L'économie Des Ressources en Eau: de L'internalisation Des Externalités À La Gestion Intégrée. L'exemple Du Bassin Versant de L'audomarois
L'économie Des Ressources en Eau: de L'internalisation Des Externalités À La Gestion Intégrée. L'exemple Du Bassin Versant de L'audomarois
L'économie Des Ressources en Eau: de L'internalisation Des Externalités À La Gestion Intégrée. L'exemple Du Bassin Versant de L'audomarois
THÈSE
pour obtenir le grade de
Docteur en Sciences Économiques
Sous la direction de :
M. Frank MOULAERT, Professeur, USTL - Université de Newcastle upon Tyne.
M. Bertrand ZUINDEAU, Maître de Conférences, USTL.
JURY :
M. Gilles HUBERT, Professeur, Université de Cergy-Pontoise.
Mme Corinne LARRUE, Professeure, Université François Rabelais de Tours, rapporteure.
M. Denis REQUIER-DESJARDINS, Professeur, Université de Versailles Saint-Quentin-
en-Yvelines, rapporteur.
M. Frank MOULAERT, Professeur, USTL - Université de Newcastle upon Tyne.
M. Bertrand ZUINDEAU, Maître de Conférences, USTL.
A mis padres
2
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont ensuite à toute l’équipe du Parc naturel régional des Caps
et Marais d’Opale et celle du Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des
eaux de l’Aa, qui m’ont ouvert leurs portes et facilité l’accès à de nombreuses
archives. Je tiens à remercier tout particulièrement Agnès Boutel-Ravel pour sa
disponibilité et les nombreux renseignements qu’elle m’a fournis.
3
Cristelle Fontaine, Virginie Fromon, Antoine Goxe, Basma Hammami, Zéline
Lacombe, Anne-Sophie Lefebvre, Gwénaël Letombe, Jérôme Longuépée, Laurent
Matejko, Michel Noléo, Constanza Parra, Jean-Dilip Sen-Gupta, Michel Tondellier,
Emilie Thuillier, Charles Turgon, Elise Verley, Vanessa Warnier, Thomas Werquin.
Merci tout particulièrement à Michel, Elise, Anne-Sophie et Jérôme pour leurs
commentaires sur une partie de ma thèse.
Mes remerciements s’adressent aussi à tous les amis qui ont partagé les repas du
midi et supporté avec patience mes différents états d’âme et mes fautes de français.
Ils m’ont, chacun à leur manière, permis d’avancer tout au long de ce parcours.
Olivier, Céline, Laurence, Marie, Julien, Christophe et Judicaël ont en outre eu la
gentillesse et la patience de relire certaines parties de ma thèse, merci encore.
Je remercie également celles et ceux qui m’ont encouragé de loin, dont le soutien m’a
poussé à aller au bout de ce projet. Mes amies Inma, Amaya, Maitane, Helena,
Amaya, Silvia et Laura ; mes amis Erasmus de l’année 1997/98. Merci aussi à ma
famille, tout particulièrement à mes parents, pour leur soutien sans faille tout au
long de ma vie d’étudiante et pour avoir su accepter un éloignement pas toujours
facile à vivre.
Je remercie finalement Laurent, parce qu’il a su me donner les forces dans les
moments de doute, pour ses relectures, son soutien, son écoute et sa générosité.
4
TABLE DE MATIÈRES
REMERCIEMENTS....................................................................................................................... 3
TABLE DE MATIÈRES................................................................................................................. 5
5
3.1.1. La privatisation comme solution ? ....................................................................................... 65
3.1.2. Conditions d’existence des marchés des droits d’eau......................................................... 66
3.1.3. Critique de l’argumentaire du « free market environmentalism ».......................................... 68
3.2. Limites de l’intervention publique.....................................................................................70
3.2.1. Réglementation directe : absence d’incitation ..................................................................... 70
3.2.2. Taxation et incertitude.......................................................................................................... 73
3.2.2.1. Quel niveau de taxe ? .................................................................................................... 73
3.2.2.2. Charge supplémentaire pour le pollueur ..................................................................... 75
3.2.3. Subventions : le danger de favoriser la pollution ............................................................... 75
3.3. Combinaison d’instruments et persistance des conflits ......................................................77
3.3.1. Cohabitation d’instruments.................................................................................................. 77
3.3.2. Les conflits d’usage : entre concurrence et relation sociale ................................................ 78
CONCLUSION ..............................................................................................................................82
6
2.1.1. Gérer la nature comme un patrimoine............................................................................... 120
2.1.2. L’« éco-socio-système » : la société, la nature et leurs relations ....................................... 124
2.2. Gestion des conflits avec la « négociation patrimoniale » .................................................129
2.2.1. Des langages sectoriels articulés en filières vers un langage commun ............................ 130
2.2.1.1. La réalité cloisonnée par des langages formalisés ..................................................... 130
2.2.1.2. Une gestion par filière ................................................................................................. 132
2.2.2. La procédure : quelles règles institutionnelles ? ............................................................... 133
2.2.2.1. Un diagnostic, un objectif et des moyens ................................................................... 133
2.2.2.2. Le lieu de la négociation : une institution « multi-organisationnelle »..................... 134
3. LA PRISE EN COMPTE DU TERRITOIRE : L’APPORT DE L’ECONOMIE DE LA PROXIMITE ..............138
3.1. La proximité : une préoccupation industrielle applicable à des nouveaux objets ...............138
3.2. Proximité géographique et proximité organisée................................................................140
3.2.1. Une distance fonctionnelle doublement relative ............................................................... 140
3.2.2. Espace de rapports et espace de référence......................................................................... 141
CONCLUSION ............................................................................................................................143
7
1.4.2.3. Quelques interrogations .............................................................................................. 188
1.4.2.4. Quelles suites dans la législation française ?.............................................................. 189
2. QUELLE GESTION INTEGREE DES RESSOURCES EN EAU ? .........................................................193
2.1. Des éléments complémentaires pour une gestion intégrée ................................................195
2.2. Reconnaissance et compréhension des conflits d’usage et de leur dépassement .................200
2.2.1. La genèse des conflits : diverses « visions du monde » et leurs impacts ......................... 200
2.2.2. Des proximités subies vers des proximités « réponse » : le patrimoine comme catégorie
de proximité institutionnelle ....................................................................................................... 204
2.2.2.1. Une proximité géographique source de conflits ........................................................ 205
2.2.2.2. La proximité environnementale : la rivière vecteur de proximité............................. 206
2.2.2.3. La gestion des conflits par l’activation d’une proximité organisée........................... 207
2.2.2.4. Le patrimoine : une catégorie de proximité institutionnelle ..................................... 209
2.2.2.5. Solidarité amont – aval : d’une solidarité passive vers une solidarité active ........... 210
2.3. Transversalité des politiques publiques : intégration entre territoire et ressource (gestion de
l’espace-gestion de l’eau) .......................................................................................................213
2.3.1. Gestion de l’eau – gestion de l’espace : un lien affaibli par le monde technique ............ 215
2.3.2. Quels antagonismes dépasser pour une gestion spatiale de l’eau ? ................................. 216
2.3.2.1. Les postures de la gestion de l’eau face aux filières de gestion de l’espace ............. 217
2.3.2.2. Comment échapper à une posture soumise ? ............................................................. 218
CONCLUSION ............................................................................................................................220
8
2.1.1. Une agriculture gestionnaire de l’eau jusqu’aux années 1960 .......................................... 249
2.1.2. Un conflit non manifeste mais une tension évidente ........................................................ 251
2.1.3. Le levier des politiques publiques face à l’abandon des « parties communes ».............. 255
2.2. Maraîchage versus navigation : une question de niveaux d’eau .......................................258
2.2.1. Une transformation des pratiques qui rend les usages incompatibles............................. 259
2.2.2. Manifestation du conflit : l’acte technique et la sollicitation des pouvoirs préfectoraux 260
2.2.3. Modes de résolution : des arrangements institutionnels instables................................... 263
2.3. Protection de l’environnement et pêche versus rejets industriels : l’apprentissage de la
concertation...........................................................................................................................267
2.3.1. Origine du conflit : des accidents de pollution récurrents ............................................... 268
2.3.2. Création de proximité lors d’un processus de concertation informelle ........................... 270
2.3.3. Le rôle des politiques publiques et l’importance de la proximité entre acteurs munis de
légitimité ....................................................................................................................................... 273
2.4. Protection de l’environnement versus prélèvements domestiques et industriels................276
2.4.1. Un « château d’eau » fortement sollicité dans un contexte d’incertitude ........................ 276
2.4.2. Une solidarité territoriale subie ......................................................................................... 277
2.4.3. Un conflit aux mains « d’experts » très lié à la gestion de l’espace.................................. 282
3. V ERS UNE GESTION INTEGREE DE L ’EAU DANS LE BASSIN VERSANT DE L’ AUDOMAROIS ..........286
3.1. Enseignements des conflits d’usage dans l’Audomarois ...................................................286
3.1.1. Le rôle de la justification .................................................................................................... 287
3.1.2. L’importance de la dimension spatiale dans la survenance des conflits ......................... 288
3.1.3. Le patrimoine ou les patrimoines ?.................................................................................... 291
3.2. Amorce de gestion intégrée de l’eau.................................................................................293
3.2.1. Une étendue croissante....................................................................................................... 293
3.2.2. Cohérence entre politiques publiques et droits de propriété/usage ............................... 295
3.2.3. Prise en considération des conflits d’usage et de leur dépassement ................................ 298
3.2.4. Des politiques publiques transversales ............................................................................. 300
3.3. Limites et voies de dépassement.......................................................................................301
3.3.1. L’incohérence de la police de l’eau .................................................................................... 301
3.3.2. Les points faibles de l’action publique territoriale ........................................................... 302
3.3.3. Une gestion de l’espace conquérante ................................................................................. 305
3.3.4. Voies de dépassement pour une gestion intégrée de l’eau ............................................... 306
CONCLUSION ............................................................................................................................309
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................319
9
ANNEXES ...................................................................................................................................337
10
LISTE DES TABLEAUX
TABLEAU 1 - CLASSIFICATION DES BIENS SELON LES CRITERES D’ EXCLUSION ET DE RIVALITE ..........34
TABLEAU 2 - M ULTIFONCTIONNALITE DE LA RESSOURCE EN EAU ....................................................40
TABLEAU 3 - LE DILEMME DU BERGER .............................................................................................46
TABLEAU 4 - R EGIMES DE PROPRIETE SUR UNE RESSOURCE ..............................................................48
TABLEAU 5 - CARACTERISTIQUES DES « MONDES COMMUNS » ........................................................96
TABLEAU 6 - CONFIGURATIONS D ’INTERNALISATION DES EFFETS EXTERNES .................................103
TABLEAU 7 - LES « POSTURES » DE LA GESTION DE L ’ EAU FACE AUX FILIERES DE LA GESTION DES
ESPACES ....................................................................................................................217
11
LISTE DES FIGURES
12
LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES
13
Certaines cartes présentées dans cette thèse (Figure 13b et
annexes 1 à 8) sont issues de l’atlas du SAGE de
l’Audomarois.
L’ensemble des cartes a été réalisé à partir des données
mises à disposition par les organismes suivants :
14
INTRODUCTION GÉNÉRALE
15
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Les ressources en eau font l’objet d’un intérêt accru de la part des organisations
internationales, des gouvernements ainsi que de la communauté scientifique
internationale. Les enjeux liés à cette ressource, qui a longtemps été considérée
comme inépuisable, bénéficient par ailleurs d’une médiatisation sans précédent
depuis quelques années dont les épisodes de sécheresse de 2005 en France
constituent un des exemples. Cette attention singulière est relativement récente car
les préoccupations concernant la répartition, la gestion, la qualité, l’allocation… de
l’eau ne sont apparues sur la scène internationale qu’une fois achevée la période que
l’on convient d’appeler les « Trente Glorieuses », et parallèlement à l’émergence de
questionnements plus globaux sur l’environnement. Au niveau international, la
première conférence mettant en évidence les enjeux que représentent les ressources
en eau a été celle de Mar del Plata (Argentine) en 1977, qui a précédé la décennie
internationale de l’eau (1980-1990). Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1990 que
la prise de conscience de l’importance de ces enjeux devient réelle de la part tant des
opinions publiques que des gouvernements ou des organismes internationaux,
lorsque les signes d’une pénurie d’eau de bonne qualité apparaissent à différentes
échelles et les conflits autour de la ressource se généralisent dans de nombreuses
régions du monde.
En effet, le XXe siècle a vu, notamment depuis les années 1950, les modes de
consommation et de production subir de nombreuses et importantes
transformations. Pfister (1996, cité par Nahrath, 2003) parle de « syndrome des
années 50 » pour caractériser cette période qui correspond à une véritable explosion
de la consommation de ressources naturelles, d’énergie ainsi que de la production de
déchets et d’émissions polluantes. L’influence sur les ressources en eau de ces
évolutions a été manifeste. À titre d’exemple, les prélèvements mondiaux d’eau ont
été multipliés par plus de dix durant ce siècle, ce qui représente une croissance deux
fois supérieure à celle de la population mondiale pendant la même période (OCDE,
1998). Intensification de l’agriculture (en particulier l’irrigation), besoins
énergétiques accrus, développement du tourisme… sont autant de mutations qui ont
16
Introduction générale
L’intérêt porté par la science économique aux ressources naturelles en général et aux
ressources en eau en particulier est également relativement récent. L’eau devient
objet d’étude pour les économistes lorsqu’elle perd son caractère inépuisable et
devient une ressource rare. En effet, si nous considérons la célèbre définition de
Robbins (1947), « l’économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que
relation entre des fins et des moyens rares à usages alternatifs ». C’est ainsi le constat de
la rareté de l’eau qui en fait un objet intéressant la science économique.
Cependant, la rareté de l’eau est une dimension relative car nous pouvons considérer
que la quantité d’eau présente sur Terre est une donnée constante (en tout cas selon
une échelle de temps humaine)1. La rareté relative tient ainsi non seulement aux
facteurs quantitatifs tels que son inégale distribution spatiale ou son inaccessibilité
dans certaines régions, mais aussi aux caractéristiques qualitatives : si l’eau est une
denrée rare, c’est certes souvent à cause de la faiblesse des stocks disponibles, mais
c’est aussi en raison des pollutions qui affectent la qualité de la ressource ; l’eau est
souvent rare mais plus rare encore est l’eau de bonne qualité. Cette qualité est tout
particulièrement influencée par les pressions exercées par les multiples activités
humaines. Rareté quantitative et rareté qualitative dépendent, d’une part, des
spécificités des ressources en eau et, d’autre part, des usages de l’Homme.
1 Les réserves d’eau douce de la planète ne représentent qu’environ 3% de l’eau présente sur Terre,
dont 70% reste emprisonnée dans la glace et dans les neiges.
17
Introduction générale
Ces enjeux sont nombreux car nombreux sont les usages de l’eau : l’eau est le milieu
de reproduction de la flore et la faune aquatique, elle contribue à l’alimentation en
eau potable, elle est utilisée pour laver, nettoyer ou refroidir dans les processus de
production ainsi que pour l’irrigation… Elle est aussi le support de nombreuses
activités comme la navigation, la pêche, la promenade, etc. Dans ce sens, les
fonctions remplies par les ressources en eau sont également nombreuses :
consommation, production, support d’activités, épuration, protection... Ces
fonctionnalités multiples sont souvent à l’origine de tensions entre les divers usagers
(et/ou gestionnaires) de l’eau, traduisant la complexité des interdépendances entre
milieux naturels et anthropiques, et ceci à toutes les échelles. Les tensions
apparaissent souvent en raison de la concurrence sur une même ressource (entre, par
exemple, une commune qui prélève de l’eau pour l’alimentation en eau potable de
ses habitants et une papeterie qui fait de même pour son processus industriel) mais
les rivalités peuvent aussi trouver leur origine dans des situations d’externalités
négatives de pollution (c’est le cas, par exemple, d’une industrie qui rejette des eaux
polluées dans une rivière où une association de pêcheurs pratique son activité). Les
18
Introduction générale
- Quel est le contenu des dispositifs de régulation mis en place pour les gérer ?
Ces questions appellent d’autres, que nous posons dans une perspective davantage
normative :
La persistance des conflits d’usage autour des ressources en eau interroge la manière
dont la théorie économique appréhende la gestion de ces ressources et considère les
interrelations entre les différents acteurs. L’intérêt s’est longtemps porté, en priorité,
sur les problèmes d’offre (assurer un approvisionnement correspondant à la
croissance de la demande) et sur les enjeux de l’internalisation des effets externes.
Les économistes se sont ainsi focalisés sur l’étude des modalités de prélèvement sur
les ressources (l’économie des ressources naturelles) ainsi que sur l’étude de l’impact
de pollutions sur le bien-être (économie de l’environnement). Quand bien même la
frontière qui séparait ces deux approches s’est progressivement estompée (Tacheix,
2005), les enjeux des ressources en eau ont souvent été abordés en termes
d’allocation de ressources en considérant les préférences d’agents individuels. Dans
19
Introduction générale
le domaine de l’eau, ces analyses ont ainsi porté sur l’allocation stricto sensu ou sur la
problématique des externalités, qui se traduit indirectement par un enjeu
d’allocation.
De nombreuses critiques ont mis en évidence les limites de ces deux approches. Tout
d’abord, force est de constater que la propriété privée n’est pas une condition
nécessaire ni suffisante pour la sauvegarde de ces ressources. En effet, le propriétaire
a toujours la possibilité de faire fructifier un fonds financier alimenté par la
surexploitation de celles-ci. Les limites d’une régulation publique relèvent quant à
elles de l’absence d’incitation à « faire mieux que la norme » (dans le cas d’une
réglementation directe) et de l’incertitude sur l’effet des instruments
« économiques ». En tout cas, il convient de constater que les instruments de l’action
publique ne sont pas adaptés à tous les problèmes environnementaux, notamment
dans la plupart des cas de conflits d’usage.
Toujours est-il que, quels que soient leurs intérêts respectifs, ces approches
théoriques s’avèrent insuffisantes pour rendre compte des conflits d’usage dans
toute leur diversité. Leurs limites sont notamment liées au fait que les dimensions
20
Introduction générale
Si le modèle des « cités » fournit les outils d’analyse à même de « lire » l’émergence
des conflits en tant que divergence de systèmes de légitimité et de représentations, il
s’avère cependant limité pour étudier la dynamique des modes de coordination à
l’œuvre entre les acteurs engagés dans un conflit.
21
Introduction générale
Par ailleurs, nous avons identifié deux approches théoriques qui autorisent la prise
en considération des spécificités liées aux dimensions temporelle et spatiale de la
gestion des ressources en eau. Premièrement, les travaux développés depuis une
dizaine d’années au sein du courant appelé « économie de la proximité » (Gilly et
Torre, 2000 ; Rallet et Torre, 2004, Pecqueur et Zimmerman, 2004) permettent
d’introduire la variable spatiale dans les analyses sur la coordination entre les
acteurs. Cette voie de recherche originale et interdisciplinaire s’est constituée au
carrefour de l’économie spatiale et de l’économie industrielle. Selon cette approche,
les proximités entre acteurs constituent des facteurs déterminants des innovations et
des dynamiques territoriales. La prise en compte des dimensions organisationnelles
et institutionnelles, et non uniquement géographiques, de la proximité représente un
des principaux apports théoriques de ce courant. Par ailleurs, les approches en
termes de proximité proposent des catégories analytiques qui contribuent à la
compréhension des conflits d’usage dans le domaine de l’eau ainsi que des modes de
coordination permettant, sinon le dépassement, du moins la gestion de ces conflits.
22
Introduction générale
Compte tenu des apports de ces différentes approches théoriques, nous pouvons
nous interroger, dans le contexte actuel des pays industrialisés et plus concrètement
dans le contexte français, sur le possible contenu d’une gestion intégrée de l’eau. La
« gestion intégrée » est devenue un terme courant dans la littérature sur la gestion de
l’eau. Cependant, quand bien même certaines organisations ont avancé des
définitions (GWP, 2000 ; Donzier, 2001), le concept demeure objet de controverses. Si
la Directive cadre européenne sur l’eau affirme qu’« il est nécessaire d’élaborer une
politique communautaire intégrée dans le domaine de l’eau » dans l’un de ses
considérants, aucune définition du concept n’est proposée. Quel contenu doit-on
deviner derrière ce principe ? Quelles variables permettent de mesurer le niveau
d’intégration d’une politique donnée ? Ces questions nous semblent d’autant plus
nécessaires que, mise à part l’approche du régime institutionnel de ressources, les
supports théoriques de la notion de gestion intégrée des ressources en eau font
défaut, ce qui ne facilite pas la mise en place de mesures opérationnelles homogènes.
En nous appuyant sur les quatre référents théoriques présentés à l’instant, nous
proposons une grille d’analyse que nous appliquerons à deux niveaux :
premièrement, le niveau objectif de l’émergence, du déroulement et de la gestion des
conflits d’usage dans le domaine de l’eau ; deuxièmement, le niveau normatif de la
définition théorique et opérationnelle de la gestion intégrée des ressources en eau.
23
Introduction générale
Ainsi, d’un point de vue analytique, une étude pertinente des conflits d’usage dans
le domaine de l’eau requiert selon nous la prise en considération de trois éléments :
1) l’ensemble des usages et usagers de l’eau, usages compris au sens large, ainsi
que des systèmes de représentations des usagers, gestionnaires et
« communautés de pratiques »3 ;
2) les impacts des politiques publiques de l’eau sur ces usages ;
3) les effets des autres politiques publiques ayant une influence sur l’eau.
Afin d’illustrer notre propos et de tester empiriquement cette grille analytique, nous
étudierons un territoire caractérisé par la cohabitation de nombreux usages de l’eau
autour d’une rivière, un marais, un canal et une nappe souterraine : le bassin versant
de l’Audomarois, dans la région Nord – Pas-de-Calais. Il s’agit en effet de nous
intéresser à la mise en œuvre de la gestion de l’eau à une échelle spatiale locale, le
bassin versant étant considéré comme l’unité territoriale pertinente pour la gestion
de l’eau (Mermet et Treyer, 2001). Le bassin versant de l’Audomarois est un territoire
complexe non seulement en raison de la diversité de ses milieux aquatiques mais
également du fait des interconnexions hydrauliques en grande partie méconnues. De
3 Une « communauté de pratique » se définit comme « un groupe qui interagit, apprend ensemble,
construit des relations et à travers cela développe un sentiment d’appartenance et de mutuel engagement »
(Wenger et al., 2002, p. 34).
24
Introduction générale
surcroît, les usages de l’eau y sont extrêmement variés, en termes quantitatifs comme
qualitatifs, ce qui n’est pas sans créer des conflits autour de cette ressource,
considérée par les acteurs du bassin tantôt comme une richesse, tantôt comme une
contrainte. Pour les uns, support d’activité, pour les autres, input productif ou
encore aménité paysagère, boisson, support de la biodiversité...
Dans un premier chapitre, nous proposons de retracer la place des ressources en eau
dans l’analyse économique. Nous nous attacherons ainsi tout d’abord à mettre en
évidence les caractéristiques des ressources en eau et d’en saisir les spécificités, qui
font de ce bien un bien commun susceptible d’assurer une multitude de fonctions. Il
s’agira ensuite d’introduire les deux approches traditionnellement utilisées pour
appréhender la gestion des ressources en eau. Ces deux perspectives théoriques, qui
relèvent du courant standard défendent, respectivement, le marché et l’intervention
publique comme mécanisme optimal d’allocation des ressources. Nous analyserons
leurs fondements théoriques ainsi que les instruments préconisés par chacune des
perspectives, ce qui nous permettra dans une dernière section de souligner leurs
limites. Celles-ci relèvent en particulier du fait que ces perspectives théoriques
demeurent selon nous insuffisantes pour analyser les situations de tension entre les
multiples utilisateurs et gestionnaires de la ressource en eau, tensions qui mènent le
plus souvent à des conflits d’usage.
25
Introduction générale
gestion de l’eau en France, ses principaux acteurs, les relations qu’ils entretiennent
avec les milieux aquatiques ainsi qu’avec les autres usagers. Ainsi, nous
examinerons la façon dont les conflits d’usage autour de la ressource en eau sont
concrètement appréhendés, assimilés et intégrés dans le raisonnement des différents
acteurs, qu’il soient usagers, gestionnaires ou décideurs publics. Afin de comprendre
en vertu de quels processus les conflits autour de l’usage de l’eau surviennent, se
perpétuent ou au contraire se résolvent dans le contexte français, nous nous
appuierons sur la notion de « régime institutionnel de ressources », dont nous
développerons le cadre d’analyse, les différentes composantes, la logique de leur
articulation et les types de régime résultant des combinaisons de celles-ci. Cette
analyse nous permettra, dans une dernière section, d’interroger la notion de gestion
intégrée de l’eau, dont nous proposerons une construction théorique à partir des
approches mobilisées auparavant.
26
CHAPITRE 1
27
CHAPITRE 1 - LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU : DE
L’INTERNALISATION DES EXTERNALITÉS AUX CONFLITS D’USAGE
L’eau est une ressource qui a été, pendant longtemps, considérée comme abondante
et inépuisable et dont l’utilisation dans la consommation ou dans les processus de
production ne posait pas de problème particulier. Cependant, les modes de
consommation et de production ont subi, depuis notamment les années 1950, de
nombreuses et importantes transformations, faisant ainsi évoluer de façon manifeste
la place de cette ressource dans le système économique et social, tout en mettant en
évidence les spécificités de celle-ci. Développement du tourisme, accroissement
démographique, besoins énergétiques, intensification de l’agriculture… sont autant
de mutations qui ont contribué à l’émergence de nouvelles relations vis-à-vis de la
ressource et à la multiplication des fonctions économiques de celle-ci. Ces
fonctionnalités multiples sont souvent à l’origine de tensions entre les divers usagers
de l’eau, tensions qui se traduisent dans de nombreuses occasions par des conflits
mettant en relief des intérêts différents inhérents aux acteurs usagers de cette
ressource.
À qui appartient l’eau ? Qui peut l’utiliser ? Dans quelles limites ? Ces questions,
posées auparavant essentiellement dans les régions souffrant de pénurie de la
ressource, se posent aujourd’hui dans la plupart des pays du monde et à toutes les
échelles géographiques. Les conflits d’usage relèvent ainsi de problèmes de quantité
(rareté relative) de la ressource auxquels s’ajoutent les problèmes qualitatifs
particulièrement aggravés par l’augmentation des pollutions. La persistance de ces
conflits pose la question des interactions entre les acteurs, des modes de régulation
publique, des modalités de coordination, des dynamiques de résolution, etc. C’est en
définitive la question de la gestion des ressources en eau qui est posée. Le terme de
gestion est ainsi utilisé dans ce travail dans un sens large et peut se rattacher à la
notion de gouvernance considérée comme « le système de régulation et de coordination
28
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
qui règle les interactions entre une pluralité d’acteurs » (Moulaert, 2000, p. 42)4 et qui
prend en compte les rapports sociaux constituant ce système (Moulaert et al. 1996).
Nous proposons, dans ce premier chapitre, de retracer la place des ressources en eau
dans l’analyse économique. Nous nous attellerons ainsi, dans une première section, à
mettre en évidence les caractéristiques et les spécificités des ressources en eau, non
pas dans un but typologique mais de clarification de la place de ces ressources dans
l’analyse économique. Dans une deuxième section, il s’agira d’introduire les deux
approches traditionnellement utilisées pour appréhender la gestion des ressources
en eau ; elles défendent, respectivement, le marché et l’intervention publique comme
mécanisme optimal d’allocation des ressources. Nous analyserons leurs fondements
théoriques ainsi que les instruments que chacune des perspectives préconise, ce qui
nous permettra dans une dernière section de souligner les limites d’une approche
dualiste « marché ou État » par le constat de la persistance de nombreuses tensions
entre les divers utilisateurs de la ressource en eau menant le plus souvent à des
conflits d’usage.
Depuis la première conférence des Nations Unies sur l’eau en 1977, une question
sans réponse unanime semble récurrente lors des réunions internationales : comment
peut-on appréhender l’eau ? Une question qui en suscite d’autres : de quelle façon
doit-on envisager la ressource en eau ? Sur quelle base reposent les différentes
approches de la gestion de l’eau ? Quel est le point de départ d’une gestion de l’eau
optimale ? Ainsi que le souligne Cans (1994), « bien qui tombe du ciel, donc gratuit,
l’eau va devenir pour tous une marchandise rare et chère. Comme la nature vierge et les
paysages inviolés ». Cependant, la directive cadre européenne sur l’eau adoptée en
2000 précise dans la première considération préliminaire que « l’eau n’est pas un bien
29
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter
comme tel » (Conseil des Communautés Européennes, 2000, p. 1). Derrière les débats
sur le caractère marchand ou non de l’eau se cache la question plus fondamentale de
la nature de ce liquide dont l’usage soulève des enjeux importants.
Dans la littérature économique traitant des typologies des biens, nous pouvons
constater une grande confusion de vocabulaire entre les notions de bien collectif,
public, commun et libre, utilisées souvent indistinctement et créant ainsi des
équivoques théoriques regrettables.
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
coté de la demande. L’eau, à de rares exceptions près, n’a pas été assignée par les
forces du marché car le coût de production était considéré comme nul. Le désintérêt
de la science économique au regard des ressources naturelles est exprimé ainsi par
Jean-Baptiste Say lors de ces cours d’économie politique (1828-1830, cité par Passet,
2000, p. XVI) : « Les richesses naturelles sont inépuisables car sans cela, nous ne les
obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être multipliées ou épuisées, alors elles ne sont
pas l’objet des sciences économiques ». Ainsi, l’histoire de l’eau et des diamants en tant
que biens économiques a emprunté des chemins bien différents.
Alors que la population mondiale a été multipliée par deux entre 1955 et 1990, la
consommation5 d’eau dans cette même période a été multipliée par quatre (Givone,
2000). L’augmentation de la demande d’eau (en tant que bien final et en tant que
facteur de production) induit des problèmes d’allocation, ce qui donne à l’eau
certaines caractéristiques propres aux biens dits « économiques » : l’eau devient un
bien naturel rare.
En effet, le caractère économique d’un bien est lié à plusieurs dimensions. Avec
Menger, nous pouvons considérer qu’« un bien est une chose reconnue apte à la
satisfaction d’un besoin humain et disponible pour cette fonction ». Le qualificatif de
« bien » requiert ainsi quatre conditions (Hugon, 2002) : la connaissance ou la
prévision du besoin humain, la propriété objective de la chose qui la rend apte à
satisfaire le besoin, la connaissance de cette aptitude et la disponibilité de la chose.
Dans le même courant de pensée, si l’on suit la définition de Robbins (1947), un bien
économique est un bien rare pour lequel plusieurs utilisations alternatives sont
5 La consommation d’eau fait référence à la quantité d’eau prélevée qui n’est pas restituée au milieu
après usage ; elle est donc réutilisable (Givone, 2000).
31
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
possibles. Les principes de rareté et de choix, ainsi que la notion de besoin délimitent
ainsi, selon l’approche théorique standard, le contour de la définition de bien
économique.
La notion de « bien public » est traitée de façon confuse dans la littérature, ce qui
amène souvent à qualifier différemment deux phénomènes identiques ainsi qu’à
utiliser le même terme pour différents phénomènes (Blümel et al., 1986).
Il est important de noter que nous nous référons ici à la caractérisation formelle des
biens et non pas au régime de propriété les concernant. Évidemment, les
conséquences sur la gestion d’un bien ou d’une ressource seront complètement
différentes selon le système d’allocation des droits d’usage ou de propriété défini sur
le bien ou la ressource en question (cf. infra).
Hume avait déjà évoqué dans son Traité sur la Nature Humaine (publié en 1739) le
besoin de s’organiser collectivement afin de produire des services nécessaires à la
société dans son ensemble (bien que non profitables individuellement). Mais
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
l’origine d’une théorie économique des biens publics est traditionnellement attribuée
à Samuelson dans son article fondateur de 1954 (Cornes et Sandler, 1996)6.
biens de consommation collective (X n+1 , …, Xn+m) dont tous bénéficient en commun dans le
sens où la consommation de chaque individu de ce type de bien n’implique aucune réduction
dans la consommation de ce bien d’un autre individu, de telle sorte que X n+j = Xin+j
simultanément pour chaque individu i et chaque bien de consommation collective »
(Samuelson, 1954, p. 387).
Cela étant et d’une manière générale, les définitions actuelles relatives aux biens
publics distinguent les biens publics purs, les biens publics impurs (ou mixtes) et les
biens privés (Begg et al., 2000, p. 280-281 ; Cornes et Sandler, 1996, p. 3).
6 Toutefois, comme le montre Pickhardt (2002), les définitions développées par la théorie des biens
publics ne semblent pas être basées sur l’article de Samuelson de 1954 mais plutôt sur les travaux de
Musgrave (1959, 1969) et Samuelson (1955).
7 La majeure partie de la littérature sur les biens publics utilise les termes « publics » et « collectifs »
comme synonymes (Pickhardt, 2002 ; Hugon, 2002 ; Brodhag et Husseini, 2000).
33
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Ainsi, selon la définition de Stiglitz (2000, p. 132) « un bien collectif pur est un bien tel
que l’extension de son bénéfice à une personne supplémentaire a un coût marginal nul et tel
que l’exclusion d’une personne supplémentaire a un coût marginal infini ».
Dans une position opposée, les biens privés répondent aux critères d’exclusion (la
jouissance d’un bien privé est limitée à un ou plusieurs individus) et de rivalité (la
consommation du bien par certains prive les autres de la jouissance du même bien).
Des exemples précédents, on dira que la nourriture et les vêtements sont des biens
privés, alors que la défense nationale et le contrôle de la pollution sont des biens
purement publics.
Une position intermédiaire entre ces deux points extrêmes est occupée par les biens
publics impurs, dont les bénéfices sont partiellement rivaux et/ou excluables.
Autrement dit, les formes impures des biens publics comprennent les biens, soit
dotés à un moindre degré de ces deux attributs, soit (le plus souvent) dotés
uniquement de l’un d’entre eux (Inge et al., 1999). Les « biens de club » (Buchanan,
1965, Buchanan et Musgrave, 1999) vérifient uniquement la caractéristique de non-
rivalité ; les « biens communs » (aussi appelés « ressources communes ») se
caractérisent par une non-exclusion et une rivalité (Ostrom, 1990).
8 La rivalité entre usagers peut être assimilée à la capacité du bien à être morcelé (Head, 1962, cité par
Olson, 1966 ; Ostrom, 1990, p. 32 ; Cornes et Sandler, 1996, p. 8).
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Si le caractère non-exclusif des ressources en eau est largement accepté, il n’en est
pas de même pour la non-rivalité de l’usage, qui est largement démentie par les
faits : la surexploitation d’une nappe phréatique ou l’utilisation d’un cours d’eau
comme égout par certains acteurs prive les autres de la jouissance de la nappe dans
le premier cas, de la rivière dans le second.
Le questionnement sur les deux critères appliqué aux ressources en eau situerait ces
dernières dans la catégorie des « ressources communes » (Ostrom, 1990). En effet, les
propositions théoriques dérivées uniquement de la difficulté d’exclusion sont
applicables tant aux biens publics purs qu’aux ressources communes. Effectivement,
35
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
la tentation d’agir comme « passager clandestin » est commune aux biens publics et
aux ressources communes, du fait de la similitude observée entre l’importance des
coûts d’exclusion des bénéficiaires potentiels d’un bien public d’une part et d’autre
part des agents d’une ressource commune. En revanche, les « effets de masse » et de
surutilisation (encombrement) sont absents dans le cas de biens publics purs
(éclairage public, feu d’artifice, défense nationale…), mais chroniques dans le cas des
ressources communes (eaux souterraines, rivières, zones humides…).
Par conséquent, les critères qui permettent d’identifier les biens publics, les biens
privés, les biens de club et les biens communs ne sont pas fixés définitivement dans
le cas de l’eau. Le fait qu’il y ait des individus qui puissent produire de l’eau potable
crée automatiquement une exclusion de ceux qui n’auront accès qu’à une eau
polluée ; si l’ensemble des acteurs d’un bassin hydrographique décide de maîtriser
les pollutions, la notion de rivalité est inopérante. Dans ces cas, les critères
d’exclusion et de rivalité perdent leur pertinence (Taithe, 2001).
Cet éclairage sur la définition des différents biens appelle finalement une remarque
essentielle : pour la théorie économique, la notion de « bien public » ne relève pas
d’une logique d’appropriation mais d’une logique de consommation (d’usage).
Autrement dit, un « bien public pur » n’est pas un bien qui est propriété de tous,
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
mais un bien « qui peut être consommé par tout un chacun, sans préjudice de la possibilité
pour les autres de le consommer également » (MATE, 2002, p. 1). En effet, le classement
des biens en termes de rivalité et d’exclusion fait abstraction des régimes de
propriété applicables aux biens. « Considérer un bien public (…) comme un bien en libre
accès (bien ouvert ou res nullius), un bien en propriété commune ou un bien en propriété
publique a d’importantes incidences sur la perception du bien public par les consommateurs
et sur leurs stratégies de gestion » (Taithe, 2001, p. 4). L’entretien du feu, par exemple,
était à une époque un bien public indispensable pour la vie du groupe et qui exigeait
une gestion collective ; l’évolution technique a fait néanmoins perdre son caractère
public. À l’opposé, la ressource en eau peut être suffisamment abondante à un
moment donné pour admettre une gestion individuelle, mais si la consommation
augmente et la rivalité entre les usagers s’intensifie, une gestion collective peut
s’avérer plus efficace. L’eau reste un bien public impur (un bien commun) mais les
conflits d’usage exigent une gestion davantage commune ou collective de la
ressource.
Selon les analyses précédentes, nous pouvons évoquer la directive cadre sur l’eau et
affirmer que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres ». Nous pouvons
avancer par ailleurs que dans la situation actuelle, l’eau est un bien économique non
marchand public impur, plus précisément un bien commun. La complexité de cette
caractérisation laisse deviner la difficulté qui réside dans la définition d’un régime
de propriété pour cette ressource ainsi que son système d’allocation et de gestion.
Parmi l’ensemble des éléments qui caractérisent la ressource en eau, un des plus
importants (sinon le plus) correspond à sa capacité à remplir des fonctions très
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Depuis la fin des années 1980, on assiste à une reconnaissance de l’activité agricole
en tant qu’activité multifonctionnelle et non plus comme une activité remplissant la
seule fonction de production des biens primaires alimentaires. Cette caractérisation
correspond à une revalorisation des fonctions diverses que remplit l’agriculture,
notamment des fonctions environnementales et sociales, dans un contexte où ces
dernières se voient mises en danger.
Le maintien des haies est souvent présenté comme exemple pour illustrer ce concept.
En effet, une haie privée représente une délimitation spatiale des exploitations
agricoles. Par ailleurs, elle s’inscrit dans un bocage et constitue, avec d’autres
éléments visuels, une aménité paysagère. Elle contribue aussi à la biodiversité,
puisqu’on peut la considérer comme un écosystème abritant et favorisant la
reproduction de nombreuses espèces animales. La haie remplit également une
fonction de protection face aux inondations en limitant leurs effets, etc.
9 La notion de « fonctionnalité » fait ici référence à la capacité à assurer une fonction ; elle s’éloigne
ainsi de la définition en termes d’utilité.
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Utilisation Relations
Demande Demande Relations
Fonctions Types d’usages Types d’usagers interne ou potentiellement
(qualité) (quantité) complémentaires avec :
externe conflictuelles avec :
Environnement Nourriture, reproduction Plantes et animaux In situ Forte (en fonction des Régulière (en - protection de la nature (PN) - hydroélectricité
espèces) fonction des espèces) - épuration d’eau
vivant
- activités polluantes
Consommation Alimentation en Eau - ménages (usagers Ex situ, restitution Forte En France, 120 - tous les usages exigeant une
Potable (AEP) indirects) avec une qualité m3/jour/hab. qualité forte
- administrations moindre - irrigation (quantité et qualité)
publiques ou privées - autres usages de
(usagers directs) consommation (quantité)
Production Eau industrielle - Entreprises privées Ex-situ, restitution Faible Généralement forte - tous les usages exigeant une
(prélèvements directs ou avec une qualité qualité forte
par des réseaux publics) moindre - autres usages de
consommation (quantité)
- agriculture (affaissement des
sols, salinisation)
Production Eau industrielle : cas Entreprises privées ou Ex-situ, restitution Faible Généralement forte - autres eaux industrielles - tous les usages exigeant une
particulier de semi-publiques avec modification de qualité forte (eau froide)
refroidissement d’eau la qualité (eau plus - organismes vivants
(centrales nucléaires) chaude) - protection de la nature (PN)
Production Irrigation Fermes privées Ex-situ, une petite Faible Dépend du climat et - loisirs, usages culturels (ex : - tous les usages exigeant une
(prélèvements directs ou partie est restituée, des saisons. Dans des canaux d’irrigation qualité forte
par des réseaux publics généralement avec zones arides, traditionnels) - eau potable (quantité et
ou privés) une qualité moindre quantités fortes - drainage qualité, pollution diffuse)
- hydroélectricité
- autres usages de
consommation (quantité)
- agriculture (affaissement des
sols, salinisation)
Production Drainage Fermes privées et In situ - production fermière - organismes vivants
administrations - irrigation - PN
publiques
Production Production d’eau Entreprises privées Ex-situ Forte et spécifique Variable - cures d’eau - toute activité polluante
minérale (minéralisation) - tourisme - tous les usages exigeant une
- eau potable qualité forte
Production Infrastructures de loisirs Entreprises privées ou Ex-situ, restitution Selon usages Selon usages et - loisirs - PN
et touristiques (piscines, publiques partielle avec qualité saison - autres usages de
aquaparks, neige moindre consommation (quantité)
artificielle …)
40
2
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Énergie Production Entreprises privées avec Ex-situ, restitution Faible Forte - loisirs, tourisme - PN (débit minimal, impacts
hydroélectrique (barrage en général un monopole totale avec la même - pêche spatiaux, purges)
de grande chute) sur une ligne de partage qualité (sauf la - stockage pour usages - organismes (débit minimal,
des eaux (concessions) charge sédimentaire) domestiques, industriels et purges)
d’irrigation (barrage)
- protection contre inondations
Énergie Production Entreprises privées avec In-situ Faible Forte - protection contre inondations - organismes (obstacles)
hydroélectrique (barrage en général un monopole et contrôle du courant - PN (impacts spatiaux)
de faible chute) sur un tronçon de rivière - navigation (écluse)
(concessions) - irrigation
Épuration d’eau Épuration (ménages, Entreprises, ménages et In-situ Dépend de la quantité Relativement forte - organismes vivants - hydroélectricité - organismes
industries, agriculture) administrations (dilution) - pêche vivants
publiques - santé humaine
- loisirs, tourisme
- PN
Support Navigation Entreprises privées et In-situ Faible Forte - loisirs, tourisme - hydroélectricité (débit
individus (navigation de résiduel, obstacles)
loisir)
Support Extraction de gravier Entreprises privées et In-situ Faible Faible - hydroélectricité - loisirs, tourisme
(carrière) administrations Quantités élevées de - PN
publiques sédiments - organismes vivants
Support Pêche Entreprises privées et In-situ Moyenne Relativement forte - organismes vivants - hydroélectricité
individus - loisirs -PN
- épuration d’eau - industrie
- toute activité polluante
Loisir Paysage Individus (habitants et In-situ (« usage Faible Forte et besoin de - navigation - toute activité avec un impact
touristes) culturel ») paysage naturel - pêche spatiale
- sport - extraction de gravier
- PN, protection du paysage
Loisir Sport Individus (habitants et In-situ (« usage Moyenne-forte Moyenne-forte - navigation - toute activité avec un impact
touristes) culturel ») - pêche spatiale
- paysage - extraction de gravier
Loisir Cures d’eau Individus (habitants et Ex-situ ou in-situ Particulier (eau Variable - production d’eau minérale
touristes) chaude) - autres activités touristiques et
de loisir
- cures d’eau à usage médical
Usage médical Cures d’eau Individus Ex-situ ou in-situ Particulier (eau Variable - production d’eau minérale
chaude) - autres activités touristiques et
de loisir
- cures d’eau de loisir
Changements Évolution du paysage Impact direct sur les - organismes vivants - toute activité humaine
activités humaines - PN
géomorphologiques
- récréation, tourisme,
« géotopes »
Protection Protection contre risques Administrations In-situ - drainage, irrigation - organismes vivants
naturels (inondation, publiques - PN
coulée de boues…) - hydroélectricité
Source : adapté de Mauch et al. (2000)
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2
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Mais l’eau est aussi une ressource intimement liée à son territoire. En effet, les
différents usages de l’eau ne peuvent pas être analysés en faisant abstraction du
contexte géographique, institutionnel, économique, social, naturel… dans lequel ils
s’insèrent. La ressource en eau ne peut pas être appréhendée comme une unité
abstraite, mais comme partie intégrante d’un milieu (naturel mais aussi souvent
anthropisé) avec lequel elle entretient des relations d’interdépendance. C’est pour
cette raison qu’il est impossible de dissocier la ressource en eau du territoire dans
lequel elle s’inscrit.
Une fois approfondie la nature du bien « eau », ainsi que son aspect
multidimensionnel, se pose la question de l’allocation et la caractérisation du régime
de propriété qui s’établit sur les ressources naturelles dont l’eau fait partie. Le Code
Napoléon affirmait déjà dans son article 714 : « Il est des choses qui n’appartiennent à
personne et dont l’usage est commun à tous » 10. Deux approches sont les plus
généralement utilisées : celle qui prône le marché comme mécanisme efficace
d’allocation des ressources (2.1) et celle qui défend l’intervention publique comme
moyen d’allocation permettant une minimisation des défaillances du marché (2.2).
42
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Si le caractère commun des ressources en eau est largement accepté, les modalités
d’allocation de celles-ci ne peuvent pas être définies uniformément. La situation
géographique, l’environnement institutionnel, les usages existants, etc., sont des
facteurs qui détermineront le système d’allocation. En fonction du degré de
centralisation des choix, plusieurs conceptions existent quant à l’efficacité et l’équité
dans l’allocation des ressources en eau. Deux formes pures servent de fondement à
la théorie économique. D’une part, un premier courant d’auteurs souligne l’intérêt
du marché comme institution permettant une allocation efficace des ressources,
notamment moyennant des signaux de prix (reflet de la rareté de la ressource) qui
annuleraient les conflits d’usage (Anderson et Snyder, 1997 ; Thobani, 1995). D’autre
part, les défenseurs d’une intervention active de l’État considèrent que la régulation
publique (une allocation assurée par une agence publique) permet de limiter les
problèmes d’équité inhérents à une allocation marchande tout en évitant les conflits
d’usage (Montignoul, 1997 ; Sironneau, 2000).
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
cherchant leur propre intérêt, finissent par se battre entre eux. Des esquisses d’une
théorie des communaux basée sur un raisonnement similaire sont présentées en 1833
par Lloyd et la même logique est exprimée par Gordon (1954) s’appuyant sur
l’exemple des pêcheries : « il semble ainsi (…) que la propriété de tout le monde n’est la
propriété de personne » (Gordon 1954, p. 124)11. Plus récemment, Clark (1980) ainsi que
Dasgupta et Heal (1979) affirment que lorsqu’un certain nombre d’individus ont
accès à une ressource commune, les unités de ressource prélevées excéderont le
niveau économiquement optimal.
La position d’Olson (1965) dans son ouvrage La logique de l’action collective apparaît
critique vis-à-vis du présupposé selon lequel la perspective de bénéfices pour
l’ensemble du groupe suffit pour générer une action collective. En effet, il affirme
que « les cas des très petits groupes mis à part, à moins de mesures coercitives ou de quelque
autre disposition particulière les incitant à agir dans leur intérêt commun, des individus
raisonnables 12 et intéressés ne s’emploieront pas volontairement à défendre les intérêts du
groupe » (Olson, 1965, p. 2).
Mais c’est depuis le désormais célèbre article The Tragedy of the Commons de Hardin
dans la revue Science (1968) que le terme « tragédie des communaux » est devenu le
symbole de la dégradation attendue de l’environnement lors de l’utilisation en
commun d’une ressource par un nombre élevé d’individus. Selon l’auteur, la gestion
des biens communs, en particulier les ressources renouvelables, conduit
inéluctablement à une surexploitation de la ressource.
Cet article est la base sur laquelle s’appuient les propositions qui recommandent une
stricte définition des droits de propriété privée dans l’allocation des ressources
naturelles comme le seul moyen propre à engager la responsabilité de ses utilisateurs
et empêcher les usages abusifs et conduire à une allocation optimale. Ainsi que
l’affirmait Coase, (1960) « le résultat final qui maximise la valeur de la production est
indépendant de la situation de droit lorsque le système de fixation des prix est supposé
fonctionner sans coût ».
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
D’un point de vue formel, l’hypothèse de Hardin a souvent été modélisée sous la
forme d’un « dilemme du prisonnier » (Ostrom, 1990 ; Stevenson, 1990). Ainsi,
supposons que les deux joueurs sont des bergers qui utilisent la même prairie pour
faire paître leurs troupeaux. Dans cette prairie, un nombre maximal d’animaux peut
paître durant une saison et être bien nourri. Si nous désignons par L le nombre
maximal d’animaux, la stratégie « coopérative » (c) consisterait, pour chacun des
deux bergers, à mettre en pâture L/2 animaux. La stratégie « trahison » (t)
consisterait, pour chaque berger, à faire paître le nombre d’animaux qu’il estime
pouvoir vendre (en admettant que ce nombre est supérieur à L/2). Si nous
empruntons les valeurs utilisées par Ostrom (1990), la structure du jeu du « dilemme
du prisonnier » peut être décrite dans le Tableau 3. Si les deux bergers optent pour la
stratégie « coopération », ils obtiendront chacun un bénéfice de 10 unités, tandis que
s’ils optent pour la stratégie « trahison », ils n’obtiendront aucun bénéfice. Si un des
bergers est « coopératif » (fait paître L/2 animaux) et l’autre « traître » (fait paître
tous les animaux qu’il veut), le premier obtient -1 tandis que le « traître » obtient 11
unités de profit. Finalement, si chacun décide indépendamment de l’autre, ils
opteront tous les deux pour leur stratégie dominante, c’est-à-dire, la « trahison », ce
qui implique un gain nul pour les deux.
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Berger 2
Coopération Trahison
Coopération (10, 10) (-1, 11)
Berger 1
Trahison (11, -1) (0, 0)
Néanmoins, il est important de noter que l’article de Hardin a été fortement critiqué
du fait de la confusion qu’il entretient entre « propriété commune » (« common
property ») et « libre accès » (« open access »). Ce que Hardin appelle « communaux »
(« commons ») correspond en réalité à des ressources en libre accès, dont les droits de
propriété et/ou d’usage n’ont pas été déterminés (Feeny et al., 1990 ; Stevenson,
1991 ; Aguilera-Klink, 1994 ; Lynch, 1999). Il serait ainsi plus pertinent de parler de
« tragédie du libre accès » afin de préciser que c’est l’absence complète de droits
établis qui peut avoir comme conséquence la destruction des ressources et non pas
une situation où la propriété des ressources est commune. Nombre de chercheurs ont
contesté le bien fondé de la thèse de Hardin (Ciriacy-Wantrup et Bishop, 1975 ;
Ostrom, 1990). Celle-ci est néanmoins encore aujourd’hui largement mobilisée,
notamment dans le domaine du développement international où il apparaît
explicitement et implicitement dans la formulation de nombreux programmes et
projets (Bromley et Cernea, 1989).
13 Un équilibre de Nash décrit une issue d’un jeu non coopératif dans lequel où aucun joueur n’a
intérêt à modifier sa stratégie, compte tenu des stratégies des autres joueurs.
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
14 Le terme général de « droits de propriété » (« property rights ») correspond à trois attributs attachés à
la propriété : l’usus, le fructus et l’abusus. Le terme « droit de propriété » (« right of ownership »)
correspond à la superposition des trois attributs (Kirat, 1999).
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
La structure des droits de propriété sur les ressources en eau varie d’un pays à
l’autre suivant les différentes traditions juridiques, reflet des usages et valeurs liés à
ces ressources. La théorie des droits de propriété (Demsetz, 1967 ; Alchian et
Demsetz, 1973) représente en partie la base théorique sur laquelle s’appuient les
défenseurs du recours au marché pour une allocation optimale des ressources
naturelles.
Pigou (1920) met en évidence la différence entre le coût privé d’une activité et le coût
social et présente le problème sous ces termes : « l’essence du phénomène est qu’une
personne A en même temps qu’elle fournit à une autre personne B un service déterminé pour
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Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
lequel elle reçoit un paiement, procure par la même occasion des avantages ou des
inconvénients d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en
bénéficient ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent ».
Ainsi, toute activité économique peut avoir des effets sur le bien-être d’autrui sans
qu’il y ait une compensation. L’externalité caractérise ainsi une interdépendance
hors marché des fonctions d’utilité des différents agents.
On peut en effet considérer que du coût social (CS : coûts imposés par une activité à
la collectivité), une partie est compensée par l’agent à l’origine de l’activité au
moyen de ses coûts privés (CP : coûts de production, salaires...). Mais il peut y avoir
d’autres coûts non compensés, par exemple les coûts occasionnés par la pollution
d’une rivière. Il y a ainsi une divergence entre le coût social (CS) supporté par la
collectivité et le coût privé (CP), divergence qui constitue le coût externe (CE = CS-
CP) (cf. Figure 1).
Prix
S’
S
P’ Coût externe
P
D
O Q’ Q Quantités produites
Par exemple, une papeterie qui pollue une rivière peut induire des pertes de bien-
être et/ou de revenu des utilisateurs de la rivière en aval sans que le prix du papier
vendu par l’entreprise n’en tienne compte. Pour que le prix du bien produit reflète la
totalité des coûts de production, il faut ajouter aux coûts privés la part des coûts
sociaux ignorés (déplacement de la courbe d’offre de S à S’). L’entreprise
49
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
internaliserait ainsi le coût externe, ce qui implique un nouveau prix P’, supérieur à P
et une diminution de la quantité optimale (qui passe de Q à Q’).
Le courant théorique des droits de propriété s’appuie notamment sur les travaux de
Coase (1960)16 qui lancent le débat sur la notion de marché. En effet, tout en mettant
l’accent sur la négociation basée sur la définition des droits de propriété, Coase
laisse le champ ouvert quant au type des droits à établir.
15 Ce théorème a été énoncé pour la première fois par Stigler (1966, p. 111) suite à l’article de Coase.
16 Cependant, il est important de noter que Coase lui-même n’exclut pas l’intervention publique, qu’il
considère nécessaire dans les situations où les coûts de transaction sont supérieurs aux coûts
d’intervention publique (Coase, 1960).
50
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
et précise de la structure des droits de propriété qui permette les transactions entre
les individus. En effet, selon ces auteurs, la répartition des revenus ainsi que
l’allocation des ressources sont fortement influencées par la structure des droits de
propriété (Boisvert, 2000, p. 4).
17 Le besoin de privatisation de l’environnement afin qu’il soit géré correctement est ainsi exprimé par
Smith (1997, p. 49-50, cité par Vivien, 2004, p. 296) : « En matière d’environnement, le problème n’est pas
d’inventer une autre génération de lois et de réglementations, mais de découvrir des procédés nouveaux de
façon à étendre les institutions de la propriété privée à la grande variété des ressources environnementales
contrôlées aujourd’hui par l’État. La raison en est simple : la propriété privée encourage son détenteur à
évaluer rigoureusement les utilisations alternatives de ses ressources et à accroître leur valeur dans le temps
alors que le processus politique ne le peut pas. Les preuves empiriques sont accablantes : les viviers, les
cheptels et les animaux domestiques prospèrent alors que leurs contreparties publiques - respectivement, les
pêcheries des océans et la faune - déclinent et sont menacées ».
51
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En somme, la théorie des droits de propriété affirme que l’internalisation efficace des
externalités passe par la définition des droits de propriété privés sur les ressources,
qui ne doivent en aucun cas être limités ou atténués (le rôle de l’État doit donc rester
minime), afin de profiter au maximum des possibilités de l’échange. Ainsi que le
soulignent Lemieux et Mackaay (2001, p. 2), « Économiquement, cette attribution des
droits de propriété fera en sorte que l’utilisation litigieuse se retrouve, éventuellement par
suite d’une entente entre les parties, entre les mains de celle qui la valorise le plus.
L’efficacité économique est ainsi atteinte, quelle que soit la partie à laquelle la loi aurait
initialement attribué le droit de propriété, illustrant le caractère autorégulateur du marché ».
C’est notamment depuis les années 1980 et sur la base des travaux de l’économiste
canadien Dales (1968) qu’un certain nombre d’économistes et d’analystes politiques
ont avancé l’idée que l’instauration des marchés de droits d’eau pourrait aider à
résoudre les problèmes d’allocation de cette ressource. Selon ces auteurs, les droits
transférables sur l’eau (comme pour l’ensemble des biens environnementaux,
d’ailleurs) constituent une réponse à sa rareté grandissante. C’est sur cette base que
Carson, Marinova et Zilberman (1999, p. 1, cité par Ostrom, 2005, p. 364) critiquent
l’action des pouvoirs publics au Moyen Orient concernant les conflits
transfrontaliers sur l’eau et affirment que « la structure allocative de l’eau actuelle s’est
révélée inadéquate. Elle devrait être remplacé par une forme de marché d’eau ».
Le mécanisme des marchés de droits d’eau ou « marché des droits à polluer » (market
in pollution rights) ou encore « marché des permis négociables » peut en effet être
envisagé comme une articulation entre le système des normes et une réglementation
marchande. L’OCDE (1991) définit les permis négociables comme des « quotas
52
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
environnementaux, autorisations ou plafonds sur les seuils d’émission qui, une fois attribués
par l’autorité compétente, peuvent être négociés dans un cadre prédéterminé ».
On peut distinguer trois étapes dans la mise en place de ce système. Tout d’abord,
sur un territoire donné, une norme est définie (par exemple la quantité maximale de
rejet de nitrates dans l’eau pour un pays). Ensuite, cette norme globale donne lieu à
des normes individuelles (les rejets maximaux de chaque région, dans l’exemple
antérieur) et, par voie de conséquence, à la répartition de droits ou permis
individuels. Finalement, ces droits peuvent ensuite être échangés entre les
détenteurs. L’État fixe un objectif de pollution et la règle d'allocation (un système
d’enchères ou sur la base d’autorisations préexistantes). Le marché est supposé ainsi
assurer une répartition optimale compte tenu des structures de coûts de dépollution
des agents.
Ce système fixe un objectif contraignant et incite les agents à éliminer d’abord les
sources de pollution les moins coûteuses (les entreprises avec un coût de dépollution
plus faible auront intérêt à dépolluer davantage et à vendre leurs droits aux
entreprises avec un coût supérieur de dépollution). Le prix du droit sur le marché
tendra à se fixer au niveau du coût marginal de dépollution pour l’ensemble des
pollueurs. Chaque pollueur aura intérêt à acheter des droits jusqu’au moment où le
prix de ceux-ci sera égal au coût marginal de dépollution car au-delà, il est plus
coûteux d’acheter des droits que de dépolluer.
L’efficience du système est ainsi défendue par Dales (1968, p. 107) : « étant donné que
les droits de propriété (…) transférables exigent toujours des prix explicites, l’établissement
de ce type de Droits facilite l’établissement d’un marché sur ceux-ci. En échange, l’achat et la
vente de ces Droits sur un marché ouvert et l’établissement d’un prix explicite du droit
d’émission d’une tonne de déchets dans un système aquatique (ou dans l’air) ont comme
résultat une allocation théoriquement efficiente de l’"effort antipollution" entre les différents
pollueurs ».
53
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
volumes d’eau disponibles entre des individus ou des collectivités ». Cela peut ainsi
impliquer un transfert d’eau entre deux zones géographiques, entre deux secteurs
(agriculture, industrie, ménages, usages récréatifs…) ou entre deux agents d’un
même secteur.
L’école du « free market environmentalism » s’est développée à partir des années 1980,
impulsée notamment par les travaux de l’états-unien Anderson, directeur du Political
Economy Research Center19 (PERC) de l’Université de Montana. Le PERC a été l’un des
pionniers dans la promotion de l’utilisation des marchés afin d’encourager la
protection des ressources en eau et la réallocation de celles-ci vers des usages à
valeur plus élevée. Selon ce courant (appelé à ses origines « nouvelle économie des
ressources » -« new resource economics »-), l’eau est considérée comme une
marchandise (un bien normal), et c’est la perception de l’eau comme étant une
ressource unique qui provoque des interférences de type politique et empêche le
marchandage de celle-ci. Ainsi, les crises de l’eau seraient évitées si les individus
avaient la possibilité de répondre à travers des processus de marché (Landry, 1998).
Les principes de base du « free market environmentalism » sont ainsi présentés par le
PERC :
54
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
• les pollueurs devraient être responsables des dommages causés aux tiers.
55
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Le refus à l’intervention étatique est exprimé ainsi par Anderson (2000, p. 144) :
« Dans quelle mesure la main invisible de Adam Smith sera émancipée pour produire sa
magie sur l’attribution de l’eau ? Si les gouvernements continuent d’envoyer des mauvais
signaux aux offreurs et aux demandeurs en subventionnant la protection de l’eau et la
distribution, la croissance exponentielle de la consommation se heurtera inévitablement à des
contraintes environnementales et budgétaires. En revanche, si la confiance accordée au
processus de marché continue, l’offre d’eau augmentera lorsqu’il y a un intérêt économique,
les usagers actuels conserveront et vendront leur eau pour des usages de plus grande valeur,
spécialement les usages environnementaux tels que la dilution de la pollution et les
équipements nécessaires à la réalimentation ; la croissance de la consommation sera alors
maîtrisée ». Le rôle de l’État est ainsi réduit au minimum 20. Le pouvoir coercitif de
l’État permet la définition et l’application des droits de propriété (élimination du
problème de free rider, maintien de l’ordre et la loi, réduction des coûts de la
protection…). Mais ce pouvoir implique aussi ce que Anderson appelle « une lame à
double tranchant » (« a double-edged sword »). En effet, « le même pouvoir coercitif qui
protège la propriété privée peut être utilisé pour acquérir une propriété privée, notamment si
cela est fait au nom de la sécurité et du bien-être public » (Anderson 2003, p. 59-60). La
seule propriété légitime de l’État correspond à « la propriété militaire, (…) les bâtiments
administratifs, les monuments historiques qui peuvent avoir une valeur de préservation
intrinsèque et les autoroutes » (Anderson 2003, p. 60)21.
Toute forme d’intervention publique étant jugée néfaste, le courant du « Free market
environmentalism » s’éloigne des développements initiaux de Dales (1968) sur la mise
en place des marchés des droits qui exigeaient, comme nous l’avons vu, l’action
préalable des pouvoirs publics dans la définition du montant global de pollution
20 L’importance de la décentralisation des décisions est illustrée par le passage suivant de Hirshleifer
et al. (1960), souvent cité par Anderson : « Toutes choses étant égales par ailleurs, nous préférons l’autorité
locale à l’étatique, l’étatique à la fédérale - et la prise de décision individuelle (le cas extrême de
décentralisation) à toutes ces dernières. La raison fondamentale de cette préférence c’est la croyance que la
cause des libertés humaines est mieux servie par un minimum de contrainte gouvernementale et que, si la
contrainte est nécessaire, une autorité locale et décentralisée est plus acceptable que le dictât d’une source de
pouvoir centralisée et lointaine. Ceci représente une "avantage du marché" pour laquelle nous, au moins,
serions prêts à faire quelques sacrifices en termes de perte d’efficience économique… même dans le domaine de
l’efficience, néanmoins, nous croyons que, plus les coûts et bénéfices des projets liés à l’eau sont amenés près
de ceux qui prennent les décisions, mieux ces décisions seront susceptibles d’être prises - considération qui
défend une décentralisation dans la pratique », cité par Anderson (1982, p. 789).
21 Souligné par nous.
56
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Nous avons vu que certains auteurs proposent de faire face aux externalités liées à
l’utilisation des ressources en eau grâce à l’échange marchand facilité par la
définition des droits de propriété privée sur ces ressources. Cependant, d’autres
auteurs ne partagent pas cette solution et défendent plutôt l’intervention des
pouvoirs publics comme le meilleur moyen permettant d’empêcher la sous-
optimalité de l’allocation par le marché ainsi que les conflits causés par le manque
d’équité des solutions marchandes.
Examinons les fondements théoriques et les instruments proposés par cette approche
afin de saisir la capacité de celle-ci à analyser les situations de gestion des ressources
en eau.
Tout d’abord, dans le cas des externalités et comme nous l’avons vu, l’allocation des
ressources résultant du système de prix de marché sera inefficace, dans la mesure où
celui-ci reflétera uniquement les coûts (ou bénéfices) privés de chaque agent pris
individuellement et non pas les coûts (ou bénéfices) sociaux. Les usages permis par
57
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
les ressources en eau sont en effet susceptibles de générer des externalités et les
exemples ne manquent pas : pollution d’un cours d’eau par une firme polluante,
épuisement d’une source d’eau souterraine, assainissement insuffisant, etc.
Enfin, les économies d’échelle poussées à l’extrême sont à l’origine des monopoles
naturels, qui portent le risque inhérent de comportements abusifs. Cette situation
caractérise un secteur où les coûts fixes sont très élevés et où le coût moyen de
production du bien diminue avec les quantités produites. Les rendements du secteur
sont ainsi croissants et selon le critère de rationalité, celui-ci comportera un seul
producteur. À titre d’exemple, l’activité d’adduction et de distribution d’eau est un
secteur où effectivement le coût moyen de production diminue avec les quantités
distribuées et où les coûts élevés des installations peuvent être à l’origine de
monopoles.
58
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
22 « Il convient d’éviter l’amalgame abusif entre instruments économiques et économie de marché. Les
instruments économiques ont assurément recours à la main invisible pour lui faire faire ce qu’elle sait mieux
faire : susciter les comportements efficaces ; mais elle travaille dans un cadre et au service d’objectifs
déterminés par l’intérêt public » (Henry, 1994, p. 13, cité par Montignoul, 1997).
59
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En effet, l’OCDE définit les instruments réglementaires « (…) comme étant des mesures
d’ordre institutionnel visant à influencer directement les attitudes des pollueurs à l’égard de
l’environnement en réglementant les procédés ou les produits utilisés, en interdisant ou
limitant les rejets de certains polluants et/ou en limitant certaines activités à certaines
heures en certains lieux, etc., en soumettant à autorisations, en fixant des normes au moyen
de zonage, etc. » (OCDE, 1989, p. 13).
Les dispositions réglementaires se traduisent le plus souvent par des normes (de
qualité, de procédé, d’émission, de produit) qui peuvent se combiner et qui
s’appliqueront selon le type de pollution ou d’agent (Barde, 1992). Les normes
d’environnement se définissent également sur la base de critères technologiques :
selon les technologies existantes, en phase de développement ou envisageables.
60
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
l’agent à l’origine d’une externalité négative (par exemple la firme qui rejette des
polluants dans une rivière) une taxe égale au montant de cette externalité. On parle
alors d’une « internalisation fiscale » ou « solution pigouvienne » (cf. supra). Les
subventions sont des aides de l’État incitant les agents à privilégier des
comportements déterminés (systèmes de dépollution, utilisation d’engrais naturels,
etc.).
Taxation et redevances
La taxe ou la redevance23 représente le prix que le pollueur doit payer pour chaque
unité de pollution déversée (ou chaque unité produite ou chaque unité d’eau
utilisée…). Ainsi, en affectant un prix aux ressources environnementales,
l’internalisation des externalités est possible. L’OCDE (1989) identifie quatre types
de taxes et redevances habituellement utilisées dans la plupart des pays : les taxes ou
redevances de déversement, les redevances d’utilisation, les taxes sur les produits et
les redevances administratives.
23 Même si les termes « taxe » et « redevance » sont souvent indifféremment utilisés, on peut
distinguer la taxe (prélèvement obligatoire de l’État effectué sans contrepartie directe) de la
redevance (prélèvement comportant une contrepartie, par exemple la fourniture d’un service).
61
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
coûts
CMD CME
B A C
t*
O P* P max pollution
Source : adapté de Bonnieux et Desaigues, 1998, p. 81
La droite CMD représente le coût marginal de dépollution pour une firme polluante.
Si les externalités ne sont pas prises en compte, la firme polluera au niveau Pmax qui
minimise le coût de dépollution. La droite CME représente le coût marginal externe
(coût marginal des dommages) supporté par les victimes de la pollution. Nous
savons que le niveau de pollution socialement optimal se situe en P*.
Si l’on impose à la firme une taxe unitaire t*, correspondant au niveau optimal de
pollution, les paramètres de décision de la firme vont changer. Elle n’aura pas intérêt
à polluer P max, puisque, étant donné qu’elle doit payer la taxe, ses coûts seront, en ce
point, maximaux (quantité OBCPmax) La firme aura donc intérêt à réduire sa
pollution jusqu’au point où son CMD égalise le montant de la taxe t*, obtenant ainsi
le niveau P* optimal de pollution (avec un coût OBAP* + P*APmax).
62
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
A possède des coûts de dépollution plus faibles qu’une autre firme B, il est rationnel
de faire en sorte que A dépollue plus que B. On observe ainsi que la taxe, quel que
soit son niveau, permet d’atteindre une solution de moindre coût de façon
automatique (cela ne veut toutefois pas dire que l’objectif donné ou un optimum soit
atteint).
Les subventions
Nous avons constaté que les deux principales approches concernant l’allocation et
les régimes de propriété des ressources naturelles représentent des positionnements
assez éloignés et souvent incompatibles. Il importe néanmoins d’en souligner les
63
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Cependant, l’analyse des fondements théoriques de ces courants ainsi que des
instruments qu’ils promeuvent font apparaître des limites qui affaiblissent chacune
de ces deux perspectives. Afin de mesurer l’importance relative de ces approches, il
nous semble nécessaire de mettre en évidence les faiblesses respectives, des éléments
qui vont en définitive limiter la pertinence du dualisme « État - Marché » pour la
prise en considération des enjeux liés à la gestion des ressources en eau.
Les points faibles de l’approche centrée sur les marchés de droits d’eau peuvent être
appréhendés sous plusieurs angles. Le contenu même de la « tragédie » de Hardin, le
caractère restrictif des conditions requises pour le bon fonctionnement d’un marché
de droits d’eau et les bases argumentaires du « free market environmentalism » sont
autant d’éléments qui affaiblissent une approche qui, défendant l’efficience, fait
cependant abstraction des limites inhérentes aux hypothèses sous-jacentes à la
théorie microéconomique.
64
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En effet, nous ne pouvons que partager l’idée selon laquelle tout agent agit
rationnellement en consommant autant que possible un bien de ce type. Si le
pâturage est en effet laissé en libre accès, le résultat le plus probable de la
confrontation entre bergers est, comme le souligne Hardin, la « ruine générale »
(« ruin to all »). Néanmoins, la définition d’un régime de propriété privée sur le
pâturage (une des solutions proposées par Hardin) n’est pas, selon nous, une
condition nécessaire ni suffisante pour l’évitement de la « tragédie ». Ainsi que le
souligne Ormazabal (2003, p. 9) en se référant au pâturage de Hardin, « l’input sera
consommé jusqu’au point où le profit est maximisé. Si la destruction du pâturage maximise
le profit, le pâturage sera détruit. S’il n’est pas rentable de le surexploiter, le pâturage ne
sera pas détruit ».
Supposons que le pâturage devient propriété privée d’un seul berger qui maximise
son profit. Il est possible que celui-ci soit effectivement maximisé en limitant la
production et donc en évitant la destruction du pâturage. Par contre, supposons que
les calculs du berger suggèrent une stratégie de maximisation du profit qui passe par
l’élevage d’un maximum d’animaux au moment présent et l’investissement des
bénéfices résultants dans une autre entreprise avec un plus fort taux de rendement
(par exemple, l’extraction de pétrole). Dans ce cas, le pâturage est quand même
détruit, et ce, rationnellement. Comme l’affirme Clark (1990, p. vii), « si les forêts, les
mammifères marins, ou les pâturages sont incapables de s’auto-régénérer à des taux
65
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En réalité, Hardin tient pour certain que le seul investissement possible du capital
est celui du bétail, faisant abstraction du reste (la destruction du pâturage signifie
donc la destruction du capital en général), ce qui est nécessairement faux.
Kaiser et Phillips (1998, p. 430 sqq.) défendent l’intérêt de la création des marchés de
l’eau et illustrent leurs propos avec l’exemple de l’aquifère Edwards, au Texas. Ils
reconnaissent néanmoins plusieurs critères déterminant le succès de cette démarche :
66
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
• Une information sur l’eau disponible (données sur les prix, les acheteurs et
vendeurs potentiels, les conditions de distribution, les transactions, etc.) ;
• Des droits sur l’eau définis et applicables (un système de droits qui tient compte
de la propriété de l’eau, l’exclusivité, la transférabilité et l’applicabilité) ;
Or, du fait des caractéristiques mêmes du bien « eau », ces conditions sont rarement
rencontrées dans le domaine des ressources en eau : l’utilité d’une unité d’eau
donnée peut varier selon l’usager, la situation géographique, etc. De surcroît, les
coûts de transaction sont souvent élevés (négociation, accès à l’information…), les
marchés sont segmentés, l’eau est difficilement transportable à un coût non
prohibitif, etc.
67
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
L’allocation initiale des permis est aussi problématique, notamment du point de vue
politique. Celle-ci peut être réalisée selon trois principes (Saliba et Bush, 1987, cité
par Strosser et Montignoul, 2001, p. 16) : la proximité à la ressource, la priorité
temporelle ou la maximisation de la valorisation de la ressource. Cependant, comme
le rappelle de Montgolfier (2000, p. 474), « la théorie économique est incapable de
prescrire comment les droits de propriété doivent être initialement distribués ». En effet, la
question de l’allocation initiale des droits de propriété relève du politique, ainsi que
la définition de droits nouveaux. En tout état de cause, l’établissement de nouveaux
droits et l’attribution initiale des droits existants auront inextricablement un effet
redistributif qui peut s’accompagner du risque de maintien de certaines inégalités
d’origine socio-politique et incompatibles avec la sauvegarde de la ressource.
68
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
géographiques pour que des conclusions puissent être tirées quant à la pertinence de son
éventuelle extension et adaptation à d’autres zones que l’Amérique du Nord ».
En outre, des événements historiques sont perçus par les auteurs du « free market
environmentalism » comme base scientifique et théorique. L’historicisme de ce courant
prend ses sources dans celui de la théorie des droits de propriété, son principal
emprunt théorique, tout comme celui du courant autrichien. Anderson (2003, p. 29)
cite Hayek (1973, p. 107) pour renforcer la défense de la privatisation comme unique
réponse aux conflits : « la compréhension du fait que des bonnes barrières font des bons
voisins, c’est-à-dire que les hommes peuvent utiliser leur propre connaissance dans la
poursuite de leurs propres objectifs sans entrer en conflit les uns avec les autres seulement si
des frontières claires peuvent être dressées entre leurs terrains respectifs de libre action, est
la base sur laquelle toute civilisation connue a grandi… ».
69
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Tout comme l’approche par le marché, celle de l’intervention publique n’est pas
exempte de limites, notamment liées au manque d’incitation et à l’incertitude
concernant les structures de coûts.
D’un point de vue économique, la norme parvient à réduire les dommages ou les
interdire, mais, sauf si elle oblige à la dépollution, elle n’est pas un mode de
résolution d’externalités (elle prévient seulement leur apparition). Quant à
l’efficacité des normes, elle dépend fortement du mode d’élaboration de celles-ci.
Les normes n’ont pas en effet la propriété d’incitation à réduire la pollution au-delà
du niveau défini. Les pollueurs essayeront de respecter la norme mais ils n’auront
pas intérêt à dépolluer au-delà du seuil réglementaire. En outre, le pollueur n’aura
pas intérêt à faire spontanément mieux que la norme s’il prévoit un renforcement de
celle-ci de la part des pouvoirs publics, en réponse au progrès technologique. Ainsi,
les pollueurs ne sont pas incités à réduire la pollution au-delà de la norme.
Par ailleurs, on peut se demander sur quelles bases sont définies les normes
environnementales. Théoriquement, la détermination d’une norme doit répondre à
des considérations techniques ou économiques, sans oublier pour autant l’objectif
environnemental qui est à la base de la norme et la dimension politique qui marque
toute intervention publique. L’objectif économique pour lutter contre la pollution
70
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
consiste à définir une norme qui corresponde au niveau optimum de pollution, c'est-
à-dire une situation qui minimise le coût social total de la pollution. On sait que ce
point correspond au niveau de pollution qui égalise le coût marginal de lutte contre
la pollution et le coût marginal des dommages. Une limitation importante à
l’application des normes ressort ici : l’incertitude sur la fonction de dommage (et cela
en supposant la fonction de dépollution connue).
L’application d’une norme en situation d’incertitude sur les courbes de coût des
dommages peut être représentée sur la figure suivante :
coût
CmE 2
CmD CmE*
A D
B CmE 1
E C
O P N2 N* N1 pollution
Source : adapté de Faucheux et Noël (1995, p. 193)
Si le niveau réel ou effectif des dommages n’est pas connu avec certitude, on aura
tendance à définir une norme au niveau N1 ou N2 (si on a estimé CmE1 ou CmE2 ,
respectivement). Dans le cas d’une norme définie au niveau N1 , le dommage sera
sous-estimé, puisque le dommage estimé (PCN1 ) est inférieur au dommage effectif
(PDN1 ). La sous-estimation est représentée par l’aire PDC. Dans le cas où l'on
déterminerait une norme à N2 , le dommage est surestimé, puisque le dommage
estimé (PAN2 ) est supérieur au dommage effectif (PEN2 ), la surestimation étant l’aire
PAE.
71
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Par ailleurs, la définition d’une norme se basant seulement sur des critères
économiques n’a aucune raison de coïncider avec l’objectif écologique. Pour
l’économiste, « la pollution ne devient nuisance et coût social que lorsque la capacité
d’assimilation du milieu récepteur est atteinte ou dépassée » (Barde, 1992). Le point dit
« de limite d’assimilation » est un seuil en économie, et non pas un plafond comme
en écologie. C’est-à-dire que, d’un point de vue économique, il peut être profitable
de continuer à polluer au-delà de la capacité d’assimilation. Ainsi, une
détermination de la norme en dehors de la sphère économique est proposée par
plusieurs auteurs (Baumol et Oats, 1971 ; Pearce et Turner, 1990 ; Passet, 1996).
En tout cas, pour que les normes évoluent parallèlement aux innovations
technologiques, il est nécessaire d’introduire une dynamique d’adaptation. Les
normes varieront dans le temps en fonction des nouvelles contraintes
environnementales et des innovations technologiques. Sur la Figure 4, si le progrès
technique fait varier la fonction de coût marginal de dépollution (CmD) de CmD1 à
CmD2 , avec une norme initiale de N1 , l’entreprise polluante fait une économie égale à
la surface ABC. Si les pouvoirs publics décident à la suite de déplacer la norme
jusque N2 , l’entreprise voit ses économies diminuer. Le pollueur n’aura pas intérêt à
réduire ses émissions plus que les exigences de la norme s’il craint une réaction
immédiate des pouvoirs publics.
coût
CmD 1
CmD 2
A
C
O N2 N1 pollution
Source : Barde (1992, p. 241)
72
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En somme, les décisions publiques sont marquées par des critères politiques qui
dépassent la « simple » analyse économique. Tel est le cas pour la définition des
choix économiques, des niveaux des risques, des objectifs technologiques, etc. Dès
lors qu’un pouvoir public doit prendre des décisions, la dimension politique est
inévitablement présente, notamment en raison du degré d’incertitude sur les
fonctions de dommages. Dans le cas d’une réglementation directe, des objectifs
d’équité, d’acceptabilité et de simplicité prennent une place prépondérante dans le
processus de prise de décision.
Par ailleurs, dans le cas qui nous occupe, il nous semble difficile de concevoir des
normes qui réglairaient l’ensemble des conflits d’usage, étant donné que les coûts
d’organisation d’un tel dispositif seraient exorbitants.
On peut qualifier une taxe d’« efficace » quand celle-ci permet d’atteindre
automatiquement le niveau de dépollution désiré. Ainsi, sans avoir besoin de
connaître la fonction de coût marginal externe, l’imposition d’une taxe à un certain
niveau permet, si la fonction de coût marginal de dépollution est connue, que le
comportement de la firme taxée soit connu d’avance. Dans la Figure 5, si on définit
une taxe d’un taux t1 , la firme dépolluera jusqu’au point P1 . Si la taxe est définie à un
niveau supérieur, par exemple t2 , la firme dépolluera jusqu’au point P2 . Ainsi, en
connaissant la fonction de coût marginal de dépollution (hypothèse difficilement
73
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
coût
CMD
t2 A
t1 B
O P2 P1 pollution
Source : Barde (1992, p. 251)
Néanmoins, le fait qu’une taxe soit « efficace » n’implique pas qu’elle soit optimale,
c’est-à-dire, que le niveau désiré de pollution soit un optimum dans le sens d’un
optimum économique de pollution (la situation collectivement plus avantageuse).
Pour y parvenir, il est nécessaire de connaître non seulement la fonction de coût
marginal de dépollution mais aussi celle du coût marginal externe, puisque nous
savons que le niveau optimal de pollution se situe dans le point de rencontre de ces
deux fonctions (niveau P* sur la Figure 2). La taxe optimale demeure donc plutôt une
référence théorique qu’un véritable objectif.
25 Ceci dit, l’ignorance de la fonction de coût marginal de dépollution n’empêche pas de viser
(notamment de manière itérative) un objectif environnemental (Baumol etOats, 1971).
74
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Effectivement, si on instaure une taxe de niveau t*, la firme devra faire face à
plusieurs paiements. D’abord, elle paiera les coûts de dépollution (surface AP*Pmax).
Ensuite, elle paiera aussi la taxe sur la pollution résiduelle (surface OAP*). Ces deux
paiements (surface OAPmax) correspondent à l’internalisation totale du coût externe.
Finalement, la firme paiera aussi une taxe « résiduelle » (Barde, 1992) équivalent à la
surface OBA. Ce dernier paiement pourrait être interprété comme un impôt sur
l’utilisation des ressources de l’environnement (une « rente »). C’est la raison
principale pour laquelle les industriels s’opposent systématiquement aux taxes et
redevances de pollution.
Les subventions pour dépollution peuvent revêtir des formes diverses. Cet
instrument, qui s’avère efficace au niveau individuel (une firme) perd tous ses
bénéfices au niveau global (un secteur).
En reprenant la figure présentée par Faucheux et Noël (1995), les effets sur une firme
et sur sa branche d’une taxe et d’une subvention peuvent être comparés.
prix/coût Cm+taxe
Cm+sub Cm S1
CM+taxe D S
p1 CM+sub S2
p CM
p2
q2 q1 q production Q1 Q’ Q 2 production
Firme Secteur
Source : Faucheux et Noël (1995, p. 199)
75
L’équilibre initial se situe dans les couples de valeur des prix et des quantités
produites (p,q) pour la firme et (P,Q) pour le secteur. Pour la firme ce point
correspond à l’intersection du coût moyen (CM) avec le coût marginal (Cm), au
minimum du coût moyen. Pour le secteur dans sa globalité, cela correspond à l’offre
agrégée S. Lorsqu’une taxe est introduite, les courbes de coût moyen et de coût
marginal se déplacent vers le haut, en définissant un nouvel équilibre à court terme
(à l’intersection du prix donné p avec la nouvelle courbe de coût marginal Cm+taxe).
Ce point détermine une nouvelle quantité produite q1 par la firme. Comme le prix est
situé en dessous du nouveau coût moyen (CM+taxe), certaines firmes sortiront du
secteur, aux prix de p 1 et quantité Q1 et aux prix p 1 et quantités q pour la firme. Cela
implique un déplacement de la courbe d’offre agrégée de S à S1 .
On voit ainsi que, si pour la firme prise isolément, la subvention implique une
réduction de la production (et donc de la pollution), l’effet sur l’ensemble du secteur
est contraire ; le soutien apporté au secteur réduit les coûts (ou augmente les
recettes) de celui-ci, ce qui se traduit par une augmentation de la quantité produite
et consommée et donc, à technologie constante, par une augmentation des émissions,
des déchets et des consommations de ressources naturelles.
76
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
En effet, celui-ci peut se traduire in fine par un paiement de la subvention par les
victimes des pollutions.
Nous avons analysé les deux approches traditionnellement opposées quant aux
fondements théoriques des politiques de l’environnement et donc des instruments à
mettre en œuvre, leurs avantages et leurs limites. Bien évidemment, ces deux
approches correspondent à des idéaux-types qui s’opposent dans le domaine
théorique mais qui cohabitent dans la réalité des politiques de protection de
l’environnement.
En effet, le choix entre une régulation par les prix, par les quantités ou par la
combinaison de plusieurs instruments, qu’elle soit dans le cadre d’un marché ou de
décisions publiques, devient une question empirique. Dans le domaine de l’eau, les
77
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Des conflits entre les différents usagers de la ressource en eau sont constatés à peu
près dans chacune des régions du monde, à des niveaux variables. Il convient de
souligner que l’importance et l’intensité de ces conflits ne sont pas indirectement
proportionnelles ni à l’action de l’État ni à la présence de dispositifs de marché des
droits d’eau. En somme, comme le souligne Barraqué (2002, p. 74), « la question n’est
pas "le droit ou le marché", mais quel type de système juridique, et quelle complémentarité
avec quels outils économiques ? ».
L’étude des conflits a intéressé au premier chef les sociologues, tels que Simmel
(1992) ou Weber, ainsi que certaines approches de la psychologie sociale. Les
économistes portent peu d’intérêt à la notion de conflit, mais on retrouve toutesfois
des travaux concernant la dimension institutionnelle des conflits (Commons, 1934)
ainsi que la dimension interpersonnelle (Schelling, 1960). Cette dernière s’inscrit
dans le courant de la théorie des jeux, abondamment mobilisée pour analyser une
forme particulière de conflit relevant des relations bilatérales ou de face à face entre
deux individus. Cette perspective étudie les interactions entre individus mais sans
prendre en considération les possibilités de débat entre les individus, leurs relations
sociales, leurs liens identitaires, etc.
Par ailleurs, l’approche de « résolution des conflits » (conflict resolution) met l’accent
sur l’accompagnement des acteurs participant au conflit et la recherche des causes de
celui-ci, dans une perspective de soutien à l’action (Jeaong, 1999).
L’intérêt pour l’analyse des conflits se renforce progressivement et des travaux plus
récents en géographie et aménagement interrogent les relations conflictuelles sous
divers angles (Kirat et Torre, 2004). Ces travaux se centrent notamment sur les
conflits d’aménagement, que ce soit dans une perspective monographique (Billaud,
78
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
1984) ou plus générale (Dziedzicki, 2001). Aussi, les conflits d’environnement sont
traités sur la base de leur relation au territoire (Charlier, 1999). Enfin, certains
travaux, d’origines disciplinaires diverses, abordent le conflit indirectement lors de
recherches sur le développement durable (Zuindeau, 2000), la gestion des milieux
naturels (Charles et Kalaora, 2001), le droit de l’environnement (Doussan, 1995), etc.
Les conflits d’usage dans le domaine de l’eau semblent dans la plupart des cas suivre
cette deuxième logique (Aguilera-Klink et Petit, 2005). Ainsi, ils peuvent se définir
comme « l’expression concrète des divergences entre un ensemble d’acteurs interconnectés
par leurs relations aux ressources en eau en ce qui concerne l’usage, le développement ou la
gestion de ces ressources » (Allain, 2003, p. 2). Dès lors, « interdépendance et subjectivité
sont (…) des notions clé de la définition de conflit » (ibid.). Par conséquent, une situation
conflictuelle n’est pas négative per se ; les conflits s’avèrent souvent utiles pour
favoriser les mutations de la société dans une dynamique que l’on pourrait
considérer comme de « crise créatrice » : « le conflit ne constitue pas la dernière étape de
la dégradation d’une relation (…) ; c’est une modalité de coordination des acteurs parmi
d’autres » (Caron et Torre, 2004, p. 2). Néanmoins, même si les conflits peuvent être
79
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Par ailleurs, les conflits concernent parfois des intérêts économiques privés ; ils
peuvent également inclure des intérêts publics (une commune, un service de
l’État…). Ensuite, les divergences ont des origines multiples : l’application d’une
politique publique, l’usage privé de l’eau, des projets d’aménagement, etc. Enfin, les
conflits sont parfois latents, c’est-à-dire qu’ils reflètent des tensions non exprimées ;
ils peuvent aussi être explicites, avérés et ouverts (Torre et Caron, 2002). Ces auteurs
font en effet la distinction entre les tensions, qui désignent « une opposition sans
engagement des protagonistes » et les conflits, qui « [prennent] naissance avec
l’engagement de l’une des parties » (Kirat et Torre, 2004, p 12). Cet engagement, qui
traduit le début d’une phase active de confrontation, peut prendre plusieurs formes
(ibid.) : le recours en justice, la publicisation auprès des instances publiques, la
médiatisation, la confrontation verbale ou la production de signes (barrières,
panneaux…).
Certains conflits traduisent une relation concurrencielle entre les acteurs et d’une
manière générale, cette notion a substituée celle de conflit dans la plupart des
travaux en science économique. Ces deux notions possèdent quelques ressemblances
car elles reposent toutes les deux sur une opposition entre deux parties distinctes
poursuivant des intérêts antagonistes et refusant d’envisager des solutions de nature
coopérative. Cependant, les différences sont importantes. En effet, la concurrence
80
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
Les recherches sur la résolution des conflits sont nombreuses et suivent des
orientations diverses (Kirat et Torre, 2004). Dans tous les cas, la gestion des conflits
implique un changement des pratiques des acteurs et/ou des règles institutionnelles
encadrant ses pratiques. Suivant le degré de coercition, plusieurs dispositifs de
traitement des conflits peuvent être identifiées (ibid.) : la négociation (qui constitue
notamment un mode de prévention), le jugement par les tribunaux, l’arbitrage, la
médiation, le consensus et les séminaires de résolution des problèmes.
Si les travaux sur les processus de résolution ou de gestion des conflits sont
relativement nombreux, il existe peu de recherches sur le contenu des conflits « en
amont », c’est-à-dire leurs origines, leurs manifestations, leur évolution26. Pourtant,
cette analyse des conflits nous semble essentielle pour comprendre les dynamiques
de gestion des ressources en eau dans une perspective de gestion intégrée.
26 Le rapport de recherche dirigé par Kirat et Torre (2004) se penche sur ce type d’analyse concernant
les conflits d’usage dans les espaces ruraux et périurbains.
81
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
CONCLUSION
82
Chapitre 1 - La gestion des ressources en eau : de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage
prendre en compte les conflits d’usage demeure insuffisante pour rendre compte de
toutes les dimensions des conflits, notamment leur origine, les stratégies des acteurs
et les modes de gestion potentiels. Le recours à d’autres approches théoriques nous
semble de ce fait indispensable car dès lors que le conflit est considéré comme une
forme de relation sociale, « la gestion du conflit passe nécessairement par la gestion de
cette relation » (Dziedzicki, 2001, p. 129).
83
CHAPITRE 2
84
CHAPITRE 2 - APPROCHE INTERPRÉTATIVE DES CONFLITS DANS LE
DOMAINE DE LA GESTION DE L’EAU : QUELS OUTILS THÉORIQUES ?
Nous avons vu que la nature et les spécificités de l’eau font de cette ressource un
bien particulier qui nécessite d’être appréhendé différemment des biens marchands.
La diversité des fonctions de l’eau, qui se traduit par une multitude d’usages
potentiels, et donc de conflits potentiels, limite la portée des approches
traditionnellement mises en œuvre pour sa gestion. Malgré l’efficacité théorique
attendue des instruments proposés par les défenseurs soit du libre marché soit de
l’action publique, ces deux perspectives ne réussissent pas à prendre en compte le
conflit de façon pleinement satisfaisante.
85
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Afin d’identifier les apports spécifiques pertinents pour notre travail, nous allons
présenter et situer les différentes perspectives méthodologiques qui cohabitent au
sein de l’économie des conventions. En effet, les différentes contributions issues de
86
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
27 Une typologie des différents courants conventionnalistes est présentée par Gomez (1994) qui
distingue une approche « à l’américaine » d’une approche « à la française ». Batifoulier et al. (2001)
préfèrent les termes « stratégique » (approche où la convention est vue comme le simple résultat
d’une interaction stratégique entre individus) et « interprétative » (approche où la convention est un
modèle d’évaluation qui permet aux individus d’interpréter les règles). Pour notre part, nous
préférons les termes « interactionniste » et « institutionnaliste » qui reflètent selon nous de façon
plus directe la distinction entre l’individualisme méthodologique et l’importance des institutions
dans l’action collective. Le terme « interactionniste » ne renvoit pas au courant sociologique du
même nom.
87
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
La théorie des jeux se heurte pourtant à un paradoxe notamment dans le cas des jeux
où le conflit coexiste avec la mutualité d’intérêts. Le célèbre « dilemme du
prisonnier » (cf. chapitre 1) pose ainsi la question suivante : comment les individus
peuvent-ils exprimer leurs choix dans des situations où les stratégies choisies
suivant l’intérêt individuel conduisent à des résultats collectifs désastreux ? En effet,
si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle les individus prennent leurs décisions dans
une logique individualiste et de façon totalement autonome, « le pire peut alors
survenir » (Gomez, 1994, p. 79). Cependant, malgré les conséquences prévues, « le
pire » n’est pas systématiquement observé dans la réalité, ce qui mène à s’interroger
sur les mécanismes d’ajustement et de coordination entre les individus qui limitent
l’avènement de « catastrophes collectives ». Face à ce blocage paradoxal, les deux
solutions les plus communément proposées consistent à considérer des jeux joués à
l’infini ainsi que des jeux où les participants sont en situation de coopération. Dans
ce cadre, des notions comme la confiance et la réputation deviennent des critères
aussi valables que le calcul maximisateur et les comportements des individus
s’ajustent en fonction des actions des autres joueurs, ce qui permet finalement la
maximisation du résultat du jeu. Il est notable que, tout en admettant l’autonomie
des individus, des résultats optimaux sont atteints lorsque, en amont de l’échange,
les individus expriment une volonté de socialisation.
La théorie des jeux arrive à la conclusion qu’il existe des règles qui guident les
comportements (standards of behaviour) afin d’éviter des impasses dans le
fonctionnement de la communauté. Cependant, des situations paradoxales
apparaissent si l’on suppose que ces règles sont construites à partir de calculs
individuels. La mise en évidence de situations où un choix individuel rationnel est
impossible montre les limites de la rationalité individuelle et le besoin de faire appel
à d’autres modes de coordination pour ces situations où le choix individuel est
indécidable (Gomez, 1994).
88
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Si Keynes a été le premier à faire appel à la notion de convention pour traiter des
phénomènes économiques 28, c’est Lewis (1969) qui donne au concept sa base
analytique. Il considère la convention comme une régularité de comportement qui
rend compte d’une coordination spontanée d’individus dotés d’une rationalité
parfaite, sans nécessité d’accord préalable ni d’intervention extérieure. Autrement
dit, la convention solutionnerait un jeu de coordination. L’approche
« interactionniste » des conventions à travers la théorie des jeux, dite aussi approche
« stratégique » (Batifoulier et al., 2001, 2002) s’est notamment centrée sur les
conventions non Pareto optimales, où la convention, arbitraire par définition, ne
permet pas aux joueurs de suivre des stratégies maximisatrices. Dans ce cadre, la
convention peut être définie comme « une coordination des anticipations qui reposent sur
un équilibre de Nash en stratégie pure, dans des circonstances où plusieurs équilibres de
Nash en stratégie pure sont possibles [et aussi] comme la régularité de comportement que
l’équilibre représente » (McAdams, 2001, p. 6, cité par Batifoulier et Larquier, 2001,
p. 24).
28 Le mot « convention » est déjà utilisé, sans être particulièrement développé, par Adam Smith dans
le chapitre dédié aux salaires du travail dans La richesse des nations (1776) : « c’est par la convention qui
se fait habituellement entre ces deux personnes [l’ouvrier et le propriétaire du capital], dont l’intérêt n’est
nullement le même, que se détermine le taux commun des salaires » (p. 90).
29 Souligné dans l’original.
89
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
30 Le terme « institutionnaliste » utilisé dans nos propos ne renvoie pas strictement au courant
théorique développé à partir des travaux de Veblen, Commons, etc. et dont les analyses ultérieures
s’insèrent dans le courant appelé néo-institutionnalisme.
90
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Les questionnements se centrent ainsi sur l’influence des règles sur l’action : « quel
que soit le statut de la règle, on ne peut se dispenser d’une réflexion sur ce que signifie
"suivre une règle" » (Batifoulier et al., 2002, p. 2). De ce fait, la question se pose quant
aux raisons du choix de la règle. Quelles circonstances font que, dans un contexte
donné, des individus différents vont choisir de suivre une règle spécifique plutôt
qu’une autre ? Étant donné que l’application d’une règle implique des ajustements et
des observations de la situation, éléments qui ne peuvent pas se dégager de la règle
elle-même, l’introduction d’un objet supérieur aux règles est nécessaire, objet que
Miller (1990) et Gilbert (1992) appellent « modèle d’évaluation ». Ces modèles
91
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
À partir de cela, les analyses des auteurs se centrent sur les processus de justification
et de légitimité. Ainsi, ils mettent en évidence des processus de justification
caractérisés par une « montée en généralité » des arguments qui rend les actions
légitimes. En effet, lors d’un désaccord entre individus, ceux-ci explicitent les
principes sur lesquels se base la coordination. Autrement dit, pour convaincre, les
individus présentent leurs arguments en se détachant au fur et à mesure de la
particularité de leur situation.
92
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
succès d’un accord entre les membres d’un groupe social, en étudiant les éléments
qui rendent une action justifiable (acceptable par autrui). Selon ces auteurs, une
action (ou un accord) est justifiable si elle se fonde sur un « principe supérieur
commun », principe qui « permet de contenir les désaccords dans l’admissible en évitant
qu’ils ne dégénèrent en mettant en cause le principe d’accord » (ibid., p. 100). Ce principe
de coordination est une « convention constituant l’équivalence entre les êtres » (ibid.,
p. 177). Or, les individus peuvent fonder leur accord sur la base de plusieurs
principes ou « conventions premières » (Godard, 1994, p. 117) qui permettent de
justifier leurs actions, ce qui rend l’analyse plus complexe.
Par ailleurs, pour être légitime, chaque principe supérieur commun vise
l’universalité et doit être en mesure de fonder une « cité ». En effet, les auteurs
distinguent plusieurs ordres de généralité (ou formes de justification) qui constituent
autant d’ordres de légitimité et de supports à la coordination, construits sur un
« modèle de cité », modèle commun qui « rend explicites les exigences que doit satisfaire
un principe supérieur commun afin de soutenir des justifications » (ibid., p. 86).
Une cité répond ainsi à différents axiomes. Tout d’abord, le principe de commune
humanité (axiome 1) garantit une identification commune des membres de la cité et
« il pose une forme d’équivalence fondamentale entre ses membres » (ibid., p. 96).
Deuxièmement, le principe de dissemblance (axiome 2) suppose « au moins deux états
possibles pour les membres de la cité » (ibid., p. 97), ce qui introduit la notion
d’« épreuve » qui permet l’attribution des états. Quand bien même la grandeur des
personnes peut être différente, le troisième axiome rend compatibles les deux
premiers en assurant à chaque personne une « puissance identique d’accès » (ibid.,
p. 98) à l’ensemble des états de grandeur selon le principe de commune dignité. Bien
que les états de grandeur soient ordonnés (axiome 4), la formule d’investissement
(axiome 5) stipule les coûts et sacrifices nécessaires pour accéder à un état supérieur.
Finalement, afin d’éviter la remise en cause de ces coûts par les personnes situées
dans un état inférieur, un sixième axiome « pose que le bonheur, d’autant plus grand
qu’on va vers les états supérieurs, profite à toute la cité, (…) c’est un bien commun »
(ibid., p. 99).
Boltanski et Thévenot explorent ainsi six modèles de cités, reposant chacune sur une
philosophie politique : la cité inspirée de Saint Augustin, la cité domestique de
93
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Répertoire des sujets et des objets : respectivement la liste des sujets et des objets (ou
dispositifs) caractéristiques du monde considéré ;
Relations naturelles entre les êtres : exprimées différemment selon le monde sur lequel
on se place, les relations entre les sujets et/ou objets correspondent aux valeurs
inhérentes au monde et respectent les différents états de grandeur ;
31 En faisant appel aux objets, les personnes peuvent lier la situation particulière dans laquelle elles se
trouvent, à d’autres.
32 Une situation « qui se tient » est définie par les auteurs comme une situation « où se trouvent agencés
des êtres d’un même monde dans des relations naturelles compatibles avec leurs états de grandeur [qui] fait
naturellement la démonstration de sa justesse » (ibid., p. 168).
94
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Figure harmonieuse de l’ordre naturel : situation où les relations entre les êtres sont
cohérentes avec l’échelle de valeurs du monde considéré et la formule
d’investissement, et donc où l’épreuve du jugement n’est pas nécessaire ;
Épreuve modèle : « l’épreuve modèle, ou grand moment, est une situation qui se tient,
préparée pour l’épreuve, dont l’issue est donc incertaine, et dans laquelle un dispositif pur,
particulièrement consistant, se trouve engagé » (ibid., p. 181) ;
État de petit et déchéance de la cité : l’état de petit est souvent défini par opposition à
l’état de grand, d’une façon généralement plus floue.
Les caractéristiques des six mondes communs (correspondant aux six modèles de
cité) peuvent être synthétisées dans le tableau suivant :
95
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
96
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Comme nous l’avons vu, l’épreuve de grandeur permet la mise en équivalence, dans
un monde donné, des personnes. Si aucun élément (objet ou sujet) issu d’un autre
monde ne vient perturber l’épreuve, elle se déroule sans trouble. Cependant, dans
certains cas, les situations peuvent comporter des éléments liés à des mondes
différents. Si cette perturbation reste limitée, les résultats de l’épreuve ne sont pas
altérés. Par contre, dans certains cas, le « bruit du monde » (Boltanski et Thévenot,
1991, p. 171) devient trop important pour que l’on puisse l’ignorer ou il est utilisé
par certains sujets pour remettre en cause la validité de l’épreuve. Dans ce cas, les
situations de discorde apparaissent sous diverses formes : le litige et le différend.
Ainsi, si le désaccord reste cantonné au sein d’un seul monde, la remise en cause de
la grandeur des personnes correspond à un désaccord que les auteurs appellent
litige, lequel peut être surmonté en faisant appel au principe supérieur commun
grâce à une « épreuve dont on attend qu’elle close le désaccord en établissant une nouvelle
disposition juste des personnes et d’objets mis en valeur » (Boltanski et Thévenot, 1991,
p. 172). En effet, contrairement aux situations qui se tiennent, où la démonstration
suffit pour justifier les grandeurs, les situations « troubles » (ibid., p. 173) et les
incertitudes portant sur les grandeurs qu’elles impliquent, exigent le recours à
l’épreuve (qui est réalisée en faisant appel aux ressources d’un même monde) où la
grandeur des personnes est vérifiée.
Cependant, les mondes s’imbriquent et sont présents simultanément dans les mêmes
lieux, ce qui rend les situations plus complexes. Ainsi, à titre d’exemple, au sein
d’une entreprise, le monde industriel (l’organisation de la production) côtoie le
monde civique (l’activité syndicale), le monde marchand (les ventes), etc. Ce
chevauchement rend essentielle la réussite de l’articulation entre les différents
mondes. Pour réussir cette articulation, les mondes doivent être bien identifiés et le
passage d’un monde à un autre doit être possible. Du fait de cette cohabitation des
mondes, les désaccords peuvent émerger et semblent d’ailleurs souvent inévitables.
Ces désaccords prennent la forme non pas de litige portant uniquement sur la
grandeur des personnes et sur la pureté de l’épreuve, mais de « différend » et de
« dénonciation » (ibid., p. 275).
Le différend concerne un désaccord plus fondamental sur la nature des êtres qui
importent, où le monde déployé dans une situation est remis en question puisque le
97
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
principe de justice associé à chacun des mondes peut être dénoncé par les autres
mondes. Ainsi, les désaccords entre les mondes portent non seulement sur la
grandeur des êtres mais aussi sur la nature du bien commun auquel il peut être fait
référence pour réaliser un accord. Ces désaccords caractérisent des situations où les
grands d’un monde sont les petits d’un autre. « La visée ne sera donc plus de refaire
l’épreuve de façon qu’elle soit plus pure et plus juste (…) mais de démystifier l’épreuve en
tant que telle pour placer les choses sur leur vrai terrain et instaurer une autre épreuve
valide dans un monde différent » (ibid., p. 276).
98
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
99
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
La prise en compte des discours de justification des acteurs, en renonçant à les faire
catégoriser de façon ex-ante, permet également d’introduire l’incertitude sur le
dénouement des conflits, puisque les actions entreprises par les individus ne sont
pas considérées comme prédéterminées par une force extérieure ou par une
rationalité quelconque qui permettrait de prévoir leur comportement. En effet, sans
nier l’existence de rapports de force qui sont susceptibles d’influencer une situation
de conflit, les auteurs acceptent comme légitime le discours argumentatif exprimé
par les acteurs eux-mêmes.
Par ailleurs, un des principaux apports, pour notre problématique, des travaux de
Boltanski et Thévenot réside dans l’approfondissement du sens de l’accord. En effet,
deux dimensions de l’accord sont couplées (Lamoureux, 1996) : tout d’abord, celle de
la compréhension commune (qui fait référence à la notion de justesse et d’efficacité) et
en outre, celle de l’entente sur des principes (dimension qui renvoie aux notions de
justice et d’équité).
100
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Parmi ces travaux, nous pouvons souligner l’apport de Godard (1993) qui développe
le concept de « convention d’environnement » comme réponse à des situations
d’incertitude, notamment radicale.
Par ailleurs plusieurs réflexions ont été développées quant à l’existence d’une
éventuelle septième cité33 (une « cité écologique » ou « verte ») qui représenterait une
nouvelle grandeur répondant aux mêmes exigences que les autres (Godard, 1990 ;
Barbier 1992 ; Lafaye et Thévenot, 1993 ; Latour, 1995)34.
Ainsi, en nous inspirant des travaux d’Olivier Godard (1993, 1999), il nous semble
essentiel de mettre en évidence la composante d’incertitude, susceptible de
caractériser l’état d’une ressource ou plus généralement une situation
environnementale problématique.
33 Huitième, si l’on considère la « cité par projets » proposée par Boltanski et Chiapello (1999) (cf. infra).
34 Une tentative d’application du modèle des cités au concept de soutenabilité a également été réalisée
par Godard (1994).
101
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Les problèmes d’environnement peuvent en effet être classés selon leur degré de
maîtrise cognitive, d’identification des responsabilités et d’information disponible.
102
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Ainsi, le croisement des modes d’internalisation avec les deux types d’univers offre
une vision synthétique sur les configurations de résolution des problèmes
environnementaux :
Type d’univers
Stabilisé Controversé
Mode d’internalisation
103
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
En ce qui concerne les modèles identifiables lors des univers controversés, ils se
rapprochent plus facilement d’une internalisation institutionnelle, car il est difficile
d’envisager une internalisation spontanée de type coasien dans un contexte
d’incertitude sur les droits et les responsabilités des parties concernées. Une
internalisation spontanée en univers controversé peut néanmoins être envisagée à la
lumière du croisement de la théorie des marchés contestables (une menace de
contestation peut être un régulateur efficace) et du modèle des économies de la
grandeur (nécessité de légitimer les comportements auprès des consommateurs). Si
le modèle de « légitimité contestable » (Godard, 1993, p. 10) qui en résulte demeure
utile pour analyser des problèmes touchant à l’individu consommateur, sa
pertinence est réduite pour des enjeux éloignés de celui-ci, comme par exemple le
phénomène de réchauffement climatique ou la diminution de la biodiversité.
104
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
par « l’apparition de forums hybrides et de remise en cause des cadres cognitifs de perception
du problème des acteurs "légitimes" du fait des difficultés de régulation rencontrées par
ceux-ci » (Frère et al., 2003, p. 22). Dans ce sens, la controverse peut devenir un
facteur de déblocage de certaines situations dans la mesure où elle favorise la
définition et la hiérarchisation des problèmes à traiter. Cependant, les situations
controversées au sens de Godard n’impliquent pas automatiquement des
controverses socio-techniques dynamisantes.
En ce qui concerne la gestion des ressources en eau, quand bien même des
négociations de type coasien peuvent être observables à certains moments, nous
pouvons situer la plupart des enjeux dans le cadre d’une internalisation
institutionnelle (la difficulté de définition de droits de propriété sur la ressource
difficulte les négociations bilatérales). Cependant, les problématiques étant très
hétérogènes, elles peuvent relever autant d’univers stabilisés que d’univers
controversés, mettant en évidence un éventail de possibilités susceptibles de
s’inscrire dans une configuration intermédiaire entre les deux polarités. Cette
configuration, que nous pouvons appeler « univers hybride », combine des
caractéristiques des deux types d’univers.
Ainsi, les effets des prélèvements d’eau de surface ou des rejets de certaines
substances sont directement perçus et peuvent être connus de manière relativement
complète, les responsables sont identifiables, les conséquences sont pour la plupart
réversibles et la connaissance scientifique est largement stabilisée. Bien évidemment,
du fait de la nature de la ressource en question et des multiples enchaînements
hydrologiques et biologiques, un certain niveau de risque doit être pris en compte en
permanence. Néanmoins, le faible niveau d’incertitude caractérisant ces situations
permet d’identifier certaines problématiques de gestion de l’eau comme relevant
d’un univers stabilisé.
105
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Par ailleurs, la problématique des prélèvements dans les eaux souterraines ou celle
des inondations sont composées d’éléments stabilisés et d’autres encore
controversés. Dans le premier cas, si la quantité prélevée peut être mesurée à l’aide
de compteurs sans grande difficulté, des incertitudes persistent quant à la mesure de
l’eau stockée dans les aquifères et les flux qui déterminent la dynamique de ceux-ci
(Petit, 2004). En ce qui concerne les processus d’inondation, quand bien même les
dommages sont parfaitement perçus par les individus, le risque évalué et des
périmètres définis en fonction de ce risque, des polémiques subsistent sur
l’identification des responsabilités, dans un contexte où les acteurs considèrent le
problème comme porteur d’un « méta-enjeu » (sécurité collective) « chargé
d’irréversibilité potentielle » (Godard, 1993, p. 151).
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
ressources en eau (dont les droits avaient été achetés quarante années plus tôt aux
irrigants) d’une vallée voisine, vallée où l’équilibre de l’écosystème était devenu
extrêmement fragile (Barraqué, 2003). En effet, les situations où il est fait appel à
l’argumentation écologique pour légitimer des actions ou des demandes sont de plus
en plus nombreuses.
Dans un premier temps, la grille proposée par Boltanski et Thévenot peut être
utilisée pour mettre en évidence les différentes visions ou représentations de la
nature 35 dans les différents discours de justification (Godard, 1990). En effet,
l’argumentation écologique peut s’inscrire, dans de nombreuses situations, au sein
des cadres justificatifs déjà existants.
La nature est ainsi considérée dans le monde marchand uniquement en tant que
source de marchandises. Dans la cité industrielle, la nature est considérée en tant
que ressource naturelle à exploiter et elle est « grande » quand elle est maîtrisée et
prévisible, par opposition à une nature sauvage, imprévisible et aléatoire. Par
ailleurs, la nature de la cité civique fait l’objet d’une simple administration puisque
dans cette cité les organisations qui sont valorisées sont celles qui représentent
l’intérêt général ; la nature doit être accessible à tous dès lors qu’elle l’est pour
certains. Dans la cité de l’opinion, la nature n’occupe pas de place particulière mais
elle est « grande » si elle est connue et célèbre. La cité inspirée, qui valorise l’original
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Nous voyons que l’argumentation écologique peut s’intégrer dans des systèmes de
légitimité déjà existants, avec une pertinence variable d’une cité à une autre.
Cependant, le cadre de ces ordres de justification reste insuffisant pour l’abriter de
façon satisfaisante. Une nouvelle cité serait-elle alors en émergence?
Afin de tester l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle cité « verte », nous allons
suivre l’analyse de Lafaye et Thévenot (1993) en vérifiant, tout d’abord, « que
l’argumentation écologique permet d’asseoir une critique des principes de justification
concurrents » (ibid., p. 511). Ensuite, nous verrons si l’armature de cette nouvelle cité
est consistante et capable de fonder des accords légitimes.
Le monde marchand, même s’il accorde, dans certaines situations, une valeur aux
biens environnementaux, ignore la plupart du temps les processus écologiques.
Ceux-ci sont généralement dilués dans une logique économique spéculative et
rarement intégrés dans les processus de décision. À titre d’exemple, le
développement de clubs de golf sur la côte méditerranéenne espagnole se fait au
détriment d’une ressource en eau déjà très limitée. La spéculation immobilière de ce
même littoral menace également l’équilibre naturel des écosystèmes et la
biodiversité (Borrego Domínguez, 2002 ; Naredo, 2003). La légitimité du mode
d’évaluation marchand est ainsi souvent remise en cause.
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
L’ordre de grandeur fondé sur l’intérêt général qui caractérise la cité civique
n’échappe pas aux critiques écologiques. Celles-ci reprochent le plus souvent aux
structures institutionnelles publiques leur incapacité à résoudre les problèmes
concernant l’environnement et les milieux naturels, leur inertie et l’immobilisme du
système réglementaire.
Comme nous l’avons vu (cf. 1.1.2), le modèle de la cité, qui sous-tend les divers
principes de légitimité, est constitué par six axiomes. Ces attributs essentiels
donnant leur consistance aux cités, nous pouvons nous demander si la « cité verte »
possède la même consistance que les autres, c’est-à-dire si l’ensemble des axiomes
est respecté.
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
quotidiennes et les plus banales selon un art de prudence proprement écologique dont on ne
connaît encore que quelques préceptes » (1993, p. 514). Kalaora (1998, p. 119) remarque à
ce propos que « l’environnement se définit au moins autant par des finalités, des "systèmes
de sens" que par un champ de problèmes ou une liste d’objets, comme on le fait
communément. Le terme d’environnement renvoie, en définitive, à une liste extrêmement
longue de préoccupations ou de significations différentes ». Dès lors, les discours
argumentaires des acteurs concernés par un problème d’environnement semblent
difficiles à réduire aux référents d’une seule cité au sens de Boltanski et Thévenot.
Lors des situations particulièrement complexes où des sujets et des objets disparates,
relevant de systèmes de légitimité différents, se retrouvent confrontés, le différend
est susceptible d’apparaître et celui-ci, du fait de son origine et contrairement au
litige, ne peut pas être arbitré au sein d’un seul système de légitimité. Ces situations
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
peuvent trouver des issues variées et c’est dans cette possibilité d’annulation du
différend que le lien entre les systèmes de légitimité et les modes de coordination
apparaît clairement (Godard, 1990).
Les sujets et objets de mondes différents engagés dans un différend ne sont pas
fatalement dissous dans le conflit. La crise potentielle causée par la rencontre entre
plusieurs mondes peut être évitée grâce à l’« apaisement de la critique » (Boltanski et
Thévenot, 1991, p. 335) qui peut prendre plusieurs formes. En effet, outre la logique
des rapports de force et de la violence36, les individus peuvent opter pour s’engager
notamment dans trois types de figures afin de résoudre les conflits : les
arrangements locaux, la relativisation ou le compromis.
Tout d’abord, les acteurs peuvent conclure un arrangement local (ou « privé ») « un
accord contingent aux deux parties (…) rapporté à leur convenance réciproque et non en vue
d’un bien général » (ibid., p. 408). Autrement dit, l’accord reste circonstanciel et
implique uniquement les parties concernées. Par conséquent, il n’a pas la visée d’une
justification puisqu’il ignore le bien commun. Comme l’indiquent Boltanski et
Thévenot, « c’est précisément la mise à l’écart des autres et, éventuellement, le secret, qui
contribuent à donner forme à la coalition dont on dira des membres qu’ils sont dans un
rapport de "complicité" » (p. 410).
Ce type d’accord pose ainsi un certain nombre de limites. Tout d’abord, comme nous
l’avons souligné, l’accord n’est pas justifiable au regard d’un principe supérieur
commun et n’engage que les parties en cause, donc il n’est pas généralisable. Par
ailleurs, l’accord est très peu résistant car il dépend fortement des acteurs engagés
(un changement, aussi faible soit-il, remet en question l’accord). Ce qui fait que
36 Quand bien même le modèle des cités considère le recours à la violence et aux rapports de force
comme une alternative face aux conflits (« en posant la contrainte d’un impératif de justification, le
modèle présenté ici ne vise évidemment pas à ignorer que les personnes peuvent s’y soustraire par la violence
et la tromperie » - Boltanski et Thévenot, 1991, p. 420), cette possibilité est développée de façon très
limitée.
113
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
finalement, il peut être dénoncé à tout moment et souffre dès lors d’un manque de
résistance aux critiques.
La deuxième figure de résolution des conflits proposée par le modèle des économies
de la grandeur correspond à la relativisation, que les auteurs définissent comme « la
fuite hors de la justification » (ibid., p. 412). Autrement dit, pour éviter l’épreuve et
dépasser le différend, les individus éliminent la contrainte de justification en
considérant que « rien n’importe » (ibid., p. 412) ou qu’« il n’y a pas de problème » (ibid.,
p. 431). Ainsi, l’épreuve est abandonnée car elle est considérée comme inutile, la
situation devient contingente et retrouve son état initial. Cette relativisation peut
être considérée comme une réponse à la peur de faire face à une épreuve, mais aussi
comme un moyen subtil de passage vers un autre monde « une fois le danger écarté »
(ibid., p. 414). La valorisation de la contingence fait de la relativisation une figure
instable, puisque « certes, le différend est suspendu, mais seulement dans la mesure où tout
jugement devient impossible » (ibid., p. 413). Le « relativisme », en tant qu’attitude
globale, permet de stabiliser la relativisation. Ceci implique « franchir un pas de plus
et, mettant entre parenthèses les contraintes de la cité, adopter une position d’extériorité à
partir de laquelle le train du monde puisse être subordonné à un équivalent général qui ne
soit pas un bien commun » (ibid., p. 414). Le relativisme permet ainsi de dénoncer sans
expliciter la position à partir de laquelle la critique est lancée.
De façon plus élaborée, les disputes peuvent également être dépassées moyennant
un « compromis » où « on se met d’accord pour composer, c’est-à-dire pour suspendre le
différend, sans qu’il ait été réglé par le recours à une épreuve dans un seul monde » (ibid.,
p. 337). Le défi relevé par le compromis consiste à « rendre compatible des jugements
s’appuyant sur des objets relevant de mondes différents » (ibid., p. 338). En effet, des êtres
appartenant à des mondes différents se confrontent et, afin d’aboutir au compromis,
ils tendent à converger vers un même bien commun en renonçant à faire appel aux
principes de justification propres à leurs mondes respectifs. Le compromis « vise un
114
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
bien commun qui dépasserait les deux formes de grandeur confrontées en les comprenant
toutes deux » (ibid., p. 338).
Un compromis bien consolidé peut néanmoins à son tour être victime d’une critique,
qui dans ce cas se réalise par rapport à une figure elle-même composée de deux
mondes différents. Cependant, la critique n’aura jamais un effet fatal car les deux
grandeurs qui forment le compromis initial sont ici traitées comme équivalentes ;
l’impossibilité de faire référence à un seul principe supérieur commun rend
impossible la clarification totale de la critique et limite dès lors la portée de celle-ci.
115
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
De la même façon que la critique peut être portée à partir de chacun des mondes,
entraînant autant de différends possibles, il en résulte, par conséquent, une pluralité
de figures du compromis. Ainsi, au sein d’une même organisation, groupe, collectif,
etc., cohabitent des compromis industriel/civique (les droits des travailleurs),
domestique/marchand (service sur mesure), opinion/civique (mettre son nom au
service d’une cause), etc.
Nous pouvons ainsi considérer que, mise à part la figure du compromis, les
alternatives possibles pour dépasser le différend constituent des solutions instables
et impliquent un évitement où l’on recule face au conflit plutôt qu’un dépassement
de celui-ci. En effet, le recours à des arrangements locaux ou aux rapports de force
nécessite que les conditions qui les ont fait naître perdurent. La relativisation
représente quant à elle la négation du différend et donc le renoncement face à celui-
ci.
Néanmoins, nous ne pouvons pas ignorer que cette approche, dont la pertinence
nous semble manifeste pour « lire » et comprendre les conflits, souffre malgré tout
de faiblesses qui nous semble nécessaire de mettre en évidence.
Tout d’abord, le modèle pâtit des limites inhérentes à toute démarche typologique et
se prête dans ce sens facilement à la critique, notamment en ce qui concerne les
116
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
limites des catégories présentées (les cités et les mondes) et les relations entre celles-
ci. Les auteurs doivent ainsi définir les frontières des mondes, ce qui est fait par
l’attribution du répertoire des objets, les épreuves correspondantes, les modalités
des comportements, etc. Les éléments qui échappent à cette catégorisation (les
« agencements composites ») se voient donc situés dans des positions intermédiaires,
en dehors des catégories. Comme le signale Juhem (1994, p. 89), « lorsqu’on raisonne
en termes discontinus on est obligé de prévoir des positions intermédiaires lorsque les cas ne
peuvent être inclus dans les cases ». Or, ces éléments « hybrides » constituent le plus
souvent les composantes les plus représentatives de la réalité. D’autre part, les
auteurs admettent que, quand bien même les six principes de justification
sembleraient constituer les ordres de justice les plus stables, aucune institution ne
relève d’une seule cité.
Il est par ailleurs possible de reprocher aux auteurs l’absence, ou tout au moins la
faiblesse, de la perspective historique. Les auteurs affirment que les cités ont suivi
un processus d’élaboration et ils fournissent quelques éléments historiques
(essentiellement concernant les philosophies politiques qui ont joué le rôle de
clarificateurs). Cependant, le mécanisme qui permet la formation d’un nouvel ordre
de grandeur n’est pas explicité et le processus de création des cités (et leur relation
avec les mondes) apparaît insuffisant et quelque peu artificiel. Selon Lepetit (1995,
cité par Boltanski, 2002), deux temporalités sont présentes dans l’ouvrage de
Boltanski et Thévenot : une très courte (des situations) et une très longue (des cités) ;
il manquerait cependant une temporalité de moyenne portée qui rendrait compte de
la genèse historique des ordres de justice ainsi que de leur évolution dans le temps.
117
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
qui implique une égalité dans l’accès aux états de grandeur du monde, semble
problématique dans la société occidentale actuelle 37.
Dans l’ouvrage Le nouvel esprit du capitalisme (1999), dont un des objectifs selon ses
auteurs était de répondre à certaines de ces critiques (Boltanski, 2002), Boltanski et
Chiapello tentent de « construire une dynamique permettant de rendre compte de
l’apparition de nouveaux points d’appui normatifs et, dans ce cas précis, de la formation, en
cours, d’une nouvelle cité ». Pour cela, ils ont « été amenés à réintroduire dans [leur] cadre
d’analyse la référence à des forces et (…) le cours du temps » (Boltanski, 2002, p. 286)38.
Il n’en reste pas moins que le modèle des six mondes de départ souffre d’un
hermétisme à l’origine de la critique que nous considérons la plus significative pour
notre travail. Nous regrettons en effet que, quand bien même les éléments qui
articulent le modèle sont identifiés et définis, les modalités d’articulation ne sont pas
toujours clairement explicitées et manquent d’une dimension dynamique. Ainsi, si la
figure du compromis se comprend comme le dépassement d’un différend entre
sujets appartenant à différents mondes de justification, le mécanisme concret
d’élaboration du compromis reste pour le moins vague. On assiste à une situation
qui s’apparente en effet à « une sorte de "boite noire" dans laquelle sont "injectés" deux
mondes et d’où il en ressort un compromis » (Pfister, 2001, p. 14).
Le modèle des cités constitue en effet une « grammaire des compromis » (Réberioux et
al., 2001, p. 268). Cependant, « l’étude de la dynamique dans l’économie des conventions
passe (…) par la compréhension de la formation (et de la déformation) de ces compromis, nés
des visées tout à la fois coopératives et stratégiques des agents. De ce point de vue, force est
de reconnaître que l’on dispose de peu de résultats. La question de la formation des
compromis reste essentiellement ouverte » (ibid., p. 268). Si le modèle des cités constitue
une grille d’analyse pertinente pour la « lecture » des conflits, il ne permet pas de les
appréhender de façon dynamique. Pourtant, l’étude des conflits dans la gestion des
ressources en eau ne peut faire l’économie d’une analyse dynamique des processus
de résolution ou tout au moins de gestion de ces conflits.
37 Le modèle des économies de la grandeur s’avère d’ailleurs a-spatial ; il n’envisage pas par exemple
l’analyse des sociétés non occidentales où la typologie des cités pourrait se révéler inadaptée.
38 L’ouvrage de Boltanski et Chiapello n’a pas échappé aux critiques. Voir par exemple Gadrey et al.
(2001) et Ramaux (2003).
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Cette approche, qui valorise un souci de réalisme (de Montgolfier et Natali, 1987),
tente de faire face aux problèmes d’environnement en dépassant l’antagonisme
existant entre ceux, d’un coté, sceptiques à toute amélioration de l’environnement
sans changement préalable de la société et ceux, à l’opposée, qui considèrent les
problèmes environnementaux comme marginaux et substituables au capital39.
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Enfin, le patrimoine est une notion « transtemporelle et translocale » (ibid. p. 326) car au
sein du local et de l’actuel, elle se projette également dans le global et le futur. Le
patrimoine porte ainsi en lui le passé mais déborde le « ici et maintenant » pour être
le reflet de l’avenir. Dans ce sens le patrimoine peut être considéré comme une
réserve de possibilités. Il déborde également des échelles géographiques
traditionnelles et peut être considéré comme multilocalisé.
Nous pouvons ainsi considérer, comme le fait Godard (1990), la gestion patrimoniale
des ressources naturelles comme une figure de compromis paradoxal : « le principe
qui sert de référence et fait tenir ensemble les éléments de ce nouvel ordre n’est encore que
virtuel, en projet ; mais il est déjà actif comme facteur de rapprochement » (Godard, 1990,
p. 235).
Le patrimoine est ainsi considéré par cette approche comme « l’ensemble des éléments
matériels et immatériels qui concourent à maintenir et à développer l’identité et l’autonomie
de son titulaire dans le temps et dans l’espace par l’adaptation en milieu évolutif »
(Ollagnon, 1989, p. 265). Dès lors, il n’existe pas de patrimoine sans relation
identitaire.
Le patrimoine, confondu souvent par les économistes avec le capital40, est ainsi une
notion relationnelle entre ses éléments et son propriétaire, un « élément structurant
d’une culture, et (…) créateur de sens » (ibid., p. 121). Ces relations identitaires
permettent au titulaire de s’adapter à son environnement, quand bien même cette
adaptabilité, qui détermine les possibilités de réaction face à l’imprévisible, reste
limitée. La variété interne des éléments du patrimoine joue un rôle essentiel dans sa
capacité d’adaptation. Cette variété est néanmoins relative (un élément perçu par
quelqu’un comme patrimoine, peut être ignoré par quelqu’un d’autre) et son
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
124
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
saisir comment tout ce qui interagit forme un tout du point de vue de la qualité »
(Ollagnon, 2000, p. 331).
- les relations entre les facteurs écologiques qui conditionnent l’évolution du milieu
naturel producteur de la ressource,
- les relations que les acteurs sociaux qui font usage de cette ressource ont entre eux à
l’occasion de la gestion de cette ressource,
- les relations que les acteurs sociaux ont avec les divers facteurs du milieu, et qui sont
susceptibles d’influer sur l’évolution et le renouvellement de la ressource » (de
Montgolfier et Natali, 1987, p. 115).
L’éco-socio-système peut ainsi être conçu comme l’ensemble des relations société-
nature et devient par là même l’unité créatrice de qualité du patrimoine naturel ;
simultanément le sujet du processus et la scène où celui-ci se déroule. Comme le
remarque Torres (1995, p. 109), l’éco-socio-système « envisagé dans sa relation
patrimoniale avec la communauté qui l’habite nous ramène à la notion de territoire ». Ce
contenu essentiellement relationnel soulève plusieurs interrogations lorsqu’il s’agit
d’analyser un éco-socio-système en particulier (ibid., 1987).
125
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
41 Cela fait écho aux analyses en termes de proximité que nous développerons infra.
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
s’inscrivant dans un espace géographique donné et évoluant avec le temps sous l’effet de
facteurs externes et/ou internes au système » (Lévêque et van der Leeuw, 2003, p. 1).
Les différences entre ces deux notions sont en effet minimes. La notion
d’anthroposystème inclut la possibilité d’écosystèmes artificialisés et, par rapport à
l’éco-socio-système, elle fait plus explicitement référence au cadre géographique ainsi
qu’aux influences externes au système. Néanmoins, le terme anthroposystème, a priori,
laisse sous-entendre une primauté de l’Homme sur le milieu naturel ; il évoque une
supériorité du social sur le naturel qui est par contre inexistante dans le terme éco-
127
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
44 La « gestion effective » d’un milieu est définie comme « le mode de conduite du milieu telle qu’elle
résulte de l’ensemble des actions humaines qui l’affectent » (Mermet, 1992, p. 57), autrement dit, « celle qui
se constate » (Ollagnon, 1984, p. 70). Ainsi, le rejet de polluants dans une rivière constitue, au même
titre qu’une station d’épuration communale, un acte de gestion effective. Elle est à distinguer de la
« gestion intentionnelle », qui se définit comme « les initiatives qu’un acteur spécialisé entreprend, dans
le contexte d’une situation de gestion effective, pour faire évoluer l’état du milieu dans un certain sens »
(ibid., p. 58).
128
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
La résolution des conflits liés à la gestion et/ou l’usage des ressources naturelles
passe, selon l’approche patrimoniale, par un engagement négocié entre la
« communauté patrimoniale » (Ollagnon, 2000) composée par les différents acteurs
concernés par la ressource. Par ailleurs, « la référence à la notion de "patrimoine naturel"
traduit clairement la volonté de reconnaître les situations d’appropriation et de gestion
collective de certains milieux et ressources naturels » (Vivien, 2004, p. 297). La
« négociation patrimoniale » se présente ainsi comme une modalité de coordination
des agents dans un contexte de « transappropriation » (Ollagnon, 2004), c’est-à-dire
dans des situations où, pour une même ressource, plusieurs régimes juridiques
s’enchevêtrent et où les titulaires des droits et des usages y attachés sont multiples.
129
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Or, la fragmentation des logiques des participants à la négociation est forte et elle se
manifeste à travers la simultanéité de deux phénomènes : la prédominance de
langages formalisés servant de base et influençant la prise de décision et
l’articulation de ceux-ci dans une gestion des ressources naturelles organisée par
filières (Barouch, 1989 ; Mermet, 1992).
45 Barouch utilise le mot « économique » pour ce troisième type de logique, mais nous considérons que
la perspective qu’il décrit correspond plus particulièrement à une logique de type marchande
utilitariste.
130
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Ces langages, qui sont censés présenter un cadre de résolution des problèmes
applicables en tout contexte, se révèlent insuffisants pour l’interprétation et la
résolution de ceux-ci. En ignorant toute autre forme d’analyse, notamment les
connaissances locales des acteurs proches du milieu, ils s’avèrent incomplets et
incapables d’intégrer les éléments nécessaires à la résolution du problème. Le risque
est alors de donner une priorité à ces langages « dominants, à prétention universelle »
(Barouch, 1989, p. 66) qui fait qu’« une dynamique convergente tend à s’établir (…) entre
les prémisses, les modèles postulés par les langages formalisés et la réalité » (ibid., p. 72).
« En effet, les représentations déterminent les objectifs, lesquels ne sont pas moins
131
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Dans la réalité, ces langages s’articulent autour d’une structure de filières organisées
verticalement pour chacun des usages ou des fonctions du milieu. Barouch (ibid.,
p. 105) définit la filière comme « une organisation de gestion fondée sur une ressource
spécifique ». Dans le cas de l’eau, on peut identifier la filière « alimentation en eau
potable (AEP)-assainissement », la filière « énergie », la filière « navigation », etc. Ces
filières comprennent un ensemble de normes, savoir-faire et procédés, ont une
finalité stable, s’appuient sur des institutions qui assurent leur fonctionnement et
possèdent un circuit de financement propre pour leurs investissements (souvent
lourds). Selon la logique des filières, la problématique globale des milieux est
fractionnée en problèmes spécifiques, ce qui permet de satisfaire ce que Mermet
(1992, p. 168) appelle « l’attraction qu’exerce le fait d’être maître chez soi ».
Face aux avantages de stabilité et confort qu’implique l’insertion dans une filière,
deux limites importantes sont à souligner : le cloisonnement des problèmes et la
déresponsabilisation des acteurs directement concernés. En effet, le traitement
fractionné, « par morceaux » des problèmes de gestion entre en contradiction avec la
dynamique globale des processus naturels et empêche ainsi la prise en compte des
interactions et interdépendances entre les différentes filières. Par ailleurs,
l’organisation technique et « professionnelle » des filières éloigne les acteurs du
problème et élimine la prise de conscience du problème par ceux-ci. Dès lors,
l’absence de connaissance sur les processus augmente le risque de comportements
aggravant les problèmes existants.
La définition d’un langage commun qui dépasse le cloisonnement des filières semble
être une condition indispensable pour la réussite d’une négociation (de Montgolfier
et Natali, 1987). Cela implique tout d’abord la prise de conscience des
interdépendances entre les comportements des différents acteurs, ce qui peut être
fait en donnant à chacun la possibilité d’expliquer les mécanismes par lesquels une
132
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Une négociation sera ainsi d’autant mieux réussie qu’elle dépassera une vision
sectorielle des phénomènes et qu’elle débouchera par la mise en place d’un langage
commun. Mais dans quel cadre mener à bien cette négociation ? Quel système
institutionnel est le plus adéquat ? Quels supports pour la coordination et les
interactions entre acteurs ?
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Si la définition de l’objectif peut être ardue, c’est souvent dans la détermination des
moyens pour l’atteindre que les différences de points de vue émergent le plus
facilement. Afin de faciliter cette démarche, il est utile de s’appuyer sur des moyens
administratifs et juridiques et ne pas négliger les moyens contractuels. Le cadre dans
lequel les différents acteurs échangent leurs opinions afin d’engager une négociation
est, dans ce sens, un facteur essentiel.
Le lieu de rencontre pose ainsi la question des institutions qui sont à même
d’accueillir la négociation et la faire vivre. Ces institutions peuvent se créer
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Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Le lieu où la négociation se déroule est fortement lié à un des acteurs, chargé du rôle
d’« animateur » ou d’« arbitre » ou encore de « médiateur ». Nous verrons que cet
acteur constitue une pièce essentielle du processus de négociation, l’issue de ce
processus étant largement dépendante de lui.
46 Les institutionnalistes de l’environnement (Söderbaum, 1992 ; Dietz et Van der Straaten, 1992 ;
Opschoor et Van der Straaten, 1993) adoptent une approche méthodologique proche de celle des néo-
institutionnalistes. Pour une synthèse de leurs travaux voir Froger (1997).
47 Du latin audire (écouter), à distinguer de l’audit financier (contrôle).
135
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Ceci dit, de par son pouvoir réglementaire, l’État occupe une position importante
dans la négociation car il constitue un des acteurs les plus influents. Il peut en effet
imposer certains comportements et il a accès à des procédures particulières pouvant
modifier, adapter ou créer une nouvelle réglementation. Toutefois, dans une
négociation patrimoniale, l’attitude attendue de l’État correspondra à celle d’un
« État accoucheur », incitatif et garant de l’intérêt général, en évitant des postures
d’« État gendarme » ou d’« État paternaliste » (ibid., p. 123), sans pour autant négliger
ses compétences en tant que garant de l’application des réglementations.
136
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
137
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
comme centrale dans la gestion des ressources en eau, n’est pas du tout étudiée par
le modèle des « cités », et très partiellement par l’approche patrimoniale.
L’intérêt pour les questions d’espace et de proximité est croissant dans la littérature
économique depuis environ le début des années 1990 et ce renouveau est en grande
partie impulsé par les travaux d’un groupe de chercheurs travaillant sur les
« dynamiques de proximité » (Gilly et Torre, 2000), composé d’économistes dont
l’intérêt porte notamment sur l’intégration de la variable spatiale dans l’analyse
économique. Un numéro spécial de la Revue d’Économie Régionale et Urbaine (Bellet,
Colletis et Lung, 1993) constitue la première réalisation collective du groupe et
précise le bases communes des participants : l’accent mis sur les phénomènes
productifs ; la prise en compte de la dimension historique ; le rôle essentiel des
interactions qui fondent les apprentissages collectifs ; l’importance des relations hors
marché et donc des institutions.
138
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Bien que l’approche de la proximité trouve ses racines dans des considérations liées
à la localisation des firmes, les réseaux d’innovation, les relations firme-territoire,
etc., des nouveaux champs de recherche ont été investis depuis quelques années,
mettant en évidence la fécondité de cette approche pour d’autres domaines de
recherche. C’est ainsi que les analyses en termes de proximité ont été appliquées
pour traiter de la régulation des ressources environnementales (Letombe et
Zuindeau, 2001 ; Papy et Torre, 2002), de la dynamique territoriale (Guérin, 2001), la
qualité territoriale (Lacroix, Mollard et Pecqueur, 2000), l’agriculture et l’industrie
agroalimentaire (Filippi, 2004 ; Angeon et Pecqueur, 2004) ou encore les risques
naturels (Longuépée, 2003, 2004). Plus précisément, au regard de notre objet,
quelques contributions recourent à une approche en termes de proximité pour traiter
des conflits d’usage (Caron et Torre, 2001 ; Lahaye, 1999, 2004 ; Jeanneaux, 2004). En
effet, quand bien même la gestion des ressources environnementales est un domaine
auquel la notion de proximité n’a pas été liée au départ, la mobilisation du cadre
conceptuel de la proximité nous semble pertinente, tout particulièrement pour
l’étude de la gestion des ressources en eau où la dimension territoriale est d’une
importance manifeste.
139
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Dans ce cadre, le concept de proximité peut être décliné selon deux composantes
majeures : la proximité géographique (ou physique) et la proximité organisationnelle
(Gilly et Torre, 2000). Cette dernière comporte deux faces dont l’une renvoie à la
proximité organisationnelle stricto sensu et l’autre à une proximité institutionnelle.
Certains auteurs regroupent les deux dernières formes de proximité sous le terme de
proximité organisée (Rallet, 2002 ; Pecqueur et Zimmerman, 2004). Ainsi, pour la suite
de notre travail, nous parlerons de proximité organisée au sein de laquelle nous
distinguerons la proximité organisationnelle et la proximité institutionnelle.
140
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
celui qui la définit ; elle dépend également des autres formes de distances qui
séparent les acteurs. Autrement dit, la définition de ce qui est « local » implique un
cadre de référence territorial et la seule proximité géographique ne suffit pas pour
qualifier de proches des acteurs économiques.
141
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
Ces deux types de proximité se trouvent souvent liés, même si cette articulation n’est
évidemment pas automatique. Les interactions et interdépendances vécues par des
acteurs proches organisationnellement, peuvent favoriser l’émergence de valeurs
communes ou de systèmes de représentations communes, traduisant une similitude
(une proximité institutionnelle) plus forte.
Un des principaux intérêts des recherches menées par les auteurs de l’économie de la
proximité concerne l’articulation des deux composantes majeures de la proximité.
Cette dualité permet d’analyser « comment les agents arbitrent entre l’espace de
proximité donné par la distance physique, et l’espace construit par leurs réseaux, leurs
firmes, leurs organisations, leurs institutions… » (Fournier et Moity-Maïzi, 2004, p. 3).
En effet, l’espace n’est pas appréhendé en tant que réceptacle des activités
économiques et il devient une variable à part entière de l’analyse. Ainsi, les relations
entre les acteurs, en termes de proximité géographique et organisée, s’avèrent des
outils analytiques pertinents pour étudier en particulier les questions des
interactions et des dynamiques de coordination économique entre les acteurs.
142
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
CONCLUSION
Si dans le premier chapitre nous pensons avoir montré le pouvoir explicatif limité
des approches standard vis-à-vis des conflits d’usage dans le domaine de l’eau, le
présent chapitre met en évidence différents outils théoriques qui s’avèrent pertinents
pour rendre compte de ces conflits d’usage selon différents aspects. En effet, chacune
de ces grilles d’analyse permet la prise en considération d’une ou plusieurs facettes
des conflits d’usage autour des ressources en eau.
143
Chapitre 2 – Approche interprétative des conflits dans le domaine de la gestion de l’eau : quels outils théoriques ?
144
CHAPITRE 3
145
CHAPITRE 3 - VERS UNE GESTION INTÉGRÉE D’UN BIEN COMMUN :
ÉVOLUTION DU RÉGIME INSTITUTIONNEL DES RESSOURCES EN EAU
Nous avons vu (chapitre 1) que l’eau est une ressource particulière dont la spécificité
détermine, dans une large mesure, l’existence de conflits entre ses différents usagers,
conflits qui sont insuffisamment pris en considération par les approches
traditionnellement utilisées pour sa gestion. Ensuite (chapitre 2), le modèle
conventionnaliste des « cités » proposé par Boltanski et Thévenot, l’approche
patrimoniale de gestion des ressources naturelles ainsi que le courant de l’économie
de la proximité proposent des éléments d’une grille analytique permettant d’étudier
l’émergence des conflits d’usage, les modes de coordination et d’organisation entre
les acteurs ainsi que d’envisager les modalités de gestion de ces conflits.
Quelle est la réalité de la gestion de l’eau en France ? Quels sont les acteurs
déterminants et quels types de relations entretiennent-ils avec les milieux
aquatiques ? Et avec les autres usagers ? Quels mécanismes sont mis en place pour la
gestion des conflits ? De quelle façon évoluent les dynamiques de gestion, tant
effective qu’intentionnelle, des ressources en eau ?
146
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Afin de comprendre par quels processus les conflits autour de l’usage de l’eau
surviennent, se perpétuent ou au contraire se résolvent dans le contexte français,
nous proposons de nous appuyer sur la notion de « régime institutionnel des
ressources naturelles » proposée par l’équipe de recherche de l’IDHÉAP à Lausanne
(Kissling-Näf et Varone, 1999, 2000a ; Knoepfel et al., 2001)48 dont la vocation est de
concilier les approches centrées sur les droits de propriété et celles basées sur
l’intervention des politiques publiques. Ce cadre théorique constitue la quatrième
approche mobilisée pour l’analyse des conflits d’usage dans le domaine de l’eau. Il
complète ainsi les autres perspectives théoriques présentées dans le chapitre
précédent.
147
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Comme nous l’avons souligné dans notre premier chapitre, des facteurs tels que
l’augmentation de la consommation, le développement démographique, les
mutations dans les formes de production… font pression sur les ressources en eau,
provoquant ainsi des situations de rareté élevée et de menaces pour leur qualité. La
combinaison de l’intensification de l’usage (et de la consommation) et de l’apparition
de nouveaux usages, débouche de plus en plus souvent sur des conflits entre les
différents acteurs concernés par l’ensemble de biens et services fournis par l’eau.
49 Nous avons opté, à l’instar de Nahrath (2003), par traduire le terme « regulative system » par
« système régulatif » faute d’une traduction plus satisfaisante.
148
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Nous allons tout d’abord présenter les deux composantes principales sur lesquelles
repose le régime. Nous verrons ensuite que l’émergence historique d’un régime
institutionnel de ressources peut être caractérisée par la succession de trois étapes
commençant par une période où le régime est simple, suivie d’une période de
régime complexe, qui évolue finalement vers un régime intégré.
Comme nous l’avons déjà indiqué (cf. chapitre 1), on distingue trois attributs
attachés à la propriété d’un bien : l’usus, le fructus et l’abusus. L’usus correspond au
droit d’exploiter un bien. Ce droit permet d’utiliser à son profit l’objet de propriété
et d’interdire à un tiers non autorisé d’exploiter l’objet de propriété. Le fructus est le
149
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
droit de tirer profit d’un bien. Ce droit permet ainsi d’autoriser à des tiers d'utiliser
l’objet de propriété et de tirer un profit de cette exploitation directe ou indirecte.
Finalement, l’abusus est le droit de céder la propriété, détruire l’objet de propriété
et/ou modifier celui-ci.
La désagrégation de ces droits est très habituelle. Dans le domaine immobilier, par
exemple, le propriétaire d’un immeuble conserve le fructus et l’abusus alors que son
locataire bénéficie de l’usus. La différence entre les droits de propriété et ceux
d’usage correspond ainsi à l’attribut abusus qui est inhérent au droit de propriété
mais inaccessible au titulaire d’un droit d’usage50. Parmi les droits d’usage dans le
domaine de l’eau, nous pouvons citer les droits d’accès, de prélèvement, de gestion
d’ouvrages… Ces droits d’usage (et leurs éventuelles restrictions) constituent une
partie essentielle du système régulatif en ce qui concerne le domaine de l’eau,
notamment du fait du caractère difficilement appropriable (dans le sens d’ownership)
de ces ressources.
50 Comme nous le soulignions dans notre premier chapitre, dans la littérature anglo-saxonne, le terme
« property rights » est un terme général qui englobe les « ownership rights» (où le titulaire détient le
droit d’abusus) et les « use rights » (où le titulaire ne détient pas le droit d’abusus). Par souci de
clarification, nous utiliserons ici « droits de propriété/usage » comme terme général, et nous
distinguerons « droits de propriété » et « droits d’usage » lorsqu’il sera nécessaire.
150
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
local est le plus souvent déterminé par les niveaux supérieurs du système de
régulation (régional, national, et européen), qui s’adaptent généralement aux
circonstances locales. Néanmoins, lorsque des changements provenant des niveaux
supérieurs rentrent en contradiction avec la réalité des coutumes et usages locaux,
des conflits sont susceptibles d’éclater entre les deux niveaux de décision.
Comme nous l’avons affirmé dans le premier chapitre, l’eau peut être définie comme
un bien commun, selon la classification prenant en compte les critères d’exclusion et
de rivalité. Par ailleurs, nous avons également présenté les quatre régimes de
propriété identifiés dans la littérature : la propriété privée, la propriété publique
(étatique), la propriété commune et le libre accès.
151
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Troisièmement, les groupes cibles des politiques publiques visant la protection et/ou
l’usage des ressources sont composés par les groupes d’acteurs (individuels ou
collectifs) concernés par la ressource en question et dont le comportement est
susceptible de mener à bien la politique et déterminer le succès de celle-ci. Dans ce
sens, l’intervention de l’État vise à faire évoluer (ou dans certaines situations à
stabiliser) les comportements des acteurs pour faire en sorte que les objectifs définis
152
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
soient atteints. À titre d’exemple, une politique qui vise à diminuer les pollutions
diffuses aura comme groupe cible les agriculteurs et éleveurs ; une politique dont
l’objectif est de réduire la quantité de substances dangereuses dans l’eau, aura pour
cible essentiellement les établissements industriels polluants.
153
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
publiques » sera ainsi, tout comme les usagers des ressources en eau, influencé par
ces rapports.
154
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Quant à la cohérence d’un régime, elle est liée à la logique des réseaux d’acteurs et
concerne la reconnaissance des détenteurs des droits de propriété et d’usage comme
étant les groupes cibles des interventions publiques. Autrement dit, la cohérence
d’un régime sera d’autant plus élevée que les groupes cibles définis par les
politiques publiques correspondent aux acteurs possédant les droits de propriété et
d’usage de la ressource. De ce point de vue, la question de la coordination entre les
divers services de l’État chargés de l’application de ces politiques est un élément
essentiel. En effet, « en ce qui concerne les acteurs chargés de l’application, la question se
pose de savoir si des structures administratives chargées de l’application existent et dans
quelle mesure elles sont équipées de ressources administratives » (Varone et al., 2002,
p. 84).
155
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
É
T Forte
E
N
Régime D Régime
complexe U intégré
E
COHÉRENCE Forte
Faible
Aucun Régime
régime simple
Faible
En ce qui concerne le deuxième axe, les régimes complexes sont caractérisés par une
cohérence faible voire nulle. Rappelons que la cohérence se réfère au degré de
coordination entre la régulation par les politiques publiques et par le système
régulatif. Cette dimension est plus difficilement observable que l’étendue du régime
car elle relève d’observations diverses. L’incohérence peut être significative lorsque
l’on constate la mise en œuvre de programmes des politiques de protection et
d’usage contradictoires, des arrangements institutionnels déconnectés de ces
politiques, des définitions imprécises des droits de propriété, etc.
La cohérence (ou l’incohérence) du régime peut être observée tout d’abord au sein
même du système des droits de propriété/usage : définitions imprécises des droits et
des biens et services concernés par ces droits, imprécision sur les détenteurs des
droits, etc. Elle peut également être constatée au sein des politiques publiques :
absence d’objectifs explicites, absence de coordination et harmonisation entre les
différents objectifs existants pour une même ressource, déficits d’application,
156
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
mauvaise définition des groupes cibles, etc. Finalement, l’incohérence peut aussi être
constatée dans l’articulation de ces deux dimensions, dans les cas notamment où les
politiques publiques définissent de nouveaux droits d’usage sur un bien et service
rendu par la ressource, en contradiction avec les droits d’usage établis auparavant.
Les pouvoirs publics peuvent également reconnaître des services immatériels rendus
par une ressource qui n’existent pas dans le système de droits de propriété (par
exemple les aménités rendues par un cours d’eau).
Il est généralement rare de constater des phases clairement définies avec des
moments de transition brutale. Le régime de l’eau en France se caractérise en effet
par une transformation continue, selon des vitesses plus ou moins rapides suivant la
période historique, mais sans ruptures radicales. Les différentes périodes que nous
allons identifier sont ainsi délimitées par des frontières considérablement floues.
157
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Héritière d’une tradition de droit romain, mais fortement influencée par les
coutumes et usages locaux, la gestion intentionnelle de l’eau en France n’apparaît
que lorsque les besoins de la navigation du pouvoir royal induisent un certain
contrôle des cours d’eau navigables. Nous verrons que, jusqu’à environ la deuxième
moitié du XIXe siècle, les mesures définies par l’autorité sur les cours d’eau
navigables coexistent avec une diversité de formes de gestion coutumière
(essentiellement dans les cours d’eau non navigables). Cette réalité détermine ainsi
un régime simple avec une faible étendue (la navigation était pratiquement le seul
usage pris en compte) et une forte cohérence (cf. 1.2.1.). Cependant, au tournant du
XIXe siècle, on assiste à l’apparition de nouveaux usages, essentiellement du fait de
l’urbanisation croissante et le développement de l’industrie. La complexification du
régime est ainsi une tendance qui s’affirme dans la première moitié du XXe siècle (cf.
1.2.2.).
158
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
le plus souvent avec un droit de propriété sur l’eau (Gaonac’h, 1999). Cependant, les
communautés d’habitants gardaient une certaine influence et, dans plusieurs
régions, le droit de propriété des seigneurs était contesté au nom des usages et
coutumes locaux. Le droit féodal se caractérise ainsi par une grande diversité
s’adaptant aux usages locaux. Les droits acquis par les communautés d’habitants,
ainsi que les nombreuses servitudes d’origine romaine, ont été repris dans les
premiers écrits du XIIIe siècle et sont pour certains encore d’actualité.
Le pouvoir royal essaiera d’accroître son rayon d’action en faisant rentrer dans son
domaine les grands fleuves et les rivières navigables. L’autorité de la couronne est
ainsi affirmée sur les fleuves et rivières navigables et cette distinction entre cours
d’eau navigables et non navigables est, dans une certaine mesure, encore à la base de
la classification actuelle des cours d’eau. Après quelques ordonnances sur la chasse,
les pêcheries ou l’approvisionnement de Paris en bois de chauffage, l’Édit de
Moulins (1566) affirme le caractère inaliénable du domaine royal et prévoit des
concessions sur les rivières. Le pouvoir royal déclare ainsi faire partie du domaine
de la couronne « tous les fleuves et rivières portant bateaux (…) sauf les droits de pêche,
moulin, bac et autres usages que les particuliers peuvent avoir par titre et possession »
(Gaonac’h, 1999, p. 13)51.
L’ordonnance de 1669 sur les eaux et forêts confirme la propriété royale des rivières
navigables, qui est explicitement affirmée dans une déclaration de 1693 : « les grands
fleuves et rivières navigables appartiennent en pleine propriété au roi et souverain » (cité
par Gazzaniga et al., 1998, p. 15). La réglementation sur le domaine royal détermine
ainsi un statut unique pour les cours d’eau navigables et flottables, alors que le flou
législatif est maintenu en ce qui concerne les autres cours d’eau. Ces derniers
continuent à être gérés selon les principes de la féodalité, intimement liés aux usages
et coutumes de chaque région.
51 Cet édit sert encore aujourd’hui de référence pour la détermination d’une partie des « droits fondés
en titre ».
159
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
considérés comme dépendance du domaine public » (ibid.) et celle de 1791 précise que
« nul ne peut se prétendre propriétaire exclusif des eaux d’une rivière navigable » (ibid.).
Par contre, les eaux non navigables restent dans le vide juridique et les prérogatives
des seigneurs sont abolies au profit selon les cas des communes, des communautés
d’habitants ou des riverains. Le droit révolutionnaire met l’accent sur le principe de
propriété et affaiblit les modes de gestion coutumière, mais il ne réussit pas à
clarifier le statut des cours d’eau non navigables.
Le Code civil de 1804 ne représente pas une avancée significative en dépit des
nombreuses discussions sur la propriété et la domanialité des eaux qui l’ont
précédées. L’article 538 confirme la domanialité des cours d’eau navigables et
flottables mais pour les autres eaux, il est uniquement question de la propriété des
îles, les servitudes et alluvions (c. civ., 1804). Le Code civil reste donc lacunaire et
renvoie à un prochain Code rural pour tous les détails concernant les eaux non
domaniales. Cependant, le projet de Code rural, après de multiples discussions, sera
finalement abandonné52. Il est laissé ainsi à la responsabilité des tribunaux de régler
les conflits, qui apparaissent notamment autour des droits du premier usager et de la
propriété des eaux de source. Ces conflits sont généralement de voisinage et mettent
en évidence l’insuffisance de la législation concernant la propriété des eaux non
navigables.
Nous pouvons lire dans cette émergence de conflits (de relativement petite
importance mais nombreux [Gazzaniga et al., 1998]), le passage d’une situation où le
régime institutionnel de l’eau est inexistant (une faible étendue et une faible
cohérence) vers une autre période où le régime est simple, c’est-à-dire où l’étendue
reste faible mais la cohérence se renforce. En effet, les usages de l’eau concernent
essentiellement l’agriculture et la navigation jusqu’à environ la deuxième moitié du
XIXe siècle. Cette période se caractérise par la publication de nombreuses lois qui
modifient et complètent le Code civil (loi sur la pêche fluviale de 1829, loi sur la
servitude d’aqueduc de 1845, loi sur le drainage de 1856, etc.). Étant donné que la
navigation, l’un des usages les plus importants, s’intégrait déjà dans un cadre
52 Ce n’est qu’en 1955, plus d’un siècle et demi après les premiers projets, que cette codification est
réalisée. Ce code se substitue ainsi à plus de deux cents textes pris ou votés entre 1790 et 1955.
160
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
législatif clair (l’État est le titulaire des cours d’eau supports de cet usage), ces lois
s’intéressent principalement à l’hydraulique agricole, qui concerne majoritairement
les cours d’eau non navigables. La première moitié du XIXe siècle peut ainsi être
considérée comme une période où le régime institutionnel de l’eau est simple :
l’étendue est faible et la cohérence du régime est garantie par l’action des tribunaux
et des lois sectorielles.
La fin de cette période (période finalement très limitée dans le temps) peut être
située à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, où l’urbanisation et
l’industrialisation croissante font apparaître de nouveaux conflits d’une plus large
ampleur. Les besoins induits par le développement des villes, ainsi que par
l’augmentation de l’usage industriel font que de nouveaux usages de l’eau
apparaissent progressivement et les lois sectorielles et essentiellement agricoles se
révèlent inconsistantes et insuffisantes par rapport au nouveau contexte ; le régime
n’est plus cohérent.
Vers la fin du XIXe siècle le besoin d’une réforme législative se révèle impératif, afin
de clarifier notamment, le statut des cours d’eau non navigables. Celui-ci était en
effet demeuré, dans une grande mesure, inchangé depuis les temps féodaux. Une
large consultation sur la réforme du droit sur l’eau ainsi qu’une analyse comparative
des législations existantes de l’époque débouchent sur un projet de loi qui est déposé
au Sénat en 1883 (Gazzaniga et al., 1998). Cependant, le projet rencontre de multiples
résistances et le texte est discuté pendant quinze ans. La loi sur le régime des eaux
est enfin votée le 8 avril 1898.
161
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
processus d’élaboration de la loi fait que celle-ci se trouve, au moment où elle est
votée, en retard face aux évolutions socio-économiques des usages.
Malgré ses limites, la loi de 1898 constitue la première grande loi sur l’eau et marque
la fin d’un flou législatif concernant les cours d’eau non navigables. Elle officialise la
distinction entre cours d’eau navigables et non navigables et, ainsi que le soulignent
Gazzaniga et al. (1998, p. 17), « ce texte demeure, après de nombreuses réformes, le texte de
base du régime juridique de l’eau (…) [et] va en outre commander toute l’évolution du droit
de l’eau, qui va désormais s’organiser autour d’une seule idée : réduire la propriété, sans
jamais la remettre en cause ».
Dans son titre premier, la loi reconnaît la propriété privée53 sur les eaux pluviales et
de source (loi 8 avr. 1898). L’usage des eaux par les propriétaires est néanmoins
soumis à quelques restrictions afin notamment de ne pas porter préjudice aux
propriétaires des fonds inférieurs (soumis eux-mêmes à une servitude
d’écoulement). Les éventuelles différends entre propriétaires sont réglés par le juge
qui, selon la loi, « doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l‘industrie avec le respect
dû à la propriété » 54 (art. 1 et art. 9, loi du 8 avr. 1898). Par ailleurs, sur les cours d’eau
navigables et flottables, tout usage est soumis à autorisation administrative et les
propriétaires riverains doivent accepter diverses servitudes. Des indemnités sont
dans certains cas prévues afin de compenser le dommage causé au riverain lors de
modifications de certains droits d’usage exigées par la gestion de ces cours d’eau
appartenant au domaine public.
Mais le principal apport de la loi concerne les cours d’eau non navigables, dont le lit
est désormais dissocié de l’eau qui y circule. Le lit devient en effet propriété des
riverains, alors que l’eau qu’il contient n’est propriété de personne et elle ne peut
connaître que l’exercice des droits d’usage. Les riverains peuvent ainsi user de l’eau
(travaux, barrages, moulins…) dans la limite de la réglementation, qui garantit
notamment que l’usage en question ne cause pas de dommages aux propriétés
voisines.
53 Le titre premier de la loi définit le « droit d’user et de disposer » (loi du 8 avril 1898).
54 Cette phrase se retrouve deux fois dans le texte.
162
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La loi de 1898 représente ainsi la naissance d’un système juridique de l’eau, qui, tout
en entérinant certaines traditions liées aux droits acquis pendant les temps féodaux,
constitue la première tentative de traitement des droits de propriété et d’usage de la
ressource en eau. Nous verrons que le système établi dans cette loi sera très peu
modifié par la suite, du fait du caractère très permanent et rigide du système des
droits de propriété et d’usage de l’eau.
163
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
distinction entre cours d’eau domaniaux et non domaniaux (Gaonac’h, 1999). Ainsi,
en vertu de cette loi, nul ne peut disposer de l’énergie des cours d’eau sans avoir
obtenu de l’État une concession d’exploitation et une autorisation de prélèvement.
Les riverains perdent ainsi le droit de disposer de la force hydraulique et l’État fait
valoir son autorité réglementaire au travers du régime de concession, qui impose des
contraintes aux exploitants afin de protéger le reste des usagers. Après la crise de
1929, l’État crée la Compagnie Nationale du Rhône (1933), société nationale qui
obtient la concession pour l’exploitation du Rhône et dont la création annonce un
renforcement de l’action publique dans le domaine de l’eau.
164
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La fin de la seconde guerre mondiale marque en effet en France une période de forte
urbanisation, d’intense industrialisation et d’évolution des cadres de vie (Goubert,
1986) dans un contexte de reconstruction et d’affirmation de l’intervention de l’État.
Cependant, le système juridique relatif à la gestion de l’eau hérité de la période
d’avant guerre est caractérisé par une grande diversification des textes qui
s’intéressent essentiellement à l’aspect quantitatif de la question, négligeant la
dimension qualitative. La profusion et la diversité des textes posent un problème de
165
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
cohérence juridique, en même temps que la pollution émerge notamment à partir des
années 1950 comme un problème fondamental.
Parallèlement, cette période est caractérisée par la mise en place d’une grande
politique d’aménagement du territoire au travers notamment de l’équipement en
grandes infrastructures hydrauliques. Dès 1945, l’Etat s’engage également, sur le
plan financier, dans les actions d’entretien des rivières non domaniales. Par ailleurs,
la nationalisation de l’électricité en 1947 s’accompagne du lancement de grands
programmes hydroélectriques et dans les années 1950 la création de sociétés
régionales d’aménagement autour de grands projets hydrauliques est engagée. La
répartition des tâches dans le domaine de la police et la gestion des cours d’eau est
fixée par décret en 1962 et trois ministères sont concernés : le ministère des travaux
publics et des transports (pour les cours d’eau domaniaux essentiellement), le
ministère de l’agriculture (pour les cours d’eau non domaniaux et ceux qui ne sont
pas concernés par la navigation) et le ministère de l’industrie, chargé de la police des
eaux souterraines depuis 1935. La coordination interministérielle reste limitée.
L’arsenal réglementaire du début des années 1960 est apparu largement inadapté
aux nouvelles préoccupations et enjeux (Nicolazo et Kaczmarek, 1996). Il s’était en
effet « constitué par strates successives faites de mesures spéciales, applicables à une
situation donnée, et soucieuse de gérer ou de prévenir des conséquences très locales »
(Nicolazo, 1997, p. 40). Les dispositions réglementaires revêtaient un caractère
sectoriel et des incohérences entre les différentes mesures mises en place étaient
souvent constatées. L’idée d’une plus grande implication de l’État faisait son chemin.
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Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Dans un contexte général où l’action étatique est marquée par la volonté d’un fort
interventionnisme, le Commissariat Général au Plan crée en son sein une
Commission de l’eau en 1959 formée par une soixantaine de personnalités venant de
ministères, industries, associations de pêche, du monde agricole et scientifique…
Cette commission est chargée de mener les réflexions pour la mise en place d’une
nouvelle politique de gestion de la ressource en eau et de préparer un code du même
nom. Plusieurs constats identifiés dans ce cadre conduisent à l’édiction du principe
selon lequel l’échelle cohérente d’organisation de la politique de l’eau correspond au
bassin hydrographique. En effet, les interdépendances entre usagers sont évidentes
lorsque des activités polluantes en amont font supporter aux usagers de l’aval les
coûts de dépollution. Ces interférences se manifestent tout le long d’un cours d’eau
ou d’une nappe souterraine et ignorent donc toute frontière administrative.
En somme, la période d’après guerre, jusqu’à la loi de 1964 peut être caractérisée, à
partir des deux dimensions du régime institutionnel de l’eau, comme une période où
l’extension de l’étendue du régime est moyenne (quelques nouveaux usages sont
régulés par rapport à la période précédente) mais la cohérence reste faible (profusion
de textes législatifs souvent contradictoires, manque de coordination des services de
l’État, absence de planification, gestion sectorielle…). La loi de 1964 peut être
167
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La loi de 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur
pollution marque une étape importante du régime institutionnel de l’eau en France,
en raison notamment de la volonté, exprimée explicitement dans le texte législatif,
de conciliation de divers usages de l’eau ainsi que de l’intégration de la dimension
qualitative des enjeux.
En effet, les deux principaux objectifs de la loi prennent en compte les aspects tant
qualitatifs que quantitatifs : la lutte contre la pollution et l’assurance d’une meilleure
répartition des eaux. Comme nous le verrons, si le premier objectif s’est accompagné
de mesures politiques concrètes et de résultats, l’objectif d’amélioration du régime
juridique de l’eau n’a pas été suivi d’une application en termes de politiques
publiques. Nous voyons ici un exemple clair de l’incohérence du régime.
168
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La volonté de lutter contre la pollution des eaux s’exprime par la régulation stricte
de déversements, écoulements, rejets, dépôts, etc. « qu’il s’agisse d’eaux superficielles,
souterraines, ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales » (ibid.). Pour la
première fois (mise à part la loi sectorielle sur l’énergie hydroélectrique) l’unicité de
l’eau est affirmée et les mesures s’appliquent ainsi tant aux eaux superficielles
qu’aux eaux souterraines et maritimes. Quand bien même les relations entre l’eau et
son milieu ne sont pas totalement prises en compte, le principe d’unicité de la
ressource en eau est fixé.
Une des principales innovations de la loi de 1964 est la création d’un nouveau type
d’établissement public à caractère administratif (EPCA), doté d’une personnalité
civile et d’une autonomie financière. Il s’agit des Agences de l’eau, dénommées, à
l’origine, Agences financières de bassin (Nicolazo, 1997). Le rôle principal de ces
Agences est de participer financièrement à la réalisation de travaux mis en œuvre
par des personnes privées ou publiques ayant comme objectif d’améliorer la
répartition de l’eau entre les usagers et/ou de lutter contre la pollution des eaux.
L’aide financière apportée par l’Agence (qui n’a pas l’initiative directe dans la
réalisation des travaux) provient des redevances perçues sur les usagers de la
ressource du bassin que l’Agence couvre. Le périmètre de ces Agences est défini
indépendamment des critères administratifs classiques et une nouvelle
circonscription spécifique pour les besoins de l’administration de l’eau est créée : le
bassin hydrographique. La France est ainsi divisée en six grands bassins56 : Adour-
Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse et
Seine-Normandie.
56 Les bassins versants ont pour délimitation les lignes de partage des eaux : il s’agit des territoires où
toutes les eaux reçues suivent une pente commune vers la mer.
169
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La loi crée aussi des Comités de bassin, organes délibératifs des Agences au sein
desquels les différents intérêts (privés et publics) attachés à l’eau d’un bassin sont
représentés (Nicolazo, 1997). En effet, les membres du Comité de bassin ainsi que
ceux du Conseil d’administration des Agences sont répartis en trois collèges égaux :
celui des collectivités territoriales, celui des usagers et personnes compétentes57 et
celui des administrations. Les directeurs des Agences sont nommés par le Premier
Ministre pour trois ans. Le Comité de bassin adopte l’assiette et le taux des
redevances dans le cadre d’un programme pluriannuel et il est chargé de donner son
avis ou son accord sur la politique mise en œuvre par l’Agence. Comme le
soulignent Nicolazo et Kaczmarek (1996, p. 20), « d’une certaine manière, les Agences
sont les exécutifs des Comités de Bassin – un peu le gouvernement de l’eau au sein du
bassin ». Par ailleurs, le besoin de coordination entre les bassins conduit à la création
170
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
d’un Comité National de l’Eau, composé selon les mêmes principes que les Comités
de bassin.
58 C’est la loi de 1964 qui introduit définitivement le terme « domanial » remplaçant le terme
« navigable et flottable ». « Désormais, l’appellation cours d’eau du domaine de l’État ne résulte plus que
d’un critère formel tiré de l’opération même de classement » (Prieur, 2001, p. 675).
171
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Les effets de la loi sur la diminution de la pollution ont été manifestes, notamment
depuis l’adoption de la loi de 1976 sur les installations classées. Cependant, malgré
les idées novatrices intégrées dans la loi de 1964, celle-ci ne réussit pas
complètement à « transformer l’essai » de la réforme. En effet, la plupart des
mesures de gestion quantitative prévues ne sont jamais mises en œuvre (ni les
« cours d’eau mixtes » ni les « zones spéciales d’aménagement des eaux » ne verront
le jour), et le régime juridique des eaux demeure ainsi celui de 1898. Par ailleurs,
l’action publique reste marquée par une approche sectorielle par usages que la
création du ministère de l’Environnement en 1971 ne fait pas évoluer. Ce « ministère
de l’impossible » (selon le titre de l’ouvrage de Robert Poujade, son premier titulaire)
tente de devenir progressivement le principal coordonnateur de la politique
nationale de l’eau mais sa structure, amputée des liens interministériels et fortement
influencée par la technocratie et l’industrie (Charvolin, 2003) ne le permettra que
partiellement.
Ainsi, la loi sur la pêche du 29 juin 1984, preuve de la forte influence de cet usage,
déclare d’intérêt général la préservation des milieux aquatiques et la protection du
patrimoine piscicole. Les marais, qui n’avaient jamais représenté un mode
avantageux d’exploitation du sol (les récoltes sont de faible valeur, les poissons ne se
développent pas) sont désormais considérés en tant qu’écosystème aquatique et donc
en tant que service rendu à part entière par l’eau. Il est facile d’imaginer que des
172
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Par ailleurs, les dispositifs d’évaluation des objectifs de qualité définis en 1964
montrent que la lutte contre la pollution de l’eau n’est plus suffisante pour gérer et
protéger ce qui est désormais considéré le plus souvent comme un milieu vivant et
un écosystème. Le bilan d’application de la loi de 1964 et la succession de quelques
épisodes de sécheresse (1976, 1989, 1990, 1991) conduisent à une nouvelle réforme de
la législation qui aboutira à l’adoption de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992.
En définitive, la période comprise entre celles qui sont souvent appelées les deux
grandes lois sur l’eau est une période d’évolutions majeures des principaux usages
de l’eau, notamment l’agriculture et l’industrie, mais aussi l’alimentation en eau
potable. En outre, une nouvelle préoccupation, celle de l’environnement sous
différentes formes, fait son apparition et complexifie davantage les interactions entre
usages. La prise en compte de nouveaux biens et services rendus par l’eau et
l’intégration de ceux-ci dans les politiques publiques est donc nécessaire, mais de
nouveau elle se fait de manière sectorielle et sans coordination. Pendant cette
période, l’étendue du régime atteint son maximum, mais la gestion sectorielle et par
filières devient insuffisante pour faire face à l’ampleur des mutations. La cohérence
du régime connaît néanmoins une légère augmentation, notamment en raison de la
création des comités de bassin et du ministère de l’environnement. Ce dernier se voit
en effet transférer progressivement les compétences des autres ministères dans le
domaine de l’eau.
59 Directive sur les eaux superficielles (1975), directive sur la qualité des eaux de baignade (1976),
directive sur les substances dangereuses (1976), directive sur les eaux piscicoles (1978), directive sur
les eaux souterraines (1980), directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (1991).
173
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Depuis les années 1960, les usages de l’eau se sont profondément modifiés. Tout
d’abord, au niveau quantitatif, la croissance régulière des besoins domestiques
(intensifiée par la migration de la population vers les villes) s’est accompagnée d’une
très forte demande de la part du secteur agricole, principalement due au
développement considérable de l’irrigation. Cette forte augmentation n’a pas été
compensée par la diminution progressive des prélèvements industriels.
Parallèlement, la demande qualitative connaît une augmentation similaire,
notamment en raison de l’exigence de sauvegarde du patrimoine naturel de la part
des activités piscicoles, sportives et touristiques ainsi que des associations de
protection de l’environnement et de consommateurs en général. Une circulaire du
ministère affirme en effet que « l’eau n’est plus seulement un enjeu économique : elle est
devenue un enjeu écologique » (circ. 15 oct. 1992).
Dans ce contexte, la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau constitue la première tentative de
gestion globale de la ressource en eau en France. Elle représente ainsi un
changement dans la façon de mettre en œuvre les politiques publiques. En effet,
l’approche initiale en termes d’actions centrées sur les problèmes à résoudre, est
remplacée par une approche centrée sur la gestion de la ressource elle-même. Ce
changement de perspective favorise la prise en compte des dimensions jusqu’alors
considérées comme secondaires, notamment l’ensemble de biens et services fournis
par l’environnement des milieux aquatiques et la dimension temporelle (prise en
compte du moyen et long terme) inhérente à la planification. Cependant, le régime
juridique des cours d’eau reste inchangé et les innovations annoncées (mais jamais
mises en œuvre) par la loi de 1964 dans le sens d’un régime juridique unique sont
supprimées.
Nous allons voir que la loi de 1992 marque le début d’une période où le régime
institutionnel de l’eau couvre la totalité des biens et services fournis par cette
ressource (très forte étendue). La cohérence du régime augmente manifestement,
notamment en raison de l’amélioration de la coordination de l’action publique,
l’affirmation de la volonté de dépasser l’approche sectorielle par filière d’usage par
174
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
une approche globale ainsi que le rapprochement des organismes de décision des
territoires locaux.
En 1989, les assises régionales et les assises nationales de l’eau sont l’occasion de
faire un bilan des divers travaux et recherches et de proposer des recommandations
sur l’évolution du cadre législatif de l’eau, évolution considérée comme
indispensable au vu des insuffisances constatées vingt ans après le vote de la loi de
1964. Des lacunes persistaient notamment dans l’application de la police des eaux,
dans la définition des objectifs de qualité ainsi que dans la protection des milieux
naturels.
Tout d’abord, la volonté d’unification de la gestion est consacrée à travers l’idée que
« l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation » (art. 1, loi du 3 janv. 1992) : la
préservation, le développement et la valorisation de la ressource en eau sont
considérés comme relevant de l’intérêt général. Ainsi, la loi prévoit un régime
unique d’autorisation et de déclaration 60 (en fonction de l’importance des travaux,
60 Deux décrets du 29 mars 1993 fixent, l’un, les modalités d’application de l’autorisation ou de la
déclaration et l’autre, la nomenclature des opérations soumises à l’une ou à l’autre. Le critère
essentiel est la quantité d’eau utilisée.
175
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
des risques, des incidences sur la santé, la sécurité et le libre écoulement des eaux)
pour tous les travaux, installations, ouvrages et activités réalisées à des fins non
domestiques et concernant les eaux superficielles ou souterraines, domaniales ou
non domaniales.
Par ailleurs, la loi de 1992 tente de simplifier la réglementation et la police des eaux,
dans le but de coordonner davantage les actions des différents services
administratifs impliqués et de les rapprocher autant que possible de la ressource.
Dans la circulaire du 20 août 1993 relative à la police de l’eau et des milieux
aquatiques, le ministre de l’environnement exprime aux préfets cette volonté et
insiste sur la nécessité de rompre avec une « pratique ancienne de la gestion fondée sur
plusieurs filières d’usage de l’eau ». En effet, bien que transférées au ministère chargé
de l’environnement en 1976, les missions de police de l’eau sont assurées, sous la
responsabilité des Préfets de département, par les agents des services déconcentrés
de plusieurs ministères (agriculture, équipement, industrie, santé…)61. L’approche
61 Comme le remarque Larrue (2000, p. 113), si la répartition des compétences est claire entre les
DIREN et les DRIRE, « l’enchevêtrement des compétences conduit à des conflits entre les différents services
départementaux ».
176
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
177
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La loi de 1992 constitue une avancée considérable compte tenu des nouvelles réalités
caractérisant les enjeux au lendemain de la loi de 1964. En effet, comme nous l’avons
signalé, la fin des années 1960 correspond à une période particulière caractérisée par
deux évolutions importantes. D’une part, les usages de l’eau expérimentent des
mutations considérables, en grande partie en raison des transformations des modes
de production agricole (qui deviennent fortement mécanisés, intensifs et de plus en
plus dépendants de l’irrigation) ainsi que du fait de l’important développement
urbain, source de nouvelles contraintes de gestion de la ressource et d’une
augmentation considérable de la consommation d’eau. Nous avons vu qu’à ces
évolutions s’ajoute, d’autre part, l’émergence de nouveaux usages de l’eau,
notamment l’usage environnemental.
178
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
droits de propriété et d’usage demeure celui de 1898. Les innovations proposées par
la loi de 1964 sont éliminées et l’article 1 de la loi de 1992 précise que « l’usage de
l’eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits
antérieurement établis ». Autrement dit, le régime juridique reste inchangé et la loi
pérennise la dynamique créée par la loi de 1898 : maintenir le principe de la
propriété tout en le limitant afin de satisfaire les usagers non propriétaires (Sangaré,
2004). Cette attitude du législateur a comme conséquence le maintien d’une
complexité juridique dont l’exemple le plus saillant constitue les « droits fondés en
titre », un régime « exorbitant par rapport au droit commun » (Gaonac’h, 1999, p. 95)
dont certains établissements bénéficient encore actuellement63. L’hétérogénéité des
régimes de propriété coexistants rajoute ainsi un élément supplémentaire au niveau
de complexité de la gestion de l’eau.
En somme, la loi de 1992 fait un pas en avant vers un système de gestion de l’eau
négociée qui accentue la proximité entre les organes décisionnels et les territoires de
gestion (par le biais des SAGE) créant ainsi une dynamique plutôt locale tout en
gardant une cohérence par rapport aux grands bassins. Cette dynamique de
simplification et coordination administrative, de concertation entre usagers et de
prise en compte au sens large de l’ensemble des biens et services fournis par l’eau
(de l’électricité à la pêche de loisirs en passant par les aménités paysagères ou la
protection de la biodiversité des milieux aquatiques) n’est cependant pas
accompagnée d’une simplification du régime de propriété de l’eau. Le législateur, en
effet, n’est pas parvenu à l’unité du régime de propriété de l’eau en dépit de
l’affirmation désormais célèbre de l’article 1 : « l’eau fait partie du patrimoine commun
de la nation ». Cette affirmation, qui reste en effet une déclaration de principe sans
véritable portée juridique, permet néanmoins sinon d’annoncer une unification
prochaine, tout au moins de valider l’idée selon laquelle, en ce qui concerne l’eau,
« le seul droit que l’on peut raisonnablement concevoir est celui d’usage » (Gazzaniga et al.,
1998, p. 9).
63 Sont considérés, de manière générale (mais le flou juridique demeure), comme « fondés en titre » les
« droits sur l’eau dont les titulaires peuvent justifier d’une situation de fait ou de documents particuliers et
dont la caractéristique commune est l’ancienneté » (Gaonac’h, 1999, p. 95). À titre d’exemple, l’utilisation
de certains moulins relève encore aujourd’hui de ce type de droits.
179
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
L’émergence des projets de SAGE n’a pas été très rapide et l’application de cette
procédure semble rencontrer un certain nombre de difficultés (en 2000, seulement
deux SAGE étaient élaborés et approuvés par arrêté préfectoral). Des raisons
mentionnant la lourdeur administrative et la faiblesse des organismes chargés de
l’élaboration expliquent en grande partie cette lenteur. Mais si l’élaboration des
SAGE s’est révélée difficile pendant une longue période, il convient toutefois de
noter qu’entre 2001 et 2004, 19 SAGE ont reçu l’approbation préfectorale. En janvier
2005, 70 SAGE sont en phase d’élaboration et 34 en phase d’émergence ou instruction
(www.sitesage.org). Par ailleurs, l’élaboration des SAGE n’a pu réellement être
engagée qu’après l’adoption des SDAGE fin 1996.
La lenteur de la procédure peut être justifiée par la nécessité d’« organiser » les
conflits. En effet, dans de nombreux bassins versants, la Commission locale de l’eau
a constitué le premier lieu de rencontres entre des usagers qui souvent ne se
connaissaient pas. Un très grand nombre de conflits d’usage sont ainsi passés du
statut de conflit latent au statut de conflit déclaré ce qui a permis de prendre la
mesure de l’ampleur et de la diversité des différends. La période d’établissement de
la négociation semble effectivement être une étape importante à ne pas négliger et
qui prend un temps considérable. Comme le souligne Le Bourhis (2001, p. 11), « on
peut expliquer ce "retard" par le temps et les investissements nécessaires à la définition et à
la mise en place d’un cadre de délibération et de décision, jusque là embryonnaire. En outre,
cette durée s’accroît en fonction de la complexité des questions liées à l’eau comme de celle du
système administratif et institutionnel qui les prend en charge ».
L’analyse de cette période sous l’angle du régime institutionnel de l’eau montre que
les changements depuis 1992 se sont centrés sur la dimension « cohérence » du
régime. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, à l’heure où la loi de 1992 est
signée, l’étendue du régime a atteint son maximum. L’émergence du souci
environnemental dans les années 1970-1980 représente d’ailleurs dans ce sens un
évènement essentiel, non seulement en raison des nouveaux biens et services que
cette nouvelle préoccupation a permis d’envisager, mais aussi du fait que la mise en
évidence d’intérêts environnementaux a été un élément déclencheur des
changements dans la sphère des politiques publiques.
180
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La stabilité du régime de propriété (qui demeure celui de 1898) contraste ainsi avec
la dynamique des changements des droits d’usage et l’adaptation des politiques
publiques au nouveau contexte socio-économique. Cette contradiction se traduit par
une dispersion des textes concernant l’eau et par des conflits entre la permanence de
certains principes et l’élaboration de nouvelles modalités de gestion. C’est
notamment pour cette raison que le niveau de cohérence du régime institutionnel de
l’eau même s’il peut être qualifié d’élevé à la fin du millénaire, n’a pas encore atteint
le maximum.
181
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
* Directives qui seront abrogées, sous 7 ou 13 ans, par la Directive cadre sur l’eau
La législation européenne sur l’eau s’est ainsi essentiellement intéressée aux critères
définissant la qualité des eaux destinées directement (eau potable) ou indirectement
(poissons et coquillages) à la consommation humaine ainsi qu’aux produits
considérés comme dangereux et dont la limitation des émissions s’imposait
(Barraqué, non daté). Malgré près de trente directives pour le seul domaine de l’eau,
les objectifs visés et détaillés dans les préambules des textes n’ont pas été atteints64.
Néanmoins, le tournant des années 1980 peut être considéré comme une période
d’évolution de cette tendance, tant au niveau européen que français. D’une part, la
64 La France a été, à nouveau, condamnée par la Cour de justice des communautés européennes du 23
septembre 2004 pour manquement à la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires.
182
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
65 Séminaire ministériel sur la politique communautaire de l’eau (1988), séminaire ministériel sur les
eaux souterraines (1991), rapport de l’Agence européenne de l’environnement sur « l’environnement
dans l’Union européenne » (1995).
183
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Les considérants qui précèdent les articles reflètent les principes qui ont présidé à
l’élaboration de ces derniers. La vision qualitative est explicitement privilégiée et les
mesures quantitatives sont subordonnées aux objectifs qualitatifs. Par ailleurs, les
principes de subsidiarité et de transversalité, de planification à long terme, de
coopération, de participation du public au processus, ainsi que l’utilité de faire appel
à des instruments économiques pour faire appliquer le principe du pollueur-payeur
constituent le socle de la directive. Au désormais bien connu premier considérant,
qui affirme que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine
qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel » s’ajoute également le neuvième qui
énonce : « il est nécessaire d’élaborer une politique communautaire intégrée dans le domaine
de l’eau ». Cependant, les termes de « patrimoine » et « gestion intégrée » sont
absents des définitions de l’article 2 de la directive. Nous y reviendrons dans la
section suivante.
La directive cadre innove dans l’échelle spatiale d’application, qui devient le district
hydrographique (l’équivalent grosso modo des grands bassins hydrographiques
français) au sein duquel la coordination devra être assurée par une autorité
compétente (en France il s’agit des préfets coordonnateurs de bassin66). L’ensemble
des masses d’eau (à l’exception des eaux marines non côtières) devront atteindre un
« bon état écologique » au plus tard en 2015, même si quelques assouplissements sont
envisageables. Ceci étant, la protection de l’environnement est considérée comme
l’objectif principal en tant qu’il permet de répondre aux autres objectifs, notamment
l’approvisionnement en eau potable et la satisfaction d’autres usages marchands.
Sur la base de cet état des lieux, les instruments prévus pour atteindre les objectifs
relèvent de trois types : les programmes de surveillance, qui déterminent la
méthodologie de mesure et suivi de l’état des eaux pour chaque bassin (instrument
184
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
technique), le principe de la récupération des coûts des services liés à l’eau (dont les
états membres « tiennent compte ») et la tarification incitative (instrument
économique) et finalement « l’approche combinée » qui consiste à mettre en place des
contrôles d’émission (ex. : autorisations) ou des valeurs limites voire des mesures
plus strictes si les objectifs de qualité l’exigent (instrument réglementaire).
67 Cette liste a été publiée le 15 décembre 2001 (Décision n° 2455/2001/CE du Parlement européen et
du Conseil) et devient l’annexe X de la directive cadre.
185
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Figure 10 - Schéma simplifié de la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau
Source : Centre d’appui et de ressource télématique des élus locaux (www.carteleau.org), 2002.
En premier lieu, la gestion de l’eau par bassin est l’échelle de gestion identifiée
comme pertinente et la plus à même de garantir le succès des objectifs fixés. Cette
logique, déjà présente en France, est mise en œuvre de façon cohérente car la
directive prévoit des districts uniques (et donc des plans de gestion uniques) dans le
cas de bassins internationaux68. En France, les comités de bassin ont été chargés
68 La France est découpée en 12 districts pour la France métropolitaine et 5 pour les départements
d’outre-mer. 3 des 17 districts sont internationaux (Escaut, Somme et côtiers Manche Mer du Nord ;
Meuse et Sambre ; Rhin).
186
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
187
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Ces innovations constituent des avancées vers une approche de la gestion de l’eau
moins sectorielle et plus globale. Au niveau communautaire, cette directive crée une
première : la prise en compte de l’eau en tant que ressource naturelle unique et
multifonctionnelle et la nécessité d’une gestion transversale qui tienne compte des
spécificités spatiales, économiques et sociales de la ressource.
Malgré des innovations et avancées manifestes, certains domaines n’ont pas été
traités avec l’intensité correspondant aux enjeux dont ils relèvent et certaines
interrogations demeurent.
Un autre problème concerne l’objectif qui vise à atteindre un « bon état écologique »
d’ici 2015. Par rapport à quel état de référence doit se définir ce « bon état » ? Les
besoins en termes d’harmonisation des systèmes de mesure ainsi que le compromis
qui devra être établi entre la masse de données nécessaires et le coût de leur
obtention sont des enjeux dont il est difficile de mesurer les implications.
188
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
D’autre part, le rôle effectif qui sera donné à l’approche économique n’est pas
explicité : plutôt outil d’aide à la décision ou instrument permettant d’imposer des
orientations ? Le principe du recouvrement des coûts est d’ailleurs défini de manière
floue, le texte ne précisant pas si le coût complet intègre les frais des investissements
et leur renouvellement, ni la façon dont le financement de ces investissements va être
assuré (ibid.).
Entre temps, une réflexion sur la création d’une Charte de l’environnement qui serait
adossée à la Constitution a été menée entre juin 2002 et avril 2003. Le texte a été voté
par les deux assemblées du Parlement en termes identiques et il est devenu définitif,
conformément à l’article 89 de la Constitution, après avoir été approuvé par le
Parlement réuni en Congrès le 28 février 2005.
189
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Le projet de loi, qui sera examiné par le Parlement en 2005, a deux objectifs
fondamentaux (www.ecologie.gouv.fr) :
Les propositions intégrées dans cet avant-projet de loi sont une réponse aux
exigences de la directive cadre mais aussi à la nécessité d’actualisation de la
législation de 1992, notamment dans le domaine de l’organisation institutionnelle et
la répartition de compétences entre les différents organismes.
70 Les EPTB ont été reconnus par la loi 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques
technologiques et naturels et à la prévention des dommages. Le décret n° 2005-115 du 7 février 2005
et l’arrêté du 7 février 2005 précisent les modalités de cette reconnaissance.
190
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
71 Le rapport affirme en effet que « au total, 500 services participent à la police de l’eau sans oublier les
services de gendarmerie et les agents de police judiciaire. Une telle "organisation" ne peut qu’entraîner de
difficultés de tous ordres » (OPECST, 2003, p. 95).
191
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
L’adoption de la directive cadre sur l’eau en 2000 est un évènement qui peut se
comprendre de deux façons différentes. Tout d’abord, elle représente
l’aboutissement des réflexions menées au sein de plusieurs pays européens à partir
des expériences et évolutions nationales. Dans ce sens, la directive cadre capitalise
les savoir-faire nationaux dans un souci de cohérence des politiques concernant des
ressources souvent partagées par différents pays. Deuxièmement, cette directive
constitue le « point de départ » vers une nouvelle conception de la gestion de l’eau
qui dépasse la « gestion équilibrée » et qui, comme l’affirme l’un des considérants de
la directive, ambitionne la « gestion intégrée ». Nous pouvons affirmer, avec Kaika
(2003, p. 299) que la directive cadre peut être considérée comme « une réponse aux
récents changements politiques, économiques et sociaux dans le domaine de la gestion de
l’eau ».
Le régime institutionnel de l’eau en France est ainsi marqué par un point d’inflexion
qui annonce le passage d’un régime complexe vers un régime intégré. Ainsi que le
souligne Barraqué (www.inbo-news.org/wwf/barraque.pdf, non daté), « ce texte constitue
un saut qualitatif, un changement d’échelle, dans la politique européenne de l’eau : pour la
première fois en effet, l’Union ne se contente pas de contraindre l’activité économique à
respecter l’environnement malgré la liberté de la concurrence ; elle fait de la reconquête de la
qualité des milieux aquatiques de toute l’Europe un objectif en soi ». L’analyse de
l’évolution du régime en France a montré que la dynamique de cette évolution est
impulsée essentiellement par les changements expérimentés dans la mise en place
des politiques publiques. Le deuxième élément de l’architecture du régime
institutionnel de l’eau a joué un rôle moins important du fait notamment du faible
intérêt pour une évolution du régime juridique des droits de propriété.
192
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
par la directive cadre (p. 3) coïncide–t-elle avec la « gestion intégrée » décrite dans les
dispositions du SDAGE Artois-Picardie (p. 41) ? Le terme « gestion intégrée » est en
effet utilisé par un nombre élevé d’institutions, structures, usagers, collectivités,
organismes internationaux, établissements publics et privés, etc., mais rares sont les
textes où le terme est accompagné d’une explication de son contenu. En tout cas, le
terme « gestion intégrée de l’eau » demeure un terme vague qui reflète des contenus
très divers.
Nous pouvons nous interroger, dans le contexte actuel des pays industrialisés et plus
concrètement dans le contexte français, sur le possible contenu d’une gestion
intégrée de l’eau. Cette question nous semble d’autant plus nécessaire que, mise à
part l’approche du régime institutionnel de ressources, les supports théoriques de la
notion de gestion intégrée de l’eau font défaut. En effet, l’examen de la littérature ne
nous a pas permis d’identifier une approche théorique unifiée qui puisse fonder la
notion de gestion intégrée.
Ainsi, l’absence d’un contenu théorique cohérent ne facilite pas la mise en place de
mesures opérationnelles homogènes. L’exemple le plus saillant est la directive cadre
sur l’eau. L’absence, dans cette directive, d’une définition de la notion de « gestion
intégrée » mérite d’être soulignée, d’autant que le neuvième considérant du texte
affirme qu’« il est nécessaire d’élaborer une politique communautaire intégrée dans le
domaine de l’eau ». Cette affirmation ne s’accompagne d’aucune interprétation ou
explication du terme, contrairement à d’autres termes tels que « bon état écologique »
ou « approche combinée » (p. 7). Quel contenu doit-on deviner derrière ce principe ?
Quelles variables permettent de mesurer le niveau d’intégration d’une politique
donnée ?
193
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
L’imprécision qui entoure cette notion peut être observée lorsqu’on regarde les
éléments qui s’y réfèrent dans le SDAGE du bassin Artois-Picardie. En effet, les
dispositions de ce SDAGE, adopté en décembre 1996 (sur lesquelles repose sa portée
juridique 72) sont réparties en six thèmes : la gestion quantitative, la gestion
qualitative, la gestion et la protection des milieux aquatiques, la gestion des risques,
le Bassin Minier et… la gestion intégrée. Ainsi, la gestion intégrée apparaît comme
un thème parmi d’autres sur lesquels un constat est décrit et des objectifs ainsi que
des dispositions sont définis. À partir de ce constat, une question émerge d’emblée :
la gestion intégrée est-elle un thème parmi d’autres à traiter ou plutôt une démarche
qui engloberait toutes les autres ?
72 Effectivement, concernant les SDAGE, la loi sur l’eau de 1992 affirme que « les programmes et les
décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec leurs
dispositions. Les autres décisions administratives doivent prendre en compte les dispositions de ces schémas
directeurs » (art. 3, loi du 3 janv. 1992).
194
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
L’absence d’un contenu théorique stable et le flou qui entoure la notion de gestion
intégrée nuisent à la mise en place de mesures opérationnelles homogènes. Dès lors,
l’application de la démarche de gestion intégrée demeure problématique. Comme
nous l’avons vu ci-dessus, la grille d’analyse du régime institutionnel de ressources
apporte un éclairage théorique sur la notion d’intégration. Il nous semble que celle-ci
peut être enrichie par la prise en compte de nouvelles dimensions ayant trait à
l’appréhension des conflits d’usage et leur dynamique, ainsi qu’à la transversalité
des politiques publiques sectorielles. Nous proposons dans les sections qui suivent
une conception de la gestion intégrée qui combine plusieurs catégories analytiques,
dont nous ferons l’analyse en nous appuyant sur les différents référents théoriques
présentés auparavant.
Telle que nous l’avons présentée dans la première section de ce chapitre, l’approche
théorique du régime institutionnel de ressources permet d’appréhender la notion de
gestion intégrée par la mobilisation de deux éléments : d’une part, le système de
droits de propriété et d’usage d’une ressource ; d’autre part, l’ensemble des
politiques publiques de protection et d’exploitation de celle-ci.
195
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Comme nous l’avons vu précédemment (cf. Figure 7), selon ce cadre analytique, la
combinaison de ces deux dimensions permet d’identifier quatre types de régime
institutionnel : un régime inexistant, un régime simple, un régime complexe et un
régime intégré. Ainsi, selon cette approche, un régime intégré correspond à une
situation où l’étendue du régime ainsi que sa cohérence sont élevées. Autrement dit,
du point de vue de cette grille analytique, une gestion intégrée sera celle qui mène à
une situation où l’ensemble des usages de l’eau sont pris en compte (forte étendue)
et où les effets des politiques publiques affectent les détenteurs des droits de
propriété et d’usage de l’eau dans le sens prévu. Cette approche constitue un outil
d’analyse pertinent pour comprendre la relation entre les politiques publiques et
leur impact sur les usages de l’eau, via les droits de propriété et d’usage.
Ceci étant, compte tenu de l’évolution du régime institutionnel de l’eau en France tel
que nous l’avons analysée plus haut, il ressort que la question de l’intégration dans
la gestion de l’eau se pose étroitement liée à la question de la gestion des conflits
d’usage ainsi qu’à la dimension organisationnelle des institutions chargées de mettre
en place les politiques publiques. Dès lors, afin de dessiner de manière satisfaisante
les contours de la notion d’intégration, il est nécessaire de compléter le cadre
analytique des régimes institutionnels de ressources. En effet, celui-ci reste limité
pour fonder une approche théorique unifiée de la gestion intégrée, car, même s’il
permet de caractériser la relation entre les droits de propriété/usage de l’eau et les
politiques publiques de l’eau, et même s’il est pertinent pour analyser certaines
dimensions des conflits d’usage, il n’intègre pas les éléments qui vont permettre de
comprendre la genèse des usages, autrement dit les « visions du monde » qui en sont
à l’origine. De la même manière, le cadre analytique du régime institutionnel de
ressources, dans son concept de régime intégré, ne considère pas la nécessité de
gérer les conflits d’usage et a fortiori n’analyse pas les modalités ou les processus
susceptibles de permettre leur dépassement. Il ne considère pas non plus
explicitement l’impact sur la gestion de l’eau d’autres politiques publiques non
directement liées à l’eau.
En nous appuyant sur les référents théoriques présentés dans le chapitre 2, nous
proposons ici un autre éclairage, complémentaire à la grille analytique des régimes
196
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
À la gestion intégrée comprise comme une combinaison optimale des deux éléments
du régime institutionnel de ressources (système de droits de propriété/usage et
politiques publiques de protection et d’exploitation de la ressource), nous proposons
d’ajouter deux dimensions supplémentaires. Celles-ci, bien qu’indirectement
présentes dans le deuxième élément du régime (les politiques publiques), méritent
d’être soulignées et traitées de manière spécifique. Il s’agit tout d’abord de la
reconnaissance et du dépassement des conflits d’usage dans le domaine de l’eau. La
deuxième dimension a trait à la nécessité d’une transversalité des politiques
publiques.
Selon cette approche, qui sera testée empiriquement dans le chapitre suivant, nous
considérons que la gestion intégrée est une gestion qui implique :
Rappelons brièvement les trois approches théoriques que nous allons mobiliser pour
compléter l’approche du régime institutionnel des ressources en eau : tout d’abord,
le modèle des « cités » proposé par Boltanski et Thévenot (1991) permettra
d’expliquer la genèse des conflits et des divergences cognitives entre les acteurs
participant au conflit. Ensuite, l’approche patrimoniale rendra compte notamment de
certains modes de coordination visant le dépassement des conflits. Enfin, le courant
de la proximité proposera des catégories analytiques qui permettent de considérer la
variable spatiale, tant dans la compréhension des conflits que dans les modes de
régulation publique.
197
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Dès lors, nous proposons une grille qui combine plusieurs approches théoriques,
chacune d’entre elles expliquant les différentes catégories analytiques nécessaires
pour la compréhension de la notion de gestion intégrée.
La figure ci-dessous montre les liens entre ces catégories analytiques et les approches
théoriques qui permettent leur analyse.
Approches
Catégories analytiques
théoriques
Économie des
Conventions
Visions du monde (modèle des
« cités »)
Régime
Droits de Politiques publiques
Usages institutionnel de
propriété/usage sectorielles : - eau
ressources
- aménagement
- transports
- énergie, etc.
Proximité organisée Économie de la
Interdépendance et
Proximité
proximité - organisationnelle Approche
géographique - institutionnelle (Patrimoine) Patrimoniale
Conflits
198
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Cités
Représentations identitaires
Usagers et
communautés de pratique
Dimension
spatiale
Conflits
Temps
Représentations Action
Patrimoine
partagées publique
Proximité
organisée Compromis
199
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Les usages et les modes de gestion de l’eau sont, selon nous, en grande partie le
résultat des perceptions et représentations que les individus se font de l’eau et de ses
fonctionnalités. En effet, nous pouvons penser que la perception d’un artiste peintre
d’une rivière ne sera pas la même que celle du gestionnaire d’une centrale nucléaire
ou encore celle d’un agriculteur. La façon d’appréhender la ressource en eau est
variable d’un acteur à l’autre, chacun ayant sa « façon de voir » l’eau. L’intervention
et l’impact de chacun des usagers et des gestionnaires sur la ressource sont ainsi
influencés par les visions du monde des différents acteurs concernés par l’eau. Ces
visions du monde se traduisent par des modes d’action et d’usage de l’eau différents.
Les interrelations et interdépendances existantes entre les différents acteurs usagers
et gestionnaires de l’eau, combinées à des comportements concurrentiels (voire
incompatibles), ont souvent comme conséquence des conflits entre ceux-ci. Par
ailleurs, ces conflits évoluent selon des dynamiques diverses : ils se perpétuent, ils
disparaissent momentanément pour réapparaître plus tard, ils se résolvent… Les
interactions institutionnelles et le lien entre les usages et les politiques de régulation
sont en général les variables qui déterminent l’issue des conflits.
Pour réussir une gestion intégrée de l’eau, on a besoin de comprendre les conflits
d’usage (leur origine et leur évolution). Pour ce faire, nous allons nous appuyer sur
les approches théoriques présentées auparavant. Chacune de ces approches
(cf. Figure 11) va nous permettre d’étudier les différentes catégories analytiques qui
définissent les conflits d’usage.
200
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
C’est ainsi que les visions du monde peuvent être considérées comme une « méta-
catégorie » qui influence selon nous quatre autres : premièrement, les usages de
l’eau ; deuxièmement, les démarches de dépassement des conflits ; troisièmement,
les politiques publiques de régulation ; enfin, la formation des théories, voire la
genèse des paradigmes scientifiques.
201
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
performante, car c’est la performance qui mesure la grandeur dans cette cité. Dans ce
sens, elle étudiera la meilleure technique pour prélever l’eau, compte tenu des
contraintes, afin que la ressource remplisse la fonction qui intéresse l’entreprise
(dans notre exemple, le lavage). Dans son rapport à l’eau, l’industrie cherchera
l’endroit de prélèvement idéal en fonction des contraintes techniques, mais elle ne
s’intéressera pas aux effets locaux du prélèvement (dessèchement ponctuel du cours
d’eau, élimination des frayères, impact sur les autres usages…). Les mêmes
contraintes guideront le choix de l’endroit de rejet, puisque les considérations
« importantes » dans la cité industrielle concernent la performance ; une bonne
organisation qui implique un bon fonctionnement. Dans les choix faits par
l’industrie, l’eau est considérée comme un facteur de production parmi d’autres et
c’est la performance qui compte ; aucune autre variable n’est prise en considération.
L’industriel n’a aucun intérêt à se soucier de l’impact sur la vie aquatique dans la
zone de prélèvement ou de rejet, ou des effets du prélèvement sur le terrain agricole
à proximité, ou des coutumes des habitants riverains… puisque ces variables ne
participent en rien à la grandeur relative dans la cité industrielle.
202
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
s’avère contradictoire, ce qui peut se traduire par des conflits d’usage. Mais nous
voyons ici que ce conflit potentiel ne peut pas être analysé en considérant
schématiquement deux agents économiques intéressés par la même ressource
naturelle. Poser le problème en ces termes implique une prise en considération
partielle du conflit et l’ignorance de la nature de celui-ci. En effet, la ressource
« eau » constitue le support d’objets variables selon les acteurs (cf. Tableau 2) : dans
notre exemple, l’eau est un facteur de production pour l’industriel et un support à la
vie du poisson pour l’association de pêche. Autrement dit, le conflit entre l’industrie
agroalimentaire et l’association de pêche ne peut pas être analysé dans les mêmes
termes qu’un éventuel conflit entre deux industries agroalimentaires, car la nature
du conflit n’est pas la même. Nous voyons ici que les modes d’usage de la ressource
en eau sont fondés sur des représentations identifiées par la grille des « cités » : dans
ce cas, il s’agit, d’une part, de la cité industrielle (qui fonde l’usage de l’industrie
agroalimentaire) et, d’autre part, des cités domestique et civique en ce qui concerne
l’association de pêche. Il y a lieu d’insister sur le fait que le conflit potentiel entre
l’industrie et les pêcheurs de notre exemple constitue moins une rivalité vis-à-vis
d’un aspect particulier de la ressource qu’un conflit issu d’aspects différenciés de
celle-ci. Alors que dans l’approche standard, le plus souvent, la ressource est
envisagée sans prendre en considération ses dimensions variables, nous voyons ici
que l’identification de ses multiples dimensions s’avère indispensable. Dans notre
exemple, pour comprendre le conflit entre l’industrie et les pêcheurs, il est essentiel
d’identifier les systèmes de référence respectifs, faute de quoi l’analyse de la rivalité
se révélerait incomplète.
Si la mise en évidence des visions du monde qui fondent les modes d’utilisation de la
ressource facilite la compréhension de la plupart des conflits dans le domaine de
l’eau, la dimension territoriale joue également un rôle majeur. Nous allons voir à
203
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
présent en quoi les effets de proximité participent aux conflits et/ou parviennent à
les pacifier, à l’aide de l’approche théorique de la proximité et celle du patrimoine.
En effet, les conflits peuvent également être expliqués par une variable territoriale,
tant d’un point de vue géographique qu’organisationnel. Autrement dit, il ne suffit
pas de regarder combien d’usages sont pris en compte dans le système de régulation
et quels sont les droits de propriété et/ou d’usage affectés par les politiques
publiques (autrement dit, le régime institutionnel de ressources). Les proximités
(géographique et organisée) entre les différents acteurs constituent des dimensions
qui sont également à même d’expliquer certaines interactions entre les protagonistes
des conflits.
Nous considérons que la lecture et l’analyse des conflits d’usage dans le domaine de
l’eau peut être approfondie à l’aide des notions de « proximité géographique » et de
« proximité organisée » développées par le courant de l’« économie de la proximité »
que nous avons présenté dans le chapitre précédent. Ces deux notions permettent de
compléter l’analyse des conflits dans la mesure où elles mettent en lumière des
éléments des conflits qui relèvent d’une dimension non seulement géographique
204
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
(contact entre les acteurs) mais aussi (et c’est le principal apport du courant de la
proximité) d’une dimension organisationnelle et institutionnelle (liens en termes de
coopération effective et de partage de valeurs communes). Nous allons voir que
l’intelligibilité des conflits autour des ressources en eau est facilitée par la prise en
compte des liens de proximité géographique, c’est-à-dire que les conflits d’usage
sont souvent favorisés par la proximité géographique entre les acteurs. Cependant,
celle-ci reste insuffisante notamment lorsqu’il s’agit d’envisager le dépassement des
conflits. Dès lors, l’analyse de la proximité organisée entre les acteurs s’avère
indispensable (Lahaye, 2004).
205
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Cependant, il est maintenant admis que le rôle joué par ce type de proximité dans le
développement des synergies et coopérations a été largement surestimé dans la
littérature économique (Caron et Torre, 2001, 2004 ; Beaurain et Longuépée, 2004).
Nous rejoignons les propos de Caron et Torre (2004, p. 6) lorsqu’ils mettent en
évidence que « la proximité géographique, dont on a souvent vanté les vertus en termes de
création de compromis ou de relations de coopération, peut jouer un rôle polémogène
évident ». En effet, la proximité géographique, qui est parfois recherchée, peut
également être vecteur de conflictualité et donc subie en raison de l’impact de la
composante spatiale dans l’émergence de conflits.
Dans le domaine de l’eau, l’apparition des conflits d’usage est souvent liée à la
proximité géographique des acteurs et aux externalités négatives que cette proximité
génère, auquel cas nous pouvons considérer cette proximité plutôt comme une
« proximité-contrainte » (Lahaye, 2004, p. 8). C’est le cas par exemple lorsque les
pêcheurs d’une zone de la rivière subissent les rejets des industries riveraines, ou
quand les usagers ne s’accordent pas sur l’affectation d’une ressource localisée (l’eau
d’une nappe, par exemple). C’est également le cas lorsque des habitations légères de
loisir, recherchant une proximité à la rivière, s’installent près des berges, empêchant
d’autres usagers (promeneurs, par exemple) de bénéficier pleinement des aménités
paysagères que la rivière leur offre. Dans ces cas, nous voyons que c’est la proximité
géographique entre les acteurs qui entraîne les conflits, en raison d’une concurrence
sur la quantité et/ou la qualité de la ressource accessible.
206
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La proximité géographique n’est donc pas neutre par rapport aux conflits,
notamment dans le domaine de l’eau. Nous avons vu qu’elle contient, dans sa forme
environnementale, des éléments susceptibles de favoriser la coordination autour de
préoccupations communes. Cependant, nous avons également mis en évidence les
effets négatifs qu’il importe de prendre en compte. Ainsi, les conflits que ce type de
proximité favorise, appellent des moyens de dépassement, dont les éléments clés
peuvent être analysés à l’aide d’un autre type de proximité : la proximité organisée,
sous ses aspects organisationnels et institutionnels.
Rappelons que la proximité organisée combine deux types de logiques : une logique
d’appartenance et une logique de similitude (Gilly et Torre, 2000). Selon la première,
sont considérés proches les acteurs qui appartiennent à un même « espace de
rapports » (ibid., p. 12) ou réseau de personnes (entreprise, association…) ; dans ce
cas, l’appartenance à un ensemble dépend de l’effectivité des coordinations. Ainsi,
207
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
les salariés d’un Parc naturel régional appartiennent à une même structure, ils sont
donc proches en termes organisationnels. Il en est de même pour les membres d’une
Commission locale de l’eau créée pour la mise en œuvre d’un SAGE. En revanche,
selon la logique de similitude, sont considérés comme proches les acteurs qui « se
ressemblent, c’est-à-dire qui possèdent le même espace de référence et partagent les mêmes
savoirs » (ibid.). Dans ce cas, par exemple, les salariés d’un Parc naturel régional et les
membres d’une association de pêche peuvent partager certaines préoccupations et
représentations par rapport à l’eau, ce qui les rapproche institutionnellement.
La proximité organisée nous semble être une notion pertinente pour l’analyse des
processus de dépassement des conflits d’usage dans le domaine de l’eau, dans sa
déclinaison organisationnelle tout comme institutionnelle. En effet, ce type de
proximité est susceptible de favoriser l’issue des processus de résolution des conflits
et elle intervient notamment lorsque les modalités de résolution impliquent un
contact durable et continu entre les acteurs concernés par le conflit, c’est-à-dire lors
des processus de concertation et de négociation, qu’elles soient directes entre les
acteurs, ou indirectes via la médiation d’un tiers. En effet, l’engagement des acteurs
dans des processus de résolution des conflits dépend moins de leur proximité
géographique que de leur disposition à arriver à un accord.
A priori, nous pourrions penser que les acteurs appartenant à un même réseau, à une
même structure, dans le cas où ils portent des intérêts et objectifs divergents (voire
incompatibles), vont réussir à dépasser les conflits, grâce à leur rapport de proximité
organisationnelle. Ainsi, les membres d’une Commission locale de l’eau, dont la
mission est de mettre en place un SAGE, sont censés résoudre les conflits qui les
opposent. La proximité organisationnelle peut favoriser le dépassement des conflits
208
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Dans la résolution des conflits d’usage dans le domaine de l’eau, nous pouvons
rattacher la notion de patrimoine à une certaine forme de proximité institutionnelle.
En effet, les acteurs du conflit autour des ressources en eau réussissent à retrouver
des voies d’entente autour de cette notion, vers laquelle les divergences d’intérêts,
d’objectifs, de vécu historique, de vision du monde… ne les empêchent pas de
converger. Le patrimoine est une composante du territoire ainsi que de la
territorialisation. Ce concept apparaît ainsi comme une vision du monde particulière,
qui se rattache particulièrement à la cité domestique de Boltanski et Thévenot.
Comme l’affirme Godard (1990, p. 226), « c’est évidemment cette "cité" qui constitue la
matrice de base sollicitée pour asseoir la catégorie de "patrimoine naturel" ». La notion de
patrimoine, qui désigne un ensemble de biens gérés pour leur usage et leur
transmission (une richesse à protéger et à transmettre), peut être considérée comme
l’élément favorisant l’émergence non seulement d’une préoccupation commune,
209
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
2.2.2.5. Solidarité amont – aval : d’une solidarité passive vers une solidarité active
210
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
73 Nous pouvons définir les approches participatives comme des « cadres institutionnels où les parties
prenantes de différents types se regroupent pour participer plus ou moins directement, et plus ou moins
formellement à une certaine étape du processus de prise de décision » (Van den Hove, 2004, p. 1).
211
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Nous avons vu dans le premier chapitre que l’usage de l’eau peut être défini comme
l’activation d’une ou plusieurs fonctions de l’eau. Ayant mis en évidence la
multifonctionnalité de cette ressource, il est aisé d’envisager une multitude d’usages
de l’eau, qu’ils soient exercés avec un contact direct avec l’eau (alimentation en eau
potable, irrigation, navigation, pêche…) ou sans contact direct (promenade, loisirs…)
(cf. Tableau 2). L’analyse du régime institutionnel de ressources en eau en France
nous a permis de constater l’élargissement de l’étendue du régime, autrement dit
l’augmentation progressive du nombre d’usages de l’eau couverts par celui-ci.
Néanmoins, il reste un certain nombre d’usages qui, même en étant considérés par le
système de régulation des politiques publiques de l’eau, relèvent de manière plus
directe d’un autre domaine de compétences et sont donc influencés principalement
par celui-ci. À titre d’exemple, l’irrigation (usage de l’eau) est intimement lié à
l’activité agricole, et donc aux politiques publiques agricoles. Or, les politiques
agricoles, mises en place en fonction de ce secteur d’activité, auront de manière
indirecte un impact sur les modes d’irrigation et donc sur l’usage de l’eau ; un
impact qu’il convient de mettre en évidence.
212
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Nous avançons ainsi dans la section suivante qu’une gestion intégrée de l’eau
nécessite non seulement une cohérence dans l’application des politiques publiques
dans le domaine de l’eau, mais également une cohérence entre les différentes
politiques qui affectent directement ou indirectement les ressources en eau.
Comme nous le proposions plus haut (cf. Figure 11), nous considérons que la notion
de gestion intégrée appelle une certaine transversalité dans la définition et
l’application des politiques publiques sectorielles.
En effet, force est de constater que la quantité ainsi que la qualité de l’eau sont
susceptibles d’être affectées par une multitude de politiques publiques, qui peuvent
relever de domaines à première vue éloignés de la politique de l’eau stricto sensu. Par
exemple, la construction d’une centrale nucléaire, programmée selon une optique de
politique énergétique, va modifier la qualité et la quantité de pêche en aval, du fait
du réchauffement de l’eau rejetée. De même, les politiques de transport prévoyant
une liaison autoroutière qui traverse une zone humide, auront un effet manifeste sur
celle-ci (effets de coupure, nuisances sonores, etc.). Aussi, certaines mesures définies
par la politique agricole commune induisent-elles des modalités de culture qui
augmentent la consommation d’eau et les phénomènes d’érosion.
213
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
politiques ayant une influence sur l’eau : alors que le ministre de l’agriculture
défendait le maintien de la culture du maïs, la ministre de l’écologie affirmait : « il
faut faire légèrement reculer la culture du maïs. Nous pouvons demander cet effort aux
agriculteurs. Mais je n’imposerai rien, je ne suis pas ministre de l’agriculture » (rapporté
par Le Monde, 17/09/2005).
Une gestion intégrée de l’eau nécessite en effet que ces enjeux soient pris en compte
avec une certaine transversalité, dépassant le seul domaine des politiques publiques
de l’eau. Une telle gestion de l’eau implique tout d’abord l’intégration, dans les
processus de décision concernant l’eau, des éléments relevant d’autres politiques
publiques (comme les politiques agricoles, industrielles, énergétiques, d’équipement,
etc.). Cette transversalité, indispensable si l’on veut éviter des politiques dont les
effets se révèlent contradictoires, est intimement liée à la dimension de cohérence du
régime institutionnel de ressources. Mais il convient de souligner qu’il ne s’agit pas
uniquement de la prise en compte, de la part des politiques de l’eau, des autres
politiques. Ces dernières, dans la mesure où leur mise en application a un impact sur
la quantité et/ou la qualité de l’eau, doivent, elles aussi, intégrer les ressources en
eau dans leur propre processus de décision.
Parmi les différentes politiques publiques sectorielles que nous avons citées ci-
dessus, et faute de pouvoir toutes les prendre en compte, nous allons nous intéresser
notamment aux politiques d’aménagement du territoire, et plus particulièrement à
celles de la gestion de l’espace. En effet, la gestion de l’espace s’avère un des domaines
d’action qui influencent le plus la gestion de l’eau. La rencontre entre ces deux
sphères (gestion de l’eau et gestion de l’espace) est aujourd’hui un enjeu
fondamental, dont l’Agenda 21 adopté lors de la Conférence des Nations Unies sur
l’Environnement et le Développement (CNUED) de 1992 se fait l’écho : « la gestion
intégrée des ressources en eau, y compris les ressources en terre, devrait être réalisée au
niveau du bassin versant ou des sous-unités de bassin » (Agenda 21, ch. 18.9). Une
gestion intégrée implique ainsi selon nous la cohérence entre la gestion de l’eau (ou
plutôt les gestions de l’eau) et la gestion de l’espace. Nous nous appuierons sur les
travaux de Narcy (2000, 2004) pour présenter la notion de gestion spatiale de l’eau, qui
constitue le terrain autour duquel ces deux logiques sont susceptibles de converger.
214
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Avant d’analyser les liens entre la gestion de l’eau et celle des espaces, il convient de
préciser ce que l’on entend par chacune de ces deux notions. Concernant la gestion
de l’eau, nous avons vu dans le chapitre précédent que nous pouvons distinguer la
gestion « effective » (celle résultant de l’ensemble des actions anthropiques qui
influencent l’eau) de la « gestion intentionnelle » (ensemble d’initiatives prises par
un ou plusieurs acteurs dans l’objectif de faire évoluer l’état de la gestion effective).
Dans ce qui suit nous parlerons de gestion de l’eau faisant référence à la gestion
intentionnelle. Nous empruntons ainsi la définition de Narcy (2004, p. 47) et nous
considérons la gestion de l’eau comme l’« ensemble des interventions ayant pour objet de
gérer l’eau de façon intentionnelle sur un territoire, quelle qu’en soit l’échelle ». En ce qui
concerne la gestion des espaces, elle peut être définie comme l’« ensemble
d’interventions consistant à affecter une ou plusieurs vocations à des espaces » (ibid., p. 48).
Un regard rétrospectif sur le lien entre la gestion de l’eau et la gestion des espaces
par le passé montre que ce lien a souvent été fort (Hodson, 2004 ; Narcy, 2004). À
titre d’exemple, les programmes d’intervention sur les zones humides réalisés après
le Moyen Âge visaient à tirer parti du caractère humide des marais afin de permettre
l’installation d’activités économiques. De même, la gestion de l’eau dans les villes a
pendant longtemps suivi une logique spatiale. Entre la moitié du XIVe et le XVIIIe
siècles, « l’eau stagnante et l’humidité jouent (…) un rôle fondamental dans l’économie
urbaine » (Guillerme, 1983, p. 180). En somme, la gestion de l’eau pendant des
longues périodes de l’histoire a été intimement liée à l’aménagement de l’espace et
aux activités qui s’y installaient. Par ailleurs, si l’on considère, d’une part, que la
gestion de l’eau se doit par définition de prendre en compte l’ensemble des usages
de l’eau et, d’autre part, que certains usages de l’eau sont en réalité des usages d’un
certain type d’espace, le lien entre gestion de l’eau et gestion des espaces se révèle de
façon évidente.
215
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
Selon cette vision, que l’on peut qualifier de « technicienne », la gestion de l’eau
consiste à intervenir exclusivement sur les flux d’eau et de pollution. Dès lors, cette
gestion « fluxiale » (Narcy, 2004, p. 48) constitue un mode particulier de gestion de
l’eau dont les interventions « portent directement et exclusivement sur l’eau appréhendée
en tant que flux ou porteuse de flux (pollutions, flux solides) : on agit sur les flux pour les
canaliser, les orienter, les traiter » (ibid.). Cette gestion appréhende l’eau en tant que
ressource mais ignore complètement l’eau en tant que milieu.
216
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
La notion de « gestion spatiale de l’eau » (Narcy, 2000, 2004) nous semble être à même
de constituer le terrain où l’antagonisme potentiel entre gestion de l’eau et gestion
des espaces peut être dépassé. La gestion spatiale de l’eau peut être définie comme
un type de gestion de l’eau qui cherche à « orienter délibérément des usages des espaces
selon des objectifs de gestion de l’eau » (Narcy, 2000, p. 123). Afin de dégager les
éléments qui faciliteraient la mise en place de ce type de gestion, il est nécessaire
d’identifier plus clairement les relations potentielles entre la gestion de l’eau et les
différentes filières de gestion des espaces.
2.3.2.1. Les postures de la gestion de l’eau face aux filières de gestion de l’espace
Tableau 7 - Les « postures » de la gestion de l’eau face aux filières de la gestion des espaces
Posture passive de la
gestion de l’eau vis-à-vis La gestion de l’eau La gestion de l’eau
des choix de la gestion des pénalisante soumise
espaces
Selon cette classification, lorsque la gestion de l’eau gêne de façon involontaire les
usages des sols qu’une filière de gestion de l’espace cherche à promouvoir, elle peut
être pénalisante. Elle peut aussi être soumise, lorsqu’elle supporte les interventions
choisies par une filière de gestion des espaces sans jamais les remettre en cause. La
217
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
gestion de l’eau peut également adopter une posture active. Dans ce cas, elle aura
une posture conquérante si elle cherche à aller à l’encontre des choix effectués par
une filière de gestion des espaces donnée ; sa posture sera au contraire opportuniste
si elle cherche à faire des alliances via la négociation avec la filière de gestion des
espaces.
Cette typologie nous permet de clarifier les obstacles qui empêchent une plus grande
cohérence entre la gestion de l’eau et celle des espaces, c’est-à-dire la mise en œuvre
d’une gestion spatiale de l’eau. Le succès d’une telle gestion implique une rupture
avec la posture soumise, « en adoptant une posture conquérante à l’égard de certaines
filières tout en développant une posture opportuniste avec d’autres » (Narcy et Mermet,
2003, p. 140).
Quelles sont alors les variables qui permettent à la gestion de l’eau d’échapper à une
position de soumission face aux filières de gestion de l’espace ? Narcy (2000, 2004)
identifie trois conditions qui faciliteraient la mise en place d’une gestion spatiale de
l’eau :
- tout en étant capable de ménager des compromis avec elles » (Narcy, 2000, p. 193).
218
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
219
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
CONCLUSION
L’analyse, selon une perspective historique, de la réalité des conflits d’usage dans le
contexte français, nous a permis, s’une part, d’introduire la dimension historique et,
d’autre part, de mettre en évidence le quatrième outil théorique aidant à l’analyse
des conflits d’usage dans le domaine de l’eau.
Nous avons dès lors interrogé cette notion et nous avons proposé une définition de
la gestion intégrée des ressources en eau comme une gestion qui nécessite :
220
Chapitre 3 – Vers une gestion intégrée d’un bien commun : évolution du régime institutionnel de ressources en eau
221
CHAPITRE 4
LA GESTION DE L’EAU
222
CHAPITRE 4 - LA GESTION DE L’EAU DANS LE BASSIN VERSANT DE
L’AUDOMAROIS : VERS UNE GESTION INTÉGRÉE ?
Après avoir présenté les composantes indispensables d’une gestion intégrée de l’eau,
sur la base de l’analyse des politiques publiques de l’eau et des dynamiques
institutionnels en œuvre à l’échelle nationale (chapitre 3), il nous paraît maintenant
intéressant de confronter la grille de lecture théorique aux situations rencontrées sur
le terrain. Il s’agit en effet de nous intéresser davantage à la mise en œuvre de la
gestion de l’eau à une échelle territoriale locale, car c’est cette échelle territoriale qui
permet une analyse fine des conflits d’usage dans le domaine de l’eau. Nous avons
ainsi posé notre regard sur la gestion des ressources en eau au sein d’un bassin
versant, l’espace de gestion considéré comme l’unité territoriale pertinente pour la
gestion de l’eau (Mermet et Treyer, 2001).
223
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
l’accent sur les conflits d’usage, dont nous avons analysé l’origine, les objets de
rivalité, l’évolution dans le temps et les modalités de dépassement éventuelles.
L’étude des conflits et des dynamiques institutionnelles à l’œuvre permet de nous
interroger sur l’effectivité d’une gestion intégrée de l’eau.
Nous nous attacherons, dans une première section, à présenter le bassin versant de
l’Audomarois, ses caractéristiques géographiques, les usages de l’eau présents, ainsi
que l’évolution de la gestion de l’eau dans ce territoire. Cela nous permettra
d’identifier les principaux acteurs, leurs stratégies et les modes de coordination dans
le domaine de l’eau. Ensuite, la deuxième section sera l’occasion d’analyser en
profondeur les principaux conflits d’usage autour des ressources en eau identifiés
dans le bassin. Finalement, nous tirerons les enseignements de ces conflits, nous
identifierons les éléments favorisant l’amorce d’une gestion intégrée de l’eau dans
l’Audomarois ainsi que les éléments d’incomplétude.
S’il fallait décrire l’Audomarois avec un seul mot, c’est le mot « complexe » qui
apparaît le plus à même de rendre compte de la réalité économique, hydrologique,
sociale et géographique de ce bassin versant. Tout d’abord, ce territoire est complexe
du fait de la diversité de ses milieux aquatiques : canaux, rivières, nappes
souterraines, marais… Par ailleurs, ces milieux sont interconnectés selon des
dynamiques encore aujourd’hui largement méconnues. En outre, les usages de l’eau
y sont extrêmement variés, en termes quantitatifs comme qualitatifs, ce qui n’est pas
sans créer de conflits autour de cette ressource qui est considérée par les acteurs du
bassin tantôt comme une richesse, tantôt comme une contrainte. Pour les uns,
support d’activité, pour les autres, input productif ou encore aménité paysagère,
boisson, support de la biodiversité…
224
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
L’Audomarois, d’une superficie de 665 km2 , est délimité par le bassin versant d’un
petit fleuve côtier, l’Aa, et de sa zone d’étalement des eaux : le marais audomarois
(lui-même traversé par une voie navigable à grand gabarit, le canal de Neufossé). Ce
territoire 74 comprend 65 communes du département du Pas-de-Calais et 7 du
département du Nord (il se trouve ainsi sur une seule région, le Nord – Pas-de-
Calais), pour une population totale de 97.412 habitants (INSEE, 1999).
L’agglomération de Saint-Omer est située en aval du bassin (aux portes du marais) et
ses communes regroupent plus de la moitié de la population ainsi que la plupart des
établissements industriels. Le reste du bassin comprend essentiellement des
communes de moins de 1.000 habitants et il est dominé par des activités agricoles.
Celles-ci concernent notamment le maraîchage dans le marais audomarois et
l’élevage (bovin et porcin) dans la vallée de l’Aa. Par ailleurs, la quasi-totalité du
bassin appartient au périmètre du Parc naturel régional (PNR) des Caps et Marais
d’Opale75.
225
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
226
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les ressources en eau souterraine sont présentes en quantités très importantes dans
l’Audomarois (le bassin versant amont est crayeux et donc très perméable), d’où le
nom de « château d’eau du Nord – Pas-de-Calais ». En effet, l’agglomération de
Dunkerque (qui est dépourvue de réserves d’eau potable) ainsi que, en moindre
mesure, certaines communes de la Flandre intérieure, consomment les ressources en
eau audomaroises. Les couches géologiques du bassin abritent deux aquifères : la
nappe de la craie (très productive, protégée et facilement accessible) et la nappe des
sables d’Ostricourt (de faible puissance). Les principaux exutoires des eaux
souterraines sont la rivière Aa et le marais. Néanmoins, lorsque les forts pompages à
l’aval font diminuer le niveau de la nappe, c’est l’eau de l’Aa et du marais qui
alimente la nappe, celle-ci est ainsi « décrochée » de plusieurs mètres en dessous du
niveau de la rivière. Dans le SDAGE Artois-Picardie (AEAP, 1997), l’ensemble du
bassin Audomarois est classé en zone sensible au titre de l’eau potable, les trois
quarts de celui-ci sont considérés comme « zone dont les eaux souterraines sont à
protéger en priorité » et une part non négligeable des champs captants situés de part
et d’autre de l’Aa est classée « champ captant irremplaçable ».
227
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
228
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Par ailleurs, le canal est une infrastructure qui relie artificiellement le bassin versant
de l’Audomarois à celui de la Lys (à l’est) et à celui du Delta de l’Aa (à l’ouest). Deux
centres industriels importants sont ainsi connectés : le « bassin minier » (une zone
industrielle en reconversion) et la côte nord (Calais, Gravelines et Dunkerque).
Plusieurs ouvrages hydrauliques ponctuent le tracé du canal (notamment sur le
littoral) afin d’y réguler le niveau d’eau en fonction à la fois des contraintes de
navigation (niveau minimal requis) et d’évacuation des eaux en cas de crue.
L’écoulement du canal empêche aussi les remontés d’eau salée de la mer, permettant
ainsi les activités agricoles. La qualité de l’eau du canal qui est très dégradée a un
impact non négligeable sur le marais du fait du manque d’étanchéité de l’ouvrage.
Le canal de Neufossé relève du régime des eaux domaniales (il fait partie du
Domaine Public Fluvial), ce qui confère à l’État la détention de la propriété du lit et
la gestion des droits d’usage des eaux.
229
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Sous-bassin du marais
230
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
est de type grandes cultures (PNR CMO, 2005). Le marais audomarois est aussi le
dernier marais maraîcher de France (13% de sa surface), fondé essentiellement sur la
culture du chou-fleur associée à celle de l’endive. L’alimentation en eau de cette
zone provient des eaux de pluie, des eaux de ruissellement et de drainage
(notamment via l’Aa), des apports des nappes et du canal. Ce marais a été aménagé
et géré depuis le VIIe siècle et jusqu’au début du XIXe, ce qui fait de lui aujourd’hui
une zone humide que l’on peut qualifier d’artificielle. En effet, l’histoire de ce marais
apparaît intimement liée à la question de la maîtrise de la ressource en eau puisqu’il
constitue la partie méridionale d’une zone de terres drainées depuis le XII e siècle :
les wateringues 79. Cette zone, où les propriétaires sont réunis en association forcée en
vue de la gestion des cours d’eau, s’étale sur une surface d’environ 85.000 ha vers le
nord (le triangle Calais – Saint-Omer – Dunkerque) (cf. Figure 15). Il s’agit
aujourd’hui d’une vaste plaine maritime dont le niveau moyen des terres est
inférieur au niveau moyen des plus hautes mers. Le marais audomarois est ainsi
parcouru de 170 km de rivières classés wateringues et de 563 km de cours d’eau
secondaires appelés watergangs 80. La circulation dans ce maillage de canaux y était
rendue possible uniquement par voie d’eau jusqu’au XIXe siècle. Le fonctionnement
hydraulique superficiel de ce territoire est donc entièrement artificiel et régulé par
l’Homme.
231
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
81 Nous utiliserons ce terme générique pour désigner les actions de protection de la flore et faune
sensibles et leurs habitats.
232
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les principaux usages de l’eau dans l’Audomarois ainsi que leurs liens avec la
ressource sont les suivants.
Tout d’abord, le bassin de l’Audomarois se caractérise par une richesse naturelle liée
notamment aux zones humides qui abritent une biodiversité remarquable (plusieurs
espèces sont protégées au niveau régional, national voire européen). Un site est
particulièrement intéressant en ce sens, il s’agit du site du Romelaëre, de 100 ha,
dont 80 ha sont propriété du Syndicat mixte du Parc82 et classées en Réserve
naturelle volontaire 83 depuis 1988 (cf. Annexe 8). La biodiversité d’une zone humide
est favorisée, d’une part, par des niveaux d’eau relativement élevés et, d’autre part,
par une bonne qualité de l’eau. Or, nous avons vu que les niveaux d’eau dans le
marais dépendent de multiples facteurs (pluviométrie, gestion des écluses du canal,
prélèvements dans la nappe, etc.), ce qui n’est pas sans créer des conflits (cf. infra).
De plus, du point de vue qualitatif, l’eau provenant du canal, le maraîchage intensif,
ainsi que les rejets des industries, du tourisme sauvage et de l’agriculture,
82 Le reste du site est propriété du Conseil Général du Pas-de-Calais, qui possède par ailleurs d’autres
90 ha.
83 Cette mesure de protection s’applique à des propriétés privées dont la faune et la flore sauvages
présentent un intérêt particulier sur le plan scientifique et écologique. La procédure est à l’initiative
du propriétaire, en l’occurrence ici le département du Pas-de-Calais. L’effet de l’agrément implique
la possibilité de réglementer toute action susceptible de nuire à la faune ou à la flore. Depuis février
2003, l’appellation « Réserve naturelle volontaire » est remplacée par « Réserve naturelle régionale ».
233
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
La pêche de loisirs est une activité traditionnelle, elle aussi très présente dans
l’Audomarois. Elle est représentée par douze associations de pêche agréées, dix sur
l’Aa et deux sur le marais (cf. Annexe 3). La qualité de l’eau de l’Aa permet une
classification de cette partie de la rivière en première catégorie piscicole (rivière à
salmonidés), alors que la dégradation de la qualité de l’eau en aval implique une
classification de l’Aa canalisée et du marais en deuxième catégorie (cyprinidés). On
dénombre également neuf étangs de pêche dans la vallée de l’Aa, privés pour la
plupart.
Dans la partie amont de l’Aa et ses affluents, on compte par ailleurs treize
piscicultures, cinq d’entre elles appartenant à une même société. Cette activité
nécessite une eau de bonne qualité, qu’elle utilise par pompage ou par
détournement, avant de la restituer dans un point plus en aval (le débit est ainsi
diminué entre ces deux points), avec une qualité moindre (elle est chargée en azote
et matières en suspension). Ces exploitations, selon leur taille ou la qualité de
poissons produits, sont soumises au régime de déclaration ou d’autorisation relevant
de la réglementation sur les installations classées (décret 93-743 du 29 mars 1993) et
peuvent faire l’objet d’une concession (Code Rural) pour une durée de trente années
renouvelables. Toute nouvelle exploitation nécessite la réalisation d’une étude
d’impact. Les exploitations sont soumises à la police des eaux (DDAF dans la vallée
de l’Aa) et leurs rejets sont censés être contrôlés par la Direction des Services
Vétérinaires (DSV).
234
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En ce qui concerne l’usage assainissement des eaux domestiques, 20 communes (les plus
peuplées) disposent d’une connexion à un réseau d’assainissement collectif (station
d’épuration) tandis que l’assainissement individuel est privilégié dans les communes
rurales. Les équipements ont été progressivement améliorés jusqu’à ce jour et se
traduisent notamment par une extension du réseau d’assainissement collectif à des
zones d’habitation pourvues auparavant de systèmes individuels le plus souvent
défectueux (en particulier dans le marais).
Les activités industrielles impliquent deux types d’usage de l’eau : les prélèvements
nécessaires au processus productif et les rejets issus de cette production. Les
principales activités industrielles du bassin sont les papeteries (5 dans le secteur Aa
aval), la verrerie (Arc International est le premier employeur privé de la Région
Nord – Pas-de-Calais, avec 10.700 salariés84) et l’agroalimentaire (Bonduelle,
Brasserie de St-Omer). Ces activités ont contribué au développement de la ville de
Saint-Omer et ses environs mais elles représentent une pression forte sur l’eau en
termes quantitatifs et qualitatifs. L’ensemble de ces établissements industriels relève
du régime des installations classées pour la protection de l’environnement85 (ICPE)
soumises à autorisation. Cette réglementation se traduit à travers des arrêtés
84 En dépit de la suppression de 25% des postes prévue entre 2005 et 2008 (Arc International, 2004).
85 Les installations, ouvrages, travaux et activités nécessaires à l’exploitation d’une ICPE doivent
respecter les règles de fond prévues par la loi du 3 janvier 1992. Toutefois, ils sont soumis aux seules
règles de procédure instituées par la loi du 19 juillet 1976 et le décret du 21 septembre 1977 ainsi que,
le cas échéant, par le décret n° 80-813 du 15 octobre 1980.
235
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
86 Les casiers sont des espaces isolés hydrauliquement du reste du réseau (rendus étanches par un
cordon-digue érigé tout autour), afin de maîtriser le niveau d’eau à l’intérieur et permettre ainsi une
mise en culture plus précoce.
236
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
(SN) pour le compte de Voies Navigables de France (VNF)87 qui a la charge de cette
gestion. La navigation constituant une activité économique importante pour le
gestionnaire du canal (VNF se rétribue pour partie sur les droits de passage acquittés
par les bateaux), le niveau d’eau du canal est géré de manière prioritaire en fonction
des besoins de la navigation. Ceci implique des niveaux d’eau relativement élevés
dans le canal (et par conséquent dans le marais) afin de permettre le passage des
bateaux. Néanmoins, en cas de crue, le SN est tenu par la préfecture de donner la
priorité à la lutte contre les inondations (la circulation des péniches est interrompue
si nécessaire). Nous verrons que la cohabitation de plusieurs activités dans le marais
est source de conflits qui se cristallisent souvent autour de la question des niveaux
d’eau.
Enfin, considéré comme une zone de détente et de tourisme (loisirs) dans une région
fortement urbanisée et industrialisée, l’Audomarois a attiré depuis les années 1970
un nombre croissant de touristes, tout particulièrement autour du marais. De
nombreux équipements ont été réalisés afin de développer les activités de loisirs
(location de barques, création d’aires de pique-nique, campings, etc.). Néanmoins, le
mitage du paysage lié à l’implantation anarchique des habitations légères de loisir
(qui sont souvent progressivement devenues des habitations en dur) et
l’augmentation importante de l’affluence touristique au cours des années 1990
constituent une pression importante sur la ressource en eau, notamment en ce qui
concerne l’assainissement.
Ces différents usages de l’eau ont souvent des besoins spécifiques en termes de
qualité et quantité d’eau, ce qui n’est pas sans créer des tensions et conflits parmi les
divers acteurs concernés. C’est l’évolution des relations entre ces usages qui est
présentée ci-après.
237
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
l’eau, leurs stratégies ainsi que les modalités de coordination mises en place entre
ces acteurs.
1.3.1. Une autorégulation des usages liés à l’eau jusqu’à la fin des années 1960
Ainsi, au XIXe siècle, nous pouvons considérer que les coutumes et usages liés à l’eau
dans l’Audomarois cohabitent sans conflits d’intérêts ; nous retrouvons le régime
simple que nous avons décrit au niveau national dans le chapitre précédent. La
filière maraîchère s’organise et la région audomaroise apparaît comme une région
88 Nous distinguerons les Wateringues des wateringues : les Wateringues feront désormais référence aux
associations de propriétaires (sections) ; la région des wateringues correspond à la plaine maritime
entre Saint-Omer, Calais et Dunkerque.
89 L’organisation administrative des sections de Wateringues est régie, pour le département du Pas-de-
Calais, par une ordonnance royale du 27 janvier 1837 modifiée par décret en conseil d’État du 13
février 1957 et arrêté préfectoral du 12 septembre 1969. Pour le département du Nord, par un décret
impérial du 12 juillet 1806 modifié par arrêté préfectoral du 9 juillet 1970.
90 Tout propriétaire foncier est membre de fait de la Section et doit s’acquitter d’une taxe annuelle au
profit de l’association.
238
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
active du point de vue agricole. Des industries artisanales se créent, favorisées par
un contexte hydrologique favorable (la Distillerie de Houlle, en 1812 ; Arc
International, en 1815 ; la Brasserie de Saint-Omer, en 1866). À la fin du XIXe siècle,
l’adduction d’eau pour la ville de Dunkerque est effectuée à partir de captages des
sources de la rivière Houlle provenant de la nappe.
1.3.2. Les prémisses d’une régulation des usages de l’eau (1970 – 1986)
Une certaine évolution de l’étendue du régime est constatée à partir des années 1970.
En 1973, le District de la Région de Saint-Omer décide la mise en place pour
l’agglomération et la ville de Saint-Omer d’un « Contrat Ville Moyenne » (CVM). Il
s’agit là d’une démarche contractuelle expérimentale initiée par la DATAR91,
bénéficiant de crédits du Ministère de l’équipement et dont une des 13 actions
239
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Cette politique se voit renforcée par la crise que les maraîchers connaissent à la suite
d’importantes inondations en 1974 et 1976. C’est alors qu’on assiste à la mise en
casiers des parcelles, ainsi « protégées » des aléas de la variation naturelle du niveau
de l’eau dans le marais. À la suite de ces crues catastrophiques, et à l’initiative des
Conseils Généraux du Nord et du Pas-de-Calais, des services de l’Agriculture et des
Voies Navigables, l’année 1977 voit la création de l’« Institution Interdépartementale
Nord – Pas-de-Calais pour la réalisation des ouvrages généraux d’évacuation des
crues de la région des Wateringues » (IIW), institution chargée de réaliser, exploiter et
entretenir dix stations d’évacuation des crues vers la mer via le canal, d’une capacité
totale de plus de 120 m3 /s.
240
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
92 Le PNR Scarpe-Escaut, créé en 1968 sous le nom de « Saint-Amand-Raismes », est le premier PNR de
France.
241
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
242
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
des eaux (contrôle « on line »), un bateau focardeur est acquis par le Parc et mis à
disposition de la 7e Section des Wateringues pour l’entretien des rivières du marais.
La loi sur l’eau offre en 1992 au Parc un cadre réglementaire national dans lequel
peuvent s’inscrire les actions locales déjà entreprises et celles envisagées au bénéfice
de la préservation de la qualité de l’eau. Elle permet surtout d’entrevoir la possibilité
d’une gestion globale de la ressource en eau sur l’ensemble du bassin en poursuivant
l’expérience de concertation entre les différents usagers de l’eau amorcée depuis
1988 à un niveau géographique plus restreint.
243
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
de l’eau se voit renforcé par la signature d’un protocole d’accord selon lequel
l’Agence s’engage à financer 65% du programme pluriannuel pour la préservation de
l’eau conduit par le Parc.
De 1995 à 1997 la CLE se réunit deux fois par an, comme prévu. Le Parc, qui assure
le secrétariat de la CLE, fait le choix d’organiser des discussions très ouvertes afin de
faire émerger l’ensemble des enjeux et de maintenir une concertation très large. Le
processus de consultation démarre, les participants de la CLE expriment leurs
attentes, le travail est organisé en quatre groupes selon une approche par milieux
(rivière, canal, marais et nappe) et le bureau se réunit régulièrement.
La CLE noue des partenariats avec plusieurs structures telles que le Parc ou l’Agence
de l’eau. En 1996, la CLE est spécialement active et participe notamment à des
réunions externes dans le cadre des procédures administratives de projets touchant à
la gestion de l’eau dans le périmètre du SAGE : demande de création de nouveaux
forages par la Brasserie de Saint-Omer, renouvellement de l’autorisation de
93 Syndicat Mixte d’Études et Programmation : structure intercommunale créée en août 1991 pour la
révision du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de l’Audomarois (SDAU).
94 La CLE dans sa réunion d’installation est constituée par : 20 membres du collège des collectivités
locales et établissements publics locaux, 10 membres du collège des administrations et
établissements publics d’État et 10 membres du collège des usagers.
244
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les quatre groupes de travail de la CLE (appuyés par un comité technique formé par
les services de l’État, les représentants des collectivités territoriales et des
établissements para-publics 95) se réunissent chacun à deux ou trois reprises, puis
interrompent rapidement leurs travaux (selon un représentant de l’Agence de l’eau,
l’assistance aux réunions était très faible). La réalisation d’une synthèse de leurs
travaux est confiée à l’« Office International de l’Eau » et constitue, avec l’étude sur
les eaux souterraines, la base du diagnostic de la situation de l’eau dans le bassin.
95 Services de l’État, Agence de l’Eau, Conseil Supérieur de la Pêche, Conseil Régional (Direction
environnement), Conseils Généraux du Nord et du Pas-de-Calais, Agence d’urbanisme de la région
de Saint-Omer et Institution interdépartementale des Wateringues.
245
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
d’agriculture du Pas-de-Calais96. Dans le même ordre d’idées, une étude globale est
lancée pour la maîtrise des ouvrages de l’Institution interdépartementale des
Wateringues. En lien avec ces travaux, de nombreuses réunions d’information et
sensibilisation aux problèmes d’inondations, de ruissellement et d’érosion sont
tenues auprès des élus. Compte tenu des interrelations très fortes, les groupes de
travail Marais et Canal ont fusionné et le groupe de travail Rivière est devenu le
groupe de travail Vallée de l’Aa (cela n’est pas sans avoir une signification
symbolique sur l’appréciation des problèmes, élargie du simple linéaire de rivière au
territoire plus large du bassin). Les inondations et les problèmes de ruissellement
sont ainsi les clés d’entrée qui ont favorisé l’implication des membres de la CLE et
qui ont permis par la suite une véritable prise de conscience commune des
interrelations et donc des enjeux globaux. Il est important de noter que la forte
implication du président de la CLE, notamment depuis 2001, a confirmé que le
portage politique reste un élément essentiel dans le succès de la démarche.
Le SAGE a été adopté définitivement par la CLE le 7 juillet 2004 après la phase de
consultation97 et il a été approuvé par arrêté interpréfectoral le 31 mars 2005 (cf.
Annexe 1). Par ailleurs, le Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des eaux
de l’Aa (SmageAa) a été installé en décembre 2003. Cette structure assure la maîtrise
d’ouvrage de travaux d’intérêt intercommunautaire et joue ainsi un rôle de
coordination à l’échelle du bassin versant.
96 Un animateur est embauché spécifiquement dans le cadre de la mise en place de cette démarche,
dont l’enjeu est d’aider les agriculteurs à maîtriser les écoulements le plus en amont possible par des
techniques culturales favorisant l’infiltration des eaux et, par ailleurs, préserver leur capital « sol ».
97 Cette phase prévoit la consultation des communes, Conseils généraux, Conseil régional, Chambre de
commerce et de l’industrie, Chambres d’agriculture, Chambres des métiers, Comité de bassin et la
mise à disposition du public.
246
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En effet, pour analyser le contenu de la gestion intégrée de l’eau sur le bassin versant
de l’Audomarois, nous avons privilégié l’étude des conflits d’usage existants sur ce
territoire. Nous avons ainsi étudié l’origine des conflits, les acteurs protagonistes et
leurs modalités de coordination, leurs stratégies ainsi que les modes de gestion ou de
résolution des conflits.
247
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Parmi les nombreux conflits d’usage, certains méritent une attention particulière en
raison de leurs incidences sur la ressource en eau :
La gestion l’eau dans l’Audomarois passe essentiellement par ces quatre conflits
d’usage. Tout d’abord, les bouleversements de l’activité agricole entraînent des
impacts préjudiciables sur la flore et la faune de l’Aa et du marais. Un conflit
248
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
249
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Le droit d’usage de l’eau dont disposent les agriculteurs est lié à leur statut de
propriétaires riverains. L’article 644 du Code Civil 99 leur confère à la fois l’usage de
l’eau et la propriété du lit du cours d’eau. En outre, une loi de 1807, toujours en
vigueur aujourd’hui, attribue aux riverains la prise en charge des travaux de
protection contre les crues (entretien des berges et du lit). Dans le marais, le
règlement de la 7e Section des Wateringues (dont les décisions sont soumises à
l’autorité du Préfet) complète ces droits car il s’applique à tout propriétaire foncier
du réseau des wateringues 100. La 7 e Section s’étend sur 14 communes (13.860 ha) et elle
a la charge de l’entretien des cours d’eau d’intérêt collectif classés wateringues
(170 km.). Pour ce faire, son budget est alimenté par une taxe d’assèchement
acquittée par les propriétaires fonciers et dont le montant est établi en fonction des
caractéristiques de la propriété. Ce règlement a été respecté par les maraîchers
jusqu’à la fin des années 1960.
Avant les années 1960, l’activité maraîchère reposait sur des méthodes et outils que
l’on peut qualifier de traditionnels et qui impliquaient une gestion de l’eau
compatible avec la protection de l’environnement. Après la seconde guerre
mondiale, les maraîchers trouvent leur compte dans un environnement économique
où la récolte annuelle d’été suffit au maintien de l’activité. Cette récolte unique
permet de ne pas exploiter les terrains en hiver, donc les inondations hivernales ne
représentent pas de contrainte. Les maraîchers entretiennent les berges de leurs
propriétés afin de faciliter la circulation et l’amarrage des barques (car l’accès se fait
uniquement par voie d’eau). Par ailleurs, les sols sont enrichis avec les boues de
curage, ce qui incite les maraîchers à curer les lits des cours d’eau. Cet entretien
quotidien évite l’érosion et donc le comblement des fossés et l’augmentation du
niveau des eaux. De cette manière, les maraîchers entretiennent et protègent la zone
humide. Ainsi, ils sont encore aujourd’hui considérés comme les « gestionnaires du
marais », et leur activité constitue le symbole de l’identité culturelle de
99 « Celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine
public par l'article 538 au titre de la distinction des biens, peut s'en servir à son passage pour l'irrigation de
ses propriétés. Celui dont cette eau traverse l'héritage, peut même en user dans l'intervalle qu'elle y parcourt,
mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire » (art.644).
100 Ce règlement définit certaines obligations et interdictions pour les propriétaires dans l’objectif de
maintien en l’état des watergangs, comme par exemple l’obligation d’enlever les terres provenant du
curage de canaux de dessus les berges.
250
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
À la fin des années 1960 et au cours des années 1970, les activités agricole et
maraîchère connaissent de profonds bouleversements qui vont, de manière
conjuguée, toucher d’autres usages, et tout particulièrement la nature (aspect traité
ici) et la navigation (cf. infra).
101Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique. Il s’agit d’un inventaire des espaces
naturels remarquables. Les ZNIEFF de type I, de superficie réduite, sont des espaces homogènes
d’un point de vue écologique et qui abritent au moins une espèce et/ou un habitat rares ou menacés,
d’intérêt aussi bien local que régional, national ou communautaire ; les ZNIEFF de type II sont de
grands ensembles naturels riches, ou peu modifiés, qui offrent des potentialités biologiques
importantes. Elles peuvent inclure des zones de type I et possèdent un rôle fonctionnel ainsi qu’une
cohérence écologique et paysagère.
251
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
252
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
accentue cet état de fait car, d’une part, les obstacles à l’écoulement des eaux sont
plus nombreux et, d’autre part, les maraîchers privilégient le déplacement par voie
routière au détriment de la voie d’eau, réduisant de fait leur intérêt à entretenir les
fossés. Les maraîchers subissent ainsi paradoxalement les conséquences de leurs
propres actions, mais également celles des activités agricoles situées dans la vallée
de l’Aa.
Pourtant, la position du service de l’État chargé de la police des eaux dans le marais
(la DDAF) traduit une prise de distance avec cette problématique. Selon un
responsable de la DDAF, la gestion de la situation par la 7 e Section est acceptable et,
à la différence d’autres sections, « elle sait se débrouiller ». Néanmoins, la DDAF n’est
pas tenue informée des travaux réalisés par la 7e Section (« et on ne va pas leur
demander, parce qu’on est déjà en surcharge »). En fait, d’un point de vue strictement
réglementaire, les wateringues entrent dans la définition d’un cours d’eau, et la
réglementation les concernant devrait être appliquée. Cependant, la 7 e Section est le
« gestionnaire traditionnel » et dans la pratique (y compris selon certains jugements
rendus par des tribunaux) les droits privés sont privilégiés. La Mission Inter-Services
102 « Dans toutes les sections de wateringues, sont électeurs au titre d’une année donnée tous les propriétaires
ayant réellement acquitté, au titre de l’année précédente, une imposition au moins égale à quatre fois la taxe
maximum à l’hectare applicable au titre de ladite année précédente » (extrait du règlement des Wateringues,
in www.infos-pas-de-calais.presse.fr).
253
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
de l’Eau (MISE), dont le secrétariat est assuré par la DDAF, délègue ainsi
implicitement ses compétences à la 7 e Section.
Pourtant, un réel problème est apparu peu à peu et a conduit à un nouvel enjeu à la
fin des années 1970, celui de la prise en compte de l’environnement et de la nécessité
de protéger les milieux naturels humides. Le marais apparaît alors comme un
écosystème aquatique à protéger en raison de sa richesse naturelle. Des initiatives
sont alors entreprises afin de limiter les impacts que l’évolution des pratiques
agricoles occasionne sur les milieux naturels. Nous évoquons ci-dessous les
initiatives les plus importantes. Celles-ci témoignent d’une substitution des
obligations des propriétaires privés par la collectivité.
Par ailleurs, des démarches contractuelles sur la base du volontariat voient le jour,
devant l’absence d’outils légaux forts, au cours des années 1990. Les Contrats
territoriaux d’exploitation (CTE103) traduisent bien cette idée. Le CTE collectif lancé à
l’initiative du Parc sur la problématique de l’érosion des sols (cf. supra) tente
d’impliquer les agriculteurs dans une démarche de gestion territoriale cohérente.
Cependant, ces derniers ont été particulièrement réticents à ces dispositifs et le bilan
après 5 ans est mitigé : sur plus de 1000 exploitations sur le bassin, uniquement 55
103 Le CTE est revisité en 2002 et rebaptisé Contrat d’Agriculture Durable (CAD), prévu dans un cadre
collectif territorial. Dans l’Audomarois, ce changement n’a pas eu d’incidence sur la démarche car le
CTE était collectif (basé sur la problématique de l’érosion des sols). Par contre, la dynamique a été
freinée en raison du changement de procédures.
254
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
CTE ou CAD ont été signés. Constatant cette insuffisance, le SmageAa a mis en place
un fonds d’aide au couvert hivernal104 en 2004.
D’autre part, le Parc a mis en place depuis la fin des années 1990 une équipe chargée
de réaliser des opérations d’entretien de l’Aa. Par cette action, le Parc se substitue
aux propriétaires riverains (pour beaucoup des agriculteurs). Par ailleurs, certaines
communes ont entrepris des travaux afin de réduire le ruissellement des terres
agricoles (plantation de haies, construction de diguettes, etc.). De son côté, le Conseil
général du Pas-de-Calais ne finance plus certaines opérations qui avaient un impact
négatif sur l’environnement (notamment les travaux de drainage).
104 Ce fonds est basé sur une convention par laquelle l’exploitant s’engage à implanter un couvert
hivernal en respectant un cahier des charges, en échange du remboursement du prix des semences.
255
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Si l’on considère aujourd’hui les actions conduites depuis trente années afin de
rétablir l’équilibre entre l’usage agricole et la protection de l’environnement, force
est de constater la difficulté à les concrétiser.
256
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
257
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Il convient d’insister sur un élément essentiel de cette rivalité entre l’usage agricole
et la protection de l’environnement : il s’agit précisément du fait que la tension entre
ces deux usages n’est pas devenue conflit ; c’est-à-dire qu’à aucun moment des
acteurs se sont engagés dans une confrontation active. Cette absence d’engagement
s’explique notamment par le fait que l’usage protection de l’environnement n’a pas
de porte-parole capable de s’engager dans une opposition ouverte. Les associations
de protection de l’environnement et de pêche semblent ignorer ou minimiser les
impacts de l’agriculture sur les milieux ; l’impact semble être trop indirect pour que
des associations de consommateurs se manifestent. Du coup, le seul acteur qui est
susceptible de mettre en évidence ces impacts et de s’opposer aux pratiques agricoles
intensives est le Parc, en raison du savoir-faire et des compétences dans le domaine.
Cependant, le Parc est censé représenter la volonté des communes adhérentes, ce qui
le place dans une situation où l’engagement dans un conflit n’est pas envisageable.
Ceci d’autant plus que les Parcs naturels régionaux se doivent de concilier les
objectifs de protection de l’environnement mais aussi du patrimoine culturel et du
développement économique.
258
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
2.2.1. Une transformation des pratiques qui rend les usages incompatibles
Jusqu’à la fin des années 1960, la cohabitation entre l’usage « maraîchage » et l’usage
« navigation » ne connaît pas d’accroc majeur. Concernant le maraîchage, nous avons
vu que les pratiques culturales étaient telles (curages réguliers, une seule récolte…)
que les niveaux d’eau ne représentaient pas de contrainte significative.
D’autre part, la navigation sur le canal domanial avant les travaux de mise en grand
gabarit (1958-1965) se caractérise par le passage de bateaux de taille relativement
petite, ce qui favorise la navigation en période de faibles débits (en été). En hiver, la
navigation ne subit aucune contrainte, à l’exception des périodes de crues. La
navigation de fret se traduit essentiellement par le transport de matières premières
provenant du bassin minier pour lequel plusieurs écluses permettent de réguler le
passage de bateaux. La gestion de ses équipements, qui relève de la compétence des
Services de la Navigation (SN), détermine le niveau de l’eau du canal, et par
conséquent celui des watergangs avec lesquels il est connecté.
Ainsi, avant la fin des années 1960, la variation des niveaux des eaux ne représente
pas une contrainte particulière. L’usage « maraîchage » et l’usage « navigation »
jouissent des droits d’usage sur l’eau qui sont compatibles les uns avec les autres.
En effet, les pratiques de culture maraîchère évoluent, ce qui se traduit par une
nouvelle contrainte : alors que les terres marécageuses pouvaient être inondées en
hiver, l’apparition des cultures d’hiver conduit les maraîchers à un besoin d’un
niveau d’eau bas et constant en été comme en hiver. En effet, le niveau d’eau
nécessaire pour le maraîchage doit être suffisamment bas pour ne pas inonder les
parcelles, et suffisamment haut pour maintenir les terres humides et pouvoir les
259
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En même temps que les exigences de l’activité maraîchère s’orientent vers une baisse
et une constance du niveau de l’eau dans le marais, celles de la navigation vont, au
contraire, vers son augmentation. L’augmentation du tonnage des bateaux
empruntant le canal à grand gabarit nécessite, en effet, un niveau d’eau élevé dans
celui-ci (ce qui se répercute sur le niveau d’eau dans les watergangs) en hiver, mais
également en été. Tout au long de l’année depuis la fin des années 1960, maraîchage
et navigation sont donc deux usages concurrents du point de vue du niveau de l’eau.
Face à cette situation, les maraîchers n’ont officiellement aucun droit du point de vue
de la gestion des niveaux d’eau dans le marais, ce qui exacerbe le conflit avec l’usage
navigation qui est, lui, détenteur de ces droits. Devant cette absence de droits et
leurs nouvelles exigences/contraintes en termes de niveau d’eau, les maraîchers
vont voir toutefois leur usage protégé de deux manières : le « droit » qu’ils
s’accordent en l’absence de police de l’eau, et le droit à exister que leur confère leur
poids économique, culturel et politique.
D’une part, les maraîchers mettent en place un système de casiers sur de nombreuses
parcelles du marais ; chaque casier est protégé par un cordon (digue) au sein duquel
le niveau d’eau est maintenu constant par des pompes (pratique qui est illégale,
puisque cela représente une modification du régime des eaux). Néanmoins, c’est sur
l’ensemble du marais que les maraîchers entendent recevoir des garanties d’un
niveau d’eau bas toute l’année. Selon un responsable de la Chambre d’agriculture
105 Contrairement aux agriculteurs et éleveurs « classiques » qui ont souvent seulement une petite
partie de leur exploitation dans le marais, les maraîchers ne possèdent que des terres dans le marais,
ce qui leur rend plus vulnérables aux inondations.
260
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
« des casiers sont constamment fermés, sinon la culture n’y serait plus possible » et
« l’absence d’intervention [de la police des eaux] conduit les producteurs à se protéger par
eux mêmes en établissant des digues ou en installant une petite station de pompage
personnelle ». Cependant, avec la mise en casier des parcelles, la surface d’étalement
des crues a été réduite de manière importante et le risque d’inondation a ainsi
augmenté (cf. Annexe 5).
D’autre part, la profession maraîchère a réussi à légitimer son existence, tout comme
dans le conflit précédent, sur la base d’une pression politique justifiée par
l’importance culturelle des maraîchers et leur caractère « emblématique » (il faut
garder du maraîchage dans le marais car c’est l’image du marais). La justification
domestique fondée sur l’importance de la tradition est manifeste dans les discours
des (nombreux) porte-parole des maraîchers : le Syndicat des maraîchers (lié à la
FDSEA 106), la SIPEMA107 (coopérative installée en 1973) et la 7e Section de
Wateringues. La pression sur les élus locaux est telle que ceux-ci deviennent
finalement les meilleurs porte-parole des maraîchers et relayent leurs exigences dans
toutes les instances politiques décisionnelles (notamment auprès du Préfet via les
conseillers généraux). Nous pouvons mesurer l’ampleur de cette influence en lisant
le document final du SAGE : le « maintien des activités du marais audomarois » est,
parmi les 6 orientations stratégiques, celle qui intègre le plus de programmes
d’action et le plus de mesures opérationnelles108. De plus, un « document d’objectifs
collectifs pour la sauvegarde du marais audomarois », un véritable plaidoyer pour le
maintien de l’activité maraîchère, a été annexé au SAGE.
261
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En dépit de ces mesures mises en place au profit des maraîchers, ceux-ci considèrent
que leurs exigences ne sont pas totalement satisfaites. Cela se traduit par une
intensification de la pression menée auprès des élus afin qu’ils interviennent auprès
du Préfet ou directement auprès du gestionnaire des équipements dans le canal110. Il
faut noter que selon les témoignages que nous avons recueillis, l’attitude des
gestionnaires des ouvrages était dans les années 1970-80 assez réticente au dialogue
avec la profession maraîchère, ce qui, semble-t-il, a nui aux relations entre les
représentants des deux usages en conflit. VNF jouit en effet d’une certaine
autonomie par rapport à l’État : son président se substitue au Préfet pour les
compétences liées aux atteintes au domaine public fluvial, et VNF se voit soumis à
des contraintes de recettes, alimentées quasi exclusivement par les taxes acquittées
par les bateaux. On peut aisément comprendre dès lors que la navigation marchande
constitue une activité économique majeure pour VNF, associant, ainsi, de manière
prioritaire la gestion du canal (et donc des niveaux d’eau) aux besoins du trafic
fluvial.
Dès lors, VNF gère non seulement les équipements pour la navigation (écluses, etc.),
mais également les équipements d’évacuation des crues 111. De fait, VNF doit
composer avec ces deux missions tout en tenant compte de l’usage maraîchage. Or,
l’évacuation des eaux ne peut se faire dans l’ignorance des règles de sécurité pour la
navigation, le maintien d’un faible niveau de l’eau dans le canal n’est pas toujours
compatible avec la navigation, etc.
Dans la réalité, cette gestion apparaît en fait comme une affaire de compromis qui va
s’instaurer à partir des années 1980.
109Service Maritime Boulogne Calais, Port de Gravelines, Port Autonome de Dunkerque, Service de la
navigation de Saint-Omer, etc.
110 Depuis 1991, l’État a confié à VNF la gestion des voies navigables et des ports dépendant du
domaine public fluvial. VNF succède à l’Office Nationale de la Navigation et sa mission comprend,
en parallèle, une politique de promotion et de développement des transports fluviaux.
111En certaines circonstances exceptionnelles, le préfet peut notamment imposer aux SN d’actionner le
dispositif d’évacuation des crues même si la côte de déclenchement n’est pas atteinte, en particulier
par solidarité avec les bassins versants amont traversés par le canal à grand gabarit afin d’y prévenir
ou d’y réduire des inondations.
262
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les années 1980 témoignent, en effet, des premières tentatives de la part des
maraîchers et du service chargé de la gestion des niveaux d’eau d’un rapprochement
et de concertation.
Ces tentatives se traduisent dans un premier temps par des compromis sur le niveau
général du plan d’eau. D’un commun accord (accord verbal, sans aucune force
réglementaire) avec la profession maraîchère en 1980, le niveau général du plan
d’eau (2,35 IGN 112) est abaissé par les SN à 2,25 IGN à la sortie de l’hiver jusqu’au
milieu du mois de novembre 113. Cet accord tacite, sans force juridique, a globalement
donné satisfaction à la profession maraîchère jusqu’en 1993.
Ainsi, afin de respecter cet accord, les dispositifs de pompage de l’IIW sont sollicités
même en période d’absence de crue. À un coût de fonctionnement estimé à 1 M€ par
an pour la collectivité (en consommation d’électricité), d’aucuns considèrent que les
263
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Dans le cadre du SAGE, une étude spécifique a été lancée sur la « gestion des crues
de l’Aa et des niveaux d’eau dans le marais ». Avec les inondations comme toile de
fond, le conflit quantitatif entre les SN et les maraîchers est pris en compte. Les
réunions des groupes de travail ont permis d’améliorer la communication entre les
deux parties, qui ont pu conclure un accord en septembre 2000. En effet, lors d’une
rencontre entre la profession agricole et les SN (et en présence du Préfet), ces
derniers se sont engagés à installer un dispositif de trois points de mesure dans le
marais afin que les maraîchers puissent disposer de repères. Par ailleurs, l’accord de
1995 a été revu et désormais le niveau sera maintenu à 2,22 IGN « dans la mesure du
possible » 115. L’accord reste tacite, mais la publicité dont il a fait l’objet lui confère un
statut proche d’une réglementation.
115En fait, selon un représentant du Parc, il semble que 2,27 IGN (même plus) suffirait à l’exploitation
par les maraîchers, mais en raison de la difficulté à maintenir un niveau d’eau stable, ceux-ci ont
demandé (et obtenu) un niveau inférieur pour davantage de garanties.
264
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
vers un protocole d’accord écrit. Pourtant, nous pouvons regretter que seuls les deux
usages « dominants » soient représentés (maraîchage et navigation, l’usage
inondation étant implicitement considéré par l’usage maraîchage), en l’absence
d’autres usagers ou de leurs défenseurs (le Parc par exemple pour ce qui concerne la
protection de la nature).
Nous nous trouvons clairement ici dans une configuration de gestion locale du
conflit d’usage via des ajustements des pratiques permis par de réelles négociations.
Un dialogue a été engagé en ce sens. D’abord initié entre usagers « dominants » et
administrations, il s’est étendu à d’autres usagers via les réunions techniques de
suivi de l’étude lancée dans le cadre du SAGE sur la gestion des niveaux d’eaux dans
le marais. Toutefois, le premier cercle de dialogue demeure isolé du second et
semble conserver la maîtrise des décisions. Ainsi, l’étude sur les niveaux d’eau
semble constituer un grain de sable dans ces rouages bien huilés. En effet, les porte-
parole des maraîchers réussissent à imposer leur vision : des accords partiels sont
acceptés au sein des groupes de travail (ouverture de casiers en hiver, par exemple)
mais ils sont remis en cause régulièrement lors des séances de la CLE. Dans
l’ensemble, c’est toutefois bien le dialogue local qui a permis de parvenir à une
gestion, certes partielle, de ce conflit d’usage.
265
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
est engagé grâce aux échanges d’informations et à la réflexion collective permis dans
le cadre de l’élaboration du SAGE. De ce point de vue, le processus consensuel qui
épaule cet instrument de la politique publique nationale de l’eau semble porter ses
fruits.
266
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Ainsi que le remarque Boltanski (1990, p. 133), « c’est en effet la possibilité pour un
argument de prétendre à une validité universelle qui soutient son objectivité et qui le rend
acceptable par les autres ou, comme disent les gens, incontestable ». Nous constatons aussi
que les SN n’ont pas besoin de cette « montée en généralité » pour justifier leurs
actions, qui s’inscrivent quant à elles dans le monde industriel (efficacité du trafic
fluvial, maîtrise des flux du canal…). La justification civique est également mobilisée
avec l’argument de l’intérêt général, qui suffirait pour justifier une gestion des
niveaux d’eau exclusivement en fonction de la navigation.
Dans l’évolution de ce conflit, le SAGE représente une mise en proximité des acteurs
qui, auparavant, avaient toujours interagi par l’intermédiaire des élus et donc jamais
de façon directe. Dans la mesure où la rivière et ses milieux nous semblent créer une
proximité environnementale, les problèmes organisationnels qui en découlent sont
susceptibles de favoriser un autre type de proximité, cette fois organisée. Nous
l’avons vu, le conflit issu de la proximité environnementale partagée par les deux
usages a engendré une volonté de proximité organisationnelle matérialisée par les
protocoles de gestion successifs. Cependant, la proximité institutionnelle entre les
acteurs de ce conflit est loin d’être évidente. En effet, si ceux-ci partagent un espace
de rapports commun (ils sont insérés au sein d’une structure commune), ils
n’adhérent pas pour autant au même système de représentations ou de règles
d’actions ; la convergence des points de vue et des intérêts est ainsi limitée et le
consensus auquel les acteurs sont arrivés demeure un consensus instable.
267
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
La partie aval de l’Aa et le marais constituent les secteurs où la nature est la plus
fortement sollicitée par les activités industrielles. Le problème se pose notamment en
termes d’altération de la qualité de l’eau due aux rejets industriels.
Tableau 10 - Respect des autorisations de rejets des industries de l’Audomarois (en 2000)
À partir des années 1960, les activités industrielles se développent, augmentant ainsi
les rejets dans l’eau (souvent directement dans le marais, sans aucun système
d’épuration). Malgré l’ampleur de la pollution, l’apport des établissements
industriels à l’économie de la région justifie la poursuite de ces activités. À cela
s’ajoute l’absence de prise en compte de l’usage « protection de l’environnement » en
tant qu’usage de l’eau à part entière jusqu’au début des années 1970. La nature est
268
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
considérée comme une ressource inépuisable et dont l’usage (en l’occurrence les
rejets industriels) peut être illimité.
Cette situation est à l’origine d’un conflit qui oppose l’activité industrielle à celle de
la pêche, le droit de pêche étant, en effet, évincé par le droit d’usage de l’eau des
entreprises. Les associations de pêche ont perdu un grand nombre d’adhérents en
raison des pollutions régulières provoquées par les industries. Parallèlement, l’usage
« protection de l’environnement », commence à prendre de l’ampleur : une action
spécifique à la sauvegarde du marais dans le Contrat Ville Moyenne en 1973, la
création de l’association « Nord Nature Saint-Omer » cette même année, la politique
de préemption au titre des ENS en 1979, etc. L’étendue du régime institutionnel
augmente avec la prise en compte de ce nouvel usage. Tant au niveau international,
national ou local, l’environnement est perçu non seulement comme une ressource à
exploiter, mais également comme une ressource à préserver, et le droit lié à cet usage
commence à se traduire par des actions concrètes. Le souci de la population en
termes d’environnement est croissant, ce qui peut aussi être lié au développement
269
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Dans les années 1970, quelques industries se dotent de systèmes d’épuration pour
répondre aux nouvelles exigences de qualité des rejets. Cependant, les améliorations
conquises sont provisoires, les investissements réalisés deviennent rapidement
obsolètes et la réglementation n’est pas toujours respectée. Malgré la loi de 1976
relative aux ICPE, le problème de pollution des eaux persiste.
270
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Étant donné que la source de la pollution est bien définie (il y a un seul
« coupable »), l’entente entre le reste des acteurs est relativement facile à atteindre et
le processus évolue dans le sens voulu par le Parc (même si, selon un ancien
responsable du Parc, le comité « n’avait rien d’amiable » et « c’était le combat
permanent »). Par ailleurs, les élus du marais, issus du département du Pas-de-Calais
et faisant l’objet de pressions de la part de la population et des associations de pêche,
manifestent un intérêt limité à l’égard de l’entreprise. En effet, dans la mesure où
cette dernière est située dans une des communes du département du Nord, son
influence sur les élus du Pas-de-Calais est limitée. Autrement dit, l’entreprise
polluante se situe en dehors du champ d’action politique des élus des victimes. Dès
lors, le pouvoir de pression de Bonduelle, contrairement à d’autres entreprises du
bassin, n’est pas suffisant pour persuader les élus de limiter les contraintes liées au
comité de concertation.
Progressivement, le Parc réussit à faire passer le message (qu’il partage avec les
associations de protection de l’environnement) de la nécessité d’une gestion globale
271
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Suite à cette concertation et à l’instar des collectivités locales, les entreprises mettent
en place des systèmes d’épuration de leurs effluents qui permettent de réduire
considérablement l’impact négatif de ces rejets dans l’Aa et le marais. Quant à
l’entreprise Bonduelle, elle obtient le droit d’utiliser, après traitement, un deuxième
point de rejet de ses eaux usées dans le canal (qui vient s’ajouter à son point de rejet
dans le marais) et réalise un nouveau système d’épuration. Ce contexte d’urgence
permet également la mise en place d’un dispositif de mesure de la pollution
aquatique financé majoritairement par l’Agence de l’eau, ce qui n’est pas sans effet
sur le comportement des entreprises (il s’est avéré fortement incitatif). Plus
récemment, certaines entreprises ont élaboré, de leur propre initiative, des Chartes
de qualité ainsi que des certifications ISO, qui définissent leurs objectifs en matière
d’environnement, notamment en matière de rejets.
Le projet de SAGE, dont le document a été rédigé entre 2000 et 2004, intègre dans ses
orientations la maîtrise des pollutions d’origine industrielle même si le contrôle de la
DRIRE laisse une marge de manœuvre limitée. Dans l’ensemble, si l’activité
industrielle dans l’Audomarois a un impact important sur la ressource en eau, il faut
convenir de l’existence de réductions sensibles de cet impact au cours des trois
dernières décennies. Actuellement, la pollution industrielle ne semble plus être un
problème majeur dans l’Audomarois et les « efforts faits par les industriels »118 sont
reconnus par l’ensemble des acteurs rencontrés (même par les pêcheurs et le Parc).
117Les améliorations des dispositifs d’épuration peuvent bénéficier de subventions s’élevant à 60% du
coût total.
118 Nous reprenons ici l’expression mentionnée de manière récurrente par les personnes rencontrées.
272
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
273
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Nous voyons ainsi qu’initialement, les industries possédaient des droits d’usage
tacites, car les pollutions, même régulières, restaient impunies. Ceci s’accompagne
de dispositifs de régulation publique insuffisants et sectoriels : la réglementation des
ICPE n’empêche pas les accidents, l’activité industrielle est encouragée par les
autorités locales, les casiers hydrauliques construits par les agriculteurs favorisent la
concentration de polluants… Le changement s’esquisse au moment où d’autres
acteurs exigent le rééquilibrage des droits d’usage. Parallèlement, le Parc et l’Agence
de l’eau réussissent à rendre compatibles leurs objectifs respectifs tout en évitant les
conséquences des politiques nationales sectorielles. La combinaison de l’action des
acteurs locaux et celle de deux structures situées à un niveau territorial
274
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
On se trouve clairement ici dans une configuration de mise en œuvre d’une politique
publique dans un contexte local approprié. Celle-ci, toutefois, n’aurait peut-être pas
vu le jour sans l’action spécifique du Parc et sa vision globale du territoire. Le Parc a
profité de la dynamique initiée et des relations déjà établies entre usagers et
administrations afin d’asseoir le principe de l’élaboration du SAGE. Celui-ci s’inscrit
ainsi dans une dynamique déjà initiée, il prolonge un processus déjà entamé et
n’émerge pas ex-nihilo. En effet, l’expérience du comité de concertation est jugée par
les acteurs rencontrés comme un élément qui a grandement facilité le lancement de
la procédure du SAGE. Autrement dit, la proximité organisationnelle, voire
institutionnelle amorcée entre les acteurs à l’issue d’un conflit localisé, est un facteur
positif pour la mise en place d’une concertation négociée sur le territoire du basin
versant. Ceci renforce l’idée que nous avons avancée dans le premier chapitre, selon
laquelle le conflit n’est pas négatif per se, il« ne constitue pas la dernière étape de la
dégradation d’une relation » et « c’est une modalité de coordination des acteurs (…), un lien
social, avec son histoire, ses développements, ses pics et ses moments d’apaisement » (Kirat
et Torre, 2004, p. 16).
275
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Jusqu’à la fin des années 1960 environ, et selon les informations (limitées en raison
de la date) dont nous disposons, aucune référence n’est faite quant à une éventuelle
surexploitation de la nappe. Il est vrai, comme nous l’indiquions précédemment,
276
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
l’exploitation des eaux souterraines est restée longtemps une activité non
réglementée. Ainsi, selon le Code civil, « celui qui a une source dans son fonds peut
toujours user des eaux à sa volonté dans les limites et pour les besoins de son héritage »
(art. 642).
C’est vers la fin des années 1960 que se révèle la surexploitation de la nappe de la
craie dans l’Audomarois. Coïncidant avec la période de développement économique
de la fin des Trente Glorieuses, la région de Dunkerque attire vers elle des
établissements industriels pour créer un pôle industriel d’importance régionale (afin
de contrebalancer la crise que connaît le bassin minier), et son corollaire de besoin en
eau. Par ailleurs, la population de la région de Lille augmente, et avec elle les
besoins d’AEP. Si on ajoute à cela la prise de conscience environnementale des
années 1970 (cf. supra), on voit l’origine d’un conflit apparaître entre, d’une part, les
besoins en eau potable des régions extérieures à l’Audomarois et les besoins en eau
industrielle et, d’autre part, la protection de l’environnement, via la surexploitation
de la nappe. En effet, la préservation du marais est subordonnée à des apports
importants d’eau soumis aux interactions complexes avec la nappe. L’exploitation
abusive de cette ressource a nécessairement un impact sur la biodiversité de cette
zone humide car, non seulement les apports d’eau sont moindres, mais la qualité de
celle-ci (provenant donc majoritairement des eaux superficielles plus polluées) est
également inférieure. Cependant, à l’instar du conflit précédent, l’usage « protection
de l’environnement » ne jouit d’aucun droit d’usage de l’eau jusqu’aux années 1960-
70. Il n’existe en l’occurrence aucune réglementation qui en tienne compte jusqu’à la
loi sur l’eau de 1964. Par ailleurs, la connaissance des dynamiques hydrogéologiques
du bassin (phénomènes de transfert, fracturation, relations entre les couches, etc.)
sont encore aujourd’hui limitées ; cette incertitude n’a pas favorisé une prise en
compte rapide des impacts des prélèvements sur le milieu aquatique.
La nappe est principalement sollicitée pour l’AEP, tout particulièrement pour l’AEP
de communes extérieures au bassin audomarois (qui ne disposent pas de ressources
en eau souterraines). De plus, le secteur où les prélèvements sont les plus intenses
277
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
est celui du marais, c’est-à-dire celui où la richesse naturelle est le plus présente (cf.
Annexe 2).
Concernant les prélèvements industriels, les captages d’eau ont été la cible d’une
politique réglementaire progressive visant à sa protection. Ainsi, au cours de la
première moitié des années 1970, l’un des objectifs contenus dans le programme
119 Le SMAERD (27 communes) gère la production, l’adduction et la distribution d’eau potable. La
production d’eau potable, l’exploitation et le renouvellement du réseau sont confiés à la Lyonnaise
des Eaux dans le cadre d’un contrat d’affermage expirant en 2005.
120 Communauté d’Agglomération de Saint-Omer. Le District de Saint-Omer est devenu CASO le 1er
janvier 2001. Ce champ captant est géré par la Société des Eaux de Saint-Omer (Générale des Eaux)
pour le compte de la CASO.
121 Syndicat Intercommunal de Distribution d’Eau du Nord.
278
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
9000000
8000000 8323588
7000000
6000000
5000000
4000000
3000000
2000000
1000000
0
1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002
122 Le Livre Blanc du bassin Artois-Picardie élaboré en 1972 met l’accent sur la gestion « rationnelle »
des eaux souterraines et superficielles. Parmi les grandes orientations, on retiendra notamment : 1)
« renoncer à exploiter systématiquement les ressources en eau souterraine des hauts bassins pour éviter un
assèchement des rivières qui drainent ces nappes » ; 2) « Exploiter, après les avoir régularisées, les eaux
superficielles de ces cours d’eau en amont de leur confluent avec les grands axes hydrauliques » ; 3) « utiliser
dans les zones aval le réservoir souterrain de la nappe de la craie en y injectant des eaux de surface de qualité
satisfaisante » ; 4) « affecter l’eau de la nappe en priorité aux usages domestiques et protéger la qualité de ces
nappes ».
279
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Nous pouvons considérer que les prélèvements industriels d’eau souterraine sont
aujourd’hui stabilisés. Toutefois, ceux-ci constituent toujours une très forte
sollicitation de la nappe.
280
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
C’est néanmoins au niveau de l’AEP que les incertitudes principales sur la maîtrise
des prélèvements demeurent, et par conséquent sur les impacts engendrés sur la
ressource en eau. Le cas du champ captant de Houlle-Moulle est révélateur des
prélèvements excessifs. En effet, les prélèvements dans le champ captant de Houlle-
Moulle sont devenus si élevés (entraînant un phénomène de rabattement de la
nappe) que celle-ci a dû être alimentée par les eaux superficielles. Ainsi, depuis 1971,
un système de pompage dans la rivière Houlle permet de réalimenter la nappe (selon
les années, entre trois et cinq millions de m3 /an sont ainsi « injectés »). Or, ce
pompage est si important qu’il se traduit parfois par une inversion du courant de la
rivière : au lieu de couler vers le canal et de l’alimenter, il se trouve que c’est l’eau
du canal qui vient alimenter la rivière ! En outre, la mauvaise qualité de l’eau du
canal a rapidement conduit à la mise en place d’un dispositif de traitement de l’eau
pompée dans la rivière avant son injection dans la nappe. Ainsi, il se trouve que c’est
l’eau du canal (et donc du marais) qui contribue à l’alimentation en eau potable.
124 Selon les données recueillies auprès de l’Agence de l’eau (AEAP, 2004b), le volume annuel prélevé
dans les eaux superficielles par Arc International n’a jamais été inférieur à 780.000 m 3 (l’Agence de
l’eau ne dispose les données concernant les prélèvements dans les eaux superficielles que depuis
1992).
281
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les besoins en eau potable, qui avaient fortement augmenté pendant les années 1970,
se sont globalement stabilisés aujourd’hui mais le bilan hydrologique dans le sous-
bassin du marais demeure déficitaire. Deux éléments permettent de limiter
partiellement cette tension : d’un côté, la réglementation s’appuie sur la gestion de
l’espace pour protéger la ressource ; d’autre part, le SAGE réunit pour la première
fois les acteurs de l’ensemble du bassin sur cette problématique. Cependant, les
collectivités locales restent réticentes à limiter leur potentiel de développement et la
maîtrise des enjeux reste sous le contrôle d’un nombre limité d’acteurs.
La loi sur l’eau de 1964 prévoit la mise en place de périmètres de protection des
captages d’eau destinés à l’alimentation des collectivités humaines. Ceux-ci sont
prescrits par une déclaration d’utilité publique (DUP), procédure obligatoire depuis
la loi sur l’eau de 1992. Ces périmètres visent à protéger les abords immédiats du
captage et son voisinage et ils prennent la forme de trois zones (périmètres de
protection immédiate, rapprochée et éloignée) dans lesquelles des contraintes plus
ou moins fortes sont instituées afin d’éviter la dégradation de la ressource. Dans le
Pas-de-Calais, c’est la DDAF (au sein de la MISE) qui instruit la procédure mais dans
l’Audomarois, 80% des forages d’eau potable n’ont toutefois pas achevé cette
procédure (celle-ci est « en cours » ou elle n’est pas encore engagée). Ceci est
largement dû au blocage exercé par des collectivités locales. En effet, ces périmètres
impliquent une restriction des usages du sol, tout particulièrement le développement
de zones d’habitat et d’activités économiques. Selon un représentant de l’Agence
d’urbanisme de Saint-Omer, dans le champ captant de Saint-Martin-au-Laërt
(CASO), plusieurs études ont été menées sur le périmètre de protection, mais sa
définition a été rendue impossible parce qu’il rendait les terrains inconstructibles.
Cette situation illustre selon lui « le "block-out" au niveau de l’urbanisme pendant 10
ans ». Les réticences de certaines communes à accepter la création de périmètres de
protection traduisent, en effet, une maîtrise de leur part du degré de mise en œuvre
de la politique publique à travers leur compétence en matière d’affectation des
usages des sols (via l’élaboration des documents d’urbanisme). En d’autres termes,
l’action publique est freinée par le droit foncier de certaines collectivités locales qui
ne sont pas forcément conscientes de l’intérêt de cette protection ou, tout du moins,
282
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
qui placent cet enjeu en deçà d’enjeux économiques. Bien entendu, ce constat
interroge l’intérêt de voir le principe de subsidiarité s’appliquer dans ce cas de
figure afin de protéger la ressource en eau (devant les « manquements » des
collectivités locales, des mesures de protection pourraient être réalisées par une
autorité supérieure).
L’enjeu des eaux souterraines a néanmoins été pris en compte dès le début des
années 1990 lors des dernières réunions du comité de concertation mais surtout lors
de l’élaboration du SAGE, où la « sauvegarde de la ressource en eau » est l’une des
six orientations stratégiques. Les réunions du groupe de travail « nappe » ont été
l’occasion, pour la première fois, de traiter cet enjeu à l’échelle territoriale du bassin.
Le SAGE préconise ainsi la baisse des prélèvements dans les secteurs urbanisés (où
la protection des captages est difficile à mettre en place) et la stagnation de ceux du
secteur aval, ainsi que la recherche de nouvelles ressources à l’amont. Néanmoins,
nous pouvons nous interroger sur l’efficacité relative de celui-ci une fois approuvé,
si les droits fonciers des collectivités locales ne sont pas pris en considération. Le
SAGE reconnaît en effet que « l’application des mesures imposées par les DUP (…) n’est
pas toujours facile dans les faits » (PNR CMO, 2005). Le processus d’élaboration du
SAGE a, certes, permis d’affirmer la réalité de la surexploitation, le lien avec les
documents d’urbanisme125 et le déficit de connaissance des phénomènes
hydrologiques, mais force est de constater le monopole d’un nombre réduit d’acteurs
sur le traitement de cette question.
125 Parmi les mesures opérationnelles, on compte « intégrer les parc hydrogéologiques dans les documents
d’urbanisme comme zones sensibles », « limiter l’implantation de toute activité susceptible de produire une
pollution résiduelle préjudiciable » ou encore « favoriser une gestion de l’espace sans risque pour l’eau
souterraine ».
126 Le silence sur ce point de la part d’une grande majorité des personnes que nous avons rencontrées
à l’occasion de ce travail témoigne du caractère confidentiel du traitement de ces deux enjeux.
283
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En fait, pour ce qui concerne les prélèvements d’eau souterraine, nous pouvons
difficilement évoquer l’existence d’une proximité organisée entre les acteurs sur
l’ensemble du bassin. Notre analyse semblerait conforter plutôt l’idée d’actions
réalisées au coup par coup, en fonction de l’intérêt que suscitent les mesures
proposées, en particulier par l’Agence de l’Eau. Ce n’est que récemment dans le
cadre de l’élaboration du SAGE, avec la réalisation d’une étude sur les eaux
souterraines (Burgéap, 1995), puis la mise en place d’un groupe de travail, que cette
problématique est considérée à l’échelle de l’Audomarois, voire d’autres bassins
versants. Certes, le Parc s’affirme comme un nouvel acteur coordonnateur dans ce
domaine à travers son rôle d’animateur du SAGE, mais pour l’heure cependant, il
n’a pu accéder aux arènes de décision sur les questions touchant aux prélèvements
d’eau.
En effet, une initiative de rééquilibrage des droits a été développée à travers le CRE
de Houlle-Moulle. Ce type de contrat, proposé par l’Agence de l’eau au début des
années 1990, exprime un esprit de solidarité entre la collectivité gardienne de la
ressource et les collectivités utilisatrices de celle-ci. Le principe est d’instaurer une
solidarité financière entre les communes ayant accès aux eaux souterraines (qui
doivent donc investir et subir des contraintes pour protéger la ressource) et les
284
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
communes qui consomment cette ressource sans en subir les contraintes. Ainsi, en
2000, plusieurs collectivités de l’Audomarois et du Dunkerquois, ainsi que l’Agence
de l’eau, ont signé un CRE afin de préserver la qualité des eaux distribuées à partir
du champ captant de Houlle-Moulle. Dans ce cadre, il a été prescrit en priorité la
réalisation de l’assainissement des communes situées sur le champ captant et la
maîtrise de la pollution des élevages (on trouve là deux conflits d’usage sous-jacents
à ceux que nous avons évoqués). Un dispositif original (redevance spécifique sur la
zone de distribution, aide au fonctionnement de l’assainissement) a été mis en place
afin de maintenir le prix de l’eau dans les limites acceptables pour les communes
audomaroises dont l’assainissement va être amélioré 127. L’Agence de l’eau se fait ici
l’intermédiaire entre deux territoires dans le cadre d’un contrat. Le succès limité de
ce type de contrats montre que « la solidarité (…) entre les gardiens et les bénéficiaires de
la ressource est (…) délicate à mettre en œuvre compte tenu des coûts élevés engendrés par la
protection et les transferts » (AEAP, 2004a, p. 6).
127La répartition des financements de ce contrat est la suivante : Agence de l’eau (67,85%), Conseil
Général du Pas-de-Calais (16,56%), SMAERD (14,6%) et la Lyonnaise des eaux (1%).
285
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Le travail que nous avons mené sur les conflits d’usage dans le bassin versant de
l’Audomarois nous a permis d’identifier certaines constances dans ce territoire en ce
qui concerne l’origine des conflits, les objets sur lesquels ils émergent, les
manifestations des antagonismes et les éventuelles tentatives de gestion ou de
résolution de ceux-ci. La diversité des situations n’empêche pas, au-delà des
spécificités de chaque cas, de mettre en évidence un certain nombre d’éléments
communs aux conflits d’usage étudiés.
À partir des enseignements tirés de l’analyse des conflits dans l’Audomarois, nous
serons ensuite à même de nous interroger sur le caractère intégré de la gestion de
l’eau dans ce territoire. Pour ce faire, nous présenterons les éléments qui vont dans
le sens d’une gestion intégrée de l’eau telle que nous l’avons envisagée dans le
chapitre précédent. Finalement, nous tenterons de mettre en évidence les limites ou
les facteurs de blocage d’un processus de gestion intégrée et d’envisager des
modalités de dépassement de ces limites.
Contrairement aux conflits autour d’un projet d’aménagement, qui naissent souvent
d’une situation d’anticipation (dès l’annonce de la construction d’une infrastructure
de transport, d’un barrage ou d’une usine d’incinération, par exemple), les conflits
que nous avons observés autour de l’usage de l’eau dans l’Audomarois montrent que
c’est souvent un usage effectif qui est perçu comme nuisant à un autre usage. Dans le
conflit qui oppose l’agriculture à la protection de l’environnement et dans celui entre
286
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Les quatre conflits que nous avons analysés128 en priorité dépassent le cadre de
l’affrontement interindividuel et intéressent un nombre conséquent d’acteurs. Le
besoin de justification est un élément important car il constitue le noyau autour
duquel les acteurs vont se retrouver. Le besoin de « monter en généralité » est dans
ce cas indispensable pour justifier un point de vue qui peut en réalité n’intéresser
qu’un groupe limité d’acteurs. L’expression d’un argumentaire de justification est
particulièrement importante pour les usages « privés », c’est-à-dire pour les acteurs
qui ne relèvent pas des services de l’État ou d’établissements publics. Ces derniers
tendent plutôt à s’appuyer sur « l’intérêt général » pour fonder leurs décisions et
comportements, et cet argument semble être suffisant pour justifier leurs actions. À
titre d’exemple, dans le cas du conflit qui oppose les Services de la navigation et les
maraîchers, les premiers ont longtemps ignoré l’affrontement et refusé d’accepter le
dialogue avec les maraîchers. Ce refus était justifié par les gestionnaires par le fait
que leur gestion des niveaux d’eau répondait à l’intérêt général et que celui-ci
s’imposait face aux intérêts particuliers des maraîchers.
128 Agriculture et maraîchage vs. Protection de l’environnement, Navigation vs. Maraîchage, Industrie
vs. Protection de l’environnement et pêche, Prélèvements (AEP et industriels) vs. Protection de
l’environnement.
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Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
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Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
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Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
La localisation des usagers de l’eau prend une importance non négligeable dans le
déroulement des conflits, dans la mesure où l’inégalité face à l’espace s’avère un
facteur qui pèse lourd dans la balance des négociations entre les acteurs. Comme le
souligne Torre (2000, p. 415), « tous les individus ou toutes les organisations ne se
trouvent pas dans une position identique face à la relation de proximité géographique ».
Dans le cas des conflits d’usage autour de l’eau, nous pouvons affirmer que cette
inégalité face à l’espace est bien réelle, et elle prend une forme particulière : les
individus ne sont en effet pas dans une position identique face à la relation de
proximité environnementale. Ainsi, la fragilité du marais et les contraintes naturelles
supportées par les activités qui s’y trouvent par rapport à la vallée de l’Aa sont
constamment présentées comme des arguments justifiant le besoin d’une prise en
considération spécifique de ce sous-bassin. La plus grande vulnérabilité du secteur
du marais aux inondations et aux variations des niveaux d’eau a été à la base du
regroupement des maraîchers et a pris une place prépondérante dans leur discours
de légitimation. La preuve de l’efficacité de cette démarche est qu’un groupe de
travail, dont l’objectif est de « définir un document d’objectifs pour la sauvegarde du
marais129 » (PNR CMO, 2005) a été mis en place par les élus du marais exclusivement
pour traiter de ce territoire. De plus, le SAGE intègre, non seulement une orientation
stratégique dédiée exclusivement au marais, mais il a également annexé une grande
partie du « document d’objectifs ».
129 Il est intéressant de soulever que les intérêts privés des agriculteurs lors des conflits d’usage sont
souvent présentés comme des intérêts communs et les noms des collectifs des porte-parole est
révélateur (l’association d’agriculteurs du lac de Grand-Lieu opposée à la hausse des niveaux d’eau
s’appelle « Association pour la sauvegarde des marais ») (Kirat et Torre, 2004).
290
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
En somme, la prise en compte du facteur spatial nous permet de rendre compte, non
seulement de l’objet et de la matérialité des conflits, mais aussi des moyens mobilisés
par les acteurs lors du déroulement de ceux-ci. En effet, l’analyse des stratégies
communes portées par des acteurs « victimes » d’une inégalité face à la relation de
proximité environnementale permet de comprendre non seulement les
interdépendances entre acteurs mais également les modalités d’apparition des
« formes spatialisées d’action collective » (Torre, 2000, p. 415).
En effet, lorsque nous nous sommes intéressée aux conflits d’usage dans
l’Audomarois, les quatre rivalités que nous avons identifiées comme ayant le plus
d’impact sur la gestion de l’eau ont, pour trois d’entre elles, la protection de
l’environnement comme un des usages protagonistes. La complexification du régime
institutionnel de ressource, due à la prise en compte de la protection de
l’environnement comme un nouvel usage, s’est accompagnée de l’apparition de
nouveaux conflits liés à l’émergence de valeurs écologiques. L’usage « protection de
l’environnement » arrive ainsi en « envahisseur » dans un territoire que les usagers
« traditionnels » considèrent comme le leur ; leur usage, car plus ancien, est
considéré plus légitime que les usages liés au développement de nouveaux valeurs.
Même si les acteurs défenseurs de l’environnement ainsi que les agriculteurs et les
maraîchers mobilisent la notion de patrimoine (à laquelle chaque acteur est très
attaché), la nature de ce patrimoine est très différente selon qu’elle serve les intérêts
des uns ou des autres. Ainsi, les uns vont défendre leurs traditions, leur héritage,
291
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
leurs coutumes, leur culture ; les autres vont défendre l’environnement, les
ressources naturelles, la biodiversité. Pour les agriculteurs, la dimension territoriale
de la revendication est très forte et repose sur un puissant sentiment d’appartenance.
Le patrimoine qu’ils défendent a une importante composante identitaire : c’est le
patrimoine culturel, le patrimoine hérité des ancêtres et du passé. Du point de vue
des défenseurs de l’environnement, les revendications sont plus tournées vers
l’avenir, c’est plus le patrimoine du futur qui est en enjeu. Leurs arguments se
fondent davantage sur les textes de loi, le respect des réglementations et l’intérêt
collectif (cité civique).
Une tentative de réunion de ces deux visions du patrimoine est observée de la part
du Parc, notamment au début des années 1990 lorsque celui-ci cherche à légitimer sa
position de coordinateur des actions autour des ressources en eau après l’expérience
du comité de concertation. Le Parc entend représenter les deux visions de
patrimoine, de fait du contenu de la charte du Parc qui mentionne la nécessité de
garder un équilibre entre les activités économiques et la protection des milieux
naturels. À titre d’exemple, dans une proposition d’article pour la revue des Parcs en
1994, nous retrouvons, parmi les « idées forces » du SAGE Audomarois : « le premier
SAGE au niveau national qui s’appuie sur un territoire de Parc et qui peut faire valoir
l’approche patrimoniale ».
292
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Dans notre questionnement sur le fondement d’une gestion intégrée de l’eau, nous
avons identifié quatre dimensions qui donnent, selon nous, un contenu théorique
satisfaisant à cette notion. Rappelons ces éléments qui caractérisent une gestion
intégrée des ressources en eau :
Sur la base de cette approche et compte tenu de l’analyse de la gestion de l’eau que
nous avons effectuée, nous allons tenter de tester chacune de ses dimensions dans le
bassin versant de l’Audomarois.
Nous situons le premier moment clé environ dans les années 1960 et il correspond à
la prise en compte de l’usage industriel en tant qu’usage de l’eau, en termes
quantitatifs mais aussi qualitatifs. Le deuxième moment est plus difficilement
localisable dans le temps mais correspond à l’émergence des préoccupations
environnementales et donc à la prise en considération de l’usage « protection de
l’environnement » au sein du régime institutionnel de l’eau. Les premiers signes de
ces nouvelles valeurs environnementales apparaissent vers la fin des années 1970
293
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
mais leur importance baisse dans les années 1980 pour ressortir avec vigueur au
début des années 1990.
En effet, nous avons vu que les années 1960 marquent une période de
développement industriel particulièrement intense. Parallèlement, l’action de l’État
se caractérise par un fort interventionnisme qui se traduit par la mise en place de
programmes d’investissement très lourds. C’est notamment l’important coût de ces
investissements qui a conduit à la définition d’une approche planificatrice dans le
domaine de l’eau car de tels montants nécessitaient une programmation
pluriannuelle. C’est ainsi que la prise en compte de l’usage industriel peut être
considérée comme l’un des déclencheurs d’une des innovations les plus importantes
de la politique de l’eau française : la création des Agences de l’eau et la définition
d’une entité territoriale spécifique à la gestion de l’eau (le bassin versant). Dans
l’Audomarois, en raison de l’importance de l’industrie locale dans le développement
économique de la zone, l’introduction de l’usage industriel parmi les usages de l’eau
n’a pas eu de répercussions particulières, car les emplois industriels étaient la voie
de secours pour la crise de l’agriculture traditionnelle. Nous pouvons mettre en
rapport ce transfert sectoriel de travailleurs avec un transfert symbolique des droits
d’usage sur l’eau.
L’étendue du régime institutionnel de l’eau a atteint son niveau le plus élevé avec la
prise en considération des préoccupations environnementales, ce qui a eu comme
conséquence immédiate la complexification du régime et la mise en évidence de
tensions entre l’usage « protection de l’environnement » et les autres usages
considérés par le régime auparavant. Au niveau national, cela s’est traduit par la loi
sur l’eau de 1992 qui dépassait la vision relativement « techniciste » de la loi de 1964
(quand bien même elle intègre les exigences de la « vie biologique du milieu récepteur »,
son application a été quasi exclusivement basée sur le financement d’installations de
dépollution et des missions curatives) en mettant en place une « planification
décentralisée » de la politique de l’eau. Les acteurs locaux sont ainsi responsables de
la fixation des objectifs, des instruments et de l’organisation de la prise de décision.
294
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
295
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Si le comité de concertation a été une démarche initiée par les acteurs locaux selon
une formule que l’on s’accorde à qualifier de « bottom up », la procédure qui prend
le relais, bien qu’oeuvrant également dans le sens d’une plus grande proximité entre
les acteurs, demeure une politique publique dont les contours sont définis par la loi.
Il ne s’agit plus d’une initiative proposée par des acteurs publics territorialisés mais
d’une politique de type « top down ». Le SAGE constitue ainsi un nouvel outil de
planification de la gestion de l’eau, dont l’originalité consiste à prendre en
296
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Le SAGE est ainsi conçu pour réunir les acteurs du bassin, jouissant des droits
d’usage sur l’eau mais ayant des points de vue différents sur ces usages, afin de faire
partager les visions respectives et faire émerger une préoccupation commune. Dans
ce sens, le SAGE favorise une proximité organisationnelle entre des acteurs déjà
proches en termes environnementaux, sur la base du partage d’un espace de
rapports (la structure de décision du SAGE). Par ailleurs, le SAGE a aussi pour
ambition d’élaborer un cadre cognitif commun, en favorisant l’adhésion des acteurs
participants à un espace de représentations commun (partage de valeurs, des
intérêts…). Comme le souligne Longuépée (2004, p. 16), « créer un territoire, c’est dire
si leur ambition est grande... ».
Le SAGE de l’Audomarois a réussi à soulever une grande partie des défis posés lors
de son lancement, notamment en ce qui concerne la cohérence entre les politiques
publiques et les droits de propriété/usage. Il a notamment « survécu » à une période
de crise non négligeable, en montrant au passage certains des points faibles de la
procédure (cf. infra). En effet, le Parc se saisit de la nouvelle procédure dès
l’approbation de la loi et lorsque les décrets d’application n’étaient pas encore
publiés. Le Parc compte ainsi profiter de la dynamique initiée dans le cadre du
comité de concertation mais à une échelle territoriale adaptée à l’eau ainsi qu’aux
politiques publiques menées par le Parc. La CLE, structure de cristallisation des
débats et organe de décision, est composée avec un souci de représentativité des
usagers disposant des droits de propriété et (surtout) d’usage sur l’eau. Ces usagers
vont établir un diagnostic et décider, suite à un processus de négociation, des enjeux,
des priorités et des mesures à mettre en place pour gérer l’eau dans l’ensemble du
bassin en prenant en compte tous les intérêts concernés. L’État définit le cadre et les
297
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Tel que nous l’avons développé dans le chapitre précédent, une gestion intégrée de
l’eau sur un territoire implique selon nous nécessairement la reconnaissance des
conflits d’usage potentiels et/ou avérés entre les usagers de l’eau. Les acteurs
doivent pouvoir accéder à des mécanismes et lieux de coordination où les conflits
sont pris en considération et leur dépassement envisagé. Ces « lieux institutionnels »
faciliteront ainsi l’émergence d’un langage partagé entre les acteurs, élément
essentiel pour la formation d’un groupe cohérent ou « communauté patrimoniale »
susceptible de dépasser les conflits.
Nous voyons ainsi que, lorsque les conflits ont été pris en compte au sein d’une
structure organisationnelle, l’intensité de ceux-ci est relativement stable et le
dialogue et la négociation sont favorisés. Cela a été le cas du conflit entre les services
de la navigation et les maraîchers (via le Préfet) où le conflit a commencé à trouver
298
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
une stabilité (après des années) dès que le protocole de gestion, même défini de
façon complètement tacite, a été mis en place. Le manque de lieux de négociation
permettant à l’ensemble des acteurs d’exprimer leurs intérêts et d’écouter ceux des
autres a laissé la porte ouverte à des confrontations non structurées et variables en
fonction de la conjoncture ; les acteurs maintiennent le conflit « non traité » afin
d’éviter une décision tranchée qui bloquerait définitivement leur capacité d’action.
Pendant longtemps, les conflits ont été perçus par les acteurs locaux comme des jeux
à somme nulle, l’issue correspondant nécessairement à un acteur gagnant et un autre
perdant (Barouch, 1989). Ceci s’est traduit par des comportements de deux types :
soit les acteurs tentaient d’imposer leur position face à l’adversaire sans laisser
entrevoir aucune possibilité de négociation (comme ce fut le cas dans le conflit
autour des niveaux d’eau, notamment pendant les années 1980), soit le conflit était
ignoré et donc non pris en compte du tout (comme pour le conflit opposant
l’agriculture et la protection de l’environnement).
Avec la mise en place du comité de concertation, une partie des conflits a trouvé un
nouveau lieu d’expression, ou tout au moins de cristallisation. Pour la première fois,
le conflit était considéré comme une composante parmi d’autres de la gestion de
l’eau du bassin. Ils concernaient des acteurs, des objets et des comportements dont la
prise en compte était indispensable à l’élaboration de la gestion de l’eau locale (dans
un premier temps à l’échelle du marais).
299
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
La transversalité des politiques publiques ayant un impact sur l’eau a été, dans
l’Audomarois, la dimension la plus difficile à analyser, ce qui laisse penser que
l’effectivité de cette transversalité est loin d’être atteinte. Les principales données
dont nous disposons concernent la période la plus récente, celle qui débute avec le
lancement de la procédure du SAGE Audomarois et concernent, sans surprise,
l’aménagement de l’espace.
130 La loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 portant transposition de la directive cadre européenne sur l’eau.
131 Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) est remplacé par le SCOT en 2000.
300
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Dans la mise en place des politiques publiques, nous avons identifié deux étapes
essentielles qui sont, d’une part, la définition des objectifs et des moyens
(instruments) et, d’autre part, la mise en application sur le terrain des politiques
ainsi définies. La cohérence des politiques publiques de l’eau dans l’Audomarois (et
l’analyse peut être généralisée au niveau national) est affaiblie par ce deuxième
élément. Quand bien même les instruments mis en œuvre correspondent aux
objectifs fixés et les mesures prévues sont adaptées aux usagers cible de la politique
de l’eau, la dispersion des compétences et le manque de coordination des services de
l’État chargés de la police des eaux est source d’incohérences, en particulier de type
organisationnel. Au niveau national, plusieurs rapports parlementaires ou de la
Cour des Comptes ont souligné la trop grande dispersion des services chargés de
l’exercice de la police de l’eau. La dispersion des services et le cloisonnement des
décisions intervenant dans le domaine de l’eau traduit le caractère sectoriel de la
mise en œuvre concrète des politiques publiques de l’eau.
Dans l’Audomarois, nous avons identifié au moins 7 services dont les compétences
concernent en partie le contrôle de l’application de la politique de l’eau : le CSP, la
DRIRE, la DDAF, la DDASS, les Services vétérinaires, le Conseil d’hygiène et la
MISE. Non seulement les compétences de ces différents services sont fragmentées
mais les procédures de coordination prévues ne favorisent pas le partage des savoir-
faire respectifs. À titre d’exemple, la procédure de contrôle des installations classées
est compétence exclusive de la DRIRE, mais dans cette procédure, le savoir-faire
301
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Lorsque nous avons identifié les éléments confortant l’hypothèse d’une cohérence
des politiques publiques de l’eau dans l’Audomarois, nous avons mentionné les
avantages de la procédure du SAGE, une politique publique dont le cadre est fixé au
niveau national mais le contenu est laissé aux mains des acteurs locaux, selon le
principe de subsidiarité. De la même manière, cette politique publique territorialisée
implique certaines limites qu’il convient de souligner ici.
302
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
132Il convient de noter que les moyens humains consacrés à l’animation de la CLE se résument, entre
1992 et 1998, à une personne à mi-temps.
303
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Une politique publique territorialisée (et donc dépendante des décisions issues de la
négociation entre acteurs locaux) peut également avoir comme conséquence une
prise en compte partielle des enjeux du territoire, notamment des tensions et conflits
d’usage existants autour de l’eau.
En effet, nous avons vu que, faute de porte-parole identifié, certaines tensions entre
usages, celle entre la protection de l’environnement et l’agriculture, par exemple,
sont minimisées. Ainsi, l’absence de représentants de l’usage protection de
l’environnement (dont le pouvoir joue un rôle important dans d’autres conflits)
empêche la mise en évidence des problèmes et donc leur traitement lors des
procédures de concertation. Dans l’Audomarois, certaines associations ont, pendant
un moment, joué ce rôle, mais elles n’ont pas réussi à défendre et maintenir
durablement leur position. La DIREN, qui est censée représenter l’intérêt général
dans le domaine de la protection de l’environnement au sein des services de l’État,
semble être restée dans un rôle purement technique et pas spécialement impliquée
dans les négociations concernant son domaine. Ce manque de représentativité est à
mettre en lien avec la structuration du réseau de décision que constitue la CLE. En
effet, celle-ci est composée de trois groupes : l’État, les collectivités territoriales et les
usagers, mais ce dernier est très hétérogène et comprend des acteurs divers comme
des compagnies de distribution d’eau, des riverains ou encore des syndicats
professionnels. La répartition des pouvoirs implique une sur-représentation des
communes et donc des maires et une dilution des pouvoirs des usagers, notamment
au détriment des associations de protection de l’environnement. Par ailleurs, la
délégation aux pouvoirs locaux du pouvoir de construction des règles risque
d’affecter les moyens pour le dépassement des conflits. En effet, l’action publique
territorialisée peut conduire à un processus « localiste » et perdre son caractère
global, ce qui laisse une place limitée à l’intérêt général et le chemin libre aux luttes
de pouvoir.
304
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
Si nous pouvons considérer que l’accent mis sur la technique permet d’éviter dans
certain cas des débats partisans et l’intensification de l’inégalité des rapports de
forces, il n’en reste pas moins qu’il renforce parallèlement une gestion sectorielle
basée sur le seul langage technique dont nous avons souligné les déficiences.
Sans ignorer les avancées constatées dans la prise en compte de la part des politiques
de gestion de l’espace des enjeux de la gestion de l’eau (cf. 3.2.4.), la transversalité
des politiques publiques affectant l’eau demeure entravée dans certains aspects.
305
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
mesures exigées par la législation sur l’eau qui entraîneraient une limitation de
l’usage de l’espace.
Les difficultés observées dans la mise en place d’une gestion intégrée de l’eau dans
l’Audomarois appellent une réflexion sur les voies de leur dépassement. Nous
soulignons ici quelques pistes sans, pour autant, prétendre à l’exhaustivité.
306
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
lieu et place des 4 à 8 services qui s’en occupaient) ainsi que de renforcer le rôle de la
DIREN dans la coordination des services départementaux. Cependant, le projet de
loi ne s’attaque pas aux incohérences induites par la dispersion de compétences
entre dossiers « loi sur l’eau » et dossiers « installations classées ». Ce dernier
domaine reste la « chasse gardée » de la DRIRE. Si, en principe, nous considérons
comme positif que chaque service de l’État s’intéresse à l’impact de son activité sur
la gestion de l’eau (c’est la transversalité dont nous avons souligné l’importance
pour une gestion intégrée), la cohérence des politiques publiques rend néanmoins
indispensable la coordination de ces services dans les décisions relatives à l’eau.
Par ailleurs, l’opacité qui entoure les compétences des services chargés du contrôle
des politiques publiques ne facilite pas la mise en œuvre de celui-ci. L’efficacité de la
police de l’eau serait en effet favorisée par une plus grande transparence concernant
les compétences respectives des différents services, leur domaine d’action, leurs
ressources, les processus d’instruction des dossiers et les démarches administratives.
De plus, selon le fonctionnement actuel, les moyens humains destinés au contrôle de
l’application des décisions administratives (déclaration, autorisation, montant de
rejets, etc.) demeurent largement en dessous du niveau permettant un contrôle
minimal. Ceci se traduit, d’une part, par le non-respect des réglementations et,
d’autre part, par le maintien d’une distance organisationnelle et institutionnelle
entre les acteurs chargés de l’application des politiques publiques et les acteurs
usagers de l’eau cibles de celles-ci. Le gain organisationnel d’une plus grande
coordination entre services serait en mesure, selon nous, de compenser
l’investissement consenti dans le renforcement de la présence des techniciens sur le
terrain.
307
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
133À titre d’exemple, aucune des diverses divisions de la DRIRE auxquelles nous avons fait appel
depuis 2001 a été en mesure de nous fournir des informations sur les dépassements de rejets des
principales industries audomaroises dans son ensemble, nous renvoyant vers chaque entreprise ou
vers les archives de la préfecture où les autorisations de rejets sont déposées.
308
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons testé la grille théorique proposée dans le chapitre
précédent au sein du bassin versant de l’Audomarois, un territoire qui se caractérise
par un fort degré de complexité tant d’ordre hydrologique que social ou
économique. L’analyse effectuée sur les conflits d’usage dans ce bassin versant nous
permet de tirer un certain nombre d’enseignements en ce qui concerne l’origine des
conflits, les objets sur lesquels ils émergent (leur matérialité), les manifestations des
antagonismes ainsi que les éventuelles tentatives de gestion ou de dépassement de
ceux-ci.
Nous avons vu que les conflits dans ce bassin sont de nature très diverse et
concernent des enjeux d’ordre tant quantitatif que qualitatif. C’est l’usage effectif de
la ressource en eau qui est considéré comme nuisant ou limitant d’autres usages.
Nous avons mis en évidence trois éléments : l’importance des systèmes de
représentations et de l’analyse historique (cf. 3.1.1), le rôle de l’espace dans la
survenance des conflits (3.1.2) et l’instrumentalisation de la notion de patrimoine par
les acteurs locaux (3.1.3).
Il ressort tout d’abord que la prise en compte de la dimension historique ainsi que
des divergences en termes de systèmes de représentations aident à comprendre
l’origine des conflits et certains discours de légitimation des comportements des
acteurs. De plus, la prise en compte du facteur spatial permet de rendre compte, non
seulement de l’objet et de la matérialité des conflits, mais aussi des moyens mobilisés
par les acteurs lors du déroulement de ceux-ci. Enfin, le patrimoine s’avère une
catégorie favorisant le compromis, encore que cette notion donne lieu à différentes
interprétations et ses instrumentalisations respectives rendent difficile la proximité
institutionnelle entre les différents acteurs.
À partir des enseignements tirés de l’analyse des conflits dans l’Audomarois, nous
nous sommes interrogée sur le caractère intégré de la gestion de l’eau dans ce
territoire. Dans un premiers temps, nous avons mis en évidence un certain nombre
d’éléments qui vont dans le sens d’une gestion intégrée :
309
Chapitre 4 – La gestion de l’eau dans le bassin versant de l’Audomarois : vers une gestion intégrée ?
- une évolution dans la reconnaissance des conflits d’usage, via la mise en place de
mécanismes institutionnels de coordination permettant la manifestation mais
aussi la gestion des conflits.
Cependant, les limites et les facteurs de blocage également identifiés par l’analyse
des conflits d’usage dans l’Audomarois empêchent de caractériser la gestion de l’eau
dans ce territoire comme une gestion intégrée. Parmi ces limites nous soulignons :
- la politique de gestion de l’eau qui demeure dans une posture soumise face aux
politiques de gestion de l’espace.
Les voies de dépassement de ces limites que nous avons proposées concernent
notamment deux points : d’une part, les modifications organisationnelles au sein des
services de l’État chargés de l’application et du contrôle de la politique de l’eau ;
d’autre part, l’intensification des mesures de communication favorisant
l’appropriation par l’ensemble de la population des enjeux liés à la gestion de l’eau,
afin de renforcer la légitimité des mesures de gestion des conflits d’usage proposées
aux acteurs publics locaux.
310
CONCLUSION GÉNÉRALE
311
CONCLUSION GÉNÉRALE
Ce constat a constitué le point de départ de notre travail de thèse, dont l’objectif était
de mener une réflexion approfondie sur la gestion (de la demande et de l’allocation)
des ressources en eau, dans une double perspective, analytique et normative. Tout
d’abord, la visée analytique de cette recherche avait pour objet les conflits d’usage
dans le domaine de l’eau. Notre intuition était en effet que pour comprendre la
dynamique de la gestion de l’eau il était essentiel de s’intéresser à la nature des
conflits qui la traversent. Face aux limites des approches théoriques standard pour
l’appréhension des spécificités de l’eau et de l’ensemble des dimensions liées aux
conflits dans ce domaine, il s’agissait de mettre en évidence une grille théorique
permettant d’étudier ces relations conflictuelles dans toutes leurs dimensions – et en
premier lieu leurs facteurs déterminants. Par ailleurs, il convenait de s’interroger,
selon une perspective davantage normative, sur le contenu de la notion de gestion
intégrée des ressources en eau.
312
Conclusion générale
Nous avons vu que les difficultés rencontrées par l’analyse économique pour
appréhender les ressources en eau sont largement liées aux spécificités de celles-ci,
qui les distinguent des biens marchands et nécessitent la prise en compte d’éléments
liés aux usages divers, à l’incertitude, à l’espace, à la dimension historique, aux liens
sociaux… Le comportement des individus s’inscrit en effet dans un contexte
influencé par des variables sociales, politiques, historiques… souvent liées à la
dynamique institutionnelle propre aux usages. Autrement dit, les comportements
économiques sont influencés par les institutions. Dès lors, les approches théoriques
traditionnellement utilisées pour l’analyse des ressources en eau, qui portent un
intérêt limité aux dynamiques collectives, aux représentations sociales des usages, à
la dimension territoriale… s’avèrent insuffisantes pour considérer les multiples
dimensions inhérentes aux conflits d’usage dans le domaine de l’eau. Celles-ci
concernent notamment la genèse des conflits, leurs manifestations, les modes de
coordination entre les acteurs concernés ainsi que les modalités de leur dépassement.
Face aux limites des approches standard et compte tenu des spécificités des
ressources en eau que nous avons identifiées, nous avons fait appel à d’autres
développements conceptuels. Nous avons ainsi retenu quatre constructions
théoriques dont la combinaison nous semble constituer une grille analytique
pertinente pour rendre compte de la diversité des conflits d’usage autour des
ressources en eau et aider à la définition normative d’une gestion intégrée.
313
Conclusion générale
314
Conclusion générale
Il ressort ainsi que la survenance des conflits d’usage dans le domaine de l’eau est
essentiellement favorisée par trois éléments : premièrement, la divergence entre
systèmes de représentations ou visions du monde engagées par les différents acteurs
usagers et/ou gestionnaires de l’eau ; deuxièmement, la proximité géographique
(dans sa dimension environnementale) entre les acteurs ; enfin, les incohérences et
contradictions de l’ensemble des politiques publiques ayant un impact sur l’eau.
Par ailleurs, les droits de propriété et surtout d’usage de l’eau s’avèrent jouer un rôle
important dans le déroulement des conflits. Nous avons vu que les acteurs
s’appuient sur ces droits (mais aussi sur l’absence de ceux-ci) lors des
confrontations. La rigidité du système de droits de propriété/usage du contexte
français pousse les acteurs d’un conflit à se tourner vers les politiques publiques ou
vers la mise en place d’arrangements informels au sein d’institutions elles aussi
informelles.
315
Conclusion générale
Compte tenu des caractéristiques spécifiques des ressources en eau et des conflits
dans ce domaine, nous avons proposé une définition de la notion de gestion intégrée
des ressources en eau qui prend en considération trois dimensions essentielles à
l’appréhension de la gestion de l’eau. Ces dimensions concernent, tout d’abord, la
prise en considération des variables spatiales ; deuxièmement, l’importance des
institutions (formelles et informelles) ; enfin, le rôle des formes de régulation
publique dans la gestion des conflits.
Ensuite, une gestion intégrée des ressources en eau exige que l’ensemble des acteurs
concernés par l’usage ou la gestion publique de l’eau reconnaisse et comprenne la
dynamique de ces conflits et les potentialités de leur dépassement. Cette
compréhension est favorisée par la mise en place de « lieux institutionnels » où les
conflits d’usage dans ce domaine peuvent se manifester dans un cadre organisé
contribuant à l’apprentissage organisationnel et à la construction de représentations
partagées.
316
Conclusion générale
D’autre part, la démarche que nous avons retenue pour traiter notre problématique a
consisté à faire appel à plusieurs outils théoriques. Nous avons proposé un
agencement original de ces conceptions à même de renouveler l’analyse des
phénomènes relevant de l’économie de la ressource en eau. Cependant, il nous paraît
incontestable que cette synthèse théorique n’attendra sa complète efficacité que si
elle se prolonge par une définition précise des caractéristiques d’une gestion intégrée
de l’eau ; une définition dont on a seulement dessiné ici les contours. La principale
raison de ce qui pourrait apparaître comme un inachèvement coupable tient au
caractère assurément singulier de ces caractéristiques précises au regard du contexte
317
Conclusion générale
particulier dans lequel la gestion a cours. Or, tandis que s’achève cette réflexion, et
qu’il convenait de monter à nouveau en généralité, nous ne souhaitions pas conférer
un relief trop marqué à notre monographie, et laisser prendre des préconisations
spécifiques pour des lignes d’action générales. On se rend compte alors du besoin
d’investigations empiriques complémentaires propices à un travail de comparaison
et à la mise en évidence de constantes dans les modes d’intervention. Plus
largement, une analyse comparative des conflits d’usage sur la base de plusieurs
terrains d’étude à des échelles territoriales variées, permettrait, selon une démarche
empirico-déductive, de mieux faire ressortir des facteurs communs aux modalités
d’expression propres aux conflits tout en gagnant en généralité car lissant la variable
spatiale. Ces études complémentaires et leurs enseignements permettraient de mieux
préciser les conditions et les caractéristiques de la gestion intégrée des ressources en
eau. Une telle démarche aurait cependant dépassé les possibilités offertes par les
ressources propres à la production d’une thèse doctorale.
318
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Annexes
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Annexes
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Annexes
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Annexes
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Annexes
343
Annexes
344
Annexes
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