These26 01 06
These26 01 06
These26 01 06
Clement Lechartier
Clément Lechartier
Membres du Jury :
Parce que toute œuvre est autant individuelle que collective et parce que la connaissance
ne peut être privative, merci à vous :
Sophie pour la justesse et la sensibilité des interprétations, Sylviano pour les conseils
cartographiques, Tante Angela pour les conseils en traduction anglaise,
Marins, voyageurs, enseignants et professeurs d'arabe pour m'avoir fait découvrir l'autre
coté de la Méditerranée, l'autre coté du Sahara,
Ceux qui m'ont accueilli, ceux qui m'ont conseillé, ceux qui m'ont donné leur temps,
prêté leur âne et leur chameau, ceux qui m'ont offert sans concession couscous et riz-
qui-colle, ceux qui m'ont remis à ma place de colon blanc, ceux qui m'ont embobiné,
Enfin, merci à vous, proches du cœur, qui m'avez attendu de ce côté-ci du Sahara, de ce
côté-ci de la Méditerranée.
2
Résumé
Abstract
The aim of this thesis is to understand political power in Mauritania by studying its
spatial patterns. Moorish tribes who control the state are all linked to a place in the
country. Their power is based on their ability to bring these places nearer to political
centers. Political power results from relationships between tribes within state
institutions. The capital Nouakchott is a central place for such institutions but it is not a
center ruling over a periphery. Since the position of tribes in state institutions fluctuates,
spatial location and situation of the places to which they are attached are also mobile.
Thus, the ability to modify space is a way to control political power just as the control
of political power makes it possible to alter space.
3
INTRODUCTION ..................................................................................................................................... 7
4
L'APPROPRIATION D'UN LIEU DANS LA BEDIYYA EST UNE CONDITION DE RECONNAISSANCE SOCIALE ET
D'EXISTENCE POLITIQUE ....................................................................................................................... 125
L'ETUDE DES PRATIQUES ELECTORALES REVELENT L'ARTICULATION ENTRE LES LOGIQUES TRIBALE ET
ETATIQUE............................................................................................................................................. 146
CHAPITRE 9 : LES VILLES SONT DES CENTRES MEDIATEURS DES RELATIONS ENTRE
LES GROUPES TRIBAUX RATTACHES A LEURS LIEUX NOYAU ......................................... 196
RATTACHEMENT DES GROUPES TRIBAUX A DES CENTRES PLUTOT QU'A DES AIRES .............................. 225
L'ESPACE MOBILE DEPLACE PAR LES GROUPES TRIBAUX ..................................................................... 238
5
CHAPITRE 12 : LES ELECTIONS COMME METAPHORE DU POUVOIR POLITIQUE EN
GUISE DE CONCLUSION .................................................................................................................. 294
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................................. 303
6
Introduction
Des bocages normands à la bediyya (la brousse) du Hodh mauritanien, près de 6000
kilomètres. 6000 kilomètres à parcourir pour rencontrer l'autre, les autres. Chercher
dans le lointain peut sembler le plus sûr chemin pour découvrir l'altérité, certes, mais la
distance qui nous en sépare ne se mesure pas toujours en kilomètres. Même dans le
bocage normand, les nomades mauritaniens nous paraîtraient bien éloignés. Leur
rencontre est pourtant l'une des premières raisons qui nous a poussés vers ces contrées.
Nous les avons d'abord cherchés auprès des puits et des pâturages, perchés sur leur
monture, enturbannés et drapés de leur ample boubou. Nous avons alors logiquement
croisé la route des pasteurs transhumants et de leurs troupeaux. Cela a orienté nos
premiers travaux, et notamment ceux de maîtrise, vers une approche pastoraliste. Le
berger est mobile. Il se déplace suivant les saisons pour trouver l'eau et les pâturages,
mais cette seule mobilité permet-elle de le considérer comme nomade ? Il est confiné à
la circulation entre des sites qu'il ne contrôle pas car ce contrôle ne renvoie pas à la
seule activité économique mais à l'organisation sociale et politique dans laquelle il
s'insère. Dans le cas de l'Est mauritanien comme dans celui d'une grande partie du pays,
cette organisation est liée à la tribu maure. Ce sont ces tribus et ceux qui les dirigent qui
contrôlent ces sites et ceux qui circulent entre. Aussi, c'est peut-être dans l'exercice du
pouvoir politique et dans son rapport à l'espace que se manifeste le plus l'altérité. Les
tribus nomades tirent moins leur force de la propriété foncière que de leur capacité à
contrôler les carrefours et les pistes, conditions de la maîtrise de la circulation.
Quelques décennies plus tôt, nous aurions peut-être trouvé ces nomades également
perchés sur leur monture mais aujourd'hui ils n'exercent plus leur pouvoir du haut de
leur chameau. Ils circulent désormais dans des véhicules tous-terrains et ont quitté les
puits pour s'installer en ville. Nous fallait-il alors quitter la bediyya pour passer de
l'approche pastoraliste à l'approche politique du nomadisme ? Les nomades sont en
villes mais, nomades, ils sont aussi ailleurs. La ville n'est peut-être qu'un lieu de passage
ou une position stratégique à contrôler. Les tribus nomades sont en ville, mais elles
n'ont pas pour autant coupé le lien de subordination des pasteurs. Elles sont toujours
reliées au puits. Aussi, nous avons pris le parti de supposer que le nomadisme dans sa
dimension politique pouvait aussi être appréhendé depuis la bediyya.
7
Si nous ne considérons pas la ville comme une nouveauté dans l'espace des nomades, il
nous semble en revanche que la création de la capitale Nouakchott et de l'État
mauritanien constitue un changement majeur susceptible de le modifier
considérablement. La capitale n'est pas une ville parmi d'autres. Elle est le centre unique
vers lequel convergent toutes les tribus. Alors qu'avant sa création, il n'existait pas de tel
centre, elle est devenue le passage obligé centralisant leurs interrelations. De son côté,
l'État est un cadre territorialisé qui borne l'espace par des frontières et le découpe en
circonscriptions. Dans cette configuration héritée de la période coloniale et réappropriée
depuis, la question n'est pas seulement de savoir comment évoluent les transhumances
des éleveurs mais plutôt de savoir comment évolue le rapport à l'espace et au pouvoir
politique de ces tribus nomades. Comment s'adaptent-elles à ces limites ? Comment se
positionnent-elles vis-à-vis de la capitale ? Comment le territoire est-il approprié et
instrumentalisé ? Autrement dit, qu'est-ce l'État et qu'est-ce que la tribu aujourd'hui en
Mauritanie ? Le problème est posé de manière particulière mais renvoie à des
problématiques plus larges concernant l'État, le territoire, la nation et la mobilité en
Afrique et ailleurs également, dans le cadre de la mondialisation. “L'État-territorial-
national”1 est-il la seule forme de modernité politique ? Le modèle territorial est-il
toujours pertinent pour saisir le pouvoir politique ? N'est-il pas remis en cause par les
différentes formes de la mobilité inter ou intra-étatique ?
1
Marie-Françoise Durand, Autour du modèle État, In Durand Marie-Françoise, Lévy Jacques, Retaillé
8
nation commune et qui n'entretiennent pas tous le même rapport à l'espace, certains
plutôt sédentaires et d'autres plutôt nomades. Ils doivent pourtant cohabiter sur un même
territoire et dans des institutions politiques communes. La violence de leurs relations
met peut-être en évidence que l'État n'est pas un cadre définissant les règles du jeu
politique dans lesquelles ils s'inscriraient, mais une position à contrôler qui les placerait
ainsi en concurrence.
Dans ce contexte, nous interroger sur le nomadisme des tribus maures revient autant à
questionner leur rapport au territoire de cet État que leur rapport à sa position dans le
contrôle des populations qui l’habitent. Tribus et État ne sont pas deux entités
extérieures l'une à l'autre. La seconde est plutôt un cadre investi par ces tribus qui
produit des pratiques politiques nouvelles autant qu'il est produit par ces groupes. De
même, le territoire de cet État est le résultat des actions de ceux qui l'investissent autant
qu'une contrainte à ces actions. L'État comme la tribu est construit et leur espace n'est
pas une étendue neutre, simple support de leur action. Il n'est pas extérieur à la société.
Il est une partie de cette société. Il est ici produit par l'articulation de l'État et des tribus.
Dans cette perspective, nous avancerons principalement dans deux directions. La
première concerne le centralisme et la seconde les découpages du territoire. D'une part,
l'État contrôle son territoire de manière exhaustive et le saisit dans son ensemble depuis
un centre unique. Toutes les institutions sont en effet concentrées dans la capitale
Nouakchott et toutes les tribus y sont représentées. Comment s’adaptent-elles à cette
centralisation de l'espace ? Le pouvoir politique se situe-t-il exclusivement au centre ? Y
a-t-il un centre en opposition à des périphéries ? D'autre part, l'État s'approprie son
territoire en le découpant en circonscriptions administratives contiguës et emboîtées à
travers lesquelles il contrôle les populations. Ces limites territorialisées ancrent-elles les
nomades dans le territoire ou bien ces derniers les contournent-ils ?
Les questions que nous nous posons renvoient à la dimension politique de l'espace. Le
pouvoir politique est dans l'espace. Il en est constitutif. Ainsi, nous pouvons supposer
que l’observation de l’espace permet de saisir les modalités et les mutations éventuelles
de ce pouvoir politique. Reste à choisir l'objet spatial adapté. Nous avons dans un
premier temps hésité entre le réseau et le territoire, mais le premier relève trop du
caractère nomade et tribal de l'espace et le second de son caractère sédentaire et
Denis, Le monde, espaces et systèmes, 2ème éd, Paris : Presses de Sciences Po, Dalloz, 1993, p 79.
9
étatique. La tribu est une organisation dont l’unité ne tient pas dans l’appartenance à un
territoire donné, mais dans la reconnaissance par ses membres d’une parenté commune.
En revanche, l’État exerce son action sur un espace délimité. Il se confond avec son
territoire. Sorti de celui-ci, c’est un autre État qui prend le relais. Choisir entre ces deux
objets risque donc de nous enfermer. Peut-on saisir le rapport à l’espace des nomades à
travers le territoire de l’État ? Peut-on saisir l’impact des découpages à travers le
réseau ? La problématique de l’articulation du réseau et du territoire n’est pas récente. Il
ne s’agit pas ici d’y répondre, mais de trouver un concept qui nous permettra de saisir à
la fois l’État et la tribu, les sédentaires et les nomades. Dans cette optique, il nous
semble que c’est là où ils se rencontrent, à l’intersection de ces deux spatialités, dans le
lieu, que nous pensons pouvoir saisir au plus près la dimension politique de l’espace
mauritanien. Ce concept de lieu n’échappe pas plus que ceux du territoire et du réseau
aux difficultés de sa définition. Les différences d’acception entre géographes peuvent
être grandes, mais même dans une définition restreinte, il semble convenir à notre
problématique. Il est aussi bien un point dans l’espace étatique qu’un point d’attache de
la tribu. Chaque lieu se situe sur le territoire de l’État et dépend de sa juridiction en
même temps qu’il est habité, approprié et aménagé par une tribu ou une fraction.
Cependant, le choix du lieu ne répond pas à la recherche du particulier. Au contraire,
nous comptons saisir dans ce fait social autant que spatial ce qui dénote du pouvoir
politique mauritanien en général. Pour cela, ce sont plusieurs types de lieux qu'il nous
faut prendre en compte.
2
Le 3 août dernier (2005), le Président de la République Islamique de Mauritanie a été renversé alors
qu’il assistait aux obsèques du Roi Fahd en Arabie Saoudite. Manquant de recul par rapport à ce coup
d’État, nous n’en ferons pas mention dans ce travail.
11
Figure 1 :
12
1ère partie
13
L'entrée dans l'espace du pouvoir politique en Mauritanie peut difficilement se faire
sans prendre en compte l'État. Cependant, l'État mauritanien, malgré sa forme, ne
correspond pas au modèle de l'État moderne européen. Certes, il est la seule autorité
s'exerçant dans le pays reconnue internationalement. La Constitution adoptée en 1991
présente les mêmes caractéristiques que la Constitution française avec un Président élu
au suffrage universel, un exécutif nommé par ce Président et un pouvoir législatif
bicaméral (Assemblée Nationale et Sénat). Cette Constitution s'applique également sur
un territoire délimité par des frontières et exclusivement approprié3 sur lequel habitent
les Mauritaniens, mais l'association de l'État, du territoire et de la nation n'est
qu'apparences. Le premier terme de cette équation apparaît moins comme un cadre
institutionnel de l'action politique. Les circuits menant aux postes exécutifs puis ceux
menant de l'exécutif à l'exercice de l'autorité sur les populations ne s'inscrivent que
formellement dans ce cadre et nous chercherons plutôt à envisager l'État suivant deux
perspectives. La première est celle du “ventre”4. Il est un moyen d'accéder aux
ressources économiques. La seconde est celle du pouvoir politique. Il est une position à
maîtriser pour contrôler les populations. Le second terme de l'équation suppose une
nation mauritanienne assimilée à l'État. L'État est la seule représentation politique de
cette nation et seule cette nation constitue la base de l'État. Cela sous-entendant une
citoyenneté mauritanienne, mais l'existence pour soi de cette nation n'étant pas avérée,
l'allégeance citoyenne ne semble pas prioritaire5. Sans nier l'émergence possible d'une
citoyenneté mauritanienne, il nous faut saisir quelles sont les autres allégeances et les
autres modes de solidarité qui influencent l'action politique. Enfin, le troisième terme
suppose que l'exercice de l'autorité politique s'appuie sur l'appartenance territoriale et
que ce soit le territoire qui relie le citoyen à l'État. Cette approche impose une vision
territorialisée des relations sociales et politiques, or les nomades n'ont peut-être pas le
même rapport à l'espace et c'est, entre autres, dans ces différentes conceptions de
l'espace que nous appréhenderons le pouvoir politique mauritanien. Cet espace est
produit par plusieurs logiques qui s'articulent. Aussi, nous envisagerons des logiques
tribales et étatiques et des logiques nomades et sédentaires plutôt que l'État face à la
tribu ou les nomades face aux sédentaires.
3
Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy et Denis Retaillé, opus cité.
4
Jean-François Bayart, L'État en Afrique, la politique du ventre. Paris : Fayard, 1989, 443 p.
5
Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scène
internationale. 3e éd, Paris : Presses de sciences Pô, Dalloz, 1999, p 17.
14
Chapitre 1 : Un État, des territorialités
6
Jean Gallais, De quelques aspects de l'espace vécu dans les civilisations du monde tropical, L'Espace
géographique, 1976, n°1, p 5-10.
7
Pierre-Robert Baduel (dir), Mauritanie, entre arabité et africanité, Aix-en-Provence : Edisud, 1989, 200
p.
8
Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre vents et marées. Paris: Karthala, 2003, préambule.
15
encore, c’est le tronçon de route entre la frontière du Sahara occidental et de la
Mauritanie qui est le dernier chaînon manquant pour relier Casablanca à Dakar10.
Au-delà de la simple jonction qui permet les échanges, nous pouvons voir dans cet
espace la rencontre de ces deux foyers de peuplement. Trait d’union selon l'expression
du premier président de la République Moktar Ould Daddah ou espace d'affrontement, il
est au moins celui de la coprésence. Pour les arabophones, il est le point de rencontre
entre le Trab el-Beidhan (le pays des blancs) et le Trab es-Soudan (le pays des noirs).
Le territoire mauritanien est en effet habité par des populations qui ne parlent pas la
même langue et qui se rattachent à des ensembles culturels différents.
Avant d'entrer dans ces distinctions entre populations, il nous semble nécessaire de
préciser le sens que nous donnons à ces distinctions. La langue est peut-être le critère le
plus aisément perceptible. Celle officielle avec le français est l'arabe. Le hassaniya,
dialecte arabe, est la plus couramment parlée dans la capitale. Ensuite sont parlées les
langues pulaar, wolof, soninké et bambara. À toutes ces langues, nous pourrions
associer des ethnies, les Maures qui parlent le hassaniya, les Peul et les Toucouleur qui
parlent le pulaar, les Soninké, les Wolof et les Bambara. Ces catégories sont
couramment utilisées par les Mauritaniens. Ils distinguent également les Maures blancs,
les Beidhan, des Maures noirs. Les seconds sont les anciens esclaves, ou leurs
descendants, des premiers. Aujourd’hui, ils restent souvent dans une position de
subordination. Ils sont considérés comme affranchis, et dénommés haratin. Même s’ils
ont généralement la peau de couleur noire, ils parlent la même langue que les Maures
blancs et la différence entre les deux ne tient pas dans la couleur de peau, mais dans le
statut social. Il y a des haratin au teint plus pâle que certains Beidhan. Les Maures
enferment les autres populations négro-africaines sous un même vocable, les Kouar.
Cette opposition est reprise dans la plupart des publications scientifiques. D'un côté les
Maures arabophones et de l'autre les Négro-africains11.
9
Raymond Mauny, Les siècles obscurs de l'Afrique noire. Histoire et archéologie. Paris : Fayard, 1970,
314 p.
10
Alain Antil et Armelle Choplin, Le chaînon manquant. Notes sur la route Nouakchott-Nouadhibou,
dernier tronçon de la transsaharienne Tanger-Dakar, Afrique Contemporaine, 2004, n° 209, AFD / Paris :
La Documentation française, p 115-126.
11
Francis de Chassey, Contribution à une sociologie du sous-développement. L'exemple de la RIM. Thèse
d'État, Sociologie, Paris V. 1972, 507 p.
16
Nous utiliserons fréquemment ces catégories. Néanmoins, nous devons le faire avec
précaution. Plusieurs auteurs ont déjà démontré que l'ethnie, terme utilisé par les
colonisateurs pour répertorier les populations indigènes, ne renvoie par à un ensemble
homogène et étanche de populations, ni à un ensemble a-temporel. Les ethnies ne sont
ni données ni figées. Elles sont des constructions identitaires. Leur construction peut
s'appuyer sur une histoire, mais elles sont surtout des entités mobilisées dans des fins
politiques12. D'autre part, les frontières sociales entre ethnies dans la zone sahélienne
sont plutôt à considérer comme des gradients lorsqu'elles sont liées entre elles par
certaines formes de clientèle et de parenté contractuelle13. Aussi, nous sommes
conscients que les termes correspondant à ces entités ont une valeur normative et que
nous contribuons donc à figer ces catégories dans le temps et à gommer les continuités
entre ces groupes. Aucun de ces ensembles n’est totalement étanche aux autres. Les
branches de l’arbre généalogique des Mauritaniens ne sont pas toutes uniformes et
mêlent parfois les sangs maure, wolof, soninké, pulaar et bambara. La langue n'est pas
non plus un facteur d’imperméabilité entre ces groupes puisqu'il existe de nombreux
polyglotes. Il n'y pas de critères objectifs pour définir l'ethnie. Ni la langue, ni la
généalogie, ne nous permettent de classer tel individu dans telle ethnie. C'est pourquoi
nous parlerons de Maures, de Peul ou de Wolof pour des individus qui se définissent
comme Maure, Peul ou Wolof et qui se reconnaissent entre eux comme appartenant à ce
groupe. En revanche, nous éviterons le terme “ethnie” auquel nous préfèrerons
“ensemble”, “groupe” dont le caractère plus flou pourra peut-être nous éviter d'être trop
enfermant et normatif.
12
Dominique Dardon, De l'ethnie à l'ethnisme: réflexion autour de quatre sociétés multiraciales, Burundi,
Afrique du Sud, Zimbabwé. Afrique contemporaine, 1990, n°154, p 35-48.
Jean-François Bayart, L'illusion identitaire. Paris : Fayard, 1996, 310 p.
13
Denis Retaillé, L'espace nomade, Revue géographique de Lyon, 1998, n°1 vol 73, p 74.
17
“L'impératif cartographique”14
Nous nous confrontons dans un premier temps à “l'impératif cartographique”. Vouloir
représenter la répartition de ces groupes sur l'espace de la Mauritanie relève d'une
méthode cartographique d'identification qui ne peut rendre compte de la réalité que par
le découpage de l'espace en aires contiguës et en allouant à chacune une ressource, une
culture ou une population distincte de celle des aires voisines. Cette représentation de
l'espace renvoie au mouvement d'européanisation du monde qui a découpé toute la
surface de la terre en territoires. Le monde n'est alors plus pensé que suivant cet
“impératif territorial” conférant à ces divisions spatiales un caractère essentiel. Le
territoire permet d'abord le repérage dans l'espace des populations par leur localisation,
puis par cette localisation, il devient l'élément d'identification premier de cette
population. “Le contenu sert d'abord à désigner le contenant, puis le contenant
détermine le contenu”15. Aussi, tenter de décrire la répartition spatiale de ces groupes
par la carte nous impose le découpage et par conséquent la fabrication d'une réalité de
référence16. Aucune précaution ni nuance possible ne nous permettent d'y échapper.
Cependant, nous prenons ce risque pour présenter un bref tableau du pays. Nous
distinguons plusieurs régions aux contours flous renvoyant plutôt à des polarités : le
Nord englobant les plateaux du Tagant et de l'Adrar et la zone saharienne, l'Ouest, El-
Gueble couvrant en partie le Trarza et le Brakna, l'Est, Ech-Charq correspondant à la
partie orientale de l'Assaba et aux Hodh et la vallée du fleuve Sénégal. Nous laissons
pour l'instant les villes de Nouakchott et de Nouadhibou de côté.
“L'espace de la guerre”17
Une fois le territoire découpé, un second problème se pose à nous. Comment définir à
quel grouper allouer tel territoire ? Le critère démographique ne nous semble pas le plus
pertinent. D'autant que d'un point de vue pratique, les données fournies par les
recensements de la population mauritanienne (1977, 1988, 2000) ne laissent pas
apparaître les différentes appartenances culturelles ou ethniques pour des raisons que
nous supposons essentiellement politiques. Aussi nous ne pouvons pas compter sur des
14
Denis Retaillé, L'impératif territorial, In Badie Bertrand et Smouts Marie-Claude, L'international sans
territoire, Paris : L'Harmattan, Cultures et conflits, 1996, p 21-40.
15
Denis Retaillé, op. cit. p 25.
16
Jean-Paul Bord, La «fabrique» cartographique de l'espace arabe, In Bord Jean-Paul et Baduel Pierre-
Robert, Les cartes de la connaissance, Paris : Karthala, Tours : Urbama, 2004, p 561-572.
18
données exhaustives. Par ailleurs, le poids démographique n'est pas nécessairement le
plus significatif. Nous préférons chercher la caractérisation de nos aires dans le pouvoir.
Une aire peut être majoritairement habitée par un groupe mais dominée par un autre
minoritaire. Cela nous amène à tenter une première sortie de l'impératif cartographique
en abordant “l'espace nomade”18. Cette notion telle que la propose Denis Retaillé est
l'une des bases de notre travail. Nous en présentons ici un aspect et y reviendrons plus
loin. Il ne s'agit pas d'envisager l'espace comme un ensemble d'aires juxtaposées mais
comme un ensemble de liens qui regroupe différents sites entre eux. Son contrôle ne
passe pas par l'appropriation d'un territoire mais par le contrôle des liens entre ces sites.
L'espace nomade est alors appelé par métaphore “l'espace de la guerre”. Il est l'espace
de la guerre car le pouvoir tient dans la maîtrise des distances entre les lieux, le contrôle
des pistes et des noyaux sédentaires et non dans l'appropriation19. Si ce premier détour
par l'espace nomade ne nous permet pas d'échapper au piège de l'impératif territorial, il
nous amène à ne plus considérer l'espace comme le support d'un stock de richesses ou
de populations mais comme un enjeu de pouvoir. C'est dans cette optique que nous
pouvons tenter de caractériser les différentes régions mauritaniennes. Elles ne sont pas
toutes dominées par les mêmes groupes. Le Nord et l'Ouest sont des régions dominées
par des Maures. L’Est est une région également dominée par des Maures mais avec une
présence sensible de Bambara et de Hal Pulaar qui s’accentue à mesure que l’on
s’approche de la frontière malienne. L'Ouest de la région du fleuve est plutôt dominée
par les Wolof et l'Est par les Soninké. Les Peul dominent aussi plusieurs parties de cette
région.
En forçant les traits nous avons pu opéré quelques distinctions à l'échelle de l'État, mais
ce découpage ne résiste pas lorsque l'on se penche de plus près sur ces régions. De
nombreux Négro-africains habitent dans des régions du Trab el-Beidhan, au Nord, à
l'Est et à l'Ouest. Souvent fonctionnaires et francophones, ils sont infirmiers,
enseignants, membres de l’administration, parfois même préfets. Certains se sont
installés après y avoir été mutés. Inversement, dans les villages du fleuve, il est toujours
possible de trouver des commerçants maures. Dans la wilaya du Hodh El-Gharbi, qui
concerne notre espace d’étude privilégié, certaines communes sont composées à la fois
17
Denis Retaillé, L'espace nomade, Revue de géographie de Lyon, 1998, vol 73, n°1, p 71-81.
18
Denis Retaillé, op. cit.
19
Op cit, p 77.
19
de localités de Hal Pulaar et de Maures. Les localités s’enchevêtrent dans un même
espace de telle sorte qu’il est impossible de tracer une frontière entre elles. Cet
enchevêtrement ne s’arrête pas aux régions de la Mauritanie. Il se reproduit dans les
principales villes. À Nouakchott, certains quartiers évoquent parfois une des
composantes. Le 5ème arrondissement est reconnu comme un quartier négro-africain. Il
est vrai que son habitat plus serré rappelle celui des villages du fleuve plutôt que celui
des campements maures. Cependant, sa réputation cache une présence non négligeable,
quoi qu’en diminution, de hassanophones. Comme pour le territoire mauritanien, il y a
peut-être des “quartiers à dominante” mais en aucun cas des “quartiers exclusifs”.
“Distance structurale”20
Face à ce problème qui se pose ailleurs dans la zone sahélienne, les géographes ont
développé des outils conceptuels adaptés. Jean Gallais a d'abord utilisé l'espace vécu21
par les populations. Chaque groupe, qu'il qualifie d'ethno-linguistique, habitant un
même espace-support n'a pas la même vision ni la même pratique de cet espace. Les
éléments qui le lient à son milieu sont étrangers à ceux de leurs proches voisins. Ces
voisins sont donc “structuralement éloignés”. L'auteur qualifie de “distance structurale”
l'écart entre les espaces vécus de ces groupes cloisonnés sur le plan culturel. Même si
nous ne posons pas les groupes comme des entités cloisonnées, la notion de distance
structurale nous amène à ne plus chercher les relations entre les groupes dans des
relations inter-territoriales mais dans la combinaisons des différents rapports qu'ils
entretiennent à l'espace.
La difficulté pour découper l’espace en zone de peuplement est accrue par les variations
saisonnières. Durant la saison touristique, la proportion de négro-africains d’Atar
augmente considérablement avec l’arrivée de ceux que les Atarois appellent les
“Sénégalais”. Ces derniers sont souvent des Mauritaniens qui viennent vendre leurs
produits aux touristes débarqués des charters hebdomadaires. Dans le Hodh El-Gharbi,
l’hivernage, de juillet à septembre, attire les bergers voullan (Hal Pulaar) qui viennent
du Mali avec leur troupeau. Ils stationnent pour la plupart en brousse et demandent
parfois à être hébergés dans des villages maures. Ils sont également présents en ville sur
20
Jean Gallais, De quelques aspects de l'espace vécu dans les civilisations du monde tropical, op. cit, p 7.
21
Armand Frémont, Jean Gallais, Jacques Chevalier (et al). Espaces vécus et civilisation. Paris : CNRS,
1982, 106 p.
20
les marchés. La présence saisonnière de ces ressortissants maliens révèle que le
problème de zonage des populations ne concerne pas seulement l’intérieur du territoire
mauritanien. En Mauritanie, il n’y a pas que des Mauritaniens. De même que de l’autre
côté de la frontière malienne, il y a des adwaba, villages de haratin, dont les anciens
maîtres habitent en Mauritanie. Le fleuve Sénégal en est un autre exemple. Son lit
correspond à la frontière sénégalo-mauritanienne, mais loin d’être une frontière
naturelle, il est aisément et quotidiennement traversé. De nombreux Sénégalais cultivent
des terres en Mauritanie et inversement, traversant quotidiennement le fleuve pour se
rendre de leur lieu de travail à leur lieu de résidence22. Le problème posé par ces
variations saisonnières et ces déplacements a déjà été pointé au Sahel par Jean Gallais et
Denis Retaillé. La distance structurale en est une première réponse qui a ensuite permis
de développer la notion “d'espace de circulation”23 liée à celle d'espace nomade. C'est la
circulation qui permet de relier un ensemble de sites en fonction des saisons. Chaque
lieu appartient à un temps organisé et le territoire de ces populations mobiles trouve son
lien dans le calendrier et non dans la frontière24.
La tentative de cartographie des différents groupes nous a permis de poser les premiers
jalons de notre étude par une première entrevue de différentes notions, distance
structurale et espace nomade. Nous n'envisagerons pas le territoire mauritanien comme
un ensemble de surfaces bornées et figées dans le temps et nous insisterons sur
l'importance du pouvoir dans sa compréhension. Aussi, avant d'aborder plus en détail
l'espace nomade, nous devons présenter les problèmes politiques graves posés par cette
cohabitation de plusieurs groupes sur un même espace.
Territoire et nation
L’échec de la nation
En 1957, dans son discours d'Atar, Moktar Ould Daddah lançait un appel à l'unité
nationale de la Mauritanie alors sur la voie de l'indépendance: “en un mot, et si nous le
22
Olivier Lesservoisier, La question foncière en Mauritanie: terres et pouvoirs dans la région du Gorgol.
Paris : L'Harmattan, 1994, 351 p.
23
Denis Retaillé, La conception nomade de la ville, In Urbama, Le nomade, l'oasis et la ville, Tours :
Urbama, 1989, p 21-36.
24
Denis Retaillé, Concepts du nomadisme et nomadisation des concepts. In Knafou Rémy (dir), La
planète "nomade". Les mobilités géographiques aujourd'hui. Paris : Belin, 1998, p 37-58.
21
voulons, avec l'aide d'Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se rencontreront
et coexisteront pacifiquement des hommes de toutes origines”25. Trois décennies plus
tard éclataient les affrontements sanglants des “évènements” de 1989.
Tenter de répondre en partie nécessite un détour par l'histoire de l'État mauritanien. Pour
cela, nous nous appuyons sur les travaux de Philippe Marchesin27 qui retracent les
évolutions politiques de la Mauritanie depuis le premier scrutin national en 1946 et
l’élection de Horma Ould Babana, mais aussi sur ceux de Pierre-Robert Baduel28, Alain
25
Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre vents et marées, op. cit, Ibidem.
26
Bertrand Badie, op. cit.
27
Philippe Marchesin, Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie. Paris : Karthala, 1992, 442 p.
28
Pierre-Robert Baduel, Mauritanie 1945-1990 ou l'État face à la nation, In Baduel Pierre-Robert (dir),
Mauritanie entre arabité et africanité, Aix-en-Provence : Edisud, 1989, p 11-52.
22
Antil29 et récemment sur les mémoires du premier président, Moktar Ould Daddah30.
Les premières élections engendrent les premiers débats nationaux et la création de partis
politiques. Si les premiers partis dominants n’évoquaient pas la nation, dès mai 1957,
Moktar Ould Daddah, alors vice-président de l’Assemblée territoriale lance un appel à
Atar pour l’unité nationale. En 1958, alors que la Mauritanie devient un État autonome
de la communauté franco-africaine sous le nom de République Islamique de Mauritanie,
se crée le parti de la Nahda El-Wataniya El-Mauritaniya (naissance de la nation
mauritanienne) d’Ahmed Baba Miske. En 1959 apparaît sur la scène politique l’Union
nationale mauritanienne composée de Négro-africains et d’élites maures. En 1964, après
l’Indépendance, est créé le Front national démocratique. Au-delà des noms de ces partis,
le terme “nation” ne recouvrait pas nécessairement le même sens pour tous. La Nahda
était principalement dirigée par des Maures31 et il est probable que l'invocation de la
nation ait parfois été un discours performatif. Par la suite, les structures politiques
nouvelles n’ont, selon Philippe Marchesin, pas été pleinement investies par le
nationalisme. Le parti unique, le Parti du Peuple Mauritanien et la constitution
présidentielle ont plutôt été investis par les enjeux tribaux et régionaux.
Aujourd’hui, le mot nation est peu mis en avant comme élément de mobilisation. Le
journal qui constitue la tribune de l’appareil étatique et qui dépend directement de
l’agence mauritanienne de l’information (AMI) s’appelle “l’Horizon” en français et
“Sha’ab” en arabe. Ce terme peut se traduire par le “peuple” mais il n'a pas, selon
Xavier de Planhol32, la force symbolique du terme “watan” traduit par “nation”. Le parti
qui monopolise le pouvoir depuis plus d'une décennie est le Parti pour la République
Démocratique et Sociale (PRDS) et les principales forces d’opposition ne mentionnent
pas non plus la nation. Cela signifie-t-il que la nation va aujourd'hui de soi et qu'il n'est
plus nécessaire de l'invoquer ? Nous en concluons plutôt que l'allégeance citoyenne n'est
pas la plus opératoire et que les mobilisations politiques s'appuient sur d'autres leviers et
instrumentalisent d'autres identités. Du coup, il ne s'agit plus de mobiliser sur une base
territoriale, celle de l'État. Cela nous renvoie à nouveau au rapport à l'espace
29
Alain Antil, Le territoire et l'État en Mauritanie. Genèse, héritage, représentations. Thèse de 3ème
cycle, Géographie, Rouen, 1999, 499 p.
30
Moktar Ould Daddah, op. cit.
31
Said Ould Hamody, Mauritanie. 1445-1975. Relations séculaires avec l'Europe. Nouakchott : Institut
mauritanien de recherche scientifique, 2004, 194 p.
32
Xavier de Planhol, Les nations du Prophète. Manuel géographique de politique musulmane. Paris :
Fayart, 1993, p 24-26.
23
qu'entretiennent ceux qui sont en concurrence sur le terrain politique. La finalité du
contrôle de l'État n'est pas l'appropriation d'un territoire mais plutôt la maîtrise d'un
instrument de pouvoir?
Au-delà des luttes entre partis, la scène politique mauritanienne a également été
marquée par des tentatives, parfois réussies, de coups d'État. Ces tentatives ont plutôt
été des révolutions de palais organisées par les militaires que des mouvements
populaires aboutissant au renversement du régime. Néanmoins, il est possible de
chercher dans ces tentatives, avortées ou non, des éléments de mobilisation liés à
certaines allégeances En 1978, Moktar Ould Daddah a été renversé et Ould Saleck a pris
le pouvoir. Si le contexte international et la déconvenue mauritanienne lors de la guerre
du Sahara expliquent le changement de pouvoir, une autre lecture est proposée par
Philippe Marchesin. Les tribus d'Ech-Charq du pays sont parvenues à reprendre le
pouvoir alors qu’elles en étaient exclues par celles d'El-Gueble dont était issu Moktar
Ould Daddah. Nous pouvons appliquer la même lecture à la dernière tentative de putsch
de juin 2003. La lecture internationale privilégie la piste islamiste, mais une lecture
régionalo-tribale est également plausible. L’un des meneurs est issu de la tribu des
Oulad Nacer de l’Est et une partie de l’opinion des rues d’Ayoun El-Atrouss a
directement fait le rapprochement entre le limogeage des principaux hauts responsables
de la tribu dans le mois qui a suivi et l’origine tribale du meneur. Ces deux possibles
lectures des deux cas ne renvoient par au sentiment d'appartenance nationale. Ni
l’islamisme, ni le tribalisme ne renvoient à allégeance citoyenne. Cependant, si le
nationalisme mauritanien n'a pas constitué un levier de mobilisation populaire, d’autres
nationalismes, qui entrent également en contradiction avec allégeance citoyenne, ont été
plus opératoires: le nationalisme arabe et le nationalisme “négro-mauritanien”.
24
étatique a sévi contre ses militants33. Ces deux nationalismes sont plutôt des allégeances
communautaires concurrentes qui réactivent des sentiments d'appartenance ethnique
dans un objectif de mobilisation politique. La notion de négro-mauritanien peut être
envisagée sous cet angle comme une création identitaire liée à des objectifs politiques
qui s'inscrivent dans l'appartenance au territoire étatique. La volonté ou la nécessité de
prendre le contrôle de l'État induit l'activation d'identités mobilisables. Ainsi, les
habitants d'un même territoire se trouvent en concurrence par le biais de leur
appartenance à des groupes qui s'opposent.
Cet épisode n’a pas été sans suite. Le régime a arrêté et exécuté de nombreux militaires
négro-africains. Le nombre de victimes serait de près de 500 selon Diagana
Abdoulaye35. Certains d’entre eux sont encore en prison en 2004. Les séquelles sont
33
Philippe Marchesin, op. cit, p 131-148 et p 210-225.
34
Nous reprenons l'expression telle qu'elle est couramment utilisée même si nous sommes conscients
qu'elle tend à minimiser les faits et leurs conséquences.
35
Abdoulaye Diagana, La Mauritanie sous la botte d'un tyran, In Actes du colloque Soudan-Mauritanie,
2002, [en ligne], Paris : Aircrige, [réf. du 14-03-05], Disponible sur Internet :
<http://aircrigeweb.free.fr/parutions/paru-sommaire.html>.
25
donc encore ouvertes et les tensions ne se sont pas dissipées. Ces tensions et les
violences de 1989 ne sont pas seulement des phénomènes conjoncturels. Ils révèlent des
antagonismes profonds et internes à la société qui entrent en contradiction avec la
nation. Aussi, il nous est possible de parler avec Jean Bisson36 d’échec de la nation.
Certes, une partie de la population espère dans cette unité nationale pour promouvoir
une forme d’organisation politique s’inspirant de l’État moderne occidental. Ce courant
se manifeste dans certains journaux et dans certains partis d’opposition. Cependant, il
s’avère que cette conception n’est pas partagée par le pouvoir en place, ni par
l’ensemble des Mauritaniens. La continuité territoriale de l'État ne correspond pas à une
unité nationale.
L’héritage historique
Nous avons vu que l'Est de l'actuel Mauritanie correspondait aux centres des empires du
Ghana, du Mali et du Songhaï et à la rive méridionale des circuits commerciaux reliant
l'Afrique noire au Maghreb. Les tribus commerçantes et nomades des Almoravides puis
des Beni Hassan cohabitaient avec les empires sédentaires. La chute de ces derniers a
correspondu à l'extension du pouvoir des arabophones. Ce sont les Maures qui mirent
une partie des populations noires en esclavage.
La pénétration française puis la colonisation ont ensuite créé des cadres politiques et
géographiques qui ont favorisé le pouvoir des Maures. Ces cadres délimitaient un
espace sur lequel ils étaient majoritaires et les Négro-mauritaniens mis en position de
faiblesse. En 1943, les espaces qui correspondent aux deux Hodh actuels ont été
rattachés à la Mauritanie alors qu’ils dépendaient auparavant du Soudan et étaient
administrativement rattachés à Nioro du Sahel. L’objectif de ce rattachement était,
d'après les rapports de l’administration de l'époque, de regrouper dans une même entité
les populations nomades et dans une autre les sédentaires. Ainsi, toutes les tribus du
36
Jean Bisson, Mythes et réalités d'un désert convoité: le Sahara. Paris : L'Harmattan, 2003, 482 p.
26
Hodh sont venues grossir les rangs des Maures de la Mauritanie. À l’Ouest, le fleuve
Sénégal a été érigé en frontière. Ainsi des Wolof, des Pulaar et des Soninke qui
résidaient sur la rive droite, se trouvèrent placés dans un cadre administratif où les
Maures étaient dominateurs. En 1958, le siège de l’Assemblée territoriale de Mauritanie
a été déplacé de Saint Louis à Nouakchott. Ce déplacement peut favoriser le contrôle de
la capitale du futur État par les Maures, mais peut-être traduit-il plutôt la meilleure
emprise politique de ces derniers. C'est moins le pouvoir politique qui dépend de la
configuration spatiale que cette dernière qui révèle l'état des rapports de forces.
Sur le plan linguistique, les colonisateurs avaient imposé le français comme langue
administrative, or les tribus maures ont longtemps boycotté les écoles françaises en
guise de résistance passive, de sorte qu’après l’Indépendance, leurs enfants étaient, dans
l’ensemble, moins francophones que les enfants des élites négro-mauritaniennes. Ces
derniers ont donc pu occuper de nombreux postes dans l’administration. Depuis, le
français a été progressivement marginalisé aux dépens de l’arabe. Par conséquent, les
Négro-mauritaniens, ont perdu leur avantage. Cela a contribué à les exclure un peu plus
du pouvoir. Cette marginalisation est passée par l’arabisation de l’enseignement38. Elle
a commencé en 1966 et a alors provoqué des grèves et l’éviction du seul ministre noir
du gouvernement. En 1978, suite au changement de régime, l’enseignement
fondamental (primaire) a été totalement arabisé, ce qui a déclenché de nouvelles grèves
en 1979. À l’Université, une grande partie des études est aujourd’hui dispensée en
37
Philippe Marchesin, op. cit.
38
Abdel Wedoud Ould Cheikh, Cherche élite, désespérément. Evolution du système éducatif et
(dé)formation des élites de la société mauritanienne. In Bonte Pierre et Claudot-Hawad Hélène (dir),
Elites du monde nomade touareg et maure, Aix-en-Provence : IREMAM, Edisud, 2000, p 185-203.
Francis de Chassey, op. cit.
27
arabe. Toutefois, depuis 1998, le gouvernement a réintroduit l’apprentissage du français
à l’école fondamentale, mais doit former des instituteurs bilingues. Enfin, les régions
ont été rebaptisées “wilaya” et les départements “moughataa” et le Président Ould Taya
a prononcé un discours en 1989 dans lequel il pose que la Mauritanie est un “pays
arabe”39.
Le partage du pouvoir
Ce sont des Maures qui ont toujours été sur la plus haute marche de l’État. Les postes de
ministre sont en majorité pourvus par eux, même si Sidi El-Mokhtar N’Diaye a été élu
député en 1951 et en 1956. Les Négro-mauritaniens n’en sont pas systématiquement
privés, mais ils n’ont pas facilement accès aux ministères majeurs pour le contrôle du
pouvoir politique tel le Ministère de l’intérieur des postes et télécommunications ou
celui de la défense. Cependant, ils accèdent à des ministères dotés d'importants budgets
comme celui du développement rural et de l’environnement et celui de l’hydraulique.
Peut-être pouvons-nous distinguer deux types de ministères importants. Les premiers
permettent le contrôle de l'appareil étatique (l'intérieur et la défense). Ils sont relatifs
aux pouvoirs régaliens. Les seconds sont ceux qui permettent la redistribution
d'importantes prébendes, soit les ministères qui ont la charge de mener des projets
d'aménagement, de développement ou d'encadrer d'importants secteurs économiques
comme les mines, l'énergie ou le développement rural40. Sous l’ère Ould Taya, ils
obtiennent en général deux ministères41. Le gouvernement en poste en 2004 ne compte
que trois ministres négro-africains sur dix-huit membres. Ils occupent les ministères de
la justice, des pêches et de l’équipement.
39
Philippe Marchesin, op. cit, p 216.
40
Alain Antil, Le chef, la famille et l'État en Mauritanie, quand démocratie rime avec tribalisation,
Politique Africaine, 1998, n°72, p 185-193.
28
L’étude de la territorialité comme première réponse au problème
Nomades et sédentaires
Les rapports de domination qui traversent violemment la société mauritanienne ne
prennent pas la forme d’une lutte de classe. Les haratin, qui produisent, sont solidaires
de leurs anciens maîtres contre les Négro-mauritaniens42. Ils ne correspondent pas non
plus à une opposition entre les ressortissants de territoires différents, ceux du fleuve
contre ceux du Nord ou ceux de l’Est contre ceux de l’Ouest. L’opposition entre Maures
et Négro-mauritaniens n’est pas l’opposition entre l’espace des premiers et celui des
seconds. Un même espace renferme l’opposition. Aussi, dans la continuité de travaux
relatifs au Sahel et nous référant aux notions de distance structurale et d'espace vécus,
que nous avons évoquées précédemment, nous pensons que la compréhension des
antagonismes internes à la société mauritanienne passe par l'étude du rapport à l'espace
des différents groupes et cela sur un plan politique.
Nous pouvons être tentés de séparer la société mauritanienne entre ceux qui ont un
rapport nomade à l'espace et ceux qui ont un rapport sédentaire pour ensuite considérer
les Maures comme étant plutôt des nomades et les Négro-mauritaniens des sédentaires,
mais cette supposition se heurte à deux écueils. La société Peule est considérée, au
même titre que la société Maure, comme nomade et d'autre part, procéder à une telle
dichotomie nécessite de revenir plus en profondeur sur les notions de nomade et de
sédentaire. Les usages de ces deux notions sont si variés qu’il nous est nécessaire de
préciser ce à quoi nous voulons faire référence en les employant. L’objectif n’est pas de
proposer une définition universelle et exclusive du nomadisme mais une définition qui
permette de rendre compte de notre réalité. Pour cela, nous partons de la définition des
services statistiques mauritaniens qui semble plutôt correspondre à celle du
pastoralisme. Ce détour par ces définitions communément employées nous permettra
ensuite de mieux mettre en valeur ce que nous entendons par nomadisme et par espace
nomade.
41
El Arbi Ould Saleck, Le paradoxe de l'esclavage et l'enjeu politique de la question haratin en
Mauritanie. Thèse de 3ème cycle, Science politique, Paris 1, 1999, 312 p.
42
El Arbi Ould Saleck, op. cit.
29
La définition statistique
La définition établie par les services statistiques mauritaniens répond à des impératifs de
classification qui sont censés permettre de catégoriser la population en fonction de
critères rapidement identifiables. De plus, pour permettre des comparaisons entre les
différents recensements (1977, 1988 et 2000) et mesurer les évolutions de sa population,
l’office national de la statistique (ONS) ne peut changer de définition d’un recensement
sur l’autre. Les critères retenus lors du recensement de 1988 étaient la mobilité et
l’habitat. Elle considérait un ménage comme nomade “quand il passe la majorité de
l'année en déplacements, si minimes soient-ils, à la recherche de pâturages”. De même,
“est résidant dans une localité tout individu qui y habite au moins depuis 6 mois”. “Est
appelée localité tout lieu de peuplement composé d'au moins une habitation inamovible
c'est-à-dire non conçue pour être déplacée”. À l'inverse le campement est “composé
uniquement d'habitations amovibles (...) même si elles n'ont pas été déplacées depuis
longtemps”. L'ONS précise également que le campement est habité par des nomades et
la localité par des sédentaires43. Nomades et sédentaires sont donc ici définis selon leur
habitat, la durée de leur résidence et leur activité économique. Toutefois, ces définitions
présentent quelques incohérences. Quelle définition donne l'ONS de l'habitant d'un
campement qui ne se déplace pas durant plus de six mois ? La mobilité du nomade est
consacrée à l'élevage, mais le commerçant peut-il être nomade ? L'individu peut être
nomade mais ici, c'est le ménage qui est pris en compte. Il s'agit donc plutôt d'un mode
de vie : celui de la famille d'éleveurs transhumants. Statistiquement cette forme de
nomadisme est aujourd’hui extrêmement minoritaire en Mauritanie alors qu’elle
représentait près des trois quarts de la population au lendemain de l’indépendance. Doit-
on en déduire que le nomadisme n’existe plus en Mauritanie ? Notre volonté de saisir
les territorialités particulières qui opèrent sur l’espace mauritanien diffère des impératifs
de classifications de l’ONS. Aussi, notre définition du nomadisme ne peut se satisfaire
de la définition statistique.
43
Résultats prioritaires du recensement de la population et de l’habitat. 1988. Volume 1. ONS, janvier
1992.
30
Tableau 1 : Evolution de la population nomade en Mauritanie de 1965 à 2000.
44
Denis Retaillé, L'espace nomade, op. cit.
45
Charles Toupet, La sédentarisation des nomades en Mauritanie sahélienne. Thèse , Lettres, Paris VII,
1975, 490 p.
Mireille Gravier, Le Tagant entre Sahel et Sahara. Thèse de doctorat, Géographie, Avignon, 1993, 305 p.
31
les pâturages de sa fraction46. Cette tendance est confirmée par le fait que des cartes des
transhumances de chaque fraction aient pu être dressées par Bonnet Dupeyron en 195147
et par Michel Bouge et Taher Moustapha Ould Saleh en 200248. Ces cartographies
révèlent une certaine stabilité des parcours. Les itinéraires dressés par Bonnet-Dupeyron
ont en partie correspondu à ceux dressés lors des enquêtes sur le Tagant, hormis
quelques glissements vers le Sud certainement liés à la sécheresse. Les explications
fournies par les éleveurs sur la permanence de leur parcours s'articulent autour de ces
deux déclarations extraites des entretiens: “suivre la piste de nos ancêtres” et “nous
sommes revenus dans notre place”49. La première est interprétée par l'anthropologue
Sophie Caratini comme “suivre la piste où sont enterrés nos ancêtres”. Les lieux de
sépultures sont, en effet, en dehors des oasis, les principales marques d'appropriation de
l'espace par une fraction ou une tribu. La seconde révèle également l'appropriation de
l'espace. Les éleveurs transhumants s'approprient des lieux et se déplacent suivant des
itinéraires relativement fixés dans le temps50. Ne serait-ce pas là des attributs
généralement réservés aux sédentaires, à ceux qui sont attachés à la terre ? Ce caractère
sédentaire du transhumant est également mis en exergue par Benoît Pinchon dans son
étude de Walata, une ville ancienne de l’Est mauritanien. Les éleveurs se déplacent avec
leurs troupeaux autour de la ville et viennent s'y approvisionner. Ils dépendent de la
présence de ce marché pourtant peuplé de moins de 1000 habitants. De même, ils
dépendent des ressources pastorales, eau et pâturages. Ils sont donc liés à la localisation
de ces différents lieux comme le sont les agriculteurs51. Ainsi, quelle que soit
l’amplitude de leurs déplacements, nous ne considérons pas les éleveurs comme des
nomades.
A la seconde question nous pouvons répondre que l’élevage n’est qu’un élément de
l’organisation sociale des nomades sahéliens. La tribu touarègue des Kel Ahaggar était
constituée de guerriers, de descendants d’esclaves qui travaillaient dans les oasis, de
46
Clément Lechartier, Les recompositions des territoires pastoraux dans le Tagant mauritanien,
Mémoire de Maîtrise, Géographie, Tours, 2001, 179 p.
47
François Bonnet-Dupeyron, Migrations des éleveurs en Basse et Moyenne Mauritanie, Bondy :
cartothèque de l'IRD, 1950.
48
Michel Bouy et Taher Moustapha Ould Saleh, Typologie des systèmes d'élevage dans le Hodh el
Gharbi. Ayoun El-Atrouss : Girnem, 2002.
49
Clément Lechartier, op. cit.
50
Jean-Charles Clanet, Stabilité du peuplement nomade au Sahel central. Sécheresse, 1999, n°2 vol 10, p
93-103.
32
tributaires qui s’occupaient des animaux et de parents dans les villes de marché52. Cet
exemple pris chez les Touaregs se retrouve chez les tribus maures. Leur économie ne
repose pas exclusivement sur l’élevage. L’élevage n’en est souvent que la partie pauvre.
Les nobles en sont dispensés, même s’ils sont souvent les propriétaires des troupeaux.
Autre image du nomade, celle du guerrier qui opère des ghezou. Cette pratique permet
de se procurer des animaux et de mettre au pas des populations, mais elle ne peut être
l’unique fondement de la société nomade. Les sociétés nomades du Sahara ont
développé des relations durables avec les sociétés sédentaires du Sahel avec lesquelles
elles commercent et échangent viande, sel contre mil. Sans ces liens il n’y aurait pas eu
de commerce de l’or. Nous ne pouvons donc opposer de manière trop simplificatrice les
tribus nomades aux empires sédentaires.
Enfin, le nomade ne peut se définir par son habitat, le nomade sous sa tente et le
sédentaire dans sa maison. L’un dans un habitat amovible et l’autre dans un habitat
inamovible. Dans la région qui nous préoccupe, l'Est mauritanien, les habitats
inamovibles sont les hangars, tchihili, lumbar ou les maisons, dar pour reprendre les
termes qui y sont utilisés. Le hangar peut être en bois, avec une armature en fer, une
base en ciment, en parpaing, ou encore en pierres. Le toit est en pente, contrairement à
celui de la maison qui est d'un seul tenant souvent horizontal. La maison peut être en
banco, en pierre ou en parpaing. Dans presque chaque hangar visité, deux objets
semblent contredire leur aspect sédentaire. Le mchaqab, meuble utilisé sous la tente et
dans le transport à dos de chameau. Sous la tente, il sert de placard pour les vivres et la
vaisselle. Sur le chameau, il sert à arrimer les bagages. Le second objet est la valise,
samsonite, qui sert d’armoire pour les habits et de serviette pour les papiers
administratifs. Ce sont souvent les seuls éléments de mobilier et ils sont utilisables à la
fois dans les phases stationnaires et dans les déplacements. Il suffit de boucler la valise
pour quitter le hangar. Un autre élément, observé tout au long des séjours dans cette
région et parmi ses habitants est le fait que les habitants ne préviennent souvent qu'au
dernier moment de leur départ si bien qu'il est difficile de leur dire “au revoir”. Qu'ils
logent sous une tente ou non, ils sont toujours potentiellement sur le départ. Par ailleurs,
une maison, même en parpaing, se détruit en quelques heures et se reconstruit en
51
Benoît Pinchon, Walata aux marges de la Mauritanie mais au "centre“ d'un système d'échange
transfrontalier. Maîtrise de géographie, Rouen, 1996, 116 p.
33
quelques jours. Les exemples de constructions détruites, souvent violemment, et
rebâties quelques kilomètres plus loin ne manquent pas. Être nomade, sur le plan
individuel, ne signifie pas nécessairement se déplacer régulièrement, mais plutôt être
potentiellement mobile.
52
Denis Retaillé, L'espace nomade, op. cit.
53
Denis Retaillé, Concepts du nomadisme et nomadisation des concepts, op. cit.
54
Denis Retaillé, L'espace nomade, op. cit.
34
distance dans la plupart des points de notre recherche. Si elle est déterminante dans
l'espace nomade, les géographes lui ont donné différentes acceptions dans de nombreux
travaux. Le premier sens de la distance est l'étendue entre deux points. C'est la distance
euclidienne qui se mesure en mètres ou encore la distance topographique qui est
continue. Cette distance est une contrainte imposée aux sociétés. Entre deux oasis, les
kilomètres ne sont pas compressibles. Dans cette perspective elle est une donnée au sens
kantien du terme. Toutefois, le fait même de rendre compte de la distance au moyen de
mesure humanise la distance. Elle devient une construction et ne peut pas être
considérée comme une donnée externe à la société. Elle en est une des composantes.
Selon Jacques Lévy, l'espace est nécessaire dans une société car il permet de mettre de
la distance entre les objets sociaux55.
55
Jacques Lévy, L'espace légitime, Paris : Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1994,
442 p.
35
construction et le choix du tracé ont considérablement réduit la distance séparant les
localités présentes sur le trajet et ont fortement augmenté le trafic57. Cette augmentation
du trafic ne correspond pas seulement à la réduction de la distance-temps. Elle induit
une augmentation de la fréquence des déplacements. Une localité A peut être
équidistante en temps de trajet des villes B et C, mais si, entre A et B, il y a un trajet par
jour contre un par semaine pour la liaison A et C, pouvons-nous toujours considérer ces
localités comme équidistantes ? La simple mesure en mètres ou en heures ne permet pas
de saisir totalement les distances.
56
Benoît Pinchon, op. cit, 74-75.
57
Jean-François Staszak, Le goudron dans la brousse. La "Route de l'espoir". (Mauritanie), Paris :
Publications du département de géographie de l'Université Paris Sorbonne, 1989, n°17, 148 p.
58
Jacques Lévy, op. cit.
36
topographique. Une bonne organisation politique favorise également les liens directs
entre les habitants d'une localité et le ministère sans passer par le département.
Nous avons vu qu'une société nomade ne tire pas son pouvoir de l'appropriation d'une
aire, mais du contrôle des carrefours et des voies de circulation. Ce contrôle nécessite
celui des distances et du mouvement qui font le lien entre les sites de l'espace. Cette
capacité de se jouer des distances implique le contrôle du pouvoir politique des
carrefours et des extrémités des circuits. L'espace nomade de la tribu touareg des Kel
Ahaggar au Niger présenté par Denis Retaillé circule entre le désert et les cités haoussa.
Les liens entre les deux entités sont organisés politiquement par les sultanats présents
aux deux extrémités du circuit emprunté par la tribu. Le sultan d'Agadez (Touareg) est
représenté auprès de celui de Zinder (Haoussa)59. L'organisation politique des nomades
leur permet d'être présents dans le pouvoir politique là où ils doivent circuler. Elle
permet aux nomades d'être chez eux là où ils vont. Ils peuvent parcourir les distances
sans se déplacer physiquement par une “chaîne de solidarité qui fait que l’on est encore
chez soi jusqu’à un certain point”60. Cette chaîne de solidarité n'est pas un simple réseau
horizontal. C'est une organisation hiérarchisée. Cela rejoint les propos de Pierre Bonte
dans son étude sur l’Adrar mauritanien. Le pouvoir de la tribu émirale de l’Adrar repose
sur le contrôle des autres tribus plutôt que sur un espace particulier61. Pour contrôler
l'espace nomade il faut contrôler les hommes qui s'inscrivent dans l'espace. Etablir son
campement dans une capitale ne suffit pas. Pour contrôler l'espace, les nomades
contrôlent les hommes qui détiennent le pouvoir politique.
L'espace nomade est donc caractérisé par la dimension politique des distances qui
séparent ses différents sites. Le lien entre les sites est politique, mais il est également
temporel. Si l'espace nomade ne trouve pas son unité dans la continuité spatiale, il la
trouve peut-être dans une continuité temporelle. C'est dans ce sens que nous avons déjà
repris les termes de Denis Retaillé pour évoquer “l'espace de circulation”62. Cette
circulation permet notamment de capter les ressources économiques des différents sites
et qui ne sont produites qu'à certaines époques de l'année. Chaque site emprunté par le
circuit des caravanes des Kel Ahaggar correspond à un temps de l'activité économique.
59
Denis Retaillé, Ibid.
60
Denis Retaillé, Concepts du nomadisme et nomadisation des concepts, op. cit.
61
Pierre Bonte, Territorialité et politique : des Emirats aux régions. L'exemple de l'Adrar, In Frérot Anne-
Marie, Espaces et société en Mauritanie, Tours : Urbama, 1998, p 105-114.
37
Les sites de l'élevage, puis ceux des récoltes et ceux des échanges commerciaux se
succèdent. De plus, durant des temps plus longs, le territoire se déplace. Pendant les
périodes de sécheresse, les éleveurs tendent à se diriger vers le Sud et lorsque les pluies
sont plus abondantes, les paysans remontent cultiver plus au Nord. Dans le contexte du
pourtour occidental de la Méditerranée, Alain Tarrius reprend cette dimension
temporelle. L'espace des nomades comprend des sites qui sont reconnus comme
appartenant au groupe parce qu’ils sont inscrits dans sa mémoire collective63. La
mémoire relie les sites dans un même espace, que l'auteur qualifie “d'espace
circulatoire”. De même, la modification de cette mémoire peut modifier l’espace.
62
Denis Retaillé, L'espace nomade, op. cit.
63
Alain Tarrius, Les nouveaux cosmopolitains. Mobilités, identités, territoires. , La Tour-d'Aigues :
Editions de l'Aube, 2000, 272 p.
38
dans sa structure hiérarchique comme dans son rapport à l'espace, comparable à celle
des Maures65.
Un sujet contextualisé
Notre approche est avant tout cognitive. Le but de cette recherche est de contribuer à
une meilleure connaissance du monde et de ses habitants en mettant ses résultats à la
disposition de la société. Toutefois, même s’il ne s’agit pas d’une expertise, la thèse
répond à des interrogations, celles de son auteur. Ces interrogations ne sont pas
anodines. Elles dépendent de sa sensibilité comme du contexte économique, politique et
scientifique dans lequel celui-ci agit. Le choix de l’angle d’approche de la société maure
est effectivement lié à un contexte historique. Les géographes n’ont pas toujours
appréhendé cette société avec le même regard. Les éléments acquis pendant la
colonisation sont surtout l’œuvre de membres de l’administration française. Il s’agissait
alors de connaître la société pour mieux la contrôler. Ainsi, la carte de François Bonnet-
Dupeyron66 est un inventaire de toutes les tribus et fractions localisées selon les
déplacements de leurs troupeaux. Ce document ne montre les nomades que sous l’angle
de l’élevage et néglige les autres relations sociales, matrimoniales, les échanges entre
ces tribus et fractions. L’administration coloniale veut que les nomades et la production
animale soient contrôlés. En 1975, Charles Toupet publie sa thèse sur la sédentarisation.
L’époque était marquée par la sécheresse du début des années 1970 et la mobilité était
alors considérée comme le résultat de l’aridité. Aussi, la thèse évoque essentiellement la
sédentarisation des éleveurs et de leur troupeau. Elle ne prend pas en compte les autres
types de mobilité67. À la fin des années 1980, la géographie développe de nouvelles
64
Denis Retaillé, op. cit.
65
Francis de Chassey, op. cit.
66
François Bonnet-Dupeyron, op. cit.
67
Charles Toupet, op. cit.
39
approches et notamment celles des perceptions et des représentations de l’espace. La
thèse d’Anne-Marie Frérot n’évoque alors plus les nomades uniquement en fonction du
pastoralisme et traite de leur perception de l’espace68. Aujourd’hui les concepts de
nomadisme, de mobilité et de distance ont évolué. Notre approche est liée à ces
évolutions.
Dans ce contexte, nous envisageons nos interrogations à trois niveaux. Tout d’abord
celles qui relèvent de la subjectivité du chercheur face à cette société. C’est au contact
de la Mauritanie que le sujet prend forme. C’est ce qui l’interpelle qui oriente le
chercheur. Le nomadisme, la violence, l’esclavage, l’organisation politique sont autant
de thèmes conjoncturels qui amènent à s’interroger. Même politiques, ces questions ne
sont pas formulées par des acteurs institutionnels, mais par le chercheur. Ensuite, les
interrogations ont une portée plus conceptuelle. Qu’est-ce que le pouvoir politique,
qu’est-ce que le nomadisme ? Ces questions stimulent la curiosité du géographe et des
chercheurs en sciences sociales. Elles relèvent de la quête de nouveaux concepts pour
saisir des réalités que l’on découvre toujours plus complexes. Enfin, elles ont une visée
plus universelle ayant trait à l’humanité et aux diverses formes que prennent les sociétés
sur cette planète unique. Elles posent la question de la condition humaine. Qu’est que
l’Homme ? Cette question ultime anime les sciences humaines même si elle n’est pas
toujours affichée. Elle fascine ou effraie même si les scientifiques tentent d’évacuer
cette part subjective de leur travail. En amont de nos interrogations, il y a les raisons du
choix du métier de chercheur. C’est peut-être là que cela se joue. Pourquoi cherchons-
nous ? La réponse fournit des éléments essentiels quant aux choix de nos sujets. Elle est
“profondément ancrée dans une problématique personnelle qui conditionne toutes les
phases de la démarche“69. Point de raisonnements scientifiques, de déductions logiques,
mais des chercheurs-sujets qui agissent. Nous ne répondons pas à la demande sociale ou
à une volonté politique, mais à nos propres interrogations. Nous sommes nos propres
experts.
En ce qui concerne le choix des postures de recherche, des théories, des concepts et des
méthodes, certains géographes cherchent également leur origine en amont. Ces choix
68
Anne-Marie Frérot, La perception de l'espace en Adrar de Mauritanie. Thèse d'État, Lettres, Aix-
Marseille 1, 1993, 3 vol, 615 p.
69
Sophie Caratini, Les non-dits de l'anthropologie. Paris : PUF, 2004, p 5.
40
découlent de doctrines. Ces doctrines s’inscrivent dans des idéologies70. Un sujet
comme le nôtre, qui traite de politique dans un pays dit “en voie de développement”
peut renvoyer vers les termes, “développement” et “bonne gouvernance”, qui sont
éminemment idéologiques. Le développement est un concept occidental utilisé par les
instances politiques et financières internationales (Banque mondiale et Organisation des
Nations Unies), par les organisations de coopération, par les États et par la nébuleuse
des organisations non gouvernementales. Il justifie l’action de ces acteurs, or l’action de
ces derniers n’est pas neutre. La définition du développement de Gilbert Rist met en
avant son caractère idéologique.
Le rejet de l’expertise
Ainsi, positionner notre recherche dans la perspective d’étudier le développement et la
bonne gouvernance en Mauritanie reviendrait à adopter la position d’expert de ces
instances. Il apparaît difficile d’utiliser des termes dans un autre paradigme que celui
dont ils sont issus. Pour que notre étude ne soit pas orientée sur ces voies, nous devons
tenter de nous placer hors de ce champ. L’expertise détermine en amont du chercheur
les choix dont découlent les résultats. Ces derniers sont en effet dépendants des
70
Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy et Denis Retaillé, op. cit.
71
Gilbert Rist, Le développement, histoire d'une croyance occidentale. Paris : Presses de Sciences Po,
1996, p 19.
41
méthodes, des concepts et des théories utilisées. Les risques d’auto-réalisation des
théories sont plus grands lorsque l’on adopte la posture de l’expertise. De plus, elle
prive le chercheur d’une grande partie de sa liberté d’action, ou du moins, du sentiment
d’avoir la liberté d’action dans ses recherches. Les chercheurs du Musée de l’Homme
ont été confrontés à ce problème dans les années trente. Souvent anti-colonialistes, ils
menaient des études dans les pays administrés par la France, sur des populations
administrées par la France. Par conséquent, ils ne pouvaient agir qu’avec l’autorisation
de l’administration coloniale. De plus, les objectifs qu’ils poursuivaient rejoignaient en
certains points ceux de cette dernière, à savoir une meilleure connaissance des sociétés
africaines. Pour les ethnologues, cette connaissance devait permettre de réfuter la
justification civilisationnelle de la colonisation en montrant que ces sociétés n’avaient
rien de sauvage. Pour les colonisateurs, cette connaissance permettait une meilleure
administration des colonisés. Autrement dit, leur travail contribuait à accentuer un
rapport de force auquel ils étaient opposés.
Le contexte n’est plus le même, mais les rapports de domination existent toujours, qu’ils
soient intra ou inter-étatiques. Aussi, nous devons accorder beaucoup d’importance aux
choix des approches et des concepts et à leurs implications. Chercher à s’extraire
totalement des paradigmes de domination pour ne pas les renforcer par notre action de
recherche relève de l’utopie car tout chercheur est pris dans ces rapports. “L’enjeu de
l’écriture dépasse _ et de loin _ les objectifs déclarés de la science”73. Toutefois, nous
posons cette volonté de nous extraire comme une ligne directrice. Le risque est de
prendre le parti opposé en étudiant une société ou un groupe dominé dans la perspective
de lutter contre cette domination. Ce genre d’étude a souvent tendance à momifier et à
glorifier le groupe ou la société. Les tiers-mondistes ont ainsi négligé les contradictions
internes des sociétés africaines au profit de l’étude de leur domination par l’Occident.
De même que certains anthropologues ont été instrumentalisés à des fins politiques par
les sociétés sur lesquelles ils travaillaient.
Notre position tient donc de l’équilibrisme. Tout en tentant de conserver notre ligne
directrice, il nous faut prendre conscience que les résultats de nos recherches ne nous
appartiennent pas. Choisir la posture cognitive implique que nous ne pouvons maîtriser
72
Alain Antil, Nepad et bonne gouvernance, le libéralisme sauvera-t-il l’Afrique. Planète Humanitaire,
2004, n°6, p 14-15.
42
l’utilisation qui en sera faite. Ce sont ceux qui agissent dans la société qui peuvent ou
non s’appuyer sur nos travaux. Notre approche n’est donc ni naïve, ni militante, mais
résolument cognitive.
73
Sophie Caratini, op. cit, p 2.
43
Chapitre 2 : Le pouvoir politique et sa territorialité, entre
logique tribale et logique étatique
Dans le premier chapitre, nous avons tenté de différencier les groupes mauritaniens non
pas selon leur ethnie ou leur langue mais suivant leur rapport à l'espace. Nous avons
alors privilégié l'étude de l'espace nomade. Celui-ci ne peut se comprendre sans sa
dimension politique, mais le sens de cette dimension est très large et nous allons tenter
ici de présenter celui que nous choisissons. Cela nous permettra ensuite de mieux
comprendre ses implications spatiales. Le choix de privilégier l'étude des nomades
maures nous mène à nous intéresser à deux notions particulières, la tribu et l'État, qui
occupent une place prépondérante dans la dimension politique. Par ailleurs, le sens
donné à ces deux termes est chargé d'un poids historique qui s'inscrit dans un rapport de
domination issu de la colonisation. La “tribu” est, comme “l'ethnie”, une invention
coloniale destinée à classer et à administrer les populations occupées et l'État est
souvent présenté comme une invention occidentale servant d'étalon pour évaluer le
développement politique des anciennes colonies. Les réalités qu'ils recouvrent
dépendent en grande partie du sens que nous leur donnons et du rapport de domination
dans lequel nous nous positionnons. Par ailleurs, étudier ces deux objets, nous amènerait
à tenter de les isoler, ce qui supposerait qu'ils soient dissociables, or ce sont les
dimensions politique et spatiale de la société mauritanienne qui nous intéresse et c'est
seulement dans cette perspective que nous aurons à nous intéresser à ces deux termes.
44
politique est ainsi conçue comme un échange entre les processus de légitimation et de
représentation. Celles-ci se retrouvent dans les actions et dans les discours. En termes
d’espace du politique, cela se traduit par des manifestations spatiales. L’action de
représentation implique les découpages électoraux, le lobbying urbain ou régional et
l’aménagement sauvage. L’action de légitimation implique les découpages
administratifs et l’aménagement du territoire. Les discours de représentation peuvent se
traduire par une exigence de liberté de mouvement et d’égalité d’accès à l’espace et les
discours de légitimation par la promotion et la défense des lieux ou par la justice
spatiale75. Dans cette perspective, l'État n'est pas nécessairement l'objet central. Il est
dans la société dans ce sens qu'il n'est pas appréhendé comme une réalité extérieure.
L'étude de ses fonctions ou de ses manifestations, qui mettent en avant les implications
de l’État dans la société, permet de mieux cerner le pouvoir politique.
74
Claude Raffestin, Pour une géographie du pouvoir. Paris : Librairies techniques, 1980, 249 p.
75
Jacques Lévy, op. cit.
76
Georges Balandier, Anthropologie politique. Paris : PUF, 1967, 258 p.
45
décision. Cela rejoint la combinaison légitimation/représentation. C'est dans cette
perspective que s'inscrit notre détour par la tribu et l'État. Ils constituent des cadres pour
les circuits de l'action politique et de l'action administrative et sont porteurs de valeurs
qui permettent ces actions.
77
Marie-Françoise Durand, op. cit, p 45-100.
78
Bertrand Badie, Les deux États. Pouvoir et société en Occident et en terre d'Islam. Paris : Seuil, 1997,
331 p.
47
structurée et pérenne qui dépasse l’émeute. Cependant, elle réduit l’analyse à la
comparaison. De plus cette comparaison est parfois à sens unique. Elle questionne sur
les raisons de l’échec de la greffe de la modernité politique dans les États dits
musulmans. Nous ne pouvons suivre intégralement cette voie qui relève parfois de
l’ethnocentrisme.
79
Bertrand Badie, op. cit.
80
Jean-François Bayart, L'État en Afrique, la politique du ventre. Paris : Fayard, 1989, 443 p.
48
Les formes d'État antérieures à la colonisation
Bien avant Bertrand Badie et Jean-François Bayart, Ibn Khaldun81, au 14ème siècle, a
tenté de théoriser l'apparition de l'État. Outre leur antériorité, ses écrits présentent
l'intérêt de lier la dimension politique à la dimension spatiale. Il distingue el-‘umran el-
badawî, le monde de la brousse et el-‘umran el-hadarî, celui de la ville. Selon lui, c’est
la 'asabiyya, solidarité d’un groupe autour d’une parenté commune et d’un leader
commun, qui permet de prendre le contrôle de l’État. Les dirigeants de la tribu, en
s’appuyant sur la ‘assabiya, deviennent ceux de l’État, mais en quittant el-‘umran el-
badawî pour el-'umran el-hadarî, la ‘assbiyya se dissout. Elle ne peut exister en ville.
L'État est fondé sur une dynastie (dawla) qui a étendu son pouvoir sur une population.
Le gouvernement présente des caractéristiques que nous pouvons attribuer à l'État. Il ne
se fonde pas uniquement sur la parenté. Les dynasties peuvent enrôler des mercenaires
et s'attirer le soutien d'autres groupes, ou clans, qui ne lui sont pas apparentées. Elles
peuvent ainsi disposer d'une armée et d'une bureaucratie et se passer des liens de sang.
L'auteur considère que la dynastie exerce son pouvoir sur des populations mais aussi
que son autorité s'étend sur un territoire déterminé. Par ailleurs, il pose que
l'établissement d'une dynastie est indissociable de l'appropriation de la ville. Elle ne
peut s'établir dans la bediyya. La ville est à la fois un lieu de refuge qui permet de
défendre le royaume et qui permet de profiter du confort et de la civilisation. La Dawla
étudiée par Ibn Khaldun entre les 12ème et 14ème siècle peut s'apparenter à une forme
d'État en tant qu'institution dépassant les seuls liens de parenté, dotée d'une
administration et liée à un territoire et à la ville. Des historiens contemporains ont eux
aussi nuancé le caractère exclusivement occidental de l'État en mettant en évidence
l'existence d'empires dans l'Afrique de l'Ouest, que nous avons déjà présentés dans le
chapitre précédent.
81
Notre interprétation des propos d'Ibn Khaldun s'appuie sur : Ibn Khaldun, Discours sur l'histoire
universelle. Traduction Vincent Monteil, Beyrouth : Sindbad, Actes Sud, 1967-1968, 1138 p.
Abdel Wedoud Ould Cheikh, Nomadisme, Islam et pouvoir politique dans la société maure précoloniale
(Xième-XIXème siècles). Essais sur quelques aspects du tribalisme. Thèse de doctorat, Sociologie, Paris
V, 1985, 904 p.
Yves Lacoste, Ibn Khaldoun Naissance de l'Histoire, passé du tiers-monde. Réédition, Paris : La
Découverte, 1998, 267 p.
49
Les caractéristiques étatiques des Émirat maures
Apparus aux 17ème et 18ème siècles, les émirats maures sont, pour certains auteurs, un
premier dépassement de l’organisation tribale. Ces émirats n’ont pas couvert tout
l’espace du Trab el-beidhan. Les historiens en reconnaissent quatre, ceux du Trarza, du
Brakna, du Tagant et de l’Adrar. Ils sont, en général, le propre des tribus guerrières.
Selon Sidi Mohammed Ould Baidy, les émirs avaient une administration embryonnaire.
Ils n’avaient pas de pouvoir législatif mais un pouvoir réglementaire suivant les avis des
assemblées de notables, gemaa, et le droit musulman. Ils arbitraient les conflits,
prélevaient l’impôt sur les membres de l’émirat et sur les caravanes82. Ces propos
confirment ceux de Ould Cheikh. L’émir avait un rôle important en ce qui concerne la
justice (il n’avait pas toujours de Qâdi) et percevait des redevances mais il ne disposait
pas d’administration très institutionnalisée 83.
Le point important semble avoir été la perception de l’impôt. Dans l’émirat de l’Adrar,
l’impôt permettait à l’émir de contrôler les hommes. Il matérialisait l’appartenance à
l’émirat84 et pouvait être considéré comme un premier élément institutionnalisant les
rapports entre les tribus. Forts de son pouvoir et de son organisation, les émirats ont
constitué les principaux interlocuteurs des puissances étrangères. Celles-ci, qui étaient
implantées sur la côté, avaient besoin de traiter avec les Maures pour sécuriser leurs
activités commerciales, notamment autour du fleuve Sénégal. C’est dans ce contexte
que fut mis en place le système des coutumes. En 1723, Ely Chandhora, émir du Trarza
signa un traité avec la France en contrepartie duquel il percevait des coutumes85. Ces
versements à l’émir renforçaient son pouvoir et contribuaient à son institutionnalisation.
Au-delà d’exercer un contrôle sur les tribus, l’émirat devint l’interlocuteur des
puissances étrangères qui qualifiaient parfois les émirats “d’États maures riverains du
fleuve”86.
82
Sidi Mohamed Ould Baidy, L'administration territoriale et le développement local en Mauritanie.
Thèse de doctorat : Droit public, Paris I, 2003, 206 p.
83
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit.
84
Pierre Bonte, Edouard Conte, Constant Hames (et al), Al Ansab, la quête des origines. Paris : Maison
des Sciences de l'homme, 1991, 260 p.
85
Said Ould Hamody, op. cit, p 35.
86
Said Ould Hamody, op. cit, p 33.
50
émirats présentent certaines formes de l'État. Pierre Bonte expose également quelques
aspects de leur territoire. Il précise ainsi qu'ils coiffent “dans un espace territorial
relativement défini (…) un ensemble de tribu.”87 Le centre de ce territoire est la helle,
qui fait office de capitale nomade. Elle n'est pas un simple campement. Y sont
rassemblés les attributs du pouvoir émiral tel que le tambour du commandement ('tbal).
Le centre du territoire se déplace en même temps que la helle. Selon l'auteur, il ne peut
y avoir qu'une seule helle sur un territoire émiral, ce qui sous-entend peut-être une
certaine exclusivité de ce territoire. Néanmoins, il n'est jamais fait mention de frontières
clairement délimitées et l'appartenance à l'émirat passe par l'impôt et non par le
territoire.
87
Pierre Bonte, Tentes et campements. Peut-on parler de dynasties émirales au Sahara occidental? In
Bonte Pierre, Conte Edouard, Dresh Paul (dir), Emirs et présidents. Figures de la parenté et du politique
dans le monde arabe. Paris : CNRS éditions, 2001, p 189.
88
Georges Balandier, op. cit.
51
Cette dissociation de deux logiques permet d'éviter de dissocier deux objets, l'État et la
tribu comme deux éléments extérieurs l'un à l'autre. Les deux logiques s'inscrivent dans
une même configuration politique et l'action des individus sur la scène politique ne
relève jamais exclusivement d'une seule de ces deux logiques. Ainsi, les individus qui
ont des fonctions qui dépendent de l’État, dirigeant, élu ou fonctionnaire, sont aussi les
membres d’une tribu. Le réseau social qui les lie entre eux lie de ce fait l’État et la tribu.
Dans l’Afrique noire, Jean-François Bayart évoque l’État rhizome comme étant “une
multitude protéiforme de réseaux dont les tiges souterraines relient les points épars de la
89
société”. Ainsi, l’État n’est pas une entité isolable . Ces rhizomes soulignent la
personnalisation des rapports politiques.
89
Jean-François Bayart, op. cit, p 272.
52
n’existe pas ailleurs que dans son territoire. La logique étatique tend vers une
identification totale avec l’espace sur lequel elle exerce son pouvoir, espace qui est lui-
même la condition de l’exercice de ce pouvoir. L’appropriation de l’espace est
exclusive et exhaustive91. Rien de ce qui est inclus dans les frontières n’est censé
échapper à la logique étatique. Un seul élément, l’État, s’approprie l’ensemble. Où qu’il
se déplace, dans ce territoire, l’éleveur transhumant est toujours l’objet du recensement.
En revanche, tout ce qui est à l’extérieur ne relève plus de lui.
Cette logique d’appropriation induit une logique d’aménagement suivant laquelle l'État
se pose en gestionnaire de son territoire. Aucun aménagement ne doit lui échapper. Tout
forage d’un puits doit s’effectuer avec l’autorisation du Ministère de l’hydraulique. De
même, il aménage tout l’espace. Le schéma national d’aménagement du territoire de
1990 a découpé la Mauritanie en cinq grandes zones qui couvrent l’intégralité de
l’espace. À chacune, il attribue des objectifs particuliers92. Suivre la logique étatique
revient à considérer l’ensemble de la population comme des citoyens qui appartiennent
avant tout à l’État. Le découpage de la population suit le découpage de l'administration.
Il regroupe les individus en fonction de leur appartenance géographique. Chacun est
censé voter dans son lieu de résidence. Dans ce sens, la logique spatiale étatique relève
de l'impératif territorial évoqué précédemment. Le contrôle des populations passe par le
découpage et l'assignation à résidence. Pour cette raison, nous pouvons parler de
logique spatiale sédentaire.
90
Sophie Caratini, Les enfants des nuages. Paris : Seuil, 1993, 386 p.
91
Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy, Denis Retaillé, op. cit.
92
Alain Antil, Le territoire et l'État en Mauritanie. Génèse, héritage, représentations. op. cit, p 304-313.
53
que leur existence politique dépend en partie de leur relation à la capitale. Elle attire
également par son rôle de redistribution de richesses. Au-delà de la présence des
instances qui gèrent le budget mauritanien, Nouakchott est à la fois un site essentiel
dans la circulation des marchandises et le point de rencontre des bailleurs étrangers. Les
organismes internationaux y ont un siège. C’est donc par là que transitent toutes les
aides financières. D’autre part, Nouakchott est, avec Nouadhibou, l’un des deux ports
d’importation du pays. Elle est au carrefour de toutes les routes du pays et les services
douaniers y sont centralisés. Ainsi, le dédouanement des voitures qui entrent dans le
pays par la voie terrestre se fait au bureau de douane-ville à Nouakchott.
La logique étatique présente donc deux dimensions, politique et spatiale, qui sont liées.
Le territoire a une place déterminante. Il matérialise l'appartenance à l'État, détermine
l'étendue de son autorité et en conditionne l'exercice. Par ailleurs, son caractère
centralisateur se traduit spatialement par la création de la capitale qui en constitue le
centre.
La tribu maure
La réflexion sur la tribu maure est, comme celle sur l’État, une tentative d’abstraction
des différentes formes de la tribu arabe observées suivant les périodes, de l’anté-
islamisme à nos jours et suivant les tribus, des Rgaybât aux Oulad Nacer. Nous nous
appuierons essentiellement sur les écrits de Sami Manaf pour la péninsule arabique, de
Pierre Bonte et Abdel Wedoud Ould Cheikh pour les tribus maures en général et de
Sophie Caratini pour les Rgaybât. Comme pour l'État, il s'agira de présenter les logiques
politique et spatiale qui relèvent de l'idéal-type de la tribu arabe.
93
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit, p 474.
54
visées politiques. Quand on intègre une tribu, on renonce à ses attaches passées94. De
plus, “la qabîla constituait le cadre commun de la possession de la terre”. La défense du
territoire tribal mobilisait alors toutes les strates de la tribu95. La tribu existerait ainsi
dans son rapport aux autres groupes, pour défendre les intérêts de ceux qui la
composent. Tous ses membres se solidarisent autour des objectifs communs. Cela nous
amène à considérer que leur choix d’action est motivé par ces objectifs communs et
donc à adopter une approche plutôt holiste96. Toutefois, cet holisme ne peut enfermer la
tribu dans un déterminisme. L’alliance étant posée comme politique, elle est, par
conséquent, dépendante des variations de la scène politique et si les visées politiques se
modifient, la composition de la tribu se transforme. Inversement, si une partie de la tribu
s’oppose à une visée politique, elle se sépare et crée une autre tribu ou fraction. Nous
pouvons supposer que l’action des individus d’une tribu est orientée par la politique
commune tant qu’ils se considèrent membres du groupe. Une part de leur liberté tient
dans la possibilité de changer d’alliance. La tribu n’est pas une structure figée. Elle est
en recomposition permanente.
“une personne d'un lignage donné peut fort bien s'attacher aux gens d'une
autre origine (…) Le lignage s'identifie aux conséquences du lignage :
l'appartenance à tel ou tel clan (…) signifie seulement qu'on se soumet à
ses lois (…) après quoi le temps passe et le lignage d'origine est presque
oublié”.98
La tribu est souvent présentée par les intéressés à l’observateur extérieur comme un
ensemble de cousins. Aussi, tout en admettant que la parenté est dépendante des
finalités, nous devons la prendre en compte. Elle est impliquée dans deux dynamiques :
94
Manaf Sami, Economie et politique du nomadisme arabe. Thèse de doctorat, Ethnologie, EHESS,
Paris, 1989, 280 p.
95
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit, p 470.
96
Manaf Sami, op. cit.
97
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit.
98
Ibn Khaldun, op. cit, p 216.
55
la ‘assabiya, qui solidarise sur une base horizontale et égalitaire le groupe autour d’une
parenté commune et le nassab, l’origine généalogique, qui classe de manière verticale et
hiérarchique les membres d’une même tribu et les tribus entre elles99. La hiérarchie
s’établit théoriquement suivant la proximité de la filiation patrilinéaire avec l’ancêtre
éponyme de la tribu. Les aînés, plus proches, dominent les cadets, plus éloignés100. De
même, les tribus de chorfa (chérif) prétendent être les plus nobles parce qu’elles
descendent de la famille du prophète Mahomet. Dans ce schéma, le mariage prend toute
son importance. Un mariage devient une alliance. Soit il est endogame et renforce
l’alliance antérieure, soit il est exogame et il en crée ou entérine une nouvelle. La
femme est un moyen d’échange101 dans les stratégies politiques. Si le mariage permet de
modifier la généalogie de la descendance, l’histoire, ou la maîtrise du passé permet de
modifier la généalogie de l’ascendance. Il importe aux tribus arabes de garder le
contrôle sur le discours relatif à ses propres origines, même si ce discours est
délibérément légendaire102. Une généalogie est établie tant qu’un grand nombre la
reconnaît comme telle. Sa modification nécessite d’être en mesure de peser sur la
mémoire collective. La tribu ne peut donc être considérée comme une structure
suspendue dans l’histoire. Elle est nécessairement contextualisée dans une période et
une situation politique données.
Retenons que la tribu en tant qu'idéal-type repose à la fois sur une parenté reconnue
comme commune de ses membres s'appuyant sur une finalité politique. Ainsi, tout
groupe qui se fédère dans l'objectif d'acquérir une meilleure représentation sur la scène
politique et qui légitime cette fédération par la recherche d'une généalogie commune
peut être considéré comme une tribu sans tenir compte de son importance numérique, de
son ancienneté ou de son poids politique. Néanmoins, il existe en Mauritanie un certain
“ordre établi” des tribus. Les habitants d'Ayoun El-Atrouss parlent en français de la
“tribu des Oulad Nacer” et de la “fraction des Oulad Chbechib”. Pour cette raison, nous
utiliserons le terme de “groupe tribal” pour tout groupe qui se fédère selon une logique
tribale, mais nous utiliserons les termes “tribu” et “fraction” lorsque le groupe est
reconnu et identifié comme tel.
99
Pierre Bonte, Edouard Conte, Constant Hames (et al), op. cit.
100
Sophie Caratini, Les Rgaybât : 1610-1934. 2, Territoire et société, Paris : L'Harmattan, 1989, 289 p.
101
Pierre Bonte, Edouard Conte, Constant Hames (et al), op. cit.
56
Le fédéralisme de la tribu
Après avoir abordé les finalités, les modalités d’agrégation et son dynamisme actuel,
nous pouvons envisager l’action politique et l’action administrative au sein de la tribu.
D’une part, suivant quels circuits devient-on chef de tribu ? La noblesse de la
généalogie, la bravoure ou l’audace et la probité accompagnée du savoir sont les trois
éléments majeurs qui permettent de légitimer le chef dans sa fonction. Ces éléments
varient selon qu’il s’agisse de tribus guerrière, hassan, ou maraboutique, zwaya. Les
premières seraient plus réceptives à la bravoure et les secondes à la probité. À cette
légitimité s’ajoute la capacité à mener à bien les objectifs politiques. Dans cette
perspective, il peut s’agir d’améliorer la position de la tribu par rapport aux autres et
d’élever son nassab au-dessus de celui des autres103.
D’autre part, quelle est l’autorité de ce chef ? Dans la tribu nomade arabe, le chef n’a
aucun pouvoir de coercition104. Chez les tribus maures, il nous faut à nouveau distinguer
les tribus hassan des zwaya. Chez les premières, le chef est plus un représentant qu’un
dirigeant. Les décisions sont prises avec la gemaa. De plus, son autorité est souvent
atténuée par les divisions en plusieurs fractions qui ont autant de sous-chefs, et qui
incitent au consensus plutôt qu’à l’autoritarisme. Chez les zwaya, le pouvoir est modéré
par celui du Qâdi.105. Le chef de tribu ne peut donc être compris comme quelqu’un qui
impose ses choix, mais plutôt comme un fédérateur. C’est en ce sens que nous parlons
de fédéralisme. Les fractions ont beaucoup d’autonomie et préfèrent la sécession à la
soumission. C’est peut-être pour cette raison que certaines tribus ont été qualifiées de
confédération.
Sophie Caratini, Du modèle aux pratiques : ambivalence de la filiation et de l'alliance chez les Rgaybât de
l'Ouest saharien, L'Homme, 1995, n°133, p. 33-50.
102
Manaf Sami, op. cit.
103
Mohammed Ould Sidiya, Tribu et État en Mauritanie de 1946 à 1978 : essai explicatif, Thèse de 3ème
cycle, Science politique, Université de Provence, 1999, 294 p.
104
Manaf Sami, op. cit.
105
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit.
57
Dans la péninsule arabique, cette irréductibilité politique se traduisait spatialement par
la dispersion. La fraction déménage vers un autre territoire.106
La logique spatiale tribale recouvre en partie l'espace nomade. Selon elle, l'espace n'est
pas appréhendé par une métrique topographique, mais topologique. L'essentiel ne tient
pas dans les aires, mais dans les axes et les carrefours, dans la position d'un lieu par
rapports aux autres plutôt que dans la situation dans un environnement. L'existence
sociale et politique n'est pas enfermée dans le territoire. Elle peut se poursuivre ailleurs,
ce que permet la mobilité et le caractère évanescent des groupes tribaux. L'objectif
politique n'est ainsi pas d'occuper un territoire mais de maîtriser la circulation et les
distances entre les sites, soit le mouvement. La maîtrise de ce mouvement ne nécessite
pas l'appropriation de la terre, mais le contrôle des hommes qui l'occupent. Nous
106
Manaf Sami, op. cit.
107
Mohammed Ould Sidiya, op. cit.
108
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit, p 472.
109
Manaf Sami, op. cit, p 293.
110
Alain Tarrius, La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Paris :
Balland, 2002, 169 p.
58
pourrons parler de logique nomade pour l'espace de la logique tribale en opposition à la
logique sédentaire pour l'espace de la logique étatique.
Abdel Wedoud Ould Cheikh, en s'appuyant sur l'héritage khaldunien, et Pierre Bonte
tentent de sortir de ce processus cyclique et de saisir l'évolution de la Mauritanie jusqu'à
sa forme étatique actuelle. Cette vision cyclique du pouvoir contextualisée à l’époque
contemporaine de l’auteur, ne peut, par exemple, expliquer pourquoi, malgré la
succession de différents groupes à sa tête, l’État mauritanien est toujours présent. Le
premier dirigeant, Moktar Ould Daddah n’était pas issu de la tribu des Smassid comme
l’est l’actuel président. Selon Pierre Bonte, l’apparition de l’État dans sa forme actuelle
trouve une explication dans la structure de la tribu. Le passage vers l’État se fait au
moyen des fractions qui se mettent en place dans la perspective de prendre le contrôle
du pouvoir émiral. À l’intérieur de chaque tribu ou fraction se détache une faction qui se
met en opposition. Cette dynamique est appelée le factionalisme dual. De là est évoqué
le factionalisme politique. Il s’agit d’une organisation politique centralisée coiffant une
organisation tribale et d’un fonctionnement fondé sur la mobilisation d’alliances
segmentaires mouvantes dans le cadre d’un réseau hiérarchique de relations politiques
111
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit.
59
liant des groupes en vue de l’acquisition et de la reproduction du pouvoir politique112.
D'après Pierre Bonte, cette organisation s'est mise en place à partir des émirats et a été
renforcée par les colons qui se sont appuyés sur ces émirats113. L'organisation politique
étatique devient alors le cadre des oppositions entre groupes tribaux.
Ainsi, l'État actuel ne tend pas à faire disparaître la logique tribale. Nous retrouvons là
l'État rhizome africain de Bayart mais aussi les propos de Balandier. Selon lui, le
pouvoir politique avec l'État correspond à des circuits formels et spécialisés mais qui
n'abolissent pas les circuits basés sur la parenté, la religion et l'économie114. La
définition du pouvoir dans les pays arabe donnée par Bonte, Conte et Dresh prend
toujours en compte la logique tribale :
112
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit.
113
Pierre Bonte, Territorialité et politique : des Emirats aux régions. L'exemple de l'Adrar, op. cit.
114
Georges Balandier, op. cit.
115
Pierre Bonte, Edouard Conte, Paul Dresh (dir), Emirs et présidents. Figures de la parenté et du
politique dans le monde arabe, op. cit, p 35.
60
L’État et la politique du ventre116
La force centripète est liée aux rapports de domination entre les puissances étrangères et
les organisations politique maures. Les émirs tiraient une partie de leur pouvoir de leur
rôle d'intermédiaire vis-à-vis de ces puissances dont ils recevaient les coutumes.
Aujourd'hui, l'État mauritanien fait également office d'interface avec les puissances
étrangères. C'est par lui que transitent les aides apportées par les bailleurs
internationaux. Il joue ainsi un rôle de redistributeur de richesses117 et attire en son
centre les groupes tribaux qui désirent accéder à ces richesses. C’est “la politique du
ventre”118. La Mauritanie n’est pas un pays de producteurs. Le pouvoir ne passe pas par
le contrôle des moyens de production mais par le contrôle des flux. Le système des
coutumes, instauré par les Français, n’avaient pas pour objectif de s’accaparer les
richesses produites dans le pays mais d’acheter la sécurité pour le commerce.
116
Jean-François Bayart, op. cit.
117
Alain Antil, op. cit.
118
Jean-François Bayart, op. cit.
61
Tableau 2 : Evolution des versements nets d'APD à la Mauritanie entre 2000 et 2003.
De 1993 à 1999, la Mauritanie était au 5ème rang mondial des pays les plus aidés par
habitant. Ainsi l’aide extérieure est une ressource économique importante. Pour accéder
à cette ressource, il faut passer par l’État car l’APD transite par l’État. S’il nous est
délicat d’établir avec certitude les raisons de l’importance de cette aide. Nous pouvons
supposer qu’elles sont d’ordre diplomatique et économique.
Suite aux “évènements de 1989” et aux critiques internationales qu'ils ont provoqué, le
gouvernement mauritanien s'est évertué à suivre les orientations des bailleurs étrangers
pour acquérir ou retrouver une légitimité sur le plan international119. Cette politique de
l’aide n’est pas sans rappeler celle des coutumes. Le pouvoir de l’État est d’autant plus
renforcé qu’il est soutenu financièrement de l’extérieur. Ce soutien lui permet de mieux
contrôler les flux économiques. L'institution étatique constitue ainsi un passage obligé
pour les groupes tribaux puisqu'elle est source de contrôle de la circulation des
richesses. Elle est par conséquent une contrainte incontournable et nous émettons
l'hypothèse qu'elle est la matrice dans laquelle s'inscrit le pouvoir politique. L'État-
matrice n'est pas la logique étatique, mais les règles du jeu politique qui en découlent
relèvent en grande partie de cette logique et du rapport à l'espace qu'elle induit.
119
Pierre-Robert Baduel, La Mauritanie dans l'ordre international, Politique Africaine, 1994, n°55 p 11-
19.
62
Des émirats à l’administration coloniale, les premières trames de la matrice
A la période des coutumes a succédé une période de pénétration pacifique puis violente
du Trab el-Beidhan par les Français du 19ème au début du 20ème siècle. Après avoir
conquis le territoire, conquête qui a duré jusqu’en en 1932 pour la partie la plus
septentrionale, les Français l’ont administré. Un aspect de cette administration a été le
découpage de l’espace et le choix de relais dans la population colonisée. Dans l’Adrar,
en 1909, la colonisation s’est inscrite sans trop de difficulté dans ce cadre. Elle a utilisé
le contrôle de l’émirat pour fixer des frontières administratives, même si celles-ci ne
correspondaient pas toujours aux représentations antérieures de son territoire120. Ces
frontières ont ajouté une contrainte au jeu politique des Maures car les tribus se sont
trouvées rattachées aux entités administratives des cercles. Leurs membres recensés
dans ces circonscriptions étaient censés ne pas pouvoir les quitter sans autorisation121.
Ainsi, durant cette période coloniale, la matrice étatique s’est enrichie d’un découpage
territorial plus marqué.
Dans le Hodh, région privilégiée par notre étude, aucun émirat ne s’est durablement
établi122. Au cours du 19ème et du début du 20ème siècle, se sont succédé les tribus
guerrières des Oulad M’Barek, des Mechdhouf puis des Oulad Nacer. Les relations de
ces tribus avec les puissances étrangères ont été moins institutionnalisées par des
traités123. L'Est mauritanien était plutôt lié avec des organisations politiques du Soudan
d'alors plutôt qu'en liens avec les émirats124. Au début de la période coloniale, les
Français n'avaient pas rattaché le Hodh à la Mauritanie mais au Soudan et au cercle de
Nioro du Sahel alors que les émirats étaient déjà tous devenus des cercles. Ce n'est qu'en
1944 que le gouverneur Laigret a rattaché le Hodh à la Mauritanie. D'après les rapports
de l'administration coloniale, l'un des objectif était de regrouper tous les nomades dans
une même entité.
Face à l’absence d’organisation émirale, les Français ont instauré les chefs généraux.
Les tribus ont été considérées comme des unités administratives dont le chef était
120
Pierre Bonte, Territorialité et politique : des Emirats aux régions. L'exemple de l'Adrar, op. cit.
121
Jean-Louis Payen, Le recensement de l'impôt. In Edmond Bernus, Pierre Boilley, Jean Clauzel (dir et
al), Nomades et commandants. Paris : Karthalla, 1993, p 120-126.
122
D’après un entretien avec Mohammed Ould Bouleyba, il est possible qu’il ait existé l'émirat des Oulad
M’Barek.
123
Said Ould Hamody, op. cit, p 42.
63
nommé par la gemaa en accord avec le gouverneur général. Les membres de la gemaa
étaient également agréés par ce dernier125. Les chefs généraux étaient subordonnés au
gouverneur et devaient transmettre ses ordres. Les chefs de fraction veillaient à la police
générale ainsi qu’à la perception des impôts. Les premiers éléments de l’administration
se sont donc mis en place même dans une région et chez des tribus qui ne relevaient
d’aucun émirats.
Durant la période coloniale un autre élément de la matrice s’est mis en place : l’école.
Dans le pays des Maures (deux écoles étaient déjà ouvertes à Kaedi et Boghé), la
première ouverte fut la medersa de Boutilimit en 1914. Les deux suivantes furent celle
de Kiffa et de Timbedra en 1939126. Obligation était faite aux chefs d’y envoyer leurs
fils mais ces derniers ont longtemps boycotté l’école et envoyé à la place des fils
d’esclaves. Néanmoins, l’école a formé les futurs cadres mauritaniens. Elle est devenue,
un passage recommandé, si ce n’est obligé, dans les circuits d’accès aux postes
politiques du pays devenu indépendant.
124
Olivier Lemasson, Adel-Bagrou, belvédère sur l'Afrique de l'Ouest à l'horizon mauritanien. Mémoire
de Maîtrise, Géographie, Rouen, 1997, p 19-32.
125
Sidi Mohamed Ould Baidy, op. cit.
64
administrative de l’État, mais sans remettre en cause cette dernière. L'essentiel des
pouvoirs restait concentré au sommet de l'État, les circonscriptions administratives
demeurant soumises à son autorité. Ce découpage administratif était adossé au PPM, le
Parti du Peuple Mauritanien, El-hezb ech-chaab, devenu le parti unique du régime de
Moktar Ould Daddah en 1964 et succédant au multipartisme. La structuration du parti,
principal vecteur pour accéder au postes décisionnels, était calquée sur celle de
l'administration, renforçant le caractère centralisé de la matrice étatique mauritanienne.
126
Said Ould Hamody, op. cit, p 118-120.
65
nomade et sédentaire. Dans le premier, les cellules sont des campements et dans le
second des villages.
66
Les organisations politiques au temps des partis uniques
Dans les années soixante, les dirigeants mauritaniens ont imposé un parti unique, le
PPM, qui proposait les candidats pour les postes décisionnels de l'administration
étatique et qui définissait l'orientation politique du pays. Le parti unique constituait le
passage obligé des circuits de l'action politique. Son rôle était prépondérant. Il proposait
la politique à mener et le gouvernement l’appliquait. La compétition entre tribus se
déroulaient à l’intérieur du parti127. Pour obtenir un poste dans le gouvernement, il était
préférable d’être adhérent. À Ayoun El-Atrouss, les rivalités entre les tribus des Oulad
Nacer et des Oulad M’Barek et, parmi les Oulad Nacer, entre les partisans de Hassan
Ould Saleh et Mohammed Mokhtar Ould Bacar, fils du chef général Ethman Ould
Bacar, se manifestaient dans la rivalité pour contrôler la section régionale du PPM.
Après le renversement de Moktar Ould Daddah en 1978, le PPM a été remplacé par la
mise en place des structures d’éducation de masse (SEM). Ces structures avaient pour
objectif d’encadrer la population jusqu’au niveau de la famille et étaient directement
contrôlées par le Comité Militaire de Salut National qui dirigeait alors le pays. Les SEM
participaient non seulement à l’action politique mais également à l’action administrative
car elles permettaient au CMSN (Comité Militaire de Salut National) de mieux s’assurer
de l’application de ses décisions auprès de la population. Après l’arrivée du président
actuel au pouvoir en 1984, les SEM ont disparu et à partir des années 1990, le
multipartisme a été instauré. Cependant, un seul parti tient les rennes de l’État, le Parti
Républicain Social et Démocratique (PRDS). Même si d’autres ont obtenu des sièges
lors de scrutins communaux, seuls les membres du PRDS ou des partis qui le
soutiennent accèdent aux postes à haute responsabilité. Dans les communes rurales, être
nommé sur la liste du parti constitue en général une garantie d’élection. Autrement dit,
pour devenir dirigeant de son village, il faut adhérer au parti. Sans être un parti unique,
le PRDS joue donc à la fois le rôle de représentation et le rôle de légitimation entre
l’État et la population. Il est un élément essentiel des règles du jeu politique128. Aussi,
par-delà les ruptures politiques, nous pouvons considérer que le modèle du parti unique
a fortement influencé et influence toujours la vie politique mauritanienne. Les trois
127
Philippe Marchesin, op. cit.
128
Zekeria Ould Ahmed Salem, La démocratisation en Mauritanie, une «illusio» postcoloniale ? Politique
Africaine, 1994, n°55, p 131-146.
67
formes prises par ce modèle ont toutes des caractéristiques communes. Elles sont
fortement hiérarchisées et leurs actions sont impulsées depuis le sommet vers la base.
129
Il y a plusieurs explications possibles à cela : leur destruction lors des différents changements de
régime, le faible attachement à la conservation des archives de ce type ou le refus de nous les
communiquer.
68
furent instituées des zones, mountaqa. Les zones regroupaient plusieurs quartiers, hayat,
qui étaient constitués d’une dizaine de cellules comptant autant de familles.
Si les membres des bureaux de chaque structure étaient, d’après cette délibération, élus
par le bureau de la structure de l’échelon inférieur, laissant penser à une organisation
fédéraliste, les présidents étaient nommés par l’administration ou étaient eux-mêmes
membres de cette administration. Il ne s’agissait donc pas de circonscriptions
autonomes. Les bureaux de zone étaient chargés de diffuser et d’expliquer les
instructions des instances supérieures et de suivre l’exécution des programmes destinés
à la zone. De même, la commission régionale était chargée de faire appliquer les
politiques nationales. Les SEM demeuraient une structure centraliste. Leur fonction
étaient d’éduquer les “masses” pour favoriser le développement économique, pour
faciliter “l’exercice effectif et responsable de la vie politique du pays” (article 2). Il
s’agissait aussi d’un encadrement de la population face au “vide politique préjudiciable”
dans lequel se trouvait le pays. Cette fonction d’encadrement était également ressentie
par la population. Les présidents de bureaux étaient considérés comme des relais de
l’administration. De plus, durant la sécheresse du début des années 1980, les SEM ont
été chargées de la distribution des aides internationales. Cette mission, comme pour les
maires des communes quelques années plus tard, nécessitait de recenser la population.
Ce recensement, pouvait parfois correspondre à un encadrement plus serré ou à la
surveillance des opposants au régime. De nombreux Ayounois étaient à cette époque
emprisonnés et, par plusieurs grèves, les lycéens de la ville avaient montré leur
opposition au chef de l’État Mohamed Khouna Ould Haïdallah. Ainsi resituée dans son
contexte (les premières années du comité militaire issu du coup d’état de 1978) leur
création peut être interprétée comme un élément contribuant au maintien au pouvoir de
ce comité. Ce dernier devait s’imposer par le contrôle de la population et du territoire.
Son action partait du sommet vers la base. Dans plusieurs zones du Hodh El-Gharbi, le
choix des présidents de bureau semblait s’attacher à évincer les notables les plus
influents ou les plus réfractaires. Les présidents n’avaient pas toujours un statut social
élevé dans leur tribu. Dans le prolongement du PPM, les SEM constituèrent une
organisation centralisée et centraliste. Leur existence ne dépendait que des décisions du
centre.
69
Les organisations politiques de “l’ère démocratique“
Dans les années 1990, le multipartisme a correspondu à la multiplication des scrutins
électoraux. Les élections sont devenues les principaux objectifs des partis. En
conséquence, l'organisation interne du PRDS comme celle des partis de l'opposition
s’est adaptée au découpage des circonscriptions électorales. À la wilaya correspond la
fédération et l'élection des sénateurs, à la moughataa la section et l'élection des députés
et à la commune la sous-section et l'élection du conseil municipal. À la différence de
tous les partis de l'opposition, le PRDS peut présenter des listes aux scrutins municipaux
dans toutes les communes rurales. Le choix des têtes de listes candidates et toutes les
nominations de secrétaire de section ou de sous-section sont validés en dernier recours
par le comité central.
La plupart des partis de l'opposition sont structurés sur ce modèle. Même s’ils sont dans
l’opposition, ils ne se sont jamais totalement opposés aux fondements de l’État. Leur
objectif étant surtout d’accéder au pouvoir politique. Les circuits de l'action politique
que sont les partis s’inscrivent donc dans une logique étatique. Toutefois, la
présentation que nous en avons faite s’est principalement attardée sur leur aspect
institutionnel. Cet aspect, lié à l’existence de l’État, met plus facilement en valeur la
logique étatique qui centralise le pouvoir politique.
Cette matrice, qui relève pour beaucoup des institutions et des acteurs reconnus par ces
institutions, balise des circuits de l'action politique comme de l'action administrative. En
structurant le pouvoir politique, elle permet de véhiculer la logique étatique, mais elle
demeure surtout un support et ce sont les Mauritaniens qui animent ces circuits et qui
s'organisent notamment autour de groupes tribaux.
70
Une réalité masquée
Aujourd’hui, ni la constitution, ni les lois ne lui accordent de statut politique. Les
discours officiels du président ne la mentionnent pas. L’ordonnance de 1987 instituant
les communes stipule que les “listes de candidats ne doivent en aucun cas être
composées sur des bases ethniques, tribales ou ayant un caractère particulariste ou
sectaire” (article 109). Elle est parfois évoquée dans la presse francophone, mais le plus
souvent les journalistes utilisent d’autres termes, “collectivité” ou “ensemble”, pour la
désigner. Au cours des entretiens menés avec des représentants de l’État, le sujet de la
tribu n’a jamais été abordé que par l’enquêteur. Lorsqu’elles n’esquivaient pas les
questions, les réponses n’empruntaient pas non plus le terme de “tribu”. Les périphrases
le contournaient d’autant plus largement que les entretiens se déroulaient dans des
locaux de l’administration.
Quand elle n’est pas cachée, elle est souvent considérée négativement. Des chercheurs
pensent qu’elle est un frein au développement de l’État moderne130. Pour les opposants
progressistes au régime en place elle révèle l’archaïsme du pouvoir. En tant que
chercheurs étrangers, nous pouvons nous demander si cette dissimulation ne nous est
pas destinée. Nous avons vu que la Mauritanie et son État sont fortement dépendants de
leurs relations diplomatiques et de leur image sur la scène internationale. Il est possible
que nos interlocuteurs cherchent à présenter le pays comme un modèle de
développement conforme aux standards du Fonds Monétaire International, lesquels ne
prennent pas en compte la tribu. Toutefois cette dissimulation est surtout formelle et il
suffit d’un peu de temps à l’observateur étranger pour saisir sa présence.
130
Philippe Marchesin, op. cit.
71
groupe tribal joue ce rôle d’assurance et de solidarité. Elle permet notamment de
répondre à des frais de santé qui dépassent les possibilités d’un ménage. Dans le Hodh
El-Gharbi, la tribu est la principale structure capable d’assurer la solidarité matérielle.
Nous pouvons admettre que la plupart des habitants ne pourraient vivre sans elle. Au-
delà de cette condition d’existence matérielle, la tribu répond également à une condition
d’existence sociale. Elle permet à chacun de se situer dans le paysage social, de savoir
qui est qui et par rapport à qui. Elle est un élément essentiel de l’identité des Maures.
Ce rôle matériel et social est lié à sa finalité politique. Certains émettent l’hypothèse que
les réformes institutionnelles concernant les élections pluralistes ont réactivé la
dynamique tribale. Selon Philippe Marchesin, le nombre de tribus différentes accédant
au pouvoir s’est accru après le coup d’état de 1978. À mesure que l’idée d’État moderne
s’est estompée, la tribu a pris de l’importance131. Plutôt que dans l’accès au pouvoir,
c’est dans les stratégies développées lors des élections que l’influence du groupe tribal
se fait sentir. Plusieurs études au cours des années 1990 ont montré comment les
rivalités entre groupes tribaux s’inscrivaient dans les rivalités électorales, notamment
lors des scrutins des principales villes de l’intérieur du pays132. Des entretiens avec les
chercheurs Mauritaniens ou avec les enquêtés il ressort également que les scrutins
municipaux sont investis par les luttes tribales. Toutefois, il nous semble quelque peu
réducteur d’affirmer que les élections pluralistes ont réactivé les tribus. La finalité
politique de la tribu aurait-elle disparu puis réapparu ? Le fait tribal était plutôt
dissimulé du temps de Ould Daddah. Nous supposons que la tribu a toujours été
politiquement active mais que les nouvelles formes de l’action politique lui donnent
plus de visibilité.
131
op. cit, 201-209.
132
Mariella Villasante-de Beauvais, Parenté et politique en Mauritanie. Essai d'anthropologie historique.
L'Harmattan, Paris, 1998, 288 p.
Alain Antil, op. cit.
133
Jean-Louis Payen, op. cit.
72
Bonte et Abdel Wedoud Ould Cheikh que nous avons déjà cités et plus récemment
Zekeria Ould Ahmed Salem et Mariella Villasante-de Beauvais ainsi qu'Olivier Pliez en
Libye134).
134
Olivier Pliez, Dynamiques urbaines et changements sociaux au Sahara. Le cas libyen. Thèse de 3ème
cycle, Géographie, Aix-Marseille 1, 2000, 279 p.
73
d'administrés possibles et maintenir de bonnes relations avec les
autorités”135
Plus récemment, deux auteurs ont travaillé sur la représentation dans le pouvoir
politique des groupes sociaux mauritaniens. Selon Mariella Villasante-de Beauvais, ce
sont surtout les élites traditionnelles des structures tribales, c'est-à-dire les leaders
communément reconnus dans ces structures, qui jouent le rôle d'intermédiation
politique136. De son côté Zekeria Ould Ahmed Salem ne nie pas la représentation de
certains groupes dans l'État, mais réfute l'idée selon laquelle il y aurait “une sorte de
modèle démocratique “consociationnel” qui veut que le souci de l'État soit d'assurer soit
d'assurer une représentation “équitable” des diverses couches (…) de la population”137.
Il insiste plutôt sur les stratégies individuelles de ces entrepreneurs et sur la capacité de
l'État à donner l'impression qu'il choisit ses membres suivant cette représentation
traditionnelle alors qu'il est en mesure de fabriquer ses propres intermédiaires. Ces deux
avis divergents ne contredisent pas l'articulation entre sommet, base et intermédiaire,
mais s'opposent sur les modalités d'accès à la position d'intermédiaire. Entre les deux,
nous supposons que chaque groupe tribal, c'est-à-dire chaque groupe organisé suivant
une logique tribale, cherche à accéder au sommet, mais que ces groupes ne sont jamais
figés. Au contraire, leur composition varie suivant leur stratégie, celle de l'État et celle
des intermédiaires.
Cette modélisation est, comme toute modélisation, réductrice. Toutefois, elle fournit le
cadre explicatif à la dynamique politique qui touche de prés ou de loin la plupart des
faits observés et présentés dans notre étude.
135
Jean-Louis Payen, op. cit, 120-126.
136
Mariella Villasante-de Beauvais, La puissance politique du nasab en Mauritanie contemporaine. À
propos du rôle d'intermédiaire politique de l'élite dirigeante des Ahl Sîdi Mahmûd de l''Assaba. In Pierre
Bonte et Hélène Claudot-Hawad (dir), Elites du monde nomade touareg et maure, Aix-en-Provence :
IREMAM Edisud, 2000, p 225-249.
137
Zekeria Ould Ahmed Salem, Sur la formation des élites politiques et la mobilité sociale en Mauritanie.
In Pierre Bonte et Hélène Claudot-Hawad (dir), Elites du monde nomade touareg et maure Aix-en-
Provence : IREMAM Edisud, 2000, p 215-216.
74
Le sommet ne correspond pas nécessairement à un centre localisé
La matrice étatique est le cadre dans lequel s'inscrit cette dynamique politique. La
dimension spatiale de cette matrice tient dans le maillage administratif et la
hiérarchisation des centres de circonscription. Au sommet, il y a Nouakchott, le siège de
l'État, puis les chefs-lieux de wilaya, de moughataa et de commune, tous au centre de
circonscriptions bornées par des limites. Pour autant, nous ne pouvons assimiler le
sommet à un centre spatialisé et la base à sa périphérie. La capitale est peut-être le
centre de la matrice, mais cela suffit-il à en faire le centre du pouvoir politique
mauritanien ?
L'espace de la matrice est un espace en apparence rigide. Cependant, dans les pays
sahéliens peut-être plus qu'ailleurs, ces apparences ne font illusion que dans une vision
sédentaire et étatique de l'espace, or cet espace résulte de l'articulation des logiques
nomade et sédentaire. Une frontière relève de la logique étatique sédentaire, mais son
efficience dépend de l'articulation des logiques et des conceptions de l'espace en jeu.
Pour être efficientes, ces frontières doivent être autant matérialisées qu'intériorisées,
matérielles qu'idéelles. Suivant la logique tribale, les limites entre groupes ne passent
pas par le territoire. Autrement dit, il est possible que des frontières matérialisées soient
contournées par des frontières sociales. Nous revenons là en partie à la distance
structurale de Jean Gallais. L'espace n'est pas réduit à la distance euclidienne. Il peut,
selon la proposition de Denis Retaillé être un “espace mobile“138, qui se caractérise
notamment par sa “plasticité”. Selon l'auteur, pour survivre les nomades doivent être en
mesure de dépasser les limites imposées. Ce dépassement peut correspondre à la
modification de ces limites matérielles comme idéelles, c'est-à-dire à la modification du
cadre spatial de référence, et les mutations du pouvoir peuvent entraîner “la
transformation de l'ordre des lieux et plus parfois, jusqu'à leur disparition”139. Le cadre
spatial de la matrice ne contraindrait ainsi pas toujours l'action politique. Au contraire,
l'idée de l'espace mobile souligne que l'espace étant dans la société, les distances et les
centres sont également dans cette société ou plutôt dans les pratiques, ici politiques. Le
pouvoir ne dépend pas tant de la capacité de s'insérer dans un cadre spatial donné que
dans la capacité à produire ce cadre. L'une des armes politiques peut être alors la
138
Denis Retaillé, L'espace mobile, Le territoire est mort, vive les territoires. IRD, 2005.
139
Denis Retaillé, Les nomades : territorialité sans territoire, urbanité sans ville. Intervention au colloque
Géopoint, L'idéel et le matériel, Université d'Avignon, 2002.
75
transformation de cet ordre des lieux et par conséquent de l'efficience des limites. Selon
l'hypothèse de l'espace mobile, les limites peuvent être modifiées sans que le tracé ne
soit matériellement déplacé. Dans le même sens, le centre pourrait être déplacé en
fonction des évolutions de la scène politique.
Le centre du pouvoir politique n'est donc pas nécessairement fixé. Peut-être n'a-t-il pas
non plus de spatialité. Dans cette perspective, nous serons amener à remettre en cause
l'application mauritanienne du modèle de centre et de périphérie au sens où l'entend
Alain Reynaud140. Nous ne pouvons dissocier le centre et la périphérie car ce ne sont
pas deux entités isolables, juxtaposées l'une à côté de l'autre. Le centre n'est pas
nécessairement à rechercher dans la capitale ni la périphérie dans la bediyya. Nous
utiliserons le terme “capitale” pour désigner l'espace matériel de Nouakchott, siège du
centre de la matrice et “bediyya” pour ce qui ne correspond pas à la capitale ni à la ville.
Ce rapport entre capitale et bediyya pose un autre problème majeur, celui de la
définition de la ville dans un espace mobile. Est-elle un point de convergence, un point
d'impulsion politique ou bien les deux ? Nous y reviendrons.
Cette notion d'espace mobile nous amène à formuler nos deux principaux
questionnements. Dans un premier temps nous nous interrogerons sur la centralité
politique en Mauritanie. Existe-t-il un centre politique localisé ? La capitale est-elle ce
centre ? Dans un second temps, nous nous demanderons si la logique étatique a fixé
l'espace au point d'ancrer les groupes tribaux dans le territoire. C'est en étudiant le
pouvoir politique dans ses pratiques que nous pourrons trouver ce caractère mobile de
l'espace.
140
Alain Reynaud. Société, espace et justice. Paris : PUF, 1981, 266 p.
76
Chapitre 3 : Le lieu et l'espace mobile à l’intersection des
logiques spatiales
A plusieurs reprises nous avons évoqué le territoire, mais sans vraiment expliciter son
acception géographique. Nous avons aussi bien utilisé ce terme pour l’État que pour la
tribu. Les anthropologues et les politologues mentionnent le territoire tribal ou le
territoire de la tribu, or les réalités qu’ils recouvrent sont de nature différente. Les
modalités de délimitation, d’appropriation et encore d’aménagement ne sont pas les
mêmes. Le territoire de la logique étatique est un espace borné, approprié et aménagé
exclusivement et exhaustivement, tandis que celui de la logique tribale se rapproche
plutôt de la définition de Bernard Debarbieux d’un territoire “archipélagique” qui
“regroupe un ensemble d'aires disjointes reliées par des éléments de réseaux non-
territorialisés”141. Le premier est continu et d’un seul tenant, le second est discontinu et
dispersé. Nous pourrions dire que l’espace étatique est à métrique topographique et
l’espace tribal à métrique topologique142. Géographiquement parlant, l’un tend plutôt
vers le territoire et l’autre vers le réseau, mais nous ne voulons pas traiter l’un puis
l’autre. Nous cherchons à saisir notre sujet d’un seul tenant puisque les deux logiques
existent sur une même surface et dans une même société. Nous faut-il trancher entre le
territoire et le réseau ? Nous faut-il parler d’espace territorialisé ou bien de territoire
réticulaire ? Un choix entre ces deux partis biaiserait notre recherche. Choisir le
territoire orienterait notre approche vers la logique étatique. Le groupe tribal serait
définie par les modalités de son adaptation à l’État. Le choix du territoire pourrait se
traduire par l’étude d’un département et le groupe tribal serait envisagée par rapport à ce
département. Cela nous amènerait à négliger toute une partie de notre sujet puisqu’il
existe bien au-delà de cette circonscription. Inversement, avec le réseau c’est la logique
tribale qui serait privilégiée.
Pour ne pas nous enfermer dans une des deux voies, qui se sont avérées pertinentes
ailleurs143, nous reprendrons l'idée d'espace mobile dont nous supposons que la
141
Bernard Debarbieux, Territoire. In Lévy et Lussault (dir), Dictionnaire de géographie. Paris : Belin,
2003, p 911-912.
142
Jacques Lévy, op. cit.
143
Jean-Marc Offner et Denise Pumain (dir), Réseaux et territoires. Significations croisées. 1996, La
Tour-d'Aigues : Editions de l'Aube, 280 p.
77
plasticité peut permettre de faire cohabiter l'espace étatique et l'espace nomade.
Cependant, l'espace mobile n'est pas un objet de recherche mais plutôt une hypothèse de
travail. Aussi, il nous faut choisir un objet observable à partir duquel nous pourrons
répondre à nos questionnements et dans lequel nous pourrons saisir l'éventuelle mobilité
de l'espace. Dans cette optique, Jacques Lévy qui évoque l’idée de cospatialité et de
commutateur pour faire communiquer deux espaces à métrique différente144. Le lieu est
un concept de la géographie qui peut être ce commutateur. Un même lieu peut s’intégrer
à la fois dans le territoire et dans le réseau. À l’intersection des logiques tribale et
étatique, il peut être ce commutateur.
144
Jacques Lévy, op. cit.
145
Jean-François Staszak, Géographie anglo-saxonne. Tendances contemporaines. Paris : Belin, 2001,
313 p.
146
Isabelle Geneau de Lamarlière, L'espace et le lieu dans la géographie économique et culturelle,
Géographie et Culture, 2004, n°49, pp 3-22.
Barnes Trevor, L'évolution des styles de l'analyse spatiale des années 1960 à la culture du lieu des années
2000 dans la géographie économique anglo-américaine, Géographie et Culture, 2004, n°49, p 43-58.
147
Antoine Bailly et Renato Scariati, L'humanisme en géographie, In Les concepts de la géographie
humaine, 5ème éd, Paris : Armand Colin, 2004, p 213-222.
78
une approche phénoménologique liée à l'intentionnalité148 et insiste sur la subjectivité
par opposition au positivisme. Ce n’est pas dans cette perspective que nous choisissons
ce concept. Non pas que nous rejetons cette approche, mais le choix du lieu n’est pas un
moyen de trancher entre deux géographies.
148
Vincent Berdoulay et J. Nicholas Entrikin, Singularité des lieux et prospectives, Espace et Société,
1994, n°s 74-75, pp 185-202.
149
Vincent Berdoulay et J. Nicholas Entrikin, op. cit.
150
Martin Vanier, L'espace du politique : 3 réflexions pour sortir des limites du territoire, In Debarbieux
Bernard et Vanier Martin (dir), Ces territorialités qui se dessinent, La Tour d'Aigues : L'Aube, Datar,
2002, p 84.
151
Barnes Trevor, op. cit.
152
Denis Retaillé, Le monde du géographe, Paris : Presses de Sciences Pô, 1997, p 91.
153
Jacques Lévy, op. cit.
79
réintroduire pour mettre en valeur une autre couche du lieu154. De plus, on “peut
toujours trouver un principe d'échelle qui fasse d'un espace un lieu”155, la substance
sociale d'un lieu n'étant pas définie a-priori, mais déterminée par le chercheur.
Nouakchott peut être considérée comme un lieu, mais aussi comme un territoire suivant
ce que l'on cherche à isoler.
154
op. cit.
155
Jacques Lévy, Lieu, In Lévy Jacques et Lussault Michel (dir). Dictionnaire de la géographie. Paris :
Belin, 2003, p 560-561.
156
Denis Retaillé, op. Cit, p 86.
157
op. Cit, p 90.
80
Les lieux dans l'Est mauritanien
Le lieu tel que défini par ces auteurs, est un outil construit par une discipline et choisi
par un chercheur comme le mieux adapté pour saisir une réalité et répondre à ses
questionnements. Il nous faut donc à présent envisager les formes particulières que peut
prendre ce concept dans l’espace étudié. L'Est mauritanien, Ech-Charq, correspond aux
espaces situés à l'Est de la chaîne de l'Assaba jusqu'aux confins mauritano-maliens.
Un contexte particulier
Très éloignée de Nouakchott, cette région est caractérisée par l'élevage transhumant.
L'agriculture y est embryonnaire et les oasis rares et très récentes. Les palmiers d'Ayoun
ont été importés de Tidjikja dans les années 1940, ceux d'Agjert ne sont pas plus
anciens. Hormis Néma et Walata, il n'y a pas de villes anciennes. Dans l'ensemble, il n'y
avait pas jusqu'à la période coloniale de marquage visuel et pérenne du territoire. Le
paysage semblait peu porter la marque de la présence humaine. Cet aspect est peut-être
une caractéristique des lieux de l'Est mauritanien. L'absence relative de marquage ne
signifie pas l'absence de lieu. Ceux-ci se différencient probablement plus par leur
inscription dans le temps que par rapport à leur inscription dans l'espace. Chez les tribus
nomades du Moyen Orient, les noms de lieux changent ou disparaissent quand la tribu
se retire158.
Supposons que la durée d'un lieu permette d'en déterminer la nature. Le lieu d'une
bataille n'est un lieu qu'une fois dans l'histoire, même si la mémoire collective peut
retenir son nom longtemps après. Il est éminemment lié à la rencontre de plusieurs
groupes armés. Le nom d'Oumoushgag correspond à une dépression située entre le
Hodh et l'Assaba, mais il renvoie aujourd'hui pour nombre de Mauritaniens du Hodh à
la bataille qui “eut lieu” à cet endroit en 1940. L'emplacement d'un campement dépend
de la saison et en règle générale d'un point d'eau, mais aussi des relations entre groupes
de nomades. Le nom de ce lieu est souvent celui du point d'eau, insistant alors sur la
configuration particulière du lieu. Il peut aussi prendre le nom du groupe social qui en a
le contrôle, insistant sur la relation entre l'objet et le sujet. La ville d'Ayoun apparaît
comme un lieu permanent. Sa naissance en 1943 est uniquement politique. Avant sa
création il n'y avait qu'une source à quelques kilomètres au Sud. L'administration
158
Manaf Sami, op. cit.
81
française a créé la ville pour combler un vide dans sa couverture administrative du
territoire entre Néma, Nioro au Mali et Kiffa. Elle est ensuite devenue un marché avec
l'installation de tribus commerçantes, notamment Idaoualli159. Depuis elle a conservé
ces deux fonctions. Elle est le chef-lieu de la wilaya et le plus important marché
permanent de la moughataa. Sa permanence en tant que lieu depuis 60 ans n'est pas liée
à sa configuration, mais à la stabilité des relations économiques et politiques.
Paradoxalement, elle s'est fixée alors que sa nature n'est pas liée à la configuration de
son lieu.
159
Cheikh El Mehdy Ould Sidina, Contribution géographique à l'étude urbaine de la ville d'Aïoun :
quelques aspects de la morphologie urbaine. : Mémoire de fin d'étude , Géographie, Ecole Normale
Supérieure de Nouakchott, 1985, 89 p.
160
Benoît Pinchon, op. cit.
161
Bernard Debarbieux, Du haut lieu en général et du Mont Blanc en particulier, Espace géographique,
1993, n°1, pp 5-13.
82
Le “lieu-noyau”, “haut-lieu” exclusif d'un groupe tribal
Le lieu-noyau est celui dans lequel se reconnaissent tous les membres d'un même
groupe tribal. Il est leur point d'attache. Aussi loin qu'ils émigrent, il reste la destination
d'un retour proche ou lointain. Il renvoie au haut-lieu en tant qu'un site érigé comme
symbole de ce groupe. Il contribue à son identité. L'important n'est pas sa localisation,
mais son pouvoir suggestif162. Tant qu'ils appartiennent au groupe, les membres sont
liés à ce lieu autant affectivement que socialement avec ce que cela comporte
d'obligations. Haut-lieu du groupe, il est aussi l'exclusivité de ce groupe. Il en est le
noyau.
83
profondeur peut varier de 15-20 mètres à près de 100 mètres. Au-delà de la profondeur,
ces forages se différencient par leur système d'exhaure. Elle peut être animale, à pédale
manuelle ou à pied, à énergie éolienne ou avec un moteur diesel. Ainsi, le lieu n'est pas
seulement lié à la disponibilité de l'eau. Il dépend de la volonté d'un groupe de mettre
cette eau en valeur.
En premier lieu, il y a ceux qui résident, c'est-à-dire qui ont une habitation, tente, hangar
en bois, en pierre ou en aggloméré. Ils s'abreuvent ici. Certaines résident toute l'année.
Ce sont surtout les familles de bergers et les familles qui n'ont pas de filles à scolariser
au collège. À partir des mois de mars et avril, les effets de la sécheresse sont les plus
intenses et certains lieux voient la moitié de leurs habitations désertées. Certains y
résident le week-end ou pendant les périodes sans activités professionnelles. Enfin, une
autre catégorie ne revient que durant la période d'hivernage qui correspond à la fois aux
vacances scolaires et à la saison des pluies synonyme d'abondance du bétail et de beaux
paysages. La bediyya aride, jaune, desséchée reverdit d'herbes et de cram-cram. Les
orages inondent les oueds et emplissent les barrages. Les animaux reviennent de leur
transhumance et les vaches donnent à nouveau leur lait.
Ensuite, il y a ceux qui passent durant la journée pour abreuver leurs animaux. Ce sont
les bergers qui viennent de localités éloignées ou des campements avoisinants. Ils ne
sont pas nécessairement de la tribu. Ceux qui viennent régulièrement, quotidiennement
162
Bernard Debarbieux, op. cit.
84
ou tous les deux jours ou bien à chaque fin d'hivernage quand les mares d'eau se font
rares, passent des accords tacites avec elle. Ils entrent en relation et se placent en
général dans la dépendance de celle-ci. D'autres viennent ponctuellement, par exemple,
lorsque la saison des pluies a été mauvaise et que leurs points d'eau habituels et leurs
pâturages ne leur suffisent plus. Ceux-là doivent aussi, soit être en bons termes avec les
maîtres des lieux, soit en négocier l'accès.
Enfin, il y a ceux qui sont originaires d'ici, mais qui vivent ailleurs. Ils peuvent être
lycéens, étudiants, boutiquiers, fonctionnaires, ministres. Ils sont parents de ceux qui
restent. Ils font partie d'un même ensemble social. Malgré leur éloignement spatial, ils
sont toujours en relations étroites avec le lieu-noyau. Les informations transitent par
ceux qui voyagent et aujourd'hui par le téléphone portable. Ils jouent le rôle de relais du
lieu à la capitale, à la ville, à l'étranger. Ils font les courses, cherchent des financements,
procurent des emplois, soutiennent les dossiers auprès des administrations ou encore
accueillent les nouveaux arrivants. Notre lieu-noyau est ainsi l'autre extrémité du
rhizome.
Il est également le reflet des relations entre les membres du groupe. S'il y a des conflits
insolubles et qu'une partie opère une scission, le lieu sera scindé. Inversement, si
plusieurs groupes s'installent dans la proximité, à terme, cette proximité spatiale se
traduit par une proximité sociale avec alliance politique et/ou matrimoniale. Dans ce
cas, le lieu en tant que configuration spatiale agit sur sa substance sociale. Cela rejoint
85
le lieu “chôra” qui “est à la fois matrice et empreinte”163. Cependant, peut-on parler
uniquement de substance sociale au sens d'une essence ? Le lieu, objet, dépend de ses
relations avec le groupe mais aussi des relations de ce groupe. Celles-ci ne sont pas
figées, elles sont circonstanciées. Nous retrouvons là l'idée selon laquelle le lieu est
autant une substance matérielle et sociale qu'une circonstance. Les Mauritaniens n’ont-
ils pas que le seul terme de khaima pour désigner à la fois la tente et la famille ? C'est à
partir de cette identification du groupe au lieu que nous envisagerons nos deux
principales questions relatives à l'espace mobile.
163
Augustin Berque, Lieu, In Lévy Jacques et Lussault Michel (dir). Dictionnaire de la géographie. Paris
: Belin, 2003, p 555-556.
86
groupes ne se réalisent que s'il y a entente et unité politique. En se regroupant, ils
annulent la distance sociale qui les sépare, faisant du village un lieu.
Le lieu de “convergence”
L'autre lieu existe par la rencontre de groupes hétérogènes. Soit il la provoque, soit il en
résulte, mais il n'existe pas sans elle. À la différence du lieu-noyau, il met en coprésence
des individus qui n'appartiennent pas nécessairement au même groupe. Là convergent
les acteurs de l'État, les autres groupes tribaux, les représentants de bailleurs étrangers,
les membres d'ONG, etc. L'existence de ce lieu de convergence est liée au moment de la
rencontre. Il est plus circonstancié dans le temps que le lieu-noyau.
Un lieu accessible
Les lieux qui répondent à cette définition sont très divers. La seule observation
extérieure ne permet pas de les identifier. Il faut savoir ce qui s'y passe. Nous en avons
retenu trois principaux : certaines boutiques, les maisons-adresses et les sièges
administratifs, associatifs et politiques. D'autres apparaissent au cours de notre étude.
Par ailleurs nous envisagerons aussi la ville, cas particulier qui constitue le plus vaste,
en étendue, de ces lieux.
87
Les boutiques sont ouvertes soit, quotidiennement et donc se situent dans les villes, soit
le jour du marché et se situent alors plutôt dans les villages. Le terme “boutique” est
celui utilisé par les Mauritaniens en hassaniya, même si le panneau écrit en arabe
reprend souvent le mot biqala (épicerie). La configuration de toutes les boutiques a des
caractéristiques communes. Il y a en général un étalage mural situé derrière le comptoir.
Devant celui-ci un second étalage accessible au client. Toujours accessible au client, le
réfrigérateur, “frigo”. Le plus important est dans l'espace entre la ou les portes et le
comptoir. On y trouve en général un banc et le service à thé. En fonction de l'ombre et
du soleil, le banc et le service à thé sont déplacés tout au long de la journée et peuvent
être disposés à l'extérieur. C'est ce qui permet à ce lieu de devenir un espace de
convergence. Chacun peut venir s’y asseoir et discuter.
La maison-adresse se situe en brousse comme en ville. En brousse, elle est dans une
localité, dans un lieu-noyau. Elle peut être une tente, un simple hangar ou une maison
en ciment, mais elle se distingue souvent des autres habitations. C'est l'habitation du
chef. Sa localisation est indépendante de la dimension de la localité, mais elle ne peut se
situer dans un lieu qui n'est pas approprié par l'habitant. En ville, elle est plus
indépendante de la localisation des membres de son groupe. Dans une ville comme
Ayoun, il y a des regroupements de plusieurs membres d'un même groupe dans certains
quartiers de sorte que nous pourrions par endroit parler de quartier tribal. Toutefois, tous
les quartiers sont loin d'être tribaux. À Nouakchott, certains observateurs constatent le
regroupement progressif des membres d'une même tribu, mais cela reste à confirmer.
Par ailleurs, et c'est là une différence avec le lieu-noyau, l'adresse n'est pas
nécessairement au cœur d'un éventuel quartier tribal. Son apparence extérieure est plus
soignée, chacune rivalisant avec les autres. Elle comprend, en ville, une terrasse et un
salon pour l'accueil.
88
noyaux. Les murs ne sont pas la propriété (sauf pour certaines ONG, ou bureaux loués
par des organismes de coopération) d'un individu, mais un bien public car ils sont la
propriété de l'ONG ou de l'administration concernée. En revanche, elle peut dépendre de
la localisation des autres sièges. À Nouakchott, nombre de sièges d'ONG sont situées à
Tevragh Zeina, entre les ambassades et les ministères. À Ayoun, le quartier Lidara
(administration) regroupe la wilaya, la moughataa, la mairie, la gendarmerie, l'État-
major, la police, la direction régionale de l'hydraulique, les sièges de partis politiques, le
siège d'un projet de la GTZ et de nombreuses ONG. Les autres projets importants sont
sur le goudron et à proximité de l'hôpital. Ce lieu de convergence est relié à d'autres
lieux de même nature, mais peu à l'espace qui l'entoure. Le voisinage a moins
d'importance que l'accessibilité. Sur le plan cartographique, il est plus difficile à
représenter. Il est rarement isolé et sa dimension est celle d'une seule habitation.
La ville est un cas particulier. Elle est un espace où se concentrent une grande partie de
ces lieux de convergence. Par conséquent, elle en constitue un également. Comme nous
l'avons établi au préalable, le lieu ne se définit pas par sa dimension spatiale. Nous
pouvons donc garder le même concept de lieu-convergence à différentes échelles.
Néanmoins, elle se distingue des différents exemples définis plus haut car elle peut
rassembler la boutique, l'adresse et le siège.
La boutique
La boutique n'est pas neutre, elle appartient à quelqu'un. Son nom est souvent associé à
celui du propriétaire. Ceux qui y prennent le thé sont souvent des proches et des
habitués. Elle est le cadre de plusieurs types de rencontre. D'abord celui des
retrouvailles entre amis, entre parents ou entre ressortissants d'une même localité. Elle
devient un lien entre le village et la ville. Celui qui veut envoyer un message ou un colis
au village peut le confier à la boutique qui transmettra par bouche à oreille (ou
89
téléphone arabe) ou par la voiture qui assure la liaison régulière avec le village.
Inversement, celui qui arrive de la brousse passe par la boutique pour retrouver ses
proches. Ensuite elle est le cadre de la prise de contact. Associée dans le langage des
habitants à un nom de personne ou de famille et même à une localité (la boutique des
gens de tel bled), elle sert de tête de pont à cette famille ou à cette localité. L'étranger
qui n'est ni de la localité, ni de la famille est souvent orienté vers la boutique lorsqu'il
cherche un de ses membres. Certaines jouent aussi le rôle de “garage”. Ce terme désigne
l'endroit d'où partent les taxis-brousse. Ainsi, pour se rendre à telle localité, il faut
trouver la boutique correspondante. Enfin, elle peut être le cadre de débats et de
négociations. Les partisans d'un même candidat ont leur boutique où ils échangent idées
et informations. Certaines boutiques sont considérées comme des passages
incontournables pour se tenir au courant des tractations politiques en cours.
La maison-adresse
Elle recouvre des fonctions similaires. Le terme “adresse” est utilisé en français par les
cadres mauritaniens et également par les sociologues mauritaniens Dah Ould Khtour et
Cheikh Saad Bouh Kamara. L'adresse est la fenêtre publique d'un individu, de sa famille
ou de son groupe. Elle est le marquage dans l'espace et dans le paysage de son existence
sociale. Comme la boutique, elle est le cadre de retrouvailles. Elle permet de rassembler
les membres d'un même groupe. Elle peut être parfois le siège de la gemaa. Cela donne
alors de l'importance à son propriétaire. Elle est aussi le cadre d'accueil des
ressortissants du groupe. Là, ils trouvent assistance matérielle, aide administrative ou
emploi. Enfin, elle est le lieu de pouvoir par excellence. D'une part, sa configuration
permet l'accueil d'étrangers pour le thé ou pour le repas. Le propriétaire y fait des
“invitations”. L'invitation est une fête avec repas, griots et danse. Elles ont lieu lors des
mariages, mais aussi en l'honneur d'un hôte de marque. Quand une délégation officielle
se déplace ou quand les candidats aux élections viennent pour leur campagne, celui qui
fait la meilleure invitation affirme sa position. S'il dépense beaucoup d'argent, il montre
à ses hôtes combien il leur est dévoué et s'il parvient à faire venir des hôtes prestigieux,
il montre aux habitants l'étendue de ses relations. Dans les deux cas il peut s'affirmer
comme élément incontournable. L'adresse constitue ainsi un élément de la spatialité du
rapport entre le sommet et la base du pouvoir politique tel que nous l'avons présenté
dans le second chapitre. D'autre part elle est un lieu de négociation. Plus que la
90
boutique, elle offre la confidentialité, le calme et le temps indispensables. En règle
générale, si une réunion a lieu dans telle maison, cela révèle le poids politique du
propriétaire. Ce lieu est comparable à la medâfa syrienne. La medâfa au 19ème était le
lieu de négociation et de “l'hospitalité coûteuse”. Aujourd'hui elle tend à devenir un lieu
de sociabilité en ville164. Elle rejoint également le caractère de la maison dans les villes
du Fezzan libyen165. La comparaison permet de poser l'hypothèse de l'adresse en ville
comme vecteur d'alliances fondées sur d'autres bases que l'appartenance tribale ou
régionale. L'adresse à la capitale peut correspondre au salon.
Le Bureau
Dans le bureau il y a d'une part les proches du titulaire des lieux. Dans l'antichambre, on
y retrouve souvent des parents de ministres ou de directeurs. Ils y occupent un emploi
ou viennent y solliciter un service. D'autre part s'y rencontrent des acteurs hétérogènes.
Au siège de la coopération allemande d’Ayoun, viennent les Maires, les responsables
d'organisations socioprofessionnelles pour négocier les projets. Le bureau ou le siège
est, plus encore que la boutique ou l'adresse, un lieu de pouvoir. Chez le Wali, défilent
les membres des tribus pour faire valoir leurs revendications, les bailleurs étrangers ou
les responsables d'autres services administratifs. Il y a ceux qui patientent en faisant la
queue et ceux qui sont reçus directement et encore ceux qui sont refoulés mais qui ne
s'abaissent pas à attendre. Comme pour les réceptions d'hôtes de marque il y a un
rapport dialectique à l'accès de ce lieu. Celui qui y est reçu aisément devient un
intermédiaire important à qui il est judicieux de s'adresser pour accéder au cœur du
pouvoir. Inversement, le Wali ne peut ignorer les membres influents de ses administrés.
Il donne du pouvoir à ceux qu'il reçoit et reçoit ceux qui ont du pouvoir. Il en va ainsi
pour la plupart de ces lieux. Il ne sont pas les lieux de pouvoir d'un groupe, ils sont des
lieux de compétition pour le pouvoir.
Bureaux, adresses et boutiques sont liés aux lieux-noyaux par deux aspects. D'une part,
ils en sont les interfaces. C'est par-là que l'étranger accède au cœur d'un groupe et de
son noyau et c'est par-là que le membre de ce groupe passe pour accéder au reste de la
société. D'autre part, ils sont des centres où se rejoignent les rhizomes rattachés à tous
164
Myriam Ababsa, La medâfa à Raqqa (Syrie) : mutation d'un lieu de sociabilité tribale en un attribut de
notabilité citadine. Géographie et culture, 2001, n°39, p 17-37.
165
Olivier Pliez, op. cit.
91
les noyaux. Le rhizome est une racine horizontale, invisibles au premier coup d’œil, qui
lie ceux du groupe qui agissent dans le noyau et ceux qui agissent ailleurs et notamment
dans l'appareil d'État. Les convergences sont des nœuds autour desquels s'emmêlent
tous ces rhizomes.
166
Denis Retaillé et Odette Louiset, Matériel ailleurs, idéel ici. Sociétés de castes et sociétés nomades en
villes, apparences incomparables mais continuité conceptuelle. Intervention au colloque Géopoint, L'idéel
et le matériel, Université d'Avignon, 2002.
92
coprésence et diversité sont à envisager dans la problématique du pouvoir politique
mauritanien. Vers la ville, convergent et cohabitent tous les groupes tribaux car elle
constitue le site de l'accès à l'État, passage obligé de l'existence politique de ces
groupes168.
167
Denis Retaillé, Les nomades : territorialité sans territoire, urbanité sans ville, op. cit.
168
Abdel Wedoud Ould Cheikh, ‘Asabiyya, ville, État : l’État mauritanien et «ses» villes anciennes, In
Denis Retaillé (dir), La ville ou l’État, rapport d’étape du programme V.O.L.E, Paris : IRD, 2001, p 12-
14.
169
Jean-François Bayart, Le politique par le bas en Afrique noire. Paris : Fayard, 1992, 376 p.
170
Cheikh Saad Bouh Kamara et Alain Antil, État, ville et pouvoirs en Mauritanie. Repérage des
dynamiques, In Retaillé Denis (dir). La ville ou l’État, rapport d’étape du programme V.O.L.E, Paris :
IRD, 2001, p 9-11.
171
Abdel Wedoud Ould Cheikh, op. cit, p 13.
172
Norbert Elias, La Société de cour. Paris : Calmann-Lévy, 1974, 323 p.
93
voisinage, commerce ; la ville nomade est réellement une rencontre
circonstancielle se “formant” au gré des itinéraires”173.
La maison n'est pas comprise exclusivement comme l'espace de l'intimité. Elle est un
lieu de brassage où les rencontrent se font par-delà les appartenances tribale et
territoriale. Cela rejoint en partie la medâfa syrienne174 et mais aussi la boutique et
l'adresse définies plus haut, même si la maison n’est pas toujours la même, encore
moins fixée que la boutique par exemple. Cela corrobore également l'idée selon laquelle
l'urbanité n'est pas dans la morphologie urbaine.
La ville mauritanienne est avant tout un lieu de convergence dans son opposition et sa
complémentarité avec les lieux-noyaux. Si nous reprenons le postulat que les Maures se
rattachent à un groupe tribal, nous pouvons supposer que les Maures de Nouakchott font
d'abord allégeance à leur groupe tribal et par conséquent leur identité spatiale passe
d'abord par le lieu-noyau situé dans la bediyya. Ils logent à Nouakchott, mais y habitent-
ils vraiment au point d'y développer une identité nouakchottoise ? Nous pensons, en
reprenant les remarques de Francesca Marchi, “nous sommes tous des étrangers à
Nouakchott”175, et de Denis Retaillé, “ses habitants nous apparaissent comme en
voyage”176, que les Nouakchottois sont de passage et qu'il est difficile de dissocier les
habitants de la ville de ceux de la bediyya.
173
Denis Retaillé, op. cit.
174
Myriam Ababsa, op. cit.
175
Francesca Marchi, Nous sommes tous des étrangers à Nouakchott. Annuaire de l'Afrique du Nord,
1998, tome XXXVII, CNRS éditions, p 338-356.
176
Denis Retaillé, op. cit.
177
Emmanuel Grégoire, Réseaux de pouvoirs et contrôle urbain : l'exemple d'une ville moyenne au Niger
(Maradi), In Jaglin Sylvy et Dubresson Alain (dir), Pouvoirs et cités en Afrique noire. La décentralisation
en question. Paris : Karthala, 1993, p 205-217.
94
s'appliquée sur le reste du territoire. Cependant, si nous recherchons la centralité là où
les impulsions qui seront déterminantes dans les décisions sont données, le site de la
ville est-il toujours le centre ? Nous tenterons de répondre dans la deuxième partie.
95
Chapitre 4 : Le lieu au cœur de la méthode
Nous rejoignons ici et par des chemins détournés le “fait social total” défini par Marcel
Mauss. “Dans les phénomènes sociaux “totaux” (…) s'expriment à la fois et d'un coup
toutes sortes d'institutions : religieuse, juridique et morales (…) politique et familiale en
même temps, économique”178. L'étude d'un seul phénomène permet de saisir le tout,
mais l'étude seule d'un lieu suffit-elle pour saisir tout un espace ? Autrement dit, le lieu
constitue-t-il un “phénomène spatial total” ?
178
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie. Paris : Quadrige, PUF, 8ème édition, 1999, p 147.
96
acteurs et d'autres espaces. Plusieurs aspects du lieu l'illustrent. D'abord, le lieu est
aménagé. Son aménagement nécessite un financement. Ainsi, les bailleurs sont
appréhendés. Ils peuvent être l'État, les organismes financiers internationaux (FMI,
Banque Mondiale), continentaux (Banque Africaine de Développement), les organismes
de coopération, le groupe social par ses cotisations propres. Etudier les modalités de
financement permet de saisir les relations entre acteurs, entre ceux qui sollicitent et ceux
qui allouent les crédits. Ensuite le lieu est approprié. Son appropriation renseigne sur le
droit foncier. Comment les lois nationales et le droit coutumier s'articulent-ils ? Les
conflits révèlent les rapports de force entre les différents groupes. Quelles sont les
stratégies adoptées par chacun pour s'imposer ? Nous pouvons ainsi comprendre les
processus de médiation des conflits, le rôle de l'État, de son administration, des
différents groupes sociaux dans ces arbitrages. L'appropriation d'un lieu nécessite
ensuite que ses intérêts soient défendus et que des règles soient édictées. Nous pouvons
là saisir les processus qui amènent à doter tel individu de pouvoir politique et à choisir
telles règles. Enfin, l'étude du contrôle des sièges et des adresses permet de saisir les
rapports de force internes et les hiérarchies. Celui qui a une adresse plus attractive ou
plus incontournable peut s'élever socialement. L'adresse est, dans cette approche,
révélatrice des luttes de classement internes aux groupes.
97
Une stratégie plutôt qu'une méthode
Mon approche du terrain tient pour beaucoup de l'anthropologie. Je rejoins sur ce point
Béatrice Collignon lorsqu'elle a étudié la toponymie chez les Inuit. Son approche
relevait de l'observation participante qu'elle décrit, en se référant à H. R. Bernard,
comme une stratégie qui facilite la collecte des données plutôt que comme une
méthode179. Dans mon cas, il ne s'est pas seulement agi de loger chez l'habitant pour
mieux l'observer. Il m'a fallu progressivement me faire une place à Ayoun El-Atrouss et
dans les localités avoisinantes, ou plutôt accepter la place que l'on m'a attribuée180.
Même avec du recul, il est très difficile de savoir quelle fut cette place. Qui étais-je, un
jeune étudiant venu de France avec une bourse pour étudier la vie dans la bediyya et en
faire une thèse ? C'est du moins l'image que je me suis efforcé de donner, mais j'ai
deviné que j'étais tantôt el-jessouss (un espion), tantôt celui qui écrirait le nom de telle
tribu, telle famille ou tel village dans un livre, leur facilitant ainsi la reconnaissance de
leur existence et le passage à la postérité. Je fus aussi l'envoyé des bailleurs de fonds
étrangers et donc potentiellement porteur d'un projet d'aménagement ou d'un
financement, mais au fond, je suis resté le sociologue ou l'anthropologue déjà passé
dans la région et qui a déjà interrogé tel vieux sage. Je suis de passage et on m'a
poliment ouvert la porte car, comme dit le proverbe maure, “l'épine de l'étranger ne
pique pas”. Elle s'en va quand l'étranger s'en va. Bien que je sois convaincu d'avoir noué
des liens d'une tout autre nature avec certains Mauritaniens, je suis resté l'étranger de
passage et c'est depuis cette position que j'ai tenté de mettre en place les conditions
favorables à la collecte des informations que je cherchais. Avant toute enquête
systématique, j'ai progressivement établi des contacts dans divers villages. J'ai rencontré
certaines personnes intéressées par mon travail et qui m'ont donné quelques clés et
quelques compléments d'information. À chacune de ces visites que Béatrice Collignon
qualifie de “visite de courtoisie“181, j'ouvre les oreilles et pose mes questions. Tous les
interlocuteurs savent que ce n'est pas qu'une visite de courtoisie, mais tout le monde
feint avec bienveillance de l'ignorer.
179
Béatrice Collignon, Les Inuit. Ce qu'ils savent du territoire. 1996, Paris : L'harmattan, p 60.
180
Sophie Caratini, Les non-dits de l'anthropologie, op. cit.
181
Béatrice Collignon, op. cit, p 59-72.
98
Un cadre informel pour la collecte des données
La phase de préparation ne s'est pas arrêtée au début des enquêtes par questionnaire ou
par entretien. Elle s'est prolongée durant tout le travail de terrain. C'est elle qui a orienté
les enquêtes et qui a facilité leur interprétation. Outre ces “visites de courtoisie”, chaque
journée passée sur place était propice à l'approfondissement de la recherche. Chez
Béatrice Collignon, les principales sources tenaient dans “l'observation de
comportements, des phrases allusives, des déclarations à brûle-pourpoint, le tout relevé
au cours d'innombrables conversations à bâtons rompus”182. Dans ma situation, les
voyages en taxi collectif, les discussions dans les boutiques et toutes les rencontres
hasardeuses ont permis cette observation. Pour chaque lieu, j'avais développé des
stratégies adaptées.
182
op. cit, p 61.
99
L'existence des sièges est plus constante et plus accessible. Un bureau a, plus ou moins,
des horaires d'ouverture régulières. La rencontre d'un responsable d'ONG, d'un maire ou
d'un fonctionnaire est toujours possible. Cependant, l'intérêt de ces lieux ne tient pas
seulement dans la présence du responsable, mais dans la possibilité de la rencontre
entre, par exemple, lui et un membre d'un groupe tribal. La nature des échanges qui s'y
déroulent alors gagne en intérêt mais ne permet pas toujours la présence de l'observateur
étranger (négociation des listes de candidatures, négociation pour l'attribution de
financement). Comme pour l'adresse, ce n'est que par hasard qu'il peut en saisir
quelques éléments. Dans ce cas, seules les sources indirectes sont exploitables. Il est
parfois possible de discuter avec l'un des témoins ou l'un des acteurs de la rencontre. Il
est également possible de trouver des comptes-rendus dans les journaux en fonction de
l'importance de la réunion.
Le choix de ce lieu a suivi quelques critères objectifs pour qu'il permette de saisir le
plus de dimensions possibles du pouvoir politique : disposer de plusieurs puits cimentés,
avoir des représentants politiques en ville et être ou avoir été l'objet de projets
d'aménagement. Le village de Vaugouz correspond à ces critères, mais il serait
trompeur de laisser penser que ce choix n'a été le fruit que d'une grille d'évaluation
classant les critères. Observer un tel lieu nécessite d'être accueilli et surtout de s'y sentir
à l'aise. Un chercheur peut difficilement faire du bon travail sans un minimum de
100
confort affectif et c'est à Vaugouz que je me suis senti le mieux reçu. Dans ce village,
j'ai vécu les trois saisons, les périodes de fêtes, les jours de marché et les périodes
électorales. J'y ai croisé les bergers des alentours, les habitants “permanents”, leurs
familles venues en visite et les hauts-fonctionnaires de la capitale.
Choisir cet itinéraire a probablement préfiguré les conclusions de ce travail. Malgré les
liens sociaux qui lient la bediyya à la ville, nous avons rencontré des Mauritaniens qui
n’ont jamais vu la capitale. Tout percevoir depuis la bediyya ne contribue-t-il pas à en
faire le centre du pouvoir politique ? Certainement, mais ce choix était déjà né de
l'intuition, à défaut de l'hypothèse, que le centre n'était pas nécessairement à la capitale.
Par ailleurs, cette approche permet de décentrer le regard porté sur ce pays et de faire le
pendant aux autres études, non pour les contredire mais pour les compléter.
101
Figure 2 :
N'Savenny
Oum Lahyadh
Ayoun el-Atrouss
Doueirera Agjert
Tenhamad
Benaman
Timzin
0 30 km
102
L'extrapolation d'un village à l'ensemble d'une région
Statistiques et toponymie
L'étude d'un lieu en particulier nous a servi d'étalon pour appréhender les autres lieux de
la région. Comme nous ne pouvions passer des semaines dans chacun d'entre eux, il
nous a fallu déterminer à partir de ce lieu principal quelles informations étaient les plus
nécessaires et comment les collecter. C'est dans cette perspective que nous avons
recueilli les données statistiques sur la région. L'ONS nous a fourni les données par
village des trois recensements de la population. Parmi ces données, seule le
référencement des localités et leur population nous ont intéressés. Savoir combien
d'habitants vivent dans tel village est aussi important que de savoir quels village ont été
recensés. Les services de l'hydraulique nous ont permis d'avoir une idée assez précise de
l'importance des points d'eau et surtout de leur localisation d'après les coordonnées
géographiques. Néanmoins, tous les puits ne sont pas réalisés avec l'accord de la
direction de l'hydraulique et ne sont pas conséquent pas référencés. Ensuite, les données
concernant le nombre d'élèves et le nombre de classes étaient disponibles auprès du
ministère de l'éducation nationale. Enfin, de nombreuses données complémentaires
étaient fournies par les documents des organismes de développement. Ils comportaient
notamment des informations sur le financement d'aménagement et le nom des
responsables locaux de ces aménagements.
Cet ensemble a constitué une première base permettant des comparaisons entre localités
de l'ensemble de la wilaya. Cependant, il nous a fallu la compléter par des informations
souvent qualitatives que nous ne pouvions pas obtenir pour toutes ces localités (date de
création de la localité, dominante tribale, présence d'un élu). Les compléments ont été
obtenus lors de visite dans les localités ou bien, suite à de nombreux entretiens avec des
habitants rencontrés à Ayoun. De la sorte, nous avons couvert l'ensemble de trois
communes, Agjert, Benaman et Hassi Ehel Ahmed Bichna et partiellement quatre
autres, Ayoun El-Atrouss, Oum Lahyadh, Timzin et Tenhamad (Cf. fig. 2). Le
croisement de toutes les sources pour compléter les données par localité nous a posé un
problème de toponymie. D'un recensement à l'autre, une même localité peut
s'orthographier de plusieurs manières. Par ailleurs, une même localité peut être
103
répertoriée sous deux toponymes différents. Chacune d'entre elles n'étant pas
systématiquement mentionnée avec ses coordonnées géographiques (seule la direction
de l'hydraulique et le recensement de 2000 les fournissent), il a parfois été nécessaire de
s'informer auprès de personnes connaissant la région pour ne pas confondre deux
localités différentes et pour ne pas en dissocier deux qui sont en réalité la même. Malgré
cela, il est possible que des erreurs se soient glissées dans nos données, nous amenant,
par précaution, à éliminer certaines localités des traitements statistiques. Dans notre
présentation, nous avons en général retenu les toponymes administratifs, parfois
complétés par ceux plus utilisés par les habitants.
183
Nous la dénommerons : "enquête de la route goudronnée". Cf. annexe 1
184
Nous la dénommerons : "enquête sur les puits". Cf annexe 3
185
Cf annexe 4
186
Nous la dénommerons : "enquête sur les aménagements"
104
Toutes ces enquêtes systématiques laissaient des vides ou des blancs. Les réponses
posaient également de nouveaux problèmes, de sorte qu'il restait toujours des questions
en suspens. Pour y répondre, nous choisissions deux ou trois personnes que nous
supposions compétentes pour nous entretenir avec elles de points particuliers. Lors de
chacun de ces entretiens, les questions étaient personnalisées, exclusivement adressées à
nos interlocuteurs.
En règle générale, les enquêtes ont été menées sans enregistrement sonore. L'objectif
n'étant pas de réaliser des analyses de contenu, cet outil s'est avéré souvent plus
handicapant. Non seulement les grains de sables grippaient la bande, mais surtout,
l'appareil donnait un aspect trop solennel à l'entrevue pour pouvoir discuter sereinement.
Par ailleurs, les échanges se sont déroulés avec des interlocuteurs francophones et
hassanophones. Pour les questions fermées ou celles à réponses simples, nous nous
passions d'interprète mais pour les entretiens semi-directifs ou libres, nous avions
besoin d'une traduction. Celle-ci était assurée par une personne connue de notre
interlocuteur et par fois choisie par lui. En aucun cas, nous n'avons emmené dans nos
valises un interprète aussi étranger à la localité que nous. Si la méthode nous a parfois
bloqué faute de trouver un francophone, elle a permis d'établir des contacts moins
protocolaires et peut-être plus approfondis.
105
Deuxième partie
106
Le pouvoir politique en Mauritanie résulte de l'articulation des logiques étatique
sédentaire et tribale nomade. Suivant la première le pouvoir passe par l'appropriation
d'un territoire et suivant la seconde par le contrôle du mouvement et des hommes. Le
support matériel identifiable de ce pouvoir est celui de la matrice étatique faite de
découpages administratifs hiérarchisés et centrés autour de la capitale. Cependant, dans
le paradigme de l'espace mobile, cet ordonnancement de l'espace est malléable de sorte
que l'une des clés du pouvoir politique est la capacité à modifier cet ordonnancement.
Dans cette perspective, nous nous posons deux principales questions dont nous
chercherons les réponses dans les lieux de l'espace mauritanien et plus particulièrement
dans ceux de la bediyya. Le premier axe est celui de la centralité du pouvoir politique et
le second, celui de la plasticité des découpages et de l'ordre des lieux.
107
Chapitre 5 : Le pouvoir politique n'est pas localisé, ni
centralisé dans un lieu unique
La commune gère son propre budget. Elle peut légalement prélever des taxes. Elle est
chargée de gérer les ressources agro-sylvo-pastorales de son territoire et peut veiller à la
protection de son environnement. Cependant, son budget est souvent réduit, voir
presque inexistant dans les communes rurales, ce qui ne lui permet pas de remplir ses
attributions légales, de sorte qu'elle joue un faible rôle dans l’action administrative. En
revanche, elle constitue le relais entre ses administrés et la capitale. Lorsque ces
derniers sollicitent des aides ou une autorisation pour un projet, elle doit transmettre la
demande aux autorités supérieures. Ainsi, la demande d’autorisation de forer un puits
est dans un premier temps adressée à la commune. Elle transite ensuite par le préfet du
département, le wali, puis par la direction régionale de l’hydraulique pour parvenir au
ministère à Nouakchott. Elle est également une interface entre les bénéficiaires de projet
et les ONG ou organismes de coopération. À Ayoun, le projet Girnem de la coopération
allemande (GTZ) traite essentiellement avec les maires des communes pour choisir la
localisation de leurs aménagements. De même, pour réaliser le recensement participatif,
l’ONG mauritanienne Ecodév s’est appuyée sur les maires de chaque commune. Chacun
était censé réunir des représentants de chaque localité de la circonscription pour
rassembler les données et ensuite les transmettre à Ecodév. De son côté, le programme
de gestion des ressources naturelles dans le pluvial (PGRNP) choisit les villages où il
lance des opérations sur proposition des maires des communes choisies. À ce titre, la
commune est devenue l’échelon administratif de base dans l’aménagement du territoire,
mais elle n’est pas une institution en mesure de gérer son propre territoire. Ses
109
dirigeants sont élus, mais leurs pouvoirs tant dans l’action administrative que dans
l’action politique sont limités.
187
Sidi Mohamed Ould Baidy, op. cit.
110
retenue par l’État. La taxe sur le bétail n’est pas non plus de leur ressort. Les maires,
réunis en congrès en 1995 se sont plaints du climat de méfiance entre “les acteurs
locaux et les autorités administratives locales”188. Ensuite sont mentionnés la faiblesse
de l’intercommunalité et les manques de personnels et de formation. Le congrès des
maires soulignait que l’absence de formation des élus favorisait l’emprise de
l’administration, le secrétaire général de la commune, nommé par le pouvoir central,
pouvant ainsi étendre ses prérogatives. De manière générale, ces constats soulignent le
décalage entre le potentiel des communes (leurs attributions et leur place dans le
dispositif de décentralisation) et les moyens dont elles sont effectivement dotées.
188
Congrès national des maires de Mauritanie. Ministère de l’intérieur des postes et télécommunications.
Nouakchott, 27-30 avril 1995.
189
Sidi Mohamed Ould Baidy, op. cit.
111
Décentralisation et bonne gouvernance
C'est cette faiblesse de l'État qui sert d'argument aux organismes de développement pour
justifier leur volonté de décentraliser le pays. La décentralisation est un des aspects du
plan d'ajustement structurel dont l’objectif est de réduire les dépenses de l’État. Elle doit
permettre de le décharger de certaines de ses prérogatives, notamment dans
l’aménagement du territoire, sous-entendant qu'il n'est pas en mesure de le faire. Les
instances internationales estiment que l'État centralisé ne peut mener à bien les
programmes de développement. Dans cette perspective, la décentralisation s'inscrit
comme un prérequis du développement et renvoie à la notion de “bonne gouvernance”,
promue par le FMI, qui désigne “le remodelage de la gestion publique dans les pays en
développement”190.
Depuis les années 1990, la réponse aux faiblesses de l'État sont des mesures
institutionnelles prises par l’État mauritanien en coopération et avec les financements
des bailleurs internationaux qui consistent à renforcer le rôle des communes comme
relais administratif de l'État. La décentralisation s’est notamment traduite par la
112
contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales. En 1995 ont été établis des
programmes urbains de référence (PUR). Toujours, dans le domaine urbain, la Banque
mondiale et la coopération française ont financé à hauteur de 24 millions de dollars un
projet de décentralisation des infrastructures urbaines (DUE). Pour pallier le manque de
personnels le projet DICE a été chargé de créer des emplois dans les communes. Les
pouvoirs publics ont également créé une association à but non lucratif, l’AMEXTIPE,
dont le but est la maîtrise d’ouvrage déléguée de travaux et de consultations pour les
communes191. Ces projets ont principalement pour objectif le renforcement de la
capacité d'action des communes et la construction d’infrastructures urbaines en
partenariat avec elles. Il ne s’agit toujours pas de leur donner une autonomie financière,
mais de passer des contrats dans des objectifs définis au préalable.
Sur le plan institutionnel, les coopérations française et allemande ont mis en place des
programmes d’appui au développement des collectivités locales. Le PADEM, pour la
France intervient notamment au Tagant. Les Allemands interviennent dans un quartier
de la capitale, Arafat, et dans le Hodh El-Gharbi avec le projet PAC dont l’objectif est
de permettre une administration communale autonome. Ses actions consistent à aider les
commissions communales, à faire de la formation, à appuyer les “initiatives
économiques locales” pour construire des infrastructures et à soutenir l’association
mauritanienne des maires (AMM) et le collectif régional des maires du Hodh El-Gharbi
(CRM). Ce collectif se réunit effectivement régulièrement. Financé et appuyé par le
PAC, il a notamment chargé l’ONG Ecodév de réaliser un recensement participatif des
infrastructures des vingt-sept communes de la wilaya.
190
Alain Antil, Nepad et bonne gouvernance, le libéralisme sauvera-t-il l’Afrique ? op. cit.
191
Sidi Mohamed Ould Baidy, op. cit.
113
présidentiel à Nouakchott jusqu’au bord du puits. La création de l'échelon communal
institue un nouvel intermédiaire entre la base et le sommet. En faisant transiter les
projets de développements par le maire, l'État et les bailleurs confèrent à celui qui
occupe ce poste du pouvoir sur ses administrés une nouvelle autorité, de même que
l'instauration du régime des coutumes avait renforcé le pouvoir des émirs. Du même
coup, ce pouvoir est dépendant de ce soutien et n'est effectif que parce qu'il s'insère dans
un nouveau circuit de l'action d'aménagement de l'État. La décentralisation introduit
ainsi une nouvelle modalité de l'action administrative du pouvoir politique. Par ailleurs,
en établissant le choix du maire par le suffrage universel, elle ajoute un échelon à la
matrice électorale et impose une nouvelle modalité de l'action politique.
114
Plutôt que de mettre en avant l'hypercentralisation de l'État mauritanien, la
décentralisation a révélé la faiblesse de sa capacité à exercer son autorité sur le reste du
territoire. La capitale peut alors être considérée comme le centre de la matrice de cet
État mais difficilement comme un centre qui impulse sa dynamique à la bediyya. Au
contraire, la nécessité d'imposer la logique étatique jusqu'à l'échelon local révèle peut-
être que le contrôle de la bediyya est un préalable à l'extension de l'influence de ce
centre. Par ailleurs, décentraliser en créant des communes relève d'une conception
sédentaire et étatique de l'espace, qui n'est, nous l'avons vu, pas la seule en jeu en
Mauritanie. L'espace mauritanien n'est pas seulement un emboîtement de
circonscriptions et une juxtaposition d'aires administratives. Aussi, la distance au centre
ne se mesure pas seulement par l'étendue entre une circonscription et la capitale, siège
de l'État, ni par le nombre d'échelons administratifs séparant la commune de l'État.
L'action du maire, comme celle du ministre, n'est pas seulement déterminée par son
inscription dans un territoire administratif, le ministre au sommet et le maire à la base.
Tous les deux sont également liés à un groupe tribal qui peut modifier ces distances et
rapprocher le maire du sommet sans pour autant déplacer le territoire de sa commune.
Nous ne pouvons calquer la distance topologique (nombre d'échelons) ou topographique
(kilomètres) séparant des entités administratives sur la distance sociale séparant le maire
du ministre.
192
Denis Retaillé, Le monde du géographe, op. cit, p 113.
115
des décisions dont le champ d'application s'étend à tout le territoire de la commune,
mais en amont des réunions qui se tiennent dans le site central, se tiennent d'autres
réunions impliquant des groupes tribaux qui sont parfois déterminantes et influencent
les décisions prises dans le centre. Le centre pourrait aussi être le lieu d'où partent des
impulsions politiques. Ce rapport entre le site de la prise de décision et son champ
d'application nous amène à revenir sur notre acception du lieu dans un espace mobile.
193
Roger Brunet, Local, Les mots de la géographie : dictionnaire critique. Reclus, Paris, 1993, p 279.
194
Michel Lussault, Local. In Lévy Jacques et Lussault Michel (dir). Dictionnaire de la géographie. Paris
: Belin, 2003, p 572-574.
195
Edmond Ziavoula Robert, L'échelle locale dans l'organisation administrative du territoire congolais, In
Jaglin Sylvy et Dubresson Alain (dir), Pouvoirs et cités d'Afrique noire. La décentralisation en question.
Paris : Karthala, 1993, p 35.
116
réduit à l'échelle locale. Nous pouvons le représenter comme un axe vertical sur lequel
s'empilent des couches horizontales correspondant aux autres échelles. La substance
sociale qui fait le lieu se compose d'individus d'un même groupe tribal qui peuvent agir
à l'échelle de la région, de l'État et à l'étranger et ce qui s'y passe peut avoir des
répercussions sur le lieu. Il apparaît autant comme un fait local qu'un fait international
ce qui nous amène à reconsidérer l'articulation national/local. De même que nous ne
pouvons envisager le centre et la périphérie comme deux entités spatiales distinctes,
nous ne pouvons envisager de séparer ce qui est local de ce qui est national en attribuant
le local aux lieux de la bediyya et le national à Nouakchott.
Dans le groupe tribal, les décisions sont prises en général par la gemaa, mais le champ
d'application de ces décisions n'est pas le seul lieu-noyau. Elle n'est pas l'instance qui
l'administre. Elle peut débattre et prendre des décisions concernant les actions de ses
membres à la capitale et dont les répercussions sont nationales. C'est dans cette
perspective que la question de la centralité peut être posée. Les décisions prises dans des
lieux de la bediyya ont-elles une influence nationale qui dépasse le seul groupe tribal ?
Pour répondre, nous distinguerons, parmi les sites des réunions, ceux situés dans la
bediyya et à Ayoun de ceux de la capitale. Les données sur lesquelles nous nous
appuyons sont des entretiens et des comptes-rendus de la presse. Le nombre de cas dont
nous disposons est insuffisant pour établir des généralités, mais permet de dégager
quelques types distincts de ces réunions.
196
Raogo Antoine Sawadogo, L'État africain face à la décentralisation. Paris : Karthala, 2001, 280 p.
117
Ayoun, lors d'un scrutin municipal, des habitants de Nouakchott sont venus assister aux
réunions pour faire entendre leur opinion, mais aussi pour apporter un soutien moral aux
candidats de leur groupe. À Vaugouz comme à Ayoun, les élections ne mobilisent pas
seulement ceux qui votent. C'est tout le groupe qui est impliqué dans le scrutin.
197
Le Calame n°415 du 21 septembre 2003
198
L'Authentique n°135 du 19 septembre 2003
118
… comme les réunions à la capitale ne permettent pas de localiser la
centralité du pouvoir politique.
Ces dernières traitent, sur le plan politique, de la stratégie électorale, du choix de passer
à l'opposition, des membres à proposer pour des nominations aux plus hautes fonctions
de l'État. Les décisions qui y sont prises peuvent avoir des conséquences sur la
composition du gouvernement. Néanmoins cela ne signifie pas que les décisions s'y
prennent indépendamment du reste du groupe résidant dans la bediyya. D'une part, des
prises de position peuvent être désavouées comme dans les exemples précédents.
D'autre part, les liens entre la ville et le lieu-noyau sont si étroits que les ruptures ne
sont pas souhaitables. L'explication peut aussi se trouver dans la relation
qu'entretiennent les membres d'un groupe entre les anciens et les jeunes. L'avis des
premiers est souvent déterminant et comme ils ont tendance à demeurer dans la bediyya
alors que les seconds habitent plutôt les villes, nous pourrions en conclure que le centre
politique suivant la logique tribale se situe dans la bediyya.
Toutefois, poser que les anciens habitent la bediyya est un raccourci que nous devons
expliciter. Nos entretiens portent essentiellement sur des hommes âgés de 40 à 60 ans,
nés dans la bediyya et partis ensuite étudier et travailler à Nouakchott. Les parents de
cette génération n'ont pas tous suivi leurs enfants à la ville. Beaucoup sont restés dans
leur localité. Ceux de cette génération qui sont partis en retraite ne sont plus attachés par
leur travail à la capitale. Certains y restent, d'autres reviennent dans leur localité
d'origine ou bien habitent dans les deux suivant les saisons. Ceux qui ne sont pas encore
en retraite sont souvent les plus actifs politiquement dans ce sens où ils occupent des
fonctions politiques à la capitale. Ainsi, les plus anciens ont tendance à résider dans la
bediyya, même si beaucoup ont un pied-à-terre à Nouakchott, de sorte que ne pas
décider sans l'avis des anciens implique de ne pas décider sans l'avis de ceux restés dans
la bediyya.
Néanmoins, tenir compte d'un avis ne veut pas dire le suivre. Lors de nos entretiens,
nous avons relevé des avis contradictoires. Certains pensent que la position du groupe
résident dans la bediyya est prépondérante et d'autres estiment que ceux de Nouakchott
disposent d'une certaine autonomie. Le chef des Tenwajiou de Mabrek qui a occupé des
fonctions importantes à l'époque du parti unique de Ould Daddah considère les cadres
actuels comme les “nouveaux notables”. Les anciens doivent accepter leurs ordres du
119
jour mais ils conservent leur influence parmi eux. Le sénateur de la moughataa de
Kobenni, un “nouveau notable”, est notamment le petit frère de ce chef. Dans une autre
fraction, certains estiment qu'il vaut mieux laisser ceux de la capitale choisir leur
stratégie, notamment lors des scrutins relatifs à la circonscription de Nouakchott car ils
en maîtrisent mieux le contexte politique.
Cette relation entre les anciens de la bediyya et les plus jeunes de la ville rejoint les
problèmes posés par l'impossibilité de dissocier la ville de la bediyya et de localiser un
centre et une périphérie. Cela nous amène à approfondir la nature des liens tissés entre
les différents ressortissants d'un même noyau, ceux qui habitent principalement la
bediyya et ceux qui habitent principalement la ville.
Toutefois, les tribus n'ont pas attendu l'automobile et le téléphone pour coordonner leurs
actions malgré la dispersion et l'éloignement de leurs membres. Un exemple nous a été
rapporté par un Laghlal des environs d'Ayoun. La tribu des Laghlal est plus dispersée
que celle des Oulad Nacer. Elle est notamment présente dans l'Adrar alors que les Oulad
Nacer se concentrent dans le Hodh El-Gharbi. Cette dispersion les empêche d'organiser
des gemaa semblables à celles des Oulad Nacer qui réunissent toutes les fractions. Lors
des élections de 1956, malgré cette dispersion, tous les Laghlal de Mauritanie se sont
donnés la consigne pour voter contre Horma Ould Babana. Dans ce cas la distance est
maîtrisée alors que les moyens de communication étaient moins rapides que ceux
121
d'aujourd'hui. Ce n'est donc pas dans les moyens de communication qu'il faut chercher
la nature des relations sociales qui permettent de combler cette distance.
La plupart des citadins de Nouakchott originaires de la bediyya avec lesquels nous nous
sommes entretenus y sont nés. Ils appartiennent avant tout à leur groupe tribal. Si leur
éloignement leur procure une certaine latitude d'action par rapport à ceux de leur groupe
qui habitent la bediyya, ils ne peuvent néanmoins pas se soustraire aux décisions et à
l'action collective de ce groupe et ne peuvent refuser un service. Dans tous nos
entretiens cette obligation est mentionnée. Aucun individu ne peut échapper à sa
famille. La plupart du temps les services demandés ne peuvent se refuser car ils sont
formulés en fonction des capacités financières du ressortissant à Nouakchott. Ce dernier
ne peut refuser parce que ceux de la bediyya savent qu'il est en mesure de répondre à la
sollicitation. Il aurait ainsi l'obligation d'assistance et les autres l'obligation d'adapter
leurs requêtes à ses capacités. Toutefois, l'individu reste soumis à de fortes contraintes.
Ces relations de dépendance trouvent des explications dans les travaux des
anthropologues précédemment cités (Caratini, Bonte, Ould Cheikh) et notamment dans
les relations de parenté. Les cadets sont dans la dépendance des aînés. Cela vaut pour
122
des frères, mais cela peut valoir également pour des fractions d'une même tribu. À
l'intérieur d'une tribu, il y a des branches aînées et des branches cadettes. D'autre part,
les oncles maternels doivent aider les enfants de leurs sœurs199. Ces relations de
subordination ne sont pas catégoriques de même que les généalogies ne sont pas
données mais construites. De plus, les groupes de parenté sont des groupes dynamiques.
Aussi, un individu peut s'affranchir de ces relations. D'après nos entretiens, les jeunes
suivent le plus souvent l'avis des anciens. Cependant, les jeunes qui ont acquis une
position sociale élevée grâce à leur poste dans l'administration ou dans le commerce
peuvent parfois s'imposer et obliger les anciens à se rallier à leur avis.
En dehors de ces rapports hérités à la naissance, les liens matrimoniaux ont également
de l'influence. Celui qui épouse la femme d'un groupe tribal, s'allie à tout le groupe.
Ainsi, à Vaugouz, deux familles se sont installées à l'écart du village (un kilomètre). Les
deux hommes ne sont pas de la fraction des Oulad Chbeichib dont c'est le noyau mais
ils ont épousé deux femmes de cette fraction. L'un d'eux a creusé un puits en ciment à
Vaugouz et apporte régulièrement son soutien politique et financier à ses habitants.
Haut fonctionnaire, il est devenu un de leurs appuis potentiels.
199
Sophie Caratini, Les enfants des nuages, op. cit.
123
fortement influencé par l'avis de leur groupe. Inversement, un groupe peut faire pression
pour que l'un de ses membres refuse un poste jugé comme une reconnaissance
insuffisante. Ces pressions pour les problèmes de nomination mettent en lumière un
phénomène non négligeable. Celui qui occupe une fonction dans l'État n'est pas
nécessairement celui qui détient le pouvoir au sein du groupe. Prenons l'exemple d'un
haut responsable du pouvoir législatif originaire des environs d'Ayoun. Il est considéré
comme l'un des personnages les plus influents de la tribu et de sa fraction. Cependant, il
reste dépendant des décisions de son beau-père. C'est ce dernier qui, bien que n'ayant
pas de poste dans l'administration, semble le plus influent. Ainsi, le lieu-noyau, par
l'intermédiaire d'une chaîne de liens qui placent les membres du groupe tribal dans des
rapports d'obligation, peut être considéré comme proche du centre ou même, peut
constituer un centre d'impulsion politique. Néanmoins, cette proximité de la centralité
ne peut exister sans la présence active des membres du groupe dans les lieux de
convergence.
Les liens entre les deux lieux sont tels qu'il est difficile de dissocier la bediyya de la
capitale. Ce lien, qui se manifeste par des relations permanentes, visites, compte-rendu,
consultation ou appels téléphonique, fait que tout ce qui se décide à Nouakchott n'est
pas étranger à la bediyya. Aussi, nous nous attacherons dans les trois chapitres suivants
à étudier le caractère incontournable des lieux de la bediyya. Ce caractère ne fait pas
pour autant du lieu-noyau le centre du pouvoir politique. Nous avons rendu compte de
l'impossibilité de séparer la bediyya de la capitale comme deux entités politiquement
autonomes. De même, nous ne pouvons déterminer lequel exerce son influence sur
l'autre. Cela ajoute, par le processus de décentralisation institutionnelle, à la difficulté de
localiser le centre du pouvoir politique. C'est pourquoi, la spatialité de la centralité ne
sera pas recherchée dans un lieu particulier mais plutôt dans la relation entre les lieux.
124
Chapitre 6 : Les lieux de la bediyya, au cœur des stratégies
d'appropriation
L'existence des lieux-noyaux est nécessairement liée à celle d'un groupe tribal. Sans
lieu-noyau, pas de groupe. Il en est le haut-lieu. C'est là l'une de ses raisons d'être. Il en
constitue le cœur, à défaut du centre. Un individu qui souhaite être socialement reconnu
par son groupe doit être présent dans ce lieu, s'y montrer et y investir. Ce caractère
indispensable du lieu dans la reconnaissance sociale se combine avec le besoin d'être
soutenu par ce groupe pour jouer le rôle d'intermédiaire avec le sommet du pouvoir
politique. L'appropriation d'un lieu est donc un élément préalable à l'existence politique
autant qu'à la reconnaissance sociale ce qui en fait un enjeu incontournable du pouvoir
politique. Cet enjeu se traduit par des actions d'appropriation qui relèvent à la fois de
stratégies individuelles d'intermédiaires qui veulent s'affirmer en tant que représentants
de groupes tribaux et des stratégies collectives de ces derniers. Dans les deux cas,
l'appropriation permet de rendre visible l'existence sociale d'un groupe et la réussite
individuelle des intermédiaires. C'est ainsi que nous pouvons interpréter la
multiplication des localités recensées et leur densification le long des axes goudronnés
comme une course à la représentation (Cf. fig. 3). Les stratégies foncières qui en
découlent mettent en concurrence différentes sources du droit et différentes règles, les
lois étatiques et les droits coutumier et musulman. L'étude de ces stratégies permet alors
de saisir l'articulation des logiques étatiques et tribales qui renvoient chacune à une
source juridique et à une démarche particulière. Dans cette optique, nous essaierons de
comprendre comment se positionnent les lieux-noyaux des groupes tribaux en
concurrence selon qu'ils suivent une démarche étatique ou une démarche tribale.
125
partagées par le groupe tribal et dans la bediyya mauritanienne ces valeurs sont liées,
entre autres, à l'élevage. Disposer d'animaux suppose un point d'eau qui est également la
condition de l'existence matérielle du site du lieu-noyau. En ce sens l'appropriation est
une condition de la réussite sociale.
Culturellement, les animaux ont une place primordiale dans la société maure. Chez les
Rgaybât, la redistribution des biens à l’intérieur de la tribu passait par le troupeau200.
Celui qui avait un grand nombre de têtes en prêtait à celui qui les avait toutes perdues
du fait de la sécheresse, de la maladie ou des Ghezou. Aujourd’hui, le prêt d’animaux
200
Sophie Caratini, A propos des Rgaybât du Sahara occidental, l'organisation tribale en question, In
Urbama, Le nomade, l'oasis et la ville, Tours : Urbama, 1989, p 237-245.
126
est toujours une pratique courante. Il permet à un éleveur pauvre de disposer de
plusieurs têtes. Il permet aussi à un citadin qui n’en a que quelques unes de les faire
garder par un parent en les lui prêtant.
Symboliquement, l’élevage est une démonstration de richesse. D’une part, il faut avoir
les moyens d’acheter des animaux et d’autre part il faut pouvoir les entretenir et payer le
berger. La saison de l’hivernage met bien en valeur cet aspect symbolique. C'est la
saison des pluies qui voit la bediyya reverdir et les animaux redonner du lait. C'est aussi
les vacances scolaires, si bien que tous les résidents de Nouakchott reviennent. Les
villages se repeuplent et s'animent. L'hivernage est aussi un temps social important. Il
est le temps des mariages et celui qui réunit tous les membres de la tribu. Il permet de
mesurer la réussite de chacun en fonction de ce qu'il ramène. Celui qui a des animaux
est autonome en lait et peut en distribuer aux proches. Il peut organiser des “invitations”
chez lui et offrir le méchoui. Celui qui a une localité dans la bediyya a donc l'avantage
de pouvoir montrer sa réussite.
L’autonomie affichée à travers l’élevage est recherchée et enviée, mais elle symbolise
aussi pour les autres habitants et tribus de la bediyya une réussite “probe”. Celui qui
réussit et qui reste en ville avec son argent n’est pas considéré de la même manière.
C’est ce que résume un élu de la commune d’Ayoun, “sans animaux, tu n’es rien“.
L’élevage traduit la continuité de l’intégration au groupe. Trouver un berger n’est pas
qu’une affaire d’argent, il s’agit également de confiance, or ce lien entre le propriétaire
et le berger ne peut s’acquérir sans une bonne intégration sociale. Par l’élevage, celui
qui a réussi montre qu’il n’a pas oublié les siens.
127
Tableau 3 : Nombre de localités selon le type de toponyme
Lieu saint Formation Point d'eau Nom
ou naturelle (barrage, Nom du poétique Indéterminé Total
historique (colline, oued, fondateur (Bellevue,
vallon) puits) Beauséjour)
16 13 11 11 11 30 84
Sources : enquêtes
Dans la commune d’Agjert, sur 84 localités prises en compte, 12 ont une dénomination
qui contient le nom du fondateur ou de sa famille. À ces noms de localités utilisés par
l’administration, s’ajoutent les noms usuels. Pour ces derniers, nous ne pouvons
proposer de données chiffrées. En ce qui concerne les localités de notre enquête le long
de la route goudronnée, plus du quart est “surnommé” d’un nom de personnalité. Dar
Es-Selem devient Ehel Joghdane et El-Helle devient El-Helle Oulad Chbeichib. Le lieu
est alors assimilé au groupe qui se l’approprie. Il est reconnu comme approprié. Il
existe.
Toutefois, la reconnaissance n’est pas mécanique. Donner son nom à un site n’en fait
pas nécessairement un lieu reconnu. Aussi, en plus de l’aménagement des habitations, la
plupart de ceux qui s’approprient un lieu, posent une pancarte indiquant sa présence. Ce
ne sont pas les services publics qui se chargent des indications le long des routes mais
les habitants. Chacun fabrique sa pancarte et y inscrit le nom de la localité et la distance
qui la sépare du chef-lieu de région. Certains, éloignés de la route, mentionnent la
distance qui les sépare de celle-ci. En général, la pancarte ne sert pas d’indication
routière mais de balisage de l’espace au point que certaines localités sont réduites à un
kilométrage. Beder devient par exemple “Pk 18”. Poser sa pancarte permet de
formaliser son existence sociale en rendant visible aux autres groupes tribaux
l’appropriation du lieu. Il ne s'agit donc pas seulement d'acquérir la reconnaissance à
l'intérieur de son propre groupe. L'appropriation s'inscrit dans les rapports
qu'entretiennent les groupes entre eux. En ce sens, s'approprier un lieu signifie marquer
sa présence dans le paysage, non pas seulement dans le paysage concret mais dans le
paysage de la scène politique.
128
L'appropriation d'un lieu s'inscrit dans le paysage politique
Chez les nomades de la péninsule arabique, le conflit entre deux tribus se traduisait par
le déménagement de l’une, or la création des frontières a bloqué ce processus. Le
déménagement n’est plus possible201. En Mauritanie, le problème peut être envisagé
sous le même angle. Certains découpages administratifs limitent cette mobilité. Les
conflits doivent être résolus sur un espace fini. L’accès à la terre en devient plus
problématique. C’est dans cette perspective que nous plaçons le phénomène de la
multiplication des localités dans la wilaya. Pour la seule commune de Hassi Ehel
Ahmed Bichna, sur les 52 localités recensées par l’ONS en 2000, 18 avaient été
recensées en 1988 et seulement 2 en 1977 (Cf. fig. 3).
201
Manaf Sami, op. cit.
129
Figure 3 :
130
Le choix de cette hypothèse tient dans l’interprétation possible du conflit qui a opposé
les deux tribus les plus présentes à Ayoun, les Oulad Nacer et les Laghlal. Le conflit a
atteint son point culminant lors des élections municipales de 1994. Les affrontements
qui s’en sont suivis ont fait plusieurs morts. L’une des sources de tensions entre les
deux tribus se situe dans la commune de Hassi Ehel Ahmed Bichna. Au début des
années 1980, l’espace de cette commune, dont les limites n’ont été fixées qu’en 1987,
était partagé entre les Tenwajiou, les Oulad Nacer, les Laghlal et les Peuls. Les Laghlal
étaient déjà présents durant la colonisation. Ils étaient recensés dans le cercle de Nioro
du Sahel. Au début du 20ème siècle, leur chef Abdellahi Ould Limam y aurait creusé un
puits à Habra. Les Oulad Nacer et les Tenwajiou y sont également implantés,
notamment dans plusieurs adwaba qui leur sont rattachés. Lors des sécheresses (début
des années 1970 et début des années 1980), d’autres Laghlal recensés à Tamchaket du
temps de la colonisation sont descendus du Nord. En 1983, les problèmes d’eau ont
amené les Laghlal à creuser des puits dans des sites inexploités. Ces sites constituent
aujourd’hui douze localités. Les Oulad Nacer ont contesté le forage de chaque puits en
revendiquant la terre. Sur ces douze localités, sept ont posé moins de problèmes car ils
se situaient sur des terres reconnues comme appartenant aux Laghlal du Sud. En
revanche, les cinq autres ont provoqué des conflits violents. Ce sont les plus
septentrionaux et les plus proches des localités des Oulad Nacer. Aujourd’hui, elles sont
toutes les cinq appropriées par des Laghlal, ce qui permet aux Laghlal d’être la tribu la
plus représentée de la commune.
Ce conflit a été interprété comme un recul des Oulad Nacer. L’appropriation de lieux a
permis à un groupe d’affirmer sa présence sur un espace et puis de s’approprier un
espace jusque là reconnu comme appartenant à un autre groupe. Cette politique du fait
accompli s’apparente à celles des tribus nomades de la péninsule arabique qui, pour
s’opposer à une autre tribu, commençaient par s’installer sur leur territoire. Cette action
était interprétée comme une démonstration de force202. Il est possible que cet exemple,
qui a marqué les esprits dans la région, ait introduit de nouvelles stratégies politiques.
L'appropriation de lieux dans la bediyya serait devenue une arme politique, constituant
une explication à la multiplication des localités.
202
op. cit.
131
La plupart des appropriations sont en effet la prise de possession et l’aménagement d’un
site jusque là inoccupé pour y créer le lieu-noyau d'un groupe tribal. Certains sites
avaient déjà un nom, celui d’un oued, d’une forêt ou d’une dune et d’autres n’existaient
pas encore dans la toponymie. Ces derniers n’existaient donc pas en tant que lieu. Dans
une région où il n’y avait qu’une dizaine de villages il y a soixante ans, le nombre de
localités recensées s'est considérablement accru. En ce qui concerne la zone étudiée,
elles étaient 29 en 1977, 35 en 1988 et 85 en 2000. Même si nous verrons dans la
troisième partie que l'apparition nouvelle d'une localité dans un recensement relève
parfois d'événements un peu plus complexes, la plupart sont autant de nouveaux lieux
appropriés par un groupe dont le contrôle est l'enjeu de stratégies de réussite
individuelle et de rivalités entre groupe dans la maîtrise de l'action politique qui s'inscrit
dans la dynamique politique mauritanienne.
203
Cf. Annexe 1
132
l'axe, il y a en moyenne une localité tous les 1500 mètres. La pression est encore plus
élevée sur certaines portions. Entre les kilomètres 5 et 16, il y a 17 localités distinctes et
11 entre les kilomètres 27 et 33, sans compter que la plupart des terrains ont déjà fait
l'objet d'une demande de permis.
D’autres déménagements ne sont pas méridiens comme ces premiers exemples. Les
fondateurs de Tichilit El-Barka sont originaires de Benaman et ceux de Dar Es-Selem
de Blemhadher. Ces villages d'origine sont souvent les premiers points de
sédentarisation des fractions et sont au centre d'un territoire reconnu comme leur
appartenant mais qui est parfois traversé par la route. Celle-ci menace son intégrité et
donc menace l'existence du groupe car d’autres pourraient venir s’y installer. Par
conséquent, ces villages se sont dédoublés pour marquer leur territoire. Des habitants de
Vaugouz ont fondé une localité qu’ils ont initialement baptisée El-Helle Oulad
Chbeichib. El-Helle signifie le campement de la chefferie et Oulad Chbeichib le nom de
la fraction dominante des Oulad Nacer durant la colonisation. Le seul toponyme indique
le message de cette appropriation. Toutefois, ce dédoublement n’est pas toujours issu
d’une stratégie collective de tout le village. Il s’agit également des conséquences de
conflits internes et d'ambitions individuelles aboutissant au déménagement de certains.
Ces stratégies individuelles ne peuvent exister sans le collectif, mais ce sont elles qui
déclenchent le conflit et le déplacement. Untel s'est fâché avec un autre et emmène avec
lui le groupe qui le soutenait.
133
Figure 4 :
134
Les modalités de l'appropriation, entre foncier tribal et foncier
étatique
Le long de la route goudronnée ou dans le reste de la bediyya, ces stratégies
d'appropriation mettent en jeu des règles et des pratiques foncières. Ces dernières ne
sont pas uniformes et renvoient à des logiques politiques et spatiales différentes. L'étude
de l'articulation de ces règles et de ces pratiques permet de saisir l'articulation entre les
logiques étatiques et les logiques tribales. Au niveau des règles, le droit foncier combine
plusieurs sources juridiques, le droit coutumier, le droit musulman et la loi. En principe,
seule la loi fait autorité, mais dans les faits, elle n’est pas la seule à être prise en
compte204. Des gazra de Nouakchott aux terrains de la bediyya, nombreuses sont les
situations où d'autres règles sont appliquées.
Pour chaque source, il y a des arbitres. Le droit musulman est du ressort du qâdi. Les
habitants d’Agjert ont le leur. Le droit coutumier peut être du ressort des responsables
tribaux et la loi relève des autorités administratives. Toutefois, les différentes sources ne
sont pas cloisonnées et il est rare qu’un litige ne relève que d’une seule d’entre elles.
Aussi, l’arbitrage résulte souvent de la confrontation de plusieurs sources et de plusieurs
arbitres. Nous considérons que les droits musulmans et coutumiers s’inscrivent dans la
logique tribale et que la loi s’inscrit plutôt dans la logique étatique, même si tous les cas
d'appropriation empruntent aux deux. La loi est votée à la capitale. C’est là également
que sont signés les décrets d’application et que sont désignés les wali et les hakem
(préfet de moughataa) qui doivent veiller à leur exécution. En revanche, l'origine du
droit coutumier est plus diffuse et n’est pas localisée. Le droit musulman provient d’un
livre unique qui lui-même est originaire de la péninsule arabique, mais les qâdi qui
arbitrent selon lui ne sont pas chapeautés par une autorité unique. Ils sont choisis par les
‘ulema, les autorités religieuses. La prégnance d'une des sources du droit peut révéler la
prégnance d'une des deux logiques spatiale et politique. Ainsi, lorsque la logique
étatique l'emporte, nous considérons que le centralisme de l'État parvient à s'imposer
aux lieux-noyaux de la bediyya. Dans cette perspective, nous émettons l'hypothèse que
la localisation des lieux en jeu dans l'appropriation est liée à la logique qui s'impose.
204
Tidiane Koïta, Migrations, pouvoirs locaux et enjeux sur l'espace urbain, Politique Africaine, 1994,
n°55, p 101-109.
135
Droit coutumier et droit musulman
Dans le droit musulman, la terre est propriété de celui qui la met en valeur. Cette
propriété est essentiellement collective. L’eau, les pâturages et le feu sont inaliénables et
donc, ne peuvent être appropriés individuellement. L’accès à l’eau du puits ne peut être
prohibé, mais la priorité d’accès revient à ceux qui l’ont construit et à ceux qui
l’entretiennent. L’usage des pâturages est également commun et leur accès défini en
terme de priorité. Autour des agglomérations, le droit musulman définit un espace vital
dont il protège l’accès. Les habitants d’une localité peuvent disposer de cet espace aux
dépens des éleveurs nomades ou d’autres localités.
Le droit coutumier, qui s’appuie en grande partie sur le droit musulman, reprend la
notion de propriété collective qui diffère de l’usage collectif. Dans les environs
d’Ayoun, les terres sont reconnues comme appartenant à des tribus, des fractions ou des
familles. La propriété donne droit à définir les priorités d’accès. Elle ne se traduit pas
par un panneau mentionnant “défense d’entrer”. Bien que les tribus soient souvent
considérées comme peu attachées à la terre et qu’elles contrôlent essentiellement des
lieux, nous pouvons considérer qu’elles sont propriétaires d’espaces dont les limites,
même floues, sont reconnues205. L'espace n'est pas plein des signes de la propriété ou de
mises en valeur car rien dans le paysage ne matérialise cette propriété mais il n'est pas
vide non plus car les habitants lui attribuent du sens et savent que tel pâturage est en
priorité pour tel groupe. La notion de propriété est plutôt à considérer comme
potentielle. L'espace appartient potentiellement à un groupe, mais si un autre groupe
impose un autre rapport de force, le potentiel peut basculer de l'autre côté.
La propriété peut être transmise par héritage ou par don. Avant la colonisation, elle
dépendait aussi des rapports de force entre les tribus. En ce qui concerne l’eau, le forage
d’un puits est considéré comme une mise en valeur. Par conséquent il donne accès à la
propriété, mais si l’emplacement du puits à creuser est situé sur un espace reconnu
comme étant déjà approprié, ceux qui veulent forer doivent avoir l’autorisation des
propriétaires. Cette règle ne s’applique qu’aux puits pérennes dont le coffrage est en
pierre ou en ciment. Le forage de puisards dans les batha ne nécessite pas cette
205
Pierre-Robert Baduel, Le technicien, le législateur et le pasteur en Tunisie aride, Production pastorale
et société, 1982, n°10, p 70-80.
136
autorisation. Il s’apparente à l’accès au pâturage. Par ailleurs, les membres d’une
collectivité ont le droit de forer sur la propriété de celle-ci.
L’ordonnance de 1983
Le premier article de l’ordonnance stipule que “la terre appartient à toute la nation et
tout Mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte peut, en se conformant à la loi, en
devenir propriétaire pour partie”. Toutes les terres qui n’ont jamais été mises en valeur,
ou qui n’ont plus de traces de mise en valeur, sont propriété de l’État. La propriété des
tribus est remise en cause car toutes leurs terres ne sont pas mises en valeur. “L’État
reconnaît et garantit la propriété foncière privée” (art 2). “Le système de la tenure
traditionnelle du sol est aboli” (art 3). “Tout droit de propriété qui ne se rattache pas
directement à une personne physique ou morale et qui ne résulte pas d’une mise en
valeur juridiquement protégée est inexistante” (art 4). Cependant, cette ordonnance n’est
pas en totale contradiction avec les droits musulman et coutumier. L’article 2 précise
que la propriété privée “doit, conformément à la Chariâa, contribuer au développement
économique et social du pays”.
137
La logique tribale de la réforme
Le texte initié par l'État ne suit pas uniquement la logique étatique tant sur le plan
politique que sur le plan spatial. Il suit également la logique tribale et reprend
notamment l’idée que la propriété dépend de sa mise en valeur. En zone rurale, l’accès
au foncier passe d’abord par l’obtention d’un permis provisoire d’occuper la terre
pendant cinq ans. Ce permis est accordé par le hakem pour les surfaces inférieures ou
égales à 10 hectares, par le wali pour celles inférieures ou égales à 30 hectares ou par le
ministère des finances pour celles supérieures à trente hectares. Le permis est accordé si
la demande est accompagnée d’un projet de mise en valeur et si la terre n’est la
propriété de personne. Pour ce faire, la demande doit être affichée pendant deux mois au
cours desquels les éventuels ayant droit peuvent se manifester. La loi prévoit également
une diffusion radiophonique, mais, lors de nos enquêtes, seul l’affichage a été
mentionné par nos interlocuteurs. Après les cinq années, le permis d’occupation peut
être accordé définitivement, ou, en cas de non mise en valeur constatée, annulé.
Si elle avait pour but d’abolir la tenure traditionnelle du sol, la loi n’a pas aboli la
logique foncière tribale. Elle perdure, mais est désormais assimilée par l'État. La loi
138
votée au centre de la matrice étatique a pris en compte le droit pratiqué dans la bediyya.
Elle permet à l’État de tenter de se poser en détenteur unique et centralisateur des règles
foncières.
D’après la loi, c’est la logique étatique qui prévaut dans l’action administrative.
Néanmoins, cette loi s’inspire du droit pratiqué antérieurement à la création de la
capitale. Cela peut traduire sa capacité à intégrer le droit coutumier et à exercer sa force
centripète, mais cela peut également traduire la nécessité de déplacer la centralité
politique vers la bediyya pour pallier l'incapacité de l'État à imposer ses règles à celles
qui y sont appliquées. C'est dans l'application de ces règles et la localisation des lieux en
jeu que nous comptons comprendre la position des lieux par rapport à cette centralité.
Suivant quels critères un groupe qui s'approprie un lieu suit-il une la démarche étatique
ou la démarche tribale ?
139
Les démarches d’appropriation
Les démarches d’appropriation sont les actions que mènent ceux qui désirent
s’approprier un lieu. Nous nous concentrerons d’abord sur les interlocuteurs choisis et
sur la nature des titres de propriété acquis. Ces deux éléments permettent de savoir
quelle logique suivent les candidats à l’appropriation. Ont-ils tous un permis
d’occupation octroyé par le wali ? S’adressent-ils d’abord au wali ou au responsable de
la tribu ? Nos données s’appuient sur l’enquête menée sur les localités proches du
goudron et sur les entretiens des autres enquêtes mentionnant les questions foncières.
Sur les 41 localités de l’enquête, seules trois affirment ne pas posséder de titre. Sur les
38 restantes, cinq font référence à un permis collectif attribué au nom d’un groupe et
divisible, dont trois à un permis accordé avant 1983. Sur les huit localités qui n’ont pas
mentionné un permis simple, sept sont issues des projections des fractions sur la route
définies plus haut (Cf. fig. 4). Il s’agit de Beder, El-Helle, Agjert El-Amel, Agava,
N’Beika, Dar Es-Selem et Medina El-Mounawara. Cette dernière s’est installée sous la
protection des habitants de Dar Es-Selem qui sont liés à la fraction des Oulad
Ihammatoug de Blemhadher. Les Mechdhouf qui habitent N’Beika sont également
dépendants de cette fraction. Nous pouvons alors distinguer cinq ensembles dans
lesquels, le simple permis d’occuper n’est pas l’élément fondamental de la légitimité de
140
l’appropriation. Il s’agit des Oulad Halle à Beder, des Oulad Chbeichib à El-Helle, des
Amar Taleb à Agjert El-Amel, des Abdul Wahab à Agava et des Oulad Ihammatoug.
Sur les 33 autres localités, 18 précisent les dimensions du permis qui leur a été accordé.
Certains interlocuteurs ont mentionné ces dimensions sans que la question ne le leur
demandât. Un autre a spontanément fouillé au fond de sa valise pour montrer le
document. Supposons que ces faits révèlent une recherche de légitimité à travers le
permis. Cela nous permet d’esquisser une distinction entre ceux qui s’approprient une
localité en s’appuyant sur la logique étatique et ceux qui s’appuient sur une logique
plutôt tribale dans laquelle le titre administratif compte moins que la reconnaissance par
les habitants et les autres fractions de l’appropriation.
Néanmoins, nous pouvons ajouter une lecture intermédiaire. Dans nos enquêtes, nous
avons isolé plusieurs cas de fractions qui semblent avoir un permis au nom de leur
collectivité et en distribuent des parcelles à leurs membres ou bien à d’autres qui en font
141
la demande. Il s'agit, sur la route, des Amar Taleb d’Agjert et au-delà, des Oulad
Abdoukrim de Berbouchiye. Chez les premiers, ce sont les décisions du qâdi d’Agjert
qui font autorité. Il peut attribuer des terres qui appartiennent à sa fraction. Ses décisions
semblent être reprises par l’administration. Selon lui, ceux qui veulent une terre doivent
de préférence s’adresser à lui. S’il donne son accord, l’État suit. Néanmoins, nous ne
savons pas si c’est l’administration qui attribue la terre suivant son accord ou bien s’il
possède un titre au nom de la fraction et qu’il partage lui-même le foncier. Chez les
Oulad Abdoukrim. Le groupe des Ehel Mohamed Sraire de cette fraction est
propriétaire des terres autour du village de Berbouchiye. Leur chef est maire de la
commune d’Agjert. C’est lui qui attribue les parcelles du terrain dont il est reconnu
comme le propriétaire par l’administration. Dans un sens, ces deux fractions semblent
être autonomes vis-à-vis de l'État dans la gestion de leurs terres et leur territoire semble
échapper à la logique étatique.
142
Figure 5 :
143
La prédominance d'une logique dépend de la localisation des localités en jeu
A partir de l'enquête sur le goudron, nous avons caractérisé chaque localité selon la
logique suivie par ses habitants en tenant compte de ce que nous venons de présenter.
La première tendance révélée par la carte est la corrélation entre la prédominance de la
logique tribale et la proximité de la ville. La carte montre en effet en effet que toutes les
localités situées à moins de 15 kilomètres d’Ayoun se sont d’abord adressées au wali.
La part de ceux qui suivent plutôt la logique tribale augmente avec l’éloignement.
Les différences de densité sont un autre phénomène qui peut confirmer cette
prépondérance de certaines fractions. Deux principaux ensembles se dégagent. L’un à
proximité de la ville et l’autre au milieu du tronçon. Ces deux ensembles correspondent
à des espaces sur lesquels les fractions des villages qui se sont projetés sur l'axe ont
moins prise. Le premier ensemble peut s'expliquer par la proximité de la ville. Pour le
second, l’interprétation est moins évidente. D’après plusieurs entretiens, le territoire des
Oulad Chbeichib et celui des Amar Taleb se rejoignent sur une dune. Cette dune est
traversée par la route entre Boutresiffe et Tesheggue El-Beidha, ce qui correspond à la
portion la plus densément appropriées. Il est possible que la densité puisse correspondre
à un meilleur accès à l’eau souterraine, mais, partout où le territoire supposé des cinq
fractions est traversé par la route (Cf. fig. 4), la densité des localités est faible. Ces
espaces moins denses ne sont pas pour autant vides. Ils sont en fait pleins des signes,
invisibles mais intériorisés par les populations, de la présence potentielle de ces
fractions.
Une analyse plus fine des questionnaires qui dépasse la dichotomie démarche
administrative-démarche tribale permet en effet de retrouver la présence des principales
fractions. Sur les sept localités entre Baghdad et Houda El-Sinai, quatre se sont
installées en accord avec les Amar Taleb d’Agjert et une a obtenu son permis après un
conflit avec cette fraction. Plus à l’Est, les habitants de Agava prétendent que ce sont
eux qui ont autorisé l’installation de ceux de Havra Adressa. Enfin N’Beika dépend de
Blemhadher. Autrement dit les procédures d’appropriation sont influencées par la
proximité des fractions bien implantées. Le phénomène est plus net à l’Est, c’est-à-dire
loin de la ville.
144
D'un côté la ville d'Ayoun constitue un centre qui repousse la logique tribale et de
l'autre, les lieux-noyaux des principales fractions sont des centres qui repoussent la
logique étatique. L'influence du centre de la matrice étatique est limitée par l'influence
des centres constitués par chaque lieu-noyau dont les groupes sont en mesure se
s'imposer sur leur territoire. Cependant, nous ne pouvons pas en conclure que deux
centres indépendants l'un de l'autre s'affrontent car les groupes tribaux en jeu sont
présents à la fois dans leur noyau et dans la ville. Nous formulons plutôt l'hypothèse que
certains groupes parviennent à contrôler l'appropriation des lieux en s'appuyant sur leur
noyau et que d'autres doivent transiter par l'État et la ville pour s'imposer. Le pouvoir
politique n'est pas situé dans la bediyya ou dans la ville mais tient plutôt dans la capacité
d'un groupe tribal à utiliser l'État pour contrôler son noyau.
145
Chapitre 7 : Les lieux de la bediyya ouvrent l'accès au
pouvoir politique
Les lieux de la bediyya ne sont pas seulement des cibles à contrôler. Ils sont, en tant que
points d'appui de leur groupe tribal, en mesure d'influer sur le pouvoir politique. Aussi,
l'enjeu des appropriations précédemment étudiées n'est pas tant le contrôle du site que le
contrôle des populations liées à ces sites. Les habitants à la base de ces lieux sont des
électeurs potentiels. C'est pourquoi les intermédiaires qui veulent accéder au sommet
comme ceux qui dirigent l'État mettent en place des stratégies destinées à s'assurer le
soutien de ces populations. Chaque lieu-noyau peut être considéré comme un pôle à
rapprocher ou éloigner du centre de l'État. Le rapprochement se traduirait par un soutien
du groupe au régime actuel et l'éloignement par une opposition. L'objectif de ceux qui
dirigent l'État serait alors de maintenir ces pôles dans son champ d'attraction. Pour
envisager cette proposition, nous pouvons étudier les pratiques électorales et la politique
de retour au terroir. Les premières mettent en jeu la dynamique politique mauritanienne
dans ce sens que la base des électeurs est convoitée par le sommet qui doit choisir le
bon candidat pour s'assurer ses suffrages et pour cela contrôler chaque lieu-noyau. La
seconde est liée aux premières. Elle renvoie à une politique initiée par les dirigeants
étatiques visant à inciter les cadres mauritaniens, soit de potentiels intermédiaires et
candidats, à s'investir dans la bediyya pour conserver leur emprise sur ses habitants,
potentiels électeurs.
L' existence avérée de la fraude ne remet donc pas en cause la pertinence de l'étude du
processus électoral. Au contraire, il ajoute de la complexité à l'observation et fournit des
données que des scrutins “transparents” ne laisseraient pas paraître. Mêmes tronquées,
les élections sont toujours significatives208.
206
Zekeria Ould Ahmed Salem, La démocratisation en Mauritanie, une «illusio» postcoloniale ? op. cit, p
140.
207
Zekeria Ould Ahmed Salem, op. cit, p 136.
208
Michel Bussi et Dominique Badariotti, Pour une nouvelle géographie du politique. Paris : Anthropos,
2004, 301 p.
147
l'État. Dans le même temps le sommet utilise l'intermédiaire pour contrôler la base.
L'observation de la pratique électorale permet de comprendre par quels mécanismes les
trois éléments interagissent. L'observation ne se résume pas au simple dépôt d'un
bulletin dans l'urne. Les phases précédant et succédant au jour du scrutin sont tout aussi
importantes. Les inscriptions sur une liste, le choix de candidats, la campagne puis le
dépouillement et les nominations dans le pouvoir exécutif sont autant d'étapes qui
mettent en évidence la dynamique politique. Les habitants d'une localité qui sont des
électeurs peuvent soutenir leur candidat, ou bien désavouer celui appuyé par
l'administration et le PRDS, manifestant ainsi leur désaccord avec les autorités. Par
conséquent, l'administration et le PRDS doivent choisir un candidat en suivant l'avis des
habitants ou bien convaincre les habitants d'élire celui qu'ils auront choisi. Pour être
choisi candidat, il faut donc au moins être favorablement apprécié par les habitants. La
victoire dépend de la qualité de la représentation qu'il est susceptible de leur offrir ou
qu'il a assuré durant son mandat. Cette qualité se mesurant notamment en financements
d'infrastructures, les électeurs prendraient leur “revanche” puisque, comme dans
l'exemple béninois209, ils peuvent monnayer leur bulletin de vote, non pas en numéraire,
mais en promesse d'aménagement. Le vote en Mauritanie peut effectivement être
considéré comme un vote “d'échange”. Il peut également être “communautaire”210
puisque les électeurs soutiennent celui qui représente leurs intérêts avant celui qui
défend leurs opinions. Dans ce chapitre, nous insisterons sur le vote d'échange et le vote
communautaire car le vote d'opinion existe mais, dans la bediyya, reste très minoritaire.
S'il n'y a pas une parfaite adéquation entre les tribus et les candidats, chaque candidat
est le ressortissant d'une localité particulière dont les habitants défendent des intérêts
communs. Autrement dit, un candidat qui ne défend pas bien les intérêts des
ressortissants de sa localité ne peut bénéficier de leur soutien et amoindrit ses chances
de succès. Le lieu-noyau, en tant que référant d'un groupe tribal, influence fortement le
choix d'un candidat, son élection puis les nominations dans l'appareil étatique et, par
conséquent, participe de la centralité du pouvoir politique.
209
Richard Banégas, Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin,
Politique Africaine, 1998, n°69, pp 75-87.
210
Jacques Lévy, op. cit.
Ihl O. cité dans, Vote d'échange, vote communautaire, vote d'opinion, In Bussi Michel et Badariotti
Dominique, Pour une nouvelle géographie du politique. Paris : Anthropos, 2004, p 59-80.
148
La fraude électorale, comme premier révélateur des pratiques électorales
La fraude, c'est à dire le contournement des règles instaurées par les autorités
mauritaniennes, n'est pas une pratique incohérente. Elle suit une autre logique que celle
étatique et correspond à une autre manière de mener l'action politique. Etudier la fraude
permet d'étudier cette autre logique politique.
Cette fraude peut aussi être assimilée à un acte de bravoure tel qu'un Ghezou et favoriser
sa promotion au sein de la tribu. Cet aspect se retrouve lors de la campagne électorale.
Au printemps 2003 le Calame rapporte que lors de sa visite à Timbedra, l'équipe d'un
candidat de l'opposition a été prise à parti physiquement empêchant la bonne tenue du
149
meeting211. Ce cas n'est pas isolé. D'autres de même nature ont eu lieu à l'automne 2003.
Certaines actions ont même été initiées par des membres de l'opposition. Nous pouvons
émettre l'hypothèse que les auteurs de ces actes se réfèrent à des valeurs guerrières qui
leurs donnent de l'importance. Si l'influence sur le scrutin compte parfois moins que la
notoriété qui peut être ainsi acquise, ces actes soulignent la difficulté d'accéder au
pouvoir par la voie électorale sans maîtriser les lieux de la bediyya.
211
Le Calame n°390 du 23 avril 2003.
150
fraude, il est difficile d'associer le nombre de voix comptabilisées à un nombre
d'individus ayant déposé un bulletin, mais nous pouvons émettre deux hypothèses. La
première est que lorsque l'opposition l'emporte, cela traduit un nombre de bulletins
déposés par des opposants très supérieur à celui issu du décompte, la fraude ne
permettant pas de réduire suffisamment ce nombre. La seconde est que le contexte local
n'est pas favorable à l'administration et au PRDS. Avant, pendant et après le jour du
scrutin, les opposants sont suffisamment présents et actifs pour contenir les tentatives de
fraude. Il est possible de “bourrer” des urnes et de manipuler les résultats lorsque
personne ne s'y oppose. Il est également possible d'exercer une pression sur les électeurs
avant et pendant leur entrée dans le bureau lorsque les soutiens du PRDS sont
suffisamment nombreux. En revanche, lorsque ce sont les opposants qui sont
numériquement supérieurs dans le lieu du vote, la possibilité de la fraude est réduite. Un
résultat favorable à un candidat de l'opposition signifie que la population lui est
favorable ou bien que son parti a concentré ses moyens humains dans cette
circonscription au détriment des autres. Les deux interprétations révèlent un potentiel
d'opposants puisqu'un parti choisit de se concentrer sur une circonscription dans
laquelle il a des chances de succès. La lecture des résultats électoraux demeure donc un
bon outil pour établir la couleur politique des différentes localités. Elle nécessite
néanmoins d'être complétée par l'observation de tout le processus électoral.
Un holisme électoral ?
Les habitants d'une localité et ceux qui sont liés à cette localité mais qui résident ailleurs
forment une unité sociale animée par la 'asabiyya tribale. De manière globale, ils ont
des intérêts communs et adoptent une stratégie commune. Les oppositions qui les
traversent ne peuvent être que temporaires car une crise profonde aboutit en règle
générale au déménagement volontaire ou contraint des parties en conflit. Les élections
étant un élément de la dynamique sociale et politique, nous considérons le lieu-noyau
comme un déterminant de base des élections. Dans une localité, les choix électoraux des
habitants sont communs. Toutefois, dans aucune localité, nous ne pouvons affirmer que
tous font le même choix électoral. Ces divergences peuvent être relatives à des opinions
politiques opposées, mais elles peuvent aussi être liées à des stratégies différentes.
151
S'afficher comme un opposant peut être un moyen de promotion sociale. Nous
expliquerons par quels mécanismes. Malgré ces quelques divergences, nous pouvons
attribuer à chaque localité un choix politique. Lors de la campagne électorale pour les
présidentielles, il était courant d'entendre dire que tel village était favorable à tel
candidat. Le choix de chacun des habitants est réduit au choix de la localité. La pression
exercée sur les opposants dans un village favorable aux élus de la majorité peut, le jour
du scrutin, infléchir leur vote.
A l'inverse du groupe tribal, la tribu adopte rarement une ligne de conduite partagée par
tous ses membres. Celle des Oulad Nacer qui a été mise en cause par les autorités dans
la tentative du coup d'état du 8 juin 2003 a tenté d'adopter une stratégie commune. Sa
mise en cause a eu pour conséquence le remerciement de plusieurs de ses très hauts
fonctionnaires et donc la baisse de son influence au sein de l'État. Pour regagner cette
influence, elle a, lors d'une grande réunion, décidé d'apporter son soutien de manière
officielle au président Ould Taya, mais toutes les fractions n'ont pas suivi cette position.
De même, l'exemple de la commune de Kiffa révèle que la course à la municipalité
n'oppose pas seulement des tribus entre elles mais aussi des fractions d'une même
tribu212. Tribus et fractions sont des organisations dynamiques en recomposition
permanente et ne constituent pas un bloc uniforme. Elles peuvent jouer un rôle dans les
élections, mais ce rôle ne suffit pas à expliquer les différences entre les bureaux de vote.
Le vote communautaire ne renvoie pas à la tribu mais au groupe tribal. C'est ce dernier
qui, indissociable du lieu-noyau, peut être appréhendé comme un holisme. Les
Mauritaniens attribuent à un lieu, un choix électoral parce que ce groupe a fait ce choix.
Ce n'est pas le lieu qui agit dans l'élection, mais le groupe qui positionne le lieu comme
une cible des stratégies électorales.
212
Mariella Villasante-de Beauvais, Parenté et politique en Mauritanie. Essai d'anthropologie historique,
op. cit.
152
convainc son groupe de le suivre pour appuyer son choix. Ces stratégies s'inscrivent
dans le système des partis politiques et la position commune des groupes et des
intermédiaires se traduit par l'adhésion au même parti ou à sa liste de candidats. Ainsi,
chaque lieu correspond à un parti. Dans ce contexte holiste, les partis relèvent plutôt
d'une logique binaire que de choix idéologiques. Un parti est soit dans la majorité
présidentielle, c'est-à-dire dans le PRDS ou avec ses alliés, soit dans l'opposition. Les
idéologies ne sont pas absentes du débat, mais elles ne nous semblent pas, comme les
votes d'opinion, déterminantes dans les choix des groupes tribaux.
A la fin des année 60 et durant les années 70, la Mauritanie a connu de violents débats
politiques. Les idées marxistes y prenaient une grande part. Le nationalisme arabe avec
le nassérisme puis les baatistes était également actif. Aujourd'hui, le PRDS regroupe la
plupart de ceux qui défendaient ces idées et qui s'opposaient au régime précédent.
Hormis, les militants des FLAM, la plupart des tendances politiques, islamistes,
nasséristes, baatistes, marxistes, sont représentées dans le parti au pouvoir. Certes, elles
sont également représentées dans les partis d'opposition, mais il paraît difficile de
classer chaque parti en fonction d'une doctrine idéologique particulière. Par conséquent,
les militants et les militantes ne sont pas toujours engagés dans un parti en fonction de
leurs opinions. Les raisons du choix relèvent plutôt de la stratégie d'accès au pouvoir.
213
L'authentique n°135 du 29 septembre 2003.
214
L'Authentique n°115 10 mars 2003.
153
idéologiques des protagonistes. Elle insiste sur l'aspect tactique du phénomène. Les
entretiens évoquant la vie politique mauritanienne mettent l'accent sur la logique tribale.
Les partis ne sont pas considérés comme des tribus, mais les stratégies élaborées pour
accéder au pouvoir sont appréhendées comme celles élaborées pour devenir le chef d'un
groupe tribal. L'adhésion à un parti est une alliance de circonstance215. Elle n'est pas
perçue comme une fin en soi.
Parmi ces parcours politiques, nous avons isolé celui de A. Issu d'une famille des Oulad
Nacer, il fit partie de cette génération très militante qui s'est engagée en politique à
partir du lycée puis à l'Université dans les années 60 et 70. Du temps du parti unique il
était dans la clandestinité aux côtés des Kadihines du PKM d'inspirations marxiste et
maoïste. Après l'avènement des militaires, il parvint au pouvoir et fut notamment
ministre de l'économie en 1984. Ecarté du pouvoir, il s'activa ensuite dans l'opposition
et lorsque le multipartisme fut autorisé au début des années 90, il passa de l'UFD à
l'UFD-ère nouvelle, puis à l'UDP et finit par rejoindre le PRDS. Cette évolution peut
être envisagée comme celle d'un jeune homme d'abord révolté qui s'est ensuite assagi
puis s'est inscrit dans le jeu politique actuel. Cependant, nous pouvons choisir de ne pas
faire de son itinéraire uniquement un parcours individuel. Son entrée progressive dans le
PRDS qui lui a ouvert les portes de prestigieuses nominations n'est pas liée au seul
individu. À chaque transfert d'un parti à l'autre, il a été suivi par ses soutiens. Dans son
village, beaucoup étaient opposants avec lui. Soit, déjà opposants, ils le considéraient
comme un renfort bienvenu, soit ils trouvaient plus judicieux de s'abriter derrière sa
personnalité même en le suivant dans l'opposition. Ces derniers constituaient une masse
dont le choix de l'opposition était lié au choix de ce leader. Aussi lors de son entrée au
PRDS, la plupart d'entre eux l'y ont rejoint.
Nous pouvons alors interpréter cela du triple point de vue de “l'entrepreneur politique“,
de ses soutiens et des gouvernants. Le premier a d'abord étendu son influence dans un
village, noyau d'une fraction pour ensuite pouvoir peser dans les choix de nomination
pour les postes gouvernementaux. Son adhésion au PRDS pourrait avoir été la
contrepartie d'une promesse de nomination. De leur côté, ses soutiens, en le choisissant,
ont fait le pari de sa réussite politique pour ensuite en récolter quelques avantages.
215
Zekeria Ould Ahmed Salem, Sur la formation des élites politiques et la mobilité sociale en Mauritanie.
op. cit.
154
Enfin, les gouvernants, en lui proposant un poste, sont parvenus à ramener en leur sein,
une partie de la population d'un village qui demeurait dans l'opposition.
Un investissement économique
Si la réussite politique peut constituer une ressource économique, le passage par
l'opposition peut constituer un facteur d'appauvrissement. La plupart des emplois de la
fonction publique qui assurent un haut niveau de revenu ou qui permettent d'accéder aux
décisions concernant les projets de développement sont réservés aux membres du
PRDS. Les opposants doivent se contenter des emplois moins valorisables ou bien
compter sur leur fortune personnelle ou familiale. Malgré ce handicap financier,
l'opposition reste active. Comment un opposant peut-il alors s'attirer le soutien d'une
population sans constituer une ressource financière immédiate ? Les habitants d'une
localité n'ont-ils pas intérêt à soutenir un intermédiaire politique qui puisse agir en leur
faveur plutôt qu'un opposant affaibli par sa position d'opposant ? Ce choix peut avoir
deux explications qui ne sont pas exclusives. D'un côté, les habitants d'une localité qui
ne bénéficient pas d'aménagements conséquents peuvent s'estimer lésés. Leur stratégie
au sein du parti de la majorité ne leur rapportant pas suffisamment, un passage dans
l'opposition leur coûterait relativement peu et mais permettrait de marquer leur
mécontentement. D'un autre côté, le groupe tribal peut prendre conscience de son
importance numérique qui correspond à un potentiel de voix. En choisissant de soutenir
l'opposition, il fait le pari que le PRDS se sentira menacé par sa défection et qu'il mettra
tout en œuvre pour y remédier. Cela peut consister à promettre la réfection d'un barrage
ou la nomination d'un membre de la localité à un poste important. Ces deux possibilités
consistent à sortir le lieu-noyau du circuit piloté par les partis de la majorité pour qu'il
devienne ou redevienne un des centres de l'attention de l'appareil étatique. En excentrant
le lieu, il impulse une certaine dynamique au pouvoir politique obligé de tenir compte
de ce lieu qui lui échappe.
155
perspective ces dynamiques et ces logiques politiques car nous avons assisté à
l'ensemble de son déroulement.
Cette pratique de la tente révèle également les changements d'orientation des stratégies.
Lorsqu'une famille décide d'apporter son soutien à un autre candidat, sa tente change de
“couleur”. En revanche, il est plus difficile pour l'observateur de saisir ce qui a
provoqué ce changement. Il s'avère que chaque tente dressée est un enjeu dans des
négociations. Celui qui dresse une tente pour un candidat de l'opposition montre au
PRDS qu'il s'oppose à lui. Le parti doit alors agir pour que cette opposition devienne un
soutien. Son action peut se traduire par une transaction financière. La nuit, une
délégation se rend dans la localité concernée. Une réunion est organisée. Le lendemain,
156
la tente n'affiche plus les mêmes portraits. Dans la même logique, des cadres du PRDS
financent des tentes. En plus du thé et des aliments, ils versent de l'argent aux familles
qui les animent. Le soutien affiché à l'opposition peut durer quelques jours. Il peut
résulter de la déception de certaines familles de ne pas avoir été financées par le PRDS.
Si leur tente est active et fréquentée, elles peuvent espérer un geste du parti. De même,
la campagne sert de tremplin politique et social en offrant à une famille la possibilité de
prendre de l'importance auprès des habitants de la localité comme auprès des dirigeants.
Cet aspect économique se traduit également dans les adwaba. Pour les candidats de
l'opposition, ces villages de cultivateurs haratin semblent être des terrains privilégiés.
Ils sont parmi les plus pauvres de la population mauritanienne et ne bénéficient que
marginalement des aménagements. Toutefois, le discours du candidat Messaoud Ould
Boulkheir, qui prône la solidarité entre tous les haratin face à leurs anciens maîtres, ne
parvient pas à emporter leur soutien. Lors de leur passage dans les adwaba, le discours
des opposants est favorablement accueilli, mais les visites du PRDS sont en général plus
convaincantes. Elles rappellent que seul le soutien au PRDS offre la possibilité future
d'obtenir le soutien de l'administration. Des adwaba affichent un jour leur soutien à
l'opposition, mais les jours suivants elles se rallient au PRDS. Ainsi, le paysage évolue
en fonction des alliances et des séparations qui sont grandement liées à des
revendications matérielles et financières.
216
Richard Banégas, Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin, op.
cit.
158
Tableau 4 : Résultats par wilaya des élections présidentielles de 2003 triés par ordre croissant
des parts de suffrages du candidat Ould Sid'Ahmed Taya
Les résultats les plus pertinents sont ceux de chaque bureau de vote. Chaque bureau
correspond à une ou plusieurs localités, or la localité est le plus petit holisme isolable.
Le bureau, plus que la commune ou la moughataa, est l'échelle à laquelle nous pouvons
saisir les choix électoraux des localités. C'est entre eux que nous pouvons constater les
plus grandes disparités. Malheureusement, les résultats officiels par bureau ne nous ont
pas été communiqués et ne figurent pas dans les journaux. Le contexte politique, sur
lequel nous reviendrons, et le fait que les observateurs étrangers n'aient pas été acceptés
peuvent expliquer nos difficultés d'accès aux résultats. En conséquence, nous nous
sommes contentés des résultats recueillis auprès des sièges des partis de l'opposition.
Ces résultats sont très partiels et ne sont pas totalement fiables, mais ils révèlent des
disparités importantes et intéressantes dans les communes de Benaman, d'Agjert et de
Hassi Ehel Ahmed Bichna.
159
avoir une lecture géographique et tribale. Ce sont les Oulad Nacer de l'Est mauritanien
qui ont été principalement touchés. L'un des meneurs de la tentative est effectivement
membre de cette tribu. S'en est suivi le licenciement de plusieurs cadres de la tribu dont
le wali de Nouadhibou, le président du conseil constitutionnel et la secrétaire d'état à la
condition féminine. La représentation de la tribu entière dans la capitale politique en a
été affaiblie. De plus, de nombreux militaires de la tribu ont été faits prisonniers et
n'étaient pas encore jugés lors des élections. Les familles des prisonniers et notamment
les femmes se sont beaucoup activées durant la campagne en manifestant dans les rues
de la capitale.
La tentative de coup d'état a mis les Oulad Nacer dans une position de faiblesse, mais
les raisons de leur implication peuvent apporter d'autres explications à leur situation vis-
à-vis du régime en place. Les raisons que nous allons avancer s'appuient sur des
entretiens, des observations et des articles de journaux. Elles peuvent être contestées,
mais elles nous semblent être celles les plus partagées par nos interlocuteurs. De
manière générale, cette tribu guerrière soutient le régime de Ould Sid'Ahmed Taya
depuis son accès au pouvoir, mais ce soutien s'accompagne d'un ressentiment qui s'est
manifesté durant la campagne. Nombre de ses membres ont le sentiment de ne pas
recevoir suffisamment en contre-partie de ce soutien.
A l'intérieur même de la tribu, toutes les fractions ne sont pas dans la même situation.
Les Abdul Wahab demeurent bien représentés puisque le président de l'Assemblée
Nationale est toujours un des leurs. En revanche les Amar Taleb se sentent les plus
méprisés par l'État. Ils se revendiquent comme étant les plus nombreux et les plus
studieux de la tribu et déplorent ne bénéficier d'aucun poste intéressant. Sur le plan
démographique, ils habitent dans deux grands villages, Agjert et Hassi Ehel Ahmed
Bichna représentant plus de 1600 habitants et dans plusieurs autres localités de la
commune de Hassi Ehel Ahmed Bichna. Même si nous n'avons pas de données précises
concernant les autres fractions, nous pouvons supposer que cette fraction n'est pas la
moins nombreuse. Par ailleurs il est vrai que plusieurs familles sont parvenues à
envoyer leurs enfants étudier en France et qu'aucun de leur membre ne dispose d'un
poste à responsabilité dans le gouvernement.
160
Deux attitudes antagonistes : le soutien de la gemaa des Oulad Nacer…
Face à cette situation les Oulad Nacer ont adopté deux attitudes antagonistes. La
première a consisté à s'opposer au président sortant durant la campagne en solidarité
avec les prisonniers et la seconde à lui apporter un soutien ostensible de manière à
récupérer les postes perdus. À l'intérieur d'une même tribu deux stratégies se sont donc
affrontées.
A la fin du mois d'août 2003, l'ensemble de la tribu a tenu une réunion à Ayoun pour
adopter une position et une stratégie commune dans ce contexte politique. Malgré
quelques tensions avec la fraction des Abdul Wahab217 la tribu a décidé d'afficher un
soutien public à Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya. Cette position relayée dans la
presse218 a été accompagnée de commentaires officieux qui précisaient que ce soutien
était un soutien de circonstance. La tribu a pris acte du fait que le président sortant allait
être réélu. La stratégie consistait donc à ne pas s'exclure d'avantage en choisissant
l'opposition. Le but était de conserver les quelques positions de la tribu au sein de l'État
pour en conquérir d'autres à l'issu du scrutin. Autrement dit, il fallait rester proche de la
centralité politique. Durant la campagne, c'est ce discours qui a été tenu aux opposants
de la tribu.
Cette stratégie a été suivie par la plupart des cadres influents de la tribu, adhérents au
PRDS. C'est sur leur influence que comptait le parti pour remporter les élections dans la
wilaya. Ainsi, lors de réunions nocturnes à Hassi Ehel Ahmed Bichna, le PRDS a
envoyé les deux principaux leaders de la fraction des Amar Taleb. À Gounguel, il a
envoyé des cadres de la fraction Lanatra depuis Ayoun et Nouakchott. Ces leaders
bénéficient d'une certaine légitimité liée à leur activité politique passée. De plus certains
ont une situation financière très confortable et dépendante des choix du président
sortant. Ils ont donc une forte influence sur la position des habitants de ces villages.
Lors de ces réunions nocturnes, ce n'est pas seulement le discours du PRDS qui a été
diffusé. Celui de la tribu des Oulad Nacer a également été entendu. Il a visé à maintenir
les lieux-noyaux des groupes tribaux se rattachant à cette tribu à proximité de la
centralité politique pour ne pas en être exclus.
217
L'authentique n°135 du 19 septembre 2003.
218
Le Calame n°412 du 1er octobre 2003.
161
…et les foyers d'opposition
A l'inverse, certains groupes ont préféré quitter l'emprise du PRDS dans la perspective à
long terme de rapprocher la centralité de leur noyau. Durant la campagne cela s'est
traduit par l'opposition manifeste affichée par d'importantes localités des Oulad Nacer
contrastant avec des localités voisines acquises à la cause du président sortant.
L'opposition au PRDS n'est en effet pas diffuse ni constante sur l'ensemble du territoire.
Elle est localisée. Deux localités proches peuvent avoir deux positions opposées.
D'après nos observations dans les moughataa d'Ayoun et de Kobenni, l'opposition a
connu deux phases durant la campagne. La première est liée aux stratégies
d'investissement politique évoqué plus haut. Durant cette phase, les opposant furent
nombreux et dispersés dans la plupart des localités, mais une fois le temps des
négociations avec le PRDS passé, ces opposants, pour un grand nombre, se sont ralliés
au parti de la majorité. Durant la seconde phase, sont demeurés réfractaires au PRDS les
opposants au régime par solidarité avec les prisonniers et par ressentiment vis-à-vis du
président sortant. Ces derniers se regroupaient dans des foyers localisés. Les localités
concernées ont été l'enjeu d'une intense compétition qui a vu se succéder les équipes de
chaque candidat. Parmi ces localités, nous avons recensé Gounguel, Benaman,
Slelehiye, Kobenni et Hassi Ehel Ahmed Bichna. Ce recensement ne s'appuie que sur
nos propres observations. Il se peut que d'autres localités aient connu la même situation.
D'une manière générale, plus le jour du scrutin approchait, plus les foyers d'opposition
diminuaient en nombre et en intensité. Les résultats que nous avons obtenus sont alors
les seuls indicateurs permettant de savoir quelles sont les localités qui sont demeurées
dans l'opposition jusque dans le bureau de vote.
162
Tableau 5 : Résultats partiels de 25 bureaux de vote triés par ordre décroissant des résultats
des opposants
Alors que 76% des électeurs de la wilaya ont voté pour Ould Sid'Ahmed Taya, huit des
vingt-cinq bureaux dont nous avons les résultats ont donné des scores favorables aux
opposants dont l'ensemble des suffrages dépassaient celui du candidat sortant. Parmi ces
bureaux seuls cinq donnent des résultats équilibrés entre 33% et 67% pour l'opposition.
Dans les vingt autres, soit l'opposition l'emporte avec plus des 2/3 des suffrages, soit
elle est battue avec moins d'1/3 des suffrages. Cela confirme notre postulat de départ qui
posait la localité comme le seul holisme possible. Chaque bureau, qui représente une
grande localité et quelques autres plus petites, s'est prononcé de manière assez marquée
pour un camp ou pour un autre.
163
Les électeurs de Hassi Ehel Ahmed Bichna et ceux de Slelehiye Est ont en majorité voté
contre Ould Taya, confirmant leur opposition affichée durant la campagne. Parmi les
autres localités que nous avions mentionnées comme étant des foyers de l'opposition, il
nous manque les résultats de Kobenni. Pour Benaman, nous n'avons que des résultats
partiels mais ils laissent penser que le candidat sortant n'y a pas obtenu une majorité
supérieure à la moyenne de la wilaya. En ce qui concerne Gounguel, l'opposition a
totalisé 43% des suffrages. Dans l'ensemble, les foyers d'opposition se sont maintenus.
La plupart des bureaux dont nous avons les résultats concernent des électeurs des Oulad
Nacer. Cinq bureaux étaient situés dans des localités de la fraction des Amar Taleb
(Agjert El-Amel, Agjert, Hassi Ehel Ahmed Bichna, Debay Terteggue et Debay Chara).
Dans quatre, dont les deux adwaba, l'opposition a obtenu la majorité. La carte révèle
bien l'opposition entre Agjert El-Amel et Agjert. Les deux localités sont habitées par
des Amar Taleb et distantes de seulement deux kilomètres, mais seule la première
nommée compte parmi ses résidents un cadre du PRDS. À l'inverse des Amar Taleb, les
trois bureaux des Abdul Wahab (Agava, Leghlig et Sawena) ont largement plébiscité le
président (Cf. fig. 6).
164
Figure 6 :
165
Ces résultats partiels confirment donc en partie les foyers d'opposition et la position de
deux fractions des Oulad Nacer, la première très bien intégrée à l'État et la seconde qui
en est exclue. Les stratégies utilisées par le PRDS pour influencer ce vote ont
partiellement échoué. La redistribution ou la promesse d'une redistribution comme le
poids de personnalités très intégrées à l'État n'ont pas toujours suffi. La volonté des
habitants de certaines localités de la bediyya s'est parfois imposée aux moyens mis en
œuvre par l'appareil étatique. Ce vote est autant un rejet du président que celui des
cadres politiques de ces localités ou de ces fractions. Ces derniers ont été désavoués par
leur base électorale, révélant ainsi sa capacité à agir dans le pouvoir politique depuis la
bediyya. Au final, aucune des deux stratégies des Oulad Nacer ne s'est avérée payante.
Ceux qui ont choisi l'opposition, ont certes étendu leur influence auprès des électeurs
s'étant opposé au président, mais ils ne sont pas parvenus à le renverser et donc ne sont
pas parvenus à attirer la centralité sur leur localité. Ceux qui avaient choisi le soutien
n'ont pas été récompensés lors de la constitution du nouveau gouvernement219 puisque
aucun Oulad Nacer n'a été choisi comme ministre ou secrétaire d'état.
L'étude de cette phase de la représentation que constituent les élections nous a permis de
souligner quelques éléments essentiels du pouvoir politique mauritanien. Les lieux-
noyaux de la bediyya constituent une unité sociale dont le groupe suit une stratégie
commune. Cela ne signifie pas qu'ils sont uniformes. Les présidentielles révèlent des
conflits entre les habitants de ces localités et certains de ceux qui y sont liés et qui sont
censés défendre leurs intérêts dans les lieux de convergence. Ces conflits ont porté sur
le choix du candidat, mais les résultats du scrutin ont montré une certaine unité du
groupe. Ils ont aussi porté sur la position des entrepreneurs politiques. Ces derniers se
sont trouvés pris entre la stratégie de la base et celle de la direction centrale du PRDS.
Dans plusieurs cas, la base a contrecarré la volonté du sommet en désavouant les choix
des intermédiaires soutenus par le PRDS. Du point de vue du sommet, de la base et des
intermédiaires, le contrôle des lieux-noyaux s'est avéré déterminant pour le contrôle du
pouvoir politique. Les stratégies politiques des groupes consistent en fait à se
rapprocher de la centralité en soutenant les dirigeants actuels ou bien à tenter d'attirer la
centralité vers leur lieu-noyau en se positionnant hors du champ du PRDS, c'est-à-dire
dans l'opposition.
219
Le Calame n°420 du 3 décembre 2003.
166
Le retour politique au terroir comme volonté étatique de contrôle de la
bediyya
Chaque lieu-noyau est potentiellement central dans la dynamique politique
mauritanienne car chaque groupe peut accéder au sommet de l'État, annexant, en
quelque sorte, la capitale à sa localité. Face à ces forces centrifuges qui cherchent à
rapprocher la centralité de leur noyau, l'État cherche à attirer ou à conserver ces lieux
sous son emprise. Durant la campagne, nous avons vu comment cette stratégie se
traduisait par la redistribution de richesse. En dehors des périodes électorales, les
actions dirigées vers les lieux de la bediyya se poursuivent. L'une de ses formes les plus
visibles est la politique de retour au terroir menée par le gouvernement et le président
mauritaniens.
Ce que nous appelons ici le “retour au terroir” ne renvoie pas au dispositif mis en place
dans les années 1980 consistant à mettre à la disposition de tous les cultivateurs de
Nouakchott des moyens de transport gratuits pour aller travailler dans les champs à
l'intérieur du pays. L'expression renvoie à une politique volontariste mise en œuvre de
manière explicite à partir de 2001. Son principe est d'inciter les Mauritaniens fortunés à
ne plus dépenser leur argent à l'étranger mais à l'investir dans le pays. L'objectif n'est
pas tant d'éviter la fuite de capitaux que de mieux contrôler les villes et les localités de
l'intérieur. Nous présentons d'abord le discours prononcé à Guérou par le Président
mauritanien qui résume et impulse cette politique. Puis, en nous appuyant sur nos
entretiens et sur l'observation de quelques évènements politiques, nous verrons
comment cette politique s'inscrit dans une tendance plus profonde de la dynamique
sociale maure qui relie la bediyya à la ville.
220
Cf annexe 5
167
Le discours de Guérou
Guérou est une ville située sur la route de l'Espoir à quarante kilomètres à l'Ouest de
Kiffa. Peuplée de 25000 habitants au recensement de 2000, elle est reconnue pour le
dynamisme commercial et politique de ses ressortissants. Elle symbolise le
développement rapide grâce à la réussite de ses cadres à Nouakchott. Cela peut
expliquer pourquoi le président a choisi d'y prononcer son discours. En effet, il prend
Guérou comme un exemple de ce que devrait être les autres villes et “les autres
moughataa du pays”. Il félicite ses habitants pour la construction de leurs maisons en
pierre qui permet la “modernisation du cadre de vie”.
Le discours, s'il rejette les idées “rétrogrades”, s'appuient néanmoins sur des éléments
traditionnels de la culture maure. Il oppose les dépenses à l'étranger au ressourcement
auprès des populations du terroir. La critique des séjours à l'étranger fait référence à
l'attirance qu'exerce une destination comme Las Palmas aux îles Canaries sur les élites
168
économiques. Le nom de cette île espagnole est aujourd'hui devenu le surnom de l’un
des quartiers les plus huppés de Nouakchott. Il symbolise le faste et l'abondance. En
incitant au retour aux sources, le discours renvoie à des valeurs de la société nomade
“traditionnelle” comme la sobriété, la famille, la bediyya qui sont susceptibles de
trouver un écho favorable dans la population. Il appelle en effet à “renouer avec l'arrière
pays” et à passer des “vacances familiale dans le terroir”.
221
Cheikh El Mehdy Ould Sidina, op. cit, p 47-51.
169
de plusieurs couleurs, essentiellement le blanc, le rouge brique et le jaune sable,
permettent d'orner les façades avec des motifs géométriques. La qualité de ces
décorations, autant que la taille de la maison, est un élément de prestige du propriétaire.
L'évolution des constructions en pierre dans la ville d'Ayoun peut constituer à ce titre un
élément de mesure des effets de la politique du retour au terroir. Nous n'avons pas mené
d'enquête exclusivement ciblée sur ce phénomène et ne disposons que de l'étude menée
par Cheikh El Mehdi Ould Sidina en1984 sur l'évolution de l'habitat urbain, d'un
entretien avec un géographe de la ville et de nos propres observations. Aussi, à défaut
de faire preuve, notre présente démonstration se veut plutôt une hypothèse forte à
vérifier ultérieurement.
Toute nouvelle construction n'est pas seulement une nouvelle habitation. C'est
également la marque de la présence d'une famille dans la ville. L'importance de la
famille dans le paysage politique de la ville se traduit en partie par la qualité et la
visibilité de son habitat. Ainsi, lorsqu'un membre de “l'élite intellectuelle ou
économique” fait construire une belle maison à Ayoun, il s'inscrit dans cette politique
de retour en marquant son attachement à la ville.
170
D'autre part, un géographe mauritanien, Sidi Mohamed Ould Haimad, émet l'hypothèse
que ces maisons ne sont pas intégrées à la ville mais qu'elles sont, soit tournées vers la
bediyya, soit tournées vers Nouakchott. Leur situation le long de la route et en
périphérie, permet d'avoir un accès rapide au marché tout en étant proche de la bediyya.
Beaucoup de propriétaires conservent en effet quelques vaches près de leur maison pour
leurs besoins en lait, ce qui nécessite de l'espace et la proximité des pâturages. Ainsi, ils
concilient deux objectifs. Ils montrent aux Ayounois leur attachement à leur ville et se
reposent comme s'ils étaient dans la bediyya.
Les principaux cadres du comité central, dont le ministre de l'intérieur d'alors, se sont
alors déplacés dans le Hodh durant quatre jours. L'affluence des Nouakchottois
originaires du Hodh El-Gharbi durant ces quatre jours fait de ce séminaire une occasion
de vérifier les effets du discours prononcé à Guérou. Il souligne en effet l'importance
pour les cadres d'un séjour même d'une seule semaine lors des visites officielles. La
plupart des entrepreneurs politiques étaient ainsi au rendez-vous. Ce séminaire s'est
déroulé neuf mois avant les élections présidentielles de novembre, ce qui le place dans
222
Zekeria Ould Ahmed Salem, op. cit, p 215.
171
la perspective de la campagne. L'objectif du retour au terroir visant à encadrer et à
orienter les populations de l'intérieur du pays en incitant les cadres à revenir au pays
semble ici trouver une concrétisation.
Si ces journées avaient pour but affiché de débattre au sein du parti, ce qu'en ont retenu
les journaux, les intéressés et les habitants tient plutôt dans le caractère démonstratif de
la manifestation. Tout d'abord le déplacement de ces cadres ne s'est pas déroulé de
manière anonyme ni individuelle. C'est en convoi d'une cinquantaine de voitures que
beaucoup ont parcouru la distance les séparant de la capitale. Ce procédé permet au
parti de montrer son importance numérique aux habitants d'Ayoun et à ceux qui bordent
la route. Ensuite, les maisons de l'Est de la ville se sont repeuplées et en marge de ces
journées, de nombreuses “invitations” y ont été organisées. Ceux qui disposaient de
maisons suffisamment spacieuses ont ainsi pu organiser des réceptions en invitant des
membres du comité central du parti et des personnalités de la région. Ces réceptions
n'alimentaient pas que les conversations dans les rues de la ville, elles firent l'objet de
plusieurs paragraphes dans un article du journal l'Authentique couvrant l'événement223.
Elles répondaient simultanément à deux objectifs de leurs hôtes. Le premier était de
montrer leur engagement en faveur du parti à ses principaux dirigeants en engageant des
dépenses conséquentes. Le second était de montrer aux habitants de la région leur
pouvoir au sein du parti en réussissant à faire venir chez eux ces principaux dirigeants.
Ce caractère démonstratif révèle les enjeux de chacun. Le PRDS montre sa force aux
futurs électeurs pour la campagne qui s'annonce et les cadres originaires de la région se
positionnent vis à vis de ces électeurs mais également vis à vis de la direction du parti.
Nous retrouvons là l'articulation des logiques étatique et tribale du pouvoir politique et
la relation entre le sommet, les intermédiaires et la base qui se matérialise dans un lieu
de convergence, mais excentré par rapport à la capitale.
172
déplacement de la centralité, par ceux qui contrôlent l'État, vers la bediyya pour
conserver ses lieux et leurs habitants dans leur champ d'attraction. Ces lieux
apparaissent d'autant plus incontournables que leurs groupes tribaux sont également
capables de peser sur le pouvoir politique. Ils peuvent choisir de se rapprocher de la
centralité politique en s'intégrant dans l'État ou choisir de s'en éloigner pour attirer la
centralité vers eux.
223
L'Authentique n°115 du 10 mars 2003.
173
Chapitre 8 : Concurrence dans l’accès à l’État pour
l’aménagement des lieux-noyaux
Dans cette optique, les lieux de la bediyya constituent des ressources politiques dont les
protagonistes en concurrence dans l’accès au pouvoir ne peuvent se passer. Non
maîtrisés par l'État, ces lieux et les groupes qui s'y rattachent risquent de lui échapper et
de sortir de son champ d’attraction. Non contrôlés par les intermédiaires, ils ne leur
apportent pas le soutien nécessaire à leur reconnaissance politique. En revanche, ils ne
constituent pas une ressource économique majeure. Pour financer l'aménagement de ces
lieux, les groupes doivent être intégrés dans l'État qui est le passage obligé vers l'accès
aux richesses. Cette intégration permet soit de recevoir une part des rentes étatiques, soit
de diriger les projets d’aménagement vers leur noyau. Ainsi, l'importance d'une localité
dépend de la capacité de son groupe à lui procurer l'assistance financière et matérielle
nécessaire à son développement, assistance qui dépend de la qualité de l’intégration du
groupe dans l’administration. En étudiant les circuits financiers et économiques qui
transitent par la matrice pour être acheminés vers la bediyya, nous pourrons d’une part,
comprendre comment s’articulent les logiques étatique et tribale dans cette circulation,
et d’autre part, envisager la centralité politique non pas comme circonscrite dans un site,
mais plutôt dans la relation entre la ville et les lieux-noyaux.
174
Des cultivateurs dépendants
Dans la bediyya, l’agriculture se présente sous deux formes. Dans la plupart des
localités prises en compte dans notre étude sont associées la culture des jardins, zribe,
situés à proximité d’une batha, irrigués par l’eau d’un puits et la culture de champs,
lehlithe, situés en amont d’un barrage et mis en culture quand l’eau de pluie retenue
commence à se retirer. C’est l’agriculture de décrue derrière barrage. Les jardins sont à
proximité de la localité et les champs souvent distants de un ou plusieurs kilomètres.
Les deux sont découpés en parcelles distribuées entre les habitants de la localité. Les
parcelles appartiennent souvent à des Beidhan, mais ce sont presque toujours les haratin
qui les cultivent. Les champs donnent des haricots et du mil et les jardins, des oignons,
des salades, des tomates, mais ces récoltes ne fournissent qu’un appoint à l’alimentation
des localités et un revenu complémentaire pour ceux qui cultivent. Par ailleurs, champs
et jardins nécessitent des aménagements que les seuls cultivateurs ne peuvent financer.
Les revenus tirés de l’agriculture ne peuvent constituer l’essentiel des ressources des
habitants de la localité.
Les adwaba
La seconde forme est celle des adwaba. Dans ces localités habitées exclusivement par
les haratin, l’agriculture est la principale activité de production. Elle est accompagnée
de l’élevage de quelques bovins, d’ovins et de caprins qui ne nécessitent pas de
transhumances. Les adwaba sont plus nombreux dans le Sud de la wilaya et notamment
dans la moughataa de Kobenni où les précipitations sont plus élevées, mais nous nous
sommes essentiellement intéressés à ceux situés autour d’Ayoun et dans la commune de
Hassi Ehel Ahmed Bichna. Parmi les localités prises en compte lors de notre enquête le
long de la route goudronnée, une seule est un debay (singulier d’adwaba). Il s’agit de
Havrat Adressa.
Les groupes qui se rattachent à ces adwaba sont pour la plupart dépendants d’un groupe
tribal de Beidhan. Malgré leur statut d’affranchis, les haratin demeurent liés à leurs
anciens maîtres. Leur émancipation spatiale ne correspond pas toujours à leur
émancipation sociale. Les habitants de la wilaya attribuent chaque debay à une fraction
particulière. Sawena est considéré comme lié aux Abdul Wahab. La toponymie révèle
également cette dépendance. Le nom de certains adwaba comportent le terme “debay”
175
précédé ou suivi d’un nom de localité ou du nom d’une fraction. Debay N’Savenny est
un debay qui dépend du village de N’Savenny et Debay Ehel Amar Taleb dépend de la
fraction des Amar Taleb. Le lien de subordination est plus net dans le discours des
supposés maîtres. Ils considèrent ces localités comme “leur debay”et les habitants
comme “leurs haratin”. Il semble en fait que ce sont surtout le barrage et la partie
cultivée qui sont revendiquées par les anciens maîtres.
Sur le plan économique, les adwaba sont en mesure de couvrir une grande partie de
leurs besoins, mais pas la totalité. Les revenus de leur production ne les mettent pas à
l’abri de la sujétion. D’une part, lors des distributions d’aides alimentaires, les habitants
des adwaba sont dépendants de ceux qui les recensent et qui contrôlent la répartition
des denrées. Ces derniers sont souvent leurs anciens maîtres. D’autre part, les
investissements pour installer une pompe à pied, à main ou éolienne ou pour construire
et réparer un barrage sont trop lourds pour être assumés par les seuls habitants. Il leur
faut recourir à une autre aide. En l’absence de soutien de la part de leurs proches, la
solution passe souvent par les anciens maîtres.
Dans l’Est mauritanien, l’agriculture ne constitue pas une source de richesse suffisante
pour assurer l’autonomie des agriculteurs. Même lorsqu’ils se regroupent dans des
villages et pour cultiver les mêmes champs, ils ne peuvent se passer d’un soutien en
dehors du village. Ce soutien n’est pas un échange marchand entre leur production et
des biens de consommation, mais plutôt un échange entre allégeance et protection. Par
ailleurs, les agriculteurs sont placés dans des rapports de subordination avec ceux qui
possèdent la terre ou avec ceux qui les soutiennent. Certes, l’agriculture procure des
revenus à certains, mais elle ne constitue pas un enjeu majeur du pouvoir politique. La
possession de terres cultivables et leur mise en valeur n’est pas la condition de l’accès
au pouvoir. Elle n’est pas un moyen de production à s’accaparer pour s’enrichir. Alors
pourquoi les Beidhan revendiquent-ils toujours la propriétés des surfaces cultivées ?
Nous émettons l’hypothèse qu’ils s’agit de contrôler ceux qui produisent plutôt que la
production. Protéger et/ou contrôler ceux qui produisent permet de s’accaparer le
soutien d’une grande partie de la population et ainsi de pouvoir prétendre à l'accès au
pouvoir politique.
176
L'élevage, une pratique sociale autant qu'économique
L’élevage présente la même configuration dans le sens qu'il rapporte plus en termes de
reconnaissance sociale qu’en termes de recettes, mais à l’inverse de l’agriculture, il
occupe une place plus prestigieuse dans l’imaginaire de la culture maure. Par ailleurs les
éleveurs ne constituent pas une catégorie aisément identifiable. Ce ne sont pas
exclusivement des haratin car les Mauritaniens, de près ou de loin, “sont tous des
éleveurs”224. Soit ils possèdent, ou ont possédé, des animaux, soit ils s’en occupent
directement. Nous avons vu dans le chapitre 6 l’importance sociale et culturelle de
l’élevage. Toutefois, nous devons ici mieux cerner son rôle économique. Durant la
sécheresse du début des années 1970, une grande partie du cheptel a disparu et de
nombreux éleveurs ont été ruinés. Les riches commerçants et fonctionnaires ont alors
profité de la chute des prix du bétail pour constituer leur troupeau225. Ils sont devenus
propriétaires des animaux et salarient des bergers, pas uniquement des haratin, pour
s’en occuper. Parmi ces grands propriétaires, certains tirent des revenus de l’élevage,
mais pour beaucoup il s’agit d’une activité complémentaire. Ils sont riches donc
éleveurs et non riches parce qu’éleveurs. Il existe aussi des éleveurs qui sont
propriétaires de leur troupeau et qui vivent presque uniquement de cette activité. Malgré
toute la noblesse d’un bédouin parcourant les pâturages, perché en haut de son chameau,
l’activité de l’élevage est aujourd’hui réservée aux groupes les plus éloignés du pouvoir
politique. Ces éleveurs et les bergers sont les deux catégories sociales qui ne vivent
presque que de l’élevage.
Les seconds sont souvent des salariés, même si une partie de leur salaire leur est payé en
nature. Cependant, ce salaire n’est pas qu’une partie de la valeur ajoutée issue de
l’élevage en tant que production. Ce ne sont pas que les revenus de cette activité qui
permettent aux propriétaires de les rémunérer. Le salaire versé est en grande partie issu
des revenus des activités commerciales, politiques, et salariées exercées ailleurs que
dans la bediyya. Le berger ne vit pas de l’élevage, mais des autres activités de ceux qui
possèdent les troupeaux. Dans une localité dont la vocation première est l’élevage selon
le recensement de 1988, la plupart des résidents exercent une activité liée à l’élevage.
224
Discours du ministre de développement rural et de l’environnement, Ayoun, avril 2003.
225
Pierre Bonte et Abdel Wedoud Ould Cheikh, Production marchande et production pastorale dans la
société maure, Contempory nomadic and pastoral people Africa and latin America studies, in Third Word
societies, Washington, 1983, n° 17, p 31-56.
177
Pourtant ce n’est pas lui qui génère les revenus, mais les liens du lieu-noyau avec les
lieux de convergence.
La tribu qui nomadise au Nord de Vaugouz possède un cheptel réputé important qui
constitue un capital conséquent226. Néanmoins, elle ne peut se contenter d’élever des
animaux autour de son campement. Elle a besoin de se connecter à des lieux de
convergence. Ainsi, quelques-uns de ses membres se sont installés à Vaugouz où ils
pratiquent un peu le commerce. Un autre gérait une boutique à Ayoun puis est parti à
Nouakchott. Cette connexion par le commerce demeure insuffisante. Lorsqu’ils
recherchent de meilleurs pâturages, ils doivent négocier avec ceux qui contrôlent ces
pâturages. Ils doivent ainsi demander l’hospitalité aux Oulad Chbeichib et se placer
sous leur coupe. D’autre part, ils ont parfois besoin de financements pour entretenir ou
construire des puits cimentés. Ces financements ne sont disponibles que par l’accès à un
lieu de convergence. Or aucun d’entre eux ne possède de maison à Ayoun. Lorsqu’ils
s’y rendent, ils n’y passent souvent que la journée car ils n’y ont pas de pied-à-terre.
Isolés, ils sont en position de faiblesse malgré la richesse de leur cheptel.
Qu’elles aient une vocation pastorale ou agricole, les localités ne peuvent vivre
exclusivement de ces activités. Les revenus qu’elles procurent par la commercialisation
des produits ne suffisent à couvrir leurs besoins. La richesse d’un groupe tribal dépend
moins de son territoire-ressource et de sa capacité à produire et à commercialiser à partir
de son noyau que dans sa capacité à se procurer des revenus dans les villes.
226
Il est extrêmement difficile de connaître la quantité exacte d’animaux possédés par un éleveur, notre
appréciation ne s’appuie que les ouïe dire.
178
La bediyya durant shteu et seif
Pendant la période de l’hivernage, la quasi-totalité des habitations des localités situées
dans la bediyya est occupée. En revanche, à partir de la rentrée scolaire d’octobre, qui
correspond au début de la saison froide, shteu, la bediyya commence à se dépeupler. Le
phénomène est sensible en ce qui concerne les 41 localités recensées le long de la route
goudronnée. Pour chacune d’entre elles nous avons estimé la proportion des habitations
occupées durant la saison froide et la saison sèche, seif.
Pendant la saison froide, pour 13 des 41 localités, le taux d’occupation des habitations
est inférieur ou égal à 50% et pour 23, soit plus de la moitié, ce taux est inférieur ou
égal à 75%. Pendant la saison sèche, ce sont 23 localités qui sont à moitié vides et 5
sont totalement désertées. Sur l’ensemble, le taux d’occupation est de 67% en saison
froide et de 53% en saison sèche. Les localités prises ici en compte ne sont peut-être pas
représentatives de toutes les localités de la wilaya. Toutefois, la tendance semble
suffisamment nette pour affirmer que les localités se vident d’une grande partie de leurs
habitants une fois l’hivernage terminé. Durant la saison froide mais surtout durant la
période sèche, les conditions de vie dans la bediyya deviennent plus dures. Les animaux
donnent moins de lait, la végétation disparaît progressivement et l’eau se raréfie. Ceux
qui restent sont donc en général ceux qui ont besoin de rester. Ce sont les agriculteurs et
ceux qui s’occupent quotidiennement des animaux. Ce sont aussi des petits
commerçants ou des fonctionnaires. Les autres exercent une activité en ville. Pour au
moins un tiers des habitations, donc des ménages puisque chaque habitation correspond
en général à un ménage, les revenus proviennent de la ville.
179
pas seulement liée à l’exercice d’une activité professionnelle, mais seuls ceux qui
restent dans la bediyya en permanence y exercent leur activité.
227
L’Horizon, n°3558 du 22 septembre 2003.
180
celui d’un enseignant avoisine 20 000. Le mode de financement d’un tel aménagement
nous renseigne sur les origines des revenus de ceux qui le prennent en charge.
Prenons l'enquête sur les puits et les neuf puits en ciments de la batha de Vaugouz (ils
étaient sept en février 2003). Hormis le premier, qui date de la colonisation et qui est
l’œuvre de l’administration française, chacun des huit autres a été foré à l’initiative
d’une famille qui habite le village (ou l’habitait au moment du forage) et qui y est
présente durant l’hivernage. Cette famille en est reconnue comme propriétaire. Ces huit
puits sont postérieurs à 1990. Hors hivernage, seuls les propriétaires de trois d'entre eux
sont présents à Vaugouz. Quatre habitent Ayoun et un à Nouakchott, mais seuls deux
exercent leur activité à Vaugouz ou dans la bediyya avoisinante. Pour certains, ce sont
les enfants qui contribuent aux revenus de la famille. Les autres exercent à Ayoun, pour
deux d’entres eux, à Nouakchott pour un seul et à l’étranger, un aux État-Unis et deux
aux Emirats Arabes Unis. Ils exercent en général dans la fonction publique. Ceux qui
sont à même de financer un aménagement hydraulique sont donc reliés à une ville où ils
travaillent. Nous ne pouvons affirmer que cet exemple soit parfaitement représentatif,
mais les puits qui y ont été forés sont les aménagements les plus simples et les moins
coûteux. Dans les localités équipées de sondages profonds de plus de 50 mètres ou de
châteaux d’eau avec réseau d’adduction, les besoins sont plus élevés et nous pouvons
supposer que les liens financiers avec les villes ne peuvent y être inférieurs. C'est donc
dans la relation à la ville que nous devons chercher suivant quelles modalités les
financements parviennent au bord du puits.
181
d'adduction d'eau. Ces projets d'aménagement transitent pour la plupart par l'État.
Ensuite, ils suivent un circuit établi par ses concepteurs et ses bailleurs pour se
concrétiser sur le terrain. Ces circuits sont des procédures indiquant les modalités du
choix de leur localisation. Ils sont impulsés depuis la capitale, mais s'articulent en fait
avec les stratégies des groupes tribaux qui cherchent à orienter leur destination vers leur
noyau. L'articulation de ces circuits et de ces stratégies renvoie en partie à l'articulation
des logiques étatique et tribale en produisant les modalités de l'action administrative du
pouvoir politique. Pour comprendre comment ces ressources vont du centre étatique aux
lieux-noyaux de la bediyya, nous devons dans un premier temps envisager ces circuits et
les stratégies des groupes pour les court-circuiter. Nous envisagerons ensuite la
spatialité de cette articulation et en quoi elle peut faire avancer la réflexion sur la
centralité politique.
La plupart des financements proviennent donc d'autres sources que les revenus des
membres du groupe rattaché à la localité. Pour huit d'entre elles, les financements ont
transité, en partie ou en totalité, par l’intermédiaire de la direction de l’hydraulique ou
par le ministère du développement rural et de l’environnement (MDRE), c’est-à-dire par
182
des instances étatiques. Les autres financements sont étrangers. Ils proviennent
d’Allemagne, du Japon et des Emirats Arabes Unis. Notre enquête sur les
aménagements confirme cette tendance. Sur dix programmes, huit sont majoritairement
financés par des bailleurs étrangers, mais l'État intervient dans chacun d'entre eux, soit
en tant que maître d'œuvre par l'intermédiaire de ses ministères, soit en tant qu'instance
de tutelle.
183
Tableau 6 : Circuit institutionnel du choix de localisation des aménagements des
bailleurs aux localités destinataires
L'État redistributeur
Dans la première configuration, l’argent des bailleurs étrangers est transmis directement
à l’État, mais avec des objectifs prédéfinis quant à son utilisation. Le ministère concerné
a la charge de mener à bien ce projet. Dans six programmes sur les dix pris en compte,
184
l'État joue ce rôle de redistribution. Pour comprendre ce processus de redistribution,
nous nous appuyons sur l'exemple du PGRNP que nous avons déjà évoqué. Il s'agit d'un
programme essentiellement financé par des fonds étrangers qui permet l’achat de
matériel agricole et l’entretien d’infrastructures hydrauliques. Pour la phase courant de
1996 à 2003, l’État n'a contribué qu'à hauteur de 0,4 millions de dollars et les
bénéficiaires des aménagements à hauteur de 7,5 millions tandis que 18 millions
proviennent de fonds étrangers. Ce budget est confié à la structure du PGRNP qui mène
le programme sous la tutelle du Ministère du développement rural et de l'agriculture. À
Ayoun, l'antenne locale du projet qui pilote les opérations dans la wilaya est hébergée
dans les locaux de la délégation de ce ministère.
L’État peut également déléguer la mise en œuvre des programmes à une organisation
socioprofessionnelle. Pour la troisième phase du projet Elevage, appelée PADEL, les
financements de la Banque Africaine de Développement et de l’OPEP sont gérés sous la
tutelle du MDRE. Comme pour le PGRNP, le siège ayounois du projet est situé dans les
locaux de la délégation du ministère. Cependant, le ministère ne contrôle pas le
programme en intégralité. Le projet a incité la création d’organisations
socioprofessionnelles censées mener à bien les objectifs. C’est ainsi qu’est né le
groupement national des associations pastorales (GNAP). Le ministère décide ensuite
de confier une partie du budget à cette fédération. L’organisation socioprofessionnelle
devient alors l’une des actrices de la gestion du programme tout en restant contrôlée par
le ministère.
L'État superviseur
Dans la seconde configuration, qui concerne quatre programmes sur les dix de l'enquête,
l’État exerce un contrôle sur des programmes menés par des structures étrangères qui a
ses propres salariés, ses infrastructures et sa logistique. C'est le cas du projet Girnem de
la GTZ qui travaille sur l’élevage. Le financement du projet est allemand et toute sa
gestion demeure sous le contrôle de la coopération allemande qui rémunère le
personnel, loue les locaux, etc. Néanmoins, ce n’est pas la GTZ qui a, seule, choisi de
venir travailler à Ayoun. La décision a été prise au début des années 1990 à Nouakchott
avec le gouvernement mauritanien. De même, le Girnem ne décide pas seul des
communes qui bénéficient de leurs aménagements.
185
Les circuits et les courts-circuits des programmes : de l'État à la commune
Qu'il n'exerce que sa tutelle, ou qu'il gère directement les programmes, l'État participe à
un moment ou un autre au choix de la localisation des aménagements pour tous les
projets évoqués. Ce choix s’effectue en plusieurs étapes et à plusieurs échelles. Sur le
plan national, trois des dix programmes ne couvrent pas l'ensemble du territoire
mauritanien. Aussi, c'est au niveau de la capitale que sont choisies les régions qui en
seront bénéficiaires. La décision se prend au niveau des ministères et des sièges des
organismes de coopération. Ensuite, tous les programmes transitent par le niveau
régional. La répartition des aménagements sur le territoire de la wilaya s'effectue à cet
échelon. Elle se décide au niveau de la wilaya ou bien au niveau de la délégation des
ministères concernés. Il s'agit souvent de commissions mixtes qui regroupent le wali, les
délégués des ministères, les représentants des programmes et parfois ceux des
organisations socioprofessionnelles impliquées. Enfin, un programme sur deux implique
la commune pour choisir les localités visées dans cette circonscription. Le maire est
alors institué dans une position d'interlocuteur privilégié des programmes. Dans un sens,
il peut être amené à sélectionner les localités qui se portent candidates pour bénéficier
de financements et dans l'autre il décide de la répartition des aides attribuées à sa
commune.
Dans tous les programmes, des critères parfois très détaillés sont établis par les bailleurs
pour préciser le choix des bénéficiaires. En précisant les règles, ces bailleurs tentent
ainsi de maîtriser l'utilisation de leurs fonds et de contrôler leur répartition jusqu'à
l'échelle locale. Cependant, à chaque niveau, les décisions ne sont pas prises par les
seuls représentants des bailleurs étrangers. Les décisions sont prises par des individus et
des institutions mauritaniennes qui s'inscrivent dans une dynamique politique qui peut
être différente de celle des bailleurs.
Sans pouvoir dresser un tableau statistique fiable des modalités de financement pour les
aménagements de chaque localité envisagée, nous pouvons estimer que plus des trois-
quarts des financements d'infrastructures à propos desquels nous nous sommes
entretenus n'ont pas suivi les démarches institutionnelles. Les entretiens révèlent, soit
explicitement que la candidature pour un projet a court-circuité la procédure, soit que
c'est un ressortissant de la localité qui est parvenu à obtenir le financement après des
démarches menées à Ayoun ou à Nouakchott. Les deux cas n'excluent pas qu'une
186
demande en bonne et due forme ait été faite mais elle a été fortement appuyée aux
différents échelons auxquels elle est étudiée.
En plus de ces décideurs, interviennent également les gestionnaires des programmes. Ils
peuvent être employés par les institutions étatiques, mais ils peuvent aussi être des
employés des ONG ou des organismes de coopération. Ces employés peuvent être
classés dans deux catégories distinctes. Les premiers sont des “expatriés de l’intérieur”.
Ils sont mauritaniens mais travaillent loin de leur région d’origine. Ils sont souvent
mobiles. Ceux qui travaillent pour le programme alimentaire mondial se déplacent à
l’intérieur du pays au gré des activités du programme. Ils n’ont pas de relations de
parenté avec les habitants de la wilaya dans laquelle ils travaillent. Ils sont venus, attirés
par des salaires plus confortables. Un chauffeur d’une ONG internationale peut gagner
jusqu'à 40 000 ouguiya par mois. Les seconds sont plutôt originaires de la région où ils
travaillent. Ils ont été recrutés par l’organisme après son implantation et non avant et
depuis Nouakchott. Ces employés constituent un revenu supplémentaire pour la localité
dont ils sont originaires. Ces deux catégories peuvent évoluer dans le temps. Un
“étranger”peut, après plusieurs années de travail dans la même région tisser des liens
avec les habitants. Il peut se marier et par conséquent se lier à un groupe tribal.
187
Au-delà de la ressource économique qu’ils constituent, ces employés sont des
ressources politiques. Ils sont une porte d’entrée dans l’organisme susceptible de
s’ouvrir sur des décisions favorables. C’est aussi par ces individus que se rencontrent
les deux logiques politiques. La rencontre peut être indirecte. Le chargé d’un projet au
niveau de la délégation régionale peut être un “étranger”et n’agir qu’en suivant la
logique étatique. Pour influencer son action, il faut donc agir auprès de ceux qui le
nomment, ses supérieurs, ou auprès de ceux qui sont sous ses ordres et de ceux avec qui
il travaille. Chaque échelon du circuit des programmes constitue une possibilité de
rencontre entre deux logiques politiques qui sont autant de possibilités de court-circuiter
l'itinéraire prévu par les bailleurs pour rediriger les projets vers d'autres localités. Pour
chaque échelon, nous avons relevé plusieurs exemples de ces courts-circuits.
188
se rattachant au noyau qui a permis de contourner le circuit institutionnel. La logique
tribale a prévalu à l’établissement des critères de localisation par le bailleur.
Toutes les mailles de la matrice étatique sont donc des nœuds où s'entremêlent les
différentes logiques politiques. Les circuits institutionnels établis depuis la capitale
suivant une logique étatique peuvent être court-circuités par le groupe tribal dont les
membres, occupant une position dans l'administration, redirigent les investissements ou
les aménagements dans les lieux-noyaux desquels ils sont originaires. Si les flux
financiers circulent bien depuis la capitale jusque dans les localités de la bediyya, les
décisions concernant ces aménagements n'émanent pas toutes du centre de la matrice
étatique. Elles sont autant prises par le groupe tribal se rattachant à un noyau de la
189
bediyya que par l'État, ce qui repose le problème de la spatialité de la centralité
politique.
Pour étudier ces rencontres et ces stratégies, nous nous sommes appuyés sur des
entretiens et des témoignages. Les observations directes sont très rares. C'est seulement
à l'occasion de rencontres officielles et publiques semblables à celles que nous avons
décrites dans le chapitre 7 qui rassemblent ONG, bailleurs, élus, administrateurs et
coopérants que nous avons pu observer directement ces contacts. Nous avons assisté à
deux d'entre elles à Ayoun. La première concernait l'acheminement des aides
alimentaires alors que menaçait une saison sèche particulièrement redoutée. La seconde
concernait la présentation des résultats du recensement des infrastructures dans la
wilaya réalisé par Ecodev sous la tutelle du collectif des maires et du projet Pac de la
GTZ. Il ne s'agissait pas d'une réunion visant à déterminer la localisation, la qualité et la
quantité des infrastructures à construire, mais tous les intéressés étaient présents et,
entre les séances et les discours officiels, chaque élu ou représentant d'une localité
s'empressait d'aller discuter de l'avancement de tel projet avec ceux qui en avaient la
190
charge. Chacun tentait de se faire présenter un décideur, de le prendre par la main et de
discuter à l'écart avec lui. Toutefois ce lieu très ponctuel ne constitue pas le lieu où les
décisions et les engagements se prennent. Il constitue une étape, celle de la prise de
contact ou celle du suivi des démarches.
Les rencontres qui finalisent ces démarches se déroulent à l'intérieur des maisons ou des
bureaux. Les courts-circuits nous sont alors connus soit par des témoignages qui
peuvent aussi être des commérages, soit par des entretiens approfondis avec les
membres d'une localité relatant les démarches qu'ils ont entreprises. D'après nos
observation, il ressort que c'est dans ces lieux, lors de ces rencontres que se prennent
nombre de décisions concernant l'aménagement et par conséquent le développement des
localités. Le développement de ces localités est directement lié à la qualité de
l'intégration du groupe dans l'administration. D'après nos entretiens et notre enquête sur
la route goudronnée, il semble en effet exister une forte corrélation entre l'importance
sociale des habitants de la localité et leur capacité à capter les financements. Ceux qui
ont financé leurs aménagements hydrauliques avec l’argent des programmes, sont ceux
qui ont le plus de ressortissants exerçant des fonctions telles que ministres, hauts-
fonctionnaire ou élus. La qualité du financement n’est pas nécessairement liée à
l’échelon auquel a été opéré le court-circuit. En revanche, l’échelon est fortement lié à
l’importance sociale des ressortissants de la localité. Mieux ils sont intégrés, plus ils
sont en mesure d'accéder à un échelon décisionnel élevé. Cet échelon élevé ne
correspond pas seulement à la capitale. Un ministre peut être contacté à son ministère
mais également lors d'une de ces visites à Ayoun où il est possible de “l'inviter”.
191
l'administration à un poste important, il faut bénéficier du soutien d'un nombre
conséquent d'électeurs potentiels, soutien qui s'acquiert notamment en développant les
lieux-noyaux. Ainsi, pour accéder au sommet, il faut le soutien de la base et pour avoir
le soutien de la base, il faut accéder au sommet. La concurrence entre groupes les
conduit à développer des stratégies pour que leurs membres parviennent au sommet. De
la réussite de ces stratégies dépendent les ressources de la localité et la position
hiérarchique de son groupe par rapport aux autres.
Certains créent leur propre poste. Ils fondent une ONG qui correspond aux thèmes du
moment privilégiés par les bailleurs internationaux et qui sera à même de se poser en
interlocuteurs. Ainsi, les habitants d'une localité distante de moins de 10 kilomètres
d'Ayoun le long de la route goudronnée considèrent que parmi les postes importants
qu'ils occupent, il y a un homme, commissaire divisionnaire à Nouakchott, et deux
femmes responsables de deux ONG à Ayoun qui travaillent dans “le développement
social et sanitaire”. La direction d'une ONG permet de dégager un salaire ou d'orienter
des projets, mais elle permet également de s'inscrire dans le paysage régional du
développement et d'être plus facilement en relations avec les autres ONG, les
organismes de coopérations et les institutions étatiques. Cette localité a bénéficié d'un
financement pour son aménagement hydraulique qui ne relève pas directement des deux
ONG ni du commissaire divisionnaire, mais en partie de leur réseau de relation avec les
différents bailleurs.
193
ressortissants du village s'intègrent donc en créant un lien social entre eux et
l'administration.
194
Nous avons vu qu'il est impossible de dissocier la bediyya de la ville et de les considérer
comme une périphérie et un centre qui s'opposent.
Le pouvoir est plutôt dans la relation entre les noyaux et les lieux de convergence du
centre. Cette relation consiste à combler la distance spatiale entre ces lieux en créant
une continuité sociale la plus serrée possible de sorte qu'il y ait le moins
d'intermédiaires entre le groupe tribal et celui qui pèse sur la décision. Plus ce réseau est
serré et plus il atteint un échelon décisionnel élevé, permettant de court-circuiter la
procédure le plus en amont, plus le groupe est proche du pouvoir politique.
L'éloignement des localités de la bediyya par rapport à la ville ne saurait alors
déterminer leur enclavement. C'est l'activité de leur groupe qui permet ou non d'occuper
une position centrale en raccourcissant la distance topologique du réseau de relations et
des échelons administratifs qui les séparent de cette centralité. Ceux qui, comme dans
l'exemple de Vaugouz, ne peuvent combler cette distance, doivent franchir la distance
kilométrique. Le développement et les ressources de ces localités dépendent donc moins
de la capacité de production des groupes qui les habitent que de leur pouvoir politique.
La ville apparaît alors non pas comme un centre qui accumule les surplus produits dans
les campagne, mais comme une ressource pour le développement des localités de la
bediyya.
195
Chapitre 9 : Les villes sont des centres médiateurs des
relations entre les groupes tribaux rattachés à leurs lieux
noyau
La ville n'est pas un centre dont les habitants peuvent imposer leur choix à ceux de la
bediyya. Elle est le cadre des relations entre groupes, le centre de la matrice étatique et
le point de rencontre de ces groupes. Deux faits l'illustrent : les circuits qui mènent au
choix des candidats aux élections et la résolution des conflits fonciers. L'issue des
oppositions entre les groupes de plusieurs lieux dans ces domaines dépend de l'arbitrage
central mais cet arbitrage n'est pas impartial. Nous supposons qu'il traduit la meilleure
intégration d'un groupe tribal à ce centre, le groupe le mieux intégré étant le plus à
même d'influencer cet arbitrage. Suivant cette hypothèse, le pouvoir politique des
nomades dépend de leur capacité à lier leur noyau à la ville et à l'État via les lieux de
convergence.
228
Denis Retaillé, Le territoire est-il un lieu ? In Frérot Anne-Marie, Espaces et sociétés en Mauritanie,
Tours : Urbama, 1998, p 103.
196
s'avérer probante. Dans un premier temps, et dans le prolongement du chapitre
précédent, nous présenterons comment les groupes tribaux parviennent non seulement à
s'intégrer dans la matrice, mais aussi comment ils la contrôlent. Dans un second temps,
nous étudierons comment les stratégies électorales et la résolution des conflits fonciers
placent l'État en position d'arbitre de la concurrence entre ces groupes.
Propositions et consultations
Les points discutés lors de ces réunions peuvent porter sur la proposition d'un candidat
pour une élection ou bien pour sa nomination à un poste important. D'après un
journaliste d'Ayoun, chaque nomination est précédée d'une proposition. Cela signifie
qu'il y a communication entre celui qui nomme et ceux qui proposent. Le Président de la
République au niveau national, comme le wali au niveau régional ont le pouvoir de
nommer des responsables. Outre les compétences des candidats, leur choix se fondent
sur leur stratégie politique. Lorsqu'un groupe tribal apporte son soutien au président, il
cherche également à obtenir une contrepartie. Il peut alors faire savoir que pour le poste
à pourvoir, un de ses membres est candidat. Si celui qui nomme estime que le soutien de
ce groupe tribal est nécessaire, il peut lui donner satisfaction. Il arbitre ainsi entre les
différentes revendications.
229
L'Authentique, n°135 du 19 septembre 2003.
198
La rencontre peut être sollicitée par la tribu lorsqu'elle a une proposition à formuler,
mais elle peut également être sollicitée par les représentants de l'État. Le Président
sollicite parfois l'avis de certains individus et les reçoit parce qu'ils sont membres d'un
groupe tribal avec lequel l'État a des difficultés, même si ces individus exercent par
ailleurs des fonctions dans l'administration de ce même État. Lors de la création des
communes rurales en 1987, chaque groupe tribal a essayé d'obtenir un découpage
communal qui lui soit favorable afin qu'il puisse contrôler les conseils municipaux.
D'après la procédure, le wali devait effectuer une première proposition de découpage.
Ensuite le gouvernement envoyait une mission dans la wilaya pour finaliser ces
propositions, or d'après plusieurs entretiens, le wali a, en plus des critères définis,
consulté les principaux groupes tribaux pour proposer un découpage qui les satisfasse.
De même, chaque groupe qui se sentait floué s'est également déplacé chez le wali pour
lui faire part de ses insatisfactions.
La communication entre les lieux-noyaux et l'État passe donc par la voie publique
autant que par la voie officieuse. La démarche n'est pas uniquement à l'initiative du
groupe rattaché au lieu-noyau. Il sollicite autant qu'il est sollicité et ces sollicitations se
traduisent souvent par des rencontres physiques qui débouchent sur une négociation
puis sur une décision. C'est ainsi que les groupes tribaux influencent en partie l'action
administrative de l'État.
Hors de Nouakchott, l'État est représenté par le wali au niveau de la wilaya et par le
hakem au niveau de la moughataa. Le wali et le hakem sont affectés dans des
circonscriptions avec lesquelles ils n'ont pas de liens de parenté. Un premier
raisonnement nous amène à penser qu'ils occupent une position confortable vis-à-vis des
habitants de ces circonscriptions puisque les groupes tribaux ne peuvent exiger de ces
199
fonctionnaires des aides au nom de la solidarité tribale. Cependant, le wali ne s'inscrit
pas seulement dans le territoire de la wilaya et la chaîne des liens qui mène du lieu-
noyau au wali ne passe pas seulement par la wilaya. Elle passe par Nouakchott. Le wali
est nommé par le ministre de l'intérieur qui est souvent membre de l'exécutif national du
PRDS. Ainsi, pour influencer les décisions de l'administration un groupe tribal peut
faire pression sur les membres de cette administration, mais aussi sur ceux du PRDS.
200
indépendamment des groupes tribaux en jeu. Soit le comité entérine des consensus entre
groupes, soit il tranche le différend en faveur d'un de ces groupes.
A Vaugouz comme à Chelkha, le candidat de la localité est proposé lors d'une de ces
réunions qui rassemble la gemaa du village. Lors des municipales de 2001, à Vaugouz,
la réunion s'était tenue dans la maison des Ehel Bacar. Elle réunissait tous les militants
du parti en vue de choisir le bureau et le candidat. Ensuite une réunion s'est déroulée à
Agjert pour se mettre d'accord sur la liste définitive. Ces deux réunions étant parvenues
à un consensus, les instances supérieures du parti ne sont pas intervenues. L'un des
objectifs du parti étant de remporter les élections, ils n'a pas intérêt à prendre des
décisions allant à l'encontre de ces consensus. De même, le secrétaire de section choisi
doit avoir une certaine légitimité auprès des habitants de la moughataa.
203
L'arbitrage étatique des conflits fonciers
L'étude des conflits fonciers s'inscrit d'une part dans la continuité de l'étude des enjeux
et des modalités de l'appropriation des lieux présentée dans le chapitre 6 et d'autre part,
dans le même registre que le paragraphe précédent sur le centre comme médiateur des
rivalités entre groupes tribaux. Chaque conflit met en effet en jeu l'administration et au
moins deux groupes tribaux avec leur lieu-noyau. Comme pour l'aménagement des lieux
et comme pour le choix des candidats, la résolution d'un conflit dépend en grande partie
de la capacité des groupes à peser sur l'administration. Pour étudier les conflits, nous
nous appuyons sur l'enquête sur la route goudronnée et de nombreux exemples qui nous
ont été rapportés durant nos entretiens. Dans l'ensemble, deux tendances apparaissent.
Dans l'une, la présence physique, qui peut être violente, des membres d'un groupe
permet d'imposer sa position et dans l'autre, l'intégration politique permet de s'appuyer
sur la force coercitive de l'État. Ainsi, après avoir placé ses membres dans la matrice
suivant les modalités que nous avons présentées précédemment, les groupes peuvent
bénéficier de ces appuis pour s'imposer dans l'appropriation des lieux. Cette deuxième
solution se retrouve dans l'étude sur l’élevage dans le Hodh El-Gharbi de Michel Bouy
et Taher Moustapha Ould Saleh. Ces derniers constatent qu'au-delà d'une certaine
permanence de l’appartenance des lieux à des groupes tribaux, les principaux
changements interviennent lorsque la tribu augmente son influence dans l’État230.
Avant d'être résolus, les conflits prennent principalement deux formes. Ils peuvent
éclater suite à l'appropriation d'un lieu avant que les démarches auprès d'une tribu ou
auprès de l’administration ne soient terminées ou même amorcées. Ces cas relevés dans
plusieurs questionnaires de notre enquête sur la route goudronnée correspondent à des
faits accomplis. Parmi ces cas, certains concernent des groupes qui se sont installés
parce pensant être dans leur droit. La terre était reconnue comme leur appartenant
suivant la logique tribale. D’autres se sont installés pour imposer leur présence. Cette
démonstration de force permet autant de provoquer l’appropriation que de mettre en
avant la puissance d’un groupe. Dans un quartier de l’Est de la ville d’Ayoun, un
commerçant a construit une boutique entre la route goudronnée et des habitations, or la
boutique est située sur la propriété de ces habitations. Sa démarche n'a pas suivi les lois
230
Michel Bouy et Taher Moustapha Ould Saleh, op. cit.
204
en vigueur et comme elle n'a pas été acceptée par les propriétaires légitimes au regard
de la loi, elle a provoqué le conflit.
L'autre origine des conflits résultent à l'inverse d'une démarche étatique en règle avec
l'administration. Un groupe tribal s'approprie un lieu, permis d'occupation en main, mais
ce lieu, non mis en valeur, est revendiqué par un autre groupe provoquant leur
affrontement. Dans les deux cas, la résolution du conflit passe par un arbitrage de l'État
qui révèle l'articulation des logiques étatiques et tribales. Certaines résolutions sont
déterminées par la meilleure intégration à l'État d'une des parties et d'autres sont
imposées par un rapport de force violent.
Dans la commune de Oum Lahyadh, des parents maternels d’un membre important de
l’État ont voulu construire une localité à proximité de la route. Les Oulad S. qui
revendiquent la terre se sont opposés au projet. L’opposition a été violente. Elle a
provoqué l’intervention des gendarmes et plusieurs blessés. Le soutien de
l’administration obtenu par le premier groupe s’est ici heurté physiquement à la fraction
lésée de sorte qu'il n'a pu obtenir gain de cause. L’intervention de la gendarmerie a
également été nécessaire lors d’un conflit opposant les ressortissants de Vaugouz à un
ancien ministre marié à une femme d’Ayoun. Ce dernier a foré un puits à moins de dix
kilomètres à l’Ouest du village. Il a agi avec le soutien du wali sur lequel il avait un
grand pouvoir en tant que membre du gouvernement. Malgré ce soutien, les habitants de
Vaugouz ont décidé de casser ce puits. L’affaire s’est envenimée et la gendarmerie est
intervenue. Plusieurs membres des Oulad Nacer qui habitent le village se sont retrouvés
en prison. Les Oulad Nacer ont alors manifesté leur mécontentement à Ayoun et les
prisonniers ont été libérés. Deux ans après, l’ancien ministre a refait une demande
d’autorisation aux habitants de Vaugouz pour forer un puits un peu plus éloigné que le
précédent. Il a délaissé la démarche étatique soutenue par l'administration en négociant
directement avec la fraction impliquée suivant la démarche tribale que nous avons
présentée dans le chapitre 6.
Le soutien de l’État et l’usage de la force ont été tenus en échec par les ressortissants
des lieux en question. Dans les deux cas une des parties avait le soutien d’une famille de
la région par l’intermédiaire d’un de ses membres “haut placé”dans l’appareil étatique.
L’autre partie, pourtant moins bien représentée dans l’État s’est imposée par la force.
206
Cela révèle que la violence de l’État n’est pas légitime sur tout le territoire. Nous
pouvons en déduire qu’il existe des espaces qui échappent en partie à l’État et sur
lesquels la logique tribale prévaut. D’autre part, dans tous les cas présentés, l’État n’est
jamais absent et, en même temps, il n’intervient jamais comme une entité autonome.
Son intervention est souvent motivée par la présence d’un individu à la fois lié à une des
parties en conflit et membre de l’État ou de l’administration. Ce n’est pas un groupe
tribal qui s’oppose à l’État, mais deux groupes qui s’opposent l’un à l’autre en utilisant
l’arme étatique et mettant en avant leur intégration dans la structure étatique.
Ces arme, comme le comité central du PRDS, nécessite le passage par la ville, siège des
instances décisionnelles de l'État. Celle-ci est aussi le lieu de convergence des groupes
tribaux, mais elle est toujours hors du territoire de l'affrontement de ces groupes.
Néanmoins, si la métrique topologique prime pour mesurer la distance entre les lieux-
noyaux et la ville, l'utilisation fréquente de la violence physique ou de sa menace est
spatialisée et s'inscrit dans une aire dans laquelle la distance se mesure plutôt par la
métrique topographique. Sur la carte représentant les localités de la route goudronnée
suivant la démarche d'appropriation qu'avaient adoptée leurs habitants, nous avions mis
en valeur des centres autour desquels la logique tribale primait sur la logique étatique
(Cf. fig. 5). Dans les cas de conflits violents tels que celui de Vaugouz, il s'avère que la
capacité d'un groupe intégré à l'État à imposer ses droits varie suivant la proximité du
village dont le groupe les conteste.
207
Les conflits ont d’abord eu lieu dans le village ou dans sa proche périphérie, à moins de
500 mètres. Un premier a été provoqué par l’utilisation des puits de plus en plus
fréquente d’une tribu qui nomadise au Nord. Un second a été provoqué par l’arrivée mal
négociée d’une tribu de l’Est sur les pâturages avoisinants. Dans les deux cas, le
problème est resté interne aux tribus impliquées. Les hommes des Oulad Chbeichib qui
l’ont résolu n’habitent pas le village en permanence. Ils ont été contactés à Ayoun ou à
Nouakchott par des résidents de Vaugouz et se sont déplacés spécialement pour jouer le
rôle de médiateur. Toutefois, les ressortissants de Vaugouz qui habitent Nouakchott,
bien que résidant dans les villes, sièges des autorités étatiques, ne sont pas intervenus en
tant qu’agent de l’État. Ils ont agi en tant que membre du lieu-noyau de Vaugouz. Ainsi,
les deux conflits qui ont eu lieu dans la proche périphérie n'ont pas nécessité la
médiation par l'État.
Ensuite deux conflits concernent des lieux dans un rayon d’une dizaine de kilomètres
autour du village. Les deux sont relatifs au forage d’un puits. Le premier puits a été foré
par une tribu du Nord. Il a été rebouché violemment par ceux de Vaugouz. Le second
conflit est celui évoqué plus haut mettant en jeu un ancien ministre. La situation était la
même (le forage d’un puits sans autorisation des Oulad Chbeichib et sa destruction)
mais son dénouement a différé à cause de la position politique de l’un des protagonistes.
Ce dernier a obtenu le pouvoir construire le puits, mais à condition de l'éloigner de
quelques kilomètres. L'étendue de l'aire d'influence des habitants de Vaugouz dépend de
la proximité entre les groupes rivaux et l'État. Un autre conflit a opposé la fraction à une
autre tribu qui a voulu s’approprier un lieu. Le lieu était situé à une quinzaine de
kilomètres de Vaugouz et autant d'Ayoun et c’est la démarche administrative qui a
prévalu sur la démarche tribale. Les Oulad Chbeichib n’ont pas pu s’opposer à la
création de la localité. L’éloignement du centre de la fraction est ici conjugué à la
proximité du chef-lieu de la wilaya, centre étatique. La tendance se confirme avec le
conflit foncier d'Ayoun opposant l’administration aux Ehel B. ressortissants de
Vaugouz.
208
La centralité politique entre proximité topologique et proximité
topographique
A partir de ces cas réunis autour d'un seul lieu-noyau, nous pouvons émettre
l'hypothèse, qui restera à vérifier, que la résolution d'un conflit foncier dépend à la fois
de la proximité du pouvoir étatique des groupes en concurrence et de la proximité des
sites revendiqués avec les lieux-noyaux de ces groupes. Il s’avère en effet que le
territoire des tribus a un centre et des marges. Le cas de Vaugouz confirme en cela les
hypothèses formulées à propos de la densité des localités le long de la route et des
projections des fractions sur cet axe (chapitre 6). La densité est plus forte aux marges du
territoire des fractions. Là, elles ne peuvent s’imposer sans relais dans l’administration.
Là où la densité est plus faible, les fractions ont pu créer des localités habitées par leurs
membres qui permettent une continuité du territoire tribal. L’influence du centre décroît
vers les marges mais celles-ci ne sont pas des frontières rigides. Nous ne pouvons pas
affirmer qu’au Nord de tel point commence le territoire de telle tribu et qu’au Sud de ce
point commence celui d’une autre. Nous pouvons seulement supposer qu’au-delà d’un
certain éloignement commence la fin de l’emprise tribale. À défaut de parler de limites
territoriales, nous pouvons parler de gradient.
231
Denis Retaillé, L'espace mobile, op. cit.
232
Denis Retaillé, Les nomades : territorialité sans territoire, urbanité sans ville, op. cit.
209
depuis les lieux-noyaux par les groupes tribaux. Lorsque l’administration arbitre d’un
côté, ce n’est pas la logique étatique qui l’emporte sur la logique tribale, mais les
groupes en jeu qui passent par l’État pour arbitrer en leur faveur. La centralité politique
tient plutôt dans la capacité de ces groupes à attirer le centre de gravité du pouvoir vers
leur noyau.
210
Les communes rurales
La commune rurale est la plus petite circonscription administrative, mais sa superficie
est telle qu'elle regroupe sur une même étendue plusieurs localités. Elle ne peut donc se
confondre ni avec un seul lieu, ni avec un seul groupe tribal. La composition de son
conseil est le résultat des relations entre ces différents groupes. Nous avons plus
particulièrement étudié les communes de Agjert, de Benamane et de Tenhamad pour la
moughataa d'Ayoun et celles de Timzin et de Hassi Ehel Ahmed Bichna pour la
moughataa de Kobenni. Dans toutes, nos interlocuteurs nous ont communiqué sans
réticence la tribu ou fraction et la localité dont étaient originaires chaque conseiller
municipal. Les habitants de ces communes associent presque systématiquement chaque
conseiller à une localité et une tribu. L'origine spatiale et sociale du maire a aussi son
importance. Les Mauritaniens associent la commune à une tribu selon l'appartenance
tribale du maire, mais à l'intérieur de la commune, ce sont les localités représentées par
les conseillers qui priment. Dans deux de ces cinq communes, le maire n'appartient pas
à la tribu qui compte le plus d'habitants ni à celle qui est la mieux représentée dans les
centres politiques.
Le choix du maire comme celui des conseillers dans les communes où une seule liste est
candidate précède l'élection. Il nécessite la concertation des groupes qui désirent obtenir
un siège. Il peut résulter d'un compromis ou d'un accord tacite. Lorsque deux tribus sont
inégalement représentées, l'une obtient le mandat de maire et l'autre celle de l'adjoint. Si
le poids démographique et social d'une localité dépasse de loin celui des autres, elle
obtient systématiquement le mandat de maire. Dans la commune d'Agjert, ce sont les
Oulad Nacer qui sont très largement majoritaires. Le maire est donc toujours un Oulad
Nacer, mais à chaque mandat, c'est un maire d'une fraction et d'une localité différente
qui est choisi.
Pour le choix des conseillers, la liste tient compte du potentiel électoral de chaque
localité. Même s'il n'y a qu'une liste candidate, elle ne doit pas léser des localités
importantes car celles-ci pourraient alors être tentées de créer une seconde liste,
menaçant les conseillers situés en bas de celle du PRDS.
211
Figure 7 :
212
Le potentiel électoral dépend d'abord du poids démographique. Dans la commune
d'Agjert, sur les dix localités les plus peuplées, huit ont au moins un conseiller. La
première des deux qui n'est pas représentée l'avait été au précédent mandat (Cf. fig. 7).
La seconde est déjà très représentée à Nouakchott et a soutenu une autre localité de la
commune pour qu'elle obtienne un siège. Parmi les quatre localités qui ont un siège
mais qui sont moins peuplées, deux existent depuis plus de trente ans. La troisième est
celle qui a été soutenue par une autre et la quatrième n'a obtenu son siège qu'au dernier
scrutin grâce à l'ascension politique d'un de ses habitants. Au critère démographique, il
faut donc ajouter un critère difficilement quantifiable, celui de l'influence politique qui
dépend de l'ancienneté et de l'intégration politique. Les localités les plus anciennes ont
toutes donné naissance à d'autres localités. Même si cette naissance s'est parfois
produite suite à un conflit, des liens étroits demeurent entre ces localités et ces liens
peuvent devenir des alliances électorales. Ainsi, un village relativement peu peuplé peut
compter sur le soutien d'autres localités (qu'il devra représenter) pour être élu. Ces liens,
souvent de parenté, sont aussi des liens de dépendance. Un groupe qui s'est installé sur
les terres d'un autre avec son assentiment peut devenir son allié. Par ailleurs, la réussite
politique à la capitale d'un individu en fait un intermédiaire qu'il est judicieux de
soutenir. La localité à laquelle il appartient attire ainsi ses voisines et compense sa
relative faiblesse démographique.
Les deux critères relèvent tous deux du vote d'échange et du vote communautaire. Sur le
plan individuel, il faut avoir un potentiel d'électeurs pour prétendre avoir une place sur
la liste. Sans ce potentiel, la menace de scission qui consiste à présenter une liste
d'opposition n'a pas de poids. D'autre part, les localités ne s'associent qu'avec les
candidats susceptibles d'augmenter leur influence politique. Un candidat qui peut
compter sur un soutien au sein de l'appareil étatique peut échanger ces soutiens contre
des promesses de soutien électoral. La communauté d'une localité échange son pouvoir
électoral contre la possibilité d'être représentée au conseil municipal mais également à
Ayoun ou à Nouakchott. La finalité de cette représentation est autant politique
qu'économique. Elle permet, comme nous l'avons vu dans le chapitre 8, de peser sur
l'action politique et administrative et de se procurer des revenus ou des financements.
Cette stratégie de l'échange se traduit entre les différents mandats par un changement
conflictuel de maire ou par la perte d'un siège de conseiller. Ces changements
213
correspondent souvent à l'introduction d'une seconde liste candidate ou à la menace d'un
recours à cette liste. À Hassi Ehel Ahmed Bichna, la liste d'un parti de l'opposition a
obtenu plusieurs sièges aux dernières élections. Le poste de maire qui était détenu par
une localité de la tribu des Laghlal lors des deux précédents mandats est revenu à un
habitant du village de Hassi. Les rivalités entre localités Laghlal ont profité à ce dernier.
Quand elles ne sont pas arbitrées par une seconde liste, ces rivalités le sont par la
menace d'une seconde liste.
Pour toutes ces raisons, les élections municipales d’Ayoun ne sont pas uniquement
celles d’Ayoun. Seuls les résidents devraient voter ou se porter candidat, mais la plupart
des habitants d'Ayoun ont également un habitation dans une autre localité. Les habitants
de Vaugouz ont été représentés à Ayoun, par Mohammed Mokhtar Ould Bacar qui fut
214
maire en 1989, puis par un autre durant deux mandats. Ces deux élus avaient un
logement à Ayoun et un autre à Vaugouz et le second partage toujours son temps entre
les deux lieux. Les élections concernent donc toutes les localités liées à Ayoun selon ce
même aspect, soit une grande partie de la wilaya. Leur enjeu en est d’autant plus
important. Il s’agit, au moins symboliquement, de s’approprier la ville et de marquer sa
présence dans la wilaya du Hodh El-Gharbi aux yeux du reste de la Mauritanie. Dans ce
contexte, l’étude de la composition des différents conseils municipaux et des différents
scrutins ne peut se limiter à la recherche d’explications à l’intérieur de cette commune
urbaine. Dans nos entretiens, ceux qui commentent la composition de ces conseils ne
manquent pas de mentionner la tribu et la localité d’origine des élus. Par cet aspect, la
commune urbaine ressemble à la commune rurale. Cependant, ce facteur explicatif n’est
pas aussi net. Lors du dernier scrutin, quatre listes, celles de l’UDP, du RFD, du FP et
de AC se sont opposées à celle du PRDS qui n’a conservé la majorité qu’avec onze
sièges sur dix-neuf. La configuration n’est pas aussi simple que lorsqu’il n’y a qu’une
liste ou lorsque la seconde sert de moyen de pression pour équilibrer les forces et
satisfaire les localités non représentées. Face à cette complexité, nous devrions intégrer
le vote d'opinion à notre étude, mais nous ne disposons d’aucun outil permettant de
l’identifier. Aussi, nous ne tiendrons compte que des votes d’échange et
communautaire, même si nous ne nions pas l’existence du premier.
Sur le plan tribal, l’ensemble des tribus du Hodh El-Gharbi est représenté, mais ce sont
les Oulad Nacer qui obtiennent le plus de sièges sur l’ensemble des scrutins. Les
Laghlal leur succèdent suivis dans le désordre par les Tenwajiou, les Chorfa, les
Idaoualli, les Ideyboussat. L'ensemble des tribus faiblement représentées se regroupe
sous l'appellation des Ehel Dall. Cet ensemble comprend notamment les Ladem dont un
membre est l'ancien sénateur de la wilaya. En conséquence, le maire a toujours été un
membre de la tribu des Oulad Nacer et le maire adjoint un membre des Laghlal. Comme
pour certaines communes rurales, un accord tacite impose ce partage lors de
l’établissement des listes. De plus, comme dans la commune d’Agjert, chaque fraction
souhaitant accéder au mandat de maire, ce dernier est issu d'une fraction différente à
chaque élection. Le premier était un Oulad Chbeichib, le second un Amar Taleb, le
troisième un Oulad Abdukrim, le quatrième un de la fraction Lanatra et l’actuel
appartient aux Ehel Boubacar. Cette forte représentation des Oulad Nacer à Ayoun n’est
cependant pas en parfaite adéquation avec leur poids démographique dans la wilaya.
215
Aucune source ne nous permet de dénombrer la population de chaque tribu, mais les
Oulad Nacer sont surtout présents dans les moughataa d’Ayoun et de Kobenni. D’autres
tribus sont plus présentes dans les deux moughataa de l’Est. Les Ideyboussat sont plus
nombreux dans les moughataa de Tamchaket et de Tintane et les Oulad M’Barek
fortement implantés dans celle de Kobenni. Cela nous amène à réduire quelque peu
l’espace des localités qui seraient représentées à Ayoun. Cet espace correspond plutôt à
celui de la moughataa d'Ayoun, auquel nous pouvons ajouter les communes de Hassi
Ehel Ahmed Bichna et de Timzin.
216
Tableau 7 : Origine géographique d'un tiers des conseillers municipaux
d'Ayoun El-Atrouss depuis 1987
Année
Nombre de Population (approximative)
conseillers en 2000** de construction
depuis 1987* du premier
hangar*
Ayoun El-Atrouss 1 9748 1943
Doueirera 1 1911 1982
Gounguel 1 685 1964
Agjert 2 593 1960
Benamane 2 587 1988
Chelkha 1 509 1977
Leghlig 1 447 1970
Vaugouz 4 240 1958
Gronvelle 2 231 1962
Blemhadher 2 203 1960
Leghlig Oulad Hanani 1 153 -
Dar Es-Selem 1 112 1991
El-Helle 1 37 1994
Zakiat 2 28 1994
Boudemgha 1 15 -
El-Qods 1 4 1992
* Sources : enquêtes
** Sources : ONS
Cette représentation peut également devenir un révélateur. Lors des élections de 1994,
un conflit violent, puisque mortel, a éclaté à Ayoun. Nous avons déjà évoqué ce conflit
dans le chapitre 6. Il opposait les Laghlal aux Oulad Nacer. Il concernait initialement un
litige foncier dans plusieurs localités de la commune de Hassi Ehel Ahmed Bichna. À ce
litige s'est ajoutée la constitution d'une liste candidate aux élections municipales autour
de Laha Ould Cheikh Hamaallah pour s'opposer à celle du PRDS. Laha est un
descendant de Cheikh Hamaallah, leader religieux qui s'était opposé aux Français
jusque dans les années 1940. Son activité avait divisé les tribus de la région, amenant
notamment la violente bataille d'Oumoushgag. Le petit-fils avait des adeptes dans la
plupart des tribus de la région, mais il était le plus représenté chez les Laghlal. Les
Oulad Nacer étant mieux représentés sur la liste du PRDS; le différend entre les deux
tribus s'est cristallisé lors de ces élections. Ainsi, un conflit, d'abord localisé à quelques
localités d'une commune située à plus de 50 kilomètres d'Ayoun, s'est étendu à la wilaya
et a provoqué des affrontements lors du scrutin municipal à Ayoun. Par la suite, cela a
217
également influencé la composition du conseil puisque la plupart des élus de
l'opposition n'ont presque jamais siégé aux réunions du conseil.
218
Conclusion
Au cours de cette seconde partie, nous avons tenté de saisir en quoi la République
Islamique de Mauritanie n'est pas un État centralisé et en quoi Nouakchott sa capitale
n'est pas le centre unique du pouvoir politique du pays. Paradoxalement, c'est à partir de
l'étude des lieux de la bediyya que nous posons que la capitale est un site vers lequel
convergent tous les groupes tribaux qui sont liés à des lieux-noyaux. Nouakchott est un
passage obligé pour accéder au pouvoir politique qui permet l'accès aux ressources
économiques. Dans ce site, se rencontrent tous ces groupes qui prennent des décisions.
C'est là qu'exercent les ministres et les directeurs de projets. Cela n'en fait pas pour
autant un centre politique dans le sens où les décisions qui s'y prennent ne s'imposent
pas au reste du pays. Chacune de ces décisions, relatives à la gestion des budgets ou à
des questions d'arbitrages de conflits, dépend en partie de négociations entre groupes, or
ceux-ci sont indissociables de leur noyau et de ceux qui y résident. Aussi, l'origine du
résultat de ces négociations se trouvent plutôt dans ces lieux situés dans la bediyya.
C'est dans la capitale que s'articulent les rapports entre les différents groupes tribaux,
mais l'origine des affrontements ou des alliances entre eux semble être ailleurs. Elle est
le site dans lequel se reflètent les interrelations tribales du reste du pays.
La capitale est le siège de l'État qui permet à certains groupes de dominer les autres. En
ce sens nous rejoignons la conception nomade du pouvoir. Le contrôle de l'État
correspond au contrôle d'une position carrefour qui permet ensuite de maîtriser le
pouvoir politique et d'exercer sa domination sur d'autres groupes. Les relations
concurrentielles entre deux lieux-noyaux se traduisent par la concurrence entre les
groupes qui s'y rattachent pour le contrôle de cette position mais la position n'est pas
une fin en soi car nous supposons que l'enjeu, pour ces groupes, tient dans
l'appropriation d'un lieu, condition de leur existence. Sans noyau, pas de groupe tribal.
Ainsi, les localités de la bediyya sont convoitées par ceux qui contrôlent la position
étatique et par les groupes tribaux. Dans cette perspective, l'État est indispensable car il
permet de s'imposer dans le domaine foncier et de développer les infrastructures de ces
lieux. Le contrôle des lieux de convergences est nécessaire au contrôle des lieux-
noyaux, mais nous avons également vu que le contrôle des seconds, lors des élections
notamment, est nécessaire au contrôle des premiers. Sans lieu-noyau pas d'électeurs et
219
sans électeurs pas de place dans l'État et, inversement, sans place dans l'État, pas
d'aménagement et pas d'appropriation d'un lieu-noyau.
La relation sociale entre la ville et les lieux-noyaux n'est pas le fait du groupe tribal pris
comme une entité monolithique. Elle rejoint le rapport dialectique entre le sommet et la
base. Pour garder le contrôle sur la position étatique, les politiques de décentralisation et
de retour au terroir ont montré la nécessité de contrôler les habitants, potentiels
électeurs, de la bediyya. Pour ce faire, les dirigeants étatiques confient un rôle
d'intermédiaire à des membres des groupes tribaux censés redistribuer des richesses de
l'État à leur noyau pour obtenir le soutien de ses habitants. De leur côté, pour capter ces
richesses, ces habitants cherchent à placer un des leurs dans cette position
d'intermédiaire. Dans ce contexte, le pouvoir des intermédiaires évolue suivant leur
capacité à obtenir le soutien des habitants de la bediyya et à diriger ces richesses vers
ces habitants. La situation dans la hiérarchie sociale et sur la scène politique de ces
groupes et, par conséquent, la hiérarchie des lieux varient en fonction de l'influence de
leurs intermédiaires. Ces variations du pouvoir se traduisent par des variations de
l'espace, tant dans l'ordre des lieux que dans celui des distances. C'est pourquoi, il nous
220
faut appréhender la dynamique politique mauritanienne suivant une conception mobile
de l'espace propre à intégrer ces évolutions.
221
Troisième partie
222
Le pouvoir politique mauritanien s'inscrit dans un cadre étatique qui se traduit dans
l'espace par un maillage administratif composé de limites et de centres hiérarchisés. Ce
cadre est le support de l'exercice de l'autorité de l'État qui contrôle ainsi les populations
par le biais du territoire. Cependant, le pouvoir politique ne relève pas uniquement de
cette logique étatique car, comme nous l'avons présenté dans la deuxième partie, la
matrice étatique est investie par les groupes tribaux pour qui elle sert de médiation à
leurs interrelations. Ils convergent tous vers les centres de cette matrice, mais sont avant
tout liés à leur lieu-noyau. Pour eux l'État est moins un territoire à s'approprier qu'une
position à contrôler qui leur permet ensuite de s'approprier et de développer le lieu
auquel ils sont rattachés. C'est par l'intermédiaire de ces groupes que les lieux-noyaux
sont reliés aux lieux de convergences étatiques. Bien qu'ils soient localisés dans les
territoires des circonscriptions administratives, leur développement, leur création ou
leur disparition est liée à l'intégration politique de leur groupe dans l'État. Ils sont donc à
la fois situés dans les circonscriptions administratives et positionnés dans une relation
avec les localités des autres groupes.
223
Chapitre 10 : Plasticité des découpages étatiques
233
Denis Retaillé, L'impératif territorial, op. cit.
234
Antil Alain, Le territoire et l'État en Mauritanie. Génèse, héritage, représentations, op. cit.
235
Pierre Bonte, Territorialité et politique: des Emirats aux régions. L'exemple de l'Adrar, op. cit.
224
Rattachement des groupes tribaux à des centres plutôt qu'à des aires
Dans ces rattachements à un centre, nous ne faisons pas référence au centralisme
politique. Nous avons vu dans la deuxième partie que les centres de la matrice ne
s'imposaient pas au reste des circonscriptions administratives. Ce sont plutôt des lieux
représentés par des points sur les cartes qui centralisent le contrôle politique.
L'appartenance des habitants à l'État passe par ces centres d'attache. C'est à partir des
cercles instaurés par la colonisation qu'apparaît cette forme de contrôle des populations.
Depuis, tous les textes instituant de nouvelles circonscriptions s'y réfèrent. Les cercles,
les régions, les structures d'éducation de masse (SEM) et les communes révèlent ainsi
que les institutions érigées par l'État suivent en partie la logique nomade. De même que
l'ordonnance portant réorganisation foncière présentée dans le chapitre 6 a intégré des
éléments du droit coutumier et du droit musulman, les entités administratives ont,
jusque dans la politique de décentralisation, suivi une conception plutôt tribale du
contrôle des populations. Toutefois, entre les cercles et les communes, nous observons
une évolution progressive vers la logique étatique de découpage du territoire. Les chefs-
lieux ont d'abord été envisagés dans les textes comme des centres de recensement des
populations, puis ils sont devenus des centres reliant, non plus des groupes, mais des
localités.
236
Jean-Louis Payen, op. cit.
Said Ould Hamody, op. cit.
Alain Antil, op. cit.
225
avec les chefs-lieux de cercle étaient un élément essentiel de l'administration française.
Tant pour le recensement de la population que pour la collecte des impôts, les Français
ont rattaché chaque tribu à un chef-lieu238. Une tribu ne pouvait se rendre dans un autre
cercle sans autorisation. Des rapports administratifs des archives coloniales mentionnent
des autorisations de nomadisation de certaines tribus au-delà de leur zone. De plus, ces
rapports indiquent essentiellement des noms de tribus et le nom de leurs chefs. Les
références à des lieux, hormis à ces centres, sont rares.
237
Olivier Lemasson, op. cit.
238
Jean-Louis Payen, op. cit.
239
Denis Retaillé, op. cit.
226
Le passage du recensement de populations au regroupement de lieux : les exemples
du PPM et des SEM
Dans l'organisation du parti du peuple mauritanien (PPM), puis dans celle des structures
d'éducation de masse, le rattachement à un centre se poursuit, mais ce sont moins des
tribus qui y sont liées que des localités. À l'intérieur des sections départementales, les
membres du PPM se regroupaient en comité. Chaque comité correspondait à une
localité ou bien à un groupement de nomades, mais pas à une aire donnée. Les SEM, au
niveau de l'arrondissement, étaient organisées en zone (mountaqa), chaque zone
regroupant des quartiers (hayat). Dans la délibération 007 du comité militaire de salut
nationale qui définit leurs statuts, les zones peuvent correspondre, en milieu rural, à
“une entité géographique et/ou humaine”(article 22). Par ailleurs, un ancien
coordinateur de zone la définit en fonction du nombre des quartiers, entre sept et treize,
qu'elle peut contenir. De même, il définit les quartiers en fonction du nombre de
familles qu'ils comprennent. La délibération évoque la “délimitation des zones”(art 23),
mais aucun des deux anciens coordinateurs de zone rencontrés n'ont été en mesure de
délimiter celle qu'ils avaient en charge. Ils mentionnent toujours les découpages en
fonction des regroupements de quartiers. Ces rattachements sont également stipulés par
la délibération : “le choix des centres d'attache sont décidés par les commissions
régionales d'implantation”. En même temps qu'elle évoque des délimitations et des
entités géographiques, la délibération utilise la notion de centre d'attache et d'entité
humaine.
228
Critères de regroupement des localités
Le rattachement de ces groupes de populations ou de ces localités dans une entité
commune a correspondu à des critères établis pas les autorités étatiques. L'étude de ces
critères peut nous permettre de mieux saisir la nature des relations qui lient tous ces
groupes et toutes ces localités. Pour cela nous nous appuyons essentiellement sur les
textes relatifs aux SEM et sur des entretiens menés avec des fonctionnaires et des
hommes politiques alors en activité dans les communes rurales.
La zone des SEM est considérée comme une entité “présentant des critères de
rapprochement: proximité, activités, centres d'intérêts”240. La proximité peut
correspondre à la distance topographique, les activités à des complémentarités
économiques et les centres d'intérêts à une volonté de vivre ensemble ou à des relations
sociales fortes. Ces trois critères sont très larges mais ils traduisent le souci de donner
une cohérence spatiale, économique et sociale aux regroupements et révèlent que la
relation entre deux localités ne se mesure pas suivant la seule distance topographique.
En ce qui concerne les communes, nous pouvons seulement affirmer d'après les textes
qu'elles doivent être circonscrites à l'intérieur des limites des départements. Certains
entretiens évoquent d'abord des critères “purement géographiques”ou
“purement”sociaux. Nous pouvons supposer qu'il s'agit à la fois de la proximité spatiale
et de l'intensité des relations sociales entre les localités rattachées à une même entité
administrative. Certaines réponses entrent plus dans les détails. Elles évoquent la
proximité et la distance comme critère d'agglomération mais également comme critère
de choix du chef-lieu. Un interlocuteur évoque la notion d'équidistance du centre par
rapport aux autres localités. D'autres réponses insistent sur le poids démographique et
l'équipement en infrastructures et sur la communication entre ces localités. Ces critères
sont proches de ceux des textes. Ils lient la distance topographique et la distance sociale.
Par ailleurs, le critère historique est également présent. Il peut être lié à l'ancienneté des
relations sociales, mais il est surtout apparu dans le lien entre les communes rurales et
les SEM. D'après certains, les communes correspondent en partie aux zones des SEM de
même que les chef-lieux des communes correspondent en partie aux centres de ces
zones. Dans l'ensemble, l'État n'a pas cherché à regrouper les localités ou les
populations uniquement en fonction de leur proximité spatiale. Autrement dit, le
240
article 22 de la délibération 007 du Comité militaire de salut national.
229
préalable à ces regroupements n'a pas été la définition d'une aire déterminée. Au
contraire, il semble que les délimitations de ces circonscriptions aient été la
conséquence de ces regroupements. L'ensemble formé de toutes ces localités s'est
cartographiquement traduit par une surface, mais il n'a pas été déterminé par
l'inscription de ces localités sur cette surface. Cela nous amène à étudier cette
représentation cartographique.241
241
Jean-Paul Bord, op. cit.
230
géographiques avec latitude et longitude. D'après le décret 86.153 du 2 octobre 1986, la
limite Est de la commune d'Agjert suit les “droites In Ahmar C1, C1 - Ghlig Oum el
Keraane - Ndernaye - Ndernaye - Oum Lahbal, Oum Lahbal - Hassi Mohamad
Loukhaitir - El Moubrek”. Le décret précise les coordonnées de C1. Chaque décret
relatif à la création des communes comprend ces mêmes éléments. Pour mieux saisir les
logiques qui mènent à ces découpages, nous avons tenté de les cartographier. Pour cela,
nous disposons de trois types de données : les coordonnées géographiques des localités,
la carte du projet de délimitation des communes rurales fournie par la Datar et les
décrets de création des communes. Pour les coordonnées, nous disposions de celles de
la direction de l'hydraulique, de celles de la Datar et de celles que nous avons relevées
nous-mêmes au GPS.
242
Denis Retaillé, op. cit.
231
coordonnées de toutes les localités qui la bordent, nous observons un décalage qui peut
atteindre un kilomètre avec le tracé de la carte de la Datar. Ensuite, si nous relevons
manuellement les coordonnées des localités à partir de cette carte, nous observons, pour
plusieurs d'entre elles, des décalages supérieurs à 0,05 degré décimal. Enfin, sur la carte
s'appuyant sur le décret qui précise par quels points passent les limites des communes,
nous observons des décalages de ces limites. Le décalage s'explique par les erreurs de
localisation de certaines localités. La limite passe par la bonne localité, mais cette
dernière est mal localisée. Il s'explique également par l'absence sur la carte des points
mentionnés dans le décret. Cette carte est reprise avec les mêmes décalages dans un
document de la Datar daté du jeudi 7 août 2003 réalisé par BSA ingénierie. Les décrets
permettent de tracer les limites des communes à partir des points cités, mais de
nombreux points ne figurent ni sur la carte, ni dans les données de la Datar. Certains
correspondent à des localités qui ne sont plus habitées, or seul pour le recensement de
2000, nous disposons des coordonnées géographiques. Ainsi, Ghlig Oum El-Keraan est
une localité recensée en 1988 mais qui n'est plus habitée aujourd'hui. Certains
toponymes sont également difficiles à localiser, mais ils sont néanmoins connus des
populations. C'est le cas de Makham N'Tourj par où passe la limite entre les communes
d'Agjert et de Benamane.
Au vu de tous ces biais possibles, nous proposons une carte sur laquelle sont
représentées les deux tracés possibles des limites. Les premières sont celles reprises de
la carte de la Datar et les secondes celles positionnées à partir de la localisation de tous
sles points mentionnés dans les décrets (Cf. fig. 8).
243
Ces cas de mobilité des localités seront étudiées dans le chapitre 11.
232
Figure 8 :
233
Tous ces biais mettent en avant la difficulté à localiser avec précision les limites autant
que les lieux. Ces imprécisions pourraient être attribuées à des lacunes des services
statistiques mauritaniens, mais nous supposons qu'elles soulignent plutôt la moindre
importance accordée à la localisation ou à la situation des lieux par rapport à leur
position relative aux autres lieux. Cette hypothèse semble confirmée par plusieurs de
nos entretiens et observations. Tout d'abord, plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté
sur le fait que les limites administratives en Mauritanie étaient souvent floues ou
imprécises. De même, ils ne comprenaient pas l'intérêt que nous leur portions, mais il
est également possible que cette imprécision traduise une volonté de souplesse. La carte
ne suit pas toujours les indications du décret et le décret laisse parfois l'initiative à la
carte. Ainsi, la limite entre Tenhamad et Benaman passe par Hassi Sedra El-Beidha,
Bakhakh et Tenhamad, mais il n'est pas précisé où elle passe entre Tenhamad et la
commune de Doueirera. La carte, quant à elle, ne trace pas une droite rectiligne. Elle
opère un léger crochet à l'Est pour relier Ghlig Smalil à la commune de Tenhamad alors
que cette localité de Ghlig Smalil ne figure pas dans le décret (Cf. fig. 8).
Cette souplesse relative dans la localisation renforce l'idée selon laquelle l'important
tient dans la relation et non dans localisation d'autant plus que ces imprécisions
contrastent avec la précision des liens établis entre chaque localité. Elle se retrouve
d'abord dans nos entretiens. Alors que le tracé des limites semblait échapper à nos
interlocuteurs, ils se sont montrés souvent intransigeants sur le rattachement de telle
localité à telle entité administrative considérant à plusieurs reprises les cartes que nous
leur présentions comme erronées. Cette précision se retrouve également dans les
décrets. Comme les limites passent par des lieux habités, les textes déterminent cas par
cas à quelle commune elles appartiennent, “la localité de Ghlig Oum el Keraane
appartient à la commune d'Agjert et que les localités de Ndernaye, Oum Lahbal et Hassi
Mohamad Loukhaitir appartiennent à la commune de Oum Lahyadh”. Ainsi, des
localités habitées sont situées sur la limite d'une commune. La localité de Ndrenaye a
été recensée en 1977, 1988 et 2000. Elle était donc habitée lorsque les limites ont été
fixées. La localité d'Aweinat Ezbil est non seulement à la limite entre deux communes,
mais également à la limite entre deux wilaya, celle du Hodh El-Gharbi et celle du Hodh
Ech-Charqi.
234
Les deux cartes, par la forme polygonale des communes, à défaut de représenter
fidèlement la nature des relations entre les localités, révèlent le caractère central des
lieux dans le découpage. Les limites sont en fait un ensemble d'arêtes et de sommets et
c'est le choix du sommet et de son rattachement qui fait office de découpage. Les arêtes
ne départagent pas un territoire. Ces formes polygonales et ces lieux centraux ne sont
évidemment pas sans rappeler la théorie de Christaller. Le chef-lieu d'une commune
pourrait être représenté par un point au centre d'un polygone et relié aux sommets par
des segments de droites représentant les liens. Cependant, nos formes polygonales sont
très éloignées des hexagones de la théorie. Les contorsions qu'elles dessinent pour
intégrer certaines localités dans certaines communes soulignent que la distance séparant
ces lieux n'est pas seulement une distance topographique continue, ni même une
distance-temps. Si Ghlig Oum El-Keraan a été relié à Agjert et non à Oum Lahyadh et si
Basra a été relié à Agjert et non à Timzin, ce n'est pas du fait de la proximité spatiale.
C'est dans d'autres critères que se trouvent les raisons de ces regroupements.
L'étude des textes et des cartes publiés par l'administration mauritanienne montre le
passage d'un recensement des populations dans un centre suivant leur appartenance
tribale à un rattachement de ces populations à un centre suivant leur appartenance à un
lieu. La logique qui prévaut aux découpagex tend donc à relier des groupes par
l'intermédiaire de la localité dont ils dépendent. Cependant, les entités administratives
ne correspondent pas à des aires exhaustivement appropriées. Pour exercer son autorité
l'État découpe son territoire, mais pour cela, il reprend en partie la conception nomade
de l'espace en ce sens qu'il relie des lieux entre eux plutôt que de découper des aires.
Aussi, les limites administratives que nous posions comme des contraintes de la matrice
ne sont peut-être liées qu'à leur représentation graphique. Celle-ci représente le lien
entre des groupes tribaux par un ensemble de points situés dans une surface de sorte que
la représentation exigée par l'exercice cartographique est assimilée à la réalité.
236
Figure 9 :
237
L'Espace mobile déplacé par les groupes tribaux
Les limites, en tant que segments représentant des frontières, ne semblant pas
efficientes, notre interrogation concernant la capacité des groupes tribaux à modifier les
contraintes territorialisées de la matrice étatique peuvent porter sur deux éléments de
cette matrice. Le premier est le centre des entités administratives et le second le
rattachement des lieux à ces entités. Autrement dit, les groupes tribaux sont-ils en
mesure de déplacer ces centres et de modifier les rattachements ? Ces transformations
de l'espace sont-elles dépendantes de la dynamique politique mauritanienne ? Les
réponses ne se trouvent plus dans les textes, mais dans un ensemble d'exemples de
localités en décalage suivant que l'on retienne la carte par radiales ou par surfaces qui
permettent de faire apparaître quelques tendances générales et dans la comparaison d'un
même espace à différentes périodes.
Une série d'entretiens portant, entre autres, sur la création des communes rurales en
1987 nous permettent de pointer des décalages entre les critères posés par l'État et les
regroupements finalement effectués et de renforcer nos premières hypothèses sur les
modalités de ces agglomérations. Sur les huit entretiens pris en compte, le terme
“tribu”revient au moins une fois dans six d'entre eux. Dans les deux autres sont évoqués
les “notables”et les “collectivités”. Les discours portent à la fois sur les communes dans
leur ensemble et sur des exemples et ce qui ressort est que les choix de l'administration
ont tenu compte des groupes tribaux, ce qui renvoie à la distribution spatiale de ces
238
groupes tribaux. Ainsi, chaque groupe aurait tenté d'obtenir sa propre commune ou
d'être regroupé avec d'autres groupes auxquels il était lié.
D'après cette carte, dressée à partir d'entretiens croisés sur l'appropriation tribale des
localités, la commune de Benaman est, à part une exception, composée uniquement de
localités des Oulad Nacer. La commune d'Agjert est à majorité Oulad Nacer également.
Si nous ôtons de l'analyse les localités situées le long du goudron, nous observons que
seuls Hassi Ehel Mohammed Heye et Basra ne sont pas contrôlés par des Oulad Nacer.
La plupart des Kunta sont regroupés dans la commune de Oum Lahyadh. Il en est de
même pour les Lehmonat. La commune de Tenhamad est, à une exception près,
composée de Tenwajiou et de Smalil. En revanche, la commune de Hassi Ehel Ahmed
Bichna est relativement composite puisqu'on y trouve des Oulad Nacer, des Laghlal, des
Tenwajiou et des Peuls.
Les regroupements par tribus apparaissent donc nettement, mais la proximité des
localités d'une même tribu ne peut seule expliquer leur regroupement. Ce dernier
suppose aussi que les tribus parviennent à imposer leur choix. Les quelques localités de
la tribu de Tenwajiou dans la moughataa d'Ayoun auraient pu être rattachées à une
commune majoritairement composée d'autres tribus. La raison de la création de la
commune de Tenhamad, l'une des deux plus petites en superficie et en population de la
wilaya, peut ainsi s'expliquer par la meilleure intégration politique de ce groupe dans les
instances décisionnelles de l'État au moment du découpage. L'un d'entre eux travaillait
alors au ministère de l'Intérieur sur ce dossier. Les regroupements ne se basent pas
seulement sur une appartenance tribale donnée. Ils nécessitent une volonté commune de
ces groupes d'agir ensemble.
239
Figure 10 :
240
L'origine tribale des limites départementales
Le regroupement tribal n'a pas débuté avec la constitution des communes. La création
du département de Kobenni en 1970 a également une explication de cet ordre. À cette
époque, les deux principales tribus recensées étaient les Oulad M'Barek et les
Tenwajiou qui comptaient, d'après le décret, respectivement 14 et 9 fractions. Les Oulad
M’Barek constituent une tribu guerrière qui a longtemps été en rivalité avec les Oulad
Nacer. D'après des entretiens avec des membres de cette tribu, la création de ce
département a eu pour objectif de la cantonner dans une circonscription dans laquelle
elle s'est trouvée en relative majorité. Elle était ainsi isolée d'Ayoun mais recevait en
contrepartie un certaine autonomie territoriale. Par ailleurs le centre de cette
circonscription a été fixé à Kobenni, là où la tribu des Tenwajiou était la moins
influente. La limite Nord-Est du département semble correspondre à la ligne de partage
entre les espaces reconnus comme appropriés par les Oulad Nacer d'un côté et les
Tenwajiou et les Oulad M’Barek de l'autre. Cela s'est traduit dans le décret de création
par une limite passant par Mabrek et Timzin, localités appropriées par ces deux tribus.
Le choix du centre comme celui des localités qui y sont rattachés a plutôt suivi des
critères politiques découlant des rapports entre groupes tribaux dans l'action politique.
L'appropriation d'une circonscription correspond à une certaine position dans le pouvoir
politique. Les rapports de force étant dynamiques, les découpages, ou les regroupements
successifs ont évolué. Toutefois, il s'avère que les limites départementales ont prévalu
sur les limites communales. Ces dernières n'ont pas remis en cause les découpages des
moughataa et des wilaya. Ces deux cadres semblent avoir un ici une certaine efficience
en perdurant depuis trente-cinq ans, mais ce sont les rattachements des localités dans ces
entités administratives et non les limites en tant que frontières qui perdurent.
241
topographique est ici perturbée par les découpages départementaux et par les liens
tribaux. Si les découpages départementaux semblent être des éléments territorialisés de
la matrice étatique plus contraignant que ceux des communes, il n'en demeure pas
moins que c'est la relation politique qui prime.
242
243
Sur aucune des quatre cartes nous ne pouvons placer une limite nette (Cf. fig. 11). Il y a
toujours, une zone mixte dans laquelle se chevauchent des localités qui relèvent des
deux communes. Au niveau de l'aide alimentaire, les localités situées à l'Ouest de El-
Jaoual s'approvisionnent en général à Ayoun et celles situées à l'Est de Zemzem à
Agjert. De même, la plupart de celles situées à l'Ouest de El-Qalaa sont reconnues
comme appartement à la commune d'Ayoun et celles situées à l'Est de El-Jaoual à la
commune d'Agjert. En revanche, sur le plan scolaire et sur le plan électoral, la limite est
encore plus floue. Jusqu'à l'Est d'Agjert, des électeurs vont voter dans un bureau
rattaché à la commune d'Ayoun et entre Zemzem et Agjert, les habitants scolarisent
leurs enfants indifféremment de la proximité des deux chefs-lieux dans une école de
l'une des deux communes. Cette tendance peut être à rapprocher de la désertion relative
des localités durant les saisons froides puis sèches. Les localités dont la proportion
d'habitants retournant à Ayoun après l'hivernage est la plus forte ont tendance à être
rattachées à cette ville. Les groupes de ces lieux semblent moins en rapport avec les
autres groupes de la commune. Ils sont notamment peu représentés au conseil
municipal. Les trois seules localités sur la route goudronnée dont les habitants ont un
conseiller municipal à Agjert sont toutes rattachées à la commune suivant ces quatre
critères. Par conséquent aucune des localités dont les enfants sont scolarisés à Ayoun ou
dont les habitants votent à Ayoun n'est représentée au conseil municipal d'Agjert. Bien
que situés dans cette circonscription, ces groupes ne se reconnaissent pas comme y
appartenant.
Cependant, lors de plusieurs questionnaires, nos interlocuteurs ont spécifié que la limite
entre Ayoun et Agjert correspondait au poste de police situé à cinq kilomètres de la
ville. Bien que ce point matérialise l'entrée de la commune urbaine, beaucoup de
groupes des localités situées à l'Est se reconnaissent comme y étant rattachés. Nous
pouvons en conclure deux tendances. D'une part, le positionnement dans une commune
varie selon plusieurs facteurs. Les habitants d'une localité ne votent, ni ne se scolarisent,
ni ne s'approvisionnent nécessairement dans la commune dans laquelle ils disent
habiter. Ce positionnement dépend des circonstances et peut varier selon les intérêts du
moment. D'autre part, la limite administrative reconnue ne correspond pas aux
rattachements reconnus par les habitants. Nous pouvons alors distinguer les limites
244
matérielles des limites intériorisées et considérer que les groupes tribaux d'un lieu sont
positionnés dans une entité administrative lorsqu'ils se reconnaissent et sont reconnus
comme appartenant à cette entité. À la différence de la carte établie en 1987 qui a figé
des découpages, prendre en compte les regroupements reconnus permet de suivre les
évolutions dans le temps de la dynamique politique.
D'après ce critère, plusieurs indications des textes de 1987 s'avèrent décalées par rapport
à la réalité d'aujourd'hui. Il s'agit notamment des toponymes qui font office de sommet
aux arêtes représentant les frontières. Dans certains cas, le rattachement communal
précisé par le décret ne correspond plus aux rattachements reconnus aujourd'hui. L'un
d'entre eux, Ghlig Oum El-Keraan est censé appartenir à Agjert. Le tracé administratif
de la limite entre Agjert et Oum Lahyadh dessine un crochet à l'Est pour intégrer cette
localité à la commune. Comme son toponyme “ghlig”, barrage, l'indique, le lieu est une
grande étendue cultivable. En 2004, personne parmi les habitants d'Agjert ni parmi ceux
de Oum Lahyadh, ne connaît Ghlig Oum El-Keraan. En revanche, les habitants
reconnaissent la localités située à un kilomètre à l'Est sous le nom de Ghlig El-Wiss et
aucun d'entre eux ne la rattache à la commune d'Agjert. De même, les habitants d'Agjert
reconnaissent que la localité est positionnée dans la commune de Oum Lahyadh. Nous
ne savons pas si le changement de toponyme a correspondu au passage d'une commune
à l'autre, mais nous pouvons considérer qu'un élément territorialisé de la matrice
étatique, en l'occurrence le sommet d'une limite, a ici été modifié et que cette
modification est de fait entérinée par les habitants.
246
Figure 12 :
247
Par rapport aux communes, les zones des SEM semblent plus atomisées car les
habitants de plusieurs localités d'une prétendue même zone revendiquent d'en avoir été
le centre. Certains prétendent également n'avoir entretenu de relations qu'avec le chef-
lieu de la wilaya mais pas avec le centre de leur zone. Au-delà de la réduction du
nombre de centres dans le passage aux communes, nous observons une certaine
continuité entre les deux découpages pour les regroupements. Ces continuités
correspondent à la continuité des rapports entre groupes tribaux. Les Oulad Nacer sont
toujours ensemble, de même pour les Tenwajiou. À l'intérieur de ces ensembles, Basra
est resté lié à Leqliq et à Agava et Agjert est resté lié aux localités regroupées autour de
Vaugouz.
248
Cette explication attribuée au cas de Gounguel et de Berbouchiye semble valable pour
expliquer les autres changements de centres. Timzin et Agjert étaient des centres de
zone et sont devenues chef-lieux de commune, alors que Agava et Baghzaza qui étaient
aussi des centres de zone ne sont pas devenues des chefs-lieux. De leur côté, Tenhamad
et Benaman n'étaient probablement pas des centres de zones mais sont devenues des
chefs-lieux. L'explication générale de ces changements peut renvoyer aux raisons du
passages des SEM aux communes qui avait correspondu à un changement de régime sur
le plan national. Aussi, nous pouvons supposer que les déplacements des centres
s'expliquent en grande partie par les changements dans le pouvoir politique. Les
localités les mieux intégrées dans le régime antérieur ne le sont pas toujours restées dans
celui qui a suivi. La désignation d'Agjert comme chef-lieu aux dépens d'Agava peut
ainsi s'expliquer par le soutien dont la localité a bénéficié de la part de la fraction alors
dominante de la tribu des Oulad Nacer au moment des découpages communaux.
L'évolution des centres, qui a parfois provoqué celle des regroupements, reflètent en
partie les évolutions des rapports de force entre les différents groupes tribaux qui se
rattachent aux localités. Ces différents groupes étant mobiles au sein du pouvoir
politique, leurs interrelations ne sont pas figées et leurs évolutions entraînent le
déplacement des éléments territorialisés de la matrice. L'espace n'est fixe et borné que
s'il est envisagé de manière synchronique, mais les évolutions dans le temps révèlent
son caractère mobile.
249
de leur tribu vivait à Chinguetti. Durant les cinquante dernières années, ce glissement
vers le Sud s'est poursuivi. Les dernières périodes de sécheresse ont incité des éleveurs
de l'Adrar à se diriger vers le Tagant, des éleveurs du Tagant vers le Sud et des éleveurs
du Nord du Hodh vers le Sud du Hodh245. Cette tendance longue peut expliquer en
partie les conflits opposant les Laghlal aux Oulad Nacer de la commune de Hassi Ehel
Ahmed Bichna. Les Laghlal installés dans la partie septentrionale de la commune sont
originaires des environs de Tamcheket. Leurs localités n'étaient pas recensées dans la
commune lors de sa création de sorte que les Oulad Nacer se sont retrouvés en minorité.
Ainsi, la mobilité des tribus a ici remis en cause l'équilibre politique des regroupements.
244
Paul Marty, Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan. Tome 3. Paris : E. Leroux, 1920-1921, 475 p.
245
Clément Lechartier, op. cit.
Michel Bouy et Taher Moustapha Ould Saleh, op. cit.
246
Lors des questionnaires, l'existence des lieux en tant que localité habitée a été considérée par les
interlocuteurs comme liée à la date de construction du premier hangar. Nous y reviendrons dans le
chapitre suivant.
250
Figure 13a :
251
Figure 13b :
252
Suivant le premier critère, cette limite a d'abord été assez identifiable entre Dar Naim et
El-Jaoual jusqu'en 1994, puis elle est devenue plus floue en glissant vers Agjert (Cf. fig.
13a). Suivant le second critère, la limite passe d'abord entre Ayoun et Hay Nour pour se
rapprocher aujourd'hui de Zemzem (Cf. fig. 13b). Suivant les deux critères, il apparaît
l'implantation de nouvelles localités modifient la localisation de la limite.
Chaque nouvelle localité peut en effet modifier ces limites car elle implique une
appropriation de l'espace qui met en jeu les groupes tribaux, ceux qui revendiquent la
terre et ceux qui désirent s'installer. L'appropriation dépend alors des rapports de force
entre ces groupes. S'ils se rattachent à des communes différentes ou bien si le territoire
d'un groupe rattaché à Agjert est approprié par un groupe rattaché à Ayoun, la limite
effective entre les deux s'en trouve modifiée. La limite traduit alors le partage du
territoire et les rapports entre groupes tribaux à une date donnée. Nous retrouvons là
l'une des oppositions entre l'espace nomade qui ne trouve son unité que dans sa
dimension diachronique et le territoire de l'État dont les découpages cartographiés sont
nécessairement envisagés de manière synchronique247.
247
Denis Retaillé, La conception nomade de la ville, op. cit.
253
mêmes démarches afin de retourner à Tenhamad. En 2000, ils ont ainsi été recensés
dans cette dernière commune et sur le plan électoral, ils ont changé de conseil municipal
et y disposent en 2004 d'un conseiller.
Dans les deux exemples, la matrice administrative a été déplacée pendant que les
localités sont restées situées au même endroit. Ces déplacements ont été causés par la
volonté des groupes rattachés à ces lieux de s'allier avec d'autres groupes, mais ces
déplacements ne correspondent pas à un ajustement a-posteriori des découpages par
rapport à des tribus. Dans le second exemple, il correspond à un changement des
rapports entre groupes à l'intérieur d'une tribu et les deux déplacements successifs
soulignent que les regroupements de localités entre elles ne peuvent être figés. Ils sont,
comme les interrelations tribales, en mouvement constant. Aussi, l'un des problèmes de
la carte n'est pas d'avoir mal été dessinée, mais d'avoir figé les regroupements. Ensuite,
la capacité à déplacer l'espace passe par l'intégration politique à la matrice étatique telle
que nous l'avons définie dans la deuxième partie. Dans le deuxième exemple, c'est en
effet grâce à l'intervention sollicitée du préfet que le rattachement a été modifié. Enfin,
dans le premier exemple, même si nos informations ne sont pas complètes à son sujet, la
localité A. n'est pas située sur les marges de la circonscription. L'important n'est pas de
déplacer la limite un peu à l'Est ou un peu à l'Ouest. La localisation n'influe pas sur le
rattachement et la localité peut être ailleurs tout en étant là. La carte, en figurant les
circonscriptions par des surfaces contiguës ne peut en rendre compte qu'en représentant
des enclaves territoriales.
Dans notre travail sur les limites, avant d'aborder nos enquêtes, nous cherchions des
exemples de localités ayant déménagé pour se retrouver dans une autre entité
administrative que celle à laquelle elles auraient été rattachées. Nous n'avons pas trouvé
de tels exemples et pour cause. Il en existe peut-être puisque nous n'avons travaillé que
sur quelques communes, mais les deux cas précédents vont plus loin. Ils montrent
qu'une localité peut se déplacer sans se déplacer et nous pouvons les interpréter comme
la manifestation la plus aboutie du nomadisme et de l'espace mobile.
255
Chapitre 11: Mobilité du centre et nomadisation des lieux
Après avoir montré que les cadres territorialisés de l'État étaient mobiles, nous
envisageons dans ce chapitre les lieux des groupes tribaux et leur mobilité dans la même
approche du pouvoir politique mauritanien. La deuxième partie a montré que les lieux
de la bediyya sont la condition de l'existence et de la reconnaissance sociale et politique
des groupes tribaux. De plus, le développement et l'approvisionnement de ces lieux-
noyaux sont dialectiquement liés à l'intégration et à l'action de leurs groupes dans la
matrice étatique. Par ailleurs les groupes tendent vers la dispersion dans ce sens que le
chef d'une tribu ne peut imposer son autorité à toutes les fractions et que chaque fraction
tend vers sa propre autonomie en essayant d'élever son nassab au-dessus de celui des
autres et en se détachant de la fraction dominante pour s'opposer à elle dans ce que
Pierre Bonte appelle le factionalisme dual. Cette dispersion politique induit la
dispersion spatiale248. Les groupes tribaux sont donc des constructions dynamiques en
constante recomposition dont la capacité à s'élever au-dessus des autres dépend de la
qualité de leur intégration dans l'État. Celle-ci étant variable, le développement des
lieux-noyaux varie dans le temps. Nous pouvons alors supposer que le caractère nomade
de la logique tribale qui tend à déplacer les localités en s'articulant avec la logique
étatique qui borne l'espace ne se dissipe pas dans le contexte étatique. La dynamique
politique induit autant que la logique tribale la mobilité des lieux.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que la position relative aux autres groupes
primait sur la situation et la distance spatiale, c'est-à-dire sur la localisation. De là, nous
pouvons supposer que la dynamique politique est liée à la mobilité des lieux et
inversement et donc que les lieux se déplacent en même temps qu'évolue le pouvoir
politique. Dans un premier temps, nous essaierons de savoir s'il y a bien mobilité de ces
lieux en nous appuyant sur l'enquête de la route goudronnée et sur les données
statistiques issues des différents recensements de la population. À partir des premières
interprétations de ces données, nous tâcherons de voir dans quelle mesure l'espace
mobile et le pouvoir politique mauritanien en fournissent un cadre explicatif.
248
Manaf Sami, op. cit.
256
Nouvelles localités, entre création, disparition et déplacement
En revanche, ces données ne prennent pas en compte une partie de la réalité. L'absence
de point sur la carte ne signifie pas absence de lieu habité ou approprié. En effet, le long
de la route, nous en avons dénombrées 41 quand le recensement n'en relevait que 21.
Les localités non recensées sont en général les moins peuplées, mais elles représentent
la moitié de celles qui existent. Il est possible qu'il y ait un effet de seuil en deçà duquel
les services statistiques ne comptabilisent pas le lieu comme une localité. La création
d'un lieu n'est pas toujours brutale. Une première tente peut être plantée, puis l'année
suivante la même au même endroit et l'année d'après un hangar est construit, puis
d'autres jusqu'à ce que le lieu soit identifié comme localité. Le recensement effectué par
les maires pour l'attribution des aides alimentaires dénombre également plus de localités
que celui de l'administration. À Agjert 87 dont 37 sur le goudron sont répertoriées pour
la distribution des aides contre 48 dans le recensement. À Hassi Ehel Ahmed Bichna, 54
sont répertoriées par la mairie contre 53 par le recensement. L'écart significatif dans la
commune d'Agjert peut s'expliquer par le fait que pour une même localité, le maire
distingue parfois les principaux quartiers. Le village d'Agjert est ainsi divisé en 5
quartiers. Cette division par n'est pas toujours une simple commodité de recensement.
257
Elle peut correspondre à la cohabitation de plusieurs groupes tribaux dans un même
lieu, or les services statistiques ne rendent pas compte de l'installation ou du départ d'un
groupe. De manière générale, il existe plus de localités que celles recensées, mais c'est
seulement sur la route que nous avons pu les prendre en compte.
249
Dah Ould Khtour, Recueil de textes élaborés par Dah Ould Khtour pendant la 3ème phase du projet.
Ayoun El-Atrouss : Projet Girnem, 2002, 93 p.
250
Cf. Annexe 1.
251
L.E.D.R.A. Atlas migrations et gestion du territoire. Université Nouakchott L.E.R.G., Coopération
Française, Université de Rouen, L.E.D.R.A. 1999, 36 planches.
258
décalages apparaissaient, mais deux éléments nous font penser qu'il s'agissait d'autres
erreurs. D'une part, lors de nos enquêtes, il s'est avéré que des localités cartographiées
dans différents sites ne se sont jamais déplacées. D'autre part, le nom de certaines
localités étant lié à un puits ou à un barrage il est peu probable que ces points d'eau aient
été déplacés. Aussi, le nombre de sites ayant été totalement abandonnés pour un autre
est certainement très réduit et ce ne sont pas ces cartes qui pourraient en rendre compte.
C'est seulement pour la disparition de localité qu'elles nous paraissent fiables. Certains
points étaient considérés comme des localités habitées en 1977 puis comme des simples
points d'eau en 1988. Cela se traduit dans les données des recensements par l'absence de
ce point en 1988. C’est le cas de Hassi El-Barka dans la commune d'Agjert et de El-
Meilah dans celle de Timzin.
259
Tableau 8a : Localités dont la population a baissé du plus du tiers entre 1988 et 1977
En ce qui concerne les créations, la plupart se situent dans la commune de Hassi Ehel
Ahmed Bichna. Un deuxième ensemble apparaît dans les communes de Tenhamad et de
Benaman. Le troisième se situe de part et d'autre de la route dans l'Est de la moughataa.
L'importance de celles situées dans la commune de Hassi s'explique par le fait qu'elle
est la commune la plus peuplée selon le dernier recensement. Elle compte presque
autant d'habitants que Tenhamad, Agjert et Benaman réunis. Par ailleurs, les densités de
population augmentent suivant un gradient Nord-Sud dans la wilaya.
260
celles dont ils sont originaires d'une autre localité. Pour les localités de la route, environ
30% relèvent de la première, 25% de la seconde et 45% de la troisième (Cf. fig. 14).
D'après l'enquête du sociologue, les trois types se retrouvent au-delà de cette route. Sur
56 qu'il prend en compte, les habitants de 41 d'entre elles sont originaires d'une localité
déjà existante. Il en ressort qu'il existe très peu de localités dans lesquelles la majorité
des habitants soit d'anciens “nomades”. Seules quinze d'entre elles sont le résultat d'une
première sédentarisation. Comme pour la route, la majorité vient d'une autre localité ou
de la ville.
261
Figure 14 :
262
De la tente à la maison
Les 30% originaires de la bediyya étaient donc statistiquement nomades. Leur principale
activité demeure l'élevage, mais nous ne pouvons considérer leur installation comme
une sédentarisation. Il ne s'agit pas, comme François Piguet le décrit chez les nomades
de la Corne de l'Afrique, de la “perte d'une autonomie jusqu'ici construite autour de la
capacité de mobilité”252. Cette perte d'autonomie peut être causée par la sécheresse et la
paupérisation des familles d'éleveurs. Au début des années 1970 puis au début des
années 1980, la Mauritanie a effectivement connu deux périodes de sécheresse qui ont
poussé les éleveurs à migrer vers les villes et à vendre leurs troupeaux253. Cependant, ce
n'est pas la sécheresse qui peut expliquer le passage actuel des campements aux localités
proches du goudron. Elle n'a été évoquée que dans un seul questionnaire pour une
localité créée il y a près de trente ans. Il ne s'agit pas non plus d'un passage massif de
l'élevage transhumant à un élevage associé à l'agriculture. L'intention de se lancer dans
un projet agricole n'a été évoquée que dans 12% des cas et l'élevage n'est jamais
abandonné. Parmi, les localités du goudron, ce sont celles dont les fondateurs vivaient
dans des campements de la bediyya qui en tirent le plus leurs ressources. Bien que
vivant sous des hangars, ils continuent d'être des éleveurs et n'habitent dans leur
nouvelle localité que temporairement car ils pratiquent toujours la transhumance. Cette
transhumance peut prendre deux formes. Dans la première, tous les habitants de la
localité se déplacent avec les troupeaux, de sorte que les habitations sont désertées une
partie de l'année. Dans le seconde, seule une partie suit les animaux, souvent les
hommes ou les bergers. La fixation de l'habitat ne correspond pas, ici, à un abandon de
la mobilité. Sous tente ou sous une maison, les éleveurs demeurent transhumants.
Il ne s'agit donc pas d'un passage brutal d'un mode de vie à un autre. Plusieurs de ces
localités sont le résultats de processus qui s'étalent sur plusieurs années. Les premières
constructions sont peu nombreuses et servent de point d'appui provisoire au groupe qui
nomadise. Elles font parfois suite à l'installation saisonnière du campement à proximité
de la route. Après un stationnement régulier sous tente durant plusieurs années
consécutives, les éleveurs commencent à construire en dur. Puis, ils développent et
aménagent progressivement leur localité.
252
François Piguet, Des nomades entre la ville et les sables. La sédentarisation dans la Corne d'Afrique.
Paris : Karthala, 1998, p 273.
263
C'est ce même processus qui est décrit pour expliquer la création des villages déjà
recensés en 1977 dans lesquels nous avons mené des entretiens. Pour la plupart d'entre
eux la construction du premier hangar remonte aux années 1950 et 1960, soit avant la
sécheresse. Cette première phase de sédentarisation que nous préférons appelée
l'ancrage territorialisé des groupes qui nomadisaient s'est accélérée durant les périodes
de sécheresse pour prendre ensuite la forme que nous avons décrite plus haut. Avant cet
ancrage, les groupes tribaux se déplaçaient en petits groupes correspondant aux
campements et parfois se rassemblaient en fraction de tribu. Les actuels habitants de
Mabrek ont d'abord creusé un premier puits en 1943 tout en continuant à se déplacer
dans la région et revenant périodiquement autour de ce puits en saison sèche. Ce n'est
qu'en 1962 que la famille principale du groupe y a construit le premier hangar. Puis, à
partir de cet ancrage, d'autres familles du groupe se sont installées. La création de
Vaugouz pour les Oulad Chbeichib, de Leqliq pour les Abdul Wahab, de Agjert pour les
Amar Taleb, de Gounguel pour Lanatre ou encore de Ghlig Smalil pour les Smalil a
suivi le même processus.
Hormis leur origine, ces localités présentent des caractéristiques différentes. Environ
35% de leur fondateur expliquent leur installation par la recherche du repos au calme,
au milieu des pâturages, loin de la ville et de ses moustiques. Situées pour la plupart à
253
Pierre Bonte et Abdel Wedoud Ould Cheikh, Production marchande et production pastorale dans la
264
proximité d'Ayoun, elles correspondent plutôt au phénomène des “sorties en brousse”
déjà décrit par Cheikh Saad Bouh Kamara254. Durant l'hivernage, l'atmosphère est
chaude et humide. La vie en ville devient pénible car elle attire les moustiques et abrite
du vent qui rafraîchit l'air. Être contraint de passer la nuit sous une moustiquaire alors
que l'air est déjà rare n'a rien de reposant. Ainsi, en fin d'après-midi, Ayoun se vide et
des cohortes de 404 et de Toyota se dispersent dans les alentours. Passé l'hivernage, le
phénomène se poursuit et certains continuent d'aller à Ayoun la journée et pour en
revenir la nuit. De même, d'autres travaillent ou bien sont avec les enfants scolarisés en
ville pendant la semaine et retournent le week-end. La résidence à Ayoun n'est
nécessaire que pour des raisons professionnelles et c'est seulement lorsque le climat
devient trop aride que la vie redevient relativement plus douce en ville.
256
Dah Ould Khtour, Op cit.
266
Figure 15 :
267
“Sédentarisation par fragmentation”257
Pour les 45% restantes, leur fondateur ne sont ni originaires de campements, ni
originaires de la ville mais viennent d'une autre localité. Ce type de création est
également majoritaire dans l'enquête de Ould Khtour. Comme pour les précédents, il est
révélateur de la mobilité des populations puisqu'elles correspondent au déplacement
d'un groupe tribal d'un site à un autre et comme pour les précédents, ces déplacements
dans l'espace recouvrent des formes variées. Un même lieu peut être la conjonction d'un
groupe qui se déplace, d'un autre qui quitte la ville et d'un troisième qui se fixe pour la
première fois. Par ailleurs, le passage d'un site à un autre peut se traduire par l'abandon
total du premier, mais peut également être la conséquence d'une séparation. Une partie
de ceux qui habitaient une localité va s'installer ailleurs et l'autre partie reste au même
endroit. Ces cas correspondent à ce que Ould Khtour appelle la “sédentarisation par
fragmentation” (Cf. fig. 15). Les habitants de chaque village se séparent pour donner
naissance à une autre localité. Sur les 72 localités que nous avons prises en compte, 21
d'entre elles en ont donné 50 autres et 7 en ont donné 32. D'après Ould Khtour,
Tenhamad est à l'origine de 38 localités et Agjert à l'origine de 17. Nous pouvons donc
considérer le processus de la multiplication des localités comme une série de divisions
en chaîne des habitants des premiers villages rejoints par des groupes nomades pour
créer de nouveaux lieux. Autrement dit, l'association qui produit le lieu reste temporaire
et peut ensuite aboutir à la naissance d'un autre lieu. Prenons l'exemple de la fraction
des Oulad Ihammatoug. Leur première sédentarisation a eu lieu à Vaugouz. Ensuite, une
partie s'est installée à Benaman et l'autre à Blemhadher. De Benaman, certains sont
partis à Qlelithe puis à Beder. D'autres sont partis à Tichilit El-Barka où les ont rejoints
une partie de la fraction qui avait fondé Touridine et Bamoueira. Ces éclatements en
chaîne font qu'aujourd'hui la fraction se répartit dans plusieurs sites qui ne sont pas
définitifs. Les groupes tribaux continuent ainsi à se déplacer.
257
Dah Ould Khtour, Op cit.
268
plusieurs sites d'installation toujours provisoires. La création d'un lieu ne correspond pas
non plus à l'aboutissement de ce processus. La mobilité spatiale des groupes ne s'arrête
pas à l'abri d'une maison construite en ciment. La création, la disparition et le
déplacement des lieux que révèlent ces indicateurs montrent qu'ils sont toujours
provisoires et que, s'ils paraissent bien ancrés, ils restent potentiellement mobiles.
En revanche, les données que nous avons traitées et partiellement interprétées masquent
plusieurs formes que prend la mobilité des lieux et des groupes qui les habitent. Les
localités ne sont que rarement le seul site occupé par ses habitants au cours de l'année.
Nous l'avons déjà mis en évidence dans le cas de celles dont les habitants, issus de la
ville, se déplacent d'Ayoun ou de Nouakchott vers la bediyya. Par ailleurs, les cartes
comme les données statistiques ne peuvent rendre compte des déplacements de
quartiers. Dans le chapitre 3, le lieu a été présenté comme pouvant recouvrir plusieurs
formes. Il peut être composé d'un seul groupe tribal comme de plusieurs. Dans la
seconde configuration, la localité se compose de d'autant de quartiers que de groupes
tribaux. À chaque quartier correspond un groupe et lorsqu'il quitte une localité, elle ne
disparaît pas nécessairement puisque les autres groupes peuvent rester. Un groupe peut
alors être mobile. Après s'être aggloméré à un village, il en rejoint un autre tout en
conservant leur unité et constitue un autre quartier. Ainsi, à Agava, il y a une fraction de
Chorfa qui habitait auparavant dans un autre village. En s'installant à Agava, la fraction
est restée soudée et a créé son propre quartier. Cette forme de mobilité implique le
déplacement du quartier mais pas des localités, or ce sont elles qui sont prises en
compte par les recensements. Ainsi, un même site localisé au même endroit par l'ONS
peut être le cadre ce cette forme de mobilité. Le cas des Chorfa d'Agava est loin d'être
isolé, mais seules nos propres enquêtes permettent d'appréhender les autres.
269
localisation des déplacements, disparitions et apparitions de localité ? D'après les trois
cartes sur lesquelles figurent les sept communes, Ayoun ne semblent pas polariser
l'implantation des nouvelles localités. En revanche, sur la carte de 2000, la route se
devine légèrement, ce qui nous laisse supposer qu'elle est un facteur de localisation
possible (Cf. fig. 3). Les premières hypothèses faisaient de cette un route facteur de
sédentarisation. D'après un rapport du RAMS cité par Jean-François Staszak, la
diminution de la population nomade dans les deux Hodh s'est accélérée avec la route.
L'auteur note que c'est avant tout la sécheresse qui a provoqué la sédentarisation et
précise que le goudron n'a fait que la cristalliser258. Même si nous ne pouvons parler de
sédentarisation, cette route peut être considérée comme un axe de polarisation. Pour
comprendre son impact, nous nous appuyons sur l'enquête sur les localités qui la
bordent, mais également sur les données concernant les autres localités qui en sont
éloignées. Le fait que nous ayons beaucoup plus de données sur les premières constitue
un biais qui tend à sur-valoriser les interprétations tirées de leur étude.
258
Jean-François Staszak, Le goudron dans la brousse. La "Route de l'espoir", op. cit.
270
réseau des téléphones mobiles ne porte pas. De plus, tout le monde n’est pas équipé de
ce moyen de communication. Les nouvelles circulent donc lors des contacts directs.
259
Denis Retaillé, L'espace nomade, op. cit.
Manaf Sami, op. cit.
271
nuire à son accessibilité, pendant que ceux qui ne disposent pas de véhicules pallient à
ce manque par leur installation à proximité de cet axe.
En fait, la localisation dépend de deux nécessités. Elle ne peut exister sans la présence
de l'eau et ne peut s'implanter que dans un contexte foncier favorable. En ce qui
concerne l'eau, sa présence est un facteur variable. Il dépend de données zonales liées
aux précipitations, ce qui explique les plus fortes densités au Sud de la wilaya, mais il
dépend surtout des moyens techniques de ceux qui s'installent. Pour creuser un puisard
dans le lit d'un oued, il faut essentiellement des bras. Pour cimenter un puits, il faut
vendre quelques animaux (chamelles ou vaches), mais pour creuser un forage pouvant
avoisiner 100 mètres, il faut des machines dont la location nécessite un investissement
financier qui n'est pas à la portée de tous. Plus, le groupe qui veut créer une nouvelle
localité peut mobiliser ces moyens, moins il dépend de la présence de l'eau en surface.
Par conséquent, la possibilité de forer s'étend sur une plus grande superficie. La
localisation est moins déterminée par l'eau. Dans le Tagant, un riche marabout a créé
une localité sur un site surnommé par les habitants “Lagrav Lahtash”, “là où il n'y a que
la soif” grâce à un forage de près de 100 mètres260. Cela rejoint les propos de Denis
Retaillé selon qui, l'accès à l'eau n'est pas seulement fonction de la disponibilité mais
aussi du projet et des moyens de l'exploitation261. Là encore, la technique permet de
s'affranchir des contraintes physiques et cet affranchissement est d'autant plus important
que la capacité de mobiliser des capitaux est élevée. Aussi, un groupe tribal bien intégré
dans le pouvoir central, peut forer profond, combler de grandes distances dans un temps
réduit et imposer ses droits sur le plan foncier avec plus de force. Nous retrouvons là
des caractéristiques des nomades, capables de s'affranchir des contraintes et de maîtriser
les distances. Ce potentiel de mobilité n'est pas seulement technique. Il dépend aussi du
pouvoir politique.
260
Clément Lechartier, op. cit.
272
indépendant. Cela rejoint en partie le phénomène de l'adresse et le deuxième type de
création de localité distingué par Dah Ould Khtour, la “recherche d'identité”262. Les
fondateurs de ces localités sont en général originaires de la ville, mais ils sont également
rejoints par des groupes qui quittent leur village. Elles sont parfois proches d'Ayoun,
comme celles sur la route que nous avons présentées comme résultant des “sorties”en
brousse, parfois à l'intérieur même des limites de la commune urbaine comme Ghassar
fondé par l'ancien sénateur à quelques kilomètres au Nord-Est de la ville, ou bien plus
éloignées comme Zakiat Oum El-Hassian. Pour ces localités, la visibilité prime sur
l'accessibilité et la localisation importe d'autant moins que les groupes tribaux disposent
des moyens pour s'affranchir du milieu. Pour traiter et expliquer ce type de création de
localité, les données statistiques atteignent alors leurs limites. Comme pour la
“sédentarisation par fragmentation”, c'est dans la dynamique politique mauritanienne et
non dans les facteurs de localisation que la mobilité de l'espace trouve ses fondements.
261
Denis Retaillé, Le monde du géographe, op. cit.
262
Dah Ould Khtour, op. cit.
273
Dans cette optique, les lieux sont des réalités nomades qui évoluent dans l'espace
suivant les fluctuations sociales et politiques. Cette mobilité ne se traduit pas seulement
par la mobilité des sites dans lesquels ils s'inscrivent. Elle peut se manifester dans un
site dans lequel le lieu est mobile, aussi pour aller plus loin que les statistiques nous
revenons ici à l'idée de l'étude d'un lieu comme fait spatial total réunissant les
différentes formes de cette mobilité. À partir de l'histoire d'un village, nous présentons
chacun de ces aspects que nous retrouvons partout ailleurs. Ensuite, nous pourrons
envisager comment tous ces aspects sont liés avec la dynamique tribale ainsi qu'avec le
pouvoir politique.
L'ancrage territorial
Vaugouz est le lieu-noyau des Oulad Chbeichib. Le site actuel correspond au premier
point d'ancrage territorialisé de cette fraction qui, pendant la colonisation française, était
celle qui dirigeait la tribu des Oulad Nacer. Ce lieu est el-helle, le campement émiral. Là
est enterré le prestigieux Ethman Ould Bacar, mort en 1971, dont le tombeau est situé
au milieu de la batha, entre le jardin et le marché. Là est également conservé le 'tbal
symbolisant le pouvoir guerrier (Cf. fig. 16a). Vaugouz matérialise l'existence de la
fraction et conserve aujourd'hui dans son paysage, avec le tombeau, la marque de sa
fonction de chefferie. Dans les années 1950, un premier hangar a été construit, le
premier puits cimenté a été creusé par les Français avant l'Indépendance et la première
école a été instituée peu de temps après. D'autres familles de la fraction s'y sont
progressivement installées et d'autres groupes tribaux les ont également rejointes. Cela
correspond au processus de fixation que nous avons développé en début de ce chapitre à
partir de l'exemple des Oulad Ihammatoug.
274
Figure 16a :
275
L'évolution de la composition du lieu avec l'intégration politique des groupes
tribaux
Aujourd'hui, le village se compose de trois ensembles : au Nord, Vaugouz saheli
(septentrional), 500 mètres au Sud, Vaugouz telli (méridional). Au Sud-Est, il y a le
jardin, les puits de la batha et le marché. La partie Sud est appropriée par les Oulad
Chbeichib et la partie Nord par les Ehel Teggueddi qui appartiennent également aux
Oulad Nacer. Les premiers sont des guerriers et les seconds des marabouts. Ils se sont
installés à Vaugouz durant la colonisation suite à un rapprochement politique avec les
Oulad Chbeichib. Ethman Ould Bacar avait soutenu une partie des Ehel Teggueddi
contre une autre pour le choix du chef de cette fraction. La partie soutenue s'est installée
à proximité et l'autre à Blemhadher. À la fin de la colonisation, le chef général des
Oulad Nacer a refusé de reconnaître la nomination du chef des Ehel Teggueddi car il en
soutenait un autre. Pour résoudre le conflit, les Français ont procédé à la séparation des
Ehel Teggueddi en deux groupes. Chacun de ces deux groupes s'est installé dans un lieu
distinct. C'est ainsi qu'une nouvelle localité a été créée. La résolution du conflit a
dépendu de la meilleure intégration politique d'une partie des Ehel Teggueddi, soutenu
par Ethman Ould Bacar, lui-même soutenu par l'administration coloniale. Plus
récemment, un conflit a opposé deux groupes des Oulad Chbeichib de Vaugouz. L'un
des deux a refusé de soutenir la candidature pour un poste de secrétaire fédéral du parti
de celui que la majorité des Oulad Chbechib avait choisi. Le choix ayant été entériné par
les instances fédérales, ce groupe s'est retrouvé en position de faiblesse. Faute d'avoir
été appuyé par ces instances de la matrice étatique, il a été chassé de Vaugouz pour aller
fonder une autre localité quelques kilomètres plus loin. Lors de ce départ, les haratin de
ce groupe ont refusé de le suivre et ont choisi de rester sous la dépendance du reste des
Oulad Chbeichib.
La mobilité des quartiers suit l'arrivée et les départs des groupes tribaux
Entre l'Indépendance et aujourd'hui, le lieu n'est pas demeuré figé. Certes, il est toujours
composé de l'alliance de ces deux fractions, mais entre temps, il a été mis en
mouvement. Une autre fraction s'est installée. Ses membres sont restés jusqu'à ce qu'un
conflit les oppose aux Oulad Chbeichib et qu'ils soient chassés de Vaugouz. Depuis
quelques années, les Ely Cheikh qui nomadisent au Nord ont construit quelques hangars
276
dans la partie Sud et depuis moins de cinq ans, quelques familles de Mechdhouf
construisent des habitations entre les deux parties. En 2002, il s'agissait de tentes et de
hangars en bois qui sont devenus, en 2004, des hangars à l'architecture plus élaborée. En
quelques années, le paysage a évolué. Il est donc possible qu'il ait toujours connu des
évolutions qui échappent à notre perception. Seules des traces de pierres ou d'ardoises
peuvent parfois nous laisser supposer que des maisons ont été abandonnées ou détruites.
Le paysage que nous pensions immobile est sans cesse en mutation, mais cette mutation
se distingue avant tout par la mobilité des quartiers qui composent le village. À
l'intérieur même de la partie Sud, la plus peuplée, les habitants y distinguent plusieurs
quartiers dont Hay Standard et Hay Diabocorni. La distribution des habitants dans ces
quartiers n'est pas hasardeuse. Les habitations proches correspondent à des relations
sociales plus étroites et parfois légitimées par la parenté. Ainsi, autour de la maison des
Ehel Bacar, sont disposés les hangars des haratin dépendants de cette famille et la
famille des Ehel Mohammed El-'abd amie des premiers. Au Sud du village, se sont
regroupés les quelques hangars des Ely Cheikh. Par ailleurs, pour au moins trois
familles, les frères se sont installés dans deux hangars aux cours contiguës. La lecture de
la disposition des habitants donne ainsi les premières indications aux relations de
parenté ou de dépendance pour les haratin (Cf. fig. 16b).
277
Figure 16b : Plan schématique des habitations de Vaugouz Sud en février 2003
278
Les récentes localités issues du village, entre “recherche d'identité” et
“fragmentation”
Au-delà des départs et des arrivées, la mobilité correspond à des recompositions
tribales. Suite à quelques divergences, une partie des Oulad Chbeichib de Vaugouz a
fondé El-Helle le long de la route au Pk 23. Cette nouvelle localité a, à son tour, connu
une partition avec la création de El-Helle Pk 22. La localité de Pk 23 est, en 2004,
inhabitée, suite à des départs vers le Pk 22 ou à des retours à Vaugouz. La création de
cette localité ne correspond pas seulement au départ d'un groupe habitant le village car
d'autres familles d'Ayoun sont venues s'y installer. Par ailleurs, deux familles des Ehel
Boubacar et des Amar Taleb se sont installées à proximité de Vaugouz en contractant
des alliances matrimoniales avec des familles du village. Le groupe tribal de cette
dernière, comme celui de El-Helle, n'entretient pas des relations d'inimitié avec ceux
restés à Vaugouz, mais sur le plan de leur action dans le pouvoir politique, ils ont acquis
leur autonomie. Chacun comptait parmi ses ressortissants de hauts fonctionnaires. Ces
deux lieux résultent donc à la fois d'une séparation à l'intérieur d'un groupe tribal et
d'une recomposition avec d'autres. Les deux cherchant, en s'appropriant un lieu, à
affirmer une existence sociale légitimée par leur position politique dans la matrice
étatique.
Dans ce lieu dont le site n'a pas bougé depuis plus de cinquante années, tous les aspects
de la mobilité peuvent trouver une explication dans la dynamique tribale et dans
l'intégration des groupes tribaux dans le pouvoir politique. Ce lieu-noyau évolue
constamment en fonction des recompositions tribales. Lorsque deux groupes s'opposent,
l'un crée une localité ailleurs et lorsque deux groupes s'associent le village s'agrandit
d'un quartier supplémentaire. Il évolue également en fonction de la dynamique politique
dans laquelle, le lieu est autant un moyen de s'intégrer dans le pouvoir étatique qu'une
conséquence de cette intégration. Lorsqu'un conflit éclate, c'est le groupe le moins bien
soutenu par les instances étatiques qui quitte le village et lorsqu'un groupe quitte le
village, il s'associe ailleurs avec ceux qui ont réussi à se placer dans l'État. C'est en
suivant ces deux directions et en nous appuyant sur l'exemple de Vaugouz que nous
abordons à présent ces différent aspects de la mobilité.
279
Recomposition tribale et mobilité spatiale
D'après nos enquêtes, les localités qui répondent à la fragmentation définie par Dah
Ould Khtour concernent la majorité des créations récentes. Une lecture suivant la
logique tribale du phénomène nous amène à supposer que chaque
“fragmentation”correspond à la dispersion des groupes tribaux et que l'abandon
progressif de la tente pour un habitat en dur ne modifie pas cette tendance. Les groupes
tribaux organisés en campements de tentes se regroupaient et se dispersaient en fonction
des affinités du moment263. Les groupes tribaux habitant des maisons font de même.
Dans un paragraphe précédent, nous avons énuméré les différentes localités des Oulad
Ihammatoug. Chacune d'entre elles correspond à des familles de cette fraction qui se
sont séparées. Nous pouvons citer cinq familles de cette fraction : les Ehel Teggueddi,
les Oulad Halle, les Ehel Abdallah, les Oulad Keroum et les Sid Amar. Une partie de la
première famille s'est fixée à Vaugouz et l'autre à Blemhadher, les trois suivantes à
Benaman et la dernière à Bamoueira et Touridine. Dans la famille des Oulad Halle,
certains sont restés à Benaman, d'autres sont partis à Qlelithe et d'autres encore à Beder.
Parmi les Ehel Abdallah, la famille des Ehel Najib est partie s'installer à Medina El-
Mounawara. Les Sid Amar sont également présents le long de la route à Tichilit El-
Barka, Touviq et Taibe Taibe. Sans poursuivre plus avant dans les détails de cette
grande fraction de peur d'être imprécis, nous pouvons comprendre qu'à chaque division
au sein d'un groupe correspond une localité.
263
Sophie Caratini, Les Rgaybât : 1610-1934. 2, Territoire et société, op. cit.
280
passe parfois par le père, parfois par la mère ou la mère adoptive de sorte qu'il est
toujours possible de retrouver dans le labyrinthe de la parenté un cousin éloigné
commun. La création de Zakiat correspond à l'affirmation de la naissance des Oulad
Malik en tant que groupe tribal autonome. Cela se traduit par une action politique
unifiée malgré des origines différentes. L'organisation dans un lieu commun traduit et
matérialise l'alliance. Elle permet également de la consolider dans l'avenir puisque cette
proximité spatiale favorise une socialisation commune. Elle implique un minimum de
solidarité matérielle et donc des relations d'interdépendance. Enfin elle facilite les
unions matrimoniales. Sans son village le nouveau groupe ne serait pas reconnu par les
autres groupes, mais il ne pourrait pas non plus assurer sa propre reproduction.
Suivant cette lecture tribale, les déplacements des lieux traduisent l'évolution des
alliances et des oppositions, mais ils s'avèrent également être des moyens pour modifier
ces alliances. Quitter un site pour un autre en créant un nouveau lieu avec d'autres
permet de donner une visibilité à l'existence du nouveau groupe résultant de cette
alliance. Cela rejoint la recherche d'identité et confirme l'aspect mobile de l'espace. De
sa capacité à déplacer l'espace dépend en effet la capacité d'un groupe à s'affirmer.
Néanmoins, au-delà de cette vue d'ensemble de la logique tribale, nous pouvons encore
nous interroger sur les raisons qui conduisent à la séparation tant spatiale que sociale.
Ces raisons peuvent être appréhendées à plusieurs niveaux. Relèvent-elles de conflits
individuels, de l'opposition entre aînés et cadets ou bien de l'ambition politique de
certains ?
Sans qu'il y ait inimitié entre voisins, la proximité peut être difficile. Les relations entre
membres d'une tribu ou d'une famille sont très codifiées. Le respect des aînés (le grand
frère, le père, etc.) est très fort. Aussi, les actions des cadets sont subordonnées à leur
regard. Le cadet ne peut fumer sa cigarette en présence de l'aîné. Il ne peut élever la
voix, ni évoquer des sujets tels que le mariage. Les femmes sont dans la même situation
vis-à-vis des hommes. La cohabitation de deux frères adultes dans une même localité
264
Sophie Caratini, Les enfants des nuages, op. cit.
282
continue d'être marquée par ces obligations, mais la relation qui nous est apparue la plus
contraignante est celle qui lie l'homme marié à son beau-père. Il ne doit pas croiser son
regard et doit se faire discret en sa présence. Cette situation aboutit à l'incompatibilité
d'un voisinage contigu et rend très difficilement possible la coprésence dans un même
lieu. La proximité spatiale et l'omniprésence du regard d'autrui intensifie le caractère
conflictuel des relations et le caractère contraignant du contrôle social. La seule solution
pour apaiser ces tensions est d'introduire de la distance spatiale, de déménager.
Pour moins d'une dizaine de cas, nous sommes parvenus à déterminer qui de la branche
aînée ou cadette a déménagé lors du conflit, mais pour une très faible majorité, ce sont
les cadets qui ont quitté la localité. Nous ne pouvons donc avancer que les aînés restent
pendant que les cadets doivent aller se faire une place ailleurs. Ould C. habite
Berbouchiye pendant que son frère aîné est parti fonder Bir Berbouchiye. Inversement,
Beder a été fondé par le cadet de celui qui habite Qlelithe. La parenté n'est donc pas
déterminante pour expliquer le phénomène des séparations.
265
Sophie Caratini, Les Rgaybât : 1610-1934. 2, Territoire et société, op. cit.
283
L'ambition politique des intermédiaires
Si la parenté n'est pas déterminante, nous devons garder à l'esprit qu'elle n'est qu'un
élément instrumentalisé pour fonder l'existence d'une tribu. De la même manière, la
position d'aîné est un moyen de légitimer une position supérieure dans la société ou bien
un moyen de légitimer une aspiration à accéder à cette position supérieure. Aussi, plutôt
que de chercher dans la parenté, c'est dans la position sociale et politique que nous
devrions nous orienter. Dah Ould Khtour ne dit pas le contraire. Selon lui, celui qui
reste est celui dont la situation politique est la plus assise. Celui qui part est celui qui
recherche cette situation. S'il ne parvient à s'imposer face à son rival dans sa propre
localité, il choisit de fonder et de s'approprier un lieu pour ensuite prendre le dessus.
S'il nous est difficile pour chacun des cas de séparation recensés de déterminer les
positions sociales et politiques des parties, nous n'avons pas rencontrer de contre-
exemple à cette proposition. Si Ould C. est resté à Berbouchiye et que son aîné est parti,
c'est peut-être parce qu'il est moins reconnu que son cadet, aujourd'hui maire d'Agjert.
Le départ d'un groupe pour fonder une autre localité ou pour se rassembler avec un autre
groupe ne s'explique pas seulement par une position sociale héritée. Il révèle une
volonté de s'émanciper en marquant son autonomie sociale et politique par une
autonomie spatiale suivant la relation dialectique que nous avons mise en évidence dans
la deuxième partie. Celui qui crée une localité, soit aspire à devenir un intermédiaire
reconnu par ceux qui dirigent l'État, soit aspire à une reconnaissance au sein de sa tribu
que sa seule réussite dans cet État ne suffit à lui donner. Dans les deux sens, la
reconnaissance passe par le déplacement.
284
soutien de la base en même temps qu'il nécessite de s'intégrer aux instances
décisionnelles étatiques.
Il ne s'agit donc pas seulement d'une adresse destinée au repos de quelques notables
ayounois lors de la période de l'hivernage. La localité n'est pas désertée à la rentrée
266
La Tribune n°201 du 20 novembre 2003.
267
Zekeria Ould Ahmed Salem, Sur la formation des élites politiques et la mobilité sociale en Mauritanie,
op. cit, p 215.
285
scolaire. Certes, certains habitants sont originaires d'Ayoun, mais ils ont été rejoints par
d'autres de la bediyya et de localités voisines. Ils appartiennent pour la plupart à la
fraction des Oulad Abdoukrim que l'on retrouve à Berbouchiye et à Gronvelle. Non
seulement le lieu traduit la réussite politique de son fondateur, mais il tend à constituer
le noyau d'un nouveau groupe de parenté recomposé autour de lui. Néanmoins, depuis le
coup d'état de 2003, le wali de Nouadhibou a été démis de ses fonctions et certains
observateurs se posent la question de l'avenir de ce lieu. Son développement était lié à
son intégration dans l'administration. Que deviendra-t-il sans cette intégration ? Autant
l'ascension politique peut donner naissance à de nouveaux lieux, autant la chute peut
entraîner leur disparition.
286
autonomie politique. Sa capacité à se déplacer lui a ouvert les portes de l'ascension
politique.
Ces deux cas mettent en évidence la double articulation entre les lieux de la bediyya et
l'intégration politique. Dans un sens, la réussite politique permet de déplacer l'espace et
dans l'autre, le déplacement de l'espace permet la réussite politique, de sorte que
l'espace mauritanien peut être considéré comme un espace mobile. Toutefois, nous ne
pouvons appuyer ces conclusions que sur un ensemble d'exemples. Certes nos enquêtes
nous laissent penser qu'ils sont représentatifs, mais nous avons également cherché un
moyen de “mesurer”ce lien entre le pouvoir politique et la mobilité des lieux. Dans cet
objectif l'école peut s'avérer être un indicateur probant.
288
Tableau 10 : Effectifs scolaires dans les écoles de la commune d'Agjert
Nombre d'élèves Nombre d'enseignants Nombre d'élèves par enseignant
268
Nous considérons qu'une classe correspond à un enseignant.
289
classe est faible, plus les écoles comptent d'enseignants. Nous pouvons considérer le
ratio élève/enseignant comme un bon indicateur de la qualité de l'offre scolaire dans une
localité. D'après ce ratio, les villages les mieux dotés sont des villages très bien intégrés
politiquement. Sawena, Agava et Leqliq sont tous les trois habités par des Abdul
Wahab, fraction qui compte parmi ses membres le président de l'assemblée nationale et
Agjert est le chef-lieu de la commune. Parmi les mieux dotés, figurent également des
petites localités comme Beder qui compte 24 élèves pour deux enseignants.
Inversement, Havrat Hadressa est la moins bien lotie des écoles de la commune. Ce
debay, contrairement à celui de Sawena, n'est pas soutenu par les Abdul Wahab. En
revanche, le village de Berbouchiye qui semble bien intégré puisque le maire de la
commune en est issu figure parmi les moins bien dotés. Le rôle de maire ne permet
peut-être pas de peser sur les décisions de la DREF, mais nous pouvons aussi
rapprocher la situation de ce village de celle d'autres anciens villages dont l'évolution
démographique est négative depuis 1988, comme Vaugouz, Blemhadher et Touridin.
Sans qu'il soit possible d'établir une très forte corrélation, il s'avère que les localités les
plus dynamiques et qui disposent d'une bonne intégration politique disposent de la
meilleure offre scolaire.
Les ouvertures comme les fermetures de classe révèlent les évolutions du paysage
politique
Bien que ne contredisant pas nos propositions, les données que nous avons traitées ci-
dessus sont très concentrées dans le temps et ne permettent pas suffisamment de saisir
les relations entre les évolutions politique et démographique des localités et les
évolutions de leur offre scolaire. Pour ce faire, nous nous appuyons donc, sur l'étude de
quelques cas.
La localité de El-Helle a disposé d'un enseignant durant deux ou trois années, mais
récemment, l'enseignant a été affecté ailleurs par l'administration. Depuis, il n'y a plus
d'école et les familles retournent à Ayoun dès la fin de l'hivernage. D'après certains
habitants, cette fermeture aurait entraîné le départ de quelques familles affaiblissant
ensuite la représentativité politique du groupe dans la commune. Une localité en partie
désertée à partir du mois d'octobre a moins d'influence car les électeurs, inscrits à
Ayoun, ne votent pas sur place. Aussi, nous pouvons avancer que dans ce cas, la
disparition de l'école est liée à un léger déclin de la localité et du groupe qui l'habite. Un
290
second exemple révèle ce lien entre école et évolution politique. La localité de Tichilit
En-Naama, créée à la fin des années 1980, a disposé d'une école de 1993 à 1996. Durant
cette période, les habitants avaient demandé un enseignant francisant que la DREF leur
a refusé. Suite à ce refus certaines familles sont parties pour scolariser leurs enfants
ailleurs. L'école a alors fermé et les habitants sont partis de sorte qu'en 2003, il ne restait
plus qu'une seule famille.
Dans les deux cas, la fermeture a eu des conséquences sur la population des localités,
mais nous pouvons également en déduire que c'est la fermeture qui a suivi son relatif
déclin. Si les postes d'enseignant n'ont pas été maintenus, c'est que les groupes tribaux
de ces localités n'ont pas été suffisamment influents sur l'administration. Autrement dit,
ils étaient, à ce moment, moins bien intégrés au pouvoir politique. L'école, en tant que
facteur d'attraction, apparaît, ici, comme un révélateur du paysage politique. Les
fermetures et les ouvertures suivent les déclins et les ascensions des groupes tribaux.
Ces évolutions étant fréquentes, la carte scolaire est sans cesse en mouvement et n'agit
pas comme une contrainte à la mobilité de l'espace. Néanmoins, si cet indicateur s'avère
être potentiellement pertinent, il reste à l'exploiter de manière plus approfondie car les
données disponibles ne sont pas assez étalées dans le temps pour pouvoir établir avec
plus de certitude une corrélation entre évolution des écoles et évolution du paysage
politique.
Par ailleurs, en appréhendant l'espace mobile par l'école, nous avons insisté sur la
capacité des groupes à déplacer les lieux et à modifier leur hiérarchie, mais dans ces
groupes, c'est surtout la stratégie du leader qui a été mise en avant. C'est de sa réussite
que dépend le lieu. Cependant, nous n'avons accordé que peu d'importance au rôle de ce
nous avons appelé la base, or si les lieux-noyaux de la bediyya sont indispensables c'est
parce que le soutien de cette base est l'une des conditions de la réussite politique. Elle
participe donc des inter-relations tribales et des rapports entre les groupes et l'État et par
conséquent, nous pouvons supposer qu'elle participe également de la mobilité de
l'espace.
291
Le nomadisme de la base
Dans la première partie, nous avons différencié le pastoralisme du nomadisme car les
éleveurs, bien que transhumants, sont fortement attachés à leur territoire. À l'inverse,
ceux qui figurent en haut de la hiérarchie sociale ont une plus grande capacité de
mouvement. Les premiers sont souvent dans la dépendance des seconds. Néanmoins, les
familles de bergers, les cultivateurs, les haratin et les autres populations qui se situent
en bas de cette échelle disposent d'un certain pouvoir. Ce pouvoir tient dans deux
éléments. D'abord, certains d'entre eux constituent une main d'œuvre nécessaire. Les
bergers s'occupent des animaux des propriétaires puis les cultivateurs, qui sont souvent
des haratin, assurent un minimum de production et toutes les familles de domestiques,
bonnes, cuisinier, etc, sont indispensables aux familles qui prétendent à un certain rang
social. Aujourd'hui, l'esclavage a été officiellement aboli et même s'il persiste souvent,
les anciens maîtres doivent en général verser un salaire à “leurs”haratin. Ensuite, ceux
qui constituent la base représentent un potentiel politique. Ils sont les soutiens de ceux
sous la coupe de qui ils se placent. Ils peuvent faire nombre lors d'un conflit et assurer
une victoire électorale par leur bulletin de vote ou par leur appui aux opérations de
fraude. Pour s'assurer leur soutien, il faut être en mesure de les payer et de leur mettre à
disposition l'eau, l'école et le transport.
Un potentiel de mobilité
La base est techniquement en mesure de se déplacer. Elle doit pour cela trouver auprès
de qui s'installer. D'un côté elle dépend de l'autorisation du responsable des localités,
mais d'un autre, elle peut parfois être en mesure de choisir entre plusieurs localités
accueillantes et ainsi de choisir ceux qu'elle veut soutenir. Pour vérifier cette
proposition, nous ne disposons que de quelques cas avérés. Nous les présentons ici de
manière à mettre en évidence par quels mécanismes la base est impliquée dans la
mobilité, bien que son rôle et notamment celui des haratin n'ait pas été suffisamment
approfondi lors de notre travail.
292
poids politique a constitué un argument fort. Cet exemple n'est pas isolé. De
nombreuses localités cherchent à accueillir de nouvelles familles. Par ce biais, ces
familles ont parfois le choix de soutenir tel ou tel groupe tribal en choisissant telle ou
telle localité.
Les haratin sont également l'objet de convoitises. Ceux qui ont quitté un village de la
bediyya pour venir à Agava, ont certes changé d'employeur pour un autre, mais ils ont
aussi comblé un besoin en main d'œuvre. Les haratin sont toujours dans une relation de
dépendance, mais cette relation n'est pas figée. Certains partent pour la ville, tandis que
d'autres trouvent à s'employer dans d'autres localités. Leur pouvoir peut également
résider dans leur refus du déplacement. Lors du déplacement d'un groupe d'un site vers
un autre, les haratin peuvent exercer un certain pouvoir. Ils peuvent refuser de suivre
ceux dont ils étaient les dépendants. Ce refus affaiblit considérablement les familles qui
déménagent. En perdant leurs haratin, elles perdent une partie de leurs moyens de
subsistance et leur niveau de vie peut s'en ressentir puisqu'elles sont obligées d'effectuer
des tâches jusqu'alors assurés par ces derniers. Lorsqu'elles s'en vont suite à un conflit
politique, cette perte s'ajoute à leur défaite.
293
Chapitre 12 : Les élections comme métaphore du pouvoir
politique en guise de conclusion
Les lieux de l'Est mauritanien se sont avérés être des objets d'observation pertinents
pour saisir le pouvoir politique de ce pays. Leur étude a d'abord permis de mieux
comprendre ce qu'ils sont, c'est-à-dire et avant tout la territorialisation d'un ensemble
d'individus à la destinée commune qui se fédèrent dans un groupe tribal. Les localités
d'aujourd'hui existent pareilles aux campements d'hier, elles sont là par métonymie. La
voile à l'horizon désigne l'embarcation autant que son équipage et la toile dans le
paysage désigne autant le campement que son groupe tribal. La khaima renvoie aussi
bien à la famille qu'à la tente. Les toiles d'aujourd'hui sont souvent des toitures de
hangars mais cela n'ôte rien de leur force métonymique. Chaque lieu correspond à
l'ancrage territorial d'un groupe tribal et chaque groupe tribal a besoin de cet ancrage
pour matérialiser son existence et la signifier aux autres, la légitimer en quelque sorte.
La mobilité de ces toitures sur l'horizon comme la mobilité de ces toitures dans le
village traduisent la mobilité de ceux qui habitent en dessous. Elle n'est pas pastorale
parce que les nomades statistiques sont marginaux et parce que les bergers qui
effectuent la transhumance se déplacent en général seuls, sans la khaima. Elle est
surtout politique. Le paysage de l'ensemble des villages comme celui des hangars dans
ces villages reflète le paysage politique mauritanien. Durant la campagne électorale, les
tentes des candidats jouent le même rôle. Leur apparition correspond au soutien à un
candidat et leur disparition à la fin de ce soutien de sorte que l'étude du paysage de cette
campagne permet de saisir l'état du rapport des forces du moment. De la même manière,
sur des temps plus longs et à toutes les échelles, l'étude de l'évolution des lieux, tant
dans leur déplacement que dans leur composition, dans leur localisation comme dans
leur substance, constitue un indicateur pour appréhender les évolutions du pouvoir
politique.
En même temps que nous avons considéré la mobilité de ces lieux comme un révélateur,
elle nous est apparue comme constitutive de ce pouvoir politique. Appréhendée comme
la capacité à déplacer le site d'une localité ou d'un quartier autant que la capacité à
modifier les centres et les regroupements de localités sur le plan administratif, elle peut
être une arme pour ceux qui veulent contrôler ce pouvoir politique. La mobilité en est
294
constitutive ou révélatrice parce que les lieux de la bediyya que nous avons étudiés sont
reliés à la centralité politique. S'ils sont indispensables dans la sphère tribale en tant que
marqueur d'une certaine réussite permettant la reconnaissance sociale, ils le sont
également dans la sphère politique en tant que moyen d'accéder au sommet. Cet accès
dépend du groupe tribal. Il rassemble des individus qui résident et agissent dans le site
de ce lieu mais surtout en dehors, dans les lieux de convergence et dans les villes. Tous
ensemble liés par la parenté et la dynamique de la 'asabiyya, ses membres adoptent une
stratégie commune en soutenant un chef, un représentant, un candidat, un intermédiaire,
pour que leurs intérêts et leurs orientations soient pris en compte. Dans cette
configuration, l'État mauritanien est une position centrale à s'approprier. Chaque groupe,
pour exister et pour se positionner dans la concurrence et dans les rapports hiérarchiques
avec les autres groupes, mais aussi avec les autres composantes de la société
mauritanienne, doit contrôler cette position. Ce contrôle peut se lire depuis trois points
de vue différents. Les groupes hégémoniques qui maîtrisent l'appareil étatique cherchent
à conserver cette maîtrise. Il leur faut contrôler la population mauritanienne qui peut
voter et soutenir l'opposition jusque dans d'éventuels coups d'État. Pour cela, ces
groupes tendent à avoir la main sur ceux qui ont une influence sur cette population.
Dans ce sens, le rôle des intermédiaires est primordial. Les groupes hégémoniques leur
confient une part du pouvoir pour s'assurer leur soutien et celui de la population. Cette
part du pouvoir se matérialise par une redistribution des ressources de l'État et par le
développement des infrastructures des lieux-noyaux. Ce développement est un gage de
soutien de la population. Du point de vue des intermédiaires, l'objectif est double. D'une
part, il faut obtenir des groupes hégémoniques une bonne position qui permettra ensuite
de développer le lieu de leur groupe et d'autre part, il leur faut obtenir de leur groupe le
soutien pour être choisi par le sommet. Enfin, la base des groupes cherche à choisir
l'intermédiaire en mesure de lui apporter les ressources indispensables à son existence.
Les lieux de la bediyya sont donc indispensables pour contrôler la population qui s'y
rattache, en même temps qu'ils sont dépendants de leur intégration au sommet. Leur
développement est un révélateur de cette intégration autant qu'il est un moyen d'accéder
à ce sommet.
295
La ville, une position centrale hors du territoire ?
L'accès au sommet est ici considéré comme le contrôle de l'État en tant que position et
en tant qu'instrument de pouvoir et la dynamique politique comme s'inscrivant dans la
matrice étatique, dans ses institutions. Les centres que constituent les villes et
principalement la capitale en sont les éléments territorialisés. À ce titre, elles sont les
positions à contrôler pour contrôler l'État plutôt que des territoires à s'approprier et
chaque groupe doit y être présent au moins par ses intermédiaires.
Ayoun El-Atrouss et Nouakchott sont deux centres de cette matrice et chacun d'eux
concentre tous les groupes tribaux des lieux qui leur sont rattachés. À Nouakchott,
toutes les tribus maures sont présentes de même que les Hal Pulaar, les Wolof et les
Soninké et à Ayoun sont présentes les tribus de la wilaya du Hodh El-Gharbi. Dans ces
deux centres, se prennent des décisions. Nous avons surtout étudié celles relatives à la
localisation des aménagements, au choix des candidats et des élus du PRDS et à
l'arbitrage des conflits fonciers. Ces décisions concernent les lieux de la bediyya, mais
nous ne pouvons pas considérer qu'elles s'imposent unilatéralement à ces lieux. Chacune
est en effet prise par des membres de groupes tribaux qui sont tous liés à ces mêmes
lieux, or ces groupes s'inscrivent dans des rapports hiérarchiques et concurrentiels.
Aussi, ces rapports qui mettent en interrelations les lieux-noyaux de ces groupes
transitent par la ville. Ceux qui sont les mieux intégrés dans ces centres sont en mesure
d'utiliser le contrôle de la position étatique comme une arme pour s'imposer à leurs
rivaux et ainsi obtenir un financement, un élu ou l'appropriation d'un lieu. La ville
apparaît alors non pas comme le centre d'une périphérie mais comme le cadre des
interrelations tribales. Là se négocient et s'établissent le partage des pouvoirs entre
groupes, mais les origines et les conséquences de ces rapports de force sont ailleurs,
entre les lieux de ces groupes. La ville est le théâtre de la médiation mais la pièce se
joue dans la bediyya.
296
chacun de ces groupes à peser sur la campagne. En revanche, la veille du scrutin, en fin
d'après-midi, la ville s'est vidée de ses habitants qui sont tous repartis vers la bediyya
pour aller voter dans leur localité. L'action s'est déplacée vers les bureaux de vote dans
les lieux-noyaux. C'est là qu'a abouti la campagne et que les alliances, les négociations
et les visites se sont traduites, comme si la ville n'avait pas été l'enjeu de la campagne
mais un moyen de remporter des élections qui se gagnent au final dans la bediyya.
Suivant cette proposition, la ville est un centre vers lequel convergent tous les groupes.
Cependant, la cible de ces groupes n'est pas le site de cette ville mais la position de ceux
qui y prennent des décisions. Aussi, la qualité de l'intégration des groupes à la matrice
étatique ne se mesure pas en fonction de la proximité du site mais de la proximité de la
position. La distance entre les lieux-noyaux et la ville ne se mesure alors pas suivant
une métrique topographique mais suivant une métrique topologique. Ce ne sont pas des
kilomètres qui les séparent mais un réseau de liens sociaux constitués par le groupe
tribal. Tous les lieux sont potentiellement aussi proches de la ville et leur localisation
n'influence pas la position qu'ils occupent vis-à-vis de la matrice étatique. C'est dans ce
sens que nous pouvons conclure d'une partie de nos travaux que la ville en tant que
centre étatique n'est pas située quelque part sur le territoire et qu'elle apparaît comme
hors du territoire.
297
manifeste le pouvoir des groupes tribaux mauritaniens. Autrement dit, ils sont capables
de faire varier les distances qui les séparent du pouvoir politique. Nous retrouvons là
l'espace nomade dans ce sens que le pouvoir tient dans la maîtrise des distances et de la
circulation.
298
Cependant, la mobilité de l'espace n'est pas seulement à rechercher dans la structure
tribale. Ces alliances et ces oppositions s'inscrivent dans la dynamique politique
mauritanienne. Aussi, les nouvelles localités peuvent correspondre à la promotion d'un
intermédiaire dans l'État qui crée en retour un lieu pour pérenniser cette réussite et pour
assurer sa reconnaissance sociale, ce qui rejoint la “recherche d'identité”269. De même
que le développement d'un lieu, l'apparition ou la disparition d'une localité révèle la
qualité de l'intégration de son groupe dans le pouvoir politique. Chaque variation dans
ce paysage politique entraîne une variation dans la composition, la localisation et le
regroupement de ces lieux. L'espace n'est pas figé. Il est produit par la dynamique
politique. Les cadres territorialisés de la matrice étatiques ne fixent l'espace que dans la
mesure où ces cadres ne sont pas remis en cause. Ce sont les interrelations des groupes
tribaux s'inscrivant dans cette matrice qui les produisent. Sans que la limite ne bouge sur
la représentation cartographique et sans que la localisation de sa localité ne soit
modifiée, un groupe tribal peut ainsi changer de circonscription administrative par son
action auprès de ceux qui décident de ces découpages. Dans le même ordre d’idées, la
maison en parpaing fixe les lieux seulement tant que les groupes tribaux sont unis.
L'espace est ici mobile dans le sens où Denis Retaillé l'entend. L'espace est dans la
société et ce sont les pratiques de cette société qui le produisent. Dans cet espace des
pratiques, les centres se déplacent et les lieux sont éphémères. Il est une “actualisation
permanente” des actions dans ce pouvoir politique270 comme le paysage et tentes de la
campagne présidentielle était l'actualisation permanente des évolutions de cette
campagne.
La mobilité de l'espace mauritanien est produite, mais elle est également une arme
politique. Les bureaux de vote ne sont pas toujours situés dans les mêmes localités
suivant les scrutins. De même, les électeurs ne sont pas toujours inscrits sur les mêmes
listes. Si les évolutions de cette “carte” électorale peuvent être considérées comme
produite c'est parce que des groupes tribaux ont réussi à la modifier et ce à des fins
politiques. Déplacer le bureau ou les électeurs permet de déplacer la centralité et de
l’attirer dans son noyau pour se poser comme intermédiaire en mesure de contrôler le
vote. Le déplacement de la centralité politique se manifeste ici de deux manières. Il peut
consister à créer ou à supprimer un bureau de vote en pesant sur les préfets qui décident
269
Dah Ould Khtour, op. cit.
299
de leur localisation et il peut consister à déplacer les électeurs pour qu'ils votent dans un
autre bureau. Dans le premier cas, le bureau en tant qu'élément territorialisé est déplacé
et dans le second, c'est le rattachement d'une population à un centre qui est modifié.
Dans les deux cas, l'espace a été déplacé afin de rapprocher la centralité politique d’un
lieu-noyau pour que le groupe qui y est rattaché soit plus proche du sommet du pouvoir
politique.
Dans cette optique, les élections apparaissent comme significatives. Pour l'emporter, les
candidats doivent contrôler les lieux de la bediyya autant que les positions centrales de
la matrice et faire le lien entre ces éléments territorialisés. Les premiers sont
indispensables à plusieurs titres. C’est d'abord là que les partis viennent convaincre les
habitants de s'inscrire sur les listes électorales, soit le premier enjeu de la campagne.
Ensuite, c'est là que les partis tiennent des meetings et appuyer les familles qui ont
dressé une tente en soutien à leur candidat. Enfin, c'est dans ces lieux de la bediyya que
votent une grande partie des Mauritaniens. La présence le jour du scrutin est
indispensable pour contenir ou amplifier la fraude puis assurer la bonne transmission
des résultats au chef-lieu de la wilaya. Les seconds lieux sont également indispensables
pour contrôler la carte électorale et être proche des sièges des partis des candidats. Pour
le PRDS, le contrôle des lieux de la bediyya permet de maintenir les électeurs dans son
champ d'attraction et pour les groupes tribaux, le contrôle des villes permet d'attirer la
centralité vers leur lieu-noyau notamment en se positionnant dans les itinéraires des
candidats et en devenant le site d'un bureau de vote.
270
Denis Retaillé, L'espace mobile, op. cit.
300
La maîtrise des distances séparant ces éléments se matérialise d'abord, et au sens propre,
par la circulation. La campagne électoral est un incessant ballet de voitures en ville
comme dans la bediyya et la première différence entre le PRDS et les autres partis tient
dans le nombre de véhicules dont ils disposent. Ils permettent d'accéder à tout moment
aux lieux que les partis adverses commencent à s'approprier, si bien que l’on assiste
parfois à une véritable course entre les équipes pour obtenir le soutien des groupes
rattachés à ces lieux. Dans cette configuration, le PRDS est avantagé dans ce sens qu'il
dispose de l'appui des forces de l'ordre positionnées sur les axes routiers. Ces dernières
peuvent ainsi freiner les déplacements des véhicules de l'opposition. Cependant, la
voiture n'est que la partie visible de cette circulation. Pour combler les distances entre
les centres et les lieux de la bediyya, c'est la relation sociale qui prime. Pour faire un
meeting dans une localité, il faut en premier lieu y être accueilli, demander la
permission de séjourner et d'organiser une réunion publique. Il est des villages durant
cette campagne desquels les partis de l'opposition ont été chassés manu militari par les
habitants. Dans l'autre sens, c'est la qualité de la relation tissée par le groupe tribal avec
les institutions étatiques qui permet de combler la distance entre son lieu-noyau et les
sièges des candidats en ville.
Néanmoins, notre étude reste limitée dans l'espace et orientée par son objet et les
conclusions que nous en tirons ne sont pas nécessairement valables pour l'ensemble du
pays. En choisissant la bediyya comme objet d'étude, nous avons cerné une partie de la
ville mais celle-ci et surtout Nouakchott n'a jamais été notre terrain d'étude. Nous ne
301
l'avons d'ailleurs pas considérée comme un terrain ni même comme un territoire,
simplement comme un lieu de passage nécessaire, mais dans quelques années, lorsque
la plupart de ses cadres seront des natifs de la capitale, et peut-être des citadins, notre
approche se révèlera peut-être caduque.
Par ailleurs, en privilégiant les lieux de l'Est, nous n'avons pas pris en compte les autres
régions, qui plus est en limitant notre Est aux proches environs d'Ayoun El-Atrouss.
Qu'en est-il ailleurs ? Cette question revient à relativiser nos conclusions en conférant à
la configuration spatiale une influence sur la production de l'espace et sur le pouvoir
politique. Qu'en est-il chez les Hal Pulaar ? Les Maures de l'Ouest sont-ils différents ?
Question qui revient à leur supposer un caractère essentialiste ou culturaliste ? Les
Maures ? Nous devrions dire les Beidhan puisque nous avons très peu pris en compte
les haratin, leur mobilité et leur action dans le pouvoir politique. Autant de raisons
d'élargir et d'approfondir notre approche de l'espace politique. Elargir au reste du pays,
certes mais où devons-nous nous arrêter ? Aux frontières ? Notre volonté de
comprendre cet espace politique est bien, en amont de nos hypothèses, méthodes et
concepts, une quête de l'altérité. Qui sont ces autres ? En allant plus avant, l'effort de
décentrement que nous avons dû réaliser pour saisir cette altérité pourrait se poursuivre
et nous permettre de questionner nos propres sociétés. Comprendre l'espace politique
des Beidhan de l'Est mauritanien nous à amené à ne plus concevoir l'espace suivant le
seul modèle territorialisé et cartographié européen. Ces conceptions ne peuvent-elles
alors pas permettre d'appréhender nos sociétés avec ce regard décentré ? L'étude de la
décentralisation, de l'aménagement du territoire et des recompositions territoriales entre
intercommunalité et agglomération urbaine ne gagnerait-elles pas à être envisagée, en
France, sous l'angle de cet espace mobile et de ces pratiques politiques ?
302
Bibliographie
Ouvrages généraux
BADIE Bertrand et SMOUTS Marie-Claude, Le retournement du monde. Sociologie de
la scène internationale, 3e éd, Paris : Presses de Sciences Po, Dalloz, 1999, 239 p.
BAILLY Antoine (dir), Les concepts de la géographie humaine, 5ème éd, Paris : Armand
Colin, 2004, 333 p.
BRUNET Roger, Les mots de la géographie : dictionnaire critique, 3ème éd, Reclus,
Paris, 1993, 518 p.
LEVY Jacques, L'espace légitime, Paris : Presses de la fondation nationale des sciences
politiques, 1994, 442 p.
RETAILLE Denis, Le monde du géographe, Paris : Presses de Sciences Po, 1997, 290
p.
FREMONT Armand, GALLAIS Jean, CHEVALIER Jacques (et al), Espaces vécus et
civilisation, Paris : CNRS, 1982, 106 p.
GALLAIS Jean, De quelques aspects de l'espace vécu dans les civilisations du monde
tropical, L'Espace géographique, 1976, n°1, p 5-10.
LEFEBVRE Henri, La production de l'espace, 3ème éd, Paris : Anthropos, 1986, 485 p.
304
LEVY Jacques, Le tournant géographique : penser l'espace pour lire le monde, Paris :
Belin, 1999, 399 p.
TREVOR Barnes, L'évolution des styles de l'analyse spatiale des années 1960 à la
culture du lieu des années 2000 dans la géographie économique anglo-américaine,
Géographie et Culture, 2004, n°49, p 43-58.
BISSON Jean, Mythes et réalités d'un désert convoité: le Sahara, Paris : L'Harmattan,
2003, 482 p.
PINCHON Benoît, Walata aux marges de la Mauritanie mais au “centre” d'un système
d'échange transfrontalier, Mémoire de maîtrise, Géographie, Rouen, 1996, 116 p.
RETAILLE Denis et LOUISET Odette, Matériel ailleurs, idéel ici. Sociétés de castes et
sociétés nomades en villes, apparences incomparables mais continuité conceptuelle,
Intervention au colloque Géopoint, L'idéel et le matériel, Université d'Avignon, 2002.
TROIN Jean-François, Le Maghreb, hommes et espaces, 2ème éd, Paris : Armand Colin,
1985, 367 p.
Géographie et mobilité
ANTIL Alain et CHOPLIN Armelle, Le chaînon manquant. Notes sur la route
Nouakchott-Nouadhibou, dernier tronçon de la transsaharienne Tanger-Dakar, Afrique
Contemporaine, 2004, n° 209, AFD / Paris : la Documentation française, p 115-126.
KOÏTA Tidiane, Migrations, pouvoirs locaux et enjeux sur l'espace urbain, Politique
Africaine, 1994, n°55, p 101-109.
306
RETAILLE, Denis, La conception nomade de la ville, In URBAMA, Le nomade, l'oasis
et la ville, Tours, Urbama, 1989, p 21-36.
RETAILLE Denis, L'espace nomade, Revue géographique de Lyon, n°1 vol 73, 1998, p
71-81.
RETAILLE Denis, Les nomades : territorialité sans territoire, urbanité sans ville,
Intervention au colloque Géopoint, L'idéel et le matériel, Université d'Avignon, 2002.
MARTY Paul, Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan. Tome 3, Paris : E. Leroux,
1920-1921, 475 p.
271
Ne pas confondre ce Cheikh Saad Bouh Kamara dont le mémoire mentionné ici est la seule référence
dans cette thèse avec son homonyme sociologue déjà cité.
307
OULD AS-SA'D MUHAMMED Al-Muhtar, Émirats et espace émiral maure : Trârza
aux XVIII-XIXème siècles, In BADUEL Pierre-Robert (dir), Mauritanie entre arabité
et africanité, Edisud, 1989, p 53-82.
Développement et pastoralisme
ANTIL Alain, Nepad et bonne gouvernance, le libéralisme sauvera-t-il l’Afrique ?
Planète Humanitaire, 2004, n°6, p 14-15.
BOCCO Ricardo, Espace étatique et espaces tribaux dans le sud jordanien, Maghreb
Machreck, 1989, n°123, p 141-161.
BOUY Michel et OULD SALEH Taher Moustapha, Typologie des systèmes d'élevage
dans le Hodh el Gharbi, Ayoun El-Atrouss : Girnem, 2002.
GEMDEV, État des savoirs sur le développement, Paris : Karhala, 1993, 234 p.
308
GTZ, Coopération technique allemande, Dans l'Est Mauritanien: "gestion de terroir
villageois ou mobilité?", Nouakchott : GTZ, 2000, 17 p.
OULD KHTOUR Dah, Contexte de l'élevage dans l'Est mauritanien, Chez l'auteur,
1998, 45 p.
OULD KHTOUR Dah, Recueil de textes élaborés par Dah Ould Khtour pendant la
3ème phase du projet, Ayoun El-Atrouss : Projet Girnem, 2002, 93 p.
PIGUET François, Des nomades entre la ville et les sables. La sédentarisation dans la
Corne d'Afrique, Paris : Karthala, 1998, 450 p.
Géographie et anthropologie
ABABSA Myriam, La medâfa à Raqqa (Syrie) : mutation d'un lieu de sociabilité tribale
en un attribut de notabilité citadine, Géographie et culture, 2001, n°39, p 17-37.
BONTE Pierre, CONTE Edouard, HAMES Constant (et al), Al Ansab, la quête des
origines, Paris : Maison des Sciences de l'homme, 1991, 260 p.
BONTE Pierre, CONTE Edouard, DRESH Paul (dir), Emirs et présidents. Figures de la
parenté et du politique dans le monde arabe, Paris : CNRS éditions, 2001, 370 p.
309
CARATINI Sophie, Les Rgaybât : 1610-1934. 1, Des chameliers à la conquête d'un
territoire, Paris : L'Harmattan, 1989, 289 p.
CARATINI Sophie, Les enfants des nuages, Paris : Seuil, 1993, 386 p.
CARATINI Sophie, Le cheikh comme premier point d'ancrage du pouvoir politique sur
l'espace nomade : l'exemple des Rgaybât de Mauritanie, Cahiers d'Urbama, 1993, n°8,
Tours, p 97-108.
OULD CHEIKH Abdel Wedoud, Nomadisme, Islam et pouvoir politique dans la société
maure précoloniale (Xième-XIXème siècles). Essais sur quelques aspects du tribalisme,
Thèse de doctorat, Sociologie, Paris V, 1985, 904 p.
OULD CHEIKH Abdel Wedoud, ‘Asabiyya, ville, État : l’État mauritanien et “ses”
villes anciennes, In RETAILLE Denis (dir), La ville ou l’État, rapport d’étape du
programme V.O.L.E, Paris : IRD, 2001, p 12-14.
310
SAMI Manaf, Economie et politique du nomadisme arabe, Thèse de doctorat,
Ethnologie, EHESS, Paris, 1989, 280 p.
Géographie et politique
ANTIL Alain, Le chef, la famille et l'État en Mauritanie, quand démocratie rime avec
tribalisation, Politique Africaine, 1998, n°72, p 185-193.
BADIE Bertrand, Les deux États. Pouvoir et société en Occident et en terre d'Islam,
Paris : Seuil, 1997, 331 p.
BAYART Jean-François, Le politique par le bas en Afrique noire, Paris : Fayard, 1992,
376 p.
311
ELIAS Norbert, La Société de cour, Paris : Calmann-Lévy, 1974, 323 p.
KAMARA Cheikh Saad Bouh et ANTIL Alain, État, ville et pouvoirs en Mauritanie.
Repérage des dynamiques, In RETAILLÉ Denis (dir), La ville ou l’État, rapport
d’étape du programme V.O.L.E, Paris : IRD, 2001, p 9-11.
OULD AHMED SALEM Zekeria, Sur la formation des élites politiques et la mobilité
sociale en Mauritanie, In BONTE Pierre et CLAUDOT-HAWAD Hélène (dir), Elites
du monde nomade touareg et maure, Aix-en-Provence : IREMAM, Edisud, 2000, p
203-224.
312
313
Annexes
314
Annexe 1 : Questionnaire sur les localités situées à proximité
de la route de l'Espoir entre Ayoun El-Atrouss et N'Beika
Les entretiens ont été réalisés aux mois d'août et septembre 2003
316
Annexe 3 : Questions posées lors de l'enquête sur les
propriétaires des puits habitant en ville la plus grande partie
de l'année
317
318
Annexe 4 : Questions posées lors de l'enquête sur les relations
des Nouakchottois avec leur localité d'origine
319
Annexe 5 : Discours du Président de la République devant les
populations de Guerou en 2001
Habitants de la moughataa de Guerou, je vous adresse mes salutations et vous remercie pour l'accueil
chaleureux et la joie que vous nous avez réservés. Vous nous avez habitués à ce niveau d'accueil à chaque
fois que nous avons eu à visiter votre ville.
Comme vous le savez, le but de cette visite est de prendre contact avec vous, de recueillir vos avis et de
s'enquérir de vos préoccupations et vous suggérer des idées susceptibles d'aider à réaliser le progrès
économique et social du pays.
Je tiens ici à féliciter les habitants de la commune de Guerou pour l'évolution remarquable enregistrée par
la ville depuis notre dernière visite. J'ai eu à constater que les bâtisses en banco qui étaient là ont cédé la
place à de beaux édifices modernes et qu'il existe maintenant plusieurs chantiers de construction ici,
preuve que les hommes d'affaires et la frange instruite de cette localité qui en ont les moyens ont décidé
d'investir dans le terroir. Cela est rassurant pour l'avenir du pays tout entier. J'ai eu à constater également
un regain d'intérêt pour la propreté de la ville et un plus grand souci de soigner sa façade extérieure. Les
différents acteurs devraient rivaliser d'ardeur pour poursuivre ce type d'action. C'est, en réalité, cet esprit
de saine concurrence que nous devons cultiver. En effet, la compétition positive est une source de
stimulation du développement économique et social.
C'est le lieu ici de féliciter l'ensemble des habitants de Guerou et particulièrement l'élite intellectuelle et
les hommes d'affaires pour leur engagement au profit des populations du terroir et pour leur action en
faveur du changement des mentalités.
Cet engagement doit servir d'exemple dans les autres moughataa du pays. Cela ne veut nullement dire
que le reste des moughataa de la wilaya n'ont pas connu, elles aussi, d'importantes transformations, mais
les progrès que nous avons constatés à notre entrée à Guerou ont forcé notre admiration. Ils méritent à ce
titre d'être encouragés.
Je sais que les moyens de communication modernes dont vous disposez, notamment le téléphone
cellulaire, vous permettent d'être mieux informés sur ce qui se passe dans le pays. Je voudrais cependant
vous dire que la situation politique, économique et sociale, est excellente. À l'heure actuelle, l'action du
gouvernement est centrée sur la lutte contre les fléaux de la pauvreté et de l'ignorance. À cet effet, une
stratégie globale a été élaborée et de vastes programmes multisectoriels en cours d'exécution, entraîneront
une amélioration substantielle dans ce domaine.
Pour ce faire, l'État ne ménage aucun effort dans le souci d'assurer à notre grand peuple, connu pour sa
fierté et son enracinement, la place qui lui sied dans un environnement caractérisé par le phénomène de la
mondialisation. Néanmoins, la participation des citoyens à la réalisation de cet objectif demeure un
préalable. À ce sujet, la frange intellectuelle dont la mission est d'encadrer, d'orienter et d'aider les
populations à se débarrasser des idées rétrogrades, est vivement appelée à jouer un rôle aussi bien dans les
villes que dans les campagnes. Il lui est d'autant plus loisible de le faire que la prolongation du congé
hebdomadaire lui offre maintenant l'occasion de se rendre plus fréquemment dans le terroir, d'être mieux
en contact avec les populations, de saisir leurs préoccupations et de se ressourcer auprès d'elles. L'élite ne
doit pas rester uniquement focalisée sur l'extérieur, ni porter ses faisceaux d'intérêts hors du pays. Il est
inconcevable que 2% de la population seulement accèdent aux progrès du XXIème siècle, pendant que
tout le reste des citoyens continue à vivre comme aux siècles révolus. C'est pourquoi l'État déploie
d'intenses efforts pour que l'élite contribue à la réduction des disparités et à la transformation des
mentalités. Dans ce but, il s'emploie activement à établir la jonction entre les différentes composantes de
la société, à stimuler les échanges et les contacts dans les wilaya de l'intérieur et à promouvoir des
interfaces avec le pays profond. Il s'agit pour nous d'inverser la tendance actuelle dominée par la
préférence que notre élite a pour les voyages à l'étranger et de donner davantage d'intérêt aux
déplacements à l'intérieur du pays sans pour autant nous confiner dans un repli frileux.
Nous avons besoin, en effet, de rester ouverts sur le monde et de nous inspirer des modèles et des
expériences des autres nations.
La visite que nous entreprenons actuellement offre l'occasion, à l'instar de celles qui l'ont précédées,
d'établir le contact entre une importante partie de la frange instruite et les habitants de son terroir. Les
séjours des cadres lors de ces visites, même s'il ne doit durer qu'une semaine, est très important, parce
qu'il leur permet de renouer avec l'arrière pays et de s'imprégner des réalités locales.
320
Pour les populations de Nouakchott et des autres capitales régionales qui suivent cette visite, c'est là une
occasion de redécouvrir leur pays et d'en apprendre la beauté des paysages et les nombreuses potentialités
touristiques. Cela est de nature à encourager les citoyens à revenir à leurs lieux d'origine, rassurés d'y
trouver un cadre de séjour et de détente agréable. C'est là une alternative avantageuse pour les nombreux
cadres et hommes d'affaires de passer des vacances familiales dans le terroir, au lieu de dépenser des
fortunes pour des séjours à l'étranger, dans un cadre exigu qui limite leur liberté et celle de leurs enfants.
La promotion du tourisme intérieur aura des retombées positives sur les populations aussi bien dans le
domaine économique que dans le domaine social. Nous devons par conséquent œuvrer à orienter nos
déplacements et nos investissements vers l'intérieur du pays. C'est ainsi que se comportent les citoyens
des nations avancées qui accordent beaucoup plus d'intérêt à leur pays et aux problèmes de leur société
plutôt qu'à toute autre considération.
Ceux parmi nous qui ont séjourné à l'étranger ont eu à constater que les peuples évolués n'ont d'intérêt
que pour des questions en rapport avec leur propre pays. Certains d'entre eux ignorent même jusqu'à
l'existence des autres continents, les affaires de leur pays constituant pour eux une telle priorité, que celles
du reste du monde ne présentent aucun intérêt à leurs yeux.
Nous devons donc tout mettre en œuvre pour accélérer la transformation des mentalités de nos citoyens,
et les amener à accorder plus d'intérêt à leur pays et à changer rapidement de mode de vie. Il convient
également de les inciter à adopter de nouvelles méthodes de production et de nouveaux procédés de
construction solides et adaptés répondant aux normes de pérennité et de sécurité requises. La pierre, par
exemple, que l'on trouve dans presque chaque wilaya du pays, est tout indiquée pour être utilisée à grande
échelle dans le bâtiment.
Les constructions en pierre se sont révélées solides et durables comme en témoignent les édifices anciens
encore présents. C'est le cas notamment de la mosquée de Chinguetti dont le minaret, uniquement de
pierre, se dresse toujours depuis 900 ans, défiant le temps et les intempéries.
Au lieu de continuer à construire avec des matériaux précaires, les habitants de ces localités devraient
plutôt s'orienter vers des produits qui présentent plus de résistance et d'efficacité. Ces produits sont
largement disponibles et les périodes de soudure peuvent être utilisées pour les apprêter. L'État entend
tout mettre en œuvre pour leur apporter son assistance et les organisations non gouvernementales doivent
contribuer, elles aussi, à cette entreprise de valorisation des matériaux locaux et à la sensibilisation des
citoyens sur l'intérêt que représente un logement solide, fiable et adapté aux commodités de la vie
moderne. Pour pouvoir accueillir les services de base comme l'eau et l'électricité ou être dotés
d'équipement tels que la télévision et le téléphone, les logements doivent être résistants aux intempéries.
La modernisation du cadre de vie de nos citoyens est au centre des préoccupations des pouvoirs publics.
C'est pourquoi les départements ministériels concernés, notamment le Commissariat aux Droits de
l'Homme, à la Lutte contre la Pauvreté et à l'Insertion, vont examiner prochainement cette question.
321
Liste des annexes
322
Index des termes arabes ou hassaniya
'asabiyya : Solidarité basée sur la cohésion d'un groupe social qui se reconnaît dans une
généalogie commune
Batha : Lit de l'oued
Bediyya : terme désignant la campagne, communément traduit par la brousse mais
véhiculant une forte charge symbolique dans la culture maure
Biqala : Epicerie
Bled : Terme générique pour place ou localité
Chorfa : Membre d'une tribu chérifienne prétendument descendante du Prophète
Dar : Maison
Dawla : Dynastie, monarchie, État, suivant les définitions et les acceptions
Debay (plur. adwaba) : Village de cultivateurs haratin
Dechara : Ville
Draa : Ample boubou sans manche. Habit des hommes maures.
El-Gueble : L'Ouest de la Mauritanie couvrant en partie le Trarza et le Brakna
Ech-Charq : L'Est de la Mauritanie couvrant en partie l'Assaba et les deux Hodh
Gazra : Quartier informel, spontané, bidonville
Gemaa : Instance décisionnelle de la tribu
Ghezou : Raid guerrier pouvant couvrir de très longues distances pour attaquer une
position adverse et en revenir le plus rapidement possible
Ghlig : Barrage
Guelbe : Marigot
Hakem : Préfet de département
Hassaniya : Dialecte arabe parlé par les Maures
Hassan : Tribu guerrière
Hassian : Ensemble de puisards situés dans une batha
Hartani (plur. haratin) : Esclaves affranchis
Hay (plur. hayat) : Quartier
Helle : campement émiral
Jessouss : Espion
Khaima : Tente ou famille
Khrif : Saison de l'hivernage de août à octobre
323
Kouar : Ceux qui parlent les langues négro-africaines
Lehlithe : Champ cultivé, souvent derrière un barrage
Lidara : Administration
Lumbar : Traduit par les Maures par hangar, pour une habitation intermédiaire entre la
maison en pierre et la case en terre cuite (voir aussi tchihili)
Mchaqab : Meuble utilisé sous la tente et dans le transport à dos de chameau
Medersa : Ecole coranique
Melhafa : Voile, souvent coloré, constitué d'une seule pièce de tissu. Habit des femmes
maures
Mess'oul : Responsable d'une localité
Moughataa : Département
Mountaqa : Zone des structures d'éducation de masse
Mulk : Pouvoir politique
Nassab : Branche généalogique
Oulad : Les fils de… Terme générique désignant tous ceux qui se rattachent à une tribu,
en général guerrière
Qabîla (plur. Qaba'îl) : Tribu, selon la traduction coloniale
Qâdi : Juge et notaire
Qaria : village
Saheli : Septentrional
Samsonite : Valise
Seif : Saison sèche de mars-avril à juillet
Sha’ab : Peuple, plutôt dans le sens de populaire et non dans le sens de nation
Shteu, Saison froide de novembre à mars-avril
'tbal : Tambour, symbole du pouvoir guerrier
Tchihili : Traduit par les Maures par hangar, pour une habitation intermédiaire entre la
maison en pierre et la case en terre cuite (voir aussi lumbar)
Telli : Méridional
Trab el-Beidhan : Littéralement la terre des Blancs, qui couvre l'espace sur lequel se
parle le hassaniya
Trab es-Soudan : La terre des Noirs qui renvoie à l'Afrique sub-saharienne par
opposition aux populations arabophones
‘umma : Communauté des croyants chez les Musulmans
‘ulema : Autorité religieuse
324
Vriq : Campement
Voullan : Peul
Wilaya : Découpage administratif de la région
Wali : Préfet de région
Zwaya : Tribu maraboutique
Zribe : Jardin souvent associé à une culture oasienne
325
Glossaire
326
PAM : Programme Alimentaire Mondial
PGRNP : Programme de Gestion des Ressources Naturelles dans le Pluvial
PKM: Parti des Kadihines Mauritanien
PPM : Parti du Peuple Mauritanien
PRDS : Parti Républicain Social et Démocratique
RFD : Rassemblement des Forces Démocratiques
RIM : République Islamique de Mauritanie
SEM : Structure d’Éducation de Masse
UMA : Union du Maghreb Arabe
327
Table des tableaux
328
Table des figures
INTRODUCTION ..................................................................................................................................... 7
330
Une logique étatique plutôt qu'un État en tant qu'objet isolé........................................................... 51
La logique spatiale étatique, “exclusivité et exhaustivité” de l’espace......................................................... 52
Une force centripète ..................................................................................................................................... 53
LA TRIBU MAURE ................................................................................................................................... 54
Une alliance politique… .............................................................................................................................. 54
… légitimée par la parenté ........................................................................................................................... 55
Le fédéralisme de la tribu................................................................................................................. 57
L'espace de la logique tribale rejoint l'espace nomade ................................................................................. 58
L'articulation des logiques étatique et tribale.................................................................................. 59
La combinaison des forces centrifuges et centripètes................................................................................... 60
L’État et la politique du ventre......................................................................................................... 61
L’ÉTAT MATRICE DU POUVOIR POLITIQUE ............................................................................................. 62
Des émirats à l’administration coloniale, les premières trames de la matrice ................................ 63
L’État, une matrice bornée et centralisée ........................................................................................ 64
Les créations antérieures d’unités administratives ....................................................................................... 65
Un pouvoir toujours concentré : loi de régionalisation de 1968................................................................... 65
Différenciation entre circonscriptions urbaines et rurales ............................................................................ 66
Les organisations politiques au temps des partis uniques................................................................ 67
Le Parti du Peuple Mauritanien.................................................................................................................... 68
Les structures d’éducation de masse ............................................................................................................ 68
Les organisations politiques de “l’ère démocratique“ .................................................................................. 70
L’ACTUALITE DE LA TRIBU DANS CETTE DE MATRICE ETATIQUE CENTRALISEE ...................................... 70
Une réalité masquée ..................................................................................................................................... 71
Une réalité active ......................................................................................................................................... 71
HYPOTHESES SUR LES MANIFESTATIONS DU POUVOIR POLITIQUE .......................................................... 72
Les intermédiaires politiques, entre la base et le sommet ................................................................ 73
Le sommet ne correspond pas nécessairement à un centre localisé................................................. 75
331
Un lieu accessible............................................................................................................................. 87
Une substance circonstancielle ........................................................................................................ 89
La boutique .................................................................................................................................................. 89
La maison-adresse........................................................................................................................................ 90
Le Bureau..................................................................................................................................................... 91
VILLES MAURITANIENNES ET CENTRALITE POLITIQUE ........................................................................... 92
Des villes sans citadins ?.............................................................................................................................. 93
Le centre du pouvoir politique n'est peut-être pas en ville ........................................................................... 94
L'ETUDE DES PRATIQUES ELECTORALES REVELENT L'ARTICULATION ENTRE LES LOGIQUES TRIBALE ET
ETATIQUE............................................................................................................................................. 146
CHAPITRE 9 : LES VILLES SONT DES CENTRES MEDIATEURS DES RELATIONS ENTRE
LES GROUPES TRIBAUX RATTACHES A LEURS LIEUX NOYAU ......................................... 196
334
Le fait conflictuel total ................................................................................................................... 207
LA CENTRALITE POLITIQUE ENTRE PROXIMITE TOPOLOGIQUE ET PROXIMITE TOPOGRAPHIQUE ........... 209
Les conseils municipaux,................................................................................................................ 210
Les communes rurales................................................................................................................................ 211
La municipalité d'Ayoun El-Atrouss.......................................................................................................... 214
RATTACHEMENT DES GROUPES TRIBAUX A DES CENTRES PLUTOT QU'A DES AIRES .............................. 225
Les continuités à travers l'histoire des découpages ....................................................................... 225
Les circonscriptions éponymes .................................................................................................................. 226
Le passage du recensement de populations au regroupement de lieux : les exemples du PPM et des SEM227
Rattachement de lieux à un lieu central : les communes rurales ................................................................ 227
Rattachement des populations à un centre par le biais de leur appartenance à un lieu : les bureaux de vote
................................................................................................................................................................... 228
Critères de regroupement des localités....................................................................................................... 229
Les contradictions de la représentation cartographique des entités administratives .................... 230
Le difficile exercice de la cartographie des limites communales ............................................................... 230
Représenter des liens plutôt que des surfaces............................................................................................. 235
Les différences entre les radiales et les surface.......................................................................................... 236
L'ESPACE MOBILE DEPLACE PAR LES GROUPES TRIBAUX ..................................................................... 238
Les modalités politiques des rattachements ................................................................................... 238
Des communes tribales .............................................................................................................................. 239
L'origine tribale des limites départementales ............................................................................................. 241
Les différentes modalités politiques de rattachement..................................................................... 242
L'exemple des limites sur la route goudronnée .......................................................................................... 242
Étirements des limites et changements politiques ...................................................................................... 245
Mobilité des centres : le passage des SEM aux communes ............................................................ 246
Mobilité spatiale et mobilité politique............................................................................................ 249
Variation des regroupements sur la route goudronnée ............................................................................... 250
Déplacer l'espace sans se déplacer spatialement........................................................................... 253
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................................. 303
336
337
338