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Cahiers de civilisation médiévale Xe-XIIe siècle 238 | 2017 Varia François BOUGARD, Liudprand de Crémone. Œuvres Jean-Pierre Poly Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ccm/5987 DOI : 10.4000/ccm.5987 ISSN : 2119-1026 Éditeur Centre d'études supérieures de civilisation médiévale/Université de Poitiers Édition imprimée Date de publication : 1 avril 2017 Pagination : 159-164 ISSN : 0007-9731 Référence électronique Jean-Pierre Poly, « François BOUGARD, Liudprand de Crémone. Œuvres », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 238 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 13 janvier 2022. URL : http:// journals.openedition.org/ccm/5987 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccm.5987 La revue Cahiers de civilisation médiévale est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 47 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA FRANÇOIS BOUGARD 159 François bouGARd. – Liudprand de Crémone. Œuvres. Paris, CNRS éditions, 2015, 645 p., (Sources d’histoire médiévale, 41) François Bougard, l’un des meilleurs connaisseurs de l’Italie du premier Moyen Âge, nous donne une traduction, avec le texte annoté, des œuvres d’un auteur remarquable, le Lombard Liutprand, un lettré éduqué à Pavie et clerc de la cour d’Otton Ier, qui devint par la faveur impériale évêque de Crémone entre 962 et 972. Prélat largement absentéiste puisqu’il était conseiller du prince et son ambassadeur depuis Francfort jusqu’à Constantinople en passant par les îles ioniennes. F. Bougard le définit d’une phrase : « Plus que sa charge d’évêque comptent ses états de service comme intellectuel, homme de cour, diplomate, aux horizons tôt confondus avec ceux de la politique ottonienne ». La collection où paraît cette édition, les Sources d’Histoire Médiévale publiées par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, est, depuis ses premières parutions dans les années soixante, un modèle sur la qualité duquel il est inutile d’insister. L’œuvre de Liutprand, notamment son Antapodosis, le texte le plus long, avait fasciné l’historiographie allemande qui en fournit plusieurs éditions dans les Monumenta : celle de Georg Pertz en 1839 (MGH SS III, 36-37) fut reprise par Ernst Dümmler en 1877 dans l’édition in-8° (non vidi), puis remplacée par celle de Joseph Becker en 1915 (MGH, SS rer. Germ. 41) (p. 553). Les savants allemands du xixe s., volontiers nationalistes appréciaient sans doute une œuvre qui montrait l’empereur germanique chez lui en Italie, et les diatribes contre les Grecs et les « Romains ». Nationalisme qui avait, cela va sans dire, son symétrique inverse de ce côté-ci du Rhin. F. Bougard s’est fondé sur l’édition la plus récente, 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 48 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA 160 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 60, 2017 celle de Paolo Chiesa (CCCM 156, Turnhout, 1998). Outre les éditions, l’oeuvre de Liutprand a eu une bonne vingtaine de traductions pas toujours complètes, en français, allemand, anglais, magyar – puisqu’il parle des Hongrois – italien et espagnol. La traduction de F. Bougard est étayée par des notes nombreuses qui relèvent les innombrables emprunts fait par le lettré à ses prédécesseurs antiques et les parallèles éventuels avec les auteurs de son temps. C’est dans l’introduction que se manifeste le souci de F. Bougard de rattacher les textes à la situation sociale où ils sont produits, ce qu’il avait fait dès son premier ouvrage où il analysait les tribulations du notariat et des notaires (La justice dans le royaume d’Italie, de la fin du viiie s. au début du xie s., Paris 1995). Ici, outre les développements nécessaires concernant les influences littéraires sur Liutprand, sur sa méthode et sur l’intérêt des gloses du grec (p. 45 et suiv. ; p. 31-34), il commente œuvre par œuvre, observant le milieu où l’auteur se meut, et la politique dont il est l’instrument. Reprenons, hors du plan par œuvre inutile pour une recension, quelques points dans ces deux domaines qui relèvent du politique et de l’institutionnel. Nous proposerons in fine quelques suggestions. On sait très peu de chose sur la parenté de Liutprand (p. 9). Mais F. Bougard montre, en reprenant avec prudence la littérature sur le sujet, qu’il avait été l’un des secrétaires du marquis Bérenger d’Ivrée, responsable du scellement, et que, passé dans l’entourage d’Otton Ier et devenu, comme le dit F. Bougard « ottonien bon teint », il put y reprendre ce travail, dans la fréquentation de cette élite qu’étaient les clercs de la chapelle royale étudiée par Josef Fleckenstein (p. 13). F. Bougard rapproche aussi Liutprand d’autres lettrés de l’époque (p. 8, p. 29 et p. 33) : Rathier de Lobbes devenu évêque de Liège ou de Vérone ou bien, une génération plus tard, Gerbert d’Aurillac dont la destinée, elle aussi aléatoire, fut plus brillante encore, ou Gunzo dit de Novare (p. 28). Un milieu savant, d’origine sinon roturière, au moins plus modeste que celui des grandes parentèles nobles, et qui cherche auprès de l’empereur à la fois une réussite individuelle et une force politique collective. Dans le même temps, les descendants de la Reichsaristokratie croient encore pouvoir rêver d’un empire qui est à leurs yeux un vaste terrain de jeu plus qu’un projet politique. Leurs cadets qui tentent de monopoliser les évêchés dans ce qui devenait un Reichskirchesystem ont d’autres goûts que l’étude des lettres antiques. Tel l’archevêque Manassès, parent d’Hugues d’Arles, qui cumulait trois évêchés et la marche de Trentin (Ant. 4.7). Manassès « avec l’arc COMPTES RENDUS et le carquois » comme disait un de ses critiques italiens. Le pape Jean, grand noble romain, avait les mêmes goûts et qui le cherchait le jour ne le trouvait pas à d’improbables dévotions, pas même dans le lit de ses maîtresses : « carquois au dos, il s’en était allé chevaucher dans les champs » (pharetratus in campestria iam abierat, Hist.Ott. 15). C’est du moins ainsi que Liutprand le présente, justifiant de la sorte sa déposition. à l’archerie cavalière des grands, Liutprand et ses pareils opposent les flèches de la satire qu’ils empruntent sans vergogne mais non sans à-propos (p. 31) aux auteurs antiques. Liuprand avait en plus un don des langues qui lui permit d’apprendre le grec « sur le tas », lors d’un premier voyage à Constantinople dans la suite de son beau-père (p. 10). Il ne se fait pas faute de le montrer, écrasant d’éventuels critiques sous son érudition hellénique. L’histoire de son temps était ainsi pour lui l’occasion d’une Antapodosis, « Rétribution » – en grec cela passait mieux – où il démasque l’avidité et la fourberie des puissants, du moins de ceux qui s’opposaient au pouvoir unique, garant demi-sincère d’une utopique res publica (p. 25). Liutprand, fort de la protection impériale, n’hésite donc pas à placer les grands dans des situations embarrassantes et grotesques ; il fait rire la cour à leurs dépens (p. 24). D’où son style, « un maniérisme satirique » (p. 29), amateur de jeux de mots que relève F. Bougard : ainsi sur servi et sclavi, lorsqu’il déclare à Nicéphore que son maître, comme le Basileus, a aussi « des Sclaves » – ceux de Carinthie et de Pannonie – (Amb 15, 16 ; p. 537 n. 72) ; ou à propos des Bourguignons, pour lesquels il donne d’abord une étymologie, évidemment défavorable, – ce sont des gens des bourgs, hors des cités, et même de là ils ont été « chassés du bourg » (*beorg-huntadh) – ; mais cela ne faisait rire personne et il joue aussitôt sur les assonnances – laids comme des gargouilles, forts en gueule, tout juste bons à s’en mettre plein la gueule (Ant. 3.45 ; p. 483, n. 171), on dirait aujourd’hui des Bouregueulegnon. « Jarnidieu », comme traduit ailleurs F. Bougard (Deum negavi !, Amb. 17). Il y a chez Liutprand, conteur de scandales qu’il détaille sans pitié pour les intéressés, mais qu’il s’empresse de réprouver (p. 30), comme en prémonition, mutatis mutandis, des tabloïds d’Outre Manche, avec évidemment un style et une culture bien supérieurs. Les scandales généralement sexuels de ces quotidiens à sensation sont le véhicule des défoulements, sans risque sinon sans dégradation, du prolétariat anglais face à la gentry et à la city ; les Rétributions de Liutprand sont peut-être aussi une façon de « régler des 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 49 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA FRANÇOIS BOUGARD comptes » avec l’aristocratie de l’Empire. Mais le courage rhétorique qu’il affiche (Amb. 5, 7 et 12) fait un peu penser à celui de Cicéron, qui réécrivait ses Catilinaires en prenant la pose post eventu, le Quousque tandem Catilina, que reprend d’ailleurs Liutprand (Ant. 3.39). De cette hostilité de Liutprand et de ses pareils envers les nobles est sans doute révélatrice une critique relevée par F. Bougard, celle des évêques accapareurs de blé, faite dans l’homélie de Pâques qui polémique assez classiquement contre les Juifs. Les premiers se servaient peut-être des seconds, qu’ils protégeaient, pour faire leurs affaires, une situation difficile en temps de famine. F. Bougard se demande à ce propos si la critique ne renvoie pas aux débuts de la légende de la Maüseturm de Bingen attestée au xiiie s. : les rats dévorent un archevêque, Hatton de Mayence, qui avait non seulement refusé du blé aux pauvres, mais les avait fait brûler dans une grange en se moquant de leurs hurlements, « entendez-les couiner, les souris » (p. 20). Comme il le rappelle aussi, en 1012 la mort d’un noble qui avait usurpé les biens de Saint Clément de Cologne à Bobenfeld (Herne) était attribuée à des rats qui avaient rongé le méchant invisibiliter (Ann. Quedlingurg. 1012, MHG SS rer. Germ. 72, parallèle à Thietmar de Merseburg, Chron. 6.82, MGH SS rer. Germ. N.S. 9 ; le Bodenfelde saxon doit être une erreur de copiste) ; était-ce un précédent de la légende ou un décalque ? La localisation à Bingen s’expliquerait par l’opposition ultérieure de la ville à l’archevêque mayençais. Quelques remarques : si la tradition remonte véritablement à un Hatton, il nous semble que c’était sans doute Hatton Ier, le puissant et arrogant régent de l’empire (891-913) qui ne reculait pas devant un parjure déguisé (Ant. 2.6) et dont la mort suscita plusieurs traditions hostiles. L’homme était membre d’une grande parentèle souabe liée à l’abbaye de Reichenau, où les vieilles familles rendaient à César, pour elles primus inter pares, et en fait à elles-mêmes ce qu’elles considéraient être à lui et à elles. Si l’attribution de l’affaire des rats à Hatton Ier était déjà faite au temps de Liutprand, l’allusion aux mauvais évêques pouvait avoir l’intérêt d’embarrasser un homonyme de son temps, le noble Hatton II, sans doute déjà candidat au même siège qu’il occupera en 968-970 avant de se retirer à Ottobeuren où son abbé devait le rappeler à la discipline collective. Contre les mêmes moines de bonne famille à qui la grammaire tenait lieu de pensée, pestera un peu plus tard un autre Italien, Gunzo de Novare (Epistola ad Augienses, K. Manitius, MGH QQ zur Geistesgeschichte 2 ; un possible dualiste ? J.-P. Poly, « Le maître de Vertus. Sainteté, ensei- 161 gnement et hérésie autour de l’an mil », C. Bontems éd. Mélanges... Jacques Lelièvre, Paris 1999, p. 53). De même l’écolâtre Wason de Liège racontait à qui voulait l’entendre une anecdote à propos de l’évêque Héracle, un lettré fondateur de l’école cathédrale et correspondant de Rathier, qui avait participé à la campagne de Calabre en 968. Il y avait eu une éclipse de soleil, les grands et leurs gens, terrorisés, étaient allés se cacher où ils pouvaient, dans des tonneaux vides, dans des paniers, sous les charrettes (Anselme de Liège, Gesta ep. Leod. 24, MGH SS 7, p. 202). Comme le note Sylvain Gouguenheim, « le clerc liégeois n’a pas manqué l’occasion de montrer la supériorité intellectuelle du prélat sur la soldatesque » (Les fausses terreurs de l’an mil, Paris, 1999, p. 113). Revenons à la présentation des œuvres. Nous connaissons l’homélie pascale de Liutprand par un homme qui fut sans doute l’une de ses relations à la cour, Abraham, devenu évêque de Freising (974983). Le prélat la reprit dans son petit manuel de mission, célèbre parce qu’il reproduit trois textes en langue slave destinés aux Slovènes de Carinthie et de Pannonie, rattachés à l’évêché (p. 18). Là encore, risquons quelques remarques complémentaires. Abraham était, semble-t-il, d’une noble famille, un homonyme ayant été comte dans l’entourage impérial en 942. Mais les noms de ce cercle ne sont guère en accord avec l’onomastique habituelle de la Reichsaristokratie. Le port d’un nom judaïque isolé – comme Manassès – y est possible, mais pas une série telle celle-là : Jakob/Job, Joseph/Jusip, David, Salomon, Daniel, Aaron, Israel, Simon, Abraham (Andreas Weinberger, Abraham von Freising, Pilgrim von Passau, Wolfgang von Regensburg. Drei bayerische Bischöfe des 10 Jahrhundets im Vergleich, Univ. de Vienne, 2008, p. 8, online). On trouve une onomastique semblable un peu plus tard chez les Bulgares où les fils révoltés du komes Nicolas-Chichman se nomment David, Moïse, Aaron, Samuel. On sait qu’il y avait des Khazars dans les troupes de Jean Tzimiskès (J.-P. Poly, « Nikita ou les amis de Dieu. L’Utopie en Europe et les fantômes des Balkans », Ch. Lauranson et D. Deroussin, Mélanges… Nicole Dockès, Paris, 2014, p. 653). Peut-être faut-il songer à des traces d’un judaïsme karaïte chez les Bulgares séparés des Avars de Pannonie vers 631/632. Ils étaient passés en Bavière où la plupart furent massacrés, les survivants trouvant refuge quelques années au pays des Wendes, ici les Slovènes de Carinthie, avant qu’une fraction parte en Bénévent où elle conservait encore sa langue à la fin du viiie s. (Frédégaire, Chron. 4.72, MGH SS rer. Merov. 3 ; Paul diacre, Hist. Lang. 5.29, MGH SS rer. Lang. 1 ; traduit par F. Bougard en 1994). 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 50 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA 162 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 60, 2017 La condition d’Abraham, possible descendant d’immigrés bulgares et juifs hétérodoxes, explique peutêtre son intérêt pour la critique de Liutprand, outre les événements des années 932-937 que ne manque pas de rappeler F. Bougard (p. 19). Au-delà des intérêts de Liutprand, d’Abraham et de leurs pareils, il y avait un projet politique, dont témoignent les ambassades, si importantes dans la carrière de Liutprand (p. 11 et suiv.). En 949, l’empereur d’Orient, Constantin VII, avait reçu une ambassade italienne à laquelle avait participé Liutprand, et il en avait envoyé une ambassade au calife de Cordoue. L’Omayade gardait des liens avec le monde berbère et un autre calife, celui des banu Obayd, allait bientôt s’emparer de l’Egypte en 969, prenant à revers le califat de Bagdad. En 956, un envoyé de Cordoue, Recemund évêque d’Elvire, alias rabi ibn Zayd, menait une ambassade à Francfort. C’est à cette occasion que fut commandé à Liutprand, clerc de l’entourage ottonien, un livre sur l’histoire récente de l’Europe. Sans doute, comme le pense F. Bougard, Recemund n’était-il ici que le porte-parole du calife ou de son héritier, al Hakim, grand amateur de livres (p. 22). Dans ce cas, il est probable qu’Otton a donné son accord à l’entreprise et à l’ouvrage. À Francfort, on dut discuter de la piraterie en Méditerranée occidentale, mais probablement pas seulement de cela. Pour preuve, quelques mois après, l’ambassade ottonienne qui accompagne les gens de Cordoue qui rentraient chez eux, celle où se trouvait Jean de Gorze. Elle fut reçue par un conseiller juif d’Abd er Rahman, le riche et influent Hasdai ben Shaprut. Est-ce l’un des membres de cette ambassade, un marchand de Verdun spécialiste de la traite des Slaves qui lui parla du royaume juif des Khazars de la Volga ? Est-ce l’un d’eux qui se chargea de porter une lettre d’Hasdaï à leur roi Joseph, par la route du Danube depuis la Bavière jusqu’à la Crimée ? Dans sa réponse à Hasdaï, le roi rappela les noms des dix petits-fils qu’avait eus, selon lui, l’inévitable Japhet : le troisième se nommait Avar, le septième Khazar, le neuvième Bulgar et le dixième Savir. L’existence d’un judaïsme karaïte de langue turque, indéniable au Moyen Âge et jusqu’à nos jours chez des turcophones de Crimée et de Lithuanie, a été mêlée à la question de l’origine des juifs azkhenazim (orientaux), sans doute assez différente – vraisemblablement issus du prosélytisme des communautés rhénanes –, d’où d’âpres controverses et des accusations de faux. Il est probable que la conversion véritable des Khazars n’eut lieu qu’au viiie s. ou même seulement en 861, entraînant l’exode de certains clans chez les Magyars ; mais des judaïsations en Crimée COMPTES RENDUS ou sur le Danube pouvaient être bien antérieures (S. Szyszman, « Les Khazars. Problèmes et controverses », Rev. Hist. Relig. 152, 1957, p. 174, online ; C. Zuckerman, « On the Date of the Khazars’ Conversion to Judaims and the Chronology of the Kings of the Rus Oleg and Igor. A Study of the Anonymous Khazar Letter from the Genizah of Cairo », Rev. Et. Byz. 53, 1995, p. 237 ; « On the Origins of the Khazar Diarchy and the Circumstances of Khazaria’s Conversion to Judaïsm », H. C. Güzel, K. Ciçek et S. Koca éd. The Turks I, Ankara 2002, p. 56 ; « On the Kievan Letter from the Genizah of Cairo », Ruthenica 10, 2011, p. 7). Comme le suspecte F. Bougard, derrière le réseau des lettrés, Liutprand le Pavésan ou Abraham le Bavarois, il y a sans doute celui des marchands (p. 10). Dans l’Antapodosis, Liutprand ne consacre que quelques notations à la piraterie valencienne « moins pour la déplorer que pour relever le fait que ses succès dépendaient largement de la discorde au sein du camp chrétien » (p. 25). Et pour cause : l’évêque mozarabe n’avait guère besoin qu’on lui en parle. Son maître se borna à accorder un firman aux bateaux des Arlésiens, ceux de « la route des Grecs », vers Amalfi et les îles ioniennes (Ph. Sénac, cité p. 583). Autre chose de plus important était en jeu : l’alliance des Ottoniens avec Constantinople et d’autres contre « les Sarrazins », le grand califat de Bagdad. Au milieu du xe s., c’est donc une grande stratégie qui s’était esquissée, de Constantinople jusqu’à Francfort sur le Main, de Cordoue jusqu’à Sarkel sur la Volga. Les instruments indispensables en sont les lettrés. Ils le savent, témoin les insolences de Liutprand. Mais en 962, Otton Ier devient empereur d’Occident. L’Histoire d’Otton, de 964, et le récit de l’ambassade, de 968, sont comme les suites logiques de l’Antapodosis, or rien n’est fait pour y rattacher les deux textes. La Rétribution s’achève en 962 lorsque Otton devient empereur, note F. Bougard (p. 23). Otton se pose ainsi en rival de l’empire d’Orient où Nicéphore Phocas prend le pouvoir l’année suivante. Un homme fourbe et très laid, à en croire Liutprand, mais un bon général. Il attaque la Crète, purgeant de ses pirates la Méditerranée orientale, puis il reconquiert la Cilicie, réduit Alep à l’impuissance, reprend Antioche. Mais en 965, les Russes enlèvent Sarkel aux Khazars, alliés de Byzance et en 967, Otton Ier et les troupes byzantines s’affrontent en Italie du Sud, d’où l’ambassade de 968 et son échec. L’alliance des deux rois a vécu, le grand jeu va se réduire à la difficile reconstitution, au profit des dynasties germaniques, de la pars media carolingienne. Une ultime ambassade de Liutprand en 971 et le mariage avec Théophano ne modifient pas 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 51 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA FRANÇOIS BOUGARD la situation : Basile II le Bulgarochtone affronte un ennemi plus immédiat que le califat, et en Espagne al-Mansur mène la guerre sainte. Derrière la satire de Liutprand, il y a la renaissance intellectuelle et économique du xe s. italien, la montée des capitanei et des villes libres, la grandeur et les faiblesses du nouvel empire qui se dira romaingermanique. Tout cela, l’introduction de F. Bougard, en peu de pages, nous le dit ou nous le suggère, et sa traduction nous le rend manifeste. On nous permettra pour terminer quelques divergences, mineures face à un travail aussi considérable. La première porte sur la graphie du nom de Liutprand, la seconde sur trois points institutionnels. Jusqu’ici, l’usage a été de nommer l’évêque Liutprand, comme son royal homonyme. F. Bougard propose de rompre avec cette habitude : « l’orthographe adoptée, Liud- et non Liut-, comme on le lit souvent, est celle transmise par les oeuvres latines, et qui devrait s’imposer » (p. 9). Le premier radical est le v.angl. leod, le v.sax. liud ou le v.h.a. Liut. Le d>t est l’un des cas de la seconde mutation consonantique qui caractérise le vha et qui a donné l’actuel Leute (avec pour -prand le bavarois b>p en position intermédiaire). Le roi lombard est toujours écrit Liutprand dans la loi lombarde ou dans Paul diacre ou les autres chroniqueurs italiens (cf. l’index de Holder-Egger pour l’édition de la MGH, SS rer. Lang. 1, p. 620). L’hypocoristique Liuzo/Liutsios (z notant ts), en tête de l’Homélie pascale, relève de la prononciation italienne, celle de Liutprand lui-même, du Bavarois Abraham, des moines de Reichenau et des nobles souabes. La graphie Liud– dans les manuscrits de l’oeuvre est probablement due à l’usage onomastique des scriptoria lotharingiens. Car « sa place (de Liutprand) était surtout à la cour » (p. 14), comme le montre la tradition des manuscrits de l’Antapodosis très clairement résumée par F. Bougard à partir des travaux de Chiesa. Peut-être reste-t-il trop prudent à cet égard lorsqu’il dit : « rien qui puisse faire penser à une promotion... officielle depuis la cour elle-même » (p. 35). À le lire, on voit cependant que mis à part le manuscrit d’Abraham de Freising qui pourrait porter les corrections de Liutprand ou de son cercle (p. 32), les plus anciens manuscrits sont lotharingiens, à Metz, Lobbes, Stavelot, Brogne, Egmond (p. 35) ; presque rien en revanche en Italie (p. 36). La diffusion des travaux de Liutprand n’est pas officielle au sens que nous donnons à ce terme, mais c’est celle du réseau des lettrés impériaux. 163 Sur les trois points d’institution : dans l’Ambassade, Liutprand légitime les châtiments infligés par Otton aux Romains qui avaient soutenu le mauvais pape par les lois impériales. Il déclare que « c’est comme violateurs de serment, sacrilèges, tortionnaires et ravisseurs de leurs seigneurs apostoliques qu’il les a tués, décapités, pendus ou exilés selon les décrets des empereurs romains Justinien, Valentinien, Théodose et tous les autres » (Amb. 5). Liutprand avait fait ses études à Pavie, un milieu que connaît bien F. Bougard, où on avait sans doute une idée au moins sommaire des grands recueils de droit : pour Théodose, son code, puisque Gerbert le découvrit lorsqu’il devint abbé de Bobbio (J.-P. Poly, « Le sac de cuir. La crise de l’an mil et la première renaissance du droit romain », J. Krynen et A. Rigaudière éd. Droits savants et pratiques françaises du pouvoir, xie-xve s., Bordeaux, 1992) ; pour Justinien, les sommaires des novelles rassemblées dans l’Epitome Juliani, et ceux du code dans la Summa perusina (sur la complexité de la tradition juridique à Rome, cf. en dernier lieu : L. Loschiavo, « Insegnamento del diritto e cultura giuridica a Roma da Teodorico a Carlo Magno », G. Bassanelli Sommariva et S. Tarozzi éd. Permanenze del mondo giuridico romano in Occidente nei secoli v-viii, Ravenna, 2014, p. 9). Pourquoi citer Valentinien ? Peut-être pour sa piété (p. 532, n. 29), mais aussi pour ses Novelles, intégrées avec quelques autres dans le Bréviaire de 506/507, qu’on avait encore, sous forme d’abrégés dans le royaume de Bourgogne-Provence. À Byzance, naturellement il y avait les Basiliques, les soixante livres de la grande compilation en grec due à Basile Ier et à Léon VI. Un autre passage se rapporte, pensons-nous, à une institution fondamentale de l’empire oriental de ce temps, celle des thèmes, les « dépôts ». Liutprand évoque les origines de l’empereur Romain Lécapène, issu ex mediocribus ipsis qui navali pugna stipendia ab imperatore acceperant (Ant. 3.25). F. Bougard traduit, comme certes on le peut, « de ces gens modestes qui avaient reçu de l’empereur une paye à l’occasion d’une bataille navale » ; mieux vaudrait peut-être traduire « de ces gens de peu qui avaient reçu des soldes pour le combat naval », une périphrase pour désigner les stratiotes des thèmes. Il doit s’agir ici du thème des Cibyrrhéotes ou des Karabisianoi, les marins des barques de guerre (charaboi), créé vers 700 à Cibyra puis Antalyia pour la côte sud de l’Anatolie et les îles (G. Ostrogorsky, Histoire de l’Etat byzantin, Paris, 1969, p. 125 et 163 ; W. Treadgold, Byzantium and its Army, Stanford 1995, p. 98 et 208). D’où vient que Romain était devenu capitaine (protocharabos), puis commandant de la flotte (p. 475, n. 73). 741170200_INT_ Cah civilisation 238.pdf - Juin 29, 2017 - 08:30:58 - 52 sur 112 - 210 x 270 mm - BAT DILA 164 CAHIERS DE CIVILISATION MÉDIÉVALE, 60, 2017 Enfin F. Bougard a choisi de traduire le miles du latin de Liutprand par « de la milice », ce qui surprend chez quelqu’un qui sait parfaitement ce qu’est le lien vassalique : Arnulf de Bavière « entre dans la milice du roi Henri » (Heinrici regis miles efficitur, Ant. 2. 23), Raimon (de Rodez) « se donna à lui (Hugues d’Arles) dans sa milice » (se in militem dedit, Ant. 5. 31), les princes de Capoue et Bénévent « sont de la milice de mon maître » (domini mei sunt milites, Amb. 36). Sans doute F. Bougard a-t-il voulu rendre la préciosité du style de Liutprand. Mais dans le cas de miles, le mot est partout d’un emploi commun pour désigner celui que la langue vernaculaire nommait un vassal. Si on tient cependant à éviter le terme, mieux vaudrait peut-être traduire par « soldat ». Reste une affaire de style, ici sans mystère. F. Bougard a souhaité moderniser la traduction pour éviter l’académisme, à juste titre. Mais peut-être est-il un peu trop en avant de l’évolution de la langue. C’est ainsi que Hugues de Milan, « se met à gamberger » (animo coepit revolvere, Ant. 1.42), ou qu’Otton « voulut donner son argent pour ce gars-là » (propriam pro illo pecuniam voluit dare, Ant. 5.13), ou encore « pour aider ce type-là », (in huius auxilium, Ant. 5.21) ; parlant des ambassadeurs du Pape, il est vrai bien maladroits, « ce sont de pauvres types » (pauperes sunt, Amb. 47), avec la conclusion de la description de Nicéphore Phocas faite aux deux Ottons, « c’est le type qu’on ne voudrait pas croiser sur le coup de minuit » (cui per mediam nolis occurrere noctem, Amb. 3). À première lecture, les expressions sont entraînantes. Faut-il cependant rendre ainsi les tournures d’un évêque soucieux de beau langage, qui s’adressait aux empereurs, et par écrit ? Même aujourd’hui où les gouvernants affectent d’être plus familiers entre eux, David Cameron parlerait-il ainsi à la reine d’Angleterre, quoiqu’il puisse en dire dans une conversation privée ? N’importe, grâce à la traduction de F. Bougard, le lecteur d’aujourd’hui se sentira plus proche d’un auteur qui, avec ses habits de cour, son érudition et sa vanité manifeste, est par lui rendu bien vivant. Jean-Pierre Poly. COMPTES RENDUS