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Rencontres Annuelles d’Ethnographie de l’EHESS 6 -7 novembre 2014 Appel à communications Comment l’avez-vous (d)écrit ? Marine Jeanne Boisson, Valentina Grossi, Marie Le Clainche-Piel Sur le terrain d’enquête, l’une des premières tâches de l’ethnographe consiste à décrire ce qu’il s’y passe. La fonction méthodologique des prises de note est plurielle : ce sont elles qui, par la suite, permettront à l’ethnographe de décrire les situations observées, de les analyser et de rendre compte de son objet d’étude dans un texte à caractère scientifique. Dans la lecture finale d’un ouvrage ou d’un article, on peut alors les retrouver sous différentes formes : descriptions brutes en amorce d’un texte, mises en récit, intégrées à des commentaires interprétatifs au cœur de l’analyse ou encore insérées sous la forme de séquences descriptives. La description ethnographique est donc tout à la fois une méthode de recueil de données, une technique d’écriture, un outil d’analyse et un moyen de rendre compte du sens de l’action des acteurs, à différents moments du travail d’enquête. Au regard de ces quatre enjeux, est-il possible de réfléchir à ce qu’est une bonne description ? Comment les descriptions se stabilisent au travers de « chaînes d’écriture » et finissent par s’ordonner dans un texte scientifique ? Les débats qui se sont engagés sur cette question en sciences sociales ont montré les liens qui s’établissent entre description et compréhension du terrain1. Certain.e.s auteur.e.s2 ont insisté sur la nécessité d’intégrer dans cette description un narrateur, situé dans le temps et dans l’espace, dont la reconnaissance a valeur heuristique. En sociologie, la question de la description ethnographique a émergé à partir d’une réflexion plus générale sur l’action et d’une critique de la démarche hypothéticodéductive en sciences sociales3. Si ces débats ont renouvelé l’intérêt de la discipline pour des méthodes d’enquêtes qualitatives, ils ont aussi porté avec eux de nouvelles réflexions sur les bonnes façons de décrire un terrain. Ces dernières années, sont ainsi apparues, dans cette discipline, de nouvelles terminologies pour spécifier et défendre des manières de rendre compte de ce qui se passe et par quoi cela passe, au travers de descriptions "denses"4 ; "minces"5, "symétriques"6. Un continuum se dégage dans la façon de lier Bazin Jean, « Questions de sens », Enquête. Archives de la revue Enquête, no 6, 1998, p. 13‑34. Descombes Vincent, « La confusion des langues », Enquête, n°6, 1998, pp. 35-56. 2 Clifford James, « De l’autorité en ethnographie », L’Ethnographie, 2, 1983, p. 87-118. FavretSaada Jeanne, Les mots, la mort, les sorts. La Sorcellerie dans le Bocage, Gallimard., Paris, 1977. Ricoeur Paul, Temps et récit 1. 1., Paris, Éd. du Seuil, 1991. Sperber Dan, Le savoir des anthropologues: trois essais, Paris, Hermann (coll. « Collection Savoir »), 1982, 141 p. 3 Quéré Louis, "Le tournant descriptif en sociologie", Current Sociology, Vol. 40, n°1, p.139-165, 1992. 4 Geertz Clifford, The Interpretation of Cultures. Selected Essays, New York, Basic Books, 1973. 5 Rémy Catherine, La fin des bêtes une ethnographie de la mise à mort des animaux, Paris, Economica, 2009. Lemieux Cyril, Le devoir et la grâce, Paris, Economica, 2009. 6 Latour Bruno, Woolgar Steeve, La vie de laboratoire: la production des faits scientifiques, Paris, Ed. La Découverte, 1988. 1 entre elles description et interprétation : on considère à une extrémité que le niveau de la description n’est pas séparable de celui des commentaires interprétatifs ; à l’autre, que le niveau de l’interprétation doit être distingué de celui de la présentation des matériaux d’enquête. À cette polarisation s’ajoutent des différences d’intégration d’entités variées au sein des descriptions : êtres humains, non humains, objets7, émotions, sens de la perception8, niveau infra de l’action9. L’enjeu de cet atelier sera d’expliciter les choix théoriques et méthodologiques qui sous-tendent ces différentes exigences dans la description. De quelles façons restituent-elles la compréhension du terrain, de l’objet ? Comment lient-elles description, compréhension et interprétation ? Une telle réflexion sera menée sur des exemples concrets d’écriture ethnographique. Elle explicitera la façon dont les descriptions ont été composées et intégrées au travail d’analyse - à partir de cas d’enquête et sans restriction d’objet. En se référant ou non à l’un des modèles évoqués, elle devra revenir sur les différentes opérations qui participent de l’écriture d’un texte scientifique à partir d’une ethnographie, en axant plus particulièrement la discussion sur l’une de ces opérations : - La sélection du niveau de détails des descriptions dans le texte, ainsi que la clôture de celles-ci. Jusqu’où avez-vous voulu décrire et pourquoi ? Quel type d’attention au moment des observations cela sous-tend-il ? Le choix de s’arrêter à un niveau de détail, de définir un temps de l’action, d'intégrer une variété d’entités peut être mis en relation avec des présupposés théoriques et avoir des conséquences sur la compréhension des situations. - La réécriture des matériaux « bruts » issus de votre carnet d’enquête et leur mise en récit. De quelle façon et jusqu’à quel point avez-vous retravaillé vos notes ? La reformulation des séquences d’interaction, l’enrichissement des notes par le travail de la mémoire autant qu’en fonction des normes de mise en récit répondent à des exigences que nous invitons à expliciter. - La détermination de la place attribuée aux matériaux dans la construction d’ensemble du texte. Comment avez-vous intégré les descriptions de votre terrain dans un texte scientifique ? Comment avez-vous lié les observations à l’argumentation ? Les observations peuvent être retranscrites en longueur ou séquencées, servir d’illustration, d'attestation ou d’argumentation, prendre la forme de mots comme d’images, et selon des procédés graphiques particuliers. - Transversalement à ces trois opérations, l’accès accordé au lecteur aux différentes 7 CONEIN Bernard, DODIER Nicolas, THÉVENOT Laurent (eds.), Les Objets dans l’action: de la maison au laboratoire, Paris, Editions de l’École des hautes études de sciences sociales (coll. « Raisons pratiques »), 1993, 290 p. 8 CEFAÏ Daniel et GARDELLA Édouard, L’urgence sociale en action: ethnographie du Samusocial de Paris, Paris, La Découverte, 2011. 9 PIETTE Albert, Ethnographie de l’action: l’observation des détails, Paris, Editions Métailié (coll. « Collection Leçons de choses »), 1996, 202 p. couches d’interprétation et à la critique. De quelles façons avez-vous voulu donner accès au lecteur aux scènes observées ? Pourquoi ? L’accès à un certain de degré de détails, la symétrie de la description, les choix de formulation et l’articulation à l’explication interfèreront sur la compréhension du lecteur et lui permettront plus ou moins de critiquer l’interprétation proposée. Il s’agira alors de dégager différents « styles ethnographiques », selon la façon qu’a chacun.e des intervenant.e.s de lier description et compréhension au travers de l’écriture. Nous serons ouverts à des propositions qui mettent en avant des procédés permettant de lier d’une manière innovante ces différentes opérations (moyens graphiques, audio ou visuels).