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La recherche comme espace de médiation interdisciplinaire

1999, Sociologie et sociétés

Article « La recherche comme espace de médiation interdisciplinaire » Jules Duchastel et Danielle Laberge Sociologie et sociétés, vol. 31, n° 1, 1999, p. 63-76. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/001205ar DOI: 10.7202/001205ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 23 October 2015 02:51 Sociologie et sociétés, vol. XXXI, n° 1, printemps 1999, p. 63-76 La recherche comme espace de médiation interdisciplinaire JULES DUCHASTEL et DANIELLE LABERGE Département Université C.P. H3C Canada XXXI1printemps 8888 3P8 Succ. succ. dude Québec Centre-ville sociologie Centre-ville 1999à Montréal Montréal Montréal (Québec) (Québec) L'univers contemporain de la connaissance scientifique est structuré par la présence de disciplines. Celles-ci sont le produit d'une double détermination, sociale et épistémologique. L'«archéologie du savoir» (Foucault, 1969) et la sociologie de la connaissance ont montré que les domaines disciplinaires sont produits socialement à travers les divers processus d'institutionnalisation et de professionnalisation. Les disciplines s'inscrivent à ce titre au cœur de la régulation sociale. Pour ce faire, elles procèdent au découpage des objets sociaux et à la production de connaissances spécialisées. Il s'ensuit que les disciplines peuvent difficilement restituer l'intégralité des objets qu'elles font leurs. Ces derniers ne sont en effet jamais entièrement saisissables par le travail de mise en connaissance qu'ils subissent et ils conservent inévitablement une autonomie relative. Sur le plan épistémologique, la tension entre spécialisation et complexité (Atlan, 1979, 1991; Stengers, 1987; Morin, 19911) contribue à la mise en discipline des domaines de connaissance. Le découpage des objets et la spécialisation des connaissances ont longtemps été conçus comme la condition méthodique d'une connaissance formelle (Wallerstein, 1996). Si cette conception est maintenant de plus en plus battue en brèche, elle explique bien la diversification des approches disciplinaires. Elle explique également les limites inhérentes des connaissances qu’elles produisent dans la compréhension des choses. Puisque, d'une part, il n'existe pas de correspondance directe entre les disciplines et leur objet d'étude et que, d'autre part, la mise en discipline réduit l'espace de compréhension, l'étude concrète des objets requiert le déploiement d'un espace de médiation interdisciplinaire. L'interdisciplinarité doit ainsi être comprise comme une réponse au problème posé à la fois par la fragmentation des objets de connaissance et par le fractionnement du processus de compréhension. Dans cet article, nous définirons, en premier lieu, la notion d'espace de médiation interdisciplinaire et nous présenterons les quatre dimensions de médiation qui interfèrent dans cet espace. En second lieu, nous réfléchirons sur la vocation holistique2 de la sociologie qui l'amène à se spécialiser à l’interne et à rechercher 1. L'exemple classique de cette tension est l'acte fondateur de la linguistique moderne qui s'est entièrement constituée sur la base d'une coupure nette entre langue et parole. Cette discipline délimitait ainsi un espace fermé où les phénomènes langagiers pouvaient être saisis dans une logique immanente de système, celui de la langue. La parole ou le discours comme réalisation effective et complexe de la langue ont été évacués du domaine de connaissance de la linguistique. Voir Saussure (1968). 2. Parler de la vocation holistique de la sociologie implique déjà un point de vue sur sa portée. Comme l’expression l’indique, la sociologie est ici conçue comme science du social en tant que totalité. Cela ne signifie nullement que nous ressuscitions l’ambition impérialiste de la sociologie ni que nous niions les « autres » sociologies davantage intéressées à l’observation microsociale. 64 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 les médiations interdisciplinaires à l’externe. Enfin, nous présenterons deux exemples de recherche afin d’illustrer comment se déploie pratiquement l’espace de médiation interdisciplinaire dans la démarche de recherche. LES QUATRE DIMENSIONS DE L’ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE Qu’entendons-nous par espace de médiation interdisciplinaire ? Nous avons mentionné la nécessité de la médiation interdisciplinaire comme réponse à la fragmentation des objets et au fractionnement de leur compréhension. C'est dans les activités de recherche qu'une telle nécessité se présente avec le plus de force. En effet, la cohérence dans la définition disciplinaire de l'objet, acquise au prix d'une réduction de ce dernier, ne se retrouve pas nécessairement sur le terrain de l'observation. En d'autres mots, l'objet de la recherche est toujours plus complexe que sa représentation disciplinaire. C'est donc d'abord dans ce lieu que le chercheur est appelé à interagir avec d'autres disciplines dans un double mouvement de délimitation (mise en objet propre à sa discipline) et de médiation (co-construction interdisciplinaire). La définition de l'objet constitue de la sorte la première dimension de l'espace de médiation interdisciplinaire. Les modalités du processus de connaissance définissent les trois autres dimensions de cet espace. La pratique de la recherche révèle rapidement l'existence effective de médiations interdisciplinaires sur trois plans : épistémologique, méthodologique et herméneutique. Sur le plan épistémologique, le chercheur se situe, au-delà même de son inscription disciplinaire, par rapport aux grandes questions thématiques, ontologiques, paradigmatiques et situationnelles qu'implique toute production de connaissance. Sur le plan méthodologique, il occupe un espace intermédiaire défini par la présence d'opérations de recherche formelles communes à plusieurs disciplines. Enfin, sur le plan herméneutique, il restaure la complexité des objets au stade de la compréhension globale des phénomènes en recourant à d'autres schémas d'interprétation disciplinaires. Examinons maintenant chacune de ces quatre dimensions. RECONSTRUCTION DE L’OBJET Tout processus de recherche porte sur un objet ou, si l'on préfère, s’applique à le reconstruire. Ce processus de réobjectivation du monde suit, ne précède pas, la mise en objet des aspects de la réalité à l'intérieur tant des pratiques et des institutions sociales que du domaine des savoirs. Les objets sociaux occupent un espace et un temps institutionnels déjà représentés dans l’ordre symbolique. Les sciences sociales sont ainsi sujettes à une double herméneutique (Giddens, 1987) en ce qu'elles doivent interpréter par la médiation du langage non seulement leur objet, mais les interprétations de cet objet qui préexistent à leur observation3. En plus de rendre compte de tous les plans d'observation de l'objet à travers le langage, elles sont confrontées à l'ensemble des interprétations qui leur préexistent, quel qu'en soit le caractère spontané ou savant. Aux formes spontanées d'interprétation des objets du monde s'ajoutent, pour le chercheur, les herméneutiques savantes qui recouvrent partiellement ces mêmes objets. La construction de tout objet sociologique doit donc se faire en association ou en opposition avec ces préconstructions. Choisir un objet, choisir de le réobjectiver dans un processus de connaissance sociologique impliquent d’en déterminer les conditions symboliques d'existence et de négocier avec d’autres champs disciplinaires sa mise en forme. Le travail de délimitation disciplinaire et de médiation interdisciplinaire s'accomplit donc aux deux plans des formes matérielles et symboliques de l'objet. 3. Gadamer a mis en évidence le caractère herméneutique de toute science, y compris les sciences naturelles, à travers l'idée de la «linguisticité principielle» de toute connaissance. Tout processus méthodique ne saurait être mis en marche ni donner lieu à l’interprétation sans s’appuyer sur une préconception ou sur un paradigme. L'universalité du problème herméneutique touche, selon lui, «tout ce qui est rationnel, ce qui veut dire tout ce sur quoi on peut chercher à s'entendre» (Gadamer, 1996, p. 47). Le propre des sciences sociales, c'est de devoir prendre en compte les objets en tant qu'ils sont déjà l'objet d’interprétations sociales. LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 65 QUATRE QUESTIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES Sur le plan épistémologique, quatre questions conduisent les chercheurs sur le terrain de l’interdisciplinarité. La première concerne les formes idéelles partagées qui servent à rendre intelligible le réel, en dehors même des principes logiques explicites des chercheurs. Gérard Holton, s'intéressant à la logique de l'invention scientifique, propose le concept de théma pour rendre compte de «l'existence de préconceptions inévitables pour la pensée scientifique, bien que, en elles-mêmes, elles ne soient ni vérifiables ni réfutables» (Holton, 1982, p. 21). Il s'agit de thèmes fondamentaux communs à un grand nombre de scientifiques, qui se concrétisent dans des concepts, des méthodes ou des propositions hypothétiques et qui orientent leur activité de recherche. Ces thémata, que Holton estime à environ 50, peuvent prendre une forme dyadique (théma/antithéma) ou triadique. À titre d'exemples de thémata dyadiques, on peut mentionner les oppositions suivantes : simplicité/complexité, réductionnisme/ holisme, continuité/discontinuité, etc. Ces thémata ne sauraient être assimilés ni à des paradigmes4, ni à des théories, ni même à des idéologies. Souvent déniés, ils constituent des préconceptions générales qui «imprègnent l'œuvre des scientifiques» et «rend[ent] possible l'approche interdisciplinaire si caractéristique dans nombre de développements nouveaux» (ibid., p. 27). On pourrait dire que Foucault (1966) développe une idée analogue lorsqu'il propose de définir trois types de modèles circulant entre les diverses sciences humaines. Les deux premiers relèvent des processus de formalisation et de conceptualisation de l'objet et se situent aux niveaux explicitement méthodologique ou théorique de la démarche. Le troisième type de modèle, qu'il qualifie de «catégories dans le savoir singulier des sciences humaines» (Foucault, 1966, p. 368), renvoie à des couples de notions ayant pris naissance dans les sciences biologiques et économiques et dans la linguistique. Il s'agit, par ordre, des dyades catégorielles suivantes : fonctions/normes, conflits/ règles, sens/système. Si ces dyades sont d'abord récupérées respectivement par la psychologie, la sociologie et l'analyse du discours, elles circulent dans l'ensemble des sciences humaines de telle sorte que «toutes les sciences humaines s'entrecroisent et peuvent toujours s'interpréter les unes les autres, que leurs frontières s'effacent, que les disciplines intermédiaires et mixtes se multiplient indéfiniment, que leur objet propre finit même par se dissoudre» (Ibid., p. 369). Nous qualifions d'ontologique la deuxième question épistémologique, parce qu'elle renvoie aux postulats fondamentaux concernant la nature du réel et le statut de vérité de la connaissance. Ces postulats contribueront à définir des positions ontologiques au-delà des disciplines dans lesquelles les chercheurs choisiront de s’inscrire. Nous nous inspirons des réflexions de Jean Molino (1989, p. 9) sur l'existence de ce qu'il appelle une «koinè philosophique post-analytique et postmoderne» pour cerner les principaux enjeux ontologiques qui transcendent les découpages disciplinaires et constituent des espaces de ralliement. Suivant ce modèle, nous dégageons ce qui nous semble être les trois positions ontologiques contemporaines en sciences sociales (voir le tableau I). La démarcation entre ces dernières positions n'est néanmoins pas parfaitement étanche, et les chercheurs peuvent adopter des positions différentes selon la nature de leur objet d'étude. La koinè philosophique post-analytique et post-moderne se caractérise, selon Molino, par quatre thèses. La thèse anti-réaliste pose que les entités n'existent pas indépendamment du cadre d'enquête. Selon la thèse relativiste, le monde ne peut être perçu et construit qu'à travers un «schéma conceptuel». Découle de cette dernière position l'impossibilité de toute objectivité ou vérité au sens d'une adéquation entre connaissance et objet de connaissance, qui constitue la troisième thèse. La quatrième thèse affirme, conséquemment, l'incommensurabilité des analyses et des modèles dans le temps et dans l'espace. On aura reconnu les principales positions du constructivisme radical. Reprenant le même schéma, il devient possible de définir les deux autres koinè contemporaines. Selon nous, la seconde position ontologique est celle que l'on retrouve chez les réalistes et les néopositivistes. Elle se fonde sur le postulat de l'existence véritable des objets de connaissance, existence indépendante de l'activité de leur mise en forme. La connaissance transparente et complète des objets 4. Berthelot (1990, p 149) nous dit que «l’approche de Gérald Holton s’inscrit à l’inverse [des cadres sociocognitifs évoqués par la notion de paradigme de Kuhn] au cœur même des débats sur l’intelligence de l’objet». 66 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 TABLEAU I Trois positions ontologiques dans les sciences sociales contemporaines Ontologie Existence des objets Mode de connaissance Objectivité/vérité Analyses et modèles Postmoderne Non-indépendance Réaliste/néopositiviste Concordataire Indépendance Existence factuelle interprétée Relative à un schéma Transparente et Explicative et conceptuel complète interprétative Non-vérité Vérité « Plans de vérité » Incommensurabilité Commensurabilité Mesures et interprétations n'apparaît à l'intérieur de cette koinè que comme un horizon «utopique», mais qui structure aussi bien les démarches de la recherche que les critères de leur évaluation. La vérité existe, même si elle ne constitue qu'un but ultime. Le relativisme de la connaissance et l'incommensurabilité des analyses se posent comme problèmes pratiques, non pas comme problèmes épistémologiques. La troisième position, qui se situe entre les deux précédentes, peut être appelée «concordataire», selon l'expression de Pires (1997, p. 14)5. Elle puise aux deux autres traditions les éléments de son ontologie. Cette position s'appuie fondamentalement sur une conception qui distingue des opérations différentes et complémentaires du procès de connaissance : d'un côté, les opérations explicatives, d'un autre, les opérations herméneutiques6. Il est donc possible de saisir des faits à travers des opérations objectives de description et d'analyse. Mais cette saisie est toujours accompagnée d'opérations d'interprétation. Il y a donc l'hypothèse d'une existence factuelle7, mais toujours saisie dans le cadre d'une construction herméneutique. Les faits existent, mais ne peuvent être saisis en dehors d'un quelconque appareil théorique. Les énoncés seront dès lors envisagés comme appartenant à des «plans de vérité» (Foucault, 1971) et non en tant que vérité absolue. Les analyses seront produites à la fois du point de vue des règles méthodologiques et du point de vue du cadre d'interprétation. Les enjeux ontologiques constituent un horizon incontournable pour les chercheurs qui ne peuvent éviter d'y apporter leur réponse. Ces enjeux débordent les frontières disciplinaires et les prises de position rapprocheront souvent les chercheurs plus que leur appartenance disciplinaire. Deux autres questions épistémologiques contribueront à ce rapprochement. Il s'agit des paradigmes interprétatifs et des pratiques structurées autour d'objets de connaissance. L’exemple des structuralismes des années soixante qui ont marqué la linguistique, l’anthropologie, la philosophie et, à certains égards, la sociologie illustre jusqu’à quel point l’appartenance à un paradigme interprétatif permet de traverser aisément les frontières disciplinaires. C'est en vertu des principes de base de l'analyse structurale en linguistique que se sont constituées des pratiques de connaissance dans des disciplines voisines, portant sur l'étude des mythes, de la parenté, du discours et des savoirs, par exemple. On pourrait également mentionner l'analyse systémique qui est passée de la biologie, à l'étude de l'information et de la communication, au droit et à l'analyse «institutionaliste». Enfin, on peut affirmer que le marxisme a constitué une figure emblématique d'un paradigme interprétatif transdisciplinaire. Ces paradigmes structurent les pratiques de recherche certes tout autant que l'appartenance disciplinaire des chercheurs. La dernière question épistémologique, que nous avons qualifiée de situationnelle, renvoie au point de vue adopté par le chercheur au regard de l’étendue des objets observés. Le fait de définir 5. Pires souligne de plus qu’une telle position est propice au décloisonnement disciplinaire. 6. Cette distinction entre opérations explicatives et opérations herméneutiques est également traitée par Ricœur (1986) qui les situe sur un unique arc herméneutique menant de l'observation à la compréhension. Nous développons une idée semblable dans Duchastel et Laberge (à paraître). Pour nous, les opérations explicatives inhérentes à toute démarche de connaissance scientifique sont toujours accompagnées d'interprétations locales. 7. Pires (1997, p. 26) fait une distinction entre énoncés factuels simples (correspondant à une référence empirique directe et précise) et énoncés se fondant sur des interprétations plus poussées. LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 67 des domaines particuliers d’objets de connaissance favorise le rapprochement des disciplines. Pensons, en premier lieu, aux disciplines partiellement institutionnalisées qui sont définies par la nécessité d'une approche multidisciplinaire ou interdisciplinaire de leur objet, telles la criminologie, les relations industrielles, la communication, etc. Pensons, en second lieu, aux domaines beaucoup plus larges qui touchent de vastes aspects de la réalité et qui se définissent par référence à leur objet et aux modalités de leur mise en forme. L’émergence aux États-Unis des cultural studies illustre bien le rapprochement de chercheurs de diverses disciplines autour d'un domaine constitutif de la vie sociale et d'approches ontologiques et paradigmatiques particulières8. Les études féministes correspondent à la même définition. Elles couvrent un domaine très large et ont en commun jusqu'à un certain point un ensemble de positions épistémologiques. COMMUNAUTÉ DES MÉTHODES Le troisième espace de médiation se déploie sur le plan méthodologique, soit celui du traitement de la concrétude. On peut distinguer à cet égard trois questions : l'indétermination des matériaux, l'universalité de certaines opérations et les échanges entre savoir-faire disciplinaires. L'indétermination des matériaux implique qu’il existe une certaine indépendance des objets antérieure à leur construction par les disciplines. Cette question renvoie évidemment à la position ontologique touchant à la part d’indépendance qui est accordée aux objets du monde ou à leur réalité. Nous ne prétendons pas qu’il existe une indépendance absolue des objets, mais plutôt que l'existence de ces derniers précède leur construction différentielle en fonction du plan de connaissance privilégié. Cette existence factuelle sujette à interprétation implique que les mêmes matériaux peuvent être observés de divers points de vue disciplinaires. Les matériaux sont en eux-mêmes candidats à l'interdisciplinarité. Les modalités de leur appropriation par une discipline particulière sont ainsi susceptibles d'être informées par les modalités d'appropriation des autres disciplines. L'universalité des opérations renvoie, d’une part, à l’existence de modalités particulières de raisonnement logique ou, comme le dit Berthelot (1990), de schèmes d’intelligibilité et, d’autre part, à la présence d'opérations de recherche qui permettent de circuler de l'abstrait au concret et du concret à l'abstrait. On pense ici aux procédures de saisie, de description, de catégorisation, de comparaison et d'analyse des matériaux, etc. Au-delà de la nature théorique variable prêtée à ces opérations, les chercheurs n'ont d'autres choix que d'y recourir. Quant aux savoir-faire disciplinaires, ils constituent des arrangements particuliers de ces opérations au regard de leur objet propre. On ne saurait cependant accorder une trop grande importance à cette appropriation des savoir-faire par les disciplines. D'un côté, les emprunts de techniques particulières sont fréquents d'une discipline à l'autre, par exemple dans le domaine des calculs statistiques ou des modèles formels de raisonnement. D'un autre côté, l'existence même d'un objet commun à par plusieurs disciplines induit des emprunts méthodologiques. Le fait pour le sociologue, par exemple, de travailler sur des représentations langagières le conduira à faire l'usage de méthodes linguistiques ou paralinguistiques. COMPLEXITÉ HERMÉNEUTIQUE Dans les trois dimensions de médiation précédentes, on peut dire que les chercheurs sont pratiquement conduits à se situer dans un espace interdisciplinaire sans avoir à le reconnaître explicitement. La quatrième dimension, celle de l'interprétation globale de l'objet, amène le chercheur à accepter ou à rejeter de manière plus explicite l'intention interdisciplinaire. En effet, la problématisation du projet de connaissance nécessite que soit définie de manière explicite la nature du questionnement. Par contre, il nous semble qu'ici encore, même dans le cas où le choix 8. Voir Denzin et Lincoln (1994) sur l'approche interprétative de la réalité entièrement conçue comme produite par le langage. 68 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 est unidisciplinaire, le chercheur sera amené, malgré lui, sur le terrain de l'interdisciplinarité dans le cadre d'une interprétation globale. Nous avons défini ailleurs le processus de connaissance de la manière suivante: Tout processus de connaissance part d'une compréhension préalable d'un phénomène et aboutit potentiellement à une compréhension enrichie de ce phénomène. Il parcourt ainsi un chemin marqué de quatre phases plus ou moins entremêlées selon le degré de formalisation adopté. D'une projection de sens par anticipation, le processus se poursuit dans la problématisation plus ou moins théorique de l'objet, dans son observation plus ou moins systématique et objective et dans son appropriation finale par le sujet de connaissance. La compréhension est ainsi le point de départ et d'arrivée du processus de connaissance. (Duchastel et Laberge, à paraître) Dans cette perspective, le chercheur effectuera au point de départ une mise en problème de l'objet. Il se positionnera ainsi sur l'axe qui va d'une approche intensive (spécialisation disciplinaire) à une approche extensive (interdisciplinarité). La conséquence de ce choix se fera sentir dans le caractère plus ou moins explicite des médiations interdisciplinaires qui vont caractériser la phase d'opérationnalisation de la recherche (définition de l'objet, choix d'un cadre épistémologique et méthodologique) et la phase d'interprétation globale. Dans cette dernière phase, deux possibilités se présentent. Ou bien le chercheur vise une compréhension extensive de l'objet en intégrant (transdisciplinarité) ou en associant (interdisciplinarité) les autres perspectives (Hamel, 1997). Ou bien le chercheur propose une compréhension intensive, encadrée principalement par sa pratique disciplinaire. La médiation interdisciplinaire jouera principalement dans le premier cas. En effet, il faudra examiner un ensemble d'hypothèses interprétatives afin de rendre compte de la complexité des objets en fonction de plusieurs disciplines. Dans le deuxième cas, la médiation interdisciplinaire se profilera à l'arrière-plan. L'interprétation des autres aspects de l'objet auxquels le chercheur renonce exige tout de même le recours à des connaissances dont le caractère sera plus ou moins spontané. Par exemple, une recherche portant sur les représentations sociales implique une hypothèse plus ou moins explicite au sujet de la nature de la subjectivité. Une analyse des idéologies recourt de la même façon à une hypothèse concernant la nature du langage. En résumé et pour conclure ce point, nous envisageons l’interdisciplinarité non pas comme une négociation de frontières entre institutions de savoir, mais comme une émergence pratique d’intersections entre diverses modalités de médiation à l'intérieur même de la recherche. Ces modalités sont interdépendantes et se composent comme autant de dimensions d’un même espace. LA VOCATION INTERDISCIPLINAIRE DE LA SOCIOLOGIE Ce que nous avons dit jusqu’à présent s’applique, à des degrés divers, à toutes les disciplines anthroposociales. Par contre, existe-t-il une raison de croire que la sociologie tend plus fortement à l’interdisciplinarité9 ? Sans prétendre hiérarchiser les disciplines, nous tenterons de montrer les raisons pour lesquelles la sociologie occupe une place particulière dans la problématique de l’interdisciplinarité. L’inévitable mouvement de spécialisation interne, propre à toutes les disciplines, est continuellement contrebalancé dans le cas de la sociologie par une recherche de liens avec d’autres disciplines. Ce double processus jamais achevé est déterminé à la fois socialement et épistémologiquement. Nous verrons en quoi ces deux ordres de détermination agissent de manière particulière sur la sociologie. 9. Hamel (1997) s’interroge sur la position de surplomb que la sociologie a souvent tenté d’occuper. Son argument consiste à dire que si son objet, la matière de la vie sociale, la prédispose à chapeauter d’autres disciplines plus spécialisées, il n’en demeure pas moins que sa pratique est tout aussi spécialisée que les autres, avec les limites que cela comporte. Il conteste sur cette base l’hypothèse selon laquelle la sociologie aurait une plus grande vocation interdisciplinaire. LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 69 Nous partirons simplement de l’idée développée par Foucault (1975) selon laquelle les disciplines, dans les deux sens de savoirs et de dispositifs disciplinaires, ont balisé la production des institutions de la société moderne. Les divers procès d’institutionnalisation doivent ainsi être appréhendés sous l'angle d’une dialectique des savoirs et des pouvoirs10. Foucault montre, dans Surveiller et punir (Foucault, 1975), mais aussi dans l’ensemble de ses travaux précédents, comment se développent des savoirs disciplinaires en relation avec la transformation des institutions. C’est ainsi que le savoir médical accompagne la naissance de la clinique, le savoir psychiatrique transforme radicalement la prise en charge asilaire, le savoir criminologique structure le régime pénitentiaire. En partant de cette idée d’une correspondance relative entre structure de savoir et structure de pouvoir, nous posons que les diverses sciences sociales peuvent être associées aux sphères institutionnelles caractéristiques de la modernité. Ce mouvement d’institutionnalisation se matérialise à un double niveau : la séparation entre le privé et le public dont les frontières sont sans cesse redéfinies ; la dissociation entre l’économique, le politique et le culturel (Bourque et Duchastel, 1992). Nous pensons que ces découpages institutionnels dessinent l’espace de déploiement et de morcellement des sciences sociales. Alors que certaines d’entre elles s’attachent de manière privilégiée à l’un ou l’autre de ces découpages, d’autres conservent une vocation plus générale. Le tétraèdre de la figure 1 représente ce double mouvement de différenciation. Les trois intersections de la base de la figure renvoient aux trois pôles institutionnels de la modernité. Chaque pôle indique à la fois le lieu d’un problème et le lieu d’une solution. Toute société doit produire, se représenter et se gouverner (Vidal, 197011). Le propre des sociétés modernes est d’apporter une réponse institutionnelle particulière à ces préalables, pour reprendre le vocabulaire structuro-fonctionnaliste. Cette réponse se matérialise sous la forme d’une différenciation et d’une spécialisation institutionnelles. À chacune des sphères institutionnelles ainsi différenciées correspondront des disciplines particulières. Dans la sphère économique, les sciences économiques et les relations industrielles, entre autres, permettent de rendre compte et de prendre en charge les domaines de la production et du travail. La science politique, le droit, la criminologie s’inscrivant dans la sphère politique, ils répondent aux questions du pouvoir et du contrôle social. Les sciences du langage et l’anthropologie se centrent sur la production du sens et, plus largement, de l’ordre symbolique. La figure ne rend que partiellement compte du deuxième axe de différenciation, soit celui des sphères privée et publique. En effet, l’articulation du privé et du public se matérialise dans des réarrangements constants entre les pôles institutionnels économiques, politiques et culturels. Ces réarrangements renvoient aux diverses formes de régulation que se donnera la société moderne (Bourque et Duchastel, 1992). Par exemple, alors que l’État libéral classique assure la régulation politique de la société en confiant aux institutions de la sphère privée un rôle de premier plan, l’État providentialiste étend progressivement l’action de la sphère publique à l’ensemble des institutions économiques et culturelles. Une des dimensions importantes de l’articulation du privé et du public renvoie au processus d’individuation des sujets12. C’est en ce sens que nous plaçons la question de l’individualité au sommet 10. Nous retenons de la pensée de Foucault l’idée que la dialectique savoir/pouvoir peut expliquer l’émergence et les caractéristiques des institutions sociales de la modernité. Nous exposons cependant une conception quelque peu différente concernant la place occupée par les diverses sciences sociales. Foucault (1966) présente, dans le dernier chapitre de Les mots et les choses, intitulé «Les sciences humaines», une conception selon laquelle le domaine de l’épistémè moderne est délimité par trois dimensions de la connaissance : les sciences mathématiques et physiques, les sciences traitant d’éléments discontinus mais analogues (la biologie, l’économie, le langage) et la philosophie. Les sciences humaines n’appartiennent à aucune de ces dimensions, mais en dérivent en quelque sorte. Aux mathématiques elles empruntent la formalisation, des sciences biologiques, économiques et linguistiques elles prennent, comme nous l’avons déjà souligné, des modèles et des concepts, dans la philosophie, elles cherchent les réponses à la question de la finitude humaine. 11. Laberge (1997, p. 8), à propos du rapport dynamique entre les modes de production et de reproduction de la société, développe une idée voisine : «Sur le plan analytique, les pratiques de gestion [de la marginalité et du contrôle social] doivent être examinées à partir de trois axes : leur matérialité, leur idéalité et leur autorité.» 12. Il faut rappeler que la notion de sphère privée prête souvent à équivoque. On s’entend pour dire qu’il s’agit des domaines institutionnels (économiques, culturels et monde vécu) qui échappent à l’emprise directe de l’autorité publique, tout en demeurant sous l’emprise de la régulation politique, prise au sens large, dans les sociétés modernes. C’est ainsi que le privé renvoie à la fois au domaine de la propriété privée et à celui de l’intimité. C’est dans ce dernier lieu que se déploie l’individuation du sujet. 70 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 FIGURE 1 Pôles institutionnels et espace de déploiement des disciplines de la pyramide, l’individu occupant un espace privé en relation constante avec l’ensemble des formes institutionnelles de la modernité — sujet économique, sujet politique, sujet identitaire (Taylor, 1989). Ce sont la psychologie, la psychanalyse et la psychiatrie qui auront pour tâche de penser la genèse et le fonctionnement de cette individualité et le rapport qu’elle entretient avec la société (Ellenberger, 1970). La sociologie, la philosophie et l’histoire se trouvent en extériorité par rapport au découpage auquel le schéma renvoie. Ces trois disciplines partagent l’ambition d’une saisie en surplomb de l’ensemble des rapports sociaux, des formes institutionnelles qui les caractérisent et du rapport des individus à la société. On a souvent l’habitude de distinguer l’histoire de la sociologie en soulignant l’intérêt de la première pour l’étude empirique des enchaînements temporels et la propension de la seconde à vouloir expliquer théoriquement les faits sociaux. Quoi qu’il en soit de leurs différences et de leur inévitable complémentarité, il n’en reste pas moins que ces deux disciplines, dans leur définition même, ont pour projet la saisie de l’entièreté de l’expérience sociale. La philosophie occupe également une position en surplomb. Elle pose, sur un autre plan, la question de la « finitude de l’homme » pour reprendre l’expression de Foucault (1966), autrement dit elle pose la question de la dimension normative des sciences sociales en général et de la sociologie en particulier. Nous croyons que cette vocation normative de la sociologie, en dédoublant son projet de connaissance positive de la totalité, renforce son point de vue holistique. Ce sont ces caractéristiques au cœur même du projet de la sociologie qui la prédispose à redéfinir en permanence sa position dans la tension entre intensivité disciplinaire et extensivité interdisciplinaire. Pour reprendre l’image suggérée par Foucault pour décrire l’espace occupé par les sciences humaines, la sociologie se trouve dans le volume que délimitent les surfaces du tétraèdre. L’étude de la société se situe nécessairement à l’intersection des trois pôles de la culture, du politique et de l’économie et pose en permanence le problème du rapport de l’individu à la société. Si la sociologie entretient toujours un projet de connaissance englobant la totalité sociale, elle se doit d’étudier des objets concrets. Elle procédera alors soit à une différenciation interne, inventant autant de sociologies spécialisées qu’il y a de domaines institutionnels, soit à l'établissement de liens avec d’autres sciences sociales. Dans le premier cas, elle aura tendance à se limiter à une bidis- LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 71 ciplinarité (sociologie économique, politique, du droit, de la connaissance...), s’éloignant ainsi de son projet de compréhension holistique ; dans le second, elle recherchera une ouverture constante sur les divers ordres de médiation susceptibles de restituer la complexité de son objet. DEUX EXEMPLES DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE Notre but est d’illustrer, dans cette dernière partie, la façon dont se déploie l’espace de médiation interdisciplinaire dans nos expériences respectives de recherche. Il s’agira simplement de montrer en quoi la construction d’un objet à travers la définition d’une question et l'élaboration d’un protocole de recherche impliquent la médiation interdisciplinaire aux quatre dimensions que nous avons définies. Sans épuiser pour chaque cas l’ensemble des lieux d’intersection disciplinaire, nous entendons donner des exemples de ces médiations multiples qui se présentent inévitablement au chercheur sociologue. L’ITINÉRANCE Le premier exemple concerne l’étude de l’itinérance13. Il s’agit d’une recherche appliquée dont l’objectif est de mettre en lumière l’ensemble des dimensions sociales et politiques généralement négligées dans l’étude de cette question. Dans la première dimension de l’espace de médiation, celui de la construction de l’objet d’étude, on constate que l’itinérance reçoit deux définitions. La première conception relève du sens commun et suppose que le phénomène se donne à l’évidence : personne sans ressources qui se retrouve à la rue. On rencontre pourtant cette conception dans de nombreuses études. La seconde définition, de nature administrative , se résume à une énumération des caractéristiques habituellement associées à l’itinérance et dont chacune peut faire l’objet d’une prise en charge par une ou plusieurs instances administratives. C’est ainsi que l’itinérant sera considéré comme une personne qui n’a pas de logement stable et salubre pour les six prochains mois, qui souffre d’isolement social, est sans revenu, présente un ou plusieurs problèmes : toxicomanie, délinquance, maladie physique ou mentale. Chacune de ces caractéristiques correspond à la nature des problèmes susceptibles d’être pris en charge par les services d’aide sociale, de logement et d’hébergement, par les hôpitaux ou les centres psychiatriques, par les instances policières, judiciaires et carcérales. Pourtant, cette prise en charge a rarement lieu. En effet, les institutions médicales, psychiatriques, judiciaires et d’aide sociale sont, tour à tour, sollicitées pour intervenir auprès des itinérants. Elles sont souvent incapables de gérer une situation qui dépasse en complexité leur capacité d’intervention, sans compter la résistance que manifestent de nombreux itinérants. Le renvoi d’une institution à l’autre équivaut, au bout du compte, à une absence de prise en charge. Prendre pour objet l’itinérance a donc impliqué, pour les chercheurs, de se situer au carrefour de divers champs de compétence en ce qui concerne les savoirs et des différentes formes d’intervention institutionnelle dans l’exercice de leurs pouvoirs. La construction de leur objet n’a pu en ignorer aucune. Sur le plan épistémologique, ce que nous venons de dire sur l’existence d’une définition a priori de l’itinérance pose le problème de la position ontologique qu’ont adoptée les chercheurs. Jusqu’à quel point l’itinérance existe-t-elle indépendamment de sa saisie ou n’est-elle que le produit d’une construction sociale ? La formulation d’une définition dont le statut épistémologique est strictement descriptif s’appuie sur une ontologie de l’existence factuelle de l’itinérance. La définition apparaît ainsi comme le reflet de la réalité. Dans une telle perspective, l’usage de la catégorie d’itinérance comme grille de lecture produit des rapprochements ou des similitudes dans des situations qui relèvent de dynamiques par ailleurs extrêmement différentes. Quel est le degré de similitude entre la situation d’une personne qui a fait l’objet d’une désinstitutionnalisation psychiatrique et celle d’un jeune qui se prostitue et connaît des problèmes graves de toxicomanie, lorsqu’ils se retrouvent tous les deux dans la rue? L’usage d’une catégorie unique, non problématisée, entraîne des amalgames qui gomment les différences fondamentales dans les expériences de vie et les modalités d’intervention. Se distancier 13. Cette recherche, subventionnée par le Conseil québécois de recherche sociale (CQRS), a été réalisée sous la direction de Danielle Laberge, Pierre Landreville, Marie-Marthe Cousineau et Shirley Roy. 72 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 d’une position naturaliste n’a pas signifié pour autant de renoncer à l’usage de la catégorie d’itinérance, mais plutôt de la concevoir en tant qu’elle structure activement une réalité sociale particulière. En d’autres termes, la catégorie d’itinérance fut considérée comme étant socialement opératoire. C’est à ce titre qu’elle n’a pu être esquivée par les chercheurs et qu’elle a dû être reproblématisée. L’étude de l’itinérance est caractérisée par une tension entre deux paradigmes interprétatifs qui traversent d’ailleurs l’ensemble des domaines d’étude des problèmes sociaux (toxicomanie, décrochage scolaire, pauvreté, délinquance, etc.). Ces paradigmes privilégient soit une vision individualisante fondée sur la responsabilité personnelle, soit une vision sociologisante mettant de l’avant les conditions sociales de sa production. La perspective étiologique adopte le premier point de vue et tend à expliquer le phénomène de l’itinérance à partir de déficiences individuelles quelle qu’en soit la source : biologique, familiale, environnementale, sociale. De l'autre côté, la perspective des «inégalités sociales» tend à rechercher les causes de l’itinérance dans la dynamique de la pauvreté et, plus largement, des inégalités sociales. C’est ainsi que le corpus des recherches sur l’itinérance se partage selon cet axe épistémique plutôt qu’en fonction des disciplines propres aux chercheurs. Penser un protocole de recherche dans ce contexte implique donc l’élaboration de stratégies et de procédures qui correspondent à la fois à l’objet tel qu’il est défini et aux choix épistémiques des chercheurs. Lorsque nous avons parlé de l’indétermination des matériaux, nous faisions référence à la relative indépendance des objets. Cette autonomie de l’objet peut jouer à son tour en imposant au chercheur des caractéristiques qui lui sont propres, le contraignant à adapter son protocole de recherche. Ainsi, ces caractéristiques peuvent orienter le choix de diverses approches et procédures qui, bien qu’ayant une existence relativement autonome, s’appliquent à des situations de recherche comparables. Parmi ces caractéristiques de l’itinérance, mentionnons l’inexistence d’une définition forte de l’appartenance, l’absence de structures organisationnelles, le défaut de prise en charge systématique, le caractère individuel de l’expérience. Les méthodes doivent donc pouvoir rendre compte de ce type de situations, des comportements et des parcours individuels dans des contextes institutionnels à la fois multiples et indéfinis. Dans les faits, à cause de l’approche descriptive et étiologique favorisée jusqu’à maintenant dans l’étude de l’itinérance, ce sont les méthodes épidémiologique et clinique qui ont dominé. L’adoption, par les chercheurs, d’une perspective épistémologique différente a exigé une double stratégie sur le plan méthodologique : d’une part, la redéfinition de l’usage des méthodes dominantes et du statut des matériaux qu’elles étudient ; d’autre part, l’utilisation de sources négligées en raison de leur caractère peu orthodoxe ou peu courant. C’est ainsi qu’un large éventail de méthodes propres à diverses disciplines a été déployé : l’observation participante, la reconstitution de cheminements administratifs, les récits de vie avec les personnes itinérantes, l’analyse des normes et règlements de différentes institutions. Dans l’un et l’autre cas, on a affaire à un échange de savoir-faire disciplinaires. La diversité de l’objet, la multiplicité des cas de figure se rattachant à l’expérience même de l’itinérance ont conduit à une impasse relative sur le plan de l’interprétation globale. Rappelons que l’interprétation globale de l’objet varie en fonction de l’approche soit intensive ou extensive du problème. Alors que les chercheurs ont privilégié une approche extensive capable de saisir le phénomène dans sa totalité, la dominance même de l’épistémè contemporain a rendu très difficile une saisie de l’objet en dehors d’un regard normatif et d’une interprétation pathologiste. Cela explique d’ailleurs l’engouement observé pour les approches étiologiques. Malgré le choix du paradigme des inégalités sociales, en raison même de l’objet et des méthodes susceptibles de l’appréhender, les chercheurs se sont trouvés aux prises avec un matériel largement descriptif dont l’interprétation tendait systématiquement à dériver vers une explication «individualisante». La solution maintenant esquissée consiste en une remobilisation des dimensions sociales du problème à travers le recours à des interprétations de nature macrosociologique et macrohistorique. Le regard macrohistorique permet d’invalider le postulat de la pathologie intrinsèque parce que le phénomène de l’itinérance a emprunté des formes et des significations extrêmement différentes à travers le temps. L’approche macrosociologique permet de remettre en cause le caractère fondamentalement distinct de l’itinérance et de le resituer comme une forme parmi d'autres de disqualification sociale. LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 73 LE DISCOURS POLITIQUE Le deuxième exemple a trait à un ensemble de projets de recherche14 sur l’analyse du discours politique dans diverses conditions sociohistoriques au Québec et au Canada. Ces travaux ont conduit les chercheurs à plusieurs carrefours interdisciplinaires, aussi bien en ce qui concerne la nature du discours, les façons d’en faire l’analyse que la manière de l’interpréter. L’objet discours qui traverse toutes les instances de la société mobilise un ensemble de disciplines qui s’intéressent à l’ordre symbolique. Objet linguistique a priori, il est tour à tour saisissable par les diverses sciences du langage, la pragmatique, l’anthropologie et la sociologie de la culture et des idéologies. Construire l’objet du discours politique impliquait donc que les chercheurs choisissent les éléments de la pratique langagière pertinents par rapport à leur questionnement sociologique particulier. La perspective adoptée fut donc de retenir les dimensions linguistiques et sociales de l’objet discours, pour rendre compte de son rôle dans le procès d’institutionnalisation politique et, plus généralement, dans la production de la société. Des connaissances relevant de la syntaxe fonctionnelle, de l’analyse de l’énonciation, de l’étude des communications, de la théorie des idéologies et de la tradition de l’analyse du discours ont ainsi été mises à contribution. Sans verser dans l’éclectisme, les chercheurs ont dû reconstruire leur objet dans un espace interdisciplinaire. La deuxième dimension de médiation interdisciplinaire qui a caractérisé ces recherches est celui des choix paradigmatiques. L’ouvrage qui a clôturé le premier cycle des travaux sur Duplessis (Bourque et Duchastel, 1988) qualifiait l’approche retenue de constructiviste. Il s’agissait alors plus d’une intuition, d’une façon de décrire à la fois le travail d’analyse et la manière d’interpréter le matériel que d’une proclamation d’appartenance au constructivisme postmoderne dont le postulat est l’existence exclusivement discursive de la réalité. Adoptant une position qui peut être qualifiée a posteriori de «concordataire» (Pires, 1997), le discours y était défini de façon positive, comme lieu de coproduction de la société moderne. La prise en compte de la matérialité de la langue et du discours, de leur efficacité dans la construction sociale inscrivait ces recherches dans le virage paradigmatique des années quatre-vingt, qualifié par Markus (1982) de « tournant dit linguistique ». Contrairement aux théoriciens post-modernes, le paradigme de la production de la société sur des bases matérielles n’était pas invalidé au profit de celui de la pure reproduction par le langage. Il s’agissait plutôt de redonner sa force explicative à l’ordre symbolique. Mais quelle que fût cette position intermédiaire, il faut surtout souligner la présence d’un espace ontologique et paradigmatique nouveau à l’intérieur duquel les chercheurs ont dû définir leurs propres choix méthodologiques. Des deux premiers points ont découlé des décisions méthodologiques et l’adoption d’une perspective analytique. D’abord, le fait de tenir compte de la matérialité linguistique du discours, plutôt que de le considérer strictement comme surface indicielle de la réalité, a incité les chercheurs à prendre au sérieux certains dispositifs du fonctionnement en langue des discours étudiés. Ils ont ainsi emprunté un grand nombre d’outils aux disciplines linguistiques et paralinguistiques. Par ailleurs, la position épistémique qui les a conduits à accorder à l’ordre symbolique un rôle productif a déterminé le choix de l'analyse du discours plutôt que de l'analyse de contenu comme méthodologie. Ces choix, s’ils ont été la conséquence des positions adoptées aux autres dimensions de médiation interdisciplinaire, ont été opérés dans un nouvel espace de médiation défini par l’existence d’un grand nombre de techniques et de méthodes communes à par plusieurs disciplines et dont la désignation la plus largement acceptée est celle d’analyse du discours. Ainsi, l’analyse du discours ne saurait être considérée comme une discipline, mais comme le lieu d’une problématisation de l’objet discours et du développement d’outils susceptibles de rendre compte de son fonctionnement social. 14. Il s’agit de travaux, menés par Gilles Bourque et Jules Duchastel, ayant porté sur le discours politique dans le contexte du Duplessisme de 1940 à 1960, sur le discours identitaire dans le contexte des discussions constitutionnelles au Canada de 1941 à 1992, enfin sur le discours de passage à l’État néolibéral au Québec et au Canada de 1980 à nos jours. 74 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 La position ontologique concordataire des chercheurs les a certes conduits tout naturellement à la formalisation et à l’usage de l’informatique, sans pour autant les détourner du problème plus général du processus d’interprétation à l'œuvre dans l’analyse sociologique15. L’informatique a servi de banc d’essai non seulement pour éprouver les opérations de la recherche en les traduisant formellement, mais pour explorer au plus loin la distinction généralement admise entre les processus d’explication et d’interprétation. L’utilisation de l’informatique apparaît maintenant comme un des enjeux importants dans des débats aussi bien épistémologiques que méthodologiques. En effet, si à l’origine l’informatique n’était envisagée que dans une perspective instrumentale, son usage au cours des vingt dernières années a entraîné des transformations importantes dans les façons de faire la recherche16. L’incapacité technique était jusque-là inextricablement confondue avec les impératifs épistémologiques. Ces limitations ayant éclaté, il est maintenant nécessaire de réfléchir de nouveau sur la portée des opérations fondamentales — de gestion, de description, d’exploration et d’analyse des données — à l'œuvre dans tout processus de connaissance. Abordons enfin l’espace de médiation qui se dessine dans l’interprétation globale des données. Plusieurs stratégies interprétatives sont possibles au regard des divers matériaux discursifs à l’étude. Les chercheurs ont choisi de situer leur questionnement dans un horizon d’interprétation globale des transformations sociohistoriques. Nous ne discuterons pas ici de la question fondamentale, dans un tel processus, du hiatus entre, d’une part, les opérations de description, de raisonnement et d’interprétation locale effectuées tout au long du processus de recherche et, d’autre part, l’interprétation globale qui mène à la compréhension de l’objet dans la perspective adoptée (Duchastel et Laberge, à paraître). Nous nous contenterons de souligner que l’interprétation globale a été rendue possible grâce au recours à plusieurs domaines de connaissance sociologique et historique. La définition du discours politique est elle-même fondée sur une conception de la modernité telle qu’elle se définit dans la philosophie politique; elle repose sur une sociologie du procès d’institutionnalisation politique, elle fait appel à une archéologie des formations discursives et à une sociologie des idéologies. Le sens à donner à des manifestations discursives s’appuie également sur une connaissance historiographique des périodes et situations étudiées. L’interprétation globale fait donc appel à un ensemble de ressources qui doivent être médiatisées dans l’ultime étape de la recherche. CONCLUSION Si la question de l’interdisciplinarité peut être posée au plan des frontières institutionnelles et épistémologiques, nous croyons qu’elle a d’abord une pertinence pour les chercheurs. C’est pourquoi nous avons envisagée l’interdisciplinarité comme un espace concret de médiation dans la pratique même de la recherche. Cet espace multidimensionnel renvoie à toutes les dimensions de la pratique de recherche et, en dernière analyse, elle nous conduit nécessairement à reposer la question du bien-fondé des frontières disciplinaires. Si nous nous en rapportons à l’ensemble des dimensions de l’espace de médiation interdisciplinaire, on peut constater, à partir des deux exemples de recherche, comment les chercheurs ont été amenés à opérer des choix renvoyant à la problématique de l’interdisciplinarité. En ce qui concerne d’abord l’objet, la recherche sur l’itinérance a conduit les chercheurs à 15. Le débat sur la formalisation dépasse de beaucoup l’application de l’informatique à un cadre sociologique. Selon la position ontologique adoptée, une approche formelle ou objective sera considérée comme plus ou moins légitime. Par exemple, la tradition qualitativiste refuse principiellement l’objectivation des récits soumis à l’interprétation. Néanmoins, l’ensemble des travaux qui s’inscrivent dans cette tradition font toujours appel à des opérations de caractère intrinsèquement formel. La question de la formalisation a d’ailleurs pris un sens nouveau avec la mise au point d’outils informatiques adaptés aux exigences méthodiques de cette tradition (Duchastel et Armony, 1996) . 16. Pensons, par exemple, à la taille des corpus (données textuelles ou chiffrées) qui peuvent maintenant être traités; à la remarquable capacité d’indexation et de fouille; à la vitesse et à la complexité des calculs qui peuvent être appliqués aux matériaux. Ramognino (1992) rappelle justement la nécessité d'un travail de réduction dans la construction des données d’observation, nécessité qui ne dépend pas uniquement des limitations techniques mais qui se justifie avant tout par des considérations épistémologiques. LA RECHERCHE COMME ESPACE DE MÉDIATION INTERDISCIPLINAIRE 75 reproblématiser des définitions préexistantes, spontanées et administratives, de l’itinérance. Leur travail a consisté à dépasser les définitions descriptives et à se distinguer du courant étiologique dominant afin de rendre compte de la complexité sociologique du problème. Les recherches sur le discours politique ont également défini un objet complexe et multidimensionnel dépassant largement la conception spontanée de ce que représente le discours. Cette définition a considéré un ensemble de propriétés échappant à la seule saisie sociologique du phénomène. Les choix épistémologiques des chercheurs des deux équipes les ont également plongés dans l’espace de médiation interdisciplinaire. Dans les deux cas, ils ont adopté une position «concordataire» leur permettant de saisir le travail de co-construction des objets par les discours disciplinaires et sociaux. La recherche sur l’itinérance a ainsi pris ses distances par rapport aux conceptions naturalistes de l’objet et a choisi l’un des deux paradigmes interprétatifs généralement appliqués à l’analyse des problèmes sociaux. La perspective constructiviste adoptée par les recherches sur le discours politique a donné lieu à l'élaboration d’une théorie du discours politique comme matérialité complexe contribuant à la production de la société. Les chercheurs ont également situé leurs activités méthodologiques au carrefour de nombreuses médiations interdisciplinaires. Dans le but de tenir compte à la fois des caractéristiques mêmes de l’objet et de la perspective analytique retenue, la recherche sur l’itinérance a dû déplacer son attention de l’arsenal traditionnel des études étiologiques vers un nouveau domaine de savoir-faire interdisciplinaires. Les recherches sur le discours politique, en raison de la définition théorique de l’objet, se sont appuyées sur un ensemble d’outils mis au point dans plusieurs disciplines intéressées à l’étude de l’ordre symbolique. Enfin, l’horizon herméneutique choisi par les deux équipes s’est étendu au-delà de leur propres frontières disciplinaires. La perspective sensible aux catégories propres à leur objet respectif (discours ou marginalité) s’est accompagnée d’une référence encore plus importante aux domaines macrohistoriques et macrosociologiques. Cela illustre la vocation particulière de la sociologie, celle de saisir les objets qui sont siens à travers un principe de totalité. Jules DUCHASTEL et Danielle LABERGE Département de sociologie Université du Québec à Montréal C.P. 8888, Succ. Centre-ville Montréa (Québec), Canada H3C 3P8 RÉSUMÉ Cet article porte sur l’interdisciplinarité considéré sous l'angle de la recherche. L'interdisciplinarité est examinée comme réponse au problème posé à la fois par la fragmentation des objets de connaissance et par le fractionnement du processus de compréhension qui entre en jeu dans les diverses disciplines. Les auteurs envisagent l’interdisciplinarité non pas comme négociation de frontières entre institutions de savoir, mais comme émergence pratique d’intersections entre diverses modalités de médiation dans le cadre même de la recherche. Sont d’abord présentées les quatre dimensions de l’espace de médiation interdisciplinaire, telles qu’elles se déploient dans tout processus de recherche : sur les plans de l’objet, de l’épistémologie, de la méthodologie et de l’interprétation. Ensuite, partant de l’idée qu’il existe un inévitable mouvement de spécialisation interne propre à toutes les disciplines, les auteurs réfléchissent sur la vocation holistique de la sociologie qui la prédispose à se spécialiser à l’interne et à rechercher les médiations interdisciplinaires à l’externe. Enfin, deux exemples de recherche montrent cette nécessaire médiation interdisciplinaire dans la conduite de recherches sur le terrain. SUMMARY This paper reflects on interdisciplinarity as seen through the prism of research. Interdisciplinarity is examined as a response to the problem posed both by the fragmentation of the objects of knowledge and the splitting up of the process of understanding within the various disciplines. We see interdisciplinarity not as negotiating boundaries between different institutions of knowledge, but as the practical emergence of intersections between various modalities of mediation within research itself. First the four dimensions of the space occupied by interdisciplinary mediation as they can be seen in any research process, on the level of object, epistemology, methodology and interpretation are presented. Then, starting from the idea that there exists an inevitable internal movement toward specialization unique to every discipline, we reflect on the holistic vocation of sociology which predisposes it, 76 SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS, VOL. XXXI, 1 internally, to specialization and, externally, to the search for indisiciplinary mediation. We conclude with a proposal of two examples of research which demonstrate this necessary interdisciplinary mediation in carrying out research in the field. RESUMEN Este artículo reflexiona sobre la interdisciplinariedad a través del prisma de la investigación. La interdisciplinariedad es examinada como respuesta al problema planteado simultáneamente por la fragmentación de los objetos de conocimiento y por el fraccionamiento del proceso de comprensión utilizado en las diversas disciplinas. Nosotros consideramos la interdisciplinariedad no como una negociación de fronteras entre instituciones del saber, sino como emergencia práctica de interseciones entre diversas modalidades de mediación en el seno mismo de la investigación. Nosotros presentamos en primer lugar cuatro dimensiones del espacio de mediación interdisciplinaria, tales como se dibujan en todo proceso de investigación: en los planos del objeto, de la epistemología, de la metodología y de la interpretación. Luego, partiendo de la idea que existe un inevitable movimiento de especialización interna propio a todas las disciplinas, nosotros reflexionamos sobre la vocación holística de la sociología que la predispone a especializarce en el interior y a buscar las mediaciones interdisciplinarias en el exterior. Terminaremos proponiendo dos ejemplos de investigación que muestran esta necesaria mediación interdisciplinaria en la conducta de investigaciones de campo. BIBLIOGRAPHIE ATLAN, Henri (1979), Entre le cristal et la fumée : essai sur l'organisation du vivant, Paris, Seuil. ATLAN, Henri (1991), «Introduction. L'intuition du complexe et ses théorisations», dans Françoise Fogelman Soulié (dir.), Les théories de la complexité. 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