Notre communication se propose de réfléchir à la rhétorique historiographique de la rupture à partir d’un questionnement épistémologique sur une étude de cas : le passage de la verticalité (fig. 1) à l’horizontalité (fig. 2) que les...
moreNotre communication se propose de réfléchir à la rhétorique historiographique de la rupture à partir d’un questionnement épistémologique sur une étude de cas : le passage de la verticalité (fig. 1) à l’horizontalité (fig. 2) que les structures arborescentes classificatrices des arts et des sciences connaissent au cours du derniers tiers du XVe siècle. Un tel passage se doit, à notre avis, au fait que les habitudes visuelles et les systèmes de pensée médiévaux entrent en contact avec la réforme des institutions et les modalités d’enseignement humanistes qui, d’une part, puise dans le visuel une méthode supposément nouvelle d’accès au savoir ; d’autre part, témoigne de la volonté de rendre compte visuellement d’un raisonnement en cours pour constituer un savoir en tant que science.
Or, en particulier en histoire des sciences, le XVe siècle marque précisément une borne chronologique à partir de laquelle, traditionnellement, il devient possible de penser une rupture entre Moyen Âge et modernité. En 1957, dans son ouvrage From the closed World to the infinite Universe, Alexandre Koyré revient sur le constat d’une Révolution scientifique à la charnière du XVIe et du XVIIe siècle. En accord avec la tradition historiographique qui, comme le souligne abondamment Michel Foucault, traque, surtout depuis les années 1920, les évènements, les crises et les ruptures dans l’histoire des savoirs et des sciences, Alexandre Koyré énonce les « conversion[s] », les « remplacement[s] », les « découverte[s] » qui, depuis la fin du Moyen Âge, auraient fait la modernité. Une telle périodisation et, surtout, une telle terminologie sont-elles pertinentes dans le cas des structures arborescentes classificatrices ? Devrions-nous, sur le modèle de Jacques Le Goff, leur préférer la conception d’un « long Moyen Âge » homogène, qui ne conçoit aucune rupture jusqu’à la veille de la Révolution française ? Serait-il plutôt bienvenu de considérer, avec Pétrarque, que la modernité débute au XIVe siècle, ou, avec Flavio Biondo, qu’elle rompt avec un « âge barbare » pour retourner à l’Antiquité ? Du point de vue historiographique, faire ces derniers choix revient à accréditer une rhétorique de la rupture, que l’évolution des structures arborescentes ne confirme pas.
Nous verrons d’abord que ces structures changent bien d’orientation au cours du dernier tiers du XVe siècle, mais que ni leur agencement ni leurs potentialités mnémotechniques ne rompent avec celles qui étaient les leurs au Moyen Âge ou dans l’Antiquité. Nous constaterons ensuite que contrairement à la temporalité qu’Alexandre Koyré concède à la modernité (« un processus profond », bien que minime à l’échelle de l’histoire des savoirs et des sciences, mais qui fait l’objet d’une « Révolution »), le changement d’orientation ne se révèle ni sur le temps court ni sur le temps long. Dès lors, nous formulerons l’hypothèse selon laquelle, en lieu et place de « Révolution » ou de « rupture », il est pertinent de penser le passage du Moyen Âge à la modernité en terme de « saturation », celle de l’effectivité du modèle arborescent qu’il faut, sinon détruire, du moins reconfigurer. Parce qu’il semble tout simplement vieilli et usé jusqu’à l’épuisement de son opérativité théorétique et épistémique, l’artefact arborescent requiert une autre figure pour continuer à opérer avec efficacité – ce qui rend finalement inutile, du point de vue épistémologique, de recourir méthodologiquement à l’intégrité d’un continuum historique, ou, à l’inverse, de chercher absolument à repérer une fracture dans le temps.