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TerreThaemlitz

2017, L’ O F F ICIE L ART 23

“There isn’t much time, so we’ll have to skip the foreplay. For some of you this will require suspensions of disbelief, but please open yourselves to the following two premises. First, having children is unethical. Second, families make democracy impossible.”

L’ O F F I C I E L A R T N°23 Deproduction Terre Thaemlitz Propos recueillis par Pierre Bal-Blanc 108 PHOTOSRUTHIE PHOTO FENDI. SINGER-DECAPITE. COURTESY DE L’ARTISTE. “Comme il ne nous reste plus beaucoup de temps, on se passera de préliminaires. Cessez d’être incrédules, et soyez réceptifs aux deux propositions suivantes : primo, il est immoral d’avoir des enfants ; secundo, les familles sont responsables de l’échec de la démocratie.” PROFILE N°23 PROFILE L’ O F F I C I E L A R T 109 N°23 COURTESY DE L’ARTISTE. L’ O F F I C I E L A R T Page précédente, Terre Thaemlitz photographié en 2000. Ci-dessus, Terre Thaemlitz, extrait de Soulnessless: Canto II (Traffic With the Devil), 2012. 110 PROFILE N°23 Cet avertissement sert de présentation à la dernière œuvre audio et vidéo de l’artiste transgenre non-essentialiste Terre Thaemlitz. Productrice multimédia, écrivain, orateur, éducatrice, génie du remix, DJ et propriétaire du label Comatonse Recordings, elle a maintes fois été couronnée par ses pairs. Son œuvre associe un regard critique sur les politiques de l’identité (genre, sexualité, classe, linguistique, ethnicité, race) à une analyse prolongée de la socio-économie de la production médiatique commerciale. Il a produit plus de quinze albums solo. En tant que conférencier et éducatrice dans le domaine du queer et du transgenre non-essentialiste, Thaemlitz recommande à ses interlocuteurs l’usage indifférencié, à son propos, du “il” et du “elle”. Sa Deproduction répond à une commande de la documenta 14 ; au plan esthétique, l’œuvre se présente comme le prolongement d’œuvres antérieures (Soulnessless, 2012, coproduit avec le CAC Brétigny) dans le domaine de la production électro-acoustique, de l’écriture, de l’image, de la performance “non performative” et du concert. PIERRE BAL-BLANC : D’abord un mot sur le contexte de cet entretien. Nous sommes lundi 10 juillet et je me rends à Cassel en compagnie de Terre Thaemlitz ; notre vol vient de quitter Athènes où nous étions hier soir au vernissage de Deproduction (2017). Nous pourrions commencer par la réaction du public : qu’avez-vous ressenti après cette première présentation ? TERRE THAEMLITZ : Je dois dire que j’ai été très surpris quand, dans le public, quelqu’un a proposé de voter à main levée pour savoir qui était d’accord avec mes deux prémisses — avoir des enfants est immoral, et les familles entravent la démocratie. Je me suis d’abord dit que c’était là une idée bizarre et malvenue, mais en voyant se lever quelques rares mains j’ai compris que la proportion queer d’un public donné (queer au sens de : pensée marginale, fût-ce au regard des normes LGBT) est toujours inférieure à 10 %. Voilà ce qui m’a le plus frappé hier soir. Il faudrait sans doute expliquer le sens de ces deux propositions qui permettent de comprendre Deproduction. En effet. La deuxième partie de l’œuvre s’intitule Admit it’s Killing You (and Leave) [Admets que c’est en train de te tuer, et va-t’en], et elle tourne autour des deux déclarations que vous citiez : avoir des enfants est immoral, et les familles rendent la démocratie impossible. Ce sont généralement les gens de droite et les gens très religieux qui déplorent que notre époque s’en prenne aux valeurs familiales. Eh bien, tout ce projet consiste à renverser cette conception, et à voir dans la “famille” une structure sociale qui fait subir à tout le monde une agression d’ordre patriarcal. La famille devient alors une arme sociale qui vise particulièrement PROFILE L’ O F F I C I E L A R T les queers, les femmes et les personnes sans attache familiale. Voilà le sens profond de mes deux affirmations. Naturellement, je ne les énonce pas de manière didactique et univoque, je ne dis pas : “il faut contraindre les gens à renoncer à faire des enfants” — c’est pourtant ce qu’a cru comprendre la presse allemande ! Je voudrais éviter ce type de conclusion intolérante et simpliste. De même que, dans Soulnessless, je disais de manière assez nihiliste qu’on ne peut envisager un monde athée, de même j’admets qu’on ne peut envisager un monde sans naissances et sans famille patriarcale. Les questions qui comptent ici n’ont pas trait à la biologie de la grossesse. On peut réfléchir à l’immoralité de la procréation sans se référer à la dichotomie “avoir des enfants”/ “ne pas en avoir”. Diriez-vous alors que l’éthique permet de distinguer entre les bas instincts animaux liés à la reproduction, d’une part, et d’autre part et un désir de dépassement ? Pas vraiment. J’aimerais renverser le propos. Je crois qu’on retrouve les mêmes problèmes que lorsqu’on parle de genre, de sexualité, etc. dans un cadre libéral-humaniste. Bien sûr, la législation actuelle repose en grande partie sur des arguments essentialistes de type “On n’y peut rien” : telle personne doit obtenir des droits parce qu’elle est née avec un vagin et qu’elle n’y pouvait rien ; d’autres sont nés avec une peau non-blanche, ou homosexuels, ou transgenres, et ils n’y pouvaient rien. On légifère ainsi au nom d’un essentialisme corporel, mais on pourrait légiférer au nom de notre capacité sociale à faire des choix visant à réduire toute violence à l’égard d’autrui. En optant pour la première manière de légiférer, on perpétue les différences essentialistes entre individus, et on réduit nos problèmes de société à des problèmes corporels sur lesquels nous n’avons aucune prise. L’histoire de la législation libérale a donc consisté à effacer la responsabilité de l’individu agissant. Elle ostracise par ailleurs ceux d’entre nous qui font des choix qui contestent la tradition, et perpétue l’idée que nous ne méritons pas de droits au même titre que des gens “innocents” ou qui “n’y peuvent rien”. On sollicite la pitié et le favoritisme de la figure paternelle blanche et patriarcale, au lieu de dépouiller celle-ci de son pouvoir. De même, quand on invoque les “bas instincts animaux”, surtout quand on les associe à la reproduction, on constate que l’éthique fonctionne d’une manière libérale-humaniste qui essentialise les mythes culturels de “l’animal”. Notre conception des instincts supra-sociaux passe toujours par le filtre de codages sociaux oppressifs, qui viennent nous dire le sens que doivent avoir ces choses ; quant à l’éthique, elle sert souvent à justifier la répartition entre “bons” et “mauvais” instincts. A mon sens, l’éthique est toujours oppressive. Il n’existe pas de modèle unique qui permettrait de savoir ce qui est bon ou mauvais pour tout le monde. C’est toujours une affaire de contexte. Au lieu d’utiliser l’éthique pour discuter des instincts, donc, je pense qu’il est plus utile d’observer la manière dont l’instinct est structuré et essentialisé par l’éthique, notamment au service des relations sociales de pouvoir actuellement en place. D’une certaine manière, avec Deproduction, vous traitez les questions d’éthique comme vous avez traité des questions de religion avec Soulnessless. Il s’agit dans les deux cas d’examiner une même idéologie. Soulnessless était consacré à l’athéisme, mais pas dans son sens américain traditionnel — qui désigne un mouvement de “gens intelligents” qui, persuadés d’avoir la science infuse, prennent de haut ces imbéciles de croyants. Mon angle est différent : je pars du principe que nous sommes tous trop bêtes pour nous passer de religion à grande échelle. L’athéisme ne peut être 111 qu’une posture d’auto-défense pour une minorité. De même, dans Deproduction, je suggère que ne pas avoir d’enfants, abandonner sa famille et se dépatouiller avec les services sociaux ne vise pas seulement à compenser l’échec de prestations familiales insuffisantes, comme dans le cas de parents célibataires. Comme s’il fallait limiter les prestations sociales aux familles fragiles... Non, j’y vois plutôt le moyen de favoriser la possibilité de quitter sa famille et de survivre sans attache. Cette position sera toujours minoritaire. Les gens y verront toujours quelque chose de déchirant, comme le fait d’être sans famille. Le plus souvent, on cherche à réconcilier ces gens avec leur famille, mais ce qui m’intéresse, c’est de m’éloigner encore plus de la famille. Dans ce cas particulier, j’essaie de repenser le modèle même de la démocratie et l’idée d’égalité, d’égalitarisme, etc. comme autant de réalités antifamiliales par nature en cela que, si on pousse leur logique jusqu’au bout, elles s’opposent à toute forme de hiérarchie. En ce sens, la démocratie (tout comme l’égalité ellemême) devient une sorte de folie pour la plupart des gens qui placent la famille au-dessus de tout. Il s’agit donc de repenser la démocratie en s’écartant de la conception traditionnelle selon laquelle il faudrait l’étendre à toute la planète et la voir sans cesse croître et embellir. Je crois au contraire que la démocratie vise la clôture plutôt que l’ouverture, et qu’elle apparaîtra de plus en plus comme une folie — puisqu’elle s’oppose manifestement à la privatisation, à la commercialisation et à toutes les formes que peut prendre l’économie sur la planète. Deproduction est donc une œuvre qui assimile démocratie et folie. Vous parlez de dépasser ce système familial grâce au queer. Par ailleurs, vous reprochez au mouvement LGBT de recréer à sa manière un régime familial. Pour le dire simplement : de nombreuses contre-cultures queer, fascinées par le tribalisme, ne font que reproduire un régime familial. Bien entendu, le tribalisme est une constellation clanique et familiale. Ce n’est pas par hasard que, précisément à ce moment dans l’histoire, nous assistons à une reconnaissance culturelle sans précédent des contre-cultures queer dans les musées et les milieux universitaires. Les intellectuels queer présentent régulièrement la tribalité comme seule solution de rechange à la bureaucratie occidentale ; or cette fascination pour le tribalisme est en réalité une intégration et une régurgitation de notre propre tendance à être fascinés par la famille. Et cela se produit justement à une époque où la culture de masse gave le public de valeurs familiales, et réinvestit dans la famille perçue comme lieu de soutien social, tout cela pour éliminer des services sociaux si chèrement obtenus. Et en même temps, on finance les défenseurs institutionnels et universitaires des contre-cultures queer, alors que celles-ci sont fascinées par le tribalisme. A mes yeux, il ne saurait s’agir d’une coïncidence. Tout cela se tient et forme un tout harmonieux. Et cela prouve que tout ce qui se fait au niveau de la contre-culture est totalement symptomatique des politiques culturelles dominantes – et symptomatique d’un modèle essentialiste de la sexualité et du transgenre qui ne fonctionne que dans le cadre restreint de la binarité hétéronormative. Vous parlez aussi d’adopter la position du faible et non du fort. Pourriez-vous développer cette idée ? Je crois qu’il est difficile d’aborder cette question à cause du modèle chrétien occidental, et de mon désir d’éviter toute association avec l’idée chrétienne que “les faibles hériteront de la terre”. Il ne s’agit pas pour moi d’assumer la place des pauvres de manière héroïque, mais de mieux comprendre des positions dans lesquelles la violence vous est infligée sans qu’il soit question de rédemption. Je m’intéresse à l’infliction sociale de la violence, loin de toute sympathie pour une faiblesse conçue comme inhérente à tel ou tel individu. Je crois que l’on s’éloigne ainsi 112 N°23 de la manière essentialiste de considérer la violence : au lieu de voir “les faibles” comme une sorte de sous-espèce, je considère la violence et la manière dont certains types de corps sont socialement soumis à certains types d’agression. Je m’intéresse avant tout à la violence liée au genre, au sexe, à la race et à la condition économique, et à la manière dont ces facteurs ciblent des groupes spécifiques via le mécanisme de la famille, et à travers l’élimination de services sociaux susceptibles de faciliter notre capacité à survivre en dehors de la famille, selon un modèle social en grande partie irréalisable – à cause, justement, de la force du clan et de la famille hiérarchisée. J’ai été très intéressé par cette politisation du désir. Seriez-vous en train d’appeler à une réappropriation du désir ? Dans le texte de présentation de Deproduction, je parle de la manière dont les communautés transsexuelles affrontent toujours une violence particulière : il faut se définir comme malade, comme souffrant d’un désordre lié au genre, pour avoir accès aux services et aux allocations de santé. Les transsexuels réagissent le plus souvent en disant : mais nous ne sommes pas malades, et nous refusons d’avoir à être déclarés malades pour avoir accès à une procédure de transition. A mon sens, dans le cadre d’une structure sociale qui manipule santé et maladie et en fait des formes de violence et de contrôle, pourquoi, au lieu d’exiger d’être considérés comme sains, ne pas plutôt politiser le désir d’être perçu comme sains en rapport avec cette dynamique de pouvoir qui nous dépasse ? Pourquoi ne pas rejeter le système qui nous encourage à vouloir être reconnus comme sains, à vouloir obtenir l’approbation généralisée de la société ? On retombe là sur ce que je disais de la démocratie comme folie, car cela revient à s’écarter du désir d’être perçu comme un être potentiellement populaire. C’est s’écarter de l’idée que l’on doit être reconnu comme sain et comme normal. C’est un refus de la normalisation. On sait que la famille est au cœur de ce que la plupart des sociétés considèrent comme des rapports sociaux normaux ; on sait que le système familial patriarcal débouche sur des oppositions binaires de type mâle/femelle ou hétérosexuel/homosexuel. Donc, si on veut vraiment se donner les moyens de rejeter ces dichotomies, il faut nécessairement rejeter la famille à un certain niveau – en d’autres termes, adopter une position qui écarte toute possibilité d’être perçu comme normal par une majorité de gens. C’est pourquoi votre stratégie consiste à refuser la “fierté”. Choisir la honte au détriment de la fierté : est-ce là une autre posture essentielle à vos yeux ? Il ne fait aucun doute pour moi que la fierté est un instrument de pouvoir et d’oppression. J’ai été souvent harcelé et malmené dans ma jeunesse, et je sais que la fierté était toujours du côté du moqueur, non du moqué. Pourquoi voudrais-je adopter cette posture d’assurance qu’avaient ces abrutis si fiers de me harceler ? Pourquoi voudrais-je prendre part à quelque chose qui me donnerait de l’arrogance et me ferait oublier à quel point la honte nous construit tous ? Je suis persuadé que l’identité de chacun d’entre nous doit plus à la honte qu’à la fierté. La fierté est un luxe des élites ; c’est aussi une manière de piéger les opprimés. L’idée de “fierté queer” ou d’une “fierté LGBT”, c’est une leçon mal apprise. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet, j’ai déjà dit que c’est une erreur logique que de vouloir atteindre une “fierté queer”. Pour moi, le choix du queer est inconciliable par nature avec l’hétéronormativité. La fierté est de toute évidence un instrument de normalisation et d’acceptation — même s’agissant de personnes dont on s’est moqué alors qu’elles tentaient de s’accepter et de positiver. Je trouve que la positivité et la fierté sont plus autodestructrices que libératrices. Avec elles, on s’enfonce encore un peu plus dans le centre de la bête. PROFILE COURTESY DE L’ARTISTE. L’ O F F I C I E L A R T N°23 L’ O F F I C I E L A R T Terre Thaemlitz, extraits de la vidéo Deproduction , 2017. PROFILE 113 COURTESY DE L’ARTISTE. Page de gauche, Terre Thaemlitz, Soulnessless: Canto III (Pink Sisters), extrait de la vidéo, 2012. Ci-dessus et pages suivantes, Terre Thaemlitz, images du packaging de Soulnessless, 2012. L’ O F F I C I E L A R T N°23 that family values are under attack. Well, this project is about flipping that, and understanding “family” as a social structure that deploys a patriarchal attack on all people. It is about the family as a kind of social weapon that particularly attacks queers, women and the disowned. That’s what is behind these two statements. And of course, I am not saying them in a didactic and one dimensional way, like “everybody should be forced not to have children”–although that seems to be how the German press has received it. It’s not this kind of ignorant and simple conclusion. Just as in Soulnessless I discussed rather nihilistically that there is no potential for an atheist world, I also recognize there is no potential for a world without birth or patriarchal family. The questions to be raised are not about the biology of child bearing. We can think about that lack of ethics outside of the “have kids” or “don’t have kids” binary. Maybe you can explain this two statements that are the keys to the understanding of your new piece Deproduction (2017)? Yes, so the second half of Deproduction is called, “Admit It’s Killing You (And Leave)”, and it revolves around these two statements that “having children is unethical” and “families make democracy impossible.” You generally hear right-wing and religious people claiming 116 T E X T Do you then think that ethics would be a way to distinguish the basic animal instincts in term of reproduction from the will to go beyond? Not really. I think I would like to turn it inside out. I think that its similar to the problems that arise when you get into discussion around gender, sexuality, and all this kind of stuff within a liberal humanist framework. Of course almost all of today’s legislation is advocated through essentialist arguments that “I can’t help it”: that one deserves rights because one could not help being born with a vagina, one could not help being born with non-white skin, one could not help being born as a homosexual, one could not help being born transgendered, etc. This way of legislating around body essentialisms is a very different thing than legislating based on our social capacity to make choices to reduce violence towards others. It has the adverse effect of perpetuating essentialist differences between people, and reducing our social problems to problems of the body around which we have no personal agency or choice. So the history of liberal legislation is one of erasing personal agency. It also further ostracizes those of us who do make active choices that may go against traditions, perpetuating the logic that we do not deserve rights in the same way “innocent” people who “can’t help it” deserve rights. It’s about luring pity and favoritism from the white, patriarchal father figure, rather than divesting the patriarchal figure of power. Similarly, when you invoke “basic animal instincts” and particularly link them to reproduction, we find ethics functioning in this liberal humanist way that essentializes cultural myths of “the animal.” Our sense of supra-social instincts are always filtered through very estranged and oppressive social codings around what those things must mean, and ethics tend to be used as the justrification for which instincts are “good,” and which are “bad.” So for me the idea of ethics is E N G L I S H PIERRE BAL-BLANC: I will briefly introduce the context of this interview. It’s Monday 10 of July and I am together with Terre Thaemlitz on a flight in direction to Kassel that departed from Athens where the world premiere of Deproduction (2017) happened yesterday evening. We can start with the reaction of the audience, how did you felt after this first presentation ? TERRE THAEMLITZ: I have to say the one surprise was that person who wanted to do a showing of hands to see who agreed with my two premises that having children is unethical and that families make democracy impossible. I thought it was a kind of strange and bad idea at first, but from the very few hands that came up for each of those it really did show that the queer ratio of any audience–queer in terms of outside thought, and even outside of the standard of LGBT–is always under 10% of any audience. For me, it was the most interesting thing last night. E N G L I S H This statement begins Deproduction, the latest sound and video work of the non-essentialist transgender Terre Thaemlitz. She is an award winning multi-media producer, writer, public speaker, educator, audio remixer, DJ and owner of the Comatonse Recordings record label. His work combines a critical look at identity politics - including gender, sexuality, class, linguistics, ethnicity and race - with an ongoing analysis of the socio-economics of commercial media production. He has released over 15 solo albums. As a speaker and educator on issues of non-essentialist Transgenderism and Queerness, Thaemlitz recommend rotating the pronouns “he» and “she” for her interlocutors. Deproduction was commissioned by documenta 14 and aesthetically is a continuation of Thaemlitz’ work (particularly Soulnessless, 2012, co-produced with CAC Bretigny) in the fields of electroacoustic audio production; writing; images; ‘non-performative’ performance and concerts. T E X T interview by Pierre bal-blanc something that is always oppressive. There is no singular model about what is good for people or bad for people. It is always contextual. So rather than using ethics to discuss instincts, I think a more useful discussion would be how notions of instinct become framed and essentialized by ethics, typically in the service of existing social power relations. In a way, with Deproduction (2017) you touch the question of ethics like you did with the religion with Soulnessless (2012). It is the same attempt to touch this ideology. Soulnessless (2012) was about atheism, but not the standard American conception of it which could be summed up as a movement of “smart people” who know better attempting to teach dumb people of faith. I am coming more from this other side where I begin with the premise that we are all too stupid to get rid of religion on any large scale. Atheism can only be a position of self-defense for a minority of people. In the same way, in Deproduction (2017) I talk about not having children, abandoning family and struggling for social services as something more than a supplement for the failures of insufficient family services, such as with single parents–you know, the typical idea of social services as simply about supporting the kind of fragile family. Rather, I am thinking about social services as something that can facilitate the possibility to leave the family and to survive as disowned. This is always going to be a minor position. It is always going to be something that people consider heartbreaking, like to be without family. So the major tendency is to try and reconcile the disowned with family, but I am interested in going further away from family. In this particular case, it’s about rethinking the model of democracy itself and the idea of equality, egalitarianism, etc.… as things that are inherently anti-family in that they are against hierarchy, if we take them to their theoretical conclusion. In that sense, democracy–and equality itself–becomes a kind of madness in the eyes of most of the world who do value family more than anything. So I’m proposing a rethinking of democracy that is going away from the traditional conception of it as something that can saturate the world, and which is always growing and spreading. Rather, I’m thinking of democracy as something that is actually about closing things down, and looking increasingly insane to the world as a result of being obviously in opposition to privatization, commercialization and everything else that is happening globally in terms of economics. So, it’s about the identification of democracy with madness. You talk about exceeding this familial system with queerness. Also you critic the LGBT movement as it’s recreating in a way this familial regime. Basically, many queer counter-cultures, in their fascination with tribalism, recreate a familial regime. Of course, tribalism is a clanistic and PROFILE COURTESY DE L’ARTISTE. “THERE ISN’T MUCH TIME, SO WE’LL HAVE TO SKIP THE FOREPLAY. FOR SOME OF YOU THIS WILL REQUIRE SUSPENSIONS OF DISBELIEF, BUT PLEASE OPEN YOURSELVES TO THE FOLLOWING TWO PREMISES. FIRST, HAVING CHILDREN IS UNETHICAL. SECOND, FAMILIES MAKE DEMOCRACY IMPOSSIBLE.” You are also speaking about taking the position of the weak instead of the strong. Could you elaborate on this? Well, I think that there is a difficulty on how to discuss that because of the western framework of Christianity, and my wanting to avoid this kind of association with a Christian notion that “the meek shall inherit the earth.” For me is not about taking up positions of weakness in a heroic manner. It is more about better understanding positions in which violence are inflicted upon you, with an understanding that there may be no redemption. So it’s about being concerned with the social infliction of violence more than it is about sympathy for a weakness PROFILE I was also interested by this politicization of the desire. Do you call for the reappropriation of the desire? There is a line in the text to Deproduction where I talk about how transsexual communities are constantly dealing with the violence of having to self-identify with illness or having a gender identity disorder in order to gain access to health services and support. The typical response by transsexual people is usually to say, actually, we are healthy and we should not have to submit to a diagnosis of illness in order to have access to transitional procedures. My though is, within an oppressive social structure that manipulates health and illness as forms of violence and control, what if rather than demanding to be seen as healthy, we politicize the desire to be seen as healthy in relation to those larger power dynamics? What if we reject the system that encourages us to desire to be acknowledged and approved socially on a mass scale as healthy? This is something that ties into what I was saying about seeing democracy as madness, because it is stepping away from the desire to be seen as something that has populist potentials. It is going away from the T E X T that’s seen as inherent to a person. I think that’s also a step away from an essentialist model of looking at suffering: instead of looking at “the weak” as a kind of sub-species, I am looking at violence and how categories of bodies are socially subjugated to certain types of abuse. I am mostly interested in gender, sexual, racial and economic violence, and how these things target specifics groups through the mechanism of family, and through the elimination of social services that would facilitate an ability to survive outside of families in a more democratic kind of social model that is largely unrealizable precisely because of the strength of hierarchal families and clans. E N G L I S H E N G L I S H familial constellation. It’s not a coincidence that at this “pro-family values” moment of history we have the most visible cultural acknowledgement of queer counter-cultures in academia and art museums. The world of queer studies is consistently invoking the tribal as an alternative to Western bureaucracy, yet this fascination with tribalism is in fact an internalization and regurgitation of our own susceptibility to the seduction of family. And this is happening precisely at this moment where we have mainstream culture pushing family values down the public’s throat, and reinvesting in family as a site for social support, in order to eliminate hard fought social services. This is happening at the same time when money is going to the academic and institutional support of queer countercultures that are fascinated with tribalism. That is not a coincidence in my mind. This goes together. It’s in harmony. It shows that what we are doing on the counter-cultural level is still totally symptomatic of dominant cultural agendas. Its symptomatic of an essentialist model of sexuality and transgenderism that just functions within the confines of the heteronormative binary. L’ O F F I C I E L A R T T E X T N°23 idea of being recognized as healthy and normal. It is a rejection of normalization. We know that the family is at the core of what most societies consider normal social relations, and we know that the patriarchal family system is how we arrive at gender and sexual binaries like heterosexual/homosexual, male/female. So if we want to actually go into a process of rejecting those binaries, it automatically involves a rejection of the family on some level–which means that we are assuming a position of rejecting the potential for being seen as normal by the majority of people. That’s why you strategically refuses pride. Is this as well a key position for you, to be on the side of shame rather than on the one of pride? For sure. I think that pride is a tool of power and oppression. Growing up as someone who was bashed a lot, I know that the people who felt pride were the people who were doing the bashing. Why do I want to assume that position of self-assuredness those prideful assholes had when they were bashing me? Why do I want to participate in something that would give me the arrogance to then lose sight of how shame formulates us? I do believe that everyone’s identities are more formulated by shame than pride. Pride is a luxury of the elite, or a tricking of the oppressed. The idea of “queer pride” or “LGBT pride” is a kind of lesson unlearned. I have spoken about that in the past, about how really it’s a kind of error in logic to go down this route of pursuing “queer pride.” For me, queerness is a position of irreconcilability with heteronormativity. Pride is clearly a tool for normalization and acceptance–even if we are talking about thsoe who have been shamed attempting to accept themselves in positive terms. I find positivity and pride more self-destructive than empowering. It’s like going deeper into the belly of the beast. 1 17