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MOO: l'apprenant de langue démiurge

2008, Apprentissage des langues et pratiques artistiques

MOO : l’apprenant de langue démiurge. Joséphine Rémon To cite this version: Joséphine Rémon. MOO : l’apprenant de langue démiurge.. Editions Le Manuscrit. Apprentissage des langues et pratiques artistiques, pp.333-354, 2008, 978-2-304-02296-4. ฀hal-00353408฀ HAL Id: hal-00353408 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00353408 Submitted on 15 Jan 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Rémon J. (à paraître), "MOO : l'apprenant de langue démiurge", in Actes du colloque "Créativité, expérience esthétique et imaginaire : pratiques artistiques et enseignement/apprentissage des langues et cultures", 24 et 25 mai 2007, IUFM de Créteil MOO : l'apprenant de langue démiurge Joséphine Rémon, Université Lyon2, UMR 5191 ICAR Dans le cadre d'une réflexion sur l'intégration de l'émotion et de l'imaginaire à une approche expérientielle des langues et cultures dans la classe de langue, on ne peut rêver meilleur outil que le MOO (Multi-utilisateur Orienté Objet). Cet environnement principalement textuel et/ou graphique et hypertextuel, est accessible grâce à un navigateur web (ou un logiciel client telnet). L'utilisateur y construit une identité virtuelle en se décrivant à l'aide de phrases. Il construit à loisir objets (personnages, lieux, objets inertes ou interactifs et automates conversants) qui ne sont donnés à voir que par leur description textuelle et peut communiquer de façon synchrone avec les autres personnes connectées. Une communauté virtuelle se forme, poésie et littérature prennent corps. L'ensemble relève de ce que Veillon (1997) appelle la « communautique » ou « ensemble des phénomènes communautaires en ligne ». L'utilisation du MOO ne pose pas de difficultés techniques et il est pourtant trop méconnu des enseignants de langue. Ses vastes possibilités doivent être présentées au plus grand nombre. Chacun en prendra possession en fonction de son équipement et de la fantaisie qu'il souhaite développer. Après une présentation de deux exemples de MOO, et un bref historique, nous donnerons un aperçu des projets exploitant ces environnements à travers des scénarios à connotation littéraire, ludique ou utopique. De notre pratique du MOO à l'Université Lyon avec les étudiants de deuxième année d'anglais, nous tirerons également quelques éléments de réflexion et des conseils pratiques aux pédagogues qui souhaitent se lancer dans cette aventure créatrice. Nous indiquerons quel contexte théorique permet d'appréhender cet outil, que ce soit dans le cadre de l'apprentissage en général, d'un apprentissage expérientiel et de l'apprentissage des langues en particulier. Nous verrons en quoi le MOO semble présenter des caractéristiques en accord avec la définition d'un apprentissage expérientiel par Kolb (2000). Nous aborderons les notions de théâtralité, d'imaginaire et de créativité qui sont constitutives du MOO. La vision de l'utilisateur comme démiurge apportera un éclairage nouveau à l'appréhension de cet environnement. Par cet article, nous souhaitons d'une part présenter le MOO pour une mise en œuvre pratique, et d'autre part fournir les outils théoriques nécessaires à son appréhension. Notre apport à la recherche est ici de croiser les notions d'apprentissage expérientiel, de créativité, d'imaginaire avec une réflexion sur le MOO revisité à travers le mythe du démiurge. 1. Deux exemples de MOOs Nous présentons ici deux exemples de MOOs facilement accessibles. Dans les deux cas, il s'agit d'une interface en anglais. L'un, Canada MOO, http://www.moo.ca, présente une interface textuelle, avec quelques liens hypertextes, l'autre, TECFA MOO, http://tecfax.unige.ch:7000, présente une interface plus graphique avec des outils d'édition conviviaux. Une fois un identifiant et un mot de passe demandés à l'administrateur, l'accueil de CanadaMOO se présente comme suit : En bas de l'écran, une case est prévue pour entrer les verbes qui permettent d'agir dans le MOO et de communiquer avec les autres personnes connectées, comme dans un Chat. Pour construire dans CanadaMOO, il faut se «diriger» vers le «bâtiment administratif» pour y «prendre» un «permis de construire». On peut à tout moment taper «help» dans la fenêtre du bas pour avoir le sommaire de l'aide. On pourra par exemple construire une pièce appelée «IUFM de Créteil» à l'aide de la commande «@dig "IUFM de Créteil"». Ce lieu est ensuite décrit à l'aide du verbe «describe» : « @describe #3050 as "Vous entrez dans une salle de conférence. Les yeux de 150 auditeurs sont fixés sur vous. Il semble que vous soyez le conférencier invité. On vous pousse vers le micro." » On ajoutera un message contenant le texte «Le thème du colloque d'aujourd'hui est Créativité, expérience esthétique et imaginaire.», puis un objet de type contenant, «une bouteille d'eau», auquel on peut appliquer les verbes «open» et «close». TECFAMOO, créé en 1994, présente une interface d'une autre nature : On retrouve en bas à gauche la fenêtre de Chat où l'on peut aussi utiliser les verbes de construction et de déplacement. Un menu permet aussi de construire par clics. La description des objets cependant reste principalement textuelle, même si l'on peut intégrer des éléments multimédias, comme une couleur ou image de fond, un son, etc. En cliquant sur un objet (qu'il soit personnage, lieu ou ustensile), on accède à sa description. La partie gauche de l'écran répercute sous forme textuelle toute action cliquée. TECFAMOO permet encore la création assistée d'un robot conversationnel, que l'on programme à l'aide d'expressions régulières. L'interface permet de jouer ainsi avec le langage même sans connaître les subtilités de ces expressions. Ci-dessous, un extrait de conversation : josephine says, «bonjour» le fantôme de l'IUFM [to josephine]: Bonjour, bienvenue à ce colloque josephine asks, «vous êtes un robot ?» le fantôme de l'IUFM [to josephine]: pourquoi pensez-vous que je suis un robot? josephine asks, «votre discours est tout de suite ?» le fantôme de l'IUFM [to josephine]: Donnez-moi le votre d'abord ! josephine asks, «votre discours est plus tard ?» le fantôme de l'IUFM says, «mon discours est plus tard ? ça vous intéresse vraiment?» Au-delà de cet exemple en français, l’apprenant peut ainsi jouer à l’aprenti sorcier en utilisant la langue cible. 2. Liste de MOOs Pour une liste de MOOs, on peut se reporter à http://moo.echoduet.net/list.php. La liste de MOOs appelée «Rachel's Super MOO List», http://moolist.yeehaw.net/esl.html, si elle n'est pas toujours à jour dans les liens qu'elle propose, permet de se fendre compte que l'anglais n'est pas la seule langue concernée : « Nederlands : De Digitale Metro, FutureMOO, Medieval, MusicWorld, NowMOO,… Portugês : AtlantisMOO, CPDEEMOO, MOOsaico, Pangaea, Science & Fiction MOO Italiano : Cyberia, Kosmos, Little Italy, Pangaea Español : MundoHispano, Pangaea, Rumba MOO Deutsch : c-moo, Dreistadt, Pangaea Français : MOO Français, Pangaea Pinyin : Pangaea » Au-delà d'une liste générale, nous indiquons ci-dessous quelques MOOs facilement accessibles et le contact correspondant pour une première approche : 1. Canada MOO (interface textuelle) http://www.moo.ca, wizzen@lists.moo.ca 3. SchMOOze University (interface textuelle) http://schmooze.hunter.cuny.edu/, Julie Falsetti jfalsett@hunter.cuny.edu 4. TECFA MOO (interface web) http://tecfax.unige.ch:7000, daniel.schneider@tecfa.unige.ch 5. Villa Diodati (interface web) http://www.rc.umd.edu:7000/, ron.broglio@lcc.gatech.edu 3. Variété des scénarios On situe en 1975 les premiers jeux d’aventures textuels, et en 1990 le premier MOO (“Mud Object Oriented”). Plus récemment (1995), on voit apparaître les interfaces web, puis les environnements 2D et 3D (1996) et VRML (Virtual Reality Modeling Language,1997). La variété de projets est grande lorsqu'il s'agit des MOOs. David Barndollar (2004) décrit un projet dans lequel des étudiants en littérature annotent The Waste Land par T. S. Eliot au sein d'un MOO. Les étudiants traduisent dans l'espace virtuel les notes qu'ils auraient fournies sur papier. L'auteur donne un exemple à propos d'une annotation concernant le tarot : au lieu d'une simple explication, la baraque d'une cartomancienne est créée dans le MOO et à l'intérieur de cette baraque autant d'objets qui sont les cartes que l'on peut «regarder», pour en lire la description qui aura été prévue par le créateur du lieu. Une expérience similaire porte sur la lecture de A brave new world par Aldous Huxley. L'ouvrage est incarné au sein du MOO et les lecteurs revêtent les identités du roman. MacCallum et al. (1997) ou d’autres étudient aussi les effets de l’utilisation d’un MOO dans le cadre de la classe d’écriture. On citera encore le MOO CMC dédié à l'ouvrage «Le songe d'une nuit d’été» par Shakespeare (http://cmc.uib.no:8000/) ou la chasse au trésor organisée sur le MOO Vroma, consacré à l'histoire romaine. Les expériences consacrées au théâtre sont également nombreuses (c.f. MOO et théâtralité). A l’université Lyon 2, les étudiants du Département d’Etudes du Monde Anglophones ont utilisé LinguaMOO dans le cadre des séances TIC. A cette occasion, on voit que les questions de pérennité du système ne sont pas à prendre à la légère puisque LinguaMOO est désormais inaccessible. Le corpus qu’auraient pu représenter les productions des étudiants n’est plus en ligne. Sans entrer dans les détails, on a pu observer lors de cette utilisation qu’il semble y avoir une sorte de transitivité de l’ambiance générale du MOO sur les productions des étudiants. En effet, lorsqu’il s’agit de créer son personnage et son espace, certains adoptent d’emblée des univers fantastiques, influencés sans doute par l’espace préexistant. Quelques conseils pratiques tirés de cette expérience pourront bénéficier à ceux qui souhaitent initier un projet. Les fenêtres popup, notamment, doivent être autorisées pour le site du MOO. D’autre part, il faudra vérifier avec l’administrateur réseau que l’accès à l’adresse et au « port » du MOO est autorisé. En effet, ces adresses sont parfois bloquées par mesure de sécurité. 4. Appareil théorique L'appareil théorique qui permet d'appréhender le puissant outil qu'est le MOO est complexe puisque comme l'indique Aimard (2005), on est « à la croisée des domaines de l'acquisition des langues, psychologie sociale, linguistique conversationnelle et interactionniste, ergonomie cognitive et théorie de l'activité ». Pour cette chercheuse, « un environnement virtuel instrumentant l'apprentissage d'une langue est un dispositif : pédagogique (modèle d’apprentissage qui sous-tend l’architecture générale et la scénarisation en tâches) ; • socio-technique (artefact permettant la communication et la coordination du travail collectif instrumenté par les acteurs-partenaires de la formation - apprenants, formateurs, concepteurs de contenu, tuteurs-locuteurs natifs ou experts) ; sociocognitif (interface cognitive propre aux environnements virtuels). » Nombreux sont les auteurs à mettre en relation environnements virtuels d'apprentissage (EVA) et constructivisme ou socio-constructivisme. Svensson (2003) qualifie ces mondes virtuels d'« arènes pour un apprentissage constructiviste ». Pour Krause (2003), la situation d'enseignement/apprentissage entre pairs que permet le MOO est en relation avec la zone proximale de développement de Vigotsky. La cognition située est un autre élément théorique déterminant dans la sphère des MOOs. Rappelons que d'après Dillenbourg et Self (1992), la cognition peut être répartie, ou encore partagée ou distribuée, sur des éléments discrets qui font système. On trouve aussi l'expression de cognition instrumentée (Aimard 2005). Mangenot (2004) parle d'un passage d’une vision individuelle de la cognition à une vision sociale et culturelle. Dans «la CMO [Communication médiée par ordinateur], l’activité des utilisateurs est structurée (shaped) par le système», d'où la notion d'«affordance». 5. MOO et apprentissage Les références croisant MOO et apprentissage sont nombreuses. Krause (2003) y consacre sa thèse, où elle étudie ce qu'elle appelle un «environnement social d'apprentissage» et fait l'hypothèse qu'un tel dispositif peut être introduit à l'école avec des effets positifs sur l'apprentissage et le développement personnel. Elle fait référence à la notion de curiosité cognitive et d'enseignement intrinsèquement motivant. Le MOO, en effet, ne se livre pas d’emblée, mais donne lieu à une exploration progressive. Rastier (2003) parle ainsi de « la temporalité spécifique qui distingue l’œuvre d’un simple objet ». La motivation est maintenue grâce à l'atmosphère ludique, les apprenants sont investis d'un sentiment de propriété grâce à la co-conception et co-construction qui ont lieu. Parmi les principales difficultés de l'utilisation d'un MOO pour l'enseignement, les chercheurs citent l'aspect multi-utilisateurs, qui rend parfois difficile le maintien d'une cohérence. On trouve dans Haynes et Holmevik (1998), toujours à propos d'exploitation pédagogique, des indications sur la complexité du rôle du modérateur : il est à la fois maire, chef de la police, et juge au sein du MOO, et doit toujours respecter les utilisateurs. L'évaluation aussi se complexifie dans ce contexte : l'exploitation du MOO en classe oblige à passer d'une évaluation orientée sur la production à une évaluation orientée sur l'activité elle-même. La question du transfert de compétences acquises lors d’une expérience virtuelle vers le monde réel n’est pas résolue. 6. MOO et apprentissage expérientiel Si MOO et apprentissage en général vont de pair, il en est de même pour l’apprentissage expérientiel. Rappelons que selon cette approche, le savoir issu d’expériences vécues est validé par de nouvelles expériences vécues. Un tel apprentissage comprend selon le modèle de Kolb (2000) l'expérience concrète, l'observation réfléchie, la conceptualisation abstraite, l'expérimentation active. L'expérience concrète, selon Chevrier et al. (2000), « présuppose que le sujet agisse, qu'il fasse quelque chose de concret, qu'il soit actif physiquement et cognitivement ». Dès lors on demandera justement : l'expérience virtuelle est-elle concrète ? Le virtuel « n’est pas moins matériel que ce qu’il remplace » répond Rastier (2003), « à tort le numérique reste réputé immatériel ». On trouve d'autres éléments de réponse chez Davis (1998), ou encore Demaizière et Narcy (2005) : « Les MOO sont réalistes parce qu'ils suscitent une implication très grande, et que la réalité virtuelle qui est créée correspond psychologiquement à du réalisme pour ceux qui se prennent au jeu (Aimard 2005) ». Dans le même sens, pour Svensson (2003), les simulations virtuelles sont parfois perçues comme plus « réelles » que celles menées en classe. Dans la phase d'observation réflechie, «le sujet joue le rôle d'observateur de son expérience, ce qui présuppose qu'il peut arrêter le flot du vécu et se détacher sur le plan affectif de l'expérience ; il analyse celle-ci et en reconstruit la structure événementielle» (Chevrier et al. 2000). On se demandera dès lors : peut-on arrêter le flot du vécu dans le MOO ? d'une part et peut-on se détacher sur le plan affectif de l'expérience vécue dans le MOO ? Chu (2000) nous fournit des élements de réponse pour la première question : pour cet auteur, la permanence et la richesse des indices contextuels dans le MOO donnent aux utilisateurs l’impression de se rencontrer dans le même espace, fut-il virtuel. On atteint selon elle un niveau de contrôle de l’apprenant sur l’environnement d’apprentissage jamais égalé auparavant. Par rapport au plan affectif, Rastier (2003) parle des « ambiances immersives des produits, rendues invasives par le multimédia ». Il se réfère à l'éthologie où il trouve un « trait fondamental archaïque » que serait « la sensibilité aux leurres », et la « pratique du jeu ». Le conscient du jeu s'oppose à l’inconscient du leurre, et l'on passe selon les cas de la maîtrise, ou liberté réglée à la dépendance et la fascination. On rejoint ici les réflexions de Jaureguiberry (2004) qui mentionne « le défi de la gestion de son identité » dans ces contextes. Ainsi, on voit que certains chercheurs introduisent des réserves quant aux aspects affectifs et l'apprentissage expérientiel ne pourra avoir lieu que si l'apprenant ne tombe pas dans le piège de la fascination jusqu'à ne pas se détacher sur le plan affectif de l'expérience vécue. 7. MOO et apprentissage des langues Au-delà de l'apprentissage en général et de l'apprentissage expérientiel, les chercheurs se sont également attachés à rapprocher MOO et apprentissage des langues (Godwin-Jones 2004). Le MOO est un outil très puissant dans ce contexte, dont le potentiel est encore peu appréhendé et exploité. Considéré par certains auteurs comme désinhibant, il rendrait l'apprenant responsable de son apprentissage. Certaines expériences exploitent le MOO pour des échanges linguistiques synchrones en tandem. Pour Svensson (2003), l’apprentissage des langues recouvre langue, immersion dans d’autres cultures, communication, médias, rencontres interculturelles et jeu de rôle, et les « arènes virtuelles » sont le lieu où ces éléments peuvent se combiner. Mario Tome (1999) met en lumière les caractéristiques suivantes, comme facilitant l'apprentissage des langues au sein du MOO : • situation de communication réelle, synchrone, par écrit, • participation et motivation, grâce à l'anonymat et l'absence de contraintes ou de surveillance, • absence de contrôle pédagogique, contrôle de l’interlocuteur, • invite à la curiosité et à la quête ou découverte de nouveaux personnages et objets, • primauté à la communication et à l'imagination. Pour MacCallum et al. (1997), les facteurs facilitant sont les suivants : • interaction sociale nécessaire au développement langagier, • degrés d’implication divers, étudiants de différents niveaux de développement, motivation affective grâce à imagination créative, discussions motivantes, joutes d'humour, plaisir, • motivation, engagement répété dans des activités ouvertes. Les auteurs font référence aux micro-mondes de Seymour Papert : un environnement informatique d'apprentissage dans lequel l'enfant ne fait pas que répondre à des questions prédeterminées, mais contrôle quand et comment les événements surviennent. Pour Chu (2000), des échanges au sein d'un MOO peuvent être plus favorables à l'apprentissage d'une langue qu'au sein d'un chat : • on peut pratiquer des activités même lorsqu'on est seul connecté, • le sentiment communautaire encourage les utilisateurs à revenir, • le sentiment de propriété, de contrôle, peut remédier à l'ennui ou l'anxiété, • les messages sont plus courts qu'un courriel, mais la fascination de l'aspect synchrone fait que les sessions peuvent durer des heures, • les utilisateurs ont l’illusion d'un espace réel avec une certaine permanence. Une autre caractéristique du MOO est l'immersion. Pour Robert Godwin-Jones (2004), le MOO permet une expérience proche de l'immersion dans la langue et culture cible, mais en plus « modeste », ou l'équivalent psychologique d'une immersion pour Chu (2000). Pour Mario Tome (1999), il s'agit d'une immersion linguistique avec toutes les composantes complémentaires (culturelles, sociologiques, etc.). Virginie Aimard (2005) va plus loin. Pour elle, ces EVA permettent de «sortir de l’impasse de l’opposition binaire entre contexte naturel (l’immersion) et contexte scolaire». Pour Demaizière et Narcy (2005) le MOO peut être le cadre d’une « macro-tâche » : « le point de départ de la séquence pédagogique. Elle se définit comme un ensemble d'actions constituant une forme de "mise en scène" de la réalité, ou d'un type de fiction à laquelle les apprenants pourront adhérer. Elle conduit à une production langagière non limitée à l'univers scolaire ». • 8. Textuel ou graphique ? Croiser une réflexion sur le MOO avec les thématiques d'imaginaire, créativité et esthétique amène à se positionner par rapport aux outils similaires intégrant la 3D. Les chercheurs notent que le MOO est en perte de vitesse par rapport aux MMOG (Massively Multiplayer Online Games) et aux Environnements Virtuels Multi-utilisateurs 3D pour des usages éducatifs. L'apparition d'outils auteurs de réalité virtuelle est symptomatique à cet égard. L'avantage du graphique sur le textuel n'est pas évident. La complexité de l'interface suscite l'intérêt des utilisateurs, et à l’inverse la simplicité de mise en œuvre est également déterminante. Les chercheurs n’ont pas de réponse sur les performances comparées pour l’apprentissage du texte, de la 2D ou 3D. . La métaphore est constitutive du MOO : le texte du MOO est l’espace lui-même (Rouzie 2000). La nature textuelle du MOO est considérée comme un avantage pour un apprentissage, les utilisateurs devant nécessairement passer par le texte pour communiquer (Krause 2003, MacCallum et al. 1997).On trouve également chez Rastier (2003), à propos de création artistique, des éléments que l'on peut reprendre ici en faveur du textuel. L’œuvre « doit maintenir une distance qui permette une attente et une difficulté d’interprétation, parce qu’on ne reçoit véritablement que ce que l’on peut s’approprier dans un effort ». Il prône « quelque distance à l’égard de l’achèvement ». Le MOO, lorsqu'il est textuel, ne donne pas tout à voir d'emblée, mais appelle en effet une interprétation. 9. MOO et jeu La discussion sur les aspects ludiques en apprentissage est toujours d'actualité. Les publications croisant aspects ludiques et technologies ne sont pas si nombreuses. La «société ludique ubiquitaire» décrite par Veillon (1997) est bien celle incarnée dans le MOO. Pour Danet (1998), la Communication Médiée par Ordinateur et l'écriture numérique dans son ensemble sont intrinsèquement ludiques parce que l'ordinateur est une invitation à tripoter («fiddle»). Les utilisateurs sont amenés à considérer les mots comme des objets et à jouer avec. « Computer-mediated communication (CMC) is strikingly playful», «[there is] an extraordinary amount of playfulness on the net ». Pour Danet, le meta-message « ceci est un jeu » est omniprésent dans les échanges. L'aspect «frontière» (frontier-like quality) des espaces virtuels provoque le jeu, ainsi que le côté éphémère, la vitesse, l'interactivité, la libération de la tyrannie du matériel. Danet considère également que l'utilisateur à moins de comptes à rendre pour ses actions dans ces contextes. Un environnement ouvert laissant libre cours à la créativité et à l'expression encourage les apprenants à être moins formels et à discuter de façon ludique. Pour Krause (2003), selon Vigotsky, situation imaginaire, règles et jeu sont intimement liés. Un environnement d'apprentissage tel que le MOO, sous forme de jeu combinant défi, imaginaire, curiosité, sera le plus efficace. 10. MOO et théâtralité Pour beaucoup d’auteurs, l'ordinateur en général et le MOO en particulier sont intrinsèquement théâtraux (Burk 1998, Rouzie 2000). La métaphore théâtrale est omniprésente, les utilisateurs du MOO étant qualifiés d’acteurs, la construction collaborative du MOO se rapprochant de la création de décors ou de la mise en scène, et les échanges du théâtre d'improvisation. Burk (1998) rapporte une expérience de performance théâtrale en ligne. Elle parle de «costume» textuel et note le statut particulier de la commande « téléporter » au sein du MOO, qui permet d’accompagner l’entrée ou la sortie de l’utilisateur d’un message. D’autres auteurs, de manière similaire, mettent en place du théâtre virtuel par forum. Rouzie qualifie les discours accompagnant ce « jeu créatif » ou « spectacle de marionnettes verbal » de serio-ludique, à la fois « réaliste et outrancier ». Pour Danet (1998) qui mène une expérience de pièce de théâtre virtuelle sur chat, la tendance à prendre en compte les aspects artistiques, ludiques, récréatifs, expressifs est nouvelle à l’époque. Elle y observe une utilisation artistique du langage, associée généralement au registre oral. Pour elle, l’utilisation des émoticons présentent des similarités avec le jazz. Elle y voit « une forme textuelle de mime collectif virtuose ». Jeu et performance sont imbriqués. 11. Imagination et créativité Si la théâtralité est constitutive du MOO, imagination et créativité le sont aussi. Les possibilités de création en général sont considérées comme illimitées (Chu 2000), et la création d'activités pédagogiques également (Mario Tome, 1999). Selon Patrick Svensson (2003), les lieux virtuels artistiques et sociaux peuvent stimuler l'apprentissage créatif et l'expérimentation. Pour Danet (1998), on est dans «le mode subjonctif de la possibilité et de l'expérimentation». Ces possibilités très étendues ont leur contrepartie : flexibilité, anonymat, aspects ludiques, liberté d'imagination dans le MOO peuvent mener au chaos. C’est ainsi que Vitanza (1998) qualifie l'espace du MOO d’ « anarchitectural ». Il importera pour l'administrateur de limiter la créativité au sein du MOO. Elle y est intrinsèque puisque l’existence au sein du MOO est textuelle et que l’interprétation du texte est déjà une création. A l’inverse, la métaphore spatiale n’est pas forcément utilisée de manière créative puisqu’on reproduit parfois simplement le campus ou la salle de classe de référence. Haynes et Holmevik (1998), pointent la difficulté de donner la possibilité aux étudiants d'être créatif en ligne sans pour autant les lâcher sans garde fou éthique. Pour Rastier (2003) d’ailleurs, les contraintes empiriques ne s’opposent pas forcément à l’essor esthétique : « la ruse des créateurs a toujours su tirer des effets artistiques des contraintes pratiques ». 12. Ecritures démiurgiques Au sein du MOO, on l’a compris, tel le démiurge, qui crée le monde en le nommant, l'apprenant est aux commandes d'un univers qui n'existe que parce qu'il l'a décrit. Les lieux, mais aussi les acteurs, sont autant de prétextes à la création. L'apprenant peut au sein de cet environnement revêtir le rôle qui lui plaît, dans les seules limites de son niveau de langue. Pour Rastier (2003), les « écritures numériques » renouvellent « le mythe du Nom divin qui crée le monde par sa seule autoprofération ». « On invente ainsi une sorte de démiurge avec prothèse numérique », dit-il. On retrouve l’idée chez Jaureguiberry (2004) : « l’internaute devient démiurge d’une part de lui-même qui n’existe que dans son imaginaire ». On peut, à l’instar de Rastier, interroger la notion de création dans ce contexte. Le numérique permet la combinatoire et les variantes, mais la création, la « garantie de l’incomparable », c'est plutôt le choix entre des possibles, la « possibilité d'errance », que la génération de tous les possibles. Ainsi produire n’est pas créer. Le virtuel pose également question : « De fait, un art sans présence ne peut durablement garder sa fonction rituelle, mais conserve une fonction ludique, comme les marionnettes remplacent les acteurs et transforment en divertissements les tragédies et les épopées ». Rastier analyse également la notion d’interactivité, ou « retour d’effort », en regard de la création numérique : «à mesure qu’il exerce sa puissance croissante, le spectateur-démiurge va perdre successivement l’admiration, la fascination, la surprise, le sentiment d’un destin. » « Tous démiurges ? » demande Rastier, « Ne faudrait-il pas se défier du fantasme de toutepuissance qui ferait de nous des démiurges » ? « La perte du sentiment de l’altérité que susciterait un monde obéissant à nos désirs le viderait de sens. » Dès que l’interactivité rend les événements réversibles, elle rend superflues les valeurs qui s’y attachent. Rastier prédit une « noyade dans l’insignifiance ». On comprend dès lors les chevauchements qu’il peut y avoir entre les réflexions sur le MOO et la philosophie, notamment le postmodernisme et les questionnements identitaires (Jaureguiberry 2004). En-deça de ces considérations, le rôle du pédagogue est alors essentiel pour réintroduire du sens, comme dans toute utilisation d’un auxiliaire technique dans la pratique pédagogique. Bibliographie 1. AIMARD (Virginie), Environnements virtuels et didactique des langues, quelle réalité ?, Thèse de doctorat, Université Paris III, 2005. 2. BARNDOLLAR (David), « The Waste Land In, Not Of, the MOO: A Case Study », Currents in Electronic Literacy, automne 2004, (8), consulté en mai 2007, http://www.cwrl.utexas.edu/currents/fall04/barndollar.html 3. BURK (Juli), « The Play’s the Thing: Theatricality and the MOO Environment », dans High Wired: On the Design, Use and Theory of Educational MOOs, éds. HAYNES (Cynthia) et HOLMEVIK (Jan Rune), University of Michigan Press, 1998, p. 232-249 4. 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