L’ O F F I C I E L A R T
N°23
Deproduction
Terre
Thaemlitz
Propos recueillis par Pierre Bal-Blanc
108
PHOTOSRUTHIE
PHOTO
FENDI. SINGER-DECAPITE. COURTESY DE L’ARTISTE.
“Comme il ne nous reste plus
beaucoup de temps, on se passera
de préliminaires. Cessez d’être
incrédules, et soyez réceptifs
aux deux propositions suivantes :
primo, il est immoral d’avoir
des enfants ; secundo, les familles
sont responsables de l’échec
de la démocratie.”
PROFILE
N°23
PROFILE
L’ O F F I C I E L A R T
109
N°23
COURTESY DE L’ARTISTE.
L’ O F F I C I E L A R T
Page précédente, Terre Thaemlitz photographié en 2000. Ci-dessus, Terre Thaemlitz,
extrait de Soulnessless: Canto II (Traffic With the Devil), 2012.
110
PROFILE
N°23
Cet avertissement sert de
présentation à la dernière œuvre
audio et vidéo de l’artiste transgenre
non-essentialiste Terre Thaemlitz.
Productrice multimédia, écrivain,
orateur, éducatrice, génie du remix,
DJ et propriétaire du label Comatonse
Recordings, elle a maintes fois
été couronnée par ses pairs. Son
œuvre associe un regard critique
sur les politiques de l’identité (genre,
sexualité, classe, linguistique,
ethnicité, race) à une analyse
prolongée de la socio-économie de la
production médiatique commerciale.
Il a produit plus de quinze albums
solo. En tant que conférencier et
éducatrice dans le domaine du queer
et du transgenre non-essentialiste,
Thaemlitz recommande à ses
interlocuteurs l’usage indifférencié,
à son propos, du “il” et du “elle”.
Sa Deproduction répond à une
commande de la documenta 14 ;
au plan esthétique, l’œuvre se
présente comme le prolongement
d’œuvres antérieures (Soulnessless,
2012, coproduit avec le CAC Brétigny)
dans le domaine de la production
électro-acoustique, de l’écriture,
de l’image, de la performance
“non performative” et du concert.
PIERRE BAL-BLANC : D’abord un mot sur
le contexte de cet entretien. Nous sommes
lundi 10 juillet et je me rends à Cassel en compagnie
de Terre Thaemlitz ; notre vol vient de quitter
Athènes où nous étions hier soir au vernissage
de Deproduction (2017). Nous pourrions commencer
par la réaction du public : qu’avez-vous ressenti
après cette première présentation ?
TERRE THAEMLITZ : Je dois dire que j’ai été très
surpris quand, dans le public, quelqu’un a proposé de voter à main
levée pour savoir qui était d’accord avec mes deux prémisses
— avoir des enfants est immoral, et les familles entravent la
démocratie. Je me suis d’abord dit que c’était là une idée bizarre
et malvenue, mais en voyant se lever quelques rares mains j’ai
compris que la proportion queer d’un public donné (queer au sens
de : pensée marginale, fût-ce au regard des normes LGBT) est
toujours inférieure à 10 %. Voilà ce qui m’a le plus frappé hier soir.
Il faudrait sans doute expliquer le sens
de ces deux propositions qui permettent
de comprendre Deproduction.
En effet. La deuxième partie de l’œuvre s’intitule Admit it’s Killing
You (and Leave) [Admets que c’est en train de te tuer, et va-t’en],
et elle tourne autour des deux déclarations que vous citiez : avoir
des enfants est immoral, et les familles rendent la démocratie
impossible. Ce sont généralement les gens de droite et les gens
très religieux qui déplorent que notre époque s’en prenne aux
valeurs familiales. Eh bien, tout ce projet consiste à renverser
cette conception, et à voir dans la “famille” une structure sociale
qui fait subir à tout le monde une agression d’ordre patriarcal. La
famille devient alors une arme sociale qui vise particulièrement
PROFILE
L’ O F F I C I E L A R T
les queers, les femmes et les personnes sans attache familiale.
Voilà le sens profond de mes deux affirmations. Naturellement,
je ne les énonce pas de manière didactique et univoque, je ne dis
pas : “il faut contraindre les gens à renoncer à faire des enfants”
— c’est pourtant ce qu’a cru comprendre la presse allemande !
Je voudrais éviter ce type de conclusion intolérante et simpliste.
De même que, dans Soulnessless, je disais de manière assez
nihiliste qu’on ne peut envisager un monde athée, de même
j’admets qu’on ne peut envisager un monde sans naissances et
sans famille patriarcale. Les questions qui comptent ici n’ont
pas trait à la biologie de la grossesse. On peut réfléchir à
l’immoralité de la procréation sans se référer à la dichotomie
“avoir des enfants”/ “ne pas en avoir”.
Diriez-vous alors que l’éthique permet de distinguer
entre les bas instincts animaux liés
à la reproduction, d’une part, et d’autre part
et un désir de dépassement ?
Pas vraiment. J’aimerais renverser le propos. Je crois qu’on
retrouve les mêmes problèmes que lorsqu’on parle de genre,
de sexualité, etc. dans un cadre libéral-humaniste. Bien sûr, la
législation actuelle repose en grande partie sur des arguments
essentialistes de type “On n’y peut rien” : telle personne doit
obtenir des droits parce qu’elle est née avec un vagin et qu’elle
n’y pouvait rien ; d’autres sont nés avec une peau non-blanche,
ou homosexuels, ou transgenres, et ils n’y pouvaient rien. On
légifère ainsi au nom d’un essentialisme corporel, mais on pourrait
légiférer au nom de notre capacité sociale à faire des choix
visant à réduire toute violence à l’égard d’autrui. En optant pour
la première manière de légiférer, on perpétue les différences
essentialistes entre individus, et on réduit nos problèmes de
société à des problèmes corporels sur lesquels nous n’avons
aucune prise. L’histoire de la législation libérale a donc consisté
à effacer la responsabilité de l’individu agissant. Elle ostracise
par ailleurs ceux d’entre nous qui font des choix qui contestent
la tradition, et perpétue l’idée que nous ne méritons pas de droits
au même titre que des gens “innocents” ou qui “n’y peuvent
rien”. On sollicite la pitié et le favoritisme de la figure paternelle
blanche et patriarcale, au lieu de dépouiller celle-ci de son
pouvoir. De même, quand on invoque les “bas instincts animaux”,
surtout quand on les associe à la reproduction, on constate
que l’éthique fonctionne d’une manière libérale-humaniste qui
essentialise les mythes culturels de “l’animal”. Notre conception
des instincts supra-sociaux passe toujours par le filtre de
codages sociaux oppressifs, qui viennent nous dire le sens que
doivent avoir ces choses ; quant à l’éthique, elle sert souvent à
justifier la répartition entre “bons” et “mauvais” instincts. A mon
sens, l’éthique est toujours oppressive. Il n’existe pas de modèle
unique qui permettrait de savoir ce qui est bon ou mauvais pour
tout le monde. C’est toujours une affaire de contexte. Au lieu
d’utiliser l’éthique pour discuter des instincts, donc, je pense qu’il
est plus utile d’observer la manière dont l’instinct est structuré
et essentialisé par l’éthique, notamment au service des relations
sociales de pouvoir actuellement en place.
D’une certaine manière, avec Deproduction,
vous traitez les questions d’éthique comme vous
avez traité des questions de religion
avec Soulnessless. Il s’agit dans les deux cas
d’examiner une même idéologie.
Soulnessless était consacré à l’athéisme, mais pas dans son sens
américain traditionnel — qui désigne un mouvement de “gens
intelligents” qui, persuadés d’avoir la science infuse, prennent de
haut ces imbéciles de croyants. Mon angle est différent :
je pars du principe que nous sommes tous trop bêtes pour nous
passer de religion à grande échelle. L’athéisme ne peut être
111
qu’une posture d’auto-défense pour une minorité. De même, dans
Deproduction, je suggère que ne pas avoir d’enfants, abandonner
sa famille et se dépatouiller avec les services sociaux ne vise
pas seulement à compenser l’échec de prestations familiales
insuffisantes, comme dans le cas de parents célibataires. Comme
s’il fallait limiter les prestations sociales aux familles fragiles...
Non, j’y vois plutôt le moyen de favoriser la possibilité de quitter
sa famille et de survivre sans attache. Cette position sera
toujours minoritaire. Les gens y verront toujours quelque chose
de déchirant, comme le fait d’être sans famille. Le plus souvent,
on cherche à réconcilier ces gens avec leur famille, mais ce qui
m’intéresse, c’est de m’éloigner encore plus de la famille. Dans
ce cas particulier, j’essaie de repenser le modèle même de la
démocratie et l’idée d’égalité, d’égalitarisme, etc. comme autant
de réalités antifamiliales par nature en cela que, si on pousse
leur logique jusqu’au bout, elles s’opposent à toute forme de
hiérarchie. En ce sens, la démocratie (tout comme l’égalité ellemême) devient une sorte de folie pour la plupart des gens qui
placent la famille au-dessus de tout. Il s’agit donc de repenser
la démocratie en s’écartant de la conception traditionnelle selon
laquelle il faudrait l’étendre à toute la planète et la voir sans cesse
croître et embellir. Je crois au contraire que la démocratie vise
la clôture plutôt que l’ouverture, et qu’elle apparaîtra de plus
en plus comme une folie — puisqu’elle s’oppose manifestement
à la privatisation, à la commercialisation et à toutes les formes
que peut prendre l’économie sur la planète. Deproduction
est donc une œuvre qui assimile démocratie et folie.
Vous parlez de dépasser ce système familial grâce
au queer. Par ailleurs, vous reprochez au mouvement
LGBT de recréer à sa manière un régime familial.
Pour le dire simplement : de nombreuses contre-cultures queer,
fascinées par le tribalisme, ne font que reproduire un régime
familial. Bien entendu, le tribalisme est une constellation clanique
et familiale. Ce n’est pas par hasard que, précisément à ce
moment dans l’histoire, nous assistons à une reconnaissance
culturelle sans précédent des contre-cultures queer dans les
musées et les milieux universitaires. Les intellectuels queer
présentent régulièrement la tribalité comme seule solution de
rechange à la bureaucratie occidentale ; or cette fascination pour
le tribalisme est en réalité une intégration et une régurgitation
de notre propre tendance à être fascinés par la famille. Et cela
se produit justement à une époque où la culture de masse gave
le public de valeurs familiales, et réinvestit dans la famille perçue
comme lieu de soutien social, tout cela pour éliminer des services
sociaux si chèrement obtenus. Et en même temps, on finance les
défenseurs institutionnels et universitaires des contre-cultures
queer, alors que celles-ci sont fascinées par le tribalisme. A mes
yeux, il ne saurait s’agir d’une coïncidence. Tout cela se tient et
forme un tout harmonieux. Et cela prouve que tout ce qui se fait
au niveau de la contre-culture est totalement symptomatique des
politiques culturelles dominantes – et symptomatique d’un modèle
essentialiste de la sexualité et du transgenre qui ne fonctionne
que dans le cadre restreint de la binarité hétéronormative.
Vous parlez aussi d’adopter la position du faible et
non du fort. Pourriez-vous développer cette idée ?
Je crois qu’il est difficile d’aborder cette question à cause
du modèle chrétien occidental, et de mon désir d’éviter toute
association avec l’idée chrétienne que “les faibles hériteront de la
terre”. Il ne s’agit pas pour moi d’assumer la place des pauvres de
manière héroïque, mais de mieux comprendre des positions dans
lesquelles la violence vous est infligée sans qu’il soit question
de rédemption. Je m’intéresse à l’infliction sociale de la violence,
loin de toute sympathie pour une faiblesse conçue comme
inhérente à tel ou tel individu. Je crois que l’on s’éloigne ainsi
112
N°23
de la manière essentialiste de considérer la violence : au lieu de
voir “les faibles” comme une sorte de sous-espèce, je considère
la violence et la manière dont certains types de corps sont
socialement soumis à certains types d’agression. Je m’intéresse
avant tout à la violence liée au genre, au sexe, à la race et à la
condition économique, et à la manière dont ces facteurs
ciblent des groupes spécifiques via le mécanisme de la famille,
et à travers l’élimination de services sociaux susceptibles
de faciliter notre capacité à survivre en dehors de la famille, selon
un modèle social en grande partie irréalisable – à cause,
justement, de la force du clan et de la famille hiérarchisée.
J’ai été très intéressé par cette politisation
du désir. Seriez-vous en train
d’appeler à une réappropriation du désir ?
Dans le texte de présentation de Deproduction, je parle de la
manière dont les communautés transsexuelles affrontent toujours
une violence particulière : il faut se définir comme malade, comme
souffrant d’un désordre lié au genre, pour avoir accès aux services
et aux allocations de santé. Les transsexuels réagissent le plus
souvent en disant : mais nous ne sommes pas malades, et nous
refusons d’avoir à être déclarés malades pour avoir accès
à une procédure de transition. A mon sens, dans le cadre d’une
structure sociale qui manipule santé et maladie et en fait des
formes de violence et de contrôle, pourquoi, au lieu d’exiger d’être
considérés comme sains, ne pas plutôt politiser le désir d’être
perçu comme sains en rapport avec cette dynamique de pouvoir
qui nous dépasse ? Pourquoi ne pas rejeter le système qui nous
encourage à vouloir être reconnus comme sains, à vouloir obtenir
l’approbation généralisée de la société ? On retombe là sur ce que
je disais de la démocratie comme folie, car cela revient à s’écarter
du désir d’être perçu comme un être potentiellement populaire.
C’est s’écarter de l’idée que l’on doit être reconnu comme sain et
comme normal. C’est un refus de la normalisation. On sait que la
famille est au cœur de ce que la plupart des sociétés considèrent
comme des rapports sociaux normaux ; on sait que le système
familial patriarcal débouche sur des oppositions binaires de type
mâle/femelle ou hétérosexuel/homosexuel. Donc, si on veut
vraiment se donner les moyens de rejeter ces dichotomies, il faut
nécessairement rejeter la famille à un certain niveau –
en d’autres termes, adopter une position qui écarte toute
possibilité d’être perçu comme normal par une majorité de gens.
C’est pourquoi votre stratégie consiste à refuser
la “fierté”. Choisir la honte au détriment de la fierté :
est-ce là une autre posture essentielle à vos yeux ?
Il ne fait aucun doute pour moi que la fierté est un instrument
de pouvoir et d’oppression. J’ai été souvent harcelé et malmené
dans ma jeunesse, et je sais que la fierté était toujours du
côté du moqueur, non du moqué. Pourquoi voudrais-je adopter
cette posture d’assurance qu’avaient ces abrutis si fiers de me
harceler ? Pourquoi voudrais-je prendre part à quelque chose
qui me donnerait de l’arrogance et me ferait oublier à quel point
la honte nous construit tous ? Je suis persuadé que l’identité de
chacun d’entre nous doit plus à la honte qu’à la fierté. La fierté
est un luxe des élites ; c’est aussi une manière de piéger les
opprimés. L’idée de “fierté queer” ou d’une “fierté LGBT”, c’est
une leçon mal apprise. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet, j’ai
déjà dit que c’est une erreur logique que de vouloir atteindre une
“fierté queer”. Pour moi, le choix du queer est inconciliable par
nature avec l’hétéronormativité. La fierté est de toute évidence un
instrument de normalisation et d’acceptation — même s’agissant
de personnes dont on s’est moqué alors qu’elles tentaient
de s’accepter et de positiver. Je trouve que la positivité et la fierté
sont plus autodestructrices que libératrices. Avec elles,
on s’enfonce encore un peu plus dans le centre de la bête.
PROFILE
COURTESY DE L’ARTISTE.
L’ O F F I C I E L A R T
N°23
L’ O F F I C I E L A R T
Terre Thaemlitz, extraits de la vidéo Deproduction , 2017.
PROFILE
113
COURTESY DE L’ARTISTE.
Page de gauche, Terre Thaemlitz, Soulnessless: Canto III (Pink Sisters),
extrait de la vidéo, 2012. Ci-dessus et pages suivantes,
Terre Thaemlitz, images du packaging de Soulnessless, 2012.
L’ O F F I C I E L A R T
N°23
that family values are under attack. Well, this
project is about flipping that, and understanding
“family” as a social structure that deploys
a patriarchal attack on all people. It is about
the family as a kind of social weapon that
particularly attacks queers, women and the
disowned. That’s what is behind these two
statements. And of course, I am not saying
them in a didactic and one dimensional way,
like “everybody should be forced not to have
children”–although that seems to be how
the German press has received it. It’s not this
kind of ignorant and simple conclusion. Just as
in Soulnessless I discussed rather nihilistically
that there is no potential for an atheist
world, I also recognize there is no potential for
a world without birth or patriarchal family.
The questions to be raised are not about the
biology of child bearing. We can think
about that lack of ethics outside of the “have
kids” or “don’t have kids” binary.
Maybe you can explain this two statements
that are the keys to the understanding
of your new piece Deproduction (2017)?
Yes, so the second half of Deproduction is
called, “Admit It’s Killing You (And Leave)”, and
it revolves around these two statements
that “having children is unethical” and “families
make democracy impossible.” You generally
hear right-wing and religious people claiming
116
T E X T
Do you then think that ethics would be a way
to distinguish the basic animal instincts
in term of reproduction from the will to go
beyond?
Not really. I think I would like to turn it inside out.
I think that its similar to the problems that arise
when you get into discussion around gender,
sexuality, and all this kind of stuff within a
liberal humanist framework. Of course almost
all of today’s legislation is advocated through
essentialist arguments that “I can’t help it”:
that one deserves rights because one could
not help being born with a vagina, one could not
help being born with non-white skin, one could
not help being born as a homosexual, one could
not help being born transgendered, etc. This
way of legislating around body essentialisms is
a very different thing than legislating based on
our social capacity to make choices to reduce
violence towards others. It has the adverse
effect of perpetuating essentialist differences
between people, and reducing our social
problems to problems of the body around which
we have no personal agency or choice. So the
history of liberal legislation is one of erasing
personal agency. It also further ostracizes
those of us who do make active choices that
may go against traditions, perpetuating the
logic that we do not deserve rights in the
same way “innocent” people who “can’t help
it” deserve rights. It’s about luring pity and
favoritism from the white, patriarchal father
figure, rather than divesting the patriarchal
figure of power. Similarly, when you invoke
“basic animal instincts” and particularly
link them to reproduction, we find ethics
functioning in this liberal humanist way that
essentializes cultural myths of “the animal.”
Our sense of supra-social instincts are always
filtered through very estranged and oppressive
social codings around what those things
must mean, and ethics tend to be used as the
justrification for which instincts are “good,” and
which are “bad.” So for me the idea of ethics is
E N G L I S H
PIERRE BAL-BLANC: I will briefly introduce
the context of this interview. It’s Monday
10 of July and I am together with Terre
Thaemlitz on a flight in direction to Kassel
that departed from Athens where the world
premiere of Deproduction (2017) happened
yesterday evening. We can start with the
reaction of the audience, how did you felt
after this first presentation ?
TERRE THAEMLITZ: I have to say the one
surprise was that person who wanted to do a
showing of hands to see who agreed with my
two premises that having children is unethical
and that families make democracy impossible.
I thought it was a kind of strange and bad idea
at first, but from the very few hands that came
up for each of those it really did show that the
queer ratio of any audience–queer in terms
of outside thought, and even outside of the
standard of LGBT–is always under 10% of any
audience. For me, it was the most interesting
thing last night.
E N G L I S H
This statement begins Deproduction, the latest
sound and video work of the non-essentialist
transgender Terre Thaemlitz. She is an award
winning multi-media producer, writer, public
speaker, educator, audio remixer, DJ and owner
of the Comatonse Recordings record label. His
work combines a critical look at identity politics
- including gender, sexuality, class, linguistics,
ethnicity and race - with an ongoing analysis
of the socio-economics of commercial media
production. He has released over
15 solo albums. As a speaker and educator on
issues of non-essentialist Transgenderism and
Queerness, Thaemlitz recommend rotating the
pronouns “he» and “she” for her interlocutors.
Deproduction was commissioned by documenta
14 and aesthetically is a continuation of
Thaemlitz’ work (particularly Soulnessless, 2012,
co-produced with CAC Bretigny) in
the fields of electroacoustic audio production;
writing; images; ‘non-performative’
performance and concerts.
T E X T
interview by Pierre bal-blanc
something that is always oppressive. There is
no singular model about what is good for
people or bad for people. It is always contextual.
So rather than using ethics to discuss instincts,
I think a more useful discussion would
be how notions of instinct become framed
and essentialized by ethics, typically in
the service of existing social power relations.
In a way, with Deproduction (2017) you touch
the question of ethics like you did with the
religion with Soulnessless (2012). It is the
same attempt to touch this ideology.
Soulnessless (2012) was about atheism, but not
the standard American conception of it which
could be summed up as a movement of “smart
people” who know better attempting to teach
dumb people of faith. I am coming more from
this other side where I begin with the premise
that we are all too stupid to get rid of religion on
any large scale. Atheism can only be a position
of self-defense for a minority of people. In the
same way, in Deproduction (2017) I talk about
not having children, abandoning family and
struggling for social services as something
more than a supplement for the failures of
insufficient family services, such as with single
parents–you know, the typical idea of social
services as simply about supporting the kind of
fragile family. Rather, I am thinking about social
services as something that can facilitate the
possibility to leave the family and to survive
as disowned. This is always going to be a minor
position. It is always going to be something
that people consider heartbreaking, like to be
without family. So the major tendency is to try
and reconcile the disowned with family, but I am
interested in going further away from family.
In this particular case, it’s about rethinking
the model of democracy itself and the idea of
equality, egalitarianism, etc.… as things that are
inherently anti-family in that they are against
hierarchy, if we take them to their theoretical
conclusion. In that sense, democracy–and
equality itself–becomes a kind of madness in
the eyes of most of the world who do value
family more than anything. So I’m proposing a
rethinking of democracy that is going away from
the traditional conception of it as something
that can saturate the world, and which is always
growing and spreading. Rather, I’m thinking of
democracy as something that is actually about
closing things down, and looking increasingly
insane to the world as a result of being obviously
in opposition to privatization, commercialization
and everything else that is happening globally
in terms of economics. So, it’s about the
identification of democracy with madness.
You talk about exceeding this familial
system with queerness. Also you
critic the LGBT movement as it’s recreating
in a way this familial regime.
Basically, many queer counter-cultures, in their
fascination with tribalism, recreate a familial
regime. Of course, tribalism is a clanistic and
PROFILE
COURTESY DE L’ARTISTE.
“THERE ISN’T MUCH TIME, SO WE’LL HAVE TO
SKIP THE FOREPLAY. FOR SOME OF YOU
THIS WILL REQUIRE SUSPENSIONS OF
DISBELIEF, BUT PLEASE OPEN YOURSELVES
TO THE FOLLOWING TWO PREMISES. FIRST,
HAVING CHILDREN IS UNETHICAL. SECOND,
FAMILIES MAKE DEMOCRACY IMPOSSIBLE.”
You are also speaking about taking the
position of the weak instead of the strong.
Could you elaborate on this?
Well, I think that there is a difficulty on how to
discuss that because of the western framework
of Christianity, and my wanting to avoid this
kind of association with a Christian notion that
“the meek shall inherit the earth.” For me is
not about taking up positions of weakness
in a heroic manner. It is more about better
understanding positions in which violence are
inflicted upon you, with an understanding that
there may be no redemption. So it’s about being
concerned with the social infliction of violence
more than it is about sympathy for a weakness
PROFILE
I was also interested by this politicization
of the desire. Do you call for the reappropriation of the desire?
There is a line in the text to Deproduction where
I talk about how transsexual communities
are constantly dealing with the violence of
having to self-identify with illness or having a
gender identity disorder in order to gain access
to health services and support. The typical
response by transsexual people is usually to
say, actually, we are healthy and we should not
have to submit to a diagnosis of illness in order
to have access to transitional procedures. My
though is, within an oppressive social structure
that manipulates health and illness as forms
of violence and control, what if rather than
demanding to be seen as healthy, we politicize
the desire to be seen as healthy in relation to
those larger power dynamics? What if we reject
the system that encourages us to desire to be
acknowledged and approved socially on a mass
scale as healthy? This is something that ties
into what I was saying about seeing democracy
as madness, because it is stepping away from
the desire to be seen as something that has
populist potentials. It is going away from the
T E X T
that’s seen as inherent to a person. I think
that’s also a step away from an essentialist
model of looking at suffering: instead of
looking at “the weak” as a kind of sub-species,
I am looking at violence and how categories of
bodies are socially subjugated to certain types
of abuse. I am mostly interested in gender,
sexual, racial and economic violence, and how
these things target specifics
groups through the mechanism of family,
and through the elimination of social services
that would facilitate an ability to survive
outside of families in a more democratic kind
of social model that is largely unrealizable
precisely because of the strength of hierarchal
families and clans.
E N G L I S H
E N G L I S H
familial constellation. It’s not a coincidence
that at this “pro-family values” moment of
history we have the most visible cultural
acknowledgement of queer counter-cultures
in academia and art museums. The world of
queer studies is consistently invoking the tribal
as an alternative to Western bureaucracy,
yet this fascination with tribalism is in fact an
internalization and regurgitation of our own
susceptibility to the seduction of family. And
this is happening precisely at this moment
where we have mainstream culture pushing
family values down the public’s throat, and
reinvesting in family as a site for social
support, in order to eliminate hard fought
social services. This is happening at the same
time when money is going to the academic
and institutional support of queer countercultures that are fascinated with tribalism.
That is not a coincidence in my mind. This goes
together. It’s in harmony. It shows that what
we are doing on the counter-cultural level is
still totally symptomatic of dominant cultural
agendas. Its symptomatic of an essentialist
model of sexuality and transgenderism that
just functions within the confines of the
heteronormative binary.
L’ O F F I C I E L A R T
T E X T
N°23
idea of being recognized as healthy and normal.
It is a rejection of normalization. We know
that the family is at the core of what most
societies consider normal social relations, and
we know that the patriarchal family system is
how we arrive at gender and sexual binaries
like heterosexual/homosexual, male/female.
So if we want to actually go into a process
of rejecting those binaries, it automatically
involves a rejection of the family on some
level–which means that we are assuming a
position of rejecting the potential for being
seen as normal by the majority of people.
That’s why you strategically refuses pride.
Is this as well a key position for you, to be
on the side of shame rather than on the
one of pride?
For sure. I think that pride is a tool of power
and oppression. Growing up as someone who
was bashed a lot, I know that the people who
felt pride were the people who were doing the
bashing. Why do I want to assume that position
of self-assuredness those prideful assholes
had when they were bashing me? Why do I want
to participate in something that would give me
the arrogance to then lose sight of how shame
formulates us? I do believe that everyone’s
identities are more formulated by shame than
pride. Pride is a luxury of the elite, or a tricking
of the oppressed. The idea of “queer pride”
or “LGBT pride” is a kind of lesson unlearned.
I have spoken about that in the past, about
how really it’s a kind of error in logic to go down
this route of pursuing “queer pride.” For me,
queerness is a position of irreconcilability with
heteronormativity. Pride is clearly a tool for
normalization and acceptance–even if we are
talking about thsoe who have been shamed
attempting to accept themselves in positive
terms. I find positivity and pride more
self-destructive than empowering. It’s like
going deeper into the belly of the beast.
1 17