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L'épée d'Onnen (Groningue, Pays-Bas), de la tourbière aux rayons X

2022, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

L’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas), de la tourbière aux rayons X Léonard Dumont, Ineke Joosten To cite this version: Léonard Dumont, Ineke Joosten. L’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas), de la tourbière aux rayons X. Jean-Marc Doyen. De l’Escaut au Nil. Bric-à-brac en hommage à Eugène Warmenbol, Éditions du CEDARC, pp.255-260, 2022, 2-87149-099-6. ฀hal-03912565฀ HAL Id: hal-03912565 https://u-bourgogne.hal.science/hal-03912565 Submitted on 24 Dec 2022 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas), de la tourbière aux rayons X Léonard Dumont1 & Ineke Joosten2 Introduction L’épée d’Onnen a été découverte en 1896 lors de l’extraction de tourbe, à environ 1,5 m de profondeur. Il s’agit vraisemblablement d’une découverte isolée en milieu humide. Il n’est en tout cas fait mention d’aucun objet associé (Sprockhoff 1934 : 113). Cette arme a déjà été mentionnée à plusieurs reprises plus rarement représentée dans la littérature archéologique (Boeles 1920 : 294 ; Sprockhoff 1934 : 113, pl. 12 n° 6 ; O’Connor 1980 : 542, fig. 70 n° 2 ; Roymans 1991 : 24-26 ; Essink & Hielkema 1997-1998 : 304). Elle n’a cependant jamais fait l’objet d’une étude approfondie, que ce soit sur les aspects typochronologiques ou techniques. Un examen détaillé de l’arme a été réalisé dans le cadre la thèse de doctorat de L. Dumont portant sur la production et la circulation des épées à poignée métallique de l’âge du Bronze en France (Ghent University & Université de Bourgogne-Franche-Comté, 2018-2022). C’est dans ce cadre que l’épée d’Onnen a pu être déplacée aux ateliers de restauration du Rijksmuseum d’Amsterdam, o elle a été radiographiée par I. Joosten dans l’objectif de comprendre la manière dont la lame et la poignée ont été fabriquées puis assemblées. Présentation de l’épée L’épée d’Onnen est une petite épée (fig. 1). Elle ne mesure que 52 cm, avec une poignée de 11,5 cm et une lame dont la longueur visible n’est que de 40,5 cm. Le manche débute par un pommeau formé de deux spirales enroulées de manière dense, entre lesquelles se situe une épine centrale qui dépasse du centre du pommeau par une ouverture prévue à cet effet. Cette épine est de section ovale et ornée de fines stries horizontales. Une autre tige métallique, de section plus ou moins quadrangulaire, est également fichée dans cette même ouverture (fig. 1-2). Le pommeau surplombe une fusée bombée, parcourue de trois bourrelets horizontaux. Le renflement central est encadré de deux sillons. La garde est campaniforme et présente une échancrure en U, autour de laquelle sont placés deux rivets à tête plate. À en juger par l’espace laissé dans l’interstice entre la poignée et ces rivets (fig. 2), ceux-ci ne doivent pas jouer un rôle fondamental dans l’emmanchement. La corrosion à l’interface entre la poignée et la lame nous indique que la première a d’ailleurs bougé, que ce soit lorsque l’épée était utilisée ou durant son histoire récente. Fig. 1. L’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas) (Clichés et DAO : L. Dumont). 255 Fig. 2. Détails de l’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas). En haut : détails du pommeau. En bas à gauche : détails des dommages des tranchants de la lame. En bas à droite : détail d’un des rivets de la poignée. (Clichés : L. Dumont). La lame débute par un ricasso, partie non aff tée juste sous la poignée. Elle est très légèrement pistilliforme, avec une largeur maximale de 3,6 cm et une épaisseur moyenne de 0,8 cm. Elle est simplement ornée de six fins sillons répartis en deux groupes de trois disposés symétriquement de part et d’autre du renflement central. Les tranchants sont intacts dans la moitié supérieure de la lame, mais présentent des dommages dans la moitié inférieure. Outre quelques petites encoches en V pouvant correspondre à des chocs contre des objets tranchants, un des côtés est totalement déformé et aplati sur une vingtaine de centimètre (fig. 2). Ces déformations importantes, qui ne s’accompagnent d’aucune perturbation de la couche de corrosion, datent vraisemblablement de l’âge du Bronze. Les zones aplaties témoignent de chocs répétés contre une surface plane ou d’un martelage répété dans cette région de la lame afin d’en supprimer le tranchant. 256 Fig. 3. Radiographies de l’épée d’Onnen (Groningue, Pays-Bas) (Clichés : I. Joosten, RCE). Une poignée et une lame inadaptées Les radiographies ont été réalisées par I. Joosten aux ateliers de restauration du Rijksmuseum d’Amsterdam. Un filtre en cuivre de 2 mm d’épaisseur a été placé à la sortie du tube. Des clichés de plusieurs tronçons de l’épée ont été réalisés avec différents réglages (150-225 kV, 2.87 mA) de manière à obtenir une lisibilité optimale de chaque partie. Les différents clichés numériques ont ensuite été assemblés de manière à pouvoir obtenir la radiographie de l’arme sur toute sa longueur (fig. 3). 257 La lame présente plusieurs défauts internes. Ceux-ci prennent la forme de taches sombres de forme circulaire ou ovale. Il s’agit de sou ures, c’est-à-dire de vides à l’intérieur de la masse métallique formés par les gaz dégagés lors de la fonte et piégés au moment de la solidification du bronze. La distribution de ces sou ures dans la lame peut livrer des informations sur la structure du moule utilisé, particulièrement sur la localisation du cône de coulée. Les sou ures se concentrent en effet généralement à proximité du point d’introduction du métal dans le moule. Les gaz produits lors de la coulée étant plus légers que le métal en fusion, ceux-ci vont chercher à s’échapper en remontant à la verticale avant d’être piégés lors du refroidissement du bronze (Mödlinger & Trnka 2009 : 351-352 ; Mödlinger 2011 : 32-33). Dans ce cas précis, la présence de sou ures de la pointe à la languette ne permet pas d’interprétation claire. Néanmoins, la très forte porosité de la partie inférieure de la lame pourrait suggérer une fonte de celle-ci par la pointe. Il est délicat de déterminer de quelle nature était le moule employé ici. D’après le décor de sillons sur la lame, deux principales hypothèses peuvent être formulées : l’utilisation de la cire perdue ou l’emploi d’un moule bivalve en argile avec prise d’empreinte d’un modèle, en bronze ou en bois par exemple. Dans le premier cas, les sillons auraient été creusés à même la cire. Dans le second, ceux-ci auraient d être réalisés sur un modèle dont l’empreinte aurait été prise dans deux valves en argile avant de les cuire. Ce type de fonte est notamment bien documenté au Bronze final II-III dans les régions atlantiques, particulièrement dans le Nord de la France et dans les les Britanniques (Dumont 2021). La radiographie montre par ailleurs que la poignée est creuse. La cavité interne du manche suit les contours externes de la poignée : elle est plus large au centre de la fusée qu’à la base de celle-ci ou sous le pommeau. Cette cavité correspond au négatif laissé par le noyau sur lequel la poignée a été coulée. Cela signifie que ce noyau était nécessairement à usage unique. Cette forme avec des parties larges suivies de parties plus étroites crée en effet une cavité en contre-dépouille qui ne permet pas de démouler sans passer par une destruction du noyau. Celui-ci était probablement réalisé en terre. Il apparaît en outre clairement que les rivets sont inadaptés à la poignée et à la languette : ceux-ci sont légèrement plus petits que les trous de rivet aménagés au niveau de la garde. Les radiographies de la poignée montrent finalement que les spirales sont moulées telles quelles et non repliées par martelage à froid après la coulée. Il est très probable que cette poignée ait été réalisée à la cire perdue : le modèle en cire de la poignée a été modelé sur un noyau en argile et les spirales ont simplement été formées en gravant des disques de cire fixés sur le pommeau. Les porosités visibles en surface du pommeau et à la radiographie (fig. 2-3) indiquent que la coulée a pu être réalisées par cette partie, même si la localisation exacte du cône de coulée ne peut être déterminée. Le manche est en effet fait d’un métal très homogène en comparaison de la lame. Finalement les clichés radiographiques indiquent que la tige cylindrique qui dépasse de l’ouverture au centre du pommeau est l’extrémité de la soie de la lame, partie fine qui traverse l’ensemble de la poignée. Ce type de dispositif comprend généralement une ouverture parfaitement ajustée à la soie de manière à bloquer la lame dans la poignée et à assurer une meilleure fixation en évitant la formation de jeu entre les deux parties. Ici, l’ouverture était visiblement trop importante et a nécessité l’ajout d’un clou en bronze intercalé entre l’ouverture et la soie de manière à assurer le blocage. Le clou employé pour cela est bien visible sur les radiographies (fig. 3). Il est légèrement courbe et descend presque jusqu’au centre de la fusée. La présence de ce clou ainsi que les rivets légèrement trop petits indiquent que la poignée et lame n’ont probablement pas, à l’origine, été conçues pour fonctionner ensemble. À propos de l’origine de l’épée d’Onnen Par ses caractéristiques morphologiques, l’épée d’Onnen peut être classée au sein du type iegelroda, nommé d’après l’épée découverte dans la commune éponyme de Saxe-Anhalt (Allemagne ; Wüstemann 2004 : 154). Ce type, isolé par H. Wüstemann (2004 : 153-159), est caractérisé par un pommeau à antennes densément enroulées de part et d’autre de l’épine sommitale, et par une garde campaniforme échancrée en U. L’auteur subdivise ce type en deux variantes. La première est caractérisée par une fusée à trois bourrelets lisses et une cavité interne conique ; la seconde par un bourrelet central profilé et une cavité interne suivant les contours de la fusée. L’épée d’Onnen correspond ainsi parfaitement à la définition de la seconde variante. Elle est d’ailleurs très proche de l’épée d’Alt Kentzlin (Allemagne, MecklembourgPoméranie-Occidentale), tant par ses dimensions que par sa morphologie (Wüstemann 2004 : pl. 68, 457). Il nous semble intéressant de légèrement élargir la définition de ce type pour y inclure également certaines épées à garde à ailerons qui partagent, outre ce caractère, une fusée et un pommeau tout à fait cohérents avec le type iegelroda (Bugaj 2005 : 95-96). Il pourrait aussi être possible d’y intégrer certaines épées scandinaves dépourvues d’échancrure, à l’image de l’épée d’Ostrowiec Slawienski (Pologne ; Bugaj 2005 : 106), dont, là encore, la fusée et le pommeau correspondent tout à fait à la définition du type iegelroda. Concernant la chronologie, le type iegelroda est un fossile directeur de la période V de Montelius (Wüstemann 2004 : 158). Cette datation repose sur différentes associations au sein de dépôts dans le Nord-Est européen, par exemple avec des épées du type Mörigen dans le dépôt de Bothenheilingen (Wüstemann 2004 : 171-173), fossile directeur du Ha B2/3 (Müller-Karpe 1961 : 73-78). 258 Sur le plan technique, l’élément qui distingue l’épée d’Onnen du reste des épées de ce type est la méthode de production des spirales qui constituent le pommeau à antennes. Celles-ci sont normalement coulées sous la forme d’une barre droite qui est ensuite mise en forme par martelage à froid (Wüstemann 2004 : 155). Celle d’Onnen possède des spirales qui sont en fait de simples disques sur lesquels sont gravés un sillon. Cette différence technique, associée à l’inadéquation de l’ouverture du pommeau à la soie de la lame, aux rivets plus petits que les trous aménagés sur la garde et au déplacement du manche visible dans la corrosion, constituent autant d’indices qui suggèrent que la poignée de l’épée d’Onnen n’est pas la poignée d’origine. Cette arme a en effet été trouvée relativement loin de la principale zone de distribution des épées du type iegelroda (fig. 4). Bien qu’il ne s’agisse pas de l’exemplaire le plus occidental, sa situation reste isolée par rapport à la majorité des autres épées du même type, principalement découvertes entre la vallée de l’Elbe et le pourtour occidental de la mer Baltique. Il est très probable que la poignée est une copie inspirée des épées du type iegelroda « originales », peut-être réalisée à la suite d’une usure trop importante de la poignée originale. Ce manche a été réalisé par un artisan maîtrisant la coulée sur noyau, mais ignorant vraisemblablement la manière dont les spirales du pommeau étaient réalisées. D’après la très bonne adéquation entre la morphologie de l’épée d’Onnen et celle des épées du type iegelroda classiques, il est possible que l’artisan qui a fabriqué cette poignée ait pu prendre modèle sur une véritable poignée du type iegelroda, peut-être même la poignée originale de cette épée qui devait être remplacée. En l’absence de moules connus, la localisation géographique des artisans à l’origine des épées de ce type demeure indéterminée. Néanmoins, par ses différences techniques, la poignée de l’épée d’Onnen peut être considérée comme une copie. Cela signifie que la personne à laquelle cette épée était destinée n’avait pas accès aux artisans produisant les pièces « originales ». En conséquence, il n’est pas impossible que cette arme soit une production locale. Il est intéressant de relever que l’épée d’Onnen provient d’un milieu humide. Son contexte de découverte est typique des épées à poignée métallique de la fin de l’âge du Bronze dans le Nord-Ouest européen. Une autre épée du type iegelroda provenant de la même région, celle de Heilly (Somme), a été elle aussi tirée d’une tourbière (Mongez 1804). Les autres épées à poignée métallique découvertes aux Pays-Bas onnées Monge 1804 Fig. 4. Répartition des épées du type Ziegelroda en Europe. proc ho 1934 hrane 1968 W stemann 004 uga 005 (Réalisation L. umont). 259 proviennent quant à elles majoritairement de cours d’eau (Dumont & De Mulder 2021 : 17). Ces tendances contrastent avec les pratiques d’abandon constatées dans la zone de concentration des épées du type iegelroda, o celles-ci sont majoritairement issues de dépôts terrestres (fig. 4). L’épée d’Onnen apparaît ainsi parfaitement intégrée aux pratiques régionales et ne semble pas avoir reçu de traitement spécifique malgré sa localisation excentrée par rapport aux autres épées du même type, ce qui aurait pu en faire un objet « exotique » dans cette région. Conclusion L’épée d’Onnen, découverte dans une tourbière, présente toutes les caractéristiques morphologiques du type iegelroda. Sur le plan technique, la réalisation de la poignée sur un noyau suivant les contours de la fusée est également caractéristique de ce type. Elle s’en distingue en revanche par le mode de production des spirales qui forment le pommeau à antennes. Plutôt que de couler la poignée avec des tiges droites repliées par martelage, les spirales sont ici créées sur le modèle en cire en gravant un motif de spirale sur des disques placés sur le pommeau. Par ailleurs, l’inadéquation des rivets et de l’ouverture au centre du pommeau par rapport à la lame indiquent que cette poignée n’est probablement pas celle d’origine, conçue pour fonctionner avec cette lame. Dans la mesure o l’épée d’Onnen a été découverte à bonne distance de la région o se concentrent les épées du type iegelroda, il est probable que le manche ait d être changé par un autre artisan que celui ou ceux à l’origine de l’arme. Celui-ci maîtrisait la technique de la fonte à la cire perdue sur noyau et s’est probablement inspiré de la poignée originale pour réaliser le manche actuel. Il n’a cependant vraisemblablement pas été capable de réaliser les antennes à l’identique, employant son savoir-faire pour contourner le problème et réaliser une imitation de ces spirales. L’épée d’Onnen est ainsi un exemple concret montrant que les formes et les styles pouvaient circuler et se diffuser par copie et imitation à travers l’Europe du Nord. La question de la manière dont cette épée s’est retrouvée aussi loin de ses congénères reste cependant en suspens. Celle-ci a pu se déplacer avec son propriétaire, sans que les données à notre disposition permettent de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Notes Docteur en Archéologie, Ghent University, Department of Archaeology, Sint-Pietersnieuwstraat 35 9000 Gand (Belgique) & Université de Bourgogne-FrancheComté, UMR 628 ARTEHIS, 6 Boulevard Gabriel 21000 Dijon (France) – leonard.dumont@ugent.be 1 Senior Onderzoeker, Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed, Rijkserfgoedlaboratorium, P.O. Box 1600, 3800 BP, Amersfoort (Pays-Bas) – i.joosten@ cultureelerfgoed.nl 2 Bibliographie B B D D E M M M M O’C R S T W P. C. J. A. 1920. Het bronzen tijdperk in Gelderland en Friesland. De Gids 84 : 282-306. M. 2005. O rodki produkcji mieczy antenowych w Polsce. Pr egl d Archeologic ny 53 : 87-142. L. 2021. À la recherche des aires de production des épées de l’âge du Bronze : o sont les moules ? 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