Lectures
Les comptes rendus
Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre
l’esclavage et le racisme
Samuel Lempereur
Éditeur
Centre Max Weber
Édition électronique
URL : http://lectures.revues.org/17542
ISSN : 2116-5289
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Samuel Lempereur, « Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme »,
Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 17 octobre
2017. URL : http://lectures.revues.org/17542
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Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme
Mohamed Yahya Ould Ciré, La
Mauritanie. Entre l’esclavage et le
racisme
Samuel Lempereur
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À la lecture du livre de Mohamed Yahya Ould Ciré, on reste partagé. D’un côté, on ne peut
être insensible au thème développé par l’auteur : les esclaves dans la Mauritanie
contemporaine. Car contrairement à ce que l’on peut entendre, l’esclavage en Afrique ne
s’est pas arrêté avec les abolitions des traites négrières du XIXe, pas plus qu’avec la
colonisation qui a suivi (la fin de l’esclavage étant pourtant l’un des moteurs idéologiques
des conquêtes européennes). Le livre est un recueil d’une quarantaine d’articles publiés
par Mohamed Yahya Ould Ciré dans divers organes de presse ou présentés lors de
communications orales. L’auteur, ancien diplomate et aujourd’hui militant antiesclavagiste1, éclaire la situation des Haratines (les « affranchis », au singulier Hartani),
appellation qui désigne tant les affranchis et descendants d’esclaves que les esclaves euxmêmes. Il donne des exemples et des cas précis, parfois mettant en scène sa propre
expérience, et dénonce les pratiques d’esclavages dans la Mauritanie contemporaine.
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Mais, de l’autre côté, on relève des errances d’écriture, des envolées lyriques et
généralisatrices pas toujours maîtrisées2, des termes pas ou peu définis, le manque cruel
de soubassement théorique qui aurait permis de donner une autre dimension à ce livre, à
mi-chemin entre le pamphlet de journaliste et le rapport militant. Il ne s’agit pas, bien
entendu, de souhaiter voir Yahya Ould Ciré se départir de son militantisme, ni de le lui
reprocher, mais l’ouvrage aurait très certainement gagné en qualité et en visibilité si
certains écueils avaient été évités.
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La thèse principale de l’auteur est que l’esclavage en Mauritanie serait le résultat du
racisme des Arabes et des Berbères envers les Noirs. Le problème, c’est que l’on peine à
comprendre en quoi l’esclavage d’une population noire par les Maures serait
principalement « raciste » et en quoi celle organisée par des communautés noires sur
d’autres Noirs ne le serait pas. Cette ambiguïté repose probablement sur le manque de
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Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme
définition de la condition de l’esclave. D’abord, il est défini sous forme sociale : « Il
convient de préciser que toute forme d’esclavage a un caractère social. En effet,
l’esclavage est le fait des hommes. […] Or, tout homme vit en société. Il est un être social
(Aristote) » (p. 69). Après ce syllogisme (Socrate est mortel…), le glissement vers le
supposé caractère racial de l’esclavage mauritanien s’opère, faute de s’appuyer sur une
bibliographie prenant en compte les travaux universitaires au sujet l’esclavage. Selon
l’auteur, l’esclavage historique aurait été pratiqué au sein d’un même groupe social avant
d’être étendu aux voisins. Quand les Maures, au travers de leurs Jihad, s’accaparent des
esclaves noirs, c’est bien un esclavage racial (et non plus social) « parce que les esclaves
maures sont tous noirs » (p. 70). Or, on sait depuis longtemps que, pour reprendre les
termes de Meillassoux3, l’esclave c’est « l’étranger absolu ». C’est toujours un autre.
L’esclavage est concomitant de l’idée de xénophobie (l’un alimentant l’autre, et viceversa), mais vouloir lui donner absolument un caractère racial sous prétexte que les
esclaves sont de phénotypes différents est aller trop vite en besogne, comme l’a montré
Inès Mrad Dali4 dans le cadre des rapports entre les maîtres Arabes et leurs esclaves
blancs et noirs au sein de la Tunisie du XIXe.
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Comment imaginer alors que l’esclavage serait raciste quand il est pratiqué par des
Maures et social (ou autre) lorsqu’il est pratiqué par des Noirs ? L’auteur écrit clairement
qu’au sein des sociétés noires mauritaniennes, le fait que « les esclaves comme les maîtres
soient noirs empêche de parler d’un esclavage racial » (p. 53). Mais comme il ne définit
jamais clairement les termes « esclave » ou « servitude », il peut écrire ceci : « les esclaves
dans ces sociétés sont dominés économiquement, politiquement et socialement » (p. 53).
Yahya Ould Ciré a parfaitement raison de souligner la domination très forte des maîtres
maures sur leurs esclaves noirs ; un auteur comme Roger Botte5 l’a également montré. Or,
ces rapports de domination sont au cœur de ce qu’est l’esclavage. Que cela soit chez les
Maures ou chez les « Négro-mauritaniens », l’esclave est sous la coupe économique,
sociale et/ou politique de son maître. La caractéristique raciale et raciste, qui peut entrer
en ligne de compte, n’est finalement qu’un trait supplémentaire, ni nécessaire ni suffisant
dans la compréhension de ce qu’est un esclave. Un ouvrage comme celui de Kadir
Abdelkader Gal sur le Niger6, pays voisin, montre à quel point ces pratiques s’inscrivent
surtout dans des logiques d’intérêt politiques et économiques, bien plus que raciales ou
religieuses.
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Un peu plus loin, l’auteur analyse la situation des esclaves noirs chez des maîtres noirs en
opérant un rapprochement avec la pratique d’esclavage « de case » (ou « domestique »),
longtemps considérée comme une forme d’esclavage plus douce. Cette idée est totalement
battue en brèche aujourd’hui par les chercheurs (Coquery-Vidrovitch, Mesnard7 ; PrétréGrenouilleau8) mais on la retrouve en filigrane de ce paragraphe : « Au sein de la société
négro-mauritanienne […] l’esclave travaille pour lui-même […] le maître ne fait appel à
ses services que de temps à autre » (p. 55-56).
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Ces assertions sont encore une fois généralisatrices et elles sous-entendent que,
finalement, les esclaves présents au sein des groupes noirs mauritaniens seraient mieux
traités que les autres. Comme le souligne Olivier Grenouilleau dans son dernier ouvrage,
considérer ces formes d’esclavage domestique comme « plus faibles » ou « plus douce » du
point de vue de l’exploitation revient à prendre « pour argent comptant le discours de
nombre d’esclavagistes, persuadés, ou voulant faire croire, qu’ils vivaient avec leurs
esclaves dans le meilleur des mondes possibles »9.
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Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme
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Cependant, nous le disions en introduction, il ne faudrait pas prendre cet ouvrage pour ce
qu’il n’est pas. Mohamed Yahya Ould Ciré ne prétend pas écrire un texte universitaire,
avec ses codes et ses obligations. Il s’agit, nous le répétons, d’un recueil d’articles parus
ces dernières années. Le « style académique » n’est d’ailleurs pas l’objet de la collection.
Dans sa préface, Georges-Elia Sarfati rappelle que cet ouvrage est un livre « éthique et
politique ». Il tient plus de la dénonciation d’une situation méconnue, sous-estimée, voire
niée à l’échelle mondiale. À la lecture de ce texte, on est absolument horrifié par les
pratiques esclavagistes, minutieusement décrites par l’auteur. Depuis le plus petit
propriétaire terrien possédant des esclaves jusqu’au sommet de l’État mauritanien, la
mentalité esclavagiste est présente partout, que cela soit de manière brute (l’exploitation
par la force d’un homme dans sa maison) ou secondaire (l’absence d’une justice égale
pour les descendants d’esclaves et les affranchis ; les pratiques de relégation sociale de
ces mêmes personnes au sein des administrations, …). Ce texte est un témoignage
précieux qui n’est pas sans rappeler ceux que l’on a pu recueillir lors de la traite
transatlantique (les « slaves narratives » qui font l’objet de nombreuses études,
notamment aux USA).
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Ce livre montre aussi la culpabilité lourde de l’État mauritanien sur ces questions. Certes,
il y a eu plusieurs abolitions officielles (la dernière date de 2007) et les textes législatifs de
l’État sont conformes, de ce point de vue, aux standards internationaux. Mais, un Islam
constitutionnel permet dans le même temps de légitimer l’esclavage. Roger Botte10, Malik
Chebel11 et bien d’autres auteurs12 ont déjà interrogé ce rapport ambigu et contradictoire
de l’Islam avec l’esclavage. La Charia comporte bien quelques versets qui invitent les
maîtres à affranchir leurs esclaves, principe que l’on ne trouve pas dans les textes de
référence des religions chrétienne ou juive. Mais, c’est une invitation et non une
interdiction formelle ; elle reste ambiguë et certains versets justifient l’état de servitude.
Botte a montré qu’en Mauritanie, de peur de ne pas accéder au Paradis, certains esclaves
préfèrent attendre une émancipation religieuse venant du maître qu’une version
législative de celle-ci.
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Dans sa conclusion, l’auteur appelle l’État mauritanien à donner à la constitution du pays
un tournant laïque, afin de saper le fondement religieux officiel de légitimation de
l’esclavage. Mais, au vu de ce qu’on peut en lire ici et là, ce changement législatif radical
semble malheureusement difficile à mettre en place et, de plus, les pratiques esclavagistes
étant ancrées dans les logiques sociales locales, il n’est même pas certain qu’une telle
décision suffise à rendre liberté et fierté aux esclaves mauritaniens.
NOTES
1. Président de l’Association des Haratines de Mauritanie en Europe (AHME) ; voir son site
Internet : http://haratine.com/.
2. Par exemple : « Le Noir est méprisé par les Arabes et les Berbères. Il est considéré comme un
être inférieur » (p. 69). On ne peut nier le racisme très fort dans la région du Sahel et du Maghreb
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Mohamed Yahya Ould Ciré, La Mauritanie. Entre l’esclavage et le racisme
envers les populations noires, mais une telle phrase nous semble relever d’une généralisation
abusive.
3. Meillassoux Claude, Anthropologie de l’esclavage. Le ventre de fer et d’argent, Paris, PUF, 1986.
4. Mrad Dali Inès, « Esclaves noirs, esclaves blancs dans la Tunisie du XIX e siècle : de l’affiliation
fictive à la primauté du phénotype », in Leservoisier Olivier, Trabelsi Salah (dir.), Résistances et
mémoires des esclavages. Espaces arabo-musulmans et transatlantiques, Paris, Karthala, coll.
« Esclavages », 2014.
5. Botte Roger, Esclavages et abolitions en terres d’Islam, Bruxelles, André Versaille, coll. « L’Autre et
l’Ailleurs », 2010.
6. Galy Kadir Abdelkader, L’esclavage au Niger. Aspects historiques et juridiques, Paris, Karthala, 2010.
7. Coquery-Vidrovitch Catherine, Mesnard Eric, Être Esclave. Afrique-Amériques (XV e-XIXe
siècles), Paris, La Découverte, coll. « Cahiers Libres », 2013.
8. Grenouilleau Olivier, Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des Histoires », 2014.
9. Ibid., p. 108.
10. Botte Roger, op. cit.
11. Chebel Malik, L’esclavage en terre d’Islam, Paris, Fayard, 2007.
12. Notamment au sein de deux ouvrages collectifs publiés récemment par le CIRESC chez
Khartala : Médard Henri, Derat Marie-Laure, Vernet Thomas, Ballarin Marie Pierre (dir.), Traites
et esclavages en Afrique Orientale et dans l’Océan Indien, Paris, Karthala, coll. « Esclavages », 2013, et
Leservoisier Olivier, Trabelsi Salah (dir.), op. cit.
AUTHOR
SAMUEL LEMPEREUR
Doctorant en anthropologie au Laboratoire des mondes contemporains (Université libre de
Bruxelles) ; aspirant FNRS-FRS.
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