Tachycardies Jonctionnelles: Chapitre
Tachycardies Jonctionnelles: Chapitre
Tachycardies Jonctionnelles: Chapitre
Tachycardies
jonctionnelles
B. BREMBILLA-PERROT
Points essentiels
■ Réentrées dont au moins une des voies du circuit passe par le nœud
auriculoventriculaire
■ Paroxystiques dans 90 % des cas et chroniques dans 10 %.
■ En cas d’ECG intercritique normal, la réentrée intranodale est la plus fréquente
(75 %).
■ Pronostic très variable, parfois grave aux deux âges extrêmes de la vie.
■ En cas de préexcitation ventriculaire, le pronostic dépend de celle-ci.
■ Le traitement curatif par ablation du circuit a transformé le pronostic.
■ Le traitement médical reste d’abord indiqué chez les enfants où le pronostic
est excellent.
1. Épidémiologie
Les tachycardies jonctionnelles (TJ) sont des tachycardies dont le trajet total ou
partiel utilise le nœud de Tawara et/ou le faisceau de His, jusqu’à sa bifurcation.
Les formes les plus fréquentes sont les TJ paroxystiques (TJP) appelées autrefois
tachycardies de Bouveret, nom moins utilisé car la description de 1889 avait inclus
des tachycardies de natures diverses.
TACHYCARDIES JONCTIONNELLES 1
L’affection est assez fréquente, probablement sous-estimée car les crises peuvent
être rares ou avoir des manifestations très atypiques. Elles sont souvent de trop
courte durée pour être enregistrées. Aux USA, il y a 89 000 nouveaux cas par an
et 570 000 patients présentant une TJP (1). Cela correspond à une prévalence de
2,25/1 000 personnes et une incidence de 35/100 000 personnes. L’affection
peut toucher tous les âges de la vie. Elle a une sémiologie fonctionnelle parfois
trompeuse et un pronostic variable.
Les principaux problèmes cliniques sont la mise en évidence de la tachycardie puis
de l’attitude thérapeutique, qui peut aller de l’abstention à l’indication d’un
traitement curatif.
2. Mécanismes des TJ
2.1. La plupart de ces tachycardies est due à un phénomène de réentrée
ou rythme réciproque
Les TJP’s sont les plus fréquentes.
La tachycardie par réentrée intranodale (TRIN) est le mécanisme le plus fréquent
chez des sujets dont l’ECG en rythme sinusal ne montre pas de syndrome de
Wolff-Parkinson-White (WPW) et ceci quel que soit l’âge du patient (2). L’âge
influence seulement la fréquence de la TJP qui peut être très rapide chez le jeune
enfant et tend à se ralentir avec l’âge.
Dans la TRIN typique, l’extrasystole auriculaire qui initie la réentrée descend par
une voie à période réfractaire effective courte, donc en dehors de sa période
réfractaire et à conduction lente située dans la partie postéro-inférieure du nœud
de Tawara (voie lente), puis remonte par une voie nodale antéroseptale à période
réfractaire effective plus longue mais à vitesse de conduction rapide (voie
rapide) (3). Certaines tachycardies sont probablement plus complexes que le
schéma classique (4) et d’autres tournent dans le sens inverse (TRIN
atypique) (Figure 1).
D’autres TJP ont un circuit composé d’une voie nodale et d’un faisceau
accessoire (Figure 2) :
En cas d’ECG intercritique normal, 20 à 25 % des TJP sont dues à une réentrée
utilisant le nœud de Tawara pour sa conduction antérograde et un faisceau
accessoire latent pour sa conduction rétrograde (3, 5). Les tachycardies en rapport
avec ce mécanisme surviendraient plus tôt dans la vie que la TRIN, mais ceci n’a
pas été confirmé dans d’autres études. Le syndrome de WPW n’est plus visible en
rythme sinusal. En effet, le faisceau de Kent tend à dégénérer avec le temps en
perdant d’abord ses propriétés de conduction antérograde tout en conservant des
propriétés de conduction rétrograde.
Lorsque la TJP survient chez un sujet qui a un aspect de préexcitation ventriculaire
sur l’ECG, la tachycardie orthodromique descendant par le nœud de Tawara et
À gauche : réentrée nodale typique (75 % des TJP avec ECG intercritique normal) : descente de
l’impulsion par la voie lente et remontée par la voie rapide. L’auriculogramme est dans le
ventriculogramme avec un faux aspect de retard droit en V1.
À droite : réentrée nodale atypique. L’impulsion descend par une voie rapide et remonte par une
voie lente. L’auriculogramme est loin derrière le ventriculogramme.
TACHYCARDIES JONCTIONNELLES 3
Figure 2 – Tachycardies de la jonction auriculo-ventriculaire par rythme réciproque.
Réentrée dans un faisceau de Kent (25 % des tachycardies paroxystiques avec ECG intercritique
normal). Plusieurs arguments sont présents.
L’auriculogramme suit le ventriculogramme : l’activité auriculaire est négative en D 3 et D1, V6.
Bloc de branche gauche ralentisseur (en haut à gauche, schéma de Slama et al. (18) explicatif).
La négativité en D1 est évocatrice d’une réentrée dans un faisceau de Kent gauche sur le tracé
de droite.
3. Signes cliniques
Ils sont extrêmement variables d’un patient à l’autre car ils dépendent de l’âge du
patient et de la fréquence de la tachycardie. Aux deux âges extrêmes de la vie, la
tachycardie n’est pas ressentie en tant que telle et se manifeste sous la forme de
TACHYCARDIES JONCTIONNELLES 5
Tableau 1 – Signes ECG et/ou électrophysiologiques observés chez un sujet qui n’a pas
de syndrome de Wolff-Parkinson-White en rythme sinusal (A : auriculogramme en
tachycardie, V : ventriculogramme en tachycardie, BB : bloc de branche, - : négatif, + :
positif ; TRIN : tachycardie par réentrée intranodale).
Figure 3 – Réentrée nodale typique (TRIN) (75 % des tachycardies paroxystiques avec
ECG intercritique normal) : descente de l’impulsion par la voie lente et remontée par la
voie rapide. L’auriculogramme est dans le ventriculogramme avec un faux aspect de retard
droit en V1. En rythme sinusal, l’espace PR est court (0,12 sec en raison de la conduction
dans la voie rapide).
TACHYCARDIES JONCTIONNELLES 7
4.1. B) Le plus souvent l’ECG est enregistré en dehors d’une crise
de tachycardie
1) Son principal intérêt est de dépister un syndrome de WPW, auquel cas le
diagnostic rétrospectif de TJ est très hautement probable. Mais attention, lorsque
le faisceau de Kent est latéral gauche, la préexcitation est parfois peu visible (20).
2) Chez les autres patients, l’ECG est normal ou montre un espace PR relativement
court, signe d’une conduction dans une voie rapide. Il peut révéler la présence
d’une double voie nodale en montrant des variations de l’espace PR sur l’ECG qui
est soit court en raison d’une conduction dans la voie rapide, soit long en raison
d’une conduction dans la voie lente.
5. Étiologies
A) Les TJP ou les TJ chroniques sont classiquement des tachycardies qui
surviennent sur cœur sain, ce qui explique leur pronostic généralement favorable.
En cas de syndrome de WPW en rapport avec une préexcitation droite (WPW de
type B), il est utile de vérifier l’absence de cardiopathie congénitale associée
comme une maladie d’Ebstein. En cas de signes fonctionnels de mauvaise
tolérance, il est également souhaitable de vérifier qu’il n’y ait pas de cardiopathie
sous-jacente. Des facteurs favorisants de la survenue des crises peuvent être
recherchés. Classiquement, le facteur catécholergique (activité sportive ou
grossesse) facilite l’ensemble des troubles du rythme. Il est rare qu’une première
crise survienne lors d’une grossesse (3,9 %) (21), mais la grossesse peut aggraver
des crises préalables.
B) Les tachycardies hisiennes acquises sont associées généralement à un contexte
aigu infectieux ou médicamenteux qu’il est impératif de rechercher.
6. Pronostic
6.1. Les TJs ont classiquement un bon pronostic
À l’âge adulte, les tachycardies survenant sur cœur sain sont considérées comme
bénignes, sous réserve que les crises ne deviennent pas fréquentes et invalidantes.
Lorsque le patient est vu pour une première crise, il est difficile de prédire
l’évolution, la crise pouvant rester unique ou se répéter plus ou moins
fréquemment (22). Chez les sujets vus entre 50 et 60 ans, ce qui représente la
majorité des patients, l’histoire retrouve souvent un long passé de tachycardies
bien tolérées initialement puis de moins en moins bien tolérées.
6.2. Le pronostic bénin peut être remis en question dans deux cas
1) Aux deux extrêmes de la vie, la tolérance est souvent médiocre :
– chez le sujet âgé, les récidives sont plus fréquentes et peuvent mettre en jeu le
pronostic vital par l’aggravation d’une insuffisance cardiaque ou d’une
cardiopathie ischémique associée et par le risque de fibrillation auriculaire (23) ;
Les patients qui ont un syndrome de WPW, qu’il soit asymptomatique ou associé
à des TJPs, ont le même pronostic, avec un risque de 5 à 10 % d’avoir une forme
potentiellement maligne de l’affection (24), c’est-à-dire une fibrillation auriculaire
très rapide dégénérant en fibrillation ventriculaire, surtout en cas de circonstances
catécholergiques comme l’effort ou le stress. La TJ peut elle-même dégénérer en
fibrillation auriculaire (25).
2) L’épreuve d’effort est un examen peu sensible pour déclencher une crise
(6 %) (26).
Bilan Traitement
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3) L’étude électrophysiologique est souvent nécessaire pour déclencher la TJ.
Comme il s’agit, en général d’un rythme réciproque, il est donc facilement initié
par stimulation auriculaire programmée à l’état de base après arrêt de tout
traitement et éventuellement répétée après perfusion d’isoprotérénol. Elle peut
être effectuée par voie endocavitaire ou par voie trans-œsophagienne chez
l’enfant ou l’adulte (6, 27, 28).
L’étude permet (Tableau 1) de mettre en évidence la présence d’une double voie
nodale, d’un faisceau de Kent, de déclencher la TJP et d’identifier son mécanisme.
La survenue de l’auriculogramme dans le ventriculogramme est un signe de TRIN.
Lorsque l’auriculogramme suit le ventriculogramme, l’étude de la séquence de
dépolarisation auriculaire permet d’identifier la localisation d’un faisceau de Kent.
En cas de séquence de dépolarisation auriculaire rétrograde normale évoquant
soit une conduction par une voie nodale, soit par un faisceau de Kent septal,
l’épreuve de stimulation auriculaire et ventriculaire programmée pendant la TJP
est utilisée pour rechercher les phénomènes de capture. Les tachycardies par
automatisme exagéré ne sont pas déclenchables et peuvent apparaître
spontanément lors d’une perfusion d’isoprotérénol (Isuprel®).
4) La crise peut être documentée par un enregistrement séquentiel volontaire ou
un Holter ECG longue durée si les crises sont assez rapprochées.
5) En cas de signes fonctionnels notables (insuffisance cardiaque ou malaises ou
sujet âgé), un bilan cardiologique complémentaire comportant au moins une
échocardiographie est indiqué.
8. Traitement (29)
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de WPW si la période réfractaire du faisceau de Kent n’a pas été vérifiée par étude
électrophysiologique ;
– en cas de réentrées dans un faisceau accessoire latent ou patent, les
antiarythmiques de classe I ont une action dépressive sur le faisceau ;
– l’association des antiarythmiques à un bêtabloquant ou l’amiodarone permet
de contrôler la majorité des tachycardies, mais actuellement elle est
exceptionnellement utilisée ;
– en effet, les risques des traitement antiarythmiques doivent être rappelés,
notamment chez les sujets âgés et chez les patients qui ont des troubles de
conduction spontanés ou une cardiopathie sous-jacente, cardiomyopathie et/ou
antécédents d’infarctus.
b) Depuis plusieurs années, il y a eu une explosion des traitements curatifs par
ablation par radiofréquence des circuits de réentrée des TJP :
– il est possible de traiter de façon curative au moins 90 % des TRIN en réalisant
l’ablation de la voie lente (31) et les tachycardies utilisant un faisceau de Kent
latent ou patent par l’ablation de ce faisceau. Ce traitement est privilégié depuis
les recommandations de 2003 (29) ;
– il faut néanmoins rappeler les risques inhérents à la technique qui doivent être
mis en balance avec l’évolution spontanée de la maladie. Indépendamment des
risques du cathétérisme et de l’application du courant de radiofréquence qui
représentent 1 à 10 % des cas suivant les séries et la gravité de la complication, il
y a des risques propres à l’ablation des TRIN : le principal risque est celui d’un bloc
auriculoventriculaire (BAV) qui peut être définitif dans 0,5 à 1 % des cas (32).
Dans les réentrées dans un faisceau de Kent, le même risque existe pour les
faisceaux situés près du faisceau de His. Ce risque est réduit par l’utilisation de la
cryoablation, mais avec un risque de récidive de la TJ plus élevé (33).
Les complications liées au cathétérisme et à l’ablation augmentent chez les sujets
âgés (2, 11).
2) Indications (Tableau II) (29)
a) L’abstention thérapeutique s’impose surtout chez un sujet jeune avec des crises
spontanément courtes bien tolérées et qui a un ECG intercritique normal ou une
forme bénigne de syndrome de WPW. L’évolution peut se faire vers une guérison
spontanée.
b) Si les crises sont rares, mais nécessitent un moyen médicamenteux pour les
arrêter, un traitement au coup par coup de la crise peut s’envisager avec la prise
orale d’un bêtabloquant (40 mg de propranolol ou 80 mg de vérapamil), le délai
d’action étant d’au moins 15 minutes.
c) En cas de crises fréquentes et donc invalidantes, le traitement radical sera
envisagé, mais chez les patients réticents et les enfants, le traitement peut être
d’abord médical :
9. Conclusion
Les méthodes de diagnostic et de traitement préventif des TJP ont
considérablement évolué depuis la description initiale en 1889.
Le traitement de la crise quant à lui a peu changé depuis de nombreuses années.
Si les manœuvres vagales ont échoué, l’injection d’acide adénosine
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triphosphorique est recommandée sauf chez l’asthmatique. La digoxine ou le
vérapamil injectables sont privilégiés en cas d’échec mais ils sont contre-indiqués
en cas de notion de syndrome de Wolff-Parkinson-White. L’amiodarone injectable
est une solution en cas d’échec des moyens précédents et chez le sujet dont l’état
cardiaque préalable est inconnu.
Si actuellement, il est tout à fait possible de guérir de cette affection par les
techniques d’ablation, il faut garder à l’esprit qu’une majorité des patients a une
forme bénigne de l’affection et que l’abstention thérapeutique est souvent
l’attitude la plus sage.
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