainte. Elle demande alors au ministère de La République
d'abandonner le procès, le Substitut répondra :
« Cependant, j'ai le regret de ne pouvoir suivre Mademoiselle Bassot jusqu'au
bout de l'indulgence plénière qu'elle vous adresse pour sa mère […] J'estime que la loi
et l'intérêt même de Mademoiselle Bassot exigent une sanction à ce procès ; il faut
que la peine que vous prononcerez soit pour Mademoiselle Bassot, comme je le disais
201
tout à l'heure, la garantie absolue que rien désormais ne sera tenté par sa famille ni
contre sa personne, ni contre sa liberté » (Conclusions de Monsieur le Substitut Gail,
30 mars 1909).
Ce déroulement juridique confirme l'atteinte à la liberté de la personne pour le
Ministère public comme pour la plaignante. Le procès se termine par la condamnation de
Madame Bassot à un franc d'amende avec sursis. Cependant les discours et la « disparition »
de Marie Jeanne Bassot de la scène publique dès la déclaration de son père attestent d'une
double réalité que nous examinons maintenant.
4.2.2. Les enseignements du procès
Le procès a pu être étudié dans les minutes du procès consultées au sein des archives privées
de La Résidence sociale de Levallois-Perret. Cette lecture des auditions est riche
d'enseignements à la lumière de différents travaux de recherche contemporains. C'est donc
sur la base de ces connaissances ajoutées que nous avons repris les évènements relatés pour
analyser cet évènement transformé en affaire publique par les oppositions manifestées et en
épreuve pour Marie Jeanne Bassot et ses compagnes. C'est dans cette lecture qu'il s'agit de
comprendre l'émancipation à l’œuvre (de qui, de quoi), les soutiens reçus et ceux
manquants.
a) Du point de vue de la personne-sujet, Marie Jeanne Bassot s'inscrit dans l'Histoire
de l'émancipation des femmes déjà citée (Bonnet, 2012). Par sa décision, tout juste majeure
d'engager un procès à ses parents, (pour avoir été enlevée par sa famille à la sortie de la
messe et internée en Suisse avant d'être libérée), elle se présente comme membre à part
entière de la société. Elle énonce la capacité à se définir elle-même et non plus d'être définie
par autrui (ici le cadre familial et ses membres), tout en manifestant la volonté de conserver
des liens filiaux. Par ces affranchissements conjoints, elle s'inscrit dans la lignée des femmes
émancipées des Lumières auxquelles elle ajoute la nouveauté des femmes de son temps
(modernité post-révolutionnaire) : le célibat volontaire, librement choisi. Cette conception a
été notamment affirmée par Jenny De Roin (Jeanne Deroin) dès 1832 « afin de pouvoir un
202
jour prendre une part active aux combats que tout homme courageux doit livrer aux abus
monstrueux qui déshonorent l'espèce humaine » et citée par Geneviève Guilpain (2012, p
71) à partir des travaux de Michèle Riot Sarcey (1994). Un célibat qui n'est ni la conséquence
de l'absence de mariage en raison d'une dépendance à la famille ou d'une absence possible
d'appariement, ni le choix d'un engagement au motif religieux. En cela, elle ajoute avec
d'autres femmes une raison d'émancipation, une voie nouvelle possible pour les personnes
de son sexe, en dehors du service gratuit à autrui (les soins à la famille) ou de la maternité
conçue comme la reproduction de la famille et de la nation (Guilpain, 2012).
En tenant à cette conception nouvelle d'un célibat pour les femmes, Marie-Jeanne
Bassot manifeste une intelligence instruite et capable d'engagement libre. Il semble que pour
sa famille et son milieu cela constitue trop d'affirmations, trop d'affranchissements. De son
côté, elle ne souhaitait pas rompre avec sa famille, ni lui porter atteinte. Le conflit vient du
fait d'un libre-choix manifesté comme nous pouvons le retrouver dans une des audiences du
procès (voir encart ci-dessous). Ce libre choix est double, en premier lieu vis à vis de
l'autorité paternelle puis vis à vis de l'organisation sociale privée comme publique (place des
femmes dans la famille et dans la vie publique).
203
Encadré 4 : Déposition du Général Bassot, mars 1909.
« Et alors les difficultés commencent (année 1906). Quand elle est rentrée le soir, nous avons eu
une explication, elle fut un peu orageuse. Elle me dit : Hé bien oui, je vais être résidente à la Maison
sociale, je ne veux pas revenir à Nice.
- Tu ne veux pas revenir à Nice, reprendre ta place ? - Non, je veux rester à Paris ; et à quelques
jours de là, il fallait l'intervention d'une personne amie qui s'interpose et dit : Voyons Marie-Jeanne,
vous ne pouvez pas laisser votre père s'en aller seul, il faut retourner à la place que vous devez occuper .
Elle me dit : - Voyons, père, qu'est-ce que tu as pour me refuser l'entrée à la Maison Sociale ? Je
répondis : - Il y a une chose que je ne peux admettre : c'est que vous soyez à la Maison sociale jeunes
gens et jeunes filles ensemble, que vous ayez des conférences, que vous ayez des thés que vous
prolongez très tard, jusqu'à dix heurs du soir. C'est un motif suffisant, je ne donnerai jamais mon
consentement ».
Tribunal correctionnel de la Seine, Chambre 9ème. Audience du 9 mars 1909.
b) Du point de vue de l'action collective, il nous faut retenir qu'en ce début de siècle,
« social » et « politique » ne sont pas dissociés. Ces deux pôles constituent un seul domaine
public de nature masculine au sens d'une naturalisation des rôles sexués dans la société : aux
femmes les maternités et l'éducation des enfants, le soin du domicile et des personnes ; aux
hommes l'organisation « délibérée » de la vie publique, sociale et politique. Aussi la volonté
collective énoncée par ces personnes du sexe féminin est une réelle transgression des
sphères séparées et des assignations de rôles sexués. Cette transgression vient brouiller les
habitudes reconnues, attendues et manifestent la dynamique collective à l’œuvre.
L'initiative des Maisons sociales qui implique majoritairement des femmes se
démarque sur deux points :
204
- la dimension collective : cette pratique est inusitée des femmes en dehors de la sphère
religieuse ou d’une autorité masculine ; la loi du 26 juillet 1848 est toujours en vigueur et elle
« interdit aux femmes d'être membres d'un club et d'assister à tout débat public » ( Bonnet,
2012, p 61).
- son objet socio-politique : cette intervention féminine prend son essor sous le statut de la
loi 1901, et c'est une femme qui en est la Présidente en dehors de toute autorité et
autorisation masculine même si les conseils et les ressorts d'un avocat ont été mobilisés
(Maître Clunet).
Pour approfondir cette analyse sur l'innovation collective produite, nous nous
sommes intéressé.e.s aux discours tenus au sein des différents cadres sociaux existants. Ils
sont révélateurs de la reconnaissance portée ou des écarts de pensée et d'interprétation qui
en résultent.
Du côté de la presse féminine en faveur d'une autre place pour les femmes, presse
féministe, l'auteure - Jane Misme - souligne la nouveauté et l'intelligence mobilisée sans
craindre de qualifier avec assurance l’initiative décrite :
« L’ŒUVRE SOCIALE dont il est question ici est, par excellence, l’œuvre de
charité moderne. L'idée, en France, en est récente et l'application pratique plus
récente encore. Par leur initiative énergique et personnelle, des femmes l'ont fondée
et par leur travail incessant la développent chaque jour […] Le Conseil des Femmes
veut, lui, raconter cette histoire de l’œuvre en exposant la marche des idées, et en
montrer le développement pratique » (Jane Misme, Le Conseil des Femmes, 1903).
Puis suit le descriptif des activités et de l’organisation de la maison, l’indication des
ouvertures similaires dans d’autres quartiers populaires de Paris (Ménilmontant, Montrouge
et Montmartre) comme nous les avons indiquées. Journaliste et fondatrice de différentes
revues à destination des femmes, elle cherche par ses écrits à mettre en valeur le rôle social
des femmes, leur implication ancienne dans la société comme les nouvelles carrières
possibles.
205
Elle utilise ici le terme de « charité moderne » qui nous permet de faire le lien avec
les termes de la sociologie naissante tels que leurs contemporain.nes pouvaient les entendre.
Il convient de rappeler ici que Durkheim utilisait le terme de charité au sens de sociabilité
(Blais, 2007), en la différenciant de la dimension religieuse, lorsqu'il désignait les éléments
constitutifs de toute société (les modes d'organisation - les règles de droit - le désir de vivre
ensemble). Il indiquait ainsi que le désir de vivre ensemble, celui d'association entre
individus permet la charité au sens de sociabilité et préexiste à tout système politicojuridique. Ce sentiment d'appartenance se construit, s'entretient, se transmet par
l'éducation. Dans ses analyses, la sociabilité est présentée comme une capacité à développer
car elle sert d'assise au droit contractuel.
Du côté de la Haute Bourgeoisie, les minutes du procès constituent un éclairage
important sur l'atteinte ressentie vis à vis de l'autorité paternelle en usage, à la primeure
donnée au cercle de la famille comme sur les relations mobilisées pour tenter d'endiguer ce
mouvement.
Pour le Général Bassot, père de Marie-Jeanne Bassot, la situation est impensable
voire ingérable. Homme de droits, représentant de l'autorité, il ne veut pas se dire contre les
droits de sa fille mais il ne peut admettre l'autonomie, l'indépendance de vie à laquelle sa
fille fait référence :
« Quand j'ai vu ma fille demander à entrer à la Maison sociale, je n'y ai pas vu
d'inconvénient a priori. Puis, quand j'ai vu qu'elle voulait continuer, s'y donnait tout à
fait, j'ai pris des renseignements, et ces renseignements dès lors ont fait naître dans
mon esprit cette résolution que je ne pouvais pas la laisser entrer dans ce milieu-là
[…] Je n'ai pas à donner mon consentement, oui, elle a tous les droits ».
Sa désorientation est manifeste, sa recherche d’appuis le fait se tourner du côté de
l’institution de l'Église catholique sans davantage de succès :
206
« Je suis allé voir cet homme, l'abbé Giraudon, je lui ai dit : Comment ! Moi qui
vous confie ma fille, moi qui m'en remets à vous, vous allez me la prendre ainsi et
la détourner de ses devoirs vis à vis de sa famille ».
Puis le récit du Général se poursuit et celui-ci fait part de son entrevue à l'Archevêché :
« J'ai fait cette démarche auprès du supérieur, ce personnage qui me dit : Non,
il n'y a rien à faire, la Maison sociale est en dehors de ma juridiction. Cependant
quelques mois avant, j'avais parlé de cela avec un de mes confrères […] Il fit son
enquête et me dit : Ah ! Mon pauvre Général ! Mais votre fille est dans la maison des
déséquilibrés. Il faut la retirer le plus vite possible […] nous avons eu un autre avis
(d'un Père Dominicain) qui a dit : La Maison Sociale ? Oh ! Gardez-vous en : j'en ai
retiré cinq ou six de mes pénitentes. Mais il y en a qui m'ont échappé. On ne peut
plus les reprendre et plus vous la laisserez, moins vous aurez des chances de la
revoir ».
L'ensemble de ces dialogues extraits des minutes du procès confirment les
divergences de pensées entre les membres de la société de ce début du XXème siècle et les
nouveautés qui se tentent face à d'anciennes traditions. Dans ce contexte, des autorités
traditionnelles perdent de leur prépondérance mais les nouvelles règles ne sont pas encore
établies pour autant comme les suites du procès nous l'indiquent.
c) Du côté du droit, si le procès est gagné pour Marie-Jeanne Bassot, si l'assurance de
son « juste » droit est reconnu, le scandale reste. Une fille « peut », au nom de la liberté du
sujet, s'élever contre sa mère, contre ses parents, contre le modèle attribué à son sexe pour
autant la justice qui lui est rendue en droit ne l'est pas en fait. Lors des audiences, Madame
Bassot (mère) a qualifié la Maison Sociale comme « un milieu de vice, d'immoralité et de
mensonge ». Le dépôt de plainte de Mercédès Le Fer de la Motte pour diffamation (accusée
de détournement moral) sera rejeté par le tribunal.
Dans cette affaire, si la mise en œuvre du droit individuel est sauvegardée, le rôle
d'un magistrat, sa rigueur ne précède pas l'évolution des mœurs, à savoir : la liberté d'agir
207
pour des femmes de ce temps, « socialement et publiquement ». Ses conclusions sont ellesmêmes empruntes de morale filiale. En voici l'introduction :
« Messieurs, Je crois être ici l'interprète du sentiment général de tous ceux qui
ont suivi ces pénibles débats, en vous disant quel soulagement nous apporte le geste
de Mademoiselle Bassot, ce geste que nous espérions lorsque nous entendions sa
mère nous dire tristement les étapes de son douloureux calvaire, ce geste que nous
souhaitions plus encore peut-être pendant la déposition si simple et si émouvante de
Monsieur le Général Bassot, ce geste si joli de l'enfant qui va se jeter aux genoux de
sa mère et lui demande pardon des chagrins et du mal qu'elle lui a causés » ;
et puis l'ultime phrase fort peu juridique :
« Enfin, Messieurs, je dirais encore à Mademoiselle Bassot, si elle était ici, qu'il
faut qu'elle sache ce que nous savons tous, hélas ! Par la triste expérience : c'est
qu'au moment où la vie nous sépare de celle qui a entouré notre enfance de toute sa
sollicitude, et qui protège de sa bonté sans cesse en éveil et de son amour la si frêle
petite chose qu'est une toute jeune enfant, à ce moment suprême, quelque
affectueux qu'on ait pu être pour sa mère, on se dit toujours qu'on n'a jamais assez
aimé sa mère ».
Cet ensemble de propos tenus au sein d'un Tribunal correctionnel de la République
nous instruit sur l'émancipation qui se tente à armes inégales entre les sujets de droits et sur
la distance entre le principe du droit et son effectivité pour les personnes. Si la sanction a
bien été prise contre Madame Bassot et son complice Monsieur Médard, la morale de
« l'Affaire » conduit à la dissolution de l'action collective engagée. C'est le Comité (instance
décisionnelle de l'association des Maisons sociales) qui en prendra la décision le 19 octobre
1909 :
« Le Comité, après avoir pris connaissance de la situation actuelle, considérant
l'opposition faite à la maison sociale, déclare se refuser à laisser plus longtemps
dénaturer son action. En conséquence le comité prononce la dissolution de
208
l'association et la fermeture des maisons sociales, rejette la responsabilité de
l'effondrement de cette œuvre essentiellement populaire sur les calomniateurs et
exprime à la classe ouvrière des cinq quartiers de Paris où étaient établies des
maisons sociales, sa douleur d'abandonner les garderies d'enfants et de la priver de
ces centres de réunion et de travail».
Cette analyse révèle la diversité d'orientations qui s'expriment et se confrontent
mettant en péril des décisions prisent en toute légitimité par des personnes dans une société
donnée. Elle nous informe sur la dimension sous-jacente de personnes qui se veulent
indépendantes, à savoir l'autonomie.
Selon le Dictionnaire critique de l'action sociale, « l'autonomie, c'est la capacité, la
liberté et le droit à se gérer seul dans un environnement donné et la capacité, la liberté et le
droit à se donner des lois pour vivre ». Revenir à la définition, c'est avoir en tête les
différentes composantes de cette notion qui associe à la fois la référence à des possibilités
individuelles (capacité-liberté-droits), ce qui renvoie aussi à l’éducation/l’apprentissage, à un
système culturel, donc à un existant ou à un environnement préexistant qu'il convient
d'examiner comme favorable ou non, propice ou pas. Ceci conduit à retenir l'autonomie
comme un possible, un potentiel qui va s'exprimer ou non du fait de cette nécessaire
combinaison entre un sujet et un environnement approprié ou non. Reconnaître cette
double facette de l'autonomie converge avec la critique du modèle de citoyenneté
« indépendante présenté au CH 2 à partir des travaux de Naïma Hamrouni( 2012).
Ainsi, l'autonomie n'est pas seulement un but, une valeur attendue des individus, un
indicateur de savoir-vivre en société où celle ou celui qui n'en dispose pas est vite
méjugé (Ehrenberg, 1995), c'est aussi un indicateur de l'environnement de la personne ou
des personnes selon le milieu, la période, la société considérée. C'est pourquoi l'histoire de
ce procès s'avère révélatrice de la question de l'autonomie des personnes dans la double
dimension de la notion, elle souligne comment cette émergence d'un travail social laïc est
arrachée à un contexte défavorable pour ses auteures et se gagne par l'exercice de la
volonté, d'un libre choix tenu.
209
4.3. Une émancipation passée sous silence
La conclusion de l'Affaire Bassot confirme le désaccord initial, son affirmation publique. Elle
marque comme dans toute affaire, la division sociale et la discorde civile sur le sens du juste
(De Blic, Lemieux, 2005). L'atteinte à la liberté du sujet est reconnue en droit, mais sur la
liberté d'une jeune femme vis à vis de son milieu familial, de sa place sociale, le droit est
silencieux laissant parler les opposants au changement. Ces opposants dominent l'affaire et
permettent au scandale de changer de camp par un cumul de situations : le statut social des
personnes, leur attachement à un ordre social qui les rassure et les sert.
Ce qui a fait scandale (l'enlèvement d'une jeune femme majeure) puis affaire (droit
du sujet/droit de la famille), a changé de figure par le rapport de force présent et celui
manquant. Nous avons indiqué les forces présentes, nous présentons maintenant les forces
manquantes. Nous avons précisé comment une affaire apparaît dans la constitution de deux
camps là où le scandale fait l'unanimité. Dans le procès de Marie-Jeanne Bassot, le public
présent des deux côtés de l'affaire n'est pas de même force. Du côté des forces dites
manquantes, c'est-à-dire des Maisons sociales, de leurs représentantes, nous pouvons
observer comme l'ont indiqué Damien De Blic et Cyril Lemieux que « les tendances à la
division sociale ne sont pas exploitées publiquement ». Rappelons que Marie-Jeanne Bassot
quitte la scène du procès après le revirement de son père à son égard. A cette absence
d'exploitation de la situation, nous pouvons apporter quelques éléments d'explication en
rappelant que le scandale comme l'affaire mettent en jeu le rapport aux normes de la
société, leur transgression.
Ainsi dans ce moment de l'affaire Bassot, plusieurs contradictions animent le procès.
Au regard des mises en causes par les parties adverses (la conception des Maisons sociales,
les personnes y œuvrant), le procès gagné est celui d'une personne et de son droit individuel
à la liberté de sujet, non celui d'un mouvement (les Maisons sociales). Ce mouvement
pourtant repéré n'a pas trouvé d'appui public, ni de la part de l’État social naissant, ni d'un
210
collectif laïc lui-même balbutiant. Il n’est pas non plus la marque de l’entrée collective des
femmes dans l’arène publique.
Pendant le procès comme à son issue, les actrices des Maisons sociales expriment
leur vigilance face à la situation : dépôt de plainte pour diffamation et son rejet, refus de
laisser dénaturer leur action et cessation d'activité. Ce qui a été nommé « le consensus du
silence » par Françoise Tétard (2004) révèle ainsi le prix payé pour sauvegarder la création de
l'entraide mutuelle par des travailleuses sociales attentives aux personnes comme à leur
communauté de vie. Le procès terminé, Marie Jeanne Bassot s'installe à Levallois Perret
secteur où qu'elle avait été chargée d'ouvrir une maison en 1907. Elle loue deux pièces dans
une maison d'ouvrier avec son amie fidèle, Mathilde Giraud, et comme source de revenus,
donne des leçons de piano. Devant l’affluence des habitants du quartier, elles s'installent
dans un pavillon indépendant (acheté en 1913 avec quelques appuis) pour y reconstituer les
services d'une maison sociale qui deviendra La Résidence Sociale de Levallois Péret. Elles
réunissent en mars 2019 un comité financier avec le soutien d'industriels actionnaires et
créent une société anonyme « La Résidence Sociale ».
La reprise d'une « résidence sociale » à Levallois Perret, puis le développement de
« centres sociaux », l'ouverture de l’École d'action sociale (cours au Musée Social et à
Levallois) et la création d'une fédération sont avérés, mais ces créations se feront avec la
transmission du silence sur les origines. Sur l'épreuve traversée, aucune trace ou référence
ne sont mentionnées. La mémoire transmise (et plus récemment celle étudiée) concerne les
personnalités, leur statut de pionnières, leur engagement dans la durée, autant de traits
reliés à des portraits soulignant des individualités. Ainsi le silence sur cette histoire porte
aussi sur l'invisibilité de la dimension collective tentée et portée, il prolonge de fait les
représentations hégémoniques de personnalités individuelles créatives là où l'expérience
réalisée privilégiait des groupes, des communautés de vie. C'est l'absence de compréhension
et de considération de la part collective nécessaire à la portée émancipatoire ainsi tentée qui
nous paraît à souligner ici. Cette part collective de l'initiative est bien celle qui vient étayer
211
l'autonomie à construire dans le contexte défavorable que nous avons identifié au point
précédent.
Par ailleurs, l'absence d'écho de la communauté politique dans cette situation est un
élément dissonant dans le contexte socio-historique, plusieurs pistes d'analyses sont
possibles. La première serait la faiblesse ou l'incertitude d'un État social débutant comme le
souligne l'article de presse ci-après : « Créée par des femmes du monde - du monde où l'on
comprend, où l'on pratique la charité - qui ont collaboré à une action à la fois morale et
sociale, pénétrées du plus large esprit de solidarité ; voulant que l'inspiration, la direction de
leur œuvre fut absolument indépendantes de toutes les associations politiques ou
religieuses, de toutes les ligues et de tous les partis, n'ayant qu'un souci : celui de s'associer à
la famille, en se substituant qu'en celle-ci ne peut se livrer entièrement à sa tâche…. L’État en
vertu d'une négligence coupable, ignore, méconnaît jusqu'ici cette œuvre. » (Charles Doury,
L'intransigeant, 24 octobre 1907).
Ou bien s'agit-il de l'impossibilité de reconnaître l'action charitable laïque dont
l'initiative vient de personnes issues de milieux catholiques dans une République en cours
d'affranchissement du religieux ? S'agit-il de faiblesse, de prudence, d'ignorance de savoirfaire de la part d'un jeune État laïc dans ce qui pouvait apparaître comme une querelle entre
milieux catholiques progressistes et intégristes au sein d'une République en cours de
laïcisation ?
Dernière piste enfin, cette absence est-elle le légitime résultat d'un ordre patriarcal
associé à une démocratie exclusive, un environnement qualifié par Bérangère Marquès
Pereira de « démocratie mono sexuée et masculine » (Marquès-Pereira, 2003). Les jeunes
femmes « du monde » dont il est question ici sont les filles, les nièces de notables, élus ou
autre élite masculine qui tiennent les rênes du monde économique et politique de leur
temps. Comment cette génération de « pères » peut-elle concevoir une place « émancipée »
c'est-à-dire égale à la leur dans leur société d'hommes ? L'héritage de la philosophie des
lumières et de la pensée républicaine convergent dans une assignation des femmes à une
place « inégale » aux hommes et à une place « spécialement dédiée » à la maternité, au
212
foyer au sein de la famille. Cette distribution des rôles adoptée comme « naturelle » et
« fondée » en droit, malgré quelques voix opposées, est peu propice à un élargissement des
rôles, à des « autorisations » nouvelles en faveur de citoyennes égales des citoyens.
Quelles qu'en soient la ou les raisons, les autorités politiques, le gouvernement
malgré une connaissance de l'activité des Maisons sociales ne se saisissent pas du débat,
évitent de s'en mêler, laissant eux aussi le silence faire son œuvre. Les forces masculines qui
auraient pu faire contre-poids, appuyer cette innovation se taisent, laissant ainsi une
domination se maintenir face à une émancipation nouvelle. En conclusion, le procès gagné
ne permet pas de franchir le pas de « l'affaire » et de gagner en légitimité. C’est la liberté des
personnes qui subsiste et se développe par le seul engagement de leur volonté sans le
soutien de la communauté politique. La légitimité restante est celle de leur « immunité »
gagnée par le procès, à laquelle elles ajoutent la force des recommencements, leur
dynamique de réseaux et de formation.
En conclusion de cette étude, ce qui a fait « scandale » est venu du dérangement
produit dans l'ordre établi par des personnes « sans autorité, sans pouvoir » mais
effectivement détentrice d'un savoir ou de l'accès aux savoirs de leur temps.
A travers ces récits successifs et l'interprétation contextuée de l'innovation qu'ont constitué
les maisons sociales, il est possible de rendre compte du processus de socialisation politique
des actrices par leur participation démocratique. Ce que Joëlle Zask identifie comme la
dimension contributive de la participation. Ceci nous permet aussi d'interroger ce qui se
passe aujourd'hui pour des personnes à leur tour « sans autorité, sans pouvoir » et dont les
savoirs ou les points de vue ne sont pas considérés, pris en compte dans le processus
démocratique hérité et mis en débats aujourd'hui.
Cette affaire nous a permis de rendre compte de l'entremêlement des trajectoires
individuelles et collectives pour penser les processus d'émancipation tels que nous les
indiquions en début de ce chapitre 4. L'émancipation des individus, n'est pas qu'une
213
question d'appartenance ou de « qualité personnelle », elle est aussi dépendante du « cadre
de vie » qui l'entoure, ce cadre est à la fois un régime de droits et un régime de normes que
seul des collectifs peuvent aider à déplacer, transgresser. Cette compréhension nous permet
de souligner comment les dynamiques d'individuation ont partie liée avec les cadres
collectifs présents ou hérités malgré une invisibilité ou une ignorance souvent proclamée.
Par ailleurs la montée en puissance d'une action sociale, dans et par l'État, recouvre
un mouvement préalable de femmes engagées dans une action publique collective. Cette
invisibilité de la place des femmes, de leur rôle dans cette action publique est une
caractéristique de l'histoire déjà énoncée (Bonnet, 2012 - Bereni and all, 2012). Est-elle
encore la règle dans l'action sociale contemporaine qui conduirait à une invisibilité d'un
travail collectif ? Si oui, quel est le travail d'émancipation engagé aujourd'hui et comment ?
C'est ce que nous étudions dans le chapitre qui suit.
214
5. La participation collective dans un espace
professionnel au féminin
Dans ce chapitre nous proposons de revenir sur la notion de participation dans sa dimension
politique telle que Joëlle Zask a permis de la redéfinir, c'est-à-dire en soulignant la nécessaire
articulation des trois phases constitutives de la participation démocratique (prendre partcontribuer-bénéficier) et cela pour tout individu (Zask, 2011). La participation ainsi définie
permet de rendre compte du possible exercice de citoyenneté politique tel que nous l'avons
rappelé dans l'introduction de cette seconde partie à partir des recherches de Jacques Ion
sur les formes d'engagement et d'implications des individus (Ion, 2012). Ceci est à mettre en
relation avec ce que Dominique Schnapper a défini comme l'ambition d'une nation
démocratique ou l'intégration de toutes les populations dans une communauté de citoyens
et l'exigence de citoyenneté concrète, c'est-à-dire « le fait de disposer des moyens
nécessaires pour exercer concrètement leurs droits » (Schnapper, 1994). Cela nécessite le
droit d'être entendu, celui d'être considéré.
Cet exercice fait partie des motifs de l'intervention sociale tant du point de vue des
professionnel.le.s que des publics concernés et constitue le point de départ de l'action
collective initiée à partir des Maisons sociales présentées aux chapitres 1 et 4. La
compréhension de la participation comme exercice de la citoyenneté politique commune à
tout individu modifie la lecture et la conception de l'action sociale telle qu'elle s'est
subordonnée au sein de l’État social (Castel, 1995). En effet, de manière schématique,
l'action sociale institutionnalisée est principalement pensée comme un outil de l'action
publique au service d'une administration des besoins des individus et des populations sans
leur participation. Dans la conception politique initiale, l'action sociale est conçue comme
une manière de produire un mieux vivre de tous les individus dans un cadre démocratique
où les éléments de la participation de tous et de toutes sont recherchés puis introduits par la
215
mise en œuvre d'un droit réparateur et l'attention au lien social d'interdépendance (chapitre
1-3).
La mutation actuelle de la société dans son ensemble et de l’État social, rappelle par
certains côtés l'effervescence qui animait la société des années 1900-1910. Rien n'est
seulement figé ou définitivement adopté. Un ensemble de modifications sont en cours, en
débats. De ces modifications, des oppositions, des incompréhensions et des refus
s'expriment selon les points de vue d'actrices et d'acteurs, les objectifs priorisés, les échelles
d'intervention telles que nous les avons signalées au chapitre 3 en première partie de ce
travail. Nous retenons que le travail social est particulièrement impacté de cette situation et
qu'à sa façon, il constitue un bon observatoire des dynamiques à l’œuvre dans ce processus
qui concerne toute la société contemporaine.
Le cadre de cette observation posé, c'est donc la participation en tant que
manifestation de la citoyenneté politique des personnes que nous croisons avec l'étude des
pratiques en usage dans l'espace professionnel du travail social contemporain constitué au
féminin dans le temps long de l'histoire. Nous postulons que cette participation est porteuse
d'un mouvement d'émancipation qui concerne aussi bien les professionnel-le-s du travail
social (majoritairement des femmes) que les personnes concernées par ces interventions,
souvent elles-mêmes disqualifiées socialement et politiquement.
Pour ce faire nous avons retenu un élément qui est conflictuel et source de tensions
depuis quelques années dans l'exercice professionnel contemporain, à savoir les
interventions collectives. En effet depuis le début des années 2000, la faiblesse des
interventions collectives est régulièrement soulignée et fait débat au sein du secteur. Comme
nous avons pu l'identifier, ce débat s'inscrit dans la continuité des discours disqualifiant les
professionnel.le.s et privilégie deux modes de régulations : d'un côté les régulations des
commanditaires de l'intervention sociale et des opérateurs de formation, de l'autre le
professionnalisme des instances professionnelles (voir point 5-1 ci-après). Considérer la
participation comme un exercice politique nécessite de quitter ces points de vue énoncés
majoritairement pour porter l'attention du côté des personnes à l'initiative de ces
216
interventions et les contributions ainsi produites dans une perspective démocratique. Ce
faisant ces observations s'émancipent des points de vue disqualifiant les personnes dans un
exercice professionnel ou dans une dimension citoyenne. C'est pourquoi nous les présentons
dans ce chapitre (point 5-2), du point de vue des pensées de l'agir collectif telles que nous les
avons reliées à la citoyenneté politique tout au long de la première partie de notre travail.
Ces observations enrichissent la dimension collective de la citoyenneté politique là où notre
héritage politique et les discours dominent sur la dimension individuelle.
En considérant les dimensions collectives à l’œuvre dans la citoyenneté du sujet et la
pluralité des personnes actrices, c'est aussi la lente évolution des questions de société qu'il
est possible de lire. Là où le mode de pensée privilégie la société comme un système établi à
faire tourner, à réparer, à consolider, nous avons observé le système en train de se modifier à
plusieurs niveaux, à plusieurs endroits par les effets d'actions collectives locales. Poursuivant
l'hypothèse d'Elsa Gallerand et de Danièle Kergoat présentée au chapitre 3-2, nous avons
repris le rapport potentiellement subversif des femmes à la société salariale du fait de la
continuité pour elles des sphères professionnelles et domestiques. Ceci nous a conduit à
considérer les espaces d'interventions collectives du travail social (cadre professionnel)
comme des lieux d'une indissociation privé-public porteurs d'une continuité émancipatrice
pour toutes les personnes participantes (point 5-3 de ce chapitre).
5.1. L'intervention collective du travail social en débats
Plusieurs rapports et journées d'études ont abordé cette question des interventions
collectives du travail social et différentes analyses internes ou externes ont été proposées :
Rapports du CSTS (1988, 2010), Rapport IGAS (2005), Le travail social en débat[s] (Ion, dir.
2005), 3èmes Journées de la recherche sociale au CNAM (2012), Vie sociale (2012/2), Cahiers
du Travail Social (2013), La Revue Française de Service Social (2013). Les discours convergent
sur le déficit de ce mode d'action et fournissent différents motifs d'explications. La question
est aussi à replacer dans un contexte plus vaste, le travail social ne pouvant être considéré
hors-jeu ou extérieur au développement du capitalisme tel qu'il s'est déployé à l'échelle
217
internationale depuis les années 1980. C'est ainsi que nous présentons ci-après, les
différentes composantes de ce débat.
5.1.1. Les composantes professionnelles
Dès 1988, le Conseil Supérieur du Travail Social s'est attaché à préciser l'intervention
sociale collective : « L’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) prend bien, comme finalité
de son action, une population donnée. C’est en effet la promotion, le renforcement ou la
restauration d’objectifs d’intérêt général et de bénéfices collectifs qu’elle va s’efforcer de
produire ». Mandaté en 2017 par le gouvernement pour « comprendre et connaître les
éléments qui n'ont pas permis le développement de l'ISIC, le CSTS s'engage dans un nouvel
examen des situations d'interventions collectives et constate un élargissement de la pensée
et une diversité des pratiques sur le territoire. Cette intervention,
« se donne pour objectif la prise en compte d'intérêts collectifs entendus
comme des facteurs susceptibles de faciliter la communication des divers groupes et
par là, d'aider à la maîtrise de la vie quotidienne, dans ses diverses dimensions»
(Rapports CSTS, 2010).
Elle est définie comme un mode d'action professionnel à développer selon une
typologie référencée et développée au sein du rapport à travers différents exemples :
Encadré 5 : L'ISIC : approche par les champs
ISIC
Travail social
communautaire
Travail social
avec les groupes
Développement
social local
Interventions
collectives
Source : Rapport du CSTS 2010, p 47.
218
Le travail social communautaire d'inspiration anglo-saxonne est la forme la plus
minoritaire en France. Le travail social avec les groupes et le développement social local font
davantage partie du référentiel d'intervention et sont adossés le plus souvent aux
orientations institutionnelles des services. Le travail social avec les groupes s'apparente assez
aisément avec les premières interventions des travailleuses sociales :
« Le travail social avec des groupes désigne une pratique d'intervention qui
s'appuie simultanément sur la personne et son environnement afin de créer les
conditions de transformation dans le champ social et sociétal. Cette pratique
complète l'approche individuelle par une démarche collective fondée sur le travail du
groupe pour résoudre des situations aux multiples dimensions » (Massa, 2006 in CSTS
2010, p 58).
De son côté, le développement social local revendique clairement une dimension
politique locale dans le croisement des actrices et des acteurs, le partage des diagnostics
autour de la ou les questions identifiées. La dernière catégorie ajoutée au rapport de 2010
sous le terme englobant « d'interventions collectives » ou « d'actions collectives » veut
rendre compte du déplacement des actrices et des acteurs sur le territoire. L'initiative n'est
pas forcément le fait d'un.e professionnel.le du travail social, les ressources mobilisées
débordent le cadre classique de réunions ou d'informations recherchées ou mutualisées, ces
initiatives se situent « au carrefour de pratiques pluridisciplinaires convergentes au sein de
quartiers ou de territoires » :
« Leur prise en considération participe de la lente écriture du social par les habitants
eux-mêmes, par des professionnels d'institutions sans lien pré-établi, et constitue des
contributions directes au développement des territoires tel que les pratiques de
développement social ou du travail social de groupe peuvent les initier par des savoirs
institués » (Rapport CSTS 2010, p 65).
219
A l'issue de ce travail de recensement et d'analyse, si la diversité des pratiques est
repérée et attestée, deux observations dominent quant aux motifs d'interventions
collectives :
- « les questions sociales sont portées par des associations et des mouvements où les
travailleurs sociaux sont présents mais de façon individuelle et sur leur temps personnel,
sans être légitimés pour agir de façon collective dans des cadres institutionnels » (CSTS,
2010, p38) ;
- le principal écueil à la diffusion de ces interventions vient de l'absence de place reconnue
aux professionnels dans les textes législatifs et d'un ciblage dans les mêmes textes sur les
droits individuels des personnes.
De son côté l'IGAS interpelle sur la faiblesse des interventions collectives ou leur
cantonnement à des espaces spécifiques et constate un réel déficit pour l'ensemble des
actions du travail social, ce qui pose la question de son efficience (IGAS, 2005).
L'ensemble de ces analyses concernent principalement le travail social dans ses
pratiques professionnelles, son positionnement. Sous cet angle, les modes opératoires sont
questionnés tant vis à vis des populations concernées que des commanditaires des
interventions. Cette focale a l'avantage d'interroger « l'évidence » de la prédominance des
interventions individuelles, le manque d'articulation avec des interventions collectives et
d'attirer l'attention sur le déséquilibre engendré. Cependant les préconisations faites visent
principalement le rappel des complémentarités entre les différents modes d'interventions,
au mode opératoire de la permanence et de l'accueil individuel est opposé le mode de
l'intervention collective comme autre mode opératoire ; la solution met l'accent du côté des
formations initiales et continues.
A partir de cet ensemble, les diagnostics repris et commentés ciblent majoritairement
le registre des « acquisitions » professionnelles, que ce soit du côté du vocabulaire commun
ou des compétences nécessaires. Didier Dubasque souligne « l'absence de langage commun
susceptible de nommer les dimensions collectives de leurs interventions » (2009) ; Patrick
220
Legros de son côté retient une double compétence : « des savoirs managériaux et des savoirs
d'actions » et propose « la prise en compte de cette dimension managériale dans la
formation initiale et continue des travailleurs sociaux » (2012). Du côté des professionnel.le.s
auditionné.e.s sur le territoire du Languedoc, le conflit est vif entre partisans de
l'intervention collective et non partisans. Les propos ciblent très vite le rapport au temps :
« Faire du collectif c'est toujours après le traitement individuel des situations, on a pas le
choix », « Si vous faites du collectif, c'est que vous avez le temps ou un secteur moins chargé
disent les collègues !».
Afin d'illustrer cette diversité professionnelle, l'encart ci-dessous présente deux
interventions réalisées dans un cadre collectif de travail social. De nombreux exemples sont
par ailleurs présentés dans le rapport du CSTS cité (2010).
Tableau 2 : Exemples d'interventions collectives en travail social
Institution concernée et
Résumé de l'action
professionnel.le.s impliqué.e.s
Conseillères
en
économie Les professionnelles CESF rencontrent sur leur secteur d'intervention
sociale et familiale de la MSA des viticulteurs en grande difficulté financière. La récurrence des
(Mutualité sociale agricole)
situations individuelles et le mal être des personnes les conduisent à
proposer un appui collectif associant soutien psychologique, analyse
économique
indépendamment
de
l'appui
individuel
(exemple :
instruction du RSA). Cette initiative a débouché sur la constitution d'un
groupe de pairs qui s'est ensuite ouvert sur le territoire à d'autres
participant-e.s au fur et à mesure que les questions se sont développées
(exemple : usage du numérique) et en favorisant une réassurance des
personnes
concernées.
Cette
intervention
professionnelle
s'est
développée localement à partir du cadre institutionnel MSA qui favorise
la prise en compte de questions locales. Il a permis de diagnostiquer
précocement les effets de la crise viticole du secteur et de trouver des
relais au-delà du territoire.
Éducatrice de jeunes enfants La mission d'un des services est centrée sur le soutien à la parentalité en
221
(EJE), Assistante sociale (AS), direction de publics cibles (familles mono-parentales, suivis PMI ou ASE).
Enductrice spécialisée (ES) d'un L'initiative de la professionnelle EJE, plus spécialisée vers la petite
Conseil Départemental
enfance, consiste à repérer le besoin commun de jeunes/nouveaux
parents dans la relation au jeune enfant pour des motifs différents
(isolement générationnel ou familial, perte de confiance, …). Elle imagine
et propose un cadre « ludique » et innovant pour tous : « se mettre à
l'eau avec l'enfant ». Cette activité nécessite organisation, déplacement,
temps du bain et temps du goûter. Père et mère sont également conviés,
seul l'âge maximum des enfants est posé comme le nombre par séance.
Toutes ces séquences sont vécues mutuellement par les participant.e.s
quels que soient leurs statuts par ailleurs et libèrent les échanges, les
paroles, les conseils professionnels ou profanes. Le cadre institutionnel
permet la sécurisation de l'espace, régule les nombres et les frais de
l'activité. Dans cette mise à l'eau au sens propre et au sens figuré, c'est le
développement des ressources et des relations qui émergent, le public
s'élargit au voisinage des parents « cibles », de nouvelles activités se
créent en dehors des séances piscine et en dehors des professionnel.le.s.
Sources : Labo ISIC, 2014-2018
Pour notre part et dans la suite du travail de recherche engagé en première partie,
nous proposons de changer d'échelle d'analyse et de regarder au-delà des enjeux de
formation et d'opérationnalité des interventions pour intégrer les dimensions démocratiques
du travail social et par là même interroger les dynamiques citoyennes qui interagissent au
sein de cet espace d'intervention.
Pour illustrer notre propos, nous invitons à faire le lien avec l'émergence de la
nouvelle terminologie de « société inclusive » qui traverse simultanément différents champs
de la société. L'analyse de cette notion permet de montrer l'effectivité de ce portage tant par
la société civile, que par des professionnel.le.s que par la communauté scientifique (Colloque
du GIS RÉACTIFS à Toulouse, mars 2018). L'intérêt de ce terme et de cette notion réside dans
la juxtaposition de l'énoncé de société et du qualificatif inclusif. Il s'agit bien d'un concept qui
tend à considérer la vie de tous et à l'orienter selon un axe non plus à géométrie variable
222
selon une catégorie de personnes ou de difficultés mais d'un axe englobant pour tous. Cette
terminologie et ses différents auteurs complètent, enrichissent ainsi la vision d'une société
démocratique pour en décliner les effets et les conséquences d'un point de vue pragmatique
(Gardou, 2012).
C'est ainsi que nous proposons d'étudier et de croiser ce qui du côté du travail social
en France est nommé l'intervention collective et que pour notre part nous avons resitué dans
le cadre démocratique de la vie en société.
5.1.2. Les composantes économiques et gestionnaires
A la suite de l'analyse de la professionnalisation du secteur réalisé au chapitre 3, nous
pouvons postuler que l'intervention professionnelle du travail social est impactée par le
management des politiques de solidarité et par le cadre fortement hiérarchisé mis en place
au cours de la première décentralisation. Ce cadre contrecarre les visées émancipatoires et
inclusives inscrites dans les fondements de l'action collective initiale du fait de la primauté
donnée simultanément à la gestion des moyens humains et financiers par ce qui est nommé
« la modernisation de l'action publique » et par l'absence d'inclusion au sein des dispositifs
opératoires d'espaces de « concertation publique » des intérêts collectifs.
Plusieurs auteurs ont analysé les sources de ces modifications et certains les impacts
de cette « modernisation » sur le travail social en termes de nouvelle gestion publique,
« NGP ». Au cours des années 1990, nous assistons à une modification des politiques sociales
des États. Même si plusieurs courants cohabitent ou se juxtaposent, le contexte économique
qualifié d'ultralibéral (Stieglitz, 2012) modifie les politiques sociales dans le sens non plus
d'une résolution des questions sociales mais comme des instruments de régulation des
problèmes sociaux. C'est ce contexte qui produit une mutation du travail social par la mise en
objectifs des services. Ceci conduit à envisager les interventions sociales comme des
« services » pour les administrer en termes de résultats, de mise en concurrence et de mise
en flexibilité. Ainsi que le notent Maryse Bresson, Christian Jetté et Céline Bellot,
« l'avènement de la NGP implique à la fois de soutenir une mise au pas économique de la
223
protection sociale et de développer un ancrage de proximité et un renforcement de la
participation des bénéficiaires à leur mieux-être » (Bresson, Jetté, Bellot, 2013, p3-5). Pour
autant ces auteurs notent que les évolutions ne sont pas unilatérales.
Simultanément et particulièrement en France, au Québec et en Belgique, des
organisations associatives ou de l'économie sociale et solidaire, s'emploient à développer
des pratiques alternatives avec les populations qui mettent en œuvre des principes de
participation, de solidarité et de réciprocité. Ainsi la concertation publique que nous
mentionnions précédemment peut trouver sa place dans cette dernière tendance.
La concertation publique est un principe d'action collective qui prend ses bases sur
l'ambition démocratique d'une nation avant son ambition économique. Elle correspond à la
possibilité d'établir un dialogue entre des parties prenantes que nous avons rappelées et la
prise en compte des intérêts contradictoires ou convergents sur un territoire dans un choix
délibéré en connaissance de cause. Des avancées se poursuivent dans ce sens et s'inscrivent
dans des modifications législatives encore récentes (création des conseils consultatifs du RSA
en 2008), par des revendications démocratiques (Coordination Pas sans nous, 2015). Pour
autant le constat peut être fait de la diversité des opérationnalités d'un Département à
l'autre et montre les difficultés à « instaurer » un mode d'action publique entre actrices et
acteurs de poids et d'autorité différents.
Les Départements sont ici pris comme référence, au titre de leur responsabilité de chef de
file de l'action sociale :
- « Le Département définit et met en œuvre la politique d'action sociale, en tenant
compte des compétences confiées par la loi à l'Etat, aux autres collectivités
territoriales ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions
menées sur son territoire qui y concourent. Il organise la participation des personnes
morales de droit public et privé mentionnées à l'article L. 116-1 à la définition des
224
orientations en matière d'action sociale et à leur mise en œuvre (article L. 121-1 du
code de l'action sociale et des familles) »,
- « Le Département définit et met en œuvre l'action sociale en faveur des personnes
âgées. Il coordonne, dans le cadre du schéma départemental d'organisation sociale et
médico-sociale mentionné à l'article L. 312-4, les actions menées par les différents
intervenants, définit des secteurs géographiques d'intervention et détermine les
modalités d'information du public (Article L. 113-2 du code de l'action sociale et des
familles)».
A travers l'examen de ces possibles concertations, c'est la représentation de la valeur
des personnes sur l'ensemble du territoire ou au sein de la communauté nationale qui est en
jeu. Elle s'exprime dans les crises de légitimité, crises qui viennent dire l'absence de respect
mutuel ou d'égale possibilité « à prendre part » aux fonctionnements collectifs engageant les
vies individuelles.
Pour illustrer cette difficulté ou ce déficit démocratique dans une action publique,
nous prenons l'exemple de l'accès à l'alimentation sur le territoire national. Ce sujet commun
à tous sur lequel nous avons travaillé par ailleurs montre le glissement de considération
possible et d'autorisation entre les personnes de la communauté nationale. La mission de
l'alimentation de tous est confiée logiquement au Ministère de l'alimentation et de
l'agriculture, est redéfinie dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche de
juillet 2010 (Loi n°2010-874 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, LMAP). C'est
ainsi qu'on peut y lire :
« La politique publique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès, dans
des conditions économiquement acceptables par tous, à une alimentation sûre,
diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle,
produite dans des conditions durables. Elle vise ainsi à offrir à chacun les conditions
du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses
besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé ».
225
Cette même loi définit pour la première fois l’aide alimentaire en France : « L’aide
alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes les plus
démunies » ( Article L. 230-6 du Code Rural). Le texte de loi se poursuit en donnant le cadre
de fonctionnement de l’aide alimentaire en France, avec l'habilitation des structures
percevant des contributions publiques et par la mise en place d’indicateurs d’activités.
L’objectif visé devient clairement logistique :
« garantir la fourniture de l’aide alimentaire sur une partie suffisante du territoire et
sa distribution auprès de tous les bénéficiaires potentiels, d’assurer la traçabilité
physique et comptable des denrées et de respecter de bonnes pratiques d’hygiène
relatives au transport, au stockage et à la mise à disposition des denrées ».
Ainsi le même texte de loi attentif « à offrir à chacun les conditions de choix de son
alimentation » oublie cette annonce quand il s'agit de « fournir des denrées alimentaires aux
personnes les plus démunies », le passage à bénéficiaire fait perdre « les conditions de
choix ». L'écriture du droit et celle de l'organisation qui en découle peuvent différer et perdre
la commune référence à « l'égalité-relation » (Rosanvallon, 2011). Entre l'accès par le choix
(en référence aux libertés de la personne-sujet) et l'accès par la distribution (en référence au
système de gestion de l'action publique), s'inscrit une différence de traitement qui rend
possible la disqualification des personnes par la simple perte du libre choix.
Cette analyse nous éclaire sur les changements de statuts des personnes à partir de la
question de la délibération (individuelle ou collective) et sur le poids de l'organisationnel
dans la mise en œuvre de la disqualification. Cet exemple particulier autour d'un droit
commun illustre la difficulté à garantir la nécessaire continuité pour chaque personne entre
les trois états de la participation démocratique rappelée par Joëlle Zask. C'est ainsi que la
disqualification devient partie prenante de l'action produite et vient s'ajouter à celle
formulée à l'égard des professionnel.le.s.
L'indissociation des sources et des effets de la disqualification est une manière
d'isoler et de stigmatiser les interventions professionnelles sans autre forme de débat.
226
5.1.3. Les composantes politiques
Les interventions collectives ont la particularité de s'occuper de questions communes, de
besoins partagés par un groupe, une communauté. Par ce fait, leur empiétement ou leur
intersection avec le pouvoir politique dans sa forme démocratique contemporaine française
est compréhensible et peut donner lieu à ce que Jacques Ion formule comme de nouvelles
implications « tout azimut » d'individus-citoyens, là où la notion d'intérêt général est parfois
revendiquée par « ceux qui ont le monopole du pouvoir de la représentation» (Ion, 2012).
Cette complexité toute contemporaine est illustrée dans le récit d’expérience d'une jeune
professionnelle assistante sociale (Notes de carnet de recherche 2013). Installée dans le
bureau habituel (et spacieux) de son travail sur la commune, elle est en réunion avec
plusieurs jeunes femmes, mères de jeunes enfants éprouvant la question d'un mode de
garde sur le village. Le téléphone sonne, c'est le député-maire de la commune. Il est au
courant du rendez-vous, de son motif et demande à la professionnelle en quoi ce sujet
concerne son travail. Cette interpellation d’un élu à l’égard d’une professionnelle du travail
social située au démarrage de ce qui pourrait devenir une intervention collective pose la
question de la concertation publique, de son monopole ou non et s'intéresse au cadre de
cette concertation comme à sa mise en œuvre, son partage et la praxis qui en découle. La
référence à la particularité jacobine française sert de primauté pour justifier sans l'interroger
la consultation démocratique aux élus jusqu’à surresponsabiliser cette mission. Ce cadre est
régulièrement cité sans modification de ce récit, de cette écriture et de sa transmission, là où
d’autres formes collectives pourraient co-exister, se croiser (IGAS,2005- CSTS, 2010).
Comme nous l'avons examiné en première partie de cette recherche et en reprenant
les apports de l'approche genrée de cette construction, nous tentons de sortir de
l'explication reconduite qui omet de s'interroger sur les manquements de cette conception.
Ceci nous invite à discuter la référence au cadre législatif et réglementaire souvent présenté
dans ce contexte comme le frein au développement des interventions collectives. Pour cela,
nous nous arrêtons sur la conception majoritaire de la démocratie participative qui nous
conduit à fondre dans un seul mouvement la maîtrise des affaires et leur direction au
227
détriment d'une délibération consultative et explicite sur le souhaitable et le souhaité
(Castoriadis, 2010).
Les manquements se matérialisent au plan de la participation démocratique de tous
et de ses effets durables dans des rapports de pouvoirs entre les membres de la
communauté nationale, au plan de la constitution d'une pensée élitiste tantôt supérieure
(par les savoirs), tantôt dominante (par les pouvoirs) entre sujets devenus libres et égaux ; au
plan de la relégation du respect mutuel à la seule référence d'humanisme au détriment
d'une conception démocratique et exigeante du pouvoir commun de faire société. Ce dernier
point est particulièrement important au sein du travail social car il sert souvent à brouiller
intelligibilité des interventions sociales et à renforcer l'image d'une bonne volonté humaine
de personnes individuelles ayant ce don, cette capacité, là où il s'agit d'abord de relier un
savoir commun (la solidarité), construit et nommé au fil du temps par l'espèce humaine
(exemple du XIXème siècle dans notre sujet).
Nous soulignons ici l'enchaînement des représentations qui impacte les différent.e.s
actrices et acteurs d'une action publique écartelée entre décision politique et contribution
démocratique. Cependant des ouvertures se dessinent lentement dans le processus
démocratique qui conduisent à modifier l'hégémonie du « personnel politique » dans les
décisions et à introduire des espaces de délibérations collectives. C'est l'exemple notamment
des Conseils consultatifs des allocataires du RSA inscrits dans la loi du 1er décembre 2008
généralisant le RSA et réformant les politiques d’insertion dispose que :
- « Art. L. 115-2. […] la définition la conduite et l’évaluation [de la politique
d’insertion] sont réalisées selon des modalités qui assurent une participation effective
des personnes intéressées »
- « Art. L. 262-39. − Le président du conseil général constitue des équipes
pluridisciplinaires composées notamment de professionnels de l’insertion sociale et
professionnelle, en particulier des agents de [Pôle Emploi] de représentants du
Département et des maisons de l’emploi ou, à défaut, des personnes morales
gestionnaires des plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi et de
représentants des bénéficiaires du revenu de solidarité active ».
228
Pour autant les mises en œuvre qui s'en suivent relèvent d'une nouvelle praxis qui
gagnerait à se formaliser (au sens de repères communs), à s'échanger et se mutualiser dans
une logique innovante de co-construction mais les questions de gouvernance partagée font
encore problème (Communiqué IRDSU, Inter Réseau des professionnels du développement
social urbain, 2012). A cet égard, les préconisations de formations-action interacteurs ont
souvent été énoncées (notamment dans les orientations de la politique de la ville ou dans
celles du développement local en particulier par l'ODAS, voir publications du site) mais les
dispositifs eux-mêmes restent segmentés et cloisonnés (Rapport Autant-Dorier, Jouve,
Thérond, 2013). Le croisement des idées et des perspectives se réalisent à l'occasion de
« forums locaux ou nationaux de la participation » et se révèle disparate à l'échelon du
territoire.
La lecture de cette diversité donne une représentation de ce qui constitue aussi des
« inégalités territoriales » : en 2010, 54 départements seulement étaient signataires des
Contrat urbain de cohésion sociale, CUCS (Avenel, 2013) ; elle requiert d'explorer chaque
groupement ou fédération d'actrices et d'acteurs ou d'activités (élus, cadres, professionnels
et structures porteuses) pour cerner la prise en compte ou non de ces évolutions et l'échelle
de leur mise en œuvre.
Sur cette base diverse et fluctuante, l'unité d'analyse des orientations politiques tend
à se faire dans un double discours : la disqualification des professionnel.le.s du fait
d'interventions jugées « manquantes » et la subsidiarisation de l'égale considération des
sujets en démocratie à des considérations économiques et gestionnaires. Cette deuxième
considération empêche l'égale prise en compte du développement social à parité dans les
politiques publiques, dans les esprits managériaux, au côté du développement économique
et du développement écologique.
La parité énoncée ici entre les différents modes de développements correspond au
développement durable tel qu'il est défini par la communauté internationale depuis 1987
(Rapport Bruntland) et adopté en Conseil interministériel en France en 2006. Dans la logique
du développement durable, il s'agit d'élargir la vision entre les différent.e.s actrices et
229
acteurs d'une problématique. Cet objectif permet de renouveler les pratiques de
gouvernance et nous paraît propice à sortir des subordinations inscrites notamment dans la
hiérarchie des valeurs et des interventions professionnelles au détriment d'objectifs
partagés.
Ainsi les contributions les plus récentes au débat présenté, émanent du groupe de
travail « Développement social et travail social collectif » dans le cadre des États Généraux du
Social (2015). Tout en les reliant, le groupe de travail différencie « le développement social »
comme démarche interactive et multi-acteurs sur un territoire, et « le travail social » comme
pratique professionnelle d'un secteur, là où des discours plus anciens pouvaient conduire à
un remplacement de l'un par l'autre créant des confusions voire des oppositions d'actrices et
d'acteurs. Nous avons indiqué au chapitre 3, comment le développement social a été
mobilisé pour ouvrir une nouvelle voie ou se substituer au travail social institutionnalisé en
se présentant comme une alternative aux pratiques d'assistance individuelle (Autès, 1988).
Simultanément la présence et l'implication de certain.e.s professionnel.le.s dans cette
nouvelle politique (Développement social urbain, Développement social local) a permis
d'inscrire le développement local ou social comme une composante du travail social collectif
(CSTS 1988- 2010, Dubasque 2009).
Actuellement, après plusieurs décennies de coexistence, de tensions, d'adaptation
réciproque et de croisement des analyses, la convocation des États Généraux du travail social
a permis de montrer les convergences des acteurs (élu.e.s, directions, professionnel.le.s,
habitant.e.s) dans un cadre politique et décentralisé.
Par les définitions retenues, il est fait état du lien entre des orientations politiques
volontaristes et les actions du travail social :
« Le développement social est un processus de développement des ressources
humaines et des initiatives des individus, des groupes et des territoires visant des
objectifs de cohésion sociale, de solidarités, de proximité, de développement des
services à la population et de création d’activités et d’emploi. […] Il a la même valeur
que le développement économique et le développement écologique. Il est un des
230
piliers du développement durable. Il constitue une volonté politique dont le travail
social peut être « le fer de lance » avec le soutien de l’éducation populaire,
l’animation, du sport, de la culture et de l’ensemble des politiques publiques»
(Rapport Développement social et travail social collectif, EGTS, 2015, p 5).
Ces déclarations signent une avancée au sens d'une maturation des liens en société
de différentes composantes déclarées ou présentées incompatibles selon les auteur.e.s.
L'inscription au sein du Code de l'action sociale et des familles en mai 2017, d'une définition
du travail social (cité au chapitre 1-1), confirme cette avancée d'un nouvel horizon politique
ainsi tracé.
Dans ce contexte, il nous paraît temps d'interroger la construction hiérarchique
plusieurs fois évoquée au sein des chapitres qui précèdent « au lieu de l’accepter comme
réelle, comme allant de soi ou comme étant dans la nature des choses » comme y invitait
Joan Scott (1988). Cette construction, nous l'avons repérée particulièrement à deux endroits
(sans exclure d'autres lieux comme celui du statut, de l'âge, ...). Premièrement dans la
déclinaison des rapports sociaux de genre, ce que Françoise Héritier a nommé par la valence
différentielle des sexes et qui nécessite un travail sur les mentalités pour être modifié
(Héritier, 1996 ,2002) et en deuxième lieu, ce qui est issu de la distinction établie entre les
professions au lendemain de la seconde guerre mondiale et dont nous avons hérité (voir
chapitre 3-3).
Le système de pensée qui établit une hiérarchie entre les personnes, entre les
fonctions est un des mécanismes instituant des rapports de pouvoirs entre les personnes et
justifie une reconduction de rapports de domination sur les personnes. Ce constat ou cet
héritage mérite une mise en discussion qui permette d'inclure les élargissement de la pensée
issue des diverses temporalités contemporaines. Précisons que le débat ici évoqué se réfère
à ce qui constitue l'action politique commune au sens de « l’activité collective qui se veut
lucide et consciente, et qui met en question les institutions existantes de la société »
(Castoriadis, 2010, p 47). En cela le travail des études de genre appliqué aux différentes
disciplines des savoirs scientifiques et aux différents champs professionnels est une
231
contribution à l'exercice démocratique institué. Pour ce qui concerne le système
professionnel qui a permis d'établir une classification utile pour un fonctionnement dans un
temps donné, il est aussi celui qui a figé des subordinations, des rapports sociaux là où des
changements de regards et de valeurs s'imposent aujourd'hui dans le débat ouvert par les
interpellations qui surgissent du cadre démocratique.
D'une manière concomitante, ces deux modèles se trouvent interrogés, déstabilisés
par de nouvelles formes de rapports sociaux induits par de nouvelles pratiques sociales
d'accessibilité, de mobilité, de diversité incluant de fait des dimensions collaboratives ou
égalitaires et par le capital transmis de génération en génération bon an mal an lors du
passage obligatoire par l'éducation nationale. Ces nouvelles interactions éduquent et
transforment notre sens du social et du politique sans que n'émerge une réelle redistribution
ou un élargissement dans l'organisation des rapports de pouvoirs au sens du pouvoir choisir/
orienter les différentes échelles des situations (Serres, 2012).
Par ailleurs la prépondérance numéraire des femmes dans le champ professionnel
que nous avons étudiée au chapitre 3, se solde par une disparité dans les fonctions
d'encadrements (UNIFAF, 2012) avec le maintien d'un plafond de verre pour le secteur. De
même si nous nous déplaçons du côté de l’exécutif des politiques, il nous faut retenir
l'absence de majorité des femmes dans les assemblées électives, particulièrement en tant
que cheffe de leur exécutif. Seule avancée réelle de la composition paritaire, les assemblées
départementales où l'élection se fait sur un scrutin binominal (binôme composé d’une
femme et d’un homme, loi n° 2013-403 du 17 mai 2013), cependant seuls 10 % des Conseils
départementaux sont présidés par une femme.
Pour illustrer le besoin d'une nouvelle perspective qui pourrait être a-hiérarchique,
deux exemples nous montrent les déplacements attendus. Dans une société où la
consommation des matières premières devient un enjeu économique et écologique, la
chaîne de traitement de ces productions, de leur traitement et de leur recyclage (incluant
leur réutilisation) conduit à réinterpréter les usages mais aussi les affectations de priorités.
Ce qui était jugé inépuisable devient limité jusqu'à penser une économie circulaire
232
permettant l'inclusion des déchets en lieu et place d'un stockage ou d'une relégation. Ce
déplacement des priorités entraîne à terme un changement de regard sur la chaîne des
acteurs de ce secteur et les professionnel.le.s au point qu'une nouvelle terminologie apparaît
dans le domaine de l'action publique avec les termes de « transition », « d'alternatives ».
De la même manière, dans une société où l'allongement de la durée de la vie
s'accroît, plusieurs modifications de la conscience collective se produisent en lien avec le
nombre croissant de personnes âgées, avec la possibilité du passage du plus grand nombre
par ce stade, avec le sens du vieillissement et des attentions qu'il peut nécessiter. C'est à la
fois un champ de connaissances qui s'ouvre et un champ de responsabilités nouvelles pour la
société dans son ensemble. À partir de ces deux exemples, nous comprenons qu'il n'est pas
possible ni envisageable de méconnaître les nouvelles questions sociétales sans chercher
collectivement les options et les choix possibles. Ces évolutions et les nouveautés qu'elles
impliquent, compréhensibles par le plus grand nombre, sont autant d'occasion de se
remettre à l'école de la vie au sens des études de situations engagées par les premières
travailleuses sociales avant de concevoir d'y porter ou d'y appliquer des solutions .
Ce qui reste « à inventer », « à penser » dans la continuité d'un régime démocratique,
c'est l'accès à la délibération collective des personnes concernées ou dit autrement leur
contribution « au droit de cité ».
Au final, nous proposons de formuler la trame d'un agir collectif démocratique à
partir des expériences d'interventions collectives en travail social comme un « travail de
commencement ». Il s'agit d'associer diagnostic et ressources mutuelles (ou à mutualiser)
avec les personnes concernées avant de décider « quoi » et « comment » faire ensemble. A
petite échelle, cet exercice pratiqué dans le cadre des interventions collectives du travail
social, sans bruit et sans médiatisation, dans un silence que nous pouvons qualifier de
protecteur (en référence à l'histoire des fondatrices) ou d'ignorance (en référence à une
forme de déni de valeur) constitue une contribution au cadre démocratique.
Plusieurs exemples pourraient illustrer cette praxis régulièrement énoncée par les
professionnel.le.s qui témoignent et transmettent ce savoir-faire sur leur territoire. Ces
233
témoignages ont en commun la capacité de tenir une présence dans la durée et de
permettre une expression authentique : une professionnelle expliquait à un groupe
d'étudiantes : « j'ai accepté de manger des gâteaux pendant un an avant que le groupe
formule un intérêt et une orientation puis un désir d'action qui vienne de lui » ; une autre
indiquait avoir renoncé à son projet : « je voulais monter une action sur le bien-manger des
personnes à partir d'un appel à projet sur l'équilibre alimentaire des repas. Les personnes
m’ont fait comprendre que ce n'était pas le problème mais la question de l'accès aux
aliments avec un faible budget. Nous avons retravaillé le projet pour faire intervenir un
cuisinier et la conséquence a été de modifier les représentations sur les lieux
d’approvisionnement de l'environnement et un meilleur accès à des produits avec un petit
budget » (Carnet de notes de recherche, 2017- 2015) .
Appelé aussi philosophie de l'action, ce travail de commencement permet d'orienter
selon un cap démocratique et avant toutes méthodologies, le fait d'intervenir en travail
social. Cette orientation concorde alors avec la formulation du Conseil économique, social et
environnemental : « que chacun ne soit pas consommateur d'une aide publique mais puisse
être acteur d’une vie collective » (Audition de Jean-Paul Delevoye, par le groupe de travail
Développement social et travail social collectif des États Généraux du travail social,
2015). Elle est aussi clairement formulée par un allocataire du RSA membre d'un comité
participatif du RSA dans l'Hérault : « Je considère que c'est mon devoir de participer à ce
comité et je me sens utile, pourtant je ne vote pas mais là c'est mon devoir » (Carnet de
recherche, février 2018).
Ainsi, l'orientation du travail social que nous avons « retrouvée » dans l'étude des
archives correspond à un savoir particulier construit au démarrage du travail social dans une
finalité de la participation de tous. Cette finalité réhabilitée permet l'élaboration continue de
pratiques d'interventions collectives en contexte. Ce savoir devient utile dans une société
organisée en spécialités, en spécificités et en sommes de différences. C'est à ce titre que les
études de genre ont été particulièrement utiles et éclairantes dans la compréhension des
hiérarchies de valeurs que nous avons relevées, vues à l’œuvre. Nous nous sommes
234
confronté.e.s aux articulations pensées entre savoirs professionnels, savoirs citoyens, savoirs
scientifiques et la structuration des interventions sociales à partir de l’État social pour
proposer une analyse qui tienne compte de l'imbrication de ces rapports dans la société.
A ce premier niveau de discussions des savoirs en présence, s'est ajoutée la
production des discours scientifiques sur le travail social. Ceux-ci ont privilégié l'étude des
interventions sociales et l'action des praticiens comme des acteurs/auteurs vecteurs de
contrôle social, indépendamment du monde social qui les portait ou avec lequel elles et ils se
sont construits (Verdès-Leroux, 1978 ; Donzelot, Roman, 1988). Ce n'est que récemment que
de rares auteurs (Bessin 2005, 2013 ; Bayer 2013 ; Mounir, 2013) ont interrogé au-delà des
attributions sexuées, les valeurs et les normes sociales qui sont attendues, à l’œuvre, en
mobilisant l'analyse du genre à l’œuvre.
Véronique Bayer (2013) indique comment l'hégémonie des théories managériales
n'est pas appréhendée dans une perspective sexuée, ce qui renforce de mon point de vue
l'absence de discussion de ce principe très actif dans les organisations de travail (voir en
suivant, chapitre 6). De son côté, Marc Bessin rappelle dans différents articles (2005, 2013)
comment le genre permet d'interroger les pratiques et les objectifs de l'intervention sociale
tout en renouant « avec une tradition critique qui remet en cause les hiérarchies entre les
savoirs académiques et les pratiques professionnelles » (Bessin, 2013, p 23). Hiérarchies
auxquelles il convient d'ajouter celle concernant les savoirs d'usages ou celle des savoirs
citoyens (particulièrement à l’œuvre dans la sphère du domestique). Puis Marc Bessin
souligne l'absence de construction genrée des objets de recherche des chercheurs
« spécialistes du travail social, sur lesquels il serait possible de s’appuyer dans les
enseignements ».
Ces observations de chercheur.e.s qui relient comme nous le développons tout au
long de cette thèse « genre et travail social », complètent la compréhension des tensions que
nous avons identifiées autour de l'égalité de relation dans la participation. C'est pourquoi,
nous avons poursuivi l'étude des interventions collectives pour repérer les pratiques qui
s'émancipent des normes de l'intervention sociale ou du cadre préexistant des institutions.
C'est ce que nous présentons dans le point suivant.
235
5.2. L'égalité de relation dans les espaces d'intervention collective
en travail social
L'analyse d'une égalité de relation dans les espaces d'interventions collectives en travail
social est issue de plusieurs observations. Les premières concernent la construction d'un
espace de recherche-action construit au carrefour de rencontres d'actrices et d'acteurs en
Languedoc-Roussillon, dénommé le LaboISIC (laboratoire de recherche et d'expérimentation
des interventions sociales d'intérêt collectif à l'IRTS Montpellier). Les suivantes reposent sur
les études de situation qui ont pu s'y présenter au fil du temps. Ces observations s'ajoutent à
des actions publicisées dans d'autres espaces qui présentent les mêmes mécanismes soit
que les auteur.e.s aient pu être rencontré.e.s, soit que leur description permette de s'y
référer comme nous le faisons au point 5-3 de ce chapitre. Dans tous les exemples étudiés,
nous avons repéré des continuités en termes de prise de paroles, de multiplicité des publics,
de choix des thématiques traitées. Ces observations nous ont permis de comprendre le
travail de transformation des valeurs et de leurs lieux d'usages de la sphère privée à la sphère
professionnelle, tel qu'Elsa Galerand et Danièle Kergoat l'ont identifié et spécifié, à savoir « la
continuité pour les femmes et seulement pour elles entre travail domestique et travail
salarié » (2008, p 75).
A partir de ce repérage, nous avons repris le fil d'analyse genré de ces activités
professionnelles. Le genre n'est pas que la division sexuée entre les femmes et les hommes
présentée dans les médias ou inscrite dans les représentations individuelles ou collectives. Le
genre est aussi une différentiation de rôles ou de pratiques, issu du régime des sphères
séparées. Ce régime que nous proposons de retenir comme la conclusion issue des débats
philosophiques, politiques et des sciences naturelles sur l'égale accès des femmes au savoir,
à l’éducation. Ces débats ont couru sur plusieurs décennies, de Molière contestant des
femmes savantes (1672), au discours de Condorcet à l'Assemblée Nationale en faveur du
vote des femmes (1793), au refus de Proudhon d'admettre l'égalité civile et politique des
236
femmes (1849). Ils ont conduit à établir pour les temps modernes une répartition hiérarchisée et de différence de valeur - entre la sphère du domaine public-politique et la
sphère du privé-domestique. Cette répartition que nous peinons à transformer pour l'ajuster
au référentiel égalitaire contemporain déclaré, est régulièrement questionnée dans les
débats à propos du travail domestique, tout au moins dans les parts d'organisation et de
temporalité de ce travail. Plus rares car plus complexes se font les approches philosophiques,
relationnelles et éducatives de cette reconduction, c'est le cas notamment au sein du travail
social et des politiques de solidarités.
Dans ces sphères, des façons de faire se sont construites et développées à partir des
personnes présentes en nombre et des assignations de rôles ou de places. De la même façon
qu'un milieu peut déterminer ou conduire à des usages, le régime des sphères séparées
produit au sein de chacune des constructions de savoirs, de compréhensions, de regards, de
réponses. Les milieux n'étant pas étanches entre eux, de la diffusion, de l'interconnaissance
peuvent se construire, s'établir ou s'ignorer aussi. Le point de vue particulier qu'apporte le
genre réside dans la mise en lumière d'une hiérarchisation des valeurs entre l'une et l'autre
des sphères et par conséquence entre les pratiques d'une sphère et de l'autre dans une
perspective démocratique.
Cette perspective interroge pour la France la concordance avec le principe d'Égalité,
ce que nous avons développé sous le terme d'une égalité-relation emprunté à Pierre
Rosanvallon. Ainsi il est possible d'observer pour chaque sphère des pratiques de
gouvernance (exemple pyramidale ou horizontale, hiérarchisée, coopérative, etc...),
d'apprentissage (par des maîtres, par des pairs, des réseaux, etc.). L'apport des recherches
incluant la perspective de genre met à jour des pratiques ignorées et invisibles car non
admises comme des pratiques éligibles par le biais hiérarchique présent. Ce biais masque ou
invalide les hybridations réalisées ou envisageables en ne posant pas la question des
pratiques dominantes ou la construction d'une égalité-relation. En ce sens, la continuité
entre les sphères – théorie de la non-disjonction- comme condition de transformation et de
valorisation des pratiques construites au féminin devient le support créatif de pratiques et le
lieu d'un apprentissage ou d'une transmission possible de savoirs. C'est cette expérience
237
compréhensible dont peut rendre compte le laboratoire de recherche et d’expérimentation
du LaboISIC au sein duquel nous avons été à la fois actrice et observatrice.
A contrario, cet espace de recherche-action est simultanément le lieu d'une
expérimentation collective de la recherche-action et le lieu d'une production de savoirs à
partir d'expérimentation d'individus-citoyens ou de collectifs. Un lieu qui dans le
fonctionnement établi pour tous et à chaque séance, permet de faire l'expérience de la nondisjonction entre savoirs individuels et savoirs collectifs. Cet ensemble constitue pour les
participant.e.s une pratique concrète d'émancipation au sens d'implications plurielles se
mobilisant. Ceci illustre les observations de Jacques Ion concernant les changements
d'expression de la participation politique et des formes d'engagements présentés en
introduction de cette seconde partie : « Ici on est dans la démarche de co-construction …
ailleurs on en parle. On change de place même temporairement, on expérimente… on trouve
des moyens pour que les hiérarchies disparaissent » (Paroles du LaboISIC, carnet de
recherche 2017).
A partir des différentes communications (journées d'étude, site, compte-rendus
internes du LaboISIC), nous présentons maintenant les modalités qui permettent cette
réalisation pratique avant de revenir sur les transformations produites. Selon notre angle
d'observation, il s'agit de préciser le point de départ de l'action, son motif et la continuité ou
non des prises d'initiatives.
5.2.1. Le choix des modalités de la participation au LaboISIC
A la rentrée 2017, le laboratoire de recherche et d'expérimentation de l'intervention sociale
d'intérêt collectif nommé dans cette présentation « LaboISIC », a fêté ses dix ans d'existence
sur le territoire du Languedoc, IRTS-Montpellier ((Institut Régional de Travail Social du
Languedoc-Roussillon). Voici en quelques points clés le chemin parcouru et les continuités
tenues à travers la démarche collective instituante, la constitution du public, les règles du jeu
expérimentées.
Au point de départ de cette création, un problème à résoudre à partir des missions
d'un espace de formation (IRTS-Montpellier) : comment former à parité au travail individuel
238
et au travail collectif selon les futures dispositions réglementaires du DEASS ? Les prémices
de la situation ont très vite révélé les tensions présentes tout en confirmant la réalité de ces
interventions sur le territoire. Les détails de cette situation ont été présentés lors d'une
séance du cycle de séminaires du CERTS/ERCSW (Bousquet, 2012, publié en 2014). Il importe
ici de situer le processus de résolution-création : fin 2003, identification du problème par les
différent.e.s protagonistes (professionnel.le.s, étudiant.e.s, formatrices, chefs de service et
direction du travail social) ; 2004, étape de concertation-délibération sur le problème
rencontré au sein d'une commission pédagogique mixte et création d'un parcours de
formation en trois ans compatibles avec les diverses réalités des lieux de stages, le respect
des publics rencontrés et l'initiation à une démarche méthodologique présentable pour un
DE (Document consulté : Annexe pédagogique de formation à l’Intervention Sociale d’Intérêt
Collectif au DEASS, IRTS-LR, 2005) ; rentrée 2005, un dispositif de formation est en place mais
les craintes professionnelles sont toujours présentes et le groupe de travail pense qu'une
continuité doit être trouvée entre professionnel.le.s du travail social, lieux d'exercice et de
stages et le centre de formation. C'est sur cette analyse que la proposition est faite de
maintenir un espace de travail commun et de lui donner une dimension recherche et
expérimentation à la manière d'un laboratoire dédié à l'ISIC. Sur la base de rencontres
trimestrielles inter-institutionnelles et interprofessionnelles, le LaboISIC est ainsi institué en
2006 au sein du centre de formation avec l'aval de plusieurs cadres d'institutions partenaires
(CPAM, Conseil Départemental, Caisse des Mines, SNCF).
Au fil du temps le travail de recherche-action s'est approprié et développé. La
création du PREFIS (Pôle Ressources recherche-formation-intervention sociale), développé
par l'IRTS-LR depuis 2008 en partenariat avec des laboratoires universitaires et des
associations professionnelles ont permis l'inclusion du LaboISIC dans cet ensemble, de
reprendre les objectifs de départ et de formaliser un premier axe recherche. A la demande
du conseil scientifique du PREFIS, les deux entités territoriales - LaboISIC sur Montpellier et
PRDS sur Perpignan - ont été invitées à proposer un axe de recherche commun. C'est ainsi
que les observations réunies ont permis d'opter pour la question de « l'initiative collective » :
son émergence, sa construction dans les contextes socio-éco et politiques des territoires de
239
notre zone d'influence (le Languedoc-Roussillon). La problématique formulée est le résultat
de ce travail conjoint. Nous en présentons ci-dessous l'orientation principale, un document
plus complet est proposé en annexe :
« Dans les actions collectives, le croisement du social et du politique suppose une
appréhension de la complexité. Car celle-ci interpelle un mode d’analyse où il s’agit de
penser les mises en tensions, les antagonismes complémentaires, les crises et les
conflits. Ainsi, dans notre démarche, nous nous intéressons à saisir comment les
actions collectives peuvent tendre à la fois à la démocratisation du social tout en
ciblant des populations, comment elles peuvent représenter un espace d’expression
de la militance des acteurs du social tout en valorisant l’ingénierie sociale, comment
elles peuvent être un accompagnement à la construction d’un espace public
d’expression tout en revendiquant la neutralité politique ? » (Axe de recherche N°2 du
PREFIS- Languedoc Roussillon, 2010, Annexe 4).
Discrètement et puis régulièrement depuis 2015, les personnes concernées par les
interventions collectives du travail social se sont jointes à des séances de travail. Aujourd'hui,
le LaboISIC poursuit son existence et fait partie du paysage professionnel en matière
d'intervention collective. Il s'est élargi à d'autres formations présentes dans l'espace de
formation (TISF, CESF) et accueille une pluralité de professionnel.le.s : animateurs,
médiateurs, psychologues, chefs de service … Il permet de croiser différentes interventions
et institutions présentes localement : santé et services de protection sociale (des mines, des
chemins de fer, du régime général, du milieu agricole) ; enfance et jeunesse en prévention ou
en protection ; différentes problématiques collectives telles que l'accès à l'alimentation, à
l'hébergement,… Ainsi au moment de la publication du travail sur les institutions facilitantes,
c'est 20 institutions qui sont recensées comme ayant permis un exposé et 73 organismes
différents qui sont impliqués dans ces actions. La communauté des membres du LaboISIC est
constituée des personnes présentes lors des séances qui acceptent de s'inscrire sur la liste
des destinataires de la lettre d'information, soit un peu plus de 200 personnes actuellement.
240
Le public constitué, la philosophie de l'action présentée, revenons à la définition des
règles de travail. Elles ont été testées lors des séances, ont pu évoluer et constituent
maintenant le cadre des échanges. Le postulat de départ était d'utiliser la démarche de
recherche action pour favoriser l'implication « égale » des personnes venant au Labo avec
comme intuition première : la recherche « ensemble » par les différent.e.s actrices et acteurs
concernés pouvait être le moteur d'un développement de l'intervention collective en travail
social. L'objectif qui a présidé à l'élaboration de règles de travail était à partir d’une posture
impliquée quelle que soit la place des participant-es, de produire ensemble des éléments de
références communes, de participer à leur enseignement et à leur transmission en attestant
d'une pratique existante. Cette démarche s'est appuyée sur les principes de recherche-action
qui postule d’intégrer les apports collectifs d’une séance de travail sur l’autre, et permet de
penser une mutualisation des acquis pour chaque question de recherche. Le choix a été
d'opter pour une posture de recherche commune à l’ensemble des membres du groupe –
établis comme pairs en séance- quelle qu’en soit la nature : recherche de savoir(S), de
méthode(S), d’expérience(S) ; quel qu'en soit le statut : un espace de travail ouvert au
professionnel-le-s des sites qualifiants, aux équipes pédagogiques, aux étudiant-e-s sous
forme de laboratoire de recherche et d’expériences, puis aux usagers ou habitants du
territoire. Ce travail de recherche collective, cette démarche est soumise à la co-construction
permanente pour reprendre les termes de Philippe Missotte (2003) :
« Loin d'être seulement une méthode, la recherche-action collective est un
processus de production, de valorisation et de diffusion de savoirs collectifs d'acteurs
sur la base de leur expérience et de leur action commune dans le but de théoriser
cette expérience, de la concrétiser dans une écriture qui tend à la communiquer et
s'en servir pour communiquer leur expérience » (Missotte, 2003).
De notre point de vue, elle constitue un exemple d'une première étape de
démocratisation des rapports entre usagers/habitants - experts/professionnels - étudiants chercheurs. Nous parlons à ce titre du LaboISIC comme d'un espace ouvert car il se tient
dans un lieu de formation avec toutes les représentations qui s'y rattachent dans le rapport
241
au savoir, et le pari d'y faire venir des personnes « étrangères» à ce lieu ou non inscrites, puis
celui plus récemment de déplacer le Labo lui même (c'est-à-dire une séance de travail) sur le
territoire des actions, à la rencontre des actrices et acteurs. Cette dimension d'espace ouvert
a été introduite à la suite du travail d'un étudiant en master d’anthropologie, Guilhem
Lautrec (2011). Il a montré à travers différentes observations comment l'usage des espaces
professionnels et institutionnels se transformaient dès lors que le public y accédait,
soulignant ainsi l'effet transformateur des interventions collectives par le seul fait de la
participation des publics, ou selon le langage actuel par leur inclusion.
Le fonctionnement d'une séance de travail se reproduit à l'identique tous les deux
mois selon un calendrier établi en début d'année auquel des séances peuvent s'ajouter ou se
modifier (localisation, ajout d'un RV). Sur chaque matinée, le déroulement établi est
présenté par l'animatrice de séance (une cadre pédagogique de l'IRTS missionnée sur cet
axe). Cet énoncé institue pour la séance le cadre de travail et redonne aux participant.e.s
(habitués ou nouveaux) les règles du jeu. Les participations sont libres d'une séance à l'autre
et ont constitué dès le départ un défi pour organiser et produire une continuité d'action et
de recherche. Ceci a débouché sur une prise de notes « à trois voix » pour constituer les
données-ressources du Labo dont l'exploitation vient en son temps, ultérieurement :
1) le récit de l'expérience exposée ou de l'intention, qui sert de PV de la séance.
2) le relevé des concepts et des méthodes, références utilisé-es : un simple listing.
3) le regard « du naïf» : ce qui a fait question, naïve, à reprendre ultérieurement, à
approfondir.
La séance démarre quand cette répartition est faite ou à l'issue du tour des
présentations. La méthode retenue une fois testée est devenue le contenant et le premier fil
conducteur du travail d'une séance à l'autre, à laquelle s'est ajoutée une question de
recherche principale tenue le temps de constituer un corpus d'analyse suffisant (voir
exemple en Annexe 5, Les institutions facilitantes de 2011 à 2015). La méthode ainsi élaborée
constitue aussi un rituel de travail auquel chacun.e se rallie pour le temps de la séance :
242
- l'ouverture de la séance autour d'un café : l'accueil des membres de la séance avec
une présentation des modalités de fonctionnement, suivi d'un tour de table pour se
présenter et dire brièvement le motif de sa présence, les questions apportées, un
souhait particulier, puis un tour des actualités et des informations à échanger.
- un temps commun de définition de l'ordre du jour et des temps impartis, les objets
à prévoir, à reporter.
- un ou plusieurs exposés de situations/questions rencontrées (à partir des
inscriptions volontaires) et/ou la reprise d'un travail engagé la séance précédente
auquel sont associés les participant.e.s du jour. C'est ainsi que des séances
d'exploitations des données et leur présentation ont été travaillées en ateliers de 3/4
personnes pour produire des communications écrites ou orales compréhensibles au
plus grand nombre.
- clôture de la séance par un bref tour de table sur les acquis, ressentis de la matinée
de travail.
La méthode ainsi rodée est à contre-courant des critères majeurs du travail et de la
recherche académique. Elle associe lenteur et fractionnement des auteur.e.s/des
contributions mais elle réalise ainsi son objectif initial au point de perdurer dans
l'ambition énoncée à une échelle modeste : attester de savoirs faire, produire des éléments
de connaissance, les transmettre et les partager entre actrices et acteurs en produisant des
résultats, en les publiant (PREFIS, LaboISIC, 2013, 2015, 2017). Cette méthode basée sur
l'expérimentation collective de façon pragmatique est aussi ce qu'il y a de commun avec la
méthode de l'intelligence collective présentée par Irène Pereira (2007) : « La méthode de
l’intelligence collective consiste en une expérimentation qui n’est pleinement réalisée que
dans le partage et la communication. Dans la philosophie politique de Dewey, ce n’est pas
l’Etat qui est l’agent du changement social, mais le public. La situation produit son propre
public qui est constitué d’entités diverses... ». Ainsi à la manière de Dewey, nous pouvons
dire que la situation produite et répétée par le LaboISIC en tant qu'espace de recherche
243
participatif permet ce qu'Irène Pereira qualifie d'expérimentation démocratique et qui
substitue à la méthode de l’autorité la méthode expérimentale pour aboutir collectivement
dans la résolution des situations vécues. Irène Pereira ajoute ainsi à la question de la
participation démocratique par l'expérimentation (Zask, 2011), la question de l'autorité, de
l'autorisation.
En conclusion bien des personnes ont contribué, participé à cette initiative collective
depuis son point de départ. Si cette existence se poursuit aujourd'hui avec des départs et des
renouveaux porteurs de grandes mobilités, c'est l'ensemble [méthode de participation et
énoncé du cadre de la participation démocratique] qui est compris comme le cadre de la
durabilité. Celui-ci doit être visible et tenu par un-e permanente qui en accepte la mission, le
sens explicite et par une inscription institutionnelle dans une dimension ressource et
recherche. Pour autant, ce travail n'est pas achevé en soi au sens où cette expérimentation
collective conçue comme méthode de recherche-action produit des interrogations, des
confrontations pour de nouvelles expérimentations.
5.2.2. L'expérimentation par le public et les contributions
Nous présentons ici des éléments issus des séances ou des productions du LaboISIC à partir
du cadre établi présenté ci-dessus. Plusieurs exposés ont eu lieu concernant les travaux de
cet espace de recherche (Journée du CLICOSS 34, 2007 ; Journée d'étude du LaboISIC, 2009,
Séminaire CERTS, 2012, Journée CRITIS, 2016). Ce qui nous intéresse ici c'est de montrer les
étapes franchies en termes de réalisation et de sujets traités. Ces étapes nous permettent de
rendre compte d'un processus d'émancipation et de transgression vis à vis du cadre
environnant pour les participant.e.s, acteurs et auteures dans et à partir de cet espace. Elles
confirment le mouvement à l’œuvre entre dimension individuelle et dimension collective
dans un processus de réassurance porteur d'imagination, de créativité par la situation
collective démocratique.
L'analyse des documents existants, les observations continues ou fractionnées des
séances (sur la période 2014-2018) ont permis d'identifier des phases de ce travail
244
émancipateur. Une première période autour de l'installation du Labo fonctionne avec la
présence d'un collectif fondateur formé de professionnel.le.s et de cadres pédagogiques
auquel s'adjoignent ponctuellement quelques étudiant.e.s., il se mobilise pour faire advenir
l'intervention collective comme réalité professionnelle et lui donner corps au-delà de savoirs
faire d'initiés. Cette première période sera donc centrée sur les prises de parole publique, le
recueil et le partage d'expériences issues du territoire, la mise en réseau des actrices et
acteurs, soit au sein des séances du Labo, soit en réalisant des journées d'étude. Cette
dynamique se déploie principalement de 2006 à 2010 avec comme point d'orgue la mise en
œuvre de deux journées d'étude conçues sous un mode participatif avec l'ambition collective
d'une trace écrite de ce travail. Ce projet s'est tenu et concrétisé par une publication en
2014, « ISIC et marges de création » aux éditions Champ Social avec un texte charnière pour
la démarche et pour les participant.e.s : S'autoriser à ... (Annexe 6).
Ce texte exposé lors de la première journée d'étude est à la fois la communication de
ce que le travail en commun a permis de révéler et l'invitation pour chaque participant.e à
s'en saisir, à faire à son tour. Il porte explicitement sur la liberté de chaque individuprofessionnel et cible la question de l'autorité évoquée précédemment par Irène Pereira.
C'est en ce sens que cet énoncé public (oral puis écrit) fait charnière entre un temps
d'élaboration collective et la concrétisation d'un projet rejoignant les professionnel.le.s et
leurs institutions (110 personnes présentes). Cette compréhension a été reprise par Jacques
Ladsous :
« À travers quelques exemples simples pris sur le vif : l’agence départementale
de la solidarité de Montpellier, l’acteur de la MSA à Saint-Afrique…, les auteurs
montrent l’intérêt d’une démarche progressive où tous les acteurs finissent par
concourir à une transformation d’un existant que l’on croyait immuable. À condition
que l’on s’autorise à : donner la parole, faire confiance et réinterroger l’institution sur
ses orientations » (Ladsous, 2014, p 139).
Autour de cette mise en forme des interventions collectives, de leur identification et
de leur nécessaire pluralité, la priorité était d'offrir un espace sécurisé pour parler entre gens
245
« égaux » de l'ISIC et de toutes les questions soulevées dans les différents secteurs
professionnels, en misant avec assurance sur les capacités existantes. Du point de vue de la
recherche-action, si les formulations professionnelles étaient négatives : « nous ne sommes
pas formés », « nous ne savons pas faire », l'hypothèse était qu'il fallait dépasser la question
« des formations ou de l'acquisition de méthodologies » pour examiner la question sous
l'angle de s'autoriser à agir dans cette forme d'intervention et croiser les expérimentations
avec celles et ceux qui se reconnaissaient dans ces pratiques pour échanger et mutualiser les
savoirs.
Passée la première phase de l'installation avec une première publication, qui a permis
d'accréditer la démarche effective d'un laboratoire de recherche et d'expérimentation par les
pairs et par les cadres institutionnels employeurs sur le territoire local avec un centre de
formation se positionnant comme espace ressources et recherche en travail social (PREFISLR, 2009), la deuxième phase s'avère tout aussi laborieuse. Si « la légitimité ne se quémande
pas, donc elle ne s’octroie pas, elle peut éventuellement se négocier dans un objectif de
compromis, mais surtout elle se démontre et se conquiert » (Autès, 2014, p 292), il est
possible de qualifier cette nouvelle étape de celle du compromis. Compromis et négociations
multiples : en premier lieu celui du cadre gestionnaire des temporalités des professionnelles
selon l'autorisation et l'organisation employeur (qu'elle soit de l'IRTS ou des services sociaux
et médico-sociaux). Dans les différentes institutions employeurs du travail social, les
changements de direction ou de personnel d'encadrement pèse sur les possibilités :
participer au LaboISIC dans un espace-temps recherche se négocie au cas par cas et ne fait
pas partie de la fiche de poste des professionnel.le.s de l'intervention sociale. Pour autant
des orientations institutionnelles sont prises en la matière par un département soit en
suscitant dans ces subdivisions territoriales des espaces-temps dédiés aux actions collectives,
soit en engageant des formations par équipe territoriale autour d'un projet d'action.
De façon discrète et non officielle, passée l'étape de publicisation du LaboISIC, il
devient difficile pour les professionnel.le.s de « libérer » du temps pour cette recherche
246
commune alors que les discours sur le changement du travail social et la nécessité des
interventions collectives s'amplifient (Rapport IGAS 2005, annonce des États Généraux du
travail social fin 2012). Départs successifs aussi de cadres pédagogiques du centre de
formation, le « tiers- professionnel » si présent au démarrage n'est plus garanti à chaque
séance. La mobilisation change de point d'appui. Les actions existantes sur les terrains
professionnels vont être le moteur de la recherche. Les formatrices s'associent aux
étudiant.e.s pour réunir les matériaux de la recherche et poursuivre avec les terrains
professionnels le travail d'investigation des pratiques et des savoirs faire. Les présentations
d'expériences sont maintenues par un ou une professionnelle, par un.e étudiant.e avec l'aval
de son terrain de stage, parfois par les deux.
La présence des professionnel.le.s reste effective et importante (entre trente et
quarante personnes) lors de la journée annuelle de sensibilisation à l'intervention collective.
Soit de nouveaux professionnel.le.s rejoignent à cette occasion la communauté de recherche,
soit des habitué.e.s viennent contribuer avec des habitant.e.s à des présentations (Annexe
7). Mentionnons à ce propos, que ce travail de diffusion s'est rapidement élargi aux Lycées
du secteur assurant la formation d'étudiant.e.s et enseigant.e.s CESF qui s'associent
ponctuellement à l'occasion des pratiques de stages aux séances du LaboISIC.
Plusieurs expérimentations ont été étudiées au LaboISIC sous l'angle de la
problématique des « institutions facilitantes ». Cet axe de recherche décidé lors d'un bilan
annuel avec les participant.e.s a été tenu de septembre 2011 à juin 2015. Il a permis
d'identifier les transformations à l’œuvre pour le public impliqué, et de saisir les initiatives
présentes dans ces actions. Les éléments retenus et présentés ci-dessous sont extraits des
communications du LaboISIC déjà réalisées (Bousquet, Pont, Journée PREFIS sur La
participation, Montpellier 2015 ; Bousquet, Colloque CRITIS, Marseille 2016). Il s'agit d'une
traduction des observations rassemblées selon différents points de vue :
- Du côté des destinataires des interventions au sens des politiques publiques, les
actions répertoriées présentent toutes un croisement des habitants au sens d'une mixité
sociale ou des catégories administratives à l'inverse d'un public cible ou identifié comme seul
247
ressortissant d'une intervention sociale. Selon les actions étudiées, cette diversité est
présente soit dès le démarrage, soit chemin faisant par l'ajout d'une relation, d'un voisin ou
d'une voisine à l'initiative de personnes déjà présentes. Les professionnel.le.s signalent à
cette occasion les difficultés avec l'encadrement hiérarchique et budgétaire : le maintien de
« publics divers n'est pas garanti, le public cible doit rester la majorité/la priorité des
personnes participantes ». (LaboISIC, 2015-2016). Cette discussion est importante dans une
perspective de développement social et dans le contexte actuel des politiques de solidarités.
Il repose les possibilités d'intervenir au sein d'un territoire en mobilisant les capacités
disponibles pour faire ensemble indépendamment de catégories d'appartenance figées ou
établies réglementairement. L'intérêt collectif ou la question commune est partageable par
une part importante, hétérogène, de la population d’un territoire. Elle peut « se nommer » :
soutien à la parentalité, relations intergénérationnelles, sortir de l'isolement, nouer des
relations sociales et dépasse nécessairement les catégories administratives pré-établies ou
de références pour engager une action commune.
- Du côté des professionnel.le.s, ce sont les notions de temps et de compétences qui
se sont transformées. Le questionnement introduit par les étudiant.e.s dans leur parcours
d'alternance vient interrompre le temps ordonné et fractionné de multiples parts des
professionnels « pour provoquer un travail à plusieurs, interrompre l'impossible. Dans ce
passage émerge un partage d'idées, une réassurance sur des questions reconnues ensemble.
Cette étape porte en elle le point de départ possible d'une mise en route de l'intervention
collective au sein d'une équipe, d'un service, d'une institution ». Plutôt que l'absence de
compétences en intervention collective, les professionnel.le.s peuvent alors interroger
l'espace de travail professionnel :
« Comment qualifier les interventions à court terme, reposant sur la mobilisation de
dispositifs individuels pré-établis ? Comment rechercher de nouvelles modalités
d’intervention, de nouvelles réponses à créer avec les personnes rencontrées, sans
que soit définie a priori la réponse apportée ? » (LaboISIC, 2015-2017).
248
Cette marge de manœuvre nécessaire aux interventions collectives, inclurait alors la
dimension participative préconisée par les politiques publiques. Cela nécessite de
reconnaître au sein des institutions des espaces de mise en discussion, des temps de mise en
recherche. Cette analyse est par ailleurs présente dans le Rapport Bourguignon (2015).
- Du côté de l'encadrement au sein des institutions, il s'agirait de « penser les
professionnel.le.s comme « une mise à disposition de ressources », soit dans la capacité à
identifier des questions partageables, soit dans le repérage de moyens mobilisables et de
ressources mutualisables, soit dans l'appel à des partenaires/experts spécifiques. Cette
« mise à disposition » est problématique au sens où elle n’est pas généralisée dans les faits et
ne présente pas une unanimité dans les conduites des politiques publiques par les directions
et l'encadrement :
« Plusieurs formes sont repérées qui constituent autant d'axes de recherche
complémentaire. Cela va de la position du professionnel pilote/animateur de la
dynamique, du démarrage de l’action à son aboutissement, au passage à d’autres
intervenant-es/partenaires dès la constitution d’un collectif, avec toutes les nuances
et variantes possibles d’une institution à une autre, parfois y compris au sein d’une
même institution » (LaboISIC, 2015-2017).
Ainsi petit à petit et dans la durée, l'ISIC et le Labo ont trouvé leur public à la manière
théorisée par les auteur.e.s précédemment cités mais aussi à la manière des premières
travailleuses sociales : par des volontés impliquées qui acceptent de s'associer à cette
recherche collective dans un espace de temps de travail, et en reliant des espaces de vie.
Une nouvelle compréhension des interventions collectives se partage, est appropriée et
permet le pas de côté de la création, de la prise d'initiative :
« Cette intervention sociale est au quotidien une pratique de l’incertain, de l’imprévu
dans des espaces institutionnalisés, coordonnés, orientés par des politiques publiques. Cette
pratique (l’intervention sociale collective) repose sur l’intégration, chemin faisant, des
apports des différentes parties concernées : des habitant-es/ des personnes réuni-es autour
249
d’une question commune – des professionnel-les ou des institutions du TS – des partenaires
du TS plus ou moins proches de ses orientations » (Source : LaboISIC 2015, repris par
Bousquet 2017).
C'est le cadre ainsi constitué qui autorise une sortie des disqualifications de statuts,
de savoirs faire pour identifier des savoirs être dans une égalité de relation. Cette mise en
évidence permet de soutenir l'exercice d'une égalité de relation dans les espaces
d'intervention collective à la fois comme moteur de l'action et comme frein. Moteur au sens
d'une libération créatrice de l'action à venir, co-construite et co-portée ; dynamique qui
apporte sécurité et soulagement en même temps que l'abandon du modèle de la
performance individuelle. Frein car perte d'un statut, d'une place apprise dans une
subordination acceptée ou reçue sans questionnement de sa valeur ; s'émanciper c'est aussi
risquer pour soi comme pour les autres, la perte, l'inconnu, l'incertain.
5.3. Les cadres collectifs d'émancipation du sujet
A partir de l'observation des conditions de création, de transformation et de valorisation des
pratiques construites au féminin (expériences du LaboISIC ci-dessus), nous avons élargi
l'analyse à d'autres lieux d'interventions collectives en travail social sur la base de la
continuité des sphères privé-public présente dans ces espaces professionnels. L'expérience
contributive et créative d'un espace de recherche-action se retrouve-t-elle ailleurs, dans
quelle dimension et à quelles conditions ?
5.3.1. Une échelle micro-sociale
Du premier terrain d'investigation, nous avons retenu que la mise en œuvre des
interventions collectives contemporaines en travail social, les pratiques de cet espace de
travail au féminin poursuivent « à petite échelle » et sans bruit, une expérimentation
démocratique dans un cadre professionnel. En se décentrant du regard sur les « populations
250
concernées » dans un face à face avec les professionnel.le.s. pour regarder les points de vue
associés des unes et des autres, il est possible de parler d'un ensemble de personnes
concernées constituant « le public » (au sens de John Dewey repris par Joëlle Zask) dans une
égalité de relations au sein de l'expérimentation engagée.
C'est pourquoi certains cadres de l'intervention sociale comme des professionnel.le.s
pratiquant les interventions collectives s'incluent dans la terminologie dominante
actuellement de personnes concernées (Consultation régionale UNAFORIS, 2016 ; LaboISIC
2017) et contestent à leur encontre les discours mettant en cause leur capacité à associer ou
à faire avec les habitants, les usagers dans les actions qui les concernent (LaboISIC, 20152018 ; ODENORE, 2017). Ces cadres comme ces professionnel.le.s expriment les tensions
qu'ils doivent contenir pour être garants du cadre démocratique reconnu comme lieu de la
parole possible entre tous et pour chacun.e. : « Parfois, il faut le reconnaître, les difficultés
sont avec les élus peu accessibles à ce discours » ou « Défendre le point de vue des
personnes en difficultés dans une collectivité c'est pas le plus glamour, ni sexy. » (Carnet de
bord de C. Bousquet, 2018). C'est là que les « gestes professionnels » sont d'abord la mise en
acte d'une culture démocratique d'égalité de relation avant tout autre principe de
hiérarchisation.
Cet ordonnancement est le socle de la relation qualifiée de professionnelle. C'est-àdire que les actions telles que nous avons pu les observer, puis analyser leur développement
dans des temporalités différentes (de la gestation à la réalisation) sont effectivement des
actions de transformation sociale d'individus ou de groupes par l'entremise de
professionnel.le.s capables de faire dialoguer sans les dissocier le travail individuel d'aide à la
personne « privée » et le travail collectif d'accès à la sphère du « public » professionnel et
politique.
Cette capacité de dialogue est utile si elle s'exerce à son tour « tout azimut », c'est-àdire sans réglementer ou rigidifier l'ordre du mouvement, le pilotage de l'action, la
succession des étapes d'un processus qui par autorisation démocratique (individuelle ou
collective) engage une transformation-transgression d'un plan pré-établi. Ces actions
251
conçues comme des expérimentations collectives, permettent de conserver ou de reprendre
la main sur « la cohérence globale de la vie » selon l'analyse du rapport au travail qualifié de
potentiellement subversif précédemment cité (Galerand, Kergoat, 2008, p74). Elles
correspondent à la conception globale de l'intervention sociale des fondatrices ou à ce que
Joëlle Zask a repéré de son côté : « C'est aussi de cette manière que les membres du public
peuvent individuellement reconstituer la cohérence de leur existence » (Zask, 2011, p 196).
Ce travail de mise en acte d'une culture démocratique d'égalité de relation a été
exprimé à différentes reprises par des professionnel.le.s du travail social en situation de
responsabilité (mission ou service) dans des collectivités territoriales. A partir des auditions
de ces personnes et des publications sur site - Direction des solidarités du Département de la
Gironde, Pôle de cohésion sociale et solidarité de Cugnaux, commune de 17000 hb de HauteGaronne, Direction des politiques d'insertion de l'Hérault – nous avons observé des points
communs entre les pratiques mises en œuvre et les personnes en charge de ces
actions/missions, et celles du LaboISIC. Le premier point commun entre les cadres de ces
collectivités, c'est une première qualification comme professionnelle du travail social. Cette
étape dans leur parcours professionnel conduit à revenir et préciser la question des gestes
professionnels évoqués précédemment.
Comme l'explique Dominique Bucheton à propos des gestes professionnels des
enseignant.e.s :
« Le choix du bon geste n’est pas une affaire de technicité, mais traduit en
actes une culture. Cette compétence à observer et entendre l’autre, à faire preuve
d’empathie pour agir avec lui n’existe qu’en référence à des valeurs, à un projet pour
l’élève, une visée démocratique » (Bucheton, 2009).
En prolongeant cette analyse dans un espace collectif professionnel (nommé
intervention collective), les faits et gestes « utilisés et publicisés » deviennent eux-mêmes
des sources d'apprentissage en tant que manière d'être, de faire culture commune. Ils sont
les premiers éléments constitutifs de l'égalité-relation, ce que la règle des référentiels de
252
formation/certification peut masquer en offrant le risque d'imposer un code de « bonnes
pratiques » par absence de référence à la culture de l'égalité de relation. L'apprentissage
« professionnel » devient l'accent mis à ce travail des gestes d'une condition humanité de
pluralité (Arendt, 2009) comme à la recherche du sens de l'action à construire avec les
personnes présentes. Dans cette attention, les observations répétées des mises en relation
ou leur formulation ont permis de comprendre le mécanisme de non-disjonction des sphères
professionnelles et domestiques comme spécificité d'un espace professionnel au féminin
énoncé précédemment.
Dans la sphère du privé-domestique des gestes sont appris pour tenir ou faire exister
une relation dans une continuité, une préoccupation d'autrui au sens des activités du care
(voir chapitre 3, Molinier-2005, Hamrouni-2012). Dans un espace professionnel ouvert à des
interventions collectives, la non-disjonction entre les sphères est tenue par des
professionnel.le.s. tant par les « thèmes » de travail que par les gestes produits et reproduits.
La continuité qui s'y manifeste sert la relation d'égalité entre personne-sujet, elle est aussi
une pratique de traduction qui permet la valorisation des gestes utiles et semblables. Cette
continuité est présente sous différentes facettes qui installent une fluidité de la relation :
dans l'accueil entre personnes, dans les gestes de salutation et d'attention à autrui, dans
l'occupation des espaces eux-mêmes, dans la possibilité de laisser libre le choix du « sujet de
parole ». C'est-à-dire en prenant le risque de modifier ce qui est d'actualité ou non,
important ou pas.
La conduite des gestes « professionnels » au sens de gestes « appris et valides » pour
le métier tels que nous les avons nommés ci-dessus fonde une reconnaissance mutuelle, un
apprivoisement réciproque pour agir en égalité de relation. Les mêmes gestes sont
nécessaires, mobilisés comme savoirs faire et savoirs être en collectif « institutionnalisés »,
dans un cadre public. D'un côté les gestes « du domicile-privé », de l'autre les gestes
« professionnalisés » d'une acceptation qualifiée d'inconditionnelle de l'autre-inconnu.
Mêmes attentions à l'autre dans la conduite et la construction d'une relation humaine. Ainsi
sortir de la disqualification personnelle vécue par des sujets peut commencer avec le service
253
d'un café ou le changement d'une couche dans un espace professionnel et collectif où des
gestes peuvent s'échanger, se mutualiser, passer à des pratiques ayant de la valeur. C'est
dans cette expérience que se construit, s'exerce l'égalité de relation. C'est là que les gestes
professionnels sont effectivement la mise en acte d'une culture démocratique et une
résistance « à l'ordre autoritaire, d'un monde où les dimensions de marchandisation, de
primauté de l'économique, de la gestion sont premières » comme nous l'indiquions en
conclusion du chapitre 2 à propos des pratiques du care (Ch2, p 71). Cette seconde analyse
des gestes professionnels met en évidence ce que nous avions nommé les résistances
collectives à la société « marchande ».
5.3.2. Un cadre professionnel
Cet exercice professionnel autorisé, soit par co-construction (exemple du LaboISIC) soit par
orientation politique (exemples des collectivités locales) est le point de départ du cadre de
participation démocratique pour tous que nous avons présenté. Rechercher « les formes
positives d'investissement au travail » (Galerand, Kergoat, 2008, p 77) sert de décrypteur de
la continuité construite, réappropriée par le public entre vie sociale et vie professionnelle
dans une subversion du modèle dominant de l'emploi. Redisons-le, cette analyse
compréhensive ne sert pas « à enfermer les dominées dans la domination » par une
explication d'une tolérance à des places disqualifiées ou de moindre grande valence dans le
monde professionnel, elle est une manière « de prendre au sérieux ce que disent les femmes
de leur travail, de les considérer comme sujet probable de résistances au travail » (Galerand,
Kergoat, 2008, p 77) et comme sujet détenteur de savoirs professionnels.
Ainsi, examiner les pratiques permet de comprendre les pratiques de résistances non
pas dans des oppositions « conflictuelles » tels que les rapports sociaux du travail en France
ont été principalement étudiés mais dans l'assurance de gestes professionnels à tenir qui
fassent travail social dans des espaces professionnalisés et donc public. Cette compréhension
permet de faire le lien avec le sens initial du travail social (Ch 1 et Ch 4) et avec le sens
politique d'un développement durable pour tous (Ch 5). Ceci clarifié, nous avons poursuivi
254
l'analyse des points clés à retrouver sur toute la chaîne d'action de l'expérimentation
collective pour permettre ce travail d'émancipation individuelle et collective des personnessujets.
L'expérimentation collective ainsi conçue peut constituer une réelle émancipation,
elle permet de sortir de la disqualification individuelle ou collective.(NB, ce constat est aussi
le moteur des actions du mouvement ATD). Dans notre analyse, le cadre professionnel sert
d'espace transitionnel et de lieu d'accès au public.
Si nous avons retenu comme premier point la possibilité effective de s'autoriser à,
cette possibilité doit concerner et s'exercer pour toutes les catégories d'actrices et d'acteurs
de la chaîne d'action dans un mouvement réversible de l'élu décideur à l'individu-citoyen
participant-e d'une action collective en passant par les cadres ou les professionnel.le.s. Si
pour Elsa Galerand et Danièle Kergoat, la transformation du potentiel subversif [du rapport
au travail salarié des femmes] nécessite de trouver des formes de lutte collective qui
contestent la déqualification du travail féminin simultanément sur les deux fronts du travail
salarié et du travail domestique » (Galerand, Kergoat, 2008, p 68), nous pouvons ajouter à
partir de notre analyse des interventions collectives en travail social qu'une forme de
contestation existe au sein du travail social dans ses modalités d'intervention.
Pour celles et ceux qui l'expérimentent, elle permet effectivement de sortir de la
disqualification individuelle et collective et mobilise de la qualification, des savoirs-faire
professionnels. Pour exister ces interventions doivent savoir faire avec la dimension politique
de la participation de toutes et tous, ce qui conduit à rejouer en local et aux différentes
échelles de l'action le décloisonnement entre sphère professionnelle, sphère politique et
sphère sociale, à en assurer la continuité. C'est en ce sens que cette première transformation
est de l'ordre du genre. Cette disposition « l'autorisation à » doit se trouver, au-delà de la
permission individuelle et /ou hiérarchique, dans la possibilité réelle d'expérimenter à
plusieurs, d'agir en collectif.
255
Comme nous l'avons compris soit dans l'étude de la citoyenneté politique des
femmes (Chapitre 2), soit dans la non-dissociation de l'émancipation individuelle et collective
(Chapitre 4), le modèle de citoyenneté d'un sujet individuel-autonome comme sujet
politique et forme dominante de la participation démocratique invalide les personnes
disqualifiées du fait de « leur nature » ou d'une subordination statutaire ou historique. Ce
modèle et ce cadre de pensée ôtent la perspective ou le potentiel commun d'action. Il est
aussi une expérience consciente ou non de la culture dominante : l'expérience de la
disqualification dans une société pourtant fondée sur le principe de l'égalité des individus. Ce
que nous a montré l'étude de la continuité entre les sphères privées (rapportées à ce qui ne
peut faire commun ou semblable) et les sphères publiques (ce qui est référé comme pouvant
être partagé et délibéré) dans un cadre professionnel, c'est la dynamique retrouvée, libérée
entre des personnes aux capacités et aux statuts divers.
Cette jonction, nommée « continuité », permet ou oblige à associer au fil du
déroulement des questions ou des actions, des considérations venant troubler les
classifications, les ordres de pensée qui habituellement deviennent des empêchements ou
des autorisations pré-établies. Cette continuité est présente dans les formes et les objets
retenus pour faire intervention collective en travail social. La possibilité de cette continuité
représente à proprement parler une réalité politique au sein de l'action publique ainsi
engagée. Elle permet l'inscription dans l'action publique du travail sur « la solitude », « le
mieux être », « les compétences parentales », « les violences faites aux femmes » ... ou dans
les orientations des politiques locales de ces « objets ». Ces pratiques comme manières de
faire spécifiques contreviennent à l'ordre managérial institué, aux pratiques gestionnaires
appliquées à cette action publique.
C'est dans ce sens que nous avons compris et retenu le constat formulé par la
représentante de l'Association des directeurs d'action sociale et de santé (ANDASS), MariePaule Cols :
« Dans un contexte d'augmentation de la précarité et du nombre de
personnes bénéficiaires de droits sociaux, cette logique de gestion par dispositif s'est
256
accompagnée d'une segmentation, spécialisation de plus en plus fine au service
d'une meilleure efficacité supposée, qui dans les faits se traduit trop souvent par la
gestion de « stocks » d'individus mis sous contrôle de manière implicite sans que soit
véritablement ni voulu, ni énoncé cet objectif. Cette réalité est aux antipodes des
valeurs qui sous tendent l'entrée des travailleurs sociaux dans ce métier. L'écart
devient insoutenable individuellement et collectivement et constitue l'un des
éléments essentiel de la perte de sens. [ …] Il ne s'agit pas de remettre en cause les
dispositifs qui constituent un progrès social pour de nombreuses personnes en
situation de précarité ; il s'agit surtout d'interroger la place à laquelle ont été mis
les travailleurs sociaux dans ces dispositifs et les pratiques gestionnaires qui les ont
accompagnés » (Rapport EGTS, 2015).
En interrogeant les places et les pratiques de références, ce point de vue rejoint
l'analyse de la perspective politique qui sous-tend l'intervention sociale conçue et comprise
comme un élément constitutif du développement durable. Cette perspective implique une
construction démocratique de la proximité entre sphère politique, sphère sociale et sphère
professionnelle. Ce réagencement nous paraît présent sous l'angle de la publicisation des
interventions collectives et constitue le second point clé identifié pour la continuité entre les
sphères.
5.3.3. La publicisation des actions
En effet, c'est dans le rapport à la dimension politique des interventions collectives et dans
l'effectivité d'exercice de la citoyenneté politique des personnes/du public que se jouent
l'autorisation et le développement des interventions collectives en travail social (conclusion
du Ch 4). Nous avons donc poursuivi l'exploration de la participation politique des
personnes/du public du côté de la publication ou la publicisation de cette action publique.
Entre effet d'annonce et affichage, la participation politique s'apprécie localement
c'est-à-dire dans la continuité manifestée entre la sphère politique et la sphère sociale. La
construction de la proximité que nous avons qualifiée de démocratique entre les sphères
257
implique des apprentissages réciproques issus de connaissances et de compréhensions
partagées des enjeux et des objectifs des personnes/du public. Cela nécessite de
décloisonner « la proximité du travail social » comme lieu dévolu au face à face
professionnel.le.s – usagers ou comme délibération confisquée par des élu.e.s politiques ou
des directions institutionnelles. En retenant « la continuité » comme principe de
communication, il est possible de relier les différentes échelles d'actions (initiatives
collectives, cadres de l'intervention sociale, directions et politiques des départements) et de
suivre les synergies à l’œuvre ou non.
En ayant compris les incidences du travail de publication des données du LaboISIC
réalisé en atelier collectif, nous avons postulé que les modes de publication et de
publicisation des actions collectives portent la trace de cette dimension et font évoluer les
espaces. En effet l'objectif et l'exigence maintenue d'une production alliant l'implication des
participant.e.s ou destinataires du LaboISIC a débouché sur une nouvelle expérimentation
collective. L'expérimentation d'une écriture à plusieurs et fragmentée dans le temps a fait
une nouvelle expérience participante. Les étudiant.e.s s'en sont saisi.e.s et questionnent le
cadre institutionnel de formation qui sépare selon les filières l'accès au LaboISIC. Pour les
un.e.s la participation est inscrite et possible dans le temps de formation en centre et en
stage, pour les autres elle est silencieuse sur le sujet. Les débats sont ouverts sur le maintien
ou le changement de dénomination du LaboISIC. Les cadres pédagogiques impliquées dans
ce travail ont modifié leur présentation de l'espace de recherche comme les invitations à
participer et leur entrée dans la question des interventions collectives. A l'occasion des 10
ans du LaboISIC, un travail conjoint a été fait avec un atelier de rue pour centrer l'approche à
partir des collectifs existants ou non, en questionnant ce qui fait collectif dans la société (Site
du PREFIS, http://www.prefis-lr.fr/group/labo-isic).
L'examen de sites des collectivités et les échanges avec différent.e.s responsables ont
permis de confirmer cette hypothèse. Nous avons ciblé les départements pour leur
responsabilité de chef de file de l'action sociale (Loi du 13 août 2004) et les communes pour
leurs responsabilités de première proximité avec les habitant.e.s. Les modalités de
258
communication des actions collectives (et donc de l'action publique de la collectivité)
prennent des options de publicisation en lien avec les outils de l'éducation populaire :
ateliers de rue, forum des initiatives, théâtre forum, repas citoyen … C'est le cas des trois
départements consultés : Gironde, Forum des actions collectives, 2014, 2017 ; Hérault, Pôle
des politiques d'insertion et Comité consultatif par territoires des allocataires du RSA ; du Val
de Marne. Parmi les exemples cités, certains annoncent sur leur site les actions collectives
des professionnel.les comme un axe de travail des solidarités départementales. C'est le cas
du Val de Marne pour qui les actions collectives « se déclinent en 7 thématiques : économie,
habitat, prévention éducative, prévention des violences conjugales, culture-loisirs, lien social,
dynamisation » en précisant le sens politique de ces actions :
« Le principal bienfait de ces actions réside dans la dynamique de groupe
qu’elles enclenchent. Si les participants n’y trouvent pas nécessairement l’emploi ou
le logement recherchés, ces actions contribuent à redonner à chacun toute la place
qu’il mérite dans notre société. […] Enfin, l’action engagée nécessite que chacun
s’inscrive dans le projet, élabore des objectifs, prenne des décisions, agisse pour la
réalisation concrète du projet. Cette confiance retrouvée dans ses propres capacités
aide chacun à renouer avec une dynamique bien souvent perdue »
(https://www.valdemarne.fr/le-conseil-departemental/solidarites).
Pour des communes et leur CCAS, le travail s'engage autant dans la réorganisation
d'organigrammes que des groupes de travail sur des thématiques engageant une évolution
des pratiques d'accueil. Ceci se joue aussi bien pour des communes de taille moyenne que
des métropoles. Exemples rencontrés : la Direction du Pôle cohésion sociale et solidarité à
Cugnaux en Haute-Garonne (31 000 hb) et la Direction du Département Solidarité et Vivre
ensemble de Montpellier (257 000 hb) dans l'Hérault (Direction qui inclut le CCAS).
Ainsi les différentes modalités relevées construisent un échange des paroles, des
compte-rendus et des suivis de leur intégration dans la politique publique. Ces
manifestations « communicantes » servent à la fois d'assemblée plénière des personnes
concernées et de manifestation publique valorisant les questions traitées. Elles contribuent à
259
un exercice renouvelé de la citoyenneté politique et construisent chemin faisant la culture
commune dans une échelle de proximité locale (commune, pays ou intercommunalité,
département) capable de mobiliser ensemble les différentes parties prenantes d'une action
collective. Elles deviennent les indicateurs d'un développement local en actes. Parallèlement
à ces orientations, les cadres de ces collectivités expriment leur attachement à construire
une transversalité entre le champ de l'action sociale et les autres champs de l'action
publique de leur collectivité d'appartenance. C'est ainsi qu'ils ou elles construisent une
proximité des domaines d'intervention au sein des actions publiques dans une vision globale
entre les différentes directions. Ce faisant, ils et elles s'émancipent des cloisonnements
établis et de l'héritage d'un fonctionnement dit « en tuyaux d'orgue» qu'ils et elles
souhaitent modifier.
Ces observations confirment l'existence d'une mise en mouvement d'institutions et
d'un changement de posture dans le travail social qui implique et impacte toute la chaîne
d'acteurs et d'actrices de l'action sociale. Ceci se formule non plus dans un changement de
posture des seul.e.s professionnel.le.s mais dans un changement de posture institutionnelle
comme nous avons pu l'entendre formuler lors du séminaire de l'ODENORE (novembre
2017). La nouveauté ainsi exprimée par des cadres du travail social énonce clairement une
continuité de posture attendue et recherchée « à plusieurs » dans la cohérence des énoncés,
dans les mises en œuvre. La « posture institutionnelle » ainsi nommée exprime une
implication des acteurs dans une réussite collective de la mission confiée et non plus une surresponsabilisation de personnes liée à l'isolement dans la tâche ou du service. Elle implique
un travail actif de décloisonnement au sein des institutions et entre elles sur un territoire
d'actions ou reconnu de développement local.
Cette orientation mise explicitement sur le choix politique de la participation
démocratique et valorise des pratiques de proximité avec les habitants ou les personnes
concernées (groupe de pairs ; forum de discussion), la perspective étant l'augmentation des
capacités d'autonomie des personnes. Elle s'appuie sur les capacités professionnelles qui
« savent accompagner avec et par » le tissu social et économique. Les démarches ainsi
260
conduites font de « la mise en valeur » de l'existant, de l'environnement présent au sens
d'aider à voir les ressources disponibles. Elle conjugue la capacité dialogique de managersencadrant.e.s de proximité avec les savoirs-faire professionnels et réciproquement, elle
reconnaît et indique une proximité ou des croisements avec les lieux d'apprentissages d'une
posture professionnelle qui favorise la prise en compte de demandes singulières, leur
possible traduction dans le temps, les lieux du territoire et dans les agendas professionnels
(Annexe 7).
C'est ce travail conjoint qui dans le paysage institutionnel français est à engager pour
transformer l'action sociale et répondre aux besoins et aux enjeux de démocratisation
contemporains. Ce travail de posture institutionnelle demande un changement collectif du
rapport à la personne-sujet « usager potentiel ou réel de l'action sociale » qui est absent des
mises en œuvre des politiques de solidarité, dans ce que nous avons nommé les étapes de la
décentralisation. Les pratiques (puisque c'est de cela dont il s'agit) ainsi mises en valeur,
intègrent la conception française d'une égalité citoyenne comme préalable d'une
intervention sociale.
Cette posture collective oblige à considérer chaque paramètre d'un développement
local à la lumière de ce préambule et devient la garantie d'un travail politique d'inclusion
sociale. Dans cette compréhension, les professionnel.le.s ne sont plus la cible du changement
à opérer mais doivent redéployer leurs pratiques et leurs compétences pour y contribuer
avec les autres membres de la communauté, du territoire, concernés par la situation
retenue. Ils sont « les alliés de l'intérieur » (Ilunge, Alliance Citoyenne, Marseille 2016). Pour
Alliance citoyenne, la posture institutionnelle est celle « d'une capacité de notre démocratie
à écouter les colères sur le terrain, à les mette en lien, à organiser les mises en commun : on
a des choses à demander ensemble, tout le monde à quelque chose à donner. Il faut
démocratiser l'information, les choix, les réponses » (Marseille 2016).
Dans cette perspective et en compréhension du contexte genré que nous avons
décrit, les analyses de Marc Bessin sur une conception différenciée de la temporalité
prennent une acuité pour tous et viennent s'ajouter à ce qui compte ou ne compte pas, ce
qui est important ou secondaire dans les débats publics. Ainsi une des manières dont se
261
produisent les rapports à autrui dans un registre genré, repose sur le rapport au temps
dévolue à chacun des sexes :
« C’est en effet dans une disponibilité à l’autre et une responsabilité quant à la
perpétuation de la relation que s’élabore le féminin, à l’encontre d’un rapport plus
immédiat et basé sur l’efficace de la relation, établissant le masculin » (Bessin, 2013).
Pour autant comme nous l'avons rappelé, cette conception au féminin du rapport au
temps s'est construite dans des expériences et est utile au travail du social :
« Car les valeurs temporelles du travail social, privilégiant la modulation et la
recontextualisation, la prise en compte du passé pour agir au présent et envisager
un futur plus émancipé pour les usagers, s’appuient sur la durée qui érige un rapport
féminin au temps » (Bessin, 2013).
C'est donc cette temporalité – la durée nécessaire à la relation sociale pour l'action
sociale - qui doit prendre place dans les politiques publiques de solidarité pour faire
« développement social » et qui est admise en termes de savoirs-faire dans les collectivités
que nous avons citées.
Cette intégration nécessite effectivement un changement de posture des institutions
prises dans le mouvement gestionnaire en vigueur actuellement (Chauvière, 2007 ; ANDASS,
EGTS 2015). Elle repose sur une synergie de toutes les forces dans une participation
politique. C'est ainsi que l'intégration de l'action sociale dans toutes les dimensions du
développement d'un territoire est un enjeu collectif et démocratique malgré les mises à mal
actuelles. La prise en compte de la durée nécessaire à l'action sociale se révèle dans une
non-opposition d'une référence sur l'autre et dans son efficience à produire le résultat
escompté en termes de société inclusive.
En conclusion, ce chapitre nous a permis d'explorer le cadre de la participation au
sens politique dans un espace professionnel, celui du travail social et de l'action sociale,
ayant développé des pratiques inclusives, des savoirs-faire au féminin. Nous avons ainsi
262
compris comment ces pratiques s'inscrivent dans une continuité de la citoyenneté politique
au féminin en prenant appui sur des actions collectives, nommées aussi interventions
collectives dans le vocable professionnel et institutionnel. Ces actions sont des vecteurs
d'émancipation (individuelle et collective) pour les personnes parties prenantes de ce travail,
qu'elles soient habitant.e.s, élu.e.s, professionnel.le.s, cadres dirigeants, dès lors que les
pratiques s'appuient sur le principe de l'égalité-relation comme point de départ et comme
posture professionnelle. Dans ce contexte et pour notre monde contemporain, c'est le
changement de « posture institutionnelle » qui devient le déterminant d'un cadre
émancipatoire.
Ainsi en prenant pour vrai dans la durée, les difficultés de mise en œuvre de
l'intervention collective au sein d'un espace professionnel au féminin « par nature » ou « par
histoire » subordonné, il est possible de reconsidérer les compréhensions concernant la
faible part des pratiques d'intervention collective, comme celles de leur soutien et de leur
développement. Ce nouvel examen des éléments de réalisations ou d’invisibilité des
pratiques d'interventions collectives en travail social dans le cadre de cette thèse conduit à
ajouter des éléments en termes d'autonomie et de liberté d'action des personnes
concernées (au sens élargi dans ce chapitre) dans les cadres institutionnels existants
entendus au sens professionnel et politique.
Les expérimentations étudiées (LaboISIC) comme celles présentes au sein de
collectivités publiques qui en font un choix politique plus que social, ont comme point
d'appui un cadre de travail autorisant la création collective, inscrivant les transformations
collectives comme objectifs. Ce faisant, elles autorisent ou prennent le risque de la
transgression du cadre pré-établi en incluant au démarrage du travail la constitution d'un
public. A l'inverse du discours misant sur l'autonomie d'un sujet individuel, rejoindre un
collectif, faire en collectif permet de sortir des assignations ou des disqualifications pour
s'émanciper. L'expérience collective dans l'égalité-relation étudiée sert bien de support
créatif aux pratiques et de lieu d'apprentissage ou de transmission possible de savoirs.
L'analyse ainsi conduite permet de comprendre et de soutenir l'usage du cadre
démocratique pour mobiliser de manière efficiente l'intervention de professionnel.le.s du
263
travail social. C'est l'ensemble de la chaîne d'actrices et d'acteurs qui doit bénéficier de la
participation politique. Ceci clarifié, il nous faut revenir à l'examen des formations
professionnelles du point de vue de la compréhension et de l'accès à la citoyenneté
politique. Comment les formations en travail social préparent-elles à des interventions
collectives créatives et émancipatrices des personnes et de leur environnement ?
264
6. La formation professionnelle à l'épreuve du genre
Les chapitres 4 et 5 nous ont permis de comprendre comment se tissent les questions de
participation à partir des pratiques et de l'histoire du champ professionnel du travail social
en prenant pour vrai le dire des personnes sur leur situation. Nous avons compris comment
le cadre collectif constitué par et avec les personnes concernées autorise une sortie des
disqualifications de statuts et de savoir-faire pour s'attacher au savoir-être d'une égalitérelation au sens développé par Pierre Rosanvallon (2011). Ce faisant ces pratiques adoptent
le point de vue de la participation politique au sens de Joëlle Zask (2011). Ces réalisations
reposent sur l'acception de l'exercice de la citoyenneté politique des personnes comme
potentiel émancipateur, elles renouent avec la dimension collective du sujet-citoyen telle que
nous l'avons explorée dans les chapitres qui précèdent.
D'une invention à l'autre, chaque réponse imaginée ouvre un parcours de
transgression collective pour produire à plusieurs une compréhension appropriable au cadre
de vie ou au cadre de travail des participant.e.s. C'est ce processus qui fait œuvre de
transformation sociale dans les situations d'interventions collectives. Dans cet exercice
chaque fois renouvelé par des sujets-individus assemblés volontairement, se construisent
des réponses en contexte qui font leur justesse tout en leur conférant une valeur
d'expérience constitutive d'un savoir commun.
Cette compréhension du mécanisme des expériences traduites en savoirs qui
permettent l'accès à des connaissances utiles et contextuées, comment est-elle intégrée,
reprise dans le champ professionnel ? Il s'agit maintenant d'examiner les questions de
transmission et donc de formation malgré les assignations de genre. Cette perspective
ouverte par les travaux coordonnés par Isabelle Collet et Caroline Dayer (2004) nous a
permis d'imaginer une possible transgression du genre dans les parcours de formation tels
qu'ils sont établis par ailleurs.
265
C'est ce que nous avons examiné à l'échelle des formations en travail social et que
nous développons dans ce chapitre.
Des travaux d'Elsa Gallerand et Danièle Kergoat, nous avions retenu la nécessaire
attention aux conditions de la situation de l'emploi des femmes par secteur comme
conditions aussi de leur émancipation, ce que nous avons particulièrement décrit dans le
travail du LaboISIC. Cette compréhension fait écho à l'attention portée par Fabienne Brugère
aux conditions d'émergence favorisant les possibilités d'agir des êtres humains (Brugère,
2014). Ces deux points de vue nous ont conduit à nous interroger sur la prise en compte des
connaissances et des savoirs issus des interventions collectives observées précédemment
dans le champ professionnel voire au-delà. Au préalable nous rappelons en quelques lignes
la compréhension retenue.
Le travail social est compris comme une action collective de la société sur elle-même
au moyen de politiques publiques de solidarité et de professionnel.les dédié.e.s à cette
intervention. Cette action telle qu'elle est définie au Code de l'action sociale et des familles,
reconnaît pour toute personne l'ensemble des droits fondamentaux attachés à la dignité
humaine dont l'égale inclusion à la société et l'exercice de la citoyenneté en constituent
l'effectivité (article D. 142-1-1 du CASF, décret n° 2017-877 du 6 mai 2017) :
« Le travail social vise à permettre l'accès des personnes à l'ensemble des
droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine
citoyenneté. Dans un but d'émancipation, d'accès à l'autonomie, de protection et de
participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des
approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social
et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des
personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement ».
Le rappel fait du positionnement du travail social dans l'action publique et de sa
légitimité inscrite dans le cadre réglementaire des institutions démocratiques, nous
266
poursuivons notre travail de recherche (socio-historique et du genre) afin de discuter la
notion d'intervention collective en travail social telle qu'elle est promue aujourd'hui.
A partir des clarifications produites sur les similitudes et les convergences entre les
termes d'action collective et d'intervention collective en travail social, nous souhaitons prêter
attention à leur développement. Comment se réalise ce travail de l'égalité de relation entre
des personnes adultes faisant société ? Comment se poursuit le travail de transmission de la
culture d'une égalité-relation, ce possible exercice pour tous dans une société d'adultes ?
Nous pouvons dire au terme des chapitres qui précèdent, qu'il s'agit à la fois d'un entretien
et d'un exercice qui là où il existe, se développe et se réalise envers et contre le genre.
Les dernières observations réalisées à partir du travail social au sein d'espaces de
formation, permetent de conclure sur un double effet des interventions collectives : ces
interventions agissent directement sur les valeurs genrées des processus d'encadrement, et
sur celles de la participation en autorisant une cohabitation de valeurs, une mixité de
références à l'intérieur des dispositifs, l'adoption d'une éthique du care. Les cohabitations
sont génératrices à leur tour d'un potentiel de transformation sociale et démocratique. Pour
autant, elles nécessitent une prise de conscience des sphères d'encadrement et un travail
volontaire à engager, ceci en raison même de l'ordonnancement hiérarchique institué entre
les professions après la seconde guerre mondiale. Cette culture de la division scientifique du
travail importée du monde industriel (voir chapitre 3 sur la construction de la
professionnalisation) est un empêchement au processus de continuité nécessaire entre les
actrices et acteurs des interventions collectives dans une perspective émancipatrice.
Dans un premier temps, nous présentons la formulation des interventions collectives
pour la discuter et permettre de repérer son insertion dans les référentiels de formations du
travail social. Puis nous nous intéressons plus particulièrement au niveau de l'encadrement
pour examiner comment se décline ou non cette notion dans le champ professionnel. En
conclusion, nous montrons comment ces observations peuvent rejoindre les débats et
évolutions proposées dans le cadre du travail des EGTS par le groupe « Développement social
et travail social collectif » en vue de promouvoir un développement durable (EGTS, 2015).
267
6.1. L'intervention
collective
pour
quelle
perspective
professionnelle ?
La formulation d'intervention collective appartient au langage professionnel du secteur. Des
analyses de situations des chapitres qui précèdent nous retenons que cette formulation
emboîte malgré elle sous l’appellation technique et méthodologique une infériorisation
politique invisibilisée. Cette infériorisation correspond à la non valeur politique de cette
action publique au moment de son émergence, entérinée par l'absence de citoyenneté
politique des femmes. De ce fait la structuration du travail social en France faite par le champ
professionnel dans une subordination-domination à l'Etat social se reproduit au sein de la
division sexuée du travail femme/homme. La subordination seule pourrait être en soi un
mode d'organisation et d'articulation des relations des politiques publiques au sein de l’État
social, ce qui est discutable « en égalité de relation » c'est le caractère dominant de cette
relation qui produit et reconduit l'infériorisation des personnes dans un même ensemble
(professionnels-bénéficiaires).
Cette construction inscrite dans l'histoire du travail social, installe le silence sur la
dimension politique de cette action dans les formations du travail social et sur la dimension
nécessairement collective de ce travail. Comme nous l'avons montré, le travail social est à la
fois l'émergence d'une politique publique de solidarité nationale et le travail d'émancipation
d'un corps social composite qui ne peut être réduit à une catégorie qu'elle soit celle des
femmes, des professionnel.les d'un secteur, des pauvres ou des exclus, des ayants-droits. La
dimension contributive de cette participation « seule » omet la dimension prendre part des
parties-prenantes de l'action et les inscrit dans une conception des bénéfices inégale. C'est la
participation démocratique pourtant recherchée qui est ainsi empêchée.
La dénomination intervention collective développée depuis plusieurs années au sein
du secteur par le CSTS (1988, 2010), par l'IGAS (2005) et par les réformes des DE (depuis
2004) peut se lire comme une tentative collective de réhabilitation et de réappropriation de
la capacité collective de cette action publique. Pour autant la démarche de légitimation de
cette intervention s'inscrit dans le régime des techniques et des méthodologies
268
d'intervention. Cela n'est pas faux en soi mais limite la portée de cette intervention en
passant sous silence la capacité politique directe à savoir, la capacité transformatrice liée à la
liberté d'action collective et à l'imaginaire créatif qui va avec. Dans le premier cas, il s'agit de
qualifier des intervenant.e.s en savoirs pratiques (y compris conceptuels) pour savoir
intervenir avec des publics souvent désignés ou déjà catégorisés ; dans l'autre, il s'agit de
concevoir une action ouverte à la pluralité des actrices et des acteurs d'un territoire dans une
dimension première de contribution citoyenne. Il ne s'agit pas ici d'opposer une dimension à
l'autre mais de souligner la nécessaire considération du référentiel d'égale contribution
citoyenne et de sa puissance. C'est cette référence qui permet d'activer l'émergence
d'initiatives collectives porteuses de leurs propres logiques d'action capables en retour
d'interroger les politiques publiques comme cela a pu être précisé dans le rapport du CSTS
(2010, p 64).
A contrario, l’appellation « d'intervention sociale d'intérêt collectif, ou encore ISIC »
(CSTS, 1988) fortement nourrie au sein de l'espace professionnel et défendue comme une
spécificité française (Bouquet-Dubasque, 2009) poursuit le travail de légitimation dans le
registre professionnel. Ce faisant, elle laisse le travail social à la place d'échelon intermédiaire
dans la représentation collective instituée : celle d'une action collective professionnalisée
valorisant une technicisation de cette intervention sociale, au côté de l'intervention
individuelle, dans la hiérarchie des rapports sociaux admise et reconduite.
Cette énonciation sous l'angle de deux formes d'intervention est dommageable, elle
alimente la pensée duelle, le régime des complémentarités ou des oppositions entre l'une ou
l'autre de ces formes en lieu et place d'une valorisation politique de l'intervention sociale et
sa mise en discussion contemporaine. C'est ainsi que l'adoption sans préambule de cette
terminologie au sein d'un séminaire de doctorant.e.s suscita le questionnement d'un
chercheur présent : « Peut-il y avoir de l'intervention sociale sans intervention collective ? ».
Arrivée au terme de cette recherche, l'interrogation de Serge Ebersold a su trouver sa
place dans toute l'analyse du travail social produite sous l'angle du genre. Cette
dénomination est possible du point de vue d'un travail social genré, elle intègre la
269
disqualification politique initiale de l'initiative citoyenne (au sens du non-droit d'agir en
collectif public au féminin). Pour autant elle cherche ainsi sa requalification dans une
dimension contributive plutôt que réparatrice. C'est cette énonciation qui est le travail
engagé de part en part aujourd'hui et qui participe d'une émancipation collective et
individuelle continuée.
Comment cette énonciation se réalise-t-elle ? Est-elle réellement publicisée ? Où
peut-elle être effective ? Comment - en contexte de disqualification - attester de productions
d'actions contributives ou facilitatrices d'espaces collectifs publics de création-résolution de
questions sociales locales conflictuelles ou non ? Nous l'avons vu, ce potentiel existe dans un
volontarisme de nature politique qui pense la continuité dans la chaîne des acteurs des
interventions sociales collectives au chapitre qui précède. Il nous a semblé nécessaire de
rechercher cette dimension dans les contenus des formations en travail social, ce dont nous
rendons compte à partir de l'étude des référentiels de formation. En effet, notre recherche
poursuit l'approche privilégiée par les sciences humaines et sociales, à savoir l'étude des
matériaux disponibles et constitués par les actrices et acteurs du domaine concerné, ici le
secteur de la formation.
Les référentiels de formation ont constitué une nouvelle source d'exploration pour
repérer la transmission des savoirs ou leurs apprentissages dans une perspective que nous
qualifions d'utile au développement d'un travail social inscrit dans une visée démocratique,
ce qu'Edgar Morin appelle « une connaissance pertinente », c'est-à-dire « capable de saisir
les problèmes globaux et fondamentaux pour y inscrire les connaissances partielles et
locales » (Morin, 2006). Pour notre sujet, il s'agit de poser comme principale la dimension
collective de la citoyenneté aux côtés de la dimension individuelle dans l'exercice politique.
Nous avons donc élaboré une grille de lecture nous permettant de rendre compte d'une
échelle d'attitude à partir de ce que nous avons retenu comme composantes principales. Ce
faisant, nous précisons cette utilisation dans les lignes qui suivent selon les
recommandations d'Alain Degenne (1972) : « Chaque échelle est le résultat d'une
270
élaboration théorique qui lui donne son sens et qu'il convient de retourner à la source pour y
trouver cet élément indispensable à l’interprétation des résultats ».
Dans un premier temps nous avons identifié dans les référentiels d'activité et de
formation de niveau V au niveau I des formations du secteur, quels intitulés permettaient de
faire référence à un travail collectif dans le sens où nous l'avons établi : exercice d'une
citoyenneté politique ; fabrication ou contribution à une politique publique ; co-élaboration
ou partenariat.
Cette première lecture permet d'étudier les énoncés en matière d'intervention
collective en regard des items retenus pour chaque niveau de formation. Selon les textes
réglementaires de chaque formation, pour une référence les éléments correspondants ne
sont pas inscrits au même endroit dans la déclinaison des référentiels. La graduation va donc
d'un énoncé dès le référentiel d'activité à un domaine de compétences clairement nommé
en passant par une déclinaison au sein d'un domaine de compétences. Pour illustration, la
référence « Permettre/favoriser l'exercice de la citoyenneté politique » présentée dans le
tableau ci-dessous, se trouve présente soit dans le référentiel d'activités (exemple des TISF,
Technicien et technicienne de l'intervention sociale et familiale), soit dans l'intitulé du
domaine de compétence (exemple pour les AES, Accompagnant éducatif et social), soit
comme un élément constitutif d'un domaine de compétences référencé sous une autre
activité (exemple chez les ME, Moniteur et Monitrice Éducateur, ou pour le CAFERUIS,
Encadrant/Encadrantes et responsables d'unité d'intervention sociale), soit éventuellement
absente (exemple DEIS) comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau 3 : Formulations par niveau de formation de la référence à l'exercice de la citoyenneté
politique
Niveau de la formation
Niveau 5 –
Déclinaisons par formation
AES, référentiel d'activités 4 : « Participer à l’animation de la vie sociale et
citoyenne de la personne », point 4.3 « Soutenir la participation citoyenne et
l’inscription dans la vie de la cité » et point 4.6 : « Rappeler les règles d'activités
271
dans les lieux de vie considérés pour faciliter une inscription citoyenne dans la vie
de la cité » ; domaine de compétences 4, et les 4 items du socle commun : «
Participer à l’animation de la vie sociale et citoyenne de la personne », 4.1
« Faciliter la vie sociale et citoyenne de la personne », 4.2 « Coopérer avec la
famille et l’entourage pour l’intégration sociale et citoyenne de la personne et se
situer en tant qu’interface », 4.3 « Accompagner la personne dans la mise en
œuvre des activités collectives en suscitant sa participation », 4.4 « Accompagner
la personne dans son affirmation et son épanouissement ».
Niveau 4 -
TISF, référentiel d'activités 3 : « Aide à l’insertion dans l’environnement et à
l’exercice de la citoyenneté » ; domaine de compétences 4 : « Transmission des
savoirs et des techniques nécessaires à l’autonomie des personnes dans leur la vie
quotidienne » et point 4.2 « Favoriser l’appropriation des actes du quotidien et du
cadre de vie ».
ME, point 2.1 du référentiel d'activités : « garantit la place et la parole de chacun
au sein du collectif » et point 2.4 : « favorise l'autonomie et la promotion des
personnes et des groupes en créant des situations et des opportunités
d'interaction avec l'environnement social » et 2.4.1 « inscrit les personnes et les
groupes dans une dimension citoyenne ».
Niveau 3 -
ASS, points 1.1 et 1.2 du référentiel d'activités 1 : « Entrer en relation/se mettre à
disposition d'une personne et recueillir des éléments de connaissance permettant
la compréhension de sa demande », « Informer la personne sur les procédures, les
différents acteurs, l'accès aux droits, à la santé » ; dans le domaine de compétences
1 : 1.1.2.
« Savoir
clarifier
personne », 1.1.3. « Savoir
les
difficultés
identifier
les
et
les
aspirations
potentialités
d'une
d'une
personne », 1.2.3.« Savoir mettre en œuvre des stratégies (environnement,
ressources, contraintes, etc.) », 1.4.4.« Savoir développer l'aide mutuelle »,
1.5.1. « Savoir faire émerger les demandes d'une population », 1.5.2. « Savoir
négocier les priorités d'action avec tous les partenaires pertinents et en formuler
les objectifs », 1.5.3. « Savoir apporter un appui technique à l'action des groupes et
populations mobilisées », 1.6.3. « Savoir traduire les attentes des habitants en
actions », 1.6.4. « Savoir comprendre les enjeux politiques et institutionnels ».
CESF, référentiel d'activités 1 : « Conseils et/ou actions pour améliorer et gérer les
domaines de la vie quotidienne », « Repérage, analyse et élaboration de
272
propositions pour la gestion quotidienne de l’environnement » ; domaine de
compétences 1, points 1.3 et 1.5 « Assurer auprès des personnes, des groupes, des
institutions, des actions de conseil et/ou d’information pour aider aux prises de
décision », « Concevoir, élaborer des projets pour la gestion locale de
l'environnement avec les habitants et les institutions ».
EJE, référentiel d'activités 2, « Établir une relation, élaborer et mettre en œuvre le
projet éducatif en coopération avec les parents », points 1 et 2 : « Accueillir les
familles dans leurs singularités, travailler les liens et les relais avec les parents »,
« Reconnaître et faciliter au quotidien la place et la responsabilité des parents.
Valoriser ou soutenir les compétences parentales » ; domaine de compétences 1
« Accueil (et accompagnement) du jeune enfant et de sa famille », et point 1.2.
« Reconnaître et faciliter au quotidien la fonction parentale » développé dans les
quatre items : « Savoir reconnaître à tout parent une place éducative », « Savoir
définir, avec la famille, le projet d'accueil et d'accompagnement dans une
démarche de coéducation », « Savoir créer les conditions d'accueil et d'échange
avec et entre les familles », « Savoir soutenir (faciliter, encourager, valoriser)
chaque
parent
dans
sa
fonction
d'éducation».
ES, points 2.1, 2.2, 2.3, 2.4 du référentiel d'activités 2 (accompagnement éducatif
de la personne ou du groupe) : « Mobilise les ressources de l'environnement de la
personne ou du groupe », « Mobilise les ressources de la personne ou du groupe et
développe ses capacités », « Exerce une fonction symbolique permettant la
distinction des rôles et places dans une société ; rappelle les lois et règles sociales
permettant à la personne ou au groupe de s'y inscrire en tant que citoyen »,
« Accompagne la personne ou le groupe dans la construction de son identité et de
sa singularité dans le respect le plus large possible de ses choix et de son
intimité » ; points 1.1, 1.2, 1.3 du domaine de compétences 1 (accompagnement
social et éducatif spécialisé) : « Instaurer une relation », « Favoriser la construction
de l'identité et le développement des capacités », « Assurer une fonction de repère
et d’étayage dans une démarche éthique ».
ETS, points 1.1, 1.2, 1.3 du domaine de compétences 1 : « Instaurer une relation »,
« Favoriser la construction de l'identité et le développement des capacités sociales
et professionnelles », « Assurer une fonction de repère et d’étayage ».
273
Niveau 2 –
CAFERUIS, points 1.2 et 1.2 du référentiel d'activités 1 (Concevoir et mettre en
œuvre le projet du service ou de l’unité) : « Animer le repérage des besoins des
usagers, des ressources de l’environnement, des moyens », « Élaborer le projet en
concertation avec l’équipe et la direction en prenant en compte le projet de la
structure et l’expression des usagers » ; point 2.3 du domaine de compétence 2,
(Expertise technique) : « Être en capacité d'apporter un appui technique aux
intervenants en référence aux cultures et aux pratiques professionnelles, aux
problématiques liées à l'éthique et à la déontologie ».
Niveau 1 -
CAFDES, points 2.2 et 2.5 du référentiel d'activités 2 (Définition et conduite d’un
projet d’établissement ou de service à visée stratégique et opératoire) : « Identifier
les besoins et les attentes des usagers et mettre en œuvre des réponses
adaptées », « Promouvoir et garantir l’expression des usagers et l’exercice effectif
de leurs droits » ; points 1.1 et 1.5 du domaine de compétences 1 (Élaboration et
conduite stratégique d’un projet d’établissement ou de service ) : « Élaborer un
projet d’établissement ou de service en cohérence avec le projet de la personne
morale gestionnaire et avec les besoins et attentes des usagers », «Garantir
l’exercice des droits et des libertés des usagers ».
DEIS,
référence
esquissée
dans
le
contexte
de
l'intervention
professionnelle (préambule à tous les référentiels), « Ces fonctions et les
compétences associées ont pour caractéristique de s’appuyer sur des démarches
de coproduction, à l’interne et à l’externe des organisations » puis non
mentionnée.
Légende des sigles :
AES : accompagnant.e éducatif et social ; TISF : technicien.ne de l’intervention sociale et familiale ; ME : Moniteur.trice éducateur.trice ; ASS : assistant.e de service social de service social ; CESF : conseiller.ère en économie
sociale familiale ; EJE : éducateur.trice de jeunes enfants ; ES : éducateur.trice spécialisé.e ; ETS : éducateur.trice
technique spécialisé.e; CAFERUIS : Certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité
d'intervention sociale ; CAFDES : certificat d’aptitude aux fonctions de directeur/directrice d’établissement ou
de service d’intervention sociale ; DEIS : Diplôme d’État d’ingénierie sociale.
Plusieurs étonnements sont apparus à la suite de cet examen approfondi de chaque
référentiel. Tout d'abord un décalage concernant les références identifiées et l'effectivité de
leur traduction dans les référentiels de formation. Il y a donc bien un écart entre une
référence implicite de citoyenneté qui se décline plus ou moins dans la compétence partagée
274
« établir une relation». Cet écart confirme les orientations variant selon les réseaux, les
trajectoires des personnes et les options des équipes pédagogiques en local (Jouffray,
Bousquet, 2008). D'après notre travail et la littérature sur la citoyenneté, il ne peut y avoir de
dissociation entre subjectivation des personnes et exercice de la citoyenneté. Pour autant le
terme de citoyenneté est absent de certains référentiels quand bien même le travail de
subjectivation est énoncé à des fins éducatives ou de socialisation.
Cette analyse serait à poursuivre plus finement par des entretiens, cependant elle
confirme à ce premier niveau « le silence » sur la dimension politique du travail de
subjectivation des personnes dans la formation professionnelle. Pour mémoire, rappelons
que la finalité « exercer une pleine citoyenneté » est énoncée dans la définition du travail
social signalée au démarrage de ce chapitre (CASF, 2017).
L'analyse des formulations par références a ensuite permis de mesurer la place prise
dans la formation pour chaque élément, son importance première ou sa subsidiarité. Si les
différentes références sont présentes dans les formations, leur positionnement différencié
est une manière de souligner les orientations de chacune d'elles. Plusieurs facteurs peuvent
avoir jouer sur ces variations. A titre d’indication, nous pouvons signaler l'année de
production des textes ou l'antériorité acquise sur la déclinaison entre référentiels d'activités,
référentiels de compétences et référentiels de formations. Nous savons aussi que le jeu des
acteurs compte dans cette distribution au sein de ces travaux, leur attachement à certaines
valorisations « identitaires » d'un métier a aussi été un déterminant au détriment d'une visée
plus transformatrice de la collectivité dans son ensemble. Ces dissonances se retrouvent
encore aujourd'hui dans les fluctuations de la réforme en cours (Réingénierie des diplômes
adoptée par la CPC en janvier 2018, applicable en septembre 2018).
Ainsi nous avons supposé à partir du système de graduation en usage, qu'une
référence présente dès l'énoncé dans le référentiel d'activité pouvait trouver une continuité
dans les différentes strates de la construction de ladite formation. Inversement, une
référence ou sa déclinaison trouvée « seulement » à l'intérieur d'une strate de la
construction pouvait difficilement jouer une fonction d'entraînement sur les autres. Ceci
275
nous a conduit à repérer la valeur prise par chaque intitulé dans les différentes formations,
leur présence cumulée ou non, pour déterminer au final un indice de chaque référence en
matière de savoir agir en collectif, au sens d'une compétence construite.
Puis nous avons établi une grille de notation de 6 à 1 qui nous permette de considérer
la valeur attribuée dans une formation et de comparer ces valeurs entre les formations. Si
l'intitulé est au plus proche de la référence que nous avons retenue et déclinée dans les trois
strates identifiées (énoncé dans le référentiel d'activité, d'un domaine de compétence, d'un
item de compétence), la notation sera de 6, soit 2 points par strate plus 1 point de
majoration pour souligner la visibilité réelle. Si la référence est présente dans plusieurs items
de compétences mais absente dans l'énoncé d'une des strates, elle est plafonnée à 2 points
quel que soit le nombre d'items. Si la référence est présente en énoncé de strate mais
absente ensuite dans les items, elle ne bénéficie que d'1 point. Cela nous a obligé à étudier
les différentes formulations pour rester sur la notion en tant que telle.
Exemple : la référence directe à l'exercice de citoyenneté est à distinguer de notions
socialisantes ou pédagogiques. Très vite, nous nous sommes aperçus que seule la référence à
l'exercice de la citoyenneté était soumise à des variantes importantes dans les énoncés.
Ensuite le consensus est fort pour l'ensemble des trois autres composantes et s'exprime dans
des termes récurrents selon les différents échelons professionnels :
- se situer en tant que professionnel dans le champ de l'action sociale, contribuer à la
mission institutionnelle, participe au dispositif institutionnel ;
- participer, contribuer ou élaborer et conduire un projet d’établissement ou de
service ;
-
instaurer
une
coopération
avec
la
famille
et
les
proches,
co-
élaborer un plan d'action avec la personne, s'inscrire dans un travail d'équipe, assurer
en équipe la cohérence de l'action en coopération.
276
Au final, pour ces trois dimensions de l'intervention collective, seul le niveau de
responsabilité (« contribuer » ou « définir») dans l'action modifie parfois l'énoncé toujours
clairement présent comme le recense le tableau ci-dessous.
Tableau 4 : Construction d'un savoir agir collectif par la formation en valeur comparée
compétence
Niveau 5
Niveau 4
Niveau 3
Niveau 2
Niveau 1
AES
TISF - ME
ASS-CESF-EJE-
CAFERUIS
CAFDES-DEIS
2
3 - néant
7
7-7
7
7- 7
7
7- 7
23
24 - 21
ES-ETS
7
Permettre/favoriser
l'exercice
de
6-1
la
3-3-4
3-2
citoyenneté politique
Fabrication
ou
7
7-7
contribution à une
7 – 7- 7
7-7
politique publique
Fabrication
contribution
ou
à
7
7-7
un
7 – 7- 7
7-7
projet collectif
Intervenir
en
situation
de
7
7-7
7–7–7
7-7
coopération
Total
de
points
cumulés par niveau
de formation
28
27 - 22
24 – 24 – 25
24 - 23
Légende des sigles :
AES : accompagnant.e éducatif et social ; TISF : technicien.ne de l’intervention sociale et familiale ; ME : Moniteur.trice éducateur.trice ; ASS : assistant.e de service social de service social ; CESF : conseiller.ère en économie
sociale familiale ; EJE : éducateur.trice de jeunes enfants ; ES : éducateur.trice spécialisé.e ; ETS : éducateur.trice
technique spécialisé.e; CAFERUIS : Certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité
d'intervention sociale ; CAFDES : certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service
d’intervention sociale ; DEIS : Diplôme d’État d’ingénierie sociale.
277
Ainsi il y a bien une construction des formations dans la référence aux politiques
publiques et dans leur mise en œuvre par des savoirs fonctionnels. Cette déclinaison
unanime et l'écart avec les variantes de « l'exercice de la citoyenneté » repéré en premier
lieu, nous renvoie à la construction des professions selon les fonctions (celles-ci précédant le
référentiel d'activités).
Dans l'analyse de ce que nous avons identifié comme constitutif d'un savoir agir
collectif, paradoxalement la référence « exercice de la citoyenneté » diminue avec la montée
en hiérarchie. Il importe de souligner ici que cette mention n'est jamais absente des
référentiels, mais qu'elle procède dans les niveaux 3 et au-delà comme d'un allant de soi qu'il
suffit de rappeler dans un préambule ou de nommer à l'intérieur d'un domaine de
compétences nécessitant cette implication. Afin d'approfondir la compréhension de cette
observation, nous avons recherché les mécanismes du processus de référentialisation que
nous avions mobilisé.
Ce processus est étudié par les sciences de l'éducation et Jean-François Marcel et
Marie-Hélène Bouillier-Oudot parle « d'un hiatus entre valeurs et technique ». Sans
développer ici l'ensemble de leur recherche, nous avons retenu deux éléments de
clarification. Le premier élément permet de déployer la complexité d'un référentiel tout
autant que sa validité opérationnelle. Ils soulignent l'articulation entre « trois processus
contributifs », ceux de prescription, d’appropriation et d’interaction. Le second élément
indique l'improbable articulation entre valeurs et technique si l'accord ne préexiste pas sur
les valeurs :
« Lorsqu’un désaccord axiologique existe, il fait irruption dans la phase
technique et parvient à la bloquer. Tous les efforts consentis pour aboutir à un
consensus se sont avérés caduques : aucun accord n’est possible au niveau technique
en cas de désaccord au niveau axiologique. La seule voie serait de prétendre dissocier
le technique et l’axiologique, couper le projet des valeurs, ce qui non seulement est
illusoire mais lourdement pernicieux ». (Marcel, Bouillier-Oudot, 2011).
278
Cette analyse est à retenir de notre point de vue pour expliciter les tensions, voire les
conflits qui s'expriment dans la chaîne des actrices et acteurs de l'intervention sociale autour
du sens de l'action et des priorités revendiquées de part et d'autre. La difficulté ainsi
énoncée peut s'ajouter et enrichir l'analyse des dynamiques professionnelles que nous avons
décrites au chapitre 3, à savoir examiner comment la professionnalisation « par le haut »
associe une perte d'expertise des professionnel.le.s ou si à l'inverse elle associe opportunité
d'amélioration ou de redistribution dans la division du travail (Demazières, 2012). Dans cette
perspective, les référentiels « mobilisés » comme cadre de l'exercice professionnel sont-ils
une opportunité pour contribuer à un savoir agir collectif ?
En gardant en mémoire cette perspective, et l'analyse compréhensive de la difficile
appropriation d'un savoir agir collectif au sein des différentes formations, nous avons repris
l'étude de la formation au DEIS présentée au chapitre 3, énoncée comme une tentative de
réponse collective pour sortir de la segmentation identifiée, harmoniser des logiques
reconnues disjointes afin de mieux saisir son positionnement, ses apports possibles dans
l'encadrement .
6.2. La formation au DEIS, pour quel encadrement ?
Ce dernier questionnement dans le cadre de la thèse nous a conduit à revenir sur la
particularité du diplôme d'ingénierie sociale que nous avions évoqué au chapitre 3 pour
examiner plus précisément son potentiel par rapport au secteur professionnel et pour lequel
nous avons formulé une nouvelle hypothèse : « L'ingénierie sociale serait-elle propice à une
construction des interventions collectives ? En plus et en dehors des « savoir-faire » en
intervention collective des professionnel.le.s du travail social, existe-t-il une manière de
penser un encadrement a-hiérarchique de ces actions ? La formation au DEIS a-t-elle cette
dimension ? Comment peut-elle répondre à cette fonction ? Nous avons tenté d'analyser la
situation en croisant les données du groupe de travail de la DGAS sur ce diplôme et les
données recueillies sur un terrain d'enquête accessible localement.
279
Cette enquête complémentaire a été possible à partir de l'initiative de la responsable
de formation DEIS à l'Institut de formation des cadres de l'économie sociale (IFOCAS) de
Montpellier. Celle-ci a souhaité proposer un enseignement sur les études de genre dans la
recherche en travail social pour favoriser une prise en compte de cette dimension dans les
études de terrain et les mémoires à venir. L'opportunité ainsi formulée a permis de mener
l'enquête auprès de 5 promotions (de septembre 2015 à février 2018) et de construire une
enquête micro-locale. Sur les 33 étudiant.e.s dont 17 femmes et 16 hommes rencontré.e.s,
les données exploitées concernent 4 promotions soit 28 fiches parcours pour 14 femmes et
14 hommes (le premier groupe promotion ayant servi de test).
Dans cette enquête, il s'est agi d'identifier les motivations d'entrée en formation de
candidat.e.s déjà expérimenté.e.s en travail social. En effet l'accès des candidat.e.s à la
sélection du DEIS nécessite pour les titulaires d'un diplôme de niveau 3, post-bac, entre 3 et
5 années d'expérience professionnelle dans le domaine de l'intervention sociale. Ceci
concerne 84 % des entrants en formation DEIS selon L’enquête annuelle sur les écoles de
formation aux professions sociales (DREES,2014). Les motivations ont été recueillies à partir
d'une fiche trajectoire proposée à chaque promotion au démarrage du cours (Annexe 8). En
souhaitant interférer le moins possible du point de vue du genre sur le remplissage des
données, il s'agissait d'obtenir des informations sur les trajectoires professionnelles des
étudiant.e.s DEIS.
Les données rassemblées (sur un total de 28 fiches) ont permis de disposer d'un
matériau pour établir des items de motivations. Dans un second temps nous avons analysé
les items présents pour examiner leur congruence ou non avec les indicateurs genrés issus de
notre propre recherche : promotion professionnelle et émancipation, promotion
professionnelle et hiérarchisation. Il est certain que l'analyse nécessiterait des
approfondissements en termes de nombre et de croisements avec d'autres formations à
l'encadrement du secteur, pour autant cette première approche est porteuse d'indicateurs
enrichissant notre recherche. Elle permet d'énoncer l'existence d'un choix motivé par les
280
candidat.e.s (28 volontaires) et la notion d'une continuité d'action - versant actualisation ou
approfondissement - avec le métier de départ.
Les items (présentés ci-dessous) ont été établis en conservant la formulation
principale des répondant.e.s. Il était en effet possible de rassembler toutes les réponses de
motivations sous un seul terme générique de « besoin de formation ». Cependant la lecture
attentive des verbatims retraçant le point de vue des personnes a permis de repérer des
nuances. Les formulations font la distinction entre un besoin de formation pour comprendre
et agir dans un environnement qui a évolué et qui évolue de manière constante : se former
pour s'adapter, acquérir de nouveaux outils ou de nouvelles connaissances, soit autant
d'arguments qui indiquent explicitement un maintien ou un développement des
compétences professionnelles de personnes en poste. Autant d'autres formulations ciblent
directement des enjeux spécifiques qui pouvaient se croiser ou non avec des enjeux de
mobilité professionnelle et de promotion sociale, ce pourquoi nous les avons dissociés pour
les réunir dans un second temps.
Nous avons donc retenu trois orientations : un besoin de formation réflexive et
approfondie adossé aux politiques publiques – un désir de changement de poste ou de
mission nécessitant des connaissances ou des compréhensions supplémentaires – une
volonté d'agir sur les dispositifs en conservant voire « en restaurant » une éthique
professionnelle.
281
Tableau 5 : Formation DEIS/ Motivations par items et par ordre de priorité
Besoin de formation -
1er énoncé
Item nommé en second
Total par item
15
5
20
9
2
11
4
1
5
28
8
36
0
2
2
approfondissement
Changer de mission, de
place
Faire évoluer les dispositifs
en lien avec l'éthique
professionnelle
Total des énoncés
Avec
la
mention
d'une
obligation réglementaire ou
de l'employeur
Le nombre de fiches recueillies a permis d'examiner attentivement chaque groupe
ainsi constitué. C'est ainsi que le besoin de formation complémentaire est relié pour plus
d'une personne sur deux « aux politiques publiques » ou à leurs « conducteurs » (20 fiches
sur les 28), dont voici quelques extraits. Pour toutes ces personnes, il s'agit « d'en
comprendre davantage », « d'aller plus loin dans ma pensée », « d'acquérir un langage plus
politique », « d'innover, de trouver de nouvelles synergies », « de collaborer avec des
collectivités » dans une référence à la dimension globale des phénomènes, des problèmes
rencontrés, de leur complexité tout en indiquant par ailleurs l'attachement à l'exercice
professionnel « par rapport aux personnes accompagnées ». Une citation représente bien les
différentes expressions : « besoin d'avoir un éclairage sur les enjeux socio-économiquespolitiques au sein desquels j'évolue mais il me manque les clefs pour permettre la
concrétisation de projets aux enjeux problématiques » (Femme, promotion 9, CESF).
Ces expressions renvoient à un plafond de connaissances à dépasser, à franchir ;
associées à la démarche volontaire de ces candidat.e.s, il est possible de leur attribuer un
caractère émancipatoire vis-à-vis du cadre d'exercice. Certaines personnes l'expriment
clairement : « Dorénavant, je souhaite aller plus loin dans ma pensée réflexive et développer
282
de nouvelles compétences afin de répondre à des problématiques complexes comprenant
des enjeux territoriaux, financiers voire politiques ». Par ailleurs, par le lien formulé entre
approfondissement d'une qualification et attachement aux personnes accompagnées, ce
groupe s'exprime selon l'éthique du care présentée au chapitre 2. Les professionnel.les
articulent besoin de formation-approfondissement aux situations et aux personnes
rencontrées dans une fidélité à leur attention. Ces formulations ont modifié nos
représentations vis-à-vis des motivations d'accès à ce parcours de formation, peut-être
orientées par les discours sur le malaise professionnel dans le secteur. En effet pour ces
promotions et cette formation, il ne s'agit pas de quitter une activité ou un secteur
professionnel, mais de se doter de savoirs supplémentaires pour continuer un travail social
choisi.
Ensuite nous avons regardé la répartition Femmes/Hommes selon les items (Voir le
tableau ci-dessous) et découvert avec étonnement les catégorisations ainsi construites.
L'absence de l'item explicitement promotionnel (obligation réglementaire ou de l'employeur)
pour les femmes n'est pas une surprise en soi au vu de l'effectif concerné (2 personnes sur
28) et en connaissance de la tendance à « l'escalator de verre » pour les carrières masculines
dans un secteur à dominante féminine (Christine Williams citée par Bereni and all, 2012, p
205). Par contre l'absence complète de candidates à « la transformation des dispositifs »
nous a incité à étudier plus précisément les groupes ainsi constitués.
Auparavent, nous avons noté que la majorité des femmes en formation DEIS (86%)
formulent d'emblée un besoin de formation-approfondissement là où moins de la moitié des
hommes se positionnent dans ces termes (43%). Cependant cette dimension est partagée
par les un.e.s et les autres dès lors qu'on associe l'ensemble des énoncés. Ensuite les
hommes se répartissent sur les quatre items repérés, là où les femmes se répartissent sur
deux items. Cette réduction des choix fait écho à celle identifiée au moment des choix
professionnels entre filles et garçons dans les différentes filières de formation au sens d'une
réduction des potentiels mobilisés (voir chapitre 3). Par ailleurs pour les femmes comme
283
pour les hommes, les candidat.e.s a un changement de poste ou de mission représentent un
peu plus de la moitié du groupe précédent.
Tableau 6 : Répartition Femmes / Hommes selon les items et la priorité énoncée
Femmes (14)
Hommes (14)
Total par item
Énoncé 1 Énoncé 2 Énoncé 1 Énoncé 2
Besoin de formation-
9
1
6
4
20
Changer de mission, de place (c)
5
1
4
1
11
Faire évoluer les dispositifs en
0
0
4
1
5
0
0
2
0
2
approfondissement (b)
lien avec l'éthique
professionnelle (d)
+ Obligation réglementaire /de
l'employeur
La répartition des premières observations des données invite à un approfondissement
des réponses. Les items ayant été construits à partir des verbatims formulés par les
répondant.e.s, c'est dans un second temps que nous avons repris les formulations
communes ou différenciées à l'intérieur d'un groupe pour tenter de comprendre les
répartitions recueillies. Dans la première construction des données étudiées, ce sont les
formulations des personnes que nous avons considérées porteuses du sens des motivations.
Il y a bien une formulation commune Femmes/Hommes autour d'un enjeu de formation
professionnelle aux politiques publiques dans le travail social. C'est ce qu'exprime d'une
manière générale le besoin de formation-approfondissement énoncé régulièrement de part
et d'autre, soit en première motivation, soit en deuxième. Pour le groupe c (changer de
mission, de place), toutes les personnes expriment la volonté de se former à nouveau, de
donner une nouvelle dimension à la pratique professionnelle, à leur parcours et mentionnent
leur perception de la complexité du secteur. Il s'agit maintenant de saisir la diversité
exprimée dans la répartition des « mobilités » ou des souhaits envisagés.
284
Une nouvelle lecture des fiches parcours s'est faite en utilisant les données
d'ancienneté dans l'exercice professionnel et le positionnement énoncé (voir tableaux ciaprès). Les réponses à la question précédent les motivations à la formation du DEIS font
toutes références à l'engagement professionnel, aux valeurs « d'humanité », aux tensions
présentes dans l'exercice professionnel pour « rester en accord » avec l'éthique
professionnelle du métier : « L'exercice de ma profession m'a mené à constater des tensions
de plus en plus importantes entre le terrain et l'orientation des politiques publiques et
sociales » (Hb2). A partir de cette lecture, il est possible de repérer pour ces quatre
promotions une convergence des candidat.e.s autour de trois items qui sont ensuite
mobilisés pour formuler des perspectives professionnelles. Nous l'avons dit, le premier
d'entre eux est celui du rapport à une éthique professionnelle. C'est ce qui nécessite d'élargir
la compréhension « des systèmes », des « autres acteurs » dans une visée collaborative et
interventionniste au sein des politiques publiques, et donc le recours à une formation
complémentaire où chacun.e accepte de « se décaler de sa pratique » actuelle. La
compréhension attendue doit permettre de « concevoir des projets d'utilité publique en
collaboration avec les acteurs de terrains et avec les personnes concernées » ( Fb2, 10 ans
d'activité).
Tableau 7 : Répartition F/H par durée d'exercice professionnel et par items
items
[3 à 5 ans ]
+ de 5 ans et <10 ans
[10 ans à 15 ans]
+ de 15 ans
b
0 Fb - 1 Hb
0 Fb - 1 Hb
7 Fb - 1Hb
2 Fb - 3 Hb
c
-
-
4 Fc - 0 Hc
1 Fc - 3 Hc
d
-
-
0 Fd – 1 Hd + 1 Hd
0 Fd - 1 Hd
Total
1H
1H
11 F – 2 H
3F – 7 H
Légende des sigles :
F = femme, H = homme ;
b = groupe besoin de formation-approfondissement
c = groupe changer de mission, de place
d = groupe faire évoluer les dispositifs
285
Ensuite c'est la durée dans l'exercice ou le positionnement des personnes qui est
déterminante pour un changement de place ou un maintien en poste avec de nouveaux
« outils » de compréhension pour agir. Une seule personne a une durée d'activité inférieure à
cinq ans et c'est un homme ; idem dans la durée de plus de cinq ans et moins de 10 ans.
C'est ainsi qu'aucune femme n'est présente dans ces promotions avant dix ans ou plus
d'activité. Cette répartition s'inscrit dans le déroulement de carrière « habituel » des femmes
où vie familiale et vie professionnelle s'entremêlent et pèsent sur les évolutions
professionnelles.
Une
des
répondantes
l'exprime
ainsi :
«
J'ai
engagé
cette
formation maintenant parce que c'était le moment le plus opportun tant dans ma vie privée
que dans les propositions de formations qui se faisaient au sein de la structure où je
travaille » (Fb5, 11 années d'exercice).
L'attachement au métier de départ est présent dans toutes les fiches et souligne une
recherche de continuité dans les trajectoires professionnelles. Cette continuité s'exprime
pour « apporter aux politiques » en y contribuant par « une capacité d'expert du travail
social en complément des autres postes de direction » (Fc1, 12 ans d'activité), « Quitter le
terrain et poursuivre dans d'autres sphères de décision. Approcher les décisionnaires,
participer aux changements, contribuer à l'innovation » (Fc3, 15 ans d'activité). Dans ce cas,
la formation vise « à satisfaire les exigences des partenaires institutionnels tout en
respectant une éthique de travail » (Fb1, 15 ans d'activité). Pour ces personnes, l'analyse du
fonctionnement hiérarchique régulateur de l'intervention sociale est perçue et s'exprime de
manière principale. C'est le cas de tout le groupe c (changer de poste), de même chez
quelques personnes du groupe b (besoin de formation-approfondissement). Par ailleurs,
cette orientation implique toutes les femmes du groupe b. Une deuxième orientation
consiste à chercher de nouveaux outils (approches, concepts) dans une perspective
annoncée : « pour restaurer le sens de l'action éducative malgré les contraintes externes »
(Hb3, 23 ans d'activités, chef de service), « pour faire évoluer les dispositifs dans le sens des
valeurs humanistes qui m'habitent» (Hd1, 12 ans d'activité), pour « collaborer avec des
collectivités sur la mise en place de la médiation comme mode alternatif de résolution des
conflits [par rapport au mode classique judiciaire] » (Hd3, 12 ans d'activité). Cette dernière
286
orientation concerne majoritairement les hommes : tout le groupe des hommes d, deux
hommes sur trois du groupe c et seulement deux hommes du groupe b.
C'est ainsi que l'étude approfondie de ces expressions fait apparaître la formulation
sexuée des motivations. Une tendance à dominante « femmes » s'inscrit dans le
fonctionnement existant et vise une intégration des règles du jeu pour intervenir avec la
référence aux valeurs professionnelles. Une autre tendance à dominante « hommes »
s'exprime en désaccord avec les orientations des politiques publiques toujours en référence
aux valeurs professionnelles, et formule à l'entrée en formation des axes de changement ou
de transformation.
Cette analyse nous permet de repérer le rapport à la transformation sociale dans
notre société du point de vue des places occupées et de ce qui peut correspondre à des
autorisations incorporées ou à l'inverse à des interdits incorporés. Au sein d'une unité
d'orientation - agir sur les politiques publiques- les avancées « égales » au sens d'une même
formation engagée montre la diversité des pratiques et des marges de manœuvre de chaque
groupe (femmes – hommes). La différence des énoncés renseigne sur ce qui est réellement
accessible pour un groupe et exclu pour l'autre. De ce point de vue, l'entrée plus tardive des
professionnelles en formation DEIS et l'explicitation de leur trajectoire en cours retrace une
transgression de place et de destin : rester sur le terrain ou devenir cadre, se dégager ou être
dégagée des charges domestiques.
A cet égard nous retenons le caractère émancipatoire de la formation du point de vue
des personnes comme du point de vue du cadre des politiques publiques institué.
L'extension de cette analyse aux autres formation de cadres pourrait informer sur une forme
de « révolution respectueuse » qui s'engage dans le secteur par la formation des cadres à
l'instar de celle des femmes ingénieures issue des travaux de Catherine Marry (2004). Cette
formulation sert à indiquer l'entrée des femmes à des postes « inhabituels » par l'accès aux
formations correspondantes, sans que cette arrivée ne modifie le statut social, le salaire et
les carrières des femmes vis-à-vis des premiers occupants (Marry, 2004). Cette observation
287
serait-elle alors « un motif » de moindre choix de la formation DEIS, comme l'indique cidessous les statistiques DREES) ?
Tableau 8 : Répartition des étudiant.e.s selon la formation à l'encadrement /DRESS.
Formations
Effectifs en formation
Évolution des effectifs depuis 2009
(en %)
CAFERUIS
3338
3,1
CAFDES
889
- 1,2
DEIS
490
- 33,5
Sources DRESS 2014 publiées en 2016.
L'analyse des données ainsi recueillies illustre pour ce secteur les connaissances
issues d'autres travaux, notamment sur l'emprise de la division sexuée du travail dans les
organisations de travail et « ce que les inégalités professionnelles doivent à l'emprise des
normes et valeurs organisationnelles masculines » (Bereni and all, 2012, p170). Plusieurs
similitudes sont ainsi visibles : d'un côté, la référence à la promotion « carrière » qui sert de
modèle dominant conduit à privilégier et valoriser les fonctions stipulant responsabilité et
direction tout en reproduisant les trajectoires différenciées, d'un autre le référentiel
d'encadrant issu des professionnalisations au masculin valorise la fonction de décision « en
solo » ou la compétence « technique » comme norme hiérarchique (modèle de l'ingénieur).
Le tableau ci-dessous montre particulièrement les différences de « responsabilités
statutaires » femme/homme pour les personnes rencontrées en formation :
- aucune femme avant une durée d'activité supérieure à 15 ans,
- une seule personne en poste avant 10 ans d'activité et c'est un homme,
- une seule personne « faisant fonction » et c'est une femme,
- de même les hommes concentrent les postes de chef de service avant l'entrée en
formation, là où les femmes sont davantage sur des missions ou des postes de coordination.
288
Tableau 9 : Répartition F/H dans les postes d'encadrement ou de coordination et durée d'activité
Fonction occupée
< 10 ans
[10 à 15 ans]
+ de 15 ans
Faisant fonction de
0
1F (Fb3)
0
0
0
3
coordination
Mission ou poste de
coordination de
soit 2 F (Fb7, Fb9),
projets
et 1 H (Hc3)
Chef de service
1H (Hb2)
0
2
soit 2 H (Hb3, Hd4)
Ce relevé confirme à sa façon l'effectivité d'un travail de care dans les pratiques de
management tel qu'identifié par Véronique Bayer dans son étude de l'encadrement du
secteur (Bayer, 2017).
A la suite de cette analyse, nous avons recherché en quoi la formation DEIS présentée
dans le chapitre 3 sur la professionnalisation répondait aux orientations dont les personnes
enquêtées sont porteuses pour elles-mêmes et pour le secteur professionnel ? A partir de la
finalité donnée à ce diplôme au moment de sa création et des perspectives énoncées par
leurs auteur.e.s., nous avons recherché le potentiel subversif à l'ordre du genre croisé dans
les dynamiques professionnelles.
6.3. Quel management du social pour un développement
durable ?
En poursuivant ici l'étude de la formation au DEIS comme un type de cadre du social, nous
avons bien conscience de la singularité de cette approche. Une diversité de cadres et de
formations à l'encadrement dans le secteur social existe aujourd'hui en plus des formations
issues du champ professionnel. Cette diversité s'exprime notamment dans les propositions
de Master à l'Université ou au CNAM et a déjà fait l'objet d'une recherche approfondie et
publiée (Barbant, 2011). Notre travail poursuit et inaugure la question de la formation
289
explicite à un « savoir agir en collectif » au sein du secteur professionnel et plus
particulièrement à partir d'une fonction d'encadrement telle qu'elle est définie par les
diplômes relevant du Code de l’action sociale et des familles. A cet effet, nous avons repris
les questionnaires renseignés par les promotions DEIS rencontrées pour un nouvel examen.
La première lecture des « motivations » à l'entrée en formation de DEIS, a souligné la
capacité réflexive et analytique des candidat.e.s sur les situations professionnelles ainsi que
le discernement de la complexité environnante. Complexité qui les impacte mais sur laquelle
ils ou elles repèrent leur absence de prise (principale motivation dans une volonté d'agir).
Ceci confirme de notre point de vue la stratification du secteur que nous avons soulignée au
chapitre 3 à propos de l'organisation fortement segmentée par les politiques publiques et
par une régulation peu encline à la participation des différents groupes professionnels.
La stratification est aussi un résultat que nous avons identifié comme la construction
genrée du secteur professionnel. Actuellement nous pouvons dire qu'il y a un emboîtement
entre cette construction genrée héritée sans mise en discussion et la forme de management
empreinte des normes de gestion du secteur telle qu'elle est discutée ces dernières années
(Chauvière, 2008 – Gori, 2011 – Revue Informations Sociales, 2011/5). Ainsi Brigitte Bouquet
formulait précisément la situation en 2006 dans un article de la Revue française de gestion :
« Malgré de très nombreuses améliorations, le cadre professionnel se trouve
la plupart du temps dans des institutions qui sont encore basées sur la division des
fonctions de décision, de gestion, et de production ; mais plus, il a à faire, à la fois à
une organisation linéaire verticale caractérisée par une hiérarchie importante et à
une organisation fonctionnelle transversale (chargés de mission) ce qui lui complique
la tâche » (Bouquet, 2006, p 128).
Ce qui est toujours discuté pour le secteur et difficilement réalisé, c'est
l'alliage de la dimension managériale et de la capacité éthique dans des pratiques
d'encadrement et de direction. Comme l'indiquait Michel Chauvière à propos de
l'introduction des notions de service et de management dans le secteur, « la maîtrise des
290
coûts est une norme nécessaire mais non suffisante », en matière de qualité des prestations
et d'accès pour tous (Chauvière, 2008). Devant cette complexité, les observations conduisent
à mesurer ou signaler « des tendances » sans véritable homogénéité ou exclusivité. Trois
tendances sont ainsi décrites : la première techniciste et procédurale, puis celle du discours
managérial et enfin celle d'une posture distanciée et innovante (Bouquet 2006). Notre mise
en perspective des débats et des questions formulées à l'encontre du secteur trouve ici sa
continuité. Il s'agit toujours de s'interroger sur la question de l'intervention sociale, sa place
et sa taille, et par voie de conséquence sur son encadrement.
Au chapitre 3, nous avons montré comment la structuration du travail social est le
résultat des dynamiques professionnelles successives et de régulations de plus en plus
externes. C'est au moment de la première décentralisation de l’État en France que l'action
sociale est transférée aux Départements (loi du 2 mars 1982), ce qui a suscité un renouveau
des questions d'encadrements des professionnel.le.s. comme des méthodes et conduites de
cette action publique. C'est dans ce contexte que la formation au DEIS a émergé, ce que nous
avons identifié comme une tentative de réponse collective pour sortir de la segmentation
existante d'une part et comme une offre d'encadrement à rebours des modèles
hiérarchiques dominants d'autre part (Dubéchot, 2011 - Autès, 1998).
L'examen de cette mise en œuvre est révélatrice des débats autour de l'encadrement
du travail social et sa structuration selon deux orientations distinctes : cadres-managers et
cadres-développeurs. La première option se structure avec la création d'une filière de
qualifications de cadres de gestion et propose deux niveaux : pour les dirigeants, le CAFDES
de niveau I et pour les cadres intermédiaires, le CAFERUIS de niveau II. En parallèle, le DEIS
de niveau I est créé pour « des fonctions non directement managériales » (Sanchou, Crespo,
2011, p 22).
Ainsi « l'architecture » des formations de cadre, selon le terme des auteures citées,
permet d'identifier et de répondre aux besoins du secteur dans le contexte prégnant des
nouvelles règles de gestion administrative et financière, nommées par ailleurs « nouvelle
gestion publique ». Le nouvel ordonnancement des années 2000 vise une complémentarité
291
des profils d'encadrement en capacité de faire face aux évolutions du secteur tout en lui
concevant une dimension propre de conception-création. Ceci est présent dans le référentiel
du DEIS : « Le métissage des compétences existe entre ces deux profils. Ainsi, si les titulaires
du diplôme d’État d’ingénierie sociale ancrent principalement leurs compétences dans les
registres du cadre développeur, ils sont aussi compétents dans le domaine de la mobilisation
des ressources humaines. (Annexe I de l’arrêté du 2 août 2006 relatif au Diplôme d’État
d’Ingénierie Sociale)». Nous retrouvons ici la tentative de conciliation précédemment
identifiée : faire face aux impératifs « dominants » et faire valoir les spécificités du secteur
dans ces modalités d'intervention.
Cependant, l'initiative apparaît difficile puisque quatre ans après sa création, un
séminaire est organisé (2010) par le réseau des Universités des formations sociales (RUFS),
les établissements de formation en partenariat avec la DGAS, et cherche « à montrer que
le DEIS était bien « une nouvelle figure de l’encadrement dans l’intervention sociale ». En
reprenant, les comptes rendus publiés dans la revue Vie sociale de 2011, nous avions à notre
disposition les points de vue des acteurs ayant présidé à cette création et s'appuyant euxmêmes sur plusieurs études pré ou post- mise en œuvre de cette nouvelle qualification. Nous
en retraçons ici les éléments étudiés en lien avec notre propre analyse.
Premièrement les auteur.e.s rappellent l'évolution engagée en matière de
professionnalisation et de qualification, « nous sommes par ailleurs sortis de la logique où le
diplôme formalisait le métier. On parle désormais de référentiels professionnels et de
compétences »(Kittel, Tronche, Sanchou, Crespo, 2011). Ainsi les compétences identifiées
pour le DEIS doivent répondre à une fonction conçue en triptyque - l'expertise , l'évaluation,
l'ingénierie- d'un cadre développeur. Ensuite, il nous semble que les caractéristiques mises
en avant pour concevoir une nouvelle qualification sont aussi la source d'un décalage
pressenti par Isabelle Kittel : « Toutes ces tendances se sont peu ou prou révélées plutôt
exactes, mais leur impact réel sur les besoins de compétences et sur le recours à ces
diplômés que ces besoins sont susceptibles de générer reste à évaluer » (Kittel, 2011, p 29).
En effet, dire que « le titulaire du DEIS peut être expert de l’intérieur avec la neutralité
292
nécessaire pour ne pas être totalement noyé dans la fonction de direction, dans la posture
décisionnelle » (Tronche, 2011) relève de l'intention prospective mais à l'usage s'avère
antagoniste avec les choix prépondérants des nouvelles directions comme celui des
orientations « rationalisantes ». C'est du moins le constat qu'il est possible d'établir sur la
base des verbatims de l'enquête microsociale cités au point 6-2 et sur la base des statistiques
de la DREES en matière d'entrée en formation pour les deux types de qualification (voir
Tableau 8).
Si l'intervention sociale en tant qu'action publique nécessite un pilotage public, la
prépondérance d'un encadrement capable « de répondre à une exigence de rationalisation à
travers des politiques de management, de gestion ou encore de développement
institutionnel» (Barbant, 2011, p 59) est l'objectif premier de la structuration voulue par le
législateur dans une optique de rationalisation des choix budgétaires (Tronche, 2011, p 36).
Dans ce contexte, l'émergence du DEIS se confirme comme tentative collective de concilier
les tensions managériales du secteur et invite à un réexamen dans la situation actuelle.
Comme l'énonçait Brigitte Bouquet en 2006, la priorité est aux pratiques de gestion, à
la rationalisation des coûts, au faire-valoir managérial. C'est l'encadrement de gestion qui
domine sur l'encadrement de développement malgré les compétences acquises et
l'équivalence de niveau voulue et reconnue (niveau I pour le CAFDES comme pour le DEIS).
De leur côté, les données présentées par la DREES soulignent sans équivoque le poids
des formations à la gestion et à l'encadrement d'équipes (Tableau 8). Sur le plan national, en
comparaison avec les entrées en formation CAFDES, le DEIS représente un peu plus de la
moitié des entrées en formation et moins de 15 % des entrées de CAFERUIS. Ce résultat
observable en 2018, pose avec acuité la direction prise par l'encadrement du secteur et peut
éclairer le constat de l'ANDASS cité plus haut lors des EGTS de 2015 concernant la prévalence
des logiques de gestion. Pour rappel, il s'agit clairement d'un aveu de fausse route :
« Dans un contexte d'augmentation de la précarité et du nombre de
personnes bénéficiaires de droits sociaux, cette logique de gestion par dispositif s'est
accompagnée d'une segmentation, spécialisation de plus en plus fine au service
293
d'une meilleure efficacité supposée, qui dans les faits se traduit trop souvent par la
gestion de « stocks » d'individus mis sous contrôle de manière implicite sans que soit
véritablement ni voulu, ni énoncé cet objectif. Cette réalité est aux antipodes des
valeurs qui sous-tendent l'entrée des travailleurs sociaux dans ce métier » (Cols, in
groupe de travail « Développement social et travail social collectif » des EGTS 2015).
Le constat formulé ainsi par des cadres dirigeants (directrices et directeurs d'action
sociale et de santé des départements et métropoles, ANDASS) fait aussi entendre l'indication
du besoin de ré-articulation perçu pour faire fonctionner la chaîne des actrices et acteurs de
cette action collective.
L'ensemble de ces observations nous invite à discuter la relation de coproduction
imaginée au sein des équipes de direction. En effet si les formulations peuvent paraître
convergentes entre créateurs-concepteurs du DEIS, « Il n’est pas conçu comme un diplôme
de direction mais c’est un diplôme qui participe à la construction d’une direction » (Tronche,
2011, p 36) et les étudiant.e.s rencontrés en formation : « Permettre de la prospective aux
personnes accompagnées et à l'association au sein de laquelle il m'est donnée d'évoluer »,
« Approcher les décisionnaires, participer aux changements, contribuer à l'innovation », pour
autant la complémentarité attendue est peu effective au vu des données chiffrées et des
constats rappelés. De plus, le regain d'attention aux différentes échelles d’administration du
secteur du côté de « la place des usagers et de leurs paroles » peut certainement être
entendu comme plus de vie démocratique, mais tout autant comme le signe du processus
exclusif en place et de la limite atteinte.
Ainsi la perspective énoncée en son temps par Didier Tronche fait abstraction des
hiérarchies de valeurs présentes dans le monde du travail y compris dans le secteur social et
se révélait particulièrement optimiste tout en laissant libre cours aux logiques de
concurrence sous-entendant « que le meilleur gagne » :
« La territorialisation conduira sûrement à la mise en commun de ressources,
en particulier dans les domaines des ressources humaines et de la gestion des
compétences, voire sur la réponse aux appels d’offres, sur la complémentarité des
294
compétences interinstitutionnelles sur un territoire donné au regard de la complexité
des réponses à apporter. C’est dans ces exercices-là qu’on verra qui arrive le mieux à
se positionner du Deis ou du Cafdes » (Tronche, 2011).
Les références de coopération souvent énoncées ne résistent pas aux priorités
budgétaires, à la gouvernance managériale, aux représentations et aux conceptions
« organiques » de l'autorité, de la prise de décision. Dans ce contexte, nous postulons que le
DEIS conçu sur la base d'attentes et de besoins identifiés du secteur se heurte aux
représentations et aux disqualifications « intégrées » par ce même secteur.
Les directions-managers du secteur privilégient les formations à l'encadrement et à la
gestion et adoptent la suspicion vis à vis des idéaux du travail social ou de leur
méconnaissance supposée des règles de gestion. Ce faisant elles produisent elles-mêmes le
déséquilibre de valeurs critiqué par ailleurs.
Des présomptions existent aussi à l'intérieur des centres de formation chargés de la
mise en œuvre du DEIS en convention avec les universités, ce qui conduit à l'absence de
promotion/production d'un modèle DEIS ou plus exactement « à une spécificité de chaque
formation en fonction de l’appropriation de modèles d’intervention, de références par les
équipes pédagogiques » (Barbant, 2011, p 58). Ceci a été particulièrement identifié par JeanChristophe Barbant dans le cadre de sa recherche doctorale en sociologie à propos « des
figures professionnelles « négatives » ou « positives » (alimentées par les imaginaires,
postures et ethos professionnels)», ces figures venant multiplier les mobilités à l'intérieur
d'un groupe professionnel » (Barbant, 2011, p 52-59). Pour autant, son analyse débouche sur
la différenciation et les points de ruptures avec les formations à l'encadrement de gestion
que nous rapportons ici.
Le premier point concerne le « niveau de réflexivité des acteurs et des
organisations ». Il s'agit « que ces professionnalités puissent apporter, influer ou dynamiser
l'agencement des savoirs et des expertises disponibles afin de permettre aux institutions
d’entrer dans des modes de gestion de la complexité ». Cette dimension nous paraît
compatible avec les logiques de gestion sous réserve de capacité dialogique de part et
d'autre et par conséquent d'une dose de renoncement à l'hégémonie gestionnaire. A cet
295
égard il s'agit d'une mutation conjointe avec la prise en compte du développement durable,
c'est-à-dire la place à prendre par le développement social dans une conception renouvelée
du développement économique.
Le deuxième point concerne le registre de l'innovation sociale par ailleurs
régulièrement énoncé dans les sphères de l'économie. Il s'agit là de faire la place à des
capacités d'élaboration « des voies de passage, de concevoir des dimensions prospectives à
partir des transformations paradigmatiques de l’action ». Cette perspective nécessite aussi
de la part des institutions une place reconnue à des directions fonctionnelles de prospectives
au-delà des directions administratives et financières. C'est-à-dire de valoriser le potentiel
interne de savoirs construits collectivement sur les questions à considérer, à résoudre et
nous ajoutons à tenir dans une perspective de cohésion sociale démocratique.
Le troisième point concerne « la capacité à mettre à jour les idéologies en présence
pour participer à une reconflictualisation de l’espace public tout en favorisant les
transactions sociales », ce que nous avons nommé pour notre part la capacité d'action
collective en démocratie ou encore l'intervention sociale collective. Ce potentiel a été
souvent exprimé par les répondant.e.s de notre enquête DEIS et met en évidence des
pratiques de médiation présentes dans le secteur mais peu valorisées ou peu mobilisées en
tant que telles. Il s'agit là de savoir animer localement et dans une proximité territoriale la
rencontre des pluralités existantes en leur permettant de prendre place dans la contribution
aux choix publics.
C'est ainsi que nous pouvons indiquer le manque de visibilité et d'inscription de ces
savoirs faire « en collectif démocratique » dans une configuration managériale utile à la mise
en œuvre du développement social souvent énoncé.
L’ensemble des analyses rapportées ici nous indique les résistances à une nouvelle
dimension aux fonctions de direction de structures à vocation sociale et médico-sociale ou à
une dimension spécifique du secteur à valoriser. Le séminaire de 2011 a permis de retracer la
dynamique de conception du DEIS et sa place dans l'architecture des métiers : « La volonté
délibérée était de faire participer ce diplôme à la création d’un espace entre les directions
des affaires financières et les directions des ressources humaines, particulièrement en ces
296
temps de groupements de coopération et de contrats pluri-annuels d’objectifs et de moyens.
Dans un deuxième temps le Deis a été re-situé dans les métiers de l’ingénierie et de
l’expertise » (De Montalembert, 2011, p 5).
Ce que révèle aussi notre recherche, c'est le décalage entre les besoins identifiés par
les concepteurs du nouveau diplôme (employeurs compris) et les pratiques de gestion des
ressources humaines au sein de structures sociales et médico-sociales toujours diverses mais
largement sous l'emprise des logiques de la nouvelle gestion publique, même si les
ressources s'avèrent présentes en termes de personnes-candidates, de formation supérieure
de cadres-développeurs.
Depuis 2014, la question du développement social comme partie prenante d'un
développement durable apparaît régulièrement énoncée dans les instances nationales :
contribution de l'ANDASS 2015 aux EGTS, « Plan d'action interministériel en faveur du travail
social et du développement local, octobre 2015 », Congrès international des formations en
travail social « Faire bouger les lignes pour un avenir durable, juin 2017 ». Pour autant ces
orientations ne font pas de lien ou de référence aux conséquences des pratiques genrées
telles qu'elles ont pu être étudiées dans cette recherche doctorale. Le rapport « Genre et
renouveau du travail social » (DGCS, 2014), malgré l'intention du titre n'est pas identifié dans
les dispositions qui ont suivi : États généraux du travail social (2015), Rapport Bourguignon
(2015), réingénierie des diplômes (2018).
Dans notre analyse, nous avons choisi d'étudier le genre entendu comme le système
de valeurs construit entre les femmes et les hommes dans un mode séparateur et
hiérarchisant. Cette construction historicisée se poursuit et se reconduit au détriment d'une
effectivité de l'égalité entre les personnes ou de sa promotion, ce qui impacte durablement
nos modes de vie et de pensée. Vouloir changer ce système et inclure une effectivité du
développement social dans le développement durable nous conduit à penser une
gouvernance envers et contre le genre, démarche qui n'existe pas ou très modestement
actuellement au sein du champ du travail social. Ce dernier constat a pu être identifié à la
297
suite d'une observation participante réalisée par l'entremise d'un établissement de
formation à Toulouse.
Cet établissement régional de formation aux métiers du social, ÉRASME, a inscrit
depuis 2011 un module de formation « Genre et travail social » dans le parcours d'éducateur
spécialisé. Ce module donne lieu à un travail collectif et à un forum d'exposés par
problématiques. C'est ainsi qu'un groupe a travaillé sur l'autorité parentale en étudiant le
discours des professionnel vis à vis des parents. Cet exposé nous sert ici d’illustration de
l'absence d'expertise sur le genre des intervenants professionnels et sur le caractère
marginal des politiques publiques pour influer sur les rapports de genre (Perrier, 2013).
Les étudiant.e.s ont rendu compte de l'intégration de la notion d'autorité parentale
dans les pratiques. L'attention et les discours des professionnel.le.s se focalisent sur
l'implication des [deux] parents à la place de l'un ou de l'autre. Les étudiant.e.s saisissent un
changement de vocabulaire : passage aux « compétences parentales » et non plus père de
l'enfant ou mère de l'enfant. Le groupe d'étudiant.e.s relève pour autant un évitement du
genre dans la relation étudiée, celui-ci est dissous dans la nouvelle appellation bien que leurs
observations attestent de rôles toujours séparés. Les mères répondent principalement des
« besoins » des enfants. Elles sont les interlocutrices principales des professionnel.le., et
davantage présentes dans les discours.
Ainsi les étudiant.e.s pendant leur stage repèrent deux tendances qui perdurent : les
mères ne sont pas valorisées dans les compétences parentales, « c'est leurs difficultés qui
sont pointées, soit elles en font trop, soit pas assez » ; à l'inverse les pères sont toujours
valorisés dès lors qu'ils sont présents. D'une manière générale, les professionnel.le.s
« s'arrangent » de l'absence du père, si c'est la mère c'est un problème ou un défaut de celleci. Ainsi se sont les mères qui sont investies dans les relations, ce qui est toujours « naturel »
ou « normal » pour la société d'aujourd'hui, celles-ci ne bénéficient pour autant d'aucun
soutien sur le quotidien de la part des professionnel.le.s. ; ils « oublient de prendre en
compte la charge mentale des mères ». Quand les pères sont absents, ils ne sont pas
« parlés »
dans
la
relation « père-enfant »,
« ils
n'ont
pas
de
reconnaissance
psychoaffective».
298
A partir du vocable de parentalité, les étudiant.e.s signalent un déplacement de la
neutralité dans les discours et un renforcement de l'invisibilité des pratiques genrées. Leurs
questions « agacent » les professionnel.les., il n'y a pas de travail institutionnel sur le genre
dans l'accompagnement éducatif : pas de curiosité des professionnel.le.s sur ce qui se
transmet, de choix ou de réflexion sur ce qui peut être proposé ou fait. Ainsi le groupe
conclut sur la responsabilité éducative « reconduite » : une absence des pères et une surprésence des mères qui se reproduit autour de la relation à l'enfant. Cette conclusion d'un
groupe d'observations de terrain nous est utile pour souligner « l'ignorance » du genre dans
les pratiques professionnelles et retenir le silence ou l'invisibilité partagée. Ces observations
seraient à poursuivre et à discuter en termes d'effectivité des accompagnements ou soutiens
à la parentalité ainsi mis en œuvre.
En nous déplaçant d'un terrain d'observation à l'autre, nous pouvons retenir le
continuum du silence sur les apports du genre dans les pratiques du travail social qu'elles
concernent les cadres dirigeants du champ professionnel, les professionnel.le.s en exercice,
le champ de la recherche sur le secteur. Pour autant notre présence au sein d'un espace de
formation nous permet de relever comment les étudiant.e.s quel que soit leur niveau de
formation savent y faire référence par leurs apports d'un sens commun vulgarisé ou par
l'utilisation des ressources mises à disposition (expérience d'ERASME). Ce qui est absent
aujourd'hui, c'est l'inclusion de cette dimension dans les différents niveaux de formation
alors même que plusieurs travaux sont disponibles pour montrer les rapports sociaux ainsi
générés et inviter à les déconstruire, à les transformer dans une perspective réellement
démocratique, ce qui induirait de fait un renouvellement des pratiques du quotidien, un
travail sur les tensions formulées ou sous-jacentes.
Parmi les auteur.e.s cité.e.s, plusieur.e.s soulignent le caractère politique des études
de genre et leurs incidences sociales. C'est ainsi que « l'abstention » qui perdure pour
considérer le genre dans les interventions sociales s'ajoutent à la construction politique
d'ensemble du secteur. Elle contribue à perpétuer un ordre « naturel » du monde tout en
annonçant régulièrement sa transformation : « Les défis des directions. Penser, construire un
299
management porteur de sens » lors des journées nationales d'études et de formations des
cadres dirigeants du secteur social et médico-social (ADC, Toulouse, 2017) ; « Collaborons,
coopérons, co-construisons avec et pour les habitants", journées des directeurs d'action
sociale et de santé des départements et des métropoles (ANDASS, Strasbourg, 2017).
Les débats publics sur le travail social sont nombreux et multi-dimensionnels « L’action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité », ANDASS, 2013 Conférence de consensus sur le travail social et la recherche (2012-2013) - États généraux du
travail social (EGTS, 2013-2015) tout en s'inscrivant dans un angle aveugle de leur
construction que sont les rapports de genre à la française. C'est ainsi que les textes et
discours récemment produits pour refonder le travail social, orienter des institutions ou des
politiques n'intègrent aucun des apports des travaux produits par ailleurs, ni de proposent
d'inclure cette dimension dans les analyses à venir.
Nous avons aussi cité en première partie, le deuxième discours de politique nationale
prononcé à l'égard du travail social (Valls, 2015). La valorisation de la dominante féminine
n'est assortie d'aucune formulation ou mesure dans le Plan en faveur du travail social sur les
23 propositions qui puisse attester d'une intégration de méthodes de travail et de modes de
fonctionnement qui prennent en compte les relations de genre. Ce faisant, l'énonciation ainsi
faite renforce les valeurs attendues d'implication et de dévouement spécifiques
des professions au féminin dans la division sexuée du travail : « la marque d'une envie d'être
utiles aux autres, de porter cette belle idée de solidarité sans laquelle nos sociétés perdraient
leur âme ». Elle confirme l'absence de prise en compte des résultats d'études qui « ont en
commun de souligner la nécessité de tenir compte des rapports sociaux de sexe pour
comprendre le développement et le fonctionnement de l’État providence » (Jenson, 2013).
Cette absence perdure dans les déclinaisons qui suivent puisque les référentiels de
formation et les contenus de 2018 ne prévoient pas précisément ces apports dans les
énoncés de connaissances des politiques sociales, des publics ou des modes d'interventions
professionnelles. La déclaration d'orientations de la fédération des établissements de
formations (UNAFORIS) n'a pas inscrit cette connaissance dans les enjeux retenus pour son
nouveau projet politique 2019-2021, ni dans sa proposition pédagogique (juin 2017)
300
concernant « L’intervention sociale collective et communautaire (ISCC) dans les
établissements français de formation en travail social » malgré l'énoncé d'une perspective
socio-historique.
Comment « favoriser la formation des intervenants sociaux dans une optique
émancipatrice individuelle et collective permettant d’agir dans la complexité » (UNAFORIS,
2017) sans parler de la dimension citoyenne à la française particulièrement individualisée et
androcentrée. Cette réalité culturelle se traduit encore « politiquement » dans la
composition des assemblées élues en France :
« 29 % de sénatrices, 39 % de députées, 40 % de conseillères municipales. Le
bilan de la parité en politique est de moins en moins défavorable aux femmes, sauf
aux fonctions à haute responsabilité. […] Par contre, seuls 16 % des maires sont des
femmes et elles ne dirigent que six des 41 communes françaises de plus de 100 000
habitants. Trois femmes sont à la tête d’une des 13 régions de métropole. Elles
président moins d’un conseil départemental sur dix et occupent moins d’un siège sur
trois au Sénat (29 %) » (Observatoire de la parité, 2017).
Cette spécificité se retrouve dans les conseils d'administrations d'associations et dans
les directions générales du secteur social et médico-social où les hommes restent
majoritaires malgré un secteur professionnel à dominante féminine (voir chapitre 3),
l’UNAFORIS n’échappe pas à la règle comme le montre la composition du conseil
d’administration (Annexe 2). Cette tendance est confirmée par l'enquête emplois de la
branche professionnelle : « On retrouve, comme en 2007, une très forte prégnance du genre
féminin dans les établissements de la Branche : 3 salariés sur 4 (contre 1 sur 2 pour
l’ensemble des salariés en France – Insee 2010) » (UNIFAF, 2012).
L'étude genrée d'un secteur professionnel constitue un apport utile pour expliquer et
dépasser les obstacles récurrents. Notre approche socio-historique de l'émergence du travail
social en France illustre la singularité des rapports de genre contextués comme les
dissonances avec les principes républicains à la française. Appliquée au travail social, cette
analyse participe à l'enrichissement des perspectives nécessaires aujourd'hui pour avancer
301
dans la démocratisation du traitement des questions sociales et ouvrir sur de nouvelles
possibilités d'émancipation collective.
En montrant comment le genre fonctionne dans les rapports sociaux humains,
comment dans une société mixte femmes et hommes vivent des réalités différentes, nous
comprenons l'historicisation de ces rapports humains (Scott, 1998) et nous sommes invité.e.s
à imaginer d'autres modes, d'autres possibles plus en adéquation avec notre temps et les
compréhensions acquises pour soutenir un développement durable. C'est dans cette
perspective que la compréhension des rapports de genre est à inclure dans le champ de
l'intervention sociale. Ce point de vue serait une contribution pour soutenir l'énoncé d'égal
potentiel d'intervenants sociaux formulé par l'union des établissements de formation
(UNAFORIS, 2018) :
« L’UNAFORIS affirme que tout citoyen peut potentiellement être intervenant
social, dès lors que son action s’inscrit dans un élan et une vision de solidarité avec
ceux qui en ont besoin» et que tout professionnel travailleur social « qui a fait de cet
engagement citoyen un métier […] devient ainsi un artisan spécialisé de la solidarité,
sur la base de valeurs et d’une éthique, qui donnent du sens à ses interventions».
L'affirmation ainsi posée rejoint la formulation que nous avons rappelée
précédemment de Léon Bourgeois et indique si besoin encore, la filiation avec la notion de
solidarité tout au long de la construction du travail social : le vecteur de la solidarité, c’est
l'association entre les personnes pour « un concours et une coordination des forces » dans
des actes réfléchis et volontaires (Blais, 2007). Dans notre contexte social, politique et
culturel français, cette mise en œuvre ne peut durablement restée aveugle au genre. C'est
ainsi qu'au terme de ce chapitre, il nous semble important de faire le lien avec le travail de
recherche de Véronique Bayer sur les cadres du travail social.
Son étude montre comment l’accès des femmes aux postes de cadre dans le travail
social conduit à appliquer d’autres modèles d’encadrement non par essentialisation des
comportements mais par construction d'une praxis issue d'une culture professionnelle
attentive à prendre soin d'autrui dans les réalités du quotidien, c'est-à-dire adossée au travail
du care (Bayer, 2017).
302
Nos travaux convergent sur les incidences politiques de cette considération du
quotidien issue de la continuité établie entre la sphère du privé et la sphère du public. Cette
dimension inscrite dans les professions du travail social serait de nature selon Véronique
Bayer, à refonder « les bases du travail de l'encadrement et suggère un assouplissement des
stéréotypes de sexe ».
Pour notre part, la pluralité (gestion, développement) des dispositions d'encadrement
à la conduite politique du travail social que nous avons reprise est un axe propice au
développement d'une intelligence collective. Cette notion que nous ajoutons ici est au
fondement des démarches de co-construction souvent citées pour permettre la participation
effective des personnes aux processus décisionnels qui les concernent ou les entourent.
Nous avons donc besoin de référentiels d'action qui rendent opérationnels cet exercice de
l'intelligence « plurielle » dès lors qu'il s'agit de permettre « à plusieurs » d'exprimer leur
volonté d'être sujets de ce quotidien ou de cet environnement.
L'intelligence collective repose sur la capacité à considérer la coopération d'un.e autre
« différent.e » toujours possible, toujours nécessaire à l'établissement du commun. Elle
produit de ce fait la matérialisation d'associations perçues comme infinies ou improbables
entre réflexion et action. L'adoption de cette capacité comme ressource pour agir
collectivement fait partie du bagage de références conceptuelles nécessaires à l'intervention
collective quelle que soit la place de l'actrice et de l'acteur (Levy, 1997). La prise en compte
de cette capacité se retrouve fortement développée par les théoricien.ne.s de la
problématique entrepreneuriale au sens de la réalisation d'un projet commun par des
individus divers (Bouvard, Suzanne, 2017). L'intelligence collective se développe sous
l'influence de leaders capables d'exercer une influence au service de cette dimension. C'est
dans ce contexte qu'ils définissent des collaborations a-hiérarchique fondées sur des
pratiques de leadership liées aux compétences d'individus en situation de leader. Pour ces
auteur.e.s, développer ces collaborations de leaders a-hiérarchique est un gage de réussite
collective (entreprenariale), de renforcement de l'intelligence du système par la capacité à
développer de l'influence au service de l'intelligence collective.
303
Ces pratiques en étant autorisées par le management libèrent des paroles et des
enseignements utiles à l'entreprise. Elles impliquent simultanément la capacité des
managers à se mettre en retrait pour faciliter ces autres prises de paroles, à s'incliner vis-àvis de ces leaders dans une posture de « followers». Créer ce cadre constitue un nouveau
soutien, celui d'une entreprise « enseignante », qui tire parti des expériences in situ et les
transmet à ses pairs en situation. Ce point est jugé capital par ces auteur.e.s pour
l'intelligence collective car il permet de transmettre les ingrédients de réussite par le collectif
et contribue ainsi à former un leadership culturel. Les composantes de cette pratique sont
explicitement en concordance avec les expérimentations collectives présentées dans ce
chapitre.
La notion d'intelligence collective présentée ici fait le lien avec ce que nous avons
compris de l'ambition collective énoncée par les actrices et les acteurs au moment de la
création du DEIS, et rejoint les « attendus » des entrants de cette formation auditionnés
localement. Cette voie vient confirmer notre attention au développement d'un axe de
compétence et de transmission « de savoir intervenir en collectif » dans une dimension
politique en travail social. Cette dimension est référencée pour le diplôme DEIS dans les
attendus de compétences de ressources humaines (DC3) comme nous l’indiquons cidessous à partir du référentiel de cette formation :
3.1 Evaluer et mobiliser les ressources nécessaires pour conduire un projet, pour
susciter le changement, pour favoriser la transmission des savoirs professionnels.
3.2 Promouvoir des processus formatifs pour développer les compétences
individuelles et collectives.
3.3 Coordonner, animer et réguler des collectifs de travail.
A partir des rencontres avec les étudiant.e.s de plusieurs promotions et le suivi de
leurs journées de restitution/certification des études de terrain, il ressort que ces capacités
sont peu valorisées au sein même des structures et par les Directions. Plusieurs parlent de
l’étonnement « positif » face au travail rendu, de la perception d’une commande à des
304
étudiant.e.s faute de savoir que faire vis-à-vis d’une demande d’équipe ou par bienveillance
vis-à-vis du partenariat de formation et leur sensibilisation à l’accueil de stagiaires.
Au terme de ce chapitre, il est possible d'indiquer comment le secteur professionnel
gagnerait à élargir ses pratiques d'encadrement en se dotant d'une gouvernance adaptée à
ses spécificités, en cohérence avec les orientations rappelées de solidarités agies. L'inclusion
« à part égale » de la dimension ingénierie sociale dans les directions du secteur permettrait
d'équilibrer les réponses et d'innover en développement local en prenant le risque de
construire un modèle d'encadrement adapté au secteur. Un modèle « politique » et plus
seulement « managérial » qui conjugue la participation démocratique des personnes,
actrices et acteurs aux choix qui les concernent. A titre d’exemple nous communiquons en
annexe 8, le travail de transformation d’une commande « institutionnelle » en dynamique
collective sur un territoire pour répondre à un besoin. Ce duo d’étudiantes a su « mobiliser
les ressources nécessaires pour conduire un projet et pour susciter le changement » dans les
relations entre les parties concernées par le projet.
Des essais sont déjà engagés par un certain nombre de collectivités territoriales qui
cherche la mise en œuvre de cette nouvelle conduite politique. Il nous semble que certaines
des pratiques d'expérience du champ professionnel ont à gagner en visibilité collective pour
enrichir la vie commune. La prise en compte de ce besoin que l'on peut qualifier de
« management collectif » ou « management pluriel » permettrait d'apporter une réelle
nouveauté aux territoires et à leur développement démocratique tout en incluant la
considération des contraintes externes. C'est bien d'une nouvelle ingénierie sociale dont il
est question. Cette option proprement politique et la mise en œuvre qu'elle implique serait
un outil propice au développement local et une réponse subversive à l'ordre du genre des
organisations actuelles. Gageons que le développement des interventions collectives suivrait.
L’ingénierie ainsi comprise permet de penser un développement social conçu comme un
progrès. Robert Castel avait décrit en même temps ce qu’il appelle le type idéal socialdémocrate de l’État social (1995) et sa mise en crise par la rupture du couple sous-jacent de
cette histoire . Selon lui, le développement économique assorti du quasi plein emploi ET le
développement des droits du travail et de la protection sociale, c'est-à-dire que le
305
mécanisme de progrès et le système de régulation politique et paritaire ont été confondus.
Or il s'agit de deux fonctionnement différents qui peuvent ne pas coexister. Paradoxalement,
cette lecture se poursuit de manière dominante et conduit à une surreprésentation du
domaine économique dans l'imaginaire collectif : le progrès ne peut venir que de
l'économique, la crise de l'économie entraîne une crise du progrès au sens d'une perte de
croyance, de confiance en un progrès possible. Les dimensions de la crise du modèle de la
croissance ne sont pas notre sujet mais cette rupture, inavouable voir impensable constitue
un élément de contexte à considérer. Les analyses commencent à se développer en terme de
changement de perspectives, l'ouvrage collectif Pour en finir avec ce vieux monde » en est
une illustration (Coutrot, Flacher, Méda, 2011) pour reprendre les constats posés ici en terme
de rupture de modèle et d'imaginaire collectif à mettre au travail.
306
Conclusion
La controverse engagée à propos de l’intervention collective en travail social, tantôt pointée
comme une question d’ordre institutionnel, tantôt comme une question de formation, a
mobilisé notre recherche. En partant de la généalogie des « maisons sociales », et en
utilisant la focale du genre, un travail de recontextualisation a permis de mettre en évidence
la place de la citoyenneté politique des femmes dans la structuration de cette action
collective, nommée intervention sociale. Par leur initiative collective vis-à-vis d’une question
publique, elles inscrivent leur action dans l’espace publique de la Nation, malgré le déni qui
leur est fait « de prendre part » à la vie politique.
En étudiant le processus collectif ainsi engagé, l’intervention sociale prend une
dimension politique au croisement d’une dynamique de subjectivation d’individus féminins.
Cette action illustre le caractère nécessairement collectif de la citoyenneté politique des
femmes mis en évidence par Bérengère Marquès-Pereira pour conquérir ce droit. Pour
307
accéder à la qualité de sujet (individu autonome) et à l’exercice d’une citoyenneté politique
de plein droit, il leur faut agir collectivement et faire valoir des points de vue de sujets
assemblés qui deviendront des sujets de droits. C’est dans ce sens que l’accès à la
citoyenneté des femmes se construit collectivement pour faire advenir des droits indivduels.
Cette dimension collective de la citoyenneté ouvre des perspectives pour l’ensemble des
individus-sujets dont les éléments clés issus de la recherche sont présentés dans cette
conclusion.
L’analyse diachronique des conditions historiques qui a favorisé l’émergence du travail
social laïc implique de considérer la question sociale telle qu’elle s’est trouvée formulée dans
la société française tout au long du XIXème siècle. Ce point de départ a constitué un premier
socle d’interrogations collectives autour du principe d’égalité d’individus libres et les
conditions de vie inégales dans la société. Ainsi ce que nous nommons ou englobons
actuellement dans la notion de solidarité prend son origine dans un débat politique qui tente
d’articuler liberté et égalité des sujets en démocratie. Ce que nous véhiculons sous le terme
de solidarité publique ou de politiques de solidarité a pris source dans un attachement au
principe d’égalité entre les individus sous la forme d’une loi organique énoncée par Léon
Bourgeois (1896), la loi naturelle d'interdépendance.
Cette compréhension des termes du débat conduit à considérer la complexité d’une
question intitulée la question sociale, sa nature dynamique et son absence de résolution
définitive dans le temps long de l’histoire, c’est-à-dire en acceptant les va et vient dans le
temps, à contre-courant par exemple d’une chronologie de la protection sociale qui poserait
ses bornes avant et après 1945. Pour un temps qui correspond à la mise en œuvre de l’État
Providence jusqu’à son ébranlement, la question est comprise comme en construction puis
résolue et prise en charge. Elle réapparaît depuis les années 2000 au cœur des débats
politiques. Pour illustrer cette résurgence du questionnement, nous pouvons nous référer
aux discours et observations de la pauvreté indigente associée à la révolution industrielle au
cœur des années 1830 et à ceux concernant les travailleurs pauvres dans une société
d’emplois des années 2000. C’est l’inconditionnalité de droits sociaux, l’assistance de l’État à
308
des individus-citoyens, qui est discutée dans les deux cas. Cependant dans les débats actuels,
soit il est fait abstraction du principe d’égalité entre membres de la communauté nationale,
soit la mise en discussion de l’existence des droits inconditionnels ébranle de fait le principe
politique d’égalité constitutionnelle entre individus-citoyens.
Ce constat nous conduit à considérer le potentiel d’exercice de la citoyenneté
politique par chaque membre de la communauté locale ou nationale comme le facteur clé de
la vie démocratique et comme un déterminant de l’égalité réelle entre les sujets-citoyens.
Cette considération impacte les manières de concevoir les politiques de solidarité et leur
mise en œuvre pour intégrer les points de vue citoyens, leur contribution aux analyses et aux
perspectives afin d’identifier ce qui sera bénéfique pour les personnes concernées et pour la
vie ensemble. C’est ce mouvement de participation démocratique qui est nécessaire pour
activer et augmenter la compréhension du principe d’égalité constitutionnelle.
Dans cette acception, nous comprenons qu’il ne s’agit plus seulement d’impliquer des
bénéficiaires, des ayants-droits mais de mobiliser dans une dynamique égalitaire des élu.e.s,
des responsables-décideurs, des cadres, des professionnel.le.s de différentes disciplines pour
concevoir d’autres espaces de réalisation, d’autres dispositions d’intervention en solidarité
aux différents échelons de l’action publique.
Sur le même plan, l’examen approfondi des débats conduisant à l’émergence de l’idée
de solidarité, nous a conduit à retenir le référentiel d’égalité, issu de la période
révolutionnaire, comme un moteur d’initiatives entre individus libres et entreprenants. Le
référentiel ainsi identifié sert de révélateur des inégalités de genre dans l’action collective
étudiée - la conception du travail social laïc - et dans l’exercice de la citoyenneté politique.
Ces inégalités constituent à leur tour des blocages à la mise en œuvre concrète du principe
d’égalité.
L’attention au principe d’égalité met l’accent sur deux dimensions principales : l’égalité
formelle (référence au principe de droit), l’égalité réelle (ce qui est possible en situation).
L’approfondissement de la notion dans les contextes historicisés conduit à ajouter l’égalité de
309
relation (qui relie à la condition humaine commune). La prise en compte de ces trois facettes
de l’égalité assemblées dans cette recherche est au cœur de la conception d’un travail social
acteur des politiques de solidarités. Cela implique un certain nombre de considérations et de
mutations réelles au sein du champ professionnel. Nous en retenons trois qui font système
dans l’organisation actuelle :
- prendre en compte l’héritage de la division sexuée à l’œuvre dans les modes de
pensée et les modes d’interventions au sens où se reconduit une disqualification des
personnes « cibles » de cette action publique, des professionnel.le.s., des budgets,
incompatible avec le libre exercice de la citoyenneté politique en démocratie.
- discuter le principe de hiérarchisation comme système d’organisation dominant des
modes de pensées et des modes d’organisation. Cette norme appliquée à l’action sociale
conduit à une subordination des interventions sociales (personnes, personnels, élu.e.s,
temps, budgets) aux autres secteurs d’activité de la nation, à une absence d’autonomie
conceptuelle et politique.
- concevoir un management des interventions sociales qui rende compte de la
spécificité de cette action publique attachée au principe d’égalité entre les personnes. Par
leur considération comme partie prenante de l’action et leur contribution à la politique
publique, c’est l’effectivité du développement social qui sera rendu possible. Cette
compréhension fait rupture avec l’exigence de responsabilisation des bénéficiaires de l’action
publique et introduit de fait un changement de posture institutionnelle et professionnelle.
Cet objectif reconnu, c’est une autre étape d’émancipation collective qui pourra se réaliser.
La présentation des résultats de la recherche ainsi faite, il nous semble intéressant de
souligner dans cette conclusion deux autres dimensions de ce travail. En premier lieu nous
souhaitons revenir sur les apports liés aux choix méthodologiques, puis nous explorerons les
usages possibles des résultats du point de vue du travail social.
A l’issue de ce travail, les choix méthodologiques se sont révélés particulièrement
fructueux et cohérents. En effet les analyses de genre sont souvent présentées sous le
310
registre de ce que nous nommons une égalité stricte, à savoir faire apparaître des distorsions
de valeur entre les places des femmes et celles des hommes. Cette dimension oublie de
poursuivre l’analyse des conséquences de ces lectures pour envisager les seules corrections
au niveau quantitatif voire chiffré. Il ne s’agit pas de nier l’importance de ce premier niveau
d’analyse et des effets produits par ces corrections. Cependant les études sur les processus
et particulièrement sur les rapports de pouvoir dans les relations entre les individus nous ont
appris les limites de ces analyses. A cet égard, les analyses de genre sont utiles dans la
compréhension apportée aux processus actifs pour avancer dans des transformations
significatives. Dans le cas présent, ce qui a pu être considéré, c’est la construction genrée du
travail social laïc à partir de la place de la citoyenneté politique dans cette structuration.
Cette méconnaissance levée par les analyses de genre permet de questionner autrement les
impasses perçues dans cette action publique concernant la dimension collective.
La focale du genre a permis de questionner les subordinations à l’œuvre. Nous avons
pu repérer l’existence d’actions collectives au sein de cette action publique tout en
comprenant que ces actions sont commentées, jugées à partir d’un référentiel masculin de
l’action collective. De même, le processus hiérarchique mis en place ne permet pas une
analyse des réciprocités des actions. Seules les pratiques et les postures in fine des
interventions sociales sont l’objet de discussion, de critiques. Dans ce processus, c’est la
notion d’interdépendance des actrices et des acteurs qui a été abandonnée au profit d’un
ordonnancement de l’action établie. Pour illustrer cette confusion et les tensions générées, il
est possible de reprendre le conflit souvent cité qui a concerné les élus des Conseils généraux
lors du démarrage de la décentralisation et les professionnel.le.s du travail social,
principalement les assistantes sociales.
Il est souvent fait mention des conflits de légitimité, des refus d’une nouvelle autorité.
Dans la période (les années 1980), ce qui prime c’est le nouvel ordonnancement des
politiques publiques, leur territorialisation dans une administration territoriale qui s’élabore
selon les schémas classiques et les références de l’encadrement hiérarchique. Malgré le
rapprochement de la décision politique des questions à traiter par la proximité des élus
décideurs, la période ne s’ouvre pas sur la démocratisation du pouvoir, sur l’association des
311
forces et des compétences. La capitalisation des savoirs issus de la professionnalisation d’un
secteur entre en concurrence localement avec la conception et l’héritage du pouvoir
politique d’une « démocratie monosexuée et masculine ». Ce conflit pourrait s’étudier en
propre en différents lieux du territoire national. Il poursuivrait les compréhensions engagées
sur les exercices différenciés de la citoyenneté politique et conduirait aux réexamens des
légitimités politiques pour permettre les élargissements attendus dans les recherches de
nouvelles formes démocratiques (démocratie participative, démocratie contributive,
démocratie d’initiative citoyenne).
Ainsi l’analyse de l’ordre sexué de la société débouche sur d’autres indicateurs de
transformations possibles pour le corps social dans son ensemble. Entre la période
fondatrice d’un travail social laïc professionnalisé et la période contemporaine, l’exercice de
la citoyenneté politique est identifié comme un verrou toujours actif dans la mise en œuvre
d’une solidarité politique. Cet exercice est au cœur d’une disqualification entre membres de
la communauté locale ou nationale. Cela conduit à interroger les rapports sociaux et les
rapports politiques produits/inscrits dans le travail social au regard de cette dimension pour
examiner ce qui change dans les rapports sociaux par l’intervention sociale. Ce changement
concerne les professionnel.le.s du secteur comme les publics « cibles » de ces politiques. Les
articulations entre les dimensions politiques et les dimensions sociales de la citoyenneté ne
peuvent être dissociées dans un travail social fondé sur une solidarité politique. L’analyse
conduite à cet effet du point de vue des interventions des professionnel.le.s en interactions
avec des publics et l’encadrement (au sens large du travail social) précise le réel de part de
citoyenneté mobilisée de part et d’autre dans les pratiques.
Ce que nous a appris notre deuxième choix méthodologique, l’analyse sociohistorique du travail social, c’est un processus de création de cette action publique en deux
temps. Une première période qui correspond à un contexte d’effervescence et d’initiatives
associées puis une seconde période de légitimation par la professionnalisation sous l’égide
de l’État. Cette seconde étape vient entériner l’absence de pouvoir politique des fondatrices
tout en adoptant leur création, l’intervention sociale, comme réponse utile et souhaitée.
Ainsi les différentes analyses mobilisées et cette recherche permettent de réunir ces deux
312
étapes pour conclure sur la construction politique ainsi réalisée. Par ailleurs, la création des
Maisons sociales, leur objet (la résolution locale de la question sociale), leur gouvernance,
l’ensemble des éléments tels que nous les avons étudiés signent la mise en œuvre d’un
développement local (au sens formulé au sein des États généraux du travail social) avant
l’heure. Cette lecture peut être une ressource pour avancer en concertation d’actrices et
d’acteurs de cette action publique dans le temps présent. Il ne s’agit pas tant d’inventer de
nouvelles pratiques que de s’émanciper collectivement d’une organisation héritée. Pour ce
faire, nous redisons la portée des interventions collectives actuelles en travail social.
Dans la mesure où elles s’appuient sur la citoyenneté politique des individus-sujets,
les interventions collectives sont porteuses d'une confrontation entre un mouvement
d’actions collectives du travail social avec la société civile et des logiques d’actions publiques
institutionnalisées qui pour leur majorité s’abstiennent de la capacité contributive de sujetscitoyens. Ce phénomène est à la fois l’héritage d’une pensée et d’une organisation que nous
avons présentées mais tout autant la conséquence de la structuration genrée de cet
héritage. Il nous permet de mettre en lumière la part collective de la citoyenneté aujourd'hui
minorée dans l'action publique au profit d'une citoyenneté centrée sur un exercice et un
usage individuel. C’est cet héritage d'une construction monosexuée de l’espace public de
délibération qui entre en tension voire en conflit avec le potentiel des interventions
collectives en travail social. Pour autant ce constat est aussi un point de départ possible pour
l’intervention sociale professionnalisée. Nous allons donc présenter les perspectives
envisagées de ce point de vue.
Plusieurs usages peuvent être retenus des conclusions énoncées. Tout d’abord nous
partons du travail social laïc constitué dans la cité comme un espace de conception pacifique
et d’égalité de relation (les Maisons sociales) contribuant à une démocratie sociale inclusive.
Cette conception ne nie pas les tensions et les oppositions présentes, elle propose
l’expérimentation collective comme mise en débat public, accepte « la dénonciation
publique » comme mise en procès de l’inégalité, de l’injuste. Ensuite nous avons montré
313
comment les interventions collectives contemporaines poursuivent cette dynamique et
constituent à leur manière des espaces contributifs pour que les personnes soient « sujet »
d’une démocratie avant d’être « objet » d’une politique publique.
Cette conception initiale et originale fait tension politique dans l’intervention sociale
car elle demande à considérer des espaces possibles de co-élaboration publique de
problématisations collectives en renouant avec la capacité créatrice d’individus-sujets. Là est
la source, de notre point de vue, de la dimension conflictuelle de ce qui est désigné
aujourd’hui comme interventions collectives en travail social entre les parties prenantes de
l’action publique. Dans la logique des sphères séparées et des hiérarchies instaurées entre
actrices et acteurs de cette action collective de la société sur elle-même, il y a peu de
modèles ou d’exemples de conceptions ou concertations coopératives à disposition des
questions à résoudre. En considérant différents mouvements à l’œuvre actuellement, il est
possible de repérer des recherches convergentes et les développements que cela entraîne :
le regain de prise en compte des pratiques d’éducation populaire (Résonnances 2016), la
valorisation des savoirs citoyens (Deboulet, Nez, 2013), les recherches sur les croisements
des savoirs (ATD, CNRS, CNAM, 2017) et sur la participation de la société civile (Sciences
citoyennes, ADEME, 2018). Ces recherches sont particulièrement considérées et suivies par
les actrices et acteurs de l’intervention sociale. Elles viennent nourrir et enrichir les
expériences et le potentiel présenté dans les interventions collectives en travail social dans
une perspective a-hiérarchique.
Dans ce cadre il est possible de renouer avec le double mouvement émancipatoire de
personnes-sujets en société. Cela conduit à penser la citoyenneté politique comme l’élément
moteur d’une action publique dans un cadre démocratique. Il s’agit de transformer
l’imaginaire des logiques institutionnelles du travail social contemporain pour porter
attention à l’égalité ou l’inégalité de citoyenneté politique entre les actrices et les acteurs de
l’action collective. Cela concerne non plus la consultation des personnes mais les pouvoirs de
conception et de décision dans la chaîne de construction et de modification d’une politique
sociale. A titre d’exemple, cette conception transformée de l’action publique du travail social
s’expérimente localement dans plusieurs Conseils départementaux à partir des comités
314
consultatifs des allocataires du RSA, dans des Villes à partir des Centres communaux d’action
sociale (CCAS). Elle implique une mobilisation importante des professionnel.le.s de ces
interventions sociales et des cadres auprès des élu.e.s pour permettre d’adopter des
postures d’égale citoyenneté, de concevoir les temps et les espaces de rencontre. Ce travail
est propice à l’examen des tensions à l’œuvre dans notre société, à la considération des
conflits pour offrir le point de départ d’une fabrication collective des motifs de l’action
publique. Ce savoir-faire de médiation ou d’intermédiation que nous avons précédemment
nommé « capitalisation des savoirs issus de la professionnalisation » intéresse le corps social
dans son entier et qui est peu valorisé ou mobilisé au sortir des centres de formation par les
organisations des services ou les institutions employeurs. Cela ouvre des perspectives en
termes de savoirs partagés et de co-formation peu développées à ce jour du fait du
cloisonnement important entre actrices et acteurs, dispositifs et financements. L'action
collective au sein de l'espace public requiert des savoir-faire et des savoir-être dont une
partie sont encore à inventer pour être considérés – exemple en matière de gouvernance du
développement local - et contribuer ainsi à rétablir le déséquilibre énoncé ou les
manquements à la dimension collective de la citoyenneté. Il y a là un champ d’exploration
important sur la base d’une diversité d’expériences et d’une acception politique du travail
social. Ceci nous amène à repréciser et développer les résultats concernant la solidarité
nationale ou la solidarité comme politique.
L’analyse socio-historique de notre recherche a permis de montrer comment cette
action collective issue d’une initiative de femmes de la société civile articule travail avec
autrui et travail sur autrui pour construire une solidarité démocratique, en cherchant ainsi à
se différencier de la solidarité charitable en usage. C’est donc en s’émancipant du modèle
précédant que les actrices ont bâti une conception d’intervention sociale laïque. Elles se sont
appuyées sur le fondement politique de la solidarité que nous avons présenté et dont il
convient de redire la filiation avec le référentiel révolutionnaire d’égalité entre des individussujets en démocratie. Pour le formuler d’un point de vue scientifique, c’est cet ensemble qui
a produit un nouveau cadre d’intervention : les prises d’initiatives d’actrices et le référentiel
mobilisé. A partir de cette lecture, il est possible de saisir dans les débats contemporains qui
315
mettent en scène la solidarité, les liens ou les écarts avec le référentiel initial d’égalité et de
contribuer ainsi à la production d’éléments de discernements ou d’appuis théoriques
nécessaires aux délibérations en jeu. Ce travail de connaissance est à diffuser et à mobiliser
pour concevoir les réponses et les services aux personnes isolées ou en collectif.
A titre d’exemple, la terminologie de solidarités dites actives et les mises en dispositifs
énoncées sont pour la plupart une distorsion de la notion de solidarité au nom d’une
participation peu politique (au sens du possible exercice de citoyenneté). Le débat formulé
aujourd'hui associe et remplace « solidarité » par « assistance » selon deux versants,
l'assistance qui produit de la dépendance, l'assistance qui produit de l'autonomie. Dans les
deux cas, cette formulation conduit à une référence implicite à des manques et seulement à
eux ; elle gomme et méconnait la compréhension de la solidarité comme une donnée vitale
humaine qui est la source d'un droit issu du droit des obligations et de l'expérience de
l'espèce humaine et de ses égarements pouvant conduire à des conflits mondiaux (Arendt,
2009-Supiot, 2010). C'est donc la dimension même d'interdépendance comme socle
commun qui demande à être travaillée et reliée au principe d'égalité.
Ainsi que nous l’avons étudié dans notre première partie, le rôle de la solidarité
comme fondement de l’État social est une manifestation de l'interdépendance reconnue qui
existe entre des sujets libres d'une même société. Elle rend compte de la souveraineté
collective du citoyen. Il y faut donc la contribution de tous « individuellement ». A travers
différentes explorations (logique des sphères séparées, citoyenneté politique, travail du care,
préséance du Droit), nous avons apporté des éléments à ce travail de discussion pour
reconsidérer les composantes de dépendance et d’autonomie présentes à l’aune d’une
solidarité comprise aussi comme le résultat d’une expérience collective. Dans cette
perspective, nous avons indiqué les changements de postures simultanément tant du point
de vue institutionnel que du point de vue professionnel. Cette étape est nécessaire mais doit
conduire à oser de nouveaux réflexes pour réorienter l’action publique.
Pour terminer, nous voulons indiquer comment ces orientations pour l’intervention
sociale et les analyses précédemment énoncées constituent autant de sujets possibles de
316
recherche dans le champ du travail social. Ce travail a montré une pluralité (non exhaustive)
de sujets qui comptent pour la vie démocratique et l’intérêt d’approfondir les liens entre des
référentiels théoriques et les conceptualisations d’une action pour être en résonance avec la
société et les questions qui sont les siennes. Cette démarche de recherche est aussi au
fondement de la création du travail social laïc. Poursuivre et développer ce champ de
recherches représente certainement une utilité sociale mais constitue aussi un enjeu pour
une démocratie vivante. Le travail de recherche a mis à jour l’exercice de la citoyenneté
comme élément central de cette création avec les incidences et les ressources que cela
implique. Cette identification est en cohérence avec la définition du travail social adoptée en
2017 et constitue une finalité des interventions. Cette compréhension illustre comment un
travail sur les référents théoriques de l’intervention sociale actualise et enrichit les mises en
œuvre. Elle permet de quitter une posture essentialiste du travail social et de participer aux
questions mises au débat public : action collective, développement social, solidarités actives,
participation des personnes accompagnées.
Dans la continuité de la conférence de consensus sur le travail social et la recherche
(2013), il paraît opportun de mettre au travail l’étude des références d’action de ce champ
aujourd’hui éparses entre les disciplines académiques et les équipes de recherches prises
dans le jeu de leur propre valeur. Si l’autonomie de la recherche, des équipes, n’est pas à
discuter, l’hétéronomie du secteur souvent nommée et la montée en puissance du
croisement des savoirs dans une société soucieuse d’une égalité-relation nécessitent un
travail d’inventaire des ressources et travaux déjà conduits dans cette perspective pour
constituer à plusieurs un fonds commun et non un fonds unique.
Nous pensons que cette étape permettrait de dépasser un certain nombre de
tensions et de questions toujours rappelées sans qu’une issue soit trouvée. A cet égard,
notre travail a montré la diversité des sources de savoirs possibles concernant les sujets du
travail social et les effets d’une mobilisation conjointe pour tenir compte des avancées d’un
domaine et les questionnements d’un autre. Il reste à trouver la pluralité des participations
dans cette transversalité des ressources elles-mêmes plurielles pour une production de
connaissance reconnue. Cette pluralité est certainement le nouveau défi du secteur entre la
317
diversité des personnes concernées, entre l’interdisciplinarité requise pour comprendre et
construire de nouvelles connaissances, entre les processus d’accaparement des savoirs dans
les organisations actuelles.
318
319
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338
Annexes
339
Annexe 1 Les instances d’UNAFORIS
Union des Acteurs de la FOrmation et de la Recherche en Intervention Sociale
L'UNAFORIS EST UNE ASSOCIATION LOI 1901 CRÉÉE LE 11 MARS
2009.
SES STATUTS
ONT
ÉTÉ MODIFIÉS LORS
DE
L'ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE EXTRAORDINAIRE DU 12 MAI 2015. SON RÈGLEMENT
INTÉRIEUR A ÉTÉ ADOPTÉ LORS DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU
25 NOVEMBRE 2015.
L’assemblée générale (statuts - article 5) est composée des toutes les associations
ou établissements publiques gestionnaires d'établissements de formation en travail
social adhérentes à l'UNAFORIS (130 adhérents au 31 décembre 2015). Elle entend
les rapports (financier et d'activité) et les orientations, se prononce sur chacun de ces
rapports, vote le projet associatif, etc.
Elle élit le Conseil d'administration (statuts - article 6), qui est composé de trente
membres répartis en deux collèges (collège des régions et collège des
membres) pour 3 ans.
L'association est aussi dotée d'un comité exécutif (statuts - article 7), composé de 7
membres : six membres élus par le CA (le président du CA, deux vice-présidents du
CA, le trésorier, deux administrateurs) et la déléguée générale. Celui-ci concourt à la
direction effective de l'association.
L’association comprend deux instances de consultation : le conseil des
régions (statuts - article 9-1) composé de représentants désignés par chaque
plateforme UNAFORIS régionale et le conseil d'orientation consultatif (statuts article 9-2) composé de personnes physiques ou morales, cooptées au sein du
réseau des adhérents et parmi ses partenaires.
Par ailleurs, un comité d'adhésion auditionne les candidats désirant adhérer à
l’UNAFORIS et contrôle le respect des conditions d’adhésion.
340
Voir ci-dessous le tableau des répartitions Femmes - Hommes dans les instances politiques
d’UNAFORIS.
Tableau de répartition F/H au sein des deux collèges du Conseil d’administration
Nombre de
Nombre d’Hommes
Non désigné
Femmes
Collège des Régions
4
10
3
2
9
0
1
5
0
7
24
3
(17 membres, 1 par
plateforme régionale)
Collèges des membres
(13 représentants des
établissements
adhérents)
Comité exécutif
(6 membres)
Total
Sources : site UNAFORIS
341
Annexe 2
Les diplômes et formations du travail social
Accès à la formation sans le BAC
Diplômes
Diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES)
Fusion des diplômes d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) et
d’aide médico-psychologique (DEAMP)
→ Diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS)
Durée de la formation
de 9 à 24 mois
525 h d’enseignement
théorique
+ 840 h de formation pratique
de 9 à 36 mois
504 h d’enseignement
théorique
+ 4 mois de stages
de 12 à 24 mois
495 h d’enseignement
théorique
+ 6 mois de stages
Diplôme d’État d’assistant familial (DEAF)
Fiche formation
2 ans
950 h d’enseignement
Diplôme d’État de moniteur éducateur (DEME)
théorique
+ 7 mois de stages
de 18 à 24 mois
Diplôme d’État de technicien de l’intervention sociale et familiale 950h d’enseignement
(DETISF)
théorique
+ 33 semaines de stages
→ Diplôme d’État d’aide médico-psychologique (DEAMP)
Accès à la formation avec le BAC*
*Pour les non bacheliers, possibilité, sous certaines conditions, de passer un examen de niveau
Diplômes
Diplôme d’État d’éducateur technique spécialisé (DEETS)
(* Admission possible avec un diplôme de niveau V et une
expérience
professionnelle)
Diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE)
Durée de la formation
3 ans
1200 h d’enseignement théorique
+ 15 mois de stages
3 ans
1500 h d’enseignement théorique
+ 15 mois de stages
342
Diplômes
Diplôme d’État d’éducateur spécialisé (DEES)
Diplôme d’État d’assistant de service social (DEASS)
Durée de la formation
3 ans
1 450 h d’enseignement théorique
+ 15 mois de stage
3 ans
1 740 h d’enseignement théorique
+ 12 mois de stage
Accès à la formation avec un diplôme supérieur au BAC
Diplômes
Durée de la formation
1 an
Diplôme d’État de conseiller en économie sociale familiale
540 h d’enseignement
(DECESF)
théorique
+ 560 h de stage
490 h d’enseignement
Diplôme d’État de médiateur familial (DEMF)
théorique
+ 105 h de formation pratique
Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de
400 h d’enseignement
responsable
théorique
d’unité d’intervention sociale (CAFERUIS)
+ 420 h de formation pratique
700 h d’enseignement théorique
Diplôme d’État d’ingénierie sociale (DEIS)
+ 175 h de formation pratique
Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement 700 h de formation théorique
ou de service d’intervention sociale (CAFDES)
+ 510 h de formation pratique
mise à jour 05.03.18. https://solidarites-sante.gouv.fr
343
Annexe 3 Extraits de presse nationale : journal L’AURORE
Journal du mercredi 3 mars 1909, 1ère page.
Journal du mercredi 10 mars 1909, page 1 et 5.
Sources : Archives de la Bibliothèque Nationale (BNF), Gallica Presse et revues
http://gallica.bnf.fr/html/und/presse-et-revues/presse-et-revues
344
Extraits de presse régionale : journal L’ÉCLAIR
Journal du mercredi 3 mars 1909, 1ère page.
Journal du mardi 9 mars 1909, page 2.
Sources : Archives départementales en ligne de l’Hérault.
http://pierresvives.herault.fr/entites/archives-departementales
345
Annexe 4 Axe de recherche N°2 du PREFIS - LR
« Initiatives collectives, développement social et lutte contre les discriminations »
Axe de recherche N°2 du PREFIS - Languedoc Roussion, 2010.
Bigitte Baldelli, Cathy Bousquet, Elsa Piou.
Le contexte est à la participation mais comment se décaler du débat ambiant et viser une contribution à la
question environnante ? C'est ainsi que nos observations réunies ont permis d'opter pour la question de
« l'initiative collective » : son émergence, sa construction dans les contextes socio-éco et politiques des
territoires de notre zone d'influence (le Languedoc-Roussillon).
Dans les actions collectives le croisement du social et du politique suppose une appréhension de la
complexité. Car celle-ci interpelle un mode d’analyse où il s’agit de penser les mises en tensions, les
antagonismes complémentaires, les crises et les conflits. Ainsi, dans notre démarche nous nous intéressons
à saisir comment les actions collectives peuvent tendre à la fois à la démocratisation du social tout en
ciblant des populations, comment elles peuvent représenter un espace d’expression de la militance des
acteurs du social tout en valorisant l’ingénierie sociale, comment elles peuvent être un accompagnement à
la construction d’un espace public d’expression tout en revendiquant la neutralité politique ?
Poursuivant le questionnement du côté des freins ou des pannes énoncé-es à la mise en œuvre
d'un développement social, nous rencontrons régulièrement des énoncés d'incapacités, d'absence de
savoirs, de besoins de formation du côté des professionnel-les alors que dans les mêmes espaces
territoriaux, institutionnels ou les mêmes équipes et cela sans cloisonnement générationnel, ou temporel
ces pratiques existent, cohabitent.
Ces observations nous ont conduites à émettre l'hypothèse suivante : la question des
méthodologies d'intervention ou de l'accès à ces savoirs bien souvent mise en avant ne constituent pas le
problème pour les professionnel-les mais il s'agirait bien plus d'une question d'autorisation à agir dans
cette forme d'intervention, voire d'une crise de légitimité d'intervention ou encore d'une question de
réassurance des savoirs-agir dans ce mode d'intervention professionnelle.
Nous pourrions alors prendre les demandes de formation, les énoncés d'incapacités de la part des
professionnel-les comme des formes d'expressions d'un désir de faire, d'une envie « d'y aller », jusque-là
réservée à certain-es, contenue pour d'autres, éteinte, voire interdite et réveillée dans/par le contexte
actuel.
346
Une seconde hypothèse est pour nous sous-jacente et questionne la construction démocratique. Si
la philosophie du développement social suppose de reconnaître et prendre en compte les solidarités et
ressources locales, explorer les « initiatives collectives » devrait nous permettre d’étudier dans quelles
mesures elles sont révélatrices ou non du cadre démocratique. Plus largement, cette hypothèse
questionne la complémentarité et les possibilités d’enrichissement entre politiques sociales et initiatives
collectives. Nous faisons l’hypothèse que le développement social s’inscrit dans un espace démocratique,
et qu’en ce sens, les initiatives citoyennes peuvent être étudiées comme des « politiques sociales de
proximité ».
Nous pensons que face à ces questionnements et ces paradoxes de l’intervention sociale une voie de
transformation sociale existe dans le cadre des démarches de développement social, à travers des
interventions où le collectif est pensé et agit, si les intervenants parviennent à prendre en compte la
question de la démocratie comme un objet structurant de leurs actions.
Nous pensons aussi que cela implique une posture de l’intervenant comprenant une lecture politique du
social, une éthique de la réciprocité, et une représentation positive du public et enfin qu’il s’autorise luimême à agir à partir de cette posture.
Il nous semble alors qu’un décalage soit nécessaire pour la/le professionnel-le qui doit pouvoir apporter de
l’ouverture à l’institution afin de pouvoir démocratiser son action en ne s’adressant pas seulement aux plus
démunis (Ouverture de l’intervention sociale au développement social pour tous). Cela suppose un
engagement politique (au sens de la vision concernant le projet de société) sur des choix d’intervention qui
percutent des modes de fonctionnement institutionnels tels que sont l’approche par les publics en
difficultés, l’approche descendante, le ciblage des populations…
347
Annexe 5 Les institutions facilitantes
Voir la plaquette de 6 pages ci-après.
348
349
350
351
352
353
354
Annexe 6 S’autoriser à
Jean Louis Cazottes
Nous situons la notion de « s’autoriser à », dans le cadre d’un positionnement
professionnel ou associatif qui est régi soit par la politique de l’institution pour laquelle nous
travaillons, soit par les buts de l’association dans laquelle nous sommes engagés.
S’il est bien admis que nous agissons dans des champs d’intervention limités, nous ne
sommes toutefois pas dans une démarche de programmation. Démarche développée de plus
en plus par certaines institutions. Néanmoins, une démarche programmée ne peut-elle pas,
également laisser un espace pour la création ? S’autoriser à quoi ?
S’autoriser à donner la parole…
…aux usagers, aux partenaires, aux décideurs. Il y a un risque, mais un risque calculé, régulé
par la méthodologie dont le travailleur social ou l’animateur est garant. (Charte de
fonctionnement du groupe, rappel des missions, des buts…), en bref, du cadre de l’action.
Les marges de création sont à la hauteur de la place qu’on laisse aux gens. Donc, dans ce cas,
il y a co-production. Le groupe nous autorise à l’acceptation de la création. Il lève nos
appréhensions. Pour faciliter la parole, le vecteur culturel est un outil important qui favorise la
création. Si on va chercher les potentialités, ce qui « fait » la personne, on aura une palette
d’actions différentes.
S’autoriser à faire confiance.
Pour mettre un groupe dans les meilleures conditions pour créer, il est indispensable que le
professionnel valorise chacune des personnes à travers ce qu’elle est, et reconnaisse ses
potentialités. Sa posture se situe dans sa capacité à donner et à recevoir et à favoriser ce va et
vient entre les membres du groupe eux-mêmes. En effet, l’aide mutuelle, l’interpellation par
des pairs provoque du changement.
Donner à chacun sa place : usager, partenaires. S’autoriser à ne pas savoir tout faire : on
s’enlève de la pression par rapport au groupe !
355
S’autoriser à se reconnaître « expert » des problématiques sociales territoriales,
à partir de l’accompagnement social individuel et de notre réseau.
A travers les problématiques des personnes, on repère des groupes. C’est de la recherche
ethnosociologique.
Oser une parole !
S’autoriser à réinterroger l’institution sur ses orientations.
Par la remontée et l’analyse des besoins du terrain, de l’évolution de telle ou telle
problématique.
Par la parole des gens qu’ils soient usagers, partenaires ou élus.
Par la dynamique du collectif.
Le groupe peut permettre de remettre en cause la norme.
Si l’ISIC emprunte à l’ISAP les principes fondamentaux, (respect, autonomie de la
personne…), le positionnement professionnel est toutefois différent.
La relation aux personnes n’est pas la même. On est impliqué différemment dans la relation
en ce sens que le point d’appui n’est plus le seul travailleur social mais le groupe.
Dans l’ISIC, c’est un groupe qui travaille et produit avec la fonction particulière du travail
social centrée sur l’animation, la méthodologie et la construction du sens.
Jean Louis Cazottes, in « L'ISIC et marges de création », Bousquet C. (dir.). Le Sociographe, Editions Ed.
Champ social, Nîmes, 2014.
356
Annexe 7 Formation - sensibilisation au collectif
IRTS Montpellier, Lettre des Administrateurs, 2016.
Un regard sur le principe de la participation des personnes accompagnées à des actions de
formation, l’expérience d’un module de formation initiale à l''intervention collective.
Cette pédagogie nouvelle est possible avec le support du Laboratoire de recherche et d’expérimentation des interventions collectives (LaboISIC de l’IRTS Montpellier) qui permet en
amont un travail de dialogue à égal entre participant.e.s. Cet espace de recherche-action
constitue un premier croisement des regards sur la situation retenue et la reconnaissance
d’expertises diverses.
Le principe de base de cette séquence est de réunir sur un temps de formation commun des
étudiant.e.s en 1ère année DEASS, des étudiant.e.s CESF, des professionnel.le.s en formation conti nue (sur inscription volontaire), des cadres pédagogiques. Ce module est placé en milieu d'année de
formation (février). La matinée est consacrée à une présentation en sous-groupes (15-20 personnes
en formation) de deux actions collectives en cours.
L'ensemble des actions et leur porteurs sont présenté.e.s en amphi à tous pour dès l'ouverture du
module souligner la multiplicité des questions abordées et la diversité des intervenant.e.s en position
de formateurs. Les équipes sont variables : participant.e.s des actions et professionnel.le.s accompagnants ; ancien.ne.s étudiant.e.s nouvellement diplômé.e.s ; professionnel.le. seul.e.s ou avec étudiant.e.s en stage. L'installation de ce déroulement prépare les auditrices et auditeurs à une capacité
d'étonnement, à un déplacement des attendus.
S'agissant d'un premier module de formation, l'animation de chaque sous-groupe est confiée
à un.e formatrice ou formateur garant du temps d'exposé et des échanges fixés sur la compréhension
des mobiles de l'action et sur le décryptage des participations de toutes les parties associées.
357
Le travail de l'après-midi se poursuit en groupe de pairs apprenants : les étudiant.e.s d'un côté, les
professionnel.le.s de l'autre. A ce jour le groupe participant.e.s/professionnel.le.s quittent l'espace de
formation après le déjeuner pris avec l’ensemble des intervenant.e.s pour profiter d'un temps d'ex cursion en ville et rentrer chez eux avant la fin d'après-midi.
D'une manière générale et avec un renouvellement des situations d'année en année, deux effets ré guliers apparaissent :
- L'un concerne l'impact des exposés comme effet modificateur de « l'image passive »
des personnes accompagnées. Les personnes mises en situation de former des apprenant.e.s
se trouvent ainsi considérées à leurs yeux par l’effet de rôle et leurs paroles ont un impact di rect sur l’auditoire. Les étudiant.e.s mesurent la notion de mal-être individuel et le besoin
humain de s'associer, d'être en collectif, de faire quelque chose avec d'autres.
Ce premier changement de regard permet de passer de la focale de l'inertie, de l'incapacité « des personnes » au chemin à parcourir parfois pour une personne pour décider de participer à une action,
un groupe dont elle connaît pourtant l'existence et l'intérêt. C'est parfois dans ce premier mouvement que la personne introduit un changement dans sa vie. La bienveillance, la constance d'un.e voisin.e, d'un.e professionnel.le sont alors la première nécessité dans le temps. Cet apport agit sur deux
niveaux de la construction professionnelle :
- la posture relationnelle en cours d'élaboration et l'indicateur des images véhiculées
dans
cette relation,
- la place des interventions collectives dans les pratiques professionnelles qui ne peut être
optionnelle.
Cette mise en résonnance entre en dialogue avec les professionnel.le.s venu.e.s comme appre nant.e.s. Elle devient la base d'échanges des pratiques d'une équipe à l'autre ou au sein d'une institu tion dans le temps de l'après-midi.
Ensuite, les projets explicitement formulés par des intervenant.e.s comme des réponses à des
besoins pour eux et les demandes adressées par eux à des professionnel.le.s repéré.e.s, montrent la
capacité d'initiative, les envies existantes malgré des conditions de vie difficiles ou précaires. Ce qui
est développé alors c'est la place du dialogue des professionnel.le.s avec l'encadrement de proximité
358
pour la prise en compte de ces demandes et leur possible traduction dans le temps, les lieux du terri toire mais aussi dans les agendas professionnels.
Ainsi les éléments constitutifs de ces interventions professionnelles sont rendus accessibles
dans des dynamiques à construire avec des implications multiples de personnes dans des cadres institutionnels divers.
C’est cette compréhension au démarrage de la formation qui est travaillée ensuite sur toute la durée
des parcours dans de nouvelles séquences de nature différente.
La conception et les participations renouvelées à ce module sont articulées à l’espace de recherche collaboratif existant depuis 10 ans maintenant au sein de l’IRTS-Montpellier, le Labo
ISIC : http://www.prefis-lr.fr/group/labo-isic
Cathy Bousquet
Responsable des relations aux champs professionnels
et du LaboISIC
359
Annexe 8 Questionnaire des étudiant.e.s DEIS
Promo DEIS n° – Date session - Fiche de trajectoire
H ou F
Formation initiale :
Brève présentation du choix initial d'entrée en formation dans le secteur du travail social Motivation et représentation du métier :
Positionnement, évolution à -----------années d'exercice :
Motivation actuelle pour formation DEIS et représentation des évolutions possibles, envisagées:(pourquoi engager cette formation maintenant)
360
Annexe 9
Mobilisation des ressources en intervention
collective
ÉTUDE TERRAIN 2017-2018, Frédérique Monégat & Nathalie Delon
DEIS 9-DF2/UF2.4
IFOCAS-ADAGES
FAIRE ESS
- 1ère page, commande initiale : examiner les conditions et la faisabilité d’un dispositif
d’Unité d’enseignement externalisée (UEE)
- 2ème page, reformulation : co construire une classe externalisée
361
362
363
Cathy BOUSQUET
Genre et travail social, un enjeu pour
l’intervention collective
Résumé
A partir d’une analyse des conditions historiques qui ont favorisé l’émergence du travail social laïc, la
dominante des femmes dans ce champ professionnel prend un autre sens. Le traitement séparé de la
question de la solidarité entre intervention politique d’une part et intervention dans un quotidien de vie
d’autre part apparaît et devient une clé de lecture de cette institutionnalisation.
Cette scission se comprend en considérant simultanément l’emprise du genre dans la construction de cette
action publique, et la mise à l’écart de la vulnérabilité comme condition intrinsèque des vies humaines. De ce
fait, la solidarité comme loi organique d’interdépendance est malmenée, l’exercice de la citoyenneté politique
occulté et la dimension collective du travail social empêchée.
Cette compréhension éclaire les questions contemporaines mises en débat : action collective, développement
social, solidarités actives, participation des personnes accompagnées. Elle contribue à enrichir le travail de
refondation en cours au-delà des questions dévolues aux temps et espaces de formations des
professionnel.le.s concerné.e.s pour impacter toute la chaîne des politiques de solidarité aux différentes
échelles de compétences.
Mots clés : citoyenneté politique – émancipation - solidarité inconditionnelle - vulnérabilité humaine travail des femmes – développement social.
Résumé en anglais
Through an analysis of historical conditions that contributed to the emergence of secular social work, the
predominance of women in this area of professional activity takes on a different significance. Treating
separately the question of solidarity between political intervention on the one hand, and intervention in daily
life on the other becomes apparent and provides a key to understanding this institutionalisation.
This division can be understood by examining simultaneously the influence of gender in the construction of
this public action, and the marginalisation of vulnerability as an intrinsic condition of human life. As a
consequence, solidarity as an organisational principle of interrelationship is undermined, exercise of political
citizenship is suppressed and the collective dimension of social work is impeded.
This understanding clarifies the contemporary issues under debate : collective action, social development,
active solidarity, participation of supported individuals. It contributes to enriching and expanding the ongoing
reform beyond the questions of times and venues for training the professionals (m/f) concerned, impacting
the chain of solidarity policies at the different levels of competence.
Keywords: political citizenship – emancipation - unconditional solidarity - human vulnerability – women’s
labour – social development.