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F. Diesse Le Devoir de Coopération Comme Principe Directeur Du Contrat

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Le devoir de coopération

comme principe directeur du contrat 1

François DIESSE

RÉSUMÉ. — Découverte par la pratique des affaires, la coopération est à l’aube des transac-
tions et s’impose également comme l’horizon vers lequel l’évolution des relations contrac-
tuelles est tournée. Les juges et le législateur ont parfois imposé certaines de ses applications
particulières à certains types de contrats et surtout étendu le principe à toutes les conventions.
Parce que la coopération gouverne incontestablement le contrat de l’intérieur et en même
temps de l’extérieur. De l’intérieur, la coopération est la nervure du contrat. Elle est sa sub-
stance. Et à ce titre elle imprègne l’ensemble des rapports contractuels des effets de ses élé-
ments constitutifs en faisant du contrat un acte de solidarité entre les parties et un instrument
d’harmonisation de leurs attentes et promesses réciproques. De l’extérieur, l’exigence de la
coopération est la voie par laquelle les normes de moralisation et de comportement issues de
sources diverses pénètrent le contrat pour le dynamiser et le revitaliser.

I. — INTRODUCTION

Longtemps égarés dans les labyrinthes du dogme de l’idéologie classique 2 et enivrés


par les appas aveuglants des évolutions de l’ère technologique 3, le droit et la pratique du
contrat ont découvert aujourd’hui dans le devoir de coopération le chemin de l’épanouis-
sement ; celui qui fait du contrat le véritable instrument juridique de satisfaction des
besoins socio-économiques. En effet, résultant d’un excès de libéralisme contractuel 4, la
différence entre les intérêts respectifs des parties était perçue comme une source d’opposi-

1 Cet article est rédigé à partir de notre thèse sur « Le devoir de coopération dans le
contrat », Lille II, 1998.
2 En abandonnant le sort du contrat à la volonté des parties, la doctrine classique avait
aussi, bon gré mal gré, ouvert la porte à l’injustice et à l’instinct de domination du plus fort
des contractants sur le plus faible.
3 Cette évolution laissait croire que le déséquilibre entre les parties était un fait naturel
auquel le droit devait se plier. Le phénomène a été particulièrement observé dans le contrat de
travail, dans les contrats d’adhésion et dans les contrats dits de consommation.
4 Le devoir de coopération est sans doute né en réaction contre les effets de l’individua-
lisme du XIXe siècle qui sous couleur de l’autonomie de la volonté avait poussé au-delà du
seuil du tolérable les limites des tensions et du conflit dans le contrat, en confondant parfois
l’autonomie de la volonté, qui n’a pour limite que la légalité de sa manifestation, et la liberté
qui par principe, doit être contrôlée, dirigée ou limitée afin de respecter les autres droits juridi-
quement protégés.
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tion, parce qu’on estimait que la satisfaction attendue par l’une des parties dépendait de
l’appauvrissement corrélatif de l’autre. Ce système de vases communicants auquel était
soumise l’analyse du contrat est déroutant et inconciliable avec la nature réelle du
contrat.
Déroutante, cette façon d’appréhender le contrat avait fini par faire croire, au détri-
ment de la coopération 5, que le contrat est fondamentalement conflictuel, qu’il réalise la
rencontre de deux égoïsmes rivaux. Cette affirmation est assurément exagérée. Elle est
certainement fondée sur une analyse des intérêts des parties considérés en dehors du
contrat, parce que ces intérêts sont sans doute saisis avant la formation du contrat, et
donc avant leur fédération ou leur transformation par l’accord de volontés des parties, ou
sur une regrettable confusion entre le besoin de chacune des parties et le moyen de le
satisfaire.
Avant la formation du contrat, en effet, les intérêts des parties sont plus ou moins
différents. Mais ces intérêts sont destinés à se transformer en quelque chose qui constitue
pour chacune des parties son besoin principal et qui fait de ces intérêts, non pas le but à
atteindre, mais le moyen d’atteindre ce but. La formation du contrat qui réalise cette
transformation se fait, et ne peut se faire qu’à un moment où chaque partie incarne pour
l’autre l’espoir, la confiance et la conviction d’obtenir la satisfaction recherchée 6, évi-
demment parce que leurs intérêts au départ comme à l’arrivée ne constituent plus que le
moyen pour chaque partie d’atteindre son objectif, un objectif qui peut ne pas être connu
de l’autre. Ainsi la différence entre les intérêts des parties n’est pas forcement une source
de conflit ou d’opposition, elle peut être au contraire facteur de complémentarité.
Par ailleurs, même lorsqu’il y a conflit, celui-ci ne transforme pas nécessairement
l’une des parties en un loup pour l’autre. Ce conflit ne constitue le plus souvent que le
mobile qui justifie le besoin de rapprochement des parties ou la recherche de protection
juridique dont le contrat est sur le terrain juridique et économique l’un des moyens 7.

5 V., J. Mestre, « D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ.
1986, p. 101 ; Y. Picod, « Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat », JCP, 1988, I,
3318 ; G. Morin, «Le devoir de coopération dans les contrats internationaux : droit et pra-
tique», DPCI, 1980, T. 6 p. 9 et s. ; A. Rieg, J-Cl. civ., « art. 1134 et 1135, Effets obliga-
toires des conventions – exécution de bonne foi des conventions » ; S. Jarvin,
« L’obligation de coopérer de bonne foi ; exemples d’application au plan de l’arbitrage
international », in L’apport de la jurisprudence arbitrale, Séminaire des 7 et 8 avril 1986,
Publ. CCI Institut du droit et des pratiques des affaires internationales, p. 157 et s .   ;
Demogue, Traité des obligations en général, 7 Vol. 1923 à 1933, n° 29.
6 Il est indiscutable que le contrat ne se limite pas à un simple acte de transfert de biens ou
de droits d’un patrimoine à l’autre ; à cette opération de transfert s’ajoutent nécessairement
d’autres choses, matérielles (comme le bénéfice ou les économies réalisées) ou immatérielles
(comme la satisfaction, le plaisir, l’assurance ou la quiétude) qui bien qu’inqualifiables ne doi-
vent pas être écartées de l’appréciation de l’intérêt que chaque partie tire du contrat. À cet
égard, il est aussi un acte d’épanouissement et de développement des sujets de droit.
7 Au même titre que l’insécurité crée le besoin juridique de réglementation, que le désordre
crée le souci d’harmonisation,… la méfiance, la suspicion voire le doute sur le respect de la
parole reçue du partenaire, sur la bonne exécution de ses engagements ou sur sa loyauté…,
pressentis au moment de la formation du contrat, poussent les parties à rechercher les voies et
moyens d’y faire face. Ils sont ainsi à l’origine des clauses de renforcement de la contrainte de
l’exécution du contrat, des clauses de fidélisation des parties avec l’exclusion corrélative des
tiers (clause d’exclusivité), des garanties de la bonne exécution du contrat. Par ailleurs le dés-

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Ainsi, entre le conflit d’intérêts et la coopération, il n’y a pas opposition, mais succes-
sion ou substitution. Celui-là conduisant inéluctablement à celle-ci. En effet, l’idée est
très ancienne et bien connue. Chez Kant, par exemple, le conflit d’intérêts est considéré
comme la matrice du droit. Évidemment, parce que les maux qu’il engendre (injustice,
inégalité, etc.), les tensions qu’il suscite et les privations de libertés qu’il génère condui-
sent nécessairement à substituer à l’antagonisme des intérêts une sorte de coopération
entre les sujets de droit 8. Les effets pervers de la différence entre les intérêts des parties,
et leur nécessaire rencontre décidée par les parties, sont donc considérés comme ce qui
enclenche le besoin d’élaborer les normes d’harmonisation de ces intérêts et de collabora-
tion entre les parties. Ainsi, dans le contrat, comme dans tout processus d’élaboration
des règles de droit, le conflit et la collaboration ne sont pas forcement en opposition de
phases. Ils sont le plus souvent, contrairement à ce que l’apparence laisse percevoir, dans
une logique de succession ou de substitution ; l’un à savoir le conflit étant en amont de
la règle de droit et l’autre en aval 9 de la formation du contrat. C’est pourquoi, il
convient d’admettre que le conflit prend fin avec le début de la collaboration des parties,
sinon se retranche dans les profondeurs de leurs crainte ou suspicion pour ne resurgir
qu’en cas de défaillance dans la formation ou dans l’exécution du contrat ou lorsque la
coopération entre les parties fait défaut. Le conflit doit donc être considéré comme une
exception par rapport à la coopération qui recouvre naturellement sa place dans le
contrat 10, puisqu’elle est le sanctuaire de celui-ci.
Dans le contrat, cette coopération a vocation à s’imposer comme principe général du
droit. Les fondements de cette vocation sont nombreux. Certains découlent de la nature
de la coopération en tant que norme de comportement 11 applicable à tous ceux qui se
lancent dans une transaction. D’autres sont liés au contrat lui-même, dans la mesure où
ce dernier est essentiellement un acte de rapprochement des parties et de rencontre de

__________
équilibre entre les parties suite au changement de circonstances, la crainte de voir se détériorer
les relations entre les parties à la suite d’un litige qui les opposent vont inviter les parties à
consentir des clauses d’adaptation et des clauses de différends.
8 Kant, Philosophie du droit, trad. Piobetta, Montoine Gonthier 1965 p. 3 à 2 2   ;
E. Putman, « Kantet théorie du contrat », RRJ. 1996 p. 685-697.
9 Il n’est point besoin de démontrer comment la réticence dolosive d’une information ca-
pitale a donné naissance à l’obligation précontractuelle de renseignement ; ni comment est
née l’obligation de loyauté contractuelle, et encore moins pourquoi sont imposées les me-
sures de protection de la partie la plus faible, le salarié et le consommateur par exemple.
10  V. J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, F. Lefebvre 1988, n° 27 ; A. Rieg,
op. cit. n 100 p. 23.
11 Par définition, la coopération traduit la volonté et l’acte d’agir avec autrui, d’« œuvrer
ensemble » pour défendre certains intérêts individuels, communs ou collectifs. C’est une
norme de comportement liée à la vie en société, qui s’impose aux individus dans leur com-
merce et qui exige de chacun le respect des droits, des biens et des intérêts d’autrui, de ceux
avec qui on est en affaire principalement. Règle de bonne conduite, cette coopération peut
avoir pour source la morale, les principes religieux, les usages, les codes de déontologie pro-
fessionnelle, et parfois la loi. En dehors de ce dernier cas qui est d’office obligatoire, la co-
opération n’exprime qu’un simple devoir privé de la possibilité de recourir à la contrainte de
la puissance publique. Ce devoir deviendra cependant une obligation juridique parce que le juge
a eu l’occasion de sanctionner son mépris. Dès lors il devient une règle applicable dans tous
les contrats. Le devoir, à la différence de l’obligation est ainsi le moyen de normativité mais
aussi de flexibilité de la coopération contractuelle.

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leurs intérêts. L’idée selon laquelle le contrat est fondamentalement un acte de coopéra-
tion a été défendue depuis longtemps déjà par Demogue. Celui-ci, allant même plus
loin, assimilait les contractants aux associés et le contrat à une société civile ou com-
merciale. Parce que, dans l’une comme dans l’autre, chaque partie « doit travailler dans
un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun 12. C’est
également l’opinion soutenue par Ripert lorsqu’il affirmait que « tout contrat est
union » en ce sens qu’il « crée entre le créancier et le débiteur une petite société tempo-
rairement constituée pour une fin déterminée » 13.
Le contrat est donc par nature et selon l’expression du Doyen Carbonnier un acte de
coopération, même si les métamorphoses socio-économiques ont parfois cherché à le
transformer en un instrument de conflit. Un auteur précise d’ailleurs que dans le mot
« contrat », la syllabe la plus importante est la première qui n’a jamais voulu dire
« contre » mais bien à l’inverse « avec ». Il ne faut pas, en effet, oublier l’étymologie
de « contrat » : « cum–trahere » (tirer avec). Et si la notion de contrat a souvent été
illustrée par l’image du joug qui lie deux bœufs, on n’a jamais posé un joug sur deux
bœufs opposés mufle à mufle ni imaginé qu’en cette position, ils puissent tirer une
charrue bien longtemps » 14.
Mais plus importants encore sont les fondements du principe général de la coopéra-
tion contractuelle issus de la volonté du législateur de 1804 15. Sur ce dernier point, il
nous semble important de rappeler que dans la partie du code civil consacrée « aux obli-
gations conventionnelles en général », le législateur de 1804 avait sans doute voulu
faire de la « section I » 16 du chapitre III 17, la « loge » des règles générales et des
principes applicables à tout contrat. En effet, chacune des dispositions de cette section
intitulée « Dispositions générales » est le fondement juridique d’un principe général
bien connu. À cet égard, la « section I » précitée est d’une cohérence incommensurable.
Après avoir en effet conféré à la volonté des parties, dès lors qu’elle est conforme aux

12 Demogue, Traité des obligations en général, T IV n° 3 p. 9.


13 Gorges Ripert. Cité par F. Diesse, Le devoir de coopération dans le contrat, Thèse
Lille II , 1998, n°31.
14 J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, F. Lefebvre 1988 p. 31 n° 27. Même
auteur, « Le domaine de l’article 1er dans la loi Doubin », Cahier droit de l’entreprise 1990/4,
p. 13.
15 Indéniablement, la sanction des vices de consentement ainsi que le respect des condi-
tions de formation du contrat en général visaient dès l’origine à promouvoir sinon la compli-
cité positive entre les parties, du moins à protéger le droit de contracter en connaissance de
cause reconnu à chacune d’elles. La loi Doubin du 31 décembre 1989 dévoile cette intention
du législateur restée pendant longtemps déguisée.
16 Cette section ne comporte, précisons-le, que les articles 1134 et 1135. L’art. 1134,
dans ses trois alinéas, est respectivement la base juridique du principe de l’autonomie de la
volonté ou de la force obligatoire des conventions ; du principe de l’irrévocabilité unilatérale
du contrat et de la règle de l’exécution de bonne foi. L’article 1135 quant à lui pose comme
principe que les conventions, sans exception !, obligent également à toutes les suites
découlant de la nature de l’engagement. Cette règle qui fonde en jurisprudence et en doctrine le
devoir de coopération contractuelle est d’application générale à toute convention, comme le
précise l’article 1135 lui-même.
17 Du Titre III du Livre III du code civil.

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règles d’ordre public et aux bonnes mœurs 18, le pouvoir de créer la loi des contractants
(art. 1134 al. 1er – force obligatoire des conventions), elle précise que cette rencontre de
volontés ne peut être retirée unilatéralement (al. 2 – immutabilité des conventions) ; que
dans l’exécution de ce qui a été promis de part et d’autre les parties doivent agir avec di-
ligence et loyauté (al. 3 – exécution de bonne foi). Enfin elle dispose que leur engage-
ment comprend, outre le respect de la parole donnée, les normes de comportement in-
duites des circonstances qui entourent le contrat dans sa particularité (art. 1135).
Ainsi pour confier le domaine très vaste des actes juridiques à la volonté des parties,
le législateur avait pris soin de circonscrire le champ de déploiement de la liberté des
parties par des règles impératives et par des principes généraux dont le devoir de coopéra-
tion qui, dans cette section vient ainsi boucler l’enceinte juridique de protection du
contrat et d’encadrement de la liberté des parties.
L’évolution de la pratique et du droit des contrats a apporté à cette vocation du devoir
général de coopération un éclairage nouveau. Si bien qu’actuellement, « le principe est
affirmé de la nécessaire coopération entre les parties dans l’exécution du contrat. Corol-
laire du principe de l’exécution de bonne foi, cette coopération doit donner un climat
nouveau aux relations entre les parties, qui ne sont plus considérées comme exclusive-
ment guidées par leurs intérêts antagonistes respectifs » 19. Cette coopération s’inspire
des suites du contrat et donc aussi des principes de « justice » 20 et « d’utilité »
contractuelles tout en les amplifiant 21. Si bien que l’on peut affirmer que l’exigence de
la coopération permet, à un certain degré d’abstraction et de généralisation, de sauvegar-
der la justice contractuelle et d’assurer l’utilité du contrat pour chacune des parties.
Comme résultat de cette évolution, en effet, on admet aujourd’hui que le « juste »
dans le contrat n’est plus apprécié sur la seule base des stipulations contractuelles. Il
l’est aussi, et surtout, par rapport à l’ensemble des devoirs que le juge pourra considérer
comme « suites » de la convention des parties, d’après sa nature, les circonstances ou le
comportement des contractants et comme découlant de la loi, de l’équité ou des
usages 22. Les devoirs de collaboration qui en résultent permettent ainsi d’assurer

18 Cette précaution prise par les rédacteurs de l’article 1134 al. 1 er à travers l’expression
«… légalement formées… » renvoie inéluctablement à l’article 6 du même code. Ainsi, la
volonté capable de créer les droits et obligations au bénéfice ou à la charge des parties, est une
volonté préalablement respectueuse et soumise aux règles impératives.
19 M. Fontaine, « Les principes pour les contrats commerciaux internationaux élaborés
par Unidroit :», RDIDC.1991, p. 35.
20 La justice contractuelle désigne ce qui est conforme aux principes qui gouvernent le
contrat. Or, ces principes sont de sources très variées, le juge pouvant s’inspirer des exi-
gences de la raison ou de la morale, de toute règle économique ou sociale idoine pour définir ou
pour dire ce qu’est la justice contractuelle dans un cas précis.
21 Voir, en ce sens J. Ghestin pour qui «Le juste et l’utile sont des principes qui
régissent la force obligatoire et le domaine des effets du contrat », Traité de droit civil. Les
effets du contrat, 2e éd. 1994, op. cit. , p. 3, n° 3.
22 L’on doit remarquer que cette évolution consacre la primauté des articles 6, 1134 al 3
et 1135 du code civil sur l’article 1134 al 1 du même code, avec une substitution de la concep-
tion moderne du lien d’obligation à celle, classique, de l’autonomie de la volonté. Est donc au-
jourd’hui dépassée, si non incomplète, l’idée de Kant selon laquelle «la volonté, source unique
de toute obligation juridique est en même temps la seule source de justice »(Kant, Doctrine du
droit, trad. Barni, p. 169). De même, dire comme notre auteur que «quand quelqu’un décide
quelque chose à l’égard d’un autre, il est toujours possible qu’il lui fasse quelque injustice ;

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l’utilité du contrat pour chaque partie. Ils servent les intérêts propres de chaque contrac-
tant, non pas par leur sacrifice au profit de ceux du partenaire, mais par la recherche d’un
équilibre justifiant la solidarité et la loyauté qui sont indissociables du contrat.
Ainsi, le devoir de coopération assure dans le contrat, une zone de protection des
intérêts particuliers, et par suite de l’intérêt général, en faisant en sorte que la parole
donnée ne soit déconsidérée ou vidée de son utilité, que l’attente légitime des uns ne soit
pas déçue par les autres. Cette exigence de coopérer, qui est de l’essence même du contrat
en tant facteur de rapprochement ou d’union 23, est également considérée comme
principe régulateur et moralisateur des transactions. D’où l’intérêt de définir le concept de
coopération (I) afin de préciser le rôle que ce principe est appelé à jouer dans les rapports
contractuels (II).

I. — LE CONCEPT DE COOPÉRATION CONTRACTUELLE

Le mot « coopération » désigne l’action de participer à une œuvre commune. Il


recouvre plusieurs acceptions 24 largement différentes du sens qu’il exprime dans le
contrat (A) et dont il s’en écarte par ses éléments constitutifs (B).

A. — La coopération dans le contrat

La coopération est une norme de comportement qui dans les rapports contractuels a
un sens précis (a), surtout lorsqu’elle est érigée en exigence juridique (b).

__________
mais toute injustice est impossible dans ce qu’il décide pour lui-même » ne suscite plus une
totale adhésion.
23 Même si parlant pourtant des «contrats d’intérêts communs » l’on continue à soutenir
que «ce qui caractérise le contrat c’est que chaque partie à l’acte occupe une position différente
et poursuit un intérêt propre qui est distinct de celui de son cocontractant » (C. Pigache, Le
mandat d’intérêt commun, thèse op. cit. p. 4), force est de constater que la conclusion
d’aucune sorte de contrat n’est possible si chacune des parties ne trouve dans la proposition
ou la prestation de l’autre, la conviction, l’espoir ou la possibilité de satisfaire ses propres
intérêts. Il en résulte qu’entre les intérêts respectifs des parties il n’y a pas forcément un
rapport de rivalité, mais une complémentarité possible, susceptible de se transformer en
satisfaction pour chacun des contractants. Aussi reconnaît-on que le contrat afin de devenir
souvent conflictuel est par nature un acte de coopération (V. J. Carbonnier, op. cit. p 51 et
s. ; J.-M. Mousseron, op. cit. p 31, n° 27).
24 Il est souvent chargé d’un contenu idéologique. Il a ainsi été parfois utilisé dans le
cadre d’une politique économique (c’est l’exemple dans les lois sur les sociétés coopératives,
telle la loi du 11 juillet 1972 (sur les coopératives des détaillants) ; la loi n° 47-1775 du
10 septembre 1947 portant statut de la coopérative ; la loi du 20 juillet 1983 relative au dé-
veloppement de certaines activités d’économie sociale ; du 17 mai 1982 sur les coopératives
de banques ; du 19 juillet 1978 sur les coopératives ouvrières de production et les Directives
et règlements communautaires relatives aux GEIE) ou de développement (c’est cette idée que
véhicule la notion de coopération dans les conventions de Lomé et qui entre dans le cadre
général de la politique d’aide au développement) où il traduit autre chose que la collaboration
entre parties à un contrat.

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a. Le sens de la coopération contractuelle.


Par rapport au contrat, « coopérer » c’est « agir conjointement avec » son parte-
naire 25. Il s’agit de « participer à une œuvre commune », de « collaborer », de
« concourir », de « contribuer » ou alors d’« aider » ou d’« assister » son cocontrac-
tant. Par conséquent, « promettre de coopérer, c’est accepter d’agir uni, c’est avouer que
l’on se reconnaît lié par des intérêts communs ou convergents. Ce n’est donc pas,
comme l’exige le droit commun de la loyauté, simplement s’obliger à ne pas nuire aux
intérêts du partenaire. C’est plus encore : c’est s’obliger à prendre ses intérêts en
compte, à les respecter et à agir en vue de leur développement »  26. La coopération, dit
J. Mestre, est « l’exigence… des attitudes, des comportements convergents au service
d’un intérêt contractuel commun » 27.
Cette coopération est donc susceptible de degré. Elle peut traduire une simple exi-
gence de solidarité contractuelle ou aller jusqu’à fonder des rapports de « proximité »
présentant un certain degré d’intimité 28, et par suite revêtir une forme strictement
contractuelle ou, au contraire, sociétaire caractérisée par l’union des contractants au sein
d’une structure juridique formelle. Contenue dans une structure, la coopération contrac-
tuelle implique l’existence de liens privilégiés entre les parties et d’un objectif commun,
et repose nécessairement sur la confiance réciproque, sur « l’intuitu personae » 29 et sur
« l’animus cooperandi » 30 qui transforme finalement « les parties en véritables parte-
naires occupés à réaliser une tâche commune » 31. Ainsi, la notion d’animus cooperandi
épuise celle de « l’affectio societatis » qui dans différentes sociétés civiles et commer-
ciales traduit l’engagement et l’intention de s’associer. La coopération limitée à la forme
contractuelle est, quant à elle, plutôt une expression de la solidarité entre les parties,
cristallisée par une sorte « d’affectio contractus » 32 ou de « jus fraternitas » qui
constituent la détermination des contractants à s’engager dans une œuvre plus ou moins
commune.
Quelle que soit sa forme, la coopération s’impose donc tant à l’égard du débiteur qu’à
l’égard du créancier, en revêtant dans chaque cas une portée différente et en exprimant des
exigences tantôt communes aux deux parties, tantôt propres à chacune d’elles, selon la
position qu’elle occupe par rapport à l’obligation en cause.
Toutefois, la reconnaissance juridique de la notion de coopération dans notre droit des
contrats semble être récente 33. La jurisprudence ne l’affirmait que de manière essentiel-

25 V. sentence Klöckner et al. c. Cameroun du 21 oct. 1983, JDI 1984, p. 409-454


(extraits).
26 B. Mercadal, « Les caractéristiques juridiques des contrats internationaux de coopéra-
tion industrielle », DPCI, 1984, T. 10 n° 3, p. 319.
27 J. Mestre, op. cit. p. 101.
28  Voir M. Dubisson, « Les caractères juridiques du contrat de coopération en matière
industrielle et commerciale », DPCI, 1984, T 10 n° 3, pp. 297-318 et spéc. p 305.
29 L’intuitu personae est l’expression de la prise en considération de la personne du co-
contractant dans le choix du partenaire.
30 L’animus cooperandi traduit la « volonté de coopération », c’est l’état d’esprit qui
anime les parties contractantes engagées par un lien de coopération.
31 M. Dubisson, op. cit., p. 307.
32  Voir J. Mestre, op. cit., p 101.
33 Et pourtant, tout laisse croire que l’origine du devoir de coopération remonte à l’élabo-
ration du code civil. En effet, Demogue commentant en 1931 l’article 1134 al. 3 du code civil

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lement indirecte, notamment à travers ses obligations satellites. En effet, même les
arrêts de la Cour d’appel de Paris du 18 juin 1984 34 et du 26 juin 1985 35 n’avaient
admis le devoir de coopération que de façon implicite 36. Ils ne font nulle part allusion
au mot « coopération ». La doctrine affirme néanmoins aujourd’hui que « la règle de
l’article 1134 al. 3 implique un certain devoir de coopération entre les parties » 37 ou
encore que « l’éventuel devoir de collaboration entre les contractants peut-il puiser
quelques racines dans cette fameuse exigence de bonne foi que formule l’article 1134
al. 3 du code civil » 38. Ce qui laisse conclure sans hésitation que l’idée de coopération
contractuelle est véhiculée par l’article 1134, du moins dans son esprit, et que cette co-
opération se trouvait par conséquent en germe dans la pensée des auteurs du code de
1804. Cependant, aucun texte de portée générale relatif au contrat ne consacre ouver-
tement la coopération comme règle juridique générale applicable aux transactions civiles
et commerciales 39. La jurisprudence et la doctrine se contentent de la déduire, certes
avec plus de certitude et de conviction, de certaines dispositions législatives 40, et de
certaines règles de conduite 41 d’importance.

__________
mettait déjà en exergue la coopération contractuelle à travers d’une part la similitude qu’il y a
entre les contractants et les associés, et d’autre part, le caractère « commun » du but poursuivi
par ceux-ci et « l’union » de leurs intérêts. Il ajoutait que la bonne foi était suffisamment
riche pour qu’il soit possible d’en faire « sortir de nouveaux rameaux » donc le devoir de
coopération dans le contrat (R. Demogue, Traité des obligations, T VI, 1931, n° 4). Égale-
ment G. Cornu : « dans tout contrat, le respect de la bonne foi fait naître entre les parties un
devoir d’assistance, de collaboration, de coopération, d’aide mutuelle et, à la limite, d’amitié
et de fraternité »(Cours de doctorat, regards sur le titre III du Livre III du code civil, p. 205).
34 CA. Paris 18 juin 1984, op. cit.
35 CA. Paris, 5e ch. 8, 26 juin 1985, op. cit.
36 Par ailleurs, jusqu’en 1986 on continuait à concevoir le devoir de collaboration dans le
contrat, comme une construction juridiquement encore inachevée. En effet, on se demandait s i
« de cet équilibre imposé, ne se dirige-t-on pas insensiblement, dans la pratique contractuelle
et la jurisprudence la plus récente, vers le stade ultérieur, mais radicalement différent, de la co-
opération ? Le contrat ne deviendrait-il pas l’instrument juridique d’une collaboration entre
partenaires ? » (J. Mestre, D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration, op. cit.
p. 101).
37 A. Rieg, op. cit. p 23.
38 J. Mestre, op. cit.
39 L’exigence de la coopération ne se limite pas cependant aux contrats relatifs aux af-
faires. Elle est en effet appliquée entre époux, qui doivent comme de véritables associés agir
dans l’intérêt commun et œuvrer à la prospérité de la communauté formée par leurs patrimoines
(articles 1442, 1429, 1403 al 2 et 1426, du code civil).
40 Ainsi en est-il de l’article 1844 -7 al. 5 du code civil qui permet au juge de mettre fin
par anticipation au contrat de société lorsque la coopération fait défaut entre les associés.
C’est aussi le cas de l’article 55 de la loi du 11 mars 1957 en vertu duquel l’auteur doit mettre
l’éditeur – son cocontractant – en mesure de fabriquer et de diffuser les exemplaires de
l’œuvre ; des articles 7, 8, 13 et 77 de la Convention de Vienne ; de l’article 7 de la loi du
23 décembre 1986 ; de l’article 1 de la loi Doubin (Pour un bilan de cette loi, voir L. Vogel
et J. Vogel, « Loi Doubin : Des certitudes et des doutes. Premier bilan sur l’information pré-
contractuelle après cinq ans d’application de la loi (1990-1995) », D. aff. n° 1, 1995 p. 5-
8.) ; de la loi du 25 juin 1991 (JO. 27 juin 1991, p 8271 ; JCP 91, éd. G. III 64839. Voir
commentaire D. Ferrier, CDE n° 6/1991, p 30 et s.) qui consacre le «triomphe de l’intérêt
commun » dans les rapports contractuels entre les agents commerciaux et leurs mandants

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 267

Car, il s’agit, disent les auteurs à propos de chacune d’elles, de standard « remis à
l’application du juge » 42 qui « vise à permettre la mesure de comportement et de situa-
tions en termes de normalité » 43, de « critère de référence pour juger des conduites
sociales par rapport à ce qui se fait ou ce qui doit être » 44, d’une « source cachée de
normativité, lieu privilégié de l’expression du pouvoir judiciaire devenant alors une
source directe du droit » 45. Autrement dit, la coopération résultant des règles de
conduite doit être considérée comme une « notion objective déterminant, d’une façon
__________
(Jean-Marie Leloup, « La loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commer-
ciaux et leurs mandants ou le triomphe de l’intérêt commun », JCP 1992, éd. E I 105).
41 Généralement le devoir de coopération, de source jurisprudentielle, est plus indirecte-
ment engendré à partir de certaines dispositions légales telles que celles qui permettent au juge
d’interpréter les situations juridiques en faisant recours au principe de la bonne foi
(article 1134 al 3 c. civ.), aux règles de loyauté (V., notamment, la loi du 1er juillet 1996
(n° 96-588) sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales) ; l’art. 6-2 des principes
UNIDROIT) et de l’évidence des «suites naturelles » d’une convention (article 1135 c. civ.),
au principe de bon sens comme le «raisonnable »(voir Vincente Fortier, « Le contrat du com-
merce international à l’aune du raisonnable », JDI 1996 p. 315 s.) et l’équitable. La jurispru-
dence déduit également le devoir de coopération de certaines règles de société telle que la soli-
darité (par exemple, solidarité entre le mandant et le mandataire (V. art. 1998 al 2 du c. civ. –
Com. 12 juil. 1993, Bull. civ. IV n° 292. – Com. 5 oct. 1993, JCP ,1993 E Pan n °   1 3 1 5   ;
Bull. civ. IV n° 319 – Civ. 3, 19 juil. 1995, D. 1995 IR 227) ; solidarité entre associés
(art. 1844-7 c. civ.)). Également. Sentence CCI, n° 2443 qui déclare de façon générale que
« les parties devaient être parfaitement conscientes que seule une collaboration loyale, totale
et constante entre elles pouvait éventuellement permettre de résoudre au-delà des difficultés
liées à l’exécution de tout contrat, les nombreux problèmes résultant de l’extrême complexité
dans la formulation et l’enchevêtrement des engagements litigieux », JDI, 1976 p. 991), la
confiance réciproque (Ainsi, dans l’affaire Norsolor, il est dit que, «la confiance réciproque »
est une condition inhérente au commerce international en particulier et au commerce en géné-
ral mettant à la charge des parties «une exigence de comportement » et exprimant «non seu-
lement un état psychologique, la connaissance ou l’ignorance d’un fait, mais aussi une réfé-
rence aux usages, à une règle morale de comportement », sentence CCI, n° 3131 du 2 6   o c t .
1979, Rev. arb., 1983, pp. 525 à 532. — Dans l’affaire Klöckner, il est précisé que la bonne
foi implique «le principe suivant lequel une personne qui s’engage dans des rapports contrac-
tuels intimes fondés sur la confiance, doit traiter avec son collègue de façon franche, loyale et
candide », Clunet, 1984, pp. 409-454 ; Rev. arb., 1984, pp. 19-63 ; AFDI, 1984, pp. 391-
408 (sentence CIRDI du 21 oct. 1983).) et le principe de diligence (A cet effet, les arbitres
déclarent que «Atlantic Triton n’a pas fait preuve de toute diligence nécessaire dans l’exploita-
tion des navires, qu’en particulier, s’étant présentée comme un professionnel spécialiste de la
pêche en eaux tropicales, elle aurait certainement dû étudier avec le plus grand sérieux les
conditions d’exploitation des navires en Guinée », sentence CIRDI du 14 avril 1 9 8 6   ;
Clunet, 1988, pp. 1981 et s., obs. E. Gaillard. Ils précisent également que les parties doivent
faire «preuve d’une diligence normale, utile et raisonnable dans la sauvegarde de leurs
intérêts », sentence CCI. n° 2291, Clunet, 1976, pp. 989-992, obs. Y. Derains).
42 R. Demogue, Traité des obligations, T VI 1931, n° 6.
43 S. Rials, cité par Vincent Forthier, « La fonction normative des notions floues » ,
RRJ , 1991-3, p. 756, n 2.
44 Vincent Forthier, op. cit. ; Dans le même sens V. A. A. Al Sanhoury, «Le standard ju-
ridique », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, Paris,
Sirey, Tome II, p. 147.
45 Op. cit., p. 757. Voir également note n° 14 (infra) du chap. I du titre I de la première
partie, Trav. Assoc. H. Capitant, tome 31 « Les réactions de la doctrine à la création du droit
par le juge », Economica 1982.

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268 ÉTUDES

abstraite, les droits et les obligations des contractants et, par suite, leur responsabilité
éventuelle » 46. Elle permet donc de « contenir des notions trop fluctuantes, ou
imprévisibles, telles que la conduite des parties » et l’environnement du contrat. Elle
sert aussi à « aménager des paramètres totalement inconnus lors de la conclusion du
contrat, en permettant au juge et aux parties de considérer tous les éléments susceptibles
d’affecter l’exécution du contrat d’une manière équitable, en tenant compte du contexte
contractuel et du but de l’opération » 47.
Il s’agit, en somme, « d’un type de disposition indéterminée, plutôt utilisé par le
juge, dont le caractère normatif est l’objet de contestations, sinon est indirecte et qui met
en jeu certaines valeurs fondamentales de normalité, de moralité ou de rationalité » 48,
parce que la coopération pour chaque contractant désigne aussi une attitude « de loyauté,
d’honnêteté, de sincérité, qui doit présider à l’élaboration et à l’exécution de tous les
actes juridiques » 49. Elle désigne également, à l’instar de la bonne foi, une règle
d’interprétation ou d’appréciation de l’attitude d’un individu, « une manifestation de
volonté étant souvent plus ou moins dépendante de l’état d’esprit de ceux dont elle
émane » surtout « dans un domaine comme celui du contrat, où règne toujours, à
quelque degré, les idées de crédit, de confiance, de foi jurée » 50.
La coopération est donc le guide de toute action comme de tout jugement se rappor-
tant à un contrat 51, l’expression d’une règle morale de comportement permettant de
maintenir l’équilibre dans les transactions et donc la sanction repose sur une formulation
« juridicisée » 52. La jurisprudence l’appréhende tantôt comme un facteur d’assouplisse-
ment ou de renforcement du droit, tantôt comme moyen de combler les lacunes de celui-
ci, afin d’en tirer des règles de conduite qui finissent par intégrer « le bloc de la légalité
contractuelle » 53.

46 Pierre Lalive, « Sur la bonne foi dans l’exécution des contrats d’État », in Mélanges
offerts à Raymond Vander Elst, Bruxelles Nemesis, 1986, T 1 pp. 436.
47 Osman Filali, op. cit. p. 25. L’auteur reprend à son compte l’idée développée par
Valérie Amar et Ph. R. Kimbrough, « Esprit de géométrie, esprit de finesse ou l’acceptation
du mot "raisonnable" dans les contrats de droit privé américain », DPCI, 1983, T 9, n° 1, p .
54 et s. ; Voir dans le même sens, Noël Dejean De La Batie , Application «in abstracto » et
appréciation «in concreto » en droit civil français, Paris, LGDJ, 1965, n° 352.
48 S. Rials cité par Filali Osman, Les principes généraux de la lex mercatoria.
Contribution à l’étude d’un ordre juridique anational, LGDJ, 1992, p. 27.
49 Elisabeth Zoller, citée par O. Filali, op. cit.
50 R. Vouin, La bonne foi : notion et rôle actuels en droit privé français, Thèse pour le
doctorat, Paris, LGDJ, 1939, n° 4, p. 6.
51  V., Sigvard Jarvin, L’obligation de coopérer de bonne foi. Exemples d’application au
plan de l’arbitrage international, in L’arbitrage commercial international. L’apport de la ju-
risprudence arbitrale, Publ. CCI., 1986 PP. 158 ; G. Horsmans, « L’interprétation des
contrats internationaux », in L’arbitrage commercial international, op. cit. p. 153.
52 Voir, Y. Picod, « L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat », JCP,
1988, I. 3318, n° 3.
53 La capacité normative du devoir de coopération doit, cependant, être différemment ana-
lysée selon que l’on se trouve devant un arbitrage appliquant la « lex mercatoria », c’est-à-dire
«un ordre juridique qui régirait, en marge de toute intervention étatique, l’ensemble des rela-
tions commerciales internationales… », que devant un juge étatique. Dans le premier cas, o n
se situe dans un ordre juridique qui contient très peu, contrairement aux droits nationaux, des
dispositions supplétives de la volonté des parties. Cette insuffisance de règles supplétives
donne au devoir de coopération un rôle de première importance dans la mesure où les arbitres

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 269

b. La juridicisation de la coopération contractuelle.


La coopération contractuelle est, au départ, une simple règle de bonne conduite mais
qui sera transformée en obligation 54 contractuelle par les parties ou par la puissance pu-
blique. On soutient en effet que le devoir devient obligation soit parce que les parties
l’ont voulu, soit lorsqu’il est « découvert » par le juge 55. La notion d’obligation juri-
dique se trouve donc enracinée dans un « terroir » juridique qui l’isole ainsi de celle que
la morale et la philosophie utilisent dans une acception étonnamment vaste et qui n’est
en réalité que le devoir 56.
Autrement dit, le devoir et l’obligation de coopération sont sur le plan juridique bien
distincts l’un de l’autre. En effet, le « devoir », « c’est ce que l’on doit faire, défini par
le système moral que l’on accepte, par la loi, les convenances, les circonstances » 57.
Cette définition est confirmée par une partie de la doctrine. Selon un auteur, « la termi-
nologie de devoir de conseil est liée au statut de professionnel tandis que « l’obliga-
tion » invoque un conseil lié au contrat » 58. Un autre 59 ajoute que « le devoir de
conseil serait une manière d’assainir la profession, de la moraliser d’où l’emploi du
terme devoir » 60.
La juridicisation de la coopération se fait donc par son passage de l’état primaire exi-
gée sous forme de simple devoir de conduite à celui d’obligation juridique. En ce sens,
__________
sont amenés à s’y référer et à y puiser «le substrat leur permettant de mesurer le comportement
des contractants et d’énoncer des règles de conduites de plus en plus cohérentes et uniformes »
(O. Filali, op. cit. p 12). Le devoir de coopération joue donc ici un rôle direct normatif et d’in-
terprétation. Par contre, devant le juge étatique, il n’aurait qu’un rôle normatif et interprétatif,
indirect. Son importance est en effet couverte par l’ombre des dispositions du droit interne et,
en l’occurrence, la puissance juridique des articles 1134 al . 3, 1135 et 1147 du code civil.
54 Il importe de remarquer que le code civil fait allusion tantôt à la notion « d’obligation
» ou au verbe « obliger » (Voir les articles 1101 et suivants, le chapitre III du titre III du
livre III et notamment l’article 1135 « Les conventions obligent… »), tantôt emploie le
verbe « devoir »(Voir essentiellement l’alinéa 3 de l’article 1134 du code civil « Elles doi-
vent être exécutées de bonne foi ») pour exprimer l’engagement contractuel des parties. La
doctrine, elle aussi, emploie soit le mot « obligation », soit celui de « devoir » pour exprimer
une exigence plus ou moins juridique qui s’impose aux parties, la coopération contractuelle
par exemple (Tandis que certains parlent d’obligation de coopération (V., notamment Y.
Picod, « L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat », JCP, 1988, I 3318),
d'autres préfèrent utiliser le terme devoir à la place de l’obligation (V. G. Morin, « Le devoir
de coopération dans les contrats internationaux : droit et pratique », DPCI, 1980, T. 6, p. 9
et s.)). Une chose est certaine, l’emploi de l’un ou, au contraire, de l’autre n’est pas sans
conséquence sur la force obligatoire de la coopération dans le contrat et sa motivation dans
les relations socio-économiques
55 M. Fabre Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats. Essai d’une théo-
rie, LGDJ 1992 p. 5, note n° 6.
56 G. Pieri, « Obligation », Arch. phil. droit, T 35. Vocabulaire fondamental du droit,
Sirey, 1990.
57 Dictionnaire Micro-Robert, « devoir ».
58 C. Lucas De Layssac, « L’obligation de renseignement dans les contrats », i n
L’information en droit privé, Travaux de la conférence d’agrégation sous la direction de Y.
Loussouarn et P. Lagarde, LGDJ, 1978, n° 58, p. 340.
59 J.-J. Sapari, « Le devoir de conseil de l’entrepreneur », La vie judiciaire du 10 au
16 août 1987.
60 Voir Civ. 1re, 27 oct. 1981, Bull. civ. I n° 315 ; Com. 31 mai 1988, Bull. civ. IV
n° 189 (à propos des devoirs nés des usages dont l’existence est connue par les parties).

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270 ÉTUDES

l’article 1135 c. civ. autorise le juge à transformer en obligations contractuelles, les


devoirs issus de la loi, de la morale, des usages dont ceux de la profession, des circons-
tances propres à chaque contrat 61. De même, l’article 1134 al. 3 convie le juge à
rechercher dans la notion morale de la « bonne foi » les devoirs qui doivent
accompagner l’exécution du contrat, et éventuellement à sanctionner leur inexécution.
Ce qui confère à ces devoirs une valeur juridique 62.
Ainsi se fait la transformation du devoir de coopération en obligation juridique par le
processus qui consiste d’une part à découvrir un devoir et d’autre part à sanctionner ou à
prévoir une sanction pour son inobservation 63. Cette transformation peut résulter de la
volonté des parties ou d’une décision du législateur ou du juge 64. Le passage du devoir
de coopération au stade de principe juridique permet donc de mettre en évidence la diver-
sité des sources des devoirs 65 qui peuvent être transformés en obligations contractuel-
les 66, et à travers cette diversité, de souligner l’importance du rôle normatif du juge.
Cette norme – ou devoir – ainsi érigée en obligation devient donc le lien étroit en vertu

61 Parmi les nombreuses décisions qui consacrent les devoirs découverts selon le proces-
sus de l’article 1135 c. civ., voir Com. 25 fév. 1981, Bull. IV, n° 109 ; Com. 15 nov.
1978, Bull. IV, n° 263 (à propos du devoir du professionnel de renseigner son client sur
l’opportunité même de la conclusion du contrat) et Civ. 1re, 13 mai 1985, Bull. civ. I
n° 144 ; Civ. 1re, 6 nov. 1984, Bull. civ. I n° 291 ; Civ. 1re, 10 déc. 1985, Bull. civ. I
n° 357 ; Civ. 1re, 26 janv. 1988, Bull. civ. I n° 26 (sur la «stratégie contractuelle » à
adopter).
62 Il résulte des articles 1134 et 1135 c. civ. que les voies par lesquelles les devoirs
issus de la loi, de la morale ou des usages socioprofessionnels pénètrent le contrat sont de
trois ordres : – La volonté des parties, qui peut constater l’engagement de celles-ci d’intégrer
dans la loi du contrat certaines exigences d’ordre moral, professionnel ou liées aux
circonstances. Car, les «conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ; –
L’action régulatrice du législateur qui dispose plusieurs moyens d’intervenir dans le contrat, et
donc d’y imposer des règles impératives ou dispositives ; – Et le pouvoir du juge qui lui
permet de traduire les faits en droit, de déduire le droit applicable des faits qui lui sont soumis,
en s’inspirant de ce que prévoient la loi, l’équité ou l’usage. Ce travail normatif du juge
suppose une certaine flexibilité du devoir permettant l’adaptation du droit aux faits. En effet,
face aux contingences sociales et à l’idéal de justice – oh combien imprécis ! – qui est celui du
droit, le juge doit pouvoir incorporer dans les rapports contractuels les valeurs qui
s’imposent. Il doit faire appel aux exigences sociales qui sont assez stables pour assurer la
sécurité dans les transactions, assez fermes pour permettre d’exercer sur le débiteur une
certaine contrainte, mais aussi assez souples pour suivre de près le mouvement de ces
relations à travers les circonstances (dans ce sens Vincente Fortier, « La fonction normative
des notions floues », RRJ, 1991-3, p. 756.)
63 M. Roubier démontre également que «l’ordre juridique a été d’abord créé sur la base des
devoirs avant qu’on en arrivât à créer des droits propres », dont le droit de créance ou obliga-
tion. (Roubier, « Le rôle de la volonté dans la création des droits et des devoirs », Arch. phil.
droit, T III p. 56.)
64 V. cependant, Com. 31 mai 1994, D. 1994 IR 180 ; JCP, 1994 IV 953 ; RJDA
1994, n° 1210 ; D. 1995 Somm. 90 obs. Delebecque (à propos d’une obligation naturelle
non convertie en obligation civile).
65 Il importe de rappeler que le devoir n’est pas toujours constitutif d’un lien de droit entre
deux ou plusieurs personnes. Il peut être l’expression d’une simple manifestation de la
conscience ou d’un principe général de bonne conduite en société ou en affaire.
66 On en conclut que le devoir est moins précis et moins juridique que l’obligation, que le
devoir est au centre de toute obligation, qu’il « y a un devoir dans toute obligation » ,
J. Carbonnier, Droit civil, T. IV, n° 2, éd. 1996, p. 16 et s.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 271

duquel une personne (le créancier) a le droit d’exiger une prestation, en l’occurrence la
collaboration, d’une autre personne appelée « débiteur » 67. À cette possibilité de trans-
formation des normes de coopération répondent la flexibilité et la normativité du devoir,
celui-ci étant un excellent facteur d’évolution du droit des contrats. Il permet d’apprécier
le comportement des parties, de leur prescrire la conduite 68 à tenir dans leur commerce
et, le cas échéant, de sanctionner le manquement aux exigences qui en émanent 69.
Aussi, Josserand pouvait-il préciser que « c’est la loi elle-même qui, en tournant les
regards vers la bonne foi, vers l’équité et vers l’usage, l’invite – le juge – à fouiller le
fonds contractuel pour y découvrir des obligations nouvelles susceptibles de varier et de
se multiplier au cours des âges sous la pression des phénomènes individuels, économi-
ques ou sociaux » 70.

B. — Les éléments constitutifs de la coopération contractuelle

Juridiquement, les éléments constitutifs d’une obligation s’entendent comme les


données de base dont la réunion permet seule d’en reconnaître l’existence ou l’exécution
(a). Ce sont les « composantes essentielles », les « conditions nécessaires et suffi-
santes de son existence ou de son exécution » 71. Il nous paraît toutefois loisible d’ana-
lyser aussi les éléments constitutifs du devoir de coopération dans leur dynamisme et
donc de façon casuistique à travers les décisions judiciaires 72 plutôt que de les saisir uni-
quement de façon abstraite ou théorique (b).

a. Les éléments de reconnaissance du devoir de coopération.


Il résulte du développement qui précède que le devoir de coopération est une règle
générale de comportement destinée à inspirer dans les relations contractuelles des

67 Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, Paris, 1928, I, p. 700.
68 Par exemple, l’article 1134 al. 3 c. civ., avant de recevoir l’application qu’il a
aujourd’hui, n’édictait qu’un simple devoir, celui d’exécuter le contrat de bonne foi. Avec le
déséquilibre du contrat ou l’inégalité entre les parties, la jurisprudence a utilisé la notion de
bonne foi comme moyen d’adapter le droit au progrès technologique, à la professionnalisa-
tion du contrat et au bouleversement des circonstances qui entourent le contrat. Elle a surtout
perçu cette notion comme un moyen de moraliser les rapports contractuels. Et c’est ainsi
qu’elle a pu créer à travers la notion de bonne foi plusieurs obligations juridiques liées au
comportement ou à l’activité des parties.
69 Civ. 1re. 17 janv. 1995, Bull. I. n° 43 ; D. 1995, 351 note P. Jourdain ; Civ. 1re,
2 fév. 1994, Bull. I n° 44 ; Gaz. pal. 1994- 2 Pan. 131 ; Paris, 21 mars 1995, RJDA,
1995, n° 840 ; Civ. 1re, 20 juin 1995, JCP, 1996 E. I. 523 n°12 obs. D. Manguy ;
D. 1995 IR 200. Com. 13 juin 1995, RJDA, 1995, n°1347 ; Civ. 1re, 21 fév.1995, Bull. I
n° 94.
70 Josserand, « L’essor moderne du concept contractuel », Recueil d’études sur les sources
du droit en l’honneur de F. Gény, 1934, II ,p. 340.
71 Cf. Vocabulaire juridique de l’association H. Capitant, sous la direction de G. Cornu,
PUF 1987, p. 299.
72 Car, s’agissant d’une obligation implicite son existence est toujours virtuelle et ne
surgit généralement qu’au moment de son exécution, ou lorsque cette exécution fait défaut et
que le juge est appelé à établir les responsabilités et à appliquer la sanction adéquate.

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272 ÉTUDES

solutions plus adaptées aux exigences économiques ou sociales73. En tant que tel, il a
un domaine pratiquement indéfini à l’intérieur duquel existent diverses obligations ayant
elles aussi pour finalité de réguler les rapports juridiques en fonction des besoins
exprimés par les faits 74.
Il en résulte que le devoir de coopération recouvre diverses obligations dont la liste
est inépuisable 75, mais qui se caractérisent toutes par un certain nombre de critères
cumulatifs 76 ou simplement alternatifs 77 dans certains cas. Rappelons à ce titre que
certains contrats, comme le contrat de société, sont traditionnellement présentés comme
le prototype de « contrat de collaboration », parce qu’ils se caractérisent par la solidarité
entre les parties (1), la convergence de leurs intérêts (2) et par la réciprocité de leurs
obligations (3). Nous allons donc examiner ces critères de reconnaissance de la coopéra-
tion contractuelle.

1. La solidarité des contractants


S’agissant d’un élément caractéristique du devoir de coopération, la solidarité 78
traduit l’idée d’un devoir moral d’assistance mutuelle, d’entraide entre les parties ou d’un
devoir de participer à l’œuvre commune. Elle est également définie comme le devoir de
tenir compte des intérêts du cocontractant ou de se mettre à sa place dans l’exécution des
engagements souscrits ou dans l’exercice des droits nés du contrat. En tant que « Dépen-
dance mutuelle, la solidarité suppose, ou assure, la prise en charge, par l’un, de tout ou
partie des intérêts de l’autre, et par l’autre de tout ou partie des intérêts de l’un » 79.

73 Voir S. Jarvin, « L’obligation de coopération de bonne foi…», in L’apport de la juris-


prudence arbitrale. Dossier de l’Institut du Droit et des Pratiques des Affaires Internationales,
1986, p. 168.
74 Certains auteurs rattachent à juste titre au devoir de coopération, l’obligation de rensei-
gnement qui parfois incombe à l’un des contractants en raison du fait que cette obligation tra-
duit la solidarité que l’un doit témoigner à l’égard de son cocontractant en partageant avec lui
les connaissances qu’il détient (Voir Weill et Terré, Droit Civil. Les obligations n °   3 5   ;
Starck, Les obligations, 2e vol. par H. Roland et L. Boyer ; Y. Picod, Le devoir de loyauté
dans l’exécution du contrat, Thèse Dijon 1987, p. 101 et s.)
75 V. pour quelques exemples, les très nombreuses obligations étudiées par les profes-
seurs Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, op. cit., pp. 454-470, spéc. n° 1711 à 1755.
76 Voir dans ce sens, A. Rieg, Contrats et obligations, J.-Cl., Fasc. 11, art. 1134 et
1135, p. 24, n° 101.
77 La jurisprudence découvre ou impose le devoir des parties de coopérer dans plusieurs
conventions du fait de l’existence dans celles-ci d’un ou plusieurs de ces trois critères.
78 C’est de lui qu’il s’agit lorsque la Cour de cassation exige que le vendeur d’un matériel
doit s’informer des besoins de son acheteur, informer celui-ci sur les contraintes techniques de
la chose vendue, l’aider à définir ses besoins en informatique et adapter le matériel vendu à ces
besoins (Cass. Com. 1er déc. 1992, Société Vitadresse, La vie judiciaire du 21 au 27 juin
1993, p. 8, n° 009056). C’est le même devoir qui est exigé lorsque le professionnel doit te-
nir compte de l’ignorance de son cocontractant, de sa faiblesse, de son absence de compétence
(CA Paris 22 avril 1980, Juris-data n° 433 ; Com. 28 octobre 1986, Bull. civ. IV, n° 195.)
ou lorsque la jurisprudence oblige le fournisseur à connaître préalablement les besoins de l’a-
cheteur (CA Toulouse 5 déc. 1979, Expertise, 1980, p. 3) et d’adapter les logiciels fournis
aux besoins personnels du client (TGI Melun 2 mars 1988, Soc. OCI et FI, Revue Marchés
publics, n° 245, oct. nov. 1989).
79 Th. Revet, « L’éthique des contrats en droit interne », in L’éthique des affaires : de
l’éthique de l’entrepreneur au droit des affaires, Actes de colloque organisé les 4 & 5 juillet

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 273

Matériellement, elle se définit donc par l’entraide, la « fraternité contractuelle » et


par l’interdépendance entre les parties. Cette solidarité peut résulter de la modification de
l’environnement du contrat. La doctrine soutient que «… le débiteur – au cas où des cir-
constances imprévues viennent modifier les conditions dans lesquelles le contrat doit
s’exécuter – doit agir au mieux des intérêts du créancier et rendre compte à ce dernier de
toutes les initiatives qu’il met en œuvre » 80. Ainsi, dans le cadre de la solidarité instal-
lée entre les parties par la coopération contractuelle, compte doit être tenu de la situation
réelle dans laquelle se déroulent les rapports entre celles-ci. De plus, chaque contractant
doit participer à la satisfaction des besoins de l’autre, répondre à son attente légitime, si
nécessaire en adoptant une attitude conciliante et bienveillante 81.
Juridiquement, cette solidarité est inhérente soit à la nature de certains types de
contrats 82 soit aux caractéristiques particulières des rapports entre les contractants 83.
Parfois aussi, elle est envisagée par les contractants eux-mêmes comme devant être une
norme de comportement ayant force de loi 84 dans l’exécution des obligations ou dans
l’exercice des droits nés du contrat. Dans chacune de ces deux hypothèses, la solidarité
est érigée en disposition expresse du contrat et, donc, est juridiquement sanctionnée en
tant que telle. Par contre, très souvent cette solidarité n’est pas formellement imposée
dans le contrat. La jurisprudence déduit son existence de l’importance des relations de
proximité ou d’intimité qui existent entre les parties 85.
L’évolution du droit positif a rendu cette solidarité automatique dans les rapports
entre un professionnel et un profane. Ainsi, le banquier doit participer à l’information de
la caution dans les délais requis afin d’aider cette dernière à exécuter convenablement les
__________
1996 à Aix-en-Provence, Librairie de l’Université « Éthique et déontologie », 1997,
p. 218, n° 14.
80 Mazeaud et Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, Tome I,
n° 704 et s.
81 Toutefois, il est important que cette solidarité n’entraîne pas automatiquement une
modification du contrat, ce qui de façon regrettable affecterait la sécurité des transactions,
alors que le but est de soumettre le contrat aux exigences de la pratique des affaires et donc à
l’indispensable coopération des contractants. Car, « toute transaction commerciale est
fondée sur l’équilibre des prestations réciproques et que nier le principe reviendrait à faire du
contrat commercial un contrat aléatoire, fondé sur la spéculation ou le hasard. C’est une règle
de la lex mercatoria que les prestations restent équilibrées sur le plan financier… les contrats
doivent s’interpréter de bonne foi, chaque partie ayant l’obligation d’avoir à l’égard de l’autre
un comportement qui ne puisse lui nuire » (CCI, affaire n° 2291, 1976, Clunet, 1976, 989).
82 C’est le cas de la solidarité imposée par la loi aux codébiteurs d’une même obligation et
que l’on rencontre dans les sociétés de personnes entre associés, dans le mandat, etc.
83 Voir la solidarité entre le débiteur principal et la caution ; Voir également les articles
L. 122-15 et L. 122-14-8 du code de travail.
84 Sur la clause de solidarité entre cédant et cessionnaire voir Cass. civ. 3e, 15 janv.
1992, Gaz. Pal. du 12/12/1992.
85 Rappelons l’intéressante sentence de la C.C.I. qui souligne en effet la nécessité de
cette solidarité en affirmant que les parties « devraient être parfaitement conscientes que seule
une collaboration loyale, totale et constante entre elles pouvait éventuellement permettre de
résoudre, au-delà des difficultés inhérentes à l’exécution de tout contrat, les nombreux pro-
blèmes résultant de l’extrême complexité dans la formulation et l’enchevêtrement des enga-
gements litigieux… » (Sentence n° 2443, JDI, 1976, p. 991 ; Voir également M. De
Boisseson, Le droit français de l’arbitrage interne et international, GLN Éditions, 1990,
p. 637).

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274 ÉTUDES

obligations prises envers lui 86. De même le vendeur du matériel et des logiciels doit
participer à l’étude et à la réalisation du projet avec l’acquéreur, vérifier les conditions
d’utilisation de ceux-ci par rapport au système préconisé 87. La jurisprudence a parfois
poussé plus loin cette exigence de la solidarité du contractant en allant jusqu’à instituer
une sorte d’obligation d’immixtion du débiteur dans les affaires de son créancier. Elle
exige souvent que le professionnel doit mettre en garde son client, le dissuader d’agir
comme il entend en sa qualité de professionnel 88, l’inciter à garder son ancien système
pendant le démarrage 89.
Ainsi, la solidarité conduit les contractants à travailler ensemble dans un but com-
mun, à poursuivre des objectifs convergents, à faciliter ou à participer à l’activité de
l’autre. En effet, dans les contrats exigeant un minimum de coopération, les obligations
de l’une des parties ne peuvent être convenablement exécutées sans la participation de
l’autre tout comme l’exercice par l’un des contractants de ses droits doit tenir compte de
l’intérêt du partenaire. La solidarité est ainsi devenue une unité de mesure de la coopéra-
tion dans le contrat 90. Comme le souligne à juste titre un auteur « il résulte de l’inter-
dépendance et du caractère fonctionnel des obligations accessoires qui gravitent autour des
deux obligations principales qu’un devoir général de coopération incombe aux par-
ties » 91.
En définitive, issue du mot latin « cumlaborare » la collaboration est le rappel d’un
comportement solidaire attendu des contractants. Elle trouve son expression dans la créa-
tion par le juge ou par la pratique d’un devoir général permettant un retour au principe
traditionnel qui fait du contrat la chose de deux parties qui se font mutuellement
confiance 92.

2. L’ajustement des intérêts des parties


Autre élément de distinction des obligations de coopération, l’ajustement des intérêts
des parties se traduit par la tendance à favoriser leur rencontre harmonieuse, par addition
et non par soustraction, du fait de la complémentarité qui existe entre eux 93. Cet ajuste-

86 Cass. Com. 22 juin 1993, La vie judiciaire du 6-12 déc.1993, p. 8.


87 CA. Paris, 17 sept. 1993, La vie judiciaire du 6-12 déc. 1993, p. 9, n° 11118.
88 Civ. 3e, 7 mars 1968, Bull. III, n° 97 ; Civ. 1er, 8 mars 1978, Bull. I, n° 94 ; Civ.
3e, 24 mars 1982, Bull. III, n° 81 ; Voir Jean-Jacques Sarfati, « Le devoir de conseil de l’en-
trepreneur », La vie judiciaire 10-16 août 1987, p. 11 à 15.
89 Paris, 11 fév. 1984, Expertises, 1984 ; J.-R. Bonneau, La pratique informatique, éd.
Usines Nouvelles 1984, p. 49 ; Ph. Le Tourneau, « Quelques aspects des responsabilités pro-
fessionnelles », Gaz. Pal. 1986-2, doct., p. 617.
90 Assurément, il ne s’agit pas de remettre en cause l’esprit traditionnel de la relation
contractuelle définie comme moyen juridique manifestant la rencontre d’intérêts. Il s’agit uni-
quement d’amener, par ce devoir de solidarité, chaque contractant à adopter une attitude telle
qu’elle permette au cocontractant de mieux apprécier le contenu et la portée de son engage-
ment.
91 Panayotis Glavinis, Le contrat international de construction, GLN Joly éditions,
1993, p. 113, n° 161.
92 Cf. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1723, nouv. éd., chap. V, 5e règle,
p. 7.
93 Voir ce qui a été déjà dit à ce propos dans l’introduction.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 275

ment suppose de la part de chaque partie un acte positif au profit des deux ou de l’autre
essentiellement.
Ainsi, « le concessionnaire qui a fait preuve d’un manque de dynamisme en refusant
de signer d’emblée le contrat d’agence croisée qu’on lui proposait » ne peut reprocher à
son cocontractant d’avoir fusionné avec une autre marque concurrente et provoqué ainsi
la cessation de son activité 94. Par ailleurs, faute d’avoir pris en compte les intérêts de
son cocontractant, le concédant qui autorise un concurrent à transférer ses installations à
côté de celles d’un autre concessionnaire créant ainsi de nouvelles conditions de concur-
rence préjudiciables à son cocontractant, manque à son devoir de coopération envers ce
dernier 95.
Sans doute, prendre en compte l’intérêt du cocontractant justifie également l’obliga-
tion de sécurité du médecin envers son patient 96, du fabricant ou du vendeur de produits
dangereux 97, et du transporteur 98. De même, l’intérêt des clients d’une clinique met à
la charge de cette dernière une obligation de veiller à l’entretien régulier et au bon
fonctionnement du matériel qu’elle met à la disposition des praticiens. Cette clinique a
également « une obligation de vigilance accrue » du fait de l’ancienneté de l’appareillage
99.
C’est donc à tort, soulignons-le de nouveau, que le contrat est traditionnellement pré-
senté comme le siège d’une lutte d’intérêts 100. C’est également à tort que certains
auteurs en ont déduit qu’un acte juridique pour être compatible avec le concept de contrat
ne devrait pas faire apparaître la rencontre des intérêts respectifs des parties comme
réalisant un intérêt identique ou commun, ou présentant une certaine complémenta-
rité 101. Par conséquent, le conflit d’intérêts dans les transactions, plutôt que de caracté-
riser le contrat, représente au contraire une ignorance, voire une atteinte délibérée ou non
aux intérêts du partenaire 102. À la limite, considérer le contrat comme l’expression juri-
dique d’un conflit d’intérêts, c’est méconnaître le rôle fédérateur qu’assure le contrat entre
les intérêts respectifs des parties.

94 Cass. com. 9 mai 1990, Juris-data n° 1474.


95 Cass. com. 19 déc. 1989, Juris-data n° 4021 ; Voir également Cass. soc. 5   f é v .
1975, Bull. civ. V, n° 49.
96 Civ. 2e, 10 janv.1990 : Pourvoi n° 87-13-193 ; Civ. 1re, 11 déc. 1984, Bull. civ.
I, n° 332 ; Civ. 1re, 12 nov. 1985, Bull. civ. I, n° 297.
97 Civ. 1re, 11 oct. 1983, Bull. civ. I, n° 228 ; RTD civ., 1984, p. 731, obs. Huet.
98 Civ. 21 nov. 1911, S. 1912 I-73, note Lyon-Caen ; Voir également Besançon,
31 mai 1994, Juris-data, n° 043882.
99 Paris, 1re ch. B. 30 nov. 1989, Juris-data n° 027547.
100 Cf. J. Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e éd.,
LGDJ, 1995, p. 307 et s. Également Marty et Raynaud, Droit civil, T. I, n° 105, p .   1 0 0   ;
G. Rouhette, Contribution à l’étude critique, Thèse Paris, n° 95, p. 356 ; R. Demogue,
Traité des obligations en général, T. 1 1923, n° 16, p. 34-35.
101 Certes, nombre de contrats réalisent souvent un compromis fort déséquilibré dans la
sauvegarde ou la satisfaction des intérêts des parties, heurtant parfois la plus élémentaire
conception de l’équité. Mais de là à soutenir que le contrat ne peut présenter pour les deux par-
ties des intérêts comparables, identiques ou convergents, il y a un pas que la pratique et l’évo-
lution actuelle de la jurisprudence ne permettent pas de franchir.
102 M. Gendre-Devoivre, Collaboration et assistance entre parties au contrat, Thèse
Clermont, I-1981, p. 3.

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276 ÉTUDES

Il ne faut pas en effet ignorer que la réalité du contrat ne se résume pas uniquement à
l’échange du consentement. Elle implique aussi, et surtout, une rencontre d’espoir et de
confiance réciproques entre les parties dans la mesure où chacune espère obtenir de l’autre
la satisfaction de ses besoins. En ce sens, les auteurs précisent que le contrat est un
« lieu de concession, d’arrangement et d’entente en vue de la convergence, de la concilia-
tion et de l’équilibre des intérêts différents, voire opposés, qui sont en présence. Si les
parties sont liées, c’est que le contrat qu’elles concluent sauvegarde les intérêts de cha-
cune d’elles. On ne conçoit pas, en effet, qu’un homme raisonnable, consente à un enga-
gement qui serait contraire à son intérêt » 103. Les mêmes auteurs en concluent, avec
raison que : « Le postulat est que les contractants ne contracteraient pas s’ils n’y décou-
vraient un avantage commun ». En d’autres termes, les parties n’arriveraient jamais à un
accord si leurs intérêts respectifs n’avaient aucune chance de se fédérer, de se regrouper
sous une même « autorité » que représente le contrat et qui est naturellement conçu
pour être l’instrument de transformation de leurs besoins en satisfaction attendue par
chacune d’elles. Ce n’est donc pas au niveau de la nature de ces besoins, qui peuvent être
différents voire opposés, qu’il faut chercher à comprendre la réalité du contrat ou sa fai-
sabilité. C’est au contraire, au niveau des objectifs poursuivis par chacune des parties
qu’il est possible d’apprécier le sens des rapports qui existent réellement entre leurs inté-
rêts respectifs.
Ainsi, instrument d’harmonisation des intérêts opposés, différents ou convergents, le
contrat peut et doit en principe permettre aussi une fédération de ceux-ci proche de
l’union parce que les parties poursuivent un intérêt contractuel commun, parce que leurs
intérêts sont identiques ou comparables, du moins complémentaires. Il en résulte que le
degré de fédération des intérêts des parties permet de distinguer « les contrats d’intérêts
communs » 104 de ceux pour lesquels les intérêts des parties sont différents ou simple-
ment convergents. Cette distinction a le mérite de dissiper les confusions et les critiques
qui se sont soulevés à propos de la notion d’intérêt commun. Elle a aussi le mérite de
mettre en évidence la complémentarité entre les obligations implicites et explicites de
coopération dans un même contrat.
En effet, faute d’avoir perçu l’importance d’une telle distinction, un auteur 105 avait,
à tort, exclu la qualification d’intérêt commun à un contrat de concession en soutenant
que loin d’être commun, les intérêts du concédant et du concessionnaire sont en réalité
parfaitement divergents. Il devait avec ironie conclure qu’à la limite tous les contrats
commerciaux sont conclus dans l’intérêt commun des parties, dans la mesure où cet
intérêt réside, en définitive, dans le profit que l’une et l’autre des parties comptent en
retirer. Cette critique de la notion d’intérêt commun doublée d’une confusion entre cette
dernière et les cas où les intérêts bien que différents sont toutefois convergents était
d’autant plus inquiétante que l’on la retrouve exprimée avec une certaine ironie à propos
d’un contrat de concession, dans un jugement du tribunal de commerce de Paris 106.

103 A. Weill et F. Terré, Droit civil, Précis Dalloz op. cit., n° 52, p. 49.
104 Depuis la loi Doubin, la catégorie des « contrats d’intérêt commun » n’est plus discu-
tée.
105 T. Buhagiar, « Doit-on créer un statut légal des concessionnaires de vente ?», JCP,
1975, éd. CI-II, 11636, n° 2 et 6.
106 Le tribunal se demande pourquoi ne pas dire aussi que le contrat conclu entre le boulan-
ger et son client constitue un contrat d’intérêt commun ? Cf. Trib. Com. Paris, 20 juin 1979,

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 277

Cette regrettable confusion risquait de faire perdre à la notion « d’intérêt commun »


toute signification juridique propre. Et pourtant la pratique des contrats de concession
dont il était question établissait clairement, comme l’a observé un auteur que « L’intérêt
commun apparaît dès lors qu’il existe une convergence d’intérêts entre les parties » ;
que « L’intérêt commun est la rencontre heureuse de deux égoïsmes » 107 qui, sommes-
nous certains, ne sont pas forcément rivaux.
À la vérité, cette affirmation est un peu exagérée. Car, la convergence d’intérêts
c’est-à-dire le fait que les intérêts respectifs des parties se dirigent vers un même point de
rencontre ne suffit pas pour qualifier leur accord éventuel de « contrat d’intérêt
commun ». Pour réaliser « l’intérêt commun », cette convergence doit en plus de la
rencontre aboutir à l’union 108, à la fusion des objectifs poursuivis par les parties autour
d’un même but. C’est pourquoi, la loi ne qualifie un contrat d’intérêt commun que par
rapport à sa nature – exemple du mandat d’intérêt commun – ou à son objet 109.
À notre avis, en dehors de ces hypothèses, il s’agit simplement d’intérêts conver-
gents, semblables qui ne se confondent pas au point d’en faire qu’un. Dans cette
deuxième catégorie de contrat, chaque partie poursuit son intérêt propre, mais cette
recherche ne se réalise pas forcément au détriment de l’autre. Il en est ainsi parce que la
convergence des intérêts des parties ne se réalise pas au niveau de leurs besoins respectifs
– généralement opposés – mais à un niveau supérieur, celui de la motivation de l’effort
fourni pour satisfaire ces besoins.
La satisfaction des besoins constitue ainsi l’objectif commun vers lequel converge
l’intention commune des parties et qui finalement permet la rencontre de leurs volontés.
La formation du contrat se fait alors parce que chacune des parties trouve en l’autre un
moyen d’atteindre son objectif propre. En cela, la fédération des intérêts des parties est
un gage de leur collaboration en ce sens qu’elle érige au plan juridique leur devoir moral
de respecter et de tenir compte des intérêts du partenaire.

3. La réciprocité de la coopération
Se traduisant par des normes de moralisation et de correction du comportement des
parties contractantes, la coopération contractuelle est forcément bilatérale. Cette récipro-
cité est soulignée par divers auteurs et admise par la jurisprudence tant au niveau général
du devoir de coopération qu’en ce qui concerne toute exigence de comportement adéquate
dans les transactions. Il a été ainsi jugé que le contrat de traduction comporte un devoir
de coopération entre le traducteur et le client en raison de la réciprocité de leurs obliga-
tions implicites. En effet, le traducteur doit rendre compte à son client des difficultés

__________
cité par Andrée Brunet, « Clientèle commune et contrat d’intérêt commun », Études dédiées à
Alex Weill, p. 88 ; et par Buhagiar, JCP, 1981-I-3015, n° 22 ; Voir également D. Ferrie,
« L’intérêt commun dans les contrats de concession », Cah. dr. entr. 1979/6, p. 16.
107 T. Hassler, RTD Com., 1984, p. 585.
108 L’intérêt commun suppose une union des efforts des parties contractantes, un devoir
de collaboration, aboutissant à un résultat dont chaque contractant pourra bénéficier.
109 Avant d’être étendu au cours du XXe siècle à d’autres contrats, la notion d’intérêt com-
mun trouve son origine dans le contrat de société et le mandat d’intérêt commun. Cf. E. Colin
et B. Morin, Lexique de droit civil, contrats – responsabilité. Hachette, 1993, p. 90.

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278 ÉTUDES

rencontrées, tandis que ce dernier a un devoir de contrôle vis-à-vis de son cocontrac-


tant 110.
La jurisprudence a également décidé que la mise en place d’un système informatique
nécessite un effort de solidarité et une réciprocité d’engagements entre les parties concer-
nées. C’est pourquoi, elle exige de celles-ci un devoir particulier de coopération impli-
quant, pour le fournisseur, l’obligation d’aider le client à définir ses besoins, de les lui
traduire en langage clair 111, et pour le client, le devoir de poursuivre la collaboration
entreprise, de maintenir le dialogue à tout moment nécessaire 112. En effet, précise le
professeur Bénabent, « pour le débiteur, il s’agit de ne pas chercher à louvoyer avec…
ses obligations ou à s’y dérober ; pour le créancier, il s’agira de ne pas chercher à ex-
ploiter abusivement sa situation et ses avantages » 113. Dans le même sens, on soutient
que « toute personne qui cherche à s’assurer, et pour cela verse des primes, veut avoir en
échange un produit efficace. Ayant le devoir absolu de ne pas tromper son cocontractant,
elle a le droit vis-à-vis de l’assureur de ne pas être trompée » 114. Il faut préciser que ce
devoir de coopération a pour effet de créer à la charge de chacune des parties des obliga-
tions ou normes de comportement qui sont autant de droits (créances) au profit de l’autre.
Dans les contrats synallagmatiques ces « deux aspects – créance et dette – sont indisso-
ciables : ce qui est une créance pour l’un est une dette pour l’autre » 115.
Par ailleurs, certains auteurs déclarent que « l’obligation de coopération n’emporte
aucune concession particulière. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit à sens
unique. En effet, si le débiteur doit répondre à la confiance de son créancier en offrant le
maximum d’efficacité possible, le créancier peut – et plus précisément doit – être utile à
son débiteur, en dehors de toute défaillance de ce dernier, en lui facilitant l’exécution de
ses obligations » 116. D’autres considèrent à juste titre la réciprocité comme une parti-
cularité du devoir de coopération. Le professeur J. Mestre, après avoir souligné les bases
juridiques d’un devoir autonome de coopération en pleine confirmation tant dans la pra-
tique qu’en jurisprudence, conclut : « La leçon de ces arrêts est double : d’une part il est
question d’aide, de collaboration, de dialogue, d’autre part, cette attitude de coopération
est attendue tant du professionnel que du profane… Bref, les ferments de l’évolution sont
ainsi réunis, et l’espoir peut être raisonnablement entretenu : au souci contemporain
d’équilibre contractuel, justifiant une intervention unilatérale de rééquilibrage au profit de
la partie considérée comme en situation d’infériorité, pourrait bien, demain, se substituer
un esprit de collaboration, plus riche parce que naturellement bilatéral » 117. Il convient
toute fois de préciser que la réciprocité du devoir de coopération bien que différente de la

110 Paris, 8e ch. Sect. A 28 novembre 1983, Juris-data n° 25847


111 Paris, 18 juin 1984, RTD Civ. , 1986, p. 100, n° 2, obs. J. Mestre.
112 Paris, 26 juin 1985, RTD Civ. , 1986, p. 100, n° 2, obs. J. Mestre ; Cass. civ. I
9 déc. 1975, JCP, 1977-II-28588, 1re espèce, note Malinvaud.
113 A. Bénabent, « La bonne foi », Rapport français in Trav. Association H. Capitant,
Tome XLIII, 1992, p. 293.
114 Yves Jouhaud, « La loyauté dans les contrats d’assurance », Rapp. de la Cour de cassa-
tion, 1985, p. 9 et s.
115 Gabriel Guéry, Pratique du droit des affaires, Dunod 1994, 6e éd., p. 149 et s.
116 Yves Picod, « L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat », JCP, 1988-
I-3318, n° 2.
117 J. Mestre, « D’une exigence de la bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ. ,
1985, p. 102.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 279

réciprocité des obligations expresses dans les contrats synallagmatiques n’est pas tou-
jours indépendante de celle-ci 118.
En somme, la réciprocité de la coopération est, au même titre que la solidarité et la
fédération des intérêts des contractants, une caractéristique du devoir de coopération.
Ainsi, aussi vrai que « l’idée de confiance est inhérente à la notion de contrat sous
quelque angle qu’on l’envisage et d’abord sous celui du temps » et que « Le contrat est,
en effet un instrument de crédit » 119, la coopération contractuelle se traduit naturelle-
ment, avec nuance et degré suivant l’obligation considérée, par l’exigence de solidarité
entre les contractants, par la communauté de but ou la coordination de leurs intérêts et
par la réciprocité de ce devoir.

b. Les éléments d’appréciation ou de sanction du devoir de coopération.


Dans son appréciation par le juge, la coopération exigée des partenaires impliqués
dans un rapport contractuel est structurée autour de deux éléments : un élément inten-
tionnel, psychologique ou subjectif (1) essentiellement dirigé vers le débiteur de l’obli-
gation et un élément objectif ou matériel constitué par un acte bienveillant (2) que doit
accomplir le débiteur de l’obligation de coopération.

1. L’attitude psychologique du débiteur de la coopération


L’intention est habituellement définie comme étant la résolution intime d’agir dans
un certain sens. C’est une donnée psychologique, c’est-à-dire relevant de la volonté inté-
rieure qui, en fonction du but qui la qualifie, est souvent retenue soit comme élément
constitutif d’un acte – ou d’un fait juridique 120, soit comme critère d’appréciation de sa
licéité (ex. : cause impulsive et déterminante, intention immorale) 121.
Par rapport au devoir de coopération, l’intention est, tantôt, considérée en jurispru-
dence comme le mobile ou la raison qui a poussé une partie à commettre un acte déloyal
ou malveillant à l’égard de son partenaire, tantôt, elle est perçue comme le but à
atteindre, un idéal de justice contractuelle vers lequel le juge cherche à orienter le
comportement des parties. Cette idée directrice se dégage clairement des décisions dans
lesquelles le juge condamne l’absence d’intention de rendre service, de faciliter la tâche,
d’aider ou d’assister le cocontractant dans l’exécution de ses obligations. En effet, dans la
sanction du défaut de coopération, la prise en compte de l’intention dans la démarche du
juge permet d’établir la nuisance, élément aggravant la responsabilité de son auteur et
renforçant la sanction normalement encourue par ce dernier 122.
Cette intention de nuire est largement retenue en jurisprudence et soulignée par la
doctrine, notamment lorsqu’il s’agit de réprimer tout acte dolosif, déloyal ou frauduleux.
Josserand précisait par exemple à cet effet que : « il n’est pas indispensable que le dol
revête un caractère positif ; il peut être constitué par des réticences frauduleuses, des dis-

118 Il est évident que la réciprocité du devoir implicite de coopération ne peut donner lieu
à certains effets particuliers, tels que l’exception d’inexécution ou la résolution du contrat, et
qui sont pourtant caractéristiques de la réciprocité des obligations expresses dans les contrats
synallagmatiques.
119 A. Chirez, De la confiance en droit contractuel, Thèse, Nice 1977, p. 14, n° 9.
120 Ex. l’intention frauduleuse, l’intention de nuire, l’intention de rendre service, etc.
121 On rejoint ici la notion de cause illicite, condition de validité du contrat.
122 Voir par exemple, Com. 28 mai 1991, Bull. civ. IV, n° 193, p. 137.

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280 ÉTUDES

simulations coupables. Encore que négatif, il est susceptible de vicier le consentement,


mais seulement s’il présente un caractère répréhensible, s’il est contraire à la morale ju-
ridique » 123.
Toujours dans la mise en œuvre du devoir de coopération, l’intention est aussi et sur-
tout, retenue pour sanctionner une faute, celle du contractant qui a gardé silence, qui s’est
abstenu de conseiller ou d’assister son partenaire alors qu’il avait le devoir de le faire,
soit en vertu d’un texte de loi 124, soit à raison des circonstances de la cause ou de la
nature du contrat, lorsque celui-ci implique chez les parties des rapports de confiance réci-
proque 125. Il est donc certain qu’en pratique la recherche de l’intention de coopérer
« permet de faire la répartition entre l’inexactitude et l’insincérité, entre l’erreur excu-
sable et le mensonge punissable et conduit par-là même à une certaine restriction de la
prévention » 126. Demogue disait lui aussi : « Bien qu’il y ait une tendance générale du
droit à traiter aujourd’hui, de la même façon les actes nuisibles à autrui qu’ils résultent
d’une imprudence, d’une légèreté ou d’une intention mauvaise, il faut constater que dans
l’ensemble des différences importantes séparent encore le dol des simples imprudences »
127. Ces différences s’expliquent essentiellement par l’intention de nuire qui caractérise
le dol et qui par conséquent fait obstacle à la coopération contractuelle.
À coup sûr, la jurisprudence sanctionne avec rigueur la tromperie, évidemment parce
qu’elle est indissociable de la volonté de méconnaître les intérêts de l’autre. Ainsi, en
tant que moyen de protection de l’un des contractants contre la malveillance de l’autre, le
devoir de coopération poursuit indéniablement le même but – la moralisation des rap-
ports contractuels – que les notions qui lui sont voisines et parfois, reprend pour son
compte leur domaine ou leur élément psychologique. Dans ce sens, la jurisprudence
considère que cette volonté de nuire, constitutive du défaut de coopération, existe dès lors
qu’il y a fraude 128, abus de droit 129, dol 130 ou faute lourde 131 et surtout mauvaise
foi. Sur le plan technique, l’intérêt de cet élément intentionnel se déduit de la démarche
psychologique observée dans plusieurs décisions et qui consiste, pour le juge, à
s’intéresser d’avantage et de façon directe à l’attitude manifestée par l’une des parties dans

123 Cours de droit civil français, Tome II, Théorie générale des obligations, Les princi-
paux contrats du droit civil, Recueil Sirey, 3e éd., 1939, n° 98, p. 55 ; Voir également Juris
sur la réticence dolosive.
124 Par exemple, voir les articles 1641 et s. sur les vices de la chose vendue ; article 1er
Loi Doubin du 31 décembre 1989 sur l’obligation d’information préalable ; l’article 15 de
la loi du 13 juillet 1930 sur le « devoir de parler » en matière d’assurances.
125 Civ. 17 fév. 1874, S. 1874-I-249, DP 1974-I-193 ; Req. 23 mai 1933, DP, 1933,
1, 143.
126 Gendre-Devoivre, Collaboration et assistance entre parties au contrat, op. cit. p. 9.
127 Les obligations en général, I, p. 552.
128 Com., 21 janv. 1997, Dr. Sociétés, 1997.55 obs. Th. Bonneau (fraude à propos de la
clause d’agrément) ; RTD Civ., 1997. 652 obs. J. Mestre ; Com. 27 juin 1989, D. 1990.
314 note J. Bonnard ; Bull. Joly 1989.815 note Ph. Le Cannu.
129 V. par exemple, Christine Lassalas, « Les critères de l’abus dans la rupture des rela-
tions contractuelles », Droit et Patrimoine, 1997, p. 61 et s. et la jurisprudence citée.
130 Civ. 1re, 10 juil.1995, D. 1997.J. 20, note Patrick Chauvel.
131 Nous avons déjà démontré que faute de base juridique, la jurisprudence et la doctrine se
sont fondées parfois sur ces notions pour condamner le défaut de collaboration d’une partie
vis-à-vis de son cocontractant.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 281

la formation ou l’exécution du contrat. Ici, la recherche de l’élément constitutif de la


coopération a alors pour base l’état intérieur du sujet que le juge apprécie au cas par cas.
L’attitude psychologique de l’une des parties devient donc l’instrument d’appréciation
de la conduite des contractants 132. Ainsi, « lorsque deux individus décident de se lier
tout en conservant une certaine latitude et en laissant la possibilité de revenir ultérieure-
ment sur l’engagement, ils le font en principe de bonne foi ». Mais, « si après coup,
l’un des contractants prétend faire jouer les réserves et les facultés de résiliation sans
motifs légitimes, il commet un abus dans l’usage de ses droits. Il détourne la réserve de
son sens, s’il s’en sert ensuite par malice ou par caprice » 133. Aussi, dans un arrêt
récent, la Cour d’appel de Pau a sanctionné avec fermeté l’attitude d’un employeur qui,
pour pousser son salarié à donner sa démission et ainsi n’avoir pas à le licencier, avait
supprimé sans préavis l’avantage accordé à ce dernier et consistant à le transporter
jusqu’au lieu de travail 134.
Traditionnellement, l’attitude de l’une des parties a, dans notre droit des contrats, une
conception « négative » : elle permet simplement de sanctionner lors de la formation (à
travers les vices du consentement) et de l’exécution du contrat (à travers « l’exécution de
bonne foi »), le comportement indigne manifesté par une des parties 135. En effet, le
législateur français n’a prévu aucun effet juridique pour récompenser une attitude dili-
gente et positive des parties au contrat, à l’instar des circonstances absolutoires ou atté-
nuantes que l’on rencontre en droit pénal. En revanche, la jurisprudence, à plusieurs
reprises, a tenu compte de l’attitude « honorable » de l’un des contractants, pour atté-
nuer la sanction normalement encourue par celui-ci, alors que d’habitude elle s’en sert
pour aggraver la responsabilité du débiteur indélicat.
Aujourd’hui, comme il convient de le souligner, la jurisprudence scrute l’intention
des contractants non seulement dans l’exécution de leurs obligations, mais aussi dans
l’exercice de leurs droits. De plus, l’intention qu’elle prend en compte pour exiger la co-
opération des parties est évidemment « l’intention de nuire à autrui ». Mais c’est aussi
celle de vouloir profiter au détriment de l’autre d’une situation ou d’une information. Par
exemple, en matière d’obligation d’information, on admet que le principal fondement de
cette obligation « réside dans l’inégalité d’information entre deux contractants » 136,
inégalité que l’une des parties cherche évidemment à exploiter à son seul profit et dans le
mépris de celui du partenaire. L’élément psychologique permet donc de pénétrer cette in-
égalité pour mieux comprendre l’état d’esprit du débiteur de l’obligation d’information
ou celui du créancier de celle-ci, selon son importance.

132 Orléans, 25 juin 1992, Juris-data, n° 022051 ; Dijon 20 déc. 1994, Juris-data,
n° 048163.
133 Celice, Des réserves et du non-vouloir dans les actes juridiques, LGDJ, 1968, n° 417.
134 Pau, 8 oct. 1993, Juris-data, n° 046142.
135 Cette conception du comportement négative des parties est largement prise en compte
par le législateur. En effet comme le souligne le Professeur Thierry Revet, « Les dispositions
classiques du code civil… condamnent tout comportement déloyal, en tant qu’il traduit un
manque de respect de l’autre, par le mensonge – prohibition du dol (art. 1116) – ou de la bruta-
lité – condamnation de la violence précontractuelle (art. 1111) – par le refus d’exécuter ce que
er
l’on a promis (art. 1134 al.1 ) ou par une exécution malhonnête – manquement à la bonne foi
contractuelle (art.1134 al. 3) ».
136 Muriel Fabre, op. cit. , 187, n° 240.

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282 ÉTUDES

Chez le débiteur, la recherche de l’intention conduit à se demander si celui-ci connais-


sait l’importance ou l’utilité de sa coopération, et plus précisément l’importance de l’in-
formation, du conseil ou de l’assistance attendus de lui par le partenaire 137. Du côté du
créancier, il est évident que s’il connaît ou est susceptible de connaître ce qu’il prétend
attendre (conseil, information…) de son débiteur, alors il n’y a plus lieu d’imposer à son
profit un devoir de coopération à la charge de son débiteur 138. Ainsi, élément
d’appréciation de la coopération contractuelle, l’intention est aussi de manière abstraite
un critère de détermination du contenu du contrat. Elle constitue pour le juge un moyen
de définir les suites de la convention et dont le sens et la portée dépendent du
comportement affiché par les parties ou l’une d’elles.
Toutefois, en matière de coopération, l’absence de l’élément intentionnel dans les cas
où il n’existe aucune intention de nuire ne constitue pas un obstacle, ni une cause abso-
lutoire de la responsabilité contractuelle du débiteur dès lors que sa défaillance est cer-
taine. Il reste tenu de son devoir de coopération lorsqu’il y a simple imprudence ou lors-
qu’il y a un manquement à son devoir sans intention dolosive 139.

2. L’acte positif ou comportement bienveillant


Dans le cadre du devoir de coopération, chaque partie au contrat doit adopter un com-
portement de nature à soutenir sa sincère volonté de fournir la prestation promise ou de
participer à la réalisation de ce qui est attendu de son cocontractant. Dans ses actes, elle
doit veiller aux intérêts de l’autre partie, s’abstenir au besoin d’y porter atteinte en évi-
tant par exemple toute brusquerie ou tout abus dans l’exercice de ses droits 140; peu im-
porte qu’ils soient légitimes et incontestés. La Cour de cassation a ainsi jugé que
« l’intérêt légitime de rompre reconnu à la clinique n’excluait pas que celle-ci pût être
tenue pour seule responsable de la rupture des relations contractuelles entre les par-
ties » 141 ; et condamné dans une autre espèce le comportement de l’agent immobilier
qui décide de rompre les pourparlers la veille de la signature de la promesse142.
Un comportement conséquent doit donc accompagner l’intention positive de chaque
contractant 143. Tel qu’il résulte de la tendance jurisprudentielle actuelle, ce comporte-
ment bienveillant 144 suppose à l’égard de ce dernier, d’une part, une obligation négative
de ne pas nuire au cocontractant et, d’autre part, une obligation positive d’aider le cocon-
tractant ou d’agir dans un sens favorable aux intérêts de ce dernier.

137 Starck, Droit civil, Obligations, t. 2, Contrat, Litec, 5e éd., 1995 par H. Roland et
L. Boyer, n° 289 et s., p. 120 et s. ; Civ. 1er, 8 avril 1986, Bull. civ. I, n° 82, p. 81.
138 En effet, pour avoir droit à la collaboration de son partenaire, le créancier doit être
dans le besoin. Ce besoin peut être déduit de son ignorance, de sa qualité professionnelle ou
des circonstances.
139 Aix-Provence, 11 déc. 1991, Juris-data, n° 050070.
140 Civ. 1er, 5 fév. 1985, Bull. civ. n° 34 ; 13 déc. 1994, Ibid. n° 372 ; 11 juin
1996, Ibid. n° 246. V. également, P. Chaumette, « Réflexions sur l’imputabilité de la rup-
ture du contrat de travail », D. 1986, Chron. 68.
141 Civ. 1re, 21 mai 1997, JCP, 1997 G IV 1456 ; JCP, 1998 I 113.
142 Civ. 1re, 6 janv. 1998, JCP, 1998 IV 1364.
143 Pour un exemple. récent de prise en compte du comportement d’un contractant par le
juge, voir Com. 11 fév. 1997, RTD civ., 1997 654 s. obs. J. Mestre.
144 Au sens du dictionnaire Micro-Robert qui définit « la bienveillance » comme l’atti-
tude ou le sentiment par lequel on veut du bien à quelqu’un.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 283

D’abord, l’obligation de ne pas nuire se traduit dans les rapports contractuels par
l’exigence de la sincérité dans la formation du contrat et de la bonne foi dans son exécu-
tion. Elle implique de façon générale le devoir pour chaque partie de s’abstenir de tout
dol 145, de tout acte ou attitude attentatoire aux intérêts de l’autre. Dans ce sens, la Cour
d’appel d’Orléans a condamné un employeur à réparer le préjudice moral d’un salarié qu’il
a licencié pour insuffisance professionnelle alors qu’il pouvait faire bénéficier le salarié
en question des avantages du licenciement économique qui était en cours et devait entraî-
ner la suppression de son poste 146. De même, doit être sanctionné le salarié qui profite
d’un congé sabbatique pour se mettre au compte d’une entreprise concurrente 147.
Autrement dit, « le débiteur ne doit rien faire qui empêcherait le créancier de retirer
l’avantage escompté ; le créancier ne doit rien faire qui rendrait l’exécution du contrat
plus lourde au débiteur » 148.
Le comportement bienveillant implique donc inéluctablement, en plus des obliga-
tions de loyauté ou de bonne foi, de sincérité ou d’honnêteté 149, une obligation de
prendre en compte l’intérêt de l’autre partie dans l’exécution du contrat. Allant dans ce
sens, un auteur souligne que cette exigence implique l’obligation « d’avoir un compor-
tent loyal qui regrouperait […] l’absence de mauvaise volonté, l’absence d’intention
malveillante et l’obligation d’agir avec loyauté dans le respect du droit et de la fidélité
aux engagements » 150. D’autres parlent plutôt d’obligation d’exécuter le contrat
conformément à l’intention des parties et au but en vue duquel le contrat a été formé 151.
Par conséquent, doit être condamné tout comportement qui consisterait à chercher à tirer
avantage d’une situation, à faire échec à certaines prévisions contractuelles, ou qui
conduirait à un certain déséquilibre des prestations. Par exemple, une des parties ne doit
pas chercher à exploiter à son profit la vulnérabilité de son cocontractant.
Ensuite, le comportement bienveillant est un comportement tourné vers l’extérieur,
vers le bien ou la situation du partenaire 152. Selon la jurisprudence il se traduit maté-
riellement par un acte ou une attitude qui tient compte des circonstances 153, des besoins

145 Voir Com. 18 oct. 1994, D. 1995 J 180 ; Soc. 5 oct. 1994, D. 1995 J 282 obs.
Mozas (Ph.) (Pour une conception causaliste du dol). V. également P. Guyot, « Dol et réti-
cence », Études Capitant,1939, p. 287. P. Bonassies, Le dol dans la conclusion des contrats,
Thèse Lille 1955. Y. Fabre, Essai sur la nature du dol dans la formation des contrats, Thèse
Toulouse 1941 ; M. Perrin , Le dol dans la formation des actes juridiques, Thèse Aix-en-
Provence 1967.
146 V. Orléans, 25 juin 1992, Juris-data, n° 022051.
147 Paris 18e ch. A, 22 nov. 1994, Juris-data, n° 023753.
148 Starck, Obligations, T. 2, Contrat, Litec, n° 1143, p. 470.
149 L’obligation d’honnêteté, par rapport aux autres obligations morales que la jurispru-
dence érige de plus en plus au plan juridique, est le moins usuel dans le vocabulaire juridique.
Mais il n’est pas rare que les juges l’imposent comme norme de conduite applicable aux
contractants. V. CA Paris, 21 nov. 1975, D. 1976 Somm. 50.
150 M. Fabre, op. cit. p. 42.
151 Aubry et Rau, Droit civil français, 6e éd. 1942, par Barin, T. IV, p. 346.
152 Cette exigence peut parfois dans ses effets s’étendre au-delà du cadre contractuel. Voir
Victor Haïm, « De l’information du patient à l’indemnisation de la victime par ricochet, ré-
flexions sur quelques questions d’actualité », D.1997 Chron.125.
153 Civ. 1re, 3 déc. 1996, Gaz. Pal., 22 juil. 1997, Somm. 39 note E. Boulanger ; Gaz.
Pal., 9 sept. 1997 Panor. 205.

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284 ÉTUDES

ou des considérations propres à l’autre partie 154. En effet, dans un arrêt ancien, la Cour
d’appel de Paris déclarait déjà qu’en plus des dispositions légales, la bonne foi, et par
extension le devoir de coopération ajoute un devoir d’honnêteté élémentaire de renseigner
le cocontractant sur tous les événements susceptibles de l’intéresser, sans avoir à lui
laisser le soin ou la chance de les découvrir dans les 140 pages d’un règlement de copro-
priété 155. Dans cette espèce, le comportement bienveillant a pris la forme d’une obliga-
tion de faciliter la tâche du cocontractant. Par ailleurs, et surtout, cette décision confirme
l’introduction en droit positif des contrats des concepts généraux à contenu indéfini, à
connotation moralisatrice, mais fortement imprégnés de l’idée d’agir positivement pour
autrui 156. Ainsi, dans une espèce, la Cour de cassation devra préciser que la clause
expresse d’appeler si possible les responsables de la société cliente qui incombe à la télé-
surveillance est « destinée à renforcer l’efficacité de la surveillance en provoquant la
venue immédiate desdits responsables et en leur permettant de prendre sans délai toutes
les dispositions utiles à la préservation de leurs biens » 157.
Désormais, tel que le révèle l’analyse de la jurisprudence, et à notre avis, les contrac-
tants doivent, à côté de l’exécution fidèle du contrat, accomplir des actes de collaboration
ou d’assistance, de conseil, d’information ou de renseignement, de sécurité ou de garantie
qui sont des actes orientés tous vers l’intérêt du partenaire ou vers l’intérêt contractuel
commu n158. Ces « nouvelles obligations » sont caractéristiques de l’évolution actuelle
du droit des contrats qui, de plus en plus, encourage une exécution du contrat tournée
vers sa finalité économique 159, et non plus simplement vers sa « légalité », sa confor-
mité ou sa fidélité à la parole donnée 160.
À titre d’exemple, un auteur démontre que l’assistance qu’implique le devoir de co-
opération « comme devant être portée à la situation ou à l’action d’autrui ne répond pas
à une finalité philosophique charitable. Il s’agit uniquement très souvent pour chaque
partie d’adopter un comportement ou d’apporter une diligence particulière de nature à
permettre à l’autre d’obtenir la satisfaction de ses propres intérêts à travers la réalisation
normale de l’objet du contrat » 161. Ainsi, l’obligation de coopération, plutôt que de
subir l’obstacle que peut constituer une interprétation du contrat limitée aux stipulations

154 CA Paris 4 oct. 1996, JCP, 1997-II-22811 note G. Paisant et Ph. Brun (obligation
de ponctualité de la SNCF). Paris 5 nov.1996, D. 1997 J 292 note Y. Dagorne-Labbé.
Versailles 31 mai 1996, D. 1997 J 229.
155 CA. Paris, 21 nov. 1975, D. 1976 Somm. 50.
156 V. également dans ce sens Paris, 5e Ch. C., 31 mai 1990, Juris-data, n° 022223 ;
Paris, 1re Ch. A, 1er fév.1993, Juris-data, n° 021660.
157 Civ. 1re, 2 déc. 1997, JCP, 1998 IV 1158.
158 Toutes ces obligations sont assez connues pour que nous insistions davantage sur
elles.
159 À titre indicatif, il convient de rappeler la jurisprudence sur « l’obligation d’assurer
l’efficacité juridique » de la convention ou de l’acte qui pèse sur les avocats, notaires, huis-
siers et agents immobiliers. V. civ. 1re, 25 nov. 1997, Juris-data, n°004655 ; JCP, 1998 IV
1052. — CA Montpellier, 1re Ch. D 29 janv. 1997, JCP, 1998 IV 1277. V. également, CA
re
Montpellier, 1 Ch. B 26 fév. 1997, JCP, 1998 IV 1284 (obligation du médecin d’informer
et d’expliquer à son client les risques encourus) ; 1re Ch. D 29 fév. 1997, JCP, 1998 IV 1285
(obligation de procéder aux contrôles qui s’imposent au regard des données acquises de la
science).
160 Voir article 1134 al. 1 c. civ.
161 Gendre-Devoivre, op. cit. p. 11.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 285

de celui-ci, « crée, à la charge du créancier, l’obligation de faciliter l’exécution du contrat


dans les limites dictées par les usages et la bonne foi » 162. Il ne fait donc plus de doute
que le devoir de coopération est constitué de normes objectives et subjectives de compor-
tement associant l’intention à l’acte d’œuvrer pour ou avec autrui dans le but de satisfaire
un intérêt contractuel donné.
Ainsi dans son aspect subjectif, le devoir de coopération permet d’apprécier l’inten-
tion d’une partie pour finalement dire si oui ou non elle s’est comportée sans malice, ni
volonté délibérée de nuire à l’autre. Dans ce sens le devoir de coopération permet, en ju-
risprudence, de sanctionner celui qui a failli à son devoir de se comporter en « bon père
de famille » et, en revanche d’excuser celui qui n’a jamais voulu nuire à autrui et qui,
cependant, a causé par son attitude un préjudice à son partenaire.
Dans son aspect objectif, le devoir de coopération permet de sanctionner, ou d’ap-
prouver le cas contraire, indépendamment de toute intention de nuire, tout comportement
fautif, négligent ou inapproprié par rapport à une situation ou à une façon de faire don-
née 163, de la part d’une personne qui a déçu la confiance de son partenaire ou n’a pas
répondu positivement à son attente légitime.
En somme, dans un cas comme dans l’autre, les éléments du devoir de coopération
permettent de porter une appréciation sur la conduite des parties contractantes et de dire si
celle-ci est conforme ou non au but contractuel poursuivi, ou si elle répond convena-
blement aux caractéristiques particulières de la convention (art. 1135 c. c.). Cette
essence « factualiste » 164 de la coopération ne peut être sans conséquence sur le fonde-
ment juridique du devoir qui la soutient 165. Par ailleurs, gage de l’efficacité du droit lui-
même et de la sécurité dans les transactions, cette particularité du devoir de coopération
est dans le contexte actuel porteur de nombreux intérêts dont celui de « revitaliser » les
relations contractuelles 166 quelle que soit leur extension.
Il résulte du développement qui précède que le devoir de coopération est une règle
générale de comportement destinée à inspirer dans les relations contractuelles des solu-
tions plus adaptées aux exigences sociales 167. En tant que tel, il a un domaine pratique-
ment indéfini à l’intérieur duquel existent diverses obligations ayant elles aussi pour
finalité de réguler les rapports juridiques en fonction des besoins exprimés par les
faits 168. En effet, le devoir de coopération donne au juge une potentialité d’aménage-

162 B. Starck, Obligations, T. 2, Contrat, Ouvrage précité p. 471, n° 1144.


163 Civ. 1re, 7 janvier 1997, D. 1997 J 189 (sanction de la maladresse d’un
contractant).
164 Les « suites » du contrat selon l’article 1135, sont en effet inhérentes aux faits d’es-
pèce, qui leur donnent juridiquement naissance.
165 Sur le fondement du devoir de coopération, voir François Diesse, Le devoir de
coopération dans le contrat, thèse Lille II, 1998, n°68 à 94.
166 Com. 8 juin 1979, Bull. IV, n° 186 ; Paris, 30 juin 1983, D. 85, IR, 43, obs.
J. Huet ; Paris 18 juin 1985, Gaz. Pal. 1986-1-72, note Bonneau ; Toulouse, 26 fév.
1992, JCP, 1993, E, I, 246, n° 13, obs. M. Vivant et A. Lucas ; Com. 11 janv.1994,
Expertises, 1994, 111.
167 Voir Jarvin, « L’obligation de coopération de bonne foi…», in L’apport de la juris-
prudence arbitrale. Dossier de l’Institut du Droit et des Pratiques des Affaires Internationales,
1986, p. 168.
168 Certains auteurs rattachent à juste titre au devoir de coopération, l’obligation de ren-
seignement qui parfois incombe à l’un des contractants en raison du fait que cette obligation

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286 ÉTUDES

ment de la règle de droit en fonction de la réalité sociale. Il est donc un moyen privilégié
de régulation et d’orientation des rapports contractuels, un instrument judiciaire
d’équilibre et de moralisation du contrat.

II. — LE RÔLE DU DEVOIR DE COOPÉRATION DANS LE CONTRAT

Perçu à travers « la lanterne magique » 169 de la coopération, les auteurs ont défini
le contrat comme un « instrument juridique de collaboration entre partenaires » 170,
permettant de « travailler dans un but commun » et qui réalise « entre le droit du
créancier et l’intérêt du débiteur […] une certaine union » 171. Cette définition met en
facteur le rôle conjonctif de la coopération qui se réalise au niveau des parties sous l’effet
de la solidarité 172, et au niveau de leurs intérêts respectifs que le contrat vise à fédérer
173.
Ainsi, par la coopération, les contractants sont « unis de très près « pour atteindre
leurs objectifs. Cet intime « rapprochement des parties » est un attribut de la coopé-
ration. Celle-ci le tient du préfixe « co » du mot « co-opération » qui se traduit par
« avec », « ensemble », et qui a pour principale caractéristique de réunir les parties
dans une même action, la négociation ou l’exécution d’un contrat en l’occurrence. Ce
rapprochement, duquel découlent les relations privilégiées entre les parties, est donc
inhérent à la coopération 174. Nous ne reviendrons plus sur ce rôle unificateur de la
__________
traduit la solidarité que l’un doit témoigner à l’égard de son cocontractant en partageant avec
lui les connaissances qu’il détient (Voir Weill et Terré, Droit Civil. Les obligations n °   3 5   ;
Starck, Les obligations, 2e vol. par H. Roland et L. Boyer ; Y. Picod, Le devoir de loyauté
dans l’exécution du contrat, Thèse Dijon 1987, p. 101 et s.).
169 Cette expression, d’après le dictionnaire Hachette, désigne « l’instrument d’optique
qui projette sur un écran l’image agrandie de figure […] ou de clichés photographiques ». Elle
nous semble plus appropriée pour exprimer l’idée selon laquelle la coopération permet de voir
le contrat d’un œil nouveau. Elle implique en effet, une nouvelle conception du contrat, diffé-
rente de son sens classique.
170 J. Mestre, op. cit., p. 101.
171 Demogue, op. cit. , n° 3.
172 Cette solidarité révèle l’étroit rapprochement qui s’établit entre les parties et que la
définition proposée ci-dessus met également en évidence. Cette coopération n’est possible
que si les intérêts respectifs des parties sont, sinon « communs » ou « identiques », du moins,
complémentaires. Il en résulte donc que dans le contrat, la coopération joue un rôle éminem-
ment conjonctif, notamment par le rapprochement des parties qui peuvent ainsi être conduites
jusqu’au seuil de «l’intimité », et par la fédération de leurs intérêts.
173 On retrouve ainsi la conception du contrat longtemps défendue par Demogue : « Les
contrats forment une sorte de microcosme. C’est une petite société où chacun doit travailler
dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument
comme dans la société civile ou commerciale. Alors à l’opposition entre le droit du créancier
et l’intérêt du débiteur tend à se substituer une certaine union » (Demogue, Traité des obliga-
tions en général, T. VI, 1931, n° 3.)
174 En ce sens, Aristote disait que les « actes volontaires sont accomplis conformément à
des conventions, de sorte que, si celles-ci n’étaient pas valides, l’entraide des hommes rela-
tive à leurs besoins s’anéantirait ». Le même auteur de préciser qu’il s’agit de « rapports inter
humains – au sens de personne juridique – qui se produisent dans le cadre général de la philia
(c’est-à-dire « amitié » dans un sens extrêmement large) » (Aristote commenté par Constantin

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 287

coopération contractuelle. Nous nous limiterons à ses fonctions de régulation (A),


d’évolution et d’adaptation du droit des contrats (B).

A. — Les fonctions de régulation du devoir de coopération

La variété de ses manifestations, au regard des nombreuses applications du devoir de


coopération par le juge rend peu visible l’unité de ce principe. En effet, indispensable à
la cohérence des solutions jurisprudentielles, la recherche de l’homogénéité dans l’appli-
cation du devoir de coopération nous semble incontournable : la prévisibilité, l’harmo-
nisation et la sécurité des droits et obligations des contractants en dépendent.
Ainsi en interrogeant dans leur ensemble les décisions jurisprudentielles, force est de
s’apercevoir que les juges se servent du devoir de coopération comme moyen de réguler
les droits et obligations des parties, de former leur comportement au regard de ce qui est
attendu d’elles, d’accommoder leur responsabilité aux circonstances particulières à leurs
situations. Cette observation nous conduit à envisager successivement la régulation des
rapports contractuels (a), l’encadrement des relations contractuelles à travers l’éveil de la
conscience des parties sur l’importance de la coopération dans leur contrat (b).

a. La régulation des relations contractuelles.


Le devoir de coopération joue le rôle constant de permettre au juge – étatique et arbi-
tral – d’harmoniser les relations entre débiteurs et créanciers d’obligations contractuelles.
En tant que norme de comportement, la coopération des parties est fréquemment utilisée
par le juge pour infléchir les conséquences de l’application du droit strict 175,
sanctionner les comportements contraires ou attentatoires aux principes de l’équité, de la
raison, de la bonne foi… etc. Dans certains cas, il permet d’orienter ces comportements
vers l’intérêt du cocontractant ou tout simplement vers un intérêt contractuel commun.
Ainsi en est-il, pour certains salariés, de l’obligation de loyauté qui se trouve renfor-
cée en fonction de l’intérêt de l’employeur 176. A l’égard, par exemple, des entreprises
dites « de tendance », la jurisprudence impose aux salariés un devoir de réserve particu-
lier pouvant prendre la forme d’un engagement de « se maintenir en communion de pen-
sée ou de foi avec l’employeur » 177. De même, la jurisprudence exige des cadres une
coopération renforcée se traduisant souvent par une obligation de disponibilité vis-à-vis
de son employeur 178, par un devoir de réserve et de discrétion 179, voire par la possibi-
__________
Despotopoulos, « La notion de synallagma chez Aristote », Arch. phil. droit, 1967, T. XIII,
p. 126). Concrètement, nous avons eu l’occasion de démontrer que cette «amitié » se traduit
par la solidarité entre les parties qui, sur le plan juridique, est à l’origine d’un nombre indéfini
de devoirs de coopération.
175 Voir cependant Y. Saint-Jours, « Un bel exemple d’interprétation "économique" d’un
texte à contresens de son contexte sanitaire et de sa finalité sociale », note sous Soc. 16 fév.
1995, D. 1995-J-474.
176 Pour plus de précision voir Arnaud Teissier, La loyauté dans les relations individuelles
de travail, Thèse Paris II, 1997, spéc. 297-332.
177 Cass. soc. 20 nov. 1986, Droit social, 1987, 379, 2e arrêt, concernant un professeur
de théologie dans une faculté libre de théologie protestante.
178 Cass. soc. 27 nov. 1991, Droit social, 92, 334.
179 CE. 6 nov. 1989, Juris. Soc. UIMM, n° 90, 526, p. 151.

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288 ÉTUDES

lité pour l’employeur d’exiger de son salarié un mode de vie et de pensée conforme aux
finalités d’une entreprise à tendance idéologique 180. Toujours dans le but d’orienter le
comportement du salarié vers l’intérêt de son employeur, la jurisprudence interdit aux
cadres de porter atteinte à la réputation et au crédit de leur entreprise 181, fut–ce par des
comportements extra-professionnels susceptibles de nuire au bon fonctionnement de
l’entreprise.
La jurisprudence a, en effet, admis que le salarié d’une entreprise ayant commis, en
dehors de ses heures de service, un vol à l’étalage au détriment d’une entreprise cliente de
son employeur, pouvait être régulièrement licencié 182. Toujours dans l’intérêt de
l’entreprise cocontractante et comme comportement attentatoire aux principes de la
morale et de la raison contractuelle, la jurisprudence a admis le licenciement d’un salarié
qui entretenant des relations sexuelles avec la fille mineure de son supérieur hiérarchique,
a provoqué un scandale local 183. Sur la base de l’obligation de fidélité 184 la juris-
prudence admet que le salarié ne doit ni détourner la clientèle de son employeur 185 ni
débaucher le personnel de celui-ci 186 et encore moins favoriser, à l’occasion des opé-
rations de sous-traitance, une société dont les devis sont manifestement supérieurs à ceux
émanant des entreprises concurrentes 187.
Évidemment, le devoir de coopération utilisé dans un but de régulation des relations
contractuelles s’applique dans des situations les plus variées 188. Ainsi, la Cour d’appel
de Toulouse 189 a-t-elle affirmé que « le contrat de fourniture sanguine par des orga-
nismes professionnels spécialisés met à leur charge, en raison du respect dû à l’intégrité
de la personne humaine, une obligation spéciale de sécurité leur imposant d’employer
tous les moyens propres à éviter la propagation des maladies ». Et les auteurs de préci-
ser que « la jurisprudence considère… que l’obligation de fournir un produit exempt de
vices doit pouvoir s’analyser en une obligation de sécurité de résultat dont la présence

180 Cass. soc. 17 avril 1991, Droit social, 1991, obs. J. Savatier ; J C P , 1991, II,
21724, note A. Sériaux.
181 Cass. soc. 30 juin 1982, IR 341 (obligation du cadre de ne pas faire connaître aux
tiers les difficultés de l’entreprise) ; Cass. soc. 20 fév. 1980, Gaz. Pal., 1981-II-Panor 333
(obligation de s’abstenir de manifester publiquement son désaccord avec l’entreprise) ; Cass.
soc. 11 oct. 1984, Bull. civ. V, n° 366 (obligation de ne pas critiquer violemment les diri-
geants de son entreprise).
182 Voir Cass. soc. 20 nov. 1991, Bull. civ. V, n° 512.
183 Cass. soc. 21 fév. 1991, Cah. Soc. Barreau, n° 18, B 34.
184 Cette obligation a pour objet d’empêcher le salarié de concurrencer son employeur en
lui interdisant d’agir pour le compte d’une société concurrente ou pour son propre compte.
185 Cass. soc. 27 sept. 1989, RJS, 10/89 n° 751 (cadre faisant des offres de services aux
clients de son entreprise pour le compte d’une entreprise créée par sa femme).
186 Cass. soc. 26 mars 1992, Cah. Soc. Barreau, n° 41, B 100.
187 Cass. soc. 9 nov. 1989, Juris. Soc. UIMM, n° 90-524, p. 49.
188 Voir notamment : Civ. 1re, 2 mai 1989, Bull. civ. I, n° 178 (à propos de l’obliga-
tion de toute entreprise de travail temporaire de s’assurer la compétence du personnel qu’elle
fournit aux entreprises utilisatrices). Voir à propos de l’obligation de surveillance renforcée :
Civ. 1re, 13 oct. 1987, Bull. civ. I, n° 262 ; 15 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 318 ; 22 nov.
1988, Bull. civ., I ,n° 330. À propos des obligations de renseignement particulièrement exi-
geantes : Civ. 1re, 10 mai 1989, RTD. civ., 1989, p. 737, obs. J. Mestre ; Civ. 3e,
27 mars 1991, Bull. civ. III, n° 108 ; Com. 26 fév. 1981, Bull. civ. IV, n° 109.
189 Toulouse 9 juin 1992, D. 1992 IR, p. 264.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 289

dans les conventions de fournitures de sang semble naturelle. Or, ici la création par le
juge de cette obligation de sécurité est d’autant plus spectaculaire qu’elle ne s’appuie ni
sur le fondement d’un usage, ni sur celui de l’équité, mais sur le respect dû à l’intégrité
de la personne humaine » 190, c’est-à-dire sur le devoir des parties de se conformer aux
exigences du droit de la personnalité, droit extra-patrimonial par définition.
D’un point de vue pratique, l’application du devoir de coopération en tant qu’instru-
ment de régulation des relations contractuelles a une portée générale. Elle existe même
en l’absence d’un lien contractuel préalable. C’est le cas lorsqu’il est mis en œuvre dans
la phase de formation du contrat. Pendant cette période, le devoir de coopération a parfois
joué en jurisprudence un rôle correctif et complétif, d’équilibrage et de protection de
l’une des parties.
Dans son rôle correctif, le juge s’est souvent servi du devoir de coopération pour
ajuster les conséquences du comportement des parties à la négociation, à l’exécution du
contrat ou à la situation postcontractuelle de celles-ci 191. C’est notamment le cas lors-
que le juge se trouve devant la situation où les parties n’ont pas pu conclure le contrat,
ou lorsque la conclusion du contrat est affectée d’un vice et de ce fait encourt le risque
d’annulation 192. C’est aussi, évidemment, le cas lorsque le contrat bien que
valablement conclu est affecté par le mauvais comportement de l’une des parties 193.
Très souvent dans ces hypothèses et surtout lorsque l’irrégularité ne relève pas de l’ordre
public absolu, le juge s’abstient d’appliquer la sanction normalement encourue et préfère
plutôt adopter une position conciliante, ou prendre des mesures salvatrices du lien
contractuel 194. Par ailleurs, en se servant de la coopération comme support à
l’émergence d’obligations implicites, la jurisprudence confère à ce principe un rôle
éminemment complétif. C’est, en effet, sur cette base qu’elle apporte des limites au
principe de la liberté de rompre les négociations pendant la phase précontractuelle 195,
qu’elle sanctionne les comportements consistant, par exemple, à ouvrir une négociation
alors que l’on n’a pas l’intention de conclure le contrat 196, ou à poursuivre la
négociation même lorsque surviennent des circonstances susceptibles de la faire échouer

190 J. Mestre et A. Laude, « L’interprétation "active" du contrat par le juge », in Le juge


et l’exécution du contrat, Coll. IDA, Aix-en-Provence, 28 mai 1993, p. 20.
191 Pau, 15 février 1973, JCP, 1973, 17584 ; Civ. 1, 6 déc.1989, D. 90, 289 note
Ghestin ; JCP, 1990, 21534, note Ph. Delebecque ; Soc. 9 mai 1990, JCP ,1991, E, II,
126, note F. Taquet.
192 Cependant, le juge ne peut exercer dans ce cas son pouvoir de correction sur le contrat
en cause que si la sanction encourue est une nullité relative par opposition à la nullité absolue
qui est d’ordre public ; Voir Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, op. cit. N° 273 et s. Ainsi que les
nombreuses décisions citées.
193 Voir Y. Loussouarn, Rapport de synthèse dans « La Bonne f o i   » , Trav. Ass.
H. Capitant, Tome XLIII, 1992, p. 16.
194 Voir, J. Mestre, « De la pérennité du lien contractuel », RTD civ., 1986, p. 105.
195 Car « Le retrait de l’offre constitue… une faute s’il a pour effet de tromper la
confiance éprouvée par son destinataire quant à la probabilité du contrat. Le droit positif fait
appel à la théorie de l’abus de droit pour tempérer les conséquences du principe initial :
l’offrant a le droit de retirer son offre… encore faut-il qu’il n’en abuse pas, qu’il ne commette
pas de faute dans l’exercice de ce droit », J.-M. Mousseron, op. cit. p. 85, n° 186.
196 Voir, G. Morin, Le devoir de coopération dans les contrats internationaux, op. cit. et
la Juris citée p. 9.et s.

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290 ÉTUDES

et qui sont ignorées du partenaire 197. C’est toujours sur cette base qu’est sanctionnée la
rupture abusive de la négociation, c’est-à-dire celle qui n’est pas raisonnablement
justifiée et qui survient à un moment où il était déjà né chez le partenaire une confiance
légitime dans la conclusion du contrat, en raison notamment de l’état de l’avancement
des pourparlers 198.
Une autre application du rôle complétif du devoir de coopération est illustrée par
l’obligation d’information 199 avec son corollaire, l’obligation de s’informer soi-
même 200, et qui se trouve aujourd’hui érigée, par le législateur et le juge, en une obli-
gation autonome de renseignement 201. Toujours en jouant son rôle complétif, le devoir
de coopération a parfois servi de tremplin à l’obligation de conseil 202 et à l’obligation
de confidentialité 203. Il a été, dans ce dernier cas, considéré comme support à
l’obligation de secret du banquier 204. Ainsi, au stade de l’exécution du contrat, le rôle
du devoir de coopération consiste à susciter « l’émergence d’obligations en permettant
d’ajouter, aux obligations expresses prévues par le contrat, des obligations implicites
qu’impose la nature de ce contrat » 205.
Certes, le but visé par le juge à travers ces obligations implicites varie d’une
convention à l’autre. Mais dans l’ensemble leur inspiration procède essentiellement de
l’idée de coopération, des suites naturelles des contrats concernés et dont le législateur en
fait mention dans l’article 1135 c. c. De même, si dans certains cas le devoir de
coopération est à l’origine de l’émergence en jurisprudence des obligations nouvelles,
dans d’autres il assume plutôt une fonction modulatrice des obligations prévues dans le
contrat. De la sorte, il permet de limiter l’importance de ces obligations contractuelles

197 Dans la jurisprudence arbitrale, voir l’affaire Klöckner c/le Cameroun, sentence du 2 1
oct. 1983, JDI, 1984 (1-2), p. 409 et s.
198 Com. 20 mars 1972, JCP, 73, II, 17545, note J. Schmidt ; RTD. civ., 1972, 779,
obs. Durry ; Paris, 1re ch. B. 13 déc. 1984, inédit, RTD. civ., 1986, 97, obs. Mestre.
199 Com. 19 juil. 1966, Bull., n° 369 ; Civ. 1re 27 fév. 1985, Bull., n° 82 ; Civ. 1re
27 avril 1985, Bull., n° 125 ; Civ. 3e, 2 oct. 1980, Bull., n° 141 ; Com. 15 avril 1975,
Bull. civ., IV-106, p. 89 ; D. 1975 IR, 148 ; Civ. I, 4 oct. 1977, D. 1977 IR-116 ; Gaz.
Pal., 1978-262, note Plancqueel ; Cass. Com. 17 déc. 1991, Hérodote Voyage/Canon
France, Expertise, 1992, p. 68.
200 Cass. Com. 5 nov. 1991, Engineering Christian Cadion c/Rank Xerox, Expertises,
1992, p. 30 ; Cass. Com. 10 fév. 1987, Bull. civ., IV, p. 28 ; RTD civ.; 1987, p .   2 4 6   ;
Cass. Com. 6 et 20 janv. 1987, Cah. dr. entr. 1988, n° 4, p. 13 ; Cass. Com. 25 fév. 1986,
Bull. civ., IV, p. 28 ; CA Paris 10 mai 1988, D. 1988, IR, 174.
201 Voir Y. Loussouarn, op. cit. p. 16 ; voir également De Juglart, « L’obligation de
renseignement dans les contrats », RTD. Civ., 1945-1 et s. ; Jean Alysse , L’obligation de
renseignement dans les contrats, Thèse doct. Paris 2, 1975 ; Y. Boyer, L’obligation de ren-
seignement dans la formation du contrat, préf. Y. Lobin, Presses universitaires d’Aix, 1977.
202 CA. Colmar, Ch. civ. 19 déc. 1990, Juris-data, n° 025583 ; CA. Toulouse, 2e Ch.,
26 fév. 1992, Juris-data, n° 042392 ; Cass. Com. 12 nov. 1992, Expertises ,1993, p .   7 0   ;
Cass. civ. 1er déc. 1992, Bull. IV, n° 391, p. 275.
203 Cass. Com. 16 fév. 1993, Expertises, 1993, p. 159.
204 J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, 6e éd. Précis Dalloz
1995, p. 155 et s. ; Gulphe, « Le secret professionnel du banquier en droit français », RTD
civ., cour 1948, 8 ; Gavalda et Soufflet, « Le secret bancaire en France », in Le secret ban-
caire dans la CEE et en Suisse, Colloque d’Économie Bancaire International, 15 et 16 oct.
1971, 1973, p. 77 et s. ; Farhat, Le secret bancaire, Paris, 1970, p. 146.
205 Y. Loussouarn, op. cit. p. 17.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 291

afin de prévenir, et éventuellement de sanctionner, tout abus dans leur exécution ou dans
l’exercice de ses droits qui en découlent. Cependant, force est de reconnaître que le devoir
de coopération, en tant que principe général de comportement, s’interpénètre fréquem-
ment avec les notions voisines qui servent la même cause que lui. Il en est ainsi de la
notion d’abus de droit, de la bonne foi, du principe général de responsabilité, etc.
Enfin, depuis la jurisprudence Lizardi 206, il est permis d’admettre que le devoir de
coopération est un moyen de récompenser la bonne conduite d’un contractant, ou plus
exactement sa bonne foi, et donc d’atténuer à son égard les conséquences de la responsa-
bilité normalement encourue, ou de valider une situation qui, abstraction faite de cette
conduite, aurait entraîné la nullité du contrat pour violation de l’une des conditions de sa
formation. Il est important de noter qu’aujourd’hui, la réciprocité d’une telle règle ne fait
pas de doute. D’ailleurs, la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles l’a généralisée 207.
Quelle que soit l’extrême variété de ses applications, le devoir de coopération ainsi
orienté exprime toujours la même exigence, à savoir assurer la régularité des rapports
contractuels en fonction de l’intérêt du cocontractant, de l’intérêt commun des parties ou
en fonction d’un intérêt supérieur juridiquement protégé 208, tel le droit à l’intégrité phy-
sique du corps humain 209.
On le voit, le devoir de coopération éclaire et enrichit le sens et la portée de la
volonté expresse des parties ou celle du législateur. Il met en évidence le fait que l’exécu-
tion du contrat ne doit pas se contenter d’être une soumission mécanique aux stipula-
tions contractuelles. À l’exécution loyale et fidèle du contrat, la coopération ajoute une
exigence supplémentaire s’imposant à chaque partie et tournée vers l’intérêt de l’autre,
vers son attente légitime. Doit, en effet, accompagner le respect des stipulations contrac-
tuelles le souci de moralité et d’utilité que les tribunaux se donnent la tâche directe de
contrôler ou, lorsque c’est la loi, l’usage ou l’équité qui les imposent, de faire respec-
ter 210.

206 C. Cass. 16 janv. 1861, D. 1861-1-306, note Masse.


207 Gaudemet-Tallon, « Le nouveau droit international privé européen des contrats »,
RTD Europ. 1981-215.
208 L’obligation de sécurité par exemple, qui est la traduction contractuelle du devoir de
respecter l’intégrité de la personne humaine se décompose ici en deux types de devoirs de co-
opération que sont, l’obligation pour le débiteur professionnel de tenir compte de l’intérêt de
son cocontractant en lui apportant la satisfaction escomptée et l’obligation de se mettre à la
place de ce dernier, de l’aider à protéger sa santé, de garantir ses droits subjectifs en général et
ceux de la personnalité précisément. (Cf. Civ 1re, 12 avril 1995 (deux arrêts), JCP, 1995-II-
22467, note P. Jourdain ; Voir également G. Goldschmidt, L’obligation de sécurité, Thèse
Lyon, 1947 ; M. Leroy, Les devoirs de répondre des risques créés par l’activité et de maîtrise
professionnelle : contribution à la notion de professionnel, Thèse Toulouse 1, 1 9 9 5   ;
P. Jourdain, « L’obligation de sécurité à propos de quelques arrêts récents », Gaz. Pal., 1993,
2, doctr. 1214 ; H. Lalou, « Contrats comportant pour l’une des parties l’obligation de
rendre le contractant sain et sauf », D. H. 1931, chron. 37).
209 J. Mestre et A. Laude, « L’interprétation active du contrat par le juge », in Le juge et
l’exécution du contrat, Colloque I.D.A. Aix-en-Provence, 28 mai 1993, pp. 9-22.
210 Voir l’art. 2-16 des principes d’Unidroit (qui impose une obligation de secret entre les
parties dans la phase de négociation du contrat). Également Th. Revet, L’éthique des contrats
en droit interne, op. cit. p. 212 et s. ; Vincente Fortier, « Le contrat du commerce interna-
tional à l’aune du raisonnable », JDI ,1996, p 315

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292 ÉTUDES

C’est donc sur cette base que les droits des créanciers doivent être exercés et les obli-
gations du débiteur exécutées. De toute évidence cet accent mis sur le comportement des
parties fait appel à l’appréciation, à la fois, de l’intention des contractants et des actes
accomplis pour l’exécution du contrat. Mais bien souvent, l’interprétation du contrat
permet implicitement au juge d’inviter les parties à prendre conscience de l’importance
de leurs engagements afin de mieux participer à « l’œuvre commune », c’est-à-dire afin
de coopérer en connaissance de cause.

b. L’encadrement du comportement des parties.


Porter à la connaissance des contractants les règles de droit et de la pratique des
affaires et former leurs caractères selon les usages du commerce, est une des fonctions
directes résultant de l’évolution du rôle du juge. Cette éducation est parfois analysée
comme le complément ou la conséquence immédiate de l’exigence de la coopération dans
la transaction. Celle-ci supposant connus les règles et principes de l’art que raisonna-
blement on peut induire de la nature du contrat.
Certes, l’interprétation du contrat continue à être l’occasion pour le juge d’apprécier
le préjudice subi et d’en exiger la réparation au contractant qui en est responsable. Mais,
elle est aussi fréquemment utilisée comme l’occasion d’attirer l’attention des parties sur
l’étendue de leurs droits et obligations dont certains n’étaient jusqu’alors connus des par-
ties, parce que non prévus par elles, parce que résultant uniquement de l’évolution tech-
nique, des usages de la profession, des conditions du marché ou de l’environnement du
contrat au moment de son exécution. Par ailleurs, avec la découverte par le juge du
devoir de coopération dans le contrat, les parties ont été, par exemple, amenées à prendre
conscience du fait que le respect de la parole donnée et de l’intérêt du partenaire, la
loyauté et la diligence renforcée du débiteur dans l’exécution de ses engagements, tout
comme la bienveillance du créancier dans l’exercice de ses droits sont de nos jours des
objectifs que la jurisprudence contrôle et le cas échéant exige des contractants. Cette édu-
cation passe donc par un appel à l’attitude active et positive de chaque partie.
Ainsi, le créancier ne doit pas exiger de son débiteur l’exécution de ses obligations
lorsque les circonstances rendent très difficile cette exécution 211, à moins qu’un intérêt
suffisamment important pour le créancier justifie son comportement. Il a été, par
exemple, jugé que le bailleur qui avait empêché son locataire de bénéficier de l’allocation
logement qui aurait permis à ce dernier de s’acquitter de sa dette envers lui, ne peut se
prévaloir d’une clause résolutoire pour défaut de paiement de loyers 212. Dans ce sens, le
devoir de coopération produit dans sa mise en œuvre, un effet restrictif de droits du créan-
cier pour tenir compte de la situation particulière de son débiteur. En effet, le défaut de
loyauté, tout comme l’abus de droit conduisent très souvent les juges à limiter les effets
d’un droit mal exercé voire à en restreindre l’exercice 213. Il en est aussi, a fortiori, du
devoir de coopération.
Ces exigences de par la volonté du juge font partie intégrante du contrat. Le juge se
donne ainsi le devoir, en droit et en fait, de mettre de l’ordre dans les rapports contrac-

211 Paris 19 juin 1990, D. 1991 - 510, note Y. Picod ; Cass. civ. 3e, 17 juil. 1992,
RJDA, 1992, n° 996 ; Cass. civ. 3e, 20 juin 1989, Loyers et Copropriété, 1990, n° 383.
212 Cass. civ. 3e, 17 juill. 1992, op. cit.
213 J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, Francis Lefebvre 1988, p. 85, n° 186.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 293

tuels en faisant appel à la bonne conscience des parties. Il vérifie que c’est de « bonne
foi » que le débiteur a exécuté ses obligations explicites et implicites, que c’est avec
loyauté et bienveillance que le créancier a exercé ses droits contractuels. Le juge attend
des parties de se mettre chacune à la place de l’autre pour mieux définir le comportement
contractuellement approprié. Le créancier doit se mettre à la place de son débiteur pour
connaître ses difficultés afin de lui faciliter l’exécution de ses obligations. De même, le
débiteur doit connaître les besoins de son cocontractant afin de mieux répondre à ses
attentes.
Par ailleurs, il est possible de penser que le législateur, à travers les articles 1134 al.
3 et 1135 c. c., s’adresse avant tout aux contractants 214. Chaque partie, dans ses rap-
ports avec son partenaire doit puiser dans sa « conscience » les règles morales pour gui-
der son action. On se souvient, en effet, de l’exposé des motifs fait par Bigot-Préameneu
à l’occasion des travaux préparatoires du code de 1804 : « Les obligations convention-
nelles se répètent chaque jour,… il n’est besoin, pour régler tous ces rapports, que de se
conformer aux principes qui sont dans la raison et dans le cœur de tous les hommes.
C’est là, c’est dans l’équité, c’est dans la conscience que les romains ont trouvé ce corps
de doctrine qui rendra immortelle leur législation » 215. Le législateur de 1804 a donc
voulu d’abord se remettre au « juge intérieur » de chaque contractant pour assurer le res-
pect des dispositions relatives aux contrats, afin de faciliter leur assimilation par « tous
ceux qui, pour diriger leur conduite, voudraient en connaître les principales règles » 216.
À ce titre, les dispositions des articles 1134 et 1135 doivent être considérées autant
comme un instrument de la prévention contractuelle que de sanction des irrégularités qui
entachent la formation ou l’exécution du contrat.
Ainsi, l’appréciation de l’étendue des droits et obligations du contrat par la
conscience de l’homme a-t-elle sur le plan juridique une origine historique. Elle est liée
au courant idéologique de l’époque. Les articles 1134 et 1135 comme l’ensemble des
dispositions du code civil relatives aux conventions ont été, en effet, conçus à une
période où l’idée même de contrat était synonyme de justice, de liberté et d’égalité entre
les parties. Toutes ces notions à connotation morale constituaient dans l’esprit des
auteurs du code civil, des valeurs, des normes de comportement que chaque contractant,
chaque homme se faisait le devoir de respecter et de protéger. En plus, c’est par rapport à
ces principes que devaient s’apprécier l’exécution des obligations contractuelles, le
comportement des parties, et surtout que devrait être déterminée l’étendue des droits et
obligations des contractants.

214 La place de ces textes dans le code civil, en tant que dispositions générales
applicables à toute convention, et non dans la section réservée à l’interprétation, permet de
conclure que le législateur a voulu s’adresser beaucoup plus aux parties qu’au juge. Les
articles 1134 al. 3 et 1135 c. c. prescrivent, en effet, des normes dispositives et non pas des
règles interprétatives.
215 Bigot-Préameneu, Début du texte de l’exposé des motifs du titre III du livre III du
Code Civil. Locré, Législation, T. XII, 1828, p. 311 et s. Voir également G. Cornu,
Regards sur le titre III du livre III du Code Civil « Des contrats ou des obligations
conventionnelles en général », Cours de droit, DEA de Droit privé, Paris, 1976, p .   1 2
et 13.
216 Bigot-Préameneu, cité par G. Cornu, op. cit. p. 13.

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294 ÉTUDES

Ainsi, c’est en faisant confiance à la loyauté de chaque partie, en comptant sur sa


« conscience » et sa « raison » que l’on a voulu faire de la liberté, le synonyme de la
justice contractuelle 217. On peut donc affirmer qu’il résulte des articles 1134 al. 3 et
1135 c. c. que le législateur avait estimé que chaque partie devrait trouver dans sa
conscience, dans sa bonne foi le support de sa loyauté dans l’exécution de ses obliga-
tions et se servir de sa raison pour déduire les suites de celles-ci. Et c’est ainsi que le
législateur de 1804 entendait garantir l’équilibre du contrat dans l’intérêt des deux parties.
Ce même but est celui visé par le devoir de coopération, au sens que la jurisprudence
actuelle entend l’appliquer 218.
La fonction d’encadrement du comportement des parties est donc dévolue au juge qui
doit préciser, en considérant les circonstances particulières de l’espèce, l’étendue des
devoirs des parties et en contrôler l’exécution. Notamment, il doit pénétrer la commune
intention des parties (art. 1156 c. c.), compléter les stipulations contractuelles par les
clauses d’usage (art. 1160 c. c.), tenir compte de la bonne foi du débiteur, inclure dans le
contrat toutes les suites naturelles qui en découlent. Autrement dit, en plus des obliga-
tions expresses imposées par la loi, il tient les parties informées « de tout ce qui est
nécessaire pour donner à ces obligations… leurs pleins effets, sans chicaner sur la lettre
du contrat » 219.
Dès lors, il devient évident que même lorsqu’il a fidèlement exécuté sa promesse, le
débiteur peut voir sa responsabilité contractuelle engagée si cette exécution n’a pas tenu
compte de l’intérêt de son créancier et parfois lorsque celui-ci n’a pas obtenu la satisfac-
tion qu’il attendait de cette exécution en vertu des termes ou des suites naturelles du
contrat. Par ailleurs, on constate comment les normes de conduite interviennent, en ju-
risprudence, directement comme supports d’obligations accessoires 220 alors que pendant

217 Cf. la formule de Fouillée, fin XIXe siècle « qui dit contractuel, dit juste ».
218 Aujourd’hui, et depuis que le besoin s’est imposé de contrôler la liberté contractuelle,
il revient essentiellement au juge d’apprécier le « juste » et son complément, « l’utile »
dans le contrat (J. Ghestin, « L’utile et le juste dans le contrat », D. 1982, chron. 1 ;
G. Legier, Droit civil, Les obligations, 147e édition, Mémentos Dalloz 1993, p. 17). En ef-
fet centrer, comme l’avaient fait cette doctrine libérale et le législateur de 1804, tout le rai-
sonnement et l’analyse des rapports contractuels sur l’individu revenait à faire implicitement
de lui « juge et partie » de la justice contractuelle ; un rôle que sa liberté ne pouvait per-
mettre d’en garantir l’objectivité. Surtout parce que, pour des considérations économiques, o n
s’est aperçu que la raison humaine pouvait très facilement osciller entre l’égoïsme et la géné-
rosité, la cupidité et l’altruisme (Marc Gendre-Devoivre, Collaboration et assistance entre
parties au contrat, Thèse Clermont Ferrand 1, 1981, p. 5 et s.), rendant ainsi fragiles les no-
tions de justice et d’équité. Il en résulte aussi une perte progressive de l’importance de la rai-
son individuelle et un accroissement corrélatif du rôle du juge.
219 A. Bénabent, « La bonne foi  », Rapport français, in Trav. Assoc. H. Capitant,
Tome XLIII 1992, p. 293.
220 Il est important de souligner que les documents relatifs à la vente d’une chose ont une
valeur capitale dans le commerce international. Certains de ces documents sont représentatifs
de la propriété des marchandises (ex. : le connaissement, le récépissé de quai ou d’entrepôt).
La convention de Vienne fait d’ailleurs de la remise de ces documents, une obligation essen-
tielle du vendeur (art. 30 et 34). À plusieurs reprises, la jurisprudence a eu à considérer que la
remise des documents administratifs afférents à un véhicule constitue un accessoire de la voi-
ture. Ainsi, en ne remettant pas la carte grise à l’acheteur, le vendeur ne satisfait pas à son
obligation de délivrance. Voir : civ. 1re, 1er fév. 1956, D. 1956, p. 333, note Hemard ;
Civ. 31 janv. 1974, Bull. Civ., I, n° 35, p. 30 ; Civ. 22 janv. 1991, D. 1991, IR, p .   5 6   ;

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 295

longtemps les tribunaux appliquaient ces mêmes principes sans aucune déduction. En
effet, alors que l’intention des parties, la conscience et les usages professionnels, la
bonne foi, les suites de l’obligation intervenaient au second degré pour étayer l’inter-
prétation des stipulations du contrat, de nos jours la jurisprudence utilise ces mêmes
principes pour justifier les nouvelles obligations mises à leur charge 221. Ainsi dans une
espèce 222, les juges ont analysé la capacité de stockage comme un accessoire permettant
de déterminer l’étendue des obligations du négociant et donc de normaliser 223 les
rapports entre les parties par rapport à ce type de contrat et par rapport au comportement
attendu des parties.
La doctrine 224 considère, elle aussi, que l’interprétation de l’attitude des contractants
est l’une des fonctions traditionnelles du devoir de coopération. Le texte généralement
invoqué pour soutenir ce rôle interprétatif du devoir de coopération est l’article 1134
c .   c .  225. Les auteurs anciens eux aussi avaient réduit la portée de l’alinéa 3 à son rôle
d’interprétation. À propos de ce texte, dit-on, « même Démolombe reste sobre, se
contentant d’expliquer… que l’objet du texte (article 1134 al. 3) est de condamner la dis-
tinction du droit romain entre les actions de bonne foi et les actions de droit strict, toutes
conventions devant être interprétées conformément à l’intention des parties plutôt que
par référence à la lettre du texte » 226. Le professeur Bénabent confirme « qu’effective-
ment, c’est en ce sens et avec cette seule portée que le texte a été compris pendant tout le
XIXe siècle et les trois quarts du XXe siècle » 227.
__________
Com. 14 avril 1992, JCP, 1992, IV, n° 1810, p. 198 ; Civ. 1re, 26 nov. 1981, Bull. Civ.,
I , n° 352, p. 298 (à propos de la non-remise du certificat d’origine de la vente d’un cheval de
course) ; Civ. 3e, 17 mars 1975, JCP, 1975, G, IV, n° 155 (à propos des autorisations
administratives).
221 La jurisprudence, pendant longtemps, ne concevait l’article 1134 al. 3 que dans sa
fonction d’interprétation des obligations contractuelles (Voir G. Marty, « Le rôle du juge
dans l’interprétation des contrats », Trav. Assoc. H. Capitant, 1949, p. 80 ; Ph. Kahn,
« L’interprétation des contrats internationaux », Clunet, 1981, p. 5.). Ce qui explique, a-t-
on dit, pourquoi jusqu’en 1975 les arrêts rendus au visa de l’article 1134 al. 3 ou de celui de
l’article 1135 c. c. étaient rares (Les premières décisions rendues sous le visa de ces textes
datent à notre connaissance du début des années 1980 (Voir Civ. 1re, 27 oct. 1981, Bull.
civ., I, n° 315 ; Com. 25 fév. 1981, Bull. civ., IV, n° 109 ; Civ. 1re, 3 juil. 1985, Bull.
civ., I, n° 211 ; RTD civ., 1986, 368, obs. J. Huet).). Rien de surprenant à cela dans la
mesure où, compris comme une simple directive d’interprétation, l’application de ces textes
échappait naturellement au contrôle de la cour de cassation. En effet dans une logique presque
arithmétique, le texte a été en partie réduit à servir de base à la compréhension de l’alinéa 1er
du même article. Ainsi, l’alinéa 3 était devenu le complément de l’alinéa 1 : « Les conven-
tions légalement formées… » «… doivent être exécutées de bonne foi. ».
222 Com. 1er oct. 1991, Lettre de la distribution, déc. 1991.
223 Selon le dictionnaire Le Robert, normaliser signifie rendre conforme au type le plus
fréquent ou qui se produit selon l’habitude.
224 Y. Loussouarn, « La bonne foi », Rapp. de synthèse, in Trav. Assoc. H. Capitant,
tome XLIII, 1992, p. 7.
225 Comme nous l’avons démontré dans la première section, à propos du fondement du de-
voir de coopération, il faudra y ajouter les articles 1135 et 1147 c. civ.
226 A. Bénabent, « La bonne foi », Rapport français, in Trav. Assoc. H. Capitant, op.
cit. p. 293.
227 L’alinéa 3 de l’article 1134, tout comme l’article 1135 c. civ. sont compris en rap-
port avec les articles 1156 et suivants du code civil, relatifs à l’interprétation des conven-
tions (A. Rieg, J.- Cl. civ., article 1134 et 1135). Certains en concluent que, finalement dire

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296 ÉTUDES

Ce rôle d’interprétation leur vient du fait qu’implicitement les deux textes invitent le
juge qui interprète un contrat à ne pas s’en tenir à la seule expression littérale des stipu-
lations du contrat. Il doit, en plus, en rechercher la portée dans l’intention des parties et
conformément à ce que les principes de bonne foi, de l’équité, des usages… prescrivent
dans pareilles circonstances en fonction de la spécificité de la convention. Il doit aussi en
rechercher l’utilité, conformément aux finalités des règles contractuelles en cause 228.
Toutefois et en pratique, force est de réaliser que les juges ne font recours aux ar-
ticles 1134 al. 3 et 1135 c. c. que dans la mesure où les articles 1156 et suivants, ne
permettent pas de cerner toute l’étendue des droits et obligations des contractants 229.
Ainsi, il reste toujours certain que ces textes, bien que traités dans le code civil comme
« dispositions générales » et relatifs « aux effets des obligations » ne constituent pas
moins pour le juge des directives d’interprétation du contrat.
Par ailleurs, il semble que ces textes, bien que conçus et appliqués comme norme
d’interprétation du contrat et d’appréciation du comportement des parties n’ont dans ce
domaine qu’un rôle subsidiaire ou supplétif 230. En effet, même si l’on ne peut contester
la valeur interprétative de ces textes, force est de reconnaître que les principes qui sont
induits de ces articles, permettent au juge de compléter et d’étendre le contenu des droits
et obligations des contractants exprimés dans les stipulations 231, et parfois de limiter
les droits du créancier résultants de celles-ci. Et c’est ainsi que le juge passe insensible-
ment de l’appréciation du comportement des parties et de l’interprétation du contrat à la
création des droits et devoirs au profit ou à la charge des parties, et de celle-ci à l’accom-
modation de la responsabilité éventuelle des contractants aux besoins du commerce.
En définitive, l’exigence de la coopération semble être, plus qu’une nécessité socio-
économique, d’abord un moyen d’éducation ou de « dressage » des comportements des
contractants qui doivent conjuguer leurs efforts pour se procurer mutuellement la satis-
faction escomptée. Au besoin, chaque partie doit dompter ses appétits égoïstes pour tenir
compte de l’intérêt du partenaire, que procure son engagement.

__________
que les conventions doivent être exécutées de bonne foi voudrait tout simplement dire qu’elles
doivent être effectuées « conformément à l’intention des parties et au but en vue duquel elles
ont été formées » (Aubry et Rau, T. IV, n° 346).
228 Au demeurant, cette fonction interprétative des exigences de la coopération nous
semble indéniable. Car, en tant que dispositions générales, on peut logiquement déduire que
les articles 1134 al. 3 et 1135 c. c. ont vocation à s’appliquer dans toutes les autres sections
du chapitre III du titre III du code civil (livre III), et donc comme dispositions intégrantes de
la section V relative à l’interprétation du contrat.
229 Voir, J. Dupichot, « Pour un retour aux textes : défense et illustration du "petit guide-
âme" des articles 1156 à 1164 c. civ. », in Études Jacques Flour, 1979, p. 179 ; Th.
Ivainer, « L’ambiguïté dans les contrats », D. 1976, chron. 153 ; Même auteur, « La lettre
et l’esprit de la loi des parties », JCP, 1981-I-3023 ; Ph. Simler, « Interprétation des
contrats », J. Cl. civil, art. 1156-1162.
230 Voir M. Paisant, « Le contrôle de la Cour de cassation en matière d’interprétation du
contrat », Gaz. Pal., 1946, 1, 26.
231 Voir Le juge et l’exécution de contrat, Colloque IDA, Aix-en-Provence, 28 mai 1993,
Presses Universitaires Aix-Marseille 1993, p. 95, 23 et s. ; M. H. Maleville, Pratique de
l’interprétation des contrats, Étude jurisprudentielle, P.U. Rouen, 1991, p. 30 s. ; Ph.
Simler, « Interprétation des contrats », J.- Cl., Fasc. 20, 1992, spéc. n° 9.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 297

B. — L’évolution et l’adaptation du droit des contrats

La réception par notre droit positif de la coopération contractuelle comme exigence


juridique semble avoir été facile en raison de la conviction que l’on a de sa nécessité dans
les transactions. Car, dans les transactions, l’obligation et la coopération sont complé-
mentaires l’une de l’autre. La première est complémentaire de la coopération en tant que
moyen juridique de régulation sociale, et la coopération de l’obligation en tant que
nécessité socio-économique destinée à moraliser et à adapter les rapports contractuels à
l’évolution de leur environnement 232. En effet, le contrat de plus en plus perçu comme
l’instrument juridique de coopération entre ses auteurs doit à la coopération l’instrument
de son perfectionnement (a) tandis que le devoir de coopération, dans sa fonction écono-
mique devient le moyen d’adapter le contrat à son environnement (b).

a. La coopération comme moyen de perfectionnement du contrat.


Le professeur J. Mestre 233 observant l’évolution du droit des contrats arrive à cette
conclusion : « Longtemps perçu comme le fruit d’un compromis qu’avaient su façonner
deux volontés antagonistes, libres et égales, le contrat est progressivement devenu le
lieu d’un nécessaire équilibre, que législateur et juges ne doivent pas hésiter, dans cer-
tains cas, à rétablir après coup, en gommant les éventuels abus liés à une inégalité des
conditions économiques ou techniques ».
Le souci de perfectionnement du droit des contrats est très présent en jurisprudence
comme dans la pratique. Il est inhérent à la nature même du contrat en tant qu’instru-
ment juridique de satisfaction des besoins socio-économiques. En tant que tel le contrat
se doit d’évoluer en qualité avec ses besoins afin de leur conférer un maximum de sécu-
rité juridique. Ce perfectionnement a emprunté devant juges et législateur le chemin de la
protection de l’une des parties, du rééquilibrage des prestations contractuelles, de la mora-
lisation. Dans la pratique des affaires, il s’est servi des techniques de gestion et d’adapta-
tion conventionnelles du contrat. Ce désir de perfectionnement est une caractéristique de
cette fin de siècle. Car, même si l’on peut considérer qu’il est déjà présent à l’état éthé-
rique dans le code de 1804, force est de constater que c’est la jurisprudence récente suivie
par le législateur et soutenue par la doctrine, qui en droit positif l’a mis en exergue. Il en
est ainsi des contrats réglementés (tels les contrats de consommation) et particulièrement
des contrats de distribution, objet de la loi Doubin dont l’article 1er semble transformer
les parties, protagonistes d’hier, en collègues ou collaborateurs et que la doctrine qualifie
justement de « première étape vers le partenariat » 234. Parce que dans ces contrats
l’information précontractuelle est imposée comme moyen de garantir l’entente et la soli-

232 On fait remarquer, à juste titre, que le droit positif des contrats est en « perpétuelle
évolution, car il doit s’adapter à la complexité croissante des relations d’affaires ainsi qu’aux
nouvelles techniques issues de la pratique (assurance-crédit, factoring, leasing, etc.) ». C’est
en ce sens que l’on affirme que « la vie des affaires supporte mal un environnement juridique
e
trop formaliste », Gabriel Guéry, Pratique du droit des affaires, 6 éd., Dunod, 1994, p .   1 6
et s.
233 « De l’exigence de la bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ., 1986, p.
101.
234 Colloque du CEDIP, Loi Doubin, Première étape vers le partenariat, Les petites af-
fiches, 7 décembre 1990.

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298 ÉTUDES

darité entre les parties, l’élément permettant de contracter en connaissance de cause. De


même, depuis la convention de Vienne, la vente internationale de marchandises repose
sur la coopération entre le vendeur responsable du défaut de conformité, par exemple, et
l’acheteur tenu d’examiner la marchandise qu’il reçoit. Surtout, les deux parties doivent
chacune minimiser le dommage subi ou à subir par l’autre.
Aussi peut-on se demander si « le contrat ne deviendrait-il pas l’instrument juridique
de collaboration entre partenaires ? ». À vrai dire, sur le plan économique, la coopéra-
tion assure la protection des intérêts de chaque partie et surtout l’adaptation en fonction
des circonstances 235 du contrat à l’évolution des besoins des contractants 236. Dans le
sens de son perfectionnement juridique, le devoir de coopération a gouverné le contrat à
travers des étapes successives, conduisant au renouvellement du sens et de la portée de la
« loi contractuelle » 237. Ainsi, s’accommodant à la pratique des affaires, la « loi des
parties » initialement limitée à leur volonté, admise comme seule source du droit des
obligations conventionnelles, a connu des « greffes » : – Dans un premier temps,
l’altération de la liberté et de l’égalité entre les parties par la disparité de leurs conditions
économiques avait provoqué l’intervention des juges et législateur pour rétablir l’équi-
libre dans le contrat 238. Cette intervention a, comme on pouvait s’y attendre, provoqué
une vive réaction de la part de la doctrine 239. Certains auteurs ont conclu à la « crise du

235 Selon le professeur Ghestin, le contrat est, sur le plan individuel, « l’instrument
privilégié de la prévision d’où résultent la sécurité juridique » et « la responsabilité qui sont
nécessaires à l’épanouissement de l’homme en société », op. cit. Il assure, disent Ripert et
Boulanger, une «emprise sur l’avenir », (Droit civil, T. 2, 1957, n° 469, p. 183), permet
« la gestion des risques » (J.-M. Mousseron, « La gestion des risques par le contrat », RTD
civ., 1987, p. 381). C’est pour toutes ces raisons que le contrat doit s’adapter autant que faire
ce peut, aux différents besoins des parties.
236 R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui,
3e éd., 1964, 213.
237 Par exemple, chaque partie doit garantir l’utilité du contrat pour son partenaire à la
négociation ou à l’exécution du contrat, tenir compte de la faiblesse ou des défaillances de
l’autre en se mettant à sa place pour l’exécution de ses obligations ou l’exercice de ses droits.
Le cas échéant, il doit minimiser son préjudice en cas d’inexécution du contrat par l’autre (V.
l’article 77 de la convention de Vienne du 11 avril 1980 ; Y. Derains, « L’obligation de
minimiser le dommage dans les responsabilité civile et délictuelle », ibid. p. 393; P. Level,
« L’obligation de minimiser les pertes dans la pratique du contrat international de construc-
tion », ibid. p. 385.), et en tout état de cause, veiller à ses propres intérêts (Voir Marie-Noël
Capogne Charles, De l’obligation de veiller à ses propres intérêts lors de la formation du
contrat. Thèse Toulouse, 1988).
238 Voir J.-J. Barbiéri, Vers un nouvel équilibre contractuel : Recherche d’un équilibre
des prestations dans la formation et l’exécution des contrats, Thèse Toulouse, 1981 ;
B. Berliez Houin et G. Berliez, « Le droit des contrats face à l’évolution économique » ,
Études R. Houin, 1985, p. 7.
239 G. Morin, La loi et le contrat ; la décadence de leur souveraineté, Paris 1927 ; — « La
désagrégation de la théorie contractuelle du code », Arch. phil. droit, 190 p. 7 et s .   ;
L. Josserand, « Les dernières étapes du dirigisme contractuel : le contrat forcé et le contrat
légal » D. H. 1940 chron. 5 ; — « L’essor moderne du concept contractuel », Études Gény,
1936, I 33 ; — « Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats », RTD
civ., 1937, 1 ; E. H. Perreau, «Une évolution vers un statut légal du contrat », in Études
Gény, 1936, II 354 ; R. Morel, « Le contrat imposé », in Études Ripert, 1950, II 116 ; P.
Durand, « La contrainte légale dans la formation du rapport contractuel », RTD civ., 1944, p .
73 et s. ; M. Vasseur, « Un nouvel essor du concept contractuel », RTD civ., 1964, p. 5-48.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 299

contrat », parlé de contrats « forcés », « interdits », « réglementés », « surveillés »,


etc. D’autres ont souligné la « montée » de l’ordre public économique et social, la
« publicisation » du contrat, décrié ses « altérations » ou son « éclatement » et pour
finir, proclamé la « démolition » et la « mort » du contrat 240. Et pourtant, il n’en est
rien. Jamais le contrat n’a connu autant d’importance et de vitalité juridique. Il les doit à
son « adaptabilité », à l’évolution des relations économiques, à l’ajustement de son
droit à la pratique des affaires 241. En effet, il était temps d’admettre par exemple en droit
positif, comme c’était déjà le cas en doctrine 242, que « celui qui s’est incliné devant la
résolution inflexible de l’autre partie et a subi sa loi en adhérant au contrat « unilaté-
ralement réglementé » par ce dernier, n’a pas véritablement consenti une obligation ».
Par conséquent, l’absence d’intervention de la part du législateur ou du juge serait une
façon indirecte d’entériner juridiquement l’inégalité et l’injustice nées de la pratique des
contrats d’adhésion. Donc, plutôt que d’une « crise » 243, il s’agit en vérité d’une
« toilette », « désinfection » ou « thérapie » juridiques du contrat ;
- Dans un deuxième temps, la déloyauté manifeste de certains contractants ou de cer-
taines parties à la négociation du contrat avait incité le juge à passer du simple souci de
« colmater les brèches » par le rééquilibrage des prestations, à la nécessité de moraliser
les rapports entre les parties. En effet, les moyens classiques, à savoir, la théorie des
vices de consentement, l’exigence de la capacité de contracter et de la licéité de la cause
du contrat, ne suffisaient plus à garantir la moralité contractuelle. D’où le recours à
d’autres moyens juridiques tels l’exigence de la bonne foi dans la négociation, l’exécu-
tion du contrat et dans l’exercice des droits nés du contrat, la sanction de la réticence
dolosive, la prohibition des clauses abusives, de l’abus de sa position économique ou de
l’exploitation de la situation de faiblesse du partenaire ;
- Dans un troisième temps, et finalement, l’équilibrage des prestations et la sanction
de la mauvaise foi des parties sont jugés insuffisants pour répondre à l’attente des parties
et en l’occurrence assurer l’efficacité du contrat. Aussi, le droit positif a-t-il entrepris
d’exiger des parties des « comportements convergents au service de l’intérêt contractuel
commun ». Car, les besoins respectifs des parties ne sont plus considérés comme oppo-
sés, mais comme complémentaires, voire identiques dans certains cas. Ainsi par
exemple, dans le domaine de la distribution certains contrats seront définis par la loi
Doubin comme étant « conclus dans l’intérêt commun des deux parties » après
l’échange des « informations sincères » entre le fournisseur et le distributeur, infor-
mations destinées à permettre à ce dernier de s’engager en toute « connaissance de
cause ».

240 V. Ph. Rémy, « Droit des contrats : questions, positions, propositions », in Le droit
contemporain des contrats, bilan et perspectives, Trav. coordonnés par Loïc Cadiet,
Economica, 1985-1986, p. 271 et s. et les références citées.
241 Ceci est d’autant plus vrai que, par «crise », « mort », « altération », « démolition »
ou « éclatement » du contrat, on entendait exprimer que les règles traditionnelles du droit du
contrat ont été modifiées, que la force obligatoire du contrat n’est plus « la chasse gardée » de
l’autonomie de la volonté, que le contenu du contrat ne se limite plus à ses stipulations,… que
la définition classique du « contrat » ne rend plus compte de toutes les situations concernées
par le contrat.
242 V. Ripert, op. cit.
243 V. H. Batiffol, « La "crise du contrat" et sa portée », Arch. phil. droit, T. XIII,
1968, p. 13.

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C’est sans doute le « stade ultérieur » du devoir de coopération qui est aujourd’hui
en passe d’être atteint par le législateur, au moins pour certains types de contrats, sui-
vant ainsi le sentier bâti depuis longtemps par la jurisprudence et la doctrine à travers de
nombreuses obligations « implicites », « accessoires », ou « complémentaires » des
obligations principales du contrat. A ce stade de l’évolution du droit des contrats, on est
à un pas près de la pratique commerciale qui est arrivée à créer un type de contrats pour
lesquels la coopération s’identifie à l’objet ou à la nature même du contrat.
Dans ce dernier cas, comme dans l’autre hypothèse, force est alors de réaliser com-
ment le devoir de coopération assure son unité : la coopération, en tout état de cause,
participe à la substance même du contrat. Dans les deux cas, elle relève de l’essence
même du contrat, et en plus dans le deuxième cas, elle est renforcée par l’objet ou la na-
ture de la convention. Le devoir de coopération se révélerait donc comme l’instrument de
l’évolution du contrat, de son droit et de sa pratique, notamment.

b. Le devoir de coopération comme moyen d’adapter le contrat.


Le devoir de coopération assure l’adaptation des rapports contractuels à l’évolution
des mœurs grâce notamment à l’intégration des usages de la pratique commerciale, à
l’évolution des techniques aussi, comme normes de la lex contractus 244. Il constitue le
moyen de rendre obligatoires les règles de conduite issues de l’équité, des usages profes-
sionnels et plus généralement des suites du contrat. La doctrine 245, pour sa part, accré-
dite également le devoir de coopération d’une fonction non négligeable d’adaptation du
contrat. En effet, dans les domaines particuliers des contrats administratifs et des contrats
internationaux, la théorie de l’imprévision constitue une application du devoir de coopé-
ration dans le temps 246 comme moyen d’adapter les prestations contractuelles aux chan-
gements de circonstances 247. La jurisprudence conçoit à juste titre qu’en présence de
telles circonstances, seule la solidarité contractuelle pourra permettre aux parties de faire
face aux difficultés rencontrées.
Le professeur J. Mestre annonçait déjà que se multiplient désormais des signes
avant-coureurs de l’adaptation du contrat à son environnement et notamment aux exi-
gences de moralité et de solidarité contractuelles. En effet, cette adaptation est constatée
« dès la phase de la négociation contractuelle, à travers l’obligation faite aux profes-
sionnels de révéler à leur éventuel cocontractant l’inopportunité même de l’accord qu’ils
envisageaient de conclure, à travers celle imposée à celui qui s’est engagé sous condition
suspensive de faire son possible pour que celle-ci se réalise et que le contrat soit ainsi

244 Voir d’un point de vue général Paul Amselek, « Brèves réflexions sur la notion de
"sources" du droit », Arch. phil. droit, Paris, Sirey, 1982, T. 27, pp. 251-258 ;
A. Penneau, Règles de l’art et normes techniques, Bibl. dr. pr. Tome 203, Paris LGDJ 1989.
245 Voir Régis Fabre, « Les clauses d’adaptation dans les contrats », RTD civ., 1983,
1re ; B. Oppetit, « L’application des contrats internationaux aux changements de circons-
tances la clause de Hardship », Clunet, 1974, p. 794.
246 En effet, ne dit-on pas que la révision judiciaire des contrats pour cause d’imprévision
que l’on observe dans les contrats administratifs et internationaux se justifie par le principe
de la continuité du service public (ou des relations d’affaires, entreprises) : voir J-M.
Mousseron, Technique contractuelle, Francis Lefèbvre, p. 139, n° 312. Voir également
R. David, « L’imprévision dans le droit européen », Mélanges Jauffret, p. 211.
247 Voir D. Tallon, « La révision du contrat pour imprévision au regard des enseigne-
ments récents du droit comparé », in Études à la mémoire d’Alain Sayag, op. cit. p. 403 et s.

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LE DEVOIR DE COOPÉRATION COMME PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRAT 301

définitivement formé. Et surtout, bien évidemment, au stade de l’exécution du contrat,


vers laquelle, selon la célèbre formule de Savigny, « toute l’attente des parties se trouve
orientée » 248. Il convient d’ajouter à cette circonscription du devoir de coopération, le
stade post-contractuel qui risquait de devenir le dernier refuge de la déloyauté, l’intention
malveillante de l’une des parties pouvant s’enorgueillir de s’être affranchie de toute
obligation consentie.
Dans ce vaste domaine, le devoir de coopération a une double fonction d’adaptation
du contrat. Il assure en effet l’adaptation du contrat à son objectif économique d’une part,
et à sa nécessité juridique, celle de la sécurité, de la loyauté ou de l’efficacité des transac-
tions d’autre part. Il en résulte que le contrat, par sa force exécutoire, se réduit à l’ins-
trument juridique de coopération entre les parties et que parallèlement l’exigence de la
coopération, en raison de sa souplesse, devient l’élément central de l’évolution du contrat
et de son adaptation aux besoins socio-économiques.
Un autre intérêt que réalise le devoir général de coopération contractuelle réside dans
la conciliation entre, d’une part, les principes traditionnels de la théorie générale, et les
nouveaux principes d’égalité, d’équilibre et de fraternité 249, et d’autre part, entre les
aspirations actuelles de « moralité » et de « raison » contractuelle, de justice et de
l’utilité économique ou sociale du contrat. Il s’agit là en effet d’une heureuse concilia-
tion dont la possibilité n’est plus à démontrer, le devoir de coopération jouant en droit
positif un rôle à la fois de principe directeur des rapports contractuels, de moyen de
contrôler la conformité du contrat par rapport aux exigences juridiques et aux nécessités
économiques, et surtout de principe correcteur du comportement des parties. Par ailleurs,
que l’on le loue ou que l’on le vilipende 250, il est certain que le devoir de coopération se
révèle être d’une importance tout à fait particulière à cette époque où les relations écono-
miques sont de plus en plus complexes, se « professionnalisent » ou « s’internationali-
sent » davantage.
En effet, le devoir de coopération, en raison de l’effusion des principes moralisateurs
et des possibilités d’adaptation aux circonstances qu’il assure au contrat, est en effet la
voie par laquelle le contrat bénéficie à la fois de la sécurité juridique et de la stabilité
nécessaires dans les transactions. Ce devoir tend à faire de la satisfaction contractuelle
recherchée, le point de rencontre entre la prestation promise par le débiteur et l’attente
légitime du créancier tout en associant ce dernier à l’exécution du contrat, son rôle deve-
nant alors actif alors que le droit commun l’avait confiné dans une certaine passivité.
Par ailleurs, il résulte de ce rapprochement des parties et de leurs besoins une nou-
velle conception du contrat dans laquelle l’exigence de la loyauté et de la solidarité, la

248 J. Mestre, op. cit.


249 Sur ces nouveaux principes voir par exemple C. Thibierge-Guelfucci, « Libres propos
sur la transformation du droit des contrats », RTD civ., 1997, p. 377 et s., n° 27 à 32.
250 Il faut reconnaître que les critiques du devoir de coopération dans le contrat sont assez
rares et isolées. Elles ne sont cependant pas inexistantes : un jugement du Tribunal de com-
merce de Paris demandait avec une certaine ironie à propos de l’intérêt commun dans les
contrats « pourquoi ne pas dire que la convention formée par le boulanger et son client consti-
tue aussi un contrat d’intérêt commun ? » (Trib. Com., 28 juin 1979 cité par Buhagion, JCP,
1981, I 315, n° 22). Rappelons aussi la réserve que le Doyen Carbonnier faisait à propos de
ce devoir en invitant à voir « la coopération telle qu’elle existe, conflictuelle et non exempte
d’arrière pensées ».

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302 ÉTUDES

recherche de l’entente entre les parties et de l’efficacité dans l’exécution du contrat devien-
nent l’épine dorsale des rapports contractuels. Dans cette conception, en effet, tenir
compte de l’intérêt de l’autre partie ou se mettre à sa place dans l’exécution des obliga-
tions ou dans l’exercice des droits nés du contrat, transforment les contractants en véri-
tables partenaires, considérés jusqu’à lors comme des protagonistes, compétiteurs ou ri-
vaux, parce que l’on estimait leurs intérêts en conflit.
Ainsi, en plus de son rôle d’adaptation du droit aux faits économiques, le devoir de
coopération est formateur et moralisateur des comportements des parties. Il apporte donc
au droit des contrats un souffle nouveau, une vitalité nouvelle. Revigorante et régénéra-
trice du contrat, la coopération est en tout état de cause l’instrument de la perdurance du
contrat et donc de son adaptation dans le temps. Elle est la source cachée de la félicité
espérée par les parties

CONCLUSION

L’introduction du devoir de coopération en droit positif des contrats s’est faite en


sourdine et de façon progressive. Elle a, sur le plan théorique suscité craintes et
angoisses, certains auteurs redoutant la « crise » du contrat, tandis que d’autres se
lamentent sur sa disparition, sur sa « mort » disait-on. Et pourtant, sur les plans juri-
dique et pratique jamais le contrat n’a connu autant de vitalité, de sources internes et
externes, dès lors que par un processus de création de droits et obligations complémen-
taires des stipulations des parties, juges et législateur apportent au contrat la base éthique
qui lui fait souvent défaut ; tandis que de l’autre côté le contrat est davantage enrichi par
de nouvelles techniques émanant de la pratique commerciale et qui sont tournées vers
l’affectio cooperandi, vers la solidarité entre les parties et vers un objectif contractuel
commun.
Le devoir de coopération dont l’importance pour les parties, comme pour le contrat,
est inestimable ne peut cependant pas étinceler de tout son éclat, faute de nature juridique
précise, de base légale stable et solide et de régime propre. Il souffre encore des faiblesses
de son application casuistique, et des critiques du caractère expansionniste dont il ne peut
facilement s’en défaire en raison de sa consubstantialité avec le contrat. À cette défail-
lance juridique s’ajoute la complexité de sa mise en œuvre, le devoir de coopération ne
pouvant s’inscrire dans les définitions et catégories juridiques classiques, ni s’aligner
avec docilité derrière les concepts connus.

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