Avant même que l'imprimerie n'ait imposé la dialectique fructueuse du livre et de l'édi-fice 1 , les architectes ont écrit sur leur art bien davantage que d'autres artistes sur leurs propres domaines. Leurs traités, d'abord guidés par...
moreAvant même que l'imprimerie n'ait imposé la dialectique fructueuse du livre et de l'édi-fice 1 , les architectes ont écrit sur leur art bien davantage que d'autres artistes sur leurs propres domaines. Leurs traités, d'abord guidés par l'interprétation du De Architectura de Vitruve 2 , ont toujours affronté les mythes et les récits des origines fondateurs de cette discipline autoréférentielle 3 , qui procède de l'imitation par de nouveaux projets des corpus d'oeuvres à partir desquels elle se définit. Que l'architecture trouve ainsi ses modèles en elle-même, plutôt que dans la Nature ou l'Histoire, explique en effet l'enjeu particulier d'en établir les généalogies : une démarche qui ne suffit pas pourtant à fonder une approche historique, au sens contemporain. Sans doute convient-il donc de se garder d'une conception trop inclusive de l'archi-tecte historien de l'architecture, qui n'est pas l'architecte auteur en général, ni même l'architecte théoricien. Pour autant, plutôt que de s'aventurer à fixer des critères par trop restrictifs, nous voudrions nous arrêter ici à trois exemples emblématiques, dans lesquels pratique de la conception architecturale et écriture de l'histoire s'articulent étroitement, à travers une série de démarches et de publications dont les modalités diffèrent franchement les unes des autres. Ramenant ainsi notre sujet aux dimensions d'un tel article, nous nous saisirons d'une coïncidence, autour d'un événement majeur pour l'architecture française du xix e siècle, dont quelques-uns des principaux acteurs sont des architectes historiens de première importance, et qui montre ainsi par elle-même l'ampleur qu'a pris cette question au coeur du Siècle de l'Histoire 4. Partant d'un moment fort de la production architecturale bâtie ; laissant à part le cas plus ambigu et plus contemporain des transfuges, anciens architectes devenus historiens, nous porterons une attention particulière à l'histoire de l'architecture comme avatar de la littérature architecturale, à la contiguïté entre histoire et projet, enfin à la question du public pour lequel s'écrivent ces histoires. Dans les premières semaines de 1861 se joue à Paris, avec le concours pour la construction d'un nouvel opéra, l'un des temps forts de la transformation de Paris, un événe-ment appelé à marquer puissamment le coeur des grands travaux haussmanniens qui bouleversent alors la capitale. En dépit d'une organisation improvisée dans des délais trop brefs, 171 propositions sont reçues par un jury de huit architectes 5 présidé par le comte Walewski, qui vient d'être nommé ministre d'État chargé des beaux-arts. On sait qu'à l'issue d'une sélection en trois étapes, dont le compte rendu par Jacques Ignace Hittorff (1792-1867) paraît dans Le Moniteur universel du 10 mars, Charles Garnier (1825-1898) est déclaré vainqueur, contre la préférence du couple impérial, qui allait à Viollet-le-Duc (1814-1879) 6 .