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LES FORMES EXTRÊMES DE
DÉPENDANCE EN MAURITANIE ET LA
LOI 2015-031 PORTANT INCRIMINATION
DE L’ESCLAVAGE
ESSAI DE SYNTHÈSE
Dr Mariella Villasante Cervello
Anthropologue, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris
Septembre 2019
Mariella Villasante Cervello
Carte administrative de la République Islamique de Mauritanie
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Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
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Principaux indicateurs
Superficie du pays : 1 030 700 km
Population actuelle : 3 833 888 habitants, population rurale : 50,4%, urbaine : 49,6% (ENE-SI,
2017)
Langues officielles : arabe et français — Langues nationales : arabe, pulaar, soninké, wolof
Pays membre de l’ONU, de la Ligue Arabe, de l’Office international de la francophonie
Capitale : Nouakchott, principales villes : Nouakchott, Nouadhibou, Rosso, Kiffa, Kaédi
— Nouakchott : 28,5% population totale et près de 2/3 de la main d’œuvre urbaine (ENE-SI,
2017)
Population en âge de travailler : 52,7% (ENE-SI, 2017)
Taux d’emploi informel : 91% — Jeunes en dehors emploi et études : 61% pop. active (ENE-SI,
2017)
Emplois / secteurs : agro-pastoral (76%), services (17%), industrie (7%) (Banque Mondiale
2018)
Durée de travail excessive : + 67% personnes occupées travaillent + de 40 heures/semaine (ENE
2017)
Taux de scolarisation (+10 ans) : 58% (ENE-SI, 2017)
Espérance de vie à la naissance : 63 ans (PNUD 2016)
Taux de pauvreté : 33% (Banque mondiale, mai 2018)
Taux d’alphabétisation : 46 % (PNUD 2014)
Indice de développement humain : 157e sur 188 pays (PNUD 2017)
Situation économique : La baisse des cours du fer, principale ressource d’exportation de la
Mauritanie, est venue interrompre une période de forte croissance du PIB entre 2010-2014
(5,6%/an en moyenne), avec 3,5% en 2017. Mais, en raison de la croissance démographique de
3%, la reprise économique reste insuffisante. Le taux de pauvreté a reculé, mais il reste estimé à
33% au niveau national. Selon la Banque mondiale, trois questions freinent le développement
durable : la gestion médiocre de la rente des industries extractives qui créent peu d’emplois,
l’incapacité à développer l’élevage et la pêche qui pourraient être sources importantes
d’emplois, et enfin l’urbanisation galopante interdit la constitution de pôles urbains de
croissance productifs et inclusifs (Banque mondiale, mai 2019).
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INTRODUCTION
• La République Islamique de Mauritanie a été créée en 1960, après la décision de la
puissance coloniale de quitter ses territoires de l’Afrique Occidentale Française. La présence
coloniale dans cette région, située entre le sud du Maroc et le nord du Sénégal, fut très faible et
elle n’impliqua pas de véritable domination politique. Ainsi, les structures sociales, politiques et
économiques du territoire restèrent, pour l’essentiel, inchangées. Cela signifie que les diverses
communautés ethniques du nouveau pays, qui n’avaient jamais été unifiées dans un État
centralisé, conservèrent leurs hiérarchies statutaires, leurs modes de contrôle politique, leurs
coutumes et leurs croyances. En Mauritanie, de même que dans le reste du Maghreb et dans les
territoires de l’Afrique de l’Ouest, la distinction centrale de l’organisation sociale traditionnelle
qui sépare les personnes libres et les personnes de statut servile était et reste très forte. Les 58
années qui nous séparent de l’indépendance coloniale n’ont pas transformé cet ordre des choses
forgé dans la longue durée.
• Pour comprendre la situation actuelle de la Mauritanie, il est indispensable de se rendre
compte que, d’une part, le « passé » n’est pas vraiment passé dans ce pays, il fait partie du
présent pour l’immense majorité de la population devenue « mauritanienne d’office », et que,
d’autre part, la construction de la nation en est encore à ses débuts. Les populations de pasteurs
nomades de parler hassaniya (une variante arabe du Sahara) du nord sahélo-saharien n’ont
jamais construit d’État, et les populations d’agriculteurs sédentaires installées dans la vallée du
fleuve Sénégal, étaient divisées entre les provinces du Waalo de l’Empire Wolof, l’État du
Fuuta Tooro de la moyenne vallée, et la province du Gajaaga de l’Empire du Mali. Les nomades
Bidân (hassanophones) avaient des relations de commerce, mais également conflictuelles
(razzias), avec les Wolof du Waalo, les Haalpulaar’en du Fuuta Tooro, et les Soninké du
Gajaaga. Pour distinguer ces groupes d’anciens nomades et de sédentaires, on parlera ici de
communautés arabo-hassanophones et de communautés africaines.
• L’État colonial réalisa la conquête de ces territoires de manière progressive à partir du
fleuve Sénégal, qui était le centre du commerce des esclaves africains de la traite atlantique et
de la gomme arabique (XVII-XVIIIe siècle). Les luttes de résistance à la colonisation, sous la
bannière de l’islam, ont eu lieu d’abord au fleuve, puis dans les régions de l’Assaba, du Tagant,
du Hodh et de l’Adrar, mais la supériorité militaire des Français fut décisive. L’administration
coloniale s’installa tardivement, à la fin du XIXe siècle, et ne concerna que la région du fleuve.
Les colonisateurs « administraient » le pays à travers un réseau de notables et de chefs
traditionnels, plus ou moins acquis à la cause de la pacification du territoire. La faible
administration française ne tenta pas de transformer les modes de vie et encore moins les
hiérarchies statutaires qui impliquaient le commerce et l’usage des esclaves, licites du point de
vue islamique. La même politique fut adoptée dans les autres zones colonisées. Il s’agissait de
conserver l’ordre établi et défendu par les élites notables qui collaboraient directement avec les
colonisateurs.
• L’indépendance de la Mauritanie, en 1960, ne transforma pas cet état de choses. Le
président Mokhtar ould Daddah avait compris qu’il ne pouvait décréter par des lois, la
« modernisation » du jour au lendemain d’un pays éminemment rural et éloigné des idées et des
pratiques européennes. Au reste, il ne disposait pas des ressources humaines et matérielles pour
administrer un territoire grand comme deux fois la France. A l’instar des colonisateurs, Daddah
gouverna la Mauritanie à travers les élites des notables traditionnels, tant dans la région du
fleuve Sénégal, que dans le nord habité par les nomades. Pendant son mandat, entre 1960 et
1984, tout restait à sa place, les groupes libres et les groupes serviles continuaient leurs relations
d’interdépendance dans toutes les communautés ethniques mauritaniennes. Cependant, la
grande sécheresse sahélienne des années 1970 commença à transformer en profondeur la vie
sociale des Mauritaniens : les nomades furent forcés de se sédentariser, incapables de survivre
grâce à leurs seules activités agro-pastorales, et ils durent libérer une grande partie de leurs
Mariella Villasante Cervello
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serviteurs dépendants qu’ils ne pouvaient plus nourrir et vêtir. La sécheresse força également les
nomades à s’installer dans la région du fleuve, ce qui entraînait d’importants conflits sociaux
avec les agriculteurs sédentaires. La seconde grande transformation de cette période récente fut
la dépendance directe des populations rurales à l’État, qui distribuait l’aide alimentaire
d’urgence. Une situation qui perdure jusqu’à présent. En un mot : les changements sociaux les
plus importants furent les conséquences de la sécheresse, et non pas les conséquences de
décisions étatiques ou d’une « évolution » des populations qui restaient largement rurales et
traditionnelles.
• Après le mandat de Daddah, la Mauritanie a connu de longues périodes de désordre
politique sous des gouvernements militaires, qui n’ont pas contribué à une amélioration sensible
des conditions de vie de la majorité du peuple mauritanien. C’est dans ce cadre qu’on doit
placer la continuité et le conservatisme qui caractérisent les structures sociales des
Mauritaniens. Loin d’être des personnes isolées comme en Occident, tous les Mauritaniens sont
insérés dans des groupes unis par la parenté (familles élargies, clans, lignages), et classés selon
les statuts libre ou servile, avec plusieurs rangs de dépendance. Comme le note Yuval Harari
(2015 : 163 et sqq.), « il n’y a pas de justice en histoire, les sociétés humaines forgent des ordres
sociaux imaginaires qui ne sont ni neutres, ni justes, mais centrés sur des hiérarchies supérieures
et inférieures ; avec une élite qui conserve le pouvoir et la richesse et le peuple qui est opprimé
et qui est l’objet de discrimination. Cette hiérarchie est toujours pensée comme étant
« objective », instaurée par Dieu ou par les lois de la nature, et elle s’organise selon divers
facteurs (religion, ethnie ou « race », richesse), qui ordonnent les relations sociales ».
Les hiérarchies sociales constituent ainsi la base de l’ordre social en Mauritanie et dans tous
les pays du Sud de la planète ; et elles perdurent également, sous la forme de classes sociales, au
sein des sociétés occidentales modernes qui ont forgé l’idée de l’égalité sociale comme base de
la vie politique moderne, c’est-à-dire de la démocratie.
• En République Islamique de Mauritanie, la hiérarchie statutaire distingue toutes les
personnes et leurs familles d’appartenance selon le statut libre et le statut servile. Suivant les
idées islamiques et celles forgées localement, on considère que la liberté des personnes est
associée à la pureté de leur généalogie, qui n’a pas été « polluée » par la servilité. Comme le dit
l’historien Mohamed Ennaji (2007 : 65) : « la pureté est le point nodal de la notion de liberté.
Aucune tache, aucun vice n’est de propos dans une telle situation. L’adjectif qui donne sa
consistance et sa réalité à la liberté est khâliss, c’est-à-dire pur, et par hasard aussi blanc. » C’est
pourquoi l’homme libre est pur parce qu’il « est entièrement à lui-même et (…) n’a pas de
dépendance envers personne. » C’est également pourquoi l’esclave affranchi (en hassaniya
hartânî, pl. hrâtîn), n’est pas pur, mais une personne libre de second rang. Cette idéologie du
pur et de l’impur, au regard de la généalogie et de la dépendance envers autrui, est au cœur de
l’organisation sociale des Mauritaniens, et fonde ses références et ses « justifications morales »,
si on peut dire, dans l’islam et dans les écrits juridiques islamiques, qui légitiment jusqu’à
présent l’esclavage puisqu’ils ne peuvent être abrogés (Villasante 2015).
• Les pressions internationales de modernisation sociale et les revendications égalitaires des
dirigeants politiques hassanophones d’origine servile ont commencé à se faire sentir avec force
en Mauritanie seulement dans les années 1980. En 1981, le gouvernement militaire mauritanien
promulgua la première Loi contre l’esclavage, suivie par la Loi de réforme foncière de 1983 qui
stipule que « la terre appartient à ceux qui la travaillent ». Il s’agissait de changer en profondeur
les normes d’accès à la propriété de la terre utile à l’agriculture qui, jusque-là, se fondaient sur
l’accès exclusif des membres libres de la société, excluant les groupes serviles auxquels
appartenaient les travailleurs agricoles. Mais l’État n’avait pas les ressources humaines
nécessaires pour imposer cette immense mutation sociale, et les deux lois restèrent lettre morte.
• Les deux dernières décennies du XXe siècle furent marquées par une forte polarisation
politique entre les groupes ethniques hassanophones et africains du pays. Dans les années 1989
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
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et 1991, le gouvernement militaire de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya, lança une politique
éliminationniste des communautés originaires du fleuve Sénégal (Villasante 2017b). Des
milliers de Haalpulaar’en, ainsi que des Soninké et des Wolof, furent expulsés du pays manu
militari vers le Sénégal et le Mali. Entre 1990 et 1991, des centaines de militaires furent
persécutés, torturés et assassinés dans les geôles et dans les casernes militaires par des hrâtîn
sous les ordres d’officiers de statut libre. Ces évènements sanglants, appelés officiellement
« passif humanitaire », constituent actuellement la toile de fonds de la vie sociale et politique en
Mauritanie, que l’on doit constamment prendre en compte pour bien comprendre la question
servile dans le pays.
• La chute de Taya en 2005, et l’ouverture d’un processus de transition démocratique entre
2006 et 2007, ont été marqué par les premières mesures étatiques de changement global des
hiérarchies statutaires et par la reconnaissance officielle des atrocités commises à l’encontre des
communautés africaines de Mauritanie. En effet, en 2007, le président Sidi Mohammed ould
Cheikh Abdellahi promulgua une seconde Loi contre l’esclavage, censée sanctionner les
« pratiques esclavagistes » encore en vigueur. En 2008, débuta le processus officiel de retour
des milliers de Mauritaniens expulsés au Sénégal. Le processus fut déclaré clôt en 2012, même
si les personnes expulsées au Mali n’ont été ni recensées, ni même reconnues comme victimes
(Fresia 2017). Comme par le passé, le manque de ressources humaines rendit difficile, voire
impossible, l’application de la Loi contre l’esclavage (ONU, le 8 mars 2017).
• En réalité, la transformation d’un ordre social antique est illusoire dans le court terme. Les
lois ne peuvent changer du jour au lendemain l’ordre social, et l’égalité sociale moderne ne peut
être imposée par décret. La Loi de 2015-031 « portant incrimination de l’esclavage et réprimant
les pratiques esclavagistes » constitue la troisième tentative de l’État mauritanien pour éliminer
les « pratiques esclavagistes »1. Néanmoins, l’on peut considérer que sa promulgation a été
réalisée pour répondre aux pressions mondiales qui, depuis les années 1980, pointent du doigt
une Mauritanie « esclavagiste et raciste ». Le manque de volonté politique pour démarrer un
large processus de changement social semble évident lorsqu’on constate qu’il n’y a pas eu de
décret d’application de cette loi. Cette dernière reste par ailleurs controversée notamment à
cause du flottement entre les deux sources de droit utilisées : le droit positif et le droit
islamique. Le premier interdit l’esclavage, le second l’autorise. Le droit musulman considère en
effet que les esclaves sont des « biens meubles, susceptibles de vente, achat, location et
héritage », comme les autres biens meubles (terres, objets, animaux). Certes, les valeurs de
l’islam sont destinées à libérer l’homme et lui garantir sa dignité, c’est pourquoi la libération
des esclaves est recommandée expressément. Mais le fiqh (jurisprudence) et la sharia (loi
islamique) ne comportent pas de sanctions contre les propriétaires d’esclaves.
• Il faut noter aussi que la Loi 2015-031 présente des lacunes importantes, non seulement eu
égard à la réalité hiérarchique mauritanienne, fondée sur la distinction entre les statut libre et
servile, mais aussi par son insistance sur le seul statut d’esclave vrai (en arabe abd, pl. abîd), en
voie de disparition en Mauritanie. Rappelons que l’immense majorité des personnes de statut
servile vivent en situation d’autonomie, conservant divers liens de dépendance avec les familles
libres auxquelles leurs aïeux étaient associés (Bhrane 1997 et 2000, Villasante 2000). Cette
situation leur est indispensable pour continuer à bénéficier de la protection sociale des familles
alliées, qui ont les moyens d’aider les familles démunies. Si la rupture complète des liens
sociaux de dépendance est possible, elle est peu souhaitée en l’état car elle conduirait l’individu
concerné à devenir un paria dans sa propre société.
• Dans cet essai de synthèse de mes publications antérieures, je présente : les hypothèses de
travail, les acquis de la recherche, les termes de la Loi 2015-031 et le contexte de sous-
1 Voir les documents : ONU-HCDH, le 21 août 2015 ; ONU, le 8 mars 2017 ; ONU juillet 2017 ; ONU
septembre 2017 ; et ONU le 11 mai 2018.
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développement et de pauvreté du pays qui vient de changer de gouvernement après des longues
années de présidence du général Mohamed ould Abdel Aziz (2009-2019). Le nouveau
président, élu en juin 2019, était le chef des armées, le général Mohamed ould Ghazouani.
HYPOTHÈSES DE TRAVAIL
• Compte tenue de la réalité sociale mauritanienne, je propose d’utiliser la notion de formes
extrêmes de dépendance au lieu « d’esclavage » qui est un terme trop connoté, et qui ne
correspond pas non plus à la véritable situation des groupes serviles mauritaniens. Ces derniers
maintiennent en effet des relations de servilité avec des familles de statut libre, qui leur offrent
leur protection en échange de services. Ces liens clientélaires et de protection, nommés dans les
écrits islamiques (wâla), qui associent les groupes serviles aux familles libres, leur fournit
l’identité collective indispensable à la vie en société.
Photo n° 1 : Couturier de statut servile et jeune homme bidânî au Marché Capital de
Nouakchott (©Villasante 1998)
• Les relations clientélaires sont au fondement de la vie sociale mauritanienne, et toutes les
personnes y participent soit à l’intérieur des groupes ethniques et statutaires, soit dans les
cercles inter-ethniques et inter-statutaires. Ces relations sont indispensables pour obtenir un
travail, pour accéder aux études, pour acheter ou louer des terres, ou pour créer un négoce. D’un
point de vue interne, le « travail forcé » et la « surexploitation du travail » sont courants et
ordinaires pour toutes les personnes, qu’elles soient de statut libre ou servile.
• Néanmoins, les groupes serviles ont plus de difficultés pour bénéficier d’une vie digne dans
le pays. De nombreuses pratiques de travail traditionnel, acceptées comme normales localement,
correspondent à ce que l’idéologie moderne du travail décent classe comme « travaux forcés »
et « abus de vulnérabilité » touchant les enfants et les adultes. En Mauritanie, comme ailleurs
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
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dans de nombreux pays du Sud où prédomine l’extrême pauvreté, persiste la servilité volontaire,
incluant les mauvais traitements. Cet état de chose est visible chez les serviteurs domestiques,
en particulier les femmes et les fillettes, chez les travailleurs agricoles et pastoraux, dont les
enfants bergers. Des cas de « surexploitation du travail » sont également patents chez les
travailleurs des mines, les dockers, les maçons, et dans une quantité d’autres petits métiers
manuels urbains et ruraux.
• En Mauritanie l’économie informelle est majoritaire et presque tous les métiers manuels
sont réalisés par des personnes de statut servile. Une enquête publiée en 2017 par l’Office
nationale de statistique apporte des données très importantes sur le thème de l’économie
informelle et le travail des enfants (ONS-RIM 2017).
• Cela dit, l’on observe des réussites sociales chez certaines personnes de statut servile qui
deviennent des hauts fonctionnaires de l’État, des chefs d’entreprises ou des docteurs. La
mobilité sociale se réalise en général par le biais de l’éducation formelle.
• Le système de travail traditionnel et moderne, qui inclut diverses formes de surexploitation
et de mauvais traitements, est relié au cercle vicieux de la mauvaise gouvernance du pays, du
manque de politiques de développement durable et de la pauvreté. A cela s’ajoute également le
poids que constitue le maintien de références islamiques qui freinent en Mauritanie, comme
ailleurs dans le monde arabe, l’introduction des valeurs d’égalité et de démocratie modernes
(Ennaji 2007 : 14).
Photo n° 2 : Femme hartâniyya dans une maison de Walâta (©Villasante 1986)
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I. ACQUIS DE LA RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE EN MAURITANIE : HIÉRARCHIE,
ÉGALITÉ MODERNE ET TRAVAIL
La République Islamique de Mauritanie est présentée comme le cas paradigmatique de la
permanence des relations de servilité dans le monde arabe et musulman contemporain. Deux
faits ont contribué à cet état de choses : d’une part, l’abolition promulguée en 1981, qui fit
croire que jusque-là le commerce des esclaves (au sens occidentale de la traite) était licite dans
le pays ; puis la dénonciation par cinq activistes, en janvier 1998, lors d’une émission de la
télévision française qui couvrait le rallye Paris-Dakar, du « maintien de l’esclavage » en
Mauritanie. Ils furent mis en prison pour délit de libre expression, ce qui souleva un tollé
médiatique d’envergure. Pour pallier un tant soit peu la méconnaissance de la situation sociale
de la Mauritanie, dont les journalistes présentaient un portrait assez caricatural, un petit groupe
de jeunes universitaires (Acloque, Bhrane, Leservoisier, Ruf, Taylor, Searing), dont je faisais
partie, décida de préparer une publication qui devait examiner le cas mauritanien dans le
contexte sahélo-saharien. C’est ainsi que nous avons publié, sous ma direction, le livre Groupes
serviles au Sahara. Approche comparative à partir du cas des arabophones de Mauritanie, en
2000 (Paris, CNRS Éditions).
Malgré la relative ancienneté de cette première publication collective, qui présentait les
principaux travaux sur la question en Mauritanie, ainsi que trois cas voisins (chez les Wolof du
Sénégal, chez les Touareg du Niger et chez les Bidân du Sahara Occidental), force est de
constater que le thème reste encore obscur et confus pour un grand nombre d’universitaires, de
journalistes, de fonctionnaires et de militants des droits humains. Mais également pour les
officiels mauritaniens et les instances internationales qui travaillent sur la question de la servilité
dans les pays du Sud. Dans ce livre, nous avancions l’idée que dans le monde moderne,
occidental, parler d’esclavage fait figure d’anachronisme et de scandale, notamment parce qu’il
est directement associé au trafic d’esclaves entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques. C’est-àdire à la traite négrière qui fut mise en place par des marchands européens avec la collaboration
directe des notables et des marchands africains, berbères et arabes, ce qui est régulièrement
passé sous silence. En effet, les spécialistes de la traite négrière ont tendance à oublier que sans
le concours des marchands et des élites locales, ce commerce n’aurait jamais pu être mis en
place. Rappelons cependant que la traite négrière qui se développa entre le XVIe et le XIXe
siècle, avait été précédée par le commerce saharien d’esclaves, de l’or et d’autres produits de
luxe échangés entre les royaumes et les territoires du Sahel et les royaumes du Maghreb,
l’Égypte et le Moyen Orient depuis les VII-VIIIe siècles.
Cela étant posé, les relations serviles à l’intérieur de l’Afrique, appelées « esclavage
endogène », sont très anciennes et n’ont pas de liens directs avec le commerce saharien et
atlantique des biens de luxe, dont les esclaves, considérées comme des biens meubles par
l’islam. Ces relations serviles s’insèrent en effet dans un cadre social et politique très large et
variable, et sont attestées historiquement dans les sociétés humaines de toute taille, des
chefferies guerrières jusqu’aux États de l’Antiquité (Condominas 1998).
Le cas de la Mauritanie s’insère dans ce contexte, qui concerne également l’ensemble des
sociétés sahéliennes contemporaines, et dont des séquelles sont toujours observables au
Maghreb et en Égypte ; et plus largement, dans les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar,
Koweït etc.), dans des nombreuses sociétés d’Asie (Inde, Vietnam, Madagascar, Chine,
Cambodge, Thaïlande etc.), et plus loin, aux Amériques où des Africains furent importés par les
Européens entre les XVI-XVIIIe siècle.
Nous allons examiner les concepts académiques et officiels concernant la servilité, le
système hiérarchique mauritanien selon les groupes ethniques et les paliers d’émancipation.
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
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I. 1. CONCEPTS ACADÉMIQUES : FORMES EXTRÊMES DE DÉPENDANCE, RELATIONS
DE SERVILITÉ ET GROUPES SERVILES
• L’esclavage est une institution humaine largement répandue à travers les siècles et les
espaces sociaux dans une large majorité des sociétés, allant des petits espaces sociaux aux
royaumes ou aux États antiques. Il se définit en premier lieu par l’appropriation d’une personne
par une autre personne, par un groupe ou par un État ; et, en second lieu, par l’insertion des
esclaves dans le statut le plus bas de la société, et enfin par son assujettissement au travail
contraint (Condominas 1998 : 542). Au-delà des variations observées par les spécialistes
(Rome, Grèce et Égypte antiques, plantations aux Amériques, Afrique et Asie contemporaines),
c’est le statut servile qui est central pour mieux comprendre la reproduction de la servilité.
La première hypothèse considère que les communautés ethniques mauritaniennes qui
composent la société se divisent en deux grandes communautés : arabo-hassanophones et
africaines. Elles reproduisent des hiérarchies statutaires, construites depuis au moins le VIIIe
siècle, qui séparent —ici comme ailleurs en Afrique sahélienne—, les personnes et leurs
familles en deux groupes : ceux qui ont une généalogie d’hommes libres, et ceux qui ont des
ancêtres de statut servile, soumis de manière différenciée à ce que j’appelle, en suivant
Condominas (1998), les formes extrêmes de dépendance.
Le statut des personnes et de leurs familles est hérité en ligne patrilinéaire (par les pères) et il est
associé à l’idéologie du pur et de l’impur, c’est-à-dire à l’idée antique, qui existait du temps du
prophète Mohammed, selon laquelle les personnes de statut servile ont une « tache d’impureté »
qui est héritée et transmise pendant plusieurs générations.
Cette idéologie, et les pratiques sociales hiérarchiques qui l’accompagnent, sont totalement
opposées aux idéologies modernes sur l’égalité citoyenne de toutes les personnes et constitue le
blocage le plus important pour l’introduction et l’acceptation des valeurs d’égalité moderne et
de démocratie en Mauritanie.
• On avancera ici que les termes « esclave » et « esclavage » sont trop connotés car,
s’agissant de l’Afrique, ils sont associés au commerce atlantique ou traite négrière, et ne rendent
pas compte de la pratique de la soumission d’hommes et de femmes à un système de contrôle
social puissant situé à l’intérieur des sociétés traditionnelles (y compris en Europe jusqu’au
Moyen Age). Pour cette raison, on a repris l’expression proposée par Georges Condominas,
« formes extrêmes de dépendance », pour ne pas définir a priori ceux qu’on dénommerait
« esclaves », et pour souligner le caractère de dépendance des groupes placés en situation de
servilité par d’autres familles ou par des groupes de personnes libres (Villasante 2000 : 15-22,
2004).
Deuxième hypothèse. Les personnes soumises aux formes extrêmes de dépendance ont été
appropriées par des personnes libres, elles ont perdu leur liberté de décider de leur propre vie,
elles sont contraintes de travailler sous les ordres des maîtres, et elles se situent au plus bas de la
hiérarchie sociale du groupe (Condominas 1998 : 541).
• Les spécialistes de l’Afrique ont mis la parenté comme terme de référence central pour
l’analyse de « l’esclavage », opposant les systèmes de parenté ouverts et fermés. Il est donc
avancé que les « esclaves » sont des étrangers qui restent toujours en dehors des cercles des
parents de la société réceptrice. Des chercheurs marxistes vont encore plus loin en affirmant que
les relations de parenté entre « esclaves et maîtres » ne sont pas réelles, mais manipulées par les
maîtres, pour mieux asseoir leur contrôle sur leurs esclaves. Nonobstant, ces manières de voir
expriment plutôt le rejet de l’idéologie « esclavagiste » que les faits sociaux observables.
Mariella Villasante Cervello
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• Un autre courant des travaux africanistes traite « l’esclavage » interne comme une
extension du commerce atlantique ou saharien des esclaves ; et d’autres études traitent de
l’esclavage comme d’une institution qui peut être isolée du reste de la société. Ces positions
laissent dans l’ombre les facteurs qui ont contribué au développement des formes extrêmes de
dépendance, et comment ils ont affecté le reste de la société (James Searing 2000 : 25).
• On avancera ici que les formes extrêmes de dépendance ne doivent rien au commerce
atlantique et saharien et qu’elles ne peuvent pas être isolées du cadre social global marqué par
les hiérarchies statutaires. Elles sont l’un des éléments constitutifs de ces hiérarchies, dont
l’autre versant est celui des groupes libres de la société.
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
• Dans l’espace de la future Mauritanie et dans les espaces voisins sénégalais et malien, les
formes extrêmes de dépendance se sont développées parallèlement chez les pasteurs nomades et
chez les sédentaires agriculteurs, au sein de structures de pouvoir complexes. Dans chaque
société, les dépendances étaient variables et impliquaient l’incorporation d’esclaves étrangers
dans la parenté et dans la culture des groupes récepteurs.
• En Mauritanie, les groupes libres et serviles existent dans toutes les communautés
ethniques, chez les pasteurs nomades Bidân hassanophones et chez les peuples de la vallée du
fleuve Sénégal, agriculteurs sédentaires Haalpulaar’en, Soninké et Wolof (Villasante et Taylor
2017a). Les statuts se reproduisent par la fermeture relative des mariages, et ils sont visibles
dans les coutumes associées au port des vêtements (plus dénudés pour les groupes serviles), par
les règles de commensalité qui interdisent le partage de nourriture entre personnes libres et
serviles, et par la distance physique et sociale : les personnes serviles s’éloignent pour s’asseoir,
parlent très bas et font montre d’une déférence constante (Klein 1998, Searing 2017). Enfin, les
coutumes de l’honneur et de la honte explicitent également les statuts personnels : les personnes
libres et nobles ont un honneur à défendre en toute circonstance, alors qu’on considère que les
groupes serviles n’ont pas d’honneur, ni de honte. Raison pour laquelle ils peuvent être
humiliés, et faire montre de comportements grossiers et rustiques condamnés par les bonnes
mœurs de la vie sociale (Villasante 2016).
• Origines : les personnes de statut servile ont été acquises de diverses manières : soit
capturées lors des razzias par des guerriers, soit achetées aux marchands locaux, ou saisies de
manière illicite. On estime que les origines ethniques des esclaves des Bidân et des élites
africaines étaient les mêmes, en général l’ouest du Mali actuel.
Les groupes serviles ont été adoptés et assimilés au sein des familles qui les ont placés sous
leur protection en échange de leur travail manuel dans l’espace domestique, dans les champs
agricoles et dans les oasis, dans les activités pastorales et dans les mines du sel. Au bout de
quelque temps, des liens de parenté s’établissent avec les familles protectrices, soit par le biais
du concubinage avec les femmes de statut servile, soit par le biais de la parenté de lait des
nourrices de statut servile (qui possède les mêmes effets d’intégration parentale que la filiation
filiative). Soit enfin par l’affranchissement qui fait entrer le nouveau membre libre du groupe au
sein de l’identité collective de celui-ci (groupes de parenté, lignages, clans), avec un statut libre
subalterne.
• Rangs : les personnes de statut servile ont divers rangs allant de l’extrême dépendance des
personnes qui viennent d’entrer au service d’une famille, à la situation des affranchis de statut
libre mais subordonné pendant plusieurs générations, qui restent liés aux réseaux de parenté et
de clientèle des maîtres. Cette appartenance aux groupes de parenté se concrétise par la
participation au prix du sang (diya), et aux collectes solidaires d’argent (loha) pour aider un
autre membre de la collectivité, ou une action politique. Refuser cette adhésion après
l’affranchissement impliquerait l’auto-exclusion de la personne du groupe récepteur, ce qui la
transformerait en paria.
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
13
• Traitement social : les personnes de statut servile sont traitées en accord avec les valeurs
socialement acceptées qui considèrent qu’elles ne méritent pas le respect des personnes libres,
non contaminées par la « tache » de la servilité. Cependant, ce principe général est variable
selon les coutumes des familles libres-protectrices, le niveau éducatif et de richesse des uns et
des autres, et les mérites personnels des personnes de statut servile. Cela dit, la distance
statutaire se maintient par le refus d’établir des mariages entre des hommes de statut servile,
même ancien, et des femmes libres et/ou nobles. C’est la limite des « bonnes relations » entre
les deux groupes statutaires.
• Rangs libres et nobles : les groupes libres ont également des rangs différents selon leurs
généalogies patrilinéaires. Les familles les plus nobles sont celles qui ont les généalogies les
plus longues, preuve irréfutable de leur liberté ancienne, non entachée par la servitude. Si par le
passé les groupes guerriers avaient un statut supérieur aux groupes religieux, la défaite coloniale
a déplacé la haute noblesse vers les religieux, collaborateurs des administrateurs qui, en
échange, leur ont accordés des terrains de culture et des pâturages. Cependant, de nombreux
guerriers restent convaincus de leur supériorité statutaire.
• Groupes de métier : d’autres familles libres développent des activités manuelles et sont
classées parmi les groupes de métier, également nommés « castes ». Le terme n’est cependant
pas pertinent en Mauritanie, car si les groupes de métier sont endogames, la mobilité sociale est
possible par les mariages exogames, alors que dans les castes de l’Inde elle est impossible
(Villasante 2004 et 2014).
• Hiérarchies internes : Contrairement aux croyances communes, les divisions statutaires
des pasteurs nomades ne doivent rien aux sociétés sédentaires de la vallée du fleuve Sénégal.
D’autres peuples nomades dans le monde ont des distinctions hiérarchiques semblables ; par
exemple les Yi Noirs des Montagnes Fraîches du Sichuan (Chine), qui ont assujetti les Yi
Blancs (du groupe ethnique Han), et qui conservaient divers degrés de dépendance vis-à-vis des
maîtres guerriers qui n’ont jamais formé d’État. Ces distinctions statutaires sont encore visibles
de nos jours, bien après l’instauration de l’État communiste chinois en 1949 (Lu Hui, in
Condominas 1998 : 235-282).
• Reproduction des hiérarchies : le système hiérarchique entre groupes libres et groupes
servile se reproduit par la fermeture relative des mariages, c’est-à-dire par une tendance forte à
l’endogamie statutaire ; cependant, les hommes libres peuvent prendre des femmes de statut
servile, ce qui implique que des métissages ethniques sont courants chez les Bidân libres. Ainsi,
contrairement aux idées reçues, les Bidân sont le résultat d’un large métissage entre les groupes
ethniques locaux, berbères (Znâga) et africains, et les groupes arabes descendus
progressivement du Nord à partir du XIIIe siècle. La société bidân s’est constitué au XVIIe
siècle.
Cela implique également que les perceptions occidentales qui distinguent les Mauritaniens
en fonction de leur « couleur de peau », et qui d’un côté séparent les bidân des hrâtîn, et de
l’autre les « Afro-mauritaniens », ne sont pas pertinentes. De même qu’ailleurs dans le
Maghreb, où les groupes serviles d’origine africaine étaient importants, notamment au Maroc
(Ennaji 1997 : 107 et sqq.), des personnes très nobles peuvent avoir une « peau foncée » par
leurs grand-mères africaines, sans que cela ait une quelconque importance du point de vue
statutaire. De ce point de vue, la distinction entre « Maures blancs » et « Maures noirs » forgée
par les coloniaux et souvent reprise de nos jours dans de nombreux écrits n’a aucun sens, et
renvoie d’avantage aux représentations occidentales qu’à la réalité de la société mauritanienne.
Deuxièmement, le terme Bidân désigne les hassanophones en général, qu’on distingue du
sens statutaire des bidân, personnes libres et/ou nobles, ayant des liens historiques et parentaux
avec les affranchis et/ou les dépendants hrâtîn.
Mariella Villasante Cervello
14
Enfin, les « Afro-mauritaniens », ou « Négro-mauritaniens » ne constituent pas un ensemble
ethnique, sauf aux yeux de certains Occidentaux qui ignorent les réalités mauritaniennes. Les
deux termes ont été proposés par des activistes qui considèrent qu’ils se battent contre les
« Arabo-berbères » (oubliant les origines africaines des Bidân), en conséquence, ils sont trop
connotés politiquement pour être utilisés dans des documents d’analyse de la société
mauritanienne. Comme on a noté dans l’Introduction, nous parlerons plutôt de communauté
arabo-hassanophone et de communautés africaines (haalpulaar’en, soninké et wolof). On
reviendra sur ces éléments lorsque nous aborderons le système hiérarchique traditionnel,
toujours d’actualité en Mauritanie.
• L’insertion statutaire détermine la propriété de la terre utile à l’agriculture dans toutes
les communautés ethniques mauritaniennes. Ainsi, les personnes libres/nobles possèdent la
terre, alors que les groupes serviles en sont exclus selon la coutume (orf) et selon la loi
islamique (sharia). Ces derniers peuvent cependant avoir des droits d’usage (métayage) suivant
des accords avec les « maîtres de la terre », ce malgré l’existence de la Loi foncière de 1983 qui
permet l’appropriation de la terre utile (oasis, région du fleuve) aux travailleurs. En général, en
contrepartie de leur droit d’usage coutumier, les métayers doivent payer aux « maîtres de la
terre » une partie de la récolte. Dans les villages dits adwabe, habités par des familles hrâtîn, la
terre est appropriée directement par ces familles, mais il s’agit de terres moins fertiles.
Photo n° 3 : Homme bidânî travaillant la terre dans l’oasis de Kurudiel (Assaba) avec l’aide
d’un enfant de statut servile (©Villasante 1990)
• Les pourcentages ethniques et statutaires : l’État mauritanien n’a jamais réalisé de
recensement qui tienne en compte des origines ethniques et statutaires de ses citoyens, ce qui
peut s’interpréter dans le cadre de l’héritage postcolonial français qui rejette ce type de
statistique des « citoyens de la nation, une et indivisible ». Malgré le manque d’informations
statistiques, des activistes politiques et des défenseurs des droits humains présentent souvent des
données fantaisistes. Dans ce document on tiendra compte de l’estimation de Meskerem Bhrane,
qui a réalisé la meilleure étude en sciences politiques sur les groupes serviles de Nouakchott
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
15
(1997, 2000 : 197), et qui considère que les hrâtîn représentent 40 à 50% de la population
hassanophone du pays2.
I. 2. LE SYSTÈME HIÉRARCHIQUE TRADITIONNEL SELON LES GROUPES ETHNIQUES
• Au sein des communautés ethniques mauritaniennes les groupes libres et serviles sont
divisés selon des rangs différenciés toujours en relation avec les généalogies et les relations de
parenté qui organisent toute la vie sociale des Mauritaniens. Les fonctions religieuses d’une
part, et guerrières d’autre part, sont concrétisées dans les ordres religieux et guerrier auxquels
appartiennent toutes les personnes et leurs familles. Cela dit, loin d’être rigides, ces ordres sont
fluides et se transforment dans le temps. On observe également une tendance au maintien des
références traditionnelles des statuts hérités qui se reproduisent au sein des classes sociales en
voie de construction. En d’autres termes, la richesse et/ou l’éducation ne changent pas
l’insertion statutaire et cela est évident dans les alliances matrimoniales qui respectent très
couramment la règle d’hypergamie féminine (les femmes épousent des hommes de statut égal
ou supérieur au leur, et rarement de statut inférieur qui serait alors transmis aux enfants à naître,
Villasante 1995, 2000, 2015).
• Chez les Bidân, comme chez les voisins Wolof, Haalpulaar’en et Soninké, ainsi que chez
les Berbères et les Arabes du Maroc (Ennaji 1997, 2007), l’idéologie du pur et de l’impur
véhicule la croyance que les statuts se transmettent « par le sang », il s’agit là d’un trait central
pour comprendre la persistance des hiérarchies statutaires. La langue arabe et l’islam ont
légitimé cette idéologie du pur et de l’impur en définissant des lignées d’ascendance servile,
étant bien entendu que cette idée, que les Wolof eux-mêmes nomment la « tache d’esclavage »,
est associée au statut servile et non pas à la « race noire ».
• Les changements récents (sécheresse, migrations, évolution politique), ont transformé la
situation statutaire, mais les référents sont à peu près les mêmes : les groupes guerriers ont
perdu de leur dominance au profit des groupes religieux, qui avaient opté pour un soutien
important à la colonisation. Ils considéraient en effet qu’il valait mieux un pays en paix, même
sous dominance étrangère, que le désordre imposé par « les guerriers sans foi, ni loi »
(Villasante 1995, Yahya ould El Bara 2014).
La troisième hypothèse de travail considère que la modernisation relative de la société
mauritanienne date seulement des années 1970. L’économie de marché a permis l’émergence
de classes sociales, et l’éducation formelle a rendu possible la mobilité sociale de groupes jadis
exclus à cause de leur situation statutaire inférieure.
Si la mobilité sociale est actualisée au sein de toutes les communautés ethniques et de tous les
groupes statutaires, on observe néanmoins une prépondérance du statut traditionnel sur le
classement social et le niveau d’éducation formelle.
L’ensemble du système social mauritanien repose sur les relations établies entre des patrons (de
tout statut) qui disposent de cercles de clients plus ou moins importants selon leurs moyens
financiers. L’accès à ces cercles est conditionné par l’insertion dans un groupe de parenté donné
et par l’actualisation des échanges de services mutuels ; ces cercles sont indispensables pour
obtenir un travail, pour inscrire des enfants dans les écoles, et pour survivre grâce aux cadeaux
en argent ou en produits alimentaires et d’habillement octroyés par des patrons généreux.
L’individu isolé est rare en Mauritanie. L’importance du clientélisme et des réseaux de
protecteurs/protégés s’accompagne d’une corruption généralisée.
2 Selon l’Enquête MICS de 2015 (RIM-ONS 2016 : 25), les langues des ménages mauritaniens
(échantillon de 11 765 ménages) sont les suivantes : arabe (82%), pulaar (13%), soninké (2,6%), wolof
(1,7%) et autres (0,7%). Ainsi, l’on peut estimer qu’environ 35-40% de la population du pays appartient
au groupe servile hrâtîn, avec des rangs statutaires très différents comme on le verra plus loin.
Mariella Villasante Cervello
16
— La société hassanophone bidân
• Dans la société bidân, classée par les colonisateurs français sous l’appellation « maure »,
que certains auteurs continuent à utiliser, les groupes serviles (abîd, hrâtîn), englobés sous la
dénomination sûdan (Africains non hassanophones) ou khadrîyyin (Bleus) se divisent en deux
statuts : celui de l’extrême dépendance des abîd (esclaves licites en islam), et celui des
affranchis (hrâtîn), avec des nuances très variées selon le statut de la famille des anciens maîtres
(religieux zwâya, guerrier arab ou hassân, tributaire znâga). Les esclaves nés dans les familles
des maîtres avaient une position supérieure aux autres abîd, et étaient nommés nânma. Les
classements des serviteurs sont bien moins complexes que ceux des Soninké, des Haalpulaar’en
et des Wolof. Durant la période coloniale, la situation des groupes serviles était plus
hiérarchisée que de nos jours (Acloque 2000 ; McDougall 2000, 2005, 2007).
Photo n° 3 : Femme bidâniyya avec une parure de mariage, et femme de statut servile (derrière),
sous une tente à Walâta (©Villasante 1986)
• Les groupes de métier sont composés par les artisans [maallemîm] et par les musiciens
[iggawîn]. Tout en étant peu nombreux, ces groupes représentent la deuxième communauté
exclue des valeurs de respect, de honte et d’honneur de la société ; des valeurs exprimées dans
la notion de sahwa (honte, pudeur, réserve), le principal marqueur des identités statutaires dans
le pays, y compris dans les sociétés africaines qui ont des termes équivalents (hersinnde en
pulaar, yàagú en soninké et roussa en wolof) (Villasante 2016). De manière ordinaire, on
désigne ces groupes sous l’appellation de « caste », mais, comme on l’a déjà noté, cela n’est pas
pertinent en Mauritanie. Contrairement à l’Inde, la hiérarchie entre les groupes statutaires en
Mauritanie n’a pas de fondements religieux, mais politiques pour asseoir la dominance de
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
17
certains groupes sur d’autres. D’autre part, le système de castes de l’Inde conserve une forte
endogamie, qui est très relative en Mauritanie et ailleurs au Sahel.
— La société haalpulaar’en
• La société haalpulaar’en, « ceux qui parlent le pulaar », est la plus nombreuse des minorités
africaines du pays, il s’agit d’une ancienne société de tradition agricole installée dans le Fuuta
Tooro, dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, et qui s’étend sur les territoires sénégalais et
mauritanien. Ceux qui se désignent aussi sous le terme Fuutankooße (sg. Fuutanke), partagent
la même langue avec les Peul, ou Fulbe (sg. Pullo), vaste peuple nomade de l’ouest africain.
Les colonisateurs français les appelèrent « Toucouleur », en faisant référence aux habitants du
Tekrur ancien, les Tukolor. Les hiérarchies statutaires distinguent les groupes libres [rimße, sg.
dimo] des groupes serviles, suivant des nuances associées au degré de dépendance des maîtres.
Les hommes libres peuvent être classés nobles selon leur insertion dans le groupe religieux
[tooroßße], ou dans le groupe guerrier [seßße]. D’autres personnes sont également libres mais
non-nobles, il s’agit des conseillers [jaawamße] et des pêcheurs [subalße]. Les groupes de
métier sont libres mais de basse condition, ils sont englobés sous le terme nyeenyße, courtisansflatteurs ; ils comprennent les musiciens et les griots [awluße], les forgerons [wayluße], et les
cordonniers [sakkeeße], entre autres (Wane 1969 ; Leservoisier 2000, 2005 et 2011).
Photo n° 4 : Femmes haalpular’en (en rose et jaune, à gauche) et hartâniyya (débout à droite)
d’une coopérative féminine de Nouakchott (©Villasante 2013)
• Les groupes serviles sont englobés sous le terme machuße [sg. machu∂o], qui veut dire
esclave. Ousmane Kamara (2000, 2017), l’un des rares chercheurs qui travaille sur les
Mariella Villasante Cervello
18
hiérarchies chez les Haalpulaar’en, a noté que l’appartenance au groupe servile relève, dans
l’idéologie ordinaire, de la notion de substance, et il cite le proverbe : « machu∂o ko machu∂o
ta », « l’esclave est un esclave seulement », il demeure donc un esclave toute sa vie sans
pouvoir échapper à cette condition. Les degrés de dépendance sont exprimés dans les termes
suivants : les esclaves dépendants de leurs maîtres [halfaaße, jiyaabe], les esclaves rachetés
[sootiße], et les esclaves qui se sont libérés eux-mêmes [tajße ßoggi], les affranchis « libérés
pour allah » [∂accanaaße allah], et enfin ceux qui ont rompu avec leur ancien statut, qui sont
« perdus ou aliénés » [majjuße]. Cela étant, les descendants d’esclaves sont toujours nommés
machuße, et l’émancipation réelle reste problématique, les personnes libres refusant de
l’accepter. Cependant, Kamara souligne la naissance d’un nouveau statut, sous le terme
« haaratiin », issu du mot hassaniyya hrâtîn, qui désigne l’ancien esclave haalpulaar’en en
rupture totale avec les liens de domination de la société. Il s’agit pour ces derniers de se
distinguer des machuße, et de revendiquer un statut libre notamment dans les villes, car dans les
villages l’anonymat n’existe pas.
• Dans la société haalpulaar’en, des petites filles sont placées par leurs parents chez des
familles libres —parfois liées à eux par d’anciennes relations de dépendance—, qui, en échange
de leurs services domestiques, en général non-salariés, sont censées les entretenir et leur donner
l’éducation. Elles sont appelées « korguel » [diminutif de kordo, femme esclave], et Ousmane
Kamara (1995, 2017 : 371-419) a examiné leur situation dans la ville de Kaédi. Les petites filles
(à partir de 4 ou 5 ans) korguel travaillent sans salaire, s’occupent des travaux domestiques et
des enfants, servent parfois de concubines aux hommes de la maison, et certaines sont poussées
à la prostitution par les maîtresses qui tiennent des restaurants routiers. Une situation semblable
se trouve chez les Soninké où les petites filles sont dites « kommo lemmé », et chez les Bidân,
où elles sont nommées « khadem », terme arabe qui désigne les femmes esclaves en général.
— La société soninké
• Les Soninké constituent la seconde communauté africaine minoritaire en Mauritanie, ils
sont plus nombreux dans le nord-ouest du Mali (Jonboxo, Jaahunu, Tiringa,Kingi, Baaxunu), et
en moindre mesure au Sénégal (Hayre et Gajaaga). En Mauritanie, ils sont historiquement
installés dans la région du Guidimakha, dont la capitale est Sélibaby et quelques familles
habitent à Kaédi depuis la fin du XIXe siècle.
L’historien François Manchuelle (1989, 2004), qui fut l’un des grands spécialistes de cette
société, note que les Soninké sont très hiérarchisés et conservateurs, peut-être plus que toute
autre société ouest-africaine. Leurs ancêtres ont fondé l’empire du Ghana (VIII-XIIIe siècles).
Au XIXe siècle, ils vivaient organisés soit en États segmentaires (Gajaaga, Diafounou), soit en
villages indépendants (Guidimakha), gouvernés par des clans aristocratiques guerriers (tounka
lemmu), avec leurs dépendants militaires (mangu tounka), et leurs clients/protégés religieux
(moodi).
• Les Soninké sont connus dans l’Afrique de l’Ouest par leurs migrations de commerce sur
de longues distances, entre la vallée du Niger et le fleuve Gambie, et par leur spécialisation dans
le commerce des esclaves tant au niveau interne, que sur le plan du commerce atlantique. Les
commerçants professionnels, appartenant au groupe religieux, recevaient les noms de Diulas ou
Juulas. Installés entre le désert et de la savane, les Soninké étaient de grands producteurs
d’étoffes de coton et de céréales, qu’ils échangeaient contre du sel et du bétail avec les nomades
Bidân. Leurs activités productives, y compris l’agriculture commerciale (riz et mil),
nécessitaient de la main d’œuvre esclave. A la fin du XIXe siècle, la proportion d’esclaves
soninké était de 30% à 50% selon les sources coloniales (Manchuelle 2004).
La hiérarchie statutaire distingue deux grands groupes d’hommes libres, les nobles [hooro,
sg. hoore], et les artisans [niaxamalani, sg. niaxamala]. De même que chez les Haalpulaar’en et
les Bidân, on distingue également deux groupes de nobles : les guerriers [tunkalemmu],
hiérarchiquement supérieurs, et les religieux [modylemmu]. Chez les groupes de métier, on
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
19
distingue les musiciens [jaaro], les forgerons [taago] et les pêcheurs [subbalu] (Pollet et Winter
1971).
• Selon l’anthropologue Yaya Sy (2000 : 46 et sqq.), on distingue plusieurs catégories
d’esclaves : les komo xooro sont les vieux esclaves liés aux pouvoirs royaux, il s’agissait de
captifs de guerre qui constituaient le noyau militaire du système esclavagiste soninké. Les
wanukunko sont les réfugiés qui ont demandé la protection des nobles et qui peuvent être
mercenaires ; les duragandikomo sont les esclaves disponibles en permanence, et se divisent en
deux sous-groupes : les sarido qui sont nés dans la maison des maîtres et qu’on ne peut pas
vendre, en langue bambara [famille mandé] on les appelle woloso, « les chiens de la maison » ;
et les naniuma qui sont les esclaves qu’on peut vendre. Deux autres catégories serviles sont : les
komo-noninto, « esclaves maudits », dont les maîtres ont disparu et qui passent sous la
protection des nobles par peur de la malédiction, et les tolomani, esclaves gagés qu’on peut
déposer chez un créancier comme garantie d’une dette.
• Les migrations des Soninké en France, initiées dans les années 1960, exacerbent les
contradictions entre les héritages statutaires des anciens esclaves, qui constituent la grande
majorité des migrants, et les revendications d’égalité sociale (Manchuelle 2004).
• En Mauritanie, le maintien des groupes serviles soninké est remis en question depuis
plusieurs années, notamment par les militants de l’égalité moderne. Cependant, alors que des
associations communautaires soninké ont déjà vu le jour, l’émancipation des anciens esclaves
est une revendication récente introduite par les Soninké de la diaspora en France. A notre
connaissance, les Haalpulaar’en et les Wolof n’ont pas encore créé d’associations du même
genre.
— La société wolof
• Les Wolof sont une ancienne société fondatrice d’États guerriers dans la vaste région de la
Sénégambie et du sud de la Mauritanie actuelle, dans la région du Trarza, dans le delta du fleuve
Sénégal, désigné sous le nom de Waalo. L’historien (feu) James Searing (1988, 1993, 2000,
2002 :195 et sqq., 2017), brillant spécialiste de cette société, a noté que l’opposition centrale
dans la hiérarchie wolof sépare les nobles geer (y compris l’aristocratie et les propriétaires de la
terre, laman) des ñeeño qui sont des clients qui travaillent pour les autres. Les deux groupes
étaient endogames et ne se mariaient pas entre eux. Chez les ñeeño on distingue les griots
[géwél], les artisans [tegg]. Les paysans libres de basse condition étaient nommés baadolo ou
beykat et les paysans respectables, jaambuur (voir aussi Martin Klein 1998).
• Les esclaves étaient classés collectivement sous le terme de jaam ; et l’on distinguait les
jaami buur, les esclaves des princes, avec trois sous-groupes, les ceddo ou les esclaves soldats,
les surga ou esclaves nés chez les princes, et les jaam juddu, esclaves nés en esclavage. Enfin,
les esclaves paysans étaient nommés jaami baadoolo. Le terme baadoolo désignait les paysans
pauvres qui donnaient des tributs aux nobles ; le statut s’est transformé après la Première Guerre
mondiale et actuellement on parle de beykat, agriculteurs indépendants.
Pour Searing, il s’agit du changement le plus important de la société wolof, responsable de
l’émancipation de la grande majorité des esclaves au tournant du XXe siècle. On ne dispose
d’aucun travail portant sur les Wolof de Mauritanie et leur situation statutaire, mais un
informateur appartenant au groupe des artisans wolof3, les esclaves sont très peu nombreux, et
la distance hiérarchique se maintient plutôt entre hommes libres et groupes de métier. Cela
étant, les Wolof se marient couramment avec les autres groupes ethniques, faisant d’eux une
« société ouverte » et « plus cosmopolite » que les autres.
3
Thiam Mar, entretien à Nouakchott, avril 2015.
Mariella Villasante Cervello
20
Toutes les communautés ethniques de Mauritanie peuvent avoir des esclaves, y compris les
groupes de métier et les anciens esclaves enrichis4, mais on peut noter une concentration plus
importante chez les groupes religieux, dont les activités, en milieu rural, se centrent toujours sur
l’agriculture et l’élevage et, ailleurs, sur le commerce.
Tableau n° 1 : Les hiérarchies statutaires en Mauritanie
Société
Bidân
Haalpulaar’en
Soninké
Groupes libres
bidân [libres/nobles]
arab/hassân [guerrier]
zwâya/tolba [religieux]
znâga [tributaires]
--maallemîn [artisans]
--iggâwin [musiciens]
rimße [libres]
tooroßße [religieux]
seßße [guerriers]
jaawamße [conseillers]
sußalße [pêcheurs]
nyeenyße [courtisans]
--awluße [griots]
--wayluße [forgerons]
--sakkeeße [cordonniers]
hooré [libres]
tunkalemmu [guerriers]
modylemmu [religieux]
nyakhamla [groupes métier]
--jaaro [musiciens]
--taago [forgerons]
--subbalu [pêcheurs]
Groupes serviles
abîd [esclaves]
sûdan/khadriyyin [serviteurs]
nânma [esclaves nés à la maison]
hrâtîn [affranchis]
machuße [esclaves]
halfaaße [esclaves licites)
sootiße (rachetés]
tajße ßoggi [affranchis seuls]
∂acaaße allah [libérés par allâh]
majjuße [affranchis]
korguel [filles domestiques]
haraatiin [ancien esclave]
komo [esclaves]
--komo xooro [captifs de guerre]
--wanukunko [esclaves soldats]
--duragandikomo [esclaves]
---sarido, woroso [esclaves de case]
---naniuma [esclaves à vendre]
--komo-noninto [esclaves du clan]
--tolomani [esclaves gagé]
Wolof
geer [libres]
ñeeeño [groupes de métier]
--géwél/sabb-lekk (griots)
--tegg/jef-lekk (artisans)
ñoole [courtisans]
baadoolo/beykat [paysans]
jaambuur [paysans respectables]
jaam [esclaves]
jaami buur [esclaves des princes]
--ceddo [esclaves soldats]
--surga [esclaves nés chez nobles]
--jaam juddu [nés en esclavage]
jaami baadoolo [esclaves paysans]
(Villasante 2015)
4
Le cas de Hamody ould Mahmoud, un homme de statut servile originaire du Tafilelt marocain, installé à
la ville d’Atar (Adrar) est paradigmatique de la mobilité sociale obtenue par le biais de la richesse
(McDougall 2000). Mohamed Saïd ould Hamody, l’un de ses enfants, devint fonctionnaire étatique,
ambassadeur de Mauritanie aux États-Unis, écrivain, et président du « Manifeste pour les droits
politiques, économiques et sociaux des haratines », il est décédé le 20 août 2015 (voir M. Villasante, août
2015, https://www.noorinfo.com/Hommage-a-Mohamed-Said-Ould-Hamody-Dr-Mariella-VillasanteCervello_a16502.html ).
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
21
I. 3. LES PALIERS D’ÉMANCIPATION ET D’AUTONOMIE DANS LE CADRE
CLIENTÉLAIRE
La quatrième hypothèse de ce document a été exposée dans ma contribution au livre Groupes
serviles au Sahara (Villasante 2000 : 277-322), où j’ai suggéré que ces groupes connaissent des
situations de dépendance diverses selon leur installation en milieu urbain ou rural. La plus forte
dépendance se situe en milieu rural, alors qu’elle est en voie de transformation dans les villes
grâce au salariat, à l’éducation et à l’introduction de l’individualisme. La dépendance est plus
accrue chez les groupes de parenté religieux qui développent des activités agricoles, pastorales
et commerciales nécessitant un apport important de main d’œuvre. Ce sont ces groupes qui
maintiennent les idéologies de légitimation de l’extrême dépendance comme faisant partie de
l’héritage islamique.
Les groupes serviles peuvent ainsi être classés en fonction des critères suivants :
(a) L’insertion dans le rang de soumission totale vis-à-vis des anciens maîtres, proche du statut
des abîd (esclaves licites) : il est plus courant en milieu rural, notamment dans l’est du pays.
(b) Le maintien des relations de parenté (filiation et parenté de lait, en arabe rzâa), d’affection,
de servilité et de protection vis-à-vis des anciens maîtres ; avec des nuances et des
ambivalences liées à l’histoire personnelle des personnes.
(c) Le rejet de tout lien de parenté avec les anciens maîtres et l’affirmation d’un statut de
personne libre, non descendant d’esclaves ; il est plus courant en ville, mais il existe aussi
dans les villages habités exclusivement par des groupes serviles (adwaba chez les Bidân).
Ces variations représentent des paliers d’émancipation et d’autonomie acquis par la volonté des
groupes serviles, favorisés par l’expansion de l’économie de marché, par la pauvreté qui frappe
aussi les familles libres et nobles qui ne peuvent plus protéger, c’est-à-dire entretenir des
familles entières de statut servile comme c’était le cas jadis.
En Mauritanie, les groupes serviles arabo-hassanophones et africains ont un poids
démographique le plus important de tout le Maghreb, et ni l’indépendance, ni la Constitution et
les lois qui criminalisent l’esclavage n’ont rien changé à leur situation. D’un point de vue
global, la majorité des groupes serviles appartient à la classe des affranchis, avec divers niveaux
de relation et de dépendance avec les anciens maîtres qui sont devenus leurs parents, ou se sont
éloignés d’eux. Ils sont majoritairement pauvres, mal éduqués et globalement exclus de la
nation en construction.
Le processus de changement : relations de marché, affranchissements et
nouvelles stratégies économiques en milieu rural et urbain
• La colonisation française introduisit la modernité économique des relations de marché
capitaliste en Mauritanie. Le développement des villes qu’elle favorisa fit apparaître un marché
du travail où la main d’œuvre des groupes serviles était indispensable pour construire des
maisons, vendre des produits importés ou locaux, et pour développer le petit commerce
alimentaire et des services. Ann McDougall a publié des articles sur ce processus dans la ville
d’Atar, en Adrar (2000, 2005, 2007).
• De manière progressive, comme dans le cas de la vallée du Ziz marocain (Hsain Ilahiane
2001), les affranchissements légaux ou de fait s’affirmèrent dans le pays par les migrations du
travail dans les villes, et même au Sénégal et au Mali. Ce processus qui commença après la
Seconde Guerre mondiale, se développa dans les années 1970, lorsque les maîtres n’eurent plus
les moyens de posséder et d’entretenir des groupes soumis au niveau le plus fort de dépendance.
Cependant, contrairement au cas de la vallée du Ziz, les nouveaux affranchis n’achetèrent pas
des terres pour transformer le rapport hiérarchique qui les unissait aux anciens maîtres. Du
Mariella Villasante Cervello
22
moins dans les zones oasiennes qui étaient les seules, avec quelques zones de la vallée du fleuve
Sénégal, où la propriété de la terre était possible.
• De manière générale, dans les zones sahélo-sahariennes de Mauritanie, la propriété de la
terre utile à l’agriculture (oasis, champs situés en bordure du fleuve Sénégal) est réservée aux
familles libres et/ou nobles. Les groupes serviles ont le droit d’usage des terres en échange des
redevances fixées par le droit coutumier (orf), et par la loi islamique pour tout ce qui concerne
l’héritage. Dans les zones de diéri l’appropriation est précaire car elle peut changer chaque
année en fonction des pluies (le semis de diéri se fait entre juin et juillet, FAO RIM). La majorité
des terres utiles à l’agriculture a été enregistrée depuis la période coloniale, et la Loi foncière de
1983 légalise le droit de propriété de la terre aux travailleurs, mais elle est restée lettre morte
dans la majorité des cas, sauf dans la région du fleuve en raison de plusieurs faits. D’une part,
seuls certains maîtres de la terre ont enregistré leurs terrains ; d’autre part, la mise en place des
barrages de Diama et Manantali en 1986 a transformé l’accès aux terres dans la vallée car les
crues ont disparu. En outre, les violences étatiques des années 1989-1991 contre les originaires
de la vallée ont impliqué la confiscation pure et simple de nombreuses terres au bénéfice des
affranchis hrâtîn qui avaient participé aux attaques massives contre les « Sénégalais ». Enfin, à
partir de 2010, l’État attribue en concession, pendant de longues décennies, des milliers
d’hectares de terres à des investisseurs étrangers (Saoudiens et Qataris notamment). Autant de
facteurs qui contribuent au désordre actuel dans la région du fleuve Sénégal (Dia 2017 : 520525).
• Lorsque cela est possible, et lorsque les maîtres traditionnels de la terre agricole (au fleuve
et au nord) le permettent, les affranchis peuvent rester sur les terres des anciens maîtres et
acquérir le statut de métayers, avec des redevances allant du cinquième à la moitié de la récolte,
suivant le droit coutumier et la loi islamique.
D’autre part, les affranchis ou les cadets (qui n’ont pas droit à la terre) peuvent décider de
migrer dans une zone non occupée et devenir des petits paysans, notamment dans des zones peu
fertiles où ils peuvent enregistrer leurs terres collectivement ou à titre individuel.
Une autre possibilité est de migrer en ville et de s’insérer dans le tissu des petits travaux
citadins.
Une dernière possibilité, adoptée par un nombre important de familles d’affranchis, est
d’effectuer des migrations temporaires de travail, tout en gardant leurs racines dans un village
peuplé exclusivement par des affranchis, les adwabe ou villages de liberté fondés par les
administrateurs coloniaux (Villasante 1991, 2000).
La cadre islamique de l’affranchissement : de l’extrême dépendance
aux liens de clientèle
• Dans le cadre islamique, le statut servile peut être plus long et plus ancré, comme le note
Ennaji (2007 : 65-75). Le mot arabe al-hurr veut dire « libre » et vient du verbe harra, qui
désigne deux réalités : la liberté réelle, hurriya, de l’homme libre et pur qui est entièrement à
lui-même et qui n’a de dépendance envers personne ; et la liberté de l’esclave affranchi,
exprimé par le terme al-harâr. Or, plusieurs termes arabes désignent le degré de relation
filiative avec un ancêtre esclave, par exemple mukarkass, « qui descend d’une lignée de deux ou
trois générations d’esclaves » ; et musba, « celui qui descend de sept générations d’esclaves ».
Et de conclure : « La servitude avait donc une épaisseur qui en faisait un réservoir de
dépendants de toutes sortes à la disposition des groupes dominants. C’est que liberté et
servitude constituaient l’envers et l’endroit du lien d’autorité. »
• La situation d’affranchissement implique le passage de la condition de dépendance totale
aux maîtres aux relations de clientèle, en arabe : walâ. Le patron et le client sont dits mawâli
(sg. mawlâ), et les mêmes termes sont employés dans le fikh (droit musulman) qui dispose que
les liens clientélaires sont maintenus à perpétuité en suivant la lignée agnatique des affranchis
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
23
(Brunschwig 1960 : 31). A partir du cas marocain, Ennaji (1997 : 95 et sqq.) explique que la
servitude n’était pas totalement brisée par l’affranchissement, y compris contractuel
(moukataba) qui consistait à octroyer la liberté moyennant un payement échelonné au maître
d’une somme convenue entre eux. L’abd affranchi devenait hartânî, littéralement un « homme
libre de second ordre ». En fait, le processus de libération des anciens dépendants abîd et leur
acceptation dans le groupe des hommes libres, s’étire sur de nombreuses années. Malgré les
changements sociaux et les lois modernes, le passé servile reste comme une « tache
d’impureté » ancrée dans les mentalités collectives. Rappelons ici qu’Ennaji (2007 : 64 et sqq.)
a bien montré le lien entre la liberté et la pureté, et entre l’esclavage et l’impureté :
« La pureté est le point nodal de la notion de liberté. Aucune tache, aucun vice n’est de
propos dans une telle situation, l’adjectif qui donne sa consistance et sa réalité à la liberté
est khâliss, c’est-à-dire pur —et par hasard aussi blanc. Est-ce dire que l’affranchi n’est
pas pur ? Certes, l’affranchissement accompli dans les règles de l’art fait accéder à un
nouveau statut censé être celui d’un homme libre. (…) [Dans le Coran] l’adjectif tahrir,
le plus communément usité, fait référence à l’état de harar [esclave affranchi] et non de
hurriya ou liberté différenciant nettement l’homme libre de l’affranchi. Les Arabes à
l’époque n’affranchissaient pas réellement leur muharrar [libérés]. » [C’est moi qui
souligne].
Photo n° 5 : Jeune homme de statut servile vendant des habits au marché Capital de
Nouakchott (©Villasante 2006)
• On peut rapprocher cette situation de celle des Wolof qui étant jaam, esclaves, devenaient
des paysans (baadolo) qui conservaient leur statut de dépendance comme métayers et/ou
Mariella Villasante Cervello
24
tributaires pendant une ou deux générations. Cependant, à l’instar des Bidân et des Arabes, les
Wolof considèrent également que les esclaves ont une « tache », une sorte « d’impureté du
sang » qui s’hérite par voie maternelle (Searing 1988 : 490-492 ; 1993 : 57). Selon Yoro Diaw
(1847-1919), un aristocrate qui informait les érudits français de Dakar et qui est le principal
chroniqueur de l’histoire des Wolof, la seule voie pour l’émancipation était la fuite des esclaves
loin de chez eux.
L’affranchissement coutumier chez les Haalpulaar’en
• Dans la société haalpulaar’en, Kamara (2000 : 265-289) note que les descendants
d’esclaves sont nombreux, et qu’ils connaissent un processus de changement identitaire pour
améliorer le statut des esclaves [machuBe]. Certains reconnaissent cette situation et sont
nommés jaßße, « ceux qui acceptent les coutumes » ; alors que les autres, les majjuße, veulent
rompre leurs liens avec les anciens maîtres. Plus récemment, certains machuße se font appeler
haraatiin notamment dans les villes, où les origines peuvent rester cachées, ils prétendent ainsi
de se libérer du statut d’esclave, ce sont des « révoltés ». Le troisième groupe servile est celui
des Safalße Hormankooße, d’origine culturelle bidân selon certains, et souvent hassanophones.
Pour les hommes libres et nobles (rimbe, sg. dimo), ces groupes sont des variantes de la
condition servile. Selon Kamara, si sur la rive mauritanienne du fleuve Sénégal les machuße
cherchent à s’émanciper du statut d’esclave en se rapprochant de la culture des Bidân et de la
religion, sur la rive sénégalaise, les Haalpulaar’en de condition servile ont tendance à se
« wolofiser ».
• De son côté, Leservoisier (2000 : 147-167, 2005 : 987-1013) a analysé la situation de
hrâtîn qui se sont « pulaarisés » dans la région du Gorgol, améliorant leur situation statutaire,
tout en conservant d’autres dépendances. Dans tous les cas, l’idéologie de la pureté du sang est
attestée par la séparation des statuts entre personnes libres et d’origine servile.
En tenant compte de ces observations, la cinquième hypothèse considère que la tache
d’impureté de la servilité est associée en premier chef au statut servile et non pas à
l’appartenance des groupes serviles aux groupes ethniques. Le statut servile et la « race
africaine » ne sont pas synonymes.
Deuxièmement, le processus de libération dépend en grande mesure du statut des familles libres
auxquelles les groupes serviles étaient rattachés. Les familles les plus conservatrices sont, de
manière générale, de statut religieux, elles habitent l’est du pays, où le mode de vie pastoral et
agricole a pu mieux se maintenir que dans le reste de la Mauritanie. A l’autre pôle, les familles
les plus libérales sont celles qui ont un niveau éducatif supérieur à la moyenne et qui tentent
d’améliorer le sort de leurs dépendants. Au milieu, je placerais volontiers la majorité des
familles pauvres et des classes moyennes qui tiennent à maintenir « leurs hrâtîn » dans une
situation de dépendance en tant que signes extérieurs de richesse et de dominance, comme dans
l’ancien temps.
Cela étant posé, il est évident que l’idée de l’impureté des personnes d’origine servile est très
fortement ancrée dans la société mauritanienne, mais aussi, comme le note Ennaji (2007 : 72) au
Maghreb et dans l’Arabie ancienne où les personnes de statut servile étaient classées selon leur
généalogie servile.
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
25
Les paliers d’autonomie statutaire selon les identités des affranchis (hrâtîn) de
Nouakchott
• Meskerem Bhrane (2000 : 195-234) a étudié finement les relations entre le pouvoir et
l’identité des affranchis de Nouakchott, englobés sous le terme hrâtîn, en relation avec les
bidân, personnes libres. Ces relations peuvent être placées dans le cadre large des trois paliers
de dépendance énoncés dans la quatrième hypothèse de ce document.
Photo n° 6 : Homme de statut servile, hartânî, vendant des bâtons pour curer les dents (atil)
dans une rue centrale de Nouakchott (©Villasante 2014)
M. Bhrane avance que l’auto-identification comme « hrâtîn » exprime le rejet de
l’hégémonie politique des bidân ; alors que l’identification des hrâtîn comme faisant partie du
groupe bidân reflète l’ambivalence des relations avec le groupe dominant. En fait, le terme
« bidân » a deux sens, l’un est culturel et linguistique (ceux qui parlent hassaniya), et de ce
point de vue les hrâtîn sont culturellement des Bidân. L’autre sens est statutaire et il est mis en
Mariella Villasante Cervello
26
avant pour marquer la distance hiérarchique qui sépare les deux groupes hassanophones. En
deuxième lieu, Bhrane (2000 : 204) considère que le mot ‘abd (esclave licite) est devenu tabou
pour les citadins modernes de Nouakchott, et que le terme hrâtîn est utilisé comme un
euphémisme pour parler des ‘abîd. Ce terme est également employé de manière dépréciatrice
pour classer les hrâtîn affranchis. En troisième lieu, Bhrane analyse la situation identitaire de
cinq hrâtîn installés à la capitale :
— l’histoire de Hadama, une femme qui a choisi de retourner auprès de son ancien maître
après s’être enfuie, met en évidence le fait que la conscience politique est insuffisante pour
obtenir l’autonomie ;
— le cas de M’barek explicite l’ambiguïté de la soumission ou de l’extrême dépendance, car
bien qu’il soit né abd, il est devenu le serviteur libre d’un chef religieux, alors que sa fille
considère qu’il est manipulé pour qu’il reste sous le joug de l’esclavage ;
— l’histoire de Lemine montre que tous les hrâtîn ne se considèrent pas comme des
« descendants d’esclaves », il se considère comme bidânî et comme membre à part entière de sa
qabîla (groupe de parenté), à laquelle il se sent très attaché ;
— l’histoire de Mahmoud et de Mabrouka, manifeste leur rejet de l’hégémonie des bidân
(statuaires) ; ainsi, ils refusent les liens de parenté avec leurs anciens maîtres, et perçoivent des
différences culturelles entre bidân et hrâtîn (dont la musique) ;
— enfin, l’histoire de Mahmoud, un enfant d’âdwâbe (les villages de liberté fondés par les
administrateurs coloniaux), revendique l’autonomie des hrâtîn, facilité par l’absence de bidân
dans les lieux et par leur autosuffisance économique.
Ces histoires personnelles rendent compte de la multiplicité des cheminements identitaires
des personnes de statut servile et le fait qu’il s’agit d’un processus en cours, qui nécessite de
longues années de stabilisation.
Photo n° 7 : Dirigeants du mouvement de défense des droits des groupes serviles arabophones,
El Hor dans leur siège de Nouakchott (©Villasante 2015)
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
27
II. ANALYSE DES TERMES UTILISÉS DANS LA LOI 2015-031 : ESCLAVAGE ET
TRAVAIL FORCÉ
Le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, axe central du système démocratique
moderne, était présent dans la première Constitution de la République Islamique de Mauritanie.
Néanmoins, l’égalité et le travail décent ne se concrétisent pas encore en Mauritanie. Il s’agit de
changements structuraux profonds qui nécessitent du temps long.
LA LOI 2015-031 : ESCLAVAGE ET CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
La société mauritanienne reste très hiérarchisée, et l’économie reste dominée par le travail
informel, la surexploitation (« durée du travail excessive ») et le manque de contrôle étatique du
marché de l’emploi.
Les pressions des pays du Nord, et des organisations de défense des droits humains de
l’ONU et l’OIT/BIT (1992, 2004, 2006, 2016), ont conduit à l’adoption de trois lois contre
« l’esclavage », celle de 1980, celle de 2007 et enfin celle de 2015.
En mars 2015, le président mauritanien a demandé l’avis des oulémas sur la question de
l’esclavage, préparant la population à la promulgation d’un projet de loi qui devait être débattu
au Parlement. Le 31 mars 2015, la Ligue des oulémas de Mauritanie a émis une fatwa5
déclarant :
« Après examen minutieux de la situation socio-politique de la société mauritanienne ;
après étude des questions de la charia qui engagent la société ; après examen de la fatwa
édictée par les oulémas en 1981 et de la décision de l’Autorité promulguant l’abolition de
l’esclavage en Mauritanie : toutes les pratiques esclavagistes sont considérées à partir de
cette date, illégales du point de vue de la charia. L’ensemble des parties concernées sont
conviées à œuvrer à l’éradication des séquelles de ce phénomène qui s’est perpétué à
travers l’histoire. La Ligue lance un appel à toutes les parties concernées afin de prendre
en considération cette décision, c’est le devoir religieux que tous, chacun en ce qui le
concerne, doit accomplir. » (Mauriweb, Le quotidien de Nouakchott du 6 avril 2015).
Cette fatwa constitue une avancée notable pour le changement des mentalités qui tolèrent les
hiérarchies et les pratiques d’asservissement en Mauritanie, en plaçant la lutte contre l’esclavage
comme un devoir religieux.
Le 12 août 2015, le conseil des ministres a adopté une Loi abrogeant et remplaçant celle de
2007, déclarant l’esclavage « crime contre l’humanité6 ». L’emploi de ce terme issu du droit
humanitaire international est destiné à renforcer le caractère impérieux et imprescriptible des
crimes contre les droits humains.
D’autre part, pour la première fois, on apporte une définition claire des termes « esclave » et
« esclavage », malgré le discours parallèle qui nie son existence7 :
« Article 3 : au sens de la présente loi on entend par :
Esclavage : état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de
propriété ou certains d'entre eux.
L’esclavage comprend :
- tout acte de capture, d'acquisition ou de cession d'un individu en vue de le réduire en
5 Voir le texte intégral : http://mauriweb.info/index.php/actualite/5032-fatwa-contre-lesclavage-lesoulemas-feront-ils-mieux-que-le-legislateur.html [consulté le 20 mai 2015].
6 Voir le texte intégral : http://cridem.org/C_Info.php?article=669518 [consulté le 22 mai 2015].
7 Le président Aziz a donné un entretien à TV5 où il est très explicite :
https://www.youtube.com/watch?v=dUdwDHbSahM
Mariella Villasante Cervello
28
esclavage, de le vendre ou de l’échanger ;
- toute forme de servage ou de servitude pour des dettes,
- toute forme de travail forcé.
- tout acte de commerce ou de transport d’esclaves.
Placement : pratique en vertu de laquelle :
- une femme est, sans qu'elle ait le droit de refuser, promise ou donnée en mariage
moyennant une contrepartie en espèces ou en nature versée à ses parents, tuteur, famille ou
à toute autre personne ou groupe de personnes ;
- le mari d'une femme ou la famille de celui-ci qui la cède ou tente, à titre onéreux ou
autrement, de la céder à un tiers ;
- la transmission par succession d’une femme, à la mort de son mari, à une autre personne ;
- la remise d’un enfant, soit par ses parents ou par l'un d'eux, soit par son tuteur, à un tiers,
contre paiement ou non, en vue de l'exploiter ou de le soumettre au travail.
Servage : condition de quiconque qui est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et
de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette dernière,
contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa
condition.
Servitude pour dettes : état ou condition résultant du fait qu'un débiteur s'est engagé à
fournir, en garantie d'une dette, ses services personnels ou ceux de quelqu'un sur lequel il a
autorité, si la valeur équitable de ces services n'est pas affectée à la liquidation de la dette ou
si la durée de ces services n'est pas limitée ni leur caractère défini.
Esclave : l'individu sur lequel s'exerce le statut d’esclavage. »
• D’une manière générale, et malgré la mention de la loi islamique, la Loi 2015-031 s’inspire
du droit positif occidental car la sharia (loi islamique) ne prohibe pas l’esclavage et ne le
sanctionne pas non plus. D’où le flottement de la position des personnalités religieuses sur le
bienfondé de cette nouvelle loi en Mauritanie.
• Dans la Loi 2015-031, l’esclavage est défini comme « l’état ou condition d’un individu sur
lequel s’exercent les attributs de propriété ou certains d’entre eux. » (Art. 3). Cette définition
correspond à celle proposée dans la loi islamique, où les esclaves (abîd, sg. abd) sont classés
comme des biens meubles qui peuvent faire l’objet de propriété, de location, de vente et
d’héritage. Cependant, on peut estimer que ces situations sont devenues extrêmement rares en
Mauritanie.
• Sont explicitement interdits les pratiques « d’esclavage contemporain », suivant la
terminologie du droit international. Il s’agit de l’esclavage proprement dit, du servage, du travail
forcé, du placement, du servage, de la servitude pour dettes. Enfin, un nombre important
d’articles de cette Loi (Articles 4 à 27), concerne les infractions et les sanctions ; ce qui montre
l’importance accordée à la justice dans le domaine des pratiques serviles en Mauritanie.
• En dehors du poids des pressions occidentales, la promulgation de cette nouvelle loi peut
être interprétée comme une avancée de la vision réformiste de l’islam en Mauritanie. C’est ainsi
que des érudits réputés et souvent associés aux positions conservatrices critiquent aujourd’hui
« l’esclavage ». C’est par exemple le cas de Cheikh Mohamed el-Hassen ould Dedew, dit
Cheikh Dedew, qui après la fatwa des oulémas du 31 mars 2015 interdisant l’esclavage, a lancé
lui-même une fatwa affirmant que « l’esclavage historiquement pratiqué en Mauritanie n’est
pas l’asservissement légalisé par l’islam ». Plus précisément :
« L’esclavage mentionné dans le saint Coran et la sunna dispose de règles précises, de
pratiques et de droits clairs, d’éthique limpide. [Dans Le Coran il est dit] ne dites pas mon
esclave, mais mon fils, ma fille, vos frères qu’Allah vous a donnés comme il peut en faire
vos maîtres. Celui qui possède des frères doit les nourrir de ce qu’il mange et les habiller
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
29
de ce qu’il porte et ne pas exiger d’eux plus qu’ils ne peuvent, sinon les aider. La charia a
apporté beaucoup de choses que nous n’avons pas vues pratiquer dans les rapports
existants chez les esclavagistes dans ce pays. » [Essirage, CRIDEM du 14 avril 2015].
Cheikh Dedew apporte ainsi une caution religieuse et personnelle au mouvement de critique
de l’esclavage dans les milieux des oulémas mauritaniens.
Les points faibles de la Loi 2015-031
Cependant, la nouvelle loi présente des points faibles qu’il faut expliciter.
• D’abord, elle ne tient pas compte de la situation dans laquelle se trouve la majorité des
groupes serviles, formellement affranchie, libre et autonome, mais qui reste discriminée
socialement à cause du lien idéologique établi entre l’ascendance servile et l’impureté statutaire.
Sur cette question la loi reste silencieuse, alors qu’en dernière analyse, c’est là que se situe le
nœud du problème social posé par les groupes serviles arabo-hassanophones et africains en
Mauritanie.
• Deuxièmement, aucune campagne nationale de promotion de l’égalité moderne n’a été
déployée dans le pays, et l’État s’est contenté de créer une agence (« Tadamoun », solidarité en
arabe) censée aider les groupes serviles à améliorer leur situation éducative (construction
d’écoles en milieu rural), et leur alimentation (distribution de nourriture). C’est-à-dire que
l’assistentialisme prédomine au niveau étatique, alors qu’il s’agit de promouvoir les valeurs
d’égalité sociale, de non discrimination et de travail digne.
• En troisième lieu, la loi se concentre sur les sanctions de justice qui répriment le « crime
contre l’humanité » que représente « l’esclavage », mais elle ne dit rien sur le problème sousjacent : celui de la pauvreté (31-33% en 2018) et de la difficulté de l’État à créer les conditions
d’un développement durable pour tous les citoyens mauritaniens.
• Enfin, il n’y a pas eu de Décret d’application, ce qui est une source de blocage important
pour la mise en œuvre concrète de la loi.
III. LE CONTEXTE DU SOUS-DÉVELOPPEMENT ET DE GRANDE PAUVRETÉ DE LA
MAURITANIE ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL
• Selon le PNUD et la Banque Mondiale, la Mauritanie est classée parmi les pays à revenu
intermédiaire-inférieur depuis 2011 ; malgré le fait qu’elle a enregistré une croissance
économique de 5% en moyenne depuis 2012. Cette croissance ne bénéficie donc pas aux
populations, dont le taux de pauvreté est passé de 42% en 2008 à 31-33% en 2014. La pauvreté
est surtout concrétisée en milieu rural (44,4%), alors qu’en milieu urbain elle est estimée à
16,7%. Le Rapport Mondial sur le Développement Humain classe la Mauritanie en 157ème
position sur 185 pays (PNUD et BM 2018).
• En 2008-2009, l’Office national de la Statistique (ONS) de Mauritanie a réalisé une
cinquième enquête nationale sur les conditions de vie des ménages. Il en ressort que les 20% les
plus pauvres de la population se partagent seulement 6,3% de la dépense totale des ménages,
alors que les 20% les plus riches se partagent 44% de cette dépense (PNUD 2009).
• En 2015 a été publié le Rapport national sur le développement humain (RIM, PNUD
2015). Voici quelques indicateurs d’intérêt, très proches des résultats de l’enquête ENS-SI
2017 :
— Le secteur primaire (agriculture, élevage, pêche artisanale) représente 30% du PIB et
occupe plus de 28% de la population active en 2013 ; les activités sont essentiellement de type
informel.
Mariella Villasante Cervello
30
— Depuis 2006, le secteur secondaire représenté par les industries extractives, jouent un rôle
croissant, représentant 27,3% du PIB.
— Le secteur industriel reste embryonnaire (transformation de produits semi-finis et des
matières premières importées, qui limitent leurs valeurs ajoutées). Il représente seulement 7,9%
du PIB.
— Le secteur des bâtiments et travaux publics demeure une source importante de croissance
du PIB, d’emplois et d’essor des activités associées (commerce des matériaux de construction,
industries du ciment, fabrication de matériaux).
— Le secteur tertiaire marchand (transports, télécommunications, activités financières) se
développe depuis 2004, il représentait 35% du PIB en 2014.
— Le FMI considère que la politique macro-économique du pays est « responsable ».
— L’incidence de la pauvreté est passée de 52% en 2000 à 31% en 2014 ; avec de grandes
disparités entre le milieu rural (44,4%) et le milieu urbain (16,7%). Les travailleurs agricoles
connaissent les incidences de pauvreté les plus élevés et qui sont en augmentation, passant de
54% en 2008 à 59,6% en 2014.
— L’extrême pauvreté s’est réduite, passant de 25,9% de la population totale en 2008 à
16,6% en 2014. Cependant, elle concerne surtout le milieu rural (25,1%), et moins le milieu
urbain (7,5%) en 2014 (RIM, PNUD 2015 : 12-14).
Conditions de travail des groupes serviles, des groupes libres et des enfants
• Le recrutement des personnes de statut servile se réalise selon diverses méthodes : en
milieu rural, il est courant qu’elles travaillent pour leurs anciens maîtres et/ou protecteurs avec
lesquels elles ont des relations de parenté et d’affection. Cependant, si les maîtres sont absents,
les groupes serviles cherchent du travail auprès des familles libres qui nécessitent leur main
d’œuvre pour les travaux agricoles, pastoraux, ou modernes (commerce, métiers manuels). Les
groupes serviles réalisent des travaux temporaires et saisonniers dans les villes : les hommes
cherchent des emplois dans les activités manuelles citadines (maçons, garagistes, déchargeurs),
et les femmes cherchent des emplois domestiques, ou s’occupent de la vente de produits
alimentaires dans les marchés ou les rues. D’une manière générale, les personnes de statut
servile peuvent être maltraitées par leurs employeurs, mais rares sont ceux qui se plaignent de
ces actes car ils sont considérés comme « normaux ».
• Les travailleurs de statut libre sont également soumis à des conditions de travail et de vie,
ordinaires dans le pays du Tiers Monde comme la Mauritanie, mais dénoncées comme
contraires à la dignité humaine par l’OIT. Les contrats de travail sont rares et concernent
presqu’exclusivement les institutions de l’État, les grandes entreprises privées et les banques.
Les employés sont soumis à un rythme de travail qui ne respecte ni les horaires, ni les périodes
de repos, ni les vacances, ni la protection sociale. Ils peuvent être licenciés ou punis avec des
suspensions du travail et de salaire selon le bon vouloir des employeurs. Ils peuvent aussi
supporter des sévices et des violences verbales et physiques. Les employés maintiennent des
dépendances multiples avec les employeurs/patrons, les seuls qui peuvent leur donner du travail,
un logement ou des faveurs diverses. Comme il a été noté, tous les Mauritaniens font partie d’un
cercle clientélaire qui leur assure un minimum de protection sociale, que l’État est bien
incapable de leur fournir.
• Les enfants mauritaniens sont en général en situation de dépendance extrême, d’abord visà-vis de leurs parents, et ensuite des adultes qui leur offrent un travail, le plus souvent, dans des
conditions pénibles et classées comme « travail forcé » dans les pays occidentaux.
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
31
• Les enfants sont maltraités de manière courante par leurs propres parents et par leurs
proches ; les mères considèrent que la violence physique est « obligatoire » pour « éduquer les
enfants ». Cela est moins évident dans les couches éduquées et aisées de la population qui
considèrent que c’est par la parole qui doit se transmettre la bonne éducation.
• Les activités de travail des enfants sont observables : en milieu rural (cultures et agropastoralisme, portage d’eau, recherche de bois), et en milieu urbain (aide aux parents dans les
petits métiers citadins, transport d’eau dans des charrettes tirées par des ânes). Des nombreux
enfants travaillent comme employés domestiques et c’est dans ce contexte qu’on peut trouver la
surexploitation, les sévices et les punitions dont ils font l’objet, tout comme leurs mères.
Synthèse des données statistiques
Le tableau suivant synthétise les informations les plus intéressantes pour l’étude de la
question servile et le travail forcé des adultes et des enfants en Mauritanie.
Tableau n° 2 : Synthèse des données statistiques sur la population et le travail
selon les milieux rural et urbain (ONS 2017)
Informations
Population
(ONS 2017)
Scolarisation (+10 ans)
Population en âge de
travailler
Marché du travail
Hommes
Femmes
Activités informelles
Taux chômage
Jeunes (14-35 ans)
Résultats généraux
3 833 888
55% -20 ans
58%
Primaire 44%
52,7%
61% a moins 35 ans
Milieu rural
50,4%
Milieu urbain
49,6%
28,5% à Nouakchott
28% à Nouakchott
2/3 main œuvre
59,6%
28%
91% (non agricole)
11,8%
44% (ni école ni travail)
Emploi salarié
38,8% (hors agriculture)
19,7%
53,9%
Secteur informel
63% population
35% non agricole
95% (jeunes -25 ans)
UPI (Unité production
Informelle)
52% hommes
48% femmes
40% chefs UPI
44% commerce
21% services
26% manufactures
38% Nouakchott
67% (moyenne)
59,4% femmes
72,5% sans formation
20%
71% (non salariés)
64,7%
33% femmes
13% femmes
Travail décent
Durée excessive
(+40h/semaine)
Emploi précaire
(Enquêtes ENE-SI, RIM-ONS 2017)
On observe que la population en âge de travailler est concentré à Nouakchott (28%), qu’elle
représente les 2/3 de la main d’œuvre disponible dans le pays ; une grande majorité (61%) a
moins de 35 ans.
En ce qui concerne le marché du travail, il est massivement investi par les hommes (près de
60%), le double des femmes au travail (28%).
Mariella Villasante Cervello
32
Les activités informelles occupent environ 63% de la population, dont 35% non agricole ; les
jeunes de moins de 25 ans sont massivement occupés dans les activités agro-pastorales (95%).
A propos du travail décent, une majorité de travailleurs (67% en moyenne), notamment les
personnes sans formation (72,5%), les travailleurs agricoles non salariés (71%) et les femmes
(59,4%) sont surexploités. Ces secteurs de la population mauritanienne ont probablement un
statut servile, ou sont de statut libre et très démuni.
Photo n° 8 : Femme vendeuse de parures féminines au marché Capital de Nouakchott
(©Villasante 1998)
§
Les formes extrêmes de dépendance en Mauritanie
33
CONCLUSIONS
(1) La société mauritanienne reste fondée sur une structure hiérarchique statutaire qui insère
les personnes, selon leur généalogie, dans le statut libre ou dans le statut servile. Les
transformations de cet état de choses ont commencé avec l’émergence d’une république
indépendante en 1960 ; mais le mode de vie traditionnel, agricole et pastoral, a continué à
fonder les activités économiques et sociales jusqu’aux années 1970. La grande sécheresse a
profondément changé l’ordre social des sociétés sahéliennes, qui ont dû être secourues par les
États pour survivre. Cela étant, l’État et la nation modernes en Mauritanie, et ailleurs au Sahel et
en Afrique, restent un horizon à atteindre, et ne constituent pas encore un fait social concret.
(2) L’État mauritanien s’est plié aux conseils internationaux et aux demandes sociales
internes pour instaurer le principe de l’égalité sociale moderne, mais il n’en reste pas moins que
cette acceptation de principe ne constitue pas encore une réalité aujourd’hui. Comme ailleurs
dans les sociétés traditionnelles du Sud la route du changement est encore longue pour
moderniser et pour améliorer les conditions de vie des citoyens qui restent marquées par la
pauvreté, par un niveau éducatif médiocre, par une mauvaise gouvernance, et par une espérance
de vie réduite (63 ans) par rapport aux autres pays du Nord de la planète.
(3) La Loi 2015-031 constitue une grande avancée dans la politique de modernisation de la
société mauritanienne. Elle déclare en effet que les hiérarchies anciennes, toujours actives,
doivent être abolies, en particulier l’esclavage, défini comme la propriété d’une personne par
une autre personne. Néanmoins, alors que selon la Constitution de la République Islamique de
Mauritanie, la seule source du droit est l’islam, la Loi 2015-031 montre que l’État mauritanien a
décidé de faire primer le droit positif dans la criminalisation de l’esclavage. Dans ce cadre, il
importe de tenir compte du fait que l’esclavage n’est pas interdit dans la loi islamique (sharia),
qui n’inclut pas non plus de sanctions contre les propriétaires d’esclaves. Cette question
représente une source de débat et d’opposition parmi les autorités religieuses traditionnelles
(oulémas, imams). Cela étant posé, l’État mauritanien a décidé d’imposer l’abolition formelle de
l’esclavage et a déclaré qu’il constitue un « crime contre l’humanité », et, pour mieux asseoir
cette décision, il a obtenu le soutien de certaines personnalités religieuses officielles. Le fait est
inédit dans l’histoire de la Mauritanie, mais le débat reste ouvert et il n’y a pas encore une
acceptation unanime du bien fondé de la Loi 2015-031.
(3) D’un point de vue anthropologique, la situation des groupes serviles mauritaniens peut
être mieux appréhendée en tenant compte des acquis de la recherche. Plutôt qu’utiliser le terme
« d’esclavage », l’on propose avec d’autres auteurs collègues (M. Bhrane, J. Searing, R. Taylor,
O. Kamara) de parler plutôt de « formes extrêmes de dépendance », de « relations de servilité »
et de « groupes serviles ».
(4) Cela étant posé, si la structure globale de cette société est relativement connue, il reste
beaucoup de sujets à actualiser depuis une quinzaine d’années, lorsque les recherches ont été
stoppées en raison de la situation d’insécurité en Mauritanie (des attentats d’AQMI) et de la
guerre au Mali. Les seules données globales — que j’ai essayé d’esquisser dans ce document —
sont insuffisantes pour appréhender une réalité complexe et largement ignorée, et pour faire en
sorte de comprendre les lignes d’opposition ou d’acceptation face à un projet national, dont
aujourd’hui encore l’on méconnait l’impact dans les trois quarts du pays.
§§§
Mariella Villasante Cervello
34
RÉFÉRENCES
Documents
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