La Maison
Par Henry Bordeaux
()
À propos de ce livre électronique
En savoir plus sur Henry Bordeaux
Les Roquevillard Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Maison Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Maison Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Roquevillard Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à La Maison
Livres électroniques liés
Romans dauphinois Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne vie d'artiste: Étude de moeurs contemporaines Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Homme à l'oreille cassée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGrande classe, madame Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes maîtres mosaïstes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCorrespondance (1850-1854) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMa petite Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’homme à l’oreille cassée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Journal d'une Femme de Chambre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe plus hardi des gueux Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe capitaine sur la falaise Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMortelle absence: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Esclaves de Paris - Tome I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes barbariques: Thriller historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Étés à La Chevinière: Récit de vacances et ode à la nature Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRanch Phénix Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Maison Hantée: Contes de Noël Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe château de La Belle-au-bois-dormant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Phare du Milliardaire, le coffret: Une Romance de Milliardaire, la série complète Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMémoires d'un caniche Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa maison à la grande cheminée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFleur des pierres: Passerelle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe neveu de Rameau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAnna Göldin, dernière sorcière: L'histoire de la dernière condamnée pour sorcellerie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Frères Corses Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5J'habite la maison de Louis Scutenaire: Récit biographique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationKatia trois fois Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'apparition Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Pigeons de Paris: Nouvelle métaphorique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'homme à Toinon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction générale pour vous
Les frères Karamazov Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMoby Dick Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Procès Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5L'Art de la Guerre - Illustré et Annoté Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'étranger Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Alice au pays des merveilles Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5L'Odyssée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Petite Prince (Illustré) Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Légende du Roi Arthur - Version Intégrale: Tomes I, II, III, IV Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation1984 Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Proverbes et citations : il y en aura pour tout le monde ! Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'Étranger d'Albert Camus (Analyse de l'œuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Mauvaises Pensées et autres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Vie devant soi de Romain Gary (Fiche de lecture): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes nuits blanches Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Alchimiste de Paulo Coelho (Analyse de l'oeuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Les fables de Jean de La Fontaine (livres 1-4) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes légendes de la Bretagne et le génie celtique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu bonheur des dames Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Candide, ou l'Optimisme Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Maupassant: Nouvelles et contes complètes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSous le soleil de Satan (Premium Ebook) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMes plaisirs entre femmes: Lesbiennes sensuelles Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Promesse de l'aube de Romain Gary (Analyse de l'oeuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationContes pour enfants, Édition bilingue Français & Anglais Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBonjour tristesse de Françoise Sagan (Analyse de l'oeuvre): Comprendre la littérature avec lePetitLittéraire.fr Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'idiot: Édition Intégrale Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Peste d'Albert Camus (Analyse de l'oeuvre): Comprendre la littérature avec lePetitLittéraire.fr Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLearn French With Stories: French: Learn French with Stories, #1 Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5
Avis sur La Maison
0 notation0 avis
Aperçu du livre
La Maison - Henry Bordeaux
Henry Bordeaux
La Maison
Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066089405
Table des matières
La première de couverture
Page de titre
Texte
LIVRE PREMIER
Table des matières
I
LE ROYAUME
—Où vas-tu?
—A la maison.
Ainsi répondent les petits garçons et les petites filles qu'on rencontre sur les chemins, sortant de l'école ou revenant des champs. Ils ont des yeux clairs et luisants comme l'herbe après la pluie, et leur parole, s'ils ne sont pas effarouchés, pousse toute droite, à la manière des plantes qui disposent de l'espace et ne sont pas gênées dans leur croissance.
—Où vas-tu?
Ils ne disent pas «Nous rentrons chez nous.» Et pas davantage «Nous allons à notre maison.» Ils disent la maison. Quelquefois, c'est une mauvaise bicoque à moitié par terre. Mais tout de même c'est la maison. Il n'y en a qu'une au monde. Plus tard, il y en aura d'autres, et encore n'est-ce pas bien sûr.
Et même de jeunes hommes et de jeunes femmes, et des personnes d'âge, et des gens mariés, s'il vous plaît, se servent encore de cette expression. A la maison, on faisait comme ci, à la maison, il y avait cela. On croirait qu'ils désignent leur propre foyer. Pas du tout: ils parlent de la maison de leur enfance, de la maison de leurs père et mère qu'ils n'ont pas toujours su garder ou dont ils ont changé les habitudes, et c'est tout comme, mais qui est immuable dans leur souvenir. Vous voyez bien qu'il n'y en a pas deux…
J'étais alors un collégien, oh! rien qu'un débutant de collège, sept ou huit ans peut-être, sept ou huit ans je crois. Et je disais la maison, comme on dit au lieu de la France la patrie. Cependant je n'ignorais pas qu'on lui donnait d'autres noms qui pouvaient retentir avec un son plus riche aux oreilles d'un enfant. Une nourrice italienne, engagée pour le dernier-né, l'appelait il palazzio, en arrondissant la bouche sur le second a pour susurrer ensuite avec une douceur mourante la dernière syllabe. Le fermier qui apportait le cens, ou seulement un acompte, ou seulement quelque volaille pour inviter le maître à être patient, prononçait le château, avec plusieurs accents circonflexes. Une dame, venue en visite, et qui était de Paris, —on reconnaissait bien qu'elle était de Paris au face-à-main dont elle se servait, —avait solennellement proclamé votre hôtel. Et pendant la crise que je raconterai, quand on suspendit à la grille un écriteau déshonorant, on pouvait lire sur l'inscription Villa à vendre. Villa, hôtel, château, palais, comme tous ces termes majestueux, malgré leur prestige, sont incolores! A quoi bon emberlificoter la vérité? La maison, cela suffit. La maison, cela dit tout.
Elle vit toujours: elle en a une longue habitude. Vous n'auriez pas de peine à la trouver: dans tout le pays on l'appelle la maison Rambert, parce que notre famille l'a toujours habitée. Et même on l'a réparée avec soin, avec trop de soin, de la cave au grenier, rajustée et rafistolée, recrépie et revernie à l'intérieur et à l'extérieur. Sans doute on ne peut pas les laisser éternellement s'effriter, et la vétusté des habitations ne se revêt de poésie que pour les visiteurs de passage. Le train ordinaire des jours a ses exigences. Mais on ne tient guère à la jeunesse de sa maison, pas plus, en somme, qu'on ne tient à celle de ses parents. Jeunes, ils sont moins à nous, ils sont encore à eux-mêmes, ils ont droit à une existence particulière, tandis que, plus tard, notre vie est leur vie, et c'est tout ce que nous demandons, car nous ne sommes pas difficiles.
Avant qu'on ne l'eût restaurée, je l'ai montrée à une dame, à une dame de Paris comme celle du face-à-main. Il est probable, il est vraisemblable, il est certain que je la lui avais excessivement vantée. Ni les accents circonflexes du fermier, ni l'éclat et la douceur mourante de la nourrice italienne n'avaient dû manquer à ma description. Elle pouvait s'attendre à Versailles ou tout au moins à Chantilly. Or, quand je la conduisis, dûment stylée, exaltée et mise au point, devant l'immeuble incomparable, elle osa me demander sur un ton de surprise «Est-ce bien ça?» Je compris son désappointement. Je l'ai raccompagnée avec politesse jusqu'à sa voiture, —même dans la colère on a des égards pour les femmes, —mais je ne l'ai pas revue depuis lors, je n'ai jamais supporté de la revoir. On n'est pas d'accord avec les étrangers sur les lieux ni sur les choses de son enfance. Il y a des différences de dimensions. Leurs yeux ne savent pas regarder, et il faut les plaindre. A la place de la maison, ils n'aperçoivent, eux, qu'une maison. Comment, donc, pourrait-on s'entendre?
Vous arrivez devant un portail de fer entre deux colonnes carrées de pierre dure. C'est un portail peint à neuf, en trois parties, que des battants fixés au sol retiennent pour ne laisser jouer que la porte du milieu. On n'ouvre les trois que dans les grandes occasions, pour les landaus et les limousines. Autrefois, c'était pour les chars de foin. Autrefois, d'ailleurs, il n'y avait qu'à pousser un peu et l'on entrait comme on voulait. La serrure ne fonctionnait pas. Toutes sortes de gens imprévus pénétraient dans la cour, et ces intrusions m'étaient fort désagréables. Les enfants sont des propriétaires intransigeants.
—Qu'est-ce que ça fait? me disait mon grand-père.
Mon grand-père avait horreur des clôtures.
Les colonnes de pierre étaient recouvertes de mousse, tandis qu'on les a revêtues de plantes grimpantes, disposées comme des draperies. On a taillé les arbres, dont les branches trop rapprochées avaient l'air de bénir le toit ou de frapper aux vitres des fenêtres. On ne devine jamais la puissance des arbres; les quelques mètres qu'on leur accorde, ils les ont bientôt mis à l'ombre, et peu à peu ils se rapprochent comme des amis qui ont acquis le droit d'entrer. Aujourd'hui qu'on les a écartés, momentanément, le soleil caresse les murailles, et pour l'hygiène, c'est meilleur. L'humidité est malsaine, surtout à l'automne. Mais voilà qui ne se comprend plus de mon temps, je veux dire du temps que j'étais petit, il y avait un cadran solaire qui se découpait en carré sur le mur. En haut se pouvait lire cette inscription, déjà ternie et à demi effacée, dont je refusais de pénétrer le secret: me lux, vos umbra. Mon père me l'avait traduite et je me hâtais d'oublier son sens, pour lui garder la force de ses mystérieuses syllabes. Au-dessous, la tige de fer dont la mince projection devait le long du jour marquer l'heure, et tout autour des noms de villes inconnues, Londres, Boston, Pékin, etc., destinés à indiquer les différentes heures du monde, comme si le monde entier n'était qu'une dépendance de la maison qui lui dictait les lois du temps. Or, un tilleul, par inadvertance, avait rendu inutile le travail de la lumière. On a élagué le tilleul, mais par une erreur regrettable on a fait disparaître le cadran sous une couche de badigeon en recrépissant la façade. O fâcheuse restauration! Mais n'en suis-je pas responsable et ne l'ai-je pas ordonnée? Quand on est grand, on accomplit des choses sacrilèges. On les fait sans penser à mal. J'aurai dit, négligemment sans doute: «Ce pauvre cadran ne sert plus à rien.» C'était avant la taille des arbres. On a tort de laisser tomber sa pensée, car elle se ramasse. Un maçon qui m'avait entendu crut m'obliger avec son pinceau, et quand je voulus l'arrêter dans son zèle, il était trop tard. Et puis ces changements, que je me contrains à énumérer, je vous le confesse, ne m'affectent guère. Ne me croyez pas insensible pour autant. Je ne vois pas la maison telle qu'elle est. On la barbouillerait du haut en bas que je ne m'en apercevrais point. Je continue à la voir telle qu'elle fut de mon temps, du temps, vous savez bien, que j'étais petit. Je l'ai dans les yeux pour le restant de mes jours.
De bonnes vieilles lézardes, qui ressemblaient à des sourires et non pas à des rides, ont été bouchées hermétiquement. Un corps de bâtiment a été ajouté pour la commodité de l'aménagement intérieur. Et, comme les tuiles tombaient, on les a remplacées par des ardoises. Je ne dis pas de mal des ardoises. Il en est d'un gris presque mauve pareil au plumage des tourterelles, et sous le soleil elles miroitent. Mais les toits d'ardoises sont plats et monotones, uniformes et indifférents, tandis que les tuiles inégales, arrondies, bossuées ont l'air de bouger, de remuer, de s'étirer comme de bonnes tortues de jardin qui soupirent après le beau temps ou font le gros dos pour protester contre le vent et la pluie. Les teintes vont du rouge au noir, en passant, avec lenteur ou brusquerie, par tous les tons dégradés. Et si l'on a des yeux pour voir, on peut, rien qu'à leur patine, deviner l'âge de la maison.
Mais cet âge est inscrit avec précision sur la plaque noircie de la grande cheminée qui est la gloire de la cuisine. Dès que j'avais su épeler mes lettres et mes chiffres, mon père m'avait donné à lire la date dont je comprenais bien qu'il tirait de l'orgueil, tandis que mon grand-père ricanait de la petite cérémonie et murmurait par derrière, à mi-voix pour ne pas trop attirer l'attention et assez distinctement pour que je l'entendisse néanmoins: «Laissez donc cet enfant tranquille!» Est-ce 1610 ou 1670, on ne peut pas trancher la difficulté avec certitude. Il faudrait convoquer toutes nos académies locales. Le trait qui rejoint la barre est trop horizontal pour un 1, et ne l'est pas assez pour un 7.
—Ça n'a aucune importance, m'expliqua mon grand-père à qui j'en référai.
Cependant je ne doutai plus que ce fût 1810, lorsque mon manuel d'histoire m'apprit que cette année-là fut assassiné Henri IV. Mon imagination exigeait la rencontre d'un événement historique. «Le roi sortit du Louvre en carrosse. Il était au fond de sa voiture, dont les panneaux se trouvaient ouverts. Un embarras de deux charrettes à l'entrée de la rue de la Ferronnerie, qui était fort étroite, força le carrosse royal de s'arrêter. Au même moment, un homme de trente-deux ans, de physionomie sinistre, de grande taille et de forte corpulence, barbe rouge et cheveux noirs, François Ravaillac, met un pied sur une borne, l'autre sur l'un des rayons de la roue, et frappe le roi de deux coups de couteau dont le second coupe la veine pulmonaire. Henri s'écria: «Je suis blessé» et expira presque à l'instant.» J'ai retenu mot pour mot le récit du manuel que je n'ai pas retrouvé. Le terrible portrait qu'il trace du meurtrier a sans doute aidé ma mémoire. Et je pouvais mesurer l'importance des dates à ce trait significatif que la figure du coquin accusait infailliblement trente- deux ans. Trente-deux, et non pas trente et un ni trente-trois. La rapidité du drame n'empêchait point de noter ce détail avec exactitude. Et quand l'historien ajoutait qu'en hâte on ramenait au Louvre le roi tout percé du poignard de Ravaillac, je me représentais le cortège à la porte de la maison. La maison, c'était notre Louvre.
La cuisine était peut-être, était sûrement la plus belle pièce, la plus vaste, la plus confortable, la plus honorable: on aurait pu y donner des banquets et des bals. C'était la mode autrefois et je ne suis pas de ceux qui la blâment, croyez-le, bien que j'aie osé transformer cette cuisine en un hall dallé de marbre blanc et noir, bien encadré de panneaux boisés, bien éclairé par une baie vitrée qui occupe tout le côté du couchant. Je continue d'y chercher des marmites et des casseroles, surtout la broche qu'on tournait, et d'y humer le fumet des ragoûts et des rôtis, et chaque fois que j'y vois entrer des invités, je suis tenté de maudire la sottise des domestiques et de m'écrier: «Quelle drôle d'idée de les faire passer par là!»
Là gouvernait alors Mariette la cuisinière. Son pouvoir était absolu. Meubles et gens, tout tremblait sous son despotisme. L'espace, heureusement, permettait d'échapper à sa surveillance. Il y avait des coins d'ombre où l'on parvenait tant bien que mal à se dissimuler, et notamment sous le vaste manteau de la cheminée. Cette cheminée avait été mise à la retraite comme un vieux serviteur: je ne savais pas pourquoi, mais je devine que c'était pour des raisons d'économie.
Elle eût consommé des forêts. On pouvait s'installer commodément à son abri et s'asseoir sur des chenets de pierre qui étaient scellés. En levant la tète, on voyait le jour tout en haut. Quand la nuit vient plus vite en automne, je me penchais pour apercevoir une étoile. Et même, un soir que je passais à contre-coeur dans la cuisine déserte et obscure, je fus effrayé par un carré blanc qui gisait comme un drap bien déplié juste sur la pierre du foyer. C'était la défroque d'un fantôme: ils la rejettent peut-être ainsi au moment de s'évanouir et la laissent comme un témoignage indéniable de leur visite. La lune jouait au-dessus du toit.
Plus les allées et venues étaient nombreuses, plus Mariette se réjouissait. Sa langue la démangeait dans la solitude. En temps ordinaire, le facteur, le fermier, les ouvriers du jardin se succédaient à intervalles réguliers. Ils buvaient du vin rouge sans jamais omettre d'observer les rites. On lève le coude et l'on dit: « A votre santé», après quoi il est permis de vider un verre; mais si l'on veut en ingurgiter un autre, même sans désemparer, il faut répéter la même formule. Aucun d'eux n'hésitait à la répéter. J'ai bu quelquefois en leur compagnie, et sans doute dans le même verre.
Des villages on descendait aussi pour chercher mon père quand le cas était grave. Mon père qui était médecin ne reculait pas devant le dérangement. J'entends encore sa phrase d'accueil, à la fois miséricordieuse et décidée, quand il traversait l'empire de Mariette et le trouvait occupé:
—Qu'est-ce qui ne va pas, mon ami?
Mariette dévisageait les nouveaux venus d'un coup d'oeil hostile et perspicace, qui démasquait les simulateurs et glaçait les malheureux dont la présence importune coïncidait avec l'heure sacrée des repas. J'ai assisté à bien des déballages de misères paysannes: elles ne s'avouent que peu à peu et gardent la pudeur des plaintes, comme si la maladie était une honte. Mais je ne comprenais pas cette réserve où je ne voyais qu'une difficulté de parole.
Octobre qui est la saison des vendanges marquait le triomphe de la cuisinière. C'étaient alors les entrées et sorties continuelles des vignerons qui occupaient le pressoir et qu'il fallait nourrir grand renfort de choux et de jambon, de boeuf bouilli et de pommes de terre dont le mélange répandait une buée chaude et savoureuse. Nous profitions de cette agitation, mes frères et soeurs et moi, pour nous établir sur les chenets, les poches pleines de noix que le vent avait secouées là-bas sur le chemin de la ferme, ou que nous avions sans permission abattues avec des gaules. Un caillou nous servait de marteau pour les écraser sur la pierre. Si la coque verte leur était restée, il en jaillissait un jus qui tachait les mains et les habits, et dont les meilleurs savons ne parvenaient pas à chasser les signes révélateurs. Mais le fruit bien pelé, bien blanc, pareil à un poulet à la broche pour dîner de poupée, craquait sous la dent délicieusement. Ou bien nous faisions brisoler des châtaignes, sournoisement, sur un coin du fourneau. Et nous goûtions le plaisir d'avoir chaud par tout le corps, après avoir subi au dehors, en traînant nos pieds dans les feuilles sèches, les bises d'automne qui dans mon pays sont âpres et rudes.
Plus d'une fois aussi, j'ai suivi avec curiosité les mouvements de Mariette quand elle étouffait la volaille. Sa dextérité, comme son indifférence, était extrême. Tel le bourreau le plus exercé, elle décapitait les canards qui continuaient de courir sans leur tête, ce qui me frappait d'admiration. Un jour, elle me demanda de maintenir pendant l'opération un de ces volatiles récalcitrants. Comme je refusais mon concours d'une voix indignée, elle me dit avec la brusquerie qui lui était familière:
—Eh! faites le dégoûté vous en mangez bien!
Je ne vais pas vous conduire à travers toute la maison. Ce serait trop long, car elle a deux étages, dont le second est beaucoup moins âgé que le premier, plus un grenier et la tour. La tour, au sommet de l'escalier en colimaçon, commande les quatre horizons de ses quatre fenêtres. Cette vue multipliée, trop étendue à mon gré, ne m'intéressait pas beaucoup. Je suppose que les enfants détestent ce qui se perd, ce qui ne sert pas, les nuages, les paysages brouillés. Les jours de gros temps, on entendait de là le vent qui menait un vacarme infernal: on l'aurait pris pour un être vivant, puissant et incivil qui insultait les murailles avant de les jeter bas. L'escalier n'était pas trop clair, à la tombée de la nuit, on y prenait peur facilement et, à cause des marches qui s'amincissaient en s'encastrant dans la colonne de support, on risquait, si l'on allait vite, de se carabosser. Carabosser est un verbe que tante Dine avait inventé pour les chutes violentes obtenues par précipitation et d'où l'on se relevait meurtri, éclopé et enflé: il doit venir de la mauvaise fée Carabosse. Quant au grenier, nul de nous n'y aurait pénétré sans compagnie. Une seule lucarne lui accordait avec parcimonie une lumière insuffisante, de sorte que les tas de bois, les fascines et tous les objets mis au rancart, qui peu à peu venaient à prolonger indéfiniment leur existence inutile, prenaient des aspects bizarres d'instruments de torture ou de personnages menaçants. En outre, les rats s'y livraient des batailles rangées, et des pièces qui étaient au-dessous on aurait cru assister à des courses organisées, avec sauts d'obstacles. De temps à autre on y mettait le chat, un superbe angora fainéant, gourmand et peu guerrier, qui sans doute craignait pour sa fourrure et miaulait de frayeur jusqu'à ce que tante Dine, qui en avait soin, le délivrât de sa corvée militaire, ce qui ne tardait jamais.
Le salon, dont les volets, d'habitude, étaient fermés et qu'on n'ouvrait que pour les jours de réception ou de cérémonie, nous était formellement interdit, et de même le cabinet de mon père, encombré de livres, d'appareils et de fioles, où l'on ne s'aventurait qu'au cours d'explorations rapides, où je voyais entrer toutes sortes de tristes figures qui, pour la plupart, se détendaient à la sortie. Mais, en revanche, on nous abandonnait la salle à manger. Elle fut le théâtre de scènes tumultueuses, et plus d'une fois les chaises durent être rempaillées ou leur dossier remplacé. Nous envahissions en désordre la chambre de ma mère qui était très grande, et disposée de telle sorte, au centre de l'appartement, que tous les bruits y venaient. Ainsi ma mère, doucement, sans qu'on le sût, veillait sur la maison; il ne s'y passait rien qu'elle n'en fût aussitôt avertie. Et même, dans notre avidité de conquête, nous nous emparions de la salle de musique, petit salon octogone, d'une sonorité merveilleuse, qui donnait sur un balcon orienté au sud. Les soirs d'été, les veillées se faisaient là, à cause du balcon.
Il me reste à parler du jardin. Mais si j'en parle honnêtement, vous croirez, comme la dame de Paris, qu'il s'agit de l'un de ces vastes domaines qui entourent les châteaux historiques. Je n'arrive plus à comprendre, quand je m'y promène, comment il a pu me paraître si grand, et dès que je n'y suis plus, il reprend dans mon souvenir sa véritable importance. C'est peut-être qu'il était alors si mal entretenu qu'on avait l'impression de s'y perdre. Sauf le potager dont les plates-bandes s'alignaient en bon ordre, tout y poussait à l'aventure. Dans le verger, où les poires et les pêches que palpaient nos doigts insinuants ne parvenaient pas à mûrir avant d'être cueillies, montait une herbe drue et haute, aussi haute que moi, ma parole! Et je songeais tout de suite aux forêts vierges que traversaient les enfants du capitaine Grant. Une roseraie, chef- d'oeuvre d'un aïeul ami des fleurs, s'épanouissait dans un coin lorsque bon lui semblait, et sans le secours des tailles ni des arrosoirs. Ma mère, quand elle avait des loisirs, bien rarement, lui donnait ses soins, mais il aurait fallu un homme de l'art. Les allées étaient envahies par la mauvaise herbe, et il fallait les chercher pour les trouver. En revanche, d'autres qui n'avaient pas été tracées surgissaient au milieu des pelouses. Et juste sous les fenêtres de la chambre de ma mère coulait une fontaine: le jour, on ne l'entendait pas, à cause de l'habitude, mais la nuit, quand tout se tait, sa plainte monotone remplissait le silence et me prédisposait, sans que je susse pourquoi, à la tristesse.
Je néglige une vigne qui aboutissait aux bâtiments de ferme, et dont nous n'étions occupés que pour la soulager de ses raisins, et je viens enfin au plus beau fouillis de buissons, de ronces, d'orties, de toutes plantes sauvages, qui nous appartenait en propre. Là nous étions les maîtres et seigneurs souverains. Il n'y avait plus, avant le mur d'enceinte, qu'une châtaigneraie qui n'était que la prolongation de notre territoire réservé. Quand je dis: une châtaigneraie, c'est quatre ou cinq châtaigniers. Mais un seul fait déjà une grande ombre. Il y en avait un dont les racines avaient descellé un pan de muraille. Par cette brèche ouverte, dont je ne m'approchais pas sans inquiétude, je m'imaginais que des voleurs pénétraient.
Il est vrai que j'étais armé. Mon père m'avait raconté l'Iliade et l'Odyssée, la Chanson de Roland et diverses autres épopées d'où je sortais bouillant, impétueux et héroïque. J'étais tour à tour Roland furieux ou le magnanime Hector. Avec une épée de bois je livrais aux Grecs ou aux Sarrasins, que figuraient les buissons, des combats meurtriers, dont pâtissaient quelquefois de paisibles choux et d'inoffensives betteraves que je taillais en pièces.
Mes armes m'étaient fournies par un des singuliers ouvriers qu'on employait au jardin ou à la vigne. Il y en avait jusqu'à trois qui travaillaient isolément, chacun dans son coin, avec des attributions spéciales, mais avec une besogne indéterminée. On évitait de les réunir, car ils se détestaient. Où les avait-on recrutés?
Leur choix provenait sans doute de la mémorable incurie de mon grand- père qui laissait tout le monde tranquille, et la terre pareillement, ou de la bonté de ma mère bien capable d'avoir repêché ces tristes débris.
Le premier en date, le plus ancien dans mon souvenir, mon armurier par surcroît, s'appelait Tem Bossette. Nom et prénom étaient, je pense, des surnoms. L'origine n'en est pas malaisée à découvrir. Tem devait venir d'Anthelme qui est un saint vénéré dans ma province. Quant au sobriquet de Bossette, j'ai cru longtemps que c'était une allusion indélicate à la voûte qu'il portait sur le dos à force de se pencher sur sa pioche. Mais j'ai trouvé une étymologie plus conforme à sa paresse et à son caractère, et je la soumets humblement MM. les philologues qui sauront lui consacrer, selon leur habitude, plusieurs volumes in-folio. Chez nous, la bosse a plus d'un sens: elle désigne notamment la futaille où l'on dépose la vendange pour la ramener commodément des vignobles, et je vois encore l'effarement peint sur le visage d'un ami à qui je faisais les honneurs de ma ville natale et qui lisait une affiche, une simple petite affiche composée de ces quelques mots: A vendre une bosse ovale. «Heureux pays, me dit-il, où les bossus font commerce de leur gibbosité!» Et il se crut malin en ajoutant: «Mais trouvent-ils acquéreurs? » Je lui expliquai sa méprise. Or notre Tem était un ivrogne célèbre. Notre cave surtout le savait. Bossette, petite bosse: lui aussi devait contenir la vendange. Et, même, à la fin de sa vie, aurait-on pu supprimer le diminutif.
Il me fabriquait des sabres avec les échalas de la vigne. En récompense je lui portais des bouteilles supplémentaires que j'obtenais de tante Dine, plus spécialement chargée de l'office, en lui représentant la splendeur de mon armement. On se plaignait bien de temps à autre que les ceps fussent dépourvus de tuteurs. Les sarments sans attache se résignaient à ramper. Ils pompaient toute l'humidité du sol. Mais grand-père, indifférent, ne blâmait personne, et veuillez compter tous les échalas qui étaient indispensables à mon équipage. Il m'en fallait pour mes panoplies, et il m'en fallait pour mes écuries. Le nombre de mes chevaux attestait ma magnificence. Avec un bâton entre les jambes, j'acquérais une étonnante vélocité, et pour chaque bataille je changeais de monture.
Tem Bossette eût été grand s'il se fût tenu droit, mais il était gros à n'en pas douter et sa tête ronde ressemblait assez à une courge. « Grosse tête à rare esprit », disait de lui, en pinçant les lèvres, Mimi Pachoux qui était jardinier, pépiniériste, lampiste, fumiste, serrurier, menuisier, réparateur d'horloges et de faïences, frotteur de parquets, scieur de bois, commissionnaire et je ne sais quoi encore. Ah! si! quand la saison était mauvaise, il portait les morts. Se présentait-il une difficulté, avait-on besoin d'une aide?— Appelez Mimi! proclamait grand-père. Et l'on appelait Mimi, ce qui demandait plusieurs heures, car on ne le trouvait jamais, de sorte que, lorsqu'il arrivait enfin, le travail était fait, mais on lui en attribuait le mérite:
—Ce Mimi, pas plus tôt venu, tout s'arrange!
Représentez-vous un petit bout d'homme mince, maigre, net, prompt, vif et, par surcroît, invisible. Invisible, c'est comme je vous l'affirme, à moins que vous ne préfériez lui accorder le don d'ubiquité. Il entamait le matin plusieurs journées, à six heures chez l'un et quelquefois en avance —oh! ce Mimi, quel zèle! —A six heures cinq chez l'autre, et avant le quart chez un troisième, s'annonçait bruyamment au premier, courait chez le second, volait chez le dernier, se glissait en tapinois, sortait en secret, rentrait en catimini, répondait ici, expliquait là, réclamait ailleurs, apparaissait, disparaissait, reparaissait, commençait en hâte, continuait précipitamment, n'achevait rien, et le soir touchait sa paie de trois côtés à la fois. Mon grand-père rapportait que plusieurs personnes de ses relations voyaient leur double. Mon père disait que c'était une maladie bien connue et qu'il suffisait de