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Bilan D'hémostase Des AOD

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Presse Med.

2015; 44: 772–778

JOURN EES EUROP EENNES DE LA SOCI ET E FRANÇAISE DE CARDIOLOGIE en ligne sur / on line on
www.em-consulte.com/revue/lpm
www.sciencedirect.com

Dossier thématique
Mise au point

Bilan d'hémostase chez les patients traités


par un anticoagulant oral direct (AOD)

Pierre Sié

Disponible sur internet le : CHU de Toulouse, hôpital Rangeuil, laboratoire d'hématologie, TSA 50032, 31059
3 août 2015 Toulouse, France

sie.p@chu-toulouse.fr

Points essentiels
Les tests de coagulation usuels sont affectés à des degrés variables suivant la nature du test, le
réactif et l'anticoagulant oral direct (AOD).
Ces tests ne sont pas adaptés à la surveillance biologique des AOD, pas plus que la mesure du taux
plasmatique du médicament. Le laboratoire n'a pas de rôle dans l'adaptation des doses.
La présence d'un AOD à forte concentration rend difficile l'interprétation d'un bilan d'hémostase.
Au cours des situations critiques (saignement grave, acte invasif urgent), la mesure de la concen-
tration plasmatique de l'AOD est simple et utile pour adapter la prise en charge du patient en
fonction du taux initial et de la cinétique d'élimination.

Key points
Laboratory coagulation tests in patients treated by direct oral anticoagulants (DOACs)

Routine clotting time assays (Prothrombin Time/INR, activated Partial Thromboplastin Time
[aPTT]) are prolonged at variable extent by direct oral anticoagulants (DOAC), according to
the assay, the reagent and the type of DOAC.
These assays are not reliable for monitoring the intensity of treatment and the measurement of
the plasma level of the DOAC is usually not required.
At high concentrations, DOAC interfere with the routine clotting assays, making them difficult to
interpret.
In critical situations such as major bleeding or urgent invasive procedure, the measurement of
DOAC level and its kinetics are simple and useful to manage the patient.

(Pradaxa®), le facteur Xa pour les « xabans » dont 2 sont actuel-


Introduction lement commercialisés (rivaroxaban [Xarelto®] et apixaban
Les anticoagulants oraux directs (AOD) sont des petites molé- [Eliquis®]) et un troisième en phase réglementaire (edoxaban,
cules chimiques qui inhibent une enzyme cible de la coagula- Lixiana®).
tion, la thrombine (IIa) pour les « gatrans », dont le seul Ces médicaments ont reçu ou demandent l'autorisation de mise
représentant commercialisé est le dabigatran étexilate sur le marché dans une ou plusieurs des 3 indications suivantes :
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tome 44 > n87–8 > juillet–août 2015


http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2015.06.004
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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la prévention de la maladie thromboembolique veineuse peuvent rendre complexe l'interprétation des bilans
(MTEV) après mise en place d'une prothèse de hanche ou de d'hémostase.
genou, le traitement et la prévention des récidives des throm-
boses veineuses profondes (TVP) et embolies pulmonaires (EP) Pharmacocinétique et pharmacodynamie
et la prévention des accidents cardio-emboliques de la fibrilla- des AOD
tion atriale non valvulaire (FA) [1]. Les doses et le rythme L'effet anticoagulant de ces médicaments est proportionnel
d'administration varient suivant le médicament, l'indication à leur concentration plasmatique. Leur pharmacodynamie est
et éventuellement des critères de risque hémorragique (poids, superposable à leur pharmacocinétique. Les principales proprié-
âge, fonction rénale) prédéfinis dans les essais ou issus d'une tés de ces médicaments sont résumées dans le tableau I [1]. La
analyse de pharmacocinétique de population. Dans ces limites, concentration du médicament dans le plasma évolue entre les
les doses sont fixes et ne sont pas adaptées individuellement sur prises, d'une maxima (Cmax) 2 à 4 h (Tmax) après la prise orale
la base d'un test d'hémostase ou de la concentration plasma- à une minima (Cres) avant la prise suivante (tableau II). L'ampli-
tique du médicament. Pour autant, les AOD ne sont pas sans tude varie suivant l'absorption digestive et pour le dabigatran
effet sur les résultats des tests conventionnels d'hémostase et étexilate qui est une pro-drogue, sa transformation en plusieurs

TABLEAU I
Principales propriétés et indication des AOD anti-IIa ou anti-Xa commercialisés en France

Dabigatran Rivaroxaban Apixaban

Mécanisme d'action Anti-IIa direct Anti-Xa direct Anti-Xa direct

Biodisponibilité 6,5 % 80 % 50 %

Administration Oral Oral Oral

Rythme d'administration 1  /j prévention chir-ortho 1  /j prévention chir-ortho 2  /j toutes indications


2  /j (TVP, FA) 2  /j (TVP 21 jours)
1  /j (FA, TVP et EP)
Pro-drogue Oui Non Non

Élimination rénale 85 % 36 % 27 %

Demi-vie moyenne 14–17 h 7–11 h 12 h

Dialysable Oui Non Non

Tmax 0,5–2 h 2–4 h 3h

Interactions médicamenteuses Inhibiteurs et inducteurs de la glycoprotéine P-gp CYP 3A4 et P-gp inhibiteurs CYP 3A4 et P-gp inhibiteurs
CYP 3A4 inducteurs CYP 3A4 inducteurs

TVP : thromboses veineuses profondes ; FA : fibrillation atriale non valvulaire ; EP : embolies pulmonaires.

TABLEAU II
Concentrations plasmatiques (ng/mL) usuelles, maximales (2–4 h après la prise) et résiduelles (12–24 h après la prise suivant le rythme
d'administration) des AOD administrés aux doses pleines

Cmax Cres

2–4 h 12 h 24 h

Rivaroxaban (20 mg od) 290 (22–535)1 32 (6–239)1

Dabigatran (150 mg bid) 175 (117–275)2 91 (61–143)2


Apixaban (5 mg bid) 107 (57–203)3
1
M(5–95e percentile), rivaroxaban Einstein DVT.
2
M(25–75e percentile), dabigatran RELY.
3
gM(10–90e percentile), apixaban études de phase II.
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P. Sié
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métabolites actifs, et la clairance. L'élimination est rapide, Temps de céphaline avec activateur
avec une demi-vie entre 8 et 16 h, selon le médicament et Le temps de céphaline avec activateur (TCA) est prolongé de
des caractéristiques propres au sujet : fonction rénale et façon modérée aux Cmax usuelles de dabigatran et rivaroxaban,
mécanismes de transport et de métabolisme (protéine (rapport patient/témoin entre 1,5 et 2,5) mais pratiquement
d'efflux Pg-P, Cytochromes 3A4, et autres) qui peuvent être pas avec l'apixaban en dehors de fort surdosage. Ici encore, la
influencées par les co-médications ou des facteurs génétiques sensibilité du test varie significativement avec le réactif utilisé
encore mal connus. La contribution respective de l'élimination [2–6]. La relation entre l'allongement du TCA et la concentration
par le rein et de la clairance métabolique est différente de l'AOD est non linéaire avec un effet plateau pour les concen-
suivant les médicaments (tableau I). Le médicament diffuse trations les plus fortes.
dans les espaces extracellulaires, avec lesquels les concen- Au total, le TP et le TCA ne sont pas adaptés à la surveillance
trations plasmatiques s'équilibrent en quelques jours. Ceci biologique des AOD. Contrairement à l'INR pour les AVK, qui est
explique la possibilité d'un rebond lorsque le médicament standardisé et permet de définir une zone thérapeutique de
est soustrait du compartiment vasculaire par saignement manière indépendante du délai entre le moment du prélève-
massif, ou hémodialyse pour le dabigatran qui est le seul ment et la prise du médicament, le domaine de réponse du
AOD dialysable. temps de Quick (TP/INR) et du TCA est plutôt dans la zone haute
Ces propriétés pharmacocinétiques déterminées au cours des des concentrations plasmatiques des AOD (figure 1) et varie
essais de phase II ont servi au choix du rythme d'administration suivant le réactif, le médicament, et le délai depuis la dernière
(mono- ou biquotidien) dans les essais pivots de phase III. La prise. Par ailleurs, chez les patients traités en situations critiques,
multiplicité des facteurs intervenants dans la pharmacociné- la relation avec le taux plasmatique est médiocre en raison des
tique explique la large distribution interindividuelle des Cmax nombreux facteurs qui peuvent interférer avec ces tests
et des Cmin observées dans les populations cibles (tableau II). (figure 2, exemple de la relation observée chez des patients
Néanmoins, les AOD ont été développés sans ajustement admis aux urgences) (encadré 1).
individuel de la dose à une concentration plasmatique ou Temps de thrombine
à un effet sur un test d'hémostase, qui définirait une « zone Le temps de thrombine (TT) est très sensible au dabigatran et le
thérapeutique ». plus souvent non mesurable même lorsque ce médicament est
Les tests conventionnels d'hémostase chez en très faible concentration dans le plasma. Du fait de sa
un patient traité par un AOD sensibilité excessive, le TT ne peut pas être utilisé pour la gestion
des patients sous dabigatran. Le TT en revanche est insensible
Effet des AOD sur les tests conventionnels
aux xabans.
d'hémostase
Ces effets varient en fonction de la concentration plasmatique Activité anti-Xa
du médicament et donc dans le temps entre les prises. En cas de L'activité anti-Xa, mesurée par les techniques standard adaptées
surdosage par accumulation, ils peuvent persister pendant plu- aux héparines et calibrées en UI anti-Xa/mL, montre chez les
sieurs jours jusqu'à l'élimination du médicament. patients traités par les xabans des valeurs très élevées d'activité
anti-Xa, au-delà des limites de la gamme de mesure. Ces tests ne
Temps de Quick
Le temps de Quick (TQ) est allongé (et donc le taux de
prothrombine [TP] est diminué) de façon relativement modérée
avec le dabigatran, plus marquée avec le rivaroxaban et très Encadre 1
faiblement avec l'apixaban [2–5] en l'absence de surdosage. Il Le TP/INR et le TCA ne sont pas adaptés à la surveillance
est important de noter que la sensibilité du TQ est variable biologique des AOD
suivant les réactifs utilisés. Ce défaut de standardisation est Contrairement à l'INR pour les AVK, qui est standardisé et permet
amplifié par la conversion du résultats du temps de Quick en de définir une zone thérapeutique, et ceci de manière
INR (International Normalized Ratio) utilisé pour la surveillance indépendante du délai entre le moment du prélèvement et la
des antivitamines K (AVK). La zone thérapeutique de l'INR (entre prise du médicament, le domaine de réponse du temps de Quick
2 et 3 pour les AVK) ne s'applique pas aux AOD. (TP/INR) et du TCA est plutôt dans la zone haute des
Ainsi, le TP, exprimé en %, est diminué de façon modeste aux concentrations plasmatiques des AOD (figure 1).
concentrations usuelles mais il peut être très abaissé en cas de L'influence des AOD sur le TP/INR et le TCA varie suivant le
surdosage. L'INR, recommandé pour la gestion des patients réactif, le médicament, et le délai depuis la dernière prise.
sous AVK, doit être banni de la gestion des nouveaux anti- Les doses recommandées par les fabricants à la suite des essais
cliniques sont modulées en fonction de critères cliniques (âge,
coagulants. Enfin, l'interférence possible sur l'INR doit être
poids, fonction rénale, indication) et non en fonction des résultats
prise en compte lors du relais d'un de ces médicaments par
de tests d'hémostase.
les AVK.
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1 2 3 10
INR //
sous dosage zone surdosage
thérapeutique
AVK TP / INR

percentiles 5ème % 50ème % 95ème %

dabigatran (ng/ml) 27 103 411

sous dosage zone « usuelle » surdosage

TCA
dabigatran (150 mg bid)
TP / INR

TCA
apixaban (5 mg bid)
TP / INR

Figure 1
Domaine de réponse aux tests de coagulation usuels (TCA, TP/INR) aux antivitamines K (AVK) et aux AOD (dabigatran, apixaban)

doivent pas être utilisés pour la surveillance des xabans. Comme modeste avec le dabigatran et le rivaroxaban aux concentrations
attendu, le dabigatran ne développe aucune activité anti-Xa. usuelles. Cet effet devient majeur en cas de surdosage [7,8] et
impose une modification de la technique de mesure (dilution
Mesure spécifique des facteurs de coagulation avec vérification de parallélisme) qui n'est pas toujours facile
La mesure spécifique des facteurs de coagulation, par des tests à mettre en œuvre en urgence. Du fait de sa faible influence sur
dérivés du TQ (facteurs V, II, VII et X) ou du TCA (facteurs VIII, IX, le TQ et le TCA, l'apixaban n'affecte les taux de coagulation qu'en
XI et XII), est affectée d'une sous-estimation systématique mais cas de fort surdosage.

Figure 2
Relation entre les taux plasmatiques de dabigatran (ng/mL, Hémoclot®) et le TCA (ratio malade/témoin, TCK, Stago) ou le TP
(%, Néoplastine CI, Stago) dans une population cible de patients traités par dabigatran et admis aux urgences
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Mesure du taux de fibrinogène difficulté est moindre avec l'apixaban qui n'interfère qu'à des taux
La mesure du taux de fibrinogène n'est pas affectée par les très élevés.
xabans mais elle peut l'être avec certains réactifs, dans le sens
d'une sous-estimation, par le dabigatran [4]. Il appartient au Mesure des concentrations plasmatiques
biologiste de choisir une méthode insensible à cette interfé- des AOD
rence. Le taux de fibrinogène dérivé du TQ ne doit pas être utilisé Les techniques de mesure
chez les patients traités par un AOD. Les méthodes de référence pour la mesure de la concentration
Mesure des D-Dimères plasmatique d'un AOD sont des techniques séparatives (HPLC
La mesure des D-Dimères n'est pas affectée par les AOD. En couplée à la spectrométrie de masse) rarement disponibles en
revanche, la plupart des tests du bilan de trombophilie sont urgence. Ces méthodes sont sensibles dans les zones basses et
sensibles à l'interférence des nouveaux anticoagulants et ils ne ce sont les seules qui permettent de distinguer les xabans entre
doivent pas être réalisés sous ces traitements. eux.
Conséquences pratiques Les méthodes d'hémostase sont les plus utilisées en urgence.
Elles reposent sur des tests anti-IIa ou anti-Xa spécialement
Identification en urgence de la nature de l'anticoagulant
adaptés pour les AOD. À l'aide de trousses de calibration et
oral
de contrôles propres à chaque médicament [10], les résultats
Lorsque celle-ci n'est pas connue de l'équipe médicale (exem-
sont exprimés en unités pondérales (ng/mL). Les tests ont été
ple, patient non communiquant), la distinction entre la prise
développés de telle sorte que la zone de mesure corresponde
d'un anti-IIa, d'un anti-Xa ou d'une AVK peut être réalisée très
à l'échelle des concentrations usuelles observées chez les
rapidement au laboratoire par la mesure du TT (fortement
patients (50 à 500 ng/mL). Leur reproductibilité dans cette zone
allongé par un anti-IIa), de l'activité anti-Xa (présente souvent
est acceptable, mais elle est insuffisante en dehors de cette
à un niveau élevé, en cas de traitement par un xaban). Un
gamme de mesure, en particulier pour les valeurs faibles
traitement par AVK ne modifie ni le TT, ni l'activité anti-Xa et la
(< 30 ng/mL). Enfin, certains de ces tests sont affectés par la
mesure des facteurs du complexe prothrombinique montre un
présence d'héparine.
déficit sélectif des facteurs II, VII et X, qui sont vitamine-K
Ces tests sont relativement simples, rapides et automatisables,
dépendants, alors que le taux de facteur V est normal. L'INR
de coût supérieur à celui de la mesure d'une héparine par
n'a pas de valeur discriminante car il peut être augmenté par
l'activité anti-Xa ou anti-IIa, non cotés à la nomenclature des
les AOD. De plus les appareils d'hémostase délocalisés de
actes de biologie médicale et non remboursés par l'assurance
type Hemochron® sont susceptibles de donner des résultats
maladie. Ceci peut représenter un frein à leur déploiement dans
d'INR élevés, discordants avec les résultats du laboratoire
les laboratoires de biologie non spécialisés en hémostase.
central [9].
Mise en évidence de l'absence de prise du traitement Utilité de la mesure des concentrations
Un TCA et un TQ normaux ne garantissent pas un taux nul d'AOD. plasmatiques d'AOD pour la gestion des patients en
En revanche, du fait de leur très grande sensibilité, un TT normal, situation critique [11]
ou une activité anti-Xa  0,1 U/mL, indiquent respectivement Hémorragie majeure active
l'absence de prise de dabigatran ou d'un xaban depuis plusieurs Devant une hémorragie active, la mesure de la concentration du
jours. Ce renseignement est utile en cas d'échec du traitement médicament permet d'évaluer l'imputabilité du saignement au
(récidive thrombotique) en particulier si un traitement fibrino- traitement, éventuellement de l'exclure si ce taux est très bas.
lytique est envisagé sans délai pour un accident vasculaire Un taux  10 % de la concentration Cmax, moyenne dans la
cérébral ischémique par exemple. population cible, correspondant à un taux résiduel après 3–
Interprétation d'une coagulopathie sévère 4 demi-vies d'élimination, est un seuil de sécurité hémosta-
En présence d'un AOD, spécialement si le taux de celui-ci est tique, en dessous duquel un accident hémorragique n'est pas
élevé, les tests de coagulation conventionnels sont perturbés. expliqué par l'AOD. Ce seuil est voisin de 30 ng/mL pour dabi-
Cette situation est, par exemple, la coagulopathie de choc gatran et rivaroxaban et par extrapolation, bien que les données
hémorragique associée à un surdosage en AOD. Les taux de fournies par le laboratoire soient moins nombreuses, pour
facteurs de coagulation dérivés du complexe prothrombinique, l'apixaban.
utiles pour guider le traitement, sont sous-estimés, parfois de Dans les centres ne disposant pas de la mesure de la concen-
façon importante. Il est alors difficile de faire la part entre tration du médicament, une solution dégradée est représentée
l'interférence de l'AOD et la coagulopathie associée sans connaître par la mesure du TP/TCA et si les résultats de ces deux tests sont
le taux plasmatique du médicament. L'adaptation des tests pour normaux (TP > 70 % et ratio de TCA < 1,2), il est probable, que la
permettre de réduire au maximum l'interférence le dosage des concentration du dabigatran ou du rivaroxaban est très faible et
facteurs de coagulation nécessite la collaboration du biologiste. La inférieur à ce seuil de 30 ng/mL. Ceci n'est pas applicable
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Encadre 2 la concentration de l'AOD, associée à l'évaluation des systèmes
La mesure des concentrations du médicament est utile lors de clairance naturelle du médicament (fonction rénale, hépa-
des situations critiques tique, médicaments interférents forts), permet d'estimer le
temps pendant lequel le saignement peut rester entretenu
Au cours d'un saignement grave, le suivi de l'élimination
par l'AOD (encadré 2).
spontanée (rénale et métabolique) ou forcée (hémodialyse pour
le dabigatran) permet : Acte invasif non programmé à risque hémorragique
 d'anticiper la durée de la réanimation ;
Si l'état du patient ne permet pas de reporter l'intervention, la
 de juger de la nécessité d'administrer un médicament
connaissance de la concentration du médicament à l'admission
procoagulant (concentré de complexe prothrombinique : CCP ou
du patient permet d'anticiper les difficultés d'hémostase per-
CCP activé) en seconde ligne en cas d'hémorragie persistante ;
 ou de s'assurer de la possibilité d'un geste invasif pour réaliser
opératoires, d'adapter les techniques et la surveillance, et de
l'hémostase. s'assurer de la disponibilité de médicaments procoagulants.
En cas d'acte invasif urgent (< 72 h), le suivi de l'élimination du Si l'acte peut être reporté (< 72 h), la répétition des mesures de
médicament permet : concentrations permet d'évaluer la cinétique d'élimination de
 d'anticiper le risque de saignement et de disposer d'un l'AOD. En fonction de celle-ci, l'acte sera programmé après le
médicament procoagulant si celui-ci survient en peropératoire ; délai minimum requis pour réduire le risque de saignement,
 ou de retarder l'intervention jusqu'à l'obtention d'une
idéalement lorsque le seuil de sécurité sera atteint. Par analogie
concentration minimale de sécurité. avec la situation des hémorragies actives, un taux  30 ng/mL
autorise la réalisation de la plupart des actes invasifs urgents
sans sur-risque hémorragique majeur. Pour le dabigatran, une
à l'apixaban, qui a très peu d'effet sur ces tests. Toutefois, même épuration par hémodialyse pourra être mise en œuvre pour
pour dabigatran et rivaroxaban, cette approche n'est pas sen- accélérer son élimination. La mesure de la concentration du
sible à 100 %. En effet, chez les patients traités en situations dabigatran est indispensable pour porter l'indication de cette
critiques, la relation du TP/TCA avec le taux plasmatique de procédure, juger de son efficacité et de surveiller un possible
médicament est médiocre en raison des nombreux facteurs qui rebond de concentration à distance de celle-ci.
peuvent interférer avec ces tests (figure 2, exemple de la Conclusion
relation observée chez des patients admis aux urgences)
Les AOD ont des effets sur les tests conventionnels d'hémostase,
(encadré 2).
et ils peuvent rendre difficile l'interprétation d'une coagulopa-
Devant une hémorragie active majeure, à l'exception des sai-
thie associée si leur concentration est élevée.
gnements à pronostic vital ou fonctionnel (ex. : hémorragies
Aucune zone thérapeutique n'ayant été définie et les doses
intracrâniennes), et en l'absence actuelle d'antidote, la réani-
recommandées par les fabricants ne tenant pas compte des
mation intensive et les tentatives d'hémostase mécanique sont
résultats des tests d'hémostase, ni les résultats des tests
préférées à l'administration de médicaments procoagulants
conventionnels (TP/INR, TCA), ni les taux de médicaments ne
(concentrés de complexe prothrombinique CCP = PPSB, CCP acti-
sont utiles pour l'adaptation thérapeutique et, en particulier,
vé = FEIBA®) en raison de leur bénéfice/risque incertain. Si
l'INR ne doit pas être utilisé.
ceux-ci sont utilisés, les tests de laboratoire peuvent indiquer
La mesure des concentrations du médicament à l'aide de tests
une correction totale ou partielle de l'effet anticoagulant, qui ne
dédiés est utile à la gestion des situations critiques.
préjuge toutefois pas de l'arrêt du saignement. Ces médica-
ments ne modifient pas la concentration de l'anticoagulant et ne
Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits
sont pas des antidotes spécifiques. La répétition de la mesure de d'intérêt en relation avec cet article.

Références
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