Pfe Style de Leadership
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Estelle Rogivue
La rédaction d’un mémoire est un travail de longue haleine et celui-ci aurait été difficilement
réalisable sans l’investissement et la présence des personnes mentionnées ci-dessous.
Nous tenons à remercier particulièrement notre directrice de mémoire, Mme Périsset, pour
son intérêt envers notre sujet, ses précieux conseils, ses remarques pointues et les limites
salvatrices qu’elle n’a pas hésité à nous poser autant de fois qu’il était nécessaire. Nous
exprimons également notre reconnaissance pour les multiples échanges enrichissants que
nous avons pu partager.
Nos remercions chaleureusement notre collègue et amie Jacinthe, pour son enthousiasme
sans borne vis-à-vis de notre travail, ses conseils pertinents et son soutien infaillible. Cela
nous a souvent permis de décupler notre propre engouement. Nous remercions également
Mélanie et Bastien pour leur soutien et leur amitié si précieuse, ainsi que pour les nombreux
paris lancés quant à la date d’achèvement de ce mémoire, qui ont apporté un peu de légèreté
durant tout le processus.
Nous remercions encore Clarissa et Mélanie, pour avoir accepté de mettre leurs compétences
langagières au service de ce travail, en assurant la retranscription des entretiens. Malgré toute
notre bonne volonté, nous n’y serions pas arrivée sans elles.
Finalement, nos plus vifs remerciements vont aux enseignants de l’école de B., pour nous
avoir accueillie durant ces deux journées. Merci à N. et E. pour leur disponibilité durant les
entretiens et leur immense gentillesse. Nous exprimons encore notre reconnaissance à D.,
pour nous avoir ouvert les portes de son établissement, il y a presque deux ans de cela. Merci
pour cette authenticité et le partage de cette autre vision de l’enseignement. Merci pour toutes
ces conversations passionnantes et inspirantes, qui ont amené notre réflexion bien au-delà de
ce travail de recherche.
2
Résumé
Les réformes apparues dans le monde de l’éducation durant le XXème siècle ont vu naître de
nombreux changements dans les pratiques scolaires. Ces derniers se sont souvent révélés
déstabilisants pour les enseignants. Afin de faciliter ce passage à de nouvelles manières de
faire, ainsi que dans le but d’améliorer l’apprentissage des élèves, un encouragement au
travail en collectif a commencé à voir le jour. Mais malgré les prescriptions, force est de
constater que ce fonctionnement n’est pas très répandu dans la majorité des établissements,
alors que quelques-uns en ont pourtant fait un atout, l’inscrivant à l’intérieur d’équipes
pédagogiques solides et efficaces. Nous souhaitons évaluer ici l’impact des gestes
professionnels du leader sur la construction d’une culture d’établissement efficace de type
coopératif.
Nous avons mené des observations filmées au sein de l’équipe pédagogique, durant une
journée entière. Nous avons ensuite établi un premier classement des informations obtenues
dans des tableaux détaillant les concepts étudiés. Après cela, nous sommes retournée dans
l’établissement afin de procéder à des entretiens individuels et collectifs, portant sur quelques
extraits de vidéos. Ces nouvelles données ont également été reportées dans les tableaux et
reliées au reste (Pourtois & Desmet, 2007). Nous nous sommes largement inspirée du travail
de Pana-Martin (2015) pour réaliser notre démarche méthodologique. Notre recherche s’est
voulue qualitative (Dumez, 2012), en se concentrant sur les acteurs de l’établissement.
3
Le leadership peut avoir une influence sur la construction d’une culture d’établissement
efficace de type coopératif, à condition qu’il soit distribué, orienté vers la transformation et
manifesté principalement à travers une posture de traducteur, de médiateur et de pisteur.
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Table des matières
1 Introduction .................................................................................................................... 7
1.1 Intérêts personnels motivant le choix ...................................................................... 7
1.2 Importance du sujet ................................................................................................. 7
1.2.1 Réformes dans l’éducation ............................................................................... 8
1.2.2 Enjeux du travail en collectif ............................................................................. 9
1.2.3 Réformes en Suisse ........................................................................................10
2 Problématique : travailler ensemble dans un établissement efficace .............................12
2.1 Aperçu général du travail en collectif ......................................................................12
2.1.1 Appellations, normes, formes de travail ...........................................................12
2.1.2 Conditions d’un fonctionnement efficace .........................................................13
2.1.3 Quelques recherches sur les impacts potentiels du travail en collectif .............14
2.2 Culture d’établissement ..........................................................................................15
2.2.1 Définition : ce qu’est une culture d’établissement ............................................15
2.2.2 Différentes facettes d’une culture d’établissement...........................................15
2.2.3 Etablissement efficace ....................................................................................16
2.3 Equipe pédagogique ..............................................................................................18
2.3.1 Définition : ce qu’est une équipe pédagogique ................................................19
2.3.2 Conditions d’une équipe pédagogique efficace ...............................................19
2.3.3 Usages d’une équipe pédagogique .................................................................20
2.3.4 Avantages et limites de ce regroupement........................................................20
2.4 Coordination, collaboration, coopération ................................................................22
2.4.1 Quelques définitions ........................................................................................22
2.4.2 Coopération professionnelle ............................................................................23
2.5 Synthèse de la problématique ................................................................................24
2.5.1 Travail en collectif : dimensions .......................................................................26
3 Cadre conceptuel : les formes de leadership, les gestes mobilisés, leurs effets ............27
3.1 Leadership .............................................................................................................27
3.1.1 Historique ........................................................................................................27
3.1.2 Leadership dans les établissements scolaires .................................................28
3.1.3 Leadership coopératif ou distribué...................................................................32
3.2 Gestes professionnels ............................................................................................34
3.2.1 Historiques et définitions : les gestes professionnels .......................................34
3.2.2 Définition : ce que sont les gestes professionnels ...........................................34
3.2.3 Gestes professionnels selon Jorro ..................................................................35
3.2.4 Gestes professionnels selon Alin ....................................................................37
3.3 Accompagnement ..................................................................................................37
3.3.1 Définition : ce qu’est l’accompagnement .........................................................37
3.3.2 Enjeux de l’accompagnement .........................................................................38
5
3.3.3 Modalités et postures d’accompagnement ......................................................38
3.3.4 Rôle de l’accompagnateur ...............................................................................39
3.4 Synthèse du cadre conceptuel ...............................................................................40
3.4.1 Leadership, gestes professionnels et accompagnement : dimensions ............41
4 Questionnement de la recherche...................................................................................42
4.1 Hypothèses ............................................................................................................42
4.2 Questionnement .....................................................................................................43
5 Méthode ........................................................................................................................44
5.1 Terrain de recherche ..............................................................................................44
5.1.1 Echantillon ......................................................................................................45
5.1.2 Mode de fonctionnement de l’équipe pédagogique .........................................46
5.2 Choix méthodologiques ..........................................................................................46
5.3 Présentation du cadre méthodologique ..................................................................47
5.3.1 Réunion de concertation filmée .......................................................................47
5.3.2 Visionnement collectif de la vidéo....................................................................49
6 Analyse des données ....................................................................................................51
6.1 Mise en œuvre du dispositif....................................................................................51
6.1.1 Journée d’observation .....................................................................................51
6.1.2 Journée d’entretiens ........................................................................................51
6.2 Analyse ..................................................................................................................52
6.2.1 Culture d’établissement et établissement efficace ...........................................52
6.2.2 Leadership ......................................................................................................62
6.2.3 Gestes professionnels .....................................................................................68
7 Interprétation des résultats ............................................................................................76
7.1 Quant au travail en collectif….................................................................................76
7.2 Quant au leadership… ...........................................................................................77
7.3 Quant aux gestes professionnels/accompagnement… ...........................................78
8 Retour sur le questionnement .......................................................................................80
9 Conclusion ....................................................................................................................82
9.1 Prolongement .........................................................................................................82
9.2 Conclusion finale ....................................................................................................83
9.2.1 Apports de la recherche à la connaissance du travail en collectif, du leadership
et des gestes professionnels .........................................................................................83
9.2.2 Apports méthodologiques ................................................................................84
9.2.3 Apports pratiques ............................................................................................84
10 Références bibliographiques......................................................................................86
10.1 Table des tableaux .................................................................................................90
10.2 Annexes .................................................................................................................90
10.3 Attestation d’authenticité ........................................................................................99
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1 Introduction
1.1 Intérêts personnels motivant le choix
En juin 2016, après une première année de formation, nous avons décidé de prendre une
année sabbatique afin d’élargir nos horizons sur le métier d’enseignant. Parmi les différentes
expériences professionnelles vécues, nous avons effectué deux mois de stage dans une école
privée du Haut-Valais. Cet établissement avait ouvert quelques mois auparavant et n’en était
donc qu’à ses débuts. Ce fut pour nous une découverte très enrichissante, de par la pédagogie
pratiquée, ainsi que par le fonctionnement de l’équipe pédagogique. Ces deux aspects nous
sont apparus, en effet, très différents de ce que nous avions pu observer jusqu’alors. Ce sont
surtout les interactions entre les enseignants qui se sont révélées marquantes. Ils travaillent
perpétuellement ensemble, planifient les journées, discutent des diverses problématiques et
projets, naviguent entre les différents groupes d’élèves (bien qu’ayant reçu une attribution au
début de l’année). Nous avons senti une collaboration très forte entre eux, au premier abord.
Souhaitant dépasser ces simples représentations personnelles sur le sujet, nous avons donc
décidé d’approfondir le concept de « collaboration » afin de pouvoir confirmer ou infirmer ces
premières impressions. Comme plan d’action, nous avons d’abord entrepris d’observer de
façon plus précise le fonctionnement de l’équipe pédagogique, en le confrontant aux théories
de la collaboration. De plus, il nous a paru intéressant de nous focaliser également sur le rôle
du directeur de l’établissement. En effet, il nous a semblé dès le départ que sa personnalité et
sa position dans l’école avaient une influence sur les autres membres. Souhaitant à nouveau
dépasser ces impressions, nous avons choisi d’étudier le concept de leadership et de le mettre
en lien avec la collaboration au sein d’une équipe pédagogique, afin de voir si le premier à un
impact ou non sur la deuxième.
Le choix de ce sujet découle à la fois d’une simple « curiosité intellectuelle » et d’un réel intérêt
professionnel. En effet, le travail en collectif est une thématique qui nous touche beaucoup
puisque les dernières expériences vécues, tant au niveau de la formation que des activités
annexes, nous ont fait prendre conscience de l’intérêt de la collaboration, mais également de
ses limites. De plus, cette profession nous amènera tout au long de notre carrière à travailler
avec d’autres partenaires, qu’il s’agisse de collègues, d’intervenants extérieurs, de parents,
etc. Il nous sera donc utile de développer une meilleure connaissance des mécanismes et
enjeux sous-tendant le travail en équipe. L’enseignant étant un acteur important de ce
fonctionnement, nous comptons profiter des futures compétences acquises pour prendre une
part active à l’élaboration de groupes de travail efficaces, encore plus particulièrement durant
nos premières années de métier.
En outre, puisqu’il faut oser voir plus loin, nous comptons aussi bénéficier de ce travail pour
acquérir des outils en lien avec la gestion d’établissement, le travail collectif et le leadership.
Ceci afin de pouvoir, un jour, mener à bien le projet consistant à ouvrir notre propre école.
7
Puisque le contexte de notre recherche prend principalement en compte le paysage suisse,
nous nous intéresserons finalement plus particulièrement aux réformes survenues sur le
territoire helvétique et à la place qu’occupe cette forme de travail, notamment dans la formation
à l’enseignement.
Durant le XXème siècle, une grande partie du monde occidental a vécu une évolution dans le
domaine de l’enseignement. Bien que cette vision soit déjà née avant cette période, avec par
exemple Luther, Coménius et Condorcet (Piot, 2005), c’est après la Première Guerre mondiale
que l’ouverture de l’école pour tous a réellement émergé (Tardif, 2005). On peut supposer que
le contexte de guerre a fait prendre conscience de l’importance qu’a l’éducation chez de futurs
citoyens. Malgré cette nouvelle visée, le fonctionnement scolaire est encore presque
exclusivement basé sur la transmission des savoirs, entre l’enseignant savant et l’élève
ignorant.
Parmi ces changements, l’incitation à collaborer avec les différents partenaires de l’école est
venue se rajouter dans les prescriptions. En Belgique francophone, par exemple, cette forme
de travail est même devenue une obligation légale. On retrouve également ces prescriptions
dans les politiques éducatives québécoises (Borges & Lessard, 2007). En France, le
« référentiels des compétences professionnelles des maîtres » de 2007 met lui aussi en avant
la collaboration en demandant aux enseignants de « travailler en équipe et coopérer avec les
parents et les partenaires de l’école » (BOEN, no1 du 4 janvier 2007, cité par Tavignot,
Thémines & Buhot, 2017). Il s’agit de l’une des mesures visant à améliorer les pratiques
pédagogiques et à augmenter le taux de réussite chez les élèves (Letor, 2007). Cette
démarche a été appuyée par des textes scientifiques (Teddie & Reynolds, 2000, cités par
Marcel, 2007), affirmant que le travail en équipe a un impact positif sur l’apprentissage des
élèves. Par cette innovation, l’école s’ouvre au monde de l’entreprise, qui inclut depuis un
moment déjà les concepts d’ « intelligence collective » et de « cognition partagée » dans ses
actions. Le travail en équipe, par les processus réflexifs qu’il entraine, est considéré comme
un excellent moyen d’optimiser l’enseignement (Altet, 1994-2004, cité par Piot, 2005 ; Dupriez,
2005). L’introduction des cycles d’apprentissage, ainsi que la vision d’une pédagogie
différenciée favorisant des parcours individualisés de formation en ont formé le socle
(Perrenoud, 1997).
8
Ces mesures se retrouvent dans les textes officiels. On peut y déceler quelques aspects
caractéristiques : en premier lieu, favoriser une culture d’établissement axée sur les projets et
la collectivité ; encourager les enseignants à travailler ensemble (collaboration et/ou
coopération) ; impliquer davantage le chef d’établissement dans le domaine pédagogique, en
faire un animateur clé ; établir un projet d’établissement solide (Dupriez, 2010). En résumé,
l’on cherche à établir un « modèle d’enseignement mobilisé » (Dupriez, 2002, cité par Letor,
2007), permettant aux enseignants de coordonner leurs actions autour de l’amélioration de
leurs pratiques et de l’apprentissage des enfants. On va même plus loin, en encourageant une
nouvelle forme de travail où les acteurs « ouvriraient » leur classe aux autres, sortant de
l’individualisme auquel ils avaient été habitués.
En dépit des avantages relevés, cette demande a également contribué à déstabiliser les
acteurs. En effet, le travail en équipe oblige l’enseignant à sortir du périmètre protégé de sa
classe, le privant d’une partie de son autonomie. De plus, il va même jusqu’à remettre en
question sa propre identité. Dans l’une de ses recherches, Perrenoud (1994) relève plusieurs
raisons pouvant l’inciter à demeurer en totale autonomie dans sa classe. Parmi celles-ci
apparaît d’abord le doute quant au bienfondé du travail en équipe et surtout sa pérennité.
Ensuite, l’on peut craindre qu’un morcellement des tâches et des responsabilités ne diminue
la position de l’individu dans le contrat pédagogique. Finalement, l’on se demande si le collectif
ne risque pas d’affaiblir son identité professionnelle et, donc, de faire perdre le sens de son
métier. Perrenoud (1997) mentionne encore la peur de perdre du temps s’il faut se concerter
à tout bout de champ. Ce dernier point peut sembler paradoxal, compte tenu des avantages
cités dans le paragraphe précédent.
Dans l’enseignement, la coopération entre les principaux acteurs de l’établissement est
généralement assez rare (Perrenoud, 2013 ; Dupriez, 2010). Lorsqu’elle apparaît, elle se
manifeste la plupart du temps dans les interactions avec des membres internes particuliers
(ex : enseignants spécialisés), ou avec des membres externes (ex : infirmière scolaire, SIPE,
animateurs pédagogiques, etc.). Ces intervenants extérieurs sont d’ailleurs présents sur des
périodes relativement restreintes. Si l’on considère la coopération entre les enseignants, on
peut constater qu’elle n’est imposée qu’à certains moments de l’année. Cependant, comme
mentionné plus haut, on assiste depuis quelques années à une incitation à travailler en équipe
pédagogique.
9
En plus de la posture de l’enseignant, il semblerait que d’autres éléments fassent obstacles à
cette demande. Certaines recherches, comme celle de Dupriez (2010) ou celle de Tardif et
Lessard (1999), relèvent en effet un paradoxe : l’on encourage un regroupement du corps
enseignant dans une école qui divise les élèves pour les mettre dans une salle dirigée par un
seul protagoniste, on case un programme dans des plages-horaires qui laissent peu de place
à la flexibilité et au décloisonnement. Il paraît difficile de concilier les deux, sauf si l’envie prend
de se rebeller contre l’institution. Cette direction semble donc impliquer, de façon sous-jacente,
un remaniement du fonctionnement des établissements.
Si l’on s’intéresse au paysage de la Suisse, nous pouvons constater qu’elle a, elle aussi, été
touchée par ces réformes (Périsset Bagnoud, 2005). Ces dernières années, les changements
ont porté sur une plus grande efficacité du système scolaire, passant par une autonomisation
et une responsabilisation des établissements. On exige également une plus grande
transparence, sur le plan administratif et professionnel. Concernant le travail collectif, nous
pouvons constater qu’il apparaît également, de façon plus ou moins explicite, dans les
prescriptions. Pour preuve, nous pouvons considérer le « Règlement de l’enseignement
primaire du 7 juillet 1993 » du canton de Genève. Parmi les droits et les devoirs des
enseignants, il est précisément mentionné (chapitre 4) que ces derniers doivent s’acquérir de
tâches « collectives », comme participer aux différents moments de concertation organisés
par l’école ou se répartir certaines tâches. L’un des trois axes de la rénovation de l’école
genevoise (DEP,1994) met également en évidence la collectivité dans le travail, en
encourageant les enseignants à « mieux travailler ensemble ». Cet aspect est encore plus
marqué dans le canton de Fribourg et dans son règlement du 6 juillet 2004. Parmi les champs
d’activités incombant aux enseignants, on retrouve le suivi des élèves, impliquant une
collaboration avec les parents ainsi qu’avec des personnes extérieures, et tout ce qui touche
à l’établissement, avec les conversations entre collègues, les projets multiples et les échanges
avec les autorités scolaires. Dans le système de Fribourg, le travail collectif sert davantage à
optimiser le fonctionnement de l’établissement qu’à améliorer les pratiques professionnelles.
On assiste donc à une forme de travail contraint, supplanté par un individualisme de
l’enseignant. Genève demeure également dans cette optique-là, de manière générale.
Cependant, il en est tout autre dans les écoles davantage portées sur l’innovation, innovation
participant à la réforme éducative. Le personnel enseignant y est plus libre. Certains
établissements ont eu à cœur de développer la collaboration au sein de leur personnel
(Perréard Vité & Vité, 2005, cités par Périsset Bagnoud, 2005). Dans ces contextes-là, elle
joue surtout un rôle dans l’individualisation et l’adaptation du parcours de chaque élève, que
ce soit dans la conception des programmes, la formation de groupes de niveau ou la recherche
de stratégies.
Malgré tout, l’importance croissante de cette nouvelle visée se remarque dans la formation
initiale des enseignants, sur laquelle elle a un impact important. En effet, il est dans l’intérêt
des systèmes éducatifs d’accompagner les étudiants dans le développement de compétences
allant dans ce sens. Il serait erroné de croire que ces derniers apprendront à coopérer en
coopérant et d’introduire le travail en équipe dans toutes les étapes de la formation, en
espérant développer chez eux le goût de cette forme de travail. Cet enseignement de surface
risquerait de négliger la réelle conceptualisation de la compétence, ainsi que la
reconnaissance des ressources nécessaires à sa construction (savoirs, habiletés, attitudes).
Les étudiants ne trouveraient donc aucun sens à cette activité. Jusqu’à présent, la formation
initiale a préféré se concentrer sur d’autres objectifs considérés comme plus important. En
2007, Marcel, Dupriez et Périsset Bagnoud déploraient d’ailleurs les difficultés qu’avaient les
institutions à introduire les concepts de coordination, collaboration et coopération dans leurs
formations. Cependant, une évolution a eu lieu depuis. Cette forme de travail tend à prendre
de plus en plus de place dans les programmes, comme en témoigne d’ailleurs le référentiel de
compétences de la HEP valaisanne.
10
Ce dernier est découpé en champs de compétences. Le champ 4 concerne le travail en
équipe, avec les compétences « travailler en équipes éducatives » (14) et « construire un
partenariat efficace avec les différents acteurs impliqués » (15). Les mots « coordonner »
(15.3) et « collaborer » (14.4) sont expressément cités. Mais comme le relève Perrenoud
(2013), cet apprentissage doit d’abord passer par une modélisation de l’institution. Si cette
dernière ne favorise pas la coopération entre les professeurs, les maîtres formateurs ou les
étudiants, elle ne peut décemment pas s’attendre à faire preuve de crédibilité si elle encourage
ensuite les futurs enseignants à poursuivre le travail en équipe durant leur carrière. Pour sortir
des grandes théories pures et dures, dont les étudiants sont de moins en moins friands (Ray,
2004, cité par Maulini et al, 2005), elle doit montrer l’exemple. Concernant le terme de
compétence, Perrenoud (2011) considère qu’elle découle d’une « famille de situations » et que
la coopération, qui s’inscrit dans plusieurs situations diverses constituant plusieurs familles,
fait donc appel à plusieurs compétences.
A l’heure actuelle, les recherches ayant déjà été effectuées offrent un large panel de définitions
du travailler ensemble et permettent de mettre en évidence l’impact que cette forme de travail
peut avoir sur l’individualité de l’enseignant. Pourtant, les recherches ayant souvent porté sur
des échantillons restreints, il est nécessaire de poursuivre l’approfondissement de ce domaine.
Notre recherche n’a cependant pas une visée quantitative car elle porte sur un petit collectif
d’enseignants et un seul établissement. Nous proposons surtout d’aborder un angle
d’approche spécifique dans un contexte particulier.
11
2 Problématique : travailler ensemble dans un
établissement efficace
2.1 Aperçu général du travail en collectif
Le paysage de notre recherche portera donc sur le travail en collectif des enseignants dans
les établissements scolaires, deux concepts généraux. Il nous paraît nécessaire de définir plus
précisément ce qu’est le travail en collectif, ainsi que ses manifestations et enjeux. Ce mode
de fonctionnement s’inscrivant dans un contexte précis, nous poserons également un focus
sur l’école, en particulier la culture d’établissement ainsi que les caractéristiques d’un
établissement dit efficace. Ces différents éléments nous permettront ensuite d’inscrire notre
échantillon de recherche dans un réseau conceptuel pertinent et cadrant.
Le travail en collectif peut prendre différentes appellations : travail d’équipe, collégialité, travail
partagé, team teaching, co-intervention, travail conjoint, action commune, coordination,
collaboration, coopération, partenariat (Zay & Gonnin-Bolo, 1995 ; Perrenoud, 1997 ; Letor,
2007 ; Marcel, Dupriez, Périsset Bagnoud & Tardif, 2007 ; Merini et Ponté, 2009). Marcel
(2005) fait par exemple la différence entre « équipe pédagogique », regroupement
institutionnel et contrôlé, et « collectif de travail », plus informel et authentique. Certains de
ces termes seront davantage explicités plus loin.
La collaboration peut prendre plusieurs formes : réunion d’établissement, réunion par niveau,
réunion par cycle, concertation entre les classes ou entre les écoles (Letor, 2007)…Elle peut
se manifester sous la forme de collectifs de travail officiels (imposés par les prescriptions), de
collectifs de travail formels (ex : associations ou syndicats, sont formés hors de l’école) et de
collectifs de travail informels. Ces derniers ont lieu dans l’école mais se forment selon la
volonté des enseignants (Tavignot, Thémines & Buhot, 2017). Perrenoud (1997) parle de deux
stades de travail en équipe. Dans le premier, les acteurs se concertent uniquement sur
certaines pratiques. Hormis quelques activités décloisonnées, qui exigent pour le coup une
importante coordination, chacun reste maître de sa classe. Dans le second, les acteurs
prennent en charge un groupe d’élèves de façon conjointe. Les salles s’ouvrent. Aux
partenaires habituels peuvent s’ajouter des intervenants extérieurs, comme des aides, des
enseignants surnuméraires, des stagiaires et même du personnel non-enseignant (Merini &
Ponté, 2009 ; Piot, 2005). Ces nouveaux membres induisent des modifications dans le
fonctionnement des enseignants, qui ne sont plus seuls à mener un programme. L’enseignant
n’agit plus uniquement au sein de sa classe, mais également à l’extérieur, durant les temps
scolaires mais aussi en-dehors.
12
Ses tâches impliquent désormais des conversations formelles et informelles avec d’autres
praticiens (Marcel, 2005; Piot, 2005). Les échanges formels sont généralement structurés. Ils
tournent autour des objectifs, du programme et de divers projets. Le but est de se mettre au
clair sur les visées de l’école. Quant aux échanges informels, ils tournent plutôt autour de la
classe. Les acteurs peuvent y aborder les problématiques quotidiennes et bénéficier de
l’expérience des autres. La forme de dialogue y est dite « horizontale », principalement axée
sur l’écoute empathique (Piot, 2005).
Bien évidemment, la multiplicité des enjeux et des tâches, ainsi que la singularité de chaque
participant rendent le travail en collectif complexe. Nous nous intéresserons donc ci-dessous
à quelques facteurs pouvant favoriser cette forme d’organisation.
Pour qu’un groupe fonctionne, il est nécessaire de tenir compte de plusieurs paramètres
(Grossen, 1999). Pour commencer, si l’équipe est dite pluridisciplinaire, il est important de
reconnaître l’existence de chaque professionnel impliqué. Ensuite, malgré la présence du
travail collectif, chaque acteur doit pouvoir se ménager un certain espace d’autonomie, afin de
se sentir responsable et maître de ses actions. Finalement, le groupe doit avoir des objectifs,
des normes et des valeurs communs. On parlera alors de « culture d’organisation ». Dans
cette culture se retrouve encore l’espace de travail : temps et lieux de concertation, ainsi que
les traces produites par le groupe (vidéos, PVs…). Letor (2007) insiste sur l’importance de se
fédérer autour de tâches communes. Dans sa recherche, l’auteur relève plusieurs objets de
collaboration : projets ; évaluations ; relations avec les élèves, les parents ou les collègues ;
événements de nature différente ; fonctionnement du collectif. Le degré de collaboration varie
d’un établissement à l’autre. Dans certaines écoles, les acteurs échangent, se conseillent,
voire même s’observent mutuellement pendant les cours. Dans d’autres, ils restent assez
discrets sur ce qu’il se passe en classe et ne se concertent que sur de petits points, comme le
programme par exemple. Toujours dans la même étude, Letor (2007) constate une ambiance
agréable lors des réunions et des échanges plutôt authentiques. Cependant, elle constate
également que certains sujets considérés comme tabous ont tendance à être évités. Il n’est
pas toujours aisé d’aller au fond de sa pensée et de se confronter aux opinions des autres.
Parmi les finalités mises en évidence, les principales tournent autour de la réussite des élèves
(qualité des apprentissages), de l’amélioration des pratiques pédagogiques (à travers les
échanges) et de la création d’un bon climat d’établissement nourrissant et soutenant. Arrivent
en dernier les préoccupations concernant les attentes de la direction, de l’inspection ou de la
société en général. La mise en œuvre du programme arrive en bout de file également. Sans
vouloir généraliser les résultats de cette recherche, l’on peut établir le constat que la
collaboration dépend davantage des envies et besoins des enseignants, qu’ils tournent autour
d’eux-mêmes ou de leurs élèves, que des prescriptions. Le travail en collectif rejoint donc le
cœur de leur mission professionnelle. En fin de compte, « le travail de collaboration répondrait
davantage à une dynamique collective et professionnelle qu’organisationnelle » (Letor, 2007).
Pour Alter (2009), on choisit de coopérer ou pas. Il s’agit d’un « don » que l’on fait à l’autre. Il
s’agit avant tout de créer du lien. C’est pourquoi l’entente entre les acteurs est primordiale. La
complicité, notamment, joue un grand rôle. Lorsqu’elle est présente, elle implique que les
protagonistes possèdent des connaissances en commun, qu’ils se connaissent. On parle
même, dans certaines écoles, comme par exemple l’école Saint-Jean-Baptiste, mentionnée
par Letor (2010), d’enseignants « interchangeables », car ces derniers semblent se connaître
sur le bout des doigts. Vient ensuite la confiance, basée sur des règles explicites et implicites
connues par tous.
13
Cette manière de travailler induit une évolution professionnelle chez l’enseignant. Merini et
Ponté (2009) parle d’une « polyvalence de rôles » endossés par lui, qui remplace la
« polyvalence disciplinaire » habituelle. Ces multiples rôles à jouer exigent donc de nouvelles
compétences et connaissances. Il est d’abord nécessaire de bien comprendre le
fonctionnement du système éducatif. L’élève étant au centre de l’enseignement, il faut savoir
où il se situe dans ses apprentissages, quelles sont ses forces, ainsi que les stratégies pouvant
être mises en place avec lui. Il faut également posséder un large panel de savoirs et savoir-
faire didactiques. Sur un plan plus personnel, le travail en équipe exige de bonnes
compétences organisationnelles. Il est nécessaire d’instaurer des espaces de discussion, ainsi
qu’une atmosphère favorisant la prise de parole de chacun. Ce point-là est d’ailleurs souvent
reporté sur la direction. Des compétences psycho-sociales jouent également un rôle important.
Parmi elles, on retrouve la communication, l’écoute, la disponibilité, la solidarité, la
négociation, le partage, l’ouverture aux idées des autres (accompagnée d’une part de
renoncement), l’imagination…
Un petit nombre de recherches, comme celle de (Dupriez, 2007) se sont interrogées sur un
lien potentiel entre le fonctionnement pédagogique de l’établissement et la collaboration entre
les enseignants. Dupriez pose comme hypothèses qu’un dispositif traditionnel (classes
définies, programme découpé) incitera moins un enseignant à sortir de sa classe qu’une
approche davantage orientée vers le projet et l’interdisciplinarité. Cette deuxième forme aura,
en effet, tendance à complexifier le travail et entraînera donc forcément des modifications dans
celui-ci, tout en renforçant les concertations entre professionnels. Dupriez (2010) résume son
hypothèse comme suit : plus un établissement/système scolaire possède des objectifs tournés
vers l’éducation, favorise un apprentissage contextualisé des savoirs et met en place des
dispositifs pédagogiques où l’élève peut prendre sa place, plus cet établissement/système
scolaire verra apparaître du travail en collectif et de la coopération parmi les enseignants.
Certaines publications issues du Groupe Français d’Education Nouvelle, comme celles de
Lethierry (1986, cité par Périsset Bagnoud, 2007) et Vellas (2005, citée par Périsset Bagnoud,
2007) vont dans ce sens. L’étude de Vité et Vité (2007), portant sur un établissement
pratiquant le décloisonnement à partir de modules d’apprentissages, pourrait également
corroborer ces affirmations.
Une seconde hypothèse, avancée par Dumay (2009, cité par Dupriez, 2010) est que le travail
collectif doit concerner directement les actions quotidiennes des enseignants dans leur classe,
afin qu’il puisse avoir un réel impact sur leurs pratiques. Comme expliqué dans la
problématique, les recherches n’ont pour l’instant pas été assez nombreuses et conséquentes
pour pouvoir confirmer ou infirmer sérieusement ces hypothèses.
Pour conclure le début de cette première partie, nous pouvons retenir que, depuis les
réformes, il existe toujours un écart entre les prescriptions institutionnelles et la réalité du
terrain (Clement & Vanderberghe, 2000, cités par Dupriez, 2005). Il semblerait que le travail
collectif dépende de plusieurs facteurs, comme l’entente entre les acteurs, une relation de
confiance, la conscience de ses propres compétences et le désir d’améliorer ses pratiques
(Dupriez, 2010). Il découle davantage de besoins, du contexte, que de la mise en action des
demandes institutionnelles (Mérini, 2007). Ce à quoi il faut encore rajouter que, selon
l’hypothèse posée par Dumay (2009, cité par Dupriez, 2010), la collaboration serait étroitement
liée au travail quotidien des enseignants. Ce facteur serait la condition sine qua non pour que
cette forme de travail se développe. Ces différents points se retrouvent dans les constats
effectués par Tardif et al. (2007).
14
Dans la suite de ce travail, nous invoquerons différents concepts impliqués dans la thématique
du « travailler ensemble », dont nous extrairons quelques lignes directrices et similitudes.
Plus particulièrement, nous tenterons de développer de façon plus précise les concepts
« coordonner », « collaborer » et « coopérer ».
Nous nous intéresserons également à la notion d’« équipe pédagogique » (Perrenoud, 2013),
propre au domaine de l’enseignement, ainsi qu’à celle plus large de « communauté de
pratique » (Davel & Tremblay, 2011). Puisque la forme de travail collectif qui nous intéresse
s’inscrit dans le domaine scolaire, nous nous arrêterons également sur quelques éléments
contextuels, telle que la culture d’établissement.
Pour Merz et Furman (1997, cités par Vité & Vité, 2007), l’établissement scolaire joue avant
tout un rôle administratif. Ils le définissent comme « une communauté où des relations
personnelles peuvent se développer ». Mais cela va au-delà des simples échanges
personnels, puisque l’évolution de l’école rend nécessaire le travail en collectif.
La culture d’établissement est très proche de ce que l’on retrouve dans les entreprises. Elle
sert à fédérer les acteurs autour d’un projet, à leur donner envie de faire quelque chose
ensemble. Elle s’articule autour d’un groupe et en influence les membres, à qui elle sert aussi
de cadre de référence (Gather Thurler, 1994). Gather Thurler (2000) identifie la culture comme
un « ensemble de règles du jeu » régissant les échanges entre les acteurs, le partage des
rôles et des tâches, le fonctionnement de l’école, la place du pouvoir, ou encore l’ouverture
sur l’extérieur.
Gather Thurler (1994) identifie divers éléments qui lui sont propres : « attitudes, valeurs,
croyances, présupposés et manières de faire partagés à l'intérieur d'un établissement, d'un
groupe d'enseignants1, ou d'une communauté élargie. C'est la somme de ce que les
enseignants pensent, disent et font de façon « standard », en tant que membres de la
communauté concernée ». On peut encore y inclure les habitudes de chacun ainsi que
l’aménagement des lieux. Parmi ces éléments, on retrouve également les divers acteurs
gravitant à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, qu’il s’agisse des membres de la
direction, des enseignants, des élèves, des parents, des enseignants spécialisés, d’autres
intervenants, etc. Tout ceci forme une culture propre à un établissement particulier. Brown
(1978, cité par Gather Thurler, 1994), met en évidence le fait que chaque membre d’un
établissement construit sa propre culture et sa propre réalité. Il peut sembler alors paradoxal
de parler de « culture d’établissement ». Cependant, comme le souligne le même auteur,
l’enseignant n’arrive pas dans un vide qu’il compose entièrement.
1
Dans un souci d’alléger un peu le texte, nous désignerons alternativement les « personnes » mentionnées avec
les termes : « acteurs », « protagonistes », « membres », ou encore « enseignants », si le concept travaillé est plus
spécifique à l’enseignement. Le féminin est bien entendu compris dans ces nominations.
15
Même si chaque parcours de vie est individuel, les valeurs et les normes sont basées sur des
éléments déjà présents et communs à un ensemble de personnes. Nous pouvons donc dire
que la culture d’un établissement influence ses membres, tout autant qu’elle est influencée par
eux. D’années en années, l’école accumule des mémoires collectives qui sont ensuite
transmises aux nouveaux arrivants.
L’enseignant peut, bien évidemment, construire sa propre identité, dans un processus de
développement professionnel (Schön, 1983, cité par Gather Thurler, 1994), par des
expériences pratiques, des lectures et des réflexions. Mais même dans ce cas de figure, il
apprend aussi par le contact avec d’autres professionnels (collègues, formateurs…). Ces
derniers lui fourniront savoirs, savoir-faire et pistes de réflexion. Ce partage peut avoir lieu lors
d’échanges formels (planifications, programmes, évaluations, expertises…) et informels
(conversations quotidiennes) (Nias, 1989, citée par Gather Thurler, 1994). Cet apprentissage
par les pairs et dépendant de la culture de l’établissement.
Toujours selon Gather Thurler, il faut accorder une attention particulière au climat présent dans
un établissement. En effet, celui-ci influence la personnalité et le fonctionnement des acteurs
de l’école. Si ce dernier a tendance à varier, la culture d’établissement reste stable.
L’un des éléments caractérisant un établissement est son projet, ce qui implique les objectifs,
les moyens/ressources à sa disposition, ainsi que les résultats qui en découlent. Ce projet a
généralement pour but de favoriser la réussite de tous les élèves. Dupriez (2010) montre que
l’efficacité d’un établissement dépend du projet d’école, du travail en collectif des membres,
ainsi que d’un investissement de la direction dans la sphère pédagogique. Dans leur
recherche, Lessard, Kamanzi et Larochelle (2009, cités par Dupriez, 2010), montrent que le
degré de collaboration dans une équipe enseignante est corollaire à l’image qu’ont les acteurs
de leur école, ainsi qu’à la conscience qu’ils ont de leurs propres compétences. Crozier et
Friedberg (1977, cités par Gather Thurler, 1994) utilisent le terme « d’action organisée », pour
mettre en évidence la nécessité de combiner ces différents éléments pour leur donner de la
consistance. Le degré d’autonomie dont jouissent les écoles joue également un rôle important
dans son fonctionnement. Bressoux (1994, cité par Vité & Vité, 2007) relève qu’il y a plus
d’ « effets-école » dans les établissement bénéficiant d’une bonne autonomie.
Une culture d’établissement efficace peut avoir un impact considérable sur les élèves. Thyssen
et Kilchner (1991, cités par Gather Thurler, 1994) mettent en lien l’autonomie des enfants et
la mise sur pied par les enseignants d’un programme réunissant tous les membres de l’école.
Gather Thurler et Perrenoud (1990), se sont penchés sur ce qui fait d’une école un
établissement apprenant. Ils relèvent en premier la valeur accordée à la diversité, à la mise en
commun des forces de chacun. Vient ensuite la place laissée à l’erreur. Oser tâtonner, oser
remettre en question les programmes et les prescriptions, choisir une méthode appropriée,
autant d’éléments qui favorisent l’apprentissage de l’établissement. L’objectivation est
également de mise, que ce soit dans la structure, les représentations ou l’attitude de chacun.
Il vaut mieux observer, décrire que juger. Finalement, ce qui favorise l’apprentissage de l’école
est son ouverture à l’extérieur, l’acceptation de nouvelles idées, la curiosité de ce qu’il se passe
ailleurs.
Afin de rebondir sur ce dernier point, nous nous penchons dès à présent sur le concept
d’établissement efficace.
Certaines écoles semblent présenter un fonctionnement plus optimal que d’autres, qui se
ressent dans les pratiques pédagogiques et leurs retombées sur les élèves. L’impressionnant
travail effectué par Monika Gather Thurler nous a servi de base pour identifier les
caractéristiques de tels établissements.
16
2.2.3.1 Historique
Le premier point à préciser, selon Gather Thurler (1994) et qu’il est impossible de mesurer
l’efficacité d’un établissement. C’est un processus construit, négocié et vécu par les
protagonistes, dans une évolution perpétuelle.
Cette affirmation vient de la difficulté à saisir ce qui se cache désormais sous le concept
« efficacité ». L’accent est aujourd’hui mis sur la qualité, plutôt que sur la quantité. On
s’intéresse, par exemple, à l’atmosphère présente dans les établissements, aux valeurs et
croyances sous-jacentes. Cette approche qualitative ne peut se révéler pertinente que dans
la durée et dans l’observation de la façon dont agissent/se comportent les acteurs entre eux.
Gather Thurler ajoute encore que l’efficacité d’un établissement est construite par les acteurs
et dépend de leurs représentations.
Par la suite, diverses études et recherches ont eu lieu, tentant de formaliser et délimiter ces
premières observations. Dans les années ’80, notamment, les recherches ont eu comme
objectif de mettre en lien l’enseignement efficace et certains aspects présents dans les
établissements, comme le climat, la culture ou l’éthique. Le tout dans une vision systémique
et qualitative.
Ces recherches ont découlé de deux courants théoriques, explicités par Gather Thurler
(1994) :
I. L’interactionnisme symbolique
Ce courant considère que la profession enseignante est une construction
permanente de ses acteurs, qu’elle concerne leurs représentations, leurs valeurs,
leur personnalité, leur manière d’envisager la pratique, leurs capacités à négocier
avec leurs collègues, les élèves, les parents, l’administration… L’enseignant doit se
montrer actif, réfléchi et créatif afin de pouvoir faire face aux changements.
II. Le socio-constructivisme
Ce courant met en évidence le fait que l’appropriation de la profession par les
enseignants découle de la construction de représentations, favorisées par la pratique
et les échanges avec autrui. Perrenoud et Montandon (1988) différencient « acteur
individuel » et « acteurs collectifs ». Alors que le premier est rapidement rattrapé par
ses propres limites, les seconds peuvent évoluer et mettre en avant leurs objectifs en
s’inscrivant dans un système plus grand.
Depuis, de nombreux critères ont été proposés par les chercheurs. Certains mettent en
évidence la qualité du leadership, les interactions fréquentes, le sens donné aux activités des
protagonistes, la dynamique organisationnelle, ou encore le contexte (Hopes, 1988 ; Fullan,
1985 ; Fenstermacher & Berliner, 1985 ; tous cités par Gather Thurler, 1994). Les recherches
plus récentes mettent en avant la culture de l’établissement. En effet, pour améliorer le
fonctionnement d’une école, il est parfois nécessaire de modifier cette dernière.
17
2.2.3.2 Caractéristiques d’un établissement efficace
I. Organisation du travail
Elle doit être flexible et négociable, se modifiant selon les demandes, les problèmes et
les propositions de chacun. On pourrait parler de la recherche d’un équilibre entre une
logique bureaucratique (division du travail, structures hiérarchiques, organisation en
unités spécialisées) et une logique professionnelle (limitation du travail prescrit, accent
mis sur le quotidien, adaptation des actions au contexte, relation enseignant-élèves,
autonomie…).
II. Relations professionnelles
On privilégie le travailler ensemble, la coopération, les projets communs, les échanges.
III. Culture et identité collective
La vision de l’enseignement porte sur la résolution de problèmes et la pratique
réfléchie.
IV. Capacité de se projeter dans l’avenir
Les protagonistes adoptent une démarche de projet. Ceci permet de créer une
synergie et de fédérer les acteurs autour des mêmes objectifs, contenus et procédures.
Il est nécessaire de poser des stratégies globales, afin de pouvoir se représenter les
contenus, les pratiques et les démarches, ainsi qu’une planification évolutive,
favorisant les régulations.
V. Leadership et modes d’exercice du pouvoir
Dans les établissements efficaces, le leadership est de type coopératif, avec une
autorité négociée entre les membres. Le directeur inscrit donc ses actions dans cette
forme de pouvoir.
VI. Etablissement comme organisation apprenante
Les enseignants se considèrent comme en apprentissage permanent. Ils travaillent
perpétuellement à la résolution de problèmes et à l’optimisation de leur travail.
L’avancée de chacun est discutée en collectif, on rend des comptes. On se trouve dans
une démarche de développement professionnel.
On peut reprendre les mêmes caractéristiques et décrire des indicateurs opposés pour mettre
en évidence les établissements qui ne sont pas efficaces. Ces différents éléments seraient,
selon les recherches, davantage garants de l’innovation scolaire que les réformes appliquées
telles quelles dans chaque établissement.
Maintenant que nous avons explicité ce qu’est la culture d’établissement, ainsi que les facteurs
favorisant son fonctionnement, nous allons nous intéresser à l’appellation d’un type de groupe
pratiquant le travail en collectif, spécifiquement dans le monde éducatif : l’équipe pédagogique.
18
2.3.1 Définition : ce qu’est une équipe pédagogique
Selon Perrenoud (2013), une équipe pédagogique est un groupe d’individus qui se fédèrent
autour de projets, de ressources, et qui se partagent parfois la responsabilité d’élèves ou
d’activités pédagogiques. Cette forme de collectif consiste à articuler la pensée et l’action de
plusieurs acteurs. Les situations impliquant ce regroupement peuvent concerner les phases
de création/dissolution de l’équipe pédagogique, ainsi que les moments de coopération dans
une équipe déjà constituée. Puisque le travail en équipe n’est pas à proprement parler
obligatoire, la plupart des équipes pédagogiques se sont constituées par choix. Il est donc
préférable que l’initiative parte de l’un ou des enseignant(s) de l’établissement. Plusieurs
éléments jouent un rôle déterminant dans le succès de ce regroupement. Dans les lignes qui
suivent, nous mettrons également en évidence plusieurs compétences nécessaires au bon
fonctionnement d’une équipe pédagogique.
Pour commencer, le moment de la création est important, puisque c’est là que tout se met en
place. Ensuite, la formation doit s’inscrire autour d’un projet qui fédérera les membres,
favorisera une cohésion. Il est important que ce dernier ne soit ni trop fermé – ce qui risque
d’avoir un effet dissuasif – ni trop ouvert. Concernant le fonctionnement de l’équipe
pédagogique, nous mettons en évidence le rôle décisif du leader. Ce dernier n’incarne pas
l’autorité suprême mais fait plutôt office d’animateur, d’instigateur de ce collectif. Sa principale
tâche consiste à « chapeauter » le groupe, à lui rendre un « service ». Ce rôle exige de solides
compétences en leadership. Selon Perrenoud (2013), cette configuration rend préférable un
leadership distribué ou divisé entre plusieurs membres. Ces derniers peuvent également
occuper ce rôle temporairement, les uns après les autres
Afin de pouvoir durer, le groupe doit être capable d’assurer un renouvellement de ses
membres, tâche qui concerne donc tous les acteurs déjà présents. Ces derniers sont libres ou
pas d’accueillir de nouveaux collègues. Intégrer un nouveau partenaire ou s’intégrer soi-même
dans une équipe pédagogique fait également appel à certaines compétences sociales.
Finalement, aussi étonnant que cela puisse paraître, la compétence de savoir partir est aussi
utile à chaque membre. Chacun devrait être capable de prendre le risque de partir si
nécessaire, mais également de l’annoncer avec tact et honnêteté aux autres. Ce dernier point
met donc en lumière les compétences peut-être les plus nécessaires au bon fonctionnement
d’un groupe : savoir exprimer ses besoins, proposer des modifications dans le projet, organiser
des rencontres, etc.
Si nous nous intéressons maintenant au fonctionnement de l’équipe pédagogique en soi, nous
pouvons à nouveau relever une multitude de compétences nécessaires à sa longévité.
D’abord, il est bien entendu primordial de savoir coopérer, d’être capable de faire le tri entre
ce qui nécessite des concertations et ce qui peut s’effectuer individuellement. Ensuite, il est
important de savoir négocier avec ses partenaires. Les membres d’un groupe sont amenés à
définir ce qui est discutable ou pas, mais également à trouver des terrains d’entente pouvant
satisfaire tout le monde. Perrenoud (2013) parle d’ailleurs de « compromis intelligents ». Afin
de favoriser le bien-être de chacun, les acteurs doivent tour à tour être capables de présenter
des idées et de les argumenter – en s’adaptant parfois aux retours des collègues – mais aussi
de faire preuve d’écoute face à ces mêmes idées. Lorsque ses propositions ne sont pas
retenues, l’instigateur doit apprendre à accepter la situation sans s’éloigner du groupe. Pour
que chacun trouve son compte, il importe aussi de veiller à un partage de tâches et de temps
de parole équitables. Il arrive que certains dysfonctionnements viennent mettre en péril le
fonctionnement du collectif. D’autres compétences se manifestent alors, comme celle de
repérer le conflit avant qu’il ne s’aggrave et d’inviter les autres à se pencher sur le problème.
La communication, et plus particulièrement la métacommunication (analyser la façon dont on
communique), devient alors primordiale. Il est parfois utile de mobiliser un médiateur.
Puisque des traces sont nécessaires pour suivre l’évolution du groupe, il importe que chacun
soit capable de rédiger des rapports/prises de notes/PVs sur ce qu’il se passe en réunion.
19
Qu’elle constitue l’établissement ou qu’elle en fasse partie, une équipe pédagogique doit avoir
une politique extérieure. Cette dernière lui permettra d’obtenir des ressources (finances,
aménagement des horaires, autorisations…). Il lui faut encore désigner un ou des
représentant(s), chargé(s) de négocier avec des personnes extérieures au collectif.
Perrenoud (2013) donne deux usages aux équipes pédagogiques : l’équipe comme
environnement favorable et l’équipe comme acteur collectif. La première configuration est très
simple et fait uniquement office de ressource pour les enseignants. Elle n’induit aucune
modification dans leur travail quotidien et leur rapport à la classe. Les acteurs échangent
régulièrement sur leurs élèves, partagent des conseils ou du matériel, préparent ensemble
quelques cours ou évaluations, voire même se réconfortent mutuellement. Ces conversations,
par la mise en commun des pratiques qu’elles impliquent, fournissent de nombreux apports
psychopédagogiques et didactiques. Elles permettent aux enseignants de se développer
professionnellement et de prendre du recul sur certaines situations. La confrontation à d’autres
modèles, d’autres manières de faire aide à faire évoluer leur pratique (Perrenoud, 2013).
Cependant, chacun continue d’œuvrer dans sa classe en solitaire, la porte close.
Dans le deuxième cas, on assiste à la création d’un vrai groupe de travail. Les tâches sont
partagées entre les différents membres, certains cours sont décloisonnés, les classes sont
reformées selon les besoins. Dans cette configuration, les compétences et motivations de
chacun sont clairement mises en évidence et exploitées. Cette forme de travail peut se révéler
très intéressante dans la différenciation. En effet, il est possible d’exploiter le décloisonnement
en créant des groupes de besoins. De plus, plusieurs enseignants peuvent s’occuper des
mêmes élèves. On parle alors de « team teaching ». Comme explicité plus haut, la coopération
entre les protagonistes leur permet d’avoir plusieurs points de vue sur les enfants et, par
conséquent, d’optimiser les chances de trouver la bonne méthode à adopter pour chacun
d’entre eux. De plus, ces derniers sont amenés à s’adapter à différentes manières de faire et
ont donc plus de chance de trouver la place qui leur convient. Les activités choisies sont
également influencées par le travail en équipe. Lorsque plusieurs enseignants se mettent
ensemble, il devient envisageable d’augmenter l’offre et de permettre aux élèves d’aller vers
l’activité qui les intéresse le plus. La variété des tâches proposées se trouve donc augmentée.
Les acteurs ont aussi la possibilité d’exploiter leurs compétences et d’acquérir plus d’expertise
dans un domaine, ce qui améliore la qualité des prestations fournies. Cette forme de travail va
jusqu’à modifier le statut de l’enseignant. Il troque son costume d’animateur contre celui de
personne-ressource dans un domaine ou une discipline en particulier. Les apports sont
finalement nombreux pour les membres du collectif. Ils peuvent se partager les tâches, faire
face ensemble aux difficultés, constituer un poids plus important dans les échanges avec
l’institution ou les parents.
Selon le Groupe Rapsodie (1987, cité par Perrenoud, 2013), le travail en équipe permet :
a. De considérer les élèves selon plusieurs points de vue, ce qui aide à objectiver et
préciser davantage les observations.
b. Dans certaines conditions, d’offrir la possibilité aux enfants de travailler avec plusieurs
enseignants différents (adaptation).
c. De partager et échanger des savoirs, des savoir-faire, des outils (documents, jeux,
objets…). Cette forme de travail va également plus loin en favorisant un partage des
tâches et, par conséquent, un gain de temps dans les préparations.
d. D’oser la prise de risques, de renforcer sa motivation à tenter de nouvelles
expériences.
20
e. De se sentir soutenu, dans les moments de doutes, lors de difficultés rencontrées avec
les élèves, face aux parents.
f. D’expérimenter la confrontation avec d’autres collègues, de bénéficier des apports de
chacun, de renouveler sa pratique.
Force est de constater que le travail en collectif, malgré ses apports certains, peut être la
source d’un certain nombre de désagréments, justifiant le fait que les enseignants aient pu se
montrer frileux face aux prescriptions encourageant la collaboration. Perrenoud (1994), en se
basant sur des témoignages d’enseignants, décrit la coopération comme « un combat, contre
soi-même, contre ses propres ambivalences, contre les autres (…), contre le système éducatif
ou l’établissement (…) ».
Perrenoud (1987) nous rend attentifs au fait que l’apport du travail d’équipe dépend de sa
structure, des relations entre les membres, des objectifs et buts que le groupe s’est fixés, des
ressources qui sont à sa disposition, etc. Il est nécessaire que les acteurs apprennent à
fonctionner ensemble et développent quelques compétences de base, comme la régulation,
l’identification des enjeux et des rôles, l’expression des émotions/envies/besoins, la résolution
des conflits, etc. Parfois, des difficultés peuvent survenir. Dans ces moments-là, il est important
de les repérer et d’en discuter, afin de trouver des solutions. L’enseignant, ses besoins et son
bien-être doivent être au cœur des préoccupations, au même titre que l’élève. Ces aspects-là
sont en effet garants de son efficacité. Il est également important de savoir lâcher prise sur
certains événements. Dans cette profession, il est impossible de tout maîtriser en
permanence. Le travail en équipe exige encore de savoir renoncer à certaines aspirations pour
pouvoir prendre en compte le travail des autres (Perrenoud, 1992).
Mais, finalement, le principal enjeu d’une équipe pédagogique et d’aider davantage d’élèves
à apprendre mieux (Perrenoud, 2013).
Nous avons pu découvrir un type de « groupe » pratiquant le travail en collectif. Dès à présent,
nous nous appliquerons à définir les différents degrés d’action sous-jacents à cette forme de
travail.
21
2.4 Coordination, collaboration, coopération
Après nous être arrêtée sur les concepts tournant autour des établissements scolaires et avoir
identifié le squelette du travail en collectif, nous souhaitons préciser ici les différents types
d’« actions » menées par les personnes pratiquant cette forme de travail. Nous détaillerons
particulièrement le concept de coopération professionnelle, qui se rapporte le plus à notre
recherche.
Certains auteurs, comme Marcel, Dupriez, Périsset Bagnoud et Tardif (2007) différencient les
trois concepts mentionnés ci-dessus. Ils les visualisent comme trois niveaux emboîtés les uns
dans les autres, allant du degré le plus bas au degré le plus élevé de travail en équipe. Le
premier concerne la coordination. Il s’agit simplement de s’organiser dans le choix et la mise
en place d’actions convergeant vers un but commun. Les tâches sont essentiellement
administratives et peu partagées par les acteurs. Vient ensuite la collaboration. Dans cette
forme de travail, les protagonistes sont interdépendants et partagent temps, espace et
ressources. Les enseignants n’occupent plus uniquement une place de « colocataire ». On
recherche une communication fonctionnelle et efficace : partage d’informations, articulation
des actions et projets. On parle de collaboration dès que plusieurs partenaires s’associent
dans un projet commun ou dans la définition d’objectifs. Contrairement à la coordination,
l’ajustement des tâches s’inscrit dans la communication et la concertation des membres. En
dernier, l’on retrouve la coopération. Lorsqu’ils coopèrent, les acteurs ajustent de façon encore
plus précise leurs activités afin d’atteindre un but commun. On peut assister à des
décloisonnements pour certaines disciplines. Les enseignants sont dépendants les uns des
autres, ils ont tous leur pierre à apporter à l’édifice.
22
2.4.2 Coopération professionnelle
Dans ses recherches, Gather Thurler (1994 ; 2000) identifie cinq modes de relations
professionnelles :
I. Individualisme
Les enseignants restent seuls maîtres à bord de leur classe. Ils se montrent plutôt
réticents face à la présence de quelqu’un d’autre. Ce mode de travail peut avoir, au
premier abord, l’avantage d’immuniser l’acteur contre toute forme de critique
extérieure, puisque personne ne porte de regard sur ses actions. Cependant, cela
l’empêche également de recevoir du soutien et des appréciations, de s’entourer
d’« amis critiques » (MacBeath, 1998, cité par Gather Thurler, 2000).Sur le plan de ses
propres apprentissages, un isolement ne lui permet pas de recevoir des retours sur
son travail ou de bénéficier des apports des autres. Cette attitude se traduit par un
programme découpé en objectifs à court terme, qui offrent des rétroactions rapides.
Les projets sont mis de côté. Plutôt que de mettre en place des méthodes réellement
adaptées aux situations, l’enseignant répond aux demandes venant de l’extérieur et
appliquent les prescriptions. Ceci pouvant, à long terme, engendrer un sentiment
d’impuissance et diminuer la croyance en ses propres compétences. Le désir de se
protéger des remises en question lui font éviter les « grandes » discussions (projets,
méthodes, stratégies…) et les débats en collectif. Les échanges demeurent en surface.
II. Balkanisation
Contrairement au premier mode, les enseignants se réunissent. Mais ces associations
prennent la forme de petits groupes distincts. D’une certaine façon, ces regroupements
restent en marge de l’ensemble du corps enseignant. De plus, cette manière de
fonctionner a pour risque de voir émerger des rivalités entre les groupes. Concernant
la direction de l’école, on constate qu’il s’agit souvent d’un leadership de « laisser-
faire », où la responsabilité totale des décisions prises incombe aux enseignants.
III. La grande famille
Dans ce type de collectif, les membres ont développé une relation très forte entre eux,
très soutenante et familiale. Les échanges sont pacifiques, amicaux. La confiance est
primordiale et se trouve renforcée par un certain nombre de normes implicites et
explicites. On porte davantage d’attention au bien-être de chacun et à l’atmosphère de
l’établissement, plutôt qu’à la structure. Les échanges informels ont tendance à
prendre le pas sur les échanges professionnels. L’aspect social (fêtes, activités…)
supplante la dimension pédagogique et didactique. Le but est d’éviter toute contrariété.
Le leader occupe un rôle plutôt paternel, en veillant au confort de chacun et en gérant
les conflits.
IV. Collégialité contrainte
Si le troisième mode met l’accent sur l’aspect relationnel du groupe, ce mode-ci est
beaucoup plus formel et structuré. On s’intéresse davantage à la pédagogie et à la
didactique. On prévoit des temps de concertation pour planifier et discuter des élèves,
on organise ensemble des journées de formation continue, parfois on enseigne dans
la même classe (« team teaching »). Cette organisation répond à une logique
administrative qui facilite le contact entre les acteurs et les encourage à partager leurs
savoir et savoir-faire, ainsi qu’à optimiser leur enseignement. Cependant, comme son
nom l’indique, elle est contrainte. Nous pouvons faire là un parallèle avec les
prescriptions. Comme développé plus haut, nous avons pu constater que les
obligations n’étaient pourtant pas favorables au travail en équipe.
23
Cette recherche appuie ce point en montrant que « la collégialité contrainte ne peut
pas produire, par décision autoritaire, une culture de coopération, ni constituer un
substitut « instantané » d’une telle culture, dont la genèse demande du temps. »
(Gather Thurler, 1994). Dans le pire des cas, elle peut même l’empêcher, alors que les
enseignants seraient pourtant naturellement amenés à la pratiquer.
V. Coopération et interdépendance
Dans ce modèle, l’aspect relationnel et l’aspect professionnel sont liés. La confiance
est bien évidemment présente, à travers l’entraide et le soutien. Le relationnel se
manifeste dans les échanges informels, les plaisanteries, les petites histoires de
chacun, les fêtes partagées (ex : anniversaires), les moments de détente. Les acteurs
accordent une réelle importance à l’autre dans son entier, même lors de désaccords.
Sur le plan professionnel, les moments de concertations permettent le partage des
ressources ainsi que l’élaboration de projets et de stratégies. L’acteur peut s’identifier
à un groupe, tout en y introduisant sa personnalité (valeurs, croyances, compétences,
vision…). Chaque membre, de par son histoire personnelle, vient enrichir le groupe.
Pour que l’équipe fonctionne, elle doit se fédérer autour d’objectifs et de valeurs
communs. Dans cette situation, le directeur n’est pas un leader qui impose son choix,
ni un père. Ce dernier est capable de jouer habilement entre structuration/organisation
et bienveillance/humanité. On peut même parler, dans ce mode, de « leadership
coopératif » : chaque membre fait partie intégrante du système et travaille à son
évolution. Dans ses recherches, Rosenholtz (1989b, citée par Gather Thurler, 2000),
relève cependant que ce mode de travail apparaît plus généralement dans des petits
groupes que dans un ensemble, chaque membre n’appréciant pas forcément les
groupes plus conséquents.
Tableau 1: Différences entre culture de coopération et collégialité contrainte, tiré de Gather Thurler,
1994, p.33
Nous pouvons constater que le travail en collectif peut prendre bien des formes. Les différentes
appellations dépendent du degré d’interdépendance entre les membres du groupe. Cette
interdépendance peut être imposée ou souhaitée.
24
Cependant, de petits groupes d’enseignants, voire des établissements entiers, sont parvenus
à en faire un mode de fonctionnement solide et efficace. En les observant de plus près, les
recherches en ont extrait quelques principes. En premier lieu, l’efficacité de la plupart de ces
groupes semble avoir résidé dans le libre choix de cette forme de travail. En effet, pour que la
collaboration ait du sens, il est nécessaire qu’elle résulte d’une envie ou d’un besoin, plutôt
que d’une simple obéissance à des demandes institutionnelles. Ensuite, quelle que soit la
forme de collaboration appliquée par les enseignants, il est nécessaire que ces derniers se
fédèrent autour d’objectifs communs. Une ouverture au changement, ainsi qu’au partage
d’expériences est également souhaitée. Loin de disparaître dans le groupe, le protagoniste
utilise et met à profit ses propres expériences et compétences, sa singularité. Il construit des
connaissances ouvragées, composées de son propre vécu, de ressources théoriques et,
surtout, de la confrontation au vécu d’autrui. L’aspect relationnel étant important, une
atmosphère chaleureuse, bienveillante et sécurisante est un autre garant d’un fonctionnement
efficace. Ceci nous a amenée à étudier de plus près le rôle de la culture d’établissement dans
le travail collectif. De là avons-nous extrait divers éléments significatifs, telle qu’une
organisation flexible et négociable, des relations professionnelles solides, une culture et une
identité collective forte, une démarche de projet tournée vers l’avenir, un leadership de type
coopératif et une volonté d’apprendre permanente.
Si l’on parcourt ces différents points théoriques, nous pouvons constater que le leadership y
apparaît de façon récurrente. Il semble occuper une place centrale dans le travail en collectif,
de par la dynamique qu’il insuffle ou entretient dans l’établissement en général, et dans
l’équipe pédagogique en particulier. C’est pourquoi nous entreprendrons, dans la suite de ce
travail, de nous focaliser davantage sur cette thématique. Nous développerons les formes du
leadership, en particulier celles mentionnées plus haut. Nous ferons également en sorte
d’objectiver cette pratique, en étudiant les gestes qui lui sont associés. Finalement, l’effet de
ces gestes, présent dans notre question de recherche, sera testé et vérifié sur le terrain.
25
2.5.1 Travail en collectif : dimensions
Le tableau présenté ici nous permet de faire une synthèse des différentes dimensions du
travail en collectif développées plus haut et offre un aperçu général de ces concepts.
26
3 Cadre conceptuel : les formes de leadership, les gestes
mobilisés, leurs effets
Cette troisième partie se trouve être le cœur de notre travail. Après avoir développé les
concepts de travail en collectif et de culture d’établissement, nous nous intéresserons ici au
leadership. En effet, comme expliqué dans la synthèse de la problématique, nous avons pu
constater que le leadership revient de façon récurrente dans les thématiques abordées. Nous
avons donc choisi d’éclairer notre paysage collaboratif avec ce concept. Dans les paragraphes
suivants, nous nous attarderons à définir précisément le leadership, en l’inscrivant dans le
contexte scolaire. Nous poserons également un focus sur les gestes professionnels, qui nous
permettront par la suite de cadrer le leadership. Finalement, nous nous pencherons sur le
processus d’accompagnement par lequel se manifeste cette forme de management.
3.1 Leadership
Dans cette partie, nous nous attacherons à définir ce qu’est le leadership, comment il se
manifeste, quels sont ses enjeux et quelles sont les tâches qui lui sont associées. Puisque
notre travail porte sur la collaboration au sein d’un établissement efficace, nous nous
concentrerons sur le leadership exercé dans le milieu scolaire.
3.1.1 Historique
Le management des établissements scolaires a d’abord été très présent aux États-Unis. Lors
des réformes ayant touché le monde de l’éducation à la fin du XXème siècle, porteuses de
nouveaux objectifs visant à optimiser l’enseignement, les membres des directions ont pu
bénéficier d’une plus grande autonomie. En parallèle, la pression de rendre des comptes aux
autorités s’est également intensifiée (Spillane, Halverson & Diamond, 2008). Les auteurs
mentionnés ici se sont particulièrement intéressés au domaine du « school leadership ». Selon
eux, il est important de favoriser un partage de compétences et de stratégies entre enseignants
et chefs d’établissement, entre individus expérimentés et novices. En effet, les réformes ont
entraîné une complexification des tâches dévolues aux chefs d’établissement (Corriveau,
2004, cité par Poirel & Yvon, 2012). Cette forme de leadership s’est donc vue encouragée,
afin de permettre aux différents acteurs de l’école de remplir au mieux les missions leur ayant
été confiées. Ce mode de fonctionnement pourrait avoir une influence sur les pratiques
pédagogiques.
Spillane et al. n’ont pas souhaité proposer une traduction littérale du terme leadership. Ils le
définissent comme un concept regroupant à la fois les fonctions institutionnelles (direction
d’école) et les fonctions intermédiaires, pouvant être remplies par des enseignants ou d’autres
membres de l’établissement.
Les dernières années ont prouvé que les établissements ont un impact sur l’apprentissage
des élèves (Thyssen et Kilchner, 1991, cités par Gather Thurler, 1994) et que le leadership
joue un rôle prépondérant dans l’innovation pédagogique (Newman et Wehlage, 1995 ;
Hallinger & Heck, 1996 ; tous cités par Spillane & al., 2008). Comme nous l’avons expliqué
plus haut, les écoles présentant une bonne cohésion des membres, réunis autour d’objectifs
communs, sont la garantie d’une meilleure efficacité des pratiques enseignantes (Bryk &
Driscoll, 1985, cités par Spillane & al., 2008). La place des chefs d’établissement, de leur
leadership, favorise ce climat de coopération et d’innovation (Rosenholtz, 1989, citée par
Spillane & al., 2008).
27
3.1.2 Leadership dans les établissements scolaires
Nous avons défini le leadership dans sa globalité. Le contexte de notre travail impliquant les
écoles, il nous paraît nécessaire de l’inscrire dès à présent dans le paysage scolaire. Cette
forme de leadership présente, en effet, bien des spécificités.
En premier lieu, il est nécessaire de nous arrêter sur le terme « leadership », qui est employé
dans la majorité des cas. Comme le précise Gather Thurler (2000), il n’existe en fait aucune
équivalence précise en français. On parlera plutôt de « directeur », « chef » ou
« responsable ». Ces dénominations étant passablement réductrices, la plupart des auteurs
utilisent donc le terme anglais. Selon Spillane et al. (2008), le leadership est défini comme
« l’identification, l’acquisition, l’affectation, la coordination et l’utilisation des ressources
sociales, matérielles et culturelles qui établissent les conditions préalables à l’enseignement
et aux apprentissages ». Bennis et Nanus (1985, cités par Gather Thurler, 2000) précisent
encore cette définition en expliquant que le leadership n’est pas qu’une simple question de
« statut » mais dépend surtout de l’influence qu’exerce une personne dans un contexte donné,
notamment en ce qui concerne les actions et les décisions d’un groupe. On définira une
personne comme un leader lorsque son influence est régulière. Cette tâche ne mobilise pas
uniquement le chef de l’établissement, mais également les enseignants ou autres intervenants
scolaires, ainsi que les élèves. C’est l’ensemble de ces acteurs qui vont pouvoir œuvrer à
l’innovation pédagogique et à l’optimisation des pratiques enseignantes (Spillane & al., 2008).
I. Statut d’autorité
Le leader est un chef d’établissement ou un proche collaborateur, choisi par le pouvoir
organisationnel, la commune ou l’état.
II. Statut électif
Le leader est un maître principal, un chef de projet ou un collaborateur, à qui le pouvoir
a été délégué par les enseignants.
III. Expertise professionnelle
Le leadership se base sur la reconnaissance de compétences développées dans un
domaine professionnel. L’acteur fait office de personne-ressource pour les autres
enseignants.
IV. Charisme personnel
Le leader se caractérise par ses capacités à mobiliser les autres, à les fédérer autour
d’objectifs communs et à insuffler engagement et enthousiasme, dans une démarche
collective.
V. Sens de l’organisation
Le leadership se concentre sur des aspects organisationnels : organisation du travail,
négociation, médiation, communication avec l’extérieur, production d’artefacts.
VI. Position dans le système social
Le leader travaille en réseau avec d’autres institutions ou personnes.
Ces premières définitions nous permettent déjà d’établir le constat que le leadership est un
concept riche et complexe, qui peut porter sur différentes personnes et différentes actions.
28
3.1.2.2 Enjeux et manifestations du leadership
Pourtant, il paraît nécessaire de ne pas rejeter cette forme de travail. Comme le montre Lee
(1987, cité par Spillane & al., 2008), le management peut se révéler être une part non
négligeable du leadership éducatif, bien qu’il ne soit pas directement lié à l’enseignement. En
effet, il a été démontré que l’innovation pédagogique dépend également des tâches
quotidiennes menées par les leaders. Nous pouvons prendre pour exemple les horaires. Nous
avons vu plus haut que l’innovation était soutenue par les concertations entre professionnels.
Il est donc important que le leader mette en place des conditions temporelles favorables à ces
rencontres. La responsabilité du leader quant à la gestion de l’école va encore plus loin, si l’on
considère que la marge de manœuvre dont dispose l’institution dépend de sa légitimité (Meyer
& Rowan, 1978, cités par Spillane & al., 2008). Le chef d’établissement se voit donc contraint
d’accorder une large place aux tâches « externes », garantes de la recevabilité des actions
menées par l’institution. En plus de ces aspects plus « formels », un leadership favorable à
l’innovation se doit aussi de mobiliser les acteurs autour d’objectifs communs, d’identifier les
valeurs et les croyances propres au groupe, de définir des stratégies et de mettre en place les
conditions nécessaires à la construction d’un changement efficace. On parle alors de
« leadership intellectuel » (Gather Thurler, 2000).
La majeure partie des recherches se sont portées sur les acteurs occupant des fonctions
formelles, comme les chefs d’entreprise ou les chefs d’établissement. Certaines d’entre elles
abordent le concept du leadership sous l’angle du caractère de l’individu (capacités et style).
Parmi les traits déterminants, on retrouve la confiance en soi, la sociabilité et les capacités de
s’adapter et de travailler avec les autres (Yukl, 1981, cité par Spillane & al., 2008). D’autres
recherches ont rédigé des taxonomies de comportements de réussite (Hemphill & Coons,
1950, cités par Spillane & al., 2008), ou ont encore défini des « styles » de leadership :
autocratique, démocratique, libéral (Lewin et al., 1939, cités par Spillane & al., 2008). Quant à
celles qui se sont penchées plus spécifiquement sur les établissements, elles ont mis en
évidence un aspect partagé de ce leadership. En plus de dépendre de la direction, il peut
également se manifester chez les enseignants ou d’autres acteurs présents dans l’école
(Smylie & Denny, 1990, cités par Spillane & al., 2008). Ce partage du leadership est d’ailleurs
une condition non-négligeable pour prétendre à une réelle compréhension des pratiques
enseignantes. Lorsque les enseignants prennent les rênes du pouvoir, le résultat diffère de
celui du chef d’établissement. Cette forme d’organisation nous permet donc d’aborder le
leadership sous un angle plus large (Leithwood et al, 1997, cités par Spillane & al., 2008). Elle
pourrait également prévenir le rejet du leadership par les enseignants. En effet, ce dernier
occupe une place délicate. Il est régulièrement associé à la position hiérarchique et à l’autorité.
Plus particulièrement, on retrouve derrière ce terme la notion de « pouvoir ». Ce dernier
dégage souvent une connotation négative, faite de soumission, de conflits et de violence
(Dejours, 1993b, cité par Gather Thurler, 2000). Beaucoup d’enseignants s’opposent donc à
ce qui pourrait, selon eux, les priver de leur autonomie et engendrer des souffrances.
29
Heureusement, l’évolution du management de ces dernières années a modifié quelque peu
les opinions (Gather Thurler, 2000), et ce au bénéfice des établissements. Comme le souligne
le même auteur, les nouveaux enjeux de l’enseignement nécessitent de supprimer la scission
trop facilement présente entre les « gens qui savent » et les « gens qui ne savent pas ». On
pense à tort que les personnes possédant un statut élevé possèdent une plus grande légitimité
dans la réflexion et la prise de décision, tandis que les autres sont incapables d’assumer des
responsabilités et d’avoir une bonne vision des situations rencontrées. Les changements
récemment survenus tendent à modifier les représentations, en mettant en évidence le fait
que chaque protagoniste est doté de compétences pouvant être mises à profit dans le groupe.
Les objectifs visés viennent au cœur du leadership, et tendent à supplanter la simple position
hiérarchique.
Mintzberg (1973, cité par Spillane & al., 2008) souligne la difficulté de définir et regrouper
précisément les différentes tâches effectuées par le leader. En effet, elles ont la particularité
d’être variées, souvent fragmentées et menées sur des échéances brèves (Leithwood &
Steinbach, 1995, cités par Spillane & al., 2008). La temporalité est particulièrement mise en
avant. Les leaders sont amenés à agir rapidement et s’attèlent donc régulièrement à des
planifications à court terme. Cependant, en négligeant quelque peu la nature exacte de ces
tâches, il est intéressant d’observer la manière dont elles s’agencent, puisque cette
organisation est déterminante dans le fonctionnement de l’établissement.
D’autres études s’intéressent au « réseau de rôles », à la façon dont les individus interagissent
entre eux (Ogawa & Bossert, 1995, cités par Spillane & al., 2008). Ceci nous rapproche du
leadership dit « distribué », que nous développerons plus loin.
Parmi les tâches généralement attribuées au leader, nous pouvons retrouver la construction
d’un projet d’établissement ; la création d’un conseil de discipline ; les multiples séances de
concertation avec les enseignants ou les parents d’élèves, visant à aborder différentes
problématiques, etc. Ces tâches peuvent être classées en deux catégories : les macro-tâches,
étalées sur une longue période (ex : création d’un projet d’établissement), et les micro-tâches,
effectuées sur un laps de temps plus court (ex : réunion).
Dans les macro-tâches on relève plusieurs éléments propres à favoriser l’innovation
pédagogique (Leithwood & Montgomery, 1982 ; Firestone & Corbett, 1988 ; Blasé & Kirby,
1993 ; Louis & Kruse, 1995 ; tous cités par Spillane & al., 2008) : la construction d’un projet
pédagogique ; le développement d’une culture scolaire efficace, caractérisée par des
échanges entre les membres, l’élaboration de normes, la confiance ; l’obtention et la répartition
des ressources ; le renforcement de la formation professionnelle, individuelle et collective ; un
fonctionnement davantage axé sur la pédagogie que sur la discipline. Des auteurs comme
Goldring et Rallis (1993) ou Little et Bird (1987, cités par Spillane & al., 2008) mettent en
évidence l’importance des micro-tâches dans l’optimisation des macro-tâches. Par exemple,
une bonne organisation de l’emploi du temps des enseignants (micro) permettra de favoriser
davantage la collaboration (macro).
En ce qui concerne la réalisation des tâches, nous pouvons observer une multitude de
processus. Leithwood et Steinbach (1995, cités par Spillane & al., 2008), constatent que les
chefs d’établissements les plus compétents sont « mieux à même de réguler les processus de
résolution de problèmes et sont plus sensibles aux exigences de la tâche et aux circonstances
de résolution ». De leur côté, Blasé et Blasé (1999, cités par Spillane & al., 2008) se sont
intéressés au point de vue des enseignants, concernant le comportement quotidien de leurs
leaders.
30
Deux thèmes sont mis en évidence : la concertation entre leaders et enseignants, pour
favoriser la réflexion, ainsi que le développement professionnel de chacun. Les deux auteurs
identifient encore six stratégies visant à améliorer la réflexion : proposer, réagir, modéliser,
enquêter, demander conseil et émettre un point de vue, faire des compliments.
Les tâches dévolues au leadership sont multiples et variées, portant tout autant sur de
l’administration et de la gestion pure que sur l’évolution des pratiques pédagogique et
l’innovation. Loin de préférer un aspect ou l’autre de son travail, un leader efficace doit plutôt
œuvrer à trouver un équilibre favorisant le développement de l’institution.
Le leadership ne porte pas systématiquement sur les mêmes objets. Il s’adapte aux besoins
et aux visées de l’établissement dans lequel il est exercé.
31
3.1.2.5 Artefacts
Nous avons mentionné dans la problématique l’importance que prend la conception d’artefacts
dans le fonctionnement d’un groupe de travail. Ces derniers constituent en effet une trace de
tout ce que les membres ont effectué ensemble. La production d’artefacts fait également partie
des tâches dévolues au leader (Spillane & al., 2008). Ces derniers comprennent les traces
des activités et décisions prises au sein de l’établissement. Ils créent un pont entre l’action du
leader et son environnement (Wertsch, 1991, cité par Spillane & al., 2008). D’un côté, nous
retrouvons les outils, les artefacts dits « matériels » (prises de notes, PVs, protocoles
d’évaluation…). Ils établissent des routines. De l’autre côté, nous retrouvons les symboles
(systèmes langagiers, vocabulaire…), plus difficiles à définir. Les outils ne contiennent pas
uniquement des items matériels, ils peuvent également être plus abstraits. Les outils touchant
à la temporalité en sont un bon exemple : calendrier, emploi du temps. Ces derniers établissent
les « rythmes cachés » du quotidien de l’école (Zerubavel, 1981, cité par Spillane & al., 2008).
Les artefacts jouent donc un rôle déterminant dans la structuration de la vie scolaire.
Nous avons pu constater dans cette première partie consacrée au leadership que ce dernier
peut se manifester de multiples façons. Parmi ces différentes formes est apparue à maintes
reprises une volonté de partage entre plusieurs acteurs, de répartition du pouvoir. Ce
leadership dit « coopératif » ou « distribué » a également été mentionné plus d’une fois dans
la culture d’établissement et le travail en collectif des enseignants. Il nous paraît donc pertinent
de nous pencher dès à présent sur cette forme de leadership.
Selon Gather Thurler (2000), le leadership est la plupart du temps dévolu aux chefs
d’établissements ou à d’autres personnes extérieures. Il semblerait que cette tâche ne soit pas
réellement destinée aux enseignants. Pourtant, si l’on considère que le vrai leadership ne
dépend pas uniquement du statut hiérarchique de celui qui l’exerce, mais surtout de l’influence
qu’il a sur l’institution, force est de constater que l’on peut trouver des enseignants ayant un
grand impact, souvent informel ou caché, sur leur école. L’action de ces acteurs peut être un
accélérateur ou un frein au changement, selon la relation existant entre eux et le directeur.
Cependant, les processus d’innovation pédagogique de ces dernières années tendent à
modifier la donne. Comme nous avons déjà pu le constater en nous intéressant aux travaux
de Gather Thurler (1994, 2000) ou de Leithwood et al. (2007, cités par Poirel & Yvon, 2012),
un changement efficace passe par une plus grande implication des acteurs de l’école. Ces
nouveaux enjeux incitent donc peu à peu les établissements à organiser différemment leur
travail, ce qui peut passer par répartition plus égalitaire des tâches entre les membres.
Selon Gather Thurler (2000) et Leithwood et al. (2007, cités par Poirel & Yvon, 2012), cette
forme de leadership consiste en un partage du pouvoir par un groupe d’individus. Aucun des
membres n’occupe définitivement une place formelle de leader, le pouvoir n’est pas délégué
à une seule personne. Cependant, l’ensemble du groupe évolue vers une action commune.
Les enseignants se concertent régulièrement afin d’ajuster leurs actions, de se répartir les
tâches et de faire un bilan des nouvelles compétences et des nouveaux savoirs acquis.
32
Sa responsabilité consiste alors principalement à veiller à la répartition des tâches et à assurer
la cohérence dans le fonctionnement global et collectif de l’institution.
La mise en place de cette forme de leadership s’inscrit autour d’une sorte de contrat social
entre les différents acteurs (Gather Thurler, 2000) impliquant de :
Pour que cette démarche fonctionne, il est nécessaire d’assurer une bonne coordination du
travail, en créant des espaces de discussions et de prises de décisions, en favorisant des
contacts fréquents entre les membres et en établissant des bilans réguliers de l’évolution des
tâches en cours.
Malgré les enjeux cachés derrière cette forme de leadership, il semblerait que cette dernière
ne soit pas toujours aisée à mettre en pratique.
Gather Thurler (2000) relève la charge plus importante de travail qui peut émerger à chaque
fois que l’on attend des enseignants qu’ils se réunissent régulièrement pour prendre des
décisions. Nous avions déjà abordé ce point dans le travail en collectif, en citant Perrenoud
(2013). Gather Thurler mentionne aussi ces personnes qui tendent à prendre l’ascendant sur
les autres, sans posséder de réelles compétences, tandis que de véritables personnes-
ressources restent dans l’ombre. L’efficacité de l’établissement risque donc d’être mise en
péril.
Dans leur recherche menée au Québec, Poirel et Yvon (2012) mettent en évidence les
difficultés relatives à ce mode de fonctionnement. Selon eux, un leadership distribué n’est pas
le signe d’une réelle volonté de partage émanant des enseignants. De plus, il n’est pas garanti
que cette répartition du pouvoir serve des objectifs communs.
Bien que le leadership distribué semble faire partie intégrante de l’innovation pédagogique et
du travail en collectif, il présente des limites à prendre en compte, afin de demeurer focalisé
sur le but premier des établissements, à savoir améliorer leurs pratiques pédagogiques.
Maintenant que nous nous sommes intéressée au concept du leadership, nous allons
entreprendre de concrétiser et préciser ses manifestations. Dans ce but, il nous a paru
pertinent de nous pencher sur les gestes professionnels. Dans la suite de notre recherche,
ces derniers nous offriront, en effet, des clés d’observation pour analyser la présence du
leadership dans le contexte de l’établissement choisi.
33
3.2 Gestes professionnels
Le concept de geste professionnel n’est apparu que tardivement dans le monde l’éducation.
Cependant, nous assistons ces dernières années à une utilisation de plus en plus fréquente
de ses multiples appellations et angles d’approche, notamment dans le domaine de la
formation (Jorro, 1998). Il semble s’être fait une place de choix dans le développement
professionnel de l’enseignant.
Il semblerait que le mot « geste » soit issu d’une racine latine, comme le relève Antoine Court
de Gébelin (1788, cité par Pana-Martin, 2015) dans son dictionnaire étymologique de la langue
latine. Dans sa thèse, Pana-Martin (2015) relève plusieurs définitions possibles pour les mots
découlant, par exemple, de GERo GESSi GESTum et GERere : porter, être chargé ; avoir,
produire, mettre au jour, faire paraître ; diriger, conduire. L’auteur s’intéresse également au
terme GESTus : geste, action.
Le dictionnaire de français Larousse nous donne lui aussi quelques définitions du geste,
considéré comme un nom masculin :
- « Mouvement du corps, principalement de la main, des bras, de la tête, porteur ou non
de signification.
- Manière de mouvoir le corps, les membres et, en particulier, manière de mouvoir les
mains dans un but de préhension, de manipulation.
- Action remarquable qui frappe par sa générosité, sa noblesse, etc. »
Il apparaît donc clairement que le corps est le vecteur principal du geste. On peut l’associer à
la posture, avec qui il présente cependant une légère différence. La posture s’apparente
davantage à quelque chose de stable, alors que le geste revêt un aspect plus dynamique
(Pana-Martin, 2015).
Mauss (1934, cité par Pana-Martin, 2015), met en évidence le caractère transmissif de la
gestuelle. Selon lui, certains de nos mouvements sont profondément ancrés en nous, comme
un héritage de notre culture ou de notre éducation. Ils sont appris par observation et par
imitation. Mauss relève que les enfants utilisent principalement le mimétisme pour reproduire
la gestuelle des adultes. Il s’interroge donc sur la possibilité que le processus soit le même
chez un membre qui entre pour la première fois dans un groupe de travail.
Jorro (1998) est la première chercheuse à avoir utilisé le concept de geste professionnel, en
particulier dans le contexte des disciplines scolaires. Contrairement au simple geste défini plus
haut, le geste professionnel inclue une dimension interprétative. Il ne s’agit plus d’effectuer un
mouvement aléatoire mais de lui donner un sens, un but. Sa visée est communicative, l’action
devient réfléchie.
34
D’autres chercheurs se sont emparés de cette dénomination. Afin de nous rapprocher au
mieux du sujet de notre recherche, nous avons fait porter notre choix sur les travaux de Jorro
et Alin, que nous décrirons dans les prochains paragraphes.
Comme mentionné plus haut, Jorro (1998) enrichit le concept de geste en lui ajoutant une
dimension interprétative. Dans la situation de communication, elle prend en compte l’émetteur
(intention) mais également le récepteur (interprétation). Le geste revêt donc un caractère
intersubjectif. Dans l’un de ses travaux, en 2011, Jorro le définit comme « un mouvement du
corps, adressé, porteur de valeurs et inscrit dans une situation, irrigué par la biographie et
l’expérience du sujet ».2 Le mouvement mécanique du corps prend donc une signification
particulière et complexe. Y sont sous-jacentes les valeurs portées par l’individu, puisque le
geste révèle son histoire ainsi que son bagage culturel et éducatif.
Dans le contexte professionnel, le praticien est encouragé à mener une véritable réflexion sur
le sens de ses actions. C’est de cette façon que le simple geste devient professionnel. Jorro
(1998) y distingue deux aspects : l’aspect opératoire et l’aspect symbolique. Dans le même
ordre d’idée, elle sépare donc les gestes du métier et les gestes professionnels. L’aspect
opératoire comprend les gestes techniques propres à certaines pratiques, tandis que l’aspect
symbolique englobe les intentions et les valeurs de l’individu. Il s’agit donc pour l’enseignant
de trouver un équilibre subtil entre les pratiques de son métier et le choix conscient de ses
actes et des gestes qu’il souhaite mobiliser.
Les gestes professionnels recouvrent donc les gestes du métier, qu’ils placent en contexte.
L’acteur est amené à tenir compte de la situation dans son action. Il donne du sens à sa
pratique et en est responsable. Il emploie également ce concept dans une perspective de
développement professionnel.
Nous allons nous intéresser dès à présent aux deux catégories d’acteurs qu’a étudiées Jorro,
à savoir les enseignants et les formateurs.
2
Extrait d’un diaporama présenté à la Roche sur Yon, le 29 mars 2011, pour l’ISFEC, selon Pana-Martin (2015).
35
3.2.3.1 Agir professionnel de l’enseignant
I. Gestes langagiers
C’est la façon dont l’enseignant explique les choses, son langage, le lexique employé,
le registre de langue. Ces gestes influent sur la mobilisation des élèves. On y inclue
encore les postures d’écoute.
II. Gestes de mise en scène des savoirs
Ils établissent un lien entre les objectifs poursuivis et l’activité des élèves. Ils mettent
en évidence la façon dont le savoir est présenté, institutionnalisé, évalué.
III. Gestes d’ajustement de l’activité
Ces gestes permettent à l’enseignant de faire face aux imprévus pouvant survenir
durant son cours. Ils peuvent influer sur la nature de l’activité, son rythme, sur
l’enseignant et sur les élèves.
IV. Gestes étiques
Ils sont le révélateur de la relation entre l’enseignant et ses élèves.
Jorro (2004), met en évidence cinq postures. Ces dernières ont été identifiées lors de
l’observation d’accompagnement de stagiaires dans l’écriture de leur mémoire professionnel.
I. Posture de traducteur
II. Posture de médiateur
III. Posture de pisteur
IV. Posture de régulateur
V. Posture de contradicteur
Pour Jorro, l’agir professionnel se base donc à la fois sur la maîtrise des gestes du métier et
leur mise en situation.
36
Dans le cas de notre recherche, il est difficile de trouver des gestes propres au leader. Nous
retiendrons donc des travaux de Jorro l’agir professionnel du formateur. En effet, il nous paraît
plus près de notre intention. Le leader occupe davantage une posture de formateur car il
accompagne les enseignants dans la construction individuelle et collective de leurs pratiques
et de la culture d’établissement.
Alin inscrit ses recherches dans les formations professionnelles qu’il mène. Il utilise souvent
le féminin du geste, qui se rapproche davantage de l’idée d’accomplissement et d’exploit qu’il
se fait de cette pratique. Pour lui, les gestes professionnels sont prépondérants dans la
professionnalisation des enseignants et des étudiants en formation. Il vise une approche
concrète et pratique de ces gestes. L’enseignant est au centre, il s’implique complètement
dans le geste (Pana-Martin, 2015).
Alin rejoint Jorro en considérant le geste comme découlant d’une réflexion et d’une intention,
sans se limiter à la simple action. Selon lui, « les gestes professionnels représentent la forme
discursive et codée d’actions d’expertise, au sein d’une pratique culturellement et socialement
identifiée. Ils les traduisent en discours. » (Alin, 2010, p.16).
Maintenant que nous avons identifié quelques gestes de l’enseignant et du formateur, que
nous chercherons à observer chez le chef d’établissement, nous allons nous pencher sur le
contexte dans lequel ces gestes pourraient être identifiés. En suivant la logique de recherche
de Pana-Martin (2015), il nous a semblé intéressant d’étudier la dimension d’accompagnement
présente entre le leader et les enseignants.
3.3 Accompagnement
En étudiant le leadership, nous avons pu constater que le leader a pour principale tâche de
coordonner les actions des enseignants. Il les guide et les aide à atteindre les objectifs qu’ils
se sont fixés. Nous considérons donc que le leader adopte une posture d’accompagnement.
Ce concept sera défini dans les lignes suivantes.
Pana-Martin (2015) reprend les trois dimensions de l’accompagnement identifiées par Paul
(2009a) :
- Relationnelle : se joindre à quelqu’un.
- Opérationnelle : aller où va l’autre.
- Ethique et méthodologique : avancer en même temps que l’autre.
Il s’agit donc à la fois d’aller vers l’autre et d’avancer avec lui, de trouver un équilibre en soi et
l’autre, de s’adapter.
37
3.3.2 Enjeux de l’accompagnement
Chaque accompagnement s’inscrit dans une relation incluant une dimension contextuelle et
temporelle. Il est la plupart du temps découpé en étapes structurées menant à une fin. Son
objectif premier est d’induire un changement chez l’individu, une évolution. Il ne s’agit pas
simplement d’appliquer des procédures, un dispositif, mais bien d’aller à la rencontre de
l’apprenant, d’être dans une relation à soi et à autrui. L’acteur accompagné garde sa
personnalité propre et son autonomie. Paul (2009a, p.641) citée par Pana-Martin, 2015) dit
d’ailleurs à ce sujet que « le travail du professionnel n’est pas d’emmener qui que ce soit dans
une direction mais d’accompagner (autrement dit « conduire/guider/suivre ») une personne à
décider elle-même pour elle-même de sa direction. Cette décision lui appartient. ». L’individu
doit apprendre à reconnaître et développer ses propres compétences et cultiver la confiance
en soi. L’accompagnant l’aide à parcourir ce chemin, mais sans faire à sa place (Tozzi, 2002,
cité par Pana-Martin, 2015).
Aujourd’hui, ce concept apparaît de plus en plus dans le monde de l’éducation. Selon Barbier
(2005, cité par Pana-Martin, 2015), ce phénomène serait dû à l’engouement présent autour
de la culture de la professionnalisation. On souhaite mettre en place un processus ayant un
impact durable sur les enseignants concernés. Les enjeux sont avant tout cognitifs : le
protagoniste est amené à faire évoluer ses représentations ; il agit et se construit donc des
expériences personnelles ; il développe des compétences de gestion de l’action ; il effectue
un retour sur ses actes. A travers toute cette démarche de transformation, l’individu reçoit un
soutien de l’accompagnateur qui l’aidera à prendre conscience de ces changements et à s’y
confronter.
Jorro (2011 identifie trois modalités d’accompagnement en lien avec des postures et des rôles,
dans le cadre du système éducatif :
Si nous nous intéressons plus précisément aux postures de l’accompagnant, nous pouvons
citer les travaux de Biémar et Castin (2011). Ces derniers définissent plusieurs postures,
accompagnées de divers rôles :
a. Donner des conseils -> conseiller ou consultant.
b. Orienter un choix -> guide.
c. Gérer un conflit -> médiateur.
d. Socialiser (acculturer) -> mentor ou modèle.
e. Aider à être performant, mettre en évidence les forces et les faiblesses → coach.
38
3.3.4 Rôle de l’accompagnateur
L’accompagnateur joue un rôle clé. Selon Tozzi (2002, cité par Pana-Martin, 2015),
l’accompagnement n’est pas un métier mais un ensemble de conduites. Il implique « des
compétences à repérer et travailler, savoirs et savoir-faire bien sûr, mais tout autant savoir-
être, car l’accompagnement est d’abord une attitude ».
Il arrive que cet accompagnateur prenne la forme d’un collectif. Un certain nombre de
recherches mettent en avant l’efficacité de ce type d’accompagnement (Pana-Martin, 2015).
Ces auteurs, en particulier, pointent la création d’une « culture pédagogique » dans
l’accompagnement, au sein de ces groupes de travail : attitudes, connaissances, stratégies,
compétences… Cette manière de faire optimise le processus de développement
professionnel.
39
3.4 Synthèse du cadre conceptuel
Le leadership dans les établissements scolaires a réellement connu son essor à la fin du
XXème siècle, suite aux nombreuses réformes scolaires survenues dans plusieurs régions du
monde. Ces dernières ayant modifié et complexifié le cahier des charges des chefs
d’établissements, il est soudain apparu comme une nécessité de favoriser un partage des
tâches et des compétences entre les directeurs et les autres acteurs de l’école (enseignants,
intervenants extérieurs…). C’est ainsi qu’est apparu de façon plus spécifique le leadership dit
« collaboratif » ou « partagé ». Cette forme de leadership met en évidence l’importance que
prennent le rôle et la présence du leader sur la simple position hiérarchique. Un leader effectue
de multiples tâches, portant autant sur l’organisation de son école que sur les pratiques
pédagogiques. Le leadership partagé implique un partage du pouvoir entre les différents
membres de l’équipe pédagogique. Chacun d’entre eux a la possibilité d’être pleinement actif
et responsable. Malgré de multiples avantages, ce fonctionnement présente quelques limites :
efficacité, temps, relations entre les membres… Il est donc important d’en tenir compte lors de
la mise en place de cette forme de leadership.
Afin de poser un cadre précis, nous permettant d’observer le leadership de façon concrète,
nous nous sommes intéressés aux gestes, et plus particulièrement aux gestes professionnels.
Ce concept est principalement apparu dans le domaine de la formation à l’enseignement.
Contrairement au geste de base qui concerne le mouvement du corps, le geste professionnel
a comme spécificité d’impliquer une intention et une réflexion de la part de l’individu. Il est
porteur de sens, comme l’explique Jorro et Alin dans leurs multiples recherches. L’acteur y
inclue ses propres valeurs et son histoire personnelle. Chaque geste découle d’une intention,
d’une posture adoptée par lui. Jorro en distingue plusieurs, comme la posture de traducteur,
de médiateur ou encore de régulateur.
Les gestes sont présentés lors d’interactions entre plusieurs individus. Dans le cadre de ce
travail, nous nous sommes penchée sur le contexte de l’accompagnement d’un enseignant
par un pair plus expérimenté, par exemple le chef d’établissement. L’accompagnement a pour
but de guider l’individu mais sans prendre le dessus sur lui. Il s’agit de l’aider à développer ses
propres compétences et son autonomie. Le but étant d’induire une réelle transformation chez
lui. L’accompagnateur peut adopter diverses postures, en fonction des besoins de la personne.
Il arrive que l’accompagnement soit effectué par un collectif, renforçant encore son efficacité.
Les lectures effectuées sur le leadership, comme les recherches de Rosenholtz, semblent
rejoindre celles portant sur la culture d’établissement : le leader et la forme du leadership
tendent à influencer les pratiques des enseignants, sur le plan de la collaboration. Notre
recherche portera sur un cas concret et nous permettra de confronter les diverses théories
dans un contexte précis.
40
3.4.1 Leadership, gestes professionnels et accompagnement : dimensions
Le tableau présenté ici nous permet de faire une synthèse des différentes dimensions du
leadership, des gestes professionnels et de l’accompagnement, développées plus haut et offre
un aperçu général de ces concepts.
Gestes • Historique
• Définitions
Gestes professionnels (Jorro) • Gestes quotidiens et gestes du métier
• Agir professionnel de l’enseignant
➔ Gestes langagiers
➔ Gestes de mise en scène des savoirs
➔ Gestes d’ajustement de l’activité
➔ Gestes éthiques
• Agir professionnel du formateur
➔ Posture de traducteur
➔ Posture de médiateur
➔ Posture de pisteur
➔ Posture de régulateur
➔ Posture de contradicteur
Gestes professionnels • Enjeux
selon Alin
Accompagnement • Définition
• Enjeux
• Modalités et postures d’accompagnement
• Rôle de l’accompagnateur
• Compétences de l’accompagnateur
41
4 Questionnement de la recherche
4.1 Hypothèses
Dans cette recherche, nous nous intéressons à la collaboration au sein des établissements
scolaires, et plus particulièrement au fonctionnement d’une équipe enseignante du Haut-
Valais. Pour ce faire, nos choix théoriques se sont portés sur différents concepts liés au travail
en collectif et à la culture d’établissement. Comme angle d’approche, nous avons ensuite
choisi d’étudier le leadership présent dans cette école, ainsi que son impact sur le travail des
enseignants. Le leadership étant un concept assez vaste, nous avons jugé pertinent de poser
un focus d’observation. Ce recadrage devrait nous simplifier l’étape du recueil de données.
Nous avons d’abord envisagé d’analyser les tâches effectuées par le leader. Cependant, ces
dernières sont difficiles à définir et à regrouper, comme l’a constaté Mintzberg (1973, cité par
Spillane et al., 2008), de par leur variété, leur fragmentation et leur brièveté. Nous avons donc
jeté notre dévolu sur les gestes professionnels.
Ce recadrage nous amènera à identifier la façon dont les gestes professionnels du leader
influent sur la construction d’une culture d’établissement de type coopératif.
Les différentes lectures effectuées nous amènent à formuler les hypothèses suivantes :
III. Si le leader adopte une posture de médiateur et de pisteur, ainsi que les gestes
professionnels associés…
IV. Si les caractéristiques d’un établissement efficaces sont celles que Gather Thurler
(2000) développe dans sa recherche, à savoir : l’organisation du travail ; les
relations professionnelles ; la culture et l’identité collective ; la capacité de se
projeter dans l’avenir ; le leadership et les modes d’exercice du pouvoir ;
l’établissement comme organisation apprenante…
… alors nous pouvons considérer que le leadership a une influence sur la construction d’une
culture d’établissement efficace de type coopératif.
42
4.2 Questionnement
Les hypothèses présentées ci-dessus nous permettent de formuler la question de recherche
suivante :
Comme précisé plus haut, nous entendons par « effets du leadership » l’influence des gestes
professionnels manifestés par le directeur de l’école.
43
5 Méthode
Dans ce chapitre, nous détaillerons le dispositif de recherche que nous avons souhaité mettre
en place dans le cadre de nos observations. Nous nous intéresserons au contexte de la
recherche, avec un aperçu de l’école choisie et des enseignants. Ensuite, nous préciserons
les différents outils que nous avons utilisés, ainsi que quelques autres modalités d’observation.
L’équipe pédagogique entretient des relations cordiales avec la direction de l’école publique
de la commune. Un groupe de travail s’est d’ailleurs récemment constitué et examine
actuellement la possibilité d’intégration de l’établissement privé au sein des structures
régionales. Le directeur de l’école publique est représenté au sein de la commission scolaire.
La commune soutient financièrement l’établissement.
L’association scolaire a créé une fondation. Dans le cas où une deuxième école verrait le jour,
cette dernière en sera le commanditaire. La fondation assure également la sécurité financière
de l’établissement.
Le bureau du canton du Valais contrôle l’école. Actuellement, elle ne reçoit aucun soutien
financier du canton. Son souhait serait cependant d’obtenir une participation de ce dernier, et
donc un nouveau statut comme école cantonale modèle.
44
5.1.1 Echantillon
L’équipe pédagogique choisie est composée de 8 membres, soit trois hommes et cinq
femmes. Certains sont issus de l’enseignement, tandis que d’autres proviennent d’horizons
différents tels que les sciences de l’éducation. Depuis la création de cette école, le groupe a
connu beaucoup de changements. Certains acteurs ont effectué un stage de plusieurs mois à
une année, avant de s’en aller. Au moment de notre recherche, deux nouveaux enseignants
avaient été engagés, remplaçant deux autres personnes. L’école contient un noyau de trois
personnes, présentes depuis le départ : D., le directeur, diplômé de la HEP et ancien directeur
d’école publique ; N. une jeune enseignante diplômée de la HEP ; N. une étudiante en master
des sciences de l’éducation.
Afin de garantir l’anonymat des membres de l’établissement, nous les désignerons dès à
présent par un nom d’emprunt.
45
5.1.2 Mode de fonctionnement de l’équipe pédagogique
Sans faire directement partie du collectif enseignant, des personnes extérieures interviennent
régulièrement au sein de l’école : logopédiste, ergothérapeute, professeurs de musique ou de
théâtre, travailleurs du parc naturel Pfyn-Finges, habitants de la commune, etc. L’école
souhaite optimiser son enseignement en faisant appel à de multiples « spécialistes »
susceptibles de faire bénéficier de leur expertise aux élèves.
Nous avons choisi de mener notre recherche sur le terrain de deux façons : pour commencer,
nous avons observé et filmé les enseignants durant une journée. Notre choix s’est porté sur
une réunion pré-rentrée. Chaque année, l’équipe enseignante se réunit au moins une fois au
complet, durant la dernière semaine de vacances. L’intérêt de ce moment est double. En effet,
il nous a permis, d’une part, d’assister à la mise en place des premiers jours d’école et, d’autre
part, d’observer l’insertion des trois nouveaux membres au sein de l’établissement. La vidéo
présente l’avantage de pouvoir identifier autant les gestes verbaux des individus que les
gestes non-verbaux. Et s’il peut se révéler difficile d’analyser et prendre en note, à chaud, un
ensemble d’interactions, le film permet de visionner ces mêmes interactions autant de fois que
nécessaire et avec davantage de recul. Dans notre cas, la présence de l’allemand au sein de
l’école a rendu utile la possibilité de revoir plusieurs fois les échanges. Durant cette journée,
nous avons entrepris d’identifier les gestes professionnels manifestés par le directeur. Ces
gestes ont ensuite été catégorisés dans un tableau d’observation reprenant des concepts tirés
de la littérature.
Par la suite, un retour sur les moments clés du film a été effectué sous la forme d’une analyse
d’activités lors d’un visionnement collectif de la vidéo. Les échanges ont également été filmés
afin de pouvoir être traités plus tard. Ces entretiens nous ont permis de poser un regard
extérieur sur les actions du leader, de comprendre ses gestes et d’évaluer leurs effets sur le
reste de l’équipe pédagogique. D’un côté, le leader a explicité ses actions et leur visée.
46
En parallèle, les enseignantes ont décrit les effets de ces actions sur leur attitude et leur façon
d’organiser le travail en collectif. Lors des entretiens, les enseignantes et le directeur ont été
séparés afin de favoriser la neutralité des membres et éviter les biais.
A travers cette méthode, notre travail s’inscrit dans une dimension descriptive qualitative et
compréhensive. Les éléments clés des différentes vidéos sont mis par écrit (retranscription du
verbatim).
Dans notre cas, nous avons donc été amenée à observer et analyser les interactions entre les
différents membres d’une équipe pédagogique, sous l’angle des gestes professionnels du
leader. Des entretiens ont été organisés avec les différents participants, dans le but de mettre
en évidence ces gestes et d’en déterminer les effets sur les enseignants.
Nous avons choisi d’inscrire nos observations dans le cadre d’une réunion de concertation.
Comme expliqué plus haut, ces réunions constituent l’une des marques de fabrique de cet
établissement et ont lieu quotidiennement, jusqu’à plusieurs reprises. Elles impliquent à
chaque fois le directeur et les enseignants. En général, elles réunissent tout le monde mais il
arrive parfois que le directeur ne mène l’entretien qu’avec certains collègues ou en y incluant
des intervenants extérieurs. Nous nous sommes décidée pour une réunion ayant lieu à
quelques jours de la rentrée, afin d’y rencontrer tous les acteurs, et parce que la mise en place
d’une nouvelle année prend une importance cruciale dans cette école. Cette forme
d’observation présente aussi l’avantage de se faire dans un environnement naturel et connu.
Il est donc plus aisé pour les protagonistes de faire preuve d’authenticité et d’agir comme à
leur habitude.
L’objectif de cette recherche n’est pas uniquement de porter un regard extérieur sur des
pratiques, mais également de prendre en considération ce qu’en disent les acteurs.
Pana-Martin (2015) justifie l’utilisation de cet outil par sa fonction, qui est de « servir de traces »
de l’entretien qui a eu lieu entre plusieurs personnes. La vidéo joue surtout un rôle important
pour le chercheur car elle lui permet d’accéder aux données autant de fois que nécessaire.
47
De plus, le visionnage peut s’effectuer plus tard et permet donc de prendre du recul sur les
résultats. Bien sûr, comme le relève Pana-Martin, cet outil exige du chercheur qu’il fasse des
choix. En fonction de la place de la caméra et de l’angle de vue, certains éléments sont
davantage mis en évidence que d’autres. Il nous était impossible de tout saisir, il s’agit donc
d’un deuil que nous avons dû faire dès le début.
Il a également fallu veiller à produire des images de qualité. En effet, ces images ont été
réutilisées lors des entretiens d’autoconfrontation et donc présentées aux acteurs. Meeschaert
(1987, cité par Pana-Martin, 2015) souligne la nécessité de présenter un bon contenu afin
d’éviter les biais. La place de la caméra joue un rôle important principalement lors de la réunion
de concertation. Durant les entretiens en autoconfrontation, ce sont surtout les paroles des
protagonistes qui nous ont intéressée. Pendant la journée d’observation, la caméra a été
placée à une extrémité de la table de réunion. Elle devait prendre le directeur de face et les
enseignants de profil. Le cadrage permettait de mettre en évidence les gestes et les mimiques
des acteurs.
Notre présence pendant l’entretien nous paraissait nécessaire afin de vérifier la bonne mise
en route et le déroulement de la réunion. Au début de la journée, nous avons pris quelques
minutes pour rappeler au groupe le but de l’observation et leur rappeler l’importance d’agir
comme à leur habitude. Il nous était également plus aisé de « saisir » l’atmosphère présente
dans le collectif en nous trouvant à l’intérieur. Cependant, nous avons veillé à nous montrer la
plus discrète possible, afin de ne pas perturber la réunion.
Malgré les avantages relevés, il nous a fallu prendre en compte plusieurs biais possibles :
- La présence d’une tierce personne pendant la réunion et les entretiens est susceptible
d’engendrer des difficultés. En effet, les protagonistes peuvent se sentir influencés
dans leurs actions et leurs paroles, en particulier durant les entretiens en
autoconfrontation. Ils peuvent être amenés à rechercher notre approbation ou notre
opinion.
- Dans le cadre de notre recherche, nous avons acquis de nombreuses connaissances
et avons construit un cadre de référence précis. Cela risquait d’induire en nous des a
priori qui auraient pu influencer notre manière de percevoir les éléments observés ou
entendus. De plus, le fonctionnement de l’école nous était déjà connu et nous
enthousiasmait. Il a donc fallu faire attention à mettre de côté notre affect afin de nous
montrer la plus objective possible.
- Notre présence dans l’école en tant que chercheuse était délicate car nous étions déjà
connue de la majeure partie du groupe. Dans d’autres circonstances, notre rôle se
serait révélé beaucoup plus actif. Il a donc fallu veiller à bien clarifier la place de chacun
et le but de cette observation. Il nous a été nécessaire de trouver un équilibre entre un
« excès » de confiance de la part des personnes déjà rencontrées auparavant et un
potentiel manque de confiance provenant des nouveaux membres.
48
5.3.2 Visionnement collectif de la vidéo
Dans cette partie, nous expliciterons les motifs nous ayant amenée à choisir cet outil dans le
cadre de notre travail.
Le but de notre recherche étant d’identifier les effets des gestes professionnels du leader sur
la construction de la collaboration parmi les enseignants, il nous a paru utile et pertinent de
récolter les opinions des principaux intéressés. En effet, le seul regard du chercheur aurait été
par trop restreint pour élaborer une analyse objective et complète de la situation. Comment
mentionné plus haut, il est nécessaire de faire se rencontrer plusieurs cadres de référence.
Cette méthode de travail permet à l’individu, à qui l’on présente des traces de son activité, de
décrire, expliquer, justifier ce qu’il fait. Ceci afin de mettre en lien l’agir et l’intention. Un premier
entretien nous a amenée à interroger les enseignants sur ce que la posture du leader induit
comme attitude et fonctionnement chez eux.
Nous avons pu identifier ce que ces derniers mettent en place au quotidien, ainsi que le lien
qui en découle avec la thématique de la collaboration. Un second entretien, quant à lui, a mis
le directeur face à ses actions et l’a invité à porter un regard critique sur elles et à faire émerger
les intentions cachées derrière. Dans une perspective d’avenir, cette fois indépendante de
notre recherche, nous pouvons formuler l’hypothèse qu’une telle conscientisation des gestes
et enjeux cachés derrière leur pratique professionnelle quotidienne amènera l’équipe
pédagogique à optimiser encore davantage ses manières de procéder lors de ces réunions.
L’utilisation de cet outil est donc au double bénéfice de la recherche et de l’établissement.
Notre contribution a été plus conséquente dans cette partie de la recherche. Alors que nous
nous limitions au rôle d’observateur lors de la réunion, nous avons adopté ici une posture
d’accompagnateur des enseignants et du directeur. Pana-Martin met en évidence l’importance
de la présence du chercheur qui, « par son regard extérieur, propice à l’échange et au
dialogue, pourrait faciliter la clarification de l’expérience vécue ». Notre tâche a consisté à
instaurer une prise de distance entre les acteurs et les images, tout en les guidant par des
questions précises portant sur des séquences soigneusement choisies au préalable.
Lors du premier entretien, nous avons invité le directeur à pointer ce qu’il considère comme
étant des gestes professionnels, qu’il s’agisse de l’acte ou de la parole en soi, mais également
de la signification qu’il met derrière. En associant agir et symbolique, nous touchons au geste
professionnel décrit par Jorro (2002).
Lors du second entretien, nous avons invité cette fois les enseignants à pointer les gestes
professionnels perçus et à porter un regard critique sur ces derniers.
La mise en parallèle de ces deux types de témoignages nous a permis ensuite d’identifier les
points de convergence et de divergence entre ce qui était souhaité par le leader et ce qui était
réellement perçu par les enseignants. Ceci nous a ensuite amenée à relier ces différents
éléments avec la thématique de la collaboration.
Les séquences filmées ont été traitées au préalable, afin de ne présenter aux protagonistes
que les éléments jugés remarquables. En présence de ces derniers, nous avons introduit
l’entretien en expliquant que nous allions leur présenter des extraits de la journée
d’observation et qu’ils étaient invités à les commenter, ainsi qu’à répondre à diverses
questions.
Durant ces entretiens, nous avons récolté toutes les informations possibles.
49
C’est seulement par après que nous avons répertorié les gestes relevés dans les cadres issus
de notre modèle théorique. Ces deux étapes nous ont évité d’influencer les paroles des
protagonistes, en essayant à tout prix de faire émerger les concepts présents dans la
littérature.
Le premier point de vigilance nous a paru être notre posture de chercheur. Il nous a fallu veiller
à adopter une attitude d’ouverture et de bienveillance à l’égard des protagonistes observés.
Se voir en vidéo et devoir porter un regard critique sur ses actions et celles des autres aurait
pu se révéler inconfortable. Nous pensions surtout aux nouveaux membres qui ne seraient
pas encore habitués au fonctionnement de l’établissement. Les autres acteurs se filment
régulièrement durant les cours et sont suivis par une équipe de cinéastes, dans le cadre d’un
documentaire. Notre intervention ne devait donc pas leur poser de problèmes. Mais nous nous
sommes montrées attentives au bien-être des nouveaux arrivants, en évitant de les brusquer
et en nous faisant la plus discrète possible, afin de leur permettre d’agir comme à leur habitude.
Ensuite, il nous a fallu veiller à ne pas rester focalisée sur des termes précis durant les
entretiens, afin de demeurer ouverte à tout ce qui serait dit par les acteurs. C’est d’ailleurs
dans ce but que nous n’avons utilisé les modèles théoriques qu’à la fin des entretiens.
La présence du chercheur est primordiale et un soin tout particulier a dû être apporté aux
questions choisies et aux feedbacks, afin de guider les personnes interrogées. Ceci nous a
évité de rester focalisée sur des explications de surface ou de passer à côté d’éléments
pertinents. La préparation des entretiens, par le visionnage de la première vidéo, a joué un
rôle important quant au bon déroulement de la suite de la recherche.
Finalement, la transparence a été de mise une fois les différents résultats traités, afin de
remercier l’équipe pédagogique pour son implication et son don de soi. Notre travail a été mis
à leur disposition, si les protagonistes le souhaitaient.
50
6 Analyse des données
Durant les pages suivantes, nous nous appliquerons à mettre en évidence et traiter les
données pertinentes relevées lors de la journée d’observation et des entretiens. Nous
commencerons par effectuer un bref rappel du déroulement des moments passés sur le
terrain, puis nous analyserons les différents résultats.
La première chose que nous avons faite en arrivant dans l’établissement a été de récolter la
signature de chaque protagoniste sur une charte de confidentialité. Nous ne nous sommes
pas présentée tout de suite, laissant le temps à chacun de s’installer et de prendre ses
marques. Nous avons mis en place le matériel et avons veillé à ce que la répartition des
membres autour de la table nous permette d’avoir le meilleur angle de vue possible. Lorsque
le directeur a finalement pris place au milieu de ses collègues, nous nous sommes brièvement
présentée. Nous avons expliqué en quelques mots ce que nous venions observer : leur
manière de travailler et l’influence que pouvait avoir le directeur sur cette dernière. Nous avons
également insisté (particulièrement auprès de ceux qui nous connaissaient déjà) que nous
étions présente en tant qu’observatrice et qu’ils ne devaient donc pas prêter attention à notre
présence ni nous solliciter sur un sujet de leur réunion.
La majorité de nos observations se sont faites le matin. Nous avons bien entendu privilégié
les moments où tous les membres de l’équipe pédagogique étaient présents, tout en filmant
quelques discussions impliquant le directeur et une partie seulement des protagonistes, ainsi
que quelques phases de travail se déroulant en l’absence de celui-ci. Nous avons également
choisi de filmer le repas du midi, qui a été pris en commun.
Tout au long de cette journée, nous sommes restée la plus discrète possible et avons évité
d’expliciter ce que nous étions en train d’observer. Tout ceci afin de ne pas influencer le
comportement des acteurs.
Dans les jours qui ont suivi, nous avons minutieusement analysé le contenu de ces vidéos et
avons répertorié les gestes observés, ainsi que les éléments se rapportant à la collaboration
et au leadership dans un tableau prévu à cet effet. Nous avons ensuite sélectionné les extraits
vidéos qui nous paraissaient intéressants et avons élaboré une liste de questions relatives à
chacun de ces extraits.
En arrivant dans l’établissement, nous avons eu la surprise de constater que la plupart des
protagonistes étaient absents. Un malentendu entre le directeur et nous en était la cause.
Nous avons néanmoins choisi de mener ces entretiens car étaient présents le directeur, une
enseignante ayant commencé à travailler dans l’école dès son ouverture, ainsi qu’une nouvelle
enseignante. Nous avons donc jugé que le panel était suffisamment intéressant et varié pour
ne pas prétériter notre travail.
51
Nous avons mené deux entretiens, l’un avec les deux enseignantes et l’autre avec le directeur.
A chaque reprise, nous avons brièvement reparlé de ce que nous souhaitions observer.
Cependant, nous avons volontairement évité de prononcer les mots « collaboration » et
« gestes professionnels », afin de ne pas influencer les réponses. Pour chaque entretien, nous
avons présenté des extraits, récolté les premières impressions et posé des questions. Nous
avons fait de notre mieux pour que le contenu de ces questions soit le plus neutre possible.
Assez rapidement, nous avons constaté que les protagonistes peinaient à réagir
spontanément sur les vidéos. Nous avons entrepris de pointer plus précisément certains
éléments et d’utiliser au maximum les questions. De plus, nous n’avons pas hésité à aborder
des questions non prévues au départ, lorsqu’une réflexion particulièrement intéressante y
donnait lieu.
Dans les jours qui ont suivi, nous avons analysé le contenu de ces entretiens et avons
répertorié les remarques et commentaires des acteurs dans les mêmes tableaux que ceux
utilisés précédemment. Le but était de mettre les observations et les réactions en parallèle.
6.2 Analyse
Dans cette partie, nous reprendrons les différents éléments issus des observations et des
entretiens, que nous mettrons en parallèle avec le cadre théorique rédigé ci-dessus. Cette
étape de la recherche devrait nous permettre, ensuite, de faire un retour sur notre question de
recherche, ainsi que de confirmer ou infirmer nos hypothèses.
Afin de réduire l’espace consacré à la citation des temps d’extraits vidéos, nous désignerons
les vidéos d’observations par les lettres « vo » et les vidéos d’entretiens par les lettres « ve ».
Les entretiens avec les enseignantes seront représentés par « vee », ceux avec le directeur
par « ved ». Ces mentions seront accompagnées d’un chiffre, représentant le numéro de la
vidéo (exemple : « vo1 »).
Dans les prochaines lignes, nous ferons en sorte d’extraire de nos grilles d’observations et
d’entretiens les différents points se rapportant à la culture d’établissement.
Selon Gather Thurler (1994), une culture d’établissement implique en son sein divers éléments
comme la manière de travailler des enseignants, entre eux et dans la classe, l’organisation
des tâches, les attitudes et les valeurs partagées, etc. C’est ce qui lui donne une couleur, une
identité propre.
Au vu de ces éléments, ce que nous pouvons ressortir des premières observations concerne
la volonté des enseignants de se réunir régulièrement pour travailler et se former, l’importance
accordée à la structure et à l’utilisation du temps, ainsi que la place du projet par et pour les
élèves. Nous pouvons également relever, principalement dans les interviews, la valeur
accordée au respect de l’individualité de chacun, à la prise en compte de sa personnalité et
de ses besoins. Ces différents éléments, que nous développerons ci-dessous sont mentionnés
de façon positive par différents auteurs cités dans notre problématique, comme par exemple
Gather Thurler (1994) et Dupriez (2010).
52
Moments d’échanges collectifs
Les enseignants se réunissent tous les jours de la semaine précédant la rentrée. Ceci leur
permet de réfléchir ensemble aux lignes directrices de l’année, ainsi qu’au déroulement des
premiers jours. De plus, ils profitent de ces moments pour aborder différentes thématiques
s’inscrivant dans leur dynamique scolaire. Par exemple, durant cette semaine-là, ils viennent
à l’école tous les jours, de 7h30 à 17h environ. Cette année, les thèmes choisis étaient : la
communication, avec l’utilisation de la plateforme Hazu, le système de rangement,
l’homogénéisation des pratiques et des règles (lundi) ; les projets (mardi) ; la résolution des
conflits, avec les stratégies utilisées, la place du respect (mercredi) ; les stratégies globales et
propres aux élèves à besoins particuliers (jeudi). En période scolaire, les réunions ont lieu le
matin avant 8h30 et le soir après 16h30. Le mercredi matin, quand les élèves ont congé, est
également consacré à des moments de concertation. (voir document de planification Hazu, en
annexe)
Lors de notre journée d’observation, nous avons pu constater que les moments en collectifs
étaient découpés en périodes de discussions en plénum, avec l’ensemble des acteurs (vo2,
0 :20 ; vo6, 21 :20 ; vo24), et en périodes de travail en duo, selon l’attribution des phases (une
phase correspondant à un cycle) (vo18 ; vo5, 00 :00 ; vo12, 00 :00).
Ces moments d’échanges revêtent une grande importance pour l’équipe pédagogique. En
particulier pour Eléonore, par exemple, qui débute dans l’école: Für mich, weil ich neu bin, ist
es gerade noch wichtig zu der Austausch… dann ich gut arbeiten kann (…). (vee1, 03:50) Un
avantage relevé de ces moments par les enseignantes est que ces derniers leur permettent
d’avoir une idée claire de ce qui est attendu d’elles et de la façon dont va se dérouler la suite
de leur travail. Nadia explique ainsi: Wir haben am Morgen angeschaut, wann kommt was.
Darum ist es schon klar (…). (vee1, 11:40). Eléonore appuie les propos de sa collègue: Ich
glaube einerseits wohl, weil wir immer wissen, was kommt oder was erwartet ist. (vee1, 13:30)
Ces propos sont confirmés par Dominique. Lorsqu’on lui parle d’une réunion de début de
journée, il affirme : Das ist so die klassische Phase, bevor etwas losgeht. (…) Das ist ein
Arrangement (…) (ved1, 07:00).
Nous avons pu constater que ces moments de concertation avaient lieu régulièrement. Nous
avons questionné le directeur sur le caractère obligatoire ou pas de ces réunions. Elles le sont,
de façon explicite ou implicite, en fonction des moments de la journée : Also was hier
obligatorisch ist, ist der Arbeitsbeginn und der Arbeitschluss, und dann jeh nach Sitzung, ist
es wichtig für die Leute, da zu sein, die es betrifft. Das war jetzt irgend in Konflikt, irgend eine
Weiterbildung über einen bestimmten Thema, das von dem Team gewünscht wurde, und
schaut man, dass alle dabei sind. Wenn es etwas Phasenspezifisch ist, dann sind vielleicht
nur drei Leute da (…) (ved1, 08 :35).
Durant notre journée d’observation, cet aspect du travail de l’équipe pédagogique nous a
rapidement semblé particulièrement remarquable. Au tout début de la première réunion de la
journée, Dominique rappelle le sujet du jour en invitant les enseignants à se rendre sur la
plateforme Hazu : Hazu in Projekten (vo1, 5 :51). Il explique le programme de la matinée,
donne la thématique globale et les objectifs : Der Block, der hier vorgesehen ist, ist der Bereich
"Projekt Management"(…) (vo2, 0 :19). Il propose de regarder concrètement chaque projet
commencé avant de réfléchir à la manière de procéder (vo2, 0 :35). Le but est que chacun
prenne connaissance de ce qui est déjà en cours. En effet, les nouveaux arrivés doivent
reprendre là où les projets se sont arrêtés (vidéo 2, 0 : 35).
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A la fin de la séance, il répartit les enseignants sur les divers projets mis en priorité (vo3,
10 :00). La suite est planifiée au tableau. Il propose de créer différents groupes durant la
journée, afin de faciliter la transmission de témoin avec certains projets (vo3, 11 :10). Il
organise également son passage auprès de chaque enseignant ayant besoin d’un
accompagnement (ex : Eléonore et Leila, phase 2) (vo9, 19 :05).
Durant la suite de la matinée, les enseignants travaillent en binôme sur la phase qui leur a été
attribuée. Les grandes lignes ont été planifiées en plénum, le reste dépend de chaque binôme
(vo18, vo21, vo22).
Lors de la dernière réunion de la matinée, un moment est pris pour discuter des jours suivants.
Dominique présente une grande feuille aux enseignants, comportant le programme de la
semaine pré-rentrée. Il leur propose de s’attarder un instant sur le déroulement du lendemain
(mercredi) (vidéo 9, 11 :00).
Le temps occupe également une grande place dans l’organisation du travail. Le planning de
la journée présente les différentes activités prévues, heure par heure (voir document
planification en annexe). A la fin des concertations, Dominique regarde l’heure et définit un
moment de travail en groupes ou de réflexion, avant une prochaine discussion en collectif : …
um 10 :30 zusammen zu kommen (vo3, 12 :10 ; vo2, 01 :23). Dès que le temps est écoulé, il
revient vers les enseignants et leur signale que l’activité suivante va commencer (vo6, 12 :10).
Chaque entretien entre les enseignants et le directeur est minuté : Von 11 :30 bis 12 :00… mit
dir, Alice (vo8, 19 :30).
Nadia soulève une problématique intéressante du temps dans l’enseignement, qui illustre son
importance : Ich finde im Beruf als Pädagoge, hat man nie genug Zeit für alle. Weil wir können
über jedes Kind so viel erzählen, wir können über jedes Thema so lange sprechen… Also ich
glaube die Zeit… das ist immer etwas, das sehr wertvoll ist… Aber es ist auch wichtig, dass
man die gut einteilt. (…) Darum ich finde, der Morgen ist sehr schön hier bei uns. Wir kommen
an und wir haben wirklich Zeit am Morgen, bis die Kinder kommen. (…) Dann, wann die Kinder
kommen, bist du bereit und dann ist die Zeit für die Kinder. (…) Und wir müssen genau planen,
damit dann wir eben diese Zeit haben… für diese Sachen (vee2, 13:00). Und darum der
Mittwoch ist für mich auch ein Thema der Zeit. Also man kommt an, man trinkt einen Kaffee,
man bespricht, man hat viele Themen… und es gibt immer zu wenig Zeit. Aber es gibt doch
einen ganzen Morgen im Team und ich finde das extrem wertvoll. Am Abend ist es immer ein
bisschen kürzer, was finde ich auch gut, weil man ist seit schon so viele Stunden hier, man ist
müde, dann ist die Zeit weniger gut genutzt… (vee2, 13:50). Und ich finde gut, dass wir immer
so fixe Punkte haben, auch den Mittwoch, der ist genau geplant… damit wir eben für alle Zeit
haben oder Zeit schaffen. (vee2, 14:25).
Eléonore appuie son point de vue, en parlant de Dominique: Er hat sehr gut im Griff zu mit der
Zeiteinteilung. (…) Es ist eigentlich genau eingeteilt und alles hat Platz. (…) Der Zeit ist wertvoll
genutzt (vee2, 14:40). Ces propos résument les intérêts multiples d’une bonne utilisation du
temps. Cela est bénéfique aux enseignants, qui peuvent ainsi aborder de nombreux sujets,
grâce une grille-horaire bien découpée. Mais les élèves en profitent également, puisqu’ils
rencontrent à leur arrivée dans l’établissement des enseignants réellement présents et prêts
à leur accorder toute leur attention. Nous pouvons également relever que l’utilisation du temps
prend une dimension de bien-être puisque les différents acteurs tiennent compte de leurs
besoins et de leur efficacité en fonction des différents moments de la journée. D’ailleurs, les
enseignantes essaient d’exploiter suffisamment les moments à disposition dans l’école pour
ne pas avoir à travailler encore à la maison et faire une coupure.
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Eléonore explique: Für mich war es ein Ziel, dass wir am Anfang abgemacht haben… Elle
explique qu’elle s’est fixé un objectif avec Dominique pour faire la majorité du travail à l’école
et « déconnecter » à la maison. Es stört mich auch noch nicht. Vorher hat es mir mehr
gestörtet, dass ich am Wochenende Zeit investieren «musste» (vee2, 17:50). Nadia se trouve
dans la même démarche : Es war auch mein Ziel (…). In diesem Jahr funktioniert es ganz gut.
Ich versuche wirklich zu Hause, nicht zu arbeiten für die Schule. (vee1, 19:50).
Nous pouvons constater les effets de cette structure rigoureuse dans les moments en duo.
Dès que la réunion est terminée, chacun se met spontanément au travail. Hormis quelques
questions qui fusent çà et là, chaque enseignant semble être au clair avec ses tâches (vo3,
15 :25). Et cela est visible dès le premier instant où les enseignants entrent dans l’école, le
matin, comme le soulignent Eléonore et Nadia : Eigentlich finde ich noch gut, dass man hier
direkt kommt und mit etwas anfangen (…) Und wenn alle dann bereit sind... und dann haben
wir gestartet (vee1, 02:45) / (…) ist es so ein Ankommen, gestarten einmal, wir organisieren
uns den Platz und dann geht es eigentlich los. (vee1, 03:10)
Dominique est très sensible à la notion de structure et de temps. Pour lui, les enseignants
doivent savoir ce qui est attendu d’eux : Also das ist jetzt für mich eigentlich wichtig, mit den
Kindern oder auch im Team, die Kommunikationswege und die Zeit, die es braucht, dass das
eigentlich klar ist. (ved1, 19:25). Quant à l’utilisation du temps, il privilégie toujours un thème
d’orientation. Il évite également de trop entrer dans les détails pour chaque projet, lors des
réunions. Il préfère prendre un moment après, si nécessaire: Die Investition ist hoch und die
Zeit ist irgendwo auch begrenzt. Weil… Ich denke, wir Pädagogen haben immer etwas zu
reden und das würde möglicherweise verlaufen, wenn nicht die Orientierungstruktur drehen
ist (ved 2, 20:20). Cependant, un espace est toujours prévu pour les questions, preuve que
l’emploi du temps possède malgré tout une certaine flexibilité.
Place du projet
La thématique abordée par les membres de l’établissement lors de notre journée d’observation
met en évidence la place prépondérante que prend le projet dans le programme scolaire. Les
enseignants s’impliquent eux-mêmes dans des projets découlant des envies des élèves. Cet
aspect du fonctionnement de l’école s’inscrit dans la préparation de l’année (vo2, 00 :35), mais
également dans un modèle théorique. En effet, le directeur commence par présenter aux
enseignants une vidéo sur le management de projets, le « Moderationszyklus » de Josef W.
Seifert (vo2, 20 :30). Pour Nadia, une telle vidéo peut se révéler très intéressante : Wir
brauchen oft Videos, zum etwas miteinander besprechen. Oder es gibt einen Input und dann
besprechen wir darüber (vee2, 00:35). Dominique appuie particulièrement sur le choix de cette
vidéo-là : Ist hier das Wissen sehr kompakt aufbearbeitet (…) Das ist ein grosser Vorteil (ved2,
08:00). Une fois le déclencheur théorique mis en avant, le directeur présente aux enseignants
un projet complet effectué l’année précédente, sur l’aménagement d’un espace pour des
poules. Il souhaite principalement montrer aux nouveaux enseignants comment peut se
dérouler un projet-type. Il utilise celui-ci comme une référence : Ihr habt eine Idee, wie das in
der Praxis ausgesehen hat. (vo2, 18:12). Sont surtout abordés les principaux moments
d’entretiens censés se dérouler entre les élèves et les enseignants.
Tout au long de la discussion, il effectue des liens réguliers avec le modèle théorique vu
précédemment, en insistant sur l’aide que ce dernier peut représenter (vo3, 06 :40). Il explique,
par exemple, comment les étapes du modèle ont pu être intégrées dans les différentes
séances menées avec les élèves : Die erste Sitzung war eigentlich wie gesplittet. Erste Sitzung
war Punkt 1, Punkt 2 (vo3, 04:20). Il explique qu’une des séances sert à vérifier ce qui a
fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, afin que les enseignants soient sensibilisés aux points
de vigilance (vo3, 04 :55).
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Eléonore apprécie cette manière de procéder : Darum ist das für mich gerade gut, ein Einblick
zu haben. Es war hilfreich zu sehen, so wie ist der Aufbau von einem Projekt, weil der Aufbau
ist noch eigentlich gleich bei allen Projekten (…) ist das eine Idee, wo man transferieren kann
auf anderen Projekten (vee1, 19 :30). Nadia, qui travaille déjà avec des projets depuis deux
ans, est un peu plus partagée : Für mich ist es vielleicht ein bisschen schwierig, das zu
beantworten, weil ich habe schon zu dem Zeitpunkt zu viele Projekte gemacht. Ich denke…
Es hat einen Vorteil, denn man es direkt in einem Beispiel erklärt, dann kann man noch zeigen,
wie funktioniert es in Hazu (vee1, 20:15). La plus-value relevée par les enseignantes est
précisément recherchée par Dominique car cela leur permet de se représenter le déroulement
d’un projet type et de pouvoir poser des questions concrètes en lien avec cela : (…) und was
das hilft, ist sicher schon dieses Model lernen und das ist so ein Beispiel zu sehen, wie es sein
könnte.(…) und dann kommen genau auch so konkrete Fragen. (…) das gibt so einen
Orientierungspunkt (ved2, 04 :10).
Parmi la multitude de projets proposés, l’équipe pédagogique doit effectuer des choix, qui
constitueront une partie du travail de l’année (partage des tâches). Dominique a fait des
propositions à chaque enseignant, afin de gagner du temps. Il essaie de tenir compte des
motivations de chacun. Et les propositions sont ensuite discutées ensemble : Ich habe
allerdings einen Vorschlag unterbreitet. Das heisst, es ist eine bestimmte Basis, die man
verändern, anpassen und diskutieren kann (ved 2, 17 :00). Il est ensuite nécessaire de discuter
de la future répartition des élèves au sein de chaque groupe (vo5, 04 :20). Il est également
nécessaire de faire des choix. Dominique suggère par exemple à Eléonore de prioriser
quelques projets avec chaque enfant. S’ils ont encore du temps, ils pourront se lancer dans
un autre travail (vo 5, 05 :45). Des critères sont établis pour faciliter l’intégration des enfants à
l’un ou l’autre groupe. La distribution des projets rappelle le marché du travail : on ne postule
pas partout et l’on ne peut être engagé qu’en possédant le profil adéquat (vo5, 04 :20).
Après cette réunion, chaque enseignant peut, seul ou en duo, travailler sur les projets qui lui
ont été attribué.
Respect de l’individualité
Bien que le directeur prenne souvent la main lors des moments de concertation, une large
place est accordée à l’individu en tant que tel. Lorsqu’il prépare les séances, Dominique fait
en sorte de créer une structure, mais dans laquelle il est possible de procéder à des
ajustements : (…) das heisst, es ist möglich, dass wir in vier Wochen, diese Sitzung nochmal
thematisieren und sagen «So wie wir das geplant haben, ist das nicht gut, wir müssen das
anpassen (…) (ved3, 21 :00). Il fait en sorte de laisser suffisamment de liberté aux enseignants
pour aborder les sujets qui les intéressent ou les préoccupent, afin qu’ils se sentent pleinement
concernés. Il y a toujours une interaction entre les enseignants et lui, afin que chacun puisse
s’exprimer. Nous avons eu l’occasion d’observer cette manière de faire à plusieurs reprises,
lorsque les enseignants étaient amenés à donner leur opinion sur l’éventualité de mélanger
les groupes d’âge dans un projet (vo7, 14 :00), ou lors de discussions concernant les premiers
jours d’école (vo5, 00 :50).
Les enseignantes confirment cette alternance entre structure et liberté individuelle. De plus,
cette attitude d’ouverture est appréciée. Selon Nadia : Er ist sehr offen für neue Ideen. Er ist
sehr mutig. Also, man darf neue Sachen ausprobieren. Grundsätlich hat er eine sehr offene
Haltung. Aber er hat auch viele Gedanken, die er mitteilt, die dann deine Idee vielleicht noch
ein bisschen formen. (vee1, 08 :00) / (…) gibt die danach Orientierung oder Sicherheit… (…)
Und ich glaube, dass er da sicher intervenieren würde, wenn es etwas für ihn dort nicht
stimmen würde. (…) Aber es ist eben durch sein Wissen,… hat es für mich so eine grosse
Bedeutung. (…) nicht weil er jetzt der Schulleiter ist… (…) Er kann sich immer wieder von
seinen Idee überzeugen (vee3, 17:30).
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Ce que confirme Eléonore: Ich glaube einerseits wohl, weil wir immer wissen, was kommt oder
was erwartet ist. Und andererseits wohl, weil man kann… Man kann immer eigene Ideen
ergänzen. Und es wird ernst genommen (vee1, 13:30).
Plus particulièrement, ces enseignantes revendiquent la structure pour favoriser leur liberté
d’action. Ainsi, Eléonore explique : (…) die Struktur, der Rahmen ist klar. Aber für mich ist…
was ich da drin mache, kann ich entscheiden. Für mich ist es so wie, der Rahmen ist klar aber
ich habe Freiheit in dem Rahmen (vee4, 03 :50). / Das heisst, auch wenn man eine Struktur
hat, heisst es nicht, dass man sie immer befolgen muss, sondern man hat einen Plan. Und ein
Plan gibt mir als Mensch ein gutes Gefühl. (…) ich habe das Gefühl, man ist endlos frei,
eigentlich (vee4, 04:50). Nadia complète ses propos: Aber du hast immer die Wahl, ob du das
annehmen willst, oder ob du vielleicht das anders ausprobieren möchtest (vee1, 08:20).
La différence d’opinions est même considérée comme une force puisqu’elle favorise les
apprentissages. Selon Nadia : Es kann sein, dass nicht alle die gleiche Meinung hat. Das ist
interessant. Dominique hat auch gesagt, er möchte, dass wir mehr Konflikte haben. Weil das
bringt uns wirklich weiter… (vee 3, 12:40) Pour illustrer cette force, elle utilise une situation
vécue récemment avec un collègue, au sujet d’un choix de contes pour enfants : Er hat mir
auch gesagt : « Das muss ich mit Dominique besprechen. Das interessiert mich, seine
Meinung. ». Und ich glaube, das ist ein gutes Beispiel zu zeigen. Loïc hatte diese Meinung
und Dominique vielleicht diese, aber man ist interessiert, dazu besprechen. (…) Wir haben
nicht die gleiche Meinung und das ist interessant (vee3, 13:50). Pour Dominique, cette prise
en compte de l’avis des autres est importante : Alles was ich jetzt gesagt habe, würde ich
behaupten, ich bin einfach unterwegs dahin. Ich versuche, in allen diesen Bereichen, gut zu
werden. Ich versuche vorzuleben, usw. (…) meine Meinung und dass ich nicht perfekt bin und
dass es ein Weg ist. (…) (ved1, 04:30).
Ce fonctionnement ouvert semble être favorisé par l’instauration d’un climat suffisamment
bienveillant pour inciter chaque acteur à s’exprimer, comme l’explique Eléonore : Wenn ich
gerne etwas hätte, oder wenn mich etwas stört, kann man ohne schlechtes Gewissen das
sagen. (…) Wir alle sagen, was wir denken (vee3, 14:30). Ce point est confirmé lors de
l’entretien avec le directeur. Dans le groupe, lorsque quelqu’un pense différemment, il a le droit
de partager son opinion : (…) wenn da irgendjemanden etwas anders denkt, ist da auch der
Raum frei, dass sie auch einbringen könnten. (ved1, 21 :25).
Avant d’aller plus loin, rappelons que, selon Gather Thurler (1994), il est impossible de mesurer
l’efficacité d’un établissement. Ce dernier vit en effet une évolution perpétuelle. On privilégie
donc la qualité à la quantité, qui s’inscrit dans la durée. Notre travail de recherche ne prétend
pas affirmer sans ambages que l’école choisie est un établissement efficace, puisqu’il s’est
déroulé sur un laps de temps très court. Nous souhaitons, en revanche, essayer de mettre en
évidence d’éventuels aspects s’en rapprochant. Nous nous intéresserons donc aux cinq
caractéristiques identifiées par Gather Thurler (2000). Cependant, dans un souci d’éviter les
répétitions, nous intègrerons le critère « Leadership et mode d’exercice du pouvoir » dans le
sous-point « Leadership » et « Leadership distribué ».
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Organisation du travail
La réunion terminée, chacun se met au travail. Les tâches sont claires et les enseignants
savent ce qu’ils doivent faire. Nous remarquons cet aspect-là également en début de journée,
avant la première réunion (vo1, 03 :40). Les enseignants travaillent en binôme sur la phase
qui leur a été attribuée. Nadia et Loïc discutent de l’organisation de la rentrée pour la phase 1
(vo18). Eléonore et Leila s’occupent de la phase 2 (vo21). Dominique et Noémie gèrent la
phase 3 (vo7). En ce qui concerne les projets, d’autres groupes se forment. Par exemple,
Nadia, Eléonore et Leila discutent ensemble du projet musique, puisqu’elles sont toutes les
trois impliquées (vo22).
Dominique veille à mettre en place une structure solide, afin d’optimiser l’utilisation du temps
et l’efficacité. La journée est découpée en diverses activités, généralement minutées : um
10 :30 zusammen zu kommen (vo3, 11 :10 ; 12 :10 / vo6, 19 :40). Malgré l’imposition d’un
certain cadre, les enseignants sont libres d’intervenir et de demander des modifications, en
cas de besoin ou d’envie. Au-delà du fil rouge, une certaine flexibilité et de mise. Les tâches
et les rôles sont divisés entre les différents membres, qui sont ensuite libres d’agir comme ils
le souhaitent. Nous pouvons donc constater que la structure n’est qu’un support d’aide sur
lequel les enseignants peuvent ensuite construire leur façon de travailler, en fonction de leur
personnalité. Cet aspect de soutien est mis en évidence par Nadia : Für das Team finde ich
noch wichtig, dass man weiss, wer hat welche Rolle (vee1, 04:25). (…)die Organisation sollte
sehr strukturiert sein, für mich (vee1, 05:40). Eléonore confirme ses propos: Ich glaube
einerseits wohl, weil wir immer wissen was kommt oder was erwartet ist (vee1, 13:30).
Comme l’enseignement au sein des phases se fait en binôme, il est assez rare qu’un
enseignant se retrouve réellement seul à la tête de son programme. Mais ce découpage en
phases limite le champ d’action de chacun et lui confère ainsi une certaine autonomie.
Relations professionnelles
En considérant l’organisation du travail, il semble clair que le mode privilégié est de type
collaboratif et coopératif. Nous pouvons en effet faire un lien avec les concepts développés
par Marcel, Dupriez, Périsset Bagnoud et Tardif (2007). Les enseignants partagent temps,
espace et ressources. La communication occupe une place centrale et a une fonction
d’organisation, de soutien et d’apprentissage. Les enseignants coordonnent leurs actions sur
l’année, échangent des idées, se confient sur des problématiques rencontrées et partagent
des conseils. Durant notre journée d’observation, nous avons pu remarquer à plusieurs
reprises l’atmosphère d’entraide qui règne entre les enseignants. Dominique se montre attentif
aux enseignants et remarque lorsqu’ils ont besoin d’un soutien, par exemple avec Eléonore :
Du, Eléonore, bräuchtest noch Infos zu Hühner und zum Spielplatz (vo3, 10 :50). Tout au long
de la matinée, il se rend vers chacun des protagonistes, qu’il s’agisse par exemple d’Eléonore,
de Leila (vo5, 03 :30) ou de Noémie (vo3, 11 :40 / vo5, 00 :00). Nadia se montre également
très présente pour ses collègues. Elle supervise le travail de Loïc (vo6, 01 :30) et de Leila (vo6,
03 :56), offre une aide à Noémie (vo6, 02 :10).
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Le projet étant au cœur du fonctionnement de l’établissement, les acteurs sont encore
davantage amenés à se concerter. Nous pouvons donc clairement parler de collaboration. En
ce qui concerne la coopération, nous constatons qu’elle est également régulièrement
présente. Dans chaque phase, pour commencer, puisque les enseignants s’occupent des
élèves en binôme et doivent donc particulièrement s’ajuster. Mais elle apparaît parfois
également au sein du collectif puisque les grandes lignes du programme de la journée sont
discutées en plénum et qu’il arrive que certaines activités nécessitent un décloisonnement,
comme par exemple le futur cours de musique (vo7, 14 :00). Chaque membre peut donc
apporter sa pierre à l’édifice.
Au-delà des tâches professionnelles, nous remarquons la présence d’un aspect relationnel
fort au sein du groupe, que ce soit dans les observations ou lors des entretiens. Bien que
studieuse, l’atmosphère est détendue, des plaisanteries sont échangées (vo2, 9 :14 / vo3,
15 :10 / vo7, 19 :40). Autour de la table, les enseignants occupent tous une place identique, il
n’y a aucun signe de supériorité ou de retrait (vo1, 04 :49). C’est ce que nous confirme
d’ailleurs Eléonore : Die Kommunikation ist eigentlich über gleich, egal, welche Position man
hat (vee3, 19 :45). Ils s’entraident, se conseillent, sont présents les uns aux autres. Nous
pouvons observer, tout au long des vidéos, de nombreux regards complices échangés entre
les différents protagonistes (vo2, 00 :17).
Même si cela se révèle inenvisageable lorsque les élèves sont présents, ils essaient de saisir
chaque occasion qui se présente pour prendre des repas en commun, notamment lors des
sorties professionnelles qu’ils organisent. Cette habitude s’est inscrite dès le début, puisque
leur première « réunion » de l’année s’est déroulée hors de l’établissement, dans un restaurant
(voir planification Hazu en annexe). Nadia s’exprime sur ce qu’elle pense de ces moments :
Ich finde das immer schön. (…) Es gibt es während der Woche nicht so viel. Also Dominique
und ich essen hier am Mittwoch. Aber sonst gibt es eigentlich diese Runde nicht so viel. Wir
machen das immer mal wieder am Weihnachten. Da essen wir zusammen am Abend hier, in
der Schule, machen Spiele zusammen und so. Und das ist noch wichtig für das Team, dass
man mal in einem anderen Kontext machen. (…) Aber wir haben schon raus früher
gemacht.(…) Und das ist noch interessant. Wir alle die Personen noch besser kennen (vee4,
16:13). Eléonore semble être du du même avis: Es ist eigentlich ein Moment, wo man (…)
nicht über die Schule zu reden. (…) finde ich noch eigentlich noch gut, dass wir auch
manchmal ausserhalb der Schule, etwas zusammen macht. Das stärkt auch das Team (vee4,
17:15). Les paroles de Dominique viennent encore confirmer ces premières impressions : Das
gemeinsam sein ist etwas, das wir pflegen wollen (…). (…) und das Zusammenessen ist eine
schöne Art des Zusammensein (ved4, 17:20). / Diese Zeit, die wir investieren, ist immer auch
Beziehungszeit (ved1, 12:48). Le repas ayant eu lieu lors de notre journée d’observation a
également réuni tous les enseignants (vo16, 00 :00). Malgré l’atmosphère très détendu, ces
repas peuvent aussi être des occasions d’aborder différentes thématiques en lien avec l’école
(vo16, 00 :45).
Lorsque nous interrogeons les enseignantes sur la problématique des conflits au sein du
groupe, force est de constater qu’elle est presque inexistante. Ainsi, comme nous répondent
Eléonore et Nadia : Bis jetzt eigentlich nicht…? (vee3, 11:50) / Nein, ich glaube nicht (vee3,
11:55). Selon Eléonore, l’explication est simple: Ich denke, weil man so offen spricht, kann
man viele die Konflikte vermeiden. Oder weil jeder weiss «Wenn mich etwas stört, darf ich das
sagen…». Also, weil es sehr eine offene Kommunikation ist, denke ich, (…) also man kommt
gar nicht zu dem Konflikt, weil alles offen thematisiert wird (vee3, 12:00)
59
Wenn ich gerne etwas hätte, oder wenn mich etwas stört, kann man ohne schlechtes
Gewissen das sagen. (…) Wie alle sagen, was wir denken (vee3, 14:30).
Nadia va même plus loin en précisant qu’il arrive parfois que les avis divergent : Es kann sein,
dass nicht alle die gleiche Meinung hat. Das ist interessant. Dominique hat auch gesagt, er
möchte, dass wir mehr Konflikte haben. Weil das bringt uns wirklich weiter… (vidéo 3, 12:40).
La communication bienveillante et ouverte semble être l’une des clés de leur fonctionnement.
En résumé, la relation entre les enseignants compte donc tout autant que le travail effectué.
La réflexion occupe une place prépondérante dans la vie de l’établissement. Comme déjà
développé plus haut, les enseignants utilisent les moment de concertation pour poser les
lignes directrices de l’année, organiser l’emploi du temps et détailler, par la suite, le contenu
des journées de cours (en binôme).
Mais nous avons pu constater que les enseignants n’hésitaient pas à utiliser des modèles
théoriques pour améliorer et structurer leur pratique (vo2, 20 :30). Nous avons également pu
remarquer que la structure imposée par le directeur n’empêchait pas les acteurs de porter un
regard critique sur les idées présentées et de les adapter si nécessaire.
De plus, cette pratique réfléchie se manifeste également à travers l’utilisation que font les
enseignants de la vidéo. En effet, lorsqu’ils souhaitent évaluer la qualité d’une action ou
résoudre un problème récurrent, ils se filment durant un temps d’enseignement. La vidéo est
ensuite visionnée en groupe et des solutions sont recherchées. Nadia explique : (…) oft sind
die Videos so wie jetzt, dass wir uns selber anschauen… dass wir uns filmen bei den Kindern,
und dann darüber sprechen, wie könnte man noch anders machen, was gibt es für Optionen.
Weil in der Situation ist es immer schwierig zu reagieren. (à propos des vidéos avec les
enfants) (vee2, 00:50). Dominique nous en dit un peu plus sur ce processus : Wir machen
jeden Mittwoch Videoanalysen, mehrheitlich Videos, die wir selber aufnehmen und selber
drauf sind. Hier eigentlich so Videos, die wir selber aufnehmen, selber drauf sind (ved2, 07:10).
Das finde ich für das Lernprozess, für das Erwachsene Prozess als Pädagogen, ein sehr
entscheidendes Instrument. Weil man dann zurückschauen kann und sich selber sieht die
Wirkung von sich selber sieht, und dann schauen kann, wie könnte es man auch noch
machen… Also, als Coaching Element ist Video für mich absolutes top Instrument (ved2,
08:00).
L’avantage de cette manière de faire est qu’elle engage une prise de distance pour
l’enseignant concerné, qui profite du regard neutre de ses collègues. Sur ce point, nous
relevons encore une fois les relations établies entre les membres, qui est garante du bon
déroulement de ces moments, comme le précise Nadia : Ich finde die Werthaltung von Team,
die muss stimmen, weil sonst fühl man sich nicht wohl. (…) aber man merkt, dass alle ein
gutes Herz haben und sie möchten, dass du weiterkommst. (…) alle wissen du versuchst das
Beste… und alle wissen du meinst es gut… und dann ist es auch einfach ein Feedback…
(vee2, 03:39).
60
Etablissement comme organisation apprenante
Le collectif fait partie intégrante de cet apprentissage. Comme mentionné plus haut, les
difficultés rencontrées par les enseignants sont discutées en plénum, souvent à partir d’extraits
de la journée que ces derniers ont filmés. Les expériences de chacun peuvent nourrir les
échanges, ce qui est renforcé par l’hétérogénéité professionnelle des membres. Au-delà d’une
simple optimisation de la pratique, ce procédé a aussi pour but d’augmenter le bien-être des
protagonistes. Nadia se montre très enthousiaste face à ce procédé : Es ist so spannend zu
sehen, was mache ich, oder wie schaue ich die Kinder an, oder wie zeige ich etwas… Und ich
finde das sehr sehr interessant. Und das kann ich als Pädagoge extrem weiterbringen (vee2,
03:00). Bien que peu à l’aise au départ, Eléonore a elle aussi pris goût aux vidéos : Und die
eigenen Videos… habe ich mich gedacht wie komisch, wenn ich mich da sehe oder alle reden
alle über mich (…) aber ich wusste, ja, es ist nicht, um mich zu kritizieren, sondern einfach um
mich andere Möglichkeiten oder andere Optionen aufzuzeigen, wie jetzt reagieren können
(vee2, 02:33).
Ces échanges apportent beaucoup aux nouveaux enseignants, comme le souligne Eléonore :
Für mich, weil ich neu bin, ist es gerade noch wichtig zu der Austausch… dann mit ich gut
arbeiten kann (…) die Rücksprache mit Nadia und der Dominique so wie Ideen oder Input…
(…) Dann bin ich gut arbeiten kann, wenn ich… ich bin… und der Leila ist auch bei mir in der
Phase 2… dass wir einfach gut miteinander aufsprechen und harmonieren… (vee1, 03:50) /
(…)jeden Tag haben wir Gespräche und Rücksprachen mit Dominique oder auch im Team
(vee4, 12:00.) Er hat uns so wie Tipps oder Inputs gegeben. (…) Er gibt eigentlich Tipps und
Ideen weiter aber wir entscheiden nachher, um wir umsetzten oder nicht. Das ist wirklich eine
Begleitung, eine Unterschützung (vee4, 13:45).
Nous assistons donc ici à un apprentissage par les pairs, ce qui, selon Schön (1983, cité par
Gather Thurler, 1994) fait partie intégrante de la construction d’une identité professionnelle.
61
Nous pouvons constater que l’établissement étudié présente de nombreuses caractéristiques
propres aux établissements efficaces.
6.2.1.3 Synthèse
Dans cette première partie d’analyse, nous pouvons mettre en évidence plusieurs points, qui
se trouvent en lien avec la littérature convoquée dans notre problématique :
- Le travail en collectif fait partie intégrante de la culture d’établissement. Il est souhaité
par le directeur et apprécié par les enseignants.
- La structure et le temps sont deux composantes importantes de l’organisation du
travail. Ils offrent une sécurité aux protagonistes, tout en présentant une certaine
flexibilité.
- Ce qui fait la marque de fabrique de l’école est sa démarche de projet. Toute l’année
scolaire s’articule autour de projets divers.
- Malgré une structure claire, chaque enseignant est libre d’exprimer son point de vue et
ses besoins. L’individualité de chacun est prise en compte et respectée.
- Le travail des enseignants est une alternance de moments de concertation en plénum
et de phases de travail en duo.
- L’aspect relationnel est largement pris en compte par l’ensemble de l’équipe
pédagogique. Au-delà d’une simple collaboration, les enseignants passent beaucoup
de temps ensemble et ont développé une véritable relation d’entraide et de soutien. La
communication est un facteur clé de ce fonctionnement.
- La pratique réfléchie s’inscrit dans le quotidien de l’établissement. Les enseignants
portent un regard critique sur leur pratique et adoptent la plupart du temps une
démarche orientée vers la résolution de problèmes.
- Le développement professionnel est également au cœur de l’équipe pédagogique.
Théorie et pratique sont intrinsèquement reliées. La vidéo est régulièrement utilisée
pour récolter des traces du travail en classe, qui sont ensuite discutées en plénum.
En résumé, cette description qu’on dirait, au vu de la théorie, tout droit sortie d’un manuel de
« bonnes pratiques » semble rejoindre les propos du directeur, qui considère le travail au sein
de son équipe comme étant : sehr prozessorientiert, sehr kooperativ und sehr viel auf
Kommunikation beruhend (ved1, 11 :55).
Après nous être intéressée à la culture d’établissement, nous allons dès à présent revenir sur
le concept de leadership.
6.2.2 Leadership
Dans les prochains paragraphes, nous détaillerons la façon dont le leadership se manifeste
au sein de l’équipe enseignante, et plus particulièrement à travers le directeur.
Nous rappelons ici que, selon Bennis et Nanus (1985, cités par Gather Thurler, 2000), le
leadership n’est pas qu’une question de « statut » mais dépend surtout de l’influence
qu’exerce une personne dans un contexte donné, notamment en ce qui concerne les actions
et les décisions d’un groupe. Ainsi, il est possible d’attribuer ce rôle à des enseignants ou des
tiers, autres que le directeur lui-même (Spillane et al., 2008).
Lors de nos observations, nous avons constaté qu’une enseignante, Nadia, se détachait du
groupe et semblait prendre un certain nombre de responsabilités. Nous l’inclurons donc autant
que possible dans notre analyse, au même titre que le directeur.
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6.2.2.1 Six sources du leadership
Gather Thurler (2000) identifie six sources principales du leadership, que nous retrouvons
sous la section 3.1.2.1, à savoir : le statut d’autorité, le statut électif, l’expertise professionnelle,
le charisme personnel, le sens de l’organisation et la position dans le système social.
Statut d’autorité
Nous pouvons considérer que Dominique possède un statut d’autorité puisqu’il est
officiellement le chef de l’établissement. C’est lui qui a fondé l’école et occupe donc
naturellement ce poste, ce que nous confirme ce dernier : (…) ich das Konzept befasst habe
und diese auch entwickelt habe, ist es normal eigentlich, dass ich danach die Leitung von
diesem Schiff übernahm, das ich gebaut habe (vidéo 1, 00 :25).
Nous avons questionné les enseignants et le directeur sur la place que prenait la hiérarchie
au sein de l’établissement. A cela, Dominique répond : Die Frage ist « was bedeutet
Hierarchie?». Il explique qu’il conduit le bateau mais qu’il ne choisit pas sa direction tout seul.
Il est important, selon lui, que l’orientation des buts soit commune : Jetzt bei dieser Art von
Weiterbildung und Leitungsmodul ist klar, dass die Hierarchie in jeder Hinsicht… das ich eine
präsentere Rolle habe. Jetzt nach dem Schulstart werden wir Coaching usw machen, dann ist
die Rolle von den Mitarbeiten schon fast zentral und ich bin eher der Coach. Il se voit comme
une personne chargée de conduire les autres. Son rôle dépend des situations mais il ne se
voit pas comme un directeur possédant la mainmise sur toutes les décisions (ved3, 13 :00).
Eléonore et Nadia confirme cette absence de réelle hiérarchie : Also, fühlen, im Prinzip nicht.
Man weiss, er ist der Chef oder er ist der Leiter. Aber er gibt uns nicht das Gefühl, das ernst
ist (vee3, 17 :15). / Und ich glaube, dass er da sicher intervenieren würde, wenn es etwas für
ihn dort nicht stimmen würde. (…) Aber es ist eben durch sein Wissen,… hat es für mich so
eine grosse Bedeutung. (…) nicht weil er jetzt der Schulleiter ist… (…) Er kann sich immer
wieder von seinen Idee überzeugen (vee3, 17:30).
Statut électif
Nadia, elle, possède plutôt un statut électif. Elle fait partie des enseignants et s’est peu à peu
vu déléguer du pouvoir par Dominique. Les autres enseignants lui ont naturellement laissé ce
pouvoir. Elle a débuté un CAS en administration et gestion d’institutions de formation (tableau
5 : échantillons). et son rôle tend à évoluer vers un statut davantage orienté vers l’autorité.
Dominique la considère déjà comme son bras droit : Das ist die Stellvertreterin, die
Schulleiterin jetzt (ved1) / Also ich denke, Nadia könnte auch das tun (ved, 13:00).
Expertise professionnelle
Il possède également une expertise professionnelle dans bien des domaines. Il a enseigné
puis a occupé un poste de directeur dans un établissement de la région. Les compétences
développées dans ces deux domaines, ainsi que sa formation sur les enfants autistes font de
lui une personne-ressource importante dans la vie de l’école (tableau 5 : échantillons). De
plus, il connaît suffisamment les élèves ainsi que le déroulement d’une année scolaire type à
Bratsch, pour pouvoir guider les nouveaux enseignants. Nous pouvons l’observer, par
exemple, lorsqu’il rassure Leila sur le déroulement de la première journée (vo12, 21 :40), ou
encore lorsqu’il conseille à Eléonore de procéder par étapes dans les réunions et de donner
rapidement les premiers objectifs aux élèves (vo7, 10 :30).
Il fait allusion à l’organisation de l’année précédente, indique ce qui a fonctionné et ce qui n’a
pas fonctionné, comment ils ont procédé (vo12, 00 :10). Eléonore explique : Dominique bringt
immer wieder neue Denken oder neue Ideen. Er gibt mir so eine neue Idee und dann denke
ich «Oh mein Problem ist nicht so gross oder nicht so schlimm.» (vee5, 03:20).
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Même pour Nadia, pourtant présente depuis le début, l’expertise de ce dernier est rassurante :
Die Gegenwart von Dominique, das ist mir so eine Sicherheit (vee1, 14:00).
En ce qui concerne Nadia, elle possède également une expertise professionnelle. En effet, sa
longévité dans l’établissement lui permet d’avoir une vision précise de son fonctionnement, ce
qui en fait une personne ressource pour les nouveaux enseignants. Cette expertise se
manifeste, par exemple, lorsqu’elle transmet à Eléonore les informations nécessaires à la
poursuite d’un projet qu’elle avait elle-même commencé (vo22, 12 :20). Pour cette dernière,
sa présence possède un grand avantage : (…) dass sie immer wieder mir eine Sicherheit gibt
oder das Gefühl gibt «Es ist ok.». Für mich war es viel am Anfang so unklar und «Wie geht es
das?» (…) Und dann gibt sie mir immer das Gefühl «Es ist ok, das ist normal, du schaffst das.»
(vee5, 02 :17). De plus, elle est très présente professionnellement auprès de Dominique et est
donc souvent la première au courant des avancées de l’école. Le directeur relève : Aber ja,
deswegen die Nadia bei der es wichtig ist, bei den Planungen und allen den Prozesse dabei
zu sein und alles miterlebt und die Idee auch, dass sie Sachen von meiner Seite auch machen
kann. (ved1) / Deswegen ist sie da natürlich die Ansprechenperson Nummer eins (ved3,
05:40).
Charisme personnel
Ce qui semble émerger le plus de la personnalité de Dominique est son humanité, son écoute
et son empathie vis-à-vis des enseignants. Il se montre très disponible pour donner des
conseils à ceux qui en ont besoin (vo2, 05 :55 / vo3, 11 :40 / vo5 : 03 :30). Il est également
attentif à ses collègues et capable de repérer celui ou celle qui nécessiterait un soutien, comme
avec Eléonore : Du, Eléonore, bräuchtest noch Infos zu Hühner und zum Spielplatz (vo3,
10 :50). Cette manière d’être est très appréciée de l’enseignante : Was mich noch wichtig ist
(…) er nimmt immer Zeit. Wenn etwas gerade aktuell und wichtig ist (…). Und so fühlt man
sich auch wahr genommen oder ernst genommen, auch wenn es nur «kleine» Probleme sind
(vee1, 09:15). Nadia met également en avant sa grande disponibilité: Er ist sehr naher bei
seinen Leuten. Er ist sehr naher bei den Kindern, er ist sehr naher bei den Eltern, er ist sehr
naher bei uns. Und das ist für mich manchmal wie ein Wunder, wieso hat er noch Zeit. (…)
Aber er hat immer Zeit. (…) Er hat immer Zeit für Menschen (vee1, 14:35). Elle souligne encore
à quel point il sait se montrer attentif à l’état émotionnel de son équipe : Habe ich manchmal
so ein Thema im Kopf, und dann brauche ich da unbedingt Antworte. (…) es ist für mich eine
offene Frage und sie blockiert meine Arbeit (vee3, 22:00). Aber das spürt er. Ich glaube, er
spürt mich sehr gut, zu welchem Zeitpunkt ich was brauche. (…) für mich ist das wichtig. (…)
seine Position so wie «Ok, wir klären das jetzt, weil dich blockiert das sonst in deiner Arbeit.»
(vee4, 00:00). / Auch wenn man etwas geplant hat… er hat es super gut in Griff, aber ich
glaube, er hat aber auch das Gespür zu merken «Du brauchst Zeit für dich». Oder vielleicht
«Du brauchst Zeit, um etwas anderes zu machen»(vee2, 15:30). Pour illustrer ses paroles,
elle raconte une situation conflictuelle vécue avec des élèves, qui l’avait passablement
affectée :(…) und es war mir zu viel… dann hat er mir gesagt «Du kannst auch einmal in dem
Ruhezimmer für dich gehen, auch als Pädagogin.»(vee2, 16:55).
Que les enseignants se sentent bien est l’une des priorités de Dominique. Cet aspect fait partie
de ses besoins au travail : Dass sie sich wohlfühlen. Dass sie sich wertgeschätzt fühlen, und
dass sie wissen, dass ihre Aussage erwünscht ist. Also ihre Teilnahme ist gewünscht (ved2,
00 :00).
Il souhaite que les enseignants comprennent qu’ils sont dans un espace de confiance, où ils
peuvent tout partager, également ce qui les dérange, qu’ils viennent comme ils sont : (…) wie
sie sind. (…) seine Vertrauenbasis da ist und auf diese arbeiten wir (ved2, 00 :30). Nous lui
avons demandé comment il s’y prenait: Ich hoffe, dass sie spüren, dass sie mir wichtig sind,
dass ich sie weiterbringen möchte… (ved 2, 01 :05)
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Il souhaite leur montrer qu’il accorde de l’importance à leurs préoccupations, qu’il les prend au
sérieux: Und mir ist auch wichtig, damit wir weiter gehen können, dass der Wertschätzen mit
den Sprachen angewenden wird (…). (ved2, 01 :50).
Bien qu’il prenne souvent la direction des réunions, il s’enquière régulièrement des opinions
des autres (vo5, 02 :00 / vo5, 05 :00). Il se met également souvent dans une posture d’écoute
(vo10, 09 :00 / vo12, 00 :00). Cette attitude est confirmée par sa manière de reformuler et
questionner ce qu’il entend, afin de s’assurer qu’il ait bien compris : Das musste ich noch
visualisieren… (vo9, 02 :00). Nadia relève à ce propos : Er ist sehr offen für neue Ideen. Er ist
sehr mutig. Also man darf neue Sachen ausprobieren. Grundsätlich hat er eine sehr offene
Haltung. Aber er hat auch viele Gedanken, die er mitteilt, die dann deine Idee vielleicht noch
ein bisschen formen (vee1, 08 :00).
Dominique possède finalement une certaine humilité et ne met pas en avant son rôle de leader,
sauf lorsqu’il s’agit de structurer les échanges, ce que nous explique Nadia : Er hat schon
seine Haltung, seine Autorität (…) es ist nicht durch seinen Platz «Hier sitzt immer der Cheff
am Tisch», sondern mehr durch seine Erfahrung, durch seine Ideen, durch seine
Fachlehrerwissen… kann er dich sehr gut begleiten. Ich finde, er ist ein top Leader (vee1,
08:25). Eléonore confirme ses propos, en faisant allusion à la place que Dominique occupe
autour de la table : Wegen der Platzwahl, finde ich gut, dass er so mit unserem Kreis einfach
sitzt… (vee1, 07:10).
Nadia se montre également très attentive à ses collègues. Nous pouvons le constater lors de
la première phase de travail sans le directeur.
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Elle se dirige d’abord vers Loïc (vo6, 01 :30), puis vers Noémie (vo6, 02 :50), et enfin vers
Leila (vo6, 03 :56). Pour Eléonore, sa présence est rassurante : (…) dass sie immer wieder
mir eine Sicherheit gibt oder das Gefühl gibt «Es ist ok.». Für mich war es viel am Anfang so
unklar und «Wie geht es das?» (…) Und dann gibt sie mir immer das Gefühl «Es ist ok, das
ist normal, du schaffst das.» (vee5, 02 :17) / Für uns sicher so eine Stütze, eine Hilfe (…). Weil
wir alle drei da neu sind, haben wir noch so viele Fragen (…) wir sie Fragen können und sie
uns hilft (vee5, 00 :30). Dominique confirme: Ich hätte gesagt, sehr unterstützend. Sie geht hin
und geht nicht weiter bis die Frage geklärt ist, sie hört sehr aktiv zu. Il relève qu’elle ne reste
pas focalisée sur une personne, elle est attentive aux autres enseignants autour : Ich denke,
dass sie auch alle Fragen antworten konnte (ved3, 06 :25).
Nous sentons chez Nadia une très forte identification à l’école, qui justifie sa posture : Ich bin
eine sehr offene und direkte Person. Wenn ich irgendetwas höre oder habe ich das Gefühl,
jemand braucht Hilfe oder weiss nicht, so sage ich gerne etwas dazu. (…) Ich glaube, dass es
ein bisschen eine Rolle ist, die man dann so bekommt, weil ich von Anfang auch dabei bin und
schon sehr sehr viele Gespräche mit Dominique hatte… (…) Für mich ist es manchmal sehr
schwierig, mich noch zurück zu halten, weil ich mich sehr stark mit der Schule identifiziere und
mir ist diese Schule sehr sehr wichtig. Und dann habe ich immer alle Ohren offen für
irgendwelche Themen, betreffen der Schule. (…) Die Zukunft von dieser Schule ist für mich
sehr wichtig (vee 3, 09:15).
Sens de l’organisation
Comme développé plus haut, Dominique possède un fort sens de l’organisation. C’est lui qui
planifie la majorité des réunions de concertation. Sont alternées des moments en plénum (vo2,
00 :19) et des moments en binôme (vo18). Il explique: (…) und es ist ein grosser Teil des
Teams, die Weiterbildung und Coaching. Wir machen Sitzungen (…) wir gemeinsam arbeiten
(ved1, 01:35). Une organisation très structurée permet aux enseignants de se lancer dans les
tâches en sachant précisément ce qu’ils doivent effectuer (vo18). Il guide également les
enseignants dans la planification des journées d’école. Il vérifie la bonne coordination des trois
phases.
En plus de coordonner les actions des enseignants, il s’attelle à de multiples autres tâches. A
côté de son rôle de directeur, il incarne celui d’enseignant, dans la phase 3. Cette année, il va
ainsi travailler régulièrement avec Noémie, son binôme. Dans ces moments-là, nous pouvons
constater qu’il adopte davantage une posture de commentateur et d’auditeur, face à sa
collègue (vo10, 09 :00). Bien qu’il possède toujours une certaine expertise : Da bin ich der
verantwortliche Pädagoge für die Phase 3, mit dem Schulleiter im Hinterkopf, der weiss, wie
die Philosophie geht, also ich weiss, wie man das gut trennen kann (ved4, 04 :55). Lorsque
nous lui demandons ce qu’il pense de cette double-casquette, directeur et enseignant, il
répond : Es ist eine Doppelrolle. Doppellrollen sind nicht ganz einfach. Der Vorteil aber indem
ich Schulleiter und Pädagoge bin, ist ich bleibe an der Basis. Cela lui permet de ne pas rester
focalisé sur la théorie, sans inclure la pratique (ved4, 06 :15).
Il s’occupe également de tous les aspects administratifs avec Alice, sa secrétaire. Le jour de
nos observations était consacré à la commande de matériel (vo14, 00 :00).
Finalement, il entretient des contacts avec l’extérieur, en rencontrant les parents, en travaillant
sur la Newsletter ou avec des journalistes (ved1, 01 :35). Il est aussi régulièrement en contact
avec la commune ou le département, comme lorsqu’il s’agit d’aborder la problématique des
moyens de transport pour les élèves (vo16).
Nadia prend également part à l’organisation du travail, en guidant ses collègues dans les
différentes étapes de la journée et la planification des journées d’école. Elle est également
responsable d’un groupe d’élèves, dans la phase 1. Elle y travaille avec Loïc (vo17).
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Position dans le système social
Bien que le sujet n’ait pas été abordé durant les entretiens, nous avons découvert sur le site
internet de l’école que l’équipe pédagogique collabore régulièrement avec des institutions
partenaires, comme le Pfyn-Finges Naturpark Wallis, l’équipe à l’origine de la plateforme Hazu,
ainsi que les membres du projet pédagogique explore-it.
En résumé, selon le directeur, un leader est : Also ein Leader, ist für mich wichtig, dass er
derjenige ist der auch vor allem geht. Ist der Unterschied zwischen der Leader und der
Manager. Der Manager sagt «Dort ist der Weg und geht mal.». Der Leader geht voraus und
sagt « Kommt her, ich zeuge euch was». Er macht dasselbe, was er von der Leute erwartet.
Und der Leader hat für mich auch eine Ausstrahlung… eine Kopfvertrahlung (…) Er ist
verantwortlich, dass es eine ethische Haltung, auch dem entspricht. Für mich ist ein Leader,
einer der Visionen er kreiert, in klaren Richtungen denkt und er dann die Leute auch
mitnehmen kann, damit die sie diesen Ziel gemeinsam erreichen. Ich weiss, ein
Menschenspezialist ist ein Leader für mich. (ved1, 03:12) Alles was ich jetzt gesagt habe,
würde ich behaupten, ich bin einfach unterwegs dahin. So also ich versuche in allen diesen
Bereichen gut zu werden… Ich versuche Leute abzuholen, ich versuche vorzuleben, usw
(ved1, 04:30).
Maintenant que nous avons abordé la thématique du leadership scolaire, nous allons nous
intéresser à la place du leadership distribué dans l’établissement observé.
Comme l’explique Gather Thurler (2000), le pouvoir tend de plus en plus à être partagé entre
les différents protagonistes, au sein de l’établissement. Bien que toujours présent, le directeur
s’efface légèrement pour laisser de la place à un ou plusieurs enseignant(s). Ceci répond à
une volonté de changement, qui passe justement par une plus grande implication des acteurs
de l’école (Leithwood et al., 2007, cités par Poirel et Yvon, 2012).
En ce qui concerne les limites au leadership distribué, mises en évidence par Gather Thurler
(2000), à savoir l’augmentation de la charge de travail et les abus de pouvoir, il semblerait que
l’établissement ait mis en place de bonnes stratégies.
Nous avons déjà abordé plus haut la problématique du temps et remarqué qu’il était
efficacement exploité par l’ensemble des enseignants (vee1, 13 :30). Quant à l’attitude des
deux « leaders », elle tend à être ouverte et non dominatrice.
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Cela se manifeste dans une tentative de ne pas imposer sa vision, que cela implique
Dominique ou Nadia : War mein Vorschlag nämlich… (vo3, 06 :35) / Vielleicht könntest du eine
Tabelle machen… (vo6, 08 :55). Nadia remarque: Für mich ist es sehr wichtig, wie es läuft in
der Schule. Es nicht so über kommt, wie «Ich möchte euch kontrollieren.» oder «Ich vertraue
euch nicht.» (…)(vee5, 01:00).
Il y a donc une réelle volonté à exploiter les compétences de chacun pour améliorer le
fonctionnement de l’école et s’apporter une aide mutuelle qui encourage un certain partage du
pouvoir.
6.2.2.3 Synthèse
Dans cette seconde partie d’analyse, nous pouvons mettre en évidence plusieurs points, qui
se trouvent en lien direct avec la littérature convoquée dans notre cadre conceptuel :
- Dominique possède un statut d’autorité, qui lui a été conféré par son implication dans
la création de l’école.
- Nadia possède un statut plutôt électif, qui lui a été octroyé par le directeur et par les
autres enseignants.
- Leur longévité dans l’établissement leur permet d’avoir une certaine expertise
professionnelle, dont ils font bénéficier les autres protagonistes, en particulier les
nouveaux enseignants, à qui cela fait office de sécurité et de soutien.
- Ce qui se détache le plus de Dominique et Nadia est leur empathie, leur disponibilité
et leur écoute. Ceci contribue à créer un climat de groupe ouvert et bienveillant.
- Ils s’occupent à la fois de superviser les actions des enseignants et de gérer un groupe
d’élèves. Dominique effectue également des tâches administratives et organise la
communication avec l’extérieur.
- L’école collabore régulièrement avec des institutions partenaires.
- Le pouvoir est partagé entre Dominique et Nadia.
La dernière partie de notre analyse sera consacrée aux gestes professionnels présents chez
le directeur de l’établissement.
Selon Jorro (1998), l’agir professionnel peut se décliner en différentes postures et gestes
associés, que nous avons regroupés dans la section 3.2.3.2 de notre cadre conceptuel.
Les gestes professionnels possèdent une dimension interprétative. Il s’agit d’une action
effectuée avec une intention, un but. L’agir professionnel peut se décliner La visée est
communicative.
Nous aborderons donc ci-dessous les différents types de postures définies par l’auteur, ainsi
que les gestes associés, et les mettrons en lien avec nos observations sur le terrain. Après
avoir constaté que Nadia occupait une place importante au sein de l’équipe pédagogique, nous
avons jugé pertinent de nous intéresser également aux gestes qu’elle utilise.
Posture de traducteur
Gestes de désignation :
En début de journée, Dominique invite les enseignants à se pencher sur les différents projets,
dont certains sont présents sur la plateforme Hazu (vo2, 00 :35). Il utilise un projet spécifique
et déjà très complet (les poules) pour montrer aux nouveaux enseignants comment peut se
dérouler un projet-type. Il utilise celui-ci comme une référence (vo2).
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Pour illustrer théoriquement la structure des projets, il présente à l’équipe une vidéo sur le
management de projets, qu’il a choisie : Für die Moderation gibt es ein Video
(Moderationszyklus, Josef W. Seifert). Cette vidéo offre quelques éléments intéressants qu’il
propose de regarder (vo2, 20 :30).
Il prend des notes sur un flipchart, pointe les éléments les plus importants (vo3, 00 :45). Il
suggère de prendre chaque projet sous l’angle de ce modèle. Il alimente ses explications de
références au projet des poules (vo3, 06 :40).
Durant la suite de la matinée, il présente à plusieurs reprises des documents de référence aux
enseignants, qu’il s’agisse du programme de la semaine (vo9, 11 :00), d’anciens examens
(vo4), des programmes informatiques (vo12, 09 :00)… Il fait régulièrement allusion aux années
précédentes (vo12, 00 :10).
Découvrir la thématique des projets à travers une activité déjà réalisée est perçue comme
positif par Eléonore et Nadia : Darum ist das für mich gerade gut, ein Einblick zu haben. Es
war hilfreich zu sehen, so wie ist der Aufbau von einem Projekt, weil der Aufbau ist noch
eigentlich gleich bei allen Projekten (…) ist das eine Idee, wo man transferieren kann auf
anderen Projekten (vee1, 19 :30). / Es hat einen Vorteil, denn man es direkt in einem Beispiel
erklärt, dann kann man noch zeigen, wie funktioniert es in Hazu (vee1, 20:15). Dominique
confirme le but de cette façon de procéder: (…) es ist für die Leute, praktisch für alle, neu so
zu arbeiten und was da hilft ist sicher schon dieses Model lernen und das ist so ein Beispiel
zu sehen, wie es sein könnte. (…) und dann kommen genau auch so konkrete Fragen… (…)
(ved2, 04 :10).
Quant à l’utilisation de la vidéo, les enseignantes y trouvent également des avantages, comme
l’explique Nadia : Wir brauchen oft Videos, zum etwas mit einander besprechen. Oder es gibt
einen Input, und dann besprechen wir darüber kritisch: was finde ich gut, nicht gut… (vee2,
00:35). Dominique relève l’avantage pratique d’une telle vidéo: Ist hier das Wissen sehr
kompakt aufbearbeitet (…) Das ist ein grosser Vorteil (ved 2, 08:00).
Gestes explicatifs :
Lors de la seconde réunion en plénum, il aborde la thématique des entretiens avec les élèves.
Il explique la façon dont ils se déroulent, la façon dont les élèves sont accompagnés dans le
choix de leurs projets, en quoi cet accompagnement est nécessaire pour eux (vo2, 06 :54). Il
présente sur Hazu un « Projekte Übersicht » qu’il a préparé en amont et précise comment les
étapes du modèle ont pu être intégrées dans les différentes séances menées avec les élèves :
Die erste Sitzung war eigentlich wie gesplittet. Erste Sitzung war Punkt 1, Punkt 2 (vo3, 04 :20).
Par la suite, il dessine encore un nouveau schéma sur le flipchart, qu’il présente aux
enseignants à la secrétaire. Il explique comment le schéma va les aider pour l’organisation
(capacité de chaque projet, profil des élèves, temporalité, points cruciaux) et les contenus
(vo6, 21 :20). Il rebondit sur ce qui a bien fonctionné l’année précédente et la façon dont ils
ont procédé (vo12, 00 :10).
Il fournit également de nombreuses explications lorsqu’il discute avec Eléonore et Leila (vo12,
09 :00).
Du côté de Nadia, nous constatons qu’elle donne un grand nombre d’explications à ses
collègues, en particulier aux nouveaux. Par exemple, elle présente à Eléonore le projet de la
place de jeu, puisque c’est cette dernière qui en sera responsable pour cette année. Elle
explique le déroulement du projet depuis le début : Ganz am Anfang… (vo22, 16 :00). Durant
la phase de travail en binôme, qu’elle effectue avec Loïc, elle donne régulièrement des
informations sur ce qu’ils ont déjà mis en place.
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Nadia parle à Eléonore du projet de la place de jeu, puisque c’est cette dernière qui en sera
responsable cette année. (vidéo 22, 12 :20) Elle explique tout le déroulement du projet, depuis
le début : Ganz am Anfang… (vidéo 22, 16 :00)
Eléonore montre l’importance de ces explications dans son travail : Dominique bringt immer
wieder neue Denken oder neue Ideen. Aber eigentlich habe Beide immer wie so Tipps oder
Ideen (…) (vee5, 03:20). Pour le directeur, il est important de tout verbaliser, afin que ce soit
clair pour les autres : (…) dass sie alles verbalisiert, was ich denke, was wichtig ist... (ved1,
21:45). Dans ces moments d’explications, il reconnaît prendre beaucoup de place : Das ist ein
« Input-teil ». Das könnten die anderen, für mich, nicht beantworten. (…) Deswegen macht in
diesem Moment Sinn, dass ich die Erklärung gebe (ved1, 12 :40). Selon Nadia, cette manière
de procéder s’inscrit logiquement dans leur travail en collectif : Ich glaube, es kommt darauf
an. Was ist das Ziel. Hier war eigentlich das Ziel… dass dort wo wir noch Infos von ihm
brauchen, oder Ideen von ihm brauchen… dass er dort wie eine Lektion macht für uns. (…)
Aber kann man direkt sagen «Stop, ich habe eine Frage.» (vee2, 10 :25).
Gestes d’institutionnalisation :
A la fin de la présentation du projet des poules, Dominique s’adresse à Eléonore et lui explique
que toutes ces informations ont eu pour but de donner un aperçu de leur avancée dans ce
projet et surtout de la forme que peut prendre un projet type : (…) wo stehen wir. Il effectue
une courte synthèse (vo2, 14 :40).
Durant le visionnage de la vidéo, il prend des notes sur le flipchart. Il reprend ensuite oralement
ces points clés et insiste dessus (vo2, 00 :45).
A la fin des diverses réunions en plénum, il récapitule l’attribution des projets (vo3, 12 :40),
résume les différentes propositions concernant la répartition des élèves dans ces activités
(vo7, 15 :45), confirme des réunions (vo7, 18 :50), effectue un rappel de ce qui doit être fait
durant l’après-midi (vo16, 01 :10).
Posture de médiateur
Gestes de reliance :
Il n’hésite pas à marquer la participation de Nadia : Der Tagesplan machte ich mit der Nadia
bereit (vo2, 00 :17).
Nadia met aussi en avant son expertise dans l’école, lorsqu’elle explique à Noémie certaines
fonctionnalités de Hazu, par exemple (vo6, 00 :20).
Elle met en contact Eléonore avec les parents de Dominique, qui fournissent leur aide dans
l’un des projets (vo22, 05 :00).
70
Identifier des personnes de référence joue une part importante dans le travail, selon Nadia :
Für das Team finde ich noch wichtig, dass man weiss, wer hat welche Rolle. (…) (vee1, 04:25).
(…) die Organisation sollte sehr strukturiert sein, für mich (vee1, 05:40).
Gestes de soutien :
Dominique encourage régulièrement les enseignants à adopter telle ou telle démarche. (vo2,
05 :55 / 06 :20). Il les questionne à plusieurs reprises sur des besoins éventuels (vo9, 10 :00).
Il repère lorsque les enseignants ont encore besoin d’informations, comme Eléonore : Du,
Eléonore, bräuchtest noch Infos zu Hühner und zum Spielplatz (vo3, 10 :50). Il organise dans
le programme de la matinée des plages-horaires pour aider ses collègues (vo9, 19 :05). Il
propose de l’aide à Noémie (vo3, 11 :40) et passe un moment avec Eléonore et Leila, afin de
discuter avec elles de leurs projets respectifs (vo5, 03 :30). Il entend les différentes questions
et se veut rassurant (vo12, 21 :40).
Nadia, de son côté, se montre très disponible pour ses collègues. Elle jette un œil à ce que
fait Loïc (vo6, 01 :30), guide et conseille Noémie avec Hazu (vo6, 02 :10), se rend vers Leila
(vo6, 03 :56).
Nadia relève la proximité que le directeur entretien avec son équipe : Er ist sehr naher bei
seinen Leuten. Er ist sehr naher bei den Kindern, er ist sehr naher bei den Eltern, er ist sehr
naher bei uns. Und das ist für mich manchmal wie ein Wunder, wieso hat er noch Zeit. (…)
Aber er hat immer Zeit. (…) Er hat immer Zeit für Menschen. (vidéo 1, 14:35). Eléonore
explique à propos de ses débuts dans l’établissement : Wir haben immer wie… jeden Tag
haben wir Gespräche und Rücksprachen mit Dominique oder auch im Team (vee4, 12:00).
Quant au soutien de Nadia, elle ajoute: (…) dass sie immer wieder mir eine Sicherheit gibt
oder das Gefühl gibt «Es ist ok.». Für mich war es viel am Anfang so unklar und «Wie geht es
das?» (…) Und dann gibt sie mir immer das Gefühl «Es ist ok, das ist normal, du schaffst das.»
(vee5, 02 :17). Pour le directeur, le bien-être des enseignants est primordial : Ich hoffe, dass
sie spüren, dass sie mir wichtig sind und dass ich sie weiterbringen möchte… (ved2, 01 :05).
Il accorde un soin particulier à accompagner les nouveaux membres : Es ist hier, dass ich sie
so lange, so eng begleite, bis sie sich im System sicher gut fühlen. (…) und dass sie bewusst
auch versuchen (ved3, 12 :15)
Gestes de conseil:
Dominique fournit de nombreux conseils aux enseignants, portant sur la meilleure manière de
répartir les élèves dans les projets (vo2, 02 :37), la façon d’organiser la structure d’un projet
(vo3, 13 :50), l’aspect visuel des activités sur Hazu (vo3, 08 :15), etc : wan man natürlich tun
könnte ist… (vo12, 02 :10). Concernant les futures réunions avec les élèves, il suggère, par
exemple, de les filmer et de leur donner ensuite un feedback (vo2, 05 :55). Pour la rentrée, il
propose à Eléonore : Für die erste Sitzung…es kann eine kurze Zusammenfassung sein…
(vo5, 04 :00). Il donne encore d’autres conseils sur la structure des réunions (vo5, 05 :45 / vo7,
01 :40). A chaque fois, il explique la raison de cette proposition.
Nadia fait aussi plusieurs suggestions à ses collègues : Du könntest auch unter « Projekte »
eine Beschreibung hinein… (vo6, 00 :20) / Vielleicht könntest du eine Tabelle machen… (vo6,
08:55) / vielleicht wäre es noch cool… (vo6, 16:00).
En tant que nouvelle enseignante, Eléonore apprécie les nombreux conseils qu’elle peut
recevoir de Nadia ou de Dominique : Für mich, weil ich neu bin, ist es gerade noch wichtig zu
der Austausch… dann mit ich gut arbeiten kann (…) die Rücksprache mit Nadia und der
Dominique so wie Ideen oder Input… (…) (vee1, 03:50). / Er gibt eigentlich Tipps und Ideen
weiter aber wir entscheiden nachher, um wir umsetzten oder nicht. Das ist wirklich eine
Begleitung, eine Unterstützung (vee4, 13:45). / Für uns sicher so eine Stütze, eine Hilfe (…).
71
Weil wir alle drei da neu sind, haben wir noch so viele Fragen (…) wir sie Fragen können und
sie uns hilft (vee5, 00 :30). Le directeur, de son côté, se considère comme un soutien : Da bin
ich Coach, da bin ich Ansprechperson … Il est comme «ein Fels» pour eux (ved4, 14 :30).
Gestes d’écoute :
Dominique regarde régulièrement les enseignants, afin de s’assurer qu’ils suivent toujours. Il
leur laisse du temps pour prendre connaissance des documents, réfléchir, poser des
questions : Habt ihr dazu Fragen ? (vo2, 18 :20). Lorsque certains d’entre eux, comme
Eléonore ou Nadia, lui posent une question, il réexplique ce qui n’a pas été compris ou apporte
des éclaircissements (vo2, 14 :55 / vo3, 08 :15).
Lors des interactions plus individualisées, il montre qu’il tient compte de ce que disent les
autres protagonistes (vo5, 02 :00 / vo5, 05 :00). Il prend en considération leurs demandes, par
exemple quand Nadia lui explique qu’ils ont encore besoin d’un peu de temps de
« structuration » (vo6, 20 :00).
Nadia adopte une démarche similaire, comme nous pouvons l’observer lors d’une
conversation avec Leila (vo22, 00 :00) ou durant le bilan de fin de journée (vo24).
Eléonore met en évidence la grande disponibilité de Dominique : Was mich noch wichtig ist
(…) er nimmt immer Zeit. Wenn etwas gerade aktuell und wichtig ist (…). Und so fühlt man
sich auch wahr genommen oder ernst genommen, auch wenn es nur «kleine» Probleme sind
(vee1, 09:15). Nadia confirme: Und das ist für mich manchmal wie ein Wunder, wieso hat er
noch Zeit. (…) Aber er hat immer Zeit. (…) Er hat immer Zeit für Menschen (vee1, 14:35).
Posture de pisteur
Gestes de planification :
Tout au long de la matinée, Dominique met en avant des éléments de planification. A l’arrivée
des enseignants, il explique le programme de la matinée, donne la thématique globale et les
objectifs : Der Block, der hier vorgesehen ist, ist der Bereich "Projekt Management"(…) (vo2,
0 :19).
Il propose de regarder concrètement chaque projet commencé avant de réfléchir à la manière
de procéder (vo2, 0 :35). Il répartit ensuite les acteurs sur les différentes activités (vo3, 10 :00).
Il planifie la suite au tableau et propose de créer des groupes durant la journée, afin de faciliter
le passage de témoin avec certains projets (par exemple, Nadia doit en présenter un à Loïc)
(vo3, 11 :10). Il organise son passage auprès de chaque enseignant ayant besoin d’un
accompagnement (ex : Eléonore et Leila, phase 2) (vo9, 19 :05). Au milieu de la matinée, il
présente une grande feuille aux enseignants, comportant le programme de la semaine pré-
rentrée. Il leur propose de s’attarder un instant sur le déroulement du lendemain (mercredi).
Des parents sont attendus pour nettoyer l’école (vo9, 11 :00).
72
Il fait régulièrement allusion à l’heure. Entre deux réunions, il estime le temps de travail
nécessaire avant la prochaine concertation : … um 10 : 30 zusammen zu kommen (v03,
12 :10). Il est garant du temps écoulé (vo6, 19 :40). Chaque « entretien » est minuté : von
11 :30 bis 12 : 00… mit dir Alice.
Un grand soin est également apporté au programme des premières journées d’école. Par
exemple, il discute avec Noémie des horaires des futures réunions avec les élèves de la phase
3: … immer am Montag Nachmittag (vo9, 00 :40). Il fixe aussi les heures de toutes les réunions
du jeudi (vo9, 07 :00).
Pour Eléonore et Nadia, une planification structurée fournit une grande aide : Ich glaube
einerseits wohl, weil wir immer wissen was kommt oder was erwartet ist (vee1, 13:30). / Ich
finde es wichtig, dass man in Team die Verantwortlichkeiten regelt. Wer ist wofür
verantwortlich. Und jeder weiss wo kann ich mir Hilfe holen. (…) und dann die Unterstützung
sehr breit ist (vee1, 05 :00). Eléonore apprécie la gestion du temps du directeur: Er hat sehr
gut im Griff zu mit der Zeiteinteilung. (…) Es ist eigentlich genau eingeteilt und alles hat Platz.
(…) Der Zeit ist wertvoll genutzt. (vee2, 14:40). Pour Dominique, il est important que les
enseignants sachent ce qui est attendu d’eux : Also, das ist jetzt für mich eigentlich wichtig,
mit den Kindern oder auch im Team, die Kommunikationswege und die Zeit, die es braucht,
dass das eigentlich klar ist, klar strukturiert (ved1, 19:25).
Lors des moments de travail, Dominique passe vers tous les enseignants afin de vérifier leur
avancée. Ils discutent, par exemple, avec Eléonore et Leila au sujet de leurs projets respectifs
(vo5, 03 :30), ou fait un état des lieux avec Alice, concernant la commande de matériel (vo14,
00 :00).
Nadia passe aussi régulièrement vers ses collègues et les questionne sur le travail effectué.
Elle se rend vers Leila : Ich komme zu dir. Leila lui présente ce qu’elle envisage de proposer
aux élèves pour organiser un marché. Elle a en tête plusieurs produits que les élèves
pourraient confectionner et vendre (vo6, 03 :56).
Dominique aime partir des idées des enseignants, de leur avancée, pour construire la journée :
Was ich mir überlege, ist die Form, welche Form geht das an, und von meiner Haltung, ist es
meist so, dass ich ja schaue, was kommt von den Leuten... Und dann eigentlich versuche ich
das anzupassen. Das ist eigentlich auch eine Grundstruktur, die aber so viele Offenheit
zulässt, dass Ideen von den Leuten aufgenommen werden können (ved1, 10 :10).
Gestes de contrôle :
A chaque fois qu’un point important est abordé, Dominique va prendre des informations chez
les protagonistes. Il reformule régulièrement leurs propos, afin de vérifier qu’il ait bien compris
(vo5, 02 :10 / vo7, 00 :30 / vo7, 04 :00). Avant de changer de sujet, il s’assure que tout est
clair (vo9, 05 :55 / vo9, 08 :00).
Durant la phase en binôme, Nadia fait récapituler par Loïc le fonctionnement de certains rituels,
pour la phase 1 (vo18, 00 :00). Lorsqu’elle discute avec ses collègues, elle reformule
régulièrement leurs propos (vo22, 00 :00).
73
Posture de régulateur
Durant cette journée consacrée aux projets, Dominique a régulièrement tissé des liens entre
un projet de l’année précédente, le modèle théorique et le programme de l’année à venir. Il
explique que toutes ces informations ont pour but de donner un aperçu de leur avancée dans
ce projet et surtout de la forme que peut prendre un projet type : Ihr habt eine Idee wie das in
der Praxis ausgesehen hat (vo3, 18 :12). Il insiste sur la pertinence de tels modèles pour
travailler sur les projets et propose de prendre chaque activité future sous l’angle de ces
derniers (vo3, 06 :40).
Ces liens impliquent donc surtout un aller-retour entre la théorie et la pratique. Nadia confirme :
Er macht immer so Verknüpfungen zwischen der Theorie und der Praxis. Das hilft nachher,
das was du machst… wie zu verstehen, oder… (…) So hast du wie ein Ablauf im Hinterkopf
(vee2, 07:13). Ce lien est très important pour le directeur, qui considère que la théorie isolée
peut être oubliée : Also es war wenig Theorie gewesen, Theorie mit Modellbeispiel und dann
Übertrag auf das eigene Projekt. Und das ist für mich sehr zentral, sonst wäre die Zeit
fehlinvestiert. (…)Deswegen ist für mich die Theorie immer praxisorientiert einzusetzen ist.
(ved2, 14:45).
Gestes de valorisation :
Dominique présente aux enseignants les différentes étapes du projet de l’année précédente,
en insistant sur l’importance de chacune d’elles. Par exemple, commencer par mettre en
commun les connaissances et expériences de chaque élèves, réfléchir à ce qui doit être fait,
etc. (vo2, 03 :04). Il met en évidence la façon convaincante dont fonctionne leur didactique et
s’en enthousiasme : Die Kinder, (…) die finden Wege die (Aufgaben) zu lösen. Ohne
Unterschützung (vo2, 16 :28).
Il met régulièrement en évidence les points principaux dont doivent se rappeler les
enseignants, les aspects les plus importants (vo3, 00 :45).
Nadia relève aussi les aspects centraux du travail effectué les années précédentes, en parlant
par exemple de la réussite et des progrès des élèves (vo3, 17 :10).
Nadia explique une particularité de Dominique, lorsqu’il cherche à mettre en évidence des
éléments pertinents : Er zeichnet immer. Wenn er spricht, zeichnet er immer. Und ich finde
das sehr interessant, weil wenn er zeichnet (…) dann unsere Auge geht immer wieder auf das
Papier, möchte schauen «Ah, was ist der nächste Punkt?». And so arbeitet er oft. (…) Und
das hilft für Menschen, die sehr visuell sind, aber auch für Menschen, die sehr… darauf hören.
(…) Und dann ist die Aufmerksamkeit viel grösser… (vee2, 08 :10).
Gestes d’ajustement :
L’arrivée de nouveaux enseignants et la multiplicité des projets en cours et à venir exige une
importante coordination. Dominique veille donc à ce que chacun d’entre eux en prenne
connaissance (vo2, 00 :35). Il fournit également des documents leur permettant d’effectuer un
suivi des élèves qui leur seront confiés, en donnant par exemple une copie des derniers
examens cantonaux à Eléonore (vo4). Durant la journée, il crée des groupes de travail,
permettant de faciliter le passage de témoin avec certains projets (vo3, 11 :10). Il coordonne
ses propres actions avec son binôme, Noémie (vo5, 00 :50) ou avec Alice, la secrétaire (vo14,
03 :05).
74
Durant les phases de travail, Nadia passe vers chacun de ses collègues et discute avec eux
de diverses tâches. Elle discute avec Eléonore d’un projet que cette dernière doit reprendre
(vo22, 05 :00). Elle s’investit particulièrement auprès de Loïc, son binôme, afin de lui expliquer
le fonctionnement de la phase 1 : Meistens machen wir so… (vo18). Dans les échanges en
plénum, elle questionne également Dominique à plusieurs reprises, afin de se coordonner
avec lui (vo2, 19 :20).
Ces nombreux moments de discussion ayant une visée de coordination sont importants pour
Eléonore. Für mich, weil ich neu bin, ist es gerade noch wichtig zu der Austausch… dann mit
ich gut arbeiten kann (…) die Rücksprache mit N. und der D. so wie Ideen oder Input… (…)
(vee1, 03:50). Comme développé plus haut, elle pointe l’intérêt de se baser sur des projets
déjà existants (vee1, 19 :30).
Posture de contradicteur
Gestes de questionnement :
Dominique pose des questions lorsqu’il souhaite s’assurer que les enseignants ont bien
compris ce qu’ils avaient à faire ou afin de s’enquérir de leurs besoins éventuels : Habt ihr
dazu Fragen ? (vo2, 18 :20).
Durant son entretien avec Noémie et celui avec Alice, il questionne beaucoup l’organisation,
cherche à connaître leur avancée et ce qu’elles ont prévu de faire (vo10, 09 :00 / vo15).
Pour les enseignantes, les questions ont toujours leur place, même si le programme est très
structuré, comme le souligne Nadia : Aber sonst ist es eigentlich, man sitzt und alle sprechen
miteinander, jedes hat eine Idee… (…) Aber kann man direkt sagen «Stop, ich habe eine
Frage.» (vee 2, 10 :25). Dominique préfère éviter de consacrer trop de temps à entrer dans
les détails lors des moments en plénum. Il prend volontiers du temps après, si nécessaire.
Cependant, il y a toujours un espace prévu pour les questions : Aber ich finde es sehr wichtig,
ihnen zu zeigen, dass sie nicht Stress auslösen und doch Klarheit bringen. Und dass die
Inhalte auch relevant sind (ved2, 20 :20).
Gestes de problématisation :
A plusieurs reprises, Dominique et Nadia évaluent les effets de certaines pratiques avec leurs
collègues (vo5, 00 :50). Par exemple, le directeur et Eléonore discutent de la répartition des
élèves au sein des projets (vo5, 04 :20), le collectif met en discussion la question des effectifs
pour chaque projet (vo7, 02 :00)…
6.2.3.1 Synthèse
Dans cette dernière partie, nous pouvons remarquer que les postures de traducteur, de
médiateur et de pisteur, sont souvent mises en évidence. Les gestes d’écoute, de conseil, de
soutien et de planification apparaissent le plus souvent et leurs impacts sont régulièrement
exprimés par les enseignantes et le directeur.
75
7 Interprétation des résultats
Dans cette partie, nous entreprendrons de revenir sur les différents concepts mis en évidence
dans ce travail, à savoir le travail en collectif, le leadership et les gestes
professionnels/accompagnement.
Gather Thurler (1994, 2000) identifie cinq modes de coopération professionnelle, à savoir
l’individualisme, la balkanisation, la grande famille, la collégialité contrainte et la
coopération/interdépendance. Notre recherche montre que les deux premiers modes ne sont
pas utilisés par l’établissement. Les enseignants travaillent durant la grande majorité du temps
tous ensemble ou alors en binôme. Bien que l’école soit divisée en trois phases, avec des
espaces délimités, il n’existe pas réellement de classe et les élèves sont régulièrement
amenés à interagir ensemble. De plus, le programme s’inscrit dans une perspective à long
terme et pluridisciplinaire, à travers des projets. Si, pour des questions de commodité et
d’efficacité, les protagonistes s’organisent en binôme, ils sont amenés à se réunir plusieurs
fois par jour. Il n’existe aucune rivalité entre ces sous-groupes. En ce qui concerne les modes
que sont la grande famille et la collégialité contrainte, nous pouvons dire que l’établissement
s’y retrouve sur certains points et pas sur d’autres. Sur le plan relationnel, les différents
protagonistes ont développé une relation très forte, qui va parfois au-delà du professionnel,
comme entre Nadia et Dominique, par exemple. Les échanges sont amicaux et généralement
exempts de conflits. La confiance est de mise et les enseignants veillent à instaurer un climat
de respect et de bienveillance entre eux. Le leader veille au bien-être de ses collègues et porte
autant d’attention à leur profil personnel que professionnel. Malgré tout, le groupe échappe à
la dérive du « sur-relationnel » et privilégie la dimension pédagogique et didactique.
La rareté des conflits est une conséquence de l’ouverture à l’opinion des autres et du dialogue.
Le travail en collectif est inscrit dans le quotidien de l’école. Les réunions sont structurées et
portent sur des objectifs clairs et précis, dont le but est de favoriser l’apprentissage des élèves.
Ces moments d’échanges sont consacrés à la planification des journées, à des discussions
autour des élèves, à des périodes de formation continue, etc. En plus du travail en amont, les
enseignants coopèrent également durant le temps de classe, pratiquent le « team teaching ».
Ces temps en commun sont organisés par le directeur et possèdent donc un certain caractère
obligatoire. Cependant, l’établissement échappe encore une fois à certaines dérives. Malgré
ce fonctionnement inscrit dans l’établissement, les témoignages cités plus haut démontre
l’importance qu’il prend pour les enseignants, qui y accordent beaucoup d’intérêt. En
considérant ces différents aspects, nous pouvons constater que l’école observée utilise
principalement un mode de travail basé sur la coopération et l’interdépendance. Les aspects
professionnels et relationnels occupent une place égale et se complètent.
Les enseignants s’entraident, échangent des conseils et partagent leur expertise. Ils élaborent
ensemble des projets, des stratégies, ils cherchent des solutions et portent un regard critique
sur leur pratique.
76
Ils intègrent à leur quotidien des moments plus informels, notamment des repas en commun.
L’intérêt envers chaque protagoniste ne porte pas uniquement sur son profil professionnel
mais également sur sa personnalité propre, ce qui est particulièrement marqué chez
Dominique. Chaque enseignant a le droit de cultiver ses propres opinions et valeurs, malgré
une cohésion de groupe très forte. Le leader occupe un double-rôle qui est à la fois d’entraîner
et soutenir le collectif, mais également de faire preuve d’humanité. De plus, nous avons pu
observer que le leadership présent dans l’établissement est de type coopératif, notamment à
travers la place qu’occupe Nadia.
Finalement, compte tenu des éléments présents ci-dessus, nous pouvons considérer que le
profil du groupe est celui d’une équipe pédagogique car, comme le définit Perrenoud (2013),
il s’agit « d’un groupe constitué partageant un projet, des ressources et parfois la
coresponsabilité d’un certain nombre d’élèves ou d’activités pédagogiques », définition à
laquelle nous pouvons rajouter la présence d’un leadership distribué. Le collectif parvient, en
outre, à éviter certains écueils comme la perte de temps ou le conflit, par le soin apporté à sa
structure et au respect de l’individualité de chacun.
Nous avons également pu remarquer que le leadership effectué était de type distribué. En plus
d’un partage des responsabilités, nous avons observé qu’une enseignante se détachait des
autres, en la personne de Nadia. Elle possède elle aussi un statut d’experte et est
régulièrement sollicitée par Dominique. La formation qu’elle suit actuellement, en
administration et gestion d’institutions de formation, prouve qu’elle occupe peu à peu un rôle
de leader.
Gather Thurler (2000) définit plusieurs modalités d’exercice du leadership, que nous allons
tenter de mettre en parallèle avec nos observations, à savoir : le leadership orienté vers la
formation ou l’accompagnement ; le leadership orienté vers la culture ; le leadership orienté
vers les transactions ; le leadership orienté vers la transformation. Au premier abord, nous
pouvons constater que Dominique s’inscrit dans chacune de ces modalités.
Dominique possède une formation de base dans l’enseignement, ainsi qu’une formation dans
la gestion d’institutions de formation et une autre dans les thérapies. Ces expériences-là,
combinées à une pratique de plusieurs années, font de lui une personne-ressource importante
pour les enseignants. Dans son travail, les pratiques pédagogiques prennent une grande place
et il inscrit l’établissement dans une démarche de formation continue, qu’elle soit menée par
lui-même ou par des intervenants extérieurs. Dans le même temps, il accorde un grand soin
au bien-être des enseignants et à leur développement professionnel, en particulier les
nouveaux arrivants. Par les échanges qu’il favorise durant les concertations en plénum et par
les réunions individualisées, il accompagne chaque protagoniste au plus près de ses besoins,
en définissant avec lui des objectifs spécifiques.
77
Leadership orienté vers la culture
Cette dernière modalité semble être la plus mise en avant dans le leadership de
l’établissement observé. Le développement professionnel des enseignants est au cœur du
fonctionnement de l’équipe pédagogique. A travers les moments de concertation, le
visionnage d’extraits vidéo issus de la pratique et les rencontres avec d’autres professionnels,
les protagonistes sont amenés à porter un regard critique sur leurs actions, à élaborer de
nouvelles stratégies et à acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire. La coopération fait partie
intégrante du travail quotidien, à nouveau dans le but d’améliorer les pratiques. L’aspect
relationnel est très important et, selon les témoignages, semble être garant de l’efficacité du
travail. Le leader est un accompagnateur, un guide, dans un fonctionnement basé sur une co-
construction de la culture d’établissement. Nous assistons également ici à une forme de
leadership distribué qui, comme le précise Gather Thurler, est l’une des caractéristiques de
cette modalité orientée vers la transformation. Chaque individu fait partie intégrante de l’école
et y participe de façon active, en partageant ses propres compétences et en bénéficiant de
celles des autres. Un climat de confiance et de bienveillance règne entre les enseignants.
Dans notre cadre conceptuel, nous avions considéré que le leader adoptait une posture
d’accompagnement, de par ses tâches d’organisation et d’aide à la construction de l’identité
professionnelle des enseignants.
78
Si nous reprenons les trois modalités d’accompagnement proposées par Jorro (2011), à savoir
l’accompagnement comme soutien, appui et cheminement, nous pouvons mettre en évidence
leur alternance, en fonction des situations rencontrées par l’équipe pédagogique.
Dominique guide les enseignants dans la planification des tâches. Il met en place des
moments de concertation et construit avec eux le programme des journées d’école. Il organise
également chaque semaine des temps consacrés à des réflexions collectives et à la résolution
de problèmes. Il accompagne particulièrement les nouveaux enseignants, afin qu’ils puissent
s’intégrer à la philosophie de l’établissement.
En-dehors des réunions en plénum, le directeur se tient à disposition des enseignants en cas
de besoin. Ses multiples expériences font de lui une personne-ressource vers laquelle ces
derniers se dirigent facilement pour obtenir des conseils ou des éclaircissements.
Que cela ait lieu durant les moments de concertation ou lors d’entretiens individuels,
Dominique accompagne les enseignants sur le chemin de la réflexion. Il utilise par exemple le
travail par thématique, en proposant un point de focalisation pour une réunion spécifique. Il
guide les échanges, questionne, relève les éléments pertinents et incite les protagonistes à
débattre et à confronter leurs opinions. Il donne des impulsions que ses collègues utilisent
ensuite pour faire évoluer leur pratique et leurs conceptions.
Certaines recherches, comme celle de Lafortune et Martin (2004, cités par Pana-Martin, 2015),
montrent que l’accompagnement peut prendre la forme d’un collectif. Les retours effectués par
les enseignantes mettent en évidence la façon dont l’équipe pédagogique soutient et enrichit
chacun des membres.
79
8 Retour sur le questionnement
Dans ce chapitre, nous entreprendrons de vérifier nos hypothèses de départ, suite à notre
questionnement et à la recherche sur le terrain. Notre questionnement s’est organisé autour
des concepts de culture d’établissement, travail en collectif, leadership et gestes
professionnels.
Nous avons pu constater que les responsabilités étaient partagées entre les
protagonistes, en fonction des tâches effectuées ainsi que des compétences de
chacun, et qu’une enseignante en particulier occupait un rôle de leader, en plus du
directeur de l’établissement. Sa place a été démontrée par le témoignage de
Dominique, qui la considère déjà comme une directrice-adjointe. Les autres
enseignants lui reconnaissent également ce statut.
Nous avons pu constater que les actions de Dominique s’inscrivaient dans chacune
des modalités, mais plus particulièrement dans un leadership orienté vers la
transformation. Sont mis en avant le développement professionnel des
enseignants, la coopération – qu’elle ait lieu avant, pendant ou après les périodes
d’enseignement – et les relations entre les acteurs. De plus, comme mentionné ci-
dessus, le pouvoir tend à être partagé entre les enseignants.
III. Si le leader adopte une posture de médiateur et de pisteur, ainsi que les gestes
professionnels associés…
IV. Si les caractéristiques d’un établissement efficace sont celles que Gather Thurler
(2000) développe dans sa recherche…
80
Une autre composante concerne l’utilisation du projet comme matrice du
programme impliquant les élèves. Une année scolaire se construit donc dans une
perspective à plus ou moins long terme, en fonction des projets choisis. L’aspect
relationnel occupe une large place dans l’école et se manifeste principalement par
une communication empathique et bienveillante entre les enseignants. La
philosophie de l’établissement favorise le développement professionnel des
protagonistes. Ainsi, la pratique réfléchie est régulièrement utilisée, que cela soit à
travers des situations rapportées du quotidien ou des extraits vidéos. Relier la
théorie et la pratique est l’un des objectifs du directeur.
En considérant ces différents éléments retrouvés tout au long de la littérature que nous avons
convoquée dans notre partie théorique, tels que la culture d’établissement, le leadership et
les gestes professionnels, nous pouvons affirmer que…
II. L’école choisie présente les caractéristiques d’un établissement efficace, tel que
décrit par Gather Thurler (1994).
III. Le mode de travail au sein de l’équipe pédagogique fonctionne sur le principe d’une
relation professionnelle basée sur la coopération et l’interdépendance.
En conclusion, nous pouvons poser le constat que le leadership a une influence sur la
construction d’une culture d’établissement efficace de type coopératif, à condition qu’il soit
distribué, orienté vers la transformation et manifesté principalement à travers une posture de
traducteur, de médiateur et de pisteur. Ses effets s’observent dans l’efficacité du travail des
enseignants, des rapports cordiaux et bienveillants, une grande entraide, une démarche
orientée vers l’avenir et un processus continu de développement professionnel.
81
9 Conclusion
Dans cette dernière partie, nous effectuerons un retour sur ce travail. Dans le but d’ouvrir les
perspectives de recherche, nous mentionnerons quelques pistes susceptibles de prolonger la
question de départ. Parce que le choix de ce sujet a été motivé par des intérêts bien
spécifiques, nous développerons enfin quelques enjeux auxquels il répond.
9.1 Prolongement
Dans le cadre de cette recherche, nous avons choisi d’observer les effets du leadership sur la
coopération entre les enseignants à travers les gestes professionnels. Nous avons pu relever
un certain nombre d’informations nous permettant de corroborer les éléments identifiés dans
la théorie. Cependant, avec du recul, nous pensons que d’autres facteurs pourraient être pris
en compte. Certaines études, comme celle de Rosenholtz (1989b, citée par Gather Thurler,
2000) tendent à montrer qu’un mode de travail axé sur la collaboration apparaît plus souvent
dans des petits groupes que dans un ensemble. Il se pourrait donc que la taille de
l’établissement ait une influence sur le mode de travail utilisé. La pédagogie pratiquée pourrait
également avoir un impact sur la coopération. Dupriez (2007) pose comme hypothèse qu’un
dispositif traditionnel et cloisonné encouragera moins l’enseignant à aller vers les autres qu’un
fonctionnement davantage axé sur le projet et l’interdisciplinarité. Comme nous l’avons
mentionné dans notre problématique, Dupriez (2010) formule son hypothèse comme suit :
« Plus un établissement (ou un système scolaire) définit ses objectifs en termes d’éducation,
valorise l’appropriation de savoirs contextualisés et développe des dispositifs pédagogiques
laissant de la place aux apports des élèves, plus cet établissement (ou ce système) s’appuiera
sur du travail collectif et de la coopération entre enseignants ». Finalement, les nombreuses
études récentes s’étant intéressées à la problématique de la présence, recensées par Cuddy
(2015) nous inciteraient à nous pencher plus spécifiquement sur son influence au sein d’un
groupe. Cette dernière permettrait en effet d’inspirer davantage la confiance et l’intérêt chez
l’interlocuteur (Cuddy, Wilmuth & Thornley, cités par Cuddy, 2015).
Afin d’affiner les résultats de notre recherche, il serait pertinent de comparer différents
établissements présentant une forte coopération, afin d’évaluer les similitudes et différences
entre eux et avec l’école observée. Il serait également intéressant d’étudier un établissement
présentant un fonctionnement plus individualiste.
Finalement, les entretiens nous ont permis de constater que ces multiples moments en collectif
semblaient être perçus comme des apports par les enseignants. Nous pourrions donc
envisager de nous pencher sur la thématique du développement professionnel et de la mettre
en parallèle avec les gestes professionnels du leader. Dans le même ordre d’idée, les
enseignants nouvellement arrivés dans l’établissement pourraient servir d’échantillon.
En dépit des divers facteurs énoncés ci-dessus, qui pourraient être pris en compte pour
expliquer des résultats si proches de l’idéal présenté dans la théorie, nous formulons
l’hypothèse qu’il pourrait y avoir un simple effet de la personnalité du directeur et des
enseignantes présentes depuis le début, qui se complèteraient particulièrement bien. Un autre
établissement comprenant le même type de pédagogie et le même effectif ne fonctionnerait
peut-être pas pour autant de cette façon. Une telle situation ne serait pas un cas unique,
comme le démontre l’étude de Périsset (2016), qui met également en lumière une dynamique
particulièrement efficace entre les membres de l’équipe enseignante observée. Il nous paraît
également intéressant de porter un regard sur les conditions d’embauche. Dans un tel
contexte, le directeur possède une grande liberté quant au choix des enseignants qu’il
souhaite accueillir dans son équipe pédagogique. Nous pouvons supposer que les
personnalités choisies se rapprochent de très près des valeurs du chef de l’établissement.
82
Grossen (1999), qui a effectué des recherches sur les dynamiques intra- et intergroupes, met
justement en évidence l’importance de l’identité de groupe, qui passe par le partage de
certaines normes et valeurs communes.
Comme nous avons pu le constater, le travail en collectif est un concept complexe qui dépend
de nombreux facteurs. Parmi ces derniers, nous retrouvons : la liberté de choix; l’élaboration
d’objectifs communs ; l’ouverture au changement ; la mise en commun des compétences de
chacun ; le climat relationnel. Cette forme de travail est l’une des composantes caractérisant
un établissement dit « efficace » (Gather Thurler, 1994), au même titre qu’une organisation
flexible, une démarche de projet orientée vers l’avenir et un esprit constamment tourné vers
l’apprentissage.
Nous avons remarqué que ces deux concepts laissaient également une large place au
leadership, en particulier un leadership de type coopératif (Gather Thurler, 2000). Forte de ce
constat, nous avons décidé d’observer nous-même l’impact de ce dernier sur le travail en
collectif. Mais il nous fallait trouver un moyen concret de le faire. Les recherches de Gather
Thurler présentent plusieurs modalités d’exercice du leadership. Cela nous a donc conduite à
chercher un outil permettant d’identifier les actions posées par le leader. C’est alors que nous
avons découvert le travail de Pana-Martin et le concept de « geste professionnel », élaboré
par Jorro (1998) dans le cadre de la formation à l’enseignement. Selon nous, un leader peut
en effet être considéré, d’une certaine façon, comme un accompagnateur. Ce dernier est
souvent amené à guider les enseignants, en particulier les nouveaux arrivants. De plus, les
recherches de Rosenholtz (1989b, citée par Gather Thurler, 2000) montrent que le leader tend
à influencer les pratiques des enseignants. Il nous semblait donc possible de lier les deux. En
outre, cette nomenclature offre au chercheur la possibilité de classifier les différentes actions
observées de façon précise et concrète. Il est ensuite aisé de repérer les gestes les plus
présents et de les lier à la théorie, comme nous l’avons fait avec la littérature sur le travail en
collectif.
Nous pouvons donc dire que le leadership influence la collaboration au sein d’une équipe
enseignante. Et il est possible de l’observer et de l’analyser sous l’angle des gestes
professionnels.
83
9.2.2 Apports méthodologiques
Comme expliqué plus haut, nous nous sommes largement inspirée du travail de Pana-Martin
(2015), pour élaborer nos outils méthodologiques. Nous avons procédé en deux étapes :
l’observation filmée d’un moment de travail en collectif, suivie d’entretiens portant sur ces
mêmes observations. Chacun de ces moments a été analysé à travers des grilles précises
nous permettant de mettre directement en parallèle les pratiques et la théorie.
Nous remarquons que cette manière de procéder peut se révéler très efficace. La première
partie n’impose aucune exigence aux individus observés. Ils ont la possibilité d’évoluer
librement dans leur environnement habituel. Ceci permet au chercheur, à condition qu’il ait
instauré un climat de confiance au préalable et qu’il sache se mettre un peu en retrait, de
capturer des instants authentiques. Avant même de bénéficier d’un retour des participants, il
est déjà possible de s’imprégner de l’atmosphère du groupe et d’identifier ses enjeux ainsi que
les types d’interactions présentes à l’intérieur. Le premier tri et classement d’informations
entrepris suite à ces observations aide alors le chercheur à sélectionner les éléments lui
paraissant les plus pertinents et qu’il souhaite soumettre aux membres. Quant aux entretiens,
ils offrent la possibilité aux individus d’exprimer leur ressenti et de compléter les premières
informations. Ceci se fait dans un contexte de mise à distance, puisque les participants ne
sont plus dans l’action mais observe celle qui s’est déroulée précédemment, lui insufflant une
plus grande objectivité. Dans notre cas, l’habitude d’analyser des vidéos les mettant en scène
s’est clairement manifestée chez les enseignantes et le directeur. En effet, les extraits
présentés n’ont souvent été que de petites impulsions donnant matière à des remarques et à
des réflexions dépassant largement le cadre de leurs contenus. Les commentaires reçus ont
donc été riches et détaillés.
Ceci nous permet donc de mettre en avant les avantages de la recherche dit « qualitative »
(Dumez, 2012) qui, malgré son utilisation dans un contexte très restreint, nous a permis de
récolter beaucoup d’informations, que nous avons pu mettre en lien avec la théorie. Cette
approche favorise le dialogue et donne la possibilité de questionner les premières
observations et d’approfondir les éléments importants. Malgré le petit échantillon choisi, nous
pouvons démontrer que l’équipe pédagogie pratique le travail en collectif et que ce dernier est
influencé par certains gestes du directeur/leader. Même s’il serait difficile d’affirmer que toutes
les écoles pourraient adopter cette façon de travailler, nous avons ici un exemple d’un groupe
qui fonctionne et de ce qu’il met en place pour que cela fonctionne.
Malgré tout, nous relevons ici ce qui s’est présenté comme notre propre limite dans le cadre
d’une approche qualitative : l’analyse et le découpage d’une si grande masse d’informations.
Il n’est pas aisé de prendre en compte chaque élément observé et un certain « deuil » est
nécessaire. Nous devons prendre ce qui nous paraît le plus pertinent et lâcher prise sur le
reste. Mais il n’est alors pas impossible d’oublier un élément d’importance. Cette même
difficulté se retrouve lors des entretiens. Il faut poser les bonnes questions et « sentir » quand
une remarque mérite d’être approfondie ou orientée vers une autre question. Une certaine
incertitude demeure donc tout au long du processus.
Cette recherche nous permet finalement de mettre en exergue quelques éléments pouvant
être utiles à la pratique.
Elle nous incite d’abord à questionner la place du travail en collectif dans les réformes
scolaires. Au bout de toutes ces années, force est de constater qu’il n’occupe toujours pas
une place incontournable dans les établissements. Certaines raisons sont avancées par
Perrenoud (1994), comme le manque d’utilité, la perte de temps et l’affaiblissement de
l’identité professionnelle.
84
Cependant, nous pouvons relever des critères de réussite qui peuvent le favoriser. En premier
lieu, nous retrouvons la liberté de choix. Dans les établissements pratiquant efficacement la
collaboration, les enseignants se sont constitués en groupes de travail car ils y ont perçu une
utilité et un besoin. Ce rassemblement fait sens pour eux et il se construit autour d’objectifs
communs. Nous nous permettons donc de porter un regard critique sur le caractère
« obligatoire » de ces réformes. Certes, un monde professionnel idéal devrait n’être constitué
que d’individus pratiquant avec enthousiasme et rigueur un travail en collectif de tous les
instants. En considérant la multiplicités des personnalités et des visions portées par les
individus, il nous semble difficile de prétendre atteindre cet idéal. Cependant, il nous paraît
important qu’un établissement souhaitant favoriser la collaboration se penche sérieusement
sur la façon de la rendre nécessaire et enrichissante aux yeux des acteurs. Sinon, cela pourrait
se révéler difficilement envisageable sur le long terme et dans une optique d’efficacité. Au-
delà de l’utilité, notre recherche met encore en évidence, à l’image de bien d’autres, la
nécessité de créer un climat de confiance et de respect mutuel. L’aspect relationnel est en
effet un autre garant d’un travail en équipe efficace et durable.
Le leader peut avoir un grand impact sur cette organisation. Ce qui ressort de notre recherche
est le besoin pour les enseignants d’avoir un directeur avant tout humain, tourné vers les
autres et à l’écoute. Mais ces derniers apprécient également d’être accompagnés, guidés. Un
grand besoin de structure se fait enfin ressentir. Un leader efficace devrait donc utiliser en
majorité des gestes d’écoute, de conseil, de soutien et de planification. Son action devrait être
orientée sur le développement professionnel des enseignants. Selon les recherches de Gather
Thurler (2000), un leadership distribué renforce encore une culture d’établissement efficace.
Nous avons pu le constater dans notre propre travail.
En résumé, le projet de notre recherche fournit divers apports, qu’ils émergent des parallèles
conceptuels effectués, des outils utilisés ou des résultats obtenus, qui permettent de porter un
éclairage particulier sur les pratiques collaboratives au sein des établissements scolaires. Au
vu de l’évolution des pratiques enseignantes, de l’hétérogénéité croissante des élèves et des
compétences toujours plus nombreuses qu’exigent la profession, le travail en collectif nous
paraît être un enjeu de taille pour les prochaines années.
85
10 Références bibliographiques
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89
10.1 Table des tableaux
Tableau 1: Différences entre culture de coopération et collégialité contrainte, tiré de Gather
Thurler, 1994, p.33 .......................................................................................................... 24
Tableau 2: Dimensions du travail en collectif, récapitulatif ............................................... 26
Tableau 3: Postures et gestes professionnels, tiré de Pana-Martin, 2015, p.51 ............... 36
Tableau 4: Compétences générales dans l'accompagnement, tiré de Pana-Martin, 2015, p.102
........................................................................................................................................ 39
Tableau 5: Dimensions du leadership, des gestes professionnels et de l'accompagnement,
récapitulatif ...................................................................................................................... 41
Tableau 6: Echantillon des enseignants du terrain de recherche ..................................... 45
10.2 Annexes
Annexe I : Tableau des observations……………………………………………………………91
Annexe II : Tableau des entretiens……………………………………………………………….92
Annexe III : Grilles de planification Hazu…………………………………………………….......97
90
Annexe I : tableau des observations
Postures Gestes professionnels Eléments observés (avec Réactions des enseignants, Réactions du directeur,
du leader temps d’observation) effets intentions
Posture de Geste de désignation
traducteur
Geste explicatif
Geste d’institutionnalisation
Geste de conseil
Geste d’écoute
Geste de contrôle
Geste d’ajustement
91
Annexe II : tableau des entretiens
00 :15 -> 01 :00 Mise en place du programme de la Quelle importance à l’organisation du travail pour toi ?
matinée Pour quelle raison as-tu organisé le planning avec
➔ Place de Dominique Nadia ?
Organisation Que peux-tu dire sur ta manière d’agir, d’être ?
Lien Nadia – Dominique Comment veux-tu que les enseignants se sentent
lorsqu’ils travaillent avec toi ? Que fais-tu ?
Comment vous sentez-vous en présence de
Dominique ? Que pouvez-vous dire sur sa manière Wie fühlt ihr euch in Dominique's Gegenwart?
d’agir, d’être ? Was könnt ihr über seine Art zu handeln, zu sein
Que pensez-vous de la présentation d’un programme sagen?
détaillé chaque jour ? Comment cela influence-t-il votre Was haltet ihr davon, jeden Tag ein detailliertes
travail ? Programm zu haben? Wie beeinflusst das eure
Arbeit?
92
Que pensez-vous de l’utilisation d’un projet-modèle
comme exemple ? Was haltet ihr von einem Modellprojekt als
01 :00 -> 03 :30 Place d’un projet déjà commencé Beispiel?
comme modèle
Place de Dominique dans l’échange
(mène)
Implication de Dominique dans les
projets Que penses-tu de ton attitude durant ce moment ?
Que pensez-vous de l’attitude de Dominique durant ce Was haltet ihr von Dominique’s Attitüde in
17 :55 -> 19 :00 Place d’un projet déjà commencé moment ? diesem Moment?
comme modèle
Dominique s’assure que tout le monde
ait compris.
Intervention de Nadia
Pourquoi utilises-tu des vidéos ?
Que vous apporte le visionnage de vidéos ? Que Was bringt euch das Ansehen von Videos? Was
20 :30 -> fin Organisation apprenante pensez-vous de cette manière de travailler ? haltet ihr von dieser Arbeitsweise?
Place des ressources extérieures
(vidéos)
Vidéo 3
04 :00 -> 06 :00 Prise de notes de Dominique (traces) Que penses-tu de ton attitude durant ce moment ? Was haltet ihr von der Dominique’s Attitüde in
Mise en parallèle du modèle et d’un Que pensez-vous de l’attitude de Dominique durant ce diesem Moment?
projet fait l’année précédente moment ?
Place de Dominique dans l’échange
(mène), place des autres enseignants
(écoutent)
93
Liens avec le modèle dessiné au Que penses-tu de cette manière d’organiser la matinée Was haltet ihr von dieser Art der Organisation
tableau (référence) (avec découpage du temps, deadlines) ? des Vormittags (mit Zeiteinteilung, Fristen)?
Que penses-tu de l’utilisation du temps ? Was haltet ihr von der Nutzung der Zeit?
Que pensez-vous de cette manière d’organiser la
matinée (avec découpage du temps, deadlines) ?
Que pensez-vous de l’utilisation du temps ?
Vidéo 6
00 :30 -> 04 : 00 Travail du groupe sans le directeur Comment agis-tu face à des conflits ?
05 :00 -> 07 :00 Place de Nadia parmi les autres, Quelle place occupe Nadia au sein du groupe, face à
(à parcourir) implication, accompagnement toi ?
08 :40 -> 10 :18 Est-ce un hasard si Nadia passe vers chaque groupe ou
est-ce qu’il s’agit de l’une de ses tâches (médiatrice) ?
Comment s’organise le travail en l’absence de Wie ist die Arbeit in Dominique’s Abwesenheit
Dominique ? organisiert?
Comment exploitez-vous les moments de concertation Wie nutzt ihr die Gruppenmomente während der
durant les phases de travail ? Arbeitsphasen?
De quoi avez-vous besoin pour bien travailler Was braucht ihm, um gut zusammenzuarbeiten?
ensemble ? Was tut ihr im Konfliktfall?
Que faites-vous en cas de conflits ? Was ist Nadias Platz in eurer Gruppe?
Quelle place occupe Nadia au sein de votre groupe ? Ist es ein Zufall, dass Nadia zu jeder Gruppe geht
Est-ce un hasard si Nadia passe vers chaque groupe ou oder ist es eine ihrer Aufgaben (Mediatorin)?
est-ce qu’il s’agit de l’une de ses tâches (médiatrice) ?
Vidéo 7
00 :25 -> 02 :00 Organisation des informations, Comment te positionnes-tu par rapport aux enseignants
structure (hiérarchie) ?
Place de Dominique (mène, organise Comment vous sentez-vous face à la présence de Was haltet ihr von Dominique's Gegenwart? Was
les infos) Dominique ? Comment ressentez-vous la hiérarchie ? haltet ihr von der Hierarchie?
Que pensez-vous de la place de Dominique (mène la Was haltet ihr von Dominique’s Platz (leitet die
discussion, la structure…) Diskussion, die Struktur....)
19 :45 -> 21 :00 Echanges Dominique – Nadia Que penses-tu de ta manière d’interagir avec Nadia ? Was haltet ihr von der Art und Weise, wie
Que pensez-vous de la manière d’interagir entre Dominique und Nadia interagieren?
Dominique et Nadia ?
94
Vidéo 8
06 :50 -> 08 :30 Organisation minutieuse des Penses-tu que tu laisses une certaine liberté d’action aux
premières journées d’école (heure par enseignants ?
heure) Avez-vous l’impression d’avoir une certaine liberté Habt ihr das Gefühl, dass ihr eine gewisse
d’action dans votre travail ? Handlungsfreiheit in Ihrer Arbeit haben?
11 :20 -> 12 :10 Planification du reste de la semaine
00 :00 -> 02 :00 Directeur = enseignant Comment passes-tu d’un rôle à l’autre ?
Noémie : sens-tu une différence entre le moment où Noémie : Fühlst du einen Unterschied zwischen
Dominique est « directeur » et celui où il est Dominique als "Schulleiter" und Dominique als
« enseignant » ? "Lehrer"?
Vidéo 22
95
16 :00 -> 18 :00 Accompagnement de Leila sur un
projet déjà commencé par Nadia
Vidéo 17
00 :00 -> 03 :00 Repas en commun Que penses-tu de ces moments de repas en commun ?
Atmosphère détendue Il arrive que tu questionnes les enseignants sur un sujet
Suite du travail, planification de l’après- personnel… Quelle est l’importance de ce genre
midi d’échanges pour toi ?
Place de Nadia Que pensez-vous de ces moments de repas en
commun ?
Comment vous sentez-vous lorsque Dominique prend Was haltet ihr von diesen gemeinsamen
de vos nouvelles ou vous questionne sur un sujet Mahlzeiten?
personnel ? Wie fühlt ihr euch, wenn Dominique Nachrichten
von euch entgegennimmt oder euch zu einem
persönlichen Thema befragt?
Vidéo 24
03 :00 -> 05 :00 Bilan de la journée Comment différencies-tu ton rôle de celui de Nadia ?
Place de Nadia en l’absence de Au final, que vous apportent tous ces moments de
Dominique (mène, questionne) concertation ?
Comment trouves-tu cette manière de travailler,
d’organiser les journées, cette rentrée ?
Quelles sont les forces de Nadia par rapport à toi et tes
forces par rapport à Nadia ?
Comment différenciez-vous le rôle de Nadia de celui de Wie unterscheidet ihr Nadias Rolle von der von
Dominique ? Dominique?
Quelles sont les forces de Nadia par rapport à Was sind Nadias Stärken im Vergleich zu
Dominique et les forces de Dominique par rapport à Dominique und Dominique's Stärken im
Nadia ? Vergleich zu Nadia?
Au final, que vous apportent tous ces moments de Was bringen euch schliesslich all diese
concertation ? Gruppenmomenten?
Comment trouvez-vous cette manière de travailler, Wie findet ihr diese Art zu arbeiten, eure Tage
d’organiser vos journée et cette rentrée ? und das neue Schuljahr zu organisieren?
96
Annexes III : grilles de planification Hazu
TeilnehmerInnen
• N.M., E.B., A.I. (bis 15:30), N.S., S.R., D.G. (es fehlen L.-O. B. und J.F.).
Treffpunkt
• Die Bildung von Fahrgemeinschaften ist erwünscht (zwei Autos sollten reichen)
Zeitrahmen
• 08:30 - 17:00 (wir brunchen dort - allenfalls könnt ihr etwas zum z'Vieri mitnehmen)
Zielsetzung
• Erste Planungsarbeiten
• 07.40 - 08.00 Uhr: update L (nm), to-do's aufschreiben / gd: Druck und Akustik
97
• 08.30-10.30 Uhr: Projektmanagement
• Nachmittag: Phasenspezifisch
98
10.3 Attestation d’authenticité
Je certifie que ce mémoire constitue un travail original et j’affirme en être l’auteur. Je certifie
avoir respecté le code d’éthique et la déontologie de la recherche en le réalisant.
Estelle Rogivue
99