Sirh
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RÉSUMÉ
Le SIRH est un logiciel utilisé de façon croissante pour la gestion des ressources humaines
des grandes entreprises. L’investissement dans ce type d’application a généralement pour
but de rationaliser les pratiques de la fonction RH. C’est également l’occasion d’évaluer et
de contrôler de manière plus aisée le mode de gestion des ressources humaines des
différentes entités de l’organisation.
Dans cette recherche nous montrons que les objectifs de rationalisation et d’évaluation
initialement affichés pour les SIRH peuvent évoluer du fait de pratiques non attendues de
la part des parties prenantes utilisatrices du SIRH. Adoptant une lecture
structurationniste du déploiement du SIRH, cette recherche se base sur une étude de cas
d’une FMN où les filiales s’approprient le SIRH, non pas dans une logique de reporting,
mais dans une logique de coordination intra-organisationnelle. La recherche souligne alors
les limites des pratiques d’évaluation et de contrôle associées à l’usage d’un SIRH.
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INTRODUCTION
2350
La première partie de la communication est consacrée aux aspects théoriques de la
recherche (1.). Elle présente la notion de SIRH telle qu’entendue aujourd’hui et
étudie les différentes implications sur le travail des fonctions ressources
humaines. Le recours au cadre d’analyse structurationniste permet alors de
préciser certains des enjeux associés au déploiement de ce type de technologie.
Dans une seconde partie, les implications en termes de contrôle théoriquement
attendues du SIRH sont confrontées aux usages énoncés par les acteurs sur le
terrain, opposant alors les objectifs affichés par le siège de la FMN aux pratiques
finalement adoptées dans les filiales (2.).
Si le déploiement des SIRH est de plus en plus fréquent au sein des entreprises
françaises, la question de la mesure de leur impact sur l’organisation se pose
aujourd’hui. En effet, l’implantation d’un SIRH peut être l’occasion d’entamer une
réflexion sur la création de valeur de la fonction RH dans son ensemble. Précisons
dans un premier temps la notion de SIRH et les enjeux qu’il porte quant à la
réalisation des finalités stratégiques de la GRH (1.1). Dans un deuxième temps,
nous présenterons la grille d’analyse structurationniste, se révélant pertinente
dans la compréhension des conséquences organisationnelles de l’usage des
systèmes d’information (1.2).
2351
Définition du SIRH :
Afin de dépasser la définition par les usages du SIRH, un retour sur les finalités
stratégiques de la GRH peut être proposé. L’analyse de ces finalités permet d’aller
au-delà des typologies classiques qui énumèrent les tâches et les différents outils
de la GRH sans en souligner les liens. Certaines recherches proposent des
typologies fondées sur les apports de la GRH (Foucher, 1993).
Dans le cadre de cette étude, nous ne retenons pas cette approche et préférons
nous concentrer sur la notion de finalités. Pour cela, nous nous appuyons sur les
travaux de Blanchot et Wacheux (2002) qui identifient quatre types de finalités de
la gestion des ressources humaines, dans le but d’en faire émerger la dimension
de création de valeur (tableau 1). Cette grille de lecture permettra de positionner
les enjeux du SIRH au regard de ces quatre finalités.
Les quatre finalités identifiées par Blanchot et Wacheux (2002) illustrent les
différentes facettes de la dimension stratégique de la GRH : celle-ci peut être
créatrice de valeur en attirant, développant, mobilisant et conservant les
compétences requises dans l’entreprise. Les auteurs énumèrent d’ailleurs les
différents TIC qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre de ces finalités. Ils
3 Tannenbaum (1990). Traduction de: « The HRIS is the system used to acquire, store, manipulate,
analyze, retrieve and distribute pertinent information regarding an organization’s human resources »
(p.27)
2352
suggèrent notamment que les TIC peuvent constituer un apport aux finalités, mais
sont également porteuses de certains risques et coûts potentiels.
Tableau 1 :
Les finalités stratégiques de la GRH (d’après Blanchot et Wacheux, 2002)
Finalités
stratégiques de la Opérationnalisation
GRH
L’attraction des compétences requises passe par le
Attirer les
recrutement, ainsi que la gestion des rémunérations, de
compétences
l’emploi, de la formation, des carrières et de la
requises
communication.
Le développement des compétences passe par la formation, la
Développer les communication et la gestion des parcours professionnels. Les
compétences évolutions de l’environnement doivent être prises en compte
requises et anticipées dans le cadre de la gestion de l’emploi et de la
formation, aux niveaux collectif et individuel.
La mobilisation des compétences disponibles vise à
l’allocation adéquate des compétences. Elle passe par leurs
usages dans la direction des valeurs et buts de l’entreprise, au
Mobiliser les travers de la gestion de l’individu (recrutement et formation),
compétences la gestion de l’emploi (mise en avant de l’autonomie, des
disponibles initiatives) et la gestion des relations collectives
(communication, circulation et transparence des
informations). L’organisation du temps de travail et la gestion
des effectifs participent également au travail de mobilisation.
La conservation des compétences vise à ne fidéliser que les
Conserver les compétences requises et à éviter de garder ou de développer
(seules) les autres. La gestion anticipée des emplois et des effectifs
compétences participe à cette fidélisation, ainsi que des outils d’adaptation
requises comme l’organisation du temps de travail, la mobilité et la
flexibilité.
Le SIRH, en tant qu’outil global de gestion des ressources humaines, poursuit les
mêmes finalités stratégiques que la GRH. Ainsi nous pouvons définir le SIRH
comme une application visant à l’acquisition, le développement, la mobilisation et
la fidélisation des compétences requises par l’entreprise.
2353
Les utilisateurs du SIRH
Cette diversité des utilisateurs directs et indirects du SIRH souligne l’étendue des
implications possibles liées à la mise en place d’un SIRH. Chacun dans l’entreprise
est potentiellement concerné par ce dispositif, à des degrés divers. Le déploiement
d’un SIRH doit alors avoir pour ambition de soutenir les finalités stratégiques de
la GRH tout en répondant aux objectifs de ces différentes parties prenantes. Cette
ambition se retrouve dans l’objectif d’évaluation des ressources humaines
développé par la fonction RH.
2354
1.1.2 Le SIRH, dispositif d’évaluation des ressources humaines
activities that remain dispersed across subsidiaries, it can be concluded that there is an increasing
demand for coordination within MNCs. » (p.431)
5 Cray D., (1984). Traduction de : « control is seen as a process which brings about adherence to a goal
6 La communication, mobilisée pour attirer les compétences, semble plus difficile à mettre en œuvre
dans le cadre d’un SIRH. C’est plutôt par l’entremise d’Internet et d’intranet que se développe cette
notion.
2356
En définitive, il apparaît que sous couvert d’une réorganisation et d’une
rationalisation de différentes pratiques RH de l’entreprise, la dimension de
contrôle peut constituer une part importante des implications possibles associées
au déploiement d’un SIRH. La formalisation des processus de coordination
suggère une rationalisation des pratiques sans qu’elle ait systématiquement lieu,
alors que les processus de contrôle se retrouvent très facilement renforcés. En cela,
le SIRH apparaît comme un outil particulièrement adapté à l’évaluation et à la
mesure des ressources humaines, offrant une vision agrégée et standardisée des
différentes données et informations sur les ressources humaines de l’ensemble de
l’organisation.
2357
finalement relatées (post-implantation). Une analyse de type processuel permet
de mettre en lumière cet aspect de l’étude.
- Deuxièmement, la perspective retenue doit s’appuyer sur une approche non
déterministe, prenant en compte la multiplicité des trajectoires possibles. Cette
indétermination caractérise les systèmes d’information étendus, comme peut
l’être un SIRH, dont les modules sont nombreux et développés, engendrant
alors une richesse d’usages possibles.
- Enfin, la perspective retenue doit être multi-niveaux puisque mettant en jeu
différents types de parties prenantes. Ces acteurs (utilisateurs directs et
indirects du SIRH) positionnent l’impact du SIRH à différents niveaux. En
fonction des répercussions des possibilités de gestion et de contrôle du SIRH,
le service RH, la filiale, le siège ou encore la firme dans son ensemble prennent
en compte des éléments du SIRH. Le SIRH peut donc intervenir à différents
niveaux de l’entreprise, en fonction des attentes des utilisateurs et de leur
positionnement.
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structurationniste des conséquences organisationnelles des TIC représente
aujourd’hui un cadre d’analyse mobilisé de façon croissante.
« Caractéristiques structurelles » et « esprit » d’une TIC : deux concepts clés
Afin d’étudier l’aspect structurant des technologies de l’information, DeSanctis et
Poole (1994) proposent dans leur « théorie de la structuration adaptative » que les
structures sociales des technologies soient décrites suivant deux dimensions :
leurs caractéristiques structurelles et leur esprit.
2359
2. DU CONTRÔLE À LA COORDINATION : ILLUSTRATION DU RÔLE ÉVOLUTIF D’UN SIRH
Pour analyser le rôle d’un SIRH comme dispositif d’évaluation de la fonction RH,
les pratiques de gestion des ressources humaines de la firme multinationale
Districorp7 ont été étudiées. C’est au travers des modes de gestion du siège de
cette FMN et des pratiques de quatre de ses filiales européennes que se révèle
l’évolution du rôle du SIRH.
Dans un premier temps, nous analysons comment le SIRH est introduit dans un
objectif de contrôle des performances des fonctions RH du groupe (2.1). Par la
suite, les pratiques du terrain viennent transformer l’esprit initial associé à la mise
en place du SIRH (2.2).
L’analyse des différents matériaux supportant l’étude montre que l’esprit du SIRH
est fortement marqué par une volonté de centralisation et de contrôle de la part du
siège du groupe Districorp (2.1.1). Cependant, la dimension délicate d’une telle
volonté amène à la mise en avant d’un esprit de professionnalisation lors du
déploiement du SIRH (2.1.2).
2363
2.2.1. Le déploiement du projet comme occasion de coordination entre les
filiales
Comme le rappelle Reix (1999), « l’un des objectifs majeurs assignés aux TI est
d’améliorer la coordination à l’intérieur de l’organisation » (p.116). C’est ce que
souligne Biétry (2002, p.25) lorsqu’il présente le SIRH comme étant « au secours de
la coordination ». Nous retrouvons cet objectif de coordination lors du
déploiement du SIRH au sein de Districorp. Cependant, la coordination peut être
appréciée de différents points de vue, selon les parties prenantes concernées. Sur
ce point, l’approche suivie par le siège du groupe rapproche fortement la notion
de coordination de celle de contrôle. Pour le DRH groupe de Districorp : « IHRIS
devrait être à terme le liant de toutes nos entités. [...] C'est une double fonction, si
vous voulez, IHRIS. Et c'est pour ça que c'est intéressant d'avoir un système
commun. C'est que c'est à la fois un outil qui permet de faire un suivi des
politiques RH en même temps que c'est un outil qui devrait permettre d'apporter
plus de cohésion et d'uniformité dans la manière dont on gère ces politiques RH ».
La recherche de « liant » et de « cohésion » prônée par le siège se situe dans la
continuité d’un esprit de contrôle et de coordination par la technologie. La
coordination est entendue comme la volonté de créer un langage commun et, de
fait, de créer une relative uniformité permettant une meilleure compréhension des
différentes parties prenantes.
Ainsi, les DRH des deux filiales du sud de l’Europe se sont découverts des
problématiques communes face à une forte régionalisation de leur territoire
national et des contraintes légales importantes dans leurs pays respectifs. À
l’occasion de réunions sur le SIRH, ils ont pris conscience de ces ressemblances et
depuis échangent régulièrement sur le sujet.
2364
De la même manière, la filiale britannique a implanté le SIRH quelques mois
avant les trois autres. En conséquence, la DRH britannique a joué le rôle de pilote,
chargée par le siège d’expliquer les difficultés qu’elle a rencontrées. Pourtant, elle
a dépassé ce rôle initial et a proposé un bilan des meilleures pratiques à adopter à
partir de sa propre expérience de déploiement du SIRH.
Par ailleurs, les échanges entre filiales au départ centrés sur le SIRH, se sont
élargis pour toucher les autres domaines de la GRH. Les échanges de « bonnes
pratiques » se sont intensifiés, sans nécessairement passer par le siège du groupe.
En définitive, une nouvelle forme de coordination s’est instaurée entre les filiales à
la suite de l’implantation du SIRH, allant au-delà des prévisions et des objectifs du
siège. De plus, d’autres pratiques de coordination ont émergé également à la suite
du déploiement du SIRH, mais cette fois-ci à l’intérieur de l’organisation de
chaque filiale. Ces différents modes de coordination émergents n’étaient pas
planifiés par le siège et n’apparaissent que très peu dans la littérature sur les
SIRH.
2.2.2. L’appropriation du SIRH dans les filiales : des pratiques guidées par les
besoins de coordination interne
En 2001, les quatre filiales étudiées ont relativement bien accueilli le SIRH dans
leurs structures, considérant que la professionnalisation des pratiques de GRH est
créatrice de valeur. Cependant, l’appropriation du SIRH à l’intérieur de chaque
filiale met en évidence le dépassement de l’objectif d’évaluation associé au SIRH
vers la réalisation d’objectifs internes, propres à chaque filiale.
Tout d’abord, il apparaît que dans les six mois suivant l’implantation du SIRH, les
reportings ne sont pas remontés plus fréquemment vers le siège qu’auparavant.
Néanmoins, les reportings effectués sont plus conséquents et plus précis.
CONCLUSION
9Le lecteur souhaitant avoir une mise en parallèle plus complète des modes d’appropriation du SIRH
par les quatre filiales peut se reporter à Tixier (2003).
2366
certaines pratiques de coordination entre filiales et à l’intérieur des filiales. En
définitive, la notion même de contrôle ne semble plus dominante et laisse place à
la notion de coordination qui devient la principale implication associée au SIRH.
Cette logique de coordination peut alors être considérée comme une source de
création de valeur associée à l’implantation du SIRH.
En conclusion, il est possible de poser un rapide parallèle avec l’étude de Boulay
(2002) qui étudie les effets de l'introduction de l'intranet sur les conditions de
contrôle dans les réseaux de franchise. Il montre que le franchiseur implante
l'intranet autour de fonctionnalités renforçant le contrôle des franchisés.
Cependant, l'évolution de l’intranet s'oriente ensuite vers une logique d'échange
entre franchisés. Ce cas rejoint les enseignements retirés de l’analyse notre propre
étude et confirme l’importance des processus de structuration et de modification
des rôles associés à l’usage de toute technologie.
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