Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Quelques réflexions sur la traduction et le plurilinguisme. Auteur de l’article : E. Variot, Cahiers d’Etudes Romanes, Centre aixois d’études romanes, 2002, Traduction et Plurilinguisme, 1-2 (7), p. 167-186, dans le volume 7/1 papier. Estelle Variot To cite this version: Estelle Variot. Quelques réflexions sur la traduction et le plurilinguisme. Auteur de l’article : E. Variot, Cahiers d’Etudes Romanes, Centre aixois d’études romanes, 2002, Traduction et Plurilinguisme, 1-2 (7), p. 167-186, dans le volume 7/1 papier.. Cahiers d’Etudes Romanes, Centre aixois d’études romanes, 2002, Cahiers d’études romanes, Traduction et Plurilinguisme, 1 [Avant-Propos et Communications (12)] et 2 [Annexes dont Traductions et Dossier de Presse] (7 ; ISSN : 0180-684X), 451 p. ; ISSN : 0180-684X. ฀hal-02498163฀ HAL Id: hal-02498163 https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02498163 Submitted on 24 Mar 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NonCommercial - NoDerivatives| 4.0 International License Quelques réflexions sur la traduction et le plurilinguisme Estelle VARIOT Université de Provence La traduction, opération littéraire “sans âme” ou véritable pont interculturel? Œuvre réservée à une élite ou don fait à l’humanité en vue de réaliser l’intercompréhension des peuples? Ces seules idées qui orienteront notre débat montreront à quel point la notion même de traduction est difficile à cerner. Des apports théoriques ainsi que des définitions de dictionnaires nous permettront d’éclairer d’un meilleur jour cette notion et d’apporter des débuts de réponses à certaines questions relatives à ce thème. Ainsi, si nous examinons la définition donnée par le Robert 1 des termes traduire et traduction, nous voyons que le verbe a deux entrées. Il dispose d’un sens général “conduire au-delà, faire passer” au propre et au figuré qui a induit le sens restreint “faire passer d’une langue à une autre“ indiqué dans les deux gloses. La première utilisation de traduire et traduction se fait dans le domaine juridique. A noter aussi les acceptions “montrer sous un certain aspect”, “incarner par des personnages”. Le sens particulier “exprimer, interpréter”, également signalé par le Robert, est à la source d’un débat entre les traductologues : la traduction doit-elle maintenir exactement le sens des mots employés par l’auteur ou doit-elle être une interprétation. Ce débat a été soulevé avec l’apparition de la linguistique. Au fur et à mesure que l’esprit s’est éveillé (XVIIIe : siècle des Lumières), les érudits et Lettrés ont commencé à étudier les langues des 1 Dictionnaire historique de la langue française, 2 volumes, Ed. Robert, Paris, 1995, s.v. points de vue comparatif et historique (cf. Ecole Latiniste de Transylvanie, dans le contexte roumain...). Cela a été la naissance des grammaires et de la philologie comparées. Au XIXe siècle, est apparue une nouvelle approche de la linguistique dont l’objet a été l’examen de “la langue envisagée en elle-même et pour ellemême”. La pensée de F. de Saussure a alors été prédominante. L’analyse de la motivation du signe linguistique a été mise en lumière. Au XX e siècle, les linguistes se penchent notamment sur le langage et ses diverses manifestations (les langues) en insistant davantage sur certains points tels que l’analyse des constituants syntaxiques, par exemple, ainsi que sur les convergences existant entre ces langues (linguistique comparée). A la fin des années 70, la traduction – dont la pratique existe dès avant le XVIe siècle – fait partie intégrante de la linguistique. La linguistique n’est plus “pure et dure” : elle n’aborde pas seulement les aspects de syntaxe et de phonétique. Elle s’intéresse aussi à la sémantique ainsi qu’à tous les processus mentaux et psychologiques qui servent de pivot au langage. Quant à la traduction, elle tend même actuellement à devenir un objet de recherche à part entière à l’intérieur de la linguistique. C’est pourquoi cette dernière, fort du constat de cette diversité sans cesse accrue, prend une nouvelle appellation : “sciences du langage”. Ces aspects psychologiques – tout comme la dimension ethnosociologique – ne sont pas toujours pris en compte dans les théories relatives à la traduction. Néanmoins, ils peuvent entrer dans le débat concernant la connotation, un problème posé notamment par J. R. Ladmiral2 et que nous allons aborder par la suite. En effet, la traduction soulève certaines questions. Elle a, avant tout, pour but de transmettre une information, un message c’est-à-dire d’assurer la communication entre des locuteurs différents, en particulier de langue différente. Elle dispense, idéalement, le lecteur de l’original. Mais, elle est sujette à un degré plus ou moins grand d’interprétation du fait des choix que le traducteur s’impose. Ceci amène parfois certains théoriciens à considérer la traduction comme une réécriture qui, poussée à l’extrême, passe d’une opération littéraire à une opération artistique. On distingue différents types de traductions et, par là même, de traducteurs. Les traductions peuvent être générales, littéraires ou 2 LADMIRAL, J. R., Traduire : théorèmes pour la traduction, Coll. Tel, Ed. Gallimard, Paris, 1994, 275 p. techniques. Elles concernent, dans ce dernier exemple, un domaine de connaissances particulier. De plus, l’on s’accorde, en général, à dire que la traduction est une opération qui se base sur l’écriture. Le traducteur a un texte source qu’il doit transposer dans une autre langue. C’est ce qui différencie la traduction de l’interprétation qui, elle, se fait à l’oral. De plus, cette dernière laisse généralement au “traducteur” une plus grande latitude. Il en existe, selon nous, deux grands types : l’une consécutive et l’autre simultanée. Dans le premier cas, on dispose d’un laps de temps qui permet de traduire l’énoncé en son entier ou fragmenté juste après la personne. Dans le second, on traduit en même temps que se fait entendre l’énoncé. Il arrive que le “traducteur” dispose à l’avance de l’énoncé (discours, ...) dont il retient les idées principales qui seront dites a posteriori en même temps que le texte source. Nous pouvons citer pour exemples les discours officiels ou les interviews. L’on voit donc que l’interprétation et la traduction supposent des connaissances très approfondies dans les deux langues, source et cible. Celle-ci nous semble néanmoins nécessiter un travail de recherche et de vérification que la plus grande spontanéité de celle-là ne permet pas. En effet, le traducteur dispose de nombreux supports sur lesquels il peut s’appuyer. Nous citons les dictionnaires mais il en va de même de l’outil informatique. En effet, de nombreux logiciels sont disponibles et permettent de réaliser des traductions. Cependant, il nous semble que la Traduction Assistée par Ordinateur se heurte à certaines limites car elle ignore fréquemment l’importance du contexte ainsi que certaines règles de grammaire qui conduisent parfois à de graves erreurs. C’est pourquoi nous considérons que la Traduction Assistée constitue une aide indéniable pour le traducteur. Cependant, elle n’est qu’un outil qui doit être, à l’heure actuelle tout au moins, contrôlé par l’homme qui est mieux à même de détecter certaines subtilités. Il existe enfin différents types de traducteurs. Les premiers sont officiels. Ils peuvent être experts auprès des tribunaux ou jurés. Ce sont en général des personnes qui ont une autre activité (enseignement...) mais qui décident pour diverses raisons de mettre leurs compétences aux services des tribunaux en réalisant les traductions des affaires en cours. Les traducteurs peuvent également travailler pour le compte d’organismes internationaux. Ils ont, là aussi, un statut officiel et disposent d’une structure spécifique qui les aide. Certains exercent à titre libéral. Ils sont en contrat avec des sociétés d’éditions ou des entreprises privées. Ils connaissent souvent d’importantes difficultés du fait que ces maisons d’édition leur réclament les traductions dans des délais très réduits afin d’assurer leur rentabilité. Une autre tendance consiste à utiliser ces traducteurs pour effectuer et rendre un travail dans une langue cible autre que leur langue maternelle. Les entreprises privées emploient parfois des personnes pour effectuer des traductions techniques au sein d’une structure qui assure par la suite une révision des travaux afin que les termes utilisés pour traduire certaines données très précises soient en harmonie et en conformité avec l’usage interne. C’est ainsi que des mots angloaméricains, par exemple, seront préférés à leur équivalent français si, dans une entreprise donnée, tout le personnel perçoit qu’ils ont des connotations propres à cette communauté. Ces différents exemples montrent à quel point la traduction est présente et réelle tout autour de nous dans la vie quotidienne. Ainsi, quand on regarde un livre, combien ne sont pas traduits? Très peu, en vérité. Cette réalité ne doit pas pour autant cacher certains obstacles à la traduction qui se sont de tout temps élevés. Cela a donné lieu à l’échafaudage de théories autour de nombreux débats tels que : peut-on traduire et doit-on traduire? Les obstacles à la traduction peuvent être divisés en trois groupes, selon J. R. Ladmiral3 : polémiques, historiques et théoriques. De tout temps, des érudits se sont montrés méfiants vis-à-vis de la traduction et, par la même, des traducteurs. J. R. Ladmiral 4 cite une paraphrase que Joseph Bédier fait de J. du Bellay (1522-1560?) – poète mais aussi traducteur à ses heures –, dans un ouvrage de G. Mounin : “Il s’agit de ne traduire, poète ou prosateur, aucun bon écrivain”. J. du Bellay – qui pouvait comparer puisqu’il pratiquait les deux opérations – semblait avoir une nette préférence pour la rhétorique et la poésie qu’il considérait comme un art. Il ne se consacrait à sa seconde activité que quand il était en manque d’inspiration mais il n’atteignait pas le même degré d’élévation et de profonde satisfaction que dans la création poétique. Un peu plus tard, au XVIIIe, Denis Diderot indique que “... il n’est pas nécessaire d’entendre une langue pour la traduire puisque l’on ne traduit que pour des gens qui ne l’entendent point”5. Cette citation est révélatrice d’une certaine tendance à considérer que la traduction est une forme de 3 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 91. LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 108. 5 Les Bijoux indiscrets apud GAGNAIRE, Cl., Le bouquin des citations, 10 000 citations de A à Z, Robert Laffont, Paris, 1997, s. v. Traduire. 4 trahison (traduttore/traditore ou traducteur/traditeur en ancien français 6) et que le traducteur n’a pas pour objectif de se conformer à l’original. D. Diderot semble considérer ici que, même si le traducteur donne une idée vague de la pensée d’un auteur donné, ce n’est pas grave puisque les autres, de toute façon, ne comprennent pas mieux que lui. Par son célèbre pamphlet à l’attention de Lefranc, Voltaire va plus loin : “Savez-vous pourquoi Jérémie / a tant pleuré toute sa vie / C’est qu’en prophète il prévoyait / qu’un jour Lefranc le traduirait”. Ce mépris envers la traduction et les personnes qui la réalisent demeure actuel. En effet, des hommes de science, des érudits, voient la traduction comme une opération de second ordre. Ceci est parfois conforté par le nombre très important de traductions réalisé par des personnes qui prennent une langue cible autre que leur langue maternelle et qui sont soumises aux volontés des éditeurs en matière de délais et de rémunération (souvent très faible). De plus, si l’on observe les ouvrages traduits et surtout leur page de garde, l’on s’aperçoit combien le traducteur a fréquemment une place réduite et peu reconnue. Les objections historiques à la traduction ne manquent pas non plus. J. R. Ladmiral7, par exemple, indique que “après avoir utilisé la traduction comme alliée contre le latin, J. Du Bellay se retourne contre elle pour défendre la littérature française”. Ceci fait référence à l’évolution de la langue parlée par le peuple qui vit sur le territoire actuel de la France. Ainsi, en 842, les Serments de Strasbourg marquent la naissance du français, sur la base du dialecte de l’île de France. Au IX e siècle, les différents représentants des langues d’oil et d’oc ont le même poids. Puis, peu à peu, le français s’affirme et part à la conquête du nord de la France où il commence à s’imposer. (ce qui rend massives les traductions des textes religieux, officiels puis généraux). L’Ordonnance de VillersCotterêts (1539) qui préconise le remplacement du latin par les langues "vulgaires" marque une étape importante puisqu’il permet à ces langues de s’imposer vis-à-vis du latin. Jusqu’au début du XVIIe siècle, l’utilisation du provençal était un signe d’érudition et celui-ci concurrençait le français. Des mots d’origine provençale sont d’ailleurs entrés dans la langue Apud LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 91 : citation de du Bellay : "Que dirais-je d’aucuns, vraiment mieux dignes d’être appelés traditeurs que traducteurs?". 7 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 99. 6 française à ce moment-là, en particulier par l’intermédiaire de la Cour. A partir du milieu du XVIIe siècle, c’est le français qui domine. Aux XVe et XVIe siècles, on peut dire que la littérature tend à imiter les genres antiques. J. Du Bellay, fort de ce constat, opte pour la défense de la littérature française et de sa langue. Cette défense sera ensuite illustrée par la tenue de salons durant la période classique et la création de la Société Académique qui deviendra l’Académie française (1634). Mais ceci conduira à des excès, dans un désir trop appuyé d’épuration de la langue – sous prétexte de lui rendre sa pureté originelle – et aussi du fait de sa soumission à des règles très strictes (métriques, d’unité…). Vers la fin du XVIIe siècle, l’on assiste donc aux premiers essais de développement d’une œuvre de création contemporaine. I. Oseki - Depré8 cite Montesquieu (1689-1755) : “vous parlez pour les autres et ils pensent pour vous” ; “si vous traduisez toujours, on ne vous traduira jamais”. Il témoigne ainsi d’un sentiment partagé à cette époque – et peut-être encore aujourd’hui par certains – selon lequel la traduction n’est pas un acte de création. Plus encore, elle peut condamner la personne qui la réalise à n’être jamais reconnue. Enfin, il existe des obstacles théoriques. Ils concernent, notamment, le rapport entre la pensée et le langage. Celui-ci représente l’expression de la pensée et les langues en sont des types particuliers. Ces langues indiquent une vision du monde différente. C’est pourquoi certains Lettrés estiment que les mots sont intraduisibles de prime abord (Y. Bonnefoy9) car les notions ne se recoupent pas puisqu’elles sont le reflet d’une expérience particulière ou que la traduction est impossible (L. Bloomfield) parce que le sens de l’énoncé est inaccessible. Il semble que, parfois, l’expérience personnelle soit intraduisible dans son intégralité phonétique. I. Oseki-Depré10 écrit que, selon W. Benjamin, la “traductibilité” doit s’effectuer autant dans la forme que dans le sens. La traduction doit ainsi exprimer le rapport le plus intime entre les langues. A signaler L. Blaga, poète et philosophe roumain (1895-1962) : “[l]orsqu’on écrit une poésie, 8 OSEKI-DEPRE, I., Théories et pratiques de la traduction littéraire, Armand Colin, Paris, 1999, p. 35. 9 BONNEFOY, Y., La communauté des traducteurs, Presses Universitaires de Strasbourg, 2000, p. 48. 10 OSEKI-DEPRE, I., Op. cit, 280 p. on ne fait pas autre chose que traduire dans sa langue maternelle, la langue de son cœur, de son âme”11. J. Du Bellay, chez J. R. Ladmiral12, pense également que “échappent à la traduction les vrais moyens du style, de l’éloquence et de la poésie” c’està-dire l’essentiel. J. R. Ladmiral note aussi que, dans certains cas, le contexte (vocabulaire, syntaxe, style) peut rendre un texte intraduisible. Il semble donc que les théories tendent à aller dans le sens, dans certains cas, tout au moins, d’une impossibilité de la traduction. Mais, la réalité est là : les traductions existent bien. Elles révèlent les différences entre les peuples et leurs cultures et les effacent en même temps, constituant ainsi un pont interculturel. Ces traductions sont l’œuvre de personnes qui pratiquent le bilinguisme. Claude Hagège13 estime que les bilingues représentent actuellement la moitié de la population mondiale soit un nombre plus que significatif. Le bilinguisme est une forme particulière – réduite à deux langues – du multilinguisme. Ce dernier correspond à la connaissance d’un certain nombre de langues chez un individu. Il est à distinguer du plurilinguisme qui représente la coexistence d’une pluralité de langues dans un espace géographique ou politique donné. Ainsi, dans un certain nombre d’Etats, il existe différentes langues nationales, de même statut (Belgique, Hollande…) ou bien l’une nationale et d’autres d’usage répandu dans la population ou une partie d’elle (langues régionales). On considère qu’une personne est bilingue si elle possède la maîtrise de deux langues à un niveau égal. Il peut s’agir de couples mixtes – c’est-àdire de langues différentes – et de leurs enfants, de parents de nationalité(s) étrangère(s) en poste dans un autre pays ou bien d’individus qui acquièrent cette maîtrise en passant par l’enseignement. Selon Claude Hagège14, les enfants de couples bilingues ou mixtes témoignent de l’importance de l’acquisition précoce d’une langue et plus encore de ses sons. En effet, il est démontré que l’apprentissage des sons doit être fait dès les premiers mois de la vie. C’est à 15 jours que le nouveau-né distingue les premiers sons. A trois mois, il est capable de Cf. RUSU, V., l’article publié dans ce volume. LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 96. 13 HAGEGE, Claude, L’enfant aux deux langues, Editions Odile Jacob, Paris, 1996, 298 p. 14 HAGEGE, Claude, Op. cit., 298 p. 11 12 différencier un nombre de phonèmes supérieurs à ceux de sa langue maternelle. Le développement auditif de l’enfant semble plus rapide que l’acquisition des sons. Ceci s’explique par le fait que des modifications physiologiques (position du larynx, structuration du néo-cortex) ne sont pas encore réalisées. Néanmoins, il faut savoir que, vers 7 mois, l’enfant ne reconnaît déjà plus certaines oppositions sonores. Tandis qu’à 11 ans, son oreille devient un “filtre linguistique” du fait des pressions familiales et/ou sociales, notamment15. L’apprentissage de la syntaxe, de la grammaire peut, par contre, s’effectuer plus tard. Les enfants de couples mixtes et, plus tard, les adultes issus de ces couples, peuvent être confrontés à la volonté de leurs parents de leur inculquer une langue qu’ils ne maîtrisent pas parfaitement puisqu’elle n’est pas leur langue maternelle. Ceci peut poser un problème au fur et à mesure que l’enfant grandit. Soit il perçoit la maîtrise incomplète de ses parents (ou de l’un d’eux), soit il ne la relève pas et acquiert des mécanismes erronés – s’il n’est pas corrigé par l’école. Il peut également être victime d’interférences. Ces dernières peuvent intervenir si la pression de l’environnement est très forte ou si le rôle des autres membres de la famille, notamment les grands-parents, est prédominant ou, au contraire, inexistant. Elles induisent une différence de statut entre les deux langues. Même dans le cas où les parents n’ont pas la même langue maternelle et ne maîtrisent pas celle de leur conjoint respectif, il semble souhaitable de respecter le principe de Ronjat16 selon lequel chacun des sujets s’exprime dans sa langue maternelle afin d’éviter toute confusion chez l’enfant. En effet, “[...] les chances de succès, mesurées d’après les observations des spécialistes, sont plus fortes lorsque l’on respecte le principe de Ronjat que dans le cas contraire”17. Néanmoins, ce principe est parfois difficile à appliquer (présence plus importante d’un des parents ou de frères et sœurs...). Il faut donc faire preuve de souplesse. Il est certain que les enfants de couples bilingues ou mixtes dont les parents ont assuré l’apprentissage des deux langues lorsqu’ils étaient petits ont toutes les chances de devenir à leur tour bilingues... si cet état de langue est maintenu. En effet, le bilinguisme se traduit normalement par une non interférence entre les deux langues puisqu’elles n’apparaissent pas au même moment dans un même état de développement. Néanmoins, si 15 HAGEGE, Claude, Op. cit., p. 28. HAGEGE, Claude, Op. cit., p. 41-42. 17 HAGEGE, Claude, Op. cit., p. 43. 16 l’entretien et la pratique des deux langues ne sont pas assurés, l’une des deux langues est dominante et le bilinguisme n’est pas total. La troisième catégorie de bilinguisme concerne des personnes qui acquièrent la maîtrise d’une langue autre que la langue maternelle par l’enseignement dans des écoles spécialisées, des universités ou par immersion. Il va sans dire que, là aussi, l’entretien et la pratique sont primordiaux afin d’assurer la continuité de cet état, autant à l’écrit qu’à l’oral. Pourtant, même si le bilinguisme est obtenu, il existe, dans ce cas précis, un risque d’hypercorrection du sujet non natif. Ceci s’explique par le fait que le propre de toute langue maternelle est qu’elle permet certains petits écarts par rapport à la norme qui sont tolérés pour les autochtones parce qu’ils mettent en valeur la flexibilité de cette langue mais qui ne le sont pas pour les autres car ils s’apparenteraient à un défaut de maîtrise. Il faut également remarquer, en matière d’apprentissage d’une seconde langue, le poids des compétences passives de sujets qui parlent ou qui sont familiarisés dès leur enfance avec des langues régionales. C’est particulièrement le cas pour le provençal qui, outre son intérêt propre, présente des convergences indéniables avec des langues du sud de l’Europe, telles que l’espagnol ou l’italien. Ces compétences passives permettent de favoriser la mise en évidence des liens de parenté entre des langues sœurs. Ceci constitue un atout supplémentaire pour les enfants mais aussi pour les adolescents ou adultes qui désirent acquérir une (ou plusieurs) langue(s) étrangère(s). L’on voit par l’examen de ces différents exemples de bilinguisme que la maîtrise de deux langues à un même niveau correspond à un équilibre précaire. Ce bilinguisme est nécessaire pour les individus qui veulent se consacrer à la traduction. En effet, lui seul permet d’effectuer une traduction fiable et qui “passe” dans la langue d’arrivée, la langue maternelle. Néanmoins, il existe à des degrés divers et l’on assiste parfois à des îlots de compétences personnelles puisqu’il est assez rare qu’un individu soit totalement bilingue dans tous les domaines. Dans tous les cas, la traduction suppose une importante somme de recherches dans le domaine envisagé pour tous les individus. Ce sont ces recherches préalables qui permettent de donner une forme définitive et raisonnablement correcte à la traduction. G. Mounin18 cite Cary : “[p]our traduire, il faut connaître les langues [...] et la traduction n’est qu’une opération littéraire «en fin de compte»”. Nous voyons, en fait, que cela n’est pas si simple. La traduction n’est pas seulement un exercice d’écriture. Il faut respecter un certain nombre de règles que nous allons essayer de mettre en lumière un peu plus loin. De plus, le traducteur doit effectuer des choix qui lui permettront de rendre son objectif réalisable. Ce sont le développement et l’essor considérable de la traduction sous toutes ses formes qui soulèvent de nouvelles questions telles que le choix de l’objet de la traduction. En effet, face à des affirmations très restrictives – liées, sans aucun doute, au contexte historique – de J. Du Bellay, par exemple (“[...] ne traduire, poète ou prosateur, aucun bon écrivain” 19), l’on est en droit de se poser des questions. La traduction serait-elle réservée à des ouvrages mauvais ou d’auteurs sans intérêt? Fort heureusement, non. La réalité nous le démontre. Il semble, en fait, que J. du Bellay assimile la poésie à la littérature. Le contexte historique revêt toute son importance ici puisqu’il s’agit de ne pas traduire d’auteurs ou de genres issus de l’Antiquité car cela va à l’encontre du développement d’une nouvelle littérature. Néanmoins, cela ne l’a pas empêché, lui, ainsi que d’autres auteurs, contemporains ou postérieurs, de réaliser certaines de ces traductions. En effet, ce type de réalisation est nécessaire car il permet et nécessite une étude rigoureuse de la forme et du fond d’un texte donné. Mais il est vrai que, dans un environnement où le français n’était pas encore la langue dominante (le provençal était encore très prisé à la Cour jusqu’au début du XVIIe siècle), il fallait favoriser de nouvelles créations ainsi que l’émergence d’autres genres. L’Académie française, l’éveil philosophique (fin XVIIe, XVIIIe) et divers mouvements littéraires, particulièrement des XIXe et XXe siècles, en France et en Europe, ont contribué à modifier ce contexte et à déterminer des critères différents qui prévalent dans le choix des œuvres à traduire. Actuellement, l’on peut s’apercevoir de l’existence de domaines privilégiés de la traduction. C’est notamment le cas des ouvrages scientifiques. Ceux-ci sont censés être le reflet d’un raisonnement précis, théorique, à vocation didactique ou non. Ils peuvent être de référence ou de vulgarisation. Il en existe dans toutes les disciplines scientifiques mais il 18 19 MOUNIN, G., Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris, 1993, p. 15. Cf. 3e page de cet article. nous semble que la linguistique et, particulièrement, la linguistique comparée des langues romanes est une catégorie un peu à part. En effet, de par son nom et son objectif – l’étude des convergences entre les langues dites sœurs –, elle devrait avoir à cœur de favoriser davantage le développement de l’esprit (critique) et de la curiosité intellectuelle. C’est là qu’un tri entre les œuvres à traduire pourrait s’effectuer : peut-être que certains livres (pour ne pas dire la plupart) – qui ne sont pas dits de référence mais qui traitent de problèmes bien particuliers destinés à un public avancé – pourraient être laissés à l’état original? Ceci permettrait, en effet, au lecteur de faire plus aisément des rapprochements d’ordres sémantiques, syntaxiques ou autres. Le roman sollicite également largement la traduction. Il est défini dans le Robert de la manière suivante : “œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures”20. Il est empreint de connotations historiques ou sociales, par exemple, propres à une communauté donnée. Le dépaysement et le sentiment d’évasion qu’il procure contribuent sûrement au succès de ce genre littéraire. Le choix des traductions dépend bien souvent des éditeurs qui interprètent l’évolution des goûts du public en fonction, notamment, de l’attribution des prix littéraires. Ces maisons pressentent l’intérêt de certains ouvrages ou les écartent si elles considèrent qu’ils ne correspondent pas aux attentes du public. A ce niveau, on peut regretter une certaine réticence des éditeurs à publier les traductions – ou les versions originales – d’ouvrages de poésie ou bien consacrés à la littérature de régions du monde moins communes d’autant plus lorsqu’ils sont rédigés par des auteurs peu ou mal connus. C’est souvent ainsi que, malheureusement, de petits livres d’un intérêt certain restent à l’état de manuscrits, jamais édités... et, de ce fait, inconnus du grand public. Il nous semble donc que les maisons d’éditions auraient un rôle à jouer très enrichissant si elles rendaient leurs critères de sélection des ouvrages à traduire plus souples et laissaient place, parfois, à un peu plus de spontanéité. Au bout du compte, cela conduirait à la mise à disposition du public d’ouvrages inédits qui, nous n’en doutons pas, éveilleraient la 20 Le petit Robert 1, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, rédaction dirigée par Rey A. et Rey J. - Debove, Le Robert, Paris, 1989, 2171 p. curiosité des lecteurs français et du reste du monde et seraient vendus ce qui, somme toute, satisferait tout le monde. De plus, n’oublions pas le rôle exceptionnel qu’a joué la poésie au cours des différents siècles et qu’elle doit jouer encore de nos jours. (A mentionner L. Blaga : voir infra). Comment pourrait-on priver le public de tels trésors? La traduction, on le sait parfaitement, est censée dispenser de la lecture de l’original. Néanmoins, elle doit respecter certaines règles. Etienne Dolet, grand imprimeur français, indique en 1540, dans La manière de bien traduire d’une langue en autre21 qu’il existe cinq règles indispensables à la traduction : la parfaite maîtrise de deux langues, le respect de l’esprit de la langue d’arrivée, l’exploitation de ses ressources rhétoriques, la compréhension des intentions de l’œuvre originelle, le respect du style. Il est donc primordial d’éviter que la traduction ne devienne une trahison. Pour cela, il faut respecter la pensée de l’auteur ou ce qu’on croit être telle. L’idéal serait de “[d]evenir un verre si transparent qu’on croit qu’il n’y a pas de verre” (Gogol, dans Ladmiral22). L’on peut distinguer deux grandes tendances chez les traducteurs : d’une part, celle des "sourciers" – ou littéralistes – et, de l’autre, celle des "ciblistes" ou partisans de la recréation. La première catégorie est constituée de personnes qui considèrent que la traduction doit être le plus proche possible de l’original. I. Oseki-Depré23 cite W. Benjamin : "la vraie traduction est une forme dont les lois sont à chercher dans l’original". C’est pourquoi il faut s’assurer que l’œuvre est effectivement traduisible dans sa forme et dans son sens. La traduction ne doit pas, non plus, supplanter l’original. Elle doit, au contraire, le mettre en valeur. "La vraie traduction est transparente, elle ne cache pas l’original, n’offusque pas sa lumière mais c’est la pure langue, comme renforcée par son propre medium, qu’elle fait tomber d’autant plus pleinement sur l’original"24. Le second courant dans la traduction s’attache davantage au sens du discours. J. R. Ladmiral25 cite G. Mounin : “[l]a fidélité de la traduction d’un texte lyrique c’est la fidélité à la poésie de ce texte“. Cf. Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature française, sous la direction de H. Mittérand, Le Robert, Paris, 1992, 706 p. 22 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 77. 23 OSEKI-DEPRE, I., Ibidem, p. 101. 24 OSEKI-DEPRE, I., Ibidem, p. 104. 25 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 112. 21 L’on voit donc qu’il existe deux conceptions, l’une privilégiant le signifiant dans la langue c’est-à-dire la fidélité à la forme, l’autre accordant une place plus importante au message final et à l’élégance. On peut expliquer aussi cela par la distinction entre langue et parole (de Saussure). Les formes grammaticales, les habitudes idiomatiques trouveront des équivalents dans la langue cible tandis que ce qui ressort de l’énoncé sera à traduire. Cela sous-entend qu’une partie de ce qui est présent dans l’original est susceptible de ne pas être traduit : soit on fait appel à différents procédés de style (emprunts, calques...), soit on omet certaines choses. Cette partielle impossibilité avouée de traduction entraîne forcément une déperdition de l’information. C’est ce que V. Hugo a exprimé par une jolie métaphore : “Traduire : transvaser un liquide d’un vase à col large dans un vase à col étroit. Il s’en perd toujours”26. Le poète suggère également une flexibilité moins grande de la langue cible étant donné qu’elle doit respecter l’original. Ceci soulève donc le problème de savoir si une traduction doit obligatoirement “coller” au texte source ou, au contraire, procéder à des adaptations. Il semble, en fait, nécessaire d’éviter de s’en tenir trop exactement à l’original ou à l’originalité du peuple (du point de vue des formes). D’un autre côté, il ne faut pas dénaturer le document source en adaptant complètement l’œuvre à un nouvel environnement, par exemple, qui ne refléterait plus l’âme et la pensée de l’auteur car cela réduirait la différence entre la traduction et la création (d’une autre œuvre) à une peau de chagrin. Un certain nombre d’écueils est donc à éviter et une étude approfondie du texte, de son contexte ainsi que des connotations qu’il comporte, est bénéfique. J. R. Ladmiral27 souligne l’importance du besoin de reconstitution du contexte initial afin de comprendre le texte et, par la suite, de traduire ses moindres nuances. Il indique que le sens connoté n’est pas associé à un terme mais à la somme des termes mis ensemble. Autrement dit, il ne faut pas s’attacher trop au mot à mot et préférer appréhender le texte ou, de manière plus restrictive, l’énoncé dans sa globalité. Cela suppose une certaine capacité d’adaptation qui devra respecter le goût et la langue (élégance) ainsi que l’œuvre à traduire (fidélité). Il est donc nécessaire d’identifier avec précision les intentions de 26 27 Cf. GAGNAIRE, Cl., Op. cit, 615 p. LADMIRAL, J.R., Op. cit, 275 p. l’auteur qu’il a pu rendre manifestes par le biais des connotations employées. Le terme connotation a été mis à l’honneur par Bloomfield. Il s’agit d’un phénomène sociologique et linguistique. Les connotations peuvent donc être sociales, locales, archaïques, techniques, savantes, argotiques, régionales... Ladmiral28 reprend la pensée de G. Mounin en indiquant qu’elles représentent “tout ce qui, dans l’emploi d’un mot, n’appartient pas à l’expérience de tous les utilisateurs de ce mot dans cette langue”. Ainsi, par exemple, le langage commun a le rôle d’une “langue neutre”. Néanmoins, si on y regarde de près, on se rend compte que les tournures de phrases, les niveaux de langues, par exemple, sont autant de marquages socio-linguistiques. Les connotations sont des oppositions sémantiques minimales qui peuvent être volontaires ou non. “Selon une formule remontant à Meillet ou Wittgenstein, les mots n’ont pas de sens, ils n’ont que des emplois”29. Les connotations sont donc à prendre au second degré. A noter aussi qu’elles peuvent englober les effets de style (ironie, augmentatifs, formes diminutives, péjoratives, comiques...). Elles font donc partie de la langue et il faut les traduire puisqu’elles donnent des nuances supplémentaires au texte. I. Oseki-Depré30 indique que, selon Umberto Eco, il faut se demander si la traduction doit “amener le lecteur à comprendre l’univers culturel de l’auteur ou transférer le texte originel en l’adaptant à l’univers culturel du lecteur”. Dans tous les cas, des ajustements seront nécessaires. Karl Kraus31 donne son opinion : “[u]ne œuvre de la langue traduite dans une autre langue : quelqu’un passe la frontière en y laissant sa peau, pour revêtir le costume local”. Le traducteur a donc pour mission de rapprocher l’œuvre du lecteur, de lui permettre de se raccrocher à des éléments de son expérience propre, en particulier, de la communauté à laquelle il appartient. Le problème est de savoir quelle part doit être conservée et quelle autre adaptée afin d’obtenir un effet dépaysant... modéré. J. R. Ladmiral32 note que Taber considère qu’il existe deux grands processus de traduction : ceux qui concernent le sens, les structures profondes qui sont 28 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 136. LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 186. 30 OSEKI-DEPRE, I., Ibidem, p. 77. 31 Apud GAGNAIRE, Cl., Op. cit, 615 p. 32 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 121. 29 voisines voire universelles et ceux qui ont trait aux structures de surface. J. R. Ladmiral33 nous donne aussi une définition pertinente du style “d’une part, il se relie directement à la structure sémantique du fait que les choix qui constituent le style résultent de certaines options déjà prises dans la structure sémantique, d’autre part, il fait partie évidente de la structure superficielle au point où on peut presque dire que le style est ce qui distingue le plus nettement entre la représentation et la structure sémantique, nue (...) et le texte achevé” (ibid). Le style relève, donc, pour une part, des structures profondes (connotations) et, de l’autre, des structures superficielles (les variantes, notamment). Il doit donc être appréhendé en deux temps. Mais, nous devons être conscients du fait que la traduction dans son intégralité, y compris dans ses connotations, dépend des choix du traducteur. Ceux-ci sont orientés par toute une série de phénomènes et, notamment, par la familiarité qu’il a acquise lors de ses différentes lectures préparatoires et son analyse du contexte et du texte source. Ils seront aussi fonction des aléas de l’ajustement contextuel afin d’obtenir une concordance stricte des constructions même si cela doit parfois faire apparaître des infidélités par rapport aux beautés d’un texte. Il doit donc exister une volonté de faire coïncider le sens et le style : “La traduction consiste à produire dans la langue d’arrivée l’équivalent naturel le plus proche du message de la langue de départ, d’abord quant à la signification puis quant au style” (Nida)34. Il faut exploiter au maximum les ressources de la langue mises en œuvre par le texte à traduire. Néanmoins, on ne doit pas perdre de vue le fait que, parfois, les connotations que relève le traducteur sont involontaires. De temps en temps, aussi, l’auteur utilise des mots à caractère ambigu ou polysémique. Si ces nuances ne proviennent pas du choix de l’auteur, elles peuvent ne pas être traduites. Si elles permettent d’éviter des lourdeurs stylistiques ou autres, dans l’original, il faut rechercher si le problème se posera dans la traduction aussi. Enfin, si la polysémie a un caractère obligatoire dans la langue source c’est-à-dire si elle apporte une nuance supplémentaire, le traducteur devra s’efforcer de la faire apparaître dans la version finale. L. Robel – cité par I. Oseki-Depré35 – indique que : “[i]l faut placer au sommet de la hiérarchie des traductions celle qui, à son tour, fait 33 34 LADMIRAL, J.R., Ibidem, p. 126. Cf. MOUNIN, G., Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris, 1993, p. XII. 35 OSEKI-DEPRE, I., Ibidem, p. 110. le plus texte et, donc, offre, à son tour, le plus grand nombre de possibilités de traductions”. Il n’existe donc pas une seule traduction mais plusieurs pour chaque phénomène du fait de la polysémie fréquente du texte. L’idéal serait donc une traduction littéraire qui respecterait la syntaxe de chacune des deux langues, en exprimant dans un style léger des émotions d’une intensité comparable. La traduction doit donc suivre le texte, accompagner le mouvement de la lecture, la pensée d’un auteur. La traduction ne doit pas, non plus, faire déballage d’effets saugrenus sous prétexte de vouloir réactualiser une œuvre ancienne. Il nous semble qu’elle est tenue de maintenir au maximum le niveau de langue de l’œuvre originale et rester aussi sobre que son modèle (cf. citation de W. Benjamin, p. 8 de notre article). Il s’agit d’une leçon d’exigence qui consiste à écouter l’autre et à lui prêter sa langue (maternelle) qui devient alors le reflet d’un trésor : l’œuvre originale. L’on voit donc à quel point la traduction est importante et qu’elle ne saurait être reléguée à une place de second ordre. Au contraire, il nous semble qu’elle devrait être davantage et de plus en plus favorisée, notamment par le biais du bilinguisme et du plurilinguisme (compétences passives) dont nous avons vu certains aspects un peu plus haut. Néanmoins, pour que celui-ci se développe, il faut la réunion d’un certain nombre de facteurs. Et c’est là que la formation et l’enseignement jouent un rôle primordial. Ainsi, nous pouvons remarquer l’existence d’écoles bilingues, notamment dans certaines zones frontalières telles que l’Alsace, la Bretagne ainsi qu’en Corse. Nous regrettons néanmoins que certaines autres telles que la Provence ne bénéficient pas toujours du même rayonnement. Mais peut-être n’est-ce qu’une question de temps avant que le provençal ne retrouve son aura d’antan... de l’époque des troubadours ou, plus récemment, de celle du Félibrige? Cette main tendue aux langues régionales dans leur ensemble semble profitable aux écoliers et, plus tard, aux lycéens car elle leur donne l’occasion de se familiariser avec une autre langue et de les rapprocher de leurs origines, contrairement à leurs parents ou grands-parents qui se voyaient interdire la pratique et l’usage de ces langues pendant leur scolarité. On peut donc se réjouir de cette évolution vers une meilleure (re)connaissance des parlers et des langues régionales de France. En ce qui concerne l’apprentissage d’autres langues d’Europe, Claude Hagège36 indique que certains aménagements lui apparaîtraient souhaitables. Ainsi, il considère qu’en primaire, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le français et le portugais devraient être enseignés tandis que l’anglais devrait l’être en secondaire. En effet, cette dernière langue, vu son poids dans le monde et son omniprésence dans les autres langues aujourd’hui, par le biais des emprunts, calques..., n’a aucun mal à être acquise. En secondaire également, les autres langues vivantes européennes ou non devraient être introduites. Ceci nous semble très novateur, notamment pour certaines langues – telles que le roumain – qui, actuellement, ne sont pas du tout enseignées au lycée même si on peut les présenter pour le Baccalauréat. Le fait d’introduire ces langues dans les lycées permettrait également d’assurer un enseignement plus diversifié, avec un plus grand nombre d’heures dans le cadre d’un D.E.U.G. et non plus seulement d’un D.U. Si on examine l’enseignement postscolaire qui favoriserait la traduction et/ou l’émergence du bilinguisme, on peut noter l’existence des Ecoles ou Instituts spécialisé(e)s dans la traduction (E.S.I.T., I.S.I.T. et E.S.U.C.A .) et l’Université (Langues Orientales ou filières classiques pour chaque langue). Tous ces établissements ont pour but de faciliter l’apprentissage des langues. L’E.S.I.T., l’I.S.I.T. et l’E.S.U.C.A. ont pour but de former des traducteurs et interprètes qui exercent leur activité de manière libérale ou ont des fonctions dans des organisations officielles. C’est aussi le cas des personnes qui ont fait Langues Orientales. L’Université a, quant à elle, pour mission par le biais de ses départements de langues, de former des personnes qui auront besoin de maîtriser une (ou plusieurs autres langues) dans leurs professions (hommes d’affaires...), qui veulent enseigner, traduire ou faire de la recherche. L’Université dispose aussi d’un choix varié de langues plus ou moins connues, européennes ou non, même artificielles (espéranto) qui sont enseignées seules ou en combinaisons dans le cadre de filières regroupées au sein de départements. De plus, l’Université ne dispense pas seulement un enseignement théorique. Au contraire, elle veut aussi se tourner vers la pratique, de la traduction notamment, ainsi que le montrent certaines initiatives de départements. C’est particulièrement le cas de celui de Linguistique Comparée des Langues Romanes et Roumain de l’Université de Provence qui tente de proposer aux étudiants des méthodes susceptibles de faciliter leur 36 HAGEGE, Claude, Ibidem, pp. 154 et suiv. apprentissage dans le domaine des langues et de la linguistique. Le premier objectif est de faire en sorte que l’étudiant français ou d’expression française ne se sente pas “bloqué” au moment de prendre la parole ou de rédiger une phrase en roumain ou dans une autre langue. C’est ainsi que des enseignants de ce département ont développé certaines techniques telles que la comparaison entre les langues romanes par le biais ou non de la linguistique comparée, les mises en évidence des points de convergences phonétiques, sémantiques ou morphologiques entre ces langues. En effet, il nous semble que ce n’est qu’en réduisant au maximum cet obstacle – qui se retrouve non seulement chez les Français mais aussi chez tous les autres peuples – que l’on pourra espérer assurer un enseignement épanouissant et de qualité. Il s’agit également de mettre en avant les particularités culturelles de chaque pays et langue et de développer les immersions, l’entretien et les programmes d’échanges. De plus, nous pensons que la prise en compte de divers genres littéraires, y compris la poésie, est bénéfique. En effet, cette dernière est particulièrement intéressante à étudier car elle regorge de procédés stylistiques distincts, de règles plus strictes que la prose qui ont un rôle informatif essentiel. C’est pourquoi, il nous apparaît primordial de mettre au point et développer des initiatives dans le domaine de la traduction afin de donner un nouvel élan aux étudiants qui seront, peut-être aussi, les enseignants de demain. "L’Atelier de traduction et plurilinguisme" – mis en place, dans le cadre de l’Equipe d’Accueil 854 Etudes romanes, par le professeur V. Rusu – constitue l’une de ces initiatives, à côté du Séminaire de traduction "M. Eminescu" de l’Université de Provence, dirigé par ce même enseignant. Il regroupe des enseignants-chercheurs ainsi que des étudiants souvent avancés de l’Université de Provence (Centre d’Aix). Il est évident que cette réunion de personnes d’expériences diverses, plus ou moins importantes, représente un enrichissement permanent dans chacun des domaines précités. L’Atelier propose donc un programme de traductions en vers et en prose. Les textes publiés (cf. liste après la bibliographie) sont, en général, bilingues car il nous semble important de donner au lecteur la possibilité de comparer les deux versions. Les enseignants bilingues font des traductions et dirigent des étudiants motivés qu’ils corrigent et aident à progresser. L’Atelier est, par conséquent, un exemple concret d’encouragement à l’étude des langues et à la reconnaissance de la nécessaire rigueur et patience dont doit faire preuve le traducteur pour réaliser son œuvre. La traduction devient ainsi un véritable art qui s’obtient à force de courage et de persévérance... tout comme la poésie. C’est pourquoi nous terminerons par ces conseils de N. Boileau : “Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse et souvent effacez”37. BOILEAU, N., Chant I (Art d’écrire) dans l’Art poétique, chez Lagarde A., et Michard, L., XVIIe siècle, Les grands auteurs du programme, Bordas, Paris, 1970, p. 341. 37 Bibliographie BONNEFOY, Yves, La communauté Universitaires de Strasbourg, 2000, 274 p. des traducteurs, Presses Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, rédaction dirigée par Rey A. et Rey J. - Debove, Le Robert, Paris, 1989, tome I, 2171 p. Dictionnaire des grandes œuvres de la littérature française, sous la direction de Henri Mittérand, Le Robert, Paris, 1992, 706 p. Dictionnaire historique de la langue française, Ed. Robert, Paris, 1995, tome 1, 1156 p., tome 2, 2383 p. GAGNAIRE, Claude, Le bouquin des citations, 10 000 citations de A à Z, Robert Laffont, Paris, 1997, 621 p. HAGEGE, Claude, L’enfant aux deux langues, Editions Odile Jacob, Paris, 1996, 298 p. LADMIRAL, Jean René, Traduire : théorèmes pour la traduction, Coll. Tel, Ed. Gallimard, Paris, 1994, 275 p. LAGARDE André, MICHARD, Laurent, XVIIe siècle, Les grands auteurs du programme, Bordas, Paris, 1970, 448 p. MOUNIN, Georges, Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris, 1993, 296 p. OSEKI-DEPRE, Inès, Théories et pratiques de la traduction littéraire, Armand Colin, Paris, 1999, 280 p. WALTER, Henriette, L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Paris, Editions Robert Laffont, 1997, 346 p. WALTER, Henriette & WALTER, Gérard, Dictionnaire des mots d’origine étrangère, Paris, Editions Larousse, 1991, 413 p.